Quinzaine littéraire n°28 du 15 mai 1967

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La

littéraire

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N.....ir" 28

15.u II mai 1967


SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Roland Barthes

Système de la Mode

par Lucette Finas

5

ROMANS FRANÇAIS

Marcel Arland

Carnets de Gilbert La Musique des Anges Delphine Même un tigre Verdure Une saison trouble Le lustre du grand théâtre La lisière La forteresse de boue Honorius, pape La Marge L'Aube sur les remparts La Grande Jouasse La montagne morte de la vre Griserie Maintenant

par Jean Duvignaud

Correspondance Gide-Rouveyre

par Pascal Pia

Henri Bonnier André Kédtos Antoine Gallien Laurent Jenny Claude Frochaux Serge Dieudonné Marie~ Claude Sandrin Robert Escarpit André Pieyre de Mandiargues Guy Le Clec'h Charles Pascarel Michel Bernanos Florence Asie Dominique Rolin

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par Alain Clerval par Maurice Chavardès par Bernard Pingaud

par par par par par par par par

A.C. Rémi Laureillard Alain Clerval R.L. Henri Guigonnat Marcel Marnat Ritta Mariancic Josane Duranteau

12

HISTOIRE LITTÉRAIRE

13 14

ROMANS ÉTRANGERS

Severo Sarduy Leonardo Sciascia

Ecrit en dansant Les oncles de Sicile

par Roland Barthes par Dominique Fernandez

16

ART

Xavier Domingo J .-K: Huysmans

Erotique de l'Espagne Trois primitifs Les Grunewald du Musée de Colmar Le Maître de Flémalle Le juif médiéval au, miroir de l'art chrétien

par Marcel Marnat par Françoise Choay

B. Blumenkrany 18

BIBLIOPHILIE

Blaise Cendrars

Du Monde Entier

par Lucien Galimand

19

PSYCHOLOGIE

J. Piaget '

Biologie et Connaissance

par André Akoun

20

INÉDIT

12

TIERS-MONDE

Fragments posth~mes de Frédéric Nietzsche Pierre Fougeyrollas

Modernisation des Hommes L'Exemple du Sénégal

par Jean Bazin

2~~ SOCIOLOGIE

Raymonde Moulin

Le marché de la Peinture

par Geneviève Bonnefoi

24

PHILOSOPHIE

Jean Servier

Histoire de ' l'utop~e

par Bernard Cazes

25

HISTOIRE

Jean Chesneaux

L'Asie orientale aux et XX· siècles

TYPOGRAPHIE

Jérôme Peignot Jacques Damase

De l'écriture à la typographie Révolution typographique depuis Stéphane Mallarmé

par Pierre Bernard

18

POLICIERS

Robert Kyle Hubert Monteilhet

Grêle de coups fourrés Devoirs de vacances Les ' mantes religieuses

par Noëlle Loriot

28

CANNES

Le dernier Antonioni

par Jean-Marie Benoist,

31

QUINZE JOURS

Au foot

par Pierre .Bourgeade)

Publicité littéraire: La Publicité Littéraire 22" rue de Grenelle, Paris 7. Téléphone: 222.94.03

Crédi~s

Direction: François Erval, Maurice Nadeau Conseiller: Joseph Breithach Direction artistique Pierre Bernard Administration: Jacques Lory Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard, Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Michel Foucault, Bernard Pingaud, Gilbert Walusinski.

La Quinzaine li~r.i~

Secrét~riat

de la rédaction: Anne Sarraute Informations: Marc Saporta Assistante: Adelaide Blasquez

J)ocumentation: Gilles Nadeau ,Rédaction, administration: 43, rue du Temple, Paris 4 T~léphone: 887.48.58. 2

XIX·

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Directeur de la publication : François Emanuel. Imprimerie: Coty S.A. Il, 'r ue F.-Gambon, Paris ,20.

Copyright:

La

Quinzaine littéraire.

par Pierre Souyri

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photographiques Snark International David J3ailey, Vogue Gallimard éd. Flammarion éd. Le Seuil éd. Raymond Cauchetier Cartier-Bresson, magnurn Le Seuil éd. Mercure éd. Cartier-Bresson, magnum Denoël éd. Et. Augustiniennes éd. Michel Kieffer éd. Roger Viollet Roger Viollet Roger ViOllet Roger Viollet L'Espresso, 30 avril 67


LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Entre les nlots et les ·choses Roland Barthes Système de la Mode Le Seuil éd., 327 p.

« Elle porte des talons plats, collectionne les petits foulards, adore les chandails nets du grand frère et les jupons bouffants et froufroutants.» La frivolité de pareils énoncés contraste avec la gravité du traitement sémiologique auquel les soumet Roland Barthes. Qu'on se rassure, ce traitement n'est pas un mauvais traitement. L'analyse structurale, loin de porter atteinte à l'énoncé de mode, l'excite et libère sa charge involontaire de poésie et d'humour. Système de la Mode (on notera l'absence d'article, défini ou indéfini) est le fruit d'une interrogation ample portant sur un objet dérisoire. C'est avant tout une méthode, non seulement parce que les considérations de méthode occupent, en une introduction générale, environ le quart de l'ouvrage, mais aussi parce que l'auteur ne cesse, jusqu'à la conclusion, de se frayer un chemin, assurant son pas, confessant ses perplexités, par un double mouvement d'audace et de prudence. Double aussi le spectacle de l'objet qui prend forme et de l'artiste qui lui donne sa forme, en . tâtonnant, comme .un apprenti - un maître apprenti aux tâtonnements précieux et pleins d'enseignement. La conclusion, symétrique de l'introduction, s'achève sur une fuite: l'auteur tente de se dégager du système dont il est le prisonnier et de se regarder, en quelque sorte, dans le dos. Il s'efforce d'être ce regard qui regardera le sien. Ce décollage final est plein de sens : il attire notre attention sur le caractère fondamental de la fuite réflexive à l'intérieu;: et au delà (si cet au-delà se peut imaginer) de l'analyse structurale.

Sémiologie appliquée Faute de place, nous brûlerons les patients relais du système, les mille prudences, les transitions raffinées qui font de Système de la Mode un exemple de probité. Bornons-nous à quelques indications. Système de la Mode est un exercice de sémiologie appliquée, qui étend l'analyse linguistique à ce phénomène de culture qu'est la mode. L'objet de l'analyse est le vêtement féminin tel que le décrivent les journaux de mode. L'une des difficultés de l'entreprise tient au fait que le vêtement décrit, verbal (et non point réel ou iconique) est un mixte ni totalement linguistique, ni totalement objectal de langage et de vêtement. La Mode du vêtement réel n'existe pas,en effet, sans la parole qui l'institue ; et cette parole n'est pas seulement modèle, mais fondement du sens, « relais fatal de tout ordre signifiant ».

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Une double page de Vogue, numéro de mai 1967.

Roland Barthes a travaillé sur un corpus alimenté principalement par Elle et le Jardin des Modes, secondairement par Vogue et l'Echo de la Mode, et daté (de juin 1958 à juin 1959). Il a 'choisi comme point d'application de sa méthode la description de mode, dont la triple fonction est: 1. de fixer, par l'autorité de la parole, le niveau de lecture du vêtement (à son tissu, à sa ceinture, à son accessoire, etc.): «. Ceinture de cuir au-dessus de la taille, piquée d'une rose, sur une robe souple en shetland » ; 2. d'initier à un rit,e. La description de mode: (( Que! toute femme ... marche en escarpins bicolores », possède (( le hald sacré des textes divinatoires », avec la sanction du « démodé »' pour' les réfractaires ; 3. d'instituer, par l'emphase, un (( protocole 1e dévoilement », liVl'8nt le vêteIPent selon un certain ordre qui n'a d'autre but que de susciter le désir et d'engager à l'achat: (( Ce n'est pas l'objet, c'est le nom qui fait désirer, ce n'est pas le rêve, c'est le sens qui fait vendre. » Vêtement abstrait confié à une parole concrète, institution et acte à la fois, le vêtement écrit a un statut paradoxal qui, précise l'auteur, va régler toute l'analyse structurale dont il est l'objet. Soumis à l'épreuve linguistique de la commutation, l'énoncé de mode se ramène à deux types : ou bien, par exemple, (( les imprimés triomphent aux courses», ou bien (( boléro court, taille à la taille, pour l'ensemb'le en shetland bleu turquoise, la veste au ras du cou, les manches · au coude et deux poches gilet à la jupe »' , Dans le premier cas," le vêtement est le signifiant explicite d'un ~ignifié explicite qui est le monde (courses), tandis que la mode s'exprime de manière détournée, connotée,

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 mai 1967.

Dans le second cas, le vêtement est le signifiant explicite d'un signifié implicite qui est la mode (boléro court signifie muettement et d'emblée mode). Les trois systèmes du premier ensemble (code vestimentaire réel, code vestimentaire écrit, connotation de mode) et les deux systèmes du second ensemble (code vestimentaire réel, code vestimentaire écrit) sont coiffés d'un système rhétorique (par exemple la notation de triomphe, ou l'ordre implicite de 'porter un boléro court; parfois, l'ordre est explicite: (( que toute femme raccourcisse sa jupe jusqu'au ras du genou », où le que est « d'essence tyrannique » comme le note l'auteur, dont les analyses les plus austères sourient toujours. Une fois éliminée la connotation de mode, système parasite du code vestimentaire écrit, et reconnus les trois niveaux d'analyse du rhétorique, du terminologique et du réel, l'auteur ne retient que les deux structures qui intéressent directement le vêtement ecrit: le système rhétorique et un code mixte, intermédiaire entre le terminologique et le réel, appelé code pseudo-réel ou, pour simplifier, code vestimentaire, et qui constitue l'infra-structure du système rhétorique. L'unité signifiante du code vestimentaire, unité idéale mais d'une grande commodité opératoire, se compose de l'objet visé (0), du support (S) et du variant (V) . Tel énoncé de mode se réduira à une sage matrice: (( un chapeau à bords relevés »: OSV. Tel autre, d'apparence inoffensive, (( popeline à pois jaunes », mobilisera une architecture de matrices, et deux constructions rivales se le disputeront. Dans un troisième, l'objet visé et le support, confondus, supporteront plusieurs variants: ((. la vraie (VI) tunique (OS) chinoise (V2) plate (V3) et fendue (V4). Le

variant est d'essence immatérielle. C'est, délicieusement baptisé par .l'auteur sur le modèle de phonème, un vestème. Mais Roland Barthes, hélas ! renonce à vestème au profit de variant,. moins spécifique, plus neutre. Objets et supports ont pour substance commune le vêtement. Mais le vêtement se faisant relayer par la parole, le recensement va porter sur les vocables qui le désignent, c'est-à-dire sur les espèces. Soumises à l'épreuve formelle dite d'incompatibilité, les espèces reconnues incompatibles sont groupées en genres ou classes d'exclusion. L'auteur relève soixante genres dans son corpus, qu'il classe par ordre alphabétique d'Accessoire à Voilette. Exemple : genre Attache, espèce Nœud, sous-espèce Nœud-chapelier. Il est des genres sans espèces, d 'autres riches en espèces. Le genre Tablier, marque l'auteur, est à la limite du sublime de mode.

Pourquoi soixante genres? Ici, les adversaires du structuralisme reprocheront peut-être à l'auteur son ingéniosité. Pourquoi soixante genres, et pas cinquante ou soixante-dix ? Et pourquoi telle détermination de genre et pas telle autre? Roland Barthes convient lui-même que la répartition des espèces dans les genres est fluide. Certes, il décide sous la contrainte du corpus, mais il décide tout de même. (( Le sens, dit-il, est une liberté surveillée », ou encore (( la capture d'une situation fragile ». Ce qu'on appelle, avec une nuance péjorative, ingéniosité, n'est souvent qu'une invention d'ordre, un pouvoir d'induction. Entre tel énoncé d'Elle et Système de la

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Entre les mots et les choses

Mode, il Y a tous les pouvoirs in- du matin au soir », ou encore ductifs et déductifs d'une intelli- « pantalon tous-climats ». « La neutralisation incessante qui tragence. A l'inventaire des genres et de . vaille son corps de signifiés, dit leurs espèces succède celui des l'auteur avec force, rend illusoire variants. L'auteur en relève trente tout lexique de la mode ... Pourtant qu'il classe selon un critère notion- ce lexique semble exister, et c'est nel: identité, configuration, .ma- le paradoxe· de' la mode. » Ce paratière, mesure, continuité, position, doxe tient en ceci: . (c" Forte au distribution, connexion, Certains niveau de l'instant, la signification variants sont plus augustes que tend à se défaire au niveau de la d'autres: le variant d~assertion durée ... » En voici la raison ·: « Peu d'espèce, par. exemple (identité) .. Il . importe finalement que la flanelle inaugure le système de If! mode. signifie indifféremment le soir ou Dans l'énoncé: « le twin-set fait le matin, puisque le signe ainsi ul,le apparition -remarquée », il constitué a la mode pour signifié suffit au twin-set d'affirmer son véritable. » espèce pour signifier; et ce n'est pas la matérialité du twin-set qui Système rhétorique signifie, mais l'affirmation abstraite de son choix. Roland Barthes reStructuralement, le signe de grette à ce propos que la langue ne permette pas de distinguer le mode est arbitraire, puisqu'il sursimple énoncé d'une chose et l'af- git chaque année dans sa noufirmation que cette chose existe. veauté. Or, la mode s'efforce de le Le variant de fixation donne motiver. Le signe de mode demeure du fil à l' e tOI' d r e, car sa tantôt franchement immotivé; « un double boutonnage creuse le mansérie 'est anomique ( ...agrafé / boutonné / coulissé / cousu / à teau», tantôt motivé de manière glissière / monté / noué / à pres- ,imprécise: « jupe plissée pour les dames mûres » ou peu convainsion ... ), . et l'auteur d'observer: « Ce qui ' menace et parfois en- cante: « ce manteau de fourrure tame - la solidité structurale des trouve· son emploi lors d'un départ systèmes d'oppositions, c'est la pro- sur les quais d'une gare ». La motilifération 'des espèces, c'est-à-dire vation la plus . piquante est celle en définitive la langue; une série du vêtement qui joue à être un ' anomique comme celle du variant vêtement: « le fameux petit tai'lde fixation est ·très proche d'une leur qui ressemble à un tailleur », simple liste d'espèces; tl ne pour- ou « un tailleur très tailleur ». rait donc y avoir ici d'autre struc- Moment troublant, car: «. la signituration rigoureuse que celle du fication accomplit spn propre paralexique. » ' Le variant dé forme est doxe, elle devient réflexive » . difficilement réductible à un para- le voit, ce livre au langage fermé, digme simple, en partie à cause du bardé de référençes techniques, ..est pouvoir ell~ptique de la langue qui plein de surprises,. d'effets oniriqualifie .des pièces volumineuses en ques. On y marche sans arrêt, on termes de projection plan.e. La dis- y touche à tout moment. on. ne· sait tinction entre variant. d'ajustement quelles .frontières. . La partie la plus accessible de et variant de volume débouche 'sur rouvrage ;- ' et non la .. moins celle du' corps et . de l'espace qui .savoureuse - . est l'analyse (Ju sys: l~çntoure et, I!-U delà du code terminologique, sur les implications . t~me rhétorique . .. La rhétorique de psychanalytiques de l'ajustement. mode comporte trois petits systèOn n'en finirait pas av~c' le yariant. mes rhétoriques (du signifiant vesC'est lui qui permet, dans l'énoncé timentaire, du signifié ïnondain et de mode, · « la naissance, délicate du signe dè' mode) q.ui ont eil comet patiente,. d'une signification'· ». mun un même type de signifiant : l'écriture de mOde, et un même type de signifié: l'idéologie de mode. Par un tour de force analyNeutralisation du ' tique, Roland Barthes réussit à signifié' légitimer cinq points d'imalyse. 1. L'écriture de mode relève non d'un style (c'est-à-dire d'une parole Avant d'abandonner le code vestimentaire, il nous faùt dire un singulière), mais · d'une écriture mot de l'analyse passionnante rela- (c'est-à-dire d'une parole collective), tive à la neutralisation du signifié. au ton « conventionnel et réglé ». Dans ({ sweater ou chemisier selon Son étude appellerait une stylistila campagne ou la ville », sweater que de l'écriture qui n'est pas et chemisier, campagne et ville encore élaborée. L'écriture de mode s'opposent. Dans « sweater pour la chérit la métaphore: ' « c'est un ville ou la campagne », ville et ballet blanc que dans.ent les accescampagne sont dans un rapport soires », les jeux ~de rime: « une d'indifférence du point de vue du petite ganse fait l'élég,a nce». . sweater. Aux signifiés ville et cam2. L'écriture . de mode a pour pagn e ne correspond plus aucun signifié, non explicite, non implisigne sûr. De proche en pr{)~hè, cite, . mais" latent, l'idéologie de une fonction s'abîmant dans une mode. Celle-ci n'est pas déchiffrée, autre', le vêtement finit par signi- mais reçue par la.··l ectrice de mode fier tout : « la petite robe de jersey qui, néanmoins, ' s~Vtr!luve modifiée qui se porte tout le long de l'année par le message, u; ·~'-· ~ss~ge qui ne

.on

dit pas son nom, un message nébuleux. A travers l'énoncé: « Elle aime les études et les surprises-parties, Pascal, Mozart et le cool"jazz », la lectrice de mode reçoit un. message où les contraires coexistent, où tout est possible, un message syncrétique et euphorique. Du fait qu'il se reçoit mais ne se lit pas, le signifié rhétorique n'est pas certain, mais probable. Roland Barthes . est hanté par l'image de la preuve, celle qui naît de la démonstration positive ou de l'expérimentation réelle et qui, lorsqu'elle se refuse au sémiologue, ne lui laîsse d'autre justification que la cohérence interne de son système. Précisément, Système de la Mode 'est un livre courageux 'car l'auteur, loin d'en fermer les issues, l'expose à tous les vents. 3. La poétique de mode naît de hi rencontre <lu vêtement et d'un langage non fonctionnel, spectaculaire en quelque sorte. La description improductive de mode amorce une poétique et implique un imaginaire. Rhétorique pauvre: « ceinture aussi fine qu'un lien »,. stéréotypée: « Chaud,. chaud les · botilIons », d'inf«;mnation faible. C'est que la dénotation exerce une pression constante sur la description du vêtement. Ainsi, dans ses ter'mes . mixtes; comme petit, simple, froufroutant, qui dénotent et connotent à la fois, la mode s'installe entre les deux niveaux, « comme si elle pénétrait sans cesse la notation rhétorique d'une sorte de regret, de -:tentation ter!fLinologique ». On admirera comment Roland Barthes pénètre à son tour l'analyse linguistique de tentations vivantes. . D~ ,mpdèles façonnent lesigJ;lifiant de mode . . 11;; son,t tan~ôt culturels :: . « ce rose-poison aurait charmé Toulouse-Lautrec .», « t~ms d'été grej:: » ; tantôt I:lffectifs.:. « les bonnes tenues en gros lainage »; . tantôt vit~Jistes ' : « un petit rieIJ. qui change. tout », « les détails garants de votre personnalité ». Le vêtement, chéri, aimant, fabuleux, rejoint · le monde de l'enfance et des contes royaux «( le Roi Manteau lor »). 4. Le roman de mode. L'activité de · mode est fête. Le -travail Y' est toujours indéfini. Ses situations privilégiées sont le printemps, les vacances, le week-end (qui s'oppose au dimanche populaire). Ses lieux privilégiés comportent toujours un élément paroxystique: tout-soleil, plein-soleil, plein-hois, plein-vent. Ce sont des lieux absolus. Les clichés de mode sont en réalité des essences de plaisir'. La mod.e multiplie les petites essences séparées: la délurée, la désinvolte. l'espiègle, la piquante, assez analogues, dit l'auteur, aux « emplois » du théâtre classique. En même temps, elle masque la banalité qui la structùre sous l'événement: elle fait vivant. Elle crée un corps de femme idéal: c( A vez-vous cette année la tête de la mode? », en s'ocfroyant le pouvoir de transformer le corps réel

de sa lectrice en ce corps idéal. La femme de mode est un monstre. Si l'on réunit ses traits, on s'aperçoit qu'elle est tout . Un tout continûment euphorique et de bon ton. C'est du romanesque sans pathétique et sans péché: « En mode, observe Roland Barthes, on ne voyage qu'avec son mari. » 5. La raison de mode. Roland Barthes traite la question capitale de la rationalisation. Plus la mode est irréelle, plus elle est impérative. ' En notant, elle notifie. Ou bien elle s'abrite derrière une nature, feignant de croire par exemple que les imprimés signifient naturellement la mode, ou bien, usant du futur cher au Décalogue, elle fait croire à la nécessité de son arbitraire: « Cet été, les robes seront en tussor. » Puis la loi se transforme en fait, elle acquiert l'évidence d'un phénomène nat.urel: « Noire, en tout cas, votre robe de cinq heures, et bien sûr, vous ajouterez la note blanche de vos gants de chevreau. »

Une rencontre exceptionnelle Le système de la mode, avec ~es deux systèmes à l'économie divergente, l'un dénotant, l'autre connotaIJt; l'un fermé, l'autre ouvert, l'un logique, l'autre naturaliste, tantôt se signifie lui-même et tantôt signifie le monde. Par rapport au langage, le système de la mode est facilement plus gr~ssier: « La combinatoire en est moins déliée, et c'est l'ùrie des fonctions de l'analyse sémiologique telle qu'on l'a fondée . « entre les ' mots et les choses », au niveau 4u .code ierminologique ou pseudo-~éel, q1.Le de .s uggérer . qu'il existe des systè'mes' de sens . intérie~rs à la langue, mais disposant. d'unités plus larges' et d'une combinaison moins souple. ".YJ . Qu'en. e~t-il maintenant de l'au· teur par ràpport à son système? Affirmer que Système de la Mode témoign~, d'une rencontre exceptionnelle . entre un écrivain et son sujet ne nous pàraît. .pas tautologique. Roland Barthes, pour décrire l'espace situé entre les choses et les mots, s'est placé lui-même entre les mots et les choses, entre l'arbre et l'écorce. Comment · ce livre, terminologique dans son ohi~t, sa méthode et ses fins, réussit-il tant de fois à nous faire toucher la vie ? On peut y voir l'effet d'une écriture pleine où poésiL et abstraction, didactisme et humour coexistent. Mais le fOIJd de cette écriture ne serait-il pas une disposition heureuse? Les formules de mode , l'auteur les détache et les isole de telle sorte qu'il nous les rend enviables. Il réussit à rendre enviables nombre de mots dont nOlis n'avons pas l'usage et qui deviénnent les . éléments d'un vaste système du désir. · Nous croyons que Système de la Mode est un livre essentiel, méthode, poème et songe. Lucette Finas


ROMANS FRANÇAIS

INFORMATIONS

Qui a tué Gilbert Marcel Arland

Carnets de Gilbert Gallimard éd., 160 p.

La Musique des anges Gallimard éd., 280 p.

l'Eau et le feu ou d'A perdre haleine, le dialogue éperdu de Je vous écris. Mais nous reconnaissons, sous le masque de la littérature la plus exacte, cette démarche; c'est celle de la psychanalyse. Non pas celle d'une thérapeutique qui n'a rien à faire ici, mais de

En 1929, Marcel Arland publie

l'Ordre (qui obtient le. prix Goncourt) ; le héros de son roman, Gilbert, est un révolté. A la fin du livre, le romancier tue son personnage, :;:ans doute parce qu'il n'y a pas de place dans' notre monde pour des hérétiques de ce genYe. Un peu plus d'un an pius tard, en 1931, Arland publie les Carnets de Gilbert. Gilbert est mort, du moins nous livre-t-on ses dernières réflexions. Et trente-six ans après, cette année, le romancier poursuit ces étranges carnets où parle un héros mort qui n'arrive pas à se taire. Apparemment, le ton est le même. Pourtant, tout a changé. Que s'est-il passé? Qui donc a tué Gilbert? Il est assez rare qu'un écrivain, sur sa lancée, revienne en arrière, remâche sa culpabilité d'avoir tué son personnage et fasse de son héros le juge de son existence même. Ainsi, des premiers romans finalement assez sages, la Vigie ou Zélie dans le désert, le romancier poursuit le chemin qui l'a mené aux dernières pages de l'Ordre. Puis brusquement, après la guerre, avec

Il faut de tout pour faire un monde, commence' une série de récits inopinés, imprévisibles dans cette œuvre apparemment sage, parce que le fantastique et la morbidité s'y mêlent, comme parfois chez Gogol. Sans doute, une sorte de culpabilité paraît ici qui résulte de ce meurtre même de Gilbert qui avait mieux à faire qu'à disparaître en héros romantique. Et qui s'attache à la conscience du romancier, comme un cancer. Qui donc parle en nous? D'où vient cette voix que nous identifions à la nôtre et qui, pourtant, nous échappe ? Derrière le critique de la N.R.F. puis son scrupuleux et rigoureux directeur, se cache une angoisse continue, opiniâtre. L'an passé, Arland a publié, hors commerce, un petit et curieux texte orné d'une eau-forte par sa femme, Janine Béraud, qui est peintre et qui l'accompagne dans cette aventure étrange. Ce livre 's'appelle justement Qui . parle ? et il répond à cette interrogation des récents Carnets de Gilbert: « Qui parle? J'entends la voix; je la connais depuis toujours; je la porte jusque dans mes silences. Je lui ai prêté jadis un visage où je croyais retrouver le mien. Je n'en

ai plus. Cependant la voix me presse de si profond, et m'étrangle, qu'il faut bien y céder. Mais qui parle? » De ce dédoublement résulte probablement ce que l'on peut appeler le « second souffle» de l'œuvre d'Arland, les grandes nouvelles , de La Quinzaine littéraire, 15 au JI mai 1967.

Marcel Arland

cet effort qui demande au langage de le libérer d'une inquiétude sur la vie elle-même et, sans doute, d'une inadaptation fondamentale, chronique. Faire un récit construit et imaginaire de troubles rêveries qui autrement s'effaceraient, c'est entrer dans un univers nouveau où l'existence et la parole ne font qu'un. Mais on n'en peut sortir, il faut aller jusqu'au bout. Jusqu'au bout du fantastique et d'une sorte de désastre promis à ceux qui « vivent jusqu'au bout de leur nerfs » et qui franchissent les portes de cet onirisme lucide auquel on prête une vraisemblance de cauchemar. Ainsi, peut-être, le « qui parle» trouve, sinon sa justification, du moins une apparente compensat~on.

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par lui-même, par la propre image qu'il donne de lui-même, qu'il a construite depuis les grandes nouvelles des deux dernières décennies. Elles s'opposent comme autant de flottants fantômes aux images du passé, celles de l'enfance, d'un père mort qui, de sa tombe, par la voix d'une mère inconsolée lui reproche d'être ce qu'il est, celles d'hommes et de femmes qui sont autant de questions posées, d'énigmes à résoudre. Car si, apparemment, nous côtoyons des souvenirs d'enfance, dans ce livre dur et parfois cruel, les figures de la première période de la vie ne sont que des semences, des signes que la vie adulte n'a jamais encore compris. « Que de

choses.. . Que de choses... Et quand c'est le bout, on se demande si on les a connues. On essaie de s'y accrocher parce qu'on ne peut dormir, parce qu'on est seule, parce qu'on a déjà un pied dans la tombe. Qu'est-ce qui reste?» Celle qui parle est une vieille femme. C'est Arland qui se porte témoin. A la fin de la Musique des anges, Arland écrit: « Je sers une cause qui me dépasse de loin. Je

ne peux la nommer. Mais c'est pour elle que je vis, et je voudrais que mon dernier mot ne fût que louange. » Cette louange, qu'estelle en dehors des lieux mêmes où le romancier a trouvé un accord furtif entre les deux images contraires qu'il porte de soi? Qu'est-elle en dehors de la nature? « Si ces' choses, où je me déchire, vont disparaître, dit-il dans les Carnets de Gilbert, de toute ma force je les loue, elles sont irremplaçables. Si

ma bouche, habituée à d'autres lèvres, à l'air des bois, à la parole ou la plainte qui délivrent, va se fermer dans la seule confrontation souterraine: j'en maintiens obstinément l'usage. » Mais cette nature

Avec ces Carnets de Gilbert, Aroù Arland a trouvé souvent ce qu'il land publie la Musique d~s' anges. C'est un récit, une méditation sur appelle la « consolation du voyace qui se passe aujourd'hui dans geur », est-elle donc la mort? ce monde chimérique qui est de- . C'est possible ... Que l'auteur de venu vrai en l'écrivant et qui res- l'Ordre trouve dans un certain acsemble si peu au monde littéraire cord entre le paysage et sa fièvre des premières années de l'écrivailL un . apaisement momentané, ce n'est L'auteur, donc voyage. Il ' par- pas. niable, de même que cet accord court surtout les lieux où il a ac- le prépare à la « confrontation compli et mené à bien ce que j'ap- souterraine» à laquelle il pense pelais tout à l'heure sa « psycha- obstinément. nalyse», les quelques endroits où Il y a plus. Et pour le comprenil a trouvé le calme et aussi une dre, il faut se reporter aux nouincitation curieuse. velles précédentes. On y trouvait Ici, la langue du prosateur se moins cette espèce d'harmonie que durcit, se resserre aussi. Commencé donne la solitude en dehors des vilvoici quelques années, ce mouve- les, que le besoin d'une émotion ment du style qui tend à remplacer plus forte dont l'écrivain n'est pas l'image par le geste ou l'action encore conscient: celle d'une nas'impose et emplit l'œuvre tout ture dont notre tradition religieuse entière. -Les récits qui interrompent et la culpabilité qu'elle porte avec la méditation sont moins des deselle nous ont éloignés. Effort encore criptions que des incitations, des obscur qui n'est pas sans rappeler crispations de la fièvre. Arland par- la seule phrase importante que le le presque à chaque page d'apai- jeune Flaubert prête à saint Ansement, mais rien, dans son style toine au terme d'une pesante odyscomme dans son propos, ne désire sée religieuse: « être la matière ». l'apaisement. Ici, la « musique des anges» n'est Et surtout, dans la Musique des qu'une métaphore ... anges, Arland apparaît persécuté Jean Duvignaud

Formentor à Tunis

Le Prix International des Editeurs, doté de 20.000 dollars , est devenu un prix itinérant depuis que le gouverne· ment espagnol a déclaré • persona non grata • un des éditeurs y participant. Après Formentor, Corfou, Salz· bourg, Saint-Raphaël, le jury a choisi, cette année, Tunis. Witold Gombrowicz qui l'a emporté par 12 voix contre 9 à l'écrivain japonais Yukio Mishima, était l'un des grands favoris, après avoir échoué, à une voix près, lors de la dernière ren· contre. Il a obtenu des voix dans toutes les délégations, sauf, bien entendu, chez les Japonais qui ont évidemment soutenu leur compatriote et chez les jurés anglaiS et américains : les pays anglo-saxons semblent encore ré(>ervés à l'égard de l'auteur de Ferdydurke. Chacun des 21 jurés avait le droit de désigner un romancier de son choix et seize auteurs ont été représentés dans la discussion finale. Il est intéressant de citer le nom de ces écrivains, choisis par des critiques appartenant à onze pays différents. A côté de quatre auteurs de l'Amé· rique latine (Guimares Rosa, Cortazar, Fuehtes et Alejo Carpentier), nous trouvons trois Français (Michel Leiris, Claude , Simon et Le Clézio), trois Américains (Nabokov, Malamud et Updike), deux Allemands (Alexander Kluge et Arno Schmidt), un Anglais (William Golding), un Italien (Landolfi), et enfin les deux. finalistes" : un Japonais et un Polonais. En dehors de ..1umorowicz et Mishima, seul Claude Simon avait réuni, au cours des votes préliminaires, plus d'une voix. Rappelons que le Prix International des Editeurs a couronné les années précédentes Samuel Beckett, JorgeLuis Borges, Uwe Johnson, Emilio Gadda, Nathalie Sarraute et Saul Betlow.

