La Quinzaine littéraire n°2

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Ulnzalne littéraire

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Le mythe

Kennedy

Numéro 2

1" Avril 1966

par Morgenthau

Une littérature américaine de l'anti-amour. Un happening

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Rostand: Margaret Mead

un surréalisme biologique

Sociologie:

Comment on devient homosexuel. Un sonnet contesté· de Mallarmé.

de

'l·~ '\

LénineparL

Jouve

.Victor Hugo au microscope. Foucault:

les mots et les choses. Maurice Nadeau : le dernier visage de Dri-eu. Apprentissages de Boulez. J . .Sternberg

et Marlène. Socialisme : où va

la Chine ?

Romans du Mexique, du Japon, de l'Allemagne de l'Est,

d'Italie..

Magritte

.Livres de la quinzaine


LETTRES DE NOS LECTEURS

SOMMAIRE

a

LE LIVRE DE LA QUINZAINB

5

ROMANS FRANÇAIS

8 8

9

ROMANS- :éTRANGBRS

10 11

11

HISTOIRB LITT:éRAIRB

18

15

aRUDITION

18

ART

17 18

SOCIOLOGIE

19

PHILOSOPHIE

10

LIVRES POLITIQUES

11

22 28

SCIENCES

24 15 28 27

MUSIQUE

28 29

CIN:éMA PARIS

80

TOUS LBS LIVRBS

TH:lATRE

Théodore C. Sorensen Kennedy Arthur M. Schlesinger Les mille jours de Kennedy Pierre Drieu La Rochelle Mémoires de Dirk Raspe Julien Green André Hardellet Daniel Boulanger Carlos Fuentes Manfred Bieler Johannes Bobrowski Léonardo Sciascia Yukio Mishima Victor Hugo : Journal Boîte aU% lettres Paul Léautaud : Journal Littéraire, T. XIX Pierre-Jean Jouve: Poésie 1. IV. Poésie V. VI. Mallarmé: Poésies Michel Seuphor : Le style et le cri Patrick Waldberg : Magritte Margaret Mead : L'un et r autre sexe Michel Foucault: Les mots et les choses Georges Lukacs : Lénine Charles Bettelheim René Dumont Robert Guillain William Peirce Randel Une interview de Jean Rostand Jean-Louis Boursin: Les structures du hasard Pierre Boulez Igor Stravinsky La littérature de l'anti-amour Joseph von Sternberg Un happening

Cette lettre de M. Robert Chamneury, à Golfe-Juan, résume le grand nomhre de lettres qui nous sont parvenues et qui contiennent encouragements et félicitations. Notre Quinzaine littéraire était attendue, on la dit utile, parfois « indispensa. ble ~. Enfin, nous écrivent cèr· tains correspondants, nous avons notre Times Literary Supplement. Ce n'est pas encore tout à fait vrai. Du moins nos amhitions vont-elles dans cette voie. A côté des félicitations, il y a aussi les regrets et les critiques. Le général Mast, à Paris, se dit « intéressé » et nous félicite de notre « initiative ». Il se déclare toutefois déçu de n'avoir pas trouvé d'article sur un roman qu'il vient de lire et aime entre tous. Evidemment, nous ne pouvions parler, dans un premier numéro, de tous les ouvrages intéressants que nous avons lus. En revanche, peut-être que notre correspondant y a trouvé des articles sur des ouvrages dont il ne connaissait pas l'existence. Qu'il prenne patience. C'est sur plusieurs numéros qu'il aura une vue assez complète croyons-nous, de l'actualité en toutes branches et disciplines.

attendait de lire dans la Quinzaine des « textes » et non du « verbiage critique:.. En fait de « textes », celui de Samuel Beekett aurait eu de quoi le satisfaire. De toute façon ce n'est point notre rôle, les revues' littéraires - il Y en a d'excellentes, bien qu'elles soient peu lues ayant pour destination essentielle de publier des textes. ·Nous en donnerons quand ils nous paraîtront exceptionnels, c'est-à-dire peu souvent. Nous voulons nous consacrer à la lecture et à l'appréciation des livres, signaler ceux qui nous semblent importants, mettre en garde l'acheteur éventuel à l'égard d'autres qui nous paraissent d'un moindre 'intérêt. La Quinzaine peut jouer, de cette façon, un rôle de guide et introduire le lecteur dans des domaines parfois peu fréquentés de la pensée écrite. D'autres critiques nous viennent de libraires qui attendent de La Quinzaine qu'elle leur serve surtout d'instrument d'information. Déjà, avec ce deuxième numéro, un manque est comblé avec la bibliographie de nos dernières pages. Elle comporte les renseignements essentiels sur les livres que nous avons reçus. Ce qui ne nous dispensera pas de revenir, par des articles et des études, sur beaucoup d'entre eux. La présentation de notre journal, son format, sa mise en pages ont reçu des approbations quasi unanimes. Nous en avons fait part à notre directeur artistique, Pierre Bernard, qui nous a dé· claré « ne pas vouloir s'en tenir là ».

D'autres se trompent d'adresse, comme M. Chateau, à Paris, qui

C'est également ce que nous voudrions dire à ceux qui nous font confiance et qui nous l'ont manifesté soit par des lettres soit par des envois d'abonnements : nous espérons ne pas nous en tenir là. L'accueil sympathique réservé à La Quinzaine littéraire nous en fait même un devoir.

François Erval, Maurice Nadeau

Publicité générale: au journal.

Crédits photographiques :

Corueiller, Joseph Breitbach Directeur artiatique Pierre Bernard AdminUtrateur, Jacques Lory

p. p. Un an : 42 F, vingt-trois numéros. p. p. Six mois: 24 F, douze numéros. Etudiants: six mois 20 F. . p. Etranger: p. p. Un an: 50 F. Six mois M F. p. p. Règlement par mandat, p. chèque bancaire, chèque postal p. C.C.P. Paris 15.551.53. ' p. p. p. Directeur de la publication p. François Erval p. p. Copyright La Quinzaine littéraire: p. Paris, 1966. .p.

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z

J'applaudis à votre initiative de tout mon cœur. La France est à peu près le seul pays à ne point posséder une presse littéraire informant le pu· blic de la parution des livres, de façon complète et objective. Je souhaite que vos commentaires et analyses soient succincts, concis, sans aucun privilège. Ça nous changera de la « République des petits copains ». Pour vous témoigner mon approbation, je m'inscris pour un abonnement d'un an...

A.bonnements :

3. Cornell Capa, magnum 4. Bob Henriques, magnum 5. Collection p~rticulière 6. Roger Viollet 8. Robert Doisneau 9. H. Cartier-Bresson 12. Roger Viollet 13. Paris-Match 14. Giraudon 16 Galerie Denise René 17. Galerie 101as 18. Galerie Louise Leiris 21. Agnès V~da 22. Keystone 23. R.H. Noailles 26. Ed. c;lu Seuil 27. Roger Viollet 28. Cinémathèque française 29. M. Franck


LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Le D1ythe Kennedy Théodore C. Sorensen Kennedy. Gallimard éd. A.M. Schlesinger Les mille jours de Kennedy. De.noël, éd. Hans J. Morgenthan est professeur de science politique et d'histoire moderne à l'Université de Chicago. Ii dirige le Centre pour l'étude de la poli. t~que étrangère et de la politiq.ue militaire. Il a bien connu l'ancien président des. Etats· Unis. Il cpnnaît de même ses. deu,x récents biographes américains. D'où l'intérêt de son article à propos d'ouvrages qui, ici aussi, vont faire quel. que btuit. Ma premlere rencontre avec John F. Kennedy, lors d'un han· quet organisé par l'Association ·des Amis du Vietnam, me déconcerta. J'avais tenté de saisir un homme et je n'avais surpris qu'une image qu'y avait-il derrière cette courtoisie, cette aisance, cette distinction, cette précision pre s que mécanique dans le choix du geste, du mot ? A cette question ainsi en a décidé le destin - l'Histoire n'a réussi à répondre qu'en partie. Il y avait certainement quelque chose derrière l'image mais quel nom lui donner? Cela s'appelle la grandeur, répondent Schlesinger et Sorensen et leurs ouvrages peuvent être considérés ·comme des monuments destinés à perpé. tuer cette grandeur.

avait le tour ironique, hadin, des auto-critiques de Stevenson. Ironie vis-à-vis de lui·même qui lui permettait une ohjectivité d'autant plus grande à l'égard des situations auxquelles il avait à faire face. Un jour, lorsqu'il étudia le memorandum de Schlesinger s'opposant. au déharquement de la Baie des Cochons, Kennedy fit remarquer : « Arthur a écrit un memorandum qui ne fera pas mal dans son livre sur ma présidence. », et, àvec cet humour sardonique qui le caractérisait : «Il fera tout de même mieux de ne pas le puhlier de mon vivant. J'ai hien envie de lui suggérer un titre pour son livre : Kennedy, les brèves années ». Et, ajoute Schlesinger, lors de .la paruti.on du premier tome des Mémoires d'Eisenhower, Kennedy lui dit d'un ton sec : « On dirait vraiment qu'Eisenhower était in· faillihle. Quand nous ~crirons no~ mémoires, il faudra nous y pren· dre autrement ».

de la Baie des Cochons, mais hien une véritahle sagesse. L'hostilité ouverte de certains généraux devait nécessairement e n t r a ver l'action de Kennedy. Bien qu'il ne les laissât jamais influencer sa politique, il arriva à une sorte de modus vivendi avec eu.x et réussit même à les amadouer par des concessions secondaires, com· me à la fin de la crise de Cuha, en 1962, ou au moment du traité d'interdiction des expériences

l'intervention de Russel : il n'y avait plus personne. Pris indivi· duellement, ils se montrent pourtant raisonnahles ». On ne peut s'empêcher d'évoquer ·le dicton romain Senatores boni viri, senatus autem mala bestia. Ces deux ouvrages ne font cependant pas la lumière - car, dans un sens, ce n'était .pas leur propos - sur ce que je considère comme les trois grandes faihlesses de Kennedy. Faihlesses qui sont l'envers de ses vertus : une certaine tendance à confondre la rhétorique et l'action, une certaine ahsence de chaleur communicative, et de façon générale le désordre de son administration. Dans une certaine mesure, on peut dire qu'il y avait un véritahIe divorce entre les idées et les actes de Kennedy (ainsi cple je l'ai fait remarquer en janvier 1962 dans c: Commentary ;». Il faisait de la littérature politique d'une haute qualité et non pas, comme un Churchill ou un Roosevelt, de l'action verhalisée, une explica. tion des faits accomplis, ou une estimation des faits à venir. Il n'y avait pas de rapport organique, dans la rhétoriqUe de Kennedy, entre les paroles et les acte.s. Le meilleur exemple est le discours de juillet 1961, au cours duquel Kennedy s'engagea à construire des ahris atomiques en se gardant hien de préciser le hut auquel ils étaient destinés. Il ne resta plus à ses collahorateurs qu'à dégager à partir de là une politique assez judicieuse pour. s'ajuster aux paroles du Président.

La seconde des trois qualités de Kennedy, étroitement liée, du reste, à la première, est son intelligence, une intelligence aiguë, au service d'une ouverture d'esprit, d'une réceptivité peu communes aux idées et aux expériences nouvelles, et d'une nQn moins grande vitalité. Autant de qualités dont manquait cruellement le Département d'Etat à tous les' échelons, ce qui explique l'irrita· tion qu'il provoquait chez Kennedy, ainsi que le montrent les deux ouvrages. La crise dramati· que de Cuha, en 1962, fut à l'origine d'un passionnant houil· lonnement d,'idées, d'opinions, de atomiques. Il était toujours prêt à Il n'y avait pas non plus de projets, de polémiques. Loin reconnaître leur valeur dans la c..e t t e grandeur, cependant, d'échapper à Kennedy, ce mouve- sphère qui leur était propre, c'est· rapport organique .entre les déclarations grandioses de Kennedy en Kennedy l'a-t-il confirmée ou ment intellectuel. pesa sur sa à-dire dans la conduite des opé. matière de politique extérieure, s'est.il contenté de l'assumer? Je décision. Et ce qu'il y a précisé-. rations militaires. « Il est hon comme, par exemple, sur la ne veux pas dire par là qu'il n'y ment d'intéressant dans cette d'avoir des hommes tels que Curt question de Berlin et nos relations avait pas en lui l'étoffe d'un décision, c'est non pas le point LeMay et Arleigh Burke à la tête avec le monde communiste, et grand président et que, si le de savoir si elle était honne ou des troupes une fois qu'on a l'ensemhle de son programme destin lui avait permis de faire mauvaise en soi (j'ai pensé alors, décidé d'y aller », fit·il ohserver ses preuves de façon. plus écla- et je continue à penser aujour- à Hugh Sidey, « mais il est hon politique. Aussi hien, les· thÎ>ses dont il se réclamait dans ses tante, . il n'eût - pa~ . tenu ses d'hui, qu'elle était mauvaise car de ne pas écouter que ces homo différents discours étaient-elles promesses. Je dis seulement que, Kennedy n'était pas allé assez mes·là au moment où on décide souvent incompatihles eJ;ltre elles. pour hrillantes que fussent les loin, ohnuhilé qu'il était par la s'il faut y aller, oui ou non. Je Ainsi, au cours de son voyage promesses, le score final n'est pas tactique à suivre vis-à-vis de suis heureux d'avoir Lemay au triomphal en Allemagne Fédé· concluant. Elles reposaient pour- Khroutchev, ce qui l'empêch.ait commandement de l'aviation. raIe, Kennedy se fit le champion tant sur trois qualités' 'que les de concentrer tous ses efforts sur Tout le monde sait ce qu'il pense. des aspirations nationales du peu· ouvrages de Schlesinger et de la stratégie anti-castriste), mais C'est une honne chose ». pIe allemand. Il parla comme Sorensen mettent pléinement en qu'elle était le fruit d'rtn effort aurait pu le faire un homme évidence. intellectuel collectif de grande Lorsque Kennedy parla de la d'Etat allemand et fut acclamé en qualité et dont l'histoire n'offre crise cubaine aux memhres du conséquence. Sa dé~laration : Avant tout, Kennedy avait . la . certainenientpas h eau cou p Congrès et leur exposa son plan, c: Ich hin ein 'Berliner ~ ne doit . , le Sénateur de la Géorgie,' Russel, vertu de ne pas' se prendre au d'exemples; pas être tenue pour une J:1yper. sérieux. Etre' capahle de prendre s'opposa au hlocus ,et, préconisa hole; elle résumait dans une du recul vis-à-vis de son -personLa grandeur· potentielle de l'invasion ; il était soutenu par le formule frappante son adhésion nage, de ne pas se laisser impres- Kennedy reposait également sur sénateur Fullhright qÙi avait été sans réserve à .la politique allesionner par lui, voilà certes ùn une troisième. qualité que ·)a le seul, parmi les proches conseilmande. trait de grandeur chez un homme conjoncture historique n'a peut- lers de Kennedy, à s'opposer à d'Etat. Voilà qui .lui permet, en être pas hien mise en valeur mais l'invasion en 1961. « L'ennui. ». Mais son discours à l'Université tous cas, de' considérer le monde sur laquelle les ouvrages de Schle- (quand vous mettez ensemble un comme' il est, .saris se· laisser singer et de Sorensen jettent une certain no.mhre de sénateurs)', dit .Américaine ouvrait également de nouvelles perspectives à la' cotrouhIer par ses propres prohlè- pleine lumière.. C'est la faculté . Kennedy à Schlesinger par la mes. Cette vertu, il la partageait qu'il avait de sortir grandi de suite, c'est qu'ils finissent tou. existence pacifique avec l'Union avec deux de nos proch'es contem- l'épreuve, d'en tirer, non seule- jours par être domi~és par celui 1 Soviétique. Le prohlème allemand, porains : Eleanor Roosevelt et A. ment un enseignement ainsi que qui adopte la ligne la plus impru-' cependant, est, et reste, depuis vingt ans, le point névralgique de nous le faisons tous et comme il dente 'et la. plus' rigide.- C'est ce Stevenson. Le détachem'ent de .Kennedy le fit lui-même après la déhâcle qui s'est passé l'autre jour après ~

La Quinzaine littéraire, 1" avm 1966

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• Kennedy

la guerre froide et les Etats-Unis pouvaient difficilement adopter à la fois une position intransigeante sur la question allemande et travailler à la coexistence pacifique. Les deux programmes s'excluaient l'un l'autre et il y avait lieu de choisir. Nul ne le savait mieux que les deux parties en présence mais la rhétorique kennedyenne préférait éluder la question. Et c'est à cause de ce divorce entre les paroles et les actes chez Kennedy qu'il ne réussit jamais à nous atteindre comme le firent un Churchill ou un Roosevelt. Nous étions sensibles à la haute tenue littéraire et intellectuelle de ses discours mais ils n'avaient pas la propriété de nous tirer des larmes ou de galvaniser nos énergies. La seule fois où je sentis poindre en moi quelque chose en écoutant Kennedy, qui ressemblait à l'émotion que je ressens inévitablement qua n d j'écoute, même aujourd'hui, les enregistrements des discours de Roosevelt ou de Churchill, ce fut lors de son discours sur la médecine obligatoire au Madison Square Garden. Enfin, les incohérences de la gestion de Kennedy découlent directement de cette curiosité, de cette vigueur, de cette inquiétude intellectuelles qui le caractérisaient. L'équipe de Kennedy brillait pourtant par une extraordinaire clairvoyance et une activité débordante dont les réalisations concrètes qu'elle nous a laissées ne peuvent donner qu'une faible idée. Ces mêmes qualités intellectuelles restreignaient et sa capacité et sa volonté d'action. Kennedy prouva à maintes reprises qu'il avait une haute connaissance des problèmes mais ou bien cette connaissance n'avait aucune incidence sur son action, ou bien elle le menait droit à l'inefficacité. Ainsi, il était on ne peut plus conscient du rôle de l'Armée dans la vie politique. Cependant, au moment de la crise de Cuba, il maintint ses positions, sur la question des raids aériens tout au moins, et ne fit que des concessions secondaires au moment du traité sur l'interdiction des expériences nucléaires. Ce qui ne l'empêcha pas, même après l'affaire de la Baie des Cochons où il laissa pourtant des plumes, d'accepter les conseils constamment faux - de ces militaires en ce qui concernait la situation au Vietnam et d'en faire dépendre, quoique à contre-cœur, ses décisions ultérieures. Il n'était nullement convaincu des mérites de la Force Multilatérale. Il permit cependant que ce plan baroque devînt le fondement de notre politique européenne. Il était pleinement' conscient des faiblesses du Département d' E t a t. Jusqu'au bout de son mandat, cependant, il ne chercha guère à y remédier. Il s'engagea, dans ses 4

discours, à de grandes innovations en matière d~ droit civique et de politique sociale. Il laissa, cepcndant, à son successeur, le soin de faire entrer les réformes promises dans les statuts. Ce qui frappe, dans le gouvernement de Kennedy, c'est donc bien la disproportion entre son intelligence de la situation et les résultats obtenus. Le livre de Schlesinger revient souvent et avec brio sur le renouveau intellectuel dont Kennedy a été le promoteur. Mais si l'on étudie les faits, on s'aperçoit que ce renouveau n'a rien apporté de sensible si ce n'est un changement dans le climat intellectuel. Au bout du compte, si. Kennedy nous fit beaucoup rêver à la terre promise, il ne lui a donné aucun commencement de réalité. On peut difficilement attendre de tels ouvrages qu'ils s'appesantissent sur les faiblesses du héros qu'ils exaltent. Les monuments présentent une image simplifiée du modèle et ne reûennent que sa grandeur. Bien entendu, il faut pour cela qu'ils arrivent à nous convaincre des qualités positives de ce héros. De ce point de vue, l'ouvrage de Schlesinger est supérieur à celui de Sorensen. On peut même dire qu'il est excellent et on pardonne aisément à l'ami de longue date qu'était Schiesinger d'avoir fait le panégyrique de son chef. Etayée par une haute intelligence, un immense savoir et un excellent jugement politique, l'analyse que fait Schlesinger de la gestion de Kennedy est même un modèle du genre et ne sera pas .dépassée avant longtemps. Ses portraits de Rusk, Harriman, et Bowles - pour ne citer que ces

trois-là que je connais personnellement et dont je .peux donc garantir l'exactitude - sont non seulement tracés avec brio, mais pénétrants et justes. L'ouvrage de Schlesinger n'est pas seulement une étude historie que de première qualité, mais aussi un document humain qui nous émeut par sa noblesse, par la mélancolie, la tendresse qui s'en dégagent, par la sympathie que nous inspire nécessairement le héros et aussi par des qualités de style. Schlesinger a manifestement un point de vue et c'est dans l'ordre; tout historien qui se targue d'être plus qu'un chroniqueur ou un archéologue dispose d'un point de vue. Et c'est le vice majeur du livre de Sorensen d'affecter de n'en pas avoir. Sorensen laisse les faits parler par eux-mêmes. Mais c'est une propriété' des faits de rester muets quand on ne les fait pas passer par le creuset d'une intelligence perspicace qui distingue ce qui est important de ce qui ne l'est pas, et qui impose, à la masse informe des faits, une hiérarchie. Le livre de Sorensen est· à la fois informe et pédant. L'index établit, par exemple, une liste de rubriques qui vont de Kennedy et la boisson à Kennedy et f automobile, en passant par Kennedy et le jeu, Kennedy et les préjugés, Kennedy et les cigarettes, Kennedy et le football, Kennedy et le GotlUt. Quant à la signification profonde de tout cela, elle nous échappe et le livre nous apparaît comme un agglomérat assez indigeste de matériaux à l'état brut. Sorensen se considère comme un chroniqueur et non comme un historien. Le résultat est que son livre peut être

recommandé comme un remède efficace pour les cas d'insomnie grave. Il est pourtant difficile de se passer complètement d'un point de vue et même Sorensen se laisse p:ufois aller à dire des choses riches de signification. A propos de la décision prise par Kennedy de ne pas envoyer de troupes de combat au Vietnam, Sorensen dit ceci : Kennedy n'a jamais pris de décision formelle au sujet de ces troupes. Mais dans le plus pur style kennedyen, il s'arrangea pour ne donner aucune prise aux partisans de fintervention. Il donna f ordre à ses services de se tenir prêts pour mettre ces trollpes en place dans le cas où leur intervention se révélerait nécessaire. Il ne cessa d'augmenter fimportance de fassistance militaire : 2.000 hommes à la fin de 1961, 15.500 à la fin de 1963. De telles notations éclairent non seulement le passé, mais aussi le présent. Il est dommage que Sorensen ne se laisse pas aller plus souvent à cette veine-là. Dans la série de conférences qu'il a consacrées à l'élaboration des décisions présidentielles (publiées en 1963 sous le titre : Decision Making in the White House) , il a prouvé qu'il avait de l'intelligence et du style. Harcelé, peut-être, par un éditeur trop pressé, Sorensen a moins écrit un livre que réuni les matériaux pour écrire un livre. On déplore qu'il n'ait pas écrit le livre qu'il aurait pu faire sur Kennedy s'il avait bien voulu s'en donner la peine. Hans ]. Morgenthau © The New York Rewiew of Books.


