La Quinzaine littéraire n°23 du 1er mars 1966

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Ulnzalne littéraire

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Numéro 23

1er mars 1967

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Une tragédie nouvelle

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Les

.Magie indienne Colette

.Mrozek.


SOMMAIRE

L. LIVR. DII LA QUINZAIN.

Elio Vittorini

Les Femmes de Messine

par Maurice Nadeau

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LITTtBATUBB tTRANGÈRE

F. Scott Fitzgerald Thomas, Pynchon Slawomir Mrozek Karl Mickinn

Les Enfants du jazz

par par par par

8

8

v.

Théâtre C'est à Hambourg ...

IN2DIT

Jean Wagner Serge Fauchereau Victor Fay Guy Rohou

La tragédie ne revient pas du côté où on l'attendait

par Jean-Marie Domenach

ROMANS l'RANQAIS

François-Régis Bastide Colette

La Palmeraie Autobiographie

par Maurice Chavardès par Geneviève Bonnefoi

tl 1

P IN'rUR

José Pierre Frank. Jotterand Georges Ribemont-Dessaignes

Le Futurisme et le Dadaïsme Georges Ribemont-Dessaignes Théâtre

par Raoul Hausmann par Noël Arnaud

tt

HISTOIRE

André Monglond

Le Préromantisme français

par Lucette Finas

18

URBANISNB

H: Coing

Rénovation urbaine et changement social

par Françoise Choay

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PBOTOGRAPRI

Bill Brandt

Ombres d'une île

par Jean A. K,eim

Germaine Richier

par G.-B.

Jeanne Danos

La Poupée, mythe vivant

par Josane Duranteau

Alfred Métraux

Religions et magies indiennes d'Amérique du Sud

par Roger

Georges Friedmann

Sept études sur l'homme et la technique Atlas historique de la France contemporaine

par Bernard Cazes

Un parlement pour quoi faire ? L'U.N.R., étude du pouvoir au sein d'un parti politique La démocratie sans le peuple Prévoir le présent Pour gouverner Les Politiques L'Economie au service du pouvoir La Fin d'une agriculture

par Pierre Avril

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ET POt8111

LITT~R~IRJil

80VLPTUB t8

J UN SS

TBNOLOGI 10

SOOIOLOOI

René Rémond

8t

POLITIQU

André Chandernagor Jean Charlot Maurice Duverger Edgar Faure Pierre Uri Pierre Viansson-Ponté Philippe Bauchard

83

François-H. de Virieu

84

BNTBBTISN

88

ARMEII

Bas~

par M.F.

par Guy Bost-Lamondie

Jean-François Revel, pourquoi vous présentez-vous ? J. Nobécourt Jean Planchai!'

Une histoire politique de l'armée. 1/1919-1942 Une histoire politique de l'armée. 11/1940-1967

par Paul Bouju

88

QUINZB JOURS

Man Ray-Sade

par Pierre Bourgeade

88

PABIS

Sur Dom Juan

par Robert Abirached

Publicité littéraire : La Publicité Littéraire 71, rue des Saints-Pères, Paris 6 Téléphone 548-78-21.

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La Quinzaine littéraire

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Publicité générale: au j?,urnal.

p. 3 Lüfti Ozkok p. 4 Gallimard éd. p. 7 Lüfti Ozkok

Abonnements: Un an: 42 F, vingt-trois numéros. Six mois: 24 F, douze numéros. Etudiants: six mois 20 F. Etranger : Un an: 50 F. Six mois: 30 F. Tarif d'envoi par avion: au journal.

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Copyright: La Quinzaine littéraire.

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Marc Riboud, magnum Lüfti Ozkok George Rodger, magnum Roger Viollet Rencontre éd. Coll. André Breton Roger Viollet René Burri, magnum Philippe Daniel Marc Riboud, magnum Thomas Hopker, magnum Roger Viôllet X., magnum Denoël éd. Roger Viollet N. Tikhomiroff, magnum Lipnitzki


LE

LIVRE ,DE

LA QUINZAINE

TOlnbés hors de l'histoire Elio Vittorini Les Femmes de Messine traduit de l'italien par Michel Arnaud Gallimard éd., 406 p.

Il y a un an, en février, disparaissait Elio Vittorini. Nous nous consolons mal de lire aujourd'hui de lui un ouvrage posthume : ces Donne di Messina, qu'il publia en 1949 et à la traduction duquel il s'opposa avant de le remanier ~t d'en donner ,une version définitive, en 1964. Pour quelles raisons le premier état de ce roman ne le satisfaisait-il pas ? C'est en tout 'cas après l'avoir publié qu'il garde un long silence, jusqu'en 1956: Années dures : il perd son fils et, semble-t-il, toute envie d'écrire. S'il continue de jouer un rôle important dans l'édition italienne et s'il ne cesse d'être un maître pour les jeunes romanciers, il se sent luimême à la croisée des chemins, étant de ces écrivains qui refusent de se répéter ou d'exploiter une manière qui a fait leur succès. Après la Garibaldienne et le Journal en public, il est à la recherche de nouvelles sources d'inspiration, d'une nouvelle façon d'appréhender par le roman, l'écriture, les p1:oblèmes qui se posent à lui vers ces premières années soixante, ,quand la maladie le frappe. De ce qu'il écrit à cette époque, nous verrons peutêtre la trace quelque jour. Les Femmes de Messine termine une période de sa vie d'écrivain et la résume, en ce sens qu'on y trouve tous les thèmes de Vittorini, sa faculté de saisir la vie à- son niveau élémentaire, à travers les conduites quotidiennes d'êtres généralement démunis mais qui veillent jalousement sur l'étincelle qui fait d'eux, malgré tout, des hommes, supérieurs, en définitive, aux grands événements qui les brassent et les ballottent ou dont ils sont les victimes plus ou moins innocentes. L' « humanité» de l'homme ne CO::lstitue pas une réponse à tous les problèmes, mais « l'histoire »dans laquelle les hommes sont pris ferme autant d'issues qu'elle en ouvre. A mesure qu'il s'éloigne du communisme conçu comme une politique au jour le jour, Vittorini affronte des questions que « la vie » pas plus que « la révolution » n'est capable de résoudre par de simples recettes. Tout était plus clair sous le fascisme ou pendant la Résistan. ce. La lutte pour cc l'humanité » se confondait avec la lutte contre un ennemi, un régime, visibles et tangibles, oppressants. Le mili. tant épaulait le romancier, lui dési. gnait les zones où porter ses coups. Le romancier guidait le militant, lui traçait des perspectives ignorées des politiques. Ils marchaient de conserve et du même pas. Le fascisme tombe en frustrant plus ou moins ses adversaires de leur victoire. La- retraite des Allemands

Elio Vittorini

s'opère dans les ruines et le chaos. si les relations humaines sont déComme dans la plupart des pays nuées de complexité, il peint en red'Europe touchés par la guerre, les vanche dans tous ses détails, quohommes ont une mentalité de sur- tidiens et matériels, l'existence de sa petite communauté, il la partage vivants. Ce sont quelques-uns de ces sur- et nous la fait partager, dans ses ' vivants - au sens propre : ils ont humbles drames, ses intrigues cautout perdu et sillonnent la campa- sées par la jalousie ou l'intérêt, gne, les routes, à la recherche d'un ses élans d'enthousiasme, ses repoint où se fixer - que Vittorini tombées dans l'ennui d'un combat rassemble dan::. un village en rui- de tous les jours et qu'il faut pourne et abandonné de ses habitants, suivre coûte que coûte afin de surquelque part entre Modène et Bo- vivre. Sa peinture a la fraîcheur logne. Ils sont venus les uns après des meilleures pages de Conversales autres, l'un après l'autre, de di- tions en Sicile, la poésie, sensible verses régions d 'Italie ( quelques et épique du Simplon. Les prefemmes, en particulier de Messine, miers âges de l'humanité devaient où elles ont pris l'habitude de rele- avoir cette rudesse et cette santé. Cependant, ils sont ici vécus par ver les ruines après les tremblements de terre) et, entièrement des civilisés et la robinsonnade coupés du monde, sans ressources, tourne court, on s'en doute. Elle avec leurs seuls bras et leur intelli- était un produit des circonstances, gence, ils vont s'efforcer de résou- une nécessité provisoire. Les chodre les problèmes pressants de Ro- ses et les hommes reprenant peu à peu leur place après le grand ébranbinson dans son île déserte. Ils vivent la préhistoire de l'humanité lement de la guerre, et l'Etat ses dont ils parcourent peu à peu les fondations, et la Loi ses exigences, étapes, de la cueillette à la chasse, on voit d'abord tourner autour du à la domestication des animaux, à village perdu dans la montagne un l'agriculture, au troc. Ils rempor- agent du cadastre. Il fait valoir les tent une grande victoire quand ils droits des anciens propriétaires. Il peuvent atteler un mulet à un cha- serait un peu policier que cela riot et échanger de la ferraille de n'étonnerait guère. Un peu maître guerre contre des graines, une au- chanteur également, et qui « sait tre quand ils récupèrent un ca· des choses » sur la cheville ouvrièmion qu'ils munissent d'un moteur re du groupe, un jeune officier de tank. A la vie étroitement com- fasciste évadé. L'inquiétant M. munautaire des premiers jours (ils Charles ameute contre celui-ci d'andorment par exemple l'un près de ciens « partisans » qui ont conservé l'autre dans les bas-côtés non com· l'habitude de régler personnelle. pIètement effondrés de l'église) suc- ment leurs comptes. Le trouble se cède un semblant de vie individuel- inet dans la communauté qui ne le déterminée par la division du traM sait quelle attitude adopter à l'égard vail et les rapports entre les sexes. d'un de ses fondateurs. Elle ne le Ils recouvrent peu à peu une vie livrera pas, mais lui, se livrera-t-il, humaine, précaire et primitive, sou· ou prendra-t-il la fuite ? Tout le mise aux aléas des saisons, au ra. monde a le sentiment qu'il s'agit tionnement des denrées indispensa. là de vieilles histoires. De même bles, aux fluctuations de leurs rela. que- commence à devenir une tions individuelles, parfois à l'ennui « vieille histoire » l'élan initial qui qui les fait soudain s'évader vers a fait se rassembler des hommes et la ville et une vie qui, dans le res- des femmes dépourvus de tout et te de l'Iialie, a repris cahin-caha même de leur passé. Dans un pays, son cours. Cependant ceux qui tin univers qui ont repris ' leur sont partis,_ un jour reviennent à mardte, le village des nouveaux l'île déserte. Ils semblent y avoir Robinsons apparait comme une surconnu une sone de bonheur. vivance, un retour utopique à un S'agit.il d'une aIlégorie ? Viuo- genre de vie périmé. S'y confiner, rini s'applique à n'en pas donner c'est vouloir se tenir hors du coul'impression. S'il s'attache peu à rant général, c'est tomber hors de fouiller les psychologies individuel· l'histoire. Seul l'ex-jeune fasciste les et se contente de camper des demeurera à cultiver son lopin de personnages aux ressorts simples, terre, en nouveau paria.

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 mars 1967.

Le lecteur s'attendait à une belle histoire de retour à la terre et au primitivisme, dans le flamboiement de la nature, le cours harmonieux des saisons et l'exaltation de la liberté, un peu comme, avant la guerre, les tricotait Jean Giono, et il n'aurait pas été fâché que l'utopie fit davantage valoir ses droits. Elio Vittorini est trop honnête pour donner dans ces fables, pour laisser ouvertes des portes que l'époque a brutalement fermëes au nez des hommes qui entendraient faire leur salut seuls, en égoïstes, séparés de la masse à n01;lveau asservie par la remise en route des appareils économiques, sociaux, étatiques. Seule la nécessité a fait se rassembler une poignée de survivants. C'est encore la nécessité qui leur commande de rentrer dans le circuit général de ce qu'on appelle la civilisation moderne. S'ils doivent passer du règne de la nécessité à celui de la liberté, c'est avec l'ensemble de tous ceux qui travaillent, produisent et souffrent. Il n'existe pas d'échappatoire individuelle. D'où la déception qu'on éprouve, d'où le sentiment que le romancier a tourné court. En fait, il a préféré la vérité à la fiction et demeure fidèle à lui-même en éclairant un problème qui, une fois de plus, n'a rien de littéraire : celui des rapports qu'entretient l'individu, l?homme de ce temps, avec la société dans laquelle il vit, avec son époque, avec l'histoire. Victime de cette histoire, pour peu qu'il prenne conscience de son état l'homme la façonne et l'infléchit, alors qu'il est sans pouvoir sur elle' s'il l'igno. re et la refuse. Depuis qu'il a com. mencé d'écrire, Elio Vittorini était hanté par des questions de cet ordre. Ce sont elles qui nourrissent son œuvre et la garderont longtemps vivante. D'autant que le romancier, le poète ne baissent jamais pavillon. Les Femmes de Messine se dérou. le comme un long poème épique, avec chants, chœurs, récitatifs, et on le devine écrit dans cette langue admirable, à la fois enracinée et légère, évocatrice, infiniment suggestive, dont Michel Arnaud, avec bien du mérite, a tenté de donner l'équivalent français: Lan. gue toute proche des réalités matérielles, des besoins élémentaires, des phénomènes naturels qu'elle dé. cape jusqu'à les faire apparaître dans leur fraîcheur native, et qu'el. le exhausse en mêD;le temps dans leur familiarité essentielle. Langue accordée à cette vieille terre latine, à ces anciennes civilisations méditerranéennes où, en dépit de toutes les catastrophes et de tous les ébranlements de l'hi,s toire, la vie garde une saveur ignorée par. tout ailleurs. Qui refuserait de se baigner à nouveau dans cette eau de Jouvence? Maurice N wIeau 3


LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE

• Le poète de la Jeunesse F. Scott Fitzgerald Les Enfants du . jazz traduit de l'américain par Gisèle Mayoux Gallimard éd., 289 p. Ce recueil de nouvelles est destiné à ceux qui n'aiment pas Scott Fitzgerald. J'appelle ainsi ceux qui n'aiment pas tout Scott Fitzgerald, de Tendre est la nuit à sa plus futile lettre. Ils sont de plus en plus nombreux ceux qui pensent qu'entre les textes impadaits de Fitzgerald et ceux qui sont admirés par tous, il n'y a pas de différence de nature, que le moindre paragraphe est marqué par l'homme et son style. S'il est un auteur qui justifie « la politique des auteurs » - ·c'est-à-dire une politique consistant à appréhender l'œuvre entier d'un homme et non chaque texte en particulier - c'est bien F .. Scott Fitzgerald. Les Enfants du jazz s'adresse à tous dans la mesure . où, à deux ou trois exceptions près, ce recueil est composé de nouvelles parfaites. Dans des registres opposés,. , Guimauve, la Lie du . bonheur, la Sorcière rousse, l'Etrange histoire de Benjamin Button sont des œuvres classiques par la simplicité et la solidité de l'architecture comme par l'universalité du ton. On oublie trop souvent que Fitzgerald, au-delà de sa légende, était d'abord - et délibérément un écrivain. C'est lui qui confiait à un jeune écrivain" : « C'est ici qu'intervient le talent, quand il s'agit de distinguer les fleurs communes, connues de tous mais qu'on n'admire guère, la végétation luxu-' riante et trompeuse, de la frêle fleurette souvent imperceptible, blottie dans un coin et qui, cultivée à la Burbank, sera l'unique récompense du jardinier. » (Lettres de F. S. F., p. 617.) C'est à cette fleurette qu'il s'est consacré, par. delà ses déboires. La technique romanesque de Fitzgerald· mériterait à elle seule une étude approfondie (cette étude a été tentée aux Etats-Unis par M. James Miller) : moins spectaculaire que celle de Faulkner ou de Hemingway, elle est aussi neuve et aussi originale. Tous ces récits appartiennent à la première partie de la vie de Fitzgerald, à sa période flamboyante. Zelda, sa femme, n'était pas encore ouvertement malade. Il gagnait de l'argent, beaucoup d'argent, qu'i1 dépensait largement. Il avait atteint son but : être riche avec la femme aimée. Il était le jeune homme beau, brillant, insouciant des lettres américaines. Rien ne laissait prévoir la folie de Zelda, la pauvreté, la déchéance physique. A l'époque, nous aurions découvert ces nouvelles d'un œil innocent. Nous ne les aurions pas parcourues en ayant en tête l'un des textes les plus déchirants qui se puissent lire, la Fêlure. Fitzgerald est l'un des rares écrivains qui aura, par son destin, infléchi 4

la lecture de ses premières œuvres. lui a manqué. L'argent, le thème C'est tout au long de ce livre qui revient constamment dans qu'apparaissent les lézardes du toutes ces nouvelles. Tous les héros désenchantement. Cet univers de des Enfants du jazz ont des la fêlure était profondément ancré ennuis d'argent, ennuis qui se réen Fitzgerald. La brillance, la percutent sur la vie des' couples. -beauté est toujours trop belle pour Parfois, la transposition est d'une durer. C'est là l'une des clés de transparence un peu naïve : dans Fitzgerald : il nous peint le monde la Guimauve, Jim est un garçon qui passe sous les couleurs les plus pauvre qui apprend un truc renchatoyantes. Il saisit en termes in- table en l'occurrence, tricher comparables ·le miracle de la vie. aux dés - pour conquérir la fille Tout un pollen coIdré se plaque riche qu'il aime. Comme Fitzgerald sur les êtres et les choses et en devint écrivain à succès pour même temps que ce paradis nous conquérir Zelda qu'il aimait. est dévoilé, nous entrons dans l'enL'univers de Fitzgerald est comfer de l'éphémère, de l'irrémédiable, de la rouille du temps, de la posé de choses simples, de soucis fragilité du beau et du vivant. Il dérisoires, de sensations fugitives. suffit à l'écrivain de .la Lie du Il n'a pas dénoncé les puissances bonheur, d'un minuscule caillot d'argent ni pressé les raisins de la de sang qui vient se loger dans le misère. Pas le moindre message, cerveau pour que tout s'écroule : seulement la transposition d'une existence quotidienne qu'il a voutalent, amour, bonheur. Tout est fragile,' et surtout l'être ' lue exceptionnelle. Si je me suis le plus merveilleux et le plus f~a­ attardé sur les thèmes de la ' femme gile, la femme. Elle est au cœllr et de l'argent, les plus obsessionde toutes les nouvelles des En,- nels, ce serait une erreur de croire que l'univers de Fitzgerald peut se réduire à quelques thèmes. Et pourtant personne n'aura mieux que lui rendu compte du désarroi qui a saisi l'homme américain depuis quarante ans. Nul mieu~ que lui n'a su exprImer la position inconfortable de l'individu d'autant plus solitaire . que la société où il vit est plus confortable. Sans être particulièrement doué 'p our ce jeu, Fitzgerald a choisi de conquérir sa place dans cette société. Il a parié et il a perdu. Et il a trouvé la sérénité de la douleur : « La vie était venue vite pour ces deux-là et repartie sans laisser d'amertume, mais de la compassion; nulle désillusion, mais de la douleur.» " (P. 190.) Mais, dans son domaine F. Scott Fitzgerald véritable, il a gagné. Aujourd'hui, comme l'a 'montré récemment M. Jacques Cabau, Fitzgerald est fants du jazz. Fitzgerald est de partout, dans la littérature (Roth, ceux qui ont toujours aimé la même les Gold, Capote), dans le cinéma femme, celle qui « incarnait l'éclat (Minnelli, Edwards, Quine). Il n'est de son temps, l(l liqueur suave des pas jusqu'au ' jazz auquel pourtant regards, les chansons qui émou- Fitzgerald ne se réfère jamais (pour vaient les cœurs, les toasts portés lui, le jazz était le symbole d'une et les bouquets offerts, les bals et époque 'plus qu'un langage musiles dîners» (p. 168) : ce fut d'abord cal) où l'on ne retrouve son uniGinevra King; puis Zelda Sayre, vers : de Bix Beiderbecke à Miles qu'il devait épouser et qui devait Davis. prendre tant de place dans sa vie L'auteur des Enfants du jazz et dans son œuvre. Physiquement, avait joué le rôle de Cendrillon : cette femme est grande,' mince, très il s'est retrouvé avec ses pépins de féminine d'allure mais "sa.n s les at- citrouille mais ces pépins sont si tributs habituels de la femme. C'est, éclatants qu'ils sont ceux d'un vaindisons, l'Audrey Hepburn de l'ad- . queur. Entre son auto-destruction mirable film de Brake , Edwards, désinvolte et le suicide final d'HeBreakfast at Tiffany's. Psychologi- min,!!;way, la différence n'est pas quement, c'est la femme qui se veut grande. Mais l'amertume n'est pas folle (et qui finit par le devenir), . pour Fitzgerald : lui, le poète de l'être inconscient et cruel, incapa- la jeunesse qui meurt, est mort ble d'assumer la moindre respon- jeune. Personne ne l'a connu vieux, sabilité, c'est le beau bijou de luxe ni sa fille Scottie, ni sa femme qui nourrit les rêves des homm~s. Zelda, ni aucun de ses amis. Tous Fitzgerald n'est jamais sorti de son ont le souvenir d'un homme qui, rêve : il avait idéalisé une certaine jusqu'au bout, est resté le même idée de la femme. Malgré tout ce adolescent magnifique. Littérairequ'il eut à souffrir de Zelda, il ment, son règne est à peine comresta fidèle à cette idéalisation. mencé. La petite lumière verte de Son seul regret fut de n'avoir pu Gatsby n'est pas près de s'éteindre. la vivre plus longtemps. L'argent Jean Wagner

Thomas Pynchon

V. traduit de l'américain par Minnie Danzas Plon éd., 496 p. Chapitre 1 : La veille de Noël 1955, nous faisons connaissance de Benny Profane, ancien matelot qui traîne de boîte en boîte et nous fait connaître Pig Bodine, Paola, Rachel. Sans travail, il est recueilli par les frères Mendoza et leur sœur Fina qui le feront travailler « aux alligators ». Chapitre Il Rachel rencontre " le chirurgien esthétique Schoenmaker, puis Herbert Stencil qui recherche une mystérieuse V. dont son père, Sidney Stencil, a parlé avant de disparaître, juste après la guerre. Partouse à la « Tierce des paumés », société de petits pontes désœuvrés. Jazz d'avant-garde de McLintic. Chapitre III : Il est question d'un certain Porpentine et de Bongo Shaftsbury, d'un garçon de café, nommé Aïeul, du factotum .Yussef, de Max Budge, de W aldetar, de Girgis le saltimbanque, de la barmaid Hanne, peut-être incarnations successives de Stencil. L'action, inextricable, se situe en Egypte' à l'époque de Fachoda ; bagarres, espionnage ? Chapitre IV : Esther va voir son amant. Schoenmaker, mécanicien de l'aviateur Godolphin, qui sera défiguré après une opération ratée, suscitant ainsi sa vocation de chirurgien esthétique. Stencil s'intéresse à Godolphin et donc à Schoenmaker. Opération atroce du nez juü d'Esther. Chapitre V : Profane poursuit un alligator dans les égouts de New y Qrk et retrouve les traces d'un prêtre fou qui vivait et prêchait au milieu des rats. Winsorne, Mafia, Pig Bodine se rencontrent. Chapitre VI : Profane parmi les jeunes beatniks. Séances d'amour à la sauvette. Fina cherche à se faire dépuceler; y par'vient finalement. Profane s'en va . Chapitre VII : Eigenvalue possède un dentier de métaux précieux. Au mois d'avril "1899, Evan Godolphin arrive à Florence et y cherche son père; il tombe dans les péripéties d'une affaire d'espionnage, de révolution vénézuélienne, de vol de tableaux.; il est question d'un pays inconnu nommé Vheissu, du pôle Sud et de vingt autres histoires. Chapitre VIII... A mesure qu'on entre dans ce gros livre, . il semble devenir de plus en plus touffu; le lecteur comprend qu'il n'y a rien à comprendre ou plutôt, comme lui suggère l'auteur, gu'il est « au cœur d'une formIdable cabale, sans même soupçonner de quoi il s'agit )). Comme je n'ai indiqué que quelques faits de ces sept premiers chapitres (qui ne forment qu'un tiers du livre) on comprend que l'expression formidable cabale n'exagère en rien. Suivant, ou imaginant, ou rêvant la quête' de Stencil junior retrouver la mystérieuse V. dont son père disparu (et


v. mort) se préoccupait - le livre nous promène encore avec quelques dizaines d'autres personnages en Afrique du Sud en 1922; à Malte en 1942, à Paris en 1913, avec parfois des retours en 1956 à New York. L'épilogue, dont on attendait tout, se place à Malte en 1919 ! Le lecteur est affolé : l'espace et le temps semblent se jouer , de nous, les personnages apparaissent et disparaissent, les personnalités sont incertaines : Max et Ralph ne s~nt-ils p,as le même homme? Ruby est-elle Paola ? L'Evan Godolphin du chapitre IV est-il bien, celui du chapitre VII qui va changer de nom et revenir deux ou trois fois encore par la suite ? On se repère d'autant moins que parfois les personnages ne sont 'désignés que par un simple détail: ainsi cet «homme aux lunettes bleues» dont on ne ~aura jamais le rôle ni l'identité. L'auteur emmêle l'action à plaisir et lance le lecteur sur de fausses pistes; le troisième chapitre « où l'on voit Stencil, acteur à transformations, incarner huit personnages à la suite », est un imbroglio invraisemblable : le lecteur espère que la lumière se fera tôt ou tard sur cet Anglais grimpé dans un arbre, cette bagarre dans le train, ces coups de feu tirés par un « homme à la figure rouge et blanc » ; le lecteur a tort : il n'en entendra plus jamais parler. Les apostrophes à la Lautréamont de l'auteur au lecteur ne visent qu'à noyer le poisson ( une fille couche avec son médecin, ce dernier lui chante une chanson, puis: « Telle fut la genèse (comme qui dirait) très :lI..VUe siècle, du voyage à Cuba que devait entreprendre Esther; et que nous verrons plus tard » ; comment devi-' ner que 250 pages plus loin, elle ira se faire aVOJ;ter à Cuba? Oil dit d'ailleurs que '.le médecin n'y est pour rien) ou alors ce sont 'de fausses explications « pour ceux qui ne l'ont pas deviné déjà ». Pourquoi ne jette;t-on pas le livre si au bout de 100, 200, 300, 400 pages on n'a encore rien compris ? On ne le désire pas, à aucun moment, et · d'autant moins qu'on avance. D'abord· parce qu'on croit avoir saisi certaines choses, certains rapports, la récurrence de détails comme un œil de verre, un peigne de femme, et qu'on croit que, comme dans les romans policiers, tout s'éclairera à la fin. Enfin et surtout parce que V. est ' un livre passionnant. On accepte d'être mené en pareil bateau, même si l'on n'y rencontre guère d'humour. Le peu de comique est centré autour de Profane, et peut-être une ou deux scènes donnent-elles à rire, grassement, comme certaines remarques canulars. Impossible pourtant de voir en Profane un personnage comique, c'est un grotesque pitoyable. Tout au long de V., Thomas Pynchon passe d'un genre ~ l'autre :

du nouveau roman à style cinématographique (ch. III), au roman d'aventure et de science-fiction (magnifique la découverte des entrées des galeries au centre de la terre empruntées par la race inconnue de Vheissu), au roman d'espionnage parodique, au roman « beat », au roman de marins, au roman de guerre... De façon plus générale, le roman commence sous le signe du picaresque, tourne peu à peu à la violence et au mystère. Au centre se trouvent des pages qu'on croirait arrachées aux 120 journées de Sodome : meurtres hallucinants et tortures sexuelles

serait-il qu'une suite de faits troublants et qui « se réduirait à la réapparition périodique d'une initiale et de quelques ob jets sans vie» ? Ni le lecteur ni l'auteur ne croient à cette explication facile. Tous les personnages du roman : artistes, marins, médecins, égoutiers, sont de pauvres bougres dont les seules préoccupations sont " de se saouler jusqu'à l'abrutissement et relever des jupes dès que l'occasion se présente. Ce n'est même pas « faire la bringue » : aucun ne rit jamais', aucun n'a jamais l'intention ou la prétention de s'amuser. S'ils chantent - des

sur les nègres captifs (ch. IX). La dizaines de chansons jalonnent V. villa fortifiée de Foppl tient du - ils improvisent des paroles amèchâteau d'Udolpho : couloirs som- res et . sarcastiques. Désespoir passif de toute une bres, labyrinthes, hurlements, vols et disparitions. Roman gothique, société, « de gens vêtus de complets oui; d'ailleurs le mot revient deux neufs, des millions d'objets inaniou trois fois. L'horrible apparaît, à més et flambant neufs jetés sur toute une salle de théâtre,-· avec le marché, chaque semaine, voitula ballerine empalée sur ia scène res neuves dans la rue, maisons - le Fantôme de l'Opéra n'aurait . neuves poussant par milliers dans pas fait mieux. Sous ses différen- les faubourgs... » Individus martes apparences, ou plutôt ses trans- qués, comme le nègre McLintic, la parences, V. ne laisse pas d'être juive Esther (p a u v r e Esther inquiétante et même · effrayante : essayant d'y échapper en se faisorte de goule et rat femelle sous sant remodeler le nez !) et cepenles apparences de Véronique, dant perdus (être là ou ailleurs, effrayante sous celles de Victoria, faire ça ou autre chose, c'est sans avec « sa manie d'introduire dans importance). Dès lors, ils s'avouent la chair des matières inertes », ses volontiers en tant que yoyos hupieds artificiels, son œil de verre mains. Qui tient la ficelle du yoyo ? dont l'iris est un cadran de mon- Stencil, qui parle de lui-même tre - plus discret et plus insidieux comme d'un autre, à la troisième que les électrodes .dans le cou de personne, a remarqué que « les Boris Karloff. Tout le roman ne événements semblent s'ordonner

La Quinzaine littéraire, 1"' au 15 mars 1967.

selon une stnJ.stre logique » et il poursuit cette V. insaisissable et toujours proche ; c'est sa manie, son obsession. Pourquoi la chercher ? Peut-être simplement pour la voir en face, en sachant que c'est elle. Cette V., qui est-elle? « Elle est sûrement plus que le sentiment du péché. » Est-ce bien une femme? « V. est un pays de coïncidences, régi par le gouvernemeni du mythe. Dont les émissaires hantent les rues de ce siècle. Porc-Epic, Mondaugen, Stencil père, ce Maijstral, Ste/lcil fils. L'un d'eux serait-il capable de créer une coïncidence ? Seule la Providence

crée. Si les coï'ncidences sont réelles, Stencil n'aura pas rencontré l'histoire, mais quelque chose de bien plus effrayant. » V. est l'antithèse du Dimanche de Chesterton (Gallimard vient justement de rééditer le Nommé Jeudi auquel V. fait songer). Dimanche affirme être la Paix, V. est obsession, désespoir, aussi Paola la Maltaise, qui avait soigné à Malte saint Paul et Ulysse naufragés et, maudite, est ' condamnée à hanter la plaine habitée. Elle est toujours et partout. A la fin du livre, Stencil junior part sur une autre piste, en Hollande, tandis que Profane reste à Malte et va travailler, comme il le faisait à New. York, aux égouts. Ce n'est qu'un cycle de bouclé ; la cycloïde continue indéfiniment - la roulette de Pascal, le yoyo humain occidental. Serge Fauchereau 5


une révolution technique auserVlce de la réforme de l'ensel- nement ~ m:.:':':d..

•• ÉDITEURS

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Les Presses Universitaires de France

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22, rue Saint-Martin, Pari5-4Téléph. 272.25.10 - 887.61.57

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eolIaoti...