L'association « Les amis de MIlosz " or.ganise une manifestation à Fontainebleau pour le 90" anniversaire de la naissance du poète. Cette manifestation, qui aura lieu le dimanche :u mai, débutera par une cérémonie au cimetière où Milosz est inhumé et se poursuivra par un banquet à 'l'. Hôtel de l'Aigle Noir ", dont le poète fut l'hôte assidu pendant les quatorze années qui précédèrent son installation définitive à Fontainebleau. Les personnes désireuses de s'associer à cette manifestation voudront bien se trouver à 11 h. 30 précises devant la tombe de Milosz au cimetière de Fontainebleau: Mistral

Pierre Rollet, ancien élève de l'Ecole des Chartes et libraire à Aix-enProvence (3, rue Marius-Reinaud) vient d'éditer le premier tome des Œuvres poétiques complètes de Frédéric Mistral. Edition bilingue (en provençal et en français) avec variantes, poèmes recueillis dans des revues et inédits. Tirage limité à 2.100 exem· plaires en 2 volumes 22 X 14,5 reliés pleine peau et illustrés. f>rix de souscription : 240 et 290 F (peau ou cha· grin) . Congrès des libraires

Le Syndicat des libraires organise le 33' Congrès national du livre à Vichy, du 21 au 24 mai prochain. 5


Virtuosité Henri Bonnier Delphine Albin Michel éd., 240 p. Une jeune femme, Delphine, vient de rompre la longue liaison au c,o urs de laquelle elle s'est donnée entièrement, cœur et sens, à Jacques. Pai amour, elle a consenti à des dérèglements que lui imposait Jacques, non par caprice, ni par perversité, mais en vertu d'une , exigence absolue, et l'on songe aux rapports étranges ' qui unissent Roberte à , son mari dans l'œuvre de Pierre Klossowski. Delphine a voulu voir jusqu'où l'être humain peut faire reculer les limites extrêmes de la liberté, elle a tenté d'aboider à ce rivage de démence et de sang où s'abîmer en un vertige sans fin.

Le commerce in tellectv.el, érotique trouve sa signification, non comme on pourrait le penser, à travers la ' diversit.é des situations qui le définissent, mais à travers le langage qui l'exprime. C'est de cette vérité d'expérience que l'amant de Delpillne a cru pouvoir tirer une règle pour gouverner son exi,s tence et celle de sa maîtresse_ Entreprise qui s'est ache-vée sur un ~che.c. Delphine n'a pu résoudre le divorce qui oppose l'être et le puaitre : lç mal non plus que le bien ne permet d'échapper à ,la dùplicité de la parole, à l'hypocrisie du langage. Delphine retourne au pan natal pour retrouver un acc!)rd, éprouver cette grâce ,q ui naît de la rencontre d'un adulte avec son' enfance, de la mémoire avec le passé .tel qu'il' surgit des paysages ou des pierres. Delphine est la femme de toutes les ruptures. En se séparant de son amant, elle consomme, par fidélité à l'esprit de leur liaisqn, le divorce systématique dont Jacques lui a inspiré . ce goût désespéré: nommer l'inp.ommable, c'e~t-à-dire détourner les actes, les conduites et les paroles de leur sens usuel, mensonger pour approcher la part nocturne, la liberté folle par quoi les êtres trahissent leur versant insoupçonné. Delphine ou l'ère du soupçon. En rompant, Delphine rend un hom' mage au principe de contestation: briser la gangue des mots, faire éclater l'écorce qui emprisonne la réalité pour goûter la saveur véritable des êtres et des choses.

Delphine veut approcher la réalité obscure que protège le miroitement des paroles. On admire la VIrtuosité de l'auteur à se jouer des mots, à ' en savou~er la pulpe, à en exprimer la nuance inconnue. Une langue précieuse et allègre, baroque, d'une souplesse qui surprend et défie par son mouvement et sa grâce de pouvoir jamais fixer l'ondoyante, ,fragile et inentamable Delphine. Derrière cette . virtuosité, cet extraordinaire pouvoir, une inquiétude se fait jour' : que le langage ne dénature la vérité du mondé et dès êtres, n'infléchisse insidieusement d'une manière ou d'une autre, le sens qu'ils recèlent, ne fige définitivement ces situations. Pour coiijurer ce que le langage possède d'inexorablé, libérer au ' contraire ' sa violence subversive, Delphine exerce une contestation incessante du langage par les mots, aes mots par le discours. Les caprices du style ne trahissent donc pas la frivolité mais un défi, une exigence, celle de ne jamais s'abandonner à la quiétude des situations çonvenues, de rompre toute attache avec .la mémoire et les êtres. C'est pourquoi j'aventure hasardeuse de Delphine s'achève sur son suicide. Qui ' a exploré une fois cette région désolée, ne ,peut guère' revenir sur ses pas. Alain Clerval

beaux jour~ de l'O.A.S., dans une France retentissant des plasticuGes dc l'armée secrète, dans le Paris des morts dc Cha· ronne. C'est là qu'une nuit, du haut des tours de Notre-Dame, un 'réfugié espagnol s'est précipité, après avoir spectaculairement et en vain appelé à son secours Maltézos, autrefois sauvé par lui, aujourd'hui l'un des vautours du capitalisme international. L'aspect romantique et, il faut bien le dire, peu vraisemblable' de l'épisode, le ramène' au rang de prétexte dans la conversion qui va s'opérer sous nos yeux et qui, d'un Maltézos sans cœur ni finesse, fera un désemparé que l'amour d'une femme plonge dans l'utopie. Cette femme? Nicole, trente ans, plus ou moins étudiante. Belle comme Néfertiti, cultivée, capable de citer, d'affilée, une lettre d'Héloïse à Abélard ou des pages entières de Thomas Morus. Militante d'extrême-gauche pour qui Maltézos représente tout ce qu'elle déteste. Elle l'aime cependant, depuis leur rencontre

Triple , échec André Kédros Même un tigre Flammarion éd., 266 p. Après avoir publié à Athènes, en 1945, un Dialogue avec u'n pseudo-démocrate, le Corfiate ~ndré Kédros s'est exilé à Paris où. en une vingtaine d'années, il a écrit directement en français deux pièces de théâtre et miuf r0l!1ans. Même un ' tigre, dont l'action ne se situe pas en Grèce, comporte cependant, 'c omme la plupart des romans antérieurs, un perSOll,llagegrec, l'armateur Basile Maltézos, dont le' type balzacien n'est pas sans surprendre dans le contexte moderne où il évolue. Nous sommes, en effet, aux

André Kédros

sur le parvis de Notre-Dame où il était venu, trop tard et à contre-cœur, sur l'invitation d'un officier de police, répondre à l'appel d'Ipharaguerre, le désespéré. Bien que ne se connaissant pas - et par un concours de circonstances assez artificiel --: Ipharaguerre et Nicole sont du même bord. La jeune femme servira ,d'intermédiaire entre l'épouse, puis la

mère du suicidé et un: Maltézos prêt · à tou tes le. géné,t osi téio pour complaire à Nicole et racheter son peu d 'empr~'<e­ ment à secourir l'Espagnol. Un voyage à ' Tolède répond à cette double fin : ' ils traversent en amoureux l'Espagne, jusqu'à la maison natale d'Ipharaguerre. L'Espagne qu'ils découvrent est l'envers de celle des touristes - une Espagne ' qui fera dire à Nicole, comparant le sort du pays de Franco et celui du pays de Constantin : « En Grèce aussi, des justes moisissent en prison, des mères redoutent une agonie solitaire ... » Applicable à la plus ré,c ente actualité politique sur laquelle André Kédros vient d'exprimer sa pensée avec force l , cette constatation était déjà actuelle lorsque le héros de ce roman, grâce à la diversion du voyage espagnol, échappait n'ouvelle coïncidence - à' la mort qui aurait été la sienne, s'il s'était trouvé, comme prévu, dans l'avion saboté de Mattei, le magnat des pétroles italiens. La vie sauve, ce n'est pas mal ; l'amour, c'est mieux... Il 'n'aura duré, pourtant, que l'espace d'un voyage. La jeune femme refuse en effet le mariage qui aurait ' conclu par un conte de fée l'histoire de ce couple i,IDpensable. « N 0tre amour - observe-t-elle - deviendra bien vite combat et ruse. Nos armes ne seront pos égales. )) En réponse à Maltézos qui assure qu'il est naturel « qu'un homme choie la femme qu'il aime » elle ajoutera : « Lorsqu'il dispose de vos moyens, il la dégràde. » L'histoire se serait 'suffi à elle-même sans les chapitres consacrés à Sibylle et ,Ii Davies. Sibylle : une actrice aussi célèbre que Brigitte Bardot, et la ' maîtresse de Maltézos. Davies, : son secrétaire, qui fait un, complexe de Julien Sorel, rêve d'éclat en bavant sur 'son maître et n'obtient finalement les faveurs de Sibylle que 'pour échouer à honorer ses désirs. On le retrouvera quelque part du côté de la rue Monge, clochard. Un échec de plus. Après celui de Maltézos (tigre incapable de devenir agneau) et de Nicole (qui renonce à donner bonne conscience à l'armateur). Ce triple , échec confère à .l'ouvrage une allure de satire plus que de tragédie. Aux traits appuyés de la charge répondent les rêves utopiques de Nicole, dans lesquels une autre ironie, légère celle-là, rejoint une poésie et une chaleur humaine qui me paraissent être les meilleures ,q ualités d'André Kédros. , Maurice Chavardès 1. Le Monde; 25 avril 1967.

U.R.S.S. 'Un inédit de Pa.ternak L'agent littéraire à Moscou de l'éditeur Einaudi vient d'acquérir, auprès de la famille de Pasternak, les droits pour · un manuscrit inédit : Lettres au~ écrivains géorgiens, autobiographie intellectuelle qui commence lors' des années 20 et se termine à la mort de Pasternak. Harcourt-Brace pour les Etats-Unis, Secker et Warburg pour l'Angleterre, Fischer pour l'Alle,magne, Gallimard pQur la France ont acquis les droits de reproduction. Le même a~nt de l'éditeur italien aurait mis la main sur une quinzaine de livres • extraordinaires » de Boulgakov, tirés du vivant de l'auteur à 1.500 exemplaires, et sur un essai d'ethnologie sctructuraliste dont l'auteur est mort en 1943.

Après avoir constaté que l'un des best sellers de l'année était un livre de contes tirés de la Bible (l'auteur en prépare paraît-il un autre 6

tiré du Nouveau Testament, mais la tre Satan débarquant dans la capitale nouvelle pourrait être démentie), les soviétique au cours des années 30, censeurs de la littérature sovié~ique : prend un certain nombre de ' libertés ont vu réapparaître Jésus-Christ dans , à l'égard des conventions imposées un roman, ,avec un succès certain au~ littérateurs communistes. On y , auprès du public. 11 s'agit de le Maîtrouve aussi bien un chat qui parle, tre et Marguerite, de Boulgakov qu'une femme de ' cha'llbre' évoluant écrivain mort en disgrâce en 1'940 nue dans l'appartement de son em" dont la tevue libérale Moskva a ployeur. réimprimé le texte en deux livraisons successives, tir~es à 150.000 exemilégim.e et Littérature plaires 1. L'œuvre, qui est introuvable en librairie, comprend des p'âssages tels Mais tandis que Moskva se permet que celui-ci, placé dans la \Jouche du de telles infractions à la règle, Novy Christ : • Toute autorité est une forMir, la grande revue littéraire soviéme, de violence contre le peuple. Un tique ne demeure pas en ,reste. jour .viendra où il n'y' aura plus de Le correspondant du Time à Mosdirigeants, plus de Césars, plus d'aucou fait état de l'expulsion de deux tOrités d'aucune sorte. » Certes, Marx membres influents de la rédaction, l'avait annoncé aussi, mais dans un à la suite de la publication d'un texte autre contexte, c'est le moins qu'on de Boris Pasternak, dont pourtant la en puisse dire. publication avait fait croire à un relâchement de l'emprise du régime Ce roman, qui fait l'objet de dissur la littérature. cussions ardentes à Moscou, et monDe même, Alexandre Tvardovsky, L, Le Maître et Marguerite sera publié rédacteur en chef de la revue, n'a pas été réélu au Comité central du en Fr,a nce, à la fin de l'année, par Robert parti. Celui-ci a d'ailleurs récemment Laffont qui a déjà publié. de Boulgakov, émis, à l'encontre de Novy Mir, une Le Roman théâtral.

condamnatiQn qui demeure provisoirement platonique, et dénoncé les « erreurs idéologiques » de la publication: accusée de peindre la réalité suviétique sous un jour fallacieux. ' Il est vnii que Pasternak, dans ce texte, s'en prenait à Maïakovski luimême et prétendait que l'on avait fait avaler son œuvre, de force, au publiC soviétique. Les intellectuels soviétiques sont néanmoins décidés à affronter beaucoup de risques soutenus par l'exemple deSiniavsky et de Daniel. ,C'est ainsi que la Molodaya Guardia n'hesite pas à parler irrespectueusement d'une autre idole du parti, Maxime Gorki, qu'elle qualifie à tort ou à raison « d'excellent journaliste bien , documenté ». A l'approche du IVe Congrès des écrivains soviétiques (le premier depuis huit ans) dont la convocation avait fait l'objet des rumeurs les plus contradictoires, l'intelligentsia soviétique semble ;:Ivoir pris par alfance et courageusement ses responsabilités.


• Les Jeunes auteurs d' «Ecrire » Antoine Gallien Verdure, 109 p. Laurent Jenny Une saison trouble, 107 p. Claude Frochaux

Le lustre du grand théâtre, 91 p. Serge Dieudonné La lisière, 91 p. Coll. « Ecrire » Le Seuil, éd.

Les amis de Jean Cayrol savent avec quelle attention 'patiente il a, pendant des années, dirigé les premiers pas des jeunes auteurs qu'il publiait dans sa collection « Ecrire ». La liste de ses découvertes est éloquente; elle ne comprend pas seulement toute l'équipe actuelle 'de Tel Quel, mais des romanciers comme Jean Cholon, Françoise Collin, Jacques Coudol, Claude Durand, Yves Véquaud qui, depuis, ont fait leurs preuves. Et je ne parle pas des poètes, ces perpétuels sacrifiés ... Aujourd'hui, « Ecrire» change de formule et devient une collection de poche. L'entreprise ne manque pas d'audace si l'on songe aux tirages qu'elle implique et qui sont rarement ceux des .. débutants. C'est sans doute pourquoi le nouveau directeur d' « Ecrire », Claude Durand, qui fut longtemps le collaborateur de Cayrol, a fait appel à des écrivains déjà connus pour patronner les quatre premiers auteurs qu'il publie. Ainsi voit-on, à la vente du C.N.E., des vedettes de cinéma soutenir de leur présence tel ou tel écrivain' dont la renommée n'a pas encore atteint les magazines. Roland Barthes, Jean-Louis Bory, André Pieyre de Mandiargues et Jean Cayrol lui-même sont, certes, d'excellents parrains. On peut se demander toutefois si cette arme publicitaire n'est pas à double tran, chant. Porté d'abord à l'indulgence, le lecteur risque de devenir d'au. tant plus exigeant qu'il aura trop attendu. La confiance qu'il fait au 'préfacier est contagieuse: Barthes ou Bory-, se dit-il, n'auraient pas pris la peine ~e présenter X ou Y s'ils n'étaient tout à fait sûrs du talent de leur protégé. Mais pour peu que le texte du protégé n'apparaisse pas ,aussi brillant, aussi neuf qu'on nous l'annonçait, nous voici déçus, ' à l'excès sanS doute, et plus sévères que nous ne , l'aurions été si le débutant s'était- présenté devant nous les mains 'n ues. '

,dicat». L'analyse de Barthes est aussi subtile que généreuse. Mais n'écrase-t-elle pas, finalement, le texte qu'elle voudrait servir? On est ravi par les quarante premières pages du livre. Puis le procédé commence à lasser. Parataxe, ellipse, litanie (ah! ces chapelets de phrases qui commencent par « Et dis », « Et je dis», « Et je» ou

GU

obscurité ~uffocante a remplacé les dorures et le' stuc. Les premières lignes donnént le ton, qui évoquent, en termes sauvages, les « méandres maternels». Ce lieu originel, « lacis d'entrailles' », la matrice, le récit va tourner inlassablement autour de lui. Comme on sait, la matrice a deux figures, la terre et la maison. Aussi le texte entrelace-t-il,

Antoine Gallien

Laurent Jenny

« Jdis » ... ), la rhétorique remonte à la surface et curieusement, comme si l'abus du procédé disloquait l'écriture elle-même, la phrase se dilue dans une sorte d'infra-langage frénétique dont toutes les issues apparaissent , bouchées: le recours alternatif à une mièvrerie et une ,grossièreté également dérisoires ne parvient pas à libérer ce cri qui devrait tuer toute littérature. Le « bavardage» romanesque qu'Antoine Gallien avait voulu fuir finit par l'étouffer.

Prenons le cas d'Antoine Gallien, ' l'auteur de Verdure. Pour parler tte,,'!!On enfance, ,ou d'une enfance , qtrl resse~le' à la sienne, il a trouv«% d'instinct un langage tâtonnant, discOntinu, naïf, que Roland Barthes décrit comme une « grammaire rigoureuse », un « système de formes» savamment élaboré pour « abolir la fallacieuse entité de l'adolescence» et « faire surgir un m onde pur idéalement de tout préLa Quinzaine littéraire, 15

récit se dérobe à mesure qu'il progresse : la précision du trait déguise l'obscurité des sentiments, et l'on finirait par croire qu'entre le narrateur et Maria, la femme qu'il a rencontrée en Italie, il se passe réellement quelque chose si, au lieu de se substituer à l'image, la phrase ne restait pas toujours en deçà d'elle, dans l'attente de ce film

31 moi 1967.

dont elle n'est que le commentaire. Avec Claude Frochaux, le texte retrouve tous ses droits. Le Lustre du grand théâtre est une histoire d'amour pleine de dorures et d'artifice, et l'on comprend qu'elle ait pu enchanter Pieyre de Mandiargues, qui la rapproche avec raison de certaines nouvelles , de Jouve. Nous sommes, ici, doublement au théâtre: le récit de l'incendie qui interrompt une représentation d'Œdipe-Roi est lui-même une représentation où s'affrontent, dans un mouvement admirablement réglé, la peur, l'amour~ la mort. Le lustre baudelairien qui s'abat sur les amants sans les toucher, c'est peut-être, COn1me' dit Mandiargues, un archétype « remonté du fond de notre mémoire obscure». J'y verrais plutôt une image de la, littérature telle 'que la conçoit l'auteur. « Présence de l'absence», « quelque chose comme la manifestation de ce qui se tait toujours », le lustre éblouissant figure cette menace que tout récit vise à conjurer et qu'il ne peut écarter qu'en la singeant : verroterie verbale, bel objet lumineux dont la présence nous fascine et dont la chut,e nous délivre.

Laurent Jenny, lui, a l'âge de Rimbaud, et son récit s'intitule une Saison trouble. De là à penser que cette saison va nous conduire en enfer, il n'y a qu'un pas, et Jean-Louis Bory résiste heureusement à la tentation de le franchir. Ce qui frappe dans ,' ce récit, c'est l'i:ri:f1.uence qu'exerce l'image sur la génération nouvelle. Jenny raconte un film qui pourrait être signé Antonioni, un de ces films bâtis uniquement sur les temps morts, où des personnages issus eux-mêmes de l'univers cinématographique le plus conventionnel - téléphones blancs, voitures de sport, Deauville, Milan et Rome, maisons à piscine, producteurs améLa Lisière, de, Jean Dieudonné, ri"ains, dîners aux chandelles traînent une incommunicable dif~ décrit une chute bien différente, ficulté d'être. L'exercice est habile, comparable à celle qui se produit brillant même: composé d'une dans les rêves quand nous glissons, multiplicité de « plans» disconti- , glissons, incapables de nous retenir nus dont l'accumulation crée peu à rien. Dans l'univers œdipien où à peu un sentiment de malaise, J,'\ le narrateur nous entraîne, une

dans un réseau savant, les images végétales et les images domestiques. « Œdipe des champs et des rivières », dit Jean Cayrol: celui qui parle ici obéit à une fascination de plus en plus impérieuse et terrorisante où la haine de la femme et l'amour de la mère sont inextricablement liés. Le récit décrit, ou plutôt mime cet abandon, cette !Iéfaillance. Il progresse, pas après pas, mot par mot, vers ce « noir» dont la menace était présente dès l'origine et sur la « lisière» duquel le fils, en veilleur solitaire, n'a jamais cessé de se tenir. A la fois prison et paradis, chambre où «,tout est nuit, velours, odeurs profondes ». Les coquetteries de langage abondent dans la Lisière, et l'on est souvent agacé par le narcissisme impénitent du narrateur. Mais il faut avouer que rarement un écrivain a su trouver, dès son premier essai, un ,ton aussi convaincant : pris dans le filet d'une écriture à la fois précise et sensuelle, le lecteUr cesse d'être un témoin pour devenir un complice. Il se sent, lui aussi, sur la « lisi~ re », prêt à céder au vertige de la « forêt très sombre» qui, tin jour ou l'autre, l'engloutira. La di-versité 'des présentateurs annonçait déjà celle des textes et le critique qui voudrait dégager de ' ce rassemblement q1Jelque ' tendance nouvelle se trouVe bien embarrasSé. On observera toutefois que les qua- , tre livres sont écrits à la première personne, qu'ils décrivent tous

7


~ « Écrire» quatre une expérience personnelle réelle ou fictive. Rien d'étonnant jusque-là: il est rare qu'un premier roman ne ressemble pas plus ou moins à un aveu. Mais regardons-y de plus près. D'abord, l'Histoire est totalement absente de ces histoires. Non seulement elle est absente, mais elle est (sauf, très épisodiquement, chez Jenny) écartée, refusée. Nos quatre auteurs ont ce signe en commun: la réclusion. La littérature n'est pas pour eux un moyen d'accéder à une conscience plus vaste; elle est un univers où l'on s'enferme. Ensuite, parler d' « histoire » est abusif, car on ne saurait dire qu'ils racontent. Seul Frochaux recourt à la forme traditionnelle du récit: encore est-ce pour en souligner l'artifice, le côté fictif. Les trois autres parlent au présent et emploient le même procédé de composition fragmentaire qui met l'accent sur la discontinuité de l'expérience. Nulle suite logique entre ces fragments: ce sont des états, des moments, les images successives d'une même souffrance ou d'un même ennui. Enfin et surtout, l'événement cesse d'avoir une valeur explicative, contraignante. Il n'est plus lui-même qu'une forme parmi d'autres (souvenirs, rêves, désirs) de « ce qui se tait toujours ». Autrement dit, le récit glisse sans cesse de la réalité vers le possible. Ou plus précisément, la frontière entre le réel et le possible ne sert plus de référence. La référence, c'est du côté du langage qu'il faut la chercher. La leçon du Nouveau Roman n'a pas été perdue, même si ces débutants semblent beaucoup moins soucieux de recherches formelles que leurs aînés. A l'âge de la psychanalyse, de la sociologie" du cinéma, pourquoi écrirait-on si ce n'est d'abord pour faire de la littérature? D'où ces abus de la rhétorique que j'ai peut-être trop soulignés et qui révèlent une véritable « rage de l'expression ». L'intérêt majeur de ces quatre récits, de valeur inégale, d'inspiration diverse, est le goût , dont ils témoignent pour une activité spécifique, irréductible qui est l'écriture ellemême. Ecriture naïve chez Gallien, écriture ornée chez Frochaux et Dieudonné, écriture cinématographique chez Jenny, le dénominateur commun reste la conviction qu'on peut, à partir d'une forme donnée, faire surgir quelque chose, quelque chose que l'on ne se contente pas de reproduire, mais que l'on produit, quelque , chose qui devra apparaître dans les mots. L'époque des militants et des prophètes est révolue ': on écrit aujourd'hui pour explorer un lieu qui n'existe pas encore et qui en même temps existait déjà. Entre ce « déjà» et ce « pas encore», le texte creuse son chemin. La littérature est devenue, co:rpme, ici-même, le disait excellemment Claude Simon, « l'aventure d'un esprit cherchant et se cherchant dans le langage ». Bernard Pinl?aud

Sous un ciel bas Marie-Claude Sandrin La forteresse de boue Buchet-Chastel éd., 283 p. Un domaine qui SE; meurt, une famille déchirée que domine la fignre de la mère superbe et glacée qui a imposé, telle Clytemnestre, son amant aux lieu et place de l'époux agonisant, deux sœurs qui tentent d'échapper dans des passions imaginaires au gouvernement redoutable et aux ambitions de cette femme autoritaire, nous voilà introduits dans le monde clos et suffocant de la tragédie telle qu'un certain roman français a su nous en révéler les cheminements, les secrets et les violences derrière les persiennes fermées des demeures provinciales. C'est sous un ciel bas dans la moiteur torride de la région du Médoc que s'affrontent ces personnages rongés par l'orgueil et des sentiments d'autant moins avouables que les préséances sociales et l'argent leur imposent de feindre, s'ils ne veulent pas donner prise à la rumeur lointaine et persistante de l'opinion. Mais aucune puissance transcendante ne vient 'visiter de sa grâce ces êtres incarcérés dans la tris-

moindres charmes, à lui donner une dimension insolite proche du fantastique. ' Singulièrement, l'univers de Marie-Claude Sandrin, si détaché qu'il paraisse de l'actualité, se rattache à certaines obsessions qui nourrissent la misogynie et la terreur sexuelle de notre société. La femme mère règne souveraine et dominatrice sur un monde où les hommes ont abdiqué leurs prérogatives. Quoi d'étonnant à ce que, prisonnières de leur revendication virile, elles soient rongées par des fantasmes et une insatisfaction de Génitrix insatiable? Aussi bien balancent-elles de la solitude au narcissisme.

Marie-Claude Sandrin

tesse de la chair et la malédiction des passions. Il est évident que ce roman n'est pas une peinture de mœurs, le relief excessif des caractères et souvent l'invraisemblance des situations comme une certaine incohérence des conduites contribuent, et ce n'est en définitive pas l'un de ses

A cet égard, et par son atmosphère et par son climat moral, ce roman baigne dans un puritanisme spirituel qui le rattache aux romans de Nathaniel Hawthorne ou aux romans noirs anglais du XIX· siècle comme ceux d'Ann Radcliffe. En dépit de maladresses, de certaines outrances et de , négligences de style, l'auteur témoigne d'une force et d'une maîtrise peu contestables. A.C. Le roman de Marie-Claude vient d'obtenir le prix Cazes.