ROMANS FRANÇAIS

Un nouveau -Drieu Drieu La Rochelle

Mém-oires de Dirk Raspe. Préface de Pierre Andreu. Gallimard éd. Drieu la Rochelle lest tué, le 15 mars 1945, laissant un roman inachevé. Maurice Nadeau nous parle de ce roman où Drieu prend un nouveau mage. On nous avait promis merveille des Chiens de paille. On sait ce qu'il en fut. On nous annonce Mémoires de Dirk Raspe comme « le plus grand roman de Drieu ». Cette fois, il se pourrait que ce soit vrai. On sait assez que Drieu la Rochelle n'était pas romancier. Gilles est manqué, Rêveuse Bourgeoisie laisse le souvenir d'une ennuyeuse histoire de famille. Il excellait dans le récit court Le Feu follet -, les nouvelles - La Comédie de Charleroi - , ou dans certaines allégories: L'Homme à cheval. Il lui a manqué, jusqu'à ces Mémoires, le pouvoir d'animer des personnages qui ne soient pas lui, de bâtir des histoires .sans rapports directs et intimes avec ses propres expériences. On sait aussi que cette faiblesse faisait sa force : le lecteur se laisse facilement convaincre par qui le prend pour confident. Dirk Raspe, c'est encore lui, mais c'est aussi Van Gogh, dont il a voulu écrire la biographie intérieUre et qu'il accompagne dans quelques étapes de sa vie. Non pour mieux éclairer le peintre ou révéler son « secret », plutôt afin de se mesurer à un grand modèle et voir peut-être l'écart qui l'en séparait. Lui aussi a voulu être un artiste, passionnément, et c'est à ce titre qu'il entend passer à la postérité. Il entreprend ce récit quelques mois avant la Libération, alors qu'il pense déjà à se tuer. On ne le dirait guère, à voir son aisance, son naturel, sa sérénité. Après deux tentatives de suicide il se

cache et reprend son roman qu'il mène parallèlement à Récit- secret. Le 15 mars 1945 il laisse en guise d'adieu ce manuscrit inachevé sur lequel il prend soin de noter que « manquent trois parties », qui ne seront jamais rédigées. En fait, il n'y travaillait plus depuis plusieurs mois, c dégoûté de Dirk et de moi-même dans Dirk et de Dirk dans moi-même ». On dirait que son roman l'a détourné de tâches plus graves à accomplir avant de mourir, que l'écriture, à laquelle il s'accrochait encore comme à une ancre de salut a perdu pour lui son efficacité. Ce qui l'a attiré chez Van Gogh c'est moins la fin tragique qu'ils ont tous deux choisie que le destin d'un artiste affronté à une société qui le méconnaît et le rejette, les visions qu'une existence singulière, une peinture plus singulière encore manifestent, et qui s'achèvent dans une folie triomphante où Van Gogh se consume. Dans la situation où se trouve Drieu, une certaine parenté s'institue qui va jusqu'à la fraternité admirative. Elle le porte assez haut pour qu'il tente de résoudre une des questions qui l'ont hanté : celle des rapports de l'art avec la vie. A quelles conditions l'art est-il plus que la vie ? La biographie de Van Gogh lui sert de canevas, sur lequel il brode à partir des études consacrées au peintre - on regrette qu'il n'ait pu connaître le Van Gogh d'Antonin Artaud - à partir également de la correspondance avec Théo. De toute façon Dirk Raspe n'est pas Van Gogh. Il n'est pas non plus Drieu. Tenant de l'un et de l'autre, il se trouve doué d'une existence à lui, avec ses joies, ses expériences, ses crises d'orgueil et de timidité, sa - sauvagerie, ses amertumes. Ses aventures, à Londres, en Wallonie ou à La Haye, là où fut Van Gogh, relèvent en grande partie de l'imagination du romancier qui n'a jamais été si maître de ses moyens, si varié, si profond. L'auteur attachant, mais

Drieu La Rochelle

si décevant aussi parfois qu'était Drieu, a donné toute sa mesure dans cette œuvre ultime, la plus méditée, la plus grave de celles qu'il ait écrites. Si les problèmes qui l'ont agité toute sa vie ne trouvent pas ici leur solution, du moins les pose-til dans leur ampleur et en s'efforçant de les éclairer. Il veut savoir pourquoi la pauvreté n'est pas seulement une affaire de niveau de vie et pour quelles raisons tout est retiré aux pauvres, y compris « l'esprit ». Quelle force atavique pousse Dirk Raspe, qui a connu les misères londoniennes, à se faire évangéliste au cœur du pays minier, en Wallonie? Pourquoi lui faut-il forcer les cœurs qui se refusent et qui résistent à toute volonté d'effraction, caparaçonnés qu'ils sont par la misère, la méfiance, la haine ? Voici le plus déjeté des êtres, c la fille Tristesse », que Dirk tire du ruisseau pour en faire sa compagne. C'est elle qui le méprise. Comme la sylphide Evelyn qui lui a préféré un peintre mondain pédéraste. Comme la jeune veuve confite en conformisme que sa sauvagerie

effraie. Dirk porte une tare en effet : celle de l'art, que les plus démunis tiennent pour un plaisir d'esthète, bon pour les nantis ou leurs amuseurs, et que les bourgeois - parmi eux, les peintres arrivés - taxent de folie tant que cette folie n'est pas officiellement reconnue et productrice de profit ou de considération sociale. Dirk Raspe doit aller au devant de toutes les rebuffades, encourir tous les mépris, partager toutes les souffrances, trouver la beauté dans la laideur et l'amour dans la haine, pour que sa peinture excède l'art et pour que l'art soit plus que la vie. Loin de s'enfermer en son génie et de prendre par lui une idéale revanche, il fait de sa peinture l'expression d'une vérité durement gagnée qui n'est pas réponse orgueilleuse à la vie, mais recherche nouvelle et questionnement incessant. L'auteur abandon. ne son héros à mi-route, alors qu'est encore long le chemin qui passe par Arles et Auvers avant de conduire au suicide. C'est pour le rejoindre au terme du voyage. Drieu ne mène pas ce débat à ~

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ROMANS

JEAN BLOCH-MICHEL : Froslnla PIERRE DRIEU LA ROCHELLE: Mémoires de Dirk Raspe JULES RAVELIN: Le reste est pour les yeux YVES VEQUAUD : Le pelillivre avalé JEAN-MARIE LE CLEZIO : Le déluge SCIENCES HUMAINES

ELIAS CANETTI: Masse et puissance ERNESTO DE MARTINO : La terre du remords MICHEL FOUCAULT : Les mots et les choses

LITTERATURE ETRANGERE

HISTOIRE

ZOÉ OLDENBOURG: Catherine de J. M. ARGUEDAS : Les fleuves pro- Russie J.H. ROY ET S. DEVIOSSE: La Bafonds taille de Poillers PETER FAECKE : Une nuit de feu EDWARD GRIERSON : L'affaire MasPOESIE singham ARAGON : Elegie à Pablo Neruda LEONID LEONOV: La forêt russe ANDRE FRENAUD : L'Etape dans la clairière ESSAIS OCTAVIO PAZ: Liberté sur parole IWASKIEWICZ : Chopin THEATRE ARMAND SALACROU : Impromptu ARMAND SALACROU : Théâtre VIII délibéré (Une femme trop honnête. BouleLEON-PAUL FARGUE : Refuges RAYMOND QUENEAU: Une histoire vard Durand. Comme les chardons..•) Cahiers Paul Claudel. tome VI modèle

COLLECTIONS DE POCHE

Idées CARMICHAEL: Histoire de la révolution russe HENRI LEFEBVRE : Le langage et la société JACQUES MADAULE : Histoire de France. tome Il Idées·Art HEINRICH WOLFFLIN : Principes .fondamentaûi de "l'histoire de 1art

Poés.e

PAUL ELUARD: Capitale de la douleur . FEDERICO GARCIA LORCA: Poésies

1922-1927

MALLARME : Poésies 5


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Un nouveau Drieu

la façon d'un pédant ou d'un critique. Il montre, évoque, anime, et ce sont de vrais drames qu'il monte: pittoresques, touchants ou qui se transforment en tragédies. Du sein de la famille anglaise où Dirk, adolescent, passe ses vacances, émerge une figure de pastc:ur sympathiquement distrait parce que revenu de beaucoup de poursuites vaines où les autres s'épuisent, tandis que deux de ses fils incarnent la querelle dont la conscience de Dirk est le siège : est-ce la souffrance des hommes qui importe d'abord et avant tout, ou est-ce l'art, pour qui se sent artiste? Le Mr Mack, marchand de tableaux chez qui Dirk est employé et qui -lui apprend à distinguer la « mauvaise ~onne peinture » de la « bonne mauvaise peinture », la Mrs Pollock qui le loge et dont le « nu assez magnifique était la cage de la pie la plus assourdissante », Evelyn, sa fille, dont il tombe amoureux, la prostituée londonienne qui regimbe sous l'insulte quand Dirk lui demande de poser pour lui, autant de personnages mystérieux dans les ressorts qui les font mouvoir et que ne suffit pas à définir leur occupation, ou leur caractère. Si Dirk les voyait seulement en peintre il se bornerait aux apparences. Le romancier veut lui faire percer des secrets qui n'en resteront pas moins des secrets. C'est à ce prix que sa peinture sera autre chose que des « couleurs en un certain ordre assemblées ». C'est à ce prix, également, que le roman existe. Dans l'épisode wallon où Dirk, évangéliste, tente de réconcilier a:vec elle-même une pauvre femme qui trompe son brave homme de mari, dans les épisodes du pays de Dunthe ou de La Haye, parmi les proetituées les plus déchues, et qui le savent, Drieu se meut avec un naturel, une juste8lle de démarche, une sympathie respectueuse qu'on était loin d'attendre. Il a laissé toute coquetterie à la porte et il ne se fait pas fort de paraître brillant, ou intelligent. Finies les

parades et foin de la galerie. Pour 'peindre la misère intellectuelle et morale il suffit peut-être de la vivre à la façon d'un homme qui va se tuer. La mort dont on va se faire cadeau donne de l'acuité au regard. Sans doute est-il porté par son modèle et s'identifie-t-il à lui. On a du mal à penser qu'il endosse un nouveau rôle, le dernier, et qui le flatte. S'est-il d'ailleurs jamais flatté cet homme qui a passé son temps à se déchirer en public et toujours pris le parti des autres contre lui? Avec Dirk Raspe, il se donne à la fois. sa punition et sa récompense. Il a été, il est un artiste, et il importe peu de ce point .de vue que son œuvre n'ait pas été à la hauteur de ses ambitions. Il sait aussi que sa vie est un échec. Il a joué sur les deux tableaux et il a perdu ses mises pour n'avoir découvert que trop tard le lieu abyssal où art et vie prennent ensemble leur source, là où s'est efforcé d'atteindre Van Gogh. Du moins a-t-il vu ce lieu qu'il désigne du doigt. C'est assez pour cette vie; Le roman se termine sur une interrogation désabusée, alors que Dirk va entreprendre de raconter une nouvelle entrevue avec la jeune veuve qui le repousse : « mais à quoi bon raconter une rencontre nouvelle avec le néant? ». Cet « à quoi bon » est celui de l'auteur. Il aura eu néanmoins le temps, la force et le courage, dans cette œuvre ultime, de donner la parole au moraliste amer qu'il abritait, à l'observateur sans complaisance des autres et de lui-même, au misogyne qu'en fin ·de compte il était, au philosophe serein qu'il entendait devenir, à l'artiste que grandit son projet. Tous ces personnages rassemblés. obéissent pour une fois à celui qui tient la plume et tiré d'eux le meilleur qu'ils ont à donner. Accordés, ils lui composent un nOllveau visage qu'on 'se plma désormais à évoquer. Maurice NtJ(leau

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MARCEL BRIDN de l'Académie Française

de l'autre côté de la lorêt roman

les jeux de l'Amour et de la Mort

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Le jeune homme Green

Julien Green Partir avant le jour. 1963. Mille chemins ouverts. 1964. Terre lointaine. 1966. Grasset éd. D'autres ont dit ou diront le « charme» des trois volumes où Julien Green, en trois ans, vient de raconter son enfance et son adolescence. Pour nous, une autobiographie n'est intéressante que si elle permet d'avancer dans la connaissance du cœur humain. Qu'on prenne du plaisir à voir évoqués le .Passy de 1900 ou la Virginie de 1920, peut-être; mais ce n'est qu'un plaisir subalterne et, si l'on s'y bornait, on réduirait l'autobiographie de Julien Green au divertissement mineur d'un écrivain désœuvré. Or, elle est tout autre chose que cela: elle est un document de premier ordre sur une des aventures encore à demi énigmatiques où se trouve engagé maint jeune homme. Comment devienton homo8exuel? Cette question, à laquelle Proust n'a pas répondu, à· laquelle Gide a répondu de la manière que l'on sait, Green à son tour la pose. avec franchise. Le jour n'est pas loin où le parallèle entre Si le grain ne -meurt et leI! troÎs volumes de Green sera classique. Tout distingue les deux hommes: autant Gidë aiguise son intelligence pour comprendre ce qui lui arriva, autant Green s'efforce de maintenir d~ le. flou ce qu'il· présente comme des révélations 'successives, comme des éblouissements.

Le grand paradoxe de son autobiographie, c'est d'ailleurs qu'il cherche à soustraire sa jeunesse, et le problème qui l'a hantée, à l'investigation du psychologue. Julien Green ne pense certaine,ment p.as que cette trilogie soit une contribution à l'étude scientifique de l'homosexualité. Il est même sûr du contraire, et il dé-

nierait volontiers aux psychologues le droit de tirer parti de ses livres. Pour lui, la cause 'du tourment dont il avoue avoir tant souffert, on ne doit pas la chercher dans son' éducation, dans ses rapports au père et à la mère. Non, aux yeux de Green, ce tourment serait né sans causes, comme par enchantement. On n'avait jamais exposé si limpidement une conception magique de l'homosexualité. Il a suffi au petit Julien de regarder les illustrations de L'Enfer par Gustave Doré pour ressentir tout à la fois la fascination et l'horreur de la nudité virile. La tête d'un des ignudi de la Sixtine eut un effet foudroyant. Le petit garçon - il avait treize ans - la recopia dans son album. «Avec une application dévorante, je portai ce visage sur la feuille de papier blanc crème Slins savoir que je l'installais en: moi du même coup, à tout jamais.» Les camarades de lycée firent le reste : agacés par la candeur incroyable et l'orgueil puritain du jeune homme, ils le séduisirent dans un train de banlieue et achevèrent ainsi de fixer son érotisme dans la direction maudite. A croire Green, donc, tout lui serait arrivé du dehors. Il multiplie 'les formules du genre de: «je ne comprenais pas », «je ne savais pas ce qui m'arrivait », «tout m'était obscur ». L'homosexualité est présentée comme un destin, quelque chose qui vous tombe d'en haut. Loin de résulter d'une histoire entre parents et enfant, elle échappe à toutes les déterminations psychologiques. Les parents furent parfaits, la mère douce et pieuse, le père bon et libéral, les cinq sœurs si merveilleuses d'affection. Or - nous revenons au paradoxe - en même temps que Julien Green essaye de nous inculquer sa conception magique de l'homosexualité, il nous fournit


CODlDlent on devient hODlosexuel toutes les preuves d'une explication par la psychologie. Le père était irréprochable mais toujours absent, les sœurs trop nombreuses et trop aimantes, la mère, surtout, si charmante et bien intentionnée qu'elle fût, dispensa à son fils une éducation aberrante, ni plus ni moins que la mère masculine et despotique de Gide au petit André. Madame Green menaça son fils, quand il avait cinq ans, de la castration (l'li cut it off, lui cria-t-elle, armée d'un couteau à pain - on sait que le même cauchemar pesa sur l'enfance d'André Gide). Quand il avait dix ans, et qu'elle le baignait, elle lui désignait avec horreur certaine partie «très précise ~ de son corps. Enfin, quand il eut quatorze ans, elle lui révéla, juste avant de mourir, qu'elle avait eu un frère très heau, très aimé, mort (de syphilis) à cause d'une femme, et qu'il fallait se garder des femmes comme de la mort. Ici encore, on songe à Gide, découvrant le plaisir à Biskra avec la jeune Meriem mais repoussé vers les petits Arabes par l'irruption traumatisante de sa mère.

Mère et fUs

L'enfance de Julien Green illustre avec l'évidence d'un paradigme comment l'image qui reste de la mère oriente la destiné~ sexuelle du fils. L'interdit lancé sur le corps, la condamnation de tout ce qui touche au sexe, le culte idolâtrique de la «pureté:t, la mise en garde contre les maladies vénériennes, la désignation des femmes comme l'ennemi mortel: en faut-il plus pour rendre un jeune homme misogyne et le rejeter à la fois vers l'amour des garçons et vers une exaltation religieuse qui déguise de mille noms cet amour pour en masquer à la conscience la véritable nature?

Reste à savoir pourquoi Green essaye de mettre sur le compte d'une fascination magique ce qui relève d'une pédagogie désastreuse. Pour disculper sa mère (dont il voudrait nous faire croire qu'elle n'était pas puritaine!) ? Pour se disculper lui-même, en laissant entendre qu'on n'est pas responsable d'un charme jeté par le sort? Surtout, me semble-t-il, à cause du caractère singulier que prit sa vie sexuelle, de six à vingtdeux ans. Il y avait une apparence de magie dans les manifestations de ses instincts, et Green, qui se vante d'avoir ignoré Freud, ne peut pas savoir à quel point ce qu'il nous livre de lui est conforme aux enseignements de la psychologie la plus moderne.

Refus de aomprendre La sexualité de l'enfant, puis de l'adolescent, ne cessa d'être intermittente. Eveillée brutalement par la vue d'un dessin, ou d'un corps, ou par les révélations d'un camarade, elle se rendormait ensuite pour plusieurs années quelquefois, et ce qui avait été vécu dans les transes de l'émoi le plus vif retombait dans l'oubli. Green a décrit là, avec beaucoup de justesse, ce qu'on connaît sous le nom de périodes de latence. Et dans les élans religieux qui, selon· lui, profitaient de ces pauses pour envahir l'âme du jeune homme, comment ne pas reconnaître l'occulte travail de la· sublimation ? En second lieu, cette sexualité resta longtemps obscure à l'esprit de celui qui en entendait les appels. Le jeune ambulancier de la guerre de 14, le jeune étudiant de Charlottesville, Virginie, pouvait tomber éperdument amoureux, ici d'un camarade, là d'un soldat, sans se rendre compte qu'il s'agissait d'amour. Combien de garçons se sont aiDlli consumés

de désirs homosexuels sans être conscients de la nature de leurs penchants? Evidemment, Green eût avancé plus vite dans la compréhension de lui-même s'il avait accepté de lire Havelock Ellis qu'un étudiant lui prêta ou, à plus forte raison, Freud. Mais il ne voulait pas se comprendre lui-même, nous verrons dans un instant pourquoi. Enfin, l'inversion du jeune homme resta constamment platonique, voire cérébrale. Terre lointaine est le beau récit de l'amour très étrange qui lia Julien à son condisciple Mark. Sans lui avoir une seule fois adressé la parole, et persuadé de ne compter en rien à ses yeux, Julien se contenta pendant plusieurs mois, pendant plusieurs années, de rôder nuitamment devant la porte de Mark. Il trouva un jour le courage d'entrer chez lui, mais jamais celui de lui avouer sa flamme. Bref, Green adolescent ne chercha point à réaliser ses désirs, il passa à travers eux en somnambule, comme à travers des nappes de feu successives qui le brûlaient sans qu'il sût comment ni pourquoi. Son inversion, il la vécut comme une impossibilité. Les visages, les corps qui le séduisaient, tel ce marin de blanc vêtu rencontré dans la nuit à Savannah, tel ce Mark brun aux joues roses, il les maintint à distance, dans une zone d'horreur sacrée où ils glissaient en fantômes.

Le visionnaire

Mais cette insistance à ne pas comprendre, cette obstination à ne pas vivre ses passions, pourquoi? Eh bien, il n'y allait de rien de moins que de son œuvre future. L'amant qui s'ignore tel, l'homme assailli d'une ardente mais chaste convoitise, le damné qui traîne son tourment sans en

connaître la nature : sous une forme ou sous une autre, il reparaîtra dans les romans de Green. Il sera soit le visionnaire, soit le voyageur sur la terre, soit le rêveur éveillé, ou celui qui retient son souffle derrière une porte close, ou enfin le criminel, qui assouvit dans le meurtre une faim sexuelle inavouée. Derrière chaque héros de Green, on peut retrouver l'étudiant de Virginie, derrière chacune de ses histoires, l'histoire transposée de cet amour silencieux, hallucinatoire et torturant pour Mark.

Virginité et érotomanie

Le mystère qui est au cœur des romans de Julien Green n'a pas d'autre origine que l'ingénuité avec laquelle il sut se masquer à lui-même le sens de .ses passions juvéniles. Ingénuité qui tient du miracle, comme il le fait observer cent fois, et que pour rien au monde il n'eût changé contre le regard froid du psychologue. De là à conclure à de la complaisance, voire à de la tartuferie, il n'y a qu'un pas à franchir, et de nombreux lecteurs n'y manqueront· point, agacés par le mélange de virginité et d'érotomanie, de pratiques religieuses et de rêveries charnelles. Qu'ils ne perdent pas de vue l'intérêt principal de cette autobiographie. Le premier volume, Partir avant le jour, restera comme un récit classique de la genèse d'une homosexualité. Aux deux autres, Mille chemins ouverts et Terre lointaine, on se référera pour une meilleure compréhension de l'œuvre romanesque. Terre lointaine, enfin, à notre époque où les amants des trois sexes mènent tambour battant leurs conquêtes, est un dépaysement a s s e z merveilleux au royaume oublié des secrets et des interdits.

Dominique

Fernande~

LA MAISON DE RENDEZ-VOUS ROBBE-GRILLET ". 25- mille

La Quinzaine littéraire, lU avril 1966

éditions de minuit 7


ROMANS FRANÇAIS

André Hardellet Le Seuil du jardin. Roman, réimpression. J.-J. Pauvert éd. Les Chasseurs. J.-J. Pauvert éd. André Hardellet est l'homme des seuils et des margelle8. Son dernier roman, aujourd'hui réédité, portait le titre d'un tableau, Le Seuil du jardin - où Stève Masson, héros du livre, avait su transporter l'essentiel d'un rêve, dont finsistance à se reproduire lui semblait un avertissement. Rien d'autre, dan8 ce rêve, que l'approche d'un jardin à l'abandon. Mais autour du jardin, une attente, un espoir inten8e8 - et, peu avant la fin du rêve, ce sommet dans la joie: Ma8son avait pas8é la porte 8an8 le savoir, il était attendu. Une paix, un bonheur sans équivalent existaient de ce côté-là. Quelques-un8, devant la peinture de Stève Masson, ne doutaient pas de cette forte exi8tence, et c'est elle qu'il8 contemplaient, debout, muets, eux-mêmes au seuil du tableau. Dans cette pension Temporel où vit le peintre, un voi8in amateur de Beaujolais et spécialiste en soldat8 de _plomb l'invite un soir à fêter l'achèvement de 80n propre chef-d'œuvre: la minutieu8e reproduction d'un combat de 1870. Il arrive que le8 801dat8 de plomb rassemblés par la patience d'un vieil arti8an dan8 une 8tratégie en forme de bataille de Rézonville, subitement dévoilés, révèlent autre chose qu'un moment de guerre arrêté tout à coup le poids du corp8 porté en avant, dan8 le mouvement 8U8pendu de l'attaque. Il arrive que le halo rose et doré de8 bougies de Noël, avec l'odeur même du sapin d'autrefois s'en vienne soudain - au delà de toute mémoire, jusqu'à recréer l'enfance ellemême, dans son goût de nouveauté. Masson, encore une fois, a passé sans le savoir la porte ùu jardin. Mais veut-il, un autre jour, retrouver l'émotion de cette surpri8e qui l'a d'abord émerveillé? Les soldats de Rézonville ne le transportent plu8. Il n'est même pas près du seuil. Rien ne 8e pa88e. Masson ne connaît pa8 son propre chemin vers ce qui lui importe le plu8. Et tout le roman p08e la question de 8avoir si l'on peut espérer des méthodes rnres pour franchir volontairement le seuil bienheureux qui 8e donne de loin en loin. Car ce n'est pas une griserie ni une vague béatitude, ce jardin abandonné, au fond de chacun. C'est une réalité objective qui «double » pour ainsi dire tous les êtres, et dit Stève Masson, je crois seulement à cette réalité-là. Avec Les Chasseurs, André Hardellet, abandonnant la fiction romanesque, poursuit plus que 8

jamai8, et au plus près, cette réalité. Son trè8 petit livre - une centaine de pages étroites, illustrées d'après de8 image8 d'Epinal - n'est pas ce qu'il faut pour le8 champions de lecture accélérée. Au contraire. Ces texte8 brefs, en prose ou en vers, occupant peu d'espace, exigent une luxueuse durée. Chacun d'eux ouvre un puits. Qu'est-ce qu'un puits? André Hardellet le sait - en g-ros - et le dit:

Puits. Quand il se pencha sur la margelle tiède, il reçut fhiver, le lierre et la profondeur en pleine figure. Ainsi faut-il, aux margelles des- mots, prendre le temps de se pencher. Faute de quoi, bien sûr, le livre sera mince. On peut le comparer, en cela, il me semble, à un guide touristique : il faut faire le voyage avec lui. Ou bien peut-être nous ne verrons là que du très joli français - sans savoir que cette langue, ci8elée comme bijou (et Ile me dit-on pas qu'à ses moments perdus André Hardellet est orfèvre ?) a une autre fonction, qui requiert, pour l'efficace, un peu de notre accord, et même un brin de perspicacité. Car le bijou est en forme de clé. C'e8t peut-être la clé seulement d'une boîte à musique? La « méthode :), que l'auteur rêvait d'abord 8cientifique - pour fran-

André Hardellet

chir le seuil du jardin - devient ici plus intime et plus familière, artisanale, empirique, et son ambition n'y perd rien. N'ayant plus d'e8poir en l'avenir de8 machines à hypnose, André Hardellet porte un regard attentif (jusqu'à -être soupçonneux) sur ce que nous savons le mieux : il y trouve souvent la présence du secret. CadetRousselle est très suspect. L'ami Pierrot cache aU8si quelque chose

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et l'auteur dit sa perplexité rune des plus énigmatiques chansons jamais écrites : SUT

Va chez la voisine je crois qu'elle y est... Une plume qui manque, une chandelle morte et un feu assoupi ne sont guère faits pour éclaircir la situation entre les trois saltimbanques nocturnes: le blanc, la brune et le bariolé. ... Ils doivent en savoir, tous trois, beaucoup plus long qu'ils n'en disent. C'est peut-être le fin mot? Nous en savons tous beaucoup plus que nous n'en di80n8. Nous faisons, pour vivre, un peu semblant d'être bêtes: André Hardellet nous le rappelle opportunément. Il franchit souvent dans un sens et dans l'autre, ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible, dont Gérard de Nerval (qu'il invoque volontiers) avoue, dès les premiers mots d'Aurélia qu'il n'a pu les percer san8 frémir. Il y a chez Hardellet une joie de vivre, une santé, qui font de lui un Nervalien tout à fait jovial. Mais l'es8entiel n'est pas dans la mélancolie - il est dans ce don de franchir et de faire franchir le 8euil du regret. Ce regret, sur moi, c'est comme une teigne... André Hardellet aime passionnément le présent, et encore plu~ passionnément le passé perdu. Son goût de l'être veut tout à la fois: le maintenant et le jadis, le peut-être et le jamais plus. Il n'est pas bruyant, mais il est insatiable. C'est pourquoi il aime tant, peut-être, la double page (36 et 37) où les chiens suivent à jamais un lièvre impossible à rattraper. Vive la chasse et vive le lièvre ! Dans un suspens réconciliateur comparable à celui de la bataille de Rézonville tout conflit provi80irement arrêté - voici la chasse en pleine vitesse, et la guirlande en évidence avec ses emblèmes, ses cors, ses hures, 8es raisins, toutes choses exquises pour ceux dont les gibecières sont plumiers, et les horizons tableaux noin. L'image d'Epinal n'est pas ici l'ornement du texte, le diverti88ement, l'intermède: elle participe à l'entreprise, au même titre que ce « Répertoire ~, où André Har~ellet recense des a880ciations d'imagesprécieusea. Le surréalisme n'est jamai8 loin de ce poète, à qui André Breton écrivait (à propos de son roman)

Vous abordez là, en conquérant, les seules terres vraiment lointaines qui m'intéressent et la reconnaissance que vous y p~us­ sez offre un nouveau ressort à tout ce que je me connais comme raisons de vivre.. JosaFJe Duranteau

Daniel Boulanger Le Chemin des Caracoles. Laffont éd.