Parmi les prochaines publications: le Royalisme, l'Histoire de l'enseignement en France, l'Ancien Testament, la Théologie catholique, la Réforme. le Ski, l'Alpinisme. la .Chimie du ~œur, les Patois et Dialectes françaIS, la Linguistique appliquée, etc ...

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Cette dernière, plus portée sur l'économie que sur la géographie classique, constitue une source précieus~ d'informations sur le monde. A paraltre: la France aux XVII" et XV"'siècles, par Robert Mandrou, l'Europe et l'Amérique à l'époque napoléonienne par Jacques Godechot, dans la c Nouvelle Clio , et, dans • Magellan " : les Républiques socialistes d'Europe centrale, par A. Blanc. P. George et H. Smotkine ; l'Afrique occidentale, par A. Seck et A . Mondjannagni ; la France, par Pierre George, etc. Dans le domaine des arts, deux collections, • les Neuf Muses " et • le Lys d'Or " présentent un panorama très vaste de l'art au · sens le plus large dans une série de volumes dont les prochains auront pour titres, l'Art baroque, les Arts de l'Inde, le Livre français. Au rayon voyages, la collection c Nous partons pour... , comprendra bientôt l'Amérique du Nord, l'Autriche et la Terre sainte.

Grands textes

Parmi les grandes collections, c Que sais-je? ,., encore que réduite par le format et le prix, vient au premier rang avèc ses 1 250 titres auxquels s:ajoutent de 5 à 7, titres ~ar mois sans compter de 10 a 15 rémlpre~sions d'ouvrages tenus à jour (tirage de 8 à 15.(00).

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OEEP-INDUSTRIES

Les P.U.F., fondées en 1921 à l'Initiative de nombreux universitaires français, présente cette particularité d'être une société coopérative où la rétribution du capital est limitée à 6 % et le reste des bénéfices consacré à la réalisation d'œuvres- culturelles d'intérêt général. Bien qu'elles aient absorbé d'autres fonds intéressants (Alcan, Rieder, etc... ) qui ont entraîné parfois des acquisitions inattendues, comme CIochemerle de Gabriel Chevalier, les P.U.F. demeurent fidèles à leur vocatlon initiale, qui consiste à publier des travaux universitaires, thèses et autres, et à diffuser les publications des universités françaises et étrangères. Parallèlement à ce travail de diffusion des travaux de recherche, la maison publie quelque 60 collections, avec 10.000 titres en exploitation sur 26.000 ouvrages parus, destinés. pour la presque totalité à un public cultivé ou érudit. Au total, de 500 à 600 volu-

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t 200 C.E.S. à construire en 5 ans! Seule, l'industrialisation du Bâtiment peut Y parvenir. Dans le domaine scolaire, G.E.E.P.-INDUSTRIES, le plus ancien et le plus important des Constructeurs (4000 classes édifiées en 6 ans, pour 150000 élèves; 2500 classes pour la seule année 1966), reste à la pointe de ce combat: Grâce au dynamisme de son Service • Recherches ,', à la puissance des moyens mis en œuvre, G.E.E.P.-INDUSTRIES, ne cesse 'd'améliorer la qualité et le confort de ses réalisations et de justifier la confiance grandissante qui lui est faite:

Thèse. et reeheroh_

. les manuels d'enseignement supérieur, plus connus sous le nom d~ S.U.P., couvrent les différents domalnes universitaires, avec un effort particulier dans les sciences humaines. A côté des séries existantes, c le psychologue,., c l'éducateur ", c le linguiste" le c SOCiologue " . etc., plUSieurs séries sont en pr~~aratlon : c l'économiste,., c le physIcien", et • 'Ie chimiste". Les ouvrages de cette collectioll' tendent à donner aux étudiants la possibilité d'aborder sans trop de difficulté des doctrines diff!ciles mais indispensables à la comprehension du monde moderne. A paraître avant l'été: la Sociologie de Proudhon, par Pierre Ansart, la 50ciologie des .intellectuels, par JeanClaude Passeron, le Développement biologique de l'enfant, par Stanislas Tomkiewicz, les Systèmes hommesmachines, par Maurice de Montmollirt; et, entre autres, des œuvres de linguistique telles que l'Histoire. de la linguistique, de Georges MounIO.

En marge des grandes collections, les P.U.F. ont entrepris la remise à jour des vingt tomes d~ ~ Peuples ~t Civilisations" dont la reahsation avait été dirigée par Halphen et Sagnac_ le directeur actuel est Maurice Crouzet. La série • Grands Textes, continue la publication des passages les plus importants d"auteurs célèbres dans une présentation du type c Pléiade -. Paraîtront, à la suite de Bergson et de Schopenhauer, l'Interprétation des rêves de Freud, l'Histoire de la philosophie d'Emile Bréhier, la ' Critique de la raison pure, la Critique de la raison pratique. . Tandis que divers ouvrages sont en cours d'impression sur des problèmes contemporains (l'Hitlérisme et le système concentrationnaire, de Joseph Billig, l'Histoire politique de la III" République, d'Edouard Bonnefous, et 30 siècles d'Histoire de Chine, de Roger Lévy), la publication des • Histoires générales " se poursuit, avec Histoire économique et sociale de la France (Braudel et Labrousse) Histoire générale de l'Afrique noire (H. Deschampl, etc., ainsi que la série des grands dictionnaires, notamment le Dictionnaire des littératures et un important Vocabulaire de la psychanalyse de J. Laplanche et J.-B. Pontalis, sous la direction de Daniel Lagache. Depuis le début de l'année, une revue de psychanalyse, l'incons.cient. qui se situe dans la ligne de Lacan, est venue s'ajouter aux quelques cinquante périodiques dont les P.U.F. assurent la publication.

Le. «Bibliothèques» Parmi les autres grandes collections, la • Bibliothèque de philosophie contemporaine" la c Bibliothèque scientifique internationale", la • Bibliothèque d'économie contemporaine " la c Bibliothèque de sociologie contemporaine " jl faut signaler la parution prochaine d'un important ouvrage de William Sargant, la Physiologie 'de la conversion religieuse et politique dans la • Bibliothèque de psychiatrie , : il s'agit d'une étude de ce que l'on appelle • le lavage de cerveau,..

Histoire et géographie Toujours parmi ces grandes collections, de~ séries nouvelles d'histoire et de géographie font en permanence le point dans ces deux disciplines, c Nouvelle Clio " et ·c Magellan ".

Gabriel BOUDoure Le Centre universitaire de Beyrouth, qui comprend l'Ecole supérieure des lettres et les Centre des études mathématiques porte, depuis quelques ' semaines, le nom de Gabriel Bounoure . ,. Cette nouvelle réjouira les nombreux amis et admirateurs de l'un de nos plus importants essayistes qui est aussi un grand universitaire. A travers les œuvres des écrivains les plus significatifs, Gabriel Bounoure n'a cessé de s'interroger sur la littérature .pt l'écriture en général et sur la poésie en particulier. Son influence, en France et en Orient --r où il vécut lortgtemps demeure très grande.


• Un rire libérateur Slawomir Mrozek Théâtre trad. du polonais par J erzy Lisowski et Claude Roy Albin Michel éd., 332 p.

Mrozek est né en 1929. Depuis l'âge de quinze ans, ses études, son travail, sa vie consciente, sa participation aux affaires publiques eurent lieu sous le régime communiste. Nous ignorons ses origines sociales et les influences familiales qu'il ' a subies. Il est possible que, comme Marek Hlasko, il soit sorti d'un milieu aisé, hostile au régime. Il paraît certain en tout cas que, comme la plupart des jeunes Polonais de son âge, il est passé par l'organisation officielle de la jeunesse, qu'il y a acquis une formation dogmatique pendant la période stalinienne et qu'il 's'en est libéré après les événements d'octobre 1956. Le premier recueil de nouvelles de Mrozek paraît en 19581, après la « grande réfon'ne » de 1956 et la « petite » contre-réforme de 1957. Les Polonais ont compris alors quelles étaient les limites de leur liberté. Ils s'en accommodent tant bien que mal, en tournant les consignes les plus gênantes, en pratiquant la résistance passive, en se vengeant de leur impuissance par une sorte d'humour du désespoir qui est une forme d'espoir à plus long terme, qui permet' de survivre ou, plus simplement, de vivre. Mrozek exprime à sa far .ln cette attitude de la, société ci ile face à l'Etat. Il saisit au vol les petites histoires drôles qui circulent de bouche à oreille, amplifiées, déformées, comme cet étrange « télégraphe sans fil » qu'il décrit dans une de ses nouvelles, où des hommes se transmettent en criant des télégrammes. Il est le porte-parole de ceux - et ils sont nombreux qui ne savent pas écrire, mais qui

savent inventer de toutes pleces la blague la plus féroce où tout est mis en question, y compris le conteur lui-même. La critique franchit, avec Mrozek, une étape nouvelle. Daniel et Siniavski, plus corrosifs, plus eJ!;plosifs, se conçoivent mal sans ce « doux » loufoque qui reprend et actualise la tradition de la criti-

l'Eléphant, Mrozek frappe dans toutes les directions; tout y passe : , le ridicule des cérémonies officiel· les, 'la méfiance des autoritt~i lQCales (même un bonhomme de neige' leur fait soupJ.0nner des intentions malveillantes !), le culte des textes sacrés (la girafe n'existe pas parce que Marx et Lénine n'en ont pas parlé). Qu'un tel écrit ait pu franchir les barrages de la censure témoigne, soit du libéralisme de l'ère gomulkienne, soit de la balourdise des gens qui ont la charge de veiller sur le « rôle éducatif de la littérature ». Le théâtre de Mrozek dépasse le stade de cette micro-satire, il aboutit à une vision globale de la société polonaise contemporaine. Tango, pièce en trois actes, est l'histoire d'un Harulet polonais. Ce n'est pas un jeune ,homme qui hésite entre (c être » et « ne pas être », en s'attaquant à ce qui est «. pourri dans le royaume du Danemark ». Ce nouvel Harulet de Pologne c'est-à-dire de nulle part» [ou de partout] dirait Jarry) ne se heurte pas à la règle d'une société où le crime rapPQrte, mais au nihilisme, à l'absence de règles de vie qui rend la révolte sans objet. Arthur-Hamlet veut imposer à sa famille le retour aux discipli' nes de naguère ; il voudrait les rétablir pour pouvoir se révolter. Il n'y parviendra pas. Aline-Ophélie est tout disposée à coucher avec lui, mais ne voit nul besoin de l'épouser. Eléonore, la mère du ,héros, vit avec le valet de chambre, qui représente la vision simplifiée et idéalisée du peuple aux yeux des intellectuels « progressistes » Il est simple comme la vie, un peu brutal, oui, mais ça fait partie de son charme », explique Eléonore). Ces intellectuels vivent sur le souvenir d'une révolte contre l'ancien ordre des choses, ils veulent ignorer le ' désordre qui en est issu. Arthur se tue parce

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Slawomir Mrozek

que sociale de l'Occident, qui met les rieurs de son côté en ridiculisant les autorités. De Molière à Beaumarçhais, de Swift à Gogol, impitoyable et légère, la satire .. 'attaque aux assises du régime, ne se limite pas à la « critique positive », ne dénonce pas pour améliorer mais pour détruire. Le procédé de Mrozek est bien connu e]l Occident : c'est l'absurde. On part de la réalité, du quotidien et, insensiblement, on glisse vers l'imaginaire, vers l'irréel, qui n'est que le prolongement de ce quotidien, son aboutissement logique. Dans son recueil de nouvelles,

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A

D'une meme Karl Mickinn C'est à Hambourg ... trad. de l'allemand par Gisèle Bernier Coll. « les Lettres Nouvelles» Denoël éd., 304 p.

C'est à Hambourg et plus précisément dans son immense et délirant quartier de plaisir, - que sont réunis, au long d'une seule journée, les quelques personnages de ce roman. A peine équivoques, ils sont à l'image des lieux qu'ils hantent: un courtier en films pornographiques, le tenancier de cabarets et de boîtes à strip-tease, les femmes qui les entourent n 'ayant d'autre plaisir que le don de leur corps, d 'autres profits que le négoce de leurs charmes .

Si l'éducation, le moqe de vie, le destin peut-être rapprochent ces êtres, le plus grand dénominateur commun de leurs conversations est la femme. Ils s'interrogent parfois sur l'amour mais le plus souvent ils parlent de l'érotisme et des mœurs sexuelles de l'Occident blasé, de cette Allemagne gavée dont le « redressement économique » s'accompagne d'un engourdissement intellectuel, d'une suffisance repue que BoIl et Grass ont, sur d'autres registres, dénoncés. Comme eux, Karl Mickinn fait passer au premier plan la vie de ses personnages, leurs passions, leur désenchantement et surtout l'intarissable discours dont ce jour parmi tant de jours semblables est tissé. « Un homme qui s'est fatigué la langue' à force de parler est le

La Ouinzaine littéraire, 1" au 15 mars 1967.

qu'il n'arrive pas à faire prendre au sérieux son raisonnement par sa famille et son amour par Aline ; parce qu'il se rend compte que le retour en arrière est impossible et qu'il ne trouve d'autre remède au désordre qui l'entoure. La dérision est partout. « Si l'histoire ne s'est pas souciée de nos intentions, tant pis pour elle ! » déclare le père, Stomil, en se moquant de la « nécessité historique ». Il ajoute plus loin: « Les Les raisonnements ' sont têtus ! » faits sont têtus », disait Lénine.) Parce que rien n'est possilile, « seul le pouvoir absolu est absolument possible », proclame Arthur. Car ( seul le pouvoir absolu peut être créé à partir du néant absolu ». Il prend ainsi le contrepied de la formule de Lord Acton : « le pouvoir tend à corrompre; le pouvoir absolu corrompt absolument ». Telle est la logiqu'e implacable d'Arthur. Elle le mène droit au suicide.

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Ces héros d'une aventure drôle et tragique, on les retrouve partout. En partant de la réalité polonaise, Mrozek généralise, met en accusation la société ancienne et nouvelle, les règles de vie et leur absence. On pourrait croire qu'il met tout sur le même plan. Comme Beckett. Son acharnement même prouve qu'il n'en est rien. Pour démolir avec tant de passion, il faut passionnément haïr et aimer. Il n'y a pas pour lui de solution toute prête. Il ne s'agit donc pas de la trouver, mais de la créer. Le rire libérateur de Mrozek, ce rire iconoclaste, ouvre les portes sur l'avenir. Victor Fay 1. L'Eléphant, Albin Michel éd. Tango , de Mrozek, est actuellement représentée au Théâtre de Lutèce, dans une mise en scène de Laurent Terzieff .

N.D.R.:

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plus heureux des hommes... Se montrer, voir danser, tout cela n'est rien. Ce qui lui importe, c'est de parler.» Cette occupation du monde par le langage va du bredouillement au discours, du monologue intérieur au dialogue passionné des amis bohèmes, monologue et dialogue parfois fondus en une ,même voix, le seul personnage en scène faisant alternativement les demandes et les réponses. Le narrateur n'intervient que fugitivement, tous ses personnages parlent leur vie, essaient, dit l''un d'eux, d'y « donner un sens » en éclairant le présent des images nostalgiques du passé, en y projetant aussi les chimères d'un avenir velléitaire. Pour obsédés qu'ils soient par les problèmes sexuels, ils savent s'en affranchir dans la

mesure où le « rêve des femmes » mène à une réflexion sur la vie quotidienne, les ' formes de gouvernement, la littérature. Un brillant dilettantisme nuancé de cynisme et de gouaille, telle est la leçon du livre résumée en une phrase: « Nous sommes des indifférents ... » Trois cents pages sans une pause. Un regard aigu, un style assuré, dont la traduction semble rendre la richesse, la vivacité, font regretter que Karl Mickinn, à défaut de cohésion, n'ait pas donné à ce tableau assez désespérant la nécessité d'une œuvre refermée sur ellemême. Tel quel, ce premier roman témoigne en faveur d'une jeune littérature allemande soucieuse de ne pas s'écarter du r éel, en sa rugueuse, en sa triviale diversité. Guy RoholL 7


INÉDIT

La tragédie ne reVient ,pas •

Jean-Marie Domenach, directeur d'Esprit, va publier aux éditions du Seuil un important essai : Retour au tragique. Il nous a permis d'en extraire le passage suivant:

PartoJt de la neige, la vie est muette ici ;' les dernières , corneilles dont on entend les voix coassent: " A quoi bon? En vain! Nada! Rien ne pousse et ne croît plus ici. Fr. Nietzsche : Généologie de la morale

(III, 26)

Aucune tragédie n'a correspondu à la pousexistentialiste, pour dire, à la manière camusienne, la «passion déchirante» de l'homme affronté à la nature hostile, la nouvelle fatalité de l'absurde et la révolte des innocents ; pour dire, à la manière saI1rienne, la « passion vaine» de l'homme à la poursuite de l'homme, le jaillissement pur de la liberté et son choc avec le monde de l'inauthentique ... Comment la tragédie pouvait-elle ressusciter dans une époque où les héroïsmes, les grands sentiments. . et les grands mots venaient de sombrer dans un bain de sang et de mensonge ? Comment un genre littéraire aussi réglé, aussi solennel, aurait-il pu avoir cours dans une société qui rejette les tabous et porte le soupçon sur toute représentation cohérente, sur toute valeur énoncée ? La position de l'homme dans le monde a été profondément changée par l'expansion techniqu~ qui a débusqué le mystère et la féerie, qui a « désenchanté » le monde, selon la formule de Max W eher. Cet « effarement combattant» devant l'environnement naturel et surnaturel, où l'on a vu justement le ressort paradoxal de la tragédie l , laisse place à un accord enthousiaste, ou bien à une anxiété vague, dépourvue de toute accusation prométhéenne. Ce n'est pas que le tragique soit aboli, au contraire ; la retombée des idéologies totalitaires, le dépérissement des philosophies de l'Histoire, la peur des contemporains devant le potentiel d'anéan~ment issu de leur génie technique, tout cela crée. en Occident, pour la première fois depuis trois siècles, une audience propice à la tragédie, mais non point ~mcore la tragédie elle-même. Le tragique de la société technique, c'est le règne du projet sans visage, c'est la destruction des particularités et des refuges par la production de série et la consommation de masse La vie sociale consiste à détruire ce qui fait son arôme»; dit LéviStrauss); c'est le sent.i.ment d'une humanité qui avance désor)lIais sans pouvoir s'arrêter, en sacrifiant à mesure ses réserves. Ce tragique insidieux se prête mal à la figuration. ImaginetoOn un nouvel Ajax apostrophant les bulldozers, Antigone allant faire une scène au commissariat du Plan? La révolte de l'homme contre un monde qu'il a créé lui-même a quelque chose de puéril, de dérisoire. Et cette société nous serre de si près qu'elle ne nous laisse pas la distance riécessaire au refus et à la révolte. ~

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Ionesco et Beckett Or le frisson tragique que l'Electre de Giraudoux, l'Antigone d'Anouilh, le Caligula de Camus, l'Oreste de Sartre Ii. 'avaient pas suscité, il nous 'arrive de l'éprouver devant les minables, les éclopés, lés paralysés, les anonymes et les impondérables d'Ionesco et de Beckett. Certitude de notre malheur, révélation de notre destin, qui nous terrifient et nous libèrent à 8

lean-Marie Dome1UJCh

la tOIS. Ce n'est pas que ces clochards, cette enterrée vive, ce roi agonisant ou ces bureaucrates au front de rhinocéros touchent de plus près notre vie quotidienne, au contraire: dans cette déchéance, dans ce désert, dans cette monstruosité nous nous sentons enveloppés et révélés, bien davantage que par les révolutionnaires des Mains sales ou les anciens nazis des Séquestrés d'Altona. Pourtant Hoederer et Frantz nous parlent de notre proche , histoire, alors que Bérenger, Winnie, Vladimir et Estragon ne nous disent rien. Mais c'est de nous qu'ils parlent, en deçà et au-delà des idées que nous avons de nous-mêmes et de notre société, tissant les premières mailles d'une mythologie sans nom où notre avenir va se prendre. Depuis deux cents ans, on nous expliquait qui nous sommes et qui nous devons être: de Diderot à Sartre, en passant par Ibsen et Brecht, le théâtre débordait de psychologie, d'idéologie et de morale. Or voici, soudain, qu'on nous représente. Une demioObscurité envahit la salle. Enfin l'énigme a reparu. Avec elle s'annonce la tragédie. La tragédie ne revient pas du côté où on l'attendait, ,où on la recherchait vainemejnt depuis quelque temps celui des héros et des dieux - mais de l'extrême opposé, puisque c'est dans le comique qu'elle prend sa nouvelle origine, et précisément dans la forme la plus subalterne du comique, la plus opposée à la solennité tragique : la farce, la parodie. L'acte de ·naissance de la tragédie contemporaine, c'est la' guignolade du lycéen Jarry. Ubu roi date de 1888, l'année où Claudel écrit Tête d'or. Le conquérant postiche que Jarry met en scène, vers les marches de l'Est aussi, semble une ignoble caricature du roi claudélien qui veut boire, comme le soleil, aux terres inconnues. Pourtant c'est de la vieille outre grotesque et non du jeune surhomme aux cheveux d'or que renaîtra sur scène le tragique de notre temps. Jarry n'avait voulu que se moquer d'un professeur, et en même temps de Shakespeare, mais une divination enfantine l'a entraîné plus loin, dans le mécanisme de la tyrannie, l'absurdité de la guerre, l'ignominie d'une condition politique que l'Histoire ne devait pleinement manifester que heaucoup plus tard; mais le Père Dhu, précisément parce que sa psychologie de marionnette était réduite- à une force élémentaire, a survécu à cette histoire et il est toujours aussi fringant q,ue lorsqu'il exhiba sa panse monstrueuse sur la scène du théâtre de l'Œuvre. Il ne fallait rien moins, en effet, que cette rupture imprévue avec la tradition humaniste, que cette pro-

fanation d'adolescent, pour que la conscience . tragique retrouvât ce point de création mythologique à partir duquel notre univers, soudain décomposé, délivre cette vérité insupportable qui est de l'ordre du tragique. Ce point ne pouvait plus se situer dans la religion, contestée et privatisée; pas davantage dans les valeurs dont la critique, théorique et pratique-, occupait les esprits: il ne pouvait être atteint qu'au terme du nihilisme, à ce moment où l'excès de sens se dénoue en non-sens universel. Or la parodie, forme ultra-critique du comique, opère radicalement la transmutation nécessaire au théâtre pour qu'il rende compte de la réalité contemporaine. Le comique, en effet, abolit les règles et les valeurs qui lient l'individu à la société immobile et hiérarchique où la tragédie classique s'était développée. « Le domaine de la comédie est constitué par un monde dans lequel l'homme, en tant qu'individu, s'est érigé en souverain absolu de toutes les réalités qui ' valent habituellement pour lui comme contenu essentiel de sa connaissance et monde dont les fins se déde son action truisent ainsi d'elles-mêmes en vertu de leur propre inconsistancel-. » Ce monde est déjà celui de la fin du XIX e siècle, de la première explosion existentialiste sous la forme de l'anarchie, et du désespoir d'une grande partie des écrivains et des artistes. Dans de tels passages, la comédie rend compte de la dissolution sociale et elle élève l'individu au-dessus d'elle, mais par une affirmation débridée, illusoire, sans issue, car le ridicule ne fait qu'aggraver la scission et décontenancer les consciences. Le comique se passe de toute solidité et exprime béatement la mort de Dieu; le tragique, lui, n 'entre en scène que lorsque la conscience commence à ressentir sa blessure, et Dieu, alors, n'est plus bien loin.

La f arce métaphysique Au théâtre, le tragique vient toujours d'ailleurs. Il ne peut être puisé dans l'histoire 'immédiate; et lorsque cette histoire prend elle-même l'allure tragique, cet ailleurs ne rejoint l'histoire que s'il est un ailleurs absolu. Pierre le Grand ne rendra pas la vérité de Staline, et Fouquier Tinville fait petite fi~J.re à côté d'Eichmann. Quant à la représentation directe de notre tragique historique, voyez par exemple le Vicaire, de Hochhut : si émouvante que soit cette pièce, elle reste mélodramatique ; si affreux ou admirables qu'en soient les personnages, il n'y a pas de distance suffisante d'eux à nous, aucune place pour l'agrandissement du mythe. Cette histoire est l'Histoire, ou du moins prétend s'en approcher, mais la figure réelle de Hitler ou de Pie XII, par son énigme, dominera toujours le spectacle et le fera paraître simpliste. La farce métaphysique, elle, rend un autre son parée que, telle que Jarry l'inaugura et que l'ont pratiquée Ionesco et Beckett, elle prend le contre-pied de l'Histoire. Précisément, le tragique vécu, en se démocratisant, exigeait sur scène la suppression du héros et l'avènement de figures bouffonnes ou vulgaires, au nom déformé «( Ubu », déjà), multiple ou insignifiant; en s'historisant, il exigeait sur scène la suppression du lieu (<< en Pologne, c'est-à-dire nulle part », notait Jarry), des événements 'de 1'« histoire ». Les tenants du « nouveau roman» ont clairement expliqué les raisons qui les avaient poussés à détruire de fond en comble l'appareil classique; ils ont compris que la littérature ne ressaisirait la condition humaine, au niveau où elle a été éprouvée et niée, qu'en


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du côté ou on l'attendait

Ionesco

répudiant les catégories humamstes.Cette subversion est plus difficile au théâtre, qui doit donner à voir ; mais elle y est plus troublante. C'est elle qu'opèrent Ionesco et Beckett. Se plaçant hors du débat classique sur l'homme. hors de la psychologie, renonçant à toute sigllification préconçue, s'attaquant à la cohérence du personnage et du langage, ils restituent une image hideuse et grotésque (Iont le décalque sur notre réalité quotidienne produit cette révélation brûlante, insoutenable, qui est de l'ordre de la tragédie; Car, si l'on y regarde d'un peu pres, on trouve dans le théâtre du nihilisme la plupart des éléments constitutifs de la tragédie, mais retournés. A peine le rideau s'est-il levé que nous avons l'impression presque physique de nous ret!Ou. ver en face de la vieille fatalité. Elle n'est pas toujours aussi oppressante que dans Le roi se meurt, Rhinocéros ou Fin de partie, mais, jusque dans les épisodes apparem· ment les plus comiques, jusque dans les excès les plus cocasses, les personnages sont envelop. pés par un système de forces qui les entraîne. Cela se sent à un vague dans leur langage, à une bizarrerie dans leur comportement; ce qu'ils disent semble souvent passer à travers eux comme s'ils n'étaient que des hauts-parleurs pour des émetteurs - eux-mêmes peut. être3 - tres lointains ; trop lourds, ils se traη nent, ils s'enfoncent, ou quelquefois ils s'envolent, comme si leur gravité n'était pas réglée sur celle de la terre, comme s'ils relevaient d'un autre univers; et· ils parlent, et ils agissent, comme s'ils engageaient, comme s'ils encoura· geaient d'autres pouvoirs. Des hommes, ça? Le public se le demande devant ces pantins, ces déchets, ces rampants, comme les Grecs, jadis, devant des héros marqués par les dieux, car, eux aussi, quelque chose les tire vers une autre existence dont nous finirons par deviner qu'elle est celle où. nous tendions nous·mêmes sans le savoir. Cette ambiguïté est le risque irréfutable de la tragédie: moment où l'autre s'agite en l'homme, et où s'esquisse le départ impossible. D.es hommes? ils sont presque tou· jours médiocres, ,laids, bêtes, presque aphasi. ques, parfois à p~ine distincts d~ l'animalité; El; comme des bêtes, ils portent des noms inter· changeables ou cocasses, qui n'ont pour raison que la fantaisie du maître. Ils iront jusqu'à perdre leur nom, ils n'en représenteront pas moins. On peut même penser, comme chez Kafka, à une sorte de sur.représentation qtIi provient justement de ce que le personnage est dépouillé de son passé, de son insertion sociale, de son identité même. La fatalité ne La QuiDaine litténùre,

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RUIl'S

1961.

peut plus passer à travers Créon, Brutus ou Phèdre; la fatalité s'appelle Durand, Dudard ou Botard; elle distribue l'homme en morceaux, en personnages homothétiques comme les couples hideux de Beckett, et cet anonymat les conforme à la réalité insinuante et banalisante du tragique de masse: « Ne vous occupez pas de moi. Je n'existe pas. Le fait est notoireS. »

Le temps, lieu du. supplice

sible. Car, chez Beckett, ce n'est . pas la mort qui fige le destin, comme chez Sartre; c'est la vie. Renversement primordial: naître, c'est arriver chez les morts, «déboucher en plein ossuaire ». La condition humaine, ici, n'est plus arbitrairement divisée. La logiqUe de l'absurde, devant laquelle avait bronché Camus, Beckett l'étale simplement: ce n'est pas de mourir que nous devons incriminer les dieux, mais de vivre. Ainsi la fa~té n'intervient-elle pas à la dans l'être : elle en est la conséquence. Le destin antique se situait en arrière et en avant; le héros allait à la rencontre d'un arrêté antérieur pour s'y briser. Le nouveau destin colle à l'individu; il le moule. Mon destin, c'est ce qui a été séparé de moi, non point la part d'existence qui me fut attribuée, la moira grecque, mais la part qui me fut enlevée, que j'ai perdue, et qui continue sans moi d'agir sur. moi. · Dans la tragédie classique, ce sont des pleins qui s'affrontent: des passions, des inté· rêts, des valeurs; dans l'anti-tragédie contem· poraine, ce sont des creux: des absences, des non-valeurs, des non-sens. L'anti-tragédie prend sa source dans l'échec de tout ce qui donnait consistance à la tragédie: caractère, transcen· dance, affirmation. C'est d'ailleurs pourquoi je ferais mieux de dire: l'anté.tragédie; la divi· sion porte en effet sur l'homme avant qu'il .ait commencé de penser et d'entreprendre, avant qu'il ait commencé de vivre. L'interrogation qu'elle suggère n'est pas: quel sens, quelle faute, quelle action? mais com· ment peut-il y avoir sens, faute, action ? Et cette interrogation surgit dans la ligne de l'activisme technique qui a arraché l'homo me aux fatalités mythologiques. Ionesco lui.même s'est expliqué sur ce point avec une grande clarté: « Nous ne pouvons plus éviter

c:JSSUre

Cette fatalité n'est pas une force venue de l'Au-delà pour terrasser l'homme de la rue. Ce n'est pas non plus la « machine infernale », le piège à hommes libres que Cocteau et Giraudoux ont construit en préfabriqué sur les plans grecs. C'est un déroulement neutre, banal comme la durée. «Quelque chose suit son cours » dit Hamm dans Fin de partie. Non pas transcendance, mais protoplasme: cette fata- · lité baigne la vie, la société. Elle emplit de son fluide le vide qui s'est creusé entre l'homme et le monde. Elle prend la place du temps. Qu~il soit toujours « la même heure que d'ha. bitude », comme dans Fin de partie, ou que la journée s'écoule en dissolvant à un rythme accéléré le domaine de l'homme - décadence ou éternel retour - , le temps est toujours le lieu du supplice. De toutes les manières, il dure, ef c'est bien cela qui est insupportable.