Sandrin

Dialogue avec Dieu Robert Escarpit Honorius, pape Flammarion éd., 251 p. Incroyant ou plutôt agnostique, Robert Escarpit n'en finit pas de dialoguer avec le Bon Dieu. Ne Lui écrivait-il pas, l'an dernier, une « lettre ouverte» ? (Lettre ouverte à Dieu, Albin Michel éd.) Aujourd'hui c'est à un pape des temps futurs que le polémiste et humoriste prête sa plume et ses méditations intérieures. Escarpit pape, voilà qui d'entrée de jeu fera sourire bon nombre! Et pourtant l'humour perd un peu ici ses droits quand la réalité quotidienne cède le pas à l'invention anticipatrice la plus foisonnante et la plus déliée, une fantaisie pluS italienne que gasconne, canevas d'imbroglio, qui fait d'un drame planétaire une farce, une canzonette, une tragédie bouffe. Il est vrai que le bon pape Honorius s'appelle en vérité Onorato Zerbini, né de père bolonais ... Catastrophe d'Apocalypse, c'est en notre xx< siècle déclinant qu'une expérience atomique provoque l'effondrement des terres émergées. Seules subsistent, au milieu d'un océan sans limite, quelques îles, morceaux épargnés du sud-ouest de la France, et sur l'une d'elles un car de savants qui se, rendait en congrès. Ces messieurs, éminénts collègues et amis de ' l'auteur nom-

mément cités, s'empressent de consigner leur multiple savoir et d'inventorier tous les vestiges d'une civilisation engloutie. Trente ans passent de labeur terrifiant, au milieu d'insulaires rescapés qui, retournés à l'état de barbarie, s'empalent et s'éventrent à tripe-que-veux-tu pour la possession des maigres biens d'un nouveau monde exigu ou le prosé- , lytisme d'une foi vulcanologiste dont le dieu cruel est Haroun (Tazieff). Devoir accompli, les vénérables et doctes Anciens, tous athées, marxistes ou hérétiques, décident en leur profonde sagesse de confier leur trésor d'archives à un pape, seule autorité traditionnelle capable, selon eux, de faire refaire à l'humanité un long chemin de civilisation, en divulgant aux moments opportuns le p:récieux patrimoine. Le jeune prêtre Honorius se voit :remettre la garde et les clefs du dépôt sacré en même temps que celles de saint Pierre. Que va-t-il en faire ? A quatre-vingt-seize ans, le pape Honorius se pose encore cette même inquiétante question. Si l'idée amuse et intrigue, les ruminations. du vieil et solitaire Honorius tournent un peu en rond dans ce monde de bric et de broc, scindé en trois ethnies au moins et en autant d'idéologies rivales. Les nombreuses facéties et autres données cocasses du récit l'égayent joliment sans fonder positivement cette

étrange Eglise que chapeaute un brave homme qui aussi bien, note l'auteur, « aurait pu ,être pâtissier ou chercheur de truffes ». Honorius nous apparaît, en fin de compte, comme un vieux curé de campagne, toujours sur la brèche, très las de ses semblables et de leurs chamailleries continuelles, assez blasé sur les misères d'ici-bas, et qui revendique maintenant une part de Paradis bien méritée. Renonçant à chercher un sens trop brûlant à cette histoire d'après le déluge (l'auteur nous assure" dans un avant-propos, qu'il ne s'en fâchera pas), on goûtera en toute sérénité le charme et la drôlerie de mainte improvisation. Pour ma part je retiens comme morceau de choix la docte exégèse d'un passage de San Antonio, sans doute quelque moine espagnol de l'ancien monde ' qui dissimulait par modestie son patronyme sous l'invocation du grand saint! On voit Robert Escarpit si friand de « littératures parallèles » qu'il en lègue volontiers quelques bribes à la postérité ... Le conte eût séduit Anatole France, mais son ironie caustique en eût fait quelque subtile machine de guerre, là où Escarpit - non sans malice et quelque coquetterie - se contente de ferrailler à fleuret moucheté. Rémi Laureillard Robert ~it vient , d'être couronné: la ville de Banleaw< loi a déœrné son Grand Prix Jiuinire..


Au Barrio Chino André Pieyre de Mandiargues La Marge Gallimard éd., 256 p.

, A maintes reprises, d'une œuvre à l'autre, récit, essai, poème, A. Pieyre de Mandiargues a proclamé l'intention obstinée et cruelle qui justifie son entreprise: provoquer la réalité, l'obliger à livrer le secret qu'elle dérobe derrière ses fastes, cérémonies et artifices, en priant le ciel que le secours d'un événement favorise par son irruption soudaine l'ébranlement des sens d'où naîtront l'émerveillement, le dépaysement bouleversant. Si Mandiargues se réclame volontiers des pré-romantiques français ou du romantisme allemand, où les surréalistes ont voulu voir l'une de leurs ' ascendances spirituelles, ce n'est pas parce que, à l'instar de ceux-ci, il cherche à retrouver la dimension imaginaire, la démesure que provoquent les excès de l'infortune ou de l'exaltation dans les

André ' Pieyre de Mandiar8l'u

âmes, mais que, par d'autres moyens, il veut provoquer cet exhaussement de l'univers d'où il sort magnifié dans la splendeur ou l'abjection. Mieux que merveilles ou monstres issus d'une imagination déréglée, la réalité la plus triviale est susceptible, à la faveur d'une observation qui emprunte le chemin d'un réalisme onirique, d'être fécondée et de s'ouvrir sur les sortilèges et les horreurs dont le recensement permet d'avoir une vue seconde sur le monde. Le héros de la Marge, Sigismond, de Perpignan où il a laissé Sergine, sa femme et son fils, fait le voyage jusqu'à Barcelone pour y remplacer un cousin, Antonin, représentant en spiritueux. A la poste restante, une lettre qu'il n'a cessé d'espérer durant tout son voyage, lui apprend que Sergine s'est jeté du haut de la Tour des vents, donjon insolite élevé dans sa propriété du SudOuest. Sous l'effet de la souffrance

Obsession de la libe.,.té

qui le surprend, en un songe que sa femme de loin gouverne, Sigismond refuse d'en savoir davantage, se met temporairement en veilleuse, ' diffère le moment où il sera temps de connaître les circonstances de ce suicide. En interrompant le courant qui le relie à son passé scellé brutalement sur la catastrophe, à cette souffrance dont la signification atroce le prive provisoirement de l'usage de sa raison et de sa volonté pour l'introduire dans une région intermédiaire qui n'est ni de l'ordre du rêve, ni de celui de la veille, Sigismond s'accorde un sursis pendant lequel son appréhension du monde s'affranchit de toute mesure. En proie à une espèce d'hypnose qui confère à son regard, à sa démarche, la sûreté d'un messager céleste, Sigismond découvre Barcelone, ou plus précisément le Barrio Chino où s'étale crapuleuse, provocante et rutilante de couleurs la prostitution. Dans cette quête aveugle, Sigismond s'oriente d'après des repères magiques, objets, enseignes, qui, comme des amulettes, font office de talismans. Du cadre réel de Barcelone que l'écrivain décrit en l'ornant des attraits les plus somptueux, avec une profusion picturale proche de l'art baroque, Sigismond est entraîné dans une dimension seconde où il découvrira peu à peu la réalité , politique et sociale de l'Espagne, transfigurée par la souffrance. Comme dans tous les livres de Mandiargues, le personnage est à la fois le lieu et l'enjeu de forces' qui l'emportent. Une pulsation mysférieuse transmet à Sigismond à la fois l'énergie dont il a besoin et les signes sur quoi régler sa route. En ces lieux dits de plaisirs, où il déambulera tout le soir au milieu d'une foule bigarrée qui vient immoler à Eros mi simulacre d'amour, en ces lieux où s'accomplit une monstrueuse parodie, le goût de la mort se mêle à celui du plaisir, celui , de l'offrande à celui du rapt. Nul théâtre plus propice au déver, gondage imaginaire d'un peuple opprimé. En cet état où il est suspendu entre la vie et hi mort, nul endroit n'est mieux accordé à l'âme visionnaire. La tristesse forcenée épandue sur Barcelone, comme celle que l'on voit aux visages des suppliciés peints par Goya devient le symbole de l'Espagne tout entière. A travers la peinture de Mandiargues, la grande ville catalane est une babel infernale .où l'industrie du sexe devient l'image de la violence, d'une violence contenue. Une ~ymbolique érotique, qui eût enchanté Freud, ne cesse de devenir pour l'écrivain l'instrument d'un délire baroque; d'une cérémonie somptueuse; d'un rituel par quoi conjurer le mal partout présent. A la faveur de la souffrance s'est opéré un véritable retournement qui permet au personnage de naître au monde.

La Quinzaine littéraire, 1!J su 31 mai 1967.

Alain ' Clerval

Guy Le Clec'h L'Aube sur: les remparts Albin Michel éd., 213 p.

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Après un long ' silence, Guy Le Clec'h : nous donne aujourd'hui son septième roman. De Tout homme a sa chance, en • 1957, à l'Aube sur les' remparts la dis-· tance n'est 'pas si- grande: même obsession • de liberté, même interrogation sur l'indi- • vidu. • L'exercice militaire auquel nous convie. aujourd'hui Le Clec'h est, dans son abord, • assez rébarbatif : une place-forte de 'bout ,. du monde qu'assiège dans une plaine in- • nommée une armée sans âge, sans couleur, • prise dans une mauvaise trêve hivernale • et l'attente de renforts, d'un assaut décisif ou d'une déchéance peut-être inévitable.· Une guerre sans visage - encore appelée • « l'Histoire » pa~ un chroniqueur qui.· épisodiquement, nous donne l'aune pour· rendre à leur mesure objective les 'infimes .. grimaceries des hommes enserre 1... '. camp des assiégeants dans une immobilité. absurde et dépouille l'individu de tout.' espoir discipliné. • On conçoit combien cette irréalité do-., minante laisse le champ vaste aux ,diva ga- • tions de l'imaginaire, et comme cette ville • ceinte de remparts, bordée sur trois faces. par la mer - cité imprenable - devient pour les soldats du siège là place de tous . , , les fantasmes, de toutes les merveilles et . , toutes les terreurs. Cette armée, désordon· • née, inquiète, terrée dans ses quartiers·, d'hiver, on la sent capable d'impossibles . ' remous, de mutineries, de fuites en avant • pour échapper au sortilège d'une position • insoutenable. Cependant c'est au cœur. d'un homme seul, le capitaine Gayomard . • ' que se rejoignent toutes ces impulsions . • • • • • • • • • • • • • • • • • • ces velléités éparses et fragmentées. • Des mois durant, Gayomard tient un • journal où s'e"'. prime en notations de plus. en plus élaborées l'évolution d'un homme qui cherche toujours plus haut et plus ' · ' , ' loin un véritable courage intérieur con- ' · tre l'enlisement collectif. Il n'y parvient' . ' qu'en brisant ce qui lui reste de réalité • extérieure, qu'en s'enfermant dans une • • • • • • • • • • • • • • • • • • rêverie hautaine qu'animent quelques vi- . , sions anecdotiques, rappels d'un passé mys. ,. 1 térieux, appels d'un présent factice et.; ambigu. ~' Au mépris de toute discipline, bientôt dégradé, il se tend toujours davantage vers ~ cette citadelle interdite jusqu'à en capturer par la violence une habitante, nomméç Daerna. Avec: l'aide de cette singulière ~ compagne, marquée de cicatrices indélébi- l' les, à laquelle il voue un amour d'apoca . •, lypse, il construit en plein délire, dérélic· . \ tion, vertige de liberté, une autre citadelle, .' faite de palais des songes et de merveilles . , non pareilles. Le récit d'un sergent nous a conte la fin silencieuse de Daerna et celle, . \ triomphante, de Gayomard, mart'>; d:on. ne salt quelle cause, avant que l'Historien ne close l'ouvrage sur une sage admones- ,. tation et une invocation aux lois supra· i. 1 humaines de l'Histoire. • :rou~. au .long de ce ~i~ ,à plu~ie~r~. VOlX, 1 mvrrusemblance delibéree et l'urea' lité des 'personnages croissent au détri.· ment, me semble-t-il; d'un véritable dé-· , veloppement de l'aventure intérieure . · Quelques points de ,repère, aussi suc.· • .cincts fussent-ils, eussent permis un meil ~ • ' leur départ da~s l:imaginaire., ~epend~nt. un chilrme particulier et pathetique opere • d'une manière originale, abrupte, sur le. lecteur. Ces notes révèlent l'orgueil par-. fois follement puéril, toujours émouvant ,d'un homme face à son incompréhensi-, . i ble, son insaisissable destin. L'assiégeant.. 1 devient assiégé, par ses rêves, ses crain- • tes et ses désirs. Il se libère en tentant victorieusement de réconcilier, au-dedan~ · de lui.même, la mort et la vie, c'est.à.· dire en accueillant comme un merveil-' · • • • • • • • • • • • • • • • • • leux ailleurs la mort salvatrice. Des ima- • 19, rue Jacob, Paris. 641 ges souvent ' très belles (certaines pages· évoquent Julien Gr~cq) j~Ol;l.Jlent ce ,P?r.' • C. C. P. Paris 11s..-SI cours prometteur ou la deral50n d'un m· • dividu trouve sa justification parfaite, • • • • • • • • • • • • • • • • • • non pas aux yeux de la multitude, mais au cœur de l'individu lui-même qui en '.. est, en dernier ressort, le témoin, le juge, . ' et si l'on peut dire _ le patient. , EDITEURS CHERCHENT BONS obligé... . /

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Entre Jarry et Méliès Charles Pascarel La Grande Jouasse Le Seuil éd., 208 p . Enfin un livre qui appelle à l'imprudence! Il ne faut pas craindre de prendre la Grande Jouasse en marche et en pleine vitesse. Le temps de s'installer et le charme est .rompu. Les phrases bousculent le cœur et cette tachycardie donne son véritable rythme au roman de Pascarel. Cahots et précipitations brouillent l'esprit et les sens: on dégringole le temps, on le remonte en escalator, on arrive sur la lune, on en tombe un peu abasourdi, comme Cyrano de Bergerac ... Cette poursuite en « scenic railway » est difficilement racontable. Deux partis se disputent un jeune élu, propriétaire du chien qui parle, Millécus (nom snob du Milou de Tintin): celui du Marchand d'Agrumes et du Grand Canaillou, son acolyte; celui du Roi Arthur et de la comtesse de Die, servis par c;les bouchers spadassins, quatre comme les .m ousquetaires. L'Elu échappe aux uns, grâce au Noir de La Seine - Lancelot maquereau aux autres, grâce à des hasards picaresques. Il perd son chien, promet un harmonica au doyen des rats, se fait mettre en prison, s'enfuit ... Mais l'histoire dépasse ces querelles intestines : les Huns envahissent le pays. La vie est

toujours la vie: La comtesse a le cœur moins noLle que son nom. Elle s'appelle Germaine et s'offre bien des amants. On se bat, on s'aime. On se brouille, on se réconcilie. On découvre des traîtres qui finalement n'en sont pas. Mais il faut bien mourir: « L'hénaurme )) farce s'achève dans les flon-flons d'un jeu de massacre, et, guillotiné, « le visage du

jeune élu reste tourné vers quelque chose entre ciel et terre »... Pascarel a placé, dans les visions d'un saint Antoine beatnik, un shaker agité par les Marx Brothers. Son roman se situe entre Rabelais et Jarry. Les décors sont de Méliès. Les interprètes, recrutés dans le vieil Odéon, roulent des yeux, froncent les sourcils, et leurs phrases ronflantes font trembler leurs glottes. Il faut louer l'agilité de l'auteur qui ne se pose nulle part. Il survole le tout sur un boulet, comme le Baron de Crac. Son roman fourmille de réminiscences, de clins d'œil - mais on ' n'a jamais le temps de penser: Pascarel c'est Rabelais ou Pascarel c'est Jarry... Il détale trop vite après avoir « piqué » une idée, un mot, une phrase. Ce chapardeur garde son talent. Le reste l'habille de lumière et de clinquant, comme un clown blanc. Pour aimer la Grande Jouasse il faut aimer l'harmonica, les sons du fifre et de la bombarde, le bon pain et la cervoise

(on en boit comme dans Astérix)_ TI ne faut pas négliger les calembours, les images, surtout quand elles sont d'Epinal, la poésie, la tendresse et une très ancienne sagesse celle des proverbes populaires. Tout ce qui a du goût. Bon ou Mauvais. L'auteur le dit lui-même: « On s'ennuie tant sans mauvais goût

JO ...

Pascarel démonte ironiquement son livre dans le dernier chapitre. Le mécanisme c'est l'absurde, le pourquoi pas du n'importe quoi. Les anges descendent sur tene et leurs jambes sont gainées de soie. Enfin on connaîtra leur sexe! Une femme se noie dans sa baignoire: elle avait écrit au rouge à lèvres sur la glace de sa coiffeuse « je suis imperméable D. Oa se regarde dans les miroirs: ils renvoient des images déformantes. On tire la langue, on reçoit un pied de nez. On fonce sur eux, point de « wonderland JO. Bris de glace et un « splash » couronné d'étoiles, comme dans les bandes dessinées. On croit reconnaître les personnages dans la rue, mais fi( qu'importe l'endroit pourvu qu'on ait des souvenirs» è,~ qu'importe la folie pourvu qu'on aît 1 Ivresse ... On a l'ivresse, un peu la gueule de bois: « l'attends le matin. l'ai avalé deux aspirines pour calmer ma fièvre. »

Charles Pascarel

Henri Guigonnat

Expérience de la solitude Michel' Bernanos La Montagne morte de la vie J.-J. Pauvert éd., 160 p.

fi( L'homme est avant tout un lâche préoccupé de trouver une excuse à sa lâcheté. » De telles sentences à l'orée d'un roman d'aventures ne disent rien qui vaille, moins encore lorsque s'en mêlent maints relâchements du vocabulaire: fi( Quand l'astre-roi se fut noyé dam finfini de la mer », « des géants pétrifiés par les siècles millénaires D, fi( du roc gigantesque lisse comme une muraille, jaillissaient des eaux tumultueuses qui se laissaient retomber en une somptueuse gerbe de mousse blanche, laquelle s'épar-' pillait et 'scintillait dans la lumière com~e une poussière de diamants... » (p.

Florence Asic

Griserie Gallimard éd., 216 p.

Après Fascination, . Griserie. D'un livre à l'autre, Florence ,Asie reste fidèle à un même climat poé}ique, fait de rêve et de réalité étroitement mêlés, et à son héroïne : Marion. Fascination était l'histoire des jeux interdits d'une sorte d'ange fracassé, passé maître dans l'art de nouer et de dénouer les destins des autres et de vivre, avant l'heure, mille. et une passions par personnes interposées. Gris~rie est le récit des élans du cœur et des Sens d'une Marion métamorphosée en papillon, pressé de se brûler les ailes non plus au feu de la vie rêvée, mais au brasier de la vie vécue. Devenue chasseresse d'hommes, Marion se trouve aux prises, cette fois, non plus seulement avec ses fabulations d'enfant précoce, mais avec sa sensualité exigeante, son amour puni pour Drouillon - l'in-

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97). Ce ne sont pas là parodies du langage des bandes dessinées et dans une postface trépidante, Dominique de Roux nous apprend '!!le le fils de Georges Bernanos fut un être pur et torturé, dédaigneux de tels jeux et fuyant le « ho- . cal parisien» malgré sa rage de s'accomplir par l'écriture. L'intermédiaiJ'e, l'échappatoire semble avoir été une vie de baroudeur dont cette Montagne morte de la vie retrace, de toute évidence, l'essentiel du propos moral. Commencée hors du temps sur un bateau cor~, l'aventure s'y achève ·donc sur un continent progressivement tléeouvert cOnune appartenant à un monde ,Parallèle où entre le minéral conquérant et une végétation dévoreuse, le ' règne animal fut condamné à un anéantissement inexorable. Progressivement intoxiqués par une malsaine alimentation

fidèle et beau roulier qui sut l'émouvoir naguère au cours de brèves rencontres, dans un chemin creux sa fringale d'impossible. « J'avais laissé Mme Algan dans sa

tombe avec ses violettes et les primevères des printemps. Drouillon, le beau roulier, avait pris le bateau pour l'Afrique. Maurice de Sainte-Foye n'était plus qu'un pâle visage sans vertu. Mon curé était mort, donnant ses yeux pour mon bonheur. » Pour oublier ce qu'elle appelle dans le secret de son cœur, « Remember », Marion se lance à corps perdu dans le tourbillon de la vie, un tourbillon qu'elle trouve dans les dancings de la ville et dans les bras de ses multiples et jnterchangeables cavaliers. Mais de T'souste le tanneur à Armand le peintre, eri passant par le lieutenant marié, le président du Gaieté Club, Iram le pilote ou par « celui du bord de mer » ou encore par Edmond, -aucun des chevaliers servants de Marion ne réussit à effacer .en elle l'image de Drouillon et

végétale, les survivants dont on nous conte la fin se sacrifient donc sous nos yeux à une éternité de pierre. De nombreux détails cosmologiques laissent penser que l'auteur de ce conte symbolique voulut mener à bien une manière de Divine Comédie à rebours : mie certaine obsession du cercle en témoigne et plus encore un acheminement spirituel mené vers un isolement toujours plus poussé. Le silence et le dessèchement final apparaissent d'autant plus pessimistes que la fuite initiale était des plus motivées. Ce contenu moral, sans cesse souligné, cette présence autobiographique de l'auteur séparent ce « 'roman imparfait de la tradition d'aventures dont il fait mine de ranimer les formules. Car ni Poe, ni Melville, ni surtout Stevenson ne sont

de ses sortilèges d'amant initiateur une image dont elle ne pourra bientôt plus se passer. T'souste demande la belle en mariage, mais elle n'a que faire d'un mari. Marion l'aime bien, un point c'est tout. Les jours fastes, les caresses du tanneur lui rappellent celles du roulier, mais l'instant de l'extase passé, elle en veut à son compagnon de ne pas être l'Autre. Le brutal don Juan surnommé « celui du bord de mer », après une première rencontre qui faillit mal tourner pour l'allumeuse, fait patte de velours et finit par apprivoiser Marion, l'espace d'une excùrsion en commun. Le peintre, parce qu'il ressemble à un prince de conte de fées, aura le privilège de conduire la vierge folle jusqu'au lit. Mais là, comme ailleurs, le fantôme de Drouillon est de la fête. En parfaite bohémienne des états d'âme, Marion a vite fait de se lasser de ses soupirants, dont quelques-uns sont d'ailleurs les premiers à la quitter. Un

décelables en leurs œuvres. La dramatique collusion des charmes de l'extraordinaire et des rages autobiographiques à laquelle nous assistons fait l'originalité et la valeur de la Montagne morte th la vie et, malgré son inscription dans Jllle précieuse collection d'aventures fantastiques, ce texte fascinant se sépare dédaigneusement . de ses aînés en allant jusqu'à mettre le récit à la première personne alors que les dernières lignes nous montrent le narrateur à jamais incapahle de témoigner. Ce mépris de la plus élémentaire convention narrative nous ramène à l'évidence symbolique de l'entreprise, laquelle, malgré le luxe du décorum f8J;ltastique et des détails terrifiants débouche, par-delà les masques, sut l'aveu d'une rare expérience de la solitude.

Marcel Marnat

jour de wlitude, elle retournera en pèlerinage au village natal et ce sera dans le but de retrouver la trace de Drouillon. Munie de radresse du disparu, la fille en mal d'amour cherchera à forcer le destin : elle enverra un S.O.S. mensonger à l'aimé, qui continuera de . faire la sourde oreille. Drouillon n'aura jamais été autre chose pour elle qu'un alibi, qu'un prétexte pour rester libre. Ces retrouvailles inespérées n 'en seront pas moins exaltant..s. Pourtant, l'idylle renouée sera de coeete durée. Drouillon dcvra repartir et Ma. rion, soudain devenue adulte, comprend que pour elle l'amour importe moins que la quête de l'impossible. Cette fureur de vivre teintée de tristesse, cet appétit vorace des sens tantôt refréné. tantôt contrarié Florence Asie les' exprime de façon subtile. Son seul tort est de sacrifier parfois au jargon des sapeurs et de ne pas toujours renoncer à d'inutiles joliesses du style.

Ritta Mariancic


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Parlez-lD.oi de vous

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Dominique Rolin Maintenant Denoël éd., 266 p.

Les événements les plus importants de notre vie, ceux qui vont même jusqu'à nous transformer au plus profond, - ne se laissent pas comme le soleil, regarder en face. La narratrice du dernier roman de Dominique Rolin essaie de répondre à la lettre d'un ami, qui lui demande: « parlez-moi de vous». Elle a perdu sa mère, il y a quelque temps. Ce n'est pas assez de reconstituer avec difficulté l'événement lui-même, qui fut trouble, confus, opaque pour l'esprit. On ne sait pas, à une demi-heure près, quand la mère est physiquement morte. Elle souriait. On ne sait pas non plus quand la mort s'est fait pressentir comme inévitable: est-ce quand la mère criait de souffrance, et suppliait qu'on la fasse vivre encore deux ans ? Le moment décisif de la séparation, est-ce l~enterre­ ment de la mère, ou la dernière image de son visage perdu? Et cette dernière image était-elle, une fin? Une mère très aimée, qui vient à mourir, commence, en n'étant plus présente, à se creuser chez sa fille un autr~ abri, ~ s'installer sur un autre mode de l'être, plus obsédant, plus intime, et plus émouvant que le premier. La mort de l'être aimé n'~st pas une vide absence: car ceux que nous aimons, c'est en nous qu'ils vivent, et, pour 'nous, c'est ,entièrement par nous. L'attention, la tendresse, l'amour, c'est quand ils sont invisibles, absents ou morts, qu'ils en ont le plus besoin. Tout l'être de la narratrice devient, « maintenant», l'habitat de la mère morte. Comme la mère portait l'enfant pour lui donner la vie, ainsi, une fille peut aussi porter sa mère, invisible et cachée au:X: autres à cause de ce qu'on appelle la mort. Grossesse à rebours: grossesse monstrueuse, et qui accapare tout. Car ce n'est pas un petit inconnu qu'il faut, pour un temps, faire vivre de chair et d'espérance, - c'est une femme riche de passé, source d'images multiples, et de souvenirs, qui a laissé partout des traces d'elle dans la maison familière. Le lit de la mère, avec le parfum de sa poudre de riz, sa place un peu creusée, le petit réveil que sa main a glissé sous l'oreiller, - si la narratrice vient à s'y allonger, redevient le lit où la mère s'allonge. Le sac à main une dernière fois posé tout près contient, soigneusement rangés, les secrets de la morte: secrets tendres, les photos qu'elle préférait de ses trois enfants. Nulle absence n'est si limpide. La pudeur, le sérieux, la bonne foi de la mère sont les biens de la narratrice. Ressembler à la mère est une chance de plus de la garder. Les deux mains si fidèles d'une fille ,

posées devant elle sur la table où o 0 elle veut travailler, ces deux mains 0 pareilles à celles de la mère, sur- 0 vivent. A les regarder longtemps, 0 on peut croire que leur geste pro- 0 chain, le geste qui viendra d'elles 0 seules, autonomes, respectées, : sera une réponse, enfin, de la mère 0 disparue. Comment serait-elle capa- 0 ble d'un si cruel abandon ? Mourir 0 ne lui ressemble pas. L'amour es- 0 père, au-delà de toutes les trahisons. o0 et même de celle-là. 0

La Quinzaine littéraire • .15 au 31 mai 19f17,

PAVILLONS LES MEILLEURS ÉCRIVAINS ÉTRANGERS

ITALIE

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Et pour que la mère demeure, il faut lui rendre aussi sa jeunesse. son enfance, - tout ce qu'une fille ne peut avoir connu. Où retrouver ce temps où déjà elles étaient l'une sans l'autre, l'une dans la vie, et l'autre dans le non-être? Avec une loupe, la narratrice se penche sur de très anciennes photos. Elle les scrute, et les contemple, sans rien vouloir analyser, avec le désir immense d'entrer elle-même dans cet instant surpris, où la mère, très jeune fille, a laissé sur son visage une expression qui devrait permettre de savoir toutes ses pensées. A la passion près, cette quête ressemble à celle du narrateur de Claude Simon, dans son dernier roman, Histoire, qui interroge longuement d'anciennes cartes postales, avec le même espoir de retrouver par elles le temps perdu. Ici aussi, il s'agit de tirer des images ces moments antérieurs à toute mémoire, et de forcer l'impossible pour re~ivre ce qu'on n'a pas soi-même vécu.

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La croix obsessionnelle de l'ab· sence et de la communion entre la morte horizontale et la vivante verticale encore, devient vérité dernière. C'est la croix qu'i danne, aux dernières lignes du livre, son fin mot: « Ensemble enfin, l'une sur le mur transparent de l'air, l'autre sur le papier, l'une verticalement et l'autre horizontalement elles achèvent leur commune hist~ire en écrivant le mot fin. »

J osane

Duranteau

le dernier recueil de nouvelles par l'auteur du .. Désert des Tartares " ,

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LES ARMES, L'AMOUR

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.. Les Armes, l'Amour", apparaît comme un témoignage de cette révolution littéraire irrévocablement amorcée, qui donne privilège à l'écriture. La Quinzaine Littéraire.

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Il n'y a pas de répit à la ' douleur, pas de trêve. Car le sommeil poursuit, « maintenant», sur son registre propre, le même labeur que la veille harassante. Le fantôme de la mère chuchote des secrets difficiles à comprendre, propose d'hermétiques messages, entraîne avec une douceur déchirante la narratrice vers l'union désirée dans la mort. Mais c'est la mort rêvée, la mort dont chaque fois on se réveille. Promesses non tenues, ou tenues à moitié ... Le fantôme pourtant survit encore au rêve. Flotte dans la maison, sourit, rassure, traîne un goût de tendresse. Vague. vague ... Aimer un mort, c'est peutêtre apprendre à vivre très peu, très légèrement, à peine, devenir soimême fantôme à demi, à mi-chemin du pays impossible. Ainsi le « maintenant», dans l'âme, peut doucement devenir un « toujours ».

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L'INGÉNU DE HARLEM

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.. Le plus grand écrivain noir américain". New York Times.

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ROBERT

NEUMANN

LE , CONSTAT ou la bonne foi des Allemands. Un cruel réquisitoire contre toutes les bonnes consciences, Personne n'est épargné, pas même le lecteur.