Les nouvelles de Daniel Boulanger sentent la giroflée, les grain8 de poussière dansant dans un rayon de soleil et l'eau de violette. Elles sont très courtes. Trois ou quatre pages suffisent pour recréer une ville, une saison, toute une vie même qui s'effrite rapidement tandis que le per80nnage meurt sous nos yeux. Daniel Boulanger ne présente jamais la mort comme une chose effrayante, mais au contraire comme un aboutissement normal, prévu. Un vieil aristocrate, cloîtré comme un hibou, ne peut mourir que dans son vestibule: Le ciel bascula. Le froid du carrelage montait comme une eau. Le cordonnier borgne et son amie tricoteuse meurent « d'un excè8 de nuit », près d'un paravent de laque noire où un oi8eau jette toute la lumière du ciel. Boulanger nous rend à tel point 8es personnages familiers que leur exi8tence a une importance énorme : il8 80nt là, nous les voyons, nous les connaissons depui8 des années et lorsqu'il8 disparaissent notre cœur se 8erre comme devant un rêve qui 8'évanouit. On a comparé Boulanger à Maupa8sant. Son registre paraît plus large: il yale Boulanger tendre qui raconte avec une affection nuancée d'humour la vie douillette d'un couple de pédéra8tes antiquaire8. Il 8'en dégage une telle harmonie que la dérision serait déplacée. Il yale Boulanger artiste qui décrit un tableau qu'il aime: sur un e8calier sont p08é8 un coquillage, une épée, un livre, une tête de mort, une pipe et un verre. Le regard monte et redescend ces marche8 jusqu'à ce que nOU8 connai88ions l'aspect extérieur de8 objets, tout ce qu'ils représentent pour le peintre et davantage: ce qu'ils représentent dans l'infini. Il yale Boulanger collectionneur d'anecdotes qui rencontre la femme promenant dans les restaurants la photo de son cher disparu afin de 8e faire offrir à déjeuner par une bonne âme apitoyée. Il yale Boulanger poète qui parle de l'été comme « d'une fleur de pierre :). Le Boulanger provincial Les demoiselles Mabut ne quittaient plus leur fenêtre et prenaient même leur repas en surveillant la chaussée. Et surtout le Boulanger indéfinis8able, qui nous entraîne dans des voyages de l'esprit aussi merveilleux que la fameuse expédition à Londres du chevalier des ES8einte8. , ~ Ses contes sont d une purete obtenue aprè8 un long polissa~e amoureusement précis. Il ne reste que l'essentiel, une présence, la lumière, l'odeur~ Marie-Claude de Brun/lOfl


ROMANS ÉTRANGERS

Violent Mexique

Carlos Fuentes La mort crArtemio Cruz. Gallimard éd.

Dans l'histoire du roman mexicain d'aujourd'hui, Carlos Fuentes à moins de quarante ans, occupe peut-être la première place. Non qu'il ait encore beaucoup produit: deux livres, La Plw Limpide Région 1 publié voici deux ans et cette Mort crArtemio Cruz 1, qui vient de sortir. Mais son talent est immense, dont il joue sur le mode des grands romanciers inspirés, avec la force et l'anarchie des fleuves quand ils rompent les barrages. Le plus maîtrisé ou le plus tendre de ses chapitres est comme un paquet d'eau que l'on reçoit en plein visage, sans qu'on pense à tourner la tête ou à fermer les yeux. Certes, nous ne compterons pas pour rien les risques de noyade, au fil de telle et telle page où la violence et le jeu des courants contraires dégénèrent quelquefois en confusion et tourbillons dont on n'émerge qu'à grand peine. Mais qui n'a rêvé de se laisser aller sur un grand fleuve d'Amérique, quelque chose comme le Rio Grande deI Norte? - Au cœur des deux romans, le Mexique; La Plw Limpide Région est une macrosociologie du peuple mexicain, dont Fuentes .décrit les classes sociales en illustrant la tragi-comédie humaine, pitoyable ici : quand il évoque les ouvriers, les péons, les prostituées..., là ignoble: quand il dénonce les intellectuels snobs et· riches, les cercles d'affaires, les milieux cosmopolites et outrageusement mondains, tous .pourris, perdus par l'argent - et le Mexique perdu, pourri par eux. Pour donner à voir la réalité complexe, excentrique, bariolée, lamentable de ce monde, Fuentes, dans son premier roman, ordonnait la composition de ses épisodes et choisissait son vocabulaire en fonction de son dessein, d'où les La Quinzaine littéraire, 1 er avrn 1966

scènes désordonnées, heurtées, se succédant sans transition et nn vocabulaire grouillant de mots étranges, étrangers, mexicains, américains (puisque les intérêts des possédants sont liés aux banques des U.S.A.)c, français (les· Mexicains snobs semblent·imbus de culture française et· parlent volontiers « le franxicain ~). La Mort crArtemio Cruz n'est pas sans rappeler La Plw Limpide Région. Ici aussi la brutalité, le désordre, l'incohérence, les paroxysmes, la fièvre et le délire doivent servir à l'évocation d'une réalité mouvante et cyclothymique. Laquelle? Celle d'Artemio Cruz et du Mexique moderne à travers lui. Cruz a soixante et onze ans. Il va mourir, il mourra. Sur son lit d'agonie, où on l'opère en vain, il revoit son passé, en remontant si l'on peut dire, puisque les dernières lignes du roman décrivent sa naissance, idée assurément bizarre mais que le lecteur ne discute pas car Cruz ressasse lion destin, ne cesse de penser à un autre destin, celui qu'il aurait dû vivre à partir de là, le ventre maternel, si le Mal n'avait pas fondu sur lui. A la fin du livre donc, à l'instant de mourir, le voilà qui naît: dans une cahute sordide et de père inconnu, Mexicain promis, comme neuf Mexicains sur dix, à une vie misérable, mais Cruz vient au monde avec la force, la violence . dans le sang, avec le goût de ruiner l'ordre ignominieux des choses .établies, c'est-à-dire une société où les riches font les lois et la loi, vendent le pays aux capitaux américains. Cruz combattra dans les rangs des justes et s'imposera au point de bientôt représenter le grand espoir des paysans oppri,. ,. ... mes, Jusqu au. Jour ou, prIsonnier des soldats de Villa et condamné au peloton d'exécution, il ne peut supporter la pensée, l'image de sa· mort et, contre la promesse de sa vie sauve, trahit. Magnifique passage que celui de la nuit qui, pour

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le condamné, devrait être la dernière: on voit l'esprit de Cruz fabriquer des raisons de ne pas mourir, les unes futiles, les autres émouvantes et belles, par exemple celle-là, qui a nom Regina, la grande passion de Cruz, et pendue par les soldats de Villa: ... Elle lui demandait de continuer ·à vivre, comme si une femme morte avait besoin du souvenir crun homme vivant pour être encore autre chose qu'un corps dévoré par les vers· dans une fosse sans nom, dans un village sans nom. C'est le début de la déchéance et· du pouvoir: riche mariage, spéculation foncière, prêts à court terme et à intérêts élevés aux paysans de l'état de Puebla, création de sociétés mixtes mexico-nordaméricaines, rachat d'un journal pour servir les intérêts du dollar... Histoire d'un homme qui n'est pas quelconque, qui a même des qualités exceptionnelles et toute sa vie durant cherchera, tout en continuant à se vendre, à se racheter : dans l'amour - mais sa femme le lui interdit, disant qu'on ne peut être un salaud dans la vie et un pur dans son cœur ; par la paternité - mais son fils mourra en Espagne, qu'il a laissé s'engager dans les Brigades Internationales et Cruz découvre qu'il est criminel et -égoïste de chercher à vivre son destin par le biais d'un autre, fût-ce son propre fils. Oui, histoire d'un homme entre l'ange et la bête et qui fait la bête définitivement.

La mort crArtemio Cruz est une chronique du Mexique qui s'exprime à travers la vie d'un homme, depuis 1889, date de naissance d'Artemio, jusqu'à sa mort en 1960, et ·le moribond revoit son passé et l'histoire de son pays selon la liberté que lui laisse son mal, c'est-à-dire d'éclair en éclair quand ~. i:t- .ient à la conscience, ou à la semi-conscience, ou quand il délire, d'où la composition de ce roman, désordonnée. et heurtée en apparence, tantôt 1930 et tantôt

1921, tel moment de la vie d'Artemio (1917) juxtaposé et succédant à tel autre (1940) car la conscience ignore la chronologie, composition d'autant plus complexe qu'Artemio ajoute· à l'existence qu'il a vécue celle qu'il aurait voulu vivre, dans le refus des compromissions, des trahisons, la lutte pure et dure. Ainsi le vécu et le rêvé, qui se disputent son esprit, se battent dans les pages mêmes du livre... Une tempête dans un crâne: tel s'offre La mort crArtemio Cruz. Il parle, se parle, se voit, s'imagine, se refait, se défait, pendant qu'autour de lui le médecin, le curé, sa femme et sa fille (la situation rappelle Le Nœud de Vipères) attendent qu'il révèle l'endroit où il a caché son testament. D'étonnantes scènes de guerre civile succèdent à la description de « par· ties » à bord de yachts. Lentement, trois cents pages durant, Artemio Cruz meurt,en arrive au moment de sa naissance, là où tout commence, là dù tout pourrait recommencer... }\lais il est toujours trop tard. Par delà l'histoire d'un homme avec ses qualités, ses défauts, on pressent le poids du destin, ce quelque chose contre quoi nous ne pouvons rien, qui nous vient dans le sang avec la vie, à la première minute, qui décide pour nous de notre ignominie ou de notre honnêteté comme, selon Fuentes, le destin a décidé du Mexique, par le biais de Malinche, la maîtresse de Cortès, qui guida le Conquistador jusqu'au cœur de l'empire de Moctezuma: ainsi le Mexique serait-il promis à une éternelle trahison, dans le viol, la violence, la colère... Tous désordres dont nous protègent, en gros, nos sociétés européennes, qu'aussi bien nos littéra· tures n'expriment pas et qu'on ira chercher dans Carlos Fuentes, inoubliable. Yves Berger 1. Dans une traduction souvent belle, quelquefois laborieuse; de Robert Mar· rast. 9


ROMANS ÉTRANGERS

Manfred Bieler Boniface ou le matelot dans la bouteille. Traduit pas Jacques Chary. Le Seuil éd. Johannes Bohrowski

Le Moulin à Levine. Traduit par Luc de Goustine. Le Seuil éd. La littérature de l'Allemagne de l'Est, qui commence à se libé· rer de l'emprise d'un régime politique étroit est encore peu connue en France. Tout au plus peut· on glaner ici et là dans des anthologies et des revues quelques proses et quelques poèmes de Peter Huchel, de Stefan Hermlin, de Volker Braun, de Peter Hacks, de Günter Kunert; les traductions sont rares et l'Allemagne de l'Est ne nous a pas donné jusqu'à ce jour de livre important, si l'on fait exception de l'une ou l'autre œuvre d'écrivains connus avant la guerre, comme Anna Seghers, ou de romanciers plus jeunes, mais qui ont passé à l'Ouest, com· me Uwe Johnson. Cette littérature, elle aussi, comme celle de l'Al· lemagne fédérale, n'a d'existence réelle que depuis quelques an· nées ; elle a dû non seulement re· faire son apprentissage, secouer le poids du passé, mais peut-être plus encore celui d'une époque récente tout entière vouée au culte du réalisme socialiste.

Boniface ou le matelot dans la bouteille est le premier roman de Manfred Bieler ; publié en 1963, il était achevé dès 1961, mais on imagine mal qu'il ait pu paraître plus tôt.. Manfred Bieler, qui a trente-deux ans, partage son temps entre son métier d'écrivain et ceux de cultivateur, de baleinier ou de scieur de long ; il vit à Berlin-Est. Son livre emprunte ses thèmes .à la guerre et à l'après-guerre, au nazisme, à l'occupation, au matérialisme et au néo-nazisme. En cela, il n'a rien de très original; ce sont les thèmes de presque toute la littérature allemande d'aujour· d'hui. Mais Manfred Bieler, au lieu de les traiter tragiquement, les transpose et monte sur leur compte une énorme farce, une comédie loufoque où jamais ne sont pris au sérieux ni les hommes ni les événements. De temps à autre, perce un soupçon de tendresse (lorsque Boniface retrouve son amie Polle dans une clinique, par exemple), mais celui-ci est vite remplacé par un éclat de rire, on ne s'attarde pas sur de tels sentiments. Boniface se lit avec plaisir; c'est un roman truculent, rempli de trouvailles, de cocasseries, de bouffonneries. On sent un peu trop peut-être que Günter Grass n'est pas loin. Mais il faut retenir le nom de Manfred Bieler, même si ce premier livre n'apparaît que comme une pochade aimable et 10

savoureuse. Après tout, l'auteur n'a pas eu la prétention de faire autre chose. Le roman de Johannes Bobrow· ski, Le Moulin à Levine, remarquablement traduit par M. Luc de Goustine, est, en revanche, l'œuvre achevée d'un écrivain plus ambitieux, beaucoup plus maître de ses moyens. Malheureusement, Johannes Bobrowski est mort l'an dernier des suites d'une péritonite, à quarante-huit ans. Il était né à Tilsitt et vivait à Berlin-Est. Le « Groupe 47 » lui avait décerné son prix en 1962. Il avait publié deux recueils de poèmes, Sarmatische Zeit et Schattenland Strome, ainsi que deux recueils de nouvelles, Miiusefest et Boehlendorf und andere. En 1965, il avait reçu le Prix Charles-Veillon pour ce roman qui avait été publié avec un égal succès dans les deux Allemagnes. Il y a dans ce roman, qui est peut-être un « nouveau roman », mais aussi un poème, un chant à la gloire d'un peuple qui a souffert cruellement comme il a fait souffrir cruellement, un chant de justice et d'espérance, non pas une histoire, mais des histoires qui se chevauchent, s'interpénè. trent, s'alternent, se complètent. Tout d'abord, il y a l'histoire du Moulin de Levine. Nous sommes e~ Prusse, quelque part sur la Vistule, en 1874. De riches Allemands répondant aux noms de Kossakowski, Kaminski, Tomaschewski font la loi dans les villages où les Polonais vivent chichement et portent des noms prussiens, Lebrecht ou Germano. Le grand-pè. re du narrateur, Bobrowski, est l'un de ces puissants propriétai. res; il possède un magnifique moulin. Lorsque le jeune Juif Levine, qui a quitté sa ville natale, vient construire de ses mains un petit moulin en aval de celui du grand-père Johann, celui-ci prend ombrage. Un matin, le moulin du Juif est emporté par les eaux. Al· lemands, Polonais, Tziganes, tous se taisent; l'habitude du silence est grande chez ces gens qui cohabitent depuis des générations. Tout le monde connaît le coupa· ble ; mais son nom ne sera pas ré· vélé. Levine quittera le village où il n'a trouvé personne pour l'accueillir, pour le défendre. Le pro· cès qu'il voudrait intenter au grand-père n'aura pas lieu. Mais quelque chose s'est passé néanmoins ; les humbles, les opprimés se sont ligués contre les propriétaires ; le cirque du Tzigane Scarletto symbolise leur lutte, et, en définitive, leur victoire, car le grand-père quittera, lui aussi, le village pour vivre de ses rentes dans la ville voisine. Il y a encore bien d'autres thè· mes dans ce roman : celui des rivalités entre les clans religieux (baptistes et adventistes), entre les races, celui de la guerre contre l'injustice, celui de l'amour (entre Levine et Maria, la fille d'un Tzi-

gane) , celui du monde animal qui symbolise souvent l'animalité des actes humains. Johannes Bobrowski a construit son roman autour de « trente-quatre phrases à propos de mon grand-père », qui sont autant de points d'appui pour le lecteur dans l'exploration d'un édifice romanesque compliqué, qui implique des superpositions de plans, des digressions, le bouleversement chronologique des faits. Ce roman est en quelque sorte une longue « chanson de geste » sur l'impossibilité du dialogue en· tre les hommes.

René W intzen

Leonardo Sciascia

Le Conseil d'Egypte. Collections Lettres Nouvelles. Denoël éd. C'est l'histoire d'une imposture historique, montée dans la Palerme de la fin du XVII'- siècle par un abbé cynique et sans scrupule, Giuseppe Vella. Se servant de ses vagues connaissances de l'arabe - que personne, autour de lui, ne semble en mesure de vérifier l'abbé feint de traduire un vieux manuscrit arabe, «le Conseil d'Egypte ~ d'où le titre sans aucun intérêt. En réalité, il écrit à sa façon une histoire de la Sicile « qui fait apparaître sans fondements les privilèges ancestraux de la noblesse ~, ce qui n'est pas pour déplaire à la royauté. Elle ne ménage pas ses bienfaits à l'abbé Vella, jusqu'au, jour où le pot-aux-roses est découvert. Tel est l'argument savou· reux de ce récit, plus chronique encore que roman. D'une chronique, il a le déroulement, le caractère historique et l'apparente objectivité. Les personnages sont des pantins dont le narrateur tire visiblement les fils. Il semble avoir pour eux le même mépris que l'abbé Vella avait pour les humains et qui lui permit de se jouer de leur crédulité. Il est vrai qu'ils peuvent difficilement inspirer un autre sentiment: aristocrates mondains farouchement attachés à leurs privilèges, homme d'Eglise corrompus et à la dévotion des grands de ce monde, etc. Oui, rien qu'une humanité méprisable, à l'exception de l'avocat Di Blasi et de ses amis libéraux, comme lui, en politique. Ce sont des jacobins, tout nour· ris des- idées de la Révolution française et décidés à les faire triompher en terre sicilienne. Ils complotent. Leur chef, Di Blasi, est arrêté, atrocement torturé et décapité. Alors que l'abbé Vel1a est le personnage central de la

premlere partie, dans la seconde c'est Di Blasi qui prend la relève. C'est lui qui donne à ce récit, un peu sec, sa seconde dimension. Avec Di Blasi, avec la lutte pour la fin des privilèges, passe un grand souffle d'air. Et soudain, un personnage secondaire comme la mère de Di Blasi belle figure qu'on ne fait qu'entrevoir - devient attachant. Et, tout naturellement, les pages consa· crées à Di Blasi, à son espérance et à la torture, sont les plus belles du livre: émouvantes avec sobriété. Après tout, ce coquin de Giuseppe Vella est-il si loin de Di Blasi ? Dans l'esprit de l'auteur, il ne le semble pas. A sa manière l'abbé lui aussi est un idéaliste. Cynique autant qu'on voudra, et attaché aux biens de ce monde et à leur confort, et sensible à la considération d'autrui et astu· cieux avec intelligence dans l'imposture. Mais cette imposture est pour lui comme une œuvre d'art: réussie, elle est parfaite, comme un chef-d'œuvre littéraire. Peu lui importe d'être démasqué, si la beauté de son imposture est reconnue. En outre, y a·t·il vrai· ment imposture lorsqu'il s'agit de l'Histoire ? Pour l'abbé, l'Histoire n'existe pas. Il « expliquait que le travail de l'historien n'est qu'un imbroglio, une vaste imposture. Et qu'il y avait plus de mérite à l'inventer, l'Histoire, qu'à transcrire fidèlement et simplement de vieux papiers, d'anciennes inscriptions lapidaires de tom· bes antiques, etc. • Et, toujours à sa manière, l'abbé est polir la révolution: « Quant à la révo· lution, je vous l'avoue, j'éprouve pour elle, en revanche, un senti· ment différent: cet ôte-toi de là que je m'y mette me plaît assez, je dois le dire... Les puissants et les superbes qui courent aux abîmes, les malheureux qui triomphent... • Etonnant person· nage que cet abbé, et ambigu! Comme le récit de Sciascia. Ni roman, ni chronique, ni pamphlet - et tout cela à la fois~ Naturellement, on sent bien de quel côté est Sciascia et que, si son récit se passe au XVII'- siècle, les abus qu'il dénonce n'ont pas tellement changé, et que l'im· posture est de tous les temps:

Le Conseil d'Egypte suscite la sympathie et se lit avec plaisir. Il traite avec une désinvolture apparente de sujets graves: l'im· posture et la liberté. On aimerait être italien pour apprécier exactement, à sa juste valeur, l'accent, le ton nouveau que Leonardo Sciascia introduit dans la littérature italienne d'aujourd'hui. Il a beaucoup lu les écrivains français du XVIIIe siècle. Cela se sent à travers l'excellente traduction - élégante et précise - de Jacques de Pressac. Henri Hell


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SaDlouraÏ et porcelaines Yukio Mishima

Après le banquet. Traduit par G. Remondeans. Gallimard éd. Imaginez, sous l'encadrement d'un portique de bois, au bord d'un étang bordé de saules et de pins, et sans oublier la lanterne de pierre, imaginez une femme souriante, en kimono traditionnel, le visage lisse et calme malgré la cinquantaine, c'est Kazu. Elle attend ses hôtes à l'entrée du restaurant qu'elle possède et dirige. Elle est riche, libre, elle n'a plus rien à risquer, plus rien à souhaiter. On ne tombe pas amoureuse, on ne refait pas sa vie sur un coup de foudre, quand on est une femme de cinquante ans, même japonaise. Il faut croire que si. Et certes elle ne choisit pas. Quelque chose en elle, qui n'est pas le besoin d'amour, choisit à 8a place. Elle est éblouie, fascinée, par l'être le plus différent d'elle-même qu'elle ait jamais rencontré : un vieil aristocrate maigre et pauvre, qui fut plusieurs fois ministre, qui s'est rallié au pal~ti réformiste et vient' d'être battu aux élections. Il a soixante-cinq ans. A partir de ces données très simples 8e déclenche une histoire où l'étrangeté des événements le cède entièrement à l'étrangeté des caractères. La première surprise vient de ·ce qu'il soit si facile à Kazu d'épouser Noguchi. Ou bien si Noguchi tombe vraiment amoureux ~d'elle' ? Rien ne, le marque, sinôn leur insolite mariage. Kàzu fait les premiers pas, mène d'abord sa conquête comme si elle était un hardi jeune homme et Noguchi' une femme timide, puis reprend se8 gestes de femme, pleure aux pieds de Noguchi. N'empêche que lorsqu'ils 8e retrouvent dans la même chambre et enfin dans le même lit on est tout étonné. On dirait que c'est pour la forme et pour avoir prétexte à 8e marier en8uite. E8t-ce que Noguchi épouse Kazu parce qu'elle est riche? Kazu a l'hàbitude de donner de l'argent (drôles de mœur8) à de8 hommes politiques, mai8 la 8eule idée qu'on pui8se croire Noguchi intéressé la jette dan8 l'indignation. Alors pourquoi? Peut-être l'emprise de Kazu 8ur Noguchi participe-t-elle de ce célèbre pouvoir qu'ont les âmes forte8 8ur le8 âmes faibles. Erreur encore : Noguchi est une âme forte, autant que Kazu. En outre, il est solide comme un roc dans ses principe8, et souvent méprisant. Il ne prend pas femme pour lui céder (et ne lui cédera d'ailleurs jamais, même lorsque les conseils qu'elle essaiera de lui donner seront excellents - et respectueux). L'un et l'autre ont la même conception quant au rôle d'une épouse qu'elle serve. Ici intervient la seconde surprise. Kazu ne se rend pas compte elle-même que la passion de serLa Quinzaine littéraire, 1"' avrn 1966

vir dont elle est animée est très différente de ce que son mari attend d'elle : elle est devant lui, non comme une femme des anciens temps devant son mari toutpuissant et vénéré, mais comme un homme-lige devant son seigneur, comme un vassal devant son suzerain. D'être entrée dans sa famille, elle ne croit pas pour autant avoir perdu sa roture et changé de caste; elle a simplement acquis le droit d'être utile à un homme d'une essence supérieure ; dans les petites choses : veiller à son linge et à ses domestiques; dans les choses importantes : se ruiner pour son élection. Car elle se ruine, en le servant

aussi maladroitement qu'il est possible. Elle est un peu comme les vavasseurs qui se chargent des basses besognes sans le dire au maître pour ne pas compromettre sa dignité. Ainsi mène-t-elle la nouvelle campagne électorale de Noguchi, et ce sera un échec. La troisième. surprise est dans la conclusion de l'histoire : la séparation de Kazu et de Noguchi. Elle ne suivra pas son mari dans 8a retraite, et lui n'acceptera pas qu'elle reprenne son métier. Il8 divorcent. Chacun retourne à· son être propre, comme aprè8 l'euphorie ou l'ivresse du banquet chacun revient à soi. Le récit de Yukio Mishima est un roman très clas8ique de forme, qui se déronle tout droit 8elon l'ordre chronologique. Mai8 SOU8 cet a8pect tranquille, il est très singulier, et appelle bien des remarques. Par exemple, a-t-on raison de pen8er que le personnage de Noguchi - dans ce roman de mœurs situé aujourd'hui et volontiers satirique - repré8ente l'ancien Japon, et Kazu le nouveau ? Ce n'est pas sûr. Ou 8'il en est ainsi, l'ancien et le nouveau ne font qu'un seul Japon, aus8i 8urprenant pour nous que le Japon de8 8amouraï et des porcelaines. Car il y a chez Kazu comme chez Noguchi la même conception stoïque de l'existence, et la même adhésion profonde à des croyances ancestrales. Ainsi la récompense, la seule, que Kazu imagine à son dévouement envers Noguchi est-elle l'appartenance à la famille, l'inscription sur la liste des ancêtres, la certitude d'être ensevelie dans

le tombeau des Noguchi. Quelqu'un prierait alors pour elle, qui n'a pas de famille, et qui passera dans la mort avec tout le poids de ses fautes, si elle demeure seule. Si bien que lorsqu'elle renonce à Noguchi, elle renonce en somme à la vie éternelle. Elle le fait en silence, sans une plainte. On peut remarquer aussi que cette vivante Kazu, si éclatante de force, de fraîcheur, d'activité, si moderne dans ses démarches, femme d'affaires s'il en fut jamais, est la seule à ne jamais porter de vêtements européens (sauf une fois un manteau de vison, qu'elle laisse d'ailleurs dans sa voiture). Le détail de ses kimonos est un enchantement : couleur, dessin, symbolisme, signification (qui nous rejette, nous, aux devises que les amoureux se faisaient, au XV· siècle, broder sur leurs manches). Admettons que cet enchantement repose sur un pittoresque bien superficiel, comme celui des menus, qui font comme des poèmes au milieu d'une page. Il en est d'autres, dont le ressort est plus sérieux : la nudité des deux petites chambres de Kazu à son restaurant de l'Ermitage, chambre8 sans meubles, où elle dort traditionnellement sur un matelas qu'on déroule le soir à même les nattes qui couvrent le sol; là s'ouvre un jardin clos, petit, foisonnant de blancs chrysanthèmes, qui est son jardin de prédilection. Ou bién elle va s'asseoir sur un banc, pour regarder l'étang. On le regarde avec elle. Ce pouvoir de contemplation, Kazu ne l'a pas inventé, et il est probable qu'un long hé· ritage dont elle bénéficie d'ins, tinct, tout inculte et fruste qu'elle soit par origine, le lui rend accessible et usuel. Voilà l'enchantement véritable : dans ce livre dur et BOuvent ironique, la beauté du monde et des êtres - la peau 8i blanche_ .. et .8i ferme de Kazu dans l'échancrure de son kimono, l'éclat de l'étang SOU8 la lune, le brouillard sur les pins et les saules, la blancheur des chrysanthèmes - la beauté, unique consolation et qui pourtant n'est jamais désignée comme telle, rayonne par tous les interstices du récit, comme s'il était permis à chacun, acteur ou lecteur, d'accéder par ces brusques fissure8 à un autre monde, par où celui-ci pourrait être supporté. Il n'y a qu'un grand écrivain pour éclairer de pareille lumière une vulgaire histoire d'élection manquée, et pour faire d'une riche aubergiste une héroïne platonicienne. Mais on se souvient du premier roman traduit en français de Yukio Mishima: Le Pavillon d'Or. Un jeune moine y mettait le feu au temple qu'il desservait. Il cherchait son salut, comme Kazu, il échouait, comme elle. Il reste à Kazu de se taire et de faire son métier. Le dernier mot est à l'ancien Japon stoïque.