Ce qui est certain, dit Vladimir, c'est que le temps est long, et nous pousse à le meubler d'agissements6.» Cette élasticité du temps

«

interminable, cette contradiction entre l'immobilité de l'instant et le flux de la durée, on les retrouve dans Oh! les beuux jours; c'est Win· nie, vieillissant sous une lumière que son réveille-matin découpe en tranches identiques. Le même et l'autre. « Je pensais Gutrefois qu'il n'y avoit jamais auéune différence entre une fraction de seconde et la suivante.•. Je me

. disais autrefois... je dis, je me disais autrefois, Winnie tu ne clumgeras jamais••• li Mais on change, et l'on reste identique. «Avoir tou· jours été celle que je suis - et être si diffé. rente de celle que j'étais'. li Etre et non-être. La durée, qui est la condition de la vie, est en même temps sa destruction. La durée à l'état pur est au centre des pièces de Beck.ett ; l'homme n'en est qu'une conséquence, U/Ile excroissance, une souffrance « l'homme, tumeur du tempsB.» Temps exténué, agoni. sant. Temps inerevable. Temps mort. Temps pire que la mort, où la mort devient impos-

de nous poser le problème des fins dernières, de nous demander ce que nous faisons sur terre, et comment, n'ayant plus le sens profond de notre destinée, nous pouvons supporter le poüü écrasant de notre monde matérie(J.» Il a d'autre part précisé: «Je dois avouer pero sonneUement que la théologie ou la philO3Ophie ne m'ont pas foit comprendre pourquoi j'exis. tais. EUes ne m'ont pas convaincu non plus qu'il faille faire quelque chose de cette existence et qu'il faille, ou que l'on puisse lui donner une signification1o• li Et l'un de ses personnagesll va plus loin eD évoquant l'anti·monde: «Il n'y a. pas de preuve qu'il existe, mais en y pensant on le retrouv~ dans notre propre pen.

• 9


ROMAN FRANÇAI·S ~

La tragédie ne revient pas du côté où on l'attendait

sée. » Cet anti-monde n'est pas celui des dieux, il n'est pas non plus celui des démonS; c'est encore le monde des hommes. Dans les pièces d'Ionesco, on le voit pénétrer l'ordre délirant de la logique, l'ordre écrasant de la société, l'ordre proliférant des objets, gonfler tout à coup un discours, éclater en vio, lences, en crimes, en cadavres. Pour Beckett, l'anti-monde semble, à la limite, se confondre avec le monde réel. Fin de partie et Oh! les beaux jours se situent dans un univers isolé de la vie : chambre close, marécage, désert calciné. .Dans . ces deux pleces, l'apparition d'êtres vivants - bêtes ou . gens - provoque un scandale. ' Dans Fin de partie, après s'être inquiété un instant à l'idée de « signifier quelque chose », Hamm ajoute : « Une intelligence revenue sur terre ne serait-elle pas tentée de se faire des idées à force de nous observer?», ce qui laisse supposer que ce lieu infernal est vraiment la terre, et que l'intelligence est passé de l'autre côté. Ce « huis clos » se déroule, comme celui de Sartre, dans un autre monde, mais dans un autre monde qui n'est pas la mort fictivement vécue par des vivants, mais la vie réellement vécue comme une mort.

L'abondance se retourne en misère fondamentale

brosse à dents, et s'extasie· quand ' elle a réussi : « Soie de porc... Ça que je trouve si merveilleux, qu'il ne se passe pas de jour - le vieux style! - presque pas sans quelque enrichissement du savoir si minime soit-il... » Dérision de la curiosité telle que la décrivait Heidegger, cette manie d'être instruit de tout, qui caractérise notre société. A la culture du superflu répond la réduCtion au besoin primordial, telle que la pratique Beckett, car, dans un décor technologique et publicitaire, la faim ou l'envie d'uriner sont des manifestations irréducti- ' bles de l'homme : elles apaisent son angoisse d'être là, elles donnent la garantie de l'instinct insatiable contre la saturation des appétits et la dissolution des saveurs dans une manducation indifférente. Ainsi l'abondance se retourne en misère fondamentale, et la satisfaction revient à la simplicité de ses origines. « Là' où ça sent la merde, ça sent l'être », disait Artaud. Ultime certitude d'un monde aseptisé. Cette odeur ontologique n'était certes pas celle que dégageait la tragédie classique. Mais c'est bien à travers elle que la société de consommation retrouve le chemin de la tragédie. lean-Marie Domenach

1. Antoine Raybaud: Samuel Beckett et la redécouverte de la tragédie !La Caravelle, Boston, Etats-Unis), hiver 1967. 2. Hegel: Esthétique.

Ainsi, comme au temps des Grecs, l'homme est une proie. Non plus pour les dieux, mais pour une fatalité qui se crée à partir des choses et des autres, lesquels nous asservissent à mesure qu'augmente le besoin que nous avons d'eux. Car tel est le paradoxe: plus les produits de la technique recouvrent la terre, et moins l'homme y reconnaît son image, le témoignage de sa présence au monde. A rinvestissement du consommateur par les objets, le théâtre d'Ionesco et de Beckett répond par une distanciation étrange : ils semblent prendre une existence autonome, lointaine, jusqu'à s'absenter, eux aussi, et à devenir ·des représentations de notre conscience : ainsi, au bout de la perception objective, on retrouve paradoxalemeni l'idéalisme de Berkeley, le esse est percipi que Beckett a plusieurs fois évoqué, négation radicale de la réalité du monde extérieuru . A la stimulation effrénée du désir répond la limitation progressive, lion seulement du pouvoir, mais de l'appétit : « Peu à peu sont pris les organes de la mobilité, puis du désir et de la jouissance, puis de la saisie et du toucher, tandis que le désir reste le même, et le besofn d'aimer, et que, dérisoires et hallucinants, comme Pest toujours la parodie de l'impuissance, se poursuivent et rêvent de se poursuivre les gestes de la vie quotidienne IJ • » Winnie, enlisée, s'acharne à déchiffrer l'inscription de sa 10

3. Ce dédoublement, cette ventriloquie de soi-même, l'innommable de Samuel Beckett l'exprime avec une terrible luCidité: Il n'y a pas de nom pour moi, pas de préhom pour moi ... le dis « je » en sachant que ce n'est pas moi. Moi, je suis loin.

4. Winnie, enfoncée dans le sol, ressent aussi l'attraction du ciel: « Oui, l'im· pression de plus en plus que si je n'étais tenue de cette façon, je m'en. irais tout simplement flotter dans l'azur... Tu n'as jamais cette sensation, Wülie, d'être com· me sucé. » (Oh! les beaux jours.)

5. Samuel Beckett: Tous ceux qui tombent. 6. Samuel Beckett: En attendant Godot. 7. Samuel Beckett: Oh! les beaux jours.

8. Alfred Simon: Le degré zéro du . tra· gique (Esprit, déc. 1963). 9. Eugène notes.

Ionesco:

Notes

et

Contre·

10. Eugène Ionesco: L'auteur et ses problèmes. (Revue de métaphysique et de

morale, octobre 1963.) 11. Béranger dans le Piéton de l'air. 12. Ce subjectivisme outrancier qui met en doute toutes les affirmations reçues, étayées d'autorité et de science, Nietzsche en avait évoqué la possibilité, comme une réaction extrême au réalisme de la véra. cité commune: « La forme extrême du nihilisme consisterait à dire: Toute

croyance, toute opinion est fausse parce qu'il n'y Il pas de « monde vrai J). Il n'y a donc qu'une apparence perspectiviste dont l'origine est en nous. » (La volonté de puissance, Ed. Kroner, XV, 15.) 13. Antoine Raybaud, op. cit.

U:iI. talent inventif

François-Régis Bastide La Palmeraie Le Seuil éd., 192 p.

Jamais François-Régis Bastide n'avait accumulé autant de thèmes dans un de ses romans. La Palmeraie en contient au moins cinq .: celui de l'amour-souffrance, celui du virtuose amateur, celui des abandons de la mémoire, celui du pyromane et celui du paradis. perdu:, Un homme, un seul, est au centre de ces thèmes: Charles Deslondes, fils d'un avocat de Marrakech, ami des musulmans. Par lui, qui reconstitue bribe après bribe son passé dans l'espoir de vaincre une amnésie consécutive à un accident de voiture, ressuscitent la vie provinciale marocaine d'avant l'indépendance,' l'éducation paternelle faite de sagesse évangélique et coranique, la passion musicale, l'amour d'une femme belle, ambitieuse, cruelle, le repliement des colons français sur la :tpétropole, l'installation en Corse, enfin, dernier échec d'un homme qUi en a connu plusieurs durant sa vie. Ce que Deslondes lui-même ne peut dire ou ce qu'il risquerait de dire trop subjectivement, un autre personnage un . médecin parisien que l'âge et le refus de la publicité ont mis sur la touche nous l'apprend en même temps qu'il le découvre, soit qu'il se contente d'observer son ami, soit qu'il l'aide de ses questions à boucher les trous de sa mémoire. Nous ente:ldons ainsi deux voix, ·et même trois, parler du même personnage : outre la sienne et celle du médecin, il y a la voix même de l'auteur qui fait la soudure et ménage quelques transitions. Le ton le plus juste est celui de Deslondes, et l'on peut regretter que tout le contenu de touvrage ne passe pas par lui. Quand le romancier dit « il » en désignant son héros, un décrochage se produit, comme une soudaine baisse de tension, et tout de même lorsque le vieux médecin, s'exprimant en médecin plus qu'en témoin, mêle ses propres échecs, ses ran-

cœurs ou ses espoirs à ceux de Charles Deslondes. Le jugement que ce dernier porte sur les femmes, à qui il voudrait qu'on refusât de « dépasser le tricot, la cuisine et les farines lactées» - la sienne, Hélène, est docteur en droit - ferait ranger l'homme parmi les rétrogrades. Or il est tout le contraire d'un conservateur aigri. Si ses beaux-parents ne l'ont jamais vraiment adopté, c'est . parce qu'il prenait naturellement le parti des Marocains contre une forme de colonisation dont son père avait, toute sa vie, tenté d'atténuer les iniquités. Pour comprendre Deslopdes, il faut le voir en ascète, puis en romantique et, pour finir, en mystique. Son père lui a appris à vivre de peu et à vivre intérieurement. Hélène l'a emporté dans la tempête des sens pour le rejeter, solitaire, sur les plages de l'oubli. Mais lui s'acharne à se souvenir de cet amour dont l'évocation est l'un des moments forts de l'ouvrage. La passion sensuelle sublimée fait .les Jean de la Croix et les Thérèse d'Avila. Deslondes entre comme eux daqs une « nuit obscure » qui débouchera sur le suicide par le feu. Ce n'est pas l'incendie volon· taire du village de vacances baptisé « La Palmeraie » - affaire dans laquelle Charles Deslondes avait in· vesti toute sa fortune - qui éclaire le mieux les replis de son âme. « Chacun de nous a dans le cœur un chambre royale », écrivait Flaubert dans une lettre dont F.-R. Bastide cite en exergue une extrait. « le l'ai murée; mais elle n'est pas détruite.» Par sa mort théâtrale Deslondes a-t-il cru détruire, en purifiant, le paradis de sa jeunesse et de son amour ? Il me semble que cette fin est trop facile, trop aUendu.e a~ssi: la densité de l'ou,:rage eXIgeaIt autre chose ... De même que la multiplication des thèmes romanesques exposait l'auteur à une distorsion qu'il n'a pas toujours évitée, de même le suicide ôte une part de crédibilité à un récit dont les plus grandes vertus sont, pourtant, l'authenticité, la mesure, la gravité de l'émotion. Un style coulant et volontiers noble caractérise aussi cet ouvrage dont un grand nombre de phrases rappellent les périodes longues et musicales de la Vie rêvée. Il arrive que sa virtuosité et son évident plaisir d'écrire conduisent F.-R. Bastide jusqu'au morceau de bravoure (ainsi pour les pages 144, 145 et 146, constituées d'une phrase unique). La variété des effets est par ailleurs telle qu'on ne sait si c'est négligence ou intention qui font un « sourd » (adjectif) suivre, à huit mots de distance, un autre « sourd » (verbe). C'est dire à la fois combien ce talent est inventif, mais quels défauts ou quels excès risquent de gâter, ici ou là, les qualités les moins contestables. Maurice Chavardès

1;


Une gorgée d'eau fraîche Colette Autobiographie tirée des œuvres de Colette par Robert Phelps Fayard éd., 415 p.

Il a suffi qu'un professeur américain amoureux de Colette compose, à partir de son œuvre, une très copieuse et éclairante « autobiographie » pour que l'Amérique la découvre et s'émerveille de ce pa. radis terrestre qu'elle a chanté tout au long de sa vie. Et pour qu'ici, douze ans après sa mort, d'insoupçonnables passions se révèlent : une romancière intellectuelle se félicite avec hargne de ne point lui ressembler et déclare que Colette incarne « tout ce qu'elle déteste» ; un jeune écrivain, au contraire, vole au secours de la disparue dont il entend protéger la mémoire; là on la loue sans réserve, ailleurs on ne lui accorde avec condescendance qu'un certain talent. Qu'est donc Colette? Pour la femme qu'elle fut avant tout, le livre de Robert Phelps l'éclaire admirablement. Car si elle refusait, nous dit-on, d'écrire ses Mémoires, elle ne cessa jamais d~ tirer de sa vie et de son expérience personnelle la substance même de son œuvre au point que l'une et l'autre se confondent souvent. Il est peu d'écrivains dont on pourrait avec autant d'exactitude recomposer la figure à partir de « morceaux choisis » comme on l'a fait si excellemment ici. Tout Colette est là, avec sa vivacité, sa mélancolie, ses amours, ses peines, ses découvertes, sa curiosité insatiable des êtres et de la vie, sa généro~ité sans fond, tout le cortège d'amis, d'enfants, de bêtes, qu'elle traînait après elle et ces odeurs de la terre qui lui sont inséparablement liées. Ce qui frappe tout d'abord c'est l'étonnante absence de préjugés qu'elle doit à cette mère hors série, Sido, qu'elle n'a cessé de célébrer dans toute son œuvre et dont les méthodes d'éducation libérale sont un modèl~ sans doute rare à l'époque. _Ainsi la voyons-nous ouveri:e, curieuse, compréhensive devant ce qui aurait dû pourtant choquer la jeune paysanne saine qu'elle était à son 'a rrivée à Paris. Mais après Monsieur Willy rien sans doute ne pouvait plus choquer. Il faut voir avec quelle lucidité et quelle discrétion celle que J'on qualifia si souvent d'impudique analyse cette erreur de jeunesse, « cet affreux et impur élan d'adolescente» dont les jeunes filles de jadis, ignorantes et avides d'échapper à l'emprise familiale, étaient plus coutumières que celles d'aujourd'hui, tôt émancipées. Une simple analyse des rapports assez mal connus de Colette avec son père - sur lequel elle est curieusement peu pavarde mais dont elle choisit de prendre le nom éclairerait sans doute l'étrange aberration qui fit passer la jeune fille aux longues nattes

de la tutelle du Capitaine à celle du 'mari mûrissant, dont l'autorité, la barbiche en pointe et le métier d' « écrivain ]) - ah! ce bureau bien rangé- du père, avec les livres alignés, les instruments soignés de ce qu'on croyait être son travail, et ces rames et ces rames de papier vierge trouvées après sa mort, grand œuvre rêvé dont seule la dédicace était écrite! - le paraient de tous les prestiges du premier. N'est-ce pas en souvenir inconscient de celui-ci que Colette qui n'avait jamais, en son enfance, songé à écrire, voulut se libérer de la tutelle de M. Willy en ,devenant vraiment écrivain? Apprenant à vivre après avoir failli mourir de tristesse et d'illusions déçues, elle s'éveille peu à peu à uri devoir

Gide qui la tenàit en « hau~ estime :Il disait justement : cc J'ad-

mire en elle non seulement ses dons indéniqbles mais, surtout, cette sorte d'exigence qui la retient de se contenter de ces dons. » Elle eût pu, en effet, se satisfaire de n'être que la brillante chroniqueuse d'une époque - de deux ou trois époques - qu'elle fut souvent, la bavarde charmante, à la Sévigné, qui pointe çà et là dans ses textes. Elle connaissait ses limites et n'a jamais prétendu les outrepasser, les cc idées générales » 'lui allant, disait-elle, aussi mal que les grands chapeaux. Mais ce dur souci de qualité qu'elle mettait en toute chose, ce goût de l'authentique qu'il s'agisse des êtres, des lieux ou des mets qu'elle tenait de

feu et la main glacée, s'essoufOant à suivre la pensée. trop vive. C'est ainsi qu'elle atteint si souvent au grand art avec des images ' qui sont comme un concentré de plusie1l1'S impressions fulgurantes brusquement rénnies en .une : c'est le chat de Siam qu'elle noUS montre, tout haletant encore de la bataille amoureuse, cc les yeux élargis, d'un bleu de flamme » ; ou bien « les bigou-

den casquées, brillantes comme des coléoptères », dOlit nous voyOJlS 'soudain les coiffes' dures et les carapaces brodées ; ou cette odeur de la natte en roseaux dans sa 'c hambre d'ado~scente, « verte odeur palu-

déenne, fièvre des étangs admise à nos foyers com"!-e une douce bête à l'haleine sauvage », ou bien cette maîtresse de Chéri cc brune,

..en f ravesti

à vingt-frois ans.

Colette. ..

envers elle-même : devenir ' ellemême, justement, ecnre autre chose que les Claudine qu'elle ne tint jamais. én gran<Je estime pour ne pas les avoir faits librement et selon son cœur. Ainsi naîtront les Dialogues de bêtes où elle se donne « le plaisir non point vif mais honorable de ne pas parler de l'amour ». Ainsi naîtra peu à peu, et difficilement, un écrivain qui n'acquerra que très tard son indépendance, sa dimension véritable, et le droit de signer de son seul nom paternel : Colette.

La Quinzai.ne littéraire, i" au 15 mars 1967.

son enfance terrienne, elle l'appli- ·dure et ' brillante comme ·de l'anque en. premier lieu à son travail. thracite ». Prose admirable, nourLe plaisir qu'elle y prend n'exclut ris d'une poésie précise, qui rejette pas l'effort (elle le contait dans l'inutile et se méfie de l'ornement, une de ses lettres à Marguerite qui ne doit son éclat qu'à la pureté Moreno). On croit la voir parfois de son « eau ». jouant avec les mots comme le chat S'il lui arrive rarement avec les sauterelles, les flairant d'un de fignoler un peu, de 's'attarder nez humide, les triant d'une patte quelques secondes de trop sur un preste, en écartant quelques-uns tableau, ce n'est pas pour faire pour bondir sur le plus juste. Tout « joli » mais par souci d'exacticela, immobile à sa table, dans le tude, pour préciser un détail, pour « petit cirque » d'un rond de luajouter encore une touche qui doit mière où elle ' a choisi de descendre faire vibrer tout l'ensemble. Car presque chaque jour, la tête en ~ II


PEINTURE ET POÉSIE

~

FuturislDe

Le souci de la qualité

l'a-t-on assez remarqué? Colette est un grand peintre : rien moins que Monet pour les paysages et Bonnard, son contemporain, pour l'intimité (je ne pouvais m'empêcher de penser à l'Indolente de celui-ci, avec son vaste lit en désordre, taché d'ombre, où gît un corps blond, & lisant l'extraordinaire « portrait » de Renée Vivien où Colette a mis le meilleur de ses dons d'évocation et de pénétration intérieure ). Mais il y a aussi du Proust en elle, et l'on se demande si sa secrète ambition ne fut pas - un temps d'être son double féminin. Sa Recherche du temps perdu ne l'a-t-elle pas menée tout au long de son œu- . vre, tirant sans fin sur le fil des souvenirs, mêlant portraits et paysages, chronique mondaine et vie personnelle, le passé et le présent étroitement imbriqués? Liberté d'écri-. ture qui va de pair avec une liberté de mœurs et de pensée souverainement indifférente au qu'en-dira-ton. ~s jeunes hommes de Sodome qu'elle fréquenta amicalement dans ses tristes années d' « apprentissage» et de solitude conjugale, les « amies» qu'elle connut plus tard et qu'elle aima parfois, elle les a décrits d'une manière inoubliable dans ce livre. qu'elle considérait vers la fin de sa vie comme « le meilleur » : le Pur et l'Impur. Elle en parle avec cette sympathie compréhensive, mêlée parfois d'une fine ironie, qu ielle apporte à regarder tous les êtres - sans distinction de règne ou de race - de l'humble crapaud au don Juan vieilli, de l'enfant en fleur au chat étincelant que nul depuis Baudelaire n'avait compris comme elle. Colette a cette haute qualité de ne mépriser jamais. Elle regarde, écoute, montre, et le plus souvent se garde de juger. A nous de conclure. Elle aimait en Balzac, découvert lorsqu'elle était enfant et toujours relu, li: l'admiration qu'il voue à la créature humaine, qu'elle soit chargée de crimes ou, de par sa grâce, innpcente de tout ». Dans la Naissance du jour qui est, peut-être, le chef-d'œuvre de sa maturité - ce chant à mi-voix

pour dire encore la vie par quelqu'un qui croit n'avoir plus rien à en attendre, cette méditation au bord de l'autre versant - Colette prend sans hauteur et sans pathos la mesure des sentiments et des êtres, la mesure de l'amour et de la souffrance qu'il engendre, et règle tranquillement leur compte à un certain nombre de lieux communs. Il y a toujours eu une pointe de stoïcisme en elle; un peu de « Mort du loup » rôde derrière certaines de ces pages comme un reste d'enfance et l'on s'émeut de voir avec quelle d,élicatesse elle mêle sans cesse le doux et l'amer. Alors qu'on la croit tout occupée à chanter la vie, la terre, l'amour, une petite phrase pudique, jetée comme en détournant la tête, montre qu'elle n'èst pas tout à fait dupe et que de ces roses elle a tâté toutes les épines. Elle- sait de longue date qu'il faut payer pour tout. Mais, . si l'on accepte de vivre, si l'on a dépassé comme elle l'a fait, grâce à Sido, le terrible moment « dam \1 vie des êtres jeunes où mourir leur est tout juste aussi normal et aussi séduisant que vivre », alors que ce soit avec coura~e et sans gémissements inutiles, eu cherchant dans le gris quotidien cet or de chaque jour qu'on ne manque pas d'y trouver pour peu qu'on le veuille. Et que le ciel soit vide, elle n'a même jamais, si mes souvenirs sont exacts, jugé nécessaire . de le préciser, sauf par la bouche sagace de Sido, tant c'était pour elle l'évidence. Telle est, pourrait-on .dire, la « philosophie » de Colette, si l'on n'était sûr que le mot lui aurait déplu. Une leçon de vie, une « moraIe» aurait-elle mieux aimé ce mot-là ?) plutôt, simple certes, mais efficace et vraie, qui fit d'elle pour des milliers de lecteurs une confidente et une amie. Dans nos Lettres envahies par la philosophie, la sociologie, le scientisme snob, Colette la mal connue, réinventée par un Américain, c'est cette gorgée d'eau fraîche dont elles ont le plus grand besoin. Genev~ve

Bonnefoi

ROGER BORDIER (PRIX RENAUDOT 1961)

un âge d'or "une œuvre originale lyrique et passlonnée,sur les thèmes,de la mort de la 'vie, de l'amour et de la nature.. •.. Étienne Lalou (L 'EXPRESS) "l'œuvre la plus accomplie de Roger Bordier." Luc Estang (LE FIGARO LITTÉRAIRE) "La force d'un style Chargé de poésie. le meilleur' ouvrage de Roger Bordier': Maurice Chavardès (LA QUINZAINE LITTÉRAIRE)

" ... cette lutte contre la solitude, ce portrait d'homme, . cette vie d'un village. tous ces thèmes où se croisent vérité et poésie font d'Un Age d'Or un beau livre. riche et dense. qu'on n'est pas près d·oubller". Jacqueline Platler (LE MONDE)

CALMANN-LËVy _ _ __ 12

José Pierre Le Futurisme et le Dadaïsme 'Rencontre éd., 212 p.

L'ex-dadaïste berlinois Raoul H ausmann a bien voulu nous .c onfier ses impressions sur l'ouvrage de José Pierre. Le livre de José Pierre, bie:! conçu et réfléchi, jette une lumière nouvelle sur ces deux mouvements picturaux. Il nous démontre par 60 planches en couleur, par des textes et des controverses, que ces

GÛlcomo Bella : Chiffres amOUTeus• 1924·1925.

œuvres tellement contestées et discutées· étaient l'essentiel des motifs de cet exaltant renversement artistique. Le Futurisme et le Dadaïsme furent probablement les deux tendances les plus spectaculaires de la grande révolte des arts entre les années 1910 et 1925. Ces tendances furent en partie contradictoires. Il y avait entre autres le Suprématisme russe, auquel se joignit le Constructivisme hollandais, il y avait le Cubisme français, l'Expressionnisme allemand, et il serait dif" ficile de distinguer exactement les points de départ de tous ces mouvements. Une seule chose est sûre: on était partout à la découverte d'un Art nouveau, d'un .Art autre, et on procédait partout à cet Art. Cependant, très tôt, les protestations commencèrent. Kandinsky écrivait en 1912 à Herwarth Walden, le dirigeant du Sturm que les Futuristes ne savaient pas dessiner. Kandinsky ne voyait que son problème : faire du dessin des harmonies de lignes et de taches, alors que les Futuristes ne voulaient que montrer .la discontinuité des formes. Un dessin, qui n'est plus une copie de la « Nature» peut avoir les significations les plus diverses. Il peut être géométrique-symbolique, désinvolte-informel ou encore psychanalytique-surréel. Tout cela dépend de l'idée que les artistescréateurs se font de la nécessité de

transformer les phénomènes visuels par leurs moyens d'expression spirituelle et prélogique au profit de la conception d'un « eidos», c'est-àdire d'une image qui prend une forme insolite. On a déjà trop oublié que, en 1910, les arts convention:!els étaient dominés par l'idée classique héritée des Grecs du Beau, du Bon et du V rai. Le Futurisme et le Dadaïsme ont fait table rase de cette interprétation surannée. Ils avaient des idées nouvelles. Et il n'y a rien de plus détestable que des idées nouvelles, surtout visuelles. Le Futurisme était une conception de phénomènes viso-moteurs. Cette intention rapproche les Futuristes de Marey, l'inventeur de la photographie en mouvement et du film en images séparées. L'œil humain; incllpable de distinguer des images à des vitesses supérieures au seizième de seconde, relie les images pendant le déroulement de la bande et crée ainsi l'impression de continuité. Evidemment, cette position de combat des cinq peintres futuristes ne pouvait pas échapper à JoSé Pierre et il cite de leur manifeste Pittura futurista italiana des passages importants qui écartent toute équivoque: « La proposition théorique: « le dynamisme universel doit être donné en peinture comme sensation dynamique» entraîne ·la proposition scientifique: « le mouvement et la lumière détruisent la matérialité des corps» d'où découle la proposition technique : « Le complémentarisme inné est une nécessité absolue en peinture, comme le vers libre en poésie et la polyphonie en musique». Ce qui revient à dire, que seule la technique divisionniste permet de traduire picturalement la sensation dynamique. »

Bien que les peintres futuristes de la première heure se soient efforcés de remplir leurs tableaux avec les bruits de la rue et la vitesse, de réfléter la vie avec toutes ses agitations, ces tableaux restent des films figés, comme si, pour la dernière image de la bande, l'opérateur. avait oublié d'éteindre la lumière. C'est comme l'architecture, « une musique gelée » sur place.

Déoouverte du photomontage Le Futurisme se gérait en existentialisme visuel, le Dadaïsme pren~it comme point de départ intellectuel l' « Indifférence créatrice ». C'est là, la contradiction profonde entre ces deux mouvements, à la différence que, le Futurisme, mênie dans ses œuvres peintes, suivait strictement une idée littéraire. Il voulait donner sur le plan pictural la division de la stabilité des apparences. Si Duchamp, avec son Nu descendant un escalier, de 1913, ou Picabia avec son Catch as catch can


Théâtre Dada inauguraient un orphisme légèrement dominé par des intentions de mouvements détachés, ce n'était pas « Dada » du tout, aussi peu que le Moulin à café de Duchamp. Et si l'on regarde les premières œuvres d'Arp ,ou de Sophie Tiiuber, on ne saurait affirmer que l'intention était dadaïste. Arp s'est révélé plus tard un des plus grands sculpteurs de notre temps et Duchamp, en découvrant l'insolite pureté de formes des objets préfabriqués, a eu l'audace d'en faire des œuvres d'art par sa seule signature. Un élément nouveau, probablement le plus dadaïste, est représenté par la découverte du photomontage, surtout pratiqué par le groupe de Berlin et par Max Ernst. Schwitters, dans ses collages, a créé des constructions qui frôlent l'icône à partir des détritus les. plus hétéroclites. Il est regrettable, que de la Grande Foire Dada de 1920 à Berlin, il ne soit resté que quelques reliques. A cette exposition figuraient les premiers assemblages-collages de Hausmann et des assemblages-constructions de Baader, ainsi que des montages figuratifs de Grosz-Heartfield et d~ ,S"chlichter, qui oni, plus tard, provoqué le Néo-Dadaïsme et le Pop' Art. Mais cette Foire Dada a aussi provoqué des erreurs. Certains in~ vités" comme par exemple Dix, n'avait rien de commun avec' Dada, aussi }leu que les grandes toiles politiques de Grosz lui-même. 'Dada est, surtout aujourd'hui, une source inépuisable d'interprétations gratuites, qui défigurent le mouvement entier. On devrait constater que l'apogée de Dada n'était pas à Paris, au moins en ce qui concerne la .p einture. Il est vrai que les tableaux de Picabia étaient des brimades et quelquefois réellement de l'anti-art, comme son portrait d'une jeune fille fait avec des épingles à cheveux 'et des allumettes, mais à côté de cela, le côté pictural de Dada à Paris s'est très vite tourné vers la peinture surréaliste, à l'instigation de Breton. Finalement, les brouilles de Dada avec toutes les traditions, et même avec ses propres intentions, sont très clairement décelées par José Pierre. Il démontre, contrairement aux tendances de certains c:.:itiques actuels, que Dada en peinture a laissé, malgré tout, certaines œuvres, et qu'il n'était pas une révolte culturelle sans issue, une sorte d'avorton mort-né, comme on l'a prétendu à l'occasion de la première rétrospective Dada en 1958 à Düsseldorf. Dada, en peinture, est encore plus vivant, plus actif que les cerveaux « reposés » ne veulent l'admettre. Dada était un esprit, une idée insolite, et les idées, dit-on, sont ennemies mortelles de la vie tranquille. En nous donnant un document inquiétant et nécessaire, José Pierre dévoile les sources de l'art d'avant-garde actuel. Raoul Harumann La Quinzaine littéraire, 1" au 15 mars 1967.

Franck J otterand Georges Ribemont-Dessaignes Pierre Seghers éd., 190 p. Georges Ribemont-Dessaignes Théâtre Gallimard éd., 315 p.

Toujours chauve comme au premier jour, mais il ne s'en dépite plus, voici l'Ange Dada devenu le Doyen de Dada et le dernier grand témoin du siècle, avec Picasso. Ses souvenirs, il y a huit années déjà qu'il les a contés, dans un livre bien désordonné, Déjà jadis! où tout ce qu'il a aimé ou subi se mêle, s'enchevêtre, rien moins qu'une tranche de vie ou le fil des jours, plutôt une macédoine ou un écheveau, et partant l'un des rares livres d'un ancien Dada dans lequel le mémorialiste ne prend pas la pose pour l'Histoire. Franck Jotterand n'a pu résister à la tentation de vivre d'abord une journée du patriarche ' sans barbe, entre le marché aux légumes et la tisane du soir, dans le petit village de Saint-Jeannet près de Vence, le temps de réveiller l'enfance de Ribemont-Dessaignes et de nous pré-

« carrlere », commencée à 16 ans, il la brise en 1913, à l'heure même où Marcel Duchamp (dont il est le familier depuis 1909) réalise son premier « ready made », Roue de bicyclette. Quand il reprend ses pinceaux, en 1919, c'est pour exécuter une série de toiles mécanomorphes où l'on a vu l'influe:Qce de Picabia. Et certes la parenté est 'flagrante entre l'œuvre picabienne de œ temps-là et celle de Ribemont-Dessaignes. Mais peutêtre convient-il de chercher ailleurs la source, la source commune, de leur inspiration.