PAVILLONS chez ROBERT LAFFONT Il


HISTOIRE LITTÉRAIRE

Gide et Rouveyre Correspondance Gide-Rouveyre Présentée par Claude Martin Mercure de France, éd., 288 p. De son vivant même, Gide avait admis et encouragé l'édition de la correspondance échangée entre lui et plusieurs de ses amis ou anciens amis, mais, à la grande surprise et à la vive irritation d'André Rouveyre, il avait en revanche refusé à celui-ci l'autorisation de réunir en un volume les lettres tantôt douces, tantôt aigres-douces et quelquefois fort aigres, qu'ils avaient jadis livrées eux-mêmes au public. A vrai dire, ce que Gide refusait ainsi en 1949 ne lui eût nullement déplu en d'autres temps. En 1932, il déclarait n'avoir aucune raison de s'opposer à la publication, que projetait déjà Rouveyre, d'un ouvrage rassemblant les lettres dans lesquelles ils s'étaient tous deux querellés quatre ans plus tôt, d'un numéro à l'autre de la Nouvelle Revue Française. Seulement, Rouveyre avait ajourné l'exécution de ce projet. Quand il voulut y revenir, après la guerre, Gide octogénaire n'était plus dans les mêmes dispositions. Il était désormais trop las pour se plaire au rappel d'an~ ciennes polémiques. D'autre part, un nouveau sujet de mécontentement venait de lui être donné par Rouveyre. Ayant à établir une anthologie de Léautaud, Rouveyre ne s'était-il pas permis d'y faire malicieusement entrer des lettres inédites, où le solitaire de Fontenay-auxRoses · confessait ne pas aimer le caractère de Gide, « son hypocrisie, sa duplicité, ses petites fourberies, sa faiblesse devant les compliments » ? Pour Gide, comme pour Léautaud d'ailleurs, cette indiscrétion de Rouveyre dénotait la volonté de les brouiller. Ce Rouveyre était décidément pétri de malveillance. Mieux -ialait ne plus avoir affaire à lui, et c'est certainement pourquoi Gide, se ravisant, devait obstinément repousser les dernières demandes de Rouveyre touchant l'édition des lettres qu 'ils avai~nt publiées autrefois et dont quelquesunes n'avaient même été écrites que pour être aussitôt portées à la connaissance des lecteurs de la N.R.F. Les héritiers de Gide et ses exécuteurs testamentaires n'ont pas cru devoir s'imposer la même attitude. On ne saurait le regretter. On ne peut même que leur donner raison de s'être prêtés à l'édition intégrale de la correspondance Gide-Rouveyre. Les deux épistoliers sont morts, l'un depuis seize ans, l'autre depuis quatre, et de quelque façon que l'on considère aujourd'hui leurs affrontements ou leurs esquives, ce n'est pas ce qu'on en dira qui fera se battre les gens. Reste que s'il n'y a pas à . prendre feu au sujet de ces retors (l'épithète est de Rouveyre, qui l'appliquait à ~ide, mais elle ne s'ajuste pas moins bien à son propre personnage ), ce qu'ils se sont éorit se trouve constituer

un petit roman psychologique, du plus vif intérêt, et que M. Claude Martin a pris soin d'annoter avec précision chaque fois qu'un éclaircissement était nécessaire. Gide et Rouveyre avaient lié connaissance vers 1909, c'est-à-dire alors que Rouveyre, qui ne se piquait pas encore de littérature, donnait dans chaque numéro du Mercure de France un « visage de contemporain dessiné d'après le vif ». Gide atteignait la quarantaine. Sans être ignoré, ce n'était pas vraiment une vedette. Rouveyre, de dix ans plus jeune, s'était davantage signalé à l'attention du grand public, tant par sa collaboration, comme dessinateur, à des hebdomadaires illustrés, que par ses albums de caricatures sur le théâtre en général, et sur la Comédie Française en particulier. D'un recueil à l'autre, son art s'était singulièrement affermi. Comme en témoigne un court billet de 1909, Gide fut alors « très content » de son portrait par Rouveyre. Il s'était déjà montré sensible au talent de Rouveyre en consacrant une notice à l'un des albums du dessinateur, dans la Nouvelle Revue Française de mars 1909. Des images de ce Gynécée, où Rouveyre dépouillait la femme de toute pudeur, d'Annunzio disait qu'on eût pu les croire tracées « par le bouvoir crétois, sur les murs de l'étable, à la honte de Pasiphaé» Rouveyre calomniait-il les filles d'Eve? Gourmont, qui avait préfacé l'album, déclarait les y retrouver « telles que Dieu les a faites ». Le désir de contredire Gourmont ne fut probablement pas étranger au commentaire de Gide, selon qui les images du Gynécée, loin de serrer de près la réalité, idéaliseraient plutôt leur sujet, l'idéalisation de l'art n'opérant pas à tout coup « dans le sens de ce que le public appelle ordinairement la beauté ». « L'ennemi, ajoutait Gide, ce n'est pas le laid; c'est le médiocre. » On ne peut que tomber d'accord là-dessus, en se demandant toutefois si Gide, sans sa misogynie, eût aussi nettement discerné ce qui caractérisait l'art de Rouveyre. Les goûts qu'il avait laissé percer en matière de peinture n'impliquaient guère d'audace et pouvaient même le faire soupçonner de quelque propension à l'académisme. Ses illustrateurs et ses portraitistes habituels - Maurice Denis, José-Maria Sert, Jacques-Emile Blanche, PaulAlbert Laurens - ne risquaient pas d'être regardés comme des « fauves ». Dans la critique d'art, peutêtre Gide n'avait-il jamais montré autant de hardiesse qu'en louant les dessins où, selon lui, Rouveyre, par une sorte d'acharnement sur certains traits expressifs, était parvenu « à des accusations d'une- jntensité puissante ». Mais quelque intérêt que Gide ait attaché aux images de Rouveyre, aucun vrai dialogue ne se serait engagé entre l'écrivain et· l'artiste,

si ce dernier, au lendemam de la première guerre mondiale, ne se fût détourné du dessin et de la gravure pour exercer, comme essayiste, la perspicacité dont il avait fait preuve auparavant dans le déchiffrement de ses modèles. De 1910 à 1920, la correspondance Gide-Rouveyre, si cordial qu'en soit le ton, se borne à des remerciements pour un livre ou pour un croquis. En revanche, elle s'étoffe sensiblement dès lors que Rouveyre, ayant décidé d'écrire une série d'articles sur « les lettres dans l'époque », laisse clairement entendre à Gide qu'il saura lui ménager dans ce panorama une place correspondant à l'importance de son œuvre. Gide, pourtant, n'est qu'à demi rassuré : Rouveyre, en général, se soucie peu de faire patte de velours. Veut-il caresser, on sent toujours un peu ses griffes. Dans un article du Mercure, évoquant Mécislas Golberg, il en compare l'attitude à celle de Gide, cachant un jeu machiavélique « derrière son sourire menteur et la grimace de ses yeux obliques de vieille Chinoise ». On conçoit qu'un madrigal de cette sorte ait alarmé Gide : « Avez-vous écrit ces mots pour faire plaisir à ceux du Mercure? Pensez-vous qu'ils me connaissent, et que cette réputation de perfidie, d'insécurité, etc., colle en quoi que ce soit à mon être réel ? » demande-t-il à Rouveyre dans une lettre de juin 1923. En fait, Rouveyre, quoique familier du Mercure, n'allait nullement y chercher l'inspi-

Deux· . dessim d'André Rouveyre

ration de ses articles. Au demeurant, il ne semble pas que Vallette et son entourage aient jamais dépensé beaucoup d'animosité contre Gide, dont ils n'avaient pourtant pas toujours eu à se louer. Rouveyre n'avait pas hésité à écrire à Gide que, depuis longtemps, il le plaçait très haut. Devant la récrimination provoquée par le « sourire menteur » et les II: yeux obliques de vieille Chinoise », il n'hésita pas davantage à protester de ses bons sentiments, ajoutant, au sujet des expressions discutées: « Il faudrait que vous soyez aveugle pour ne pas avoir goûté, même avant .que l'amour-propre ne vous pique, le pittoresque et le joli estampillage de ce masque. » Les pages qu'à partir d'octobre 1924 il publie dans les Nouvelles littéraires sur Gide, qu'il appelle alors le « contemporain capital », vont très vivement retenir celui-ci. La réputation de Gide croissait alors de jour en jour; cependant il n'avait encore jamais été l'objet d'une étude aussi poussée que celle de Rouveyre, qui lui fit assurément grand plaisir en le mettant à la place éminente qu'il estimait lui être due. Aussi est-ce dans les termes les plus amicaux qu'il oppose à Rouveyre, à mesure que paraissent ses articles, des objections touchant soit la susceptibilité qu'il lui a prêtée, soit l'erreur qu'il a commise en le présentant comme accompagné d'une suite de huguenots, soit encore l'angoisse métaphysique dont les bien-pensants voudraient qu'il fût tourmenté, alors qu'il se sent au contraire plein de sérénité. Mais si nombreuses et si variées que soient les objections qu'il tienne à élever, Gide ne ménage pas les félicitations à l'opérateur travaillant sur lui : « Je sens bien cette fois le bistouri pénétrer dans la chair même, la chair vive ; c'est délicieux [ ... ] L'opérateur ne s'en fait pas; il a le regard clair, la main sûre. » Quitte à se raviser le lendemain ou le jour même, et à noter dans son journal : ({ Je crains d'avoir donné trop vite mon satisfecit. » Comme l'a remarqué M. Claude Martin, Gide avait l'approbatur facile. Si facile, dironsnous, qu'on risque moins de s'égarer en négligeant ses acquiescements qu'en les prenant au sérieux. Une fois dissipé le plaisir de s'entendre qualifier de « contemporain capital », il est probable qu'il aura éprouvé plus d'agacement que de satisfaction en relisant Rouveyre. En tout cas, ce n'est pas la gratitude ni la sympathie qui lui auront dicté en 1928 les lettres ouvertes, publiées dans la N.R.F., et où il disait à Rouveyre : « Je vous ai toujours considéré, et je vous considère encore, comme un malade et presque comme un irresponsable. » Passe que Gide ait voulu défendre ses amis Valéry, Copeau, Rivière - , que Rouveyre venait de malmener dans un article du Crapouillot, enC'ore que certains d'entre


ROMANS ÉTRANGERS

La face baroque eux eussent été très capables de ripQster eux-mêmes s'ils l'avaient jugé nécessaire . Mais à qui fera-t-Qn crQire que , PQur vQler au seCQurs de différentes célébrités, il n'y avait rien de mieux à faire que de dire à leur détracteur : « V ous étiez, lorsque j'ai commencé de t'OUS connaître, si· délabré, si fort entamé par les drogues, que, dans mon amitié pour vous, entrait d'abord beaucoup de pitié. » Outre qu'il est faux que l'Qpium, dQnt RQuveyre n'a usé que mQdérément, ait gravement cQmprQmis sa santé, ce n'est pas à la drQgue que peuvent être attribuées ses hémQptysies - un argument de ce genre, fût-il vrai, ne prQuverait pas grand-chQse, sinQn l'égarement de qui se permet d'y reCQurir. L;1 querelle s'assQupit. Il y eut même, deux ans plus tard, une espèce de rabibQchage que semble aVQir facilité l'envQi, à RQuveyre, d'un QU deux nQuveaux Quvrages de Gide; mais à lire les lettres, en général assez brèves, échangées alQrs, Qn n'a pas l'impressiQn que leurs fQrmules affectueuses reCQuvrent rien de prQfQndément ressenti. Quand RQuveyre, en 1933, publie, SQUS le titre de Singulier, un rQman plus QU mQins tiré de ses expériences sentimentales, il a beau insister : il n'Qbtient même pas que Gide lui cQnfesse s'il en a PQussé la lecture au-delà des quatre QU cinq premières pages. « Imaginez, lui disait-il quelques mQis plus tard, qu'en l'écrivant, moi qui ne pense jamais à personne, je me disais : Gide le lira .. . il verra. .. Ce qu'est le destin pour moi... cette fraternité spirituelle que l'on croit toucher bientôt, et qui ne se penche même pas au-delà de quelques pages... » Sans dQute était-il dit que cette fausse amitié s'achèverait sur une vraie mésentente. CQmme nQUS l'avQns indiqué plus haut, les dernières lettres CQncernent la réuniDn et la publicatiQn, refusées par Gide, des lettres Quvertes de 1928. RQuveyre ne paraît pas s'être très bien rendu compte en 1949 de la lassitude de Gide, qu'il n'avait d'ailleurs pas revu depuis l'avant-guerre. « A nos âges », disait-il, sans prendre garde qu'il y avait entre eux dix ans d'écart. Furieux de vQir Gide se taire QU tergiverser quand il lui adressait une demande précise, il en vint à lui écrire un jQur : « Le plus clair est que vous n'avez pas voulu et ne voulez pas tenir votre promesse de me remettre copie de mes lettres à vous. Eh bien, mon cher, allez vous faire foutre . » La légende veut que ces derniers L'lQtS aient été ceux qu'aurait emplQyés Sully PQur cQngédier une SQlliciteuse. On raCQnte que la dame s'en plaignit au rQi, lequel se CQntenta de lui répQndre : « MQnsieur de Sully -est un peu brusque, mais il est souvent de, bQn cQnseil. » Si, d'aventure, RQuveyre, en 1949, prétendait encore cQnseiller Gide, !,Qn épiphQnème venait bien tard.

SeverO' Sarduy Ecrit en dansant traduit par E. CabillQn, Cl. Esteban et l'auteur Seuil éd., 205 p.

La culture française a tQUjQurs attaché, semble-t-il, un privilège très (Qrt aux « idées », QU, PQur parler d'une façQn plus neutre, au CQntenu des messages. ImpQrte au Français le « quelque chQse à dire », ce qu'Qn désigne CQuramment d'un mQt phQniquement ambigu, mQnétaire, cQmmercial et littéraire : le fQnd (QU le fQnds QU les fQnds). En fait de signifiant (Dn espère PQUvQir désQrmais emplQyer ce mQt sans aVQir à s'excuser), la culture française n'a CQnnu pendant des siècles que le travail du style, les cQntraintes de la rhétQrique aristQtélo-jésuite, les valeurs du « bien-écrîre », ellesmêmes centrées, d'ailleurs, par un retQur Dbstiné, sur la transparence

Pascal Pia La Quinzaine littéraire, 15 au 31 mai 1967.

de la langue de Cuba, de ce texte cubain (villes, mGts, bDissQns, vêtements, cQrps, Gdeurs, etc.), .qui est lui·même inscriptiDn de cultures et d'épQques diverses. Or il se passe ceci, qui nGUS impDrte à nDUS, Français : transpDrtée dans nGtre langue, cette langue cubaine en subvertit le paysage : c'est l'une des très rares fQis QÙ une traductiDn parvient à déplacer sa langue de sQrtie, au lieu, simplement, de la rejQindre. Si le barDque verbal est espagnGI selDn l'histGire, gGngGresque GU quévédien, et si cette histDire est présente dans le texte de SeverO' Sarduy, natiQnal et « maternel » CDmme tGute langue, ce texte nGUS dévGile aussi la face barGque qui est dans l'idiQme français, nGUS suggérant . ainsi que l'écriture peut tGut faire d'une langue, et en premier lieu lui rendre sa liberté. Ce barGque (mGt prGvisoirement utile tant qu'il permet de prGvoquer le classicisme invétéré des lettres

lement de l'écriturt'! qui marque nQtre culture Qccidentalt'. On VQit dQnc se déplQyer dans Ef:rit en dansant, texte hédQniste t'I par là-même révQlutiQnnaire, le gra nd thème propre au signifiant, Je seul prédicat d'essence qu'il puisse supporter en tDute vérité, et qui est la métamDrphQse : cubaines, ehinDises, espagnQles, cathQliques, drQguées, théâtrales, païennes, circ'ulant des earavelles aux self-service!' et d'un sext' à l'autre, les créatures de St'vero Sarduy passent t't rt'passent à travers la vitre d'un babil épuré qu'elles c( refilent » à l'auteur, démDntrant ainsi que cette vitrf. n'existe pas, qu'il n 'y a rien à vDir derrière le langage, et que la parQle, IQin d'êfre l'attribut final et la dernière tQUche de la statue humaine, CQmmt' le dit le mythe trGmpeur ' de Pyp;. maliGn, n'en est jamais que l'éten· due irréductible. Cependant, que les humanistes se rassurent, du mDins à mGitié. L'al·

Cuba bal o r/II C

et la distinctiDn du « fDnd ». Il a fallu attendre Mallarmé pDur que nDtre littérature conçDive un signifiant libre, sur qUGi ne pèserait plus la censure du faux signifié et tente l'eXpérience d'une écriture enfin dé· barrassée du refQulement histGrique DÙ la maintenaient les privilèges de la « pensée ». EncDre l'entreprise mallarméenne, tant la résistance est vive, ne peut.elle être, ici et là, que « variée », c'est-à-dire répétée, à travers des œuvres rares, qui SQnt tDutes de CQmbat : étQuffée deux fDis dans nDtre histDire, au mQment de 'la pGussée barQque et de la pQéti. que mallarméenne, l'écriture fran· çaise est tDujDurs en situatiQn de refDulement. Un livre vient nDUS rappeler qu'en dehQrs des cas de cQmmunicatiDn transitive GU mQrale (Passezmoi le fromage DU Nous désirons sin c ère men t la paix au V iet· nam) il y a un plaisir du langage, de même étQffe, de même sDie que le plaisir érDtique, et que ce plai. sir du lan gage est sa vérité. Ce livre vient, nQn de Cuba (il ne s'agit pas de fDlklDre, même castriste), mais

françaises), dans la mesure DÙ ' il manifeste l'ubiquité du signifiant, présent à tDUS les niveaux du texte, et nDn, CDmme Qn le dit cQmmunément, à sa seule surface, mDdifie l'identité même de ce que nQUS appelDns un récit, sans que le plaisir du CGnte SQit jamais perdu. Ecrit en dansant est cGmposé de trQis épisDdes, de trGis gestes, 'mQt qui reprend ici le titre du premier livre de SeverO' Sarduy et que l'on vQudra bien entendre aussi bien au masculin qu'au féminin, mais Dn n'y trGuvera aucune de ces prGthèses narratives (persDnnalité des prDtagDnistes, situatiDn des lie:ux et des temps, clins d'œil de celui qui racDnte, et Dieu, qui vDit dans le cœur des persDnnages) dDnt Gn marque d'Qrdinaire le drQlt abusif (et d'ailleurs illusDire) de la réalité sur le langage. SeverO' Sarduy racDnte bien c( quelque chQse », qui nDUS aspire vers sa fin et se dirige vers la mGrt de l'écriture, mais ce quelque chDse est librement déplacé, « séduit » par cette souveraineté du langage, que PlatDn entendait déjà récuser chez Gorgias, inaugurant ce refDu·

légeance dDnnée à l'écriture par tQut sujet, celui qui écrit et celui qui lit, acte qui n'a aucun rappGrt aveC' ce que le refoulement classique, par une mécQnnaissance intéressée, ap· pelle le « verbalisme » QU plus no· blement la « poésie », ne supprime aucun des c( plaisirs ») de la lecture, pour peu qu'on veuille bien en trDuver le rythme j U3te. Le texte de SeverO' Sarrluy mérite tGUS les adjectifs qui fDrment le lexique de la valeur littéraire : c'est un texte brillant, allègre, sensible, drôle. inventif, inattendu et cependant clair . culturel même, cDntinûment af· fectueux. Je crains cependant que, pDur être reçu sans difficulté dans la bonne SQciété des lettres, il lui manque ce sQupçQn de remDrds, ce rien de faute, cette Dmbre de signi. fié, qui transfDrme l'écriture en leçDn et la récupère de la sorte, SGUS le nDm de « belle œuvre », CDmme une marchandise utile à l'écDnDmie de l' « humain ». Peut·être ce texte a-t·il aussi une chDse en trGp, qui gênera : l'énergie de parole " qui suf· fit à l'écrivain pGur se rassurer. Roland Barthes


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bien des côtés l'Irlande : insulaire, séparatiste, autonomiste, maladivement orgueilleuse de se sentir à part de la métropole, mais en même temps hyperconsciente de son infériorité politique, taciturne, sinon pour se dénigrer soi-même, prête à

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s'accabler de reproches pour prévenir ceux du continent, susceptible, intraitable, préférant cacher ses qualités plutôt que de les exposer à être incomprises, la Sicile éclate de toutes parts dans les limites trop étroites que la nature lui a données. « Navire corsaire, avec son beau guépard à la proue, avec les couleurs de Guttuso étalées au grand pavois, avec ses cocus raisonneurs, avec ses fous , avec ses démons ' méridiens et nocturnes, et ses cadavres plein la cale : la Sicile coule, la Sicile sombre », lit-on dans le dernier livre de Leonardo Sciascia, publié -l'an passé en Italie, Aciascuno il suo, bref roman de mœurs conduit ~omme un roman policier.

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UNE NOUVELLE SÉLECTION DE DISCOPILOTE Après MONTEVERDI, génie éblouissant mais encore trop méconnu, DISCOPI(.OTE a choisi de sélectionner un album consacré à celui qui, avec BACH et BEETHOVEN, représente l'incon testable sommet de la musique de tous les temps.

DÉCOUVREZ L'AME DE MOZART La confidence la plus intime et le plus pur de son message c'est à LA MUSIQUE DE CHAMBRE que MOZART l'a confié. Ecrite librement, hors de tout souci de commande à satisfaire, cette musique éblouissante, à la fois poignante et enjoüée, d'une subtilité et d'une richesse d ' in· vention insurpassable est un des moments privilégiés de l'œuvre mozartienne. Nous en avons retenu l'essentiel dans les 5,INTËGRALES que nous vous proposons pour le premier album: - Les six quatuors dédiés à Haydn - Les cieux quatuors pour piano et cordes - Les quatre quatuors pour flûte et cordes - Le trio pour piano, clarinette et alto - Le quintette pour clarinette et cordes en six disques 30 cm gravure universelle (à la fois stéréo et mono) produits par Valois une des jeunes maisons qui a renouvelé l'édition du disque classique en France. Ils sont présentés, avec analyse complète des partitions. sous un luxueux coffret pleine toile.

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Leon ardo Sciascia Les oncles de Sicile traduit de l'italien par Mario Fusco Les Lettres Nouvelles Denoël éd., 272 p.

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mISSIon s'explique par l'histoire de la Sicile, terre qui, depuis les premiers colons grecs du VIlle siècle avant notre ère, passa de mains en mains sans s'appartenir jamais à elle-même, proie d'incessantes invasions, déprédations et spoliations. Last, but not least, l'occupation piémontaise de 1860, qui fait peser en-' core aujourd'hui sur l'île un régime colonial. Que pourrait un homme seul dans cette' bousculade de tyrannies étrangères ? Professer le scepticisme et l'ironie (Pirandello, Lampedusa), rire de soi-même (Brancati). Le héros sicilien rassemble toute son énergie dans l'unique effort de récupérer son enfance. Vittorini retrouve dans le cœur pur de son île la nudité primitive du berceau, Brancati dépeint avec sarcasmes la régression des hommes vers le monde asexué des Mères. Lampedusa quitte Palerme pour Donnafugata : Palerme, siège de la révolution et de l;histoire, pour Donnafugata, foyer intact des souvenirs.

Leonardo Sciascia rompt avec éclat cette tradition du masochisme sicilien. Non moins brillant, non moins doué pour l'impertinence et l'humour que ses devanciers, dialecticien éblouissant, il est le premier en Sicile à employer ses dons, non point dans l'auto-dérision, l'élégie funèbre ou la volupté d'anéantissement, mais au service de causes qui rétablissent l'homme dans Le masochisme sicilien l'estime de lui-même. Dans l'excellente traduction de Mario Fusco, voici les Oncles de SiA quarante-six ans, Leonardo cile, quatre nouvelles écrites en Sciascia, natif d'un village de l'in- 1958 et en 1960, les premiers estérieur de la Sicile I , soutient sans sais romanesques de Sciascia. Quafaiblir la comparaison avec une illus- rante-huit raconte l'histoire du batre lignée d'écrivains, dont il est ron Garziano, seigneur du petit le dernier représentant : Verga, village de Castro, trousseur de serPirandello, Lampedusa, Brancati, vantes, réactionnaire, bourbonien, Vittorini. Romancier, essayiste, allié à l'évêque pour réprimer les conteur, mémorialiste, historien, il troubles révolutionnaires de 1848 n'écrit (une dizaine de livres à ce le tout sans plus de conviction que jour) que pour s'interroger sur le cela. Féroce par frivolité, cruel par mystère persistant de son île, mar- libertinage, cet Almaviva ne se fait mite dont les ferments géniaux de- pas faute d'accueillir, en 1860, truisent dans un bouillonnement. quand le vent a 't ourné, Garibaldi déréglé leurs promesses pourtant victorieux. Indifférence à la politiéclatantes. A quoi bon vivre? Pour- que? Cynisme? Endurcissement quoi lutter ? Le découragement, le ,aux contradictions historiques sicisentiment d'impuissance, la rési- liennes? «Le soir descendit, glagnation à une fatalité dont on ne cial, plein d'étoiles, sur les morts raille les inconséquences que pour de Calatafimi. » (La victoire de Cas'y soumettre en esclave, alimen- latafimi a ouvert la Sicile aux soltent depuis un siècle le masochisme dats de Garibaldi.) sicilien. Passivité absolue chez Verga, délabrement de la personnalité ., chez Pirandello, hymne à la ~ort Lampedusa et Sciascia chez Lampedusa, effritement de la virilité chez Brancati, fureurs absOn pense tout de suite au Guétraites chez Vittorini : le héros sicilien est constamment. un .anti-héros, pard, qui parut à la fin de l'année qui se désagrège, qui abdique, pri- 1958, quelques mois après la nousonnier d'un passé qui l'englue dans velle de Sciascia. Au soir du pléle souvenir d'un paradis illusoire biscite de 1860 qui rattache l'antiou victime d'un destin qui grigno- que possession des Bourbons de Naples à la monarchie de Savoie, te sa volonté inerte. Seule l'enfance 'valait la peine Lampedusa fait dire à son ported'être vécue : entre l'enfance et la parole, le prince Salina : « Quelmort, s'étend une lande ingrate ques pétards tricolores grimpèrent semée d'ennemis et d'embûches, où vers le ciel sans étoiles. A huit heule voyageur sursitaire attend les res tout était fini, et seule l'obscucoups ,en fermant les yeux. Cette dé-' rité demeura, comme tous les soirs,


Sciascia et la Sicile depuis toujours. » A prime abord, l'analogie paraît évidente : qu'importe la nature du régime politique, qu'importent les vicissitudes de l'histoire, en regard de la pérennité, de l'immuabilité des lois physiques de l'univers? - semblent dire les deux écrivains. En fait, on saisit dans cet épisode tout ce 'q ui les sépare. Lampedusa, solidaire de son protagoniste, invoque la nuit et la voûte céleste pour faire ressortir la mesquinité , l'inutilité de toute action humaine . Sciascia, au contraire, explique le ralliement du baron à la nouvelle monarchie par l'inconsistance, l'arrivisme de son personnage. Le prince Salina professe une sagesse d'astronome dédaigneux des contingences, le baron Garziano s'agrippe aux événements comme un chien qui a peur de perdre son maître.

justement à distinguer le faux du vrai, le bien du mal, le juste de l'inique. Rien de moins simpliste, pourtant, que la morale de Sciascia. S'il croit dans les valeurs, il sait aussi qu'elles ne se laissent pas réduire à une doctrine, au programme d'un parti. Disciple de Voltaire

La supériorité « philosophique » de Lampedusa, Sciascia la dévoile pour ce qu'elle est: une mystification, le paravent de la couardise et de l'insignifiance. Une mystification , qui compromet souvent, en Sicile, les bons comme les mauvais esprits. A force d'avoir été dépossédés d'eux-mêmes, les Siciliens sont en effet enclins à confondre dans le même haussement d'épaules bien et mal, erreur et vérité. Scillscia, lui, croit dans les valeurs. Le baron Garziano, loin d'être un pyrrhonien sublime, n'est qu'un intrigant vulgaire. La deuxième nouvelle du recueil, l'Antimoine, met en scène un pauvre mineur de soufre, volontaire dans la guerre d'Espagne, du côté de Franco. Là encore, ironie, duperie, absurdité : ces « volontaires » de Mussolini ne sont que des miséreux, des analphabètes, qui s'enrôlent uniquement pour ne pas mourir de faim dans leur île. Mais au lieu de décrire avec l'habituel scepticisme sicilien cette nouvelle bouffonnerie de l'histoire, Sciascia tourne le sujet autrement : son personnage prend peu à peu conscience qu'il est du même bord que les républicains qu'on l'a chargé de tuer. Il découvre l'escroquerie de cette guerre et, lorsqu'il rentre en Sicile, un homme nouveau est né en lui, prêt à lutter contre la classe des riches et des oppresseurs. « Si je n'avais pas perdu une main, je serais retourné â la soufrière : la soufrière, c'était encore l'Espagne, l'homme exploité comme une bête et le feu de la mort aux aguets prêt à vqus fondre dessus par une fissure, l'homme avec ses blasphèmes et sa haine, l'espoir grêle comme les pousses blanches du blé tendre... » Très beau récit, qui est à la hauteur des meilleurs romans inspirés par la guerre d'Espagne : mais surtout témoignag(l. de la conviction d'un Sicilien, qui refuse de mettre dans le même sac les bons et les méchants, les salauds et les braves, les pauvres et les riches, avec l'excuse que « tout est pareil ». Non, tout n'est pas pareil: le protagoniste de l'Antimoine apprend La Quinzaine littéraire, 15 au 31 Inai 1967.