Dominique Aury

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REVUES

HISTOIRE LITTÉRAIRE

Victor Hugo au •

DlICrOSCOpe N.R.F. Maurice Blanchot publie dans la Nouvelle Revue Française (1·' mars), un dialogue imaginaire d'une force ~t d'une rigueur admirables: L'entretien infini. Le sujet apparent en est la « fatigue », le sujet réel, les, rapRôrts entre le silence et la parole, l'écriture et le discours. Certaines notations pourraient être tenues pour de pudiques confidences: Il ya un moment dans la vie d'un homme par conséquent des hommes - où tout, est achevé, les livres écrits, l'univers silencieux, les êtres en repos. Il ne reste plus que la tâche de l'annoncer: c'est facile. Mais comme cette parole supplémén.taire risque de rompre l'équilibre - et où trouver la force pour la dire ? où trouver encore une place pour elle? - on ne la prononce pas, et la tâche reste inachevée. On écrit seulement ce que je viens d'écrire, finalement on ne l'écrit . pas non plus. Dans la même livraison, suite de l'étude d'Yvon Belaval sur les rapports entre l'écrivain, l'homme, et l'œuvre.

Les Lettres Nouvelles Les Lettres Nouvelles consa· crent une partie de leur numéro mars-avril à James Joyce, mort il y a juste vingt-cinq ans. On y -trouve des souvenirs de jeunesse du frère, Stanislaus Joyce, qui lui" reconnaissait une évidente supériorité. Une «joycienne \ », Hélène Berger, fait d'émouvantes et peut-être scandaleuses - révélations sur les rapports de Joyce et de sa femme. Elle cite en particulier des lettres qui éclairent curieusement la personnalité intime de l'écrivain. Dans le même numéro, on peut lire, de Dionys Mascolo, un texte qui va loin dans la peinture du passage d'un adolescent à « l'âge d'homme », à l'occasion des premiers mois de la dernière guerre. Et aussi la suite de .l'importante étud.e de Roger Dadoun sur l'anthropologue d'origine autrichienne Geza Roheim.

Critique Dans Critique (mars), on peut lire une intéressante étude de Georges Sebbag sur Gombrowicz ou la mise en relation. Philippe Sollers se livre à une Critique (aiguë) de la Poésie. On relève: ... La poésie est devenue le plus souvent le champ de la niaiserie mythologique. Rien n'est plus opposé à la poésie que la croyance à la poésie; un poète est désormais quelqu'un qui doit rompre aL'ec décision avec expression « poé.tique » et ses dieux, avec le s\"1nbolisme arriéré et senti· 111 ('n(al, ~mphatique, dont nous sommes encore accablés.

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Victor Hugo Journal de ce que j'apprends chaque jour. Juillet 1846. Février 1848. Boîte aux lettres. Editions critiques établies par René Journet et Guy Robert. Flammarion éd.

Deux érudits ont reP'ouvé, parmi de vieux papiers d'archives, un journal tenu par Victor Hugo. Ils viennent d'en publier deux volumes. D'autres vont suivre, dans le cadre des Cahiers Victor Hugo. Georges Piroué, J'omancier et critique, a. publié un Victor Hugo romancier. Il existe deux mameres de publier les papiers posthumes d'un grand écrivain disparu. L'une consiste à leur prêter l'apparence d'une œuvre retrouvée, à peu près cohérente, quoique imparfaite, à placer donc presque sur le même plan l'ébauche et le texte achevé. Cela ne va pas sans désinvolture à l'égard 'du défunt, ni sans quelques tripatouillages qui peuvent frôler la trahison. C'est ainsi qu'ont procédé Paul Meurice et plus tard, mais avec une, totale' honnêteté, Henri Guillemin pour" le dossier de Victor Hugo Journal de ce que j'apprends chaque jour, partiellement utilisé dans Choses vues et, pour à peu près les trois quarts, inséré dans le Journal 1830-1848 publié par Gallimard en 1954. Il es't clair que, mis à la portée de tous, de tels condensés ont à h~ur crédit d'assurer la survie de l'écrivain et d'enrichir la connaissance que nous avons de lui. Rien ne révèle mieux le reporter de g~nie qu'a été Victor Hugo que l'amalgame des Fa.its contemporains et Souvenirs personnels avec le Journal de ce que j'apprends chaque jour réalisé par Guillemin.

Des « alluvions»

L'autre mamere est la méthode même de l'Université, c'est-à-dire l'édition critique typographiquement fi d è 1 e, chronologique, annotée, commentée, augmentée d'un vaste appareil biographique dont l'ensemble constitue un retour aux sources admirahIe et le point de départ rêvé de toutes les études subséquentes. Ce travail, René Journet et Guy Rohert viennent de l'accomplir non seulement pour le Journal de ce que j'apprends chaque jour, mais pour le dossier Boîte aux lettres, recueil de fragments poétiques que l'édition de l'Imprimerie Nationale avait en partie placé à la suite des Châtiments. Ces œuvres' forment les deux premiers Cahiers Victor Hugo publiés chez

Flammarion, qu'on souhaite être le début d'un vaste corpus hugo. lien. Relevons tout de _suite que ces deux ouvrages ne s'adressent guère au grand public qui n ;épl"Ou, vera à les parcourir qu'ennui et déception. Encore qu'on puisse se demander s'ils ne répondeilt pas au goût nouveau du lecteur d'aujourd'hui pour le document authentique. Les techniques de reproduction et l'hégémonie de la science sur nos esprits. ne "ont pas sails avoir modifié nos rapports avec la littérature. L'aborder en archéolo/!;ue, en homme de laboratoire qui déduisent du vestige l'édifice et du prélèvement d'un tissu le' corps entier, a quelque chose de fascinant. Nos deux chercheurs se sont donc consacrés à nous restituel' des notes sous leur aspect primitif. Mais, ce faisant, ils ont surtout, comme par la bande et

Victor Hugo par Mérimée

malgré eux, tiré de ces pattes de mouche les mœurs, les humeurs, artisanat et le génie... de la mouche. Victor Hugo sort à la fois diminué et grandi de cet examen des rebuts. Diminué dans la mesure où son Journal nOUf; apprend peu de chose sur luimême, rien d'intime et de révélateur, ne contient que peu de ces perles qu'il croyait lui-même pouvoir dénicher dans la houe. « Des alluvions », nous avertit-il, à savoir, venues du dehors, à peine modelées selon sa façon de percevoir, des anecdotes f;ur la Cham hre .dcs Pairs, sur l'Académie, la famille royale; quelques conversations saisies sur le vif, dans la rue; une masse de rensei~nements hétéroclites, puisés sans ûoute dans la lecture def; journaux et qui n'ont fait que lui traverser l'esprit, puisque le jour où il achevait A Villequier, le 24 octobre 1846, il nous parle d'un volcan. Le côté passif du personnage, ses automatismes mentaux : la machine enregistreuse. Il en est de même en ce qui touche ,le poète. Plus qu'un Juvénal inspiré, plus qu'un Prométhée vaticinant sur son rocher, la Boîte aux lettres nous offre à voir un versificateur

I"Ond-de-clli,·, lm érudit du dimanche qlli ne paraît devoil· ses dons l]ll'à des empnmts ail dictionnaire feuilleté en fonctionnaire diligent du génie pe"sécllté pOlir nOIIITir de tl"Ouvailles de hasa,·d nne réplltation slll·faite. De v l' aie spontanéité, ancune ; de vl-ais cl'Ïs dll Cœlll', pas le moind'·e. Le poète exerce Il n métie,', l'exilé joue nn n'lIe. Ce!:, donne des pages où voisinent les niots exochnate, exomologèse, exomide, flanqllés, par bon hem, de leIII' llérinition de la main même dll viellx harde. Cependant, 1111 sein de ce JOl/rual se font jOIll· de~ ohsessions, celle dll, hOlleron, pur exemple, se manifestent des pen('hants qui de la marotte de l'antithèse glissent à la prise en chal'l.:e de la diversité universelle, contrastée ou concordante. Mille petites secousses mettent le réel en IIuestion et, par leurs chocs ,·épétés, peu à peu organisés, on (lirait que l'homme s'aguerrit et quc son monde, en s'éhrouant, se crée une assise nouvelle. De même, au fond de la Boîte ft/LX lettres, par un autre entrechoc de syllahes, on voit se forger quelques heaux vers, non seulement de rimes mais d'assonances intérieures, et s'éprouver une prosodie qui, intégrant le discontinu et le contraignant à l'harmonie - adjonction par la disjonction représente la plu s étonnante entreprise à la fois accidentelle et consciente, de renouvellemcnt du lyrisme. C'est ici qu'intervient la grandeur. Car ce qui frappe le plus dans cette exploration du matélliau hugolien, c'est à' quel point !lon disparate n'est pas le si~ne d'une dispersion mais d'une prodigieuse amplitude. On a pu parfois regretter la vanité de Victor Hugo qui lui faisait tenir pour précieuse la moindre de ses paroles. Peutêtre n'avait-il pas tort. Tout ce qui lui est étranger augmente son envergure et lui devient consuhstantiel, tout ce qui paraît pacotille concourt finalement à l'accomplissement du dessein. Tl cst tout cn n'étant, que rhéteur. Son être est dans sa contingence. La méthode critique de Journet et Rohert ne nous apprendrait que cela que ce serait déjà heaucoup.

Sous un regard rajeuni

Cette a pproche, à partir des déhris, de la matière et des structures hugoliennes nous fera voir un jour ou l'autre différemment les œuvres majeures que, depuis peu, on réédite si volontiers, sans que se trouve encore rajeuni le regard que nous portons sur elles. Georges piroué


• Léautaud reVIent Paul Léautaud Journal littéraire. Tome XIX Mercure de France. « Maintenant, foutez-moi la paix ! » grommela-t-il à l'infirmière qui le soignait, pnis il se tourna vers le mur ; denx henres plus tard, il était mort. Ce fut son mot de la fin; un vrai mot de Léautaud. Il y a dix ans de cela. Il avait quatre vingtrquatre ans.

ge; dû à la patience dévouée de M. Etienne Buthaud, encore sommaire mais déjà suffisant, il répond pleinement à la demande justifiée de maints lecteurs. Léautaud lui-même occupe le centre du recueil, avec quantité de « pages retrouvées » du Journal, irrégulièrement échelonnées de 1894 à 1921. Beaucoup d'histoires de bêtes (je crois qu'on l'avait amené à les écarter par

Condé à même de fréquenter les grands messieurs de la littérature, il se proposait de noter sur eux au jour le jour une chronique indiscrète et clandestine; car il a toujours eu le goût de tromper son monde, - il avait assez souffert de son enfance et de sa jeunesse pour chercher une revanche. De fait, la plupart des pages qu'il nous a laissées sur Schwob ou Gourmont, sur Valéry ou Gide, demeurent, fort précieuses.

Depuis, nous avons vu sortir toute la fin de son Journal littéraire : seize gros volumes denses, les deux premiers ayant paru de son vivant, en 1954 et 1955. La page initiale du tome 1 est datée de 1893; la dernière du tome XVIII, du 17 février 1956, cinq jours avant sa mort. Entre deux, assez de texte pour remplir six ou sept volumes de la Pléiade : lui qui auparavant avait si peu publié, et si chichement !

Oui, insupportable; oui, hargneux, borné, buté, tranchant (mais sensible aussi, en secret, jusqu'aux larmes). Oui, il prend ses humeurs pour des jugements, et se flatte de la rigueur de sa pensée quand il n'en finit pas de se contredire. Soit. Mais ce qui compte infiniment plus que tout cela, c'e8t que son Journal nous procure l'exceptionnelle familiarité d'un individu unique irréductiblement, tel que chacun de nous devrait être, tel que chacun de nous se montre incapable d'être. En quoi ce petit clochard étriqué et grincheux atteint à une qualité si pure qu'elle se confond avec une sorte de grandeur.

C'étaient pour nous, année après année, de fameuses cures d'une désintoxication qui finissait par ressembler à une nouvelle intoxication, tant elle créait le besoin. On s'irritait souvent, car Léautaud est bien irritant quand il se met à irriter : mais, à la fin de 1964, une fois lu le tome dernier, nous nous sommes sentis tout désorientés de le voir nous quitter encore. Or voici que comme Fantômas, il revient. Avec un tome XIX, vraiment ultime celui-là, complémentaire et documentaire. L'éditeur fait bonne' mesure, lui dont on avait redouté un moment qu'il ne parvienne pas au bout de la publication: c'est qu'à mesure que s'égaillait la clientèle du début, animée par la curiosité et le goût de l'indiscrétion plus souvent que par la conviction, apparaissait peu à peu un nouveau public venu de tous les bords, insensible aux flux et reflux du snobisme, résolû et assuré des raisons de sa préférence. Ce tome XIX, que contient-il ? En tête, une « Histoire du Journal », racontée par Marie Dormoy avec verve, dans la couleur et le mouvement, sans hagiologie, sans rancune non plus. Avoir sauvé le manuscrit de tant de désastres, en avoir dactylographié ellemême. 12.000 feuillets, avoir classé et daté autant que possible cette masse désordonnée, avoir occupé neuf ans de sa vie à en préparer et surveiller l'édition, où elle eut la coquetterie de ne rien atténuer des sarcasmes, rebuffades, injures et grossièretés que Léautaud se complaisait à lui prodiguer - voilà, à son actif, de fameux titres! A l'autre bout du volume, un index de 175 pages en petits caractères' sur deux colonnes couvre la tQtalité de l'ouvraLa Quinzaine littéraire, 1" avril 1966

autre manière d'être littéraire qui, elle, prend valeur toujours davantage à mesure que passent les années: celle d'une recherche et d'une découverte de soi par le moyen de l'expression. On nous a (et Léautaud lui-même) un peu trop vanté Gide, qui se prenait volontiers pour un nouveau Montaigne, voire, pourquoi pas, pour un Montaigne amélioré : un examen de conscience aussi systématiquement direct change l'objet, et il y a un parti pris de sincérité qui conduit droit aux pièges de l'insincérité. Léautaud, si éloigné qu'il fût de Montaigne, se trouvait en vérité plus proche de la méthode de Montaigne, obéissant plus naïvement aux hasards 'de l'occasion, acceptant plus docilement leurs surprises, et puisqu'il n'affectait pas de se chercher, rencontrant plus souvent face à face l'étrange animal.

crainte de surcharger de chiens et de chats sa faune dite littéraire). Quelques rédactions différentes de passages déjà connus, comme l'anecdote touchante du bouquet de violettes offert à Verlaine. Divers passages qui s'étaient précédemment égarés. Et surtout, dans les débuts, vers l'époque des Essais de sentimentalisme, de tendres mouvements de prose et d'une poésie située entre Verlaine et Francis Jammes, singulièrement attachants. Pourquoi Léautaud a-t-il accolé le' qualificatif de littéraire au titre du Journal? Sans doute parce qu'au débu~ déjà convaincu, c'était sa manie, que la vérité des hommes se trouve dans leurs petitesses ou ,leurs turpitudes, et bien aise c.le se trouver rue de

Seulement, il ne prévoyait pas que son poste d'observation aurait bientôt cessé d'être bon. Quand la littérature vivante eut déserté le Mercure, que les vrais créateurs s'y firent rares, que trop de médiocres s'y pavanèrent librement, il poursuivit, imperturbable, ses enregistrements : et cela fait aujourd'hui beaucoup et beaucoup de pages terriblement inertes. Et puis, témoigner n'est guère facile. Il était, par nature, voyeur plutôt que témoin : les trous de serrure n'offrent que des vues étroites. Il faisait bon accueil aux commérages, sans les contrôler, pourvu que, malveillants, voire méchants, ils _fussent propres à nourrir sa misanthropie. Que de précautions ne devront pas prendre les historiens pour manier ce « document » ! En revanche, le Journal a une

Le sait-on assez? Je rêve maintenant d'une édition réduite (mais non point trop rédui,te), d'un prix abordable pour ce public peu fortuné qui est souvent le plus franc public, et qui ferait apparaître cela précisément. Il suffirait Je couper le bois mort, les ragots, quelques-unes des redites, les petites histoires périmées (mais non pas, certes, les anecdotes exemplaires), et tout ce qui se ressent un peu trop de la sottise des comparses. Je sais bien qu'un des charmes profonds des mémoires et journaux intimes tient aux mornes étendues désertiques qu'il faut y traverser pour mériter les oasis. Néanmoins la, première urgence est d'aider Léautaud à revenir encore une fois parmi nous, pour y réaffirmer, nous en avons grand beRoin, une personnalité indomptablement singulière, la seule apparemment que notre époque ait à présenter eri face des grands originaux d'autres temps, - un peu Crébillon le père par son débraillé délibéré, un peu Diderot par son allégresse dans tous les affranchissements (non par la puissance, hélas), un peu et beaucoup Chamfort, et puis enfin, et surtout Léautaud. Samuel de Sacy 13


POÉSIE

Epiphanies de Jouve Pierre-Jean Jouve Poésie I-IV. 1925-1938: Les Noces, Sueur de Sang, Matière Céleste, Kyrie.

Poésie V-VI. 1939-1947 : La Vierge de Paris, Hymne. Mercure de France éd. Poésie VII-IX. 1948-1954 : Diadème, Ode, Langue. A paraître. « Au milieu du chemin de la vie ., c'est-à-dire aux approches de la quarantaine, Pierre Jean Jouve, on le sait, n'hésita pas à sacrifier une œuvre déjà considérable pour tendre ses filets plus loin et plus haut. De sorte qu'aujourd'hui, chargé d'œuvres et d'années, cet excellent poète présente deux profils, selon qu'on l'aborde par sa fin ou son commencement. Par sa fin, Jouve est le chantre tout ensemble érotique et mystique et grandement honoré comme tel - de Noces, Sueur de Sang, Matière Céleste, Kyrie, la Vierge de Paris, etc., lesquels reparaissent en une édition collective qui comprendra quatre ou cinq volumes in-octavo. Par son commencement, Jouve est le digne commensal des écrivains de l'Abbaye dont il épousa le souci de «participation humaine ~ avec une constance non pareille, si l'on en juge par la bibliographie de ses ouvrages reniés l, qui passe en importance celle de n'importe quel autre poète du groupe. c Pour respecter l'idiosyncrasie de chacun ~, comme parle l'auteur de Paludes, et lui laisser, en quelque manière, l'embarras du choix, il ne serait pas mauvais que l'unanimiste repenti lève enfin l'interdiction dOllt il frappe ses premiers livres et, tout bonnement, les réimprime : on pourrait ainsi mesurer l'ampleur de son sacrifice (il y a déjà beaucoup d'insolite dans Présences, et une vraie nostalgie de la solitude dans Parler), et l'on verrait bien mieux, à la lumière de l'ancienne, comment s'est formée la nouvelle réligion de Pierre Jean Jouve.

Une «reconversion m.éthodique» Car toujours il y eut un dieu au centre de sa poésie. Ton plus grcmd Dieu de maintenant, t! est peut-être ta plus grande ville, estil écrit dans le Manuel de Déification. Un peu hâtivement adoptée par le jeune provincial qui, débarquant à Paris, se mit à l'école de Jules Romains, cette maxime fait long feu dans les premiers poèmes de Jouve. De même que son contemporain Reverdy, et malgré une « bonne volonté ~ grande, il 14

n'est pas à l'aise dans la ville: Chaque visage pesant lourd. Comme un nuage qui fait ombre lui cache, tel l'arbre la forêt, la foule des hommes. Et lorsqu'en 1925, date de publication des Mystérieuses Noces, il s'éloigne du paysage urbain pour célébrer l'Engadine et autres hauts lieux (dont Salzburg, patrie de Mozart, à six heures l'été), c'est tout naturellement au rédempteur - au dieu qui s'est fait homme - qu'il dédie ses nouvelles symphonies. Tout naturellement - et Jouve insiste sur ce point dans !lon « journal sans date ~ En Miroir car il s'agit d'un simple retour au culte de son enfance: Elevé dans la religion catholique, je n'avais aucune conversion à faire pour y demeurer ; ... ma- conversion était celle qui « me tournait vers » des valeurs spirituelles de poésie, valeurs dont je reconnaissais l'essence chrétienne. Régression donc (le môt est de Jouve) plutôt que conversion, ou encore, si l'on ose s'exprimer en terme d'économie, reconversion des pouvoirs du poète en vue de l'édification de l'œuvre nouvelle. Les valeurs spirituelles qui gouvernent celle-ci sont clairement désignées par les maîtres qu'il allègue : François d'Assise, Catherine de Sienne, Jean de la Croix, Thérèse d'Avila et ce Jacopone de Todi, auteur du Stabat Mater, dont le nom francisé devient - ceci nous plonge dans un abîme de rêverie - celui du héros du Monde désert, roman de « mœurs ~ au sens honnête du terme. A cette belle et nombreuse compagnie s'agrègent sans peine, car leur c essence chrétienne ~ n'est pas niable, Baudelaire et le Rimbaud d'Une Saison en Enfer. Sont également invoqués les noms d'Aurélia, Diotima, Gradiva, Cynthia, Miranda, etc., qui sont de très beaux noms et, quoique claïques ~, dotés d'une immense auraspirituelle. - Il est entendu qu'un poète de la taille de Jouve n'est pas sans droit sur ces figures du plus haut génie, mais le fait de les mettre en exergue à des textes qui ne les regardent que d'assez loin ne va pas sans rappeler le dandysme un peu voyant de ces touristes high life, qui collectionnent sur leurs bagages les étiquettes des plus fastueux palaces et caravansérails. Un peu voyant, aussi, est le procédé qui consiste à renchérir sur « le soleil noir ~ (le ,oleU tout noir), ou c la nuit obscure ~ (la nuit plus qu'obscure). De telles expressions, véritablement ,sacrées, ,n'ont pas besoin de cette consécration superfétatoire. Mais passons à des exercices de style plus personnels, car c'est par eux que Jouve, après les Noces, établit et propage sa religion de

poète. Le premier en date est ce roman d'une autre Francesca, Paulina 1880, d'une morosité belle et soutenue. (N'était leur morosité imperturbable, les romans de Jouve se pourraient parfois confondre avec ceux de Jouhandeau, pareillement érotiques et mystiques, mais corsés de tous les ingrédients du vaudeville). Et derrière Paulina, voici Eve, la pécheresse originelle, qui porte « comme un troisième sein » le fruit volé à l'Arbre de Science et, mensonge inexpiable, l'offre à Adam de la part d'Elohim... On s'étonne de ne point trouver le Paradis perdu, poème drama-

tique, dans le premier tome des œuvres de J ouve, car cette scène et tout ce qui s'ensuit - est nécessaire à l'entendement de Sueur de Sang, qui évoque la répétition sans fin de la Faute perpétrée au pied de l'Arbre de Sciencé, et que notre poète, modeme Adam, a du moins cet avantage sur l'autre d'expliquer par la psychanalysescience toute neuve dont il fut non seulement l'un des premiers usagers, mais aussi le notable pionnier en collaborant à la traduction, parue en 1923, des Trois essais sur la théorie de la sexualité de Freud. Entre ce maître livre et cet autre, les Règles de la méthode sociologique de Durkheim, qui servit de trame à la doctrine unanimiste, on mesure le chemin parcburu par Jouve. Certes, il n'est pas de velours, le chemin de Sueur de Sang! C'est un lit de tessons et de gravats où s'épandent les chairs en déroute d'Eve livrée au saccage d'Eros - et cela constitue le plus édifiant des spectacles. Car avec les poètes du Moyen Age que Remy de Gourmont présente dans le Latin Mystique (qu'attend-on pour réimprimer cet admirable livre?), Jouve estime sans doute que, n'ayant guère changé depuis ces « stupides brûleurs d'herbes» que furent nos ancêtres gaulois,' nous avons grand

besoin d'une religion propre à endiguer nos instincts barbares et, en premier lieu, notre sexualité exubérante. Aussi, traitant le mal par le mal, dépeint-il la fornication avec une alacrité qui rejoint celle d'un Odon de Cluny prêchant que la «féminine grâce n'est que saburre, sang, humeur, fiel ~, et pour tout dire « un simple sac d'excréments •. Enfin, et c'est là sa principale originalité, il fait appel à toutes les ressources de la symbolique freudienne pour imager nos «fécales amours », et rendre plus coercitive, si possible, l'espèce de malédiction q~i pèse sur la geste d'Eros. Au point que nul ouvrage mieux que Sueur de Sang ne mérite l'extraordinaire compliment qu'adresse Gourmont aux poètes sermonnaires qui sont, à tant d'égards, les vrais précurseurs de Jouve : Tels, avec du lyrisme d'amour et de gloire, de larmes et de peur, les fondements de la littérature catholique. Toujours elle proclama la vie intolérable et sordide, e.t pour mieux nous en dégoûter, elle s'ingénie à réduire à l'ordure le plaisir pour lequel l'humanité, qui en est fille, travaille jusqu'au désespoir. Il est de fait que cet érotisme à rebours, qui va « s'épaississant sur les mots obscènes et froids ~, recèle ou engendre son propre dégoût. Cela peut être de haut goût dans telle pièce de vers ou tel chapitre de roman (par exemple l'Aventure de Catherine Crachat), mais l'on ne saurait c s'en farcir ~ un plein recueil sans éprouver, à tout le moins, de l'impatience. Aussi nous tarde-t-il d'arriver aux poèmes de Jouve qui procurent à l'Eros contusionné et souillé de Sueur de Sang le seul remède approprié: le Nada ou l'absence. Mais nous voici à bout d'article. Ce sera pour une autre fois. Maurice Saillet 1. Voici cette bibliosraphie, telle qu'elle figure dans Vingt-einq am de littérature fram;«Ùe (1895-1920) d'Eugène M"Ontfort. LeIJ MweIJ romaineIJ et florentines, Messein, 1910, 107 p. LeIJ Ordru qai chan· gent, poèmes, FiJ11ière, 1911, 46 p. PréIJences, poèmes, 1re série, Crès, 1912, 127 p. Parler, poèmes, 2e série, Crès, 1913, 162 p. Vow êteIJ deIJ hommeIJ, N,R.F., 1915, 128 p. Poème cqntre le grand crime, Genève, éd. Demain, 1916, 53 p. Dame deIJ Moru, La Cbaux-deFonds, éd. d'Action Sociale, 1917, 160 p. 1. Livre de la Nuit, Genève, Le Sablier, 1919, 132 p. 2. Livre de la Grâce, Genève, Kundig, 1920,185 p. 3. TolJCarIa, Genève, Kundig, 1921, 91 p. Lu AéroplanelJ, poèmes, Figuière, 1921, 42 p. Tragiquu, suivis du Vorage Sentimental, réunion de l, 2 et 3, Stock. 1922, 292 p. Il manque 'à cet inventaire au moins deux ouvrages : Artificiel, plaquette de poèmes tirée à 7 exemplaires en 1908 ou 1909, dont Jouve signale l'exÏ5tence dans En Miroir, et un recueil de récits, Hôtel-Dieu. A noter que le sacrifice de cette œuvre n'alla pas sans quelque hésitation : jusqu'à Sueur de Sang, les livres de Jouve annoncent au verso du faux·titre : PremierIJ PoèmeIJ (19151923). A nthologie, à paraître.