Une critique, qui se pare depuis peu des ornements universitaires, s'acharne contre to:ute évidence à identifier le surréalisme à Dada, quand il serait beaucoup plus judicieux d'étudier les rapports et les antinomies entre Dada et les mouvements artistiques qui le précédèrent ou lui furent contemporains, et notamment le futurisme auquel Dada emprunta mainte technique de création (mots en liberté, poème typographique, verbalisation abstraite ... ) et jusqu'à certains thèmes, tel celui de la machine. A la juste appréciation de José Pierre (le Futurisme et le Dadaïsme, éd.

même temps Dada. Il aura claire conscience de la spécificité Dada, de cet individualisme forcené, aristoçratique, conjuguant dans la sphère ludique Nietzsche et Stirner et s'éprouvant sans répit au scepticisme absolu qui nie, efface toute chose créée, aussitôt qu'elle est née et , tend donc à se figer dans une . forme et à se reproduire. Cette catastrophe jubilante, ce jeu dans les ruines et avec ses propres ruines rend Dada inassimilable par ceux-là mêmes qui se chargent de l'offrir à la goinfrerie universitaire. De là sans doute la qualification d' « amateur» - qu'on voudrait dépréciatrice - appliquée au peintre Ribemont-Dessaignes. Le poète Ribemont-Dessaignes serait également très suspect de faiblesse institutionnelle si l'on se fiait à une désopilante remarque, lue dans une thèse récente, au sujet du poète Francis Picabia : l'incursion (sic) de Picabia dans le domaine poétique ne laisse pas de surprendre, nous dit-on, il s'y trouvait le fort handicapé » car (( il avait très peu de 'culture » ! On évoque irrésistiblement ce juge d'instruction qui, lors des poursuites engagées en 1940 . contre les signataires du tract « A bas les lettres de cachet! A bas la terreur grise! .», intenogeait Benjamin Péret sur ses activités professionnelles. Comme celui-ci osait se prétendre poète, le juge lui jeta cette phrase sublime : « Ça se dit poète et ça n'a même pas son baccalauréat! » Ribemont-Des. saignes, non plus, le malheu:reux, n'a pas son baccalauréat : il eut le tort de lui préférer la peintu:re, et puis la poésie. Et ,aussi la musique. Et le roman (pas moins de douze publiés). Et, incorrigible, le théâ. tre. Un siècle d' (( amateurisme ». A quelques nuances près (un pèu en plus par-ci" un peu en moins par-là) quasiment Victor Hugo, l'amateu:r type!

En 1916, mobilisé benoîtement à Paris, à l'Ecole de guerre, Ribe· mont-Dessaignes se découvre au· teur dramatique : il écrit l'Empereur de Chine (collection Dada, 1921, représenté en 1925) qui vient Pd:.i.!: ~R'Ht! Un dessin de Georges Ribemont-Dessaignes. d'être réédité dans un volume de ~l! Théâtre, avec le Serin muet (c:réé en 1920) et le Bourreau du Pérou (créé en 1926). Réédition attendue, senter ses amis Jacques Prévert, Rencontul" ,Lausanne), .Dada fut le ' au moins de quelque farouches Max Ernst, Jean Dubuffet, Man négatif, exact du futurisme. Les sourciers. Quels que soient en effet Ray... et celui qui ne fut pas toU- futuristes glorifient la machine, les mérites du peintre ou du :rojours tendre pour le Dada impéni- symbole du progrès. Dada s'en em- mancier, c'est, à notre sens, dans tent, mais sut avant de disparaî- pare et en fait un moyen de contes- le domaine !Iramatique que Ribetre parler avec émotion de ce che- tation de l'art et du progrès. Inu- mont-Dessaignes a accompli la plémin qu'ils parcoururent ensemble tiles et vaines, jouets d'un jour, nitude de ses dons. Ses concep« et qui ne fut parfois si houleux les machines de Dada récusent tout tions théâtrales, la figuration scéque parce que passionné », André avenir, elles sont caricatures de nique qui en découle sont à l'oriBreton. Après quoi Franck Jotte- nous-même, de notre dérisoire magine des recherches dramatu:rgirand s'efforce de mettre un peu chinerie intime. ques poursuivies depuis cinquante d'ordre dans cette existence - qui ans. n'en reconnut aucun et dans Ribemont-Dessaignes a personniLe théâtre Dada a ouvert deux cette production, délibérément ré- fié le refus Dada et, mIeux que fractaire aux catégories esthétiques. personne, il l'aura signifié. Polé- voies : celle de Ribemont·Dessai· miste d'une extrême virulence, il gnes nous a livré déjà maintes merDu peintre que fut première- rivalise avec Picabia dans l'invec- veilles dont il serait juste de crément Ribemont-Dessaignes, peu tive, mais aussi dans 'la lucidité à diter le pionnier; l'autre, celle de d'œuvres anciennes subsistent. Cette l'égard de ce qui meut et tue en ~ 11


.Ieins feui sur Arago'n Allli cl' ARAGON depuis 40 ans, GEORGES SADOUL vient de lui cOJ:'lsacrer un livre (no 159 .d e la collection

"POETES D'AUJOURD'HUI").II n'-a "pas cherché ·à s'y poser en critique ' litté-

raire, mais il .a voulu ra con'· t!!r . en témo.În l'histoire

d'Aragon et de son œu-

vre. Son récl.t fourmille d'informati'ons et dé détails de toute sorte, qui nous rendent Aragon singulièrement vivant et nous éclairent sur les. condlUon.s dans lesqueF les son œuvre s'est faite. Sans y preodre garde, G.e.orges Sadoul"nous pr9P0'" .se 8iosi, du même coup, un remarquable document d'histQire Uttéraire. Dè nom~

breux textes d~Arag~n so,:,t ~ep.roduits à la suite de

cette étude (poémes et écrits sur la. poésie). . ~n ann!!~e : Bibliographie, "Chansonogrê!lphie", iIIustratrions. . catalogue général gratuit, sur demande ?fB, rue de Vaug{rard Paris 6°

Edi t'i 0 ns.

SEGHERS

• • • • • • • .. Théâtre Dada • • • •• Tristan Tzara, reste à peu • : • • • • • • • • • • • • • • • • • • •

près inexp1orée. Leur écritqre différencie ces deux théâtres. Le langage de Tzara, langage déchiqueté, extirpé d~ la syntaxe, où chaque mot, bribe .de mot, lettre est, après J'arrachement, le vocable unique et neuf, lé cri substantivé, crée les personnages, engendre, pourrait-on dire, ses organe~ émetteurs qui agissent de façon autonome. RibemontDessaignes ,u se ~'une écriture ampIe et continue, se développant en versets de 'r espiration claudélienne ou dans une ,p rose classiqùe : c'est l'altitude, l~ comportement des personnages qui brise avec la tradition, leur trop d' « humanité » qui les animalise et en fait des monstres impersohnels, des (c abstractions qui marchent »,.seules créations durables aU jugement .d 'Alfred Jarry.

• Ces deux théâtres ont en commun • la volonté d'iristaurer une' nouvelle commuhion avec le public, en provoquant sa participation hostile au spectac1e. Dans le théâtre Dada, deux négations s'affrontent : le Rien que Dada veut être et qui, pour reprendre une formule de StÎrner, « n'est pas le Rien dans le sens du vide, mais le Rien créateur, le Rien duquel moi, créateur, je tire tout », et le Rien qu'il dé• nonce chez ·les autres et sur lequel • il agit comme révélateur. Dada • trouvait au théAtre le lieu privilégié de son action.

· ~ ESPR1T •

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• • • • • • • • • • • • • • • • •. • • • • • • • • • Chronologie, Protestations • • en U.1I.S.S. et ·dans le monde

C, premier volum'

~u Théâtr,

de Ribemont-Dessaignes, on veut espérer qu'il sera suivi d'un autre réunissant les pièces inédites. dont Michel Corvin ch:esse la nomenclature dans le dernier 'numéro ...1~s . ~ Cahiers de l'Association pour l'Etude . du Mouvement Dada : Larmes de couteau (joué à Bruxelles , en 1926, qu'on croyait perdu et , dont la Revue nous· restitue le texte intégral), faust (publi~ dans Commerce , en 1931), Sanatorium (de 1929, conservé à la Bibliothè• que de l'Arsenal), l'Arbre. de la • liberté que monta Roger Blin, et : plusieurs pièces écrites pour 1a • radio. Le mouvement d'intérêt 'Témoignages et études de • qu'on aimerait voir se dessiner à • la faveur de la réédition des trois MICHEL AUCOUTURIER • pièces les moins ignorées de RibeCLAUDE FRIOUX • mont-Dessaig:pes fracturera . peut: être les tiroirs qui recèlent Zizi de HELENE IAMOYSKA • Dada (commandée par Lugné .Po~ • en 1920), Arc-en-ciel (jouée au • théâtre des Mathurins en 1925), • Cœür à Cœ'ur (représentée au théâ: Un inédit, d'ANDRE SINIAVSKI : • tre des Ursulines en' 1928). Et pour : le quatre-vingt-quatrième anniverLa poésie ' de Pasternak • saire de l'ermite guilleret de Saint• Jeannet, un metteur en scène no• toire montera-toi! sur un vrai théâ• 1re un spectacle Ribemont-Dessai"FÉVRIER 1967 6 F. : gnes? En hommage, le meilleur '. et le moindre à l'un des • plus sûrs rénovateurs de l'art dra1,9, rue Ja~o~,. Paris, 6e : matique. Noël Arnaud l . . C. C: P. ParIS 1154-~1 •

· l'AffAIRI SIliA YS Hl'· DA IlE l •

ES'PRIT,

1. Les Lettres nouvelle~, Julliard éd.

HISTOIRE LITTiLJlAiRE

André Monglond Le Préromantisme francais nouvèlle édition 2 vol., 255/427 P', José Corti éd.

Trente"six ans après sa parution, voici réédité, revu et pourvu de quelques additions, l'ouvrage que l'auteur de la France révolutionnaire et inipériale a consacré au préromantisme français. (c Le romantisme, vers 1815, ce n'est pas même un mot, rappelle V.-L. Saul,n ier. C'est un fait, vers 1830. Entre' ces dates, une révolution confuse. »1 Si, comme nous l'enseigne l'opusculé de Guy Michaud et Ph. Van Tieghem2 , le mot romantique est ancien (l'abbé Nicaise, en 1694, en fournit le premier exemple connu' : cc Que dites-vous, monsieur, de ces pastoureaux, ne sont-ils pas bien romantiques? »), il se confond, au début de sa carrière, avec le mot romanesque, employé depuis 1661 dans le sens de « tel qu'on le trouve dans les romans ». En .1745, l'abbé Le Blanc, pour ' traduire le Diot anglais romantic, recourt à pittoresque. Mais, à partir de 1785, romantique se distingue nettement de romanesque, le second s'appliquant aux aventures et aux caractères, le premier aux paysages et aux états d 'âme. Senancour écrit dans Oberman en 1797 : cc Le romanesque séduit les imaginations vives et fleuries, le romantique suffit seul aux âmes profondes, à la véritable sensibilité ( ... ) Les effets romantiqùes sont les accents d'une langue que les hommes ne connaissent pas tous. » Quant à romantisme, il ne serait d'abord que la transposition en français de die Romantik (la romantique), qui definit autour de 1800 le mouvement littéraire allemand de reaction contre le classicisme. Puis l'acception du mot ne cesse de s'élargir au point que Valéry 'peut ecrire : «( Il faudrait avoir perdu tout esprit ' de rigueur pour définïr' le romantisme. »

Des événements d'âme Que recouvre pour sa ·part la notion de préromantisme? Un ensemble de teI,ldances nouvelles qui animent la littérature fran,Çaise et étrangère dans la sl"coJ;lde moitié du XVIIIe ·siècle. Mais, alors que Van Tieghem considère le romantisme comme un m ouvement européen jusqu'en ses origines, André Monglond, sans nier 1a réalité des influences étrangères, s'applique à rechercher les sources françaises du romantisme et souhaite imposer 11:'conviction que celui-Ci n'est pas en France un intrus. Voilà le propos. Et voici la méthode : (c l'ai préféré demander aux expériences individuelles l'explication des courants généraux. l'ai assuré l'histoire d'un mouvement collectif avec ces biographies d'âmes qui permettenJ d'enregis-

trer le retentissement profond des grands événements dans les cœurs solitaires. » Ces grands événements - la Révolution, par exemple ~ sont aussi, pour l'auteur, en un certain sens, des événements d'âme. André Monglond se pe:rsuade qu'à l'origine des transformations profondes, on retrouve toujours quelques expériences individuelles. Il ne prétend analyser de la Révolution que les cc réactions sentiqtentales qui déterminèrent l'événe'ment », c'est-à-dire, en .particulier, lés réaètions vaniteuses de la bourgeoisie aux dédains de la noblesse : « De ce point de vue, écrit-il, la Révolution apparaît essentiellement comme la victoire de la bourgeoisie, une revanche violente des amours-propres longtemps frpissés, humiliés. » Elle constitue, en som'me, « l'aboutissement social du malaise individuel » . La critique contemporaine celle notamment qui anime les , travaux de psychologie historique de J .-P. Vernant - récusera « cette vérité proclamée par l'humanisme: rien qui ne soit" au; moins à l'état de germe; contenu dans le cœur ,de l'homme ». L'étude d'André Monglond repose sur la croyance en une nature humaine et en une psychologie qui nous donnerait la clé des conduites de l'homme et de leur.s variations. Son maître est Sainte-Beùve, ses modèles : les Portraits littéraires et les Lundis, ' « cette inimitable histoire senti-. mentale et morale de la société française ».

La ,tyrannie des puristes Mais le préromantis:qle existe-til? « Ce n'est pas moi,. proteste l'auteur, qui .ai découvert le préromantisme. Tous les .romantiques sont d'accord pour se reconnaître des précurseurs. » Et, beaucoup plus loin, il évoque «, ce je-ne-~ëris­ quoi que nO,IfS t!oppelons préromanti~me ». Le premier volume (l~ Héros préromantique) étudie, à travers les Liaisons dangereuses, les œuvres de Duclos; l'expérience de Madame Du Deffand ou de Mademoiselle de Lespinasse, les lassitudes et pressentimen~s d'une société vouée à la corruption du cœur par son abus de l'analyse et son excès de civilisation. Le XVIIIe siècle finissant découvre, à travers sa propre indigence, que l~ poésie ne peut exister chez les peuples policés et, s'efforçant de la ressaisir, se heurte à la tyrannie des puristes, à l'hégémonie des salons. Si Shakespeare, Ossian ou ~œthe contentent quelque peu ces aspirations nouvelles, l'influence qu'ils exercent se fait plus active sous l'action de Prévost, Rousse.1lu, Diderot. Toutefois, l'utopie et l'artifice épuise~t les efforts de renouvellement , du préromantisme ·français qui, à la veille de la Révolution, semble f:fappé de stérilité. Tel est le drame de cette âm~ mala.de; collective et française, dortt l'âme, sensible sera l'avatar le pl1}.s, .indIscret.


A cette histoire d'un drame, succède une belle étude thématique, qui nous achemine du romanesque à la poésie retrouvée. Signalons en particulier ({ les saisons et les jours », où l'auteur analyse la défaite du printemps et de l'été, le triomphe de septembre, puis de novembre, et des « paysages désencombrés », plus propices que les autres à l'activité intérieure. Le paradoxe du préromantisme français n'est-il pas d'avoir inventé tous les thèmes dont vivra le lyrisme romantique, d'avoir, à sa manière, retrouvé la poésie et de n'avoir pas eu de poètes? Car la poésie, pour André Monglond comme pour Henri Bremond, est avant tout « mystère intérieur ». Le portrait du héros préromantique clôt ce premier volume. Portrait fait de touches multiples :. l'auteur dirige son investigation non seulement sur Senancour, Rousseau ou Vauvenargues, Marivaux ou Restif, mais aussi sur le Prince de Ligne, Mme Riccoboni, Mme de. Charrière, Campistron ou Baculard d'Arnaud, sur les faits divers, les anecdotes, les vies obscures, sur ce qu'on pourrait appeler le tissu de langage dont se fait une époque. C'est par là que son entreprise est profondément littéraire, même si, contre notre gré, il l'assortit de jugements moraux plus ou moins explicites. Le deuxième volume est consacré au Maître des âmes sensibles, c'est-à-dire à Rousseau ou, plus exactement, à son influence dans l'élaboration du préromantisme français. Au nescio quid primitif, « c'est Jean-Jacques Rousseau qui vient conférer l'unité, communiquer l'étincelle de vie ». André Monglond affirme l'essence religieuse - unificatrice, restauratrice - du préromantisme, en se fondant sur des expériences comme celles de Benjamin Constant ou de Chateaubriand qui annexent l'un au sentiment religieux, l'autre au christianisme l'essentiel des thèmes préromantiques. Rousseau, l'homme de la voie intérieure, du paysage natal, de la révolte, de la persécution, Rousseau le petit bourgeois, fils de bourgeois déclassé, engendre une postérité de disciples-pèlerins, d'apôtres de l'égalité, de mages, de ratés et de petits-bourgeois fervents. On goûtera les portraits de ses filles spirituelles : Manon Phlipon (Mme Roland), Lucie Laridon-Duplessis (Mme Desmoulins) qui raconte ses rêves à sa mère sous les tilleuls de Bourg-laReine, Mme Jullien de la Drôme fille jacobine celle-là qui voit Robespierre « doux comme un agneau et sombre comme Young » et accepte qu'on se fasse « barbare par vertu ». Dialogues, Confessions et Rêveries suscitent une masse d'écrits autobiographiques qui, selon l'auteur, libèrent le lyrisme intérieur par leur égotisme même. Vienne l'épreuve révolutionnaire, et le préromantisme, au lendemain de la Terreur, va dépouiller sa

Frontispice d'une. édition de Byron.

sensiblerie, sa senti manie, ses scories sentimentaires, « rendre leurs droits aux plus hautes puissances de l'âme ». Voilà guérie cette âme sensible dont l'histoire, dit André Monglond, intéresse deux siècles de vie française et qui, naguère, exagérait son style au contact malsain de la Nouvelle Héloïse. Son médecin est Joubert, celui même qui écrit : (c Je vois bien qu'un Rousseau (j'entends un Rousseau corrigé) serait aujourd'hui fort utile. » L'auteur n'a jamais fait mystère de son admiration pour le roman-

tisme. Toutefois, cet amoureux fervent n'accepte pas tout de l'objet qu'il aime. Il le corrige. Il aspire, par delà son rôle d'historien, « à maintenir ·dans la tradition française, en l'épurant au filtre de Joubert, le meilleur du romantisme ». L'image du filtre joue, dans son étude critique, un rôle parfaitement organisateur. Ainsi, Rousseau, ses délires, son onanisme sentimental, arrachent à l'historien des jugements rigoureux, comme celui de sénilité précoce à propos de l'anecdote suivante : « Peu de jours avant sa mort ( ... ), il suffit

que Magellan conte devant lui un épisode du tremblement· de terre de Lisbonne ancien de plus de vingt ans, l'histoire d'un malheureux qui voit brûler vive sa famille : A ces mots, M. Rousseau, qui avait été fort attentif ... , fit brusquement un pas de côté, et, comme s'il eût été frappé de la foudre, resta immobile pendant quelques instants. » N'estil pas plus juste de comprendre que l'imagination de Rousseau lui permettait de voir cette scène dans une présence quasi absolue ? Et il la refusait de tout son corps, par un processus d'identification qui lui était .famili~r. Les Révolutionnaires ne sont trop souvent, aux yeux de l'auteur, que de « petits avocats médiocres dominés par Rousseau ( ... ), fruits monstrueux de la philosophie et du classicisme dégénéré ». André Monglond apprécie le romantisme selon les normes d'un goût et d'une raison tout classiques, l'une de ces normes étant la pudeur dont il fait l'éloge en Joubert. Aussi juge-t-il durement ces formes d'impudeur que sont la violence révolutionnaire ou l'exploration érotique. Sade - si rien n'a échappé à notre lecture - n'a droit . qu'à une ligne dans son étude. En dépit d'un triple parti pris: psychologique, spiritualiste, national, le Préromantisme français constitue un ouvrage dè référence, non seu]ement par l'érudition et l'effort de synthèse qui s'y déploient, mais aussi parce que, dans sa piété caustique, il retient quelque chose de la force et du charme de Sainte-Beuve. Lucette Finas 1. V.·L. Saulnier, la Littérature du siè1. V.-L. Saulnier. La littérature du siècle romantique, P.U.F. 2. Guy Michaud et Ph. van Tieghem, le Romantisme, Hachette, Documents France.

ETRANGER Deux oinquantenaires et la littérature

U. R. S. S. Une correspondance du New . York Times Book Review fait état d'une situation difficile dans les milieux littéraires de Moscou. L'informateur du journal new-yorkais décrit longuement un manuscrit d'Alexandre Soljenitsyne qui circule actuellement sous le manteau. Il s'agit de nouvelles. Dans l'une d'elles, les chiens de garde, abandonnés sur place après la fermeture d'un camp de concentration, s'échappent et envahissent la ville voisine, le jour où se déroule une manifestation organisée. Par habitude, les animaux encadrent le cortège jusqu'au moment où les assistants cherchent à se disperser. Alors, les chiens les attaquent. Dans une autre nouvelle, un haut fonctionnaire qui se meurt d'un cancer se rappelle tous ceux qu'il a fait déporter et se demande ce qui se passerait s'il en rencontrait dans la rue. Le fait que Soljenitsyne soit de nouveau réduit à une semi-clandestinlté est mis en parallèle avec l'ajournement du Journal de guerre de Cons-

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 mars 1967.

tantin Simonov, dont la publication était prévue par la revue Novy Mir. Si l'on met ces deux informations en relation avec le renvoi du quatrième congrès des écrivains soviétiques à une date ultérieure (le dernier a eu lieu en 1959 et le prochain a déjà été remis deux fois), on peut admettre la thèse du correspondant du N.-Y. Times Book Review qui attribue ces événemimts au désir des autorités soviétiques de transformer le cinquantenaire de la Révolution d'Octobre en une année d'union nationale. On n'y entendrait pas les voix discordantes et revendicatives des écrivains. A noter, pourtant, que les dirigeants des milieux littéraires pourront se consoler avec quelques vers fort orthodoxes d'Evtouchenko. Celui-ci vient de publier ses impressions des Etats-Unis où il avait été enfin autorisé à se rendre après les différents incidents qu'avalent suscités ses voyages , il y a quelques années. De retoOr à Moscou, il décrit ses impressions dans un style aussi satisfaisant que traditionnel. On y voit des fauteurs de guerre glisser sur des

crachats gelés, et des pacifistes glisser sur des larmes gelées.

Etats-Unis C'est peut-êtrè en raison du cinquantième anniversaire de l'eQtrée en guerre des Etats-Unis (2 avril 1917) que parait le Thomas Woodrow Wilson de Freud et William Bullitt. (Houghton Mifflin Co). Ce dernier, ancien attaché de presse à la conférence de paix de Versailles travaillait à un livre sur cette conférence quand Freud lui proposa d'y ajouter une dimension psychanalytique. C'était en 1930. L'ouvrage avait donné lieu à de grandes divergences entre les coauteurs et, malgré un accord de pure forme sur un texte définitif, il avait été convenu entre eux qu~ le livre ne serait pas publié. Plus tard, quand Bullitt, ambassadeur en France, eut retiré Freud des mains des hitlériens, en 1938, l'un et l'autre décidèrent de faire paraitre l'ouvrage après la mort de Mrs Wilson. Celle-ci devait vivre encore plus de vingt ans, ce qui explique le retard de la parution.

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URBANISMB

Structures et ,espac,e s d'une ville H. Coing Rénovation urbaine et changement social Ed. Ouvrières, 295 p. Il peut arriver qu 'une monogr~­ phie, par le choix exemplaire de son objet, l'acllité de son analyse, la rigueur de ses conclusions, éclaire l'enseIphle du champ dont elle fait partie. Tel est le' cas de l'étude que H. Coing consacre à une opération de rénovation dans un îlot insalUbre de Paris ou, plus précisément, aux incidences de cette opération sur le comportement des intéressés. Moins séduisante pour l'esprit que la création de villes ex nihilo, la rénovation est cependant aujourd'hui la première tâche d'une civilisation urbaine. Elle ne s'impose pas seulement en Europe, mais aussi aux U.S.A. où le pourrissement des centres de grandes villes a suscité des séries d'opérations qui font aujourd'hui ressembler le cœur de Philadelphie, Boston ou Baltimore! à des terrains de bombardement. Mais rénover pose des difficultés spécifiques : il s'agit de « tailler dans le vif d'un tissu existant », d'en soumettre les habitants à un tra~matisme op~ratoire qu'en règle générale ils -supportent mal. En revanche, ces interventions, dans' la mesure où leur champ est limité et où elles appellent la confrontation avec l'espace construit avoisinant, pourraient constituer, à la fois pour l'urbaniste et pour le sociologue, une sorte de laboratoire, un terrain privilégié d'expérience et d'analyse. Tel fut pour H. Coing l'îlot 4 du XIIIe arrondissement (12 ha, 6200 habitants appartenant aux classes sociales les plus défavorisées, relogés par tranches successives). Son étude qui combine le traitement mécanographique de données statistiques à, l'enquête directe, qualitative, se poursuivit durant treize mois, correspondant à peu près à la phase médiane de l'opération. Cette durée donne au livre sa structure tripartite : avant, pendant et après la rénovation.

sont compensées dans l'extériorité: la rue toujours animée est, plus ' encore que le lieu de rencontre, et de distraction, le cadre de ' rituels quotidiens ' (cheminements menant toujours chez les mêmes commerçants par exemple) et de rites d'exception (fê~es). Bref, l'îlot est, dans ses limites territoriales, l'objet d'un enracinement, le cadre spatial correspondant à une structure de vie, à ce que H. Coing n'hésite pas à nommer « une micro-culture ». A ce territoire - qui vit de façon presque autonome, comme un village en marge de la cap!tale - .correspond chez les habitants un ensemble de conduites liées : style dans les relations humaines, types de 'distraction, manière de se vêtir, mode de parler

cham)J beaucoup plus vaste; le choix vestimentaire se transforme, de même que le parler. Le second groupe, au contraire, celui des inadaptés, passéistes, « traditionalistes», ne parvient pas à restructurer son comportement. Il vit dans la nostalgie de l'espace et des valeurs détruits. Les .familles se replient sur elles-mêmes, privées de toute insertion sociale, à l'intérieur de ce que K. Goldstein eût appelé un « comportement réduit». , , A l'analyse, la différence qui sépare ces deux groupes placés, dans des conditions identiques s'explique en termes économiques, ou, ce qui revient au même, en termes de niveau culturel. S'adaptent ceux à qui leurs revenus ,et leurs habi-

Quartiers nouveaux au sud de Paris.

même, qui expriment un système de valeurs. Et le , modèle culturel est vécu avec d'autant plus de rigueur que les familles sont plus défavorisées. Il est donc facile de prévoir que Une enquite de toute atteinte à un cadre spatial si treize mois lourdement chargé de symboles va modifier l'énsemble du système et , Le premier moment décrit donc se répercuter sur toutes les faces les conditions d'insalubrité et d'en- de la 'culture perturbée. Effectivetassement où vit la population ment, le deUxième acte, celui de la « non rénovée ». Mais la misère rénovation, c'est-à-dire de la dédu logement trouve une contre- structuration de l'ancien espace ripartie dans une vie sociale très tuel, 'est aussi celui où se noue intense. Multiplicité, variété et le drame. « Faire tomber les murs, chaleur des contacts se reflètent ' c'est détruire un monde », dit dans l'organisation de l'espace : H. Coing. Non pas, comme pourfortes densités réparties dans des rait le croire un observateur extéédifices peu élevés, contiguïté de rieur" anéantir un monde de soul'habitat, du travail et du com- venirs, mais rendre désormais immerce, multiplicité deI! lieux de possible un style de vie, un réseau réunion (1 càfé pour 130 habitants de comportements qui étaient un contre 238 dans la moyenne natio- moyen d'intégration sociale. En nale). La carence du logement et remplaçant les maisons de deux ou l'indigence de la vie personnelle trois éta~es par des tours de qua16

torze, en concentrant en quelques mag!lsins géants le commerce autrefois dispersé, différencié et '« personnalisé », en déplaçant les petites entreprises industrielles ou artisan~es, en faisant affluer dans les nouveaux immeubles d'habitation de nouveaux habitants, ce sont les relations de proximité avec les gens et les choses, les temps de présence dans le quartier, tous les anciens cheminements que les rénovateurs condamnent. le probleme qui se pose donc à la fin du deuxième acte est de savoir si le bénéfice d'un logement neuf et suffisamment spacieux compensera pour les intéressés la perte de ces valeurs et leur permettra de trouver un nouveau style de vie. Car, résume H. Coing, « on pourrait

assimiler... cette opération à un processus d'acculturation ». Une fra,ction de la population ressent si bient le problème que, incapable de l'affronter, elle émigre pour aller retrouver ailleurs ses conditions de vie antérieures. Ainsi, on atteint le dernier acte, celui où se joue le destin de chacun. Et c'est alors que parmi la population demeurée sur place et maintenant rénovée, apparaissent deux grands groupes. Celui des adaptés, des « modernes » qui, après un temps plus ou moins long d'apprentissage, se révèlent en mesure de réinventer un nouveau type de comportement. Alors, l'intériorité de la cellule familiale se substitue à l'extériorité de la rue ; l'attachement au quartier se dissout dans l'investigation de la ville ' entière qui devient support du travail et des loisirs; les relations' humaines changent de tonalité en même temps qu'elles s'annexent un

tudes mentales permettent l'action; ceux que l'augmentation vertigineuse de loyer qu'implique un logement neuf ne prive pas pour autant des moyens! de se conformer à d'autres « modèles » de conduite leur assurant un nouveau type' d'insertion sociale :, aménagement du logement, nouveaux types de loisirs et distractions, nouveau style vestimentaire. Le « traditionalisme , forcé » des inadaptés s'explique par la rigueur des privations qu'il leur faut endurer pour être seulement logés : l'espace vi· tal et l'hygiène sont payés au p'rix de l'intégration sociale. Puisque aussi bien ces familles sont entièrement il l'ancien lorsqu'à l'extériorité de la rue et de la communauté de quartier succède l'intériorité du logement et de la cellule familiale. Le rôle décisif, joué par le facteur économique dans le dénouement de la rénovation, éclaire aussi l'ambiguité d'un troisième groupe moins


PHOTOGRAPHIE

Bill Brandt important : formé de ceux , qui se sont choisis « modernes »; qui ont la volonté d'adaptation, mais dont la situation économique marginale met constamment en péril l'effort de restructuration de leur milieu .et de leur comporte~ent. Les observations de H. Coing sur les conséquences de la rénovation urbaine ne sont pas nouvelles : elles sont recoupées par les ' travaux publiés depuis une quinzaine d'apnées par une série de sociologues américains de Marc Fried à E.-T. HalP. Ce que l'ouvrage de H. Coing apporte de nouveàli, c'est d'abord l'analyse spécifique de la rénovation dans un milieu urbain français, mais plus encore la façon dont il dégage les deux types d'attitudes opposées engendrés par la rénovation. Cette approche qu i met en évidence le rôle déterminant des conditions économiques dans les processus d'adaptation et de restructuration du milieu de comportement permet de dénoncer deux illusions solidement ancrées dans la sociologie urbaine. L'illusion paternaliste d'abord qui (en particulier dans la politique actuelle des Etats-Unis) considère qu'une catégorie sociale - les pauvres - est incapable d'affronter les nouvelles conditions urbaines, et qu'il faut, pour elle, réaliser un aménagement particulier reproduisant dans des conditions d'hygiène , les anciennes structures de proximité. L'illusion « culturaliste » ensuite qui, de l'heureux fonctionnement de ces structures dans le cas particulier des îlots insalubres, des bidonvilles ou de certaines agglomérations préindustrielles du pourtour de la Méditerranée, en conclut à leur valeur universelle : le livre de H. Coing montre bien qu'il s'agit là d'un préjugé nostalgique et de la méconnaissance d'une évolution irréversible des sociétés industrielles. Il fait apparaître le danger qu'il y a à ) 'heure actuelle à reprendre, en invoquant leur valeur ' humaine (traditiomielle), certains schémas a'tchaïques4, pour la rénovation des centres de villes anciennes ou la construction des « cœurs» dè villes nouvelles. ,En mettant en évidence le lien entre les 'structures de l'espace urbain et le comportement dans sa totalité, la confrontation opérée par H. Coing impose un rapprochement avec les travaux de .cl. LéviStrauss sur la signification de l'espace chez les tribus indiennes d'Amérique du Sud ou ceux de P. Bourdieu sur les cheminements dans les villages kabyles. La rénovation des quartiers insalubres dans les grandes villes des sociétés industrielles apparaît alors comme un cas particulier du problème général posé par le développement urbain du tiers monde ~ autrement dit par l'àcculturation au niveau d~ l'urbanisme.