Leonardo Sciascia

- qu'il rappelle par son ton sec, sans bavures - il dirige ses flèches contre tous les suppôts de l'intolérance, qu'ils soient de droite ou de gauche. Les deux dernières nouvelles du recueil, la Tante d'Amérique et la Mort de Staline, dégonflent, l'une, la chimère de l'eldorado yankee, l'autre, la baudruche de l'infaillibilité communiste. Après les Oncles de Sicile, Sciascia s'est imposé par deux romans: le Jour de la chouette2 et le Conseil d'Egypte 3 • Deux romans qui, pour la première fois dans l'histoire de la littérature sicilienne" s'organisent autour de la figure d'un héros. Le

capitaine Bellodi (un Parmesan, un homme du Nord il est vrai) enquête sur un crime de mafia, et oppose aux menées ténébreuses de l'honorable société la droiture de ses convictions démocratiques. Il est vaincu dans ce combat, certes, et doit repartir les mains vides : mais vaincu, non point humilié ni avili. Le Conseil d'Egypte, qui a pour cadre la Palerme des années 1790, met en scène un avocat, Francesco Di Blasi, disciple des lumières et instigateur d'un complot républicain : lui aussi perd la partie (on lui tranche la tête), mais avec honneur et sans abdiquer un seul des principes de sa foi. Troisième roman : A ciascuno il suo 4 • De nouveau un petit village sicilien, la piazzetta ensoleillée, l'ombre du château féodal , Les oisifs cancaniers et perfides, un crime, qui s'enliserait comme tant d'autres dans la peur et l'oubli, si k professeur Laurana, épris de vérité, ne décidait de se substituer à la défaillante police. Il découvre les coupables et les mobiles du meurtre, mais commet une imprudence qui lui coûte la vie. (e Un imbécile )}, diton de lui, en guise d'oraison funèbre. Certes, un don Quichotte, trop en avance, par sa passion de la justice, sur une société encore en· gluée dans le double piège du sexe et de la religion. Dans deux petits livres, qui sont peut-être des chefs-d'œuvre, Sciascia s'en prend à l'Eglise. Feste religiose in Sicilias démontre avec brio l'inanité du sentiment religieux dans le Sud. Morte dell'lnquisitoré, apologue historique, attaque la tyrannie des prêtres. Au XVIIe siècle, certain Diego La Matina, accusé d'hérésie, réussit à tuer l'inquisiteur espagnol dans les couloirs de sa prison, en lui assénant de ses menottes plusieurs coups à la tête. Pour cet acte de courage et de foi dans l'homme (car l'hérésie ne consistait qu'à rappeler la doctrine sociale des évangiles), Diego La Matina, après d'infâmes tortures où il refusa de se rétracter, périt sur le bûcher. Encore un « caractère », quelqu'un qui croit et qui agit en conséquence. Sciascia rappelle en passant comment, aujourd'hui encore, on considère les prêtres en Sicile : comme une classe privilégiée, à qui la confession donne la liberté sexuelle de chasser sur le terrain d'autrui. Le célibat constitue leur ruse suprême : aucune femme ne disposant de leur « honneur », ils ne courent pas le risque de se retrouver cocus. Les voilà donc invulnérables. Auteur de romans historiques, Morte delle'lnquisitore et le Conseil d'Egypte, Sciascia fouille les archives de Sicile. Auteur de romans policiers, le Jour de la chouette et A ciascuno il suo, il procède avec la minutie du limier. Dans les deux cas, la démarche est la même : Sciascia enquête. Il enquête dans le passé de la Sicile, afin de récupérer les quelques héros authentiques retombés dans l'oubli par la

iaute des défaitistes et des cyniques. Il enquête dans le présent, afin d'indiquer où se trouvent, parmi tant de mensonges et de contradictions, la lucidité, l'honneur, le courage. Impitoyable pour les défauts siciliens, mordant satiriste, il s'emploie à repérer les îlots de résistance, les exemples à suivre, les champions d'une éventuelle renaissance. Il s'y emploie avec la modestie du paléographe et avec la patience du détective . Modestie et patience d 'autant plus remarquables qu'il est bien plus tentant, dans le marasme général, de se laisser glisser à la dé· rive, de sombrer avec le navire, dan!) le gouffre exquis du nihilisme intégral. .

Un mythe de la maturité Si tous les autres écrivains SICIliens vivent sur le mythe de l'enfance , Sciascia propose un mythe de la maturité : l'énergie au service de la raison. Le plus admirable, c'est que cette leçon d'intelligence et de civisme nous est administrée sans la moindre lourdeur didactique. Une accumulation de petits faits précis. pittoresques, de traits qui portent, avec une préférence pour l'arme comique : voilà tout l'art de Scia~­ cia. Des détails, uniquement des détails, dépouillés de la gangue oratoire. Si l'on pense le plus souvent à Voltaire, à Beaumarchais et au siècle des lumières, Molière n'est pas loin, et Stendhal non plus. Au lieu de « l'honneur », ce thème si typiquement sicilien, fait de rodomontades que crève la première chiquenaude, Sciascia introduit l'idéal de la virilité, qui ne consiste en rien d'autre que dans le goût de l'exactitude et du .travail accompli. Insensible au vertige crépusculaire où les hommes du soleil se délectent, Sciascia prouve qu'un esprit sain n'est pas un esprit inférieur. Inutile d'ajouter qu'il occupe une position isolée, Don seulement en Sicile, mais dans toute l'Italie. Les Italiens, comme le faisait déjà remarquer Leopardi, se' moquent de tout, à commencer par eux-mêmes. Les vicissitudes malheureuses de leur histoire leur ont appris que le seul moyen de combattre un sentiment intolérable d'échec, c'est de tourner en dérision tout effort, celui des autres et le sien. Avec Sciascia, originaire pourtant de la province la plus éprouvée, la plus piétinée d'Italie, on voit pour la première fois le rire employé, non point à détruire la dignité humaine, mais au contraire à la restaurer. Dominique Fernandez 1. Racalmuto, dont il écrivit la douloureuse, invraisemblable chronique dans son premier livre, le Parrocchie di Regalpetra, Lnterza éd., 1956. 2. Einaudi éd., 1961. Trad. française , Fla=arion, 1962. 3. Einaudi éd., 1963. Trad. française, De· noël, « Les Lettres nouvelles », 1965. 4. Einaudi éd., 1966. 5. Leonardo da Vinci éd., 1965. 6. Laterza éd., 1964.

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ART

Erotique de l'Espagne Xavier Domingo Erotique de l'Espagne Nomb. illust. J.-J. Pauvert éd., 258 p.

Pour le littéraire comme pour le touriste, l'Espagne reste une contrée d' « érotisme chrétien » : honteux, furtif - ou au contraire étalé. Don Juan le confirme qui n'avait pu naître que dans l'esprit d'un moine. Plus meurtri par l'expérience du monde, Cervantès, pourtant, accorde à son « ingénieux hidalgo » des amours seulement chimériques, c'est-à-dire chastes. Cet illogisme flagrant, divers fanatismes complaisamment entretenus (au même titre qu'une théâtralisation insistante du moindre geste) laissent donc soupçonner un riche terrain offert aux déviations et aux sublimations les moins banales. La plupart des ouvrages qui, dans la « Bibliothèque Internationale d'Erotologie » de Lo Duca, ont abordé l' « Enfer » des principales aires culturelles d'Europe n'ont guère établi qu'un catalogue chronologique des manifestations littéraires ou plastiques essentielles. Le livre de Xavier Domingo, pour sa part, se risque à la psychanalyse d'un peuple et sa réussite exemplaire est d'emporter toujours l'adhésion et d'abord par une tenue littéraire remarquable. Résumer ici la thèse très cohérente soutenue par l'auteur serait déflorer l'intérêt d'une étude qui a le mérite d'utiliser toutes les ressources de l'histoire, du folklore et de la tradition cultivée. Au seuil de cette Erotique de l'Espagne, Xavier Domingo constate cependant que les chefs-d'œuvre universellement admirés n'ont pu imposer qu'une idée trompeuse du comportement érotique espagnol. A ses yeux, ni Don Juan ni Don Quichotte ne sont viables en la péninsule, mais seulement les personnages essentiels d'un mélodrame qui, par sa spécificité même, passe plus difficilement les frontières : la Célestine (1499) de Fernando de Rojas l . Le type le plus courant serait le « Calixte » (le vierge, le vivace et le bel), le plus voyant et le plus décisif étant la Célestine, c'est-à-dire la maquerelle. Pour Calixte toujours le désir sera chose encombrante et insoutenable ainsi que la vache vautrée sur un lit, dans l'Age d'or de Bunuel. La divinisation ou le blasphème viendront seuls à son secours, si bien qu'avant Sade, le langage amoureux d'Espagne en apparaît théologique. Objectiver ou réaliser son désir suppose ainsi la présence d'un tiers par lequel s'accélère une dévaluation décongestive, présence qui symbolise donc la mort. Ainsi s'installe la Célestine, vieillarde obscène dont la fonction d'entremetteuse est indispensable à une mentalité érotique impatiente au point d'en rester toujours adolescente. Et notre auteur, allant plus loin, conclut : « Dans d'autres aspects de la vie 16

en société, l'Espagnol se comportera de même rarement en adulte. » Célestine perdure par le fait même de cet infantilisme. Xavier Domingo en souligne avec pertinence les conséquences religieuses, politiques et philosophiques, mais de ce « blocage », il trouve la source dans une « faute » historico-religieuse d'importance : « Ce pays chrétien est tombé aux mains de l'infidèle au début du VIlle siècle. L'invasion musulmane a été ressentie comme un châtiment (causé par) le plus terrible des péchés. » Et ici la légende et l'historien viennent au secours de l'analyste, la « faute » ayant été commise par le roi Don Rodrigue avec la fille d'un vassal vivant au Maroc. Dans le Romancero, l'Islam sera réputé vouloir venger l'honneur de son prince par « la ruine totale de la terre hispanique ». Il est caractéristique que la « souillure » islamique soit donc

après René NellF, sur un grand J .-K. Huysmans nombre de citations mozarabes pour Trois primitifs éclairer son propos. . Les Grunewald du Musée Hélas ! la Contre-Réforme, le de Colmar cc Quichottisme », l'Inquisition Le Maître de Flémalle consacreront vite l'assassinat de ces , et la Florentine du Musée potentialités bourgeonnantes, insde Francfort taurant « l'abolition de la liberté Flammarion éd., 188 p. d'aimer ». Les voluptés de l'honneur et les problèmes de la Grâce B. Blumenkranz donnent dès lors à l'Espagne un Le juif médiéval au miroir conservatisme définitif, à peine troude l'art chrétien blé par des hérésies d'inspiration Editions augustiniennes, 160 p. soufi (doctrine du Puro Amor, 1627. Hipolito Lucena 1959) et par des écrivains vite contraints à l'exil. Pour Félix Fénéon, Huysmans Seul, au XVIIIe, un Goya sut pro- fut « l'inventeur de l'impressionposer une synthèse (toujours définisme » et pour Claude Monet, gurée depuis) entre les potentiali- « jamais on n'a si bien, si haut tés « orientales » et le masochisme (que lui) écrit sur les artistes mochrétien qui se partagent l'âme es- dernes ». De fait, les Salons pupagnole. Domingo conclut amère- bliés en feuilleton dès 1879 révèment : « Le Xx e siècle verra se 'lent un talent de détection peu continuer la lutte entre les deux commun. Moquant les gloires offiEspagnes, celle de la peur et celle cielles, le futur auteur d'A rebours de la Liberté. » y loue Degas, Renoir, Manet, Pissaro et s'enchante de découvrir chez Redon et Moreau une recherche de l'étrange en harmonie avec sa propre démarche. Mais Huysmans ne s'en intéressait pas moins aux peintres du passé et en particulier aux primiClr!OS Pradal . Exptrim(( tifs qu'une fréquentation assidue du Louvre et des musées belges et hollandais lui avait rendus familiersl~ Aussi pourrait-on légitimement s'attendre à trouver dans le "volume publié en 1904 sons le titre Trois primitifs le témoignage d'une sensibilité orientée au rebours du goût de son temps et, à propos de Grunewald, des aperçus insolites sur cette peinture allemande aujourd'hui encore si peu reconnue en France. Hélas, il n'en est rien. Hypothèses d'érudition infirmées ou dépassées par la science actuelle, descriptions de tableaux fastidieuses et littéraires, tel est le butin que Huysmans rapporta d'un voyage en Allemagne entrepris en 1903 avec son directeur, l'abbé Mugnier. Du point de vue de l'histoire de l'art ou des idées sur l'art, cette entraînée par un désordre sexuel. Elle a beau jeu, dès lors, d'ignoLa sexualité espagnole. de siècle en rer les conquêtes de la psychana- mince plaquette ne méritait pas une siècle, restera ainsi liée à des melyse et de mettre à J'index son réédition. Davantage, la forme de naces fabuleuses , ce qui multiplie Lawrence méconnu en la personne cette réédition est elle-même conbien sûr les collusions de l'érotique de Felipe Trigo. 11 n'en reste pas testable. Le texte de Huysmans y et de la théologie. La conséquence moins que, par la couleur même de est offert dans sa nudité, sans aucune note qui permette de le première de ce « moralisme ,) chré- son langage, r Espagne ne hénéficie tien est de donner une très grande pas d ' un matériel de pensée immé- situer ni dans l'œuvre de l'auteur, liberté aux gens d'Eglisp , seuls sus- diatement éthéré . Trop de raucités ni dans l'histoire de la sensibilité ceptibles d'arracher à Dieu les clé- et de chocs rythmiques, trop de esthétique. (On n'a même pas rapmences nécessaires. Plus encore que couleurs éclatantes y réveillent l'ani- pelé l'homologie des tortures grudes curés paillards, l'Espagne sera mal superbe et, en ayant fait toutes newaldiennes et de la souffrance donc la terre d 'élection d 'hérétiques ses citations en version bilingue, chez Huysmans, ni que celui-ci acharnés à mettre sur pied un né- Xavier Domingo nous le rappelle mourut en contemplant une reprocessaire thomisme érotico-théologi- éloquemment. Son ouvrage en de- duction de la crucifixion de Gruneque. vient aussi résolument beau qu'il wald. En revanche, l'essai du roSelon Xavier Domingo, la luttt> est psychologiquement révélateur et mancier a été complété par « l'état scientifique de la question » à mort de l'Islam et de la Chré- magistral. l'œuvre peint de trois maîtres tienté devait prendre dans t'inMarcel M arnat (Grunewald, Van der Weyden, conscient l!spagnul des aspects plus Maître de Flémalle) réduits au déintéressants encore. Sacrifiant quel- 1. L 'œuvre est actuellement représentée que peu à une conception assez au Théâtre du Vieux-Colombier, mais la nominateur commun de la grisaille et du mini-format. livresque de l'érotisme arabe, notre dernière édition française semble remonauteur répartit entre les deux reli- ter à L952. Présentée et établie par le Pourquoi, au lieu de faire appel regretté René-Louis Doyon, elle avait été gions les traits dominants de la publiée par le Club français du livre. à l'attrape-nigaud des primitifs, les mentalité ~bérique, s'appuyant, 2. Erotique des Troubadours. auteurs de la réédition n'ont-ils pas


De Shylock à HuysDlans

Augsbourg, XllI< siècle. Psautier

mis en valeur le seul intérêt de ce livre qui n'est point la peinture peinture, mais la peinture sociale, plus précisément la description des juifs en Allemagne. Passées sous silence par les biographes de Huysmans, ces pages qui le montrent « immédiat.et atroce dans ses jugements, grand créateur de dégoûts », tel que Valéry se le remémorait, comptent cependant parmi les chefs-d'œuvre de l'antisémitisme . Voici comment Huysmans vit Francfort en 1903 : « L'emphatique et insolente opulence de la ville, son goût de parvenue, la redondance de son éclairage et de ses boutiques, tout est en accord avec les appétences, avec la nature, avec les instincts mêmes du juif ... Francfort n'est pas une pouillerîe agrémentée d'affections ophtalmiques et de maladies du derme. Les spécimens de la race immiscible y sont moins atteints et plus variés ... : les visages aux tignasses de varech, au mltfle de bouledogue, aux yeux de chouette, aux joues modelées dans le suif et la pommade rosat, aux bouches lippues et sans menton, s'y rencontrent avec des figures moins rondes, aux toupets roux et en escalade, à la barbe rare, aux yeux bulbeux, en orgeat ou en gomme, au nez crochù, coupant presque, avec la pointe de sa serpe, l'énorme lèvre pendante du bas, une lèvre de fond d'omnibus, de train de jument. Il Angleterre, Xll' siècle, Psautier.

Ce n'est là qu'un échantillon. Mais la précision des images renvoie une fois de plus au problème de leur genèse. Les origines de cette schématisation physiognomonique constituent l'un des thèmes d'un ouvrage dont la lecture, aisée malgré son érudition, est servie par une iconographie bouleversante et à peu près inconnue. Cent cinquante-neuf images, empruntées pour la plupart à des manuscrits, mais aussi à des ivoires, émaux, sceaux, vitraux, sculptures et tableaux, illustrent page à page le déroulement du texte et nous font assister à la naissance et au développement de l'antisémitisme médiéval. L'image spécifique du juif naît tardivement dans l'iconographie chrétienne : il faut attendre pour cela que le juif fasse problème pour la conscience contemporaine, c'est-à-dire (( l'été fatidique Il de 1095 et la première croisade (1096) à l'occasion de laquelle il est assimilé au Sarrasin. On cherche vainement, dans l'imagerie carolingienne ou othonienne à distinguer juifs et chrétiens. Après 1096, au contraire, le juif apparaît, mais représenté dans les scènes de l'ancien ou du nouveau Testament, sous les traits du juif contemporain, tel que pouvaient l'observer les artistes du haut moyen âge. Ce sont d'abord des caractères artificiels, acquis qui servent à le représenter. Traits empruntés à des coutumes juives comme la barbe ou les papillottes ; traits vestimentaires imposés par les chrétiens (rendus obligatoires par le quatrième Concile de Latran en 1215) comme la rouelle ou le chapeau pointu ; traits professionnels enfin, comme la sacoche d'argent, symbole des prêteurs. Mais, l'antisémitisme que chaque croisade attise réagit sur l'image, et la figure du juif ne tarde pas à être investie d'une puissante charge symbolique : celui-ci va signifier le mal et le vice, l'hérésie et la mécréance. Pour les enlumineurs du XIIIe siècle il ira de soi de représenter, marqués de la rouelle ou du bonnet pointu les infidèles et tortionnaires de tout poil, et l'illustrateur de la Bible moralisée de 1250 qui nous montre l'enfer peuplé exclusivement de bonnets pointus n'est qu'un exemple parmi les nombreux artistes qui ont fait rôtir le juif chez Satan. Dès lors, tout au cours du XIIIe et du XIVe siècles, on assiste à une contamination permanente entre la représentation allégorique et la représentation historique, à une constante dialectique de l'image et du sens. C'est au cours de ce processus qu'apparaît la caractérisation physique du juif, destinée à exprimer son appartenance au mal et sa cruauté : yeux bulbeux ou aigus comme des couteaux, nez crochus, lèvres féroces servent à le 'dans un système de valeurs.

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 mai 1967.

B. Blumenkranz reproduit en particulier quelques caricatures d'un manuscrit anglais de 1271 qui évoquent le personnage de Shylock et pourraient illustrer le chapitre de Poliakov sur l'antisémitisme de l'Angleterre médiévale et la persistance de certains de ses archétypes dans la littérature élisabéthaine. Une fois l'apparence physique du juif marquée par la méchanceté essentielle qu'on lui prête, celleci, rendue plus frappante, plus obsédante aussi par l'image, va à son tour retentir sur le récit iconographique et l'altérer. Ce seront d'abord des exagérations : scènes de circoncision présentées comme des tortures rituelles, Jésus lapidé par des enfants juifs, Judas donnant son baiser à un Jésus solitaire. Puis la tradition historique

cret et à l'expérience de la réalité quotidienne. L'auteur achève son ouvrage sur quelques exemples dans lesquels la fidélité au texte biblique prend valeur de témoignage en faveur des juifs, et, il reproduit en particulier un Souper d'Emmaüs emprunté au psautier de saint Louis (manuscrit anglais du XIIIe siècle) où, cas unique, Jésus est coiffé du bonnet pointu. Mais, ce ne sont là qu'exceptions dans ce catalogue systématique qui constitue comme le volet visuel complémentaire de l'Histoire de l'antiséo mitisme de L. Poliakov2 • Nous y saisissons sur le vif, à la fois au niveau de l'expression plastique et au niveau de l'imaginaire, l'interrelation de la figuration et du discours, la dialectique du sens et de

France, XllI' siècle. Bible moralisée, détail d'une enluminure.

sera falsifiée : Ponce Pilate portera le bonnet et la rouelle, les soldats romains de la Montée au calvaire, de la Crucifixion et de la Flagellation seront judaïsés comme le porte-lance et le porte-éponge. Enfin viendra l'invention pure : représentation des sacrilèges commis par les juifs du moyen âge ou encore trouvailles iconographiques, telle celle du coup de lance de Synagogue contre l'agneau mystique dont P. Blumenkranz pense qu'elle (( est peut-être au départ de l'horrible série de procès pour profanation d'hosties » qui se succèdent au XIIIe siècle. Et dans tous ces cas, l'impact de l'image du juif sur l'affectivité médiévale sera renforcé par l'anachronisme de cette représentation, puisque aussi bien, parmi les personnages bibliques vêtus à l'antique, le juif seul est, par son vêtement, relié au con-

l'image. Surtout, nous sommes confrontés avec la toute-puissance de l'image, immédiate dans son action, obsédante, irrémédiable, et nous mesurons le poids dont les caricatures et les symboles créés par les artistes du haut moyen âge ont pesé sur la conscience (et l'inconscient) de l'Occident. Et, lorsque après avoir refermé le luif médiéval le lecteur revient à Huysmans, médiéval et médiéviste, il lui semble voir, sous les portraits des juifs de Francfort, surgir en filigrane les sculptures du jubé de Naumbourg et les hideuses caricatures des manuscrits anglais. Françoise Choay L Voir le Drageoir aux épices (1873) el nombreux articles de journaux (sur Hals. Rubens) publiés dans les années 1870. 2. Tome 1. Du Christ aux Juifs de Cour. Calmann·Lévy éd. 17


BIBLIOPHILIE

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Blaise Cendrars Du Monde Entier Eaux-fortes de Ramondot Société des Bibliophiles de France chez Michel Kieffer 46, rue Saint-André-des-Arts, Paris.

Pour son douzième ouvrage, la « Société des bibliophiles de Fran-

ce » a élu le recueil de Blaise Cendrars : Du Monde Entier. C'est un choix heureux. Sous ce titre de 1919 (N.R.F.) Cendrars a réuni trois œuvres essentielles, étapes poétiques de sa vie aventureuse : les Pâques à New-York, œuvre de 1912 dont le manuscrit, lu et communiqué à Apollinaire lui inspira certainement Zone et, avec plus de réminiscences encore, un passage d'Arbre, deux pièces majeures d'Alcools. De la seconde, la Prose du Transsibérien, Sonia DelaunayTerk fit, en 1913, le premier « livre simultané ». Quant au Panama ou les aventures de mes sept oncles, c'est un poème de 1918 publié avec 25 tracés des chemins de fer américains (La Sirène). A ce tryptique, ~ais tout en distinguant ses éléments par un même Vergé de différentes couleurs gris pour le premier, brun pour le second, jaune pour le dernier l'éditeur Michel Kieffer a' conféré une élégante unité par la typographie soignée, assumée par Fiquet et Baudin, et par une mise en page assez classique qui, à juste titre, ne reprend pas toujours la forme compacte ou arbitrairement tronçonnée qu'avait dans certaines éditions une partie du texte. L'illustrateur, Jacques Ramondot, ancien Prix de Rome qui n'ignore pas Villon, a parfaitement assimilé l'œuvre de Cendrars en 23 eaux-fortes dont les sujets touffus exigeaient, pour éviter l'encombrement des motifs, cette maîtrise du trait et des plans qui séduit ailleurs, d'lns une exposition des sobres :. ~anches que lui ont inspirées les marées, les carénages, des poissons. Il était audacieux de vouloir traduire, par le seul jeu des noirs ef des blancs, ce que Cendrars accumula dans ses poèmes qu'il définissait « de circonstance. Ils s'inspi18

rent de la réalité ... Je n'ai que faire connaissant et célébrant mieux des poèmes qui ne reposent sur qu'un Kerouac toutes les routes et rien. » Surtout, le Transsibérien et les steamers du monde, il fut un le Panama débordent d'anecdotes, « nomade savant » selon le jugede souvenirs mêlés. Cendrars lui- ment de son compatriote Jean Buhmême s'en raillait: « comme mon 1er qui, en 1960, le revendiqua ami Chagall - (un jour, Cendrars comme une des « célébrités suisajoutera « qui avait du génie avant ses», (Editions du Panorama. 1914 ») - je pourrais faire une Bienne). Cendrars, pourtant, dès série de dessins déments... Mais je 1932, avait, dans les caricatures n'ai pas pris de notes de voyages. Je amères de V ol à voile, une fois de m'abandonne aux sursauts de la plus répudié patrie et famille, samémoire. » Si, dans Pâques à New- chant seulement gré aux siens, surYork, il les disciplina dans des tout à sa mère, d'avoir disséminé dyptiques d'une forme encore clas- de New-York au Panama les ausique digne de Remy de Gourmont thentiques oncles de son poème. qu'il admirait, il se livra, comme Encore enfant, il fut vraiment en transe, dans ses poèmes ulté- « l'homme aux semelles de vent ». rieurs, à la tempête des images re- Il ne fut pas poète puis aventurier. cueillies de ses aventures. Le gra- Il fut l'un et l'autre, l'un par l'auveur les connaît. Pour bien inter- tre, tirant maintes fortunes vite préter, par le dessin, la révélation perdues et durables images poétiautobiographique des trois volets ques de la contrebande des perles, Du Monde Entier, il ne lui fallait de l'apiculture, près de Meaux, en rien ignorer de l'étonnante exis- 1902, la même année où il fut étutence du jeune Cendrars. Quand, diant en médecine à Berne. C'était dans ses livres de prose, il la conta aussi le modeste bagage universiavec verve et quelque outrecuidan- taire d'un famélique Charlie Chace - « On a beau ne pas vouloir plin avec qui, jongleur, il partagea parler de soi-même il faut parfois en 1909 le plateau d'un miteux crier. » elle parut relever de music-hall de Londres où se prol'imagination la plus déréglée. duisait également un prétendu Pourtant, toute cette invraisemblan- champion du monde de diabolo, le ce n'est qu'authenticité et. il n'est futur éditeur du surréalisme, Luaucun d~s evenements juvéniles cien Kra. Ce n'est donc pas par chantés dans l'épopée du Transsi- hasard que, dans le sombre Manhattan qua d r i 11 é de Pâques à bérien qui ne soit d'eXpérience. Cendrars, qui s'appelait Louis- New Y ork, le g r a v e u r Jacques Ramondot fait voisiner Charlot et Frédéric Sauser, naquit en 1897 à la Chaux-de-Fonds, pas loin de la Croix pas plus que ce n'est par Jeanneret-Le Corbusier, d'un père caprice surréaliste que dans une qui rimait aux heures de loisir que des belles planches du Transsibélui laissaient l'amour bien helv~ti­ rien, au-dessus des maigres touffes que de la bière et du tir au pistolet de la toundra, cahote une charretet un génie brouillon des affaires te à la Chagall, qu'ailleurs, la faucille et le marteau dominent la vihasardeuses qui le conduisit, famille mêlée aux bagages, de l'Egypte vante danse des bielles et des où il fonda trop tôt le premier hô- roues qui fait penser, dans l'orchestel touristique, à Naples en pas- tration des blancs et des noirs sant par Londres. Son conformiste d'acuités diverses à Pacific 231 pays natal, Sauter l'abandonna à que Honegger, autre Suisse, comseize ans, s'évadant de corniche en posa pour répondre à l'appel qu'abalcon, de la chambre où l'avaient vait paru adresser Cendrars aux enfermé ses parents effrayés, moins musiciens, en leur dédiant cette de ses imprudences de motocyclis- cantate du cosmopolitisme qu'est te, pétaradant sur une machine la Prose du Transsibérien. Qu'il é v 0 que, bien avant non payée, que de ses exploits d'amoureux précoce. Il était, alors, Alexandre Blok, le monde entier élève d'un institut commercial, re- et la révolution russe - pour lacordman de l'école buissonnière quelle, dit-on, Cendrars prépara de avec 375 heures d'absences injus- Finlande quelques bombes avec tifiées. Précurseur des beatniks, son amie Lenotchka - ce poème

est aussi d'amour, offert au souvenir de Jehanne, petite prostituée, évoquée, entre deux fragments du monde et du temps traversés, en vers soudain apaisés, presque élégiaques. Le souvenir de la « fleur candide, fluette » s'associe à Paris, se confond avec la dernière halte, la « Ville de la Tour unique du grand gibet et de la Roue ». Le graveur l'a bien vue comme elle subjuguait Cendrars. C'est, suggérée par un fronton, « la gare centrale débarcadère des volontés, carrefour des inquiétudes » ; ce sont les noms des femmes perdues ou attendues mêlés aux éclaboussures des panneaux publicitaires ; c'est la grisaille des quartiers sordides d'où parviennent à émerger « les vaches du crépuscule broutant le Sacré-Cœur ». Ramondot, par l'exégèse du trait , a retrouvé dans cette synthèse graphique, et presque éclairé, le passage exaltant Paris où quelques années plus tard, Cendrars était, lui, le vagabond du « monde entier », réduit à errer entre vingt-sept domiciles des banlieues sinistres, griffonnant de la main gauche que lui avait laissée la guerre Panama ou les aventures de mes sept oncles. C'est une fresque parfois tendrement caricaturale, avec de lyriques élans à la W aIt Whitman, en laquelle revivent ces frères de sa mère dont les cartes postales ' enchantaient son enfance : le boucher de Galvestown; le chercheur d'or en Alaska; celui qui, valet ou ordonnance, servait quelque Excellence ; un autre qui fut astronome en Patagonie; le dernier dont le sort resta ignoré. A chacun d'eux, dans le style naïf des premières images américaines, Ramondot consacre une planche un peu humoristique. L'ensemble compose comme l'arbre généalogique de l'aventurier Cendrars, prospecteur du monde entier, le conquérant par le poème qui le définit, comme ses oncles en triomphaient par leurs humbles métiers d'émigrants, défricheurs de forêts ou barman de western vendant le rêve avec l'alcool. Dans le texte a été glissé le facsimilé d'une affiche du vieux Denvers, décrivant sa « Résidence City », son « Commercial Center » et dont un autre exemplaire habille l'emboîtage lui donnant, par le pliage, un aspect et des coloris un peu surréalistes, voire orphiques. C'est un rappel discret mais de bon aloi des goûts de l'époque où les Delaunay parrainaient Cendrars. Le livre fait honneur à son réalisateur, l'éditeur Michel Kieffer, à la Société des Bibliophiles de France qui le réserve à ses 120 membres. Déjà, l'an dernier, elle avait inscrit à son bilan le Gustalin de Marcel Aymé, dont l'humour avait inspiré à Bardone de belles aquarelles, fraîches comme toute son œuvre de grand peintre, mais méditées pour rester fidèles au texte. Lucien Galimand


PSYCHOLOGIE

Au · commencement était la reponse #

J.