ÉRUDITION

Un sonnet contesté de Mallarnté Mallarmé Poésies. Préface de Jean-Paul Sartre Collection Poésie Gallimard éd.

Dans son édition des Oeuvres complètes d~ Mallarmé, Henri Mondor a introduit un sonnet qui ne figurait pas dans les éditions antérieures des poésies. Pascal Pia pense que ce sonnet n'est pas de Mallarmé. Il dit pourquoi. Préfacés par M. Jean-Paul Sartre, les poèmes de Mallarmé viennent de prendre place dans une collection de poche. Il n'y aurait qu'à se réjouir de les voir assurés ainsi d'une diffusion plus étendue, si cette diffusion ne risquait de propager une erreur. La nouvelle édition reproduit en effet, page 184, un sonnet qui n'est pas de Mallarmé, et que personne ne s'était avisé de lui attribuer avant 1945. Comme ce sonnet ne porte pas de titre qui le différencie d'autres sonnets authentiquement mallarméens, il ne sera pas sup~rflu d'en donner ici le texte. C'est Henri Mondor qui introduisit ce sonnet dans les Oeuvres complètes de Mallarmé lorsqu'en collaboration avec G. Jean-Aubry, il se chargea de les réunir pour la collection de la Pléiade. Ayant découvert un manuscrit de ces vers où il était facile de reconnaître «la plus belle écriture du poète », il en avait conclu qu'il s'agissait là d'un des premiers textes de Mallarmé, et d'un texte qu'avaient pu lire ou entendre lire de bonne heure deux amis de celui-ci: Eugène Lefébure et Henri Cazalis. Mondor se fondait : 1. Sur une lettre de 1864, dans laquelle Lefébure écrivait à Mallarmé : Je sais maintenant presque tous vos vers par cœur, mais il y en a naturellement qui me plaisent surtout : le Sonnet du bourgeois qui crée un poète, la pièce· d'un Mendiant si fière et si belle. 2. Sur un billet de mai 1863 où Cazalis dit à Mallarmé: Si tu veux m'être agréable, tu m'enverras tes deux 50nnets sur l'Aumône. (Voilà 5 franC5, va boire) et la Naissance du Poète (Parce qu'un 50ir d'avril il lut dam un journaL). En fait, si la lettre de Lefébure semblait justüier le rapprochement établi par Mondor, celle de Cazalis eût dû, au contraire, faire naître un doute. Le vers qu'elle cîte ne se retrouve pas dans le sonnet que Mondor croyait inconnu, et qui l'était si peu que, vers 1882, les journalistes y faisaient sans cesse allusion comme on fait encore allusion au sonnet d'Arvers. Pourquoi Mallarmé avait-il pris copie de ce poème? Sans doute parce qu'il l'avait trouvé piquant, La Quinzaine littéraire, 1" avril 1966

mais sans doute aussi parce que l'auteur en était Clément Privé, un des intimes de son ami Lefébure. Mondor n'a pas ignoré l'existence de Privé, - dans sa Vie de Mallarmé, parue en 1942, il indique même que Lefébure, en 1864, avait montré à Mallarmé trois petits carnets remplis de sonnets écrits en collaboration « avec C. Privé », - mais il ne semble pas avoir cherché à recueillir d'autres informations sur ce Privé, auquel il ne donne pour prénom qu'une initiale. Cette imprécision est d'autant

que Parce que... fut repris à partir de 1880 dans plusieurs périodiques parisiens, où il me souvient de l'avoir vu au cours de recherches concernant Charles Cros et les Zutistes. Je regrette de ne pouvoir produire de références détaillées, mais je ne ·crois pas m'avancer trop en disant que ce sonnet figure soit dans les premières années du Chat Noir, soit dans un des hebdomadaires du genre Panurge ou Beaumarchais que devaient supplanter vers 1885 le Courrier français de Jules Roques et Gil Bias illustré. Comme son ami Lefébure, Clé·

Parce que de la t1ÛJnde éI4ÏI ci point rôtie, Parce que le journal déftÛllait UA viol, Parce que nIT IIG ~or~e ipoble et mal bâtie La .ervanIe oubIüJ de boutonner son col, Parce que 4un lit, Vand comme une MJCr"Utie, Il voit, nIT la pendule. UA couple antique et fol, Ou qu'il n'a pu .ommeil, et que, lIGm mode5tie, S. jtmabe sou. le. drap. frôle une jambe au vol, Un mm. met sou. lui IIG femme froide et sèche, Contre ce bonnet blanc frotte son auque-ci-mêche El travaille en soufflant inezorablement :

El de ce qu'une nuit, lIGm ra~e ellIGm tempête, Ca deus êtra .e sont accoupu. en dormant, o S1uJ1upeare el toi, Dante, il peut naître un poète !

plus surprenante que le nom de Clément Privé figure dans quantité d'ouvrages que Mondor aura au moins feuilletés, s'il ne les a pas lus. Depuis 1912, date à laquelle Edmond Bernard, ancien pharmacien devenu courtier en livres clandestins, publia sous le titre d'Anthologie h05pitalière et latinesque, une compilation de couplets gaillards et de poèmes plus ou moins libres, tous les recueils de chansons de salles de garde ont reproduit, comme avait fait Bernard, le sonnet Parce que... suivi du nom de son véritable auteur. Où ce sonnet avait-il paru pour la première fois? Je ne saurais le dire. Peut-être le rencontrerait-on dans un des journaux imprimés à Auxerre sous le Second Empire, car Privé, dès 1859, avait donné des vers au Propagateur de fYonne. Il est certain en tout cas

ment Privé était ongmaire de l'Yonne. Il était né à Fontaines, près de Toucy, le 15 mai 1842, et avait donc, à deux mois près, le· même âge que Mallarmé. Il est probable que Mallarmé et lui eurent l'occasion de lier directement connaissance entre 1862 et 1864, soit aux Gaillons près de Sens où M. Mallarmé père avait une propriété, soit à Auxerre chez Lefébure, ou encore à Boisramart où Mallarmé, en septembre 1864, passa quelques jours chez un grand-père de Lefébure. Privé était alors agent des Ponts et Chaussées. En 1867, il fut muté à Saint-Junien, dans la HauteVienne, mais il se plaisait si peu dans l'administration qu'après s'être engagé pour la guerre de 1870, il préféra reprendre sa liberté et venir à Paris, où il vécut dès lors assez difficilement de sa collaboration à quelques journaux

BIBLIOPHILIE

hors-textes, gravures et photographies de f époque. Reliure peau, chagrin, ou maroquin.

Pierre Rollet, libraire, 3, rue Marius-Reinand, à Aix-en-Provence, annonce la première édition des œuvres poétiques complètes de Frédéric Mistral. Le texte sera accompagné de variantes inédites et comprendra des poèmes encore inconnus. On pourra le lire sous sa forme provençale, placée en regard de la version en français. L'ouvrage comprendra 2 volumes de 1.300 à 1.400 page5 chacun, illustrés de

Les Editiom Galanis publient CLXXXI Proverbes à expérimenter de Jean Guichard-Meili, illustré de 24 bois gravés de Lapicque. Texte composé à la main en Elzévir Plantin· corps 24. Format 25. X 30. 120 pages non cousues sous couverture. Etui-chemise en toile blanche. 50 exemplaires numérotés sur papier d'Auvergne a1!ec suite.

républicains comme le Corsaire, la Marseillaise et le Mot d'ordre. Phtisique, il n'eut jamais les moyens de recevoir les soins qui l'eussent peut-être sauvé. Quand en mai 1883, on le transporta du garni où il logeait, rue de l'Ecole de Médecine, à la maison Dubois, on savait qu'il était perdu. Il mourut le 15 mai 1883. Gil Bias lui consacra le 17 mai une notice nécrologique dans laquelle Fernand Xau ne manqua pas de rappeler le sonnet Parce que... dont il cita le premier vers: Parce que de la viande était à point rôtie... En 1885, le journaliste Monprofit rassembla en un volume les Nouvelles laissées par Clément Privé, dont il se proposait de réunir les vers dans un autre recueil posthume. A notre connaissance, ce second recueil n'a jamais paru. On y eût certainement trouvé Parce que..., dont Monprofit parle dans son introduction au recueil de nouvelles comme d'un sonnet fameux depuis la· publicité que lui avait faite un autre journaliste ami de Privé, Georges Puissant. Ajoutons que parmi les nouvelles de Privé, une est dédiée à Léon Cladel, avec qui Mallarmé luimême était en fort bons termes, et une autre à Tony Révillon. M. Joseph Bollery, que ses savants travaux sur Bloy et sur Villiers de l'Isle-Adam ont depuis longtemps familiarisé avec l'histoire littéraire des années 18601890, me faisait part, il y a deux mois, de la surprise qu'il venait d'éprouver en rencontrant le sonnet de Privé dans le Mallarmé de la Pléiade: « Pour parler comme Léon Bloy, m'écrivait-il, si un ange descendait du ciel pour m'affirmer que ce sonnet est de Mallarmé, je lui dirais: Tu mens! » Mallarmé a probablement écrit un autre Parce que, celui dont Cazalis avait retenu l'incipit: Parce qu'un soir d'avril il lut dan5 un journal, mais cette pièce, imitée de Privé ou imitée par Privé, reste à découvrir. Inutile d'attendre qu'on ait mis la main dessus pour retrancher des Poésie& de Mallarmé ce qui n'y a été glissé que par mégarde. Pascal Pia

Maeght, éditeur, publie un ouvrage du dessinateur américain Steinberg. Il a été tiré 300 exemplaires de tête numéroté5 comportant une lithographie originale. Ce livre paraît à f occasion d'une exposition des œuvre5 de Steinberg. Il comprend 160 de5sins inédits dont lIO en couleurs, avec 22 photographies d'Inge Morath. Textes de présentation de Michel Butor et du critique américain Harold Rosenberg dont on a pu lire récemment en français la Tradition du Nouveau. 15


ART

Le style et le crI•

Mondrian: CompositÛJn rouge, jaune, bleue, 1921, Musée de la Haye.

Michel Senphor

Le style et le cri. Le Seuil éd. Michel S e u p h 0 r qui fut, croyons-nous, le premier historien de l'art abstrait en France, rassetiIble ici des textes publiés entre 1953 et 1964 ou destinés à des conférences. Il y ajoute « Trente et une réflexions sur un thème » : le style et le cri. Ensemble un peu décousu, où les contradictions sont nombreuses, irritant parfois mais non dénué d'intérêt ni, par moments, d'une certaine hauteur de vue. La première partie refait l'historique des différents mouvements qui sont à l'origine de l'art ahstrait, du Futurisme à Dada en passant par les « mouvements russes (Suprématisme, Rayonnisme) les Synchromistes américains, De Stijl de Van Doesburg et Mondrian, et quelques autres plus éphémères. Il y ajoute le plus tardif Cercle et Carré qu'il fonda avec le peintre uruguayen Torrès-

Garcia dont il trace lin vivant portrait. On regrette pourtant que le Bauhaus ne soit·évoqué qu'en passant et que Klee, à peine mentionné, soit réduit à des proportions dérisoires 1. Cependant une grande partie de l'intense vie artistique qui s'est développée peu ou prou à partir du Cubisme - dans les années 1910-1925, est évoquée ici. Le phénomène russe, notamment, avec Malevitch, Tatlin, Burjulk (ami de Maïakowski) , Lissitzki, Larionov et Gontcharova, Kandinsky, les frères Pevsner et Gabo, etc. montre un monde en pleine ébullition" d'où jaillissaient les idées, les textes, les conceptions les plus hardies, monde vite étouffé par le dogmatisme. Le réalisme socialiste s'installe èt reste pendant plus de trente-cinq ans - au fait, il l'est encore! l'art officiel soviétique. Nous célébrerons, écrit Seuphor, la gloire de Malévitch. Et celle de Lissitzki, et celle de Tatlin. Et celle de vingt autres artistes de la grande époque qui sont morts là-bas. La Russie

s'abstenant. Sourde et muette devant un phénomène prodigieux de son histoire. L'auteur célèbre ensuite certains artistes qu'il admire entre tous Mondrian, Arp, Sophie Tauber-Arp et, dans quelques textes d'un caractère plus réflexif, tente de dégager et de défendre la conception de l'art qui est la sienne. Conception presque mystique, comme l'était celle de Mondrian, phare unique, point de repère capital autour duquel tourne tout un secteur de l'art contemporain. Seuphor le voit « inactuel »2 mais toujours là, « isolé mais présent, inamovible comme un menhir ». Il sait évoquer en termes émouvants la haute figure du Hollandais qui fut l'exemple même de l'artiste intègre et désintéressé, son extrême pudeur, sa discrétion, la sorte d'ascétisme avec lequel il se voua à son art. On en regrette davantage que, tout attaché à chanter les louanges du style, sa passion l'égare dès qu'il aborde l'autre pôle de l'art contemporain : le cri, et lui fasse trop souvent dépasser cette « mesure » qu'il propose en modèle. Il est choquant de trouver sous la même plume des réflexions comme : « L'art est la vraie noblesse de l'homme. C'est par l'art seul que la grandeur passée a survécu. L'art est à la fois l'histoire et la mémoire de l'humanité », en compagnie d'expressions méprisantes ou hargneuses envers des artistes qui ne sont pas de son bord : telles que « folles de leur corps », « livrés à un art femelle », « artistes-pitres, bonimenteurs, acrobates », « convulsionnaires, séniles, incontinents ». Malgré quelques-unes des « réflexions » finales qui tentent de corriger un peu cette partialité, aucune ana· lyse sérieuse du cri n'est entreprise et la reproduction d'un Pollock sur la couverture est trompeuse. Certes, nous ne doutons pas que la peinture « construite » ait sa place dans la vie et dans l'architecture d'aujourd'hui où elle aurait dû depuis longtemps s'intégrer. Elle ne supprimera pas pour autant le besoin d'un autre art, intimiste et secret, lyrique ou poétique, ou - pourquoi pas ? épique. Que cette peinture, au moins, soit celle des vrais créateurs, non de leurs trop nombreux suiveurs. Michel Seuphor ne voit ceux-ci et l'ennui qu'ils engendrent que lorsqu'ils sont de l'autre bord. Son erreur, comme celle de tout partisan - qui ne l'est à un moment ou à un autre? - est de penser qu'une forme d'art nou'velle en exclut automatiquement une autre dont elle semble la négation. Si nous considérons la vie de l'art au long des âges et les « mouvements » qui se sont succédé à une cadence rapide depuis la fin du XIX· siècle, nous constatons que loin de s'exclure

comme il le paraît dans la passion du moment, ils s'additionnent. Nul n'a jamais pu faire que le précédent n'ait pas existé, même s'il est né en réaction contre lui. Bien que le Cubisme se soit ainsi formé contre le Fauvisme et l'Expressionnisme, il ne peut effacer les superbes toiles « fauvcs » peintes par Matisse, Dcrain, Van Dongen, etc. De même les chefsd'œuvre du Cubisme ne seront annulés ni par le Surréalisme, ni par l'Informel, pas plus que ces derniers ne seront supprimés par les mouvements à venir. L'art est sans doute le seul domaine où ce qui a été est pour l'éternité : le style de Mondrian, comme le cri de Pollock. L'œuvre suprêmement maîtrisée du premier satisfait notre besoin d'équilibre et de raison, celle jaillissante et tragique de Pollock apporte un écho à notre angoisse. Car l'homme est multiple et contradictoire, comme le rappelle aussi Michel Seuphor, et c'est à des œuvres diverses, parfois antinomiques, que s'abreuvent les parts multiples de son être. Geneviève Bonnefoi 1. «Il m'apparaît plutôt comme un accumulateur de petits mystères qu'il tire de son esprit ainUlblement embrous· saillé. » 2, Mondrian inactuel fut écrit en 1957. On vend aujourd'hui des robes et des foulards «Mondrian» mais .on œuvre est·elle mieux connue pour autant?

Mort de Viotor Brauner

Victor Brauner vient de mourir. Compagnon des Surréalistes, il a inspiré de nombreux poètes : André Breton, René Char, Benjamin Péret. Au début de cette année, ses Dessins magiques étaient rass~mblés et commentés par Sarane Alexandrian en un beau livre publié par les éditions Denoël. (76 pages d'illustrations:

70 F).


Magritte Patrice Waldberg Magritte. 62 planches en couleurs 350 planches en noir. Bibliographie par André Blavier. André De Rache éd. Bruxelles

La forêt surréaliste nous a parfois caché ses arbres. Entendons par là que l'idéologie concernant une collectivité d'artistes a imposé dans l'esprit du public une notion générale de ses principes qui tend à lui masquer les différences par lesquelles, assez profondément, chaque peintre de ce groupe se sépare des autres. C'est pourquoi l'ouvrage de Patrick Waldberg sur René Magritte prend la valeur d'une exploration révélatrice d'une œuvre qui a fonrni au Surréalisme un apport très personnel et dont on ne soupçonnait pas l'.étendue. Sa diversité nous apprend; en outre, de quelles multiples façons le peintre a su rester, depuis une quarantaine d'années, fidèle à sa manière, à ses idées, à ses hantises, sans épuiser la source de ses inventions. Sur l'homme, nous savions peu de choses, sauf quelques traits de son caractère qui semblaient confirmer l'impression que Magritte a toujours été enclin à vivre «à l'écart ». Pour Paris, cet écart est immense lorsqu'il est marqué par une frontière: la curiosité esthétique des Parisiens est peu voyageuse. Et Magritte a vécu toute sa vie - à l'exception de deux années. passées au Perreux - dans son pays natal, la Belgique, pays lointain si l'on en juge par la mauvaise connaissance que nous en avons. En nous racontant la vie du peintre, Patrick W aldberg nous apprend ainsi beaucoup de choses sur les milieux littéraires dont l'activité fut grande à Bruxelles dans les années vingt. On s'y battait autant qu'à Paris contre les dénigreurs de l'avant-garde. La vie de Magritte, cependant, ne fut guère mouvementée. C'est peutêtre à cause de cela qu'elle nous intrigue. De son enfance dans le Hainaut une image émerge qui pourrait être le sujet d'une de ses toiles : dans un cimetière, dt"ux enfants sortent d'un caveau et voient un peintre installé avec son chevalet au milieu des tombes. Un de ces enfants était René Magritte qui avait l'habitude de jouer dans les caveaux en compagnie d'une petite fille. Ce jour-là il fit la découverte d'une fonction étrange, celle du peintre. Il avait quatorze ans, en 1912, lorsque sa mère, pour une raison inconnue, se suicida en se jetant dans la Sambre. W aldberg ~ raison de se montrer attentif à ces souvenirs d'u~e enfance illustrée La Quinzaine littéraire, l

or

avril 1966

d'images funèbres, car dans la mémoire du peintre, elles devaient toujours briller d'un troublant éclat. Si l'œuvre de Magritte n'est pas dépourvue d'un certain humour, cet humour n'apparaît jamais que figé dans un bloc de glace. Il suffit peut-être à nous dissimuler le pessimisme dont sa vie porta toujours l'empreinte. Sur ce pessimisme, il s'est expliqué, dans une lettre, d'une façon curieuse : «Mon défaitisme correspond à l'existence décevante - et à l'interdiction de croire que le système (sans lequel rien n'existerait) puisse être un refuge, un secours quelconque ». Or, le mystère étant l'élément fondamental de toute son imagination créatrice et, pour ainsi dire, le moteur qui a mis perpétuellement en marche son énergie de peintre, il semblerait que peindre ne fut pas pour Magritte un moyen d'atteindre le bonheur. Ce fut cependant l'unique passion de sa vie. Mais la passion et le bonheur ne sont pas une même chose et je pense à cette réflexion de Boris Pasternak, dans Sauf-Conduit: «Toute passion est un bond de côté exécuté à l'aveuglette pour éviter l'inéluctable qui fonce sur nous ». Comment Magritte découvrit-il dans la peinture sa véritable destinée? Ce n'est pas dans son passage à l'Académie des BeauxArts de Bruxelles, où il entra en 1916, qu'il trouva un encouragement à poursuivre un chemin d'abord si hasardeux. A part les cours de Georges Eeckhoud sur l'histoire de l'art, il n'en retira que des impressions déprimantes. En 1919, il découvrit le Futurisme et en subit une passagère influence sans pour autant souscrire à ses thèses. La vie lui fut difficile et le Futurisme ne pouvait résoudre les problèmes du sombre présent de l'existence. Il se mit alors à travailler dans une usine de papiers peints.