Cette confrontation confirme aussi ce. qui à la lumière ,des mêmes travaux (Lé\'i-Strauss, Bourdieu, Hall) apparaît comme une loi empirique : l'incidence des configurations spatiales sur le comportement global d'une société ou d'un groupe social est en raison inverse à la fois de leur mobilit~ dans l'espace et de leur ouverture aux changements dans le .temps. Aussi, bien que l'auteur se défende de tont propos pratique, son livre contient - implicites - des directives pour l'action, faisant apparaître une double nécessité : recherche de normes économiques moins élevées pour le logement p0pulaire; étude d'aménagements de transition qui permettent de minimiser les traumatismes de la rénovation. Par delà même ces exigences, le livre de H. Coing invite à la re-

Bill Brandt

il découvrira, tel un animal fantastique,

Ombres d'une île Photos de 1931 à nos jours

l'œil d'un peintre en gros , plan: c~lui de Max Ernst, de Giacometti, d'Arp; de Dubuffet. ' , , C'est l'époque où le photographe 'se penche sur les nus, dont il 'a pporte des images jamais aperçues, variations sur un thème qu'on aurait pu croire épuisé et qu'il renouvelle en modifiant les points de vue, en découpant les parties. Il démontre ainsi qu'il est un maitre du 'paysage dramatique et désolé.

Introd. de Michel Butor Le Bélier'Prisma éd., 152 p.

Bill Brandt a soixante ans. Ses photographies ont illustré les revnes de langue anglaise et cinq' livres ont marqué les étapes d'une longue ' carrière'. Aussi étaitil normal qu'aujourq'hui un résumé de Puis il descend sur la plage. Déjà' son œuvre nous soit offert. Omlires d'une des morceaux de nus s'étaient rapprochés île (Ombre de lumière, le titre anglais des pierres dans une coexistence que est plus significatü) permet de suivre l'évolution de l'artiste durant les trente- ' l'auteur rend naturelle. Le dépouillement cinq derruères années., se poursuit: ce ne sont plus que des pierres usées, par le v"nt, la mer, les Il commence par le Londres d'avantsables; malgré leurs dimensions elles guerre, évocation d'une ville tranquille sont faites pour plai;re à Roger Caillois. avec ses aristocrates figés dans un W:cor Bill Brandt nous fait prendre conscience désuet et la population colorée de ses de leur beauté troublante de forme et quartiers populaires. Tout naturellement, de couleur. L'évolution vers la pureté, Bill Brandt partira dans les villes du vers les formes simples, continue dans Nord où sévit la crise économique; à la une quête incessante, où un insolite, parmanière de la grande équipe américame ,fois provocant, fait place à un calme étrange. ' de la Farm Security Administration Walker Evans, Arthur Rothstein, Dorothea Lange qui s'est penchée sur la LQrsqu'un éditeur publie 'l'œuvre d'un dépression économique des ' Etats-Unis photographe (en France une telle entreaprès 1937, mais d'une façon plus noire, prise est rare) il fait précéder les images le photographe anglais .évoque dans leurs. d'une étude sur les sujets et ' leur interdécors mornes la .vie misérable des mi- , prétation. Les éditions Le Bélier-Prisma neurs en chômage. Puis la guerre dOllile ont demandé l'introduction à Michel à Londres un nouveau visage; voici les Butor qui a regardé les photographies et rues désertcs dans le black-out et les s'en est inspiré pour composer un poème ' longues nuits pas.'!ées ' dans les abris: où apparaissent les uns après les autres, métro, cave, crypte d',é glise, où s'enen longues litanies, les thèmes du livre. tassent les habitants. ' La , partie consacrée à l'Angleterre est remarquable. Ce n'est pas une interpréBill Brandt abandonne le reportage et tation des images; le récit incantatoire va dénicher les hommes de lettres dans donne envie de regarder de nouveau les leur cadre. Edith et Osbert Sitwell, auillustrations puis de relire le texte à dessous du groupe familial peint par haute voix. Sargent, sont fif;és pour l'éternit~. Iris Jean A. Keim Murdoch est saisi devant la porte de son 1. Un seul ,a paru avec un texte franjardin et Francis Bacon se promenant çais: Perspectives sur le nu. Le Bélier. dans une campagne . tragique. Plus tard, Prisma éd., 1961.

SCULPTURE

Germaine Richier Rénovation à l'iniérieur de Pam.

Germaine ,Richier Ed. de la Galerie Creuzevault

Paris.

cherche de nouvelles structures urbaines de rencontre, à la conception de nouveaux espaces «publics», accordés (peut-être nécessairement sur 'le mode ludique) au style d'une société qui, peu à peu, se déprend des contraintes symboliques de l'espace.

Françoise Choay 1. La rénovation y prend d'ailleurs souvent un caractère particulier : les anciens taudis sont remplacés par un quartier de prestige qui suscite tout l'intérêt d'une création ex nihilo, tandis que le problème de la réintégration des anciens habitants et de la restructuration de leur cadre de vie est esquivé. 2. Même s'ils supposent l'appel au crédit , et la planification à long terme. 3. L'ensemble du problème est traité dans

Slums and social Insecurity de Alvin L. Schorr publié par le U.S. Departement of Health, Education and weltare, 1963. Outre l'ex'c ellente bibliographie donnée dans ce livre, nous renvoyons surtout aux travaux de la phychiatrie écologique (Lé0nard Duhl) et aux études de E.- T. Hall sur la symbolique de l'espace- urb~in (the

La 9ui.nzaine littéraire, 1" au 15 mars 1967.

sil~nt

language 1959').

4. Ce fut l'erreur de J. Jacobs dans son célèbre Death and Life of Great American

Cities.

L'œuvre de Germaine Richier se tient debout sur cette étroite frontière entre la vie et la mort où l'homme s'interroge sur la réalité de son être. Mise à part la plénitude charnelle de quelques œuvres premières dont l'Orage et l'Ouragan demeurent les archétypes inégalés, les formes qu'elle créa semblent avoir avec peine été arrachées au néant , ou tout près d'y retourner: trouées, déchiquetées, un vent furieux les traverse, soulevant des lambeaux de chair et dévoilant ieur carcasse (la Forêt, le Berger des Landes, la grande Tauromachie). En elles l'animal et le végétal se mêlent parfois si intimement qu'on ne saurait plus dire à quel règne elles appartiennent. L'animal, pourtant, domine très fort une œuvre dans laquelle l'humain se confond avec lui au point qu'on ne sait trop si le sculpteur tentait ainsi d'exalter le premi.er pour le' hisser au rang où se place lui-même le second, ou voulait simple. ment rendre celui·ci à sa nature originelle. La belle 'accrOlipie qu"elle nomme le Crapaud, la Mante ambiguë, l'Araignée qui semble prise à ses propres fils et cette impressionnante Sauterelle d'une si admirable tension posent la question et nous laissent dans le doute, libres d'y répondre à notre guise. Avec les petites pièces auxquelles la nll'!ladie la conda1I)lla en partie mais qu'elle aimait sans doute avec prédilection et dans lesquelles elle excella _ c'est tout un bestiaire fabuleux qui sort de ses mains et se met à vivre dans de

bronze sombre ou doré, dans le plomb qui s'éclaire parfois de pierres de couleur; petits monstres familiers inquiétants ou précieux, qu'elle pose souvent devant un « fond » en équerre, sur le· quel s'inscr~vent . en relief comme les traces de quelque mystérieux passage. Vers 1951.52, Germaine Richier sollicite la collabor~tion de ses amis peintres pour animer ce fond: aiusi naquirent la Ville avec Vieira da Silva, la Toupie avec Hartung. Elle·même commença de polychromer quelques œuvres dont 'le Grand Echiquier de plâtre qui .surprit tant lors de son exposition pe~ avant sa mort rêvant d'ajouter ainsi une di- , mension nouvelle à la sculpture moderne en renouant avec une très ancienne traditio,n . Mais celle même année 1959, à cinquante.cinq ans, elle franchiSsait cette frontière devant laquelle elle s'était longtemps tenue. , Réalisé avec soin cet album, dont on nous dit qu'il ne prétend pas fournir une, étude exhaustive de l'œuvre du grand sculpteur, en donne par l'image une vue assez complète. Mais les textes anciens de Cassou, Limbour, Mandiargues, repris pour la circonstance, sont trop fragmentaires et malgré la chaleureuse préface de Dor de la Souchère, on demeure insatisfait . La véritable étude de cette œuvre, si capitale pour le développement et la compréhen~ion de la sculpture contemporaine, reste à faire et l'on s'étonne que, huit années après la mort de Germaine Ricruer, ancun ouvrage de cette 'sorte ne , lui ait été consacré. Puisse. ce bel albUin. qui plaira à tous les fervents de son œuvre, servir d'incitation à ce travail indispensable.

G.. B. 17


ETHNOLOGIE

JEUNESSE

Qu'es.t -ce qu'une poupée '1 Jean Valjean. posa Catherine sur promet une sécurité absente partout une chaise et se tint immobile de- ' ailleurs. vant eUt". sans dire un mot: Chacun de nous, interrogeant son passé, peut retrouver l'histoire de lone donc, Cosette, dit l'étranses relations avec la poupée: le ger. temps du besoin, le temps du rejet, Oh! je joue, répondit l'enfant. le temps, peut-être, d'un retour déC'est qu'en étant simplement guisé. Jeanne Danos montre coml'Autre. et l'Autre enfin passif. la bien cette histoire est révélatrice: ainsi dans les souvenirs d'enfance de Simone de Beauvoir, l'amour pour la poupée Blondine, l'attachement à la docile petite sœur Poupette, l'admiration troublée pour Marguerite, (( une belle idole blonde souriante et rose » qui vient en classe (( avec des boucles impeccables», apparaissent comme la tentation la plus forte d'un être qui se veut tout de raison. Dans la relation triangulaire obsessionnelle, chez Simone de Beauvoir, où le cœur est partagé entre un être à aimer en égal et un être à aimer comme une poupée, il y a aussi le regret désavoué de n'être plus jamais soi-même la poupée, comme au temps de la petite enfance, dlj.ns les bras ' d'une jeune maman. Devenir adulte tout à fait, c'est non seulement renoncer à être une poupée, mais aussi renoncer à voir une poupée dans aucun être humain : (( Olga m'obligea à affronter une vérité que jusqu'alors je m'étais évertuée à esquiver, autrui existait poupée peut bien ne solliciter aucun au même titre que moi, et avec geste, mais seulement une vive autant d'évidence. » attention à sa singularité propre : La découverte d'autrui et de son elle est présente, elle a ce visage, existence réelle est peut-être une qui fait face à l'enfant, et c'est vérité bien durement éclairée, et assez pour figurer la réconciliation bien contraire aussi à tous les intéavec le monde. L'extrême attache- rêts de ce que Pascal appelle ment de nombreux adolescents (( l'amour-propre ») et Valéry (( la pour leurs vieux ours en peluche, raison d'Etat »). Aussi n'est-il pas attachement qui se prolonge bien étrange que cette conquête de parfois par l'adoption de fétiches l'état adulte reste fragile et menamoins encombrants, révèle ce cée: la poupée rassurante, la pougrand besoin de pouvoir compter pée-médiation, nul ne peut se vanabsolument sur un partenaire ter d'être assez raisonnable pour ne muet, sur un interlocuteur irrespon- plus revenir à elle jamais. sable dont la fidélité sans condition losane Duranteau

Jeanne Danos La Poupée, mythe vivant Coll. « Femme» Gonthier éd. 408 p.

Comprise à la fois comme ulle enquête menée auprès d'enfants d'âges divers, d'adolescents ('t d'adultes, comme une analyse des témoignages les plus éclairants dt" notre littérature, comme une étude sociologique de ce mythe omniprésent (en particulier dans les représentations érotiques) et comme une réflexion symbologique, l'entreprise de Jeanne Danos est traitée (( en première personne ». Et l'auteur s'en explique: (( louer avec le concept de poupée, c'est encore jouer à la poupée, symboliquement. » Qu'est-ce qu'une poupée? Jeanne Danos cite, dans son introduction, ce mot de Colette Audry qui inspire le départ de sa recherche: « un à-peu-près à tripoter et à choyer. ») Un il-peu-près .~ La poupée est donc bien simulacre, imitation, représentation, projection, mais elle est aussi image dans le miroir, et image dans la mémoire, et projet, et modèle elle est crainte et désir, elle est symbole, elle est à la fois signe matériel du rêve et le rêve lui-même: on peut l'acheter pour jouer avec elle c'est-à-dire commencer à rêver, - mais le jeu commence quand on rêve de l'acheter un jour. La poupée sans vie est animée par l'amour qu'on lui porte, - mais aussi il y a des êtres humains qu'on aime pour leur ressemblance avec les poupées. Tout dans la poupée est contradiction et paradoxe: et rien n'est plus apaisant que jouer à la poupée. Au point que ce (( jeu » peut n'être rien. Il suffit de prendre la poupée dans ses bras. Cosette, éblol1ie par le fabuleux cadeau de

De l'Inde au Maroc, du Congo au Liban, de la Chine à r ArgentÙle : 2 milliards d' humains, 90 pays et des milliers de 'langues et de religions ... Autant de cultures, d'arts, d'économies, de techniques et de problèmes... Une richesse ancestrale qui remonte , à l'origine des temps et qui est, encore, inconnue à 99 %! En France SEUL c leune Afrique ~ peut vous faire découvrir . toute cette culture. Spécialisé dans les questions du Tiers Monde, c leune Afrique ~ les étudie de fintérieur mais avec un éclairage et une méthode modernes.

1

Alfred Métraux a disparu alors qu'il préparait l'édition de ce livre, recueil d'anciens articles, mais remis à jour, complétés de données nouvelles, nourris de nouvelles expériences et de nouvelles recherches. Il faut remercier Mme Simone Dreyfus d'avoir poursuivi la tâche et de nous permettre, en publiant ce livre posthume, d'entendre encore la voix de Métraux, nous parlant de ces Indiens d'Amérique latine qu'il aimait tant et qu'il comprenait si bien. Certes, au contact des Blancs, les Indiens ont perdu certains traits de leurs civilisations natives, que nous connaissons bien cependant grâce aux premiers voyageurs qui ont abordé en terre du Brésil ; ainsi l'anthropophagie rituelle, dont Métraux nous donne une excellente et minutieuse description, telle qu'elle se pratiquait autrefois chez les Tupinamba. Certes aussi, sous l'influence des missions, les Indiens des Andes sont devenus catholiques et célèbrent, à leur façon, la Vierge et les saints ; tout un chapitre du livre est consacré aux fêtes religieuses des communautés andines, qui conditionnent - dans une société égalitaire, l'exercice cyclique du pouvoir - dans une société de misère, la distribution des biens en surplus à la totalité des membres du village. Mais, malgré ces pertes et ces changements, l'Indien, dans son âme profonde, n'a pas beaucoup évolué depuis le temps où les premières caravelles déchargeaient sur les rivages' d'Amérique les soldats avec leurs mousquets et les prêtres avec leurs croix.

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Religions et magies indiennes d'Amérique du Sud nous en apporte une démonstration convaincante. Car tous les chapitres, ou presque, de ce livre se situent dans une double dimension, à la fois historique et ethnographique, et c'est ce jeu incessant entre les données de l'histoire, qui expliquent les faits actuels saisis par l'ethnographe, et les données de l'ethnographie, qui permettent de comprendre le sens exact des faits recueillis par l 'historien, qui - à notre avis - constitue l'originalité du livre de Métraux, et fait de ce livre un maître livre. Qu'il s'agisse par exemple des messies tupi-guarani (Chap. 1) ou des messies araucan (Chap. VII), des chamans des Gu.yanes et de l'Amazonie (Chap. III) ou des chamans du Gran Chaco (Chap. IV), nous suivons l'évolution historique du messianisme et du chamanisme in die n s depuis 'les premiers contacts avec les Européens jusqu'à la situation actuelle : tout un chapelet de révoltes, de rêves millénaristes, de protestations contre la domination du prêtre et du soldat, qui se suivent de siècle en siècle, témoignages dramatiques de la volonté d'une race qui ne veut pas perdre son âme - continuation, au cours du temps, des mêmes rites, enracinés dans une même mythologie, celle des hommes-dieux, des Pagés incarnant les Héros culturels - si bien mise en lumière par Métraux dans des pages définitives Indienne du Pérou. et désormais classiques, d'une même tradition chamanique, que ni la civilisation urbaine toute proche, Mais Métraux n'était pas seuleni l'évangélisation chrétienne ne peuvent ni mordre, ni dénaturer; ment un admirable observateur et l'Indien résiste, comme la forêt, découvreur, il était aussi un grand comme la montagne, comme les écrivain, et le livre dont nous renplantes cuirassées d'épines meur- dons compte en est un nouveau trières ou les lianes porteuses de témoignage. Entendons - n 0 us; poisons qui barrent les chemins des quand nous disons : un grand écri« civilisés », ; il maintient ses va- vain, nous ne voulons pas dire leurs, celles qui donnent un sens que Métraux est tombé dans le à sa vie ; et c'est à l'étude de cette , piège de la fausse littérature; c'est permanence des valeurs que tout un savant, qui cherche seulement le livre est consacré; c'est elle qui le style le plus translucide, celui en constitue l'unité. qui ne déforme pas les faits, qui les montre, avec exactitude, précision, clarté. Ses phrases me rappellent ces ruisseaux de montagne qui Un grand écrivain sont toute limpidité, et qui laissent voir, sous leur écoulement, le scinMétraux a lu toutes les vieilles tillement d'une pierre, la fuite sacchroniques ; il a fouillé dans les cadée d'un insecte aquatique. Elles laissent voir en effet, derarchives des missions et des municipalités ; il s'est approché, avec rière les processions dansantes des patience et cette lenteur têtue qui Indiens à la recherche de la Terreest nécessaire au savant en contact sans-mal ou les rites du chaman sur avec des cultures différentes de la le corps douloureux du malade qu'il nôtre, des chamans ou des messies soigne, toute la profondeur des senindiens; à force d?amour, de com- timents et des croyances qui souspréhension, il est devenu leur ami ; tendent ces danses et ces rites. Ce il a su déchiffrer les silences com- que le romantisme des explorateurs, me les paroles. Et c'est pourquoi à la recherche de livres à succès ce livre apporte tant de faits nou- ou de conférences à épithètes exotiveaux, qui nous permettent de que s, rate immanquablement saisir, non plus à la manière des (l'adjectif tuant toujours l'authenfeuilles desséchées d'un herbier, ticité), Métraux l'atteint - à traétiquetées selon des classifications vers la pureté de son style et grâce théoriques, mais comme des réali- à cette pureté : la compréhension tés vivantes, la religion et la magie de l'Indien en tant qu'Indien, et la des Indiens d'Amérique du Sud. signification de son drame. Car le La Quinzaine littéraire, 1" au 15 mars 1967.

du Dlal

rite du chaman qui soigne un ma- ne, se sont ajoutées . d'autres puislade' est un drame, ou une passion. sances de niaI, externes celles-ci, La maladie est provoquée par l'ag- la volonté d'exploitation éconogressivité d'un sorcier qui a envoyé mique, de domination politique, dans le corps du patient la bête qui d'aliénation , culturelle de la part dévore ses entrailles, le double du des Blancs. Un autre combat s'enserpent qui se repaît de ses orga- gage, dont nous suivons le cours nes, ou la pierre de quartz, la dans ce livre, d'autant plus émouflèche mystique, l'épine empoison- vant que les faits sont donnés dans née; le chaman lutte, il se bat toute ,leur , nudité sauvage et qui avec le corps pour pouvoir en peut prendre la forme et la fuite extraire, à travers une succion d'au- vers le Paradis perdu, ou celle tant plus passionnée , que la mort eschatologique de la destruction du approche, le corps étranger, frag- monde des Blancs. Le chemin e~t, ments de muqueuse sanguinolente, en général, tout-puissant contre la in~ectes enrobés de crachats, et le maladie; mais le messie ne peut jeter par terre, pour le brûler ou , rien pour les Indiens qui ont goûle noyer. Ou bien encore la maladie té déjà la nourriture de mort des est provoquée par la perte de Blancs, celle qui appesantit le corps l'âme, il faut que le chaman alors ou celle qui alourdit l'âme (sentitombe en transe et que dans sa ment du péché), et les empêche transe, il monte dans le monde sur- ainsi de pouvoir s'élever jusqu'à la naturel, à la recherche de l'âme Terre-sans-mal. Le politique prenperdue; il .faut, pour qu'il puisse dra-t-il alors le pas sur le religieux, la rapporter dans le corps, et ainsi comme en Afrique? Déjà les male guérir, se battre avec les Esprits quis se forment da::ls les Andes, les qui OJit arraché l'âme et cette ba- bandits-héros se substituent aux taille dramatique, dans la nuit, hommes-dieux, le rythme' des mascandée par les chants des veilleurs, racas fait place au crépitement des montre bien ce que la civilisation mitraillettes ... mais c'est le même de l'Indien a de « dramatique ». combat qui continue; et il faut Les guerres inter-tribales, qui se ter- lire le livre, de Métraux pour en minaient par le repas anthropopha- comprendre, derrière les notices gique, ont pu disparaître: un autre des journaux, le sens véritable, qui combat continue plus spectaculaire, est culturel autant qu;économique, et où la misère est sentie plus comcontre les puissances de mal Mais à ces puissances de mal, me aliénation que comme privation intérieures à la civilisation indigè- matérielle. Roger Bastide 19


• SOCIOLOGIE

• • • Les compagnons indispensables au voyageur cultivé ~~RTOlV$'

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MAURICE GARÇON de /' Académie Française

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FRANÇOIS MAURIAC de /' Académie Française

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MARCEL ·JOUHANDEAU

FRANÇAISE

" Ce monument national" comme disait P a steur, ce "trésor de notre langue " (Le Fi ~aro), ('ett e .. bible de l'homme cultivé " (Arts) est l'ouvrage de base de toute bibliothi>que, Qui veut é"rire ou parler correctement le frança is doit se référer à cette a utorité indiscutée. La nouvelle édition Ga limard H achette, la vraie 1 la seule! reproduisant scrupuleusement le texte de l'ancienne devenue introtivable, lui est supérieure par la clarté et la maniabilité. E lle a ét é adoptée par toutes les grandes bibliothèques, l'Académie,le Ministère de l'Éducation Natio.nale,etc .. . Elle comprend 7 volumes de 2.000 pages, format 13x26 sur velin ivoire, reliés pleine toile.

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La civilisation technicienne

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Georges Friedmann Sept études sur. l'homme et la technique Coll. « Médiations » Gonthier éd., 224 p.

Pour celui qui n'a pas encore lu Problèmes humains du machinisme industriel ou le Travail en miettes ce recueil d'e~sais constitue une bonne introduction aux idées et aux travaux du sociologue Georges Friedmann, parce qu'il présente de façon claire et maniable ' l'essentiel de ses thèmes de recherche. Ceuxci ont été dès le début axés sur ce que Friedmann a appelé bien avant que l'on parle de société industrielle ou d'affluént society la civilisation technicienne, « cet ensemble de faits de civilisation ( ... ) communs aux diverses sociétés industrielles ». Très tôt il a discerné cette étape fondaIDfntale qui est la substitution d'un milieu « technique» à un milieu « naturel». Est milieu naturel l'environnement dans lequel les hommes sont « constamment et directement tributaires de la nature, ( ... ) s'éclairent difficilement, selon les lieux et les conditions, aux flambeaux, aux chandelles, à l'huile, ( ... ) souvent ne connaissent que la lumière du soleil, ne sauraient se déplacer plus vite que le galop d'un cheval, touchent eux-mêmes, de leurs mains, de leuTs pieds, toute leur vie, le matériau, la terre, r eau, l'animal, fussent-ils paysans, artisans, bourgeois ou nobles, citadins ou campagnards )}. Et l'auteur dégage avec beaucoup de finesse les rythmes, la conception du temps, la sensibilité, la mentalité propres à un tel « entourage ». Par contraste le milieu technique est à la fois création de l'homme ' et extérieur à celui-ci parce

que artifice. Il entraîne corrélativement de ' nouvelles façons de penser, de sentir, d'agir qui 'se font jour quel que soit le régime économique en vigueur: Friedmann est sans doute le premier à avoir yu dans l'V.R.S.S. des années 30 la matière d'une étude objective pour le sociologue industriel. La réflexion critique sur le progrès technique a reçu de la sorte une orientation nouvelle: complétant l'analyse économique qui, elle, mesure les accroissements de biens et services consommés et les heures de travail diminuées, et dépassant radicalement les jugements de valeur sommaires qui magnifient ou déprécient en vrac tous les aspects de la maîtrise humaine de la nature, la sociologie cherche à saisir les inter~épendances entre l'homme et le milieu technique, les influences complexes qu'ils exercent l'un sur l'autre (ainsi dans le chapitre V sur « le loisir et la civilisation technicienne», G. Friedmann analyse les raisons qui font que « le temps libéré, à peine dégagé des rythmes de l'industrialisation, est, de tant de côtés, menacé de réduction et de pourrissement, et les mécaniques par lesquelles « la civilisation technicienne produit les biens qui déclenchent la course aIf bonheur »). Nous avons donc là un livre complémentaire de celui de Léo Moulin (cf. la Quinzaine littéraire du 1er décembre 1966), encore qu'il y ait divergence sur certains points : par exemple en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat dans le bon usage du progrès technique, le sociologue français me paraît moins faire confiance à la spontanéité que son collègue belge, et souhaite voir se créer « un réseau suffisant d'institutiorls favorables à la réalisation du bonheur ». Bernard Cazes

Un atlas sooiologique René Rémond

Atlas . historique de la France contemporaine 1800·1965 Collection U. Armand Colin éd.

On sait le retard de la France dans le domaine de la cartographie : il ne s'agit pas de la recherche. où. à l'inverse, ses laboratoires se situent à l'avant-garde, mais de la fabrication courante, celle des atlas, des instruments de travail.

C'est dire l'intérêt et l'utilité de cet

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Atlas historique de la France contemporaine, que nous proposent René Ré.

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mond et ses collaborateurs, P. Bouju, G. Dupeux, C. Gérard, A. Lancelot, J.-A. Lesourd. Modeste en apparente, avec ses 461 cartes en noir et blanc; ce nou· veau·né de la collection U couvre le champ de toules nos curiosités : l'histoire du lerritoire national comme celle de sa population (76 cartes), la vie économique et financière (120 cartes), le tableau animé de nos consultations électorales, celui de l'implantation des partis ou des syndicats, depuis la répartition des légitimistes jus. qu'aux élections aux caisses primaires de la Sécurité sociale (83 cartes). Les sections

consacrées à la géographie historique des croyances et forces religieuses, à l'enseignement, à la diffusion de l'instruction (82 cartes), les cartes sur le développement de la culture ou des loisirs apportent les informations les plus rares, les plus inespérées : la pratique de la boule lyonnaise ou du tir à l'arc, l'implantation des maisons de jeunes, l'évolution des genres et du public du théâtre, etc., un régal. Commodes, bien faites, unifiées le plus sou vent au cadre départemental, ces cartes ont été reproduites à partir de mille e.t cent ouvrages ; il fallait savoir les y aller chercher. Certaines d'entre elles sont inédites. Beaucoup ont été élaborées pour offrir au lecteur tous les éléments de comparaison souhaitables : qu'il s'agisse du nombre des ouvriers employés dans le textile ou du rendement du blé, de l'instruction des conjoints ou de celle des conscrits, de la production de fonte ou des vocations sacerdotales, les auteurs ont essayé, le plus souvent possible, de mettre à sa disposition plusieurs coupes; avant et après la révolution industrielle, avant et après la deuxième guerre mondiale: une centaine de cartes portent sur la France d'aujourd'hui.

M. F.


POLITIQUE #

ElectIons André Chandernagor Un parlement pour quoi faire? Coll. « Idées », Gallimard éd., 183 p. Jean Charlot L'U.N.R., étude du pouvoir au sein d'un parti politique Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques _ Armand Colin éd., 362 p. Maurice Duverger La Démocratie sans le peuple Coll. « l'Histoire immédiate» Le Seuil éd., 246 p. Edgar Faure Prévoir le présent Coll. « Idées », Gallimard éd., 252 p. Pierre Uri Pour gouverner .. Robert Laffont éd., 269 p. Pierre Viansson-Ponté Bilan de la V e République Les Politiques Coll. « Questions d'actualité» Calmann-Lévy éd., 276 p.

« Toute consultation est un troisième tour », remarquait Pierre Viansson-Ponté, car l'existence du régime est l'enjeu de chaque élection. Pourquoi choisir alors mars 1967 plutôt que décembre 1965 pour se pencher sur ces bilans? N'est-ce pas un paradoxe de préférer ainsi le calendrier parlemen-

cédure constituait un objet d'attention suffisant, 'a lors- qu'il n'y a pas cette année de curiosité « technique » comparable à celle qui avait entouré le système expériIllenté pour la première fois en 1965. D'autre part, le ballottage du premier tour de l'élection présidentielle a révélé que le régime, c'est-à-dire son chef, était plus vulnérable que l'on ne croyait d'ordinaire _et, pour avoir vu l'imposante statue vaciller légèrement, on se prend à la considérer désormais d'un œil différent, plus objectif peut-être. L'U.N.R., par exemple, n'avait jamais été étudiée de manière scientifique comme dans l'intéressante étude d'entomologie politique à laquelle Jean Charlot, nouveau Fabre, s'est livré. On remarquera enfin que l'incertitude est plus grande, quant aux conséquences du scrutin, qu'il y a quinze mois; les principaux candidats de l'opposition avaient alors soigneusement exposé leurs intentions en cas de succès : dissolution et élection d'une nouvelle Assemblée, pour M. Mitterrand; tentative de cohabitation avec la majorité parlementaire pour M. Lecanuet. Aujourd 'hui, on émet des hypothèses. Nous tenons là sans doute le début, modeste, d'une piste qui part des superstructures institutionnelles, chemine à travers les structures politiques et aboutit à une mise en question plus générale. Techniquement, l'élection du président de la République au suf-

la formule de M. Duverger, « la démocratie sans le peuple ». Mais elle n'a résolu que celui-là dans la mesure où elle a laissé intacts les autres mécanismes institutionnels qui n'avaient pas été prévus pour accueillir la nouvelle procédure avec laquelle ils ne sont pas articulés. Une rivalité, des conflits difficilement solubles risquent en particulier d'apparaîtreentre le président et l'Assemblée, autorités dont l'origine est identique mais les rapports incertains. Une telle maHormation constitutionnelle est évidemment fâcheuse.