Piaget Biologie et Connaissance Gallimard éd., 432 p.

Ce qui surprend dans ce livre et lui donne un charme insolite, c'est que les questions traitées à partir de la biologie et de la psychologie correspondent aux préoccupations centrales de la philosophie classique. Que les réponses soient faites pour satisfaire le philosophe, le dire serait exagéré. Aussi, n'estce pas là le but de l'auteur qui, animateur d'un véritable atelier de recherches et rejetant comme peu sérieux tout discours théorique non fondé sur l'expérimentation, se veut homme de science. C'est ainsi qu'il écrivait dans un livre récent: « Le critère de réussite d'une discipline scientifique est la coopération des esprits. Depuis ma déconversion de la philosophie, j'ai été de plus en plus persuadé que toute production purement individuelle était entachée d'u~ vice rédhibitoire et que, dans la mesure où l'on pourrait en venir à parler du système de Piaget, ce serait un signe probant de mon échec. » Il y a du paysan du Danube chez notre auteur. Bousculant les traditions, violentant les classifications, critiquant une philosophie à partir des acquis de la psychologie, il se so:ucie peu du goût universitaire pour la différ~nce des genres et leur hiérarchie. Horloger suisse, il agence avec minutie, progresse avec lenteur, et, à l'abri des précipitations mondaines ou des fausses urgences du moment, il bâtit une « science ». Il y réussit au sens où, en effet, il n'y a pas de « système de Piaget ». Mais le doute qui subsiste n'en est que plus grave. C'est celui de la possibilité même d'un tel type de psychologie, de la constitution par elle d'un ob-· jet qui lui soit propre et de l'élaboration d'une « théorie» qui en rendrait compte. Comment comparer de façon rationnelle les mécanismes cognitifs aux processus organiques ? Jusqu'à quel point peut-on pousser la correspondance entre les structures et les fonctions de l'organisme avec celle des diverses formes de connaissance, et lui donner une solution biologique ? TeU,s sont les questions directrices de l'ouvrage. Ce qui est premier, c'est la relation dynamique de l'organisme et de son milieu. En elle, il faut retrouver l'origine et l'histoire de l'intelligence. Les fonctions cognitives qui, par une série d'intermédiaires remarquablement continus vont des habitudes élémentaires à l'intelligence sensori-motrice et à l'intelligence « conceptuelle» sont, à tous les niveaux, liées à l'action. Connaître un objet c'est l'incorporer à des schèmes d'action. Un objet ne constitue un stimulus que dans la me-

sure où l'être lui est sensibilisé, c'est-à-dire dans la mesure où l'objet « signifie». Cette signification résulte de l'assimilation du stimulus à un schème dont la manifestation constitue la réponse. Comme le dit un de ses élèves que Piaget cite : « au commencement était la réponse », phrase aux résonances combien kantiennes ! Ce que fait Piaget c'est mettre à jour les structures de l'objectivité, découvrir qu'elles sont multiples et qu'il y a donc plusieurs « mondes », de la perception à la pensée logicomathématique; c'est d'analyser leur devenir et rapporter le tout non à un « sujet transcendantal », mais à l'être biologique même. Ainsi il poursuit, approfondit, précise et corrige les recherches de J.-V. U exkull. Pour rendre compte de la dialectique de ces fonctions cognitives, Piaget unit « genèse» et « structure» dans la notion d'équilibre. Cet équilibre n'est pas statique, mais contient en lui la possibilité de son dépassement du fait de la relation de l'organisme et du milieu. L'assimilation implique non une fixité des structures, mais une possibilité de leur modification sans discontinuité avec l'état précédent. Un schèm!? n'a pas de commencement absolu mais dérive toujours par différenciations successives de schèmes antérieurs qui, de proche en proche, remontent aux mouve· ments spontanés initiaux. Les schèmes cognitifs dépendent donc en dernière analyse de coordinations nerveuses et de coordinations organiques sans que cette dépendance puisse être identifiée à une réduction mécaniste. La connaissance est solidaire de l'organisation vitale en son ensemble. Elle manifeste le caractère essentiel de la vie : l'autorégulation. Passant du parallélisme établi méticuleusement entre les problèmes de la psychologie et de l'embryologie à un parallélisme plus profond entre l'organique et le psychique, notre auteur tente d'organiser les divers domaines autour de la notion d'équilibre, au moyen du raisonnement par analogie. Entrant, peut-être, en philosophie sans s'en rendre compte (ce qui est bien la pire manière d'y entrer), il énonce la grande hypothèse de son tra.vail : « Les processus cognitifs appa. raissent comme la résultante de l'auto-régulation organique dont ils reflètent les mécanismes essentiels et comme les organes les plus différenciés de cette régulation au sein des interactions avec l'extérieur, de telle sorte qu'ils finissent avec l'homme par étendre celle-ci à l'univers entier. »

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 mai 1967.

Constituant l'objet de sa biologie avec des concepts importés d'autres sciences et, en particulier, des sciences physico-chimiques, le

savant retrouve - oh ! surprise ! ce que lui-même a mis dans sa recherche. C'est la naïveté ontologique qui rend possibles ces synthè. ses hardies que leur caractère ma· térialiste ne rend pas plus convaincantes que la synthèse teilhardienne. Piaget établit des vérités que lui· même qualifie de « banales ». Il les établit par observation et expérimentation, ce qui est autre chose que de les établir à partir de présupposés métaphysiques. En ce sens sa démarche paraît non seulement légitime, mais particulièrement sé· rieuse. A partir de ces vérités, il élabore une « théorie » dans laquelle le « fonds commun biologique » devient sol originaire et source de lumière totale. La chose est sédui· sante. Est·elle légitime ? Il ne s'agit pas de la contester au nom d'un quelconque spiritualisme mais au nom de l'illégitimité du passage de la science à la métaphysique. On n'échappe pas à la question transcendentale en fermant les yeux. Il reste qu'on est confronté à un livre comme il y en a peu. On aimerait que parmi ses lecteurs se trouvent ces professeurs de philo.

sophie qui, dans les lycées, se voient chargés d'enseigner la psychologie. Ils y apprendraient à mieux différencier le projet des psychologues de cette « psychologie » phi. losophique où les intuitions spinozistes, les pages littéraires de Bergson ou d'Alain, la « madeleine » de Proust et les descriptions phénomé. nologiques de Sartre (aussi sédui· santes que peu fondées) font ménage éclectique. La psychologie est ce qu'elle est. Elle pose un problème quant à son statut scientifique et quant à la consistance de son ob· jet. Mais il reste que c'est d'elle qu'on doit parler quand on parle dit psych?logie, ne serait-ce que pour la contester. André Akou11l Je voudrais signaler la réédition aux P.U.F. d'un texte fondamental, vieux de quarante ans et toujours d'actualité : la Critique des fondements de la psychologie de Georges Politzer. Depuis longtemps introuvable, cette œuvre qui fut révolutionnaire dans la grisaille de son époque, nous parle encore aujourd'hui non seulement par la finesse de son analyse critique de Freud, mais par la question qu'elle pose et le projet qu'elle appelle d'une psychologie « science » « automne ».

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Collection

!iUP

Série "le Sociologue" dirigée par Georges Balandier

Pierre Ansarl

SOCIOLOGIE DE PROUDHON

10 F

Dans la même collection:

Henri Lefebvre

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19


INÉDIT

Nietzsche Les éditions Gallimard publieront prochainement une réédition des œuvres complètes de Nietzsche augmentées chacune des inédits posthumes correspondant à la période de leur élaboration. Le texte intégral des inédits posthumes à été établi par les soins de MM. Coli et Moutinan (Edizione italiana condotta sui testo critico stabilito da Giorgio Coli e Mazzino Moutinan, Adelphi, Milano). Les fragments que· nous publions sont extraits de la série des inédits posthumes datant des a~n~es 1882-1883. On y trouve diverses ébauches du second Zarathoustra ainsi que de Par-delà le Bien et le Mal. La traduction est de Pierre Klossowski, qui a bien voulu nous communiquer ces fragments.

Ce qui vient L'aspiration proprement dite au néant. Guerres au nom du principe :., mieux ·vaut ne , pas être que d'être.fI. 4. Premi~re conséquence de · l~ .morale :' la vie doit être niée. Dernière conséquence de la morale : la morale à son to.ur doit être niée';I. S. A.

donc: la première conséquence en arrive à ceci: libératioxi. de l'égoïsme, libération du mal, libération de l'individu. Les nouveaux hommes « bons» je veux ») et les anciens h.ommes bons je dois»). Libération de l'art en tant que refus de la connaissance absolue. Eloge du mensonge. Récupératio~ de la religion.fB.

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Toute cette libération fait croître le charme de la vie. La négation la plus intérieure de la vie, soit morale, est supprimée. - De ce fait, commencement du Déclin. Nécessité de la barbarie (à quoi, par exemple, appartient aussi la religion). Il faut que l'humanité vive en cycles, l'unique forme de durée. La culture non pas la plus longue possible, mais la plus brève et la plus haute possible. - NOUS AUTRES A L'HEURE DE MIDI. Epoque.fC. Qu'est-ce qui détermine la hauteur des hauteurs dans l'histoire de la culture? L'instant où le charme est à son plus haut degré. Mesuré à ceci · que la plus puissante pensée est supportée, voire aimée1.fD. Le mensonge, c'est non seulement parler en dépit de ce que l'on sait, mais aussi de ce que l'on ignore.fI.22. De tous les Européens vivants et. qui ont vécu, j'ai l'âme la plus vaste: Platon, Voltaire - ceci dépend de situations qui ne relèvent pas entièrement de moi, mais de la « nature des choses » - je pourrais devenir le Bouddha de l'Europe: ce qui formerait à vrai dire le pendant de celui de l'Inde.fI.27. Pour ce qui est des héros, je n'en pense pas tant de bien: toutefois c'est la forme la plus aceeptable de l'existence, quand on n'a pas d'autré choix.fL32. De mon propre venin je fais le baume de mes infirmités.fI.33. 20

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fragDlents

Le nain parla ainsi: offrir à un nouvel esprit de vieux sacrifices, changer la vieille âme pour un corps nouveau.fL4S. Le sang ne justifie pas ; le sang ne rachète . pas. Je n'aime point ces êtres las de vivre.fI.46. .. Qui veut atteindre à la dernière connaissance, il lui faut aussi laisser derrière lui la véracité. La barrière de la connaissance ne saurait du tout être franchie à partir de la moralité·fI.66.

Quelqu'un qui a vécu enseveli de la sorte n'a plus aucune expérience particulière à vivre, mais n'éprouve que des symptômes du comportement général à l'égard de sa propre vie: et j'en ai rapporté des souvenirs horribles et ne suis pas en état de m'en libérer.fI.ll2. Tu n'as pas le courage de te perdre et de périr: et ainsi tu ne seras jamais quelque chose de nouveau. Ce qui pour nous aujourd'hui est aile, couleur, vêtement et force, demain ne doit être que cendres.fLll3.

Toute connaissance revient à communiquer. Le connaissant, le créateur, l'amant ne font qu'un·fL68.

But: atteindre en un clin d'œil au surhomme. C'EST POUR CELA QUE JE SOUFFRE TOUT ! Cette triade ! La vie extérieurement la plus paisible, parce que tant de choses s'accomplissent·fII.28.

Il faut que chez l'individu autant que dans l'humanité la régression et la déchéance en~ gendrent elles aussi leurs idéals: et l'on ne cessera de croire que l'on continue de progresser. L'idéal « singe » po.urrait à un moment quelconqUe Se dresser devant l'humanité - _en tant que but.fI.73.

Il faut qu'il soit possible d'expliquer le monde selon des buts, et le monde par le hasard: aussi bien en tant que pensée qu'en tant que vouloir, que mouvement, que repos ; aussi bien en · tant que Dieu qu'en · tant que Diable. Car tout ceci est le moLfII.34.

Pourquoi j'aime la libre-pensée ? pour autant que j 'y vois la conséquence dernière de la morale · qui a prévalu jusqu'alors. Etre juste envers toutes choses, par-delà toute inclination et aver.s ion, s'intégrer à l'ordre des choses, être au-dessus de soi; savoir se surmonter avec courage non seulement à l'égard de ce qui nous est personnellement hostile, pénible mais aussi au regard du mal dans les choses; avoir de la probité, même en tant qu'adversaire de l'idéalisme et de la piété, voire de la passion, et par rapport à la probité même ; un esprit tout de bonté envers toutes et chaque chose, et de la bonne volonté pour en découvrir la valeur, la justification et la nécessité. Renoncer à agir (quiétisme) par incapacité de dire: « il faut qu'il en soit autrement» reposer en Dieu, pour ainsi dire en un Dieu qui devient. En tant que MOYEN de cette libre-pensée je reconnus· l'égoïsme (1' « avidité de soi-même ») pour nécessaire, afin de ne pas être englouti 'dans le~ choses: en tant que lien et appui. Cet accomplissement de la moralité n'est possible que par un moi. Pour autant qu'il se comporte de façon vivante, structurante, convoitante, créatrice et qu'à tout instant il se · refuse à sombrer dans· les choses, sa force se conserve, qui est de .récevoir et de faire sombrer en lui-même · de plus en plus de choses. Ainsi la libre-pensée est dans le rapport au Soi et . à « l'avidité de soi-même» un devenir, un combat de deux contraires, elle n'es~ rien d'achevé, d'accompli, Di un état: c~est le moment où la moralité reconnllÎt qu'elle ne se peut maintenir dans l'existence et l'évolution qu'en vertu de son contrllire.fI.77.

Les bons presque sans valeur, dé·s ormais. C'est de la volonté religieuse des méchants que tout dépend! Il en a toujours été ainsi ! fL81. Le sang et le rayonnement de l'horreur fondent les Eglises.fL89. La parfaite connaissance de la nécessité suspendrait tout « il doit » - mais comprendrait aussi la nécessité de ces « il doit» en tant que conséquence du manque ' de connaissance. fLll1.

Ce xie sont pas nos perspectives dans lesquelles nous voyons les choses; mais les perspec. tives d'un être plus grand que notre espèce; , et c'est à l'intérieur de ses images propres que rious regardons.fII.3S. L'un cherche un accoucheur pour ses pensées, l'autre quelqu'un qu'il puisse secourir: de la sorte naît un bon entretien. Mais malheur, si jamais deux accoucheurs se rencontrent ! C.Jt n'est pas pour rien qu'ils sont armés de leurs forceps !fV.32.48. Il n'est pas facile de trouver un livre qui nous instruise autant que le livre que nous faisons nous-même.fV.ll9.161. Prends garde à celui-ci : il ne parle que pour avoir droit d'écouter ensuite, - alors que toi tu n'écoutes en effet que parce qu'il ne convient pas de parler continuellèment: c'est-à-dire que tu écoutes mal, tandis qu'il n'écoute que trop bien·fV.143.19S. L'irréprimable besoin de quelque chose et dans le même temps le dégoût de ceci, voilà ce qui fait le sentiment du vicieux.fV.18S. Volonté de vie? Au lieu de celle-ci .je n'ai jamais trouvé que de la volonté de.puissance.f VIL!.

La constante ardeur du zèle pour une cause, fût-elle la plus haute, la cause propre, comme tout ce qui repose sur la croyance · absolue, trahit un manque de noblesse spirituelle : noblesse dont la marque distinctive est toujours - le regard froid.fVII.2. J'éprouve comme pernicieuses parmi les natures humaines toutes celles qui ne savent plus être les adversaires de ce qu'elles aiment : elles corrompent de la sorte les meilleure" :::IlOjles et les meilleures pers.o nnes.fVII.3. Il est des personnes qui voudraient contraindre chacun à un oui ou à un non relativement à leur personne tout entière : Rousseau est du nombre; la mégalomanie qui' les affecte procède de leur méfiance à l'égard d'elles-mêmes. fVII.4.


L'on ne doit servir que celui qui, a mesure qu'on le sert, augmente en esprit, en victoire sur soi-même, en invention de nouvelles tâches - ainsi · il faut que, en tant que tu sers, ce soit à toi-même que tu auras été le plus profitable. jVII .195.231. LOrsque je voulus trouver le plaisir à la vérité j'inventai le mensonge et l'apparence le lointain et le proche, le passé et l'avenir, la perspectivité. Alors je mis au-dedans de moi l'obscurité et l'imposture et je me fis tromperie devant moi-même.jVII.208.244. Lorsque je conçus le but, je conçus également le hasard et la folie.jVII.215.252.

Le monde se tient là, achevé - coupe d'or du Bien. Mais le Dieu créateur veut également créer l'Achevé: c'est alors qu'il inventa le temps - et voici que le monde s'est mis à rouler en se désintégrant et de nouveau roule en grands anneaux et se réintègre soi-même, en tant que le devenir du Bien par le Mal - , en tant que le géniteur des buts, à partir du hasard.jVII.231.266. Que ta vie soit une multiple tentative; que ton échec et ta réussite soient une preuve : et veille à ce que l'on sache ce que tu as tenté et prouvé.jVII.249.

Frédéric Nietzsche

Il faut aussi surmonter la jeunesse atl-dedans de soi-même, si l'on veut redevenir enfant. JVII.5. Par nos intentions, nous rationalisons à nos yeux nos impulsions incompréhensibles : ainsi que le fait par exemple l'assassin qui légitime son penchant spécifique au meurtre eu égard à sa raison, en décidant de commettre un vol ou d'exécuter une vengeance.jVII.6. Le plaisir que toute morale garantissait jusqu'alors et garantit toujours, donc ce que jusqu'alors elle a obtenu consiste dans ce qu'elle donne à chacun le droit de lôuer et de blâmer, sans trop d'examen. Et qui donc supporterait la vie sans louer ni blâmer! jVII. 7. Je veux savoir si tu es un esprit qui crée ou si tu en es un qui transpose : en tant que tu crées tu figures parmi les esprits libres, en tant que tu transposes tu n'es que leur esclave et leur instrument.jVII.9. La raison est également une exception en moi, dit Zarathoustra : Chaos, nécessité, tourbillon des étoiles - voilà qui est aussi la règle chez les plus sages.jVII.77.97. L'on doit faire une fête de sa propre mort, ne serait-ce que par méchanceté pour la vie : pour cette femme qui veut nous quitter nous !jVII.78.98_ Chacun de nous deux a son avantage : qu'il est alors agréable de disputer! tu as la passion, moi les raisons !jVII.79.99. Je ne suis pas assez grand - pour ne pas éprouver ce sentiment; mais je le· suis assez pour ne pas en avoir honte.jVII.80.100. La Quinzaine littéraire, 15 au 31 mai 1967.

Je me suis dévoilé et n'ai point de honte à me tenir ainsi nu. La honte est le nom de cet esprit maléfique qui s'associa aux hommes lorsque la convoitise les entraîna au-delà de l'animal Discours auX animaux » ).jVII.82.

«(

Tu t'es vaincu toi-même; mais pourquoi ne te montres-tu à moi qu'en tant que vaincu? Je veux voir le victorieux : jette des roses dans l'abîme et dis : « Voici que je rends grâces au monstre, qu'il n'ait pas su m'engloutir! »jVII.92.114. L'homme méchant son Dieu et lui dit : toute · ma méchanceté de meilleur » - est mes.jVII.97.120.

qui s'agenouille devant « Je veux te servir de : c'est là ... ce que j'ai le plus pieux des hom-

Mainte action se fait pour en oublier une autre : il est aussi des actions « opiatiques ». Je suis là pour qu'un autre soit oublié.jVII. Je fais ce qui m'est le plus cher et à cause de cela même je redoute de le prôner en termes sublimes : je ne veux pas risquer de croire que ce serait sous la contrainte ineffable d'une loi à laquelle j'obéirais; j'aime trop ce qui m'est le plus cher pour que je veuille paraître agir sous sa contrainte.jVII.102.

Qu'est-ce qui conférait aux choses le sens, la valeur, la signification ? Le cœur créateur qui convoitait et qui créait par convoitise. Il créa le plaisir et la douleur. Il voulait se rassasier aussi de la douleur. Il nous faut prendre . sur nous toute souffrance qui ait jamais été soufferte par les hommes et les animaux et l'affirmer, et avoir un but où la souffrance reçoive I~ raison.jVII.172.206.

Vous ne devez pas désirer avoir un trop grand nombre de vertus. Une vertu c'est déjà beaucoup de vertu : et il faut être riche assez pour une vertu seulement. Vous devez périr pour qu'elle vive.jVII.250. J'aime celui qui pardonne à son adversaire non seulement ses coups manqués, mais aUjiSi sa victoire.jVII.252. J'aime celui qui n'attend pas de récompense de sa vertu, mais le châtiment et le déclin. jVI1.253. J'aime celui qui reconnaît caché dans le prochain le dieu souffrant, et qui a honte de la bête qui y était visible.jVII.254. J'aime celui qui prend sur soi l'injustice de ceux qui ne peuvent la porter : et ainsi, en tant que celui qui pâtit, il franchit le pont. Vous voilez votre âme : la nudité lui ferait honte. 0, puissiez-vous apprendre pourquoi un Dieu est nu! Il n'a pas de honte à ressentir. Nu, il est plus puissant! Le corps est quelque chose de mauvais, la beauté est une diablerie; maigre, affreux, affamé , noirâtre, sale, tel doit toujours se montrer le corps. Outrager le corps revient à outrager la terre et le sens de la: terre. Malheur au misérable à qui le corps semble mauvais et la beauté diabolique !jVII.262. Derrière tes pensées et tes sentiment! se. tient le corps et dans le corps se tient le Soi qui t'est propre : la terra ignota. Pourquoi as-tu ces pensées et ces sentiments-là? Le Soi qui t'est propre dans le corps veut en faire quelque chose.jVII.263.

Frédéric Nietzsche Traduction de Pierre Klossowski 1. La pensée de l'éternel retour du Même. (N. du T.)

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R.VUES

TIERS-MONDE

Enquete au Sénégal Le Nouveau

Comme~.

Dans le cahier 9 du NOlQveau Commerce . (78, boulevard Saint-Mièhel), printemps-été 1967,. une étude de Claude Vivien, intitulée • Copie " sur Bouvard . et Pécuchet et sur les environnements du dernier mot (non, nous ne dirons pas l'ultime message) de Flaubert~ C'est un essai un peu difficile à lire peut-être - mais les textes dont il traite sont eux-mêmes tellement difficiles à interpréter -, et qui se réfère implicitement et même explicitement à un article paru dans le n° 6 de la Ouinzaine Iittéraire_ Au sommaire du même numéro : une autobiographie en vers de Georges Perros sur le modèle du Chêne et chien de Queneau, et une fort intéressante correspondance entre Rilke et Lou Andreas Salomé.

L'Éphémère Dans le n° 2 de l'Ephémère : un souvenir de Freud (. Un trouble de mémoire sur l'Acropole .), des textes de Francis Ponge, Yves Bonnefoy, Philippe Jacottet. Poèmes de Jacques Dupin. Les œuvres du peintre flamand Hercule Seghers (1590-1661) représentée ici par de saisissantes reproductions suscitent d'excellents commentaires d'André du Bouchet et d'Yves Bonnefoy.

Une nouvelle revue aurréaliate : «L' Archibr_ » • Le surréalisme vient d'être atteint dans la totalité de son être et la question est posée de sa continuité ou non " écrit Jean Schuster en tête de la nouvelle revue surréaliste l'Archibras (n" 1). A cette question, posée par la mort d'André Breton, Schuster répond que • le surréalisme, en tant qu'interrogation du monde au jour le jour, ,inscrit en permanence la question des rapports du rationnel et de l'irrationnel • et qu'en élargissant • le champ irrationnel., le surréalisme • aimante un esprit minoritaire mais permanent dans la jeunesse '. Il est donc hors de propos de se demander s'il continuera de vivre. Ce que prouvent, par l'exemple, les textes et reproductions réunis dans ce riche et exèitànt numéro. (Le Terrain Vague, éditeur~)

Pierre Fougeyrollas Modernisation des Hommes L'Exemple du Sénégql Flammarion éd., 236 p. Sous ce titre apparaît ess~ntiel­ lement le commen,taire souvent pertinent des résultats d'une 'série de questionnaires . administrés à quelque deux cent~ ouvriers sénégalais, à des étudiants de l'Université de Dllkar, à des citadines, enfin, réunies pour une .expérience de télévision éducative. S'ébauche ainsi . une étude de la participation de cet échantillon de population sénégalaise à un monde culturel moderne, c'est-à-dire occidental, envisagé sous l'angle de ses éléments les plus divers : structure familiale, moyens de communication de masse, médecine, cuisine, marxisme .... Si l'enquête elle-même éveille l'intérêt et doit susciter des recherches plus approfondies dans des voies nouvelles, on ne peut cependant passer sous silence l:ambiguïté de l'éclairilge sous lequel s'effectue la présentation des résultats. Si ,la ({ modernisation » est d'abord définie comme un « processus sans fin de génération du nouveau dans les rapports de l'homme à la nature et dans les rapports des hommes entre eux », il apparaît vite que, dans ({ l'exemple du Sénégal », c'est en faÏt d'acculturation qu'il s'agira sous le ma~que d'une étude du changement. Notons égaleI:Qent l'étroitesse de l'échantillon; curiewc. portrait en perspective d'une société aux ,trois quarts rurale. Mais, nous dit l'auteur, je n'étudi.~ pas fétat . actuel du Sénégal, j'étudie un processus, celui de la modernisation,.Proces.sus d'abord soigneuseme:tlt .extraiÎ: de toute Histoire : il est caract~risti­ que à , cet égard que l'ouvrage :Qe fasse aucun .u sage des. nombreuses

recherches plus anciennes que le . Sénégal, et Dakar en particulier, ont suscitées. Mais, à vrai. dire, l'objet de Pierre Fougeyrollas n'est ni la société, ni son histoire, c'est l'Homme, l'Homme se modernisant, selon des itinéraires variés - d'où · ]e pluriel apaisant du titre - mais en fin de compte dans l'identité d'un même processus. De cet Homme, l'ouvrier dakarois n'est qu'un exemple - -et l'exemple le plus commode, le plus rentable, parce que situé à l'avant-garde 4e la ({ m,od~rnisation ». Qu'importe alors la place, le rôle (ou l'abs~nce de rôle), du .salariat industriel dans la société globale, dans le procès, historique celui-là, de transformation des structur,es de cette société. Il nous est dit qu'il ne s'agit point de ce rôle ({ messianique », « proclamé par des schémas marxistes ». Sous le terme de «. modernisation », Pierre Fougeyrollas n'étudie donc point la face psycho-sociologique d'une transformation interne des structures, le détour psychologique ou même conscient de. l'histoire globale, il étudie l'Homme ... et sa Culture. Car, comme disait L. Sep:ghor, « la çulture c'est ia ·.b ase, . au -sens socialiste du mot ». En ' effet, selon l'auteur, le problème· du développement économique n'en est plus un. La contradiction entre sociétés industrialisées et sociétés naguère .colonisées va s'affaiblir; d'ici . « trente ans » l'écart. sera comblé, en vertu de l'irrésistible « .planétarisati~n, » des techniques de la .« société ultra-moderne ». 'La ~achine. autrement 'dit, est natytrellement voyageuse, et désorma~s se déplacera par instinct philanthtopique sans qu'aucun capital ait à la porter! D'autre part, les antago.n ismes entre points de développe;ment, dépendants par rapport à l'Occident, .tel Dakar, et masses ruraies · stagnantes, entre fonctionnai-

res et paysans... ne sont que des « schématisations idéologiques ».