Le choc que lui procura, en 1922, la reproduction d'une toile de Chirico, le Chant d'amour, fut pour lui d'une importance décisive. L'auteur rappelle, à ce propos qu'il en fut de même pour Max Ernst, en 1919, et pour Tanguy, en 1923 : Chirico, soudainement, leur avait ouvert les yeux. Pour Magritte, ce fut une prise de conscience de sa véritable raison de peindre. Il savait désormais qu'il pouvait avoir le courage d'exprimer à sa manière sa vision du monde d'un monde où l'inabsolu n'est plus l'objet d'une vague rêverie mais où il peut être démontré avec la rigueur d'un syllogisme. C'est en 1926 que Magritte commença de devenir Magritte avec sa toile du Jockey perdu - u n jockey faisant courir sa monture au milieu d'une forêt dont les

arbres sont des quilles géantes, soigneusement menuisées, quoique branchues. Depuis lors, son œuvre devait se poursuivre à l'abri de toute hésitation et l'oil sait quelle richesse d'invention il apporta à bouleverser l'identité des choses, à les soustraire à leur pesanteur, à leur fonction et 'à notre logique visuelle. Magritte devint un des princi. paux animateurs du groupe surréaliste belge qui formait ce .que Waldberg appelle «la Société du

Cet esprit des «leçons de choses» implique aussi chez Magritte une technique souvent académique, ce que W aldberg n'a que discrètement relevé. C'est sans doute le côté faible d'une peinture volontairement méticuleuse et froide. Mais on pardonne cela à Magritte parce que, malgré tout, il entraîne très loin notre enchantement par la puissance poétique de ses métamorphoses, par la fatalité angoissante ou merveilleuse de ses rencontres d'objets, par ses

M~ri.tte

:

Reconnai.sslmce Infinie

Mystère ». E.-L.-T. Mesens, Paul Nougé, Marcel Lecomte, Camille Goemans, Louis Scutenaire, André Souris et, plus tard, Paul-Gustave van Hecke, le fondateur de la revue Variétés, sont d'attachantes figures auxquelles l'auteur consacre des pages très vivantes en nous montrant les liens d'amitié qui se formèrent entre les Surréalistes de Bruxelles et ceux de Paris. Amitié parfois orageuse, d'ailleurs, de traditionnels dissentiments s'étant élevés entre André Breton et Magritte, qui aboutirent à une brouille éclatante en 1946. Cela n'empêcha pas Breton de tenir l'œuvre de Magritte en haute estime, ainsi que le prouve la place importante qu'il lui a dQnnée dans la réédition récente (chez Gallimard) du Surréalisme et la peinture, ouvrage augmenté, depuis 1928, de nombreux textes. Breton, fort justement, a mis en lumière le rapport entre la pein. ture de Magritte et certains méca· nismes de la pensée : Il a abordé la peinture dans f esprit des «leçons de èhoses » et, sous cet angle, (J instruit le procès systématique de fimage visuelle dont il s'est plu à souligner les défaillances et à marquer' le caractère dépendant des figures de langage et de pensée. .

jeux où la matière et l'espace intervertissent leur rôle, et par ce que Scutenaire appelait ses « mystères précis ». Sur sa chaise Ion· gue Empire, le cercueil de Mme Récamier n'est pas mieux peint que le portrait de David. Devant certaines· toiles de Magritte, que Waldberg appelle « jardinier-paysagiste de l'esprit happé par le mystère », nous ne songeons pas' à nous interroger sur le trouble qu'elles nous communiquent, mais nous savons que nous ne pourrons plus regarder d'un œil . innocent les plus simples objets qui nous entourent: ils entreront, à notre insu, dans le domaine de l'incertitude, dans ce domaine où la nuit voisine avec le jour, où les murs sont transparents, les arbres savants, les montagnes animales, les maisons végétales, les pommes célestes et les souliers vivants, où les feuilles sont des oiseaux et les poissons des cigares, où le dehors ne se distingue plus du dedans - domaine que le peintre a créé avec une rigueur persuasive et qui nous fait dire de lui, en inversant les termes· d'une proposition de Hegel: il a élevé l'apparence à la dignité du réel. Jean Selz 17


SOCIOLOGIE

Etre à l'aise dans son corps Margaret Mead. L'Un et fautre sexe. Gonthier éd. La question posée d'emblée par ce livre est celle-ci : les distinctions sociales entre les sexes, élaborées par toute société humaine, mais dont l'ethnologue constate qu'elles sont souvent contradictoires entre elles, donc sans validité universelle, sont-elles nécessaires? Dès le début de son livre, l'auteur dévoile sa conviction. personnelle qui sous-tend toute la démonstration de l'ouvrage: les différences entre les sexes pourraient constituer une des ressources les plus précieuses de l'humanité, utilisée certes par toutes les sociétés, mais jamais exploitées à fond par aucune. La sauvegarde de notre monde en pleine transformation est dans l'exploration méthodique des restrictions et des avantages résultant de l'existence des deux sexes, de leurs différences, des limites de leurs possibilités. Mais l'auteur ne vèut pas seulement démontrer que hommes et femmes se trouvent modelés en vue d'un rôle ou d'un autre, selon les sociétés, mais aussi qu'il existe des constantes de virilité et de féminité dont toutes les sociétés doivent tenir compte. C'est à l'aide de l'anthropologie sociale qu'elle mènera à bien sa démonstration, dont pourront tirer profit nos propres sociétés, à commencer par la civilisation américaine à qui cet ouvrage fut destiné. La discipline de l'anthropologie sociale trouve en effet chez les peuples dite c primitifs » auxquels elle s'attache, à la fois des variantes de comportement humain que nos sociétés ne peuvent même imaginer et permet corollairement de mettre en évidence les limites biologiques que les cultures ne peuvent franchir sans cesser d'être humaines. La documentation que Margaret Mead utilise est celle qu'elle a recueillie elle-même sur le terrain, chez sept populations du Pacifique dont elle donne rapidement un portrait plus psychologique que culturel Dans une premiêre partie, c les choses du corps :t, elle veut montrer comment on apprend à être homme ou à être femme, à reconnaître son appartenance à. un sexe ou à l'autre à travers les étapes que franchit successivement l'enfant. La paissance joue là un rôle fondamental, en ce sens que la femme est biologiquement faite pour porter et mettre au monde des enfants, tandis que l'homme n'en connaîtra jamais l'expérience. Dès qu'il perçoit ce partage des rôles, la vision du monde de l'enfant, qu'il appartienne à un sexe ou à l'autre, se polarisera de façon significative. « C'est par le corps lui-même que le corps apprend à se com18

porter ». Si comme chez les Arapesh de Nouvelle-Guinée, la mère donne le sein à son enfant sans même qu'il ait à le réclamer, la bouche prendra une connotation de passivité qui conviendra mieux à l'épanouissement de la femme, tandis que l'homme aura plus de difficultés à actualiser sa virilité. Mais une femme au tempérament actif se sentira également mal à l'aise dans une telle société. parce qu'elle percevra que ses aspirations ne correspondent pas aux rôles que cette société assigne aux femmes. Dans une vision d'un avenir harmonieux dont Margaret Mead se préoccupe beaucoup, il sera essentiel pour les hommes et les femmes de savoir être à l'aise dans leur propre corps par rapport à leur sexe, au sexe opposé et à la société tout entière.

Dans une deuxième partie, c les problèmes de la société », la question est posée de savoir comment les sociétés humaines ont tenté de créer un mythe du travail fondé sur les différences entre les sexes. Biologiquement, l'homme serait apte à un travail qui exige des efforts importants, mais discontinus, alors que la femme remplit plus facilement une tâche monotone et répétée. En ·revanche le rythme biologique de la vie féminine est discontinu, marqué de seuils beaucoup plus nets que ceux de l'homme : apparition des premières règles, perte de la virginité, première grossesse, ménopause. On pourrait dire que les différentes sociétés se donnent une idéologie féminine lorsqu'elles acceptent le rythme de la vie des femmes et les impératifs du corps, plutôt que les contraintes d'une civilislltion artificielle, mais transcendant la biologie. La civilisation américaine où tout est toujours possible à réaliser, sans que le passé soit une entrave, obéit en ce sens à un schéma qui serait celui de la biologie inoins déterminée du mâle. Dans l'organisation de toutes les sociétés humaines connues, il existe une constante de la structure familiale basée sur le rôle nourricier de l'homme envers sa ou BeS femmes et ses enfants. Cette constante est d'ordre social, tandis que les liens nourriciers entre la mère et l'enfant ressortissent plus de l'ordre biologique. Et c'est dans l'enfance que les hommes doivent apprendre à vouloir engendrer, aimer et nourrir des enfants, afin de maintenir la société. Certains peuvent s'y refuser, comme certaines femmes peuvent ne pas accepter leur rôle biologique de procréatrice. Nous ne savons pas si refuser une voie tracée par la biologie comporte

plus de dangers pour la société, que s'engager dans une voie définie socialement sans base biologique. Dans une dernière partie, dont les faits nous paraîtront peut· être tout aussi folkloriques que ce qu'elle raconte des Iatmul de Nouvelle·Guinée ou des Balinais, Margaret Mead retrace l'évolution sexuelle de ses compatriotes, de l'enfance jusqu'au-delà du mariage. Les contradictions y abondent: alors que jusqu'à leur puberté garçons et filles sont éduqués sans qu'on veuille faire apparaître de différenciation sexuelle entre eux, à ce moment on exige brusquement d'eux une sexualité de parade imposée par le jeu de « rendez-vous ». La grossesse hors du mariage restant interdite, un dilemme se pose puisque les règles du jeu voudront que le garçon essaie d'ohtenir le plus possible de la fille qui se doit de céder le moins possible: la solution se trouve dans le c pelotage ». Pratiqué durant des années, il aboutit finalement à un mariage où l'homme doit don~er la preuve de sa virilité, et la femme aboutir à un plaisir sexuel total. Il n'est pas étonnant que les préliminaires d'un tel mariage l'empêchent de s'accomplir harmonieusement dans de très nombreux cas.

v. lDOJU1e W8eJlaé La conclusion et l'espoir formulés par l'auteur sont qu'il faut aménager la vie dans un monde reconnu bisexué, de manière à ce que chaque sexe tire le maximum de la présence de l'autre. Protégeons les différences sexuelles, elles sont une source de richesses pour la société. Une société qui assigne une façon de s'habiller, des comportements, des relations avec les autres à des individus qui appartiennent à une certaine classe ou à l'un des sexes, brime la personnalité de quelques-uns, mais travaille à enrichir sa propre civilisation. Une autre conception souhaite que disparaissent les différences d'éducation entre garçons et filles, parce qu'elle s'accompagne de la conviction que les dons, assignés selon les sociétés à l'un ou l'autre sexe, ne sont en réalité que ceux de certains individus. On peut très bien l'imaginer dans nos sociétés, puisque les deux différences évidentes entre les sexes, le fait que ce soit la femme qui mette au monde les enfants et l'inégalité de force physique entre homme et femme, représentent de moins en moins des contraintes. Mais pour Margaret Mead, la société y per.dra. Selon elle, ce n'est pas dans l'abolition de ces distinctions que notre civilisation redeviendra plus belle, plus riche et plus variée, c'est en

accueillant toute la gamme des virtualités humaines, et, en même temps, en prenant le risque de briser l'épanouissement de certains.

Ces conceptions qui nous heurtent par leur côté réactionnaire, s'expliquent mieux dans la perspective de la discipline anthropologique, Celle·ci appréhende en effet une société comme un tout que ses éléments - institutions, rites, système des croyances et des valeurs, aussi bien qu'individus - concourent à former, maintenir et faire évoluer. Mais ce n'est pas là, malgré les dix expéditions qu'elle a accomplies sur le terrain, la seule perspective qui intéresse Margaret Mead : ce matériel et cette méthode anthropologiques ont été appliqués par elle à des problèmes concernant notre civilisation contemporaine. Elle a le sentiment aigu que l'anthropologie sociale, tournée entièrement vers le passé lorsqu'elle s'attache à la préhistoire ou à des sociétés actuelles immobilisées dans une absence d'histoire, a le devoir impératif d'inclure le présent et de se tourner vers l'avenir. Elle se doit de s'appliquer à des problèmes tels que d'établir une transition entre un monde menacé par une catastrophe nucléaire vers un monde sans guerre, ou d'harmoniser les rapports sociaux entre les sexes. Cependant les anthropologues classiques feront à Margaret Mead l'objection de mettre l'accent sur l'individu et l'action de la culture sur lui, plutôt que sur la société. Si les psychologues .tirent parti de ses études, les psychanalystes lui reprocheront d'utiliser certains de leurs acquis théoriques tout en refusant d'en accepter toutes les implications. Telle qu'elle se présente, l'œuvre de Margaret Mead et tout particulièrement l'ouvrage dont on nous offre aujourd'hui la traduction, sont stimulants pour l'esprit précisément parce qu'elle abat les cloisons entre les différentes disciplines 'qui s'attachent à l'étude de l'homme. De surcroît, elle peut nous éveiller aux problèmes concernant n 0 t r e corps, que notre civilisation a trop tendance à vouloir ignorer, tout imbue de la bonne conscience qu'elle a acquise en nous apportant le confort matériel. Nicole Belmont Les traductrices de l'ouvrage nous pel" mettront d'ajouter à la rapide bibliographie donnée à la suite du livre, l'adaptation française de deux essais datant de 1928 et 1935, publiée sous le titre c Mœurs et sexualité en Océanie » (Plon, collection Terre humaine, 1963), où l'auteur traite ces mêmes problèmes à l'aide des seules données recueillies sur le terrain et présentées de façon beaucoup plus approfondie.


PHILOSOPHIE

.

L'holllllle, ce Narcisse -. IncertaJ.D. Michel Foucault

mais il ne sera rien de plus que

Les Mots et les Choses, une archéologie des Sciences humaines.

ce qu'il dit. Désormais, domine, pour deux siècles, la représenta-

Gallimard éd.

Michel Foucault est, depuis son Histoire de la folie, un des jeunes philosophes qui aujourd'hui retiennent le plus fattention. Son essai sur Raymond Roussel a fait également date. Dans les Mots et les Choses, il se livre à une étude systématique des configurations mentales qui ont rendu compte de la nature des sciences depuis la fin de la Renaissance. François Châtelet analyse cet ouvrage de première importance. L'œuvre de Michel Foucault se développe avec une rigueur exemplaire. En 1961, c'était l'His-

toire de la Folie à f âge classique; deux ans après, La Naissance de la Clinique; voici aujourd'hui Les Mots et les Choses, une archéologie des sciences humaines. Entre les trois recherches, la continuité est évidente: L'histoire de la folie, c'est fhistoire de l'Autre - de ce qui, pour une culture, est à la fois intérieur et étranger, donc à exclure (pour en conjurer le péril intérieur), mais en fenfermant (pour en réduire l'altérité); l'histoire de l'ordre des choses c'est le thème de ce troisième ouvrage. Est l'hisLes Ménines, 1957. Dam $on livre, Michel Foucault analY$e le monde de la toire du Même - de ce qui, pour Picas$o: repré$entation c~ique dont- Vélasquez donna un modèle comple"e,o dénoué par une culture, est à la fois dispersé Pic4$$o, à l'époque contemporaine. et apparenté, donc à distinguer par des marques et à recueillir la signification d'ouvrages que stigmate - sur les choses, d'une dans _des identités. Quant au l'histoire de la culture - décou- marque répandue par le monde regard médical, gont traite Nais- pée en « disciplines » (la philo- et qui fait partie de ses plus sance de la Clinique, il est l'entre-_ sophie, les lettres, les sciences ineffaçables figures. En un sens, deux, puisque la maladie est -à exactes, l'économie...) - néglige cette couche du langage est unila fois le désordre, la périlleuse constamment; 3. c'est une critique que et absolue. Mais elle fait altérité dans le corps humain et qui retrouve à partir de quelles naître aussitôt deux autres forjusqu'au cœur de la vie, mais idées et de quels systèmes d'idées mes du discours qui se trouvent aussi un phénomène de nature (ou de pseudo-idées) se sont for- l'encadrer: au-dessus d'elle, le qui a ses régularités, ses ressem- mées ces fameuses «sciences commentaire, qui reprend les humaines » dont s'étend aujour- signes donnés, dans un nouveau blances et ses types. Cependant, l'histoire du Même d'hui, d'une façon fort irritante, propos et, au-dessous, le texte celle qui recherche dans l'impérialisme ambigu. d(mt le commentaire suppose la quelles conditions et selon quelEn ces trois domaines, la réus- primauté cachée au-dessous des les orgànisations se distribuent site est complète. Voici, sans marques visibles à tous; alors, le langage et la perception, la aucun doute, l'analyse théorique le propre du savoir n'est ni de parole et le monde, s'opèrent les qui doit apporter aux sciences voir ni de démontrer, mais d'inclassements et se repèrent diffé- humaines cette réflexion qui leur terpréter. Commentaire de fEcrirences et identites - possède une fait si notoirement dMaut. La ture, commentaire des Anciens, plus grande ampleur que celles rigueur, f originalité, l'inspira- commentaire des légendes et des qui visent à déterminer les divers tion de Michel J"oucault sont fables: on ne demande pas à critères définissant le fou et le telles qu'immanquablement, d~ chacun de ces discours qu'on malade. Il s'agit alors, en effet, la lecture de son dernier livre interprète son droit d'énoncer une de -l'histoire même du savoir, des naissent un regard radicalement vérité : on _ne requiert de lui que mutations de son espace et de la nouveau sur le passé de la cul- la possibilité de parler sur lui. constitution de ses objets. Au ture occidentale et une conception Avec l'âge classique, la provrai, le projet de l'ouvrage est plus lucide de la confusion de son fonde appartenance du langage -triple: 1. c'est une archéologie, présent. et au monde se trouve défaite. une étude systématique cherchant L'économie du texte est ri- Le primat de f écriture est susà reconstituer, à travers les œu- goureuse: un premier moment pendu. Disparaît alors cette couvres des praticiens et des théori- définit la situation du signe, de che uniforme où s'entreèroisent ciens, les configurations mentales cette relation équivoque qui unit indéfiniment le vu et le lu, le visiqui rendent compte de la nature et distingue le mot et la chose, ble et 0l'énonçahle. Les choses et des « sciences »- depuis la fin de dans la p-ériode pré-classique : au les mots vont se sépcrer. L'œil la Renaissance et de la manière XVIe siècle, le langage existe, sera destiné à voir, et à voir seudont elles ont regardé les « cho- d'abord, dans son être brut et lement; l'oreille à seulement ses »; 2. c'est une investigation primitif, sous la forme simple, entendre. Le dücours aura bien matérielle, d'une écriture, d'un - pour tâche de dire ce - qui est, tentant de révéler l'existence et La Quinzaine littéraire, 1" avril 1966

tion: le langage se retire de la vérité, et entre dans son ère de transparence et de neutralité. Alors que la Renaissance supposait l'interprétation et misait sur les profondeurs indéfinies du langage, s'introduit comme principe la- notion de l'ordre, un ordre que la pensée, le discours ont à refléter, fidèlement et simplement. De l'ordre simple, le savoir de type algébrique rend compte; les ordres complexes, la taxinomie, la disposition en tableaux ordonnés des identités et des différences, les réfléchit. Se déploient alors, au XVII" et au XVIIIe siècles des savoirs tendant à la totale transparence. On étahlit des « grammaires générales » qui veulent assurer la complète intelligibilité de la parole, des « histoires naturelles» qui classent choses et animaux en des organisations strictes, des héories de l'échange qui cherchent à représenter correctement la circulation des richesses. C'est l'univers ensoleillé où le signe est souverain, où la correspondance du mot - et de la -chose est posée comme allant de soi... Mais bientôt la lumière baisse et se projettent les ombres. L'évidence de la représentation est pauvre et l'unité qu'elle introduit exagérément simplifiante. C'est le troisième moment où « -les limites de la représentation » apparaissent, en des recherches équivoques et significatives, dans ce désordre intelligent qui est à l'origine de notre modernité: nulle composition, nulle

décomposition, nulle analyse en identités et en différences ne peut plus justifier le lien des représenllations entre elles; f ordre, le tableau dans lequel il se spatialise, les voisinages qu'il définit, les successions qu'il autorise... Ile sont plus en pouvoir .de lier entre eUes les représentations... La condition de ces liens, elle, réside désormais à f extérieur de la représentation, au delà de son immédiate invisibilité, dans u~e sorte d'arrière-monde i;lus profond qu'elle-même et plus épais. A la souveraineté de la représentation, aux po:uvoirs du logos qui unifie arhitrairement ce qui dit et ce qui est dit, se substituent les troubles richesses de l'homme, ce Narcisse incertain qui, de son seul souffle, trouble l'image dont il attend délivrance et vérité. S'institue le sommeil anthrop~lo­ gique. Nous en sommes; nous y sommes. Il n'est pas vrai que le XIX" siècle voit l'irruption de l'histoire : l'histoire, comme thème unifiant, était là d~puis bien longtemps. Ce qui ~urgit, c'est les histoires, la plUralité irrépressible des devenirs, la différence vraie, qu'on ne peut ~ 19


LIVRES POLITIQUES ~

contenir. Le déclin du primat de la représentation, de l'évidence, signifie que la pensée comprend enfin que son objet effectif, c'est l'impensé, ce fond mystérieux et exigeant qui la limite et l'oblige. Kant le dit, d'une autre façon et avec un autre poids peut-être, Ricardo l'économiste, Cuvier Je biologiste, Bopp le philosophe le prouvent. Dès lors, se trouvent délivrées les trois disciplines autour desquelles vont se construire, dans l'aberration de l'obscurité, nos sciences humaines. Le travail, la vie, le langage constitueront les objets de savoir parcellaires et fructueux. Mais -l'homme, comme unique réalité;· êôurce et objet de toute connaissance, est désormais au centre: c'est de lui qu'il faut parler. La psychologie, réplique humaniste de la biologie, la sociologie, réplique humaniste de l'économie politique, l'ethnologie, réplique humaniste de la philologie, développent leur empire... Est-ce bien de l'homme qu'il faut parler? Est-il bien l'objet (et le sujet) unique du savoir rationnel? C'est cela que Mich~l Foucault, finalement, met en doute. Son analytique de la finitude montre à la fois pourquoi la notion d'homme mélange instable d'empirisme et de concept, de nature et de culture, de flagornerie et de sérieux - joue un rôle si éminent et usurpe, dérisoirement, ce rôle. Il est probable qu'en essayant de présenter le mouvement d'ensemble du livre, nous avons dit ce qu'il fallait en dire et que, cependant, nous en avons manqué l'essentiel. Car l'essentiel n'est pas dans la rigueur, dans la richesse de l'information, dans l'originalité des références. Il n'est pas, non plus, dans le style, dont l'afféterie est souvent agaçante (il y a des passages « littéraires » dont on se passerait bien, parfois un «gongorisme haut - allemand » dont on ferait aisément l'économie). Il est dans la méthode. Michel Foucault- courageusement se veut archéologue: il se donne pour tâche de décrire et d'analyser les bifurcations du savoir. Il jette par-dessus bord les philosophies de l'histoire, idéalistes ou matérialistes. Il a bien raison. Pourquoi s'embarrasseraitil à chercher la cause profonde, infrastructurelle, des mutations de la science ? Il reste que l'archéologie est seulement descriptive. Nietzsche signalait un autre chemin: celui de la généalogie - qui n'est autre què celui du dépistage de celui ou de ceux qui - symboliques d'une configuration socio-culturelle - sont à l'origine de notre bâtardise. François Cluitelet 20

Lukacs hérétique Dlalgré lui

L'homme, ce Narcisse incertain Georges Lukacs Lénine. E.D.I. éd.

Les ouvrages de Georges Lukacs continuent tr être publiés, avec ou sans agrément de rauteur. Le Lénine qu'on nous donne de lui en français est un des plus singuliers - tant par la date où il a primitivement vu le jour que par les idées qui y sont exprimées - . L'hérétique était en germe dans cette prise de position « léniniste ». C'est ce que nous expose un connaisseur : Victor Fay. Le Lénine de Georges Lukacs, qui vient de paraître en français, a été écrit en février 1924, peu après la mort de Lénine. Cette brève étude suit la fameuse et maudite Histoire et Conscience de Classe 1, parue en 1923. On peut même dire que Lénine complète en quelque sorte ce grand ouvrage de Lukacs et dresse un premier bilan de l'héritage que se disputeront plus tard staliniens et trotskystes. Lukacs n'a jamais été trotskyste. Mais, malgré des efforts laborieux d'adaptation, il n'est jamais devenu un vrai stalinien. Sa formation première, essentiellement philosophique, ses préoccupations méthodologiques, enfin les circonstances de son adhésion au part i communiste et à la Commune hongroise de 1919 lui rendaient impossible un ralliement inconditionnel au stalinisme. Il n'a cependant rien d'un martyr : il s'incline devant la force, plie sous la tempête. Comme Galilée, il reconnaît ses « fautes », fait à plusieurs reprises son auto-critique et écrit même un regrettable éloge de Staline en pleine période de réaction jdanovienne. Il a fallu l'insurrection d'octobre 1956 en Hongrie, pour que Lukacs, âgé alors de soixante et onze ans, redevienne lui-même, entre au gouvernement d'Imre Nagy, refuse de capituler même après l'exécution de Nagy et de plusieurs de ses compagnons de captivité. Libéré, autorisé à rentrer en Hongrie après une détention en Roumanie, Lukacs reprend son œuvre d'historien marxiste de la littérature. Il renouvelle, en 1957, son autocritique concernant Histoire et Conscience de Cla&se, dont il n'a d'ailleurs pas autorisé la réédition, comme il n'a jamais permis celle de son Lénine. Oh ! Il est orthodoxe en diable notre grand Lukacs ! Il suit pas à pas le raisonnement de Lénine, en coordonne les étapes, en dégage l'unité et la cohésion, en donne enfin une explication méthodologique. Il est orthodoxe à sa manière et s'en explique : c Le marxisme orthodoxe ne signifie pas une adhésion sans critique aux résultats de la recherche de

Marx, ne signifie pas une foi en une thèse ou une autre, ni l'exégèse d'un livre sacré. L'orthodoxie, en matière de marxisme, se réfère bien au contraire et exclusivement à la méthode 2. Pour comprendre toute l'œuvre de Lénine, tant théorique que pratique, il faut, précise Lukacs, la situer dans c la perspective de r actualité de la révolution », puisque « l'évolution du capitalisme a fait de la révolution prolétarienne, une questio" à l'ordre du jour » (p. 30). D'accord sur ce point avec Rosa Luxembourg, Lukacs considère que « la révolution ne pouvait plus venir trop tôt du point de vue socioéconomique », autrement dit que la transformation sociale dépend essentiellement du degré de conscience de classe et d'organisation du prolétariat. Suivre la trame de cet ouvrage serait le réduire à une explication du schéma de Lénine. En fait, Lukacs ne peut s'enfermer dans un cadre aussi rigide : il assortit son texte d'une multitude, non pas de réserves, mais de comment!lires originaux. Déjà, dans l'avantpropos de Histoire et Conscience de Classe, il écrit (en décembre 1922!) qu'on y trouve « l'écho de ces espoirs exagérément optimistes que beaucoup d'entre nous ont eu quant à la durée et au rythme de la révolution » (p. 9). Deux ans après, précisant sa pensée, il ajoute dans son Lénine :' le capitalisme est entré dans la période qui doit décider de sa survie ou de sa disparition (p. 80). Il est évident que Lukacs a été l'un des premiers à tirer les conséquences de la N.E.P. (1921) et de l'échec du mouvement révolutionnaire allemand (1923). Il n'a j a mai s considéré la disparition du capitalisme comme fatale et l'a conditionnée par la préparation théorique et pratique du prolétariat. D'où l~ rôle primordial mais nullement unique qu'il accorde au parti communiste. L'organisation léniniste, écrit-il, est à la fois produit et producteur de sa propre réalité : les hommes font eux-mêmes leur parti (p. 63). Et pour éviter tout malentendu, il ajoute : il (le parti) n'a pas pour tâche d'imposer aux masses un... comportement élaboré dans r abstrait, mais bien au contraire, d'apprendre en permanence des luttes et des méthodes de lutte des masses (p. 61). Car, les conditions et les moyens de lutte se transforment sans cesse (p. 60). C'est pourquoi une forme d'organisation qui a été utile... peut devenir carrément un obstacle dans des conditions de lutte différentes (p. 61). Ce qui explique que tout dogmatisme dans la théorie et toute pétrification dans l'organisation soient fatals au parti (p. 62). Le parti, poursuit LukaC8, n'est pas tout prêt à as,umer la mission ; lui non plus

n'est pas, il devient. Et le processus d'interaction fructueuse entre parti et classe se répète, bien que différèmment, dans les rapports erltre le parti et ses membres (p. 64). Lukacs établit, à la suite de Lénine, un étroit lien de causalité entre problèmes politiques et problèmes d'organisation. Le parti (de type léniniste), écrit-il, ... est conçu comme rinstrument de la lutte de classe en période révolutionnaire (p. 49). Si la Russie s'était trouvée à la veille d'une période de prospérité relativement calme et d'extension progressive de la démocratie, les groupes de révolutionnaires professionnels se seraient alors figés dans le sectarisme ou seraient devenus de simples cercles de propagande (p. 50). Lukacs formule ainsi une conception dialectique très souple du parti et de son organisation. Il n'adopte la conception léniniste d'un parti fortement centralisé et discipliné que dans la perspective de l'actualité de la révolution. Il nous est impossible d'aborder dans ce compte rendu tous les autres thèmes dont traite Lukacs et, notamment le rôle du parti et des Soviets après la prise du pouvoir. Son orthodoxie particulièrement « flexible » lui permet de greffer sur l'exposé fidèle et pénétrant des conceptions léninistes, une série d'observations au second degré qui ouvrent d'autres perspectives permettant éventuellement d'aboutir à d'a u t r e s conclusions. Il est frappant de constater, chez cet émigré coupé pendant près de trente ans de sori pays natal, chez ce philosophe profondément absorbé par les problèmes de méthode, un sens très précis du réel, non pas d'un réel immédiat, mais, justement grâce à la médiation de recherches et de réflexions méthodologiques, d'une réalité plus profonde, en devenir, et d'en dégager des tendances encore cachées. Léniniste scrupuleux, marxiste orthodoxe, Lukacs « lukacsise », comme malgré lui tout ce qu'il touche. Il a beau se vouloir simple interprète de la pensée de Lénine, sa propre pensée apparaît, en transparence, jusque dans les commentaires les plus impersonnels. Dans l'avant-propos de son ouvrage, il insiste sur la difficulté de vulgarisation avant que ce qui doit être vulgarisé n'ait déjà été traité dans toute sa rigueur scientifique (p. 23). Il n'a pas su, heureusement pour nous, vaincre cette difficulté. Il a traité avec toute la rigueur scientifique, bien que d'une manière fragmentaire, les thèmes les plus vulgarisés du léninisme et, ce faisant, il en a dévoilé les aspects et les dimensions inhabituels. Victor Fay 1. L'Histoire et Conscience de classe.