La Ille République Si souhaitables, _et peut-être -si nécessaires (l'eXpérience le montrera) que soient les corrections du texte, l'influence réelle des dispositions juridiques ne doit pas cependant être exagérée. Un système politique concret ne se définit pas seulement par une énumération d'articles, mais aussi par l'ajustement empirique qui s'est opéré à l'épreuve des faits et qui se traduit par une interprétation coutumière acceptée, laquelle peut être padois assez éloignée des intentions originelles des rédacteurs de ces articles: il suffit de songer aux lois constitutionnelles de 1875 qui fondèrent la Ille République. Cette déformation se rencontre dans tous les régimes qui portent, inscrites

équivoque et contestée. Devenu presque rien, après avoir été tout naguère, on souhaite, comD:te Sieyès du Tiers-Etat, qu'il soit quelque chose. Mais quoi? Tel est le sens de la question posée par M. André Chandernagor: Un parlement, pour quoi faire? Mesurant l'effacement actuel des institutions représentatives en France, le député de la Creuse re~arque que le phénomène n'est pas particulier à la V· République mais affecte (il a pu le constater à l'occasion des travaux de l'Union interparlementaire) pratiquement toutes les démocraties. Prendre du champ permet d'apaiser un peu les passions en considérant le problème d'un point de vue plus général. M. Chandernagor rencontre à ce propos l'une des préoccupations Qominantes de la réflexion politique actuelle qui s'attache à définir les fonctions du parlement, -alors que le glissement de la responsabilité gouvernementale vers des _formes directes ou quasi directes de démocratie retire à la représentation politique l'essentiel de son rôle traditionnel. Les attributions, les moyens et les méthodes de l'institution parlementaire doivent en conséquence être modernisés, peut-être même trans-' formfs complètement pour s'adapter à la métamorphose du pouvoir exécutif. La recherche est moins académique qu'il n'y peut paraître en cette veille d'élections, car la stabilisation du régime français '<lépend largement de l'idée claire que l'on se fera de la mission des députés, c'est-à-dire de ce que l'Assemblée doit renoncer à être et de ce qu'elle tentera de devenir. Ajoutons seulement que le seul parlement qui ait conservé son prestige et su moderniser, avec son appareil, son action est, de l'avis général, le Congrès des Etats-Unis ...

Mai 58 ·

Un bureau de vote.

taire dans un système qui passe, à juste titre, pour être de plus en plus présidentiel en s'interrogeant sur l'avenir à l'occasion d'un scrutin qui ne concerne qu'indirectement la « clef de voûte » de la V· République? La raison paraît provenir tout d'abord dl! paractère familier des élections législatives qui contraste avec la nouveauté de la consultation présidentielle; l'insolite de la proLa Quinzaine littéraire,

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frage universel a résolu le problème le - plus préoccupant et le plus visible de la vie politique française, c'est-à-dire la réunion dans le pays d'une majorité dont procède le pouvoir exécutif. Depuis que la République existait, ce pouvoir était immanquablement issue de négociations entre les groupes parlementaires et des initiatives, voire des caprices, du chef de l'Etat. C'était, pour reprendre

au 15 mars !967.

dans leur mémoire, les traces des épreuves qu'ils ont dû surmonter pour durer. Ainsi, une constitution donnée est comme un iceberg dont la partie visible est beaucoup plus réduite que la partie immergée ... Dans le cas de la V· République, où le mode de désignation du chef de l'Etat (et donc l'autorité quï en découle) fait l'o~jet d'un consensus quasi général de l'opinion, le parlement occupe une position

Les superstructures institutionnelles ne sont pas indépendantes du reste de la société; leur autonomie est probablement beaucoup plus accusée qu'on ne le pensait jadis, surtout à gauche, mais elles demeurent soumises au jeu des forces organisées qui, en s'exerçant dans ce cadre, le modifient; elles sont influencées d'autre part par le mouvement général des sociétés qui ouvre certaines perspectives, en masque d'autres, sans que l'on puisse parler d'une détermination rigoureuse mais seulement de tendances. Notre embarras devant la VeRépublique provient à cet égard de ce que celle-ci s'inscrit malaisément dans un système de référence simple. A quelles balances pèserons-nous les neuf années ~ 21


• Élections

écoulées ? Et, d'abord, « la révolution de mai 1958 » n'a-t-elle été « qu'une crise ministérielle plus complexe et plus mouvementée que les précédentes », pour reprendre une question de Pierre Viansson-Ponté, ou bien a-t-elle correspondu à une mutation plus profonde et plus décisive ? Pour une famille d'esprits sages, et un peu sceptiques, les éléments de continuité l'emportent sur l'agitation superficielle qui passionne les contemporains et qui leur dissi~ule, derrière des différences apparentes volontairement ' accusées, une solidarité ' réelle entre le régime et la République précédente. Après tout, cehii-là a simplement prolongé des courbes qui prenaient naissance dans celle-ci; il l'a fait parfois mieux, parfois moins bien (quoi qu'il en dise), mais, en dehors de la politique étrangère, a-t-il véritablement innové ? Encore la réalité des transformations apportées par la diplomatie gaulliste est-elle sujette à discussion, soit que le contexte international ayant lui-même changé, l'attitude de la France ne pouvait qu'en être affectée de toute façon et l'amener à poser, par exemple, le problème des relations avec les Etats-Unis dans des termes nouveaux, ainsi que le suggère M. Pierre Uri; soit que les manifestations les· plus spectaculaires fassent illusion sur leurs conséquences durables.

Néo-capitalisme ~i l'on renonée à apprécier dès maintenant l'influence propre de la V· République, on peut en revanche constater que celle-ci a coïncidé avec d'évidentes transformations sociales et politiques. M. Duverger propose, dans son dernier ouvrage une interprétation historique d'ensemble selon laquelle la France a toujours été' gouvernée par les centres mais, ajoute-t-il, « le gaullisme se développe au moment où l'évolution des structures françaises rend possible un jeu politique dualiste », c'est-à-dire fondé sur l'opposition droite-gauche qui se trouverait ainsi ' substituée ~ l'affrontement classique des centristes et des extrémistes. Il hésite toutefois sur l'avenir, en raison du caractère 'encore énigmatique du mouvement gaulliste : l'U.N .R. est-elle « le noyau d'un futur parti conservateur à la britannique, ou l'embryon d'un néo - radicalisme redonnant quelque vigueur au jeu centriste ? » , Question qui en appelle immédiat~ment une autre que nous emprunterons à la c0!lclusion de Jean Charlot : le gaullisme parviendra-t-il à survivre à son chef en lui trouvant un successeur capable '« de sauvegarder l'unité

22

du mouvement et de retenir ses cadres et ses électeur~ » ? M. Charlot juge impossible d'apporter une réponse catégorique à « l'énigme de l'U.N.R. », tandis que Pierre Viansson-Ponté note que « la médiocrité des cadres d'un régime qui n 'a pas « sorti » dans le personnel politique trois hommes en neuf ans est accablante »... . Les r é c e n t s développements suggèrent de distinguer la notion de majorité, formée à l'image de celle qui se manifeste dans le pays à l'occasion de l'élection présidentieUe, de la notion classique .de parti, C'est tout le sens de l'analyse d~ M. Giscard d'Estaing, qui discerne certes une tendance à une double polarisation (modérés et gauche) par « l'assèchement du Marais »1, mais ajoute que la diversité des familles politiques françaises exclut qu'un seul parti puisse, à soi seul, être représentatif de la majorité des électeurs. En tout cas, la dimension majoritaire a fait son apparition dans notre vie publique et on peut penser que cette nouvelle règle du jeu sera conservée. La Ve République aurait alors coïncidé (si elle ne l'a pas provoquée) avec la fin d~un certain équilibre traditionnel entre le système représentatif et l'Etat, fondé sur la distinction des partis de gouvernement, suffisamment divers pour que l'opinion ne se sente pas durablement frustrée de toute expression, et les partis de contestation qui assumaient un rôle protestataire symbolique, cependant que l'Etat garantissai~ la continuité en préservant les exigences de la gestion. Chacun se trouve désormais confronté à cette réalité qu'est le pouvoir, aux contraintes de laquelle il ne peut échapper. Mais. qui dit co:y.traintes impli<'"'le nécessairement abandon d'un c..!rtain romantisme (ou verbalisme) révolutionnaire jusqu'alors entretenu au sein des partis de contestation, et résignation de tous , devant les servitudes de la gestion. Les idées du club Jean-Moulin sur la gauche et le socialisme, auxquelles M. Pierre Uri révèle sa contribution, vont dans ce sens, mais on n'ignore pas qu'elles ont provoqué de vives réactions de la part de tout un secteur de la gauche intellectuelle qui les a rejetées comme autant de trahisons de l'idéal et de compromissions avec le « néo-capitalisme ». Cette constatation conduit à penser que lorsque ' M. Duverger écrit que la g~uche a été pratiquement absente du pouvoir sous la Ille République, sauf en 1936, il se réfère implicitement à une image de la gauche par essence irréductible -à l'exercice du pouvoir, sinon révoluuonnaire ou accidentel. Il est tentant de rapprocher cette quête de la gauche introuvable de la démarche très voisine à laquelle se livra, voici sept ans, R.H.S. Crossman2 et qui l'amena à conclure que de 1884 à 1959, il y avait eu seulement deux gouvernements de gau-

che en Grande-Bretagne ' dispo- historique. sant d'une majorité réelle (encore Dans le cas de la France, le comptait-il comme gouvernement m,laise provient peut-être aussi de de gauche le cabinet libéral d'As- ce que deux figures de la gauquith). Et comment qualifier, selon che coexistaient traditionnellement, . ces critères rigoureux, la politique dont le dialogue du radical et du de M. Wilson ? socialiste cher à Thibaudet traduiContrastant avec l'aisance actuel- sait l'agréable diversité i'une le de la droite qui s'est finalement ' rationaliste et optimiste, pénétrée résignée à s'adapter au siècle, la de sa vocation à exprimer l'intérêt gauche a perdu, ' semble-t-il, son général, l'autre pessimiste dans leadership triomphant. Elle est l'immédiat mais assurée , de son moins certaine de sa suprématie et succès , futur, identifiait le progrès de la fatalité de son ' succès; elle à une victoire populaire sur les mesure le rétrécissement de' .ses autorités sociales et fondait son marges d'action et constate .que dynamisme StV la contestation du lorsqu'elle accède aux responsabi- Système capitaliste. Or la gauche lités du pouvoir, elle ressemble terri- des « lumières» paraît s'être réfublement à ceux qu'elle combattait. giée dans 'c e que l'on est convenu L'optimiste dirait que ce sont d'appeler la technocratie, instrules autres qui ont été contraints de ment dépolitisé; cependant que la tenir compte de ses critiques et gauche sociologique a perdu, avec , d'accueillir ses idées, comme Tar- son homogénéité, la conviction de dieu lançant en direction des bancs ses vertus. Le processus de réuniradicaux et socialistes : « Ne tirez fication e n t a m é par François pas sur moi, ce sont vos enfants Mitterrand est encore trop récent que je porte dans mes bras! » et trop absorbé par les combàts Mais le sentiment prévaut plutôt quotidiens pour qu'apparaissent que la gauche ne s'inscrit plus nettement les contours de la gau- ' dans un irrésistible mouyement che future, mais il suffit de jeter

Dessins extraits du nouvel album de Jacques Faizant~ : la Ruée vers l'or publié par les éditions Denoël,


Entre le capitalism.e et la technocratie l.n regard sur un passé tout proche pour constater qu'en dépit de- ses imperfections, cette gauche revient de loin ... Les conflits politiques significatifs ne vont-ils pas tendre, enfin, à déserter le terrain des intérêts où des procédures d'arbitrage relativement rationnelles confirmeront la suprématie des solidarités sur les antagonismes de classes qui avaient dominé l'histoire du XIX' siècle et les deux premiers tiers du XX' ? L'avantage collectif réduisant les antagonismes doctrinaux à des querelles de décimales, le débat se transporterait alors ailleurs, c'està-dire dans le domaine de la politique extérieure. C'est la conviction de M. Edgar Faure pour qui « la

France n'a plus de problèmes intérieurs qui justifient de graves oppositions » depuis que le thème laique et le thème colonial ont « pratiquement disparu ». La politique extérieure deviendrait donc primordiale, encore qu'il soit malaisé de voir quels facteurs spécifiques elle apporte à un débat où les arguments parSissent empruntés au magasin des accessoires les plus traditionnels. Elle permet certes une récupération de thèmes solennels qui n'ont plus guère d'emploi dans le champ clos de l'hexagone; une partie de la gauche y retrouve avec quelque ivresse l'occasion d'y recourir, mais l'irruption soudaine des grands sentiments dans un domaine dont l'histoire récente nous avait appris qu'il était par excellence celui du sang-froid et du calcul laisse une impression désagréable d'intoxication et de gratuité. Au niveau des discussions plus sereines, la simple appréciation des faits s'y révèle d'ailleurs plus délicate que dans les affaires domestiques puisque des hommes très proches comme MM. Maurice Duverger et Pierre Uri émettent des appréciations contradictoires à l'égard de la politique étrangère gaulliste, qualifiée de politique de gauche par l'un, et qui ne l'est pas du tout aux yeux de l'autre. Derrière les controverses sur le « nationalisme » et le « protectorat amerlcain», on discerne pourtant une interrogation commune, qui concerne la situation de la France et le rôle qu'elle peut jouer dans les affaires mondiales. Elle n'est probablement pas très différente de celle qui inquiète nos VOISInS britanniques, puisqu'elle met en cause la capacité d'une vieille nation à se survivre tout en se dépassant. Mais serait-ce faire preuve de mauvais esprit que de juger que le débat engagé à l'ombre du général de Gaulle ne paraît pas présenter toute la clarté désirable ? Pierre Avril 1. Cf. Emeric Deutsch, Denis Lindon et Pierre Weill: les Familles politiques aujourd'hui en France dont on a rendu compte ici le 1er janvier. 2. Dans un pamphlet: Labour in the affluent Society, Fabian tract.

Philippe Bauchard L'Economie au service du pouvoir Coll. « Questions d'actualité», Calmann-Lévy éd., 292 p. François-H. de Virieu La Fin d'une agriculture id., 288 p. « La justice est une espèce de martyre » écrivait Bossuet. Un bilan devrait être une forme particulièrement redoutable (et ennuyeuse) de la justice. Mais non, Philippe Bauchard et F .-H. de Virieu ont écrit deux livres tout à fait passionna:lts, allègres même, non exempts de contradictions (mais comment les éviter si l'on n'est pas de parti pris ?), l'un un peu confus (B.lUchard), l'autre un peu trop simplificateur (Virieu : il aime trop la science agricole fiction, Alphaville aux champs ... ).

Stop and go Maîtrise de la cO:ljoncture, échec sur les structures, voilà le bilan de la V· République selon Philippe Bauchard. Il y voit une contradiction. D'un côté, le régime a réussi, le commerce extérieur, de l'autre il n'a pu surmonter « les crises fondamentales de structure » : emploi, logement, politique foncière, recherche, organisation industrielle. Il faudrait nuancer. Tout d'abord parce que de nul facteur l'on ne peut vraiment décider si, par nature, il est conjoncturel ou structurel. Les meilleurs économistes ont essayé, sans succès. (Pourquoi, pour reprendre la classification de P. Bauchard, les investissements seraient-ils de l'ordre de la conjoncture, et l'emploi de celui de la structure?) A la vérité, conjoncture et structure forment un tout, comme le plein et le vide dans une sculpture de Henry Moore. En second lieu, parce que si le gouvernement a réussi son opération de « stop and go » en 1963, il avait attendu près d'un an et demi pour s'apercevoir de la surchauffe: ce iIl'est pas là se montrer maître de la conjoncture. C'est d'ailleurs à la suite de cette expérience que l'on attachera tant d'importance à monter tout un réseau d' « avertisseurs », de « clignotants ». D'une façon générale, c'est le plus souvent sous la pression des événements que les « dirigeants » ont réagi. C'est après la gra:lde grève des mineurs (qui, nous dit P. Bauchard, « a décontenancé » G. Pompidou) que le gouvernement s'est décidé à amorcer sa politique des revenus. « La plupart des mesures prises en faveur de la paysannerie sous la ye République l'ont été après des périodes d'agitation », écrit F.-H. de Virieu (et il intitule un de ses chapitres « La violence ~aie »). Selon lui, malgré les mil-

La Quinzaine littéraire, 1" au 15 mars 1967.

liards prodigués, malgré le feu roulant des textes (un demi-million de mots ... ) la V' République « n'a pas réussi à sérieusement infléchir le cours des choses [ ... ] le gouvernement s'est contenté d'accompagner les évolutions, il ne les a ni hâtées, ni freinées ». Naturellement ce n'est déjà pas' si mal : il aurait été si facile de se tromper. Mais enfin, là encore, ce n'est pas « maîtriser la conjoncture :II que de suivre les événements.

Le freinage Enfin, parce que nos grands nautoniers obéissent, comme tout un chacun, à une force des choses qui les dépasse ... et produit des effets qui ressortissent parfois au véritable gag. Philippe Bauchard nous en donne quelques exemples : en novembre 1958, Antoine Pinay, pris de court par le général de Gaulle qui lui demande quel est son programm~, répond en reprenant l'essentiel des propositions du groupe Rueff-Jeanneney dont beaucoup étaient « à l'opposé » de ses propres idées de petit industriel; de même, en 1963, pour répondre à une algarade du président de la République, G. Pompidou et V. Giscard d'Estaing, libéraux, laxistes même, qui pendant « les années folles » ont laissé faire, présentent « dans l'affolement » un plan de redressement qui fait d'eux des « dirigistes malgré eux ». Il est donc bien vrai que, comme l'écrivait Gœthe (et non point Marx), « le siècle entraîne avec lui ceux qui le veulent comme ceux qui ne le veulent point, les détermine et les façonne » : c'est un peu rassuraut, mais les « façonnés » ne méritent pas louange. Si la V, République a trouvé un style économique « entre le capitalisme traditionnel et le dirigisme technocratique », pourquoi le porter au crédit du régime seul ? Tout d'abord, il s'agit tout bonnement de la planification souple, de l'économie concertée, de la « French way » bien connue, qui ne date pas de 1958, et sur laquelle on a tant écrit de par le monde. Ensuite, le phénomène est très général : partout l'économie de marché n'est plus qu'une partie d'un complexe plus vaste, partout l'impact des dépenses publiques joue un rôle extrêmement important dans la conduite de l'économie, et partout l'on cherche à améliorer la cohérence des macro-décisions économiques, en pratiquant une icombinaison complexe des interventions de politique économique, financière, budgétaire, fiscale (la « policy mix »). Cela dit, il est sûr que les techniciens français du « freinage économique » ont amélioré considérablement leurs méthodes (leur action en 1963 a su être beaucoup moins brutale qu'en Italie ou au Japon, par exemple, qui ont eu à la même époque des problèmes analogues à résoudre).

A l'inverse, dire que la V' République a échoué à réformer les structures n'est pas tout à fait exact. Tout d'abord, parce que, selon l'un des meilleurs théoriciens de la planification, Everett E. Hagen, le premier but à atteindre, ~t peut-être le plus difficile, est de persuader l'ensemble d'un pays de la nécessité même d'un changement. C~ n'est, disait Marcel Mauss, qu'à des instants fugitifs que les hommes prennent conscience d'euxmêmes et de la vie sociale. Nous avons nos tabous, nos grigris, nos croyances, et nous n'aimons pas qui nous réveille. Or, pour tout un ensemble de raisons qui débordent largement le domaine économique, le gaullisme a beaucoup détruit, et il a réveillé beaucoup de gens. Son mérite principal aura été d'interrompre officiellement la vieille chanson libérale. L'on peut difficilement, écrit F.-H. de Virieu à propos des agriculteurs, « imaginer ce que représente cette conversion des mentalités ». Et il ajoute: « Ce travail de démolition est paradoxalement l'aspect le plus positif du premier septennat ». Le général de Gaulle, dit Philippe Bauchard, « a détruit les infrastructures qui existaient avant lui ». Naturellement la formule est un peu exagérée, mais il y a du vrai. Maintenant il faut bâtir.

Le 5' plan Deux observations pour conclure. Premièrement, dans presque tous les pays industrialisés, une croissance de l'ordre de 4 à 5 % par an en volume et par tête d'habitant est aujourd'hui un objectif accepté et le plus ' souvent atteint (cf. A. de Lattre, Politique économique de la France depuis 1945, Sirey, 1966). Depuis 1945 la France progresse à ce rythme, et le Cinquième Plan le lui propose à nouveau pour les années 1966-1970. Ainsi, du point de vue de l'observateur de l'an 2000 - qui ne peut pas, et ne doit pas être le nôtre - , le passage de la V' République, jusqu'à maintenant tout au moins, ne se différenciera donc en rien ni de ce qui existait avant, ni de ce qui existait ailleurs. Deuxièmement, avec ces taux de croissance actuels des pays du monde industrialisé, la production industrielle serait multipliée pa~ 2819 au bout de cent ans. Qui peut croire à cette expansion indéfinie de l'univers économique? Mais, inversement, qui pourrait croire à la possibilité d'un arrêt brusque qui provoquerait des catastrophes d'une ampleur sans précédent d des souffrances intolérables ? ... Etrange alternative. Guy Bost-Lamondie 23


ENTRETIEN

Jean-François Revel, Jean~François

Revel, essayiste et polémiste, auteur, en particulier, de Pourquoi des philosophes ? et de la Cabale des dévots, se présente aux prochaines élections législatives dans la circonscription de Neuilly-Puteaux . . Cherchant à connaître les motifs de cette décision, nous avons posé au candidat un certain nombre de questions auxquelles nous le remercwns d'avoir bien voulu répondre.

Dans votre livre: En France, la fin de l'opposition, vous avez porté des jugements sévères sur la France, les Français, les politiciens, les intellectuels et la gauche. Vous allez écrit que « le principe démocratique n'a jamais été assimilé chez nous et ne semble pas sur le point de s'y implanter ». Dans ces' conditions, pourquoi vous prêtez-vous à la comédie d'élections qui ne seront pas plus « démocratiques » que les précédentes ?

fleurets mouchetés. La gauche extrémiste et abstraite ne cherche que des alibis à sa bonne conscience. Dans quelle partie de la gauche vous rangez-vous? La Fédération de la gauche, dont vous êtes le candidat, n'appartient-elle pas à « la gauche molle » ? J.-F. R. : Je crois en effet que la partie de la gauche qui se croit actuellement la plus moderne tombe avec une extrême facilité dans les traquenards du gaullisme et considère la défense de la liberté comme négligeable en face de l'implantation d'un certain style E.N.A. dans la gestion des affaires publiques. Quant à la mollesse idéologique, elle me paraît résider dans l'idée fausse que les différences entre

même platonique ». Existe-t-il pour vous une responsabilité particulière des intellectuels de gauche dans la crise actuelle ? J.-F. R. : Oui, je

pense que les

intellectuels français ont une. certaine responsabilité dans la sit~­ tion présente, les uns parce que, tels d'Astier ou Pierre Le Brun, ils ont fourni des armes à la thèse du prétendu progressisme de la Ve, les autres parce qu'ils se sont tout simplement tus, choisissant de se prononcer sur tous les problèmes sauf les problèmes français, la majorité enfin parce qu'ils ont provoqué ou favorisé l'éclosion de philosophies, idéalistes et réactionnaires. (Je me permets, là encore en m'excusant vivement de

J.-F. R. : En effet nous VIvons sous un régime qui n'observe pas le principe de la séparation des pouvoirs et ne respecte pas sa propre constitution. Mais les élections de mars 1967 ne seront pas pour autant une « comédie », car le suffrage n'est pas, que je sache, truqué, ou fort peu. Je ne suis pas de ceux qui méprisent « l'électoralisme».

V ous avez déclaré que « la France .e st devenue un pays où les intellectuels ne jouent plus aucun rôle dans les affaires publiques et n 'exercent plus aucune influence dans l'esprit de la nation». Pensez-vous qu'en devenant député, vous permettrez à l'intellectuel que vous êtes de jouer un rôle - si modeste soit-il dans les destinées de la nation? De quelle façon? J .-F. R.: En effet, les protesta-

tions des intellectuels depuis vingtcinq ans - contre la torture, contre la hombe atomique, contre les polices parallèles, etc., sont restées sans effet . La différence qui existe entre un député e t un simple citoyen est qu'un ministre peut laisser i'ans réponse la question d'un simple citoyen et pas celle d'un député. J'ajoute que la présence à la Chambre d'un plus grand nombre d'opposants ne me paraît pas, au moment de certains votes décisifs, devoir être un atout négligeable, que ces opposants soient des intellectuels ou pas.

Les intellectuels V ous dites de « la gauche intellectuelle» qu'elle ne possède « aucun sérieux idéologique ». Ce que vous appelez « la gauche molle)) ne se bat contre le régime qu'à 24

Jean.François Revel

classes sociales disparaissent dans les sociétés industrielles et, d'autre part, dans la mesure où les intellectuels sont concernés, dans le triomphe actuel de l'idéalisme en philosophie. Je crois profondément - et l'histoire le prouve - que la combativité politique des intellectuels n 'est efficace que si leur philosophie elle-même est révolutionnaire, et qu'elle est inefficace quand leur philosophie est de droite. Quant à la Fédération, elle est avant tout un instrument politique de lutte, dû à l'énergie d 'un homme alors seul, François Mitterand, qui a eu le courage de se jeter dans les élections présidentielles malgré la désapprobation générale de la gauche, qui ne croyait pas à une bataille autre que symbolique. Son geste ne m'a point paru « mou )) et non plus le résultat qu'il a obtenu ensuite, pour la première fois depuis 1936, d'atteindre à l'union des forces d'opposition en vue des élections générales.

La majorité des intellectuels français a cessé « toute opposition,

renvoyer à la Cabale des dévots et à Contrecensures.)

Vous écrivez que « s'opposer ne consiste pas d'abord à calculer, mais d 'abord à réagir )). En même temps, vous pensez qu'il est inutile de « porter la contradiction devant les masses ) . « La contradiction )), dites-vous, « n'est nen sans la contre-information, ne repose sur rien». Comment conciliez-vous 'cette position individualiste avec le « calcul )) qui consiste à solliciter les suffrages des électeurs ? J.-F. R. : Je crois en effet que ce qui distingue la politique du notariat c'est qu'elle est action avant d'être constitution de dossiers. Il existe une sensibilité de gauche qui m'a souvent paru atténuée chez certains qui affichaient pourtant, depuis neuf ans, un antigaullisme officiel du bout des lèvres. Quant à la sous-information du peuple français, elle est hélas ! une réalité. Mais chaque intellectuel ne doit-il pas précisément s'efforcer de la corriger et pour cela ne pas s'adres-

ser uniquement à d'autres intellectuels? (Je ne crois d'ailleurs pas avoir écrit qu'il est inutile « de porter la contradiction devant les masses )). Il doit manquer quelque chose à votre citation).

Les marxistes

En vous portant candidat, avezvous le sentiment kantien - d'engager avec vous « la classe intellectuelle »), ou n'engagez-vous que vous-même? Comment envisagezvous le rôle d' « employé du peuple )), de « domestique)) de la nation que devraient être, selon vous, les tenants du pouvoir? Et quand il s'agit d'un peuple ignorant et mineur, d'une nbtion rétrograde, n'est-ce pas, pour un intellectuel, se fourvoyer ou perdre son temps? Pour quelles raisons - personnelles et générales êtes-vous prêt , à troquer une condition sans doute peu enviable pour une autre qui, dans les circonstances actuelles et selon vos propres analyses, ne peut être que pire ? J. -F. R.: A vous entendre, c'est justement quand un élève est ignorant qu'il faudrait ne pas l'enseigner. Que se serait-il passé si les écrivains du XVIIIe et du XIXe siècle avaient eu cette conception malthusienne . de leurs· rapports avec les masses p9pulaires, mystifiées par le mitionalis~e, le cléricalisme, le militansme, mystifiées aujourd'hui par le césarisme d~ma­ gogique ? Je ne pense d'ailleurs pas qu'il existe une « classe intellectuelle)). Et si oui, en quoi faut-il appartenir à la (t classe intellectuelle )) pour constater que le taux de croissance n'est que de 3 % et que les salariés paient plus d'impôts que les bénéfices industriels et commerciaux? Quant à ' la « domesticité ), j'ai voulu dire que le représentant du peuple doit toujours rester son délégué et ne jamais

V ous avez écrit que « les progressistes et les marxistes se sont montrés plus fragiles à l'égard de la propagande gaullienne que le centre-gauche de tradition républicaine »). Quels sont pour vous les motifs de cette « fragilité)) ? l.-F. R. : Je me suis longuement expliqué là-dessus dans En France. D'un mot, cette fragilité a tenu à une interprétation fausse des . thèses de Marx sur les « libertés formelles )). Du fait qu'en effet les libertés n'aient pas la même valeur pratique pour toutes les classes sociales et soient souvent vidées de leur contenu, il ne résulte pas que le combat politique moderne doive négliger de les défendre.


pourquoI•

•• •

vous présentez-vous?

La Ve République n'est pas pour vous « un accident... mar.s au contraire... un reflet fidèle de notre mentalité profonde» . Croyez-vous que les progrès de l'opposition permettront de combattre victorieusement ces tendances permanentes de l'histoire française? 1.-F. R. : Jusqu'à présent, l'en-

semble des voix de gauche semble devoir représenter environ 42 à 45 % du corps électoral. La majorité des Français jusqu'à nouvel avis, reste donc de droite, ou d'un apolitisme conservateur. Il se peut néanmoins que les Français commencent à prendre conscience de la mauvaise gestion gaulliste. Les progrès de l'opposition dépendent de cette prise de conscience, malheureusement freinée par la cen-

progressives (c'est-à-dire à taux de croissance continue, bien entendu), excluent la nécessité de toute révolution radicale. C'est une question que je n~ puis trancher ici, encore que je ne le pense point pour ma part. Quant au nouveau programme dont vous parlez, je le crois à la fois plus technique, plus é"ident et plus révolutionnaire que vous ne paraissez le penser: une politique vraiment de gauche en matière de logement, d'enseignement, de pleinemploi, de santé publique, d'information, impliquerait de telles refontes dans l'utilisation du revenu national que ce serait l'équivalent d'une révolution . A mon avis, les programmes sont assez clairs, ce sont les réalisations qu'il nous faut. Je ne pense pas que les « sociétés d'abondance» dp. tvne conservateur

v

ous parlez de ' « la dictature en période de prospérité ». Il est certain que cette prospérité générale dans les pays industriels occidentaux pose des problèmes à la gauche et non seulement en France. L'électorat semble opter pour des programmes modérés et même conservateurs. Ne croyez-vous pas qu'il serait urgent d'élaborer un nouveau programme pour la gauche, au-delà des schémas du passé ? Quel pourrait-être votre rôle, et le rôle des intellectuels en général, dans ce domaine ? 1.-F. R. : Cette question se réfère à deux ordres de problèmes. En parlant de « dictature en période de prospérité », j'ai voulu dire que, dans une telle période, le gaullisme pouvait ,être une dictature, sans avoir pour autant à recourir aux moyens violents et à la suppression totale des libertés, caractéristique des précédentes dictatures du XX· siècle. Le second problème est le problème droite-gauche dans les sociétés industrielles, c'est-à·dire la question de savoir si les économies

dis que l'idéologie libérale 1), 'est : pas aussi périmée que l'affirme un • naïf progressisme, je pense aux. « libertés formelles». (Voir ques- • tion 1.) •

• •

Votre livre En France est une critique sévère de la gauche et son • sous-titre la Fin de l'opposition· indique bien que vous estimez· qu'elle a failli à sa tâche. Vous ne • désignez personne en particulier, • de sorte qu'il est permis de suppo- • ser que vous englobez dans votre • critique toute la gauche d'il y a • deux ans. Quel est le fait nouveau • qui a surgi depuis cette époque, • c'est·à-dire depuis la publication. de votre livre, pour que vous Pllis- • siez croire qu'il existe une nou l'ellc •

Vous défendez souvent le libéralisme que vous ne considérez pas du tout comme périmé. Vous considérez-vous d'abord comme un libéral? Quel est votre rapport avec la doctrine socialiste en général ? Où est pour vous la priorité: libéralisme ou socialisme ? 1.-F. R. : Je n'ai jamais iléfendu le libéralisme, au sens du libéralisme économique. Je me suis toujours battu pour un socialisme dirigiste, tout en ne pensant pas, du reste, que la forme implique nécessairement le contenu, comme le prouve la faillite économique des démocraties populaires. Quand je

La Quinzaine littéraire, r au 15 mars 1967.