Le problème-clef de la ({ modernisation c'est donc bien, en définitive, celui de cette nouvelle synthèse culturelle à forger, et qui déjà se forge, comme la fréquente ({ mixité culinaire » (et vestimentaire) des ouvriers dakarois le prouve ... A 'cet égard, le principal apport de l'onvrage est de montrer à quel point ouvriers ou citadines sont .sensibles à ce thème, avec quelle facilité l'avenir est envisagé sous cet angle. Mais il est déconcertant que Pierre Fougeyrollas, au lieu de prendre·. ce phénomène comme objet d'analyse, fasse au con,traire de ces thèmes idéologiques"produits par la société elle-mêl11e,· les concepts mêmes de sa réflexion. La psychologie sociale de l'auteur devient alors une entreprise de récupératio:tl des affirmations communes. On retrouve l'opposition entre , « affectivité africaine » et « intellectualité occidentale », entre esprit communautaire traditionnel et individualisme européen. Il est certain, d ;autre part, que ' la collection d'éléments dispa.rates que les intéressés désignent par le terme de ({ tradition » n'a rien à voir· avec la formation sociale tradjtionnelle. L'auteur utilise pourtant cette ,notion éminemment vague, et se propose finalement, à force de vouloir ({ saisir ce devenir de l'intérieur, du point de vue de celIX qui le vivent » ~ projet louable et nécessaire - d'analyser le , processus de « modernisation » ,dans les termes mêmes de ceux qui .le subissent. Ce contenu « vécu » pourrait cependant être réinterprété à titre de phénomène idéologique, ayant son rôle et sa force à l'intériell:r de -la .société globale sénégalaise .en changement. La psychologie sociale serait-elle incapable de sortir de cette dangereuse ambiguïté? Jean Bazin

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SOCIOLOGIE

Le 'lIlonde de la peinture Raymonde Moulin Le marché de la Peinture en France Thèse de Doctorat es-Lettres Minuit éd., 612 p. « Paris est devenu la grande foire de la peinture, écrivait Guillaume Apollinaire dans Paris-/ournalle 13 mai 1914, et le terme n'a rien de désobligeant ( ...) On y vient du monde entier comme on va à Leipzig pour certaines marchandises, comme on allait autrefois à Beaucaire ou à Novgorod.» Ce grand marché qui s'est élargi par la suite et ,dont la circonférence est aujourd'hui partout et le centre nulle part, c'est vers la fin du XIx" siècle, lorsque l'Impressionnisme connut enfin le succès qu'il méritait, qu'il s'établit, se fortifiant et se développant jusqu'à nos jours. Fruit de sept années de travail, la thèse très attendue que Raymonde Moulin a consacrée à ce « marché de la peinture » paraît enfin en librairie. Ceux qui rêvaï.lnt d'un pamphlet, d'un ouvrage au vitriol, d'un règlement de comptes par personne interposée seront, certes, déçus. Ceux qui cherchent une information authentique permettant dé comprendre certains mécanismes financiers comme certaines motivations psychologiques y trouveront leur coinpte. La complexité de' conduites qui mettent à la fois en jeu l'orgueil, les sentiments d'amitié, la passion véritable et l'appât du gain, y est parfaitement mise en lumière par quelqu'un qui s'est efforcé d'atteindre au maximum d'objectivité possible. Ayant fait l'effort de pénétrer grâce à quelques « initiateurs » - dans ce milieu et de l'étudier « un peu à la manière d'un ethnologue étudiant une secte religieuse ou toute société fermée », Raymonde Moulin a adopté la méthode de l' « observation participante » dont on ne peut qu'admirer le résultat. Arrivée sans' idées préconçues, sans partis pris préalables, elle a pu garder une certaine « distance» envers son sujet, ce qui 'donne à son livre ce goût d'honnêteté que l'on trouve si rarement dans les ouvrages consacrés au même milieu car les auteurs en sont le plus souvent juge et partie. Dès son introduction, Raymonde Moulin pose le vrai problème : « La sociologie d'un acte créateur qui se veut liberté est-elle effectivement possible? » Certainement non, et ce ne sont pas les ouvrages dernièrement parus qui nous inciteront à penser le contraire, certains , hâtifs, totalement extérieurs et remplis d'affirmations péremptoires que rien ne vient sérieusement étayer. En revanche, une sociologie du marché, portant à la fois sur des faits précis, des données réelles et sur une enquête en profondeur menée pendant plusieurs années auprès des principaux protagonistes, 'permet une bien meilleure approche d'une éventuelle sociologie de l'art qui

Daumier : A la Salle des Ventes.

restera, longtemps encore, à faire tant qu'on ne l'abordera pas avec des méthodes semblables et une indispensable humüité. Sept cents personnes environ fréquentées on interrogées et, comme matériel précis, les interviews de soixante-quinze marchanas, quatre-vingt-dix colleetionneurs, cent vingt peintres, sans compter les éléments fournis par les livres, la presse spécialisée, les catalogues et les statistiques officielles.

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 mai 1967.

Culture et marchandise Une première partie, rapide mais vivante et bien documentée, retrace l'évolution historique, du moyen âge à l'époque actuelle, de ce marché des tableaux, « lieu de cette secrète alchimie qui opère la transmutation d'un bien de culture en marchandise ». Depuis la Corporation des peintres qui tenaient euxmêmes boutique jusqu'au système contemporain, en passant par la toute-puissante Académie et le mé· cénat (trop idéalisé a posteriori), le « commerce de l'art »1 n'a cessé de devenir de moins en moins idéal et de plus en plus soumis aux lois qui régissent 'toute autre entreprise économique : spéculation, « boom », inflation, crise, etc. De même que « les impressionnistes ont subi le contre-coup des d5sastres financiers de 1884 », « la crise économique des années 30 toucha durement des peintres même arrivés, comme Marquet qui vit son contrat rompu par Bernheim et Druet qui le soutenaient conjointement ». Et Kahnweiler raconte dans « Mes galeries et mes peintres » comment il s'orga-

Disa pour lutter seul, sans personnel et tous frais réduits, créant un Cl petit syndicat d'entraide artisti. que » pour aider 'quelques peintres et pouvoir survivre jusqu'en 1936 environ. On sait la suite et la remontée spectaculaire qui suivit. C'est donc surtout depuis une trentaine d'années que « l'enchevêtrement des valeurs esthétiques et

des valeurs financières est devenu inextricable ». A la fois valeurrefuge morale contre la « désacralisation du monde », et valeur-refuge matérielle, aussi commode en période d'inflation que les meubles anciens, les bijoux, les livres rares, la peinture est devenue pour certains pur objet de ' spéculation comme n'importe quelle valeur boursière. Le marché en suit donc les fluctuations. « Quand la Bourse va mal, la peinture va mal. C'est une vérité admise par les marchands comme par les collectionneurs. » Seuls les peintres, pour des raisons compréhensibles liées à l'idée plus haute qu'ils se font de la création artistique, refusent parfois d'admettre cette évidence. Contrairement à ce que bon nombre pensent, la crise actuelle de l'art - devenue éviden· te depuis trois ou quatre ans n'est pas la cause de la crise du marché, mais à mon sens, elle en est bien plutôt le résultat.

Les collectionneurs Quant à la spéculation, Camille Pissaro pouvait écrire à son fils, en 1887 : « L'amateur ne voit aujourd'hui le tableau que comme une valeur en bourse. C'est à vous dégoû-

ter d'appartenir à une corporation aussi tombée. » Une partie de la « clientèle », se fondant sur la « leçon de l'histoire » (dont . l'ambi· guïté pourtant n'est pas à démontrer) s'attache aux formes les pIns aventureuses de l'art avec l'espoir d'en tirer de substantiels bénéfices. D'où la course effrénée à la nouveauté - si caractéristique de notre société de consommation - Cl processus dangereux qui menace la peinture dans son existence même ». « La précipitation des recherches artistiques d'avant-garde, écrit justement Raymonde Moulin, suscite ' des vagues de plus en plus courtes dans lesquelles se sont de temps en temps noyés les marchands innovateurs et les collectionneurs-promoteurs.» Ces derniers « souvent inexpérimentés en matière artistique, toujours prêts à changer leur fusil d'épaule, à abandonner une « valeur de croissance » pour s'intéresser à une autre, la dernière introduite sur le marché », ont faussé considérablement la loi naturelle de l'offre et de la demande. Les marchands, les collectionneurs (dont les différents types sont remarquablement analysés), les peintres et les contraintes qui pèsent sur eux, les critiques parents pauvres du système »... et un peu aussi du livre), tous ces :( acteurs » d'une vaste pièce qui va de la comédie au drame et se termine parfois tragiquement, Raymonde Moulin leur consacre les chapitres les plus vivants de son étude, leur donnant la parole le plus souvent possible (et l'on est tenté

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PHILOSOPHIE ~

Le monde de la peinture

de jouer aux devinettes), analysant Jean Servier à la fois leurs conduites les plus Histoire de l'utopie significatives et leurs motivations Collection « Idées » psychologiques. L'extrême diversiGallimard éd., 378 p. té de ce tissu vivant et mouvant en rend impossibl~ to~t résumé sim. En dehors d'une œuvre de jeuplificateur; il faut lire attentive- nesse assez sommaire de Lewis . ment et en totalité - ce que l'écri- Mumford, il n'existe pas à pr~pre­ ture simple et claire, si éloignée de ment parler d'histoire générale des l'ennuyeux jargon propre à ce gen- utopies. Le livre que vient de faire re d'ouvrage, rend aisé - , pour paraître M. Jean Servier, ' profesavoir une idée de sa complexité et seur de sociologie à Montpellier, des liens ambigus qui s'établissent comble donc une lacune dans la entre les différents protagonistes. littérature française « utopologi- . Là, plus encore qu'en d'autres sec- que », dans la mesure où il traite teurs, l'individu résiste à la sché- de l'évolution du genre utopique matisation et'à la « mise en carte ». de Platon à George Orwell, et à ce Le « type pur » est à peu près in- . titre il mérite notre attention. trouvable. Les rapports peintre-mar- Cependant l'absence d'index des chand, collectionneur - marchand, peintre-collectionneur révèlent une tension et un malaise parfois insupportables. Mais qu'on relise les lettres de Poussin et l'on saura qu'ils ont toujours existé, inséparables sans doute de cette « alchimie » contre nature qui transforme en objet de commerce une création de l'esprit.

De Platon à Or1tVell ter Montesquieu et Voltaire sans nir avec preCISIOn, c'est trahir la parler des Troglodytes et de l'Eldo- déformation professionnelle de l'utorado de Candide ? Pourquoi sur- piste! - si ce n'est qu'il se situe . tout ne trouve-t-on dans ce livre ni à la fin des, temps . Looking Backward de l'Américain Ainsi le titre ~ Histoire de l'utoBellamy, ni Erewhon de Samuel Bu- pie - est-il en vérité incomplet : tler, ni Nous autres d'Eugène Za- il ne concerne que l'un des éléments miatine ? Même l'optique très par- de cette structure ' bipolaire et exticulière dans laquelle J. Servier clut les tendances millénaristes que a choisi de nous parler de l'utopie . l'auteur visiblement juge seules dine saurait.expliquer ces lacunes, car gnes du génie de l'Occident: « Les sa position ne s'en trouve en fait deux cités symbolisent peut-être les ni renforcée, ni affaiblie. deux tendances de la civilisation ocC'est .cette optique, beaucoup cidentale qui vont s'affronter au fil plus que l'information présente ou des sièCles ( •.. ) : lil cité terrestre, qui absente dans ce livre, qui fait au est jouissance des biens de la mafond tout l'intérêt de l'Histoire de tière, triomphe des techniques et l'utopie . •Le mot lui-même est défi~ . des machines sur l'homme ; la Cit~ ni à la Ile page de façon tout à de Dieu, qui est le rêve tenace de

Une minorité

Les incidences du marché sur le développement interne de l'art, si elles peuvent paraître spectaculaires sur le moment, sont pour finir, assez faibles, les vrais créateurs poursuivant leurs recherches et construisant leur œuvre sans se laisser impressionner par les impératifs de la mode ou de la demande. C'est cette minorité agissant en profondeur qui fait l'art d'une époque, non la foule des suiveurs ou des agitateurs de choc. Telle est la conclusion que tire Raymonde Moulin au terme de ce long travail étayé de nombreux documents, tableaux comparatifs et notes annexes. Il resterait à en tirer des enseignements . pratiques, c'est-à-dire des réformes permettant de modifier un système totalement anarchique. L'Etat pourrait jouer -qn rôle d'arbitre considérable, faire pencher la balance en faveur des meilleurs ar- . tistes d'aujourd'hui. Il faudrait pour cela qu'il ait une véritable politique concernant l'art moderne; qu'il renonce à l'académisme toujours' en noms pro pre s, assez gênante vigueur malgré les apparences; qu'il dans un tel ouvrage, ne permet fasse appel à des collaborateurs pas de prendre une vue panoramicompétents au lieu de laisser la que des auteurs inclus et de ceux responsabilité de ses achats à des qui ont été omis. Grâce à un poinfonctionnaires dépassés (qui pren- tage rapide, j'ai. pu déceler des nent tout de crainte de rien laisser présences un peu surprenantes perdre, gaspillant ainsi en achats comme Bernard de Mandeville (un dispersés et inutiles les sommes qui des précurseurs du libéralisme écopourraient servir à constituer des nomique), Adam Smith (sept fois collections dignes de ce nom); cité alors que Wells n'a droit qu'à qu'il prenne des dispositions fisca- deux mentions brèves), Sieyès, Aules encourageant les legs aux mu- gustin Thierry. A côté de cela, des sées et les fondations comme cela se absences encore plus étonnantes. Il passe aux Etats-Unis. Nous en som- s'e rait certes de mauvaise foi d'eximes loin, hélas ! ger d'un livre de moins de 400 paGeneviève Bonnefoi ges qu'il soit presque exhaustif, ce qu'il n'aurait pu faire qu'en deve1. ' Pour reprendre le titre ~ entendu nant un catalogue énumératif dédans son sens idéal - d'un liyre récent pourvu d'intérêt. Mais pourquoi cide Michel Seuphor. 24

Charles Fourier

fait révélatrice, dans les termes suivants : « L'utopie est la réaction

d'une classe sociale, la vision rassurante d'un avenir planifié, exprimant par les symboles classiques du rêve son désir profond de retrouver les structures rigides de la cité traditionnelle - la quiétude. du sein maternel - où l'homme, délivré de son libre-arbitre, s'emprisonne avec soulagement dans le réseau des correspondances cosmiques et des interdits. » A ce repli sur soi, involu- . tif et centripète, s'opposent tout au long de l'histoire de la civilisation occidentale les mouvements millénaristes, qui veulent créer . par la violence collective le' Royaume universel dont on ne peut pas dire grand-chose - car vouloir le défi-

l'égalité des hommes et de la mise en commun des biens comme un repas prêt à être partagé par une même famille : une fraternité humaine placée sous le signe de l'amour de Dieu et du prochain. La Cité de Dieu sera alors le rêve de tous les révolutionnaires, même lorsqu'ils croiront avoir rejeté le Christ. »-(p. 72). Autre phrase éclairante: « Ainsi les mouvements millénaris-

tes s'opposent aux utopies avec lesquelles on les a trop souvent confondus, aux cités radieuses découvertes sans effort ou fondées sans le déroulement d'un quelconque processus historique, sans accomplissement d'une promesse divine. » (p. 355). L'Occident a donc deux visages


et il faut en retrouver les traits au fil du temps - très exactement depuis un certain fait relaté dans la Bible (Genèse, XV, 2), à savoir l'alliance entre Abraham et l'Eternel (c'est à ce moment là que, selon · J. Servier, « a été fondé l'Occident auquel est promis l'empire du monde », p. 49). L'exercice suppose que la même structure utopique se retrouve, quasi-immuable, depuis la République de Platon, et que l'on voie également affleurer de temps à autre la veine millénariste. La réussite n'est pas impossible, moyennant un certain nombre de conditions. Que d'abord, il y ait une démarche utopique, et une seule. Ensuite, que l'on ne prenne pas le millénarisme dans un sens trop étroit, celui de Karl Mannheim (qui à vrai dire le rangeait dans l'utopie ... ) ou plus récemment Norman Cohnl , et que symbolisent les noms de Thomas Munzer, ou des « Niveleurs» de la révolution puritaine. Le livre de Servier satisfait à ces deux conditions, ce qui explique le sentiment de déjà-vu que l'on ressent à chaque nouvelle utopie, et l'omniprésence du millénarisme, qui est vraiment là partout où il se passe quelque chose. La permanence qui serait sousjacente aux avatars apparents de l'utopie ressort de façon particulièrement nette du ' chapitre « Les symboles de l'utopie », dont la lecture déconcertera les âmes simJ'les, mais qui fascinera les autres, car il est sûr qu'une lecture symbolique des objets culturels figurant dans les utopies reste à faire, et il faut savoir gré à J. Servier de s'y être essayé, même si parfois l'adhésion reste réticente. Prenons deux exemples simples : les forêts et les sources. J. Servier écrit : « (Dans l'utopie) l'inquiétante nature en friche, la forêt sont inconnues comme aussi les bois et les halliers » et « Il n'y a ni sources, ni fontaines ni chutes d'eau dans le paysage utopien, rien de ce qui peut évoquer le jaillissement, la souillure - les rêves urinaires de Freud. » (p. 325). Deux généralisations intéressantes, dans la mesure où elles se vérifient. Or les Nouvelles de Nulle part du socialiste anglais William Morris évoquent explicitement - et en termes positifs - la forêt et plus généralement la nature sauvage, et si la Tamise y tient la place importante que l'on sait (presque aussi importante que dans Trois hommes dans un bateau), il y a au moins une fontaine. On trouve également plusieurs fontaines dans Looking Backward déjà cité.

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se dérangerait· il?

Nouveau Monde », p. 201) ; avènement de l'idée de progrès après la • Révolution de 1789 la mystique • du Progrès, let· religion des Temps : modernes, s'inscrit dans la perspec- • tive des mouvements millénaris- • tes», p. 230); marxisme (Marx, • « père d'un nouveau millénaris- • me », dont la pensée a puisé « dans • ce terrain mystique par mille raci- • nes profondes» - encore que le • Ille volume du Capital « retrouve • le ton de toutes les utopies», p . • 285); léninisme cette grâce. d'état du peuple, directement is- • sue des mouvements millénaristes, • domine toute la pensée de Lénine», • p. 298), nazisme (p.' 353), maoïsme • (p. 358). • Qu'il soit dans le sens de l'histoi- • re ou promis par une divinité (on • a vu plus haut que pour J. Servier, • c'est la même chose), le courant • millénariste doi~ gagner. Pourquoi? • Parce qu'il incarne ce qui constitue • l'arme absolue de l'Occident: le li- • bre-arbitre. « QlJ-elle soc~té tradi- : tionnelle .reçoit s~ns mourir ce pré- • sent de l'Occident chrétien : le libre- •

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lELIVRE~5~

• Bibliographie sommaire: Etudes. En anglais, le recueil édité par la :çevue . D,aedalus sous la direction du Pr 'Frank , Manuel, Utopia and Utopian Thought (Boston, 1966). En français, G. Duveau: Sociologie de l'Utopie, P .U.F. éd. ; R. R~yer: L'utopie et les utopistes, P.U.F. éd. ; F. Choay: L'urbanisme: utopies et réalités, Le Seuil. Textes. L'Utopie de Thomas More a fait . l'objet d'une édition très soignée de la part de Marie Delco1111: (Renaissance du Livre). Dans les « Classiques du Peuple», es ~~we:'c~:~esNo~~ell!:od:erN ulte pa~x~~ Morris, et les utopies de Cyrano de Bergerac. Butler et Zamiatine ont été traduits chez Gallimard, WelIs au Mercure de' France, Fourier et Saint-Simon aux' édi-' tions Anthropos, le Code de la Nat'u-re de Morelly chez Clavreuil.

Quant au millénarisme, il semble pour Servier imprégner toute l'histoire de l'Occident : XVI" siècle ( « les mouvements millénaristes ont eu, dans la genèse de la pensée occidentale, une importance incomparablement plus . grande que la doctrine des Réformateurs», p. 112) ; colonisation de l'Amérique (<< les vagues tumultueuses du mil,. lénarisme ont battu les rives du La Quinzaine littéraire, 15

31 mai 1961.

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arbitre? » (p. 308). Mais cette vic. • toire finale risque d'être retardée • par une alliance imprévue : celle de • l'utopie et de la science, nouvel. opium du peuple parce qu'elle pré- • tend écarter l'incertitude de la con- • dition humaine : « Toutes deux sont • ava~t tout un anti-hasard, une pla- • nification de l'avenir.» (p. 365). : L'Occident chrétien n'a donc pas • encore gagné la partie... • J'en ai assez dit, je crois, pour '. donner envie de lire ce livre peu • banal, et écrit dans une ptose qui : n'est pas sans beauté (il aurait eu • sa place dans un des colloques de • l'Altenhurg ... ) et pour indiquer qu'il • s'adresse à des lecteurs déjà aver- • tis, qui verront assez vite que le : mot de progrès Ii'a pas le même • sens chez J. Semer et Condorcet, et • que l'utopiste n'est pas seulement • l'architecte du despote éclairé, mais • aussi celui qUi essaie, d'avance, de • savoir où il va, sans se fier aux ré- • vélations d'en haut ou d'ici-bas. . • BenUad Cazes •

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HISTOIRE

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Comme tous les manuels de la coll. « Nouvelle Clio » le livre de Jean Chesneaux est d'abord une mise au point sur la situation particulière de l'historiographie dans le domaine de l'Asie orientale: la recherche historique n'a pas encore atteint le point où il lui serait possible, comme l'a fait l'historiographie de l'Occident, de dépasser l'histoire « événementielle », pour s'orienter dans de nouvelles directions. Il n'est pas sûr, d'ailleurs, que cette différence puisse un jour s'effacer: les sources de l'histoire asiatique, parmi lesquelles les archives n'occupent qu'une place restreinte, ne permettront sans doute jamais de mettre à jour les

Les armées étrangères à l'assaut de la Chine, Caricature allemande au début du siècle

senes chiffrées qui ont permis à l'historiographie de l'Occident de développer récemment Ses aspects « quantifiés ». Conformément aux exigences de la collection, M. Chesneaux a dressé un inventaire des instruments de travail et des sources qui s'offrent au chercheur ainsi qu'une bibliographie choisie des ouvrages parus en langues française et anglaise, qui sera commode à utiliser. Puis, après avoir fait un tableau chronologique des événements, il expose l'état des connaissances sur l'histoire de l'Asie orientale entre 1820 et 1955. L'ampleur même de la matière à exposer l'a contraint à opérer des choix et à passer très vite sur certains aspects du sujet. On est tenté de le regretter parfois, notamment en ce qui concerne l'histoire du communisme chinois. Mais il est vrai que M. Chesneaux reviendra quelque peu sur ces problèmes, dans la partie de son ouvrage, foisonnante d'idées, consa26

crée aux directions que pourraient prendre les recherches historiques. S'attachant à décrire les transformations de l'économie, de la société et l'évolution politique de l'Asie, M. Chesneaux fait un exposé critique des travaux effectués à ce jour, un recensement de toutes les lacunes qui subsistent dans le savoir et, en même temps, dégage les vastes interrogations que pourrait susciter l'histoire asiatique qu'il s'agisse des transformations que subit l'économie des pays asiatiques sous l'impact de l'impérialisme, des bouleversements et des déséquilibres sociaux qui en résultent, des nouvelles réflexions et des nouveaux courants d'idées qui surgissent au contact de l'Occident, on ne possède encore que les premiers linéaments d'une connaissance que les monographies, les études régionales, rendues nécessaires par l'extrême diversité des J)ituations et l'exploration d'une foule de questions, encore intactes ou presque, permettront de compléter, de diversifier et aussi de rectifier. L 'histoire des mouvements natio· nalistes et communistes, surtout, pose de délicats problèmes, car elle est inévitablement tributaire des vues politiques des historiens. Sans doute, le temps n'est plus où le nationalisme des Asiatiques était tenu, par une historiographie europée-centriste, pour un fait aberrant ou négligeable. L'accession des Etats de l'Asie à une indépendance a renversé l'optique des historiens et les conduit vers des vues « asio-centriques » qui, à la limite, incitent à considérer l'époque coloniale comme un simple interlude. Mais l'étude du communisme ne se dégage pas sans difficultés de préoccupations qui limitent la portée de beaucoup de travaux d'érudition et notamment de ceux qui tendent à le considérer comme une immense entreprise de conspiration. C'est là, sans nul doute, rétrécir à l'extrême et même fausser les choses. Mais on serait tenté d'ajouter que considérer, à l'inverse, l'histoire du communisme, sans prendre assez de distance vis-à-vis de la représentation qu'il a ·de lui-même, ne permet pas non plus de mettre à jour toutes les vérités. Une brillante conclusion s'efforce de cerner les problèmes que pose la compréhension de l'histoire asiatique. Celle-ci doit être saisie dans sa spécificité, en fonction de ses mécanismes internes et de ses pulsations, car elle n'est pas un simple sous-produit de l'histoire de l'Europe. Mais on ne saurait non plus en rendre compte, séparément des phases de développement de l'impérialisme européen, qui a, par la violence, arraché l'Asie à son isolement et, peut-être, ouvert la voie à un effacement. relatif de ses particularités,par rapport à l'histoire mondiale. Pierre Souyri

Jérôme Peignot De l'écriture à la typographie Coll. « Idées » Gallimard éd., 260 p. Jacques Damase Révolution typographique depuis Stéphane Mallarmé 130 pl. noir et coul. 160 p. Galerie Motte éd., Genève. Si les revues « graphiques » sont nombreuses, si les ouvrages composés de planches .reproduisant des exemples caIJigraphiques et quelques caractères se constituent facilement, les ouvrages ayant l'ambition d'expliquer le développement de l'écriture sont très rares. Œu- . vres d'érudits, ils sont le plus souvent tirés à un petit nombre d'exemplaires. Par le caractère de la collection dans laquelle il est publié, et par le parti pris de son auteur d'en faire un ouvrage de lecture, et non un album, l'ouvrage de Jérôme Peignot est une nouveauté.

La Longue Marche pétrifiée Il est impossible d'établir clairement l'origine de l'écriture. Un tableau figurant dans l'ouvrage capital de Marius Audin (Histoire de l'Imprimerie, tome 2) nous montre la transformation de l'alphabet. Du phénicien au grec, au romain, à la gothique, enfin à notre romain actuel. Pendant des siècles les hommes ont cherché à assembler les trois barres de l'Y. A l'incliner, le transformer, y ajouter diverses formes d'empattements. L'histoire seule de ces empattements est celle de la civilisation occidentale. Les hommes étaient humbles : ce fut une affaire d'outil. On n'écrit pas pareillement .avec un roseau, de la craie, un pinceau, une poiDte sèche, une plume ou un crayon à bille. Ce fut aussi une affaire de support, de matière : argile, papyrus, pierre, cire, parchemin, papier ... Jérôme Peignot dit que l'évolution de la typographie est plus lente que l'évolution picturale. Mais la typographie est un système de signes et non une représentation. Il dit ailleurs : « Si, à travers l'histoire des lettres, c'est bien celle des civilisations qui se retrouve, on · ne saurait traiter de ces choses avec assez de circonspection. » Mais comment séparer l'histoire des moyens de l'histoire de la pensée ? Et c'est . un acte assez fou que de tenter transcrire la pensée pour que dans cette transformation - l'élan, la folie ou la sagesse ne s'y li!!lC pas_ L'histoire des signes est notre histoire. Notre Longue Marche pétrifiée.

Trois « moments» de l'Occident Pour ne pas remonter trop loin dans le temps, depuis la Bible de Mayence on voit trois moments de l'Occident :

1. L'écriture gothique (mouvante, en des transformations secrètes, marquée par la massivité germanique et le spirituel, allant vers le romain ou s'en éloignant) est bien le moment de l'Occident chrétien. Hitler, dans sa recherche d'un Occident mort - et dénaturé - l'avait de nouveau imposée à l'Allemagne. Cette déraison d'Hitler pour retrouver la gothique est significative: le choix d'un signe, son utilisation, nous marquent d'une indélébile et secrète affirmation, aveu d'une irréductible appartenance. 2. La gothique se transforme et, au xv· siècle, le moment humaniste donnera au romain à travers l'histoire des grandes dynasties de l'imprimerie - son visage. Lentement se déroule un unique alphabet dans ses modulations naïves ou savantes: romain de Rusch (1464), romain de Jenson (Venise, 1470), romain de J. Du Pré (Lyon, 1490), romain de Manuce (Venise, 1499, Alde Manuce adopte l'italique, plus serré, pour imprimer les premiers livres de petit format.) romain de Ch. Estienne le père (Paris, 1508), romain du « Champ Fleury» de G. Tory (Paris, 1529. Jérôme Peignot dit l'ambition de G. Tory qui a « rapproché les lettres romaines de l'idée même sur laquelle est fondé l'alphabet sanscrit... qui, par l'entremise de la phonétique, se trouve rauaché à certaines formes du visage »; A : bouche ouverte, B : lèvre supérieure vue de face, M: narines .. /Plus loin, Jérôme Peignot dit la naïveté de cette tentative); romain de Garamond, Plantin, CasLon ... jusqu'aux Elzévirs. Plus de deux siècles d'une plénitude dominée par les architectes et les peintres où les humanistes-imprimeurs retrouvent les textes antiques. Il fleurit des romains comme du vin de pays. 3. D'imperceptibles mouvements, des transitions souterraines, des « tropismes» vont amener le moment des Lumières. Et Jérôme Peignot - qui ne veut pas aller trop loin dans le rapprochement des civilisations et de leurs écritures, fidèle à son idée de la typographie, solitaire aventure, tributaire des moyens seuls - ne voit pas le lien de l'histoire et du plus beau caractère de la civilisation occidentale : . le didot.

L'écriture de Sade et R6lderlin Pour comprendre les mutations, insensibles presque à l'esprit, qui ont précédé la naissance du didot, citons Marius Audin : « On a dit que le didot se prononce en anglais baskerville et en italien bodoni. Le vrai c'est que le type didot, esquissé dans le grandjean, en puissance dans le baskerville, réalisé à peu près complètement par le grand typographe Bodoni, ne fut définitivement fixé qu'à l'épogue où Firmin Didot grava ses d(~rnières lettres; à ce


POLICIERS

CANNES

Film B et panache Robert Kyle Grêle de coups fourrés Gallimard éd. Hubert Monteilhet Devoirs de vacances Les mantes religieuses Denoël éd., 256 p.