Editions de Minuit. , 2. Ce volume est publié par E.D.I., 29, rue Descànes, Paris 5.


Où Charles Bettelheim La construction du socialisme en Chine. Maspéro éd. René Dumont La Chine surpeuplée, Tiers Monde affamé. Le Seuil éd. Robert Guillain Dans trente ans, la Chine. Le Seuil éd. Ces ouvrages sont bien différents à beaucoup d'égards. Le premier est un travail d'économiste, dont le caractère un peu technique apparaît principalement dans les études consacrées à « la planification et la gestion des unités de production '>, aux « systèmes de rémunération dans les communes populaires» l, à la politique des prix, mais qui s'ouvre et s'achève par deux chapitres d'un très grand intérêt général : « cadres généraux de la planifica-

tion chinoise », « style spécifique de la construction du socialisme ». Le second est une enquête agronomique, dont le noyau central (un carnet de voyage dans cinq régions rurales typiques) est précédé d'une assez longue étude de seconde main sur l'évolution de la politique agraire chinoise depuis 1949, et se prolonge par des réflexions générales dans le style paradoxal et poignant que connaissent bien les lecteurs de René Dumont. Le troisième est construit comme un reportage journalistique clas&ique, signé par un maître du genre. Leur ton diffère autant que leur structure. Sans aller jusLa Quinzaine littéraire, 1" avrü 1966

qu'aux outrances récentes de Jules Roy, dont il est plus charitable de négliger dans cette chronique le cri un peu forcé de « papillon qui tap.ait du pied », René Dumont s'est visiblement entendu assez mal avec ses interprètes et informateurs chinois, et conte ses impatiences à son lecteur par le menu. Charles Bettelheim s'en tient à une analyse théorique sereine et à un ton pondéré, qui ne font guère place au souvenir personnel et au détail concret ; mais il Bait formuler avec une fermeté discrète des interrogations qui conduisent souvent à des critiques implicites : « risque » de dogmatisme et de dépérissement de la démocratie socialiste, que comporte l'actuel style de construction du socialisme chinois (pp. 173-175) ; opposition entre les exigences à long terme de la division socialiste internationale du travail et le mot d'ordre de Pékin « compter sur ses propres forces », etc. Robert Guillain, auquel ses précédents écrits n'avaient guère {ait

une réputation de propagandiste de la Chine populaire (<< les fourmis bleues... :t), réussit ce tour de force de relater les analyses et les données qu'on lui a proposées là-bas sur un ton parfaitement ambivalent, en évitant à la fois de les critiquer et de les prendre à son compte. Pourtant ces trois ouvrages sortent également du lot; ils tranchent sur la série fastidieuse des livres hâtifs qu'a inspirée la Chine depuis plusieurs années. Leurs auteurs, qui avaient tous les trois voyagé aéjà en Chine populaire, bénéficiaient de leur propre expérience. et étaient' capables de dis-

va

la Chine?

socier leurs réactions objectives du agricole, dont il souligne les fai« choc émotionnel » bien connu blesses dans tel ou tel cas concret, chez quiconque affronte pour la mais dont le principe lui semble première fois l'immensité chinoi- adapté aux besoins de la Chine. se. Ils ont su tous les trois réflé- Pour Ch. Bettelheim, la commuchir, et nous aider à réfléchir. Po- ne sous sa forme actuelle ( «à trois échelons ») est une forme origisons-leur quelques questions! La Chine, dont la marche au nale de « médiation » entre for· socialisme était assez conforme au ces productives et rapports de pro« modèle classique » jusqu'en duction : la petite dimension des 1957 (reconstruction jus q u' e n unités de travail se combine avec 1952, puis premier quinquennat), une propriété d'Etat et avec une s'en est fort éloignée depuis : propriété communale qui portent bond en avant, crise de 1960-62, sur de grands ensembles; méca« réajustement» depuis 1962. Au- nisation agricole et industrialisacun des trois auteurs n'apporte tion rurale pourront se réaliser à beaucoup de précisions sur la l'échelon supérieur, sans gêner une brusque accélération de 1958, sur longue persistance de l'artisanat ce soudain abandon des prévisions rural et la mise en œuvre de techéconomiques encore très classi- niques agricoles plus modestes à ques du VIII- Congrès (il ne s'en l'échelon de la brigade. est pas tenu depuis) du Parti Le problème démographique, communiste en 1956. Mais sur la crise de 1960-62, au sujet de la- vu de Chine, est-il aussi aigu quelle on reste fort discret à Pé- qu'on se le représente généralekin, ils admettent tous les trois ment en Occident ? Si Bettelheim qu'il y a eu conjonction entre est assez discret à ce sujet, Guille retrait des experts soviétiques, lain y consacre un chapitre bien trois années agricoles catastrophi- documenté et Dumont en fait son ques, et de très sérieuses erreurs leit-motiv essentiel. Tous deux se de gestion. Le réajustement de demandent, même en l'absence de 1962 n'a de sens que par rapport toute statistique officielle depuis à cette crise. Ses dispositions les 1960, dans quelle mesure la croisplus neuves : réduction du taux sance démographique n'absorbe d'accumulation, limitation de l'in- pas au moins une part notable du dustrialisation urbaine accélérée, progrès de la production agricole. arrêt des exagérations de l'indus- D'autre part, ils relient aussi cettrialisation rurale (les « hauts- te question à celle de l'emploi; fourneaux de poche »), mesures Dumont, d'après son expérience que Guillain considère un peu vi· villageoise, tend à considérer qu'il te comme contraires à « l'ortho- y a plein emploi, mais au prix du doxie marxiste :t (p. 127), appa- maintien de la production à un raissent à Ch. Bettelheim comme très bas niveau technologique; des applications originales de cel- Guillain a eu dans les villes l'imle-ci ; il souligne l'intérêt du ren- pression en revanche d'une certai. versement de la hiérarchie clas- ne tendance au sous-emploi, au sique industrie lourde - industrie personnel en surnombre. Le conlégère - agriculture, notamment trôle des naissances, envisagé de par rapport à la tradition de la façon éphémère en 1956·57, négliRussie stalinienne. C'est l'agricul- gé dans le climat d'optimisme du ture qui devient maintenant ce bond en avant, est aujourd'hui que les soviétiques ont appelé le « mené avec vigueur » (Guillain), « chaînon conducteur » ; l'indus- et c'est bien « un fait nouveau » trie est « placée dans l'orbite de en Chine. l'agriculture », disent les éconoAu total, ces trois ouvrages conmistes chinois. La succession de ces trois éta· cordent pour présenter de la Chipes récentes (bond en avant, crise, ne populaire un bilan nuancé et réajustement) se reflète très net- complexe (cf. le chapitre de Guiltement dans le destin des commu- lain sur le climat culturel), mais nes populaires, dont l'échec total fortement positif. Guillain note et la disparition de fait avait été l'aspect « décontracté » de la fouannoncés tant en Union Soviéti- le de Pékin, il donne la note « exque qu'en France dans le feu de trêmement bien » à un Changhaï la controverse sino.soviétique. Nos « méconnaissable », il considère trois auteurs sont unanimes à con- de façon plus générale (p. 8) que sidérer qu'il n'en est rien. Ils ont « quand les dirigeants de Pékin vu fonctionner les communes sous affirment qu'ils ont réussi... ils leur forme « réajustée », c'est·à- disent la vérité ». Dumont estime dire avec des brigades et des équi- « impressionnants » les résultats pes autonomes au sein de ces col- obtenus dans les communes qu'il lectivités politico-économiques de a visitées; encore s'interroge-t-il plusieurs dizaines de milliers de avec inquiétude sur les « deux personnes. Si Robert Guillain es- milliards» d'habitants que les ditime un peu sommairement qu'el- rigeants chinois semblent prévoir les ont été « un échec économi- dans un avenir assez proche. L'hoque mais un succès politique », rizon 1980 lui semble chargé d'inRené Dumont, expert exigeant, quiétude, et une famine générale considère qu'il y a là une « for- menaçante pour tout le Tiers-Monmule positive » du point· de "ue de sauf pour la Chine. Enfin, ce sont sans doute les pages de con1. Etudes dues à Jacques Charrière et à ~ Hélène Marchisio. 21


~

Du clan au gang

La Chine

clusion de Bettelheim qui constituent la défense la plus solide et la plus réfléchie de la « voie chinoise » qui ait été présentée en Occident. Il va au-delà de la seule analyse des mécanismes économiques, pour tenter de saisir une conception nouvelle de l'homme : attitude envers le travail manuel, réserve à l'égard des stimulants matériels (qui contraste avec les tendances récentes du libermanisme), et surtout « rejet des valeurs de la société de consommation ». A travers les phrases si denses qu'il consacre au « modèle améri· cain », à la société où la « con· sommation élargie» n'aboutit en fait qu'à une « insatisfaction crois· sante des besoins », il met en question l'avenir de l'Occident, et non seulement. le choix des Chi· nois ; par un ra,çq:09rci saisissant, il rétablit ainsi entre la Chine et les pays industriels cette solidarité de destin que tendent aujourd'hui à nier certains amis un peu naïfs de la Chine. Aucun de ces trois ouvrages ne fait large place à la politique étrangère chinoise et à ce qu'on appelle couramment les « thèses chinoises » en matière internationale. Ce qui est une façon heu· reuse à notre sens de dégager l'étude de la Chine de celle de la controverse sino-soviétique. Si cet· t~ controverse constitue aujour. d'hui l'aspect le plus spectaculaire et le plus sensationnel des af· faires chinoises, elle n'en e8t 8an8 doute pas le plus fondamental à lon~ terme. Ce grand pays compte par lui-même. Jean Chesneaux

William Peiree Randel Le Ku Klux Klan Albin Michel éd. En janvier 1965, à Macon en Georgie, une cour fédérale prononce un non·lieu en faveur de six membres du Ku Klux Klan coupables -du meurtre d'un professeur noir. En octobre de lamême année, douze jurés du tribunal d'Hayneville (Alabama) acquittent Collie Leroy Wilkin8, jeune « héros » du Ku Klux Klan de 21 ans, qui avait tué une militante intégrationniste blanche. Qu'un siècle après la fin de la guerre de Sécession la première nation du XX· siècle n'en ait pas encore liquidé toutes les séquelles et doive admettre que l'OR peut assassiner impunément sur une partie de son territoire est d'un anachronisme tragique. . Il est bon que la lecture de tels événements quotidiens s'accompagne de celle d'ouvrages comme cette histoire du Ku Klux Klan écrite par un professeur à l'Uni· versité de Floride. Et ce, afin de rappeler aux gens qui ont la mémoire courte, que ces activiste8 à cagoule8 blanches ne relèvent ni du folklore américain ni du sim· pIe fait diver8, et que le prétendu problème noir du Sud est unique. ment un problème blanc. Le 24 décembre 1865, à Pula8ki (Tennessee), six officiers de l'exarmée confédérée vaincue créent l'organisation du Clan du Cercle Kuklos, cercle en grec, et Klan comme dan8 les roman8 de Walter Scott auteur très aimé dans le Sud. C e 8 chevalier8 devaient défendre la pureté, le foyer, les

femmes et les enfants, surtout les veuves et orphelins des soldats confédérés... Dan8 un premier temps, il ne 8'agit que d'effrayer les noirs super8titieux pour le8 tenir à l'écart de leurs ancien8 maîtres. Mais de l'intimidation au châtiment phY8ique, il n'y eut qu'un pas vite franchi : dè8 lor8, ce furent cinquante an8 d'exac· tions, de tortures et de meurtre8 au nom du maintien de la Suprématie de la Race Blanche. C'était également un moyen de 8e venger de l'occupant Yankee avec ses carpetbaggers, ses nigger. lovers, son Bureau des Affranchis et 80n programme de Recon8truc· tion. En fait, -vingt an8 après la victoire du Nord, l'esprit du Sud a triomphé chez lui et le Ku Klux Klan connaît une période de stagnation. C'e8t un Klan moderne qui renaît en 1915, aidé en cela par le chef·d'œuvre cinématographique de Grüfith, La Naissance d'une Nation, adapté ~'un roman 8udi8te

de Thomas Dixon paru en 1906 : The Clansman. Le Ku Klux Klan devient rapidement une organisation rentable, transformée par d'avisés marchands de haine en soc i été anonyme autorisée... L'essor est fulgurant 2.000 membres en 1917, 5 millions en 1925 ! De mouvement régional, il est devenu parti national en s'attaquant aussi « aux Juifs, aux Catholiques et aux immigrants de fraîche date » : les ennemis de l'intérieur. Quarante ans plus tard, ce sera l'infiltration communiste qui 8era dénoncée... Le8dirigeant8 8'éliminent pour le8 meilleures place8 lorsqu'ils ne peuvent ni 8'entendre ni 8'acheter. De 80ciété capitaliste, le Klan devient Gang. Les « purs » et les « mous » 8'en écartent; re8tent 300.000 membre8 en 1927, recruté8 pour la plupart parmi le8 « petit8 blanc8 ». Attiré par le fasci8me et le nazi8me américain en 1939, le Klan di8paraît en fait dè8 Pearl Harbor, et légalement en 1944, faute de pouvoir payer un arriéré considérable d'impôts. La pol i t i que d'intégration raciale de Wa8hington fait ressurgir le mouvement et diver8 autre8 8emblable8 à partir de 1954-1955 dan8 le8 Etats du Sud. L'évolution du Klan e8t achevée : il revient à ses origine8 locale8, hi8torique8 et idéologique8... à 8a pureté originelle 8i l'on peut dire! Mal· heureusement, le livre de M. Randel 'ne traite pas de cette décennie 1955·1965 qui marque pourtant la naissance d'un troisième Klan : celui de l'ère maccarthY8te et de l'ère intégrationni8te. Guy Braucourt

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SCIENCES

Jean Rostand : vers un surréalisDle biologique La Biologie, acquisitions récentes. Ed. Aubier.Montaigne.

futur y sont inscrites, comme si elles étaient codées. C'est très intéressant philosophiquement : autrefois on s'im~ginait que l'homme futur, l'homunculus, était déjà contenu dans l'œuf, à l'état microscopique: ce n'est pas vrai, mais Albert Claude compare quand même le ruban d'A.D.N. à un homunculus chimique il s'agit de potentialités existant sous une forme chiffrée. Puis vous avez l'exposé d'Etien. ne W oIff sur l'embryologie. Aujourd'hui l'embryologie peut tout faire, créer des monstres, mélanger un embryon de poulet à un embryon de souris, créer des embryons-chimères...

Pour sa XXVI" semaine (du 9 au 17 juin 1964), le Centre International de Synthèse avait choisi d'honorer la Biologie. Ce centre, en activité depuis 1929, réunit annuellement dans les salons de fhôtel Lambert, rue Colbert, une docte assemblée qui -fait le point sur des sujets d'importance L'Histoire, science humaine du Temps Présent, 1963, L'Expérien. ce, 1962, L'Art et la Pyschologie des Peuples, 1961, l'Ecriture, L'Unité de l'Etre, L'Infini et le Réel, etc. Qu'appelez-vous un « ê t r e Devant un public de philosophes, d' historiens, de chercheurs, chimère» ? une quinzaine ou plus de spéciaJ. R. On dit qu'un être est listes de la question traitée communiquent le tout dernier chimère quand il contient des état de leurs travaux et de leur .morceaux d'un être d'une autre pensée. Les exposés sont ensuite espèce ou même d'un autre orgarassemblés et publiés en volume. nisme que le sien. Il y a à l'heure La Biologie, acquisitions récen- actuelle des hommes-chimères, des tes, vient ainsi de sortir aux hommes qui vivent avec le rein Editions Aubier. Jean Rostand, de quelqu'un d'autre... On fait du dont la conférence s'intitulait surréalisme biologique. Vues d'avenir sur la Biologie, a Dans quel sens employez-vous bien voulu feuilleter pour nous le le mot « surréalisme » ? volume:

Je crois que Breton a dit à peu près : est surréaliste toute action qui détourne un objet de sa destination première... Vous pouvez aussi lire ici un texte sur les progrès de l'endocrinologie, en particulier chez les crustacés. On a découvert que c'est une hormone qui les fait muer. C'est aussi une hormone qui provoque la différenciation sexuelle... Savezvous que cette hormone a été découverte par une jeune femme Madame Hélène Charriaux-Cotton, l'une des meilleures biologistes de notre époque. Je trouve ça beau, moi, qu'il ait fallu attendre cette jeune femme, en dépit de tous les travaux et de toutes les recherches faites dans le monde entier, pour apercevoir un jour cette p~tite glande qui avait échappé à tout le monde... Ce sont aussi des hormones qui règlent la vie chez les végétaux. A ce propos vous savez qu'on fait désormais des embryons à partir de tissus non reproducteurs? A partir d'une feuille. de carotte, par exemple, on reproduit une carotte tout entière. Demain, peut-être, à partir de n'importe quelle ~ellule d'un organisme hum.ain on reproduira cet être humain tout entier. On prendra' une cellule dans votre bras, ou dans votre jambe, et on vou s refera... C'était quelque chose qu'on pouvait prévoir depuis une trentaine d'années... J. R.

J. R. Ah, pour commencer je vois Naissance de la Biologie moléculaire, ce sont les travaux de nos Prix Nobel. Après avoir exploré la cellule on arrive maintenant à la molécule et par la molécule on rejoint la chimie. Certains voudraient en profiter pour faire de la biologie une dépendance de la chimie, je pense que c'est excessif. Je crois qu'une biologie moléculaire ne peut pas remplacer complètement la biologie traditionnelle. Vous avez' ensuite des exposés sur La Structure de la Cellule, Conna.issances cytologiques nouvelles et l'article d'Andrée Tétry : Génétique et Biologie moléculaire. C'est un sujet extrêmement difficile et je crois qu'il n'est pas possible d'en parler plus clairement que ne le fait ici Andrée Tétry. Les derniers progrès de la biologie démentent d'ailleurs l'un de mes principes : je pensais jusqu'à présent que la biologie était la seule science qu'on puisse transmettre à l'homme de la rue assez facilement et sans la déformer maintenant qu'elle a rejoint la chimie c'est un peu plus difficile. Tout de même je crois qu'on peut suivre... Cette affaire de génétique, vous en connaissez les. bases : l'ori a découvert que l'un des constituants essentiels des chromosomes était le ruban d'A.D.N., acide désoxyribonucléique). Toutes les particularités génétiques de l'être

La Quinzaine littéraire, 1er avril 1966

Le Meilleur des Mondes? J. R. Quelquefois on me dit: vous y croyez, vous au Meilleur des MoIi<{es tel que l'a décrit

Huxley? Je réponds: mais je n'ai pas à y croire, nous y sommes...

N'avez-vous pas le sentiment que les gens. ne s'en aperçoivent pas encore. Serait-ce qu'ils ne f acceptent pas? J. R. OU qu'ils l'acceptent plus facilement qu'on ne croit? Tout ce qui est déjà possible : conserver la semence gelée d'hommes disparus, créer des hommeschimères, transformer quelqu'un avec ses hormones, son sexe, son caractère, ses vues du monde... Tout cela se fait aujourd'hui!

Mais personne, sauf vous, ne cherche à en imaginer les conséquences morales, affectives, juridiques même... En même temps, plus vous en parlez, moins on a le sentiment que ça vous plaît, ce triomphe de la biologie... J. R. C'est probablement que je vis encore sur de vieux préjugés : le respect de la personnalité, par exemple, de l'individu. J'ai ces sentiments, ou ces préjugés, comme on veut, très profondément enracinés en moi: il me semble que je n'aurais plus aucun plaisir à voir une personne que j'aime avec une figure retouchée par la chirurgie, qui ne serait plus à elle...

Et un caractère «.amélioré »? J. R. •.. oui, quand j'y songe je me dis que c'est probablement une espècè de narcissisme un peu puéril, qui va disparaître dans les générations nouvelles. Ce culte Je l'individu sur lequel nous avons vécu, est-ce que ça n'est pas tout simplement un fétichisme? Une sorte de névrose. Ne faut-il pas .souhaiter la venue au monde de non-névrosés, dans un monde sain, équilibré, heureux...

Où la souffrance et le besoin de créer n'auront plus leur place? J. R. Ah le génie, bien sûr, y aura-t-il encore des génies tels que nous les concevons? Nos génies sont tous plus ou moins des malades. On est incapable d'aimer, de se dévouer, on prend la névrose comme une solution... Faut-il cultiver le génie à tout prix? Je n'en sais rien...

Et que deviendra le sens de la tragédie, s'il n'y a plus de névroses? J. R. Est - ce si effrayant qu'on manipule l'homme? Moi,

oui, je trouve ça effrayant. Mais n'est-ce pas justement parce que je fais partie d'une humanité encore névrosée, qui croit à l'individu, au sacré, au tabou du naturel ? Mes résistances ne sontelles pas des symptômes? J'ai posé un jour la question à une assemblée de psychanalystes. Ils m'ont dit: on va réfléchir - et ils ne m'ont jamais répondu... Pascal disait déjà : « la nature, cette ancienne coutume ». Non, la nature n'est pas parfaite, loin de là, on peut corriger la nature, tenter de faire mieux qu'elle. Mais il me semble, moi, que ça m'intéressera moins. Vous connaissez la réflexion de Montesquieu : « je n'admire pas la voix des castrats parce qu'ils sont faits pour ça... ». Un génie fabriqué, ça ne me dirait plus rien, me semble-t-il. Mais c'est probable. ment ma réaction qui n'est pas tout à fait saine. Je suis comme Cyrano : « Mon sang se coagule, en pensant qu'on y peut changer une virgule »•. Non, chez moi, je crois que ce refus de l'avenir biologique est un symptôme !

Un symptôme que vous partagez alors avec beaucoup de gens ! J. R. En même tempe l je trouve ça beau tout cela, que l'individu touche à l'homme, que l'espèce humaine parvienne à manipuler son ruban. d'A.D.N., c'est très beau! Je n'arrive pas à expliciter mon malaise, on aura des gens plus robustes, plus vigoureux... après tout, le bilan est positif. Il y a d'ailleurs des savants à qui j'en parle qui me disent : « mais de quoi vous 'plaignez-vous ? on ne vous comprend pas! ». Sont-ce les restes d'une vieille métaphysiqqe ? Après tout; quand on me dit: « ah, ça n'est plus comme avant, on ne peut plus trouver un vrai croissant ni un vrai poulet », eh bien je trouve que les gens exagèrent, ce sont des objections de luxe qu'on n'a pas le droit de faire au regard de tout ce qui est acquis. En vérité, on ne sait pas très bien ce qu'on voudrait... Alors comme on n'ose pas trop se plaindre du présent, on se plaint de l'avenir! Je sais très, bien que je ne suis pas content - mais qui est-ce qui me rendrait content ?