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• • • • • gauche, prête à gouverner ou, au • moins, à assumer so,!, opposition ? •• • l.-F. R. : En écrivant En France, • Lamartine

puissent dépasser une certaine limite dans la voie de ces réalisations sans se suicider, ce qu'elles ne feront certainement pas. Quant aux intellectuels, leur rôle est celui de toujours trouver les formes et les thèmes qui permettent de penser les problèmes nouveaux. Mais il est clair que le rôle de l'intellectuel est très différent selon que cet intellectuel est romancier, économiste, biologiste ou critique musical. Je me permets de renvoyer, à ce sujet, à la Cabale des dévots.

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Les ancêtres: Be11jamin Constant

sure officielle qui s'exerce sur la télévision.

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je pensais avant tout aux commu- • nistes et aux progressistes, dont la • mentalité bienveillante à l'égard du : gaullisme me choquait. Elle prove- • nait d'une fausse analyse de la poli- • tique étrangère gaulliste, d'une. fausse analyse des mobiles et moda- • lités de la décolonisation gaulliste, • enfin d'une fausse analyse de la : prétendue modernité économique. de la Ve République, dont tous ont • bien déchanté aujourd'hui. Enfin, • il est certain que bien des Français • de gauche, sur le plan moral, 'Ile : sont pas spécialement hostiles au • pouvoir personnel. Ils pensent mê- • me que ça fait neuf, ce qui est • grave. Or précisément, comme je • l'avais prévu dans En France, la • secousse qui a cristallisé l'opinion. est venue de l'action d'un homme. de tradition républicaine libérale, _ qui a été le catalyseur permettant • à une grande masse d'électeurs de • voir le caractère négatif du gaul- • lisme. Quant au programme actuel : de la gauche, sans être parfait ni • complet, il me paraît en tout cas • plus précis que celui des gaullistes. •

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VOUS 25


ARMÉE

L'ArlDée et la République J. Nobécourt Une histoire politique de l'armée 1/1919-1942 Jean Planchais Une histoire politique de l'armée 11/1940-1967 Le Seuil éd., 336/384 u.

La mort du dernier maréchal de France prend valeur de symbole. Toute une phase de l'histoire de l'armée est désormais close. Qu'est-ce que l'armée d'abord? L'ensemble des hommes qui, revêtus d'un uniforme et relevant de l'autorité et de la discipline militaires, concourent à la défense de la Nation. Définition bien théorique. En 1960, au moment de la plus grande extension~ plus d'un milli~n d'hommes (5,3 % de la population active) y répondent. Mais les militaires occasionnels, les soldats du contingent servant pendant la durée légale ou maintenus au-delà de la durée légale, fournissent la majeure partie de cet effectif. Les militaires « professionnels » forment pourtant, de beaucoup, le noyau le plus massif et le plus cohérent à l'intérieur de la masse des agents de l'Etat: plus du quart; proportion très supérieure aux grandes masses d'agents civils. (Education nationale ou P.T.T.) Exclus les caporaux et hommes de troupe, qui constituent encore un tiers de l'effectif, restent plus de 260 000 « cadres », officiers et sous-officiers de carrière, qui tous participent à des échelons divers à l'exercice de l'autorité, le commandement. Aucun corps de l'Etat n'offre à ses membres pareil sentiment de participation. La division entre armées de Terre, de Mer et de l'Air, aux traditions, au genre de vie, à l'esprit sensiblement différents, apporte en revanche bien des nuances. Et il convient de les garder à l'esprit pour apprécier certains comportements. Dans l'histoire du putsch d'Alger de 1961, il semble bien que les réactions n'aient pas été les mêmes chez les aviateurs, ou chez les marins, que dans l'armée de Terre beaucoup plus engagée dans les opérations d'Algérie. Sans doute la prédominance de celle-ci et, à l'intérieur, de la masse importante des 28 000 officiers d'active (sur 49 000 officiers pour l'ensemble des trois armes) facilite l'identification armée armée de Terre. Elle n'en reste pas moins « forcée ». L'histoire de l'armée française sous la y. République est soustendue par la guerre d'Algérie. Rien d'étonnant donc à ce que se soit concentrée sur celle-ci l'attention des historiens, mais d'une manière trop exclusive peut-être! la guerre d'Algérie crée ses propres débats: on ravive ceux nés de la guerre d'Indochine: rapports du pouvoir civil et du pouvoir militaire, modification des lois de la 26

Le mamtien de l'ordre ...

guerre (problème de la torture), règles du combat (guerilla et guerre révolutionnaire); elle ne supprime pas complètement les anciens débats, en particulier celui de la guerre moderne à l'américaine, ou même de la survivance des formes traditionnelles. On oublie souvent qu'au plus fort des opérations en Algérie la moitié des effectifs de l'armée restent cantonnés en métropole ou dans les garnisons allemandes. Le régime, d'ailleurs, est né d'une première cris~ politicomilitaire, où l'élément militaire à vrai dire couvrit plus qu'il ne prit l'initiative, encore qu'au sein des complots du 13 mai on discerne aisément l'action de nombreux officiers d'état-major. C'est bien l'Algérie des colonels, ceux d'Alger plus que ceux du bled - et non celle des généraux qui peut inquiéter le gouvernement et qui dirigera discrètement le « groupe de pression » que constitue au moins jusqu'en 1960 tout corps militaire d'Algérie, mais qui ensuite se morcelle, ou s'interroge. Au sein de cette armée, le « fer de lance » que constituent les unités parachutistes et les légionnaires étrangers dérive beaucoup moins qu'on ne l'a dit de l'armée de métier au sens habituel du terme que de leur adaptation plus facile à une forme de guerre, déroutante, au contraire, pour les cadres traditionnels. La légion, certes, a son recrutement particulier, mais oIes effectifs des « paras » sont alimentés pour les 2/3 environ par le contingent. La sélection, l'esprit de corps, ou plus justement « l'esprit de bande », le sentiment d'être plus engagés et plus dangereusement avec l'appel constant, dès qu'une difficulté se fait sentir, aux réserves générales dont ils constituent l'essentiel, ont contribué à en faire un instrument entièrement dans les mains de leurs chefs. Mais ceux-ci seront les exécutants et non les instigateurs, m,oins encore les théoriciens ou les inspirateurs d'une « politique » qui sera celle de l'armée d'Algérie, ou de ceux qui veulent parler en son nom. n est normal que tous ces éléments, les plus marqués, aient retenu l'attention. Pourtant leur caractère exceptionnel est à l'ori-

gine même de leur échec. L'armée de 1958 ou 1962 était en fait autre chose que les colonels d'Alger ou les soldats des R.E.P.. On oublie trop souvent la part apportée par le contingent au niveau des cadres subalternes; ,lieutenants et souslieutenants, servant au-delà de la durée légale ou pendant celle-ci, sont en 1960 aussi nombreux que les sous-lieutenants et lieutenants d'active, près de 30 % des effectifs de sous-officiers viennent aussi du contingent et sont même à égalité dans certains grades (sergent) avec les sous-officiers de carrière. L'armée des généraux, celle des colonels, celle des capitaines (issus des « lieutenants des rizières » indochinoises), celle des lieutena:::J.ts est multiforme, et l'on n'insistera jamais assez sur cette réalité. La reconversion à la paix, l'histoire de l'armée de 1962 à 1967, n'a en fait guère retenu jusqu'ici l'attention. Son emprise sur la Nation se retrécit brusqueme:::J.t avec le dégonflement des effectifs, la réduction de la durée de service, le départ des cadres maintenus ou appelés. Le corps des officiers a connu d'autre part une mutation plus discrète, mais probablement aussi profonde que celle opérée de 1945 à 1947. On a estimé aucune source officielle bien sûr ne le confirme2 à un millier les démissions ou mises à la retraite anticipée entre avril 1961 et la fin de l'année 1962 ; s'y ajouteraient 530 officiers d'active dégagés autoritairement des cadres, et plus de deux cents poursuivis devant les tribunaux. Tel serait le bilan « politique » auquel s'ajoute, comme en 1945, le bilim de reclassement, par le dégagement des cadres, organisé pour les deux fois de décembre 1963. Celui-ci vient d'être publié, 7 200 officiers d'active ont quitté l'armée, 5 650 en retraite anticipée, 16 % reclassés dans des services administratifs civils. Au total, plus d'un tiers des officiers de 1962 ne se retrouvent plus dans l'armée de 1966. En revanche, des efforts ne se sont pas produits, même lorsqu'ils étaient escomptés. Le nombre des candidats à Saint-Cyr n'a cessé de

décroître. Cette crise de recrutement est le signe le plus net de la crise des rapports entre la Nation et son armée. En fait, la y. République, dans la seconde législature qAi s'achève et qui correspond à cette période de reconversion, n'a pu reconstruire ces rapports et s'est contentée d'organiser un provisoire dont nul ne sait ce qu'il peut durer. Les tâches et les missions mêmes de l'armée restent mal définies: que reste-t-il de la force d'intervention outre-mer et dans quel sens pourrait-elle s'exercer? Quelles places les forces « conventionnelles » doivent-elles garder si la sécurité du territoire est fondée sur l'emploi sans gradation de la force nucléaire devant toute menace sérieuse? Un ministre n'a-t-il pas contesté radicalement l'utilité de ces forces classiques ? Qui peut croire encore à une défense opérationnelle du territoire, un tant soit peu efficace, en cas d'invasion totale, accompagnée d'actions atomiques? Quel rôle peut jouer une Armée française agissant seule, sans nécessaire coordination avec les autres forces armées de ceux qui restent pourtant ses alliés ? Autant de questions sans réponses. Or ces réponses conditionnent la forme que doit prendre, dans les années à venir, l'armée de la y. République. Et cette incertitude pèse autant et plus que le « souvenir algérien » sur le moral actuel de cette armée. L'atome ou l'espace ne lui apparaissent pas des buts suffisamment tangililes pour justifier sa survie. Dépassée par la « technologie », mais plus rapidement que toute autre branche professionnelle, elle ne cesse de s'interroger en fait sur une « politique ». L'instrument de pression qu'elle a pu un moment constituer est certes brisé. Reste-t-il même un instrument, ou son ombre ? Paul Bouju 1. Un volume récent en fait une excellente analyse. Jean Feller : Dossier de l'armée française. La guerre de 50 am 1914-1942. 524 pages. 2. Voir à cet égard une étude déjà ancienne : la Crise militaire française, de 1945 à 1962 , sous la direction de R . Girardet; A. Colin, 1964, 236 p., qui donne une analyse psychologique et sociologique précise de l'armée d'Algérie dans sa dernière phase.


LETTRES A

« LA QUINZAINE)}

J.-J. Pauvert et la censure Sans me lancer clam une polémique qui aurait peu d'intérêt, je veux simpiem.enS vous signaler les quelq1&es points où les soucis théoriques de MaTC Saporta se sont écartés des préoccupations pratiques qui, en l'occurrence, m'intéressent particulièrement, puisque je vous rappelle que je suis le seul éditeur littéraire frf'nçais à être assujetti aU dépôt préalable' de certaines de mes publirotions : Marc Saporta affirme (page 11, 4< colonne) , « qu'aucun éditeur n'avait élevé de recours devant les Tribunaux pour éclaircir ces points », Je lui ai rappelé

que j'avais plaidé justement pendant plusieurs années tous les points encore litigieux de la loi de 1949. Il prétend (page 11, 4< colonne) que « certains soutenaient encore que les livres n'étaient pas soumis à la loi de . 1949-1958, malgré ' l'usage supposé abusif que le gouvernement faisait de cette dernière », De nombreux arrêts qui font

jurisprudence OIJt au contraire définitiveInent admis que les livres étaielJt bien visés par la loi. n dit enocre: « Tout éditeur ayant fait l'objet de trois mesures d'interdiction en 12 mois ,.. était désormais soumis à la eensure préalable de toutes ses publications » (c'est lui qui souligne). C'est parfaitement faux, l'éditeur en question

n'ayant jamais été soumis, et c'était déjà suffisamment gênanS, qu'au dépôt préala· ble des publications analogues à celles qui avaient été condamnées. J'ai plaidé deux fois la signification du mot « analogue » duquel la cour d'appel a donné une définition définitive. En conclusion, si je suis tout à fait d'accord avec la Quinzaine littéraire sur ce que la loi de 1949.1958, même modifiée. n'est pas satisfaisante, je trouve abusif de titrer: ({ La Censure en France, aggravation », alors que ceux qui se sont battus contre ,cette loi viennent d'obtenir une victoire, limitée' certes, mais qui reste tout de même une victoire. Loin de toutes théories, je peux vous affirmer que le fait que: L l'astreinte au dépôt préalable soit limitée à 5 ans, 2 . le ministre de l'Intérieur n'ait plus qu'un an pour prononcer ces interdictions, 3. les interdictions en question soient dorénavant séparées en interdictions de vente aux mineurs, interdictions d'exposttwn et interdictions de publicité, me soulage tout de même d'un certain poids. En/in, ce qui ne prête pas du tout à discussion, quoi qu'en pense Marc Saporta, c'est le fait que les articles de critiques, les catalogues d'éditeur · et, d'une façon générale, les dacuments à l'usage des professionnels de l'édition sont exclus de ce qui est considéré comme publicité, Il n'est pas utile en effet d'être professeur de droit pour savoir: L Que tout ce qui n'est pas interdit est autorisé, 2, Que l'exposé des motifs et la dis· cussion d'une loi, dans le doute, servent à départager le Ministère public et la Défense, ..EIl c~ qu~ !ne, con~erne, de !oute ma: mere" Je n m Jamms, contrmrement a certains éditeurs, obtempéré à l'interdiction de mettre à mon catalogue les titres interdits à l'affichage. Je crois que la Quinzaine littéraire serait peut-être bien inspirée en portant à la connaissance des libraires, que les abstractions juridiques intéressent peu, ces quelques considérations pratiques, qui pourraient leur être utiles. Jea~-Jacques Pauvert

Marc Saporta répond : L L'aggravation du régime de la censure résulte de : a la transformation d'une ordonnance d'exception en une loi 'votée par le parlement, qui l'institutionnalise ; b l'élargissement des motifs d'interdiction (crime el violence) ; c la possibilité de prononcer plus facilement des interdictions de détail plutôt qu'une interdiction globale plus voyante . 2. Les éditeurs n'ont guère élevé de

La

Q~ine

recours contre les arrêtés d'interdiction; il sont plaidé et pour cause lorsqu'ils ont été attaqués pour avoir enfreint une interdiction, 3. La jurisprudence d'appel, en la matière, n'est pas « définitive » et peut être renversée à tout moment. 4. Un amendement prévoyant que les organes professionnels seraient à l'/Ù!ri des interdictions a été rejeté par le parle. ment; l'exposé des motifs et le compte rendu des débats peuvent être considérés comme des éléments d'appréciation, mais n'ont pas de valeur légale, en l'occurrence. 5. En matière juridique, le raisonnement « théorique » sur un texte s'impose, quelle que soit la « pratique » qui permet, certes, des accommodements, mais n'offre pas de garanties solides et permanentes,

Marc Saporta

« Picasso dit... » Je vous serais obligée de rectifier pour vos lecteurs la série de citations tronquées et falsifiées extraites de mon livre « Picaso dit », paru aux éditions Gonthier. Au lieu de : « La peinture est plus forte que moi, elle me fait faire ce qu'elle veut » (phrase de Picasso bien connue, et qui a été longuement commentée par Michel Leiris), Mme Choay écrit « elle me fait croire ce qu'elle veut ». Plus loin, elle fait dire à Picasso ceci 0: Cézanne, Van Gogh, pas une seconde ils ne voudraient faire ce qu'on voit aujourd'hui dans Cézanne et dans Van Gogh. " Voici la phrase vraie : « Cézanne, V an Gogh, pas une seconde ils ne voulaient faire ce qu'on voit aujourd'hui dans Cézanne et dans Van Gogh. Eux, ils voulaient seulement être fidèles à ce qu'ils voyaient. » Donc citation tronquée et falsifiée. Françoise Choay me fait éérire ensuIte : « Ses moyens". décuplent le pouvoir de la peinture. » Voici la v raie phrase : « Or à un moment de l'histoire et de la peinture où on dit la rellUmaniser mais avec malheureusement des moyens qui en sortent, Picasso, lui, cherche à décupler l'humanité réelle de ses créatures, mais avec des moyens qui décuplent le pouvoir de la pein ture, » Enfin, dernier exemple, et bien sin~u­ lier, attribué à Picasso par Mme Choay : « Personne ne voudrait faire du Matisse, personne d'autre que Matisse. » Voici la ci lation vraie, venant après toute une conversation qui l'explique, et exprimant l'amour de Picasso pour Matisse : « Personne ne pouvait faire du Matisse, dit Picasso, Personne d'autre que Matisse ne pouvait en faire. » (Alors que tout le monde peut faire un trou dans une toile, etc,) Hélène Parmelin

Françoise Choay réPond Je constate effectivement que mon articulet sur Picasso dit contient trois c0quilles : 3 des 18 citations que j'avais retenues font paraître chacune, pour un seul mot , un texte différent du texte original. Je le déplore d'autant plus que cela pourrait sembler donner quelque fondement aux imputations de Mme Parmelin. Pour le reste, qui est l'essentiel, les lecteurs de la Quinzaine auront pu s'aviser en comparant la rectification de Mme Parmelin avec le texte fautif, qu'il est difficile, en toute honnêteté, de faire une différence entre ce que dit Mme Parmelin et ce que nos erreurs lui ont fait dire . Françoise Choay

Lettre de Varsovie A la suite de notre « lettre de Varsovie » (la Quinzaine littéraire n° 20), nous avons reçu de la part d'écrivains polonais, la lettre suivante.

Le dixième anniversaite de l' « Octobre polonais » a été marqué par l'exclusion des rangs du parti communiste de six

littéraire, 1« au 15 mars 1961.

écrivains. Huit autres écrivains ont rendu d'eux-mêmes leurs cartes de membres, tandis que cinq ont été suspendus. La raison immédiate de cette hécatombe a été la solidarité des écrivains membres du Parti avec le philosophe Leszek Kolakowski, exclu du Parti pour avoir, le 21 octobre 1966, devant 500 étudiants de l'université de Varsovie, dressé un bilan des dix années ecoulées depuis octobre 1956. Mais ce n'était là que le point culminant d'une tension entre le Parti et les intellectuels qui dure depuis la condamnation - en 1965 - des jeunes universitaires communistes Jacek Kuron et Karol Modzelewski à trois ans et demi de prison pour avoir diffusé leur Lettre ouverte au Parti, dont la traduction française a été publiée par « la Quatrième Internationale )), Karol M odzelewski est le fils de Zygmunt, vieux militant communiste qui fut dès 1945 membre du Comité central et jusqu'à sa mort, ministre des Af· faires étrangères de la République populaire de Pologne, Jacek Kuron est, COIn· me Karol Mod",elewski, un des organisateurs de ({ Z,M,S. » - l'association des jeunesses communistes polonaises, r our les procès à huis clos, la loi polonaise prévoit des « hommes de confiance ", nommés por les accusés, qui peut'ent y assister comme uniques témoins, Modzelewski choisit Leszek Kolakowski, Kuron, l'écrivain Kazimierz Brandys. Une foule d'étudiants qui attendait dehors le verdict salua les accusés - que la police emmenait enc1wînés - en chontant « l'Internationale ». Une action de solidarité, entreprise par les étudiants en faveur des familles des condamnés, a été suivie d'autres représailles et" par la suspension de huit étudiants, défendus devant la commission disciplinaire de l'Université par des professeurs aussi .prestigieux que l'historien Witold Kula, les sociolo~ues Maria Ossowska et Zygmunt Bauman. La tension entre ,l'Université et le Parti a encore monSé lorsque le Parti décida, au début de 1966, de mettre au pas la faculté de philosophie de l'université de Varsouie, considérée comme un foyer de révisionnisme, en limitanS l'accès des facultés philosophiques aux seuls licenciés d'autres facultés, Cette mesure suscita une démonstration des étudiants devanS la tribune officielle au eours du défilé du l or mai. En juin 1966, sept professeurs communistes de l'université de Varsovie envoyèrent à la Pravda, de Moscou, une lettre protestant contre l'emprisonnement de Siniavski et de Daniel, Cette lettre, qui ne fut bien entendu pas publiée, provoqua le mécontentement de la direction du Parti, particulièrement sensible aux relations polono-soviétiques. C'est cl!tns cette admosphère que Leszek Kolakowski accepta l'invitation de l'Association de la Jeunesse socialiste des étudiants de L'université de Varsovie de célébrer le dixièlne anniversaire de « l'Octobre polonais », Kalokowski souligna que certaines des conquêtes d'il y a dix ans sont assurées, tant dans la diffusion de la culture que dans l'agriculture, Mais il critiqua le Parti pour son indifférence à l'opinion publique, et attaqua les abus inconstitutionnels des organes administratifs" Il regretta que l'on n'ait toujours pas aboli le Petit Code Pénal, héritage de l'époque stalinienne, « qui est ainsi conçu que pratiquement tout citoyen peut se trouver devant le tribunal lL L'auditoire

alla plus loin, et l'on entendit des motions demandant l'abolition de la censure préventive, la liberté de la presse, la libération de Modzelewski et de Kuron. C'est à la suite de cette réunion que Leszek Kolakowski et son assistant Krzysuof Pomian furent exclus du Parti. Le 15 novembre 1966, vin~t·deux écrivains polonais membres du Parti protestaient contre cette exclusion clans une lettre adresée au Comité central. Leszek Kolakowski - écrivaient-ils - est pour eux le symbole de l'unité du socialisme et de la démocratie. Lui reprendre sa carte de membre peut donc être interprété comme le rejet de la conception du 'sociamité central où les discussions auraient été cette lettre furent convoqués par ~e Co-

mité Central où les discusions auraient été particulièrement violentes. Huit écrivains ont rendu leurs cartes de membre. Parmi eux: Igor Newerly, militant communiste d'avant-guerre, dont le roman Souvenir de cellulose est considéré COmme l'œuvre modèle du socialisme réaliste en Pologne, le critique Roman Karst, les frères Kazimierz et Marian Brandys. Les écrivains exclus sont Pawel Beylin, Tadeusz Konwicki, Wiktor Woroszylski, Waclaw Zadont Witold wadzki, Cinq écrivains Wirpsza ont été suspendus. Depuis 1957 - lorsque Jerzy Andrzejewski, Jan Kott, Adam Wazyk, Mieczyslaw Jastrun, Pawel Hertz, Juliusz Zulawski rendirent leurs cartes de membre c'est le deuxième départ collectif d'écrivains des rangs du Parti. Il s'agit des écrivains polonais les plus prestigieux et le Parti reste singulièrement démuni de talents littémires, q'autant que beaucoup d'écrivains connus, comme Jaroslaw Iwaszkiewicz ou Zbigniew Herbert, n'ont jamais appartenu au Parti.

xxx.

C. G. Jung Au plan des faits, je ne relèverai que deux erreurs, lourdes, il est vrai : 1. L'analyste, selon Jung, quoique vous en disiez est d'une égale « passivité active )). Là, guère de différence, sinon en ce qui concerne le background philosophique et anthropologique de l'analyste, et de temps en temps une touche d'interprétatiol1. 2. Vos allusions un peu perfides à la période 1933-1939 sont, comme je viens de l'écrire à un autre hebdomadaire, de pures calomnies, et je vous renvoie à « L'Analyste dans la Tourmente des Esprits ", en guise de préface (67 pages) au livre de Jung Aspects du Drame contemporain, Georg, Genève 1948, ou à Baudouin, L'Œuvre de Jung, Etudes et Documents, Payot, Paris 1963, (p. 25 et suivantes) . Dr. Roland Cahen

André Akoun répond : Que ma critique de Jung ne satisfasse pas le docteur Cahen dont on sait avec quelle ferveur il a défendu et propagé la pensée de Jung en France, n'est pas pour étonner, Mme Marthe Rouert, dont rien ,ne me permet de mettre en doute l'honnêteté intellectuelle, rappelle dans son livre la Révolution psychanalytique que, la Société allemande de psychiatrie passant en 1933 sous contrôle nazi, Jung accepte de succéder au président démissionnaire alors que Suisse, il n'est soumis à aucune pression. Il édite alors la Zentralblatt für psychotherapie, organe officiel de la société, Dans le premier numéro nous trouvons une déclaration du professeur Goring selon laquelle les membres de la société doivent « avoir fait une étude scientifi-

que du livre

fondamental

d'A,

Hitler

Mein Kampf et l'avoir reconnu comme ouvrage essentiel ». Dans son éditorial, Jung écrit : « Les distinctions nettes elt-

tre les psychologies germanique et juive, depuis longtemps sensibles aux personnes sensées, ne seront plus dissimulées , » Edward Glover, dans son livre Freud et Jung, se fait un malin plaisir de traduire quelques-uns de ces textes oubliés. Ainsi, dans le 2' numéro de la bien gênante revue on lit, toujours de Jung : « Mes avertissements m'ont fait soupçonner d'antisémitisme p!!ndant plusieurs décades, Ce soupçon a pris naissance avec Freud, Il n'a aucune connaissance de ce qu'est l'âme germa1}oique, pas plus que tous ses perroquets allemands. Le phénomène stupéfiant du national-socialisme, que le monde entier contemple avec des yeux étonnés, leur a-t-il appris quelque chose? )) et Jung précise que cette âme germanique « n'a rien du sceau d'ordures qui recèle les souhaits infantiles irréalisables ».

J'avais , parlé d'implications confuses et malheureuses , Malheureuses, oui. Confuses, pas tellement. Andr~

Ak ' WJ 27


QUINZE JOURS

Man Ray - Sade Je sonne à la porte de Man Ray, à deux pas de l'église Saint-Sulpice. L'après-midi s'achève, le soir est rose, des martinets sifflants coupent le ciel, quelques fidèles vont et viennent sur l'orgueilleux parvis de la mosquée. Si j'étais M. André Malraux, et si j'étais chargé, comme lui, de faire la Révolution culturelle en France, . j'achèverais l'œuvre entreprise par son trop oublié prédécesseur, le père Combes, je rendrais ces temples à la Nation, j'en ferais des' musées, des dancings, . des promenades, j'y ferais des ateliers pour les artistes (après avoir fait abattre les toitures côté nord, question lumière): ainsi rendrais-je au peuple l'usage des monuments qu'il a construits. C'est ce qui va se faire en Chine, c'est ce que l'on eût vu en Espagne, dès 1936, si le peuple, avec qui luttait M. Malraux, avait conservé le pouvoir. 'comme M. Malraux est au pouvoir ici, ' et je m'en félicite, j'espère qu'il n'oublie pas cet objectif majeur de toute politique populaire.

rie. La premlere exposition fut consacrée à Man Ray qui arrivait des Etats-Unis. Tzara écrivit su~ le catalogue: «New York nous envoie un de ses doigts d;'amour qui ne tardera pas à chatouiller la susceptibilité des artistes français. Espérons que ce chatouillement marquera une fois encore la plaie célèbre qui caractérise la somnolence fermée de l'art. » Man Rayet les surréalistes allaient non seulement chatouiller, mais déchirer. Et par ces déchirures, le xx· siècle, de gré ou de force, allait passer. Avant le vernissage, Man Ray alla boire un grog « avec un étrange petit homme âgé d~une. cinquantaine

Man Ray m'accueille avec une extrême genti~lesse. Il me remet une photographie d'André Breton (destinée au numéro d'hommage à Breton que publiera le NRF en avril), .et il écrit pOUl" moi le télégramme que, en lui-même, il adressa à son ami le jour où il apprit sa mort. Man Ray se trouvait alors à Cologne où étaient exposés plusieurs de ses tableaux récents - car il n'arrête pas de peinme. Il arrive aujourd'hui de Los Angeles où vient de s'achever une exposition générale de son . œuvre. Cette exposition ne compta pas moins de 300 numéros : peintures, objets, collages,' rayographes, etc. Man Ray m'en remet le catalogue. Elle va des Figures de 1908 au Fer rouge de 1966: une vie que caractérisent une activité créatrice extrême, un génie inventif hors de pair. Tout objet dont Man Ray peut se saisir il le fait autre. Il invente comme il respire .. Il s'empare du , métronome , du ressort, du volant, du browning, des lèvres, du pain, de la fourchette, de la souricière, du banjo, du cadenas, de la balle de golf. Il ne les laisse pas comme il les a trouvés. Il les adapte. Il le& transforme. Il les recrée. Il colle un œil ouvert sur le battant du métronome, un nœud coulant sur le croissant de lulie, il allonge un poisson égal et parallèle au corps de la femme bien-aimée. Nostalgie: si Man Ray avait créé le monde, et pas Dieu, il y aurait plus de poésie dans notre vie. Je reprends eet exemple, le plus connu, car il est le plus révélateur: Cadeau, l'objet que Man Ray fit-- à partir de rien - un fer à repasser, une pincée de clous, un tube de colle forte. C'était en 1921. Soupault venait d'ouvrir une gale28

Man Ray

Cadeau. 1921.

d'années... (qui) avec ' sa petite barbe blanche, son pince-nez à l'ancienne mode, son chapeau melon, son manteau et son parapluie noirs, r,essemblait à un employé de pompes funèbres ou d'une banque conservatrice ». Ce petit homme était Erik Satie. « Nous sortîmes du café, poursuit Man Ray, puÏ$ nous entrâmes dans un magasin qui étalait en devanture des ' ustensiles de ménage de toute sorte. Je remarquai un fer - le genre utilisé sur les poêles à charbon -"- demandai à Satie d'~ntrer et, avec son aide, j'achetai une boîte de èlous de tapissier et un tube de colle forte. De retour dans la galerie, je collai une rangée de clous sur te plat du fer; j'intitulai le tout Cadeau et l'ajoutai à l'exposition. 1 » Ainsi, en vingt secondes, apparut sur la terre un objet qui n'avait jamais eu d'équivalent et qui n'en eut jamais depuis. Il est utilisé, en général, pour lacérer les chemisiers de soie, et déchirer les bras des fiancées. Comment ne pas rappeler aussi Blue Bread, deux baguettes de pain peintes en bleu, ficelées sur une balance Roberval. L'homme ne vit 'p as seulement de pain

mais de peinture : Man Ray a bien raison de nous le rappeler.