Il y a une vingtaine d'années, les premiers volumes de la Série Noire mettaient fin à la torpeur des Français amateurs de romans policiers. Raymond Chandler, Horace McCoy, Dashiel Hammett et quelques autres' balayaient avec fracas des cartes trop parfaitement truquées : c'était désormais du côté des représentants de la loi qu'il fallait chercher le coupable, c'està-dire parmi les policiers et les magistrats corrompus. Depuis, ce thème révolutionnaire est devenu un thème classique qui a nourri plus ou moins bien un grand nombre de volumes de la Série Noire. Et Grêle de coups fourrés, de Robert Kyle, ne serait guère plus remarquable que la production courante s'il n'apportait un élément nouveau à ce refrain à présent célèbre: « Les flics sont des salauds.» Mac Bain, le héros de Kyle, est un jeune professeur d'université, ce genre de personnage qui, dans la plupart des romans policiers, se contente d'avoir des problèmes sentimentaux ou sexuels. Mais ici, le jeune prof' est parfaitement à l'aise dans sa peau, jusqu'au jour où, traversant la ville, il assiste, par hasard, au meurtre d'un jeune Noir par un policier blanc. Il sera mis dans l'impossibilité de témoigner et de faire inculper le policier, mais rien ni personne ne pourra l'empêcher de s'associer aux Noirs pour partir en guerre contre les politiciens et les flics. Le héros de Kyle ést d'autant plus attachant qu'il ne pontifie jamais. Pas de discours truffés de bons sentiments, mais quelques réflexions corrosives jetées çà et là au cours d'une action menée tambour battant. A propos du policier meurtrier : « C'étciit ùn' homme puis~ sant, et M ~c Bain vit ' avec sJl,rpTÏse qu'il n'était pas blanc : sa peau avait la couleur du rosbeef froid. Mais il se considérait comme blanc et c'était cela qui importait. » Kyle n'a pas1a force d'un McCoy ni l'habileté d'un Chandler. Son livre fait penser à quelques-uns de ces intéressants films B américains, tournés à. la hâte et avec les moyens du bord, mais qu'il ne faut pas manquer de voir, ne serait-ce que pour deux ou trois séquences particulièrement audacieuses. Avec Hubert Monteilhet, « catholique pratiquant rétrograde » (comme il se définit lui-même), nous pénétrons dans un univers tout à fait différent. Monteilhet n'imite personne ; surtout pas les Américains . qui le couvrent de louanges et de l;mriers. De ce succès, il est le premier étonné. S'il lui faut une 28

explication, je me hasarderai à di~ re que la peinture caricaturale qu'il fait, dans ses romans, d'une certaine bourgeoisie française doit ravir les Américains épris d'exotisme. Monteilhet aime le panache, il a une écriture fleurie et un humour féroce, il abuse de l'imparfait du subjonctif et des mots d'auteur.. Mais ce qui éblouit les Américains, c'est l'insolente liberté sexuelle de ses personnages. Avec Monteilhet, pas de problèmes, pas d'anathèmes: tout est permis. Seuls seroilt punis ceux qui faililiront à la tâche. C'est d'ailleurs ce qui arrive à Jacques, le héros de cette longue nouvelle : Devoirs de vacances. Ce jeune précepteur a eu l'imprudence de faire la cour à Mlle S., alors que celle-ci était allongée sur un divan, les jambes dissimulées sous une couverture. Quand il découvre qu'elle a un pied-bot, Jacques perd tous ses moyens. Mlle S., qui a une fortune considérable et une imagination monstrueuse, saura exploiter l'urie et l'autre pour préparer sa terrilile vengeance. Ce personnage de femme diabolique n'est pas un cas unique dans l'œuvre de Monteilhet. Les mantes religieuses, son premier roman, nous présentait deux « monstres féminins » qu'on n'avait jamais vus dans la littérature policière française. Car il faut tout de même le rappeler : ce sont les Français qui ont découvert Monteilhet. Ils lui ont décerné le Grand Prix de Littérature Policière 1960 pour ces Mantes religieuses que Denoël réédite aujourd'hui. Deux femmes dirigent l'intrigue : Véra, 30 ans, Béatrice, 20. Entre elles, ni mépris, ni haine, ni jalousie. Elles iront même jusqu'à goûter ensemble des joies qui n'osent pas dire leur nom. Et pourtant, elles ont engagé un duel impitoyable et subtil. L'enjeu ? Certes pas un homme. Les hommes sont ici de pâles comparses, qu'on fait disparaître habileme~t dès qu'ils ont cessé d'être utiles. Pour Véra, l'enjeu, c'est l'argent: elle l'aime plus que tout. C'est pourquoi elle a voulu faire tuer la jeune Béatrice qui représentait un « manque à gagner ». Pour Béatrice, l'enjeu c'est la vengeance. Mais c'est surtout le goût du jeu qui anime ces deux femmes remarquablement intelligentes et cruelles. Le suspense n'est plus: « qui a tué? », mais « qui va gagner ? » . Pas plus que les maris et les amants, les policiers n'imposent, ici, leur présence. Tout se passe d'ailleurs au-delà de la Justice, puisque les pièces d'un dossier racontent l'histoire. On peut ne pas apprécier la morgue de Monteilhet, mais on se doit d'admirer la virtuosité avec . laquelle il a construit ce fascinant « jeu de dames ».

Noëlle Loriot 1. Les plus grands succès ' de ces auteurs vont être réédités dans une nouvelle collection : « Poche noire ».

Il en va de Blow up comme de ces tableaux maniéristes ou baroques dans lesquels se disposent à l'infini les niveaux de signification, où les miroirs se réfléchissent éperdument les uns dans les autres : ce film échappe à la narration, à la description unilinéaire. Lorsqu'on a dit qu'un photographe de mode se trouve conduit par les hasards de l'affût, à photographier un jour le flirt d'un couple dans un parc, que ce qu'il a filmé sans le savoir se trouve être un meurtre, et que ce crime révélé par l'agrandissement ultérieur de l'image (blow up), il va tenter, mais en vain de le ressaisir dans sa réalité, on n'a rien dit, ou plutôt on n'a fait qu'isoler artificiellement la trame de l'action, on a réduit indûment ce film à sa plus simple expression. On a donc trahi son mouvement essentiel qui est au contraire d'agrandissement progressif : par une structure en abîme, Antonioni nous emmène dans une régression à l'infini de l'imaginaire qui peu à peu s'agrandit, et de proche en proche entraîne la réalité, l'image, l'objectif, le regard du photographe, le regard du metteur en scène, le regard du spectateur, dans une dérive exp:timant jusqu'au vertige une mise en question de tout regard, une radicale critique au sens kantien - de la faculté de voir. Critique de l'objectif, dans toutes les acceptions du terme, qui embrasse dans son parcours. les paliers de l'objet, de l'image, de l'image-objet et de l'objet-image. C'est pourtant dans une réalité que ce film trouve son ancrage initial : la ville de Londres, la vie à Londres en 1967. Mais cette réalité se désigne d'emblée comme aliénée dans le paraître, dans le faux-semblant, dans le trompe-l'œil. L'univers de ce photographe lancé possédant un studio à la mode dans les mews est un monde d'images: luxueuses photographies sur papier glacé de ces êtres asexués, embaumés, choséifiés : les cover-girls qui étalent leur sophistication de vêture et d'attitude ·sur les pages des magazines : . Harpers, Queen, Vogue. Monde de voyeur où l'être . vivant n'est plus voulu vivant, n'est plus souhaité vivant, mais tenu en respect à la distance requise pour la prise. de vue. On ne touche plus, on ne regarpe plus même, on fixe par l'objectif, on mitraille, et le viol se fait à distance focale. Un saisissant prologue nous montre ce Pygmalion en train de mimer une scène très érotique avec l'une de ces esclaves qui donnent leur corps à l'objectivité glacée de l'image : étrange danse lascive du photographe et de son modèle où s'accomplissent les gestes de l'étreinte mais où, par un singulier transfert, à la possession réelle du corps de la fille se substitue le déclenchement de plus en plus frénétique de l'appareil photographique, tiers et souverain témoin d'un acte qui n'a pas lieu mais que l'on mime. Le rap-

prochement des corps ne saurait s'accomplir, car il lui faudrait anéantir l'espàce irrépressible du regard photographique. . Monde aliéné àliénateur dont le héros ne peut qu'être complice. Tout Londres en est complice. Désir peutêtre d'échapper à la fixation dans ce monde de paraître, ou bien d'incorporer à sa collection d'images les charmes de l'accidentel, de l'anecdotique, le héros abandonne parfois sa Rolls décapotable pour se mêler aux ouvriers d'usine et capturer quelques instantanés de vieux hommes nus dans des vestiaires. Voyure sur papier glacé qui redouble l'exploitation sociale en perversion anglo-saxonne aperçue par Antonioni, sociologUe et donc voyeur lui aussi, mais voyeur non complice. Le héros, même hors de son studio, même livré à la fraîcheur, à la poésie de Londres, continue de photographier, indifférent au fantastique multicolore de ces maisons ripolinées, de ces balustrades victoriennes et de ces mews de brique dont l'allure démodée se parodie elle-même par l'audace des couleurs vernies qui y voisinent dans l'anarchie du goût; indifférent aussi à la verdoyante présence des parcs, cette verdeur végétale qui est comme un cinquième élément propre à Londres. Par une sorte d'hystérie, le malheur de ce héros est de toujours chercher au-delà de la présence simple des choses l'objet, le détail susceptible d'être converti en images, en photo. Curieusement, la chasse à l'objet mensonger sera le fil d'Ariane insoupçonné d'une nouvelle quête inconsciente qui mènera le héros à l'événement, à la chose même : c'est en effet en sortant de la boutique d'antiques qu'il entre dans les allées de Holland Park où il suit ce couple que jamais il n'approchera, mais tiendra à portée du. téléobjectif. De ce flirt, cliché sur cliché seront pris. La femme (Vanessa Redgraves) s'aperçoit de la présence du voyeur lointain, le poursuit, le perd mais retrouvera sa trace dans SOli studio ' où elle proposera de se donner à lui en échange du rouleau de pellicule dont l'existence, dit-elle la compromet. Journée des dupes : impuissance et avortement des actes en gestes dans ce monde aliéné de l'image .: Vanessa Redgraves ne se donnera qu'en buste et le photographe lui remettra une autre bobine. La bonne, il la garde, il l'agrandit, et c'est cet agrandissement, blow up, qui lui révèle le réel, l'événement qu'il a étreint sans le vouloir : il a photographié un meurtre, dont on peut suivre l'histoire par la juxtaposition de ces clichés séparés, agrandis, qui en retracent les étapes depuis le baiser du couple jusqu'au cadavre de la victime qui se confond presque avec la pelouse en un pointillisme à la Seurat. C'est dans cet agrandissement que 1 convergent et se croisent les deux


Le dernier Antonioni

Deux photos du film Blow up.

niveaux. précédemment irréductibl~s l'un à l'autre et qui cheminaient parallèlement : l'image et le réel. Convergence cruciale symbolisée par l'homologie entre le mitraillage métaphorique de l'objectif photographique et la fusillade réelle et silencieuse qui s'accomplissait là sans qu'on le vît et que seul révèlera le produit de l'autre : blow up. Le niveau de .lecture de ce film se propose comme l'évolution d'un regard, scandée de façon décisive et critique par l'irruption du crime évanescent, événement absent présent dont la venue comme une faille partage en deux moments l'histoire des rapports ' du photographe au monde: en deçà, le héros tient ce monde à distance par sa voyure photographique, mais en même temps il en est le complice; il est

La Quinzaine littéraire, 15 au 31 mai 1967.

de connivence avec · le monde du paraître, du regard; monde en deux dimensions, monde sans profondeur, infirtiment plat. Mais au-delà de l'invention du crime - invention libératrice qui passe par les voies de l'aliénation même, puisque c'est l'image qui est le dévoilement - le rapport s'inverse: jadis à distance, le photographe désarmé est immergé dans l'immédiat du monde londonien, il le côtoie et s'y baigne, mais la réalité brute du crime a percé la surface de l'image : il ne peut plus être complice, c'est comme un étranger qu'il voit les autres. La ville, les Rolling Stones, la marijuana - pàrtie, autant de lieux par où il faut passer encore pour y chercher désespérément les chemins perdus d'un retour aux choses mêmes, mais dOIit le charme est à ja-

mais rompu; autant de lieux qu'Antonioni nous montre, prenant la relève de son héros dans un rôle que celui-ci dessillé, voyeur devenu spectateur, ne peut pas remplir: celui de témoin. Ni du crime que Londres lui dérobe, en le retenant en arrière, ni de Lono.res qu'il voit tel quel, le héros, oscillant indéfiniment entre les deux mondes également impossibles du paraître et de l'être, ne pourra porter témoignage faute de moyens d'expression pour le traduire. C'est au metteur en scène .de succéder au photographe et de rétablir la continuité du sens entre les m aillons disloqués. Mais lui non plus, rien ne le garantit désormais, ainsi que le spectateur du film, contre cette menace intérieure, ce danger inhérent à l'acte même de tout :re-

gard. Tant est dévorateur le monde de l'image, qu'il interdit la récupération du réel, qu'il interdit le retour vers les choses mêmes. C'est peut-être là le -sens tragique de cette étrange et fort belle partie de tennis, mimée sur un court sans balles ni raquettes, qui vient clôturer le film à la façon d'un chœur antique : ballet de gestes silencieux qui impérieusement force celui qui voudrait s'y soustraire à entrer lui aussi dans le jeu, à jouer le jeu, jeu fou d'un reflet qui se mime lui-même dans l'aberration ·d'uIie réduplication à l'infini, et s'interdit de jeter un regard sur un réel qui n 'existe peut-être déjà plus. Il n'est pas indifférent que ce soit à l'écriture cinématographique qu'il ait incombêde ·le dire. lean-Marie Benoist


une révolution technique au service de la réforme de 'ensel1 nement: 3:~;~:~ti CgOa:cc~~~ l

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René Constant Marceau ou le château en Ardennes Flammarion, 256 p., 14 F Un homme invente sa vie en la racontant.

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André Dhôtel lumineux rentre chez lui Gallimard, 288 p., 15 F Les aventures de Bertrand 'Lumin, homme terne mais disponible.

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Jean Freustié les collines de l'Est Nouvelles Grasset, 148 p., 14 F Ces solitaires qui essaient d'échapper à eux-mêmes.

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POÉSIE Alain Bosquet Pierre Seghers les poèmes de l'année Seghers, 280 p., 15 F Les poèmes marquants de l'année 1966. Dix-sept poètes de la R.D.A. P.-J . Oswald, 192 p., 15 F. La nouvelle génération. Edition bilingue. Guillevic Euclidiennes Gallimard, 68 p.,. 7 F. Gérald Neveu Fournaise obscure Coll. « L'aube dissout les monstres ». P.-J . Oswald, 160 p., 15 F. Première édition d'ensemble. Gisèle Prassinos les mots endormis FlammariOn/Poésie 144 p., 7,50 F. Jude Stefan Cyprès Gallimard, 136 p., 9 F.

BIOGRAPHIES MEMOIRES Michel Bataille Gilles de Rais 100 documents iconographiques Planète 311 p., 19,50 F. Jean Follain Pierre Albert-Birot Seghers, 200 p., 8,40 F, Un des animateurs de la vie poétique des années 20. Claude Pichois Baudelaire à Paris Photo . de M. Rué . 120 planches et une carte. Hachette, Bibli. des Guides Bleus, 168 p., 55 F. Les différents domiciles et les lieux d'élection de Baudelaire à Paris.

Aubier-Montaigne, 512 p., 26,10 F. René R. Kawam les Mille et une nuits Tome 3 : l'épopée des voleurs. A. Michel, 328 p., 21,59 F. Après la terreur, la construction d'une société nouvelle à Bagdad.

ESSAIS Des millions de jeunes Aspects de la jeunesse Tome 1 Etudes recueillies et présentées par C. Dusrane Cujas éd ., 620 p., 24 F. Les 15-24 ans dans la société contemporaine. Vladimir Jankélévitch le pardon Aubier-Montaigne, 216 p., 12 F. Le mystère d'ulle méchanceté plus forte que tout pardon. Georges Mauco Psychanalyse et éducation Aubier-Montaigne, 260 p., 12 F. Par le fondateur du premier centre psycho-pédagogique français. André Parrot Clefs pour l'archéologie Seghers, 192 p., 8,40 F. Historique, bilan et méthodes de travail de l'archéologie. André Soubiran lettre ouverte à une femme d'aujourd'hui Coll. « Lettre Ouverte A. Michel, 160 p., 8,40 F.

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Max Gallo l'affaire d'Ethiopie aux origines de la guerre mondiale 12 illustrations. Centurion, 290 p., 24 F. Où l'on voit s'affronter pour la première fois les futurs protagonistes de la guerre 39-45 .

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Vers le dépassement de cette notion périmée le nationalisme. DOCUMENTS

Frank Elli La mutinerie trad. de l'anglais par J. Hall et J. Lagrange Flammarion, 288 p., 15 F.

Dans un pénitencier américain, quelques hommes tentent d'échapper à leur enfer. Cesira Fiori Une femme dans les prisons fascistes trad. de l'italien par M. Pascalis et A Salem. Ed. Français Réunis, 37'8 p., 18,60 F.

La répression fasciste vue par une femme, à la fois témoin et acteur. Charles-Noël Martin Féérie du monde invisible Très nombr. photo. Hachette, 112 p., 25 F. Les splendeurs de l'infiniment petit. Jacques Meyer La vie quotidienne du soldat pendant la Grande Guerre Hachette, 379 p., 15 F. Edmond Petit Histoire mondiale de l'aviation nombr. illustrations Hachette, 425 p., 90 F. Des origines - très lointaines : 1020 - , à nos jours. Robert Le Serree Autour du monde 35 illustrations Arthaud, 288 p., 20 F. Cinq ans de pérégrinations difficiles à bord d'un thonier. Paul-Michel Villa L'Angleterre, un monde à l'envers Hachette, 240 p., ' 12,50 F.

L'Angleterre, vue par un correspondant de presse français .

Frantisek Dvorak Dessins de Hans Holbein le Jeune 57 planches. Cercle d'Art, 166 p. Les plus beaux portraits du Château de Windsor, du Musée de Bâle et du British Museum.

Un amour Livre de Poche.

Guillaume Janneau L'époque Louis XV 40 pl. dont 8 en couleurs P.U.F., 188 p., 18 F. L'étude de toutes les formes d'art qui ont donné un visage à la première moitié du XVIII' siècle.

Georges Duhamel Combat contre les ombres (Chronique des Pasquier) Livre de Poche.

Edouard Julien Les affiches de Toulouse-Lautrec. André Sauret, 102 p., 86 F. Les 31 affiches créées

par le peintre. Jean Leymarie L'esprit de la lettre dans la peinturé 35 reprod. en couleurs Ski ra, 10q p., 55 F. Le thème de la lettre chez Vermeer et chez les meilleurs peintres intimistes de son tem~s. Erwin Panofsky Essais d'Iconologie Les thèmes humanistes dans l'art de la Renaissance trad. de l'anglais par C. Herbette et B. Teyssèdre Gallimard,

Images grotesques et tragiques du plus délirant des expressionnistes. Georges Duby Adolescence de la chrétienté occidentale 111 III. dont 72 en couleurs Sklra, 115 F. Apparition et affirmation de l'art sacré entre le X· et le XII' siècle.

Paul Eluard La vie immédiate La rose publique Les yeux fertiles L'évidence poétiqu1J Gallimard/Poésie. Fromentin Dominlqlle Garnier/Flammarion. Roger Peyrefitte Chevaliers de MalteLivre de Poche. Jean Ray Harry Dickson De la démence considérée comme un des beaux-arts Marabout Géant.

Henri Troyat Une extrême amitié Livre de Poche.

Le Parc, immense vaisseau si j'en crois les reporters lyriques de L'Equipe, palpite dans l'ombre sourdement, rempli jusqu'aux lèvres si j'ose dire, d'une foule qui gronde, à composition majoritaire d'épiciers-taxis généralement corses qui s'égosillent BAS-TIA ! BASTIA ! BAS-TIA ! et lancent partout bombes, fusées, pétards : boum ! ... vraoum ! ... hoïeng ! ... une fiesta, sans parler des parfums qui se déchaînent : sniff ! snüf ! sniff ! - patchouli, hot-dogs, cigarillos.

Jules Verne Le pays des fourrures livre de Poche.

A 20 h 29 G.M.T. les projec~ teurs s'allument d'un seul coup, révélant dans la foule compacte une coupure, une sorte de carré rectangulaire vert-laitue, on en mangerait : c'est le terrain, et tandis que le hurlement enivré de la foule a atteint vingt-quatre mille décibels, les deux équipes débouchent du tunnel, souples, jolies, multicolores : les bleus, Bastia, les bleu-jaune, Sochaux, à rayures, bas blancs, au petit trot . .

Essais Georges Friedmann Où va le travail

humain? Gallimard, Idées. Gregorio Maranon Don Juan et le donjuanisme trad. de l'espagnol par M.-B. Lacombe Gallimard/Idées.

cette sphère, d'un coup de bottine bien placé, dans un espace que déli· mitent, outre le sol, trois poteaux blancs. .cc Sochaux, ils sont plus forts, mais Bastia, ils en veulent ». dit mon voisin. Je note avec plaisir que la syllepse, figure de grammaire rarissime, si l'on en croit les grammairiens, et dont ils connaissent un seul exemple, échappé au génie de Racine dans Athalie1 est précisément la figure par laquelle le peuple français s'exprime, au sta· de, couramment, à croire même qu'il ne peut s'exprimer par. aucune autre. « Ils en veulent, Bastia » :' syllepse. « Sochaux, ils sont plus forts », :. syllepse. « Allez, Bas· tia ! » : syllepse. « Sochaux, quels glands! » : syllepse, syllepse, syllepse encore. Je note aussi combien l'avantcentre Queneau a ra!son, contre l'arrière-garde syntaXIque débordée, où je distingue, hélas ! hélas ! hélas ! le capitaine Etiemble en perdition, lorsqu'il affirme que, désormais, en contemporain-french, la construction classique de la phrase n'est plus: le sujet, le verbe, le complément, mais une construction importée du chinook, « langue proche parente du takelma construction selon quoi il convient de placer en tête de la phrase l'ensemble des indications grammaticales abstraites (ou morphèmes), et en queue l'ensemble des données concrètes (ou sémantèmes). Par exemple: « Ils ont bien (morphèmes) joué ce soir, Sochaux ! (sémantèmes). » Et en effet, à la cinquante-quatrième minute, le capitaine sochalien Quittet, qui se tient en embuscade aux dix-huit mètres, d'un coup de savate, aï Mamma ! vachement vi· cieux quoique légèrement téléphoné, envoie le ballon dans la lucarne. « Il y est! » Le goal de Bastia part en élastique, mais trop tard. six cent trente Corses s'évanouissent : un ' à zéro ! C'est parti, mon kiki, pour les demi-finales: SochauxRennes, au Parc, avec des Bretonnes palpitantes et plusieurs orchestres de binious, j'ai pas l'intention de louper ça !

»,

Pierre Bourgeade 1. Entre le pauvre et vous, vous prendre1-

ARTS

120 p.

Dumas Les trois mousquetaires Garnier/Flammarion.

Le système néoplatonicien et la doctrine des « résurrections -.

THÉATRE

Jacques Damase L'œuvre gravé de James Ensor 45 illustrations Ed. Motte, Genève,

Diderot Le neveu de Rameau Garnier/Flammarion.

400 p., 45 F.

Jacques Thuillier Fragonard 48 ili. en couleurs . Skira, 162 p., 39,50 F. Un Fragonard moins connu que « le peintre des boudoirs '.

« 3· édition », que dit L'Equipe, et dramatique, du quart de finale Sochaux-Bastia, en Coupe de France, j'ai pas l'intention de louper ça. Le foot se fait rare, à Paris, depuis .la disparition inexplicable des Pingouins, et les seuls qui restent, le Stade, malgré la valse ininterrompue des entraîneurs et cette fameuse recrue brésilienne, Ignacio, la cloche brune, c'est zéro, c'est plus de l'Assoce, c'est de la dentelle, de la fusette, du crochet ! Sochaux-Bastia, tout au contraire, nous promet tout : le jeu scientüique, le muscle, la technique, la furia corsica, sans parler du contraste physique vraisembla~le, toujours quelque peu fascinant, entre les grands balèzes blonds, venus de l'Est, et les maigres insulaires calamistrés, noirâtres, aux yeux de feu. C'est dire l'affiche. C'est dire les promesses du match-phare. C'est dire que le 12 mars' 1967, chez Lipp, à 20 heures, dans une société aussi peu foothallistique que permis, mais où quelques mousmées alanguies papotent littérature exquisement, j'invoque des migraines subites et je me casse.

Jean-Pierre Chabrol Un homme de trop Livre de Poche.

Armand Salacrou Boulevard Durand Livre de Poche.

Splendeurs de l'Ermitage Tome 3 : La peinture en Europe du XIV' au XVI' siècle 280 p. reproductions en couleurs. Hachette, 50 F. Un des plus riches musées du monde.

Au foot

Georges Michel La promenade du dimanche Présentation de J.-P. Sartre Gallimard, 200 p., 12 F.

Juan Ortega y Grasset La révolte des masses trad. de l'espagnol par L. Parrot Gallimard/Idées.

Michel Duborgel La pêche en mer et au bord de la mer Livre de Poche Pratique.

POCHB

Littérature

La civilisation des ioislrs Ouvrage collectif Marabout Université.

Maurice Barrès Les déracinés Livre de Poche. Dino Buzzati

Stanislas-André Steeman Le dernier des six Livre de Poche Policier.

mai 1967.

=____

.Inédits

La vie ramassée en un de ses moments particuliers : le dimanche.

La Quimaine littéraire, 15 au 31

1

Dieu pour juge, La partie s'engage, l'objet que se disputent les joueurs est une sphè- Vous SOlwenant m.on fils que, .-ché sow ce lin. re de cuir fauve nommée ballon, Com.me eux vous fûtes pauvre et comme l'objet du jeu consiste à envoyer eux: orphelin. m.____________.u~'a'_____________________ ~ _______

IORTF Sous réserve de modifications susceptibles d'intervenir ultérieurement, voici les principales émissions littéraires prévues pour la deuxième quinzaine de mai : Mardi 15 mai, 9 h. 05 : La Méditerranée (textes de Cervantès, saint Ignace de Loyola, Lope de Vega, Calderon, saint Jean de la Croix, etc.). Lundi, mercredi, vendredi, 22 h. 40 : entretiens avec Max Aub, par Jean Camp. Cette série présente d'autant plus d'intérêt que Max Aub est pratiquement inconnu encore, en Franc~,

Mardi, 13 h. 40 : Les libraires sa· vent lire (Hervé Lauwick). Mercredi, 8 heures : l'heure de ta culture française est consacrée à la littérature; (le 17 mai : Les écrivains du voyage, les écrivains du XVIIIe siècle et l'esprit scientifique). Mercredi, 9 heures : La littérature. par Roger Vrigny. 13 h. 40: Tribune des critiques. 18 h. 15 : la semaine littéraire. 20 heures : Les Européens, d'après le roman de Henry James, adaptation de Monique Nathan.


Alexander Donat

VEILLEUR OÙ EN EST LA NUIT? Le témoignage d'une famille rescapée des camps de la mort. Livre passionné, tourmenté, terrifiant. Nul doute qu'il ne soit classé parmi les récits les plus frappants sur la vie et la mort du ghetto de Varsovie, Il o scille entre le cri et les larmes. Faits véridiques, épisodes connus et inédits, anecdotes drôles et déchirantes y foisonnent. On croit toujours tout savoir sur tel ou tel aspect de l'holocauste. Erreur, tout reste à découvrir. (Elie Wiesel)

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Traduit de l'américain par C. Durand, 416 p . 19,50 F

ALFRED ANDERSCH Un amateur de demi-teintes (nouv.) 9,50 F 4 nouvelles traduites de l'allemand par S. et G. de Lalène. GIOVANNI DUSI Ma femme 15 F Une crise conjugale dans un couple d'aujourd'hui. Le roman de la jalousie Traduit de l'italien par L. Bonalumi, BRUCE J. FRIEDMAN "Mom" 18 F Une mère américaine. Traduit de l'américain par S. Lecomte.

t~naol" natif! EVGUENIA S. GUINZBOURG Le vertige 19,50 F Le manuscrit qui circulait à Moscou: L'incroyable histoire d'un communiste russe sous Staline. Traduit du russe par B. Abbots et J.J. Marie.

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THEATRE 1. V comme Vietnam, par Armand Gatti 3 F Pièce écrite à la demande du Collectif intersyndical universitaire, créée le 5 avril 67 au Grenier de Toulouse. 2. Monsieur Fugue, ou le mal de terre, par Liliane Atlan. 3 F Pièce créée le 27 avril 67 par la Comédie de Saint- Etienne. SOCIETE 19. Le coOt de la vie, par M. Lévy 4,50 F Pourquoi la " vie" est-elle si chère? Les habi tudes et le progrès techn ique. Les pri x et la monnaie. Comment se servir des indi ces 7 MICROCOSME Coll. illustrée "Ecrivains de toujours" 75. Mme de Sévigné, par Jean Cordelier 6 F

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Le désir et la perversion

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re.,ues CAHIERS POUR L'ANALYSE No 7. 6 F Du mythe au roman. COMMUNICATIONS 9. 10 F La censure et le censurable. SOCIOLOGIE DU TRAVAIL 2/67. 8,50 F TEL . QUEL 29. 7,50 F Jean Genet. Roman Jakobson. Philippe Sollers Jean-Pierre Faye. Julia Kristeva. Edoardo Sanguineti.

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La mode soum ise pour la première fois à une véritable analyse sémantique : comment les hommes font-ils du sens avec leur vêtement et leur parole ? Un livre de m éthode et de recherche qui engage aussi une réflexion s u r le problème général de la s ignification.

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Voici Laut réamont, "atiteur maudit", m is à sa place dans le conc ile "de t oujours" des écrivains. Et il Y entre comme un "pro p hèt e" : le premier, pour M arcelin Pleynet, des auteurs d e la modernité.

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