Le bonheur aussi est une idée troublante. Nous sommes habitués à la souffrance, nous faimons, il semble qu'elle recèle des ferments nécessaires à la découverte de la vérité, au progrès... Quand on la supprimera aveè une piqûre... ~


~

Le ,hasard pris au

Jean Rostand

J. R. Et la mémoire avec une autre! Quels sont les besoins de l'homme ? Vous allez nous enlever, la souffrance,? Ça ne sera peut-être pas mieux mais plus mal... Tout va être modifié, nos relations affectives seront toutes différentes. Ce qui m'étonne c'est comme il y a peu de gens pour imaginer cela, faire de la prospective affective. Les plus tranquilles ce sont les prêtres. Souvent j'ai parlé avec eux : pour eux on ne peut pas toucher à l'â'me, l'âme s'en tirera toujours. L'instrument sera plus ou moins bon,mais l'âme est sauvée... Nous qui ne croyons pas, nous avons cette peur matériali~t~ : si on touche au .corps to~t" est changé! C'est saris doute une peur très narcissique, il faudrait être moins soucieux de soi et' plus soucieux de l'avenir de l'espèce.

Qu'en pensent les jeunes ? J. R. Je ne crois pas que les jeunes se posent ces questions. Ils veulent travailler - puis se divertir. Il me semble que leur narcissisme est moins âpre que ne l'était le nôtre, ils cherchent moins à devenir quelqu'un, ils pensent plus à (l'agrément que nous, que moi. Profiter-de la vie? Non, je n'ai pas été élevé comme cela. Jamais je n'ai vu mon père penser à prendre un plaisir. Les gens voulaient se réaliser. Jamais je n'ai vu mon père prendre des vacances, moi non plus je n'en prends pas, je ne comprends pas ce que c'est. Les gens bien, comme on disait, les savants, ceux qui entouraient mon p ère, pratiquaient une morale ascétique et austère. Les jeunes ne sont pas ascétiques.

Vous voyez, déjà le monde affectif a changé, et sans que ta biologie y soit encore pour grandchose. Alors? Propos recueillis par Madeleine Chapsal

Jean-Louis Boursin Les structures du hasard. Le Rayon de la Science Microcosme Le Seuil La couverture d'un brillant petit livre me revenait en mémoire ce dimanche matin, lors de l'achat d'un paquet de Saint-Claude; trois chevaux en plein effort ne disputent certes pas une course de hasard, mais les parieurs qui peuplaient le café se livraient (sans le savoir) à une pure loterie en perforant les fiches du Pari Mutuel Urbain, puisqu'ils étaient à peu près démunis de toute science hippique, en dépit des journaux aux titres gras qu'ils étalaient sur le comptoir. Je ne me mêlerai d'ailleurs pas de discuter si, même' parmi les spécialistes du turf, il peut exister une connaissance raisonnée des aléas de ce sport, n'ayant guère fréquenté les pelouses. Mais ce qui est certain, et J .-L. Boursin nous le prouve abondamment, c'est que la résultante de ces milliers d'influences qui nous échappent, tant du côté des chevaux que des inspirations d'ordre magico-sentimental qui viennènt aux joueurs, a finalement des conséquences si précises, que le bénéfice annuel du P.M.U. peut être prévu avec une grande sécurité par les inspecteurs des finances qui nous gouvernent. Dans le titre (Les structures du hasard), l'un d'!:s mots est décidément à la mode. Quel professionnel des sciences humaines n'a pas flirté avec le structuralisme? Le second mot paraît un peu flou : or il est probablement plus facile à définir avec rigueur que l'autre. L'auteur a opté ,pour l'introduction du hasard comme « mesure de notre ignorance » ; on sait que cette acception reste liée à la

croyance en un déterminisme assez rigide que nous ne discuterons pas ici, car il est à la base du calcul classique des probabilités, qui constitue au fond la matière de ce livre de vulgarisation. Ce n'est pas le premier ouvrage qui paraît sur le sujet, tant s'en faut (même sans remonter à l'abbé Moreux !). Mais on peut dire avec certitude que nous nous trouvons devant l'un des meilleurs essais qui constituent l'abondante (mais souvent médiocre) littérature spécialisée à ce niveau. Il semble difficile de reprocher à l'auteur de n'avoir guère présenté son acteur principal de façon « moderne ». Il n'ignore certainement pas les axiomatiques abstraites qui se substituent peu à peu aux anciennes introductions subjectives de la notion de probabilité. Il est resté très près, et à juste titre compte tenu de son public, de l' cars conjectandi » de Jacob Bernoulli (du nom du premier traité, publié en 1713, qui reprend l'ensemble des travaux . nés des recherches de Pascal, Fermat et Leibniz, où l'on voit apparaître la fameuse loi des' grands nombres). Mais il apporte à cette matière ancienne, basée sur le rapport classique du « nombre des cas favorables au nombre total de cas », toutes les ressources de l'analyse qui en est sortie. C'est ainsi qu'il élucide, dans un passage à mon avis très réussi, certains paradoxes célèbres qui causèrent beaucoup d'ennuis aux probabilistes classiques" en faisant preuve d'un art certain de l'analogie que tout bon professeur se devrait de cultiver.

Ii dissèque, avec simplici~é, la notion (trompeuse pour le non-initié) d'espérance mathématique, en indiquant soigneusement les limites, mathématiques ou psychologiques - à ce sujet nous ne pouvons, effectivement, que regretter

l'emploi ici abusif du terme « espérance », aussi mal venu que celui, en un autre dom a i n e, d' « imaginaire ». Après tous ses prédécesseurs sérieux, et sans, doute malheureusement avec aussi peu de chances d'arriver à limiter une folie soigneusement répandue et entretenue, il répète avec des arguments fort sensés combien il est vain de poursuivre la recherche d'une martingale à la roulette ou à la loterie; gageons que cela lui vaudra le stock habituel de lettres d'illuminés, devant lesquels il se trouvera désarmé, ayant tc.ut dit dans son livre. Mais c'est le sort d'une telle entreprise. Ayant garanti la qualité du support scientifique de ces deux cents pages qui constituent une excellente introduction à la « géométrie du hasard » (ce vieux mot étant synonyme de mathématique), j'ai oublié ce qui est aussi important, sinon plus : il faut dire quel plaisir on goûte à suivre l'humour de Boursin, qui a su saupoudrer de moments de déten~ te le cours très sérieux de son travail. On ne s'ennuiera pas avec lui en 1966, peut-être même en 1967 s'il le prolonge par un livre sur les statistiques, qui ne sont qu'effleurées dans le dernier chapitre. Là aussi, il y a beaucoup de ballons à dégonfler a'!1 grand dam des rêveurs de lune et autres planétaires. Il n'est jamais inutile de transmettre ses connaissances au plus grand nombre, surtout si on peut l'accompagner d'une salutaire démystification, sans ajouter. son nom à la longue liste des pédants.

André W Drus/el L'initiation assurée par le livre de Boursin peut se poursuivre, à des niveaux plus élevés mais avec l'assurance de la qualité et de la simplicité, dans Les mathématiques de l'action (Rosenstiehl et Mothes, chez Dunod) et le Cqlcul des Probabiütés (Professeur Fortet, Editions du C.N.R.S.).

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Stravinsky Michel Philippot Igor Stravinsky Seghers éd. Des rares compositeurs dont on s'attache à reconnaître le génie, Igor Stravinsky est, sans doute; celui dont il est le plus difficile de parler. C'est qu'il exerce, à l'égard de qui entreprend d'écrire sur lui, une forme d'intimidation dont la raison tient à l'ambiguïté d'une démarche créatrice fort singulière. Stravinsky, d'une part, place son activité tout entière sous le signe de la lucidité et de- la ré· flexion, assimile la musique à de « hautes mathématiques », déclare ne vouloir s'en remettre qu'à sa « volonté spéculative », suscitée par quelque problème à résoudre. Par là il semble justiciable d'une critique qui ne s'attache aux œuvres que dans la mesure où elles renouvellent les formes et le langage musical d'une pério~e historique donnée. Mais cette critique.là - la plus riche, au demeu· rant - ne lui ménage guère ses sévérités: ainsi Pierre Boulez parle.t.il des renouvellements de Stravinsky poursuivis avec moins de bonheur que de désenchante. ment et André Hodeir, dans La Musique depuis Debussy 1, consi· dère-t-il, au terme d'un inquiétant déblaiement, la production stravinskyenne comme une vaste faillite que rachèterait, pratiquement, le seul Sacre du Printemps. C'est que, d'autre part, le grand musicien est également un homme de culture, ce qui implique les plaisirs du goût et du jeu. Et plus encore, en cela, amateur de culture: Arnold Schoenberg demaQde, lui aussi, des modèles à l'histoire de la musique, mais seulement pour en tirer des moyens susceptibles de le IlervÏr dans son entreprise de rénovation du langage musical, tandis que le maître russe, si prompt, dès 1922, à se tourner vers les œuvres du passé, les considère dans leur donné entier, leur forme comme leur chair pourrait.on dire, pour s'en étonner, en jouir et, à sa manière, se les approprier. Aussi, interroger l'œuvre '. de Stravinsky et tenter de l'apprécier, c'est, plus qu'avec n'importe quel musicien, se confronter à ce dilemme eSllentiel à toute réflexion en matière de musique: l'œuvre est-elle bonne parce qu'elle incarne une étape nouvelle du « faire »musical étape qui devient, alors; nécessaire et par conséquent historique - ou parce qu'elle appartient aux moments particulièrement heureux d'un itinéraire personnel qui Ile définit, à la fois, par la psychologie du créateur, ses ressources profondes et le parti qu'il en tire? C'est le rare mérite du petit 'livre que Michel Philippot lui-même compositeur et appartenant à la plus exigeante avant.garde - vient de consacrer à Igor Stravinsky que La Quinzaine littéraire, 1·' ollril 1966

de ne renoncer à aucune de ces deux approches, apparemment contradictoires, mais toutes les deux nécessaires si l'on veut échapper au dogmatisme et à l'éclec· tisme, et préserver, dans l'entre· prise créatrice, sa double dimension de singularité et de novation. L'irruption de StraVInsky dam l'histoire, c'est avec le Sacre du Printemps qu'elle s'opère. Michel Philippot souligne combien a dû peser dans la carrière du musi· cien, un chef-d'œuvre aussi pré. coce et à ce point écrasant qu'il conserve, cinquante ans après, tout son pouvoir de scandale et d'in· cantation. Cette œuvre, note-t-il, constitue un sommet dont f altitude permet à celui qui f atteint avoir une vue panoramique de toute musique. Aussi le maître russe en serait-il venu à se sentir comme légitimement propriétaire de toute musique à partir du Sacrf. Et dominant toute musique à partir du Sacre, Stravinsky, par là-même, aurait désormais déter· miné, sans peut-être s'en rendre très consciemment compte, toute sa musique à partir de lui. Le Sacre du Printemps, écrit encore Michel Philippot, devient alors comparable à un prodigieux miroir déformant au travers duquel est d'abord contemplé Pero golèse (Pulcinella) puis un grand nombre de maîtres de la musique passée. Dans sa géniale émancipation du rythme et du timbre, dans sa manière de traiter et distribuer la matière sonore comme nn matériau objectif, purüié de tout effet - que ce soit le coloris orchestral, répudié après Rossignol, ou cette expressivité dont Stravinsky a nié, en une profession de foi fameuse, qu'elle puisse apparte· nir à l'essence de la musique - , le Sacre aura par conséquent installé le compositeur dans l'histoire et, en même temps, réalisé d'un coup toutes ses ressources. Car la matière du Sacre; en sa brutalité élémentaire, en son prie mitivisme 'folklorique, c'est de Stravinsky qu'elle vient et c'est lui qu'à son insu, elle trahiL Passé 'le Saére et Noces qui le réitère, qu'aurait pu y ajouter le maître, de surcroît déraciné par la guerre et la Révolution? C'est alors que se rompt, inévitablement, l'unité du faire et de l'objet créé : la volonté d'organisation et de réorganisation prévant sur la matière élue que Stravinsky choisira, Ilelon son plaisir du moment, parmi les produits déjà élaborés de la culture occi· dentale, en des métamorphoses qui ressortissent plus aux phénomènes de mode qu'au renouvellement véritable. Ainsi la poétique issue du Sacre (à la fois technique et sentiment de la musique comme architecture de rythmes, timbres et segments mélodiques) permettra la réalisation d'œuvres qui, elles, n'intéressent que l'aventure personnelle du compositeur mais sont,

cr

Pierre Boulez cependant, avalisées par le chef· Relevés d'apprenti. d'œuvre originel dont elles procèTextes réunis et présentés dent. par Paule Thévenin. La qualité de ces œuvres dépendra à la fois de l'ingéniosité Collection Tel Quel. Le Seuil éd. déployée et du rapport qui s'établit entre le compositeur et le modèle sur lequel il s'exerce. Le On trouve dans Relevés d'approduit final, note Michel Philippot nous paraît d'autant meil- prenti des explications techniques leur chaque fois que la différence et des commentaires critiques. est plus grande avec les goûts Qui mieux que l'auteur peut donpropres de falchimiste. Ainsi, ner des précisions techniques sur le langage et les problèmes de la Tchaikovsky (le Baiser de la fée) est pour lui une mine moins musique actuelle? De qui les féconde que des compositeurs qui attend-on davantage? De qui les lui sont plus étrangers comme acceptera-t-on plus facilement? Rossini (Jeu de Cartes), GuiUaume Sa compétence, son autorité font de Machault (La Messe) ou merveille. Dès les premières pa· ges, on assiste à l'éxidosion d'une Webern (Mouvements pour piano force critique exceptionnelle qui et orchestre). Ce dernier point, à remet tout en question. Il y a vrai dire, mérite quelques nuan· p.artout une vertu polémique caces et Michel Philippot en a conscience qui en d'autres pages, chée, optimiste et vivante, porsouligne l'exceptionnel regain d'in· tant une leçon d'énergie, de votérêt de la production de Stra- lonté, de jeunesse, de rigueur. vinsky depuis qu'en 1952, il s'est Les critiques musicaux, les muconverti à la technique sérielle. Car ce n'est pas un hasard s'il y sicographes, pas plus que les ama· est venu non par Schoenberg, trop teurs de musique, pas plus que entaché à ses yeux d'expression- les compositeurs eux - mêmes, nisme, mais par Webern, tardive- n'échappent à la dureté de ~e ment découvert et dont l'idéal censeur qui les dépasse tous de d'économie et d'organisation si haut. Il manie le fouet de l'irorigoureuse des éléments sonores nie, de la raillerie. Mais il n'im· rejoint la maîtrise et le détache- porte. Les coups sont salutaires. ment presque mystique du Stra· On ne résume pas Pierre Bou· vinsky d'aujourd'hui. lez. Il faut le lire. Il atteint parCette aventure extraordinaire, fois l'extrême densité. Et il faut celle d'un jeune compositeur de suivre les détails de son exposé vingt-neuf ans qui prend en main pour comprendre exactemenL l'histoire de son art et d'un homme de soixante·dix ans qui se rallie Ainsi trouvera-t·on des notes qui concourent à nne esthétique mutout naturellement aux efforts de sicale. des notes pour une technoses cadets les plus audacieux après logie, des vues sur quelques avoir presque exclusivement sacri· grands compositeurs contempo· fié aux savoureux caprices de ses goûts et de son ingéniosité, Michel rains, «les notices extraites de Philippot nous la retrace avec une l'Encyclopédie Fasquelle ». L'ar· exc.eptionnelle volonté de justice ticle série, si bref qu'il soit, ap· et de compréhension, avec, aussi, prendra beaucoup à tous ceux . une compétence qui n'exclut nul· - et ils sont nombreux - qui lement une aimable nonchalance, sont curieux d'un langage encore parfois une insistance, dans l'écri- mal connu et en pleine évoluture. Tout ce qu'il dit de l'homme tion. On me permettra de signa. et de son univers esthétique 1er, simplelllent, parmi les com· ,révèle une pénétration singulière. mentaires les plus remarquables, Et les réserves que l'on pourrait ceux qui touchent à la notion -d'e faire, tiennent avant tout aux limi- structure et à la notion de fonctations nées de la brièveté imposée tion, aux problèmes rythmiqnes du livre. Mais pourquoi, en ce cas, avec Messiaen, Stravinsky et We· avoir fait suivre le récit de la vie bem, à la musique électronique de Stravinsky d'un exposé sur ses qui recèle tant de secrets que le œuvres qui ne reprend, souvent, vulgaire n'imagine pas. que ce qui en a été dit dans sa biographie? Certaines partitions, Beaucoup de points de vue pa· d'autre part, nous semblent abor· raissent dès l'abord incontesta· dées un peu cavalièrement : pour~ bles. n se trouvera sûrement des quoi n'avons·nous droit,. à propos lecteurs pour discutailler. Ils aude Perséphone, qu'au trop long raient à faire à forte partie. Mais récit des démêlés du maître avec personne ne leur répondra. On André Gide? Et pourquoi avoir ne doit pas oublier toutefois que négligé ce monument qu'est le la pensée technique actuelle de Concerto pour deux pianos ? Pierre Boulez s'exprime longùeMais cela n'importe guère, fina· ment et avec précision dans PenlemenL Ce livre, avec une proser la musique aujourd'hui. Mais fondeur toute particulière, nous ce Relevés d'apprenti est en fait propOile un remarquable ensemhle d'un maître. C'est un ouvrage à de clefs et de repères. retenir longtemps, tel qu'on en Michel-Claude }alard voit très rarement surgir dans la musicographie. 1. Presles Universitaires de France. Maurice Faure 1961. 2S


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TBÉATRE

La littérature de l'anti-aDlour Murray Schisgel Love, les dactylos, le tigre. Robert Laffont éd.

Un couple bizarre 1 (The Odd Couple) de Neil Simon, est le dernier produit de cette étrange littérature de l'anti-amour qui se développe aotuellement aux Etats·Unis. Une littérature théâtre et roman - telle que les termes manquent à qui veut la définir et dont la seule ressource est d'inventer, pour te faire, un mot nouveau « Luv ~, dans le vocabulaire de Murray Schi~ gal, par déformation de c Love ~, ce que J.-J. Gauthier propose de traduire pàr c Amur :), ou antiamour selon une terminologie que je préfère et que j'ai déjà eu l'occasion d'employer.

ray Schisgal, que cette sensation de mal-être prend, pour ainsi dire, corps. Car, cette fois, la pièce pose le problème dans les termes les plus explicites: l'un des héros, le mari, cherche à faire croire à un ami d'enfance que l'amour existe; s'il y parvient, il peut espérer confier au converti l'épouse dont il veut se débarrasser pour convoler à noue veau. Ses efforts sont couronnés de succès, certes, mais pas pour longtemps, car le joyeux divorcé déçu par une seconde expérience matrimoniale n'a plus qu'à venir défaire ce qu'il avait si bien fait

« un pauvre a toujours fait quelque chose » pour être pauvre. En ce sens l'anti-amour est bien un produit aberrant de la civilisation du bonheur: le ressent celui qui se trouve déclassé parce qu'il n'est pas heureux. L'échec de la vie conjugale équi· vaut à une sorte de faillite financière ou sociale. L'amour physique n'étant plus chiennerie, mais hygiène du couple, passion peutêtre, mais licite et conjugale, il faut être perverti comme un beatnik. pour y voir une" singerie. Le beatnik, comme le divorcé non remarié, comme le malheu·

et ruiner en son ami la foi dans l'amour, pour pouvoir reprendre sa propre femme. Encore une fois, c'est sous le couvert dè la cOmédie, et non sans une note d'optimisQle qu'est exposé le sentiment d'anti-amour. Mais, il s'y trouve déjà un élément nouveau: le sentiment d'échec, de frustration, .dè vacuité que laisse l'amour à qui n'a pas su, en user dûment. se double ici d'une sorte de suspicion celle dont est· l'objet quiconque Ii'a pas réussi. à 'être heureux au sein de la civiUsation ,du bonheur (et en ce sens, l'anti· amour, .avant de gagner l'Europe, est encore un c filon :) littéraire provisoirement américain). Avoir' ,raté .' s~: vie sentimentale, malgré , les' connaÎ88ances que confère la sexologie la plus moderne (et dont témoigne la courbe stati~ tique idéale des rapports conju. gaux reportée sur nn tableau t:Jd hoc par une épouse avertie) ne peut manquer d'être suspect, de même qu'est suspect celui qui n'est pas assez riche au pays de la richesse. Pour démarquer un mot de Sartre, il semble bien que dans la société ainsi caricaturée

reux de quelque sorte qu'il soit est un asocial. Un raté. La proie de l'anti-amour. S'il est un ouvrage où ce sentiment s'étale, c'est bien dans le dernier roman de Saul Bellow, Herzog, et pourtant, de façon assez paradoxale, les critiques américains qui lui ont 'fait un triomphe, les lecteurs américaim qui en ont fait un best.seller, n'ont pas dégagé de cette œuvre ce concept tout nouveau d'antiamour. Bien que Saul Bellow ait été hanté depuis 10ngteInp-s par le thème de la faillite sentimentale du divorcé (Henderson, le faiseur .de pluie, est remarié et fuit sa seconde femme en Afrique tandis que le pâle protagoniste de Au jour le jour n'en finit pas de se libérer de la pension alimentaire qu'il verse à une ex-épouse qui lui dispute même le droit de voir, de temps à autre, ses propres enfants'.... sans parler de' son chien) o'est dans Heriog 'qu'il donne la pleiDe mesUre de l'aUti-amour. Car ,H~rzog n'est pas las de l'amour. S'il est deux fois divorcé et se retrouve solitaire, il ne meuble pas moins son désert sen-

L'anti - amOur sentiment essentiellement masculin - n'est pas la' misogynie, ni même le refus d'aimer. C'est au contraire un sentiment qui ressortit à l'amour, car les héros qui en sont atteints d.emeurent obsédés par le rôle que la femme a joué dans leur vie. La plupart d'entre eux ont encore des épouses ou des maîtresses. Mais, chose étrange, ou bien leur vie est une carica· ture de l'amour ou bien ils semblent faire les gestes, prononcer les mots de la passion sans rien engager d'eux-mêmes, malgré qu'ils en aient, et non point par cynisme mais par simple impuissance sentimentale. Mieux encore, la plupart d'entre eux sont des divorcés et si l'on peut dire à juste titre que le roman d'amour finit par un mariage, le roman d'anti-amour commence par un divorce. TI y a donc dans cette littérature un élément très important d'échec sentimental, mais non pas, comme dam les lettres classiques, celui de l'amoureux qui ne parvient pas à conquérir la femme qu'il désire: c'est au contraire l'échec de celui qui, l'ayant conquise, a mesuré la vanité de sa victoire.

Un Couple bi~e met déjà en place la plupart des éléments de l'anti-amour. Certes, à' s~en tenir à la, pièce elle-même, et à elle ~ule, indépendamment de toutes autres œuvres - auxquelles force sera pourtant de la relier --: on n'y verrait qu'un bon sujet de vaudeville: deux divorcés, qui ont eu à: se plain. dre amèrement, chacun, de lenr femme respective, décident de partager le même appartement (en tout bien, tout honneur, s'entend). Hélas, ils apprennent vite, à leurs dépens, que la cohabitation de deux célibataires peut être, aussi difficile que celle de deux amoureux ou époux. Mais c'est dans Lut] 2, de Mur. La Quinzaine littéraire, 1 er avril 1966

timental de fort aguichantes pero sonnes, mais, en quelque sorte, il n'y croit plus. L'univers dans lequel il se meut est vide. Au sentiment d'échec - d'un échec interdit par les lois non écrites de la société - se joint chez lui un sentiment d'irréalisme: si, dans un certain sens, il semble mettre en cause la société où il vit et qui permet à une femme d'abandonner son mari, cette société lui paraît quasi irréelle, et pour tout dire, complètement absurde. Cette étrange mise en question d'un univers collectif et organisé, à la suite d'une mésa· venture individuelle sentimentale trouve à s'exprimer de la façon la plus évidente dans le fait que Herzog entreprend d'écrire interminablement aux Grands de ce siècle chefs d'Etat ou de religion, d'écoles littéraires ou philosophiques pour leur exposer des idées plus ou moins folles sur le monde et son train. L'anti.amour débouche sur l'utopie au sens propre d'ailleurs car Herzog ne se trouve plus de place dans le monde et semble se trouver c nulle part :), dans un vacuum social engendré par son vacuum sentimental. Or de cet entrelacs étrange de sentiments complexes, seul un concept nouveau peut rendre compte; celui qu'on peut baptiser par commodité c anti· amour :) et qui n'est peut-être que la forme la plus récente de l'amour moderne. Sentiment de méfiance, que celui de l'anti-amour, en même temps que de culpabilité, d'asociabilité ; l'homme frappé d'antiamour est un marginal; Ion divorce lui apparaît comme un scandale, non pas certes comme au temps de Paul Bourget, du point de vue de la religion, mais du point de vue de la toute-pui~ sance morale du bonheur ; amoureux, il l'est encore, mais ce sont des ombres qu'il étreint; et l'on se demande comment il aura le cœur à retrouver dans un nouveau mariage la paix de la réconciliation avec un monde qui ne lui demande que d'être heureux. Au demeurant, l'on comprend l'attitude du oêlèbre héros de John Updike, Cœur de Lièvre, à qui le mariage faisait prendre ses jambes à son cou (Run, Rabbitt, Rrm). n est vrai qu'Updike lui·même a écrit, depuis lors, des nouvelles à la gloire de l'amour conjugal. L'anti-amour n'est jamais qu'une situation provisoire. Malheureusement pour la littérature, peuwtre. Marc Soporta

1. Si. la pièce e$t traduite et jouée en France, ce sera probablement sous le titre c: Un drôle de couple ~ qui tiendra certainement mieux l'affiche malsré ou à cause de sa vulsarité. 2. Love, Théâtre de la Gaité-MoDlparnasse.

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CINÉMA

Les aventures de Pyglllalion Joseph von Sternberg Souvenirs d'un montreur d'ombres. Laffont éd.

de réalisateur, à Hollywood, en Europe, au Japon, agrémenté