L>ACTE SALUTAIRE

Gilbert Lély m'envoie le Sade qu'il vient de publier dans la collection « Idées ». J'ai la plus vive admiration pour Lély, pour ses travaux, pour ce livre qui, grâce à « Idées », sera demain dans toutes les bibliothèques. Mais (c'est un point d,e détail: je ne le relève que parcè que j'adhère entièrement au reste). mais pourquoi faut-il que Lély, parlant des Révolutionnaires de 1789, établisse, à diverses reprises. je ne sais quelle obscure relatio~, entre eux et ces bêtes puantes, les nazis ? Il est vrai que Sade a passé trente années de sa vie en prison, sous Louis, sous la Révolution, sous Bonaparte. Son génie furieux lui valut ces .outrages sans quoi, peutêtre, son œuvre n'eût pas été. C'est un fait, qui désole, mais qui ne permet pas, si nous considérons l'histoire, non de Sade, mais du peupÎe français, d'enfermer dans la même charrette ses très inégaux persécuteurs. Que Lély, à certain moment, paraisse déplorer la fin, nécessaire à la liberté, de Louis Capet, et tout au contraire qu'il nomme chien fécal Bonaparte, épée ultime de la Révolution, et sans qui l'Etranger l'eût ecrasée; qu'il exècre Robespierre, Saint-Just, figures pures, et qu'il verse des pleurs sur Charlotte Corday, l'hystérique, semble, dans cette œuvre exemplaire, une surprenante bizarrerie. La Société que Sade appelle par sa vie, ses livres, n'est rien d'autre que celle que Marx a décelée à travers les ténèbres profondes de l'Histoire : 'la société où l'homme sera libre, par le dépérissement absolu de l'Etat. La route vers cette Société slins classes, donc sans lois~ est longue, Sade a permis d'en brûler des étapes, et, non moins que Sade, sinon plus, Robespierre, Saint-Just, instaurateurs Il'un ordre sanguinaire, mais légitime, car voué à l'extermination nécessaire d'oppres-

• .Apr~ cnmen, il faut replacer le fœtus dans son

bocal et le bocal dans le plaeard », est-il recommandé am: étudiants de la Faculté de Pharmacie. Électrices, Électeurs, étudiants de votre propre sol, de sa faune et de sa Bore, vous ne faillirez pas

à ce devoir. Geste d'ordre. .Acte salutaire. Ce sera, plus tard, l'honneur du Vaucluse d'~voir

sonné la diane et commandé silence à la marehe funèbre.

NON A UX FusEES A TOMIQQES! NON A LEUR COMMIS!

René Char nous a fait tenir un cer· tain nombre de papillons distribués aux électeurs du Vaucluse. Ci·dessus la reproduction de l'un d'entre eux.

seurs. Les nazis, au contraire, prétendaient libérer la Société des opprimés, juifs, homosexuels, etc., qui en salissaient l'aristocratique et aryenne substance, en perpétuant, eux-mêmes, l'oppression deux pôles, qu'il est injuste de confondre. Je reviens à Malraux. Paris compte des centaines de rues consacrées à de futiles personnages : Kennedy, Coty, etc., qui furent zéro pour nous. A quand des avenues Sade, Robespierre, Saint-Just, qui furent et qui demeurent quelque chose? S'il est trop difficile encore de rendre au peuple certains édifices qui lui reviendront, tôt ou tard, que· l'on rende, du moins, à sa mémoire, .certains noms. Selon une parole mémorable, ilS en valent la peine. Pierre Bourgeade 1. Man Ray: Autopattrait, Laffont éd.

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Sur Dom Juan Dom Juan, Molière, Antoine Bourseiller : il s'agit de ne pas confondre. Voici d'abord un mythe élaboré en trois ou quatre siècles par la conscience collective européenne, sans cesse modifié ou enrichi, et susceptible d'innombrables variations. Puis une œuvre exactement datée, qui porte la marque de son auteur, image complexe et précise du Burlador. Et enfin un metteur en scène de 1967, qui nous a dOnI1-é de ce texte une lecture personnelle on ne saurait parler sans abus de son Dom Juan à lui, et c'est par sa grâce, pourtant, que le personnage a quitté une fois de plus les magasins de l'imaginaire . et retrouvé un espace concret. Le malentendu, comme on voit, commence inévitablement au lever du rideau. Inutile de s'attarder sur cette évidence, mais il vaut la peine d'en rappeler quelques autres. Et premièrement, la plus énorme : un chef-d'œuvre est par définition un fantôme vivant qui se transforme au cours des âges et qui, sans perdre son identité, peut être soumis à une diversité presque infinie d'habillages. Mais, du même coup, il ne garde sa vertu qu'à condition de rester lui-même, quel. que défroque qu'il lui advienne d'endosser: rien ne sert, sous couleur de le remettre à jour, de le modifier ou de le trahir. D'autre part, il va de soi que le rôle d'une maison comme la Comédie-Française n'est pas d'embaumer les pièces du répertoire pour les sortir périodiquement de ses caves, mais de participer activement à leur recréation, au fur et à mesure que la sensibilité générale se transforme. Il est du dernier grotesque de s'indigner que le Français tente enfin de revivre et qu'Antoine Bourseiller use de liberté pour aborder Molière. Cela dit, il faut revenir à Dom Juan. Il saute aux yeux que Molière, pour la première fois, y a abandonné le schéma comique traditionnel, qu'il venait d'amender considérablement dans Tartuffe : au centre de la pièce, on ne trouve plus un personnage aliéné par un ridicule qui s'est emparé de tout son être; et partagé entre ses amis et ses exploiteurs jusqu'au moment de sa libération ou de sa défaite. Alors que, dans Tartuffe, le personnage principal s'était dédoublé, de manière à concentrer le rire autour d'Orgon et à préserver l'isolement glacé de l'imposteur, il n'y a plus rien de tel dans Bom Juan : du lien obscur - presque amoureux - qui l'nliait Tartuffe et Orgon, il ne subsiste plus qu'une fascination ébaubic qui rattache Sganarelle à son maître. ~e valet n'est ici ni le double couard du seigneur ni sa réplique vulgaij'c, mais un faible médusé par la violence qui l'opprime, avant d'être terrorisé par elle. Un esclave, oui, singe et victime de son maître, mais contaminé par son exemple, incapable d'entrer dans ses raisons, enivré

par bouffées de son, vertig-:. Tout cela comique, si l'on veut, mais d'une bouffonnerie noire, glaçante, terrible. En face, dom Juan. Libertin, dans les deux sens du terme : athée et libre de toute tutelle idéologique et sociale, mais aussi; déjà, stratège et chasseur, au moi expansif, souèieux de réduite autrui, amoureux du combat et de la victoire, moins sensuel que violent, fou de solitude et d'orgueil. Le contraire, exactement, de ce que sera Casanova, mais l'ébauche de Valmont, à cette différence près que, méprisant le' mon.de, il se passe fort bien de public pour l'applaudir. Grand seigneur, il soigne son apparence, pùisqu'elle est son premier appeau. Riche, il a les moyens d'assumer totalement la liberté qu'il s'est dévolue. Impérieux, il fascine tous ceux qui l'approchent par la violence qui brûle en lui et, sataniquement, par l'éctat même de son mensonge. La plupart du temps, du reste, il se

Que ni Sganarelle ni Dom Juan. ne suffisent à donner son vrai sens à la pièce, c'est évident. Molière a confié à trois personnages secondaires la charge d'établir un contre'p oint essentiel à l'aventure du séducteur : si l'ambition du valet est d'une parfaite bouffonnerie, chaque fois qu'il se mêle de raisonner avec son maître, c'est qu'il est impossible de vaincre Dom Juan en s'enfermant avec lui dans son système, qui est sans faille. C'est par Elvire, Pierrot et Dom Louis, son père, que la vraie contradiction lui est apportée: par l'amour, par la dignité humaine et, peut-être, par la société. Trois valeurs que le Burlador récuse, mais à quoi Molière s'attache : il faut se garder de gauchir ces trois rôles à la représentation ; ils sont les vrais juges de Dom Juan, tandis que le Commandeur appartient à l'ordre de la mythologie. Ce qu'Antoine Bourseiller a le mieux dégagé dans ce difficile affrontement, c'est la nature du

Georges Descrières dans une scène de Dom Juan.

contente de triomphes sans gloire : dominer Sganarelle, bafouer Pierrot, braver Dom Carlos, tourner la tête à des paysannes. Sa véritable et secrète ambition, pourtant, c'est de défier le Dieu absent, dont la puissance fantomatique fait ombrage à la sienne. Il s'y aventure pour la première fois avec le ·pauvre dans la forêt : c'est très précisément en cette scène II de l'acte III que la pièce bascule, lorsque Dom Juan, pour la première fois, doit baisser pied. Il en voulait à l'âme d'un homme, et voici que cette âme se refuse, et il ne reste plus au· séducteur qu'à s'en tirer par une pirouettel . A partir de là, son image se dégrade au fil de la pièce : certes, il ne cède pas d'une ligne sur ses principes, mais c'est sur un marchand qu'il en est réduit à éprouver sa force, avant de recourir à l'hypocrisie en place de la bravade et d'être empoigné, incrédule, par la main de pierre.

La Quinzaine littéraire, 1"' au 15 mars 1967.

lien entre Sganarelle et Dom Juan : sa description est le plus souvent admirable de justesse et de profondeur. Grâce à Jacques Charon, qui atteint au sublime, le valet prend ici sa vraie dimension, témoin et victime, complice et rebelle, jobard paniqué et antihéros absent de sa propre histoire : j'aurais aimé qu'il demeurât bouffon, mais le siècle n'a guère d'humour et l'on croit communément que le rire nuit au pathétique des choses, alors qu'il leur donne une aura terrible. Si Descrières manque un peu d'épa.i sseur, il faut sans doute en incriminer son costume, qui ressemble à une tunique maoïste qu'aurait coupée Hermès : autrement, il a de l'allure, et la superbe qui convientl. Admirable au s s i, Jean-Paul Roussillon (qui, soit dit en passant, est en train de devenir un grand acteur) : il fait un Pierrot bouleversant de dignité, de tendresse, de

colère. Mais c'est à partir de là que les choses se gâtent . Sur Dom Louis, je ne chicanerai pas Bourseiller, mais je dois dire que son Elvire (Ludmila Mikael) me paraît absolument inadmissible : outre qu'il a confié le rôle à une comé~ dienne ineXpérimentée (certes helle) il en . a fait u ne jeune femme sensuelle, nostalgique de son premier amant, qui vient le provoquer dans la retrait.: où il s'est éloigné et qui perd le sens jusqu'à ouvrir son corsage sur sa poitrine pour réchauffer les feux de l'indifférent. Voilà qui est plus proche de Vadim que de Molière, et qui, au lieu de choquer· vraiment, désamorce la violence. Antoine Bourseiller est assez bon metteur en scène pour tourner désormais le dos à la mode : si l'on admire son travail, c'est une raison· de plus de le lui dire très ferme; ment. Presque tous les défauts de cette mise en scène découlent de la même ' sensibilité excessive à l'air du temps. Pourquoi avoir choisi de flatter le goût général pour la « métaphysique » en situant la pièce dans l'intemporalité? C'est l'affaiblir, encore une fois, puisque le libertinage est inséparable d'une certaine société, sans compter qu'un tel parti pris oblige plus d'une fois à infléchir (c'est-à-dire, par un apparent paradoxe, à édulcorer) le propos de Molière. Ainsi l'évolution de Dom Juan que je décrivais est-elle presque complètement gômmée, au bénéfice d'une exaltation baroque et quelque peu fuligineuse de son destin. Pourquoi, encore, cet esthétisme intempérant qui tire l'œuvre, padois, vers l'opéra (Dom Juan, à table, entouré d'une garde prétorienne), et ces retouches apportées gratuitement au texte (un monologue de Sganarelle « réparti » entre Dom Juan et lui), et ces coups de pouce donnés ici ou là (la scène de M. Dimanche, qui prend une allure quasi « concentrationnaire ») ? Pour en finir avec les reproches, je critiquerai encore certaines erreurs de distribution injustifiables (Dom Carlos) et je dirai que les décors d'Oskar Gustin, admirables au IV et au V, sont moins heureux lorsqu'ils évoquent la forêt : il aurait fallu pousser plus loin l'audace et, puisqu'on a fait un ample usage du tonnerre, ne pas craindre de donner une allure fantastique aux épisodes du Commandeur. Je suis allé, comme on voit, dans le détail pour apporter ma contestation à Antoine Bourseiller : c'est aussi que son travail mérite l'attention et invite à l'échange. Ce n'est pas un mince mérite que celui-là. Il faut voir ce Dom Juan. Robert Abirached 1. Notons, pour la "aveur du trait, que le censeur royal ay" il cru devoir supprimer cet épisode, le plus moral de la pièce, de l'édition 1665. 2 . Un certain nomhre de scènes opposant ce couple pre',nent dans cette mise en scène une [n., '! rarement atteinte : ainsi la scène li il « 2 et 2 font 4 » et l'épisode de; .. gages ».

29


TOUS LES LIVRES

Ouvrages publiés du 5 au 20 février 1967

ROMANS l'RANÇA I S Solange Bellegarde Le masque de neige Ludmilla 13,50 F Moscou, printemps 1913. Solange Bellegarde Oleg Casterman , 304 p., 13,50 F le deuxième volume de cette vaste fresque historique. Jeanne Champion Le cri Julliard , 256 p., 18 F De l'amour fou à la folie . Petru Dimitriu Le sourire sarde Seuil, 144 p., 9,50 F Un père, une mère, un fils s'affrontent. Robert Escarpit Honorius, pape Flammarion, 280 p., 14 F Un polémiste dépose les armes pour nous parler de son pays natal. Paulette Geston Quand la liberté venait du ciel D'après les récits recueillis par Albert Ollivier. Denoël, 256 p., 9,80 F Adapté du feuilleton tél évi sé. Armand Hoog Les deux côtés de la mer Grasset, 280 p ., 16,50 F Un homme surpris entre son présent et son passé . Johanne Klein Histoire de Baudruche Denoël , 176 p., 12,35 F Contes philosoph iques. Monique l ange Cannibales en Sicile Gall imard, 120 p. , 6 F l 'absence, la mort, et l'amour. Camil le Marbo Clara Fontaine Grasset, 224 p., 12,50 F la complicité entre une grand-mère et sa petite-fille . Anita Pereire les adversaires laffont, 408 p., 18 F Dans le Brésil. d'aujourd'hui, un capitaliste et un syndicaliste s'affrontent. Monique Rivet La caisse noire Gallimard, 144 p., 9 F [j)eux I~céenne~ créent une caisse nOire pour financet les avortements de leurs camarades. Juliette Saint Giniez Henri Spade Henri Vincenot La princesse du rail Denoël,. 224· p., 10, 15 F Ad apté du feu ill eton de la t élévision.

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Simone et André Schwarz-Bart La mulâtresse solitude Tome 1 : Un plat de porc aux bananes vertes Seuil, 224 p., 15 F Voir n° 22 de « la Quinzaine - . Henri Troyat Les Eygletière Tome III : La malandre les fatigues de l'âge mûr.

ROMANS ÉTRANGERS Miklos Batori Les va-nu-pieds de Dieu, le roman des apôtres trad. du hongrois par J. Rémillet de Rosznay laffont, 640 p., 24,70 F le monde du 1er siècle vu par les apôtres. Brigid Brophy La boule de neige suivie de Couronner le tout trad . de l'anglais par léo lark Gallimard, 256 p., 16 F Voir le n° 22 de «la Quinzaine - . Manuel Ferreira Le pain de l'exode trad. du portugais par G. et M. lapouge Casterman, 224 p., 13,50 F l a faim en 1943 dans l 'archipel du Cap-Vert isol é par le blocus. Jenni Hall L'ours qui savait t rad. de l'anglais par M . Camh i Ga llimard, 248 p., 10 F . Un e amnésique provoqu e une succession d'événements ét ranges. Herbert Heckmann Benjamin et ses pères t rad. de l'all emand par louis Vaysse Julli ard, 348 p., 20 F la re cherche du père . Carlo Monterosso 'Le sel · de la terre traçl . de l'italien par C. de Lignac et H. de Mariassy Denoël, 224 p., 15,45 F Trois évangélistes parlent du Christ.

Seuil, 384 p., 21 F Un grand romancier argentin.

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leonardo Sciascia Les oncles de Sicile trad. de l'italien par Mario Fusco Denoël, 272 p., 13,35 F Quatre nouvelles du grand écrivain sicilien.

Nathalie Sarraute Le silence Le mensonge Gallimard, 128 p ., 7 F Voir le n° 21 de • la Quinzaine • .

Emilio Tadini Les armes, l'amour trad . de l'italien par CI. A. Ciccione laffont, 588 p., 24 . F Vie et mort d'un héros solitaire. Costas Taktsis Le troisième anneau trad. du grec par Jacques lacarrière Gallimard, 272 p., 18 F l'existence quotidienne d'une famille de petits bourgeois grecs . Cesare Zavattini Lettre de Cuba ... à une femme qui m'a trompé, suivi de HVDocrite 43 trad . de l'italien par Nino Frank Denoël, 168 p., 13,35 F Cuba, l'amour, Rome, par le scénariste de « Sciuscia -.

POÉSIE André-Marcel D'Ans Partager votre errance Bois de Théo Kerg Pierre-Jean Oswald 80 p., 12 F Joe Bousquet Le langage entier préface de J. Cassou Rougerie, 184 p. Limoges Nouveaux inédits posthumes de l'auteur de « Traduit du sil ence -. Gab ri el Cousin Jean Perret Nommer la peur Préf ace de G. Mounin Coll. « J'ex ige la parole Pi erre Jean Oswald 96 p., 12 F Poèmes politiques. Hélène Mozer Battement la Fenêtre Ardente, éd. distribué par J. Corti.

THÉATRE Josef Nesvabda La découverte du Docteur Gong trad. du tchèque par Maryse Boulette Calmann.ol.évy, 256 p., 14,80 F Un roman de sciencefiction qui nous vient de l'Est. Emilio de Rossignoli H sur Milan trad . . de l'italien par J.-C. Mangematin Denoël, 224 p., 15 F Milan, 1970. Ernesto Sabato Alejandra trad . de l'argentin pa r J.-J. Villard avant-propos de Witold Gombrowicz

lue Estang Le jour de Caïn Seuil, 144 p., 9,50 F Hans Günter Michelsen Théâtre 1 trad . de l'allemand ·par J.-C. Hémery l'Arche, 168 p., 13,50F Un des jeunes auteurs du théâtre allemand contemporain. Sean O'Casey Théâtre 6 . trad. de l'anglais par J. Autrusseau et M. Goldring l'Arche, 208 p., 9,90 F « la coupe d'argent " qui sera errée au T.E.P. en avril ,

lavande et feuilles de chêne - et « Nannie sort le soir - .

BIOGRAPHIES H.F. Peters Ma sœur, mon épouse Biographie de Lou Andras-Salomé Trad. de l'anglais par léo lack 8 hors-textes Gallimard, 320 p ., 25 F la muse de Nietzsche, Rilke et Freud. Kurt , Schwitters Auguste Boite avec un portrait de l'héroïne par Max Ernst Trad . de l'allemand Ed . Jean Hugues , 64 p. , 15 F l'un des plus fameux dadaïst es allemands.

RÉÉDITIONS CLASSIQUES Raymond Aron La sociologie allemande contemporaine P.U.F., 147 p., 8 F Troisième édition d'un ouvrage paru en 1935. Paul Claudel La ville IlI1ercure de France 446 p., 39,10 F Edition critique , établie par J. Petit, des diverses versions. Victor Hugo Epîtres éd ition ' critiqu e par Françoise lambert Cahiers Victor Hugo Fl ammarion, 142 p., 16 F

E SS AIS M arie All auzen La paysanne 'f rançaise aujourd'hui Gonthier, 208 p., 12,85 F l'évolution de l'agriculture et les problèmes nouveaux qui se posent aux paysannes . Roger Bastide Les Amériques noires Les civilisations africaines dans le nouveau monde Payot, 236 p., 18 F ,l'intégration de la culture nègre dans la société occidentale. Titus Burckhardt L'alchimie, science et sagesse Préface de J. Bergier Introduction de Serge Hutin Planète, 256 p., 17 F Des transmutations de la matière aux métamorphoses de l'.esprit. Jean-louis Curtis Cinéma Julliard, 224 p., 18 F Un passionné du cinéma analyse les films les plus importants de ces derniè res années.

Jeanne Delhomme La pensée et le réel P.U.F., 156 p., 10 F la vérité, problème philosophique ou problème de la philosophie. Friedrich von Gagern Partenaires pour la vie trad. de l'allemand 16 photos et 30 dessins Casterman, 320 p., 24 F les problèmes de la vie conjugale vus par un médecin . Romano Guardini Christianisme et culture tra.d de l'allemand par le R.P. Gronendael Casterman, 264 p., 16,50 F le nazisme devant les problèmes de la liberté et de la culture . Banesh Hoffmann L'étrange histoire des quanta Préface de O. Costa de Beauregard trad . de l'américain par C. de Richemont Seuil, 288 p., 15 F la plus grande révolution en phYSique depuis Newton. Bertil Malmberg Les nouvelles tendances de la linguistique trad. du suédois par Jacques Gengoux P.U.F., 444 p., 15 F Michèle Méric Le mariage névrotique Gonthier, 192 p., 12,85 F Entretiens entre un couple désuni et un conseiller psychologique . Robert Poul et Contre la plèbe Denoël, 256 p., 15,45 F l a révolte des masses et le t ri omphe de la méd iocri t é.

PHI L OSOPHIE SOCIOLOGIE Raymond Aron Les étapes de la pensée sociologique Gallimard, 664 p., 24 F Parx, Tocqueville, Comte, Max Weber. Madeleine BarthélémyMadaule . La personne et le drame humain chez Teilhard de Chardin Seuil, 336 p., 24 F la dialectique teilhardienne et les grands thèmes personnalistes. Maurice. Blondel Dialogue avec les philosophes Descartes. Spinoza Malebranche . Pascal Saint Augustin Aubier Montaigne 294 p., 21 F les principales études historiques de M. Blondel. léon Chestov Le pouvoir des clefs trad . du russe par Boris de Schloezer

préCédé de Rencontres avec Chestov par Be.njamin Fondane Fl ammarion, 340 p., 30 F Deuxi ème volume des œuvres complètes de léon Chestov. Soren Kie rkegaard Les miettes philosophiques Traduction et préface de Paul Petit Seuil, 192 p., 12 F Rééd ition . Mélanie Klein Essais de psychanalyse tra.d de l'anglais par Introduction de E. Jones Marguerite Derrida Préface à l'édition française par N. Abraham et M, Toro k Payot , 452 p., 35 F Une des grandes. figures de la psychanalyse après Freud . louis lavelle Panorama des doctrines philosoghiques Albin Michel. 232 p., 13,88 F les chroniques parues dans « le Temps entre 1930 et 1942. Jacques Rueff Les fondements philosophiques des systèmes économiques Textes de J. Rueff et essais rédigés en son honneur. Payot, 523 p., 35 F Hommage à Jacques Rueff à l'occasion de son 70' anniversaire.

PO L ITIQ UE ÉC ONOM IE Philippe Bauchard Bilan de la V' République L'économie au service du pouvoir Ca lmann-lévy, 296 p., 11,40 F l e gaull isme et l'évolution industrielle et soci ale . Gaston Bouthoul Avoir la paix Grasset, 256 p., 15 F Analyse, histoire, organisation et perpectives de la paix. Jacques Charpent reau Pour une politique culturelle Editions Ouvrières, 232 p., 11 ,10 F Difficultés, réussites et perspectives de l'action culturelle. Maurice Duverger La démocratie sans le peuple Seuil, 256 p., 15 F La conjonction traditi onnelle des modérés de droite et de gauche et les perspectives de la démocratie. Hans Magnus Enzensberger Politique et crime (neuf études) t rad. de l 'allemand par Lily Jumel Gallimard, 344 p., 18 F


il..,.. Le lien indissoluble entre la politique et le crime. Claude Faillat Le Gaulle joue et gagne Tome Il : Echiquier d'Alger Lattont, 416 p., 18,55 F Alger : 11 novembre 1942-12 août 1944. Leo Hamon La stratégie contre la guerre Grasset, 320 p., 20 F Les grandes mutations de la stratégie jusqu'à la révolution nucléaire. Michel Philipponneau La gauche et les régions Cal mann-Lévy, 256 p., 10,80 F La démocratie régionale opposée à la centralisation gaulliste. Jean Plumyène Raymond Las ierra Le complexe de gauche Flammarion, 204 p., 9,50 F Ce baladin du monde occidental : l'homme de gauche. Arthur M. Schlesinger Un héritage amer : le Vietnam trad . de l'américain par Roland Mehl Denoël, 256 p., 12,35 F Par l'aut eur des « 1.000 jours de Kennedy •. Michel Tatu Le pouvoir en U.R.S.S. de Khrouchtchev à la direction collective Grasset, 608 p., 35 F Le passé r écent et les perspectives actuelles. François-Henri de Virieu La f in d'une agriculture Calmann-Lévy , 296 p., 11,40 F Le gaullisme et les problèmes de l'agriculture . Pierre Uri Pour gouverner Lattont, 288 p., 10 F Le programme de la gauche vu par un membre du contregouvernement.

Léon Poliakov Les banquiers juifs et le Saint-Siège du XIII' au XVIII' siècle Cal mann-Lévy 312 p., 18,80 F Le développement du commerce de l'argent en Italie, ses techniques et son déclin . Georges Tessier Charlemagne Albin Michel, 448 p., 24,68 F L'homme, le souverain et sa légende.

Jean-Paul Ollivier Quand fera-t-il jour, camarade? Lattont, 392 p., 20 ,10 F La révoluti on d'octobre. Ke nneth Pendar Alger 1942 trad. de l'angla is par Jean Bourdi er Table Ronde, 352 p., 25 ,70 F Le débarquement de de Gaull e vu par un diplomate américain. La Quinzaine

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Louis Merlin France, ton passé f ... le camp et ton avenir aussi Planète, 272 p., 16,45 F La France , 33 ans avant l'an 2000. André Ribaud et Moisan La cour, t. III : Le règne Julliard, 224 p., 20 F Les chroniques du • Canard Enchainé •

Milton Viorst Les alliés ennemis de Gaulle-Roosevelt trad. de l'américain Denoël, 360 p., 19,55 F Les démêlés de de Gaulle avec la Maison-Blanche de 1940 à la Libération.

POCHE

Robert M. Grant L'interprétation de la Bible des origines chrétiennes à nos jours trad. de l'anglais par J.-H . Marrou Seuil, 192 p., 15 F Des conceptions de l'Eglise primitive aux courants de pensée contemporains.

Jean Bommart Le poisson chinois Livre de Poche

Henri de Lubac L'Ecriture dans la tradition Aubier, 300 p., L'intelligence spirituelle de l'Ecriture Saint e des ori gines à nos jours . Françoise Su r Kie rkegaard Le devenir chrétien Centu rion, 176 p., 9,90 F La préoccupation fo ndamental e du fond at eur de l'ex istentialisme .

.ART Xavier Domingo Erotique de l'Espagne 234 ill. noir et coul. Pauvert, 258 p., 48 F Des Arabes à Salvador Dali.

HUMOUR DIVERS George Conchon Le Canada 1 carte et 4 pl. en coul. Arthaud, 272 p., 38 F.

HISTOIR E Charles Bloch La nuit des longs couteaux Julli ard, 256 p .. 6 F Hitl er et la rév(,:te des prétoriens .

228 p., 15,45 F. Un reportage sur le transfert d'esclaves .

Roger Delorme Yankee-Rit Hachette, 192 p., 8,50 F . Géographie humoristique des Etats-Unis .

Marcel Aymé Uranus Livre de Poche

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Mao Tsé-toung Ed, Charles-Roux S. de Beauvoir J. Maritain K.S. Karol A. Philipe A. Sarrazin P.H. Simon André et Simone Schwarz-Bart 10. J. Cabanis 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9.

Citations Oublier Palerme Les belles images Le paysan de la Garonne La Chine de Mao Les rendez-vous de ' la colline La Traversière Pour un garçon de 20 ans Un plat · de porc aux bananes vertes La bataille de Toulouse

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Alphonse Boudard La métamorphose des cloportes Livre ' de Poche Blaise Cendrars Poésies complètes

1912-1924 Poésie Maurice Dekobra La madone des sleepings Livre de Poche Dostoi evski L'adolescent Livre de Poche Maurice Leb lanc La demoiselle aux yeux verts Livre de Poche Charles Plisnier Meurtres - Tome Il Livre de Poch e

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LES CRITIQU'ES ONT PARLÉ DE D'après les articles publiés dans les principaux quotidiens et hebdomadaires de Paris et de province.

1. André et Simone Schwarz-Bart 2. F .-R. Bastide 3 . R . Phelps 4. H . Michaux . « L'Herne» 5. S. Fasquelle 6. A. Couteaux 7 . P. H . Simon 8. J. Guitton 9. U. Johnson 10 . P. Bourgeade

Un plat de porc aux bananes vertes La Palmeraie Colette Les grande épreuves de l'esprit Numéro Henri Michaux L'air de Venise L 'enfant à femmes Pour un garçon de 20 ans Œuvres complètes L'impossible biographie Les Immortelles

Le Seuil Le Seuil Fayard L'Herne Grasset Julliard Le Seuil Desclée Gallimard Gallimard

Essais François Bloch-Lainé Pour une réforme de l'entreprise Politiaue (Seuil) Réédition André Chandernagor Un parlement, pour quoi faire? Idées Inédit E.-H. Gombrich L'art et son histoire des origines à nos jours Livre de Poche Miche l Euvrard Zola Ed. Universitaires Pi erre Kalfon L'Argent ine Microcos me (Seuil)

Tristan M aya Liliane est au Ivcée Tabl e Ronde, 192 p., 12,35 F. L'expérience de li braire du fondateur des Grands Prix de l'H umou r Noir.

Robert Laf ont La rév olut ion régionalist e Idées Inédit

a u 15 mars 1967.

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Pierre Benoit La dame de l'Ouest Livre de Poche

Pierre Levêque La Sicile P.U.F., 312 p., 28 F.

Robin Maughaum Il y a encore des esclaves Editions Universitaires

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Jean-Louis Leutrat Gracq Ed . Univers ita ires André Phili p Les socialistes Politique (Seu il)

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V. Le Silence et Le Mensonge Un plat de porc aux bananes vertes Les Oncles de Sicile Les Femmes de Messine

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Essais R. Aron

Les étapes de la pensée sociologique Toutankhamon

Ch. DesrochesNoblecourt Cl. Lévi-Strauss Du miel aux cendres Novalis L' E ncyclo pédie P . Viansson-Ponté Les Politiques.

Gallimard Hachette Plon Minuit Calmann.Lévy 31


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Histoire du Parti Communiste de l'Union Soviétique

315 lettres à sa fiancée, à ses disciples, à ses amis.

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Un dossier sur les origines de la psychanalyseun saisissant auto·portrait.

Correspondance avec le Pasteur Pfister Correspondance de Sigmund Freud avec le pasteur Pfister. Le dialogue sans ménagement entre un athée et un chrétien, le médecin d'âmes et le psychanaliste.

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La Révolution romaine De César à Auguste, de la République à l'Empire, une des grandes synthèses depuis Mommsen.

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Une œuvre et un destin jalonnés de rencontres exceptionnelles: Nietsche, Rilke, Freud. Une biographie que l'on peut lire comme un document clinique.

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d'Holbàch, et la philosophie scientifique au XVIIIe siècle La monographie la plus complète sur l'auteur du Système de la nature.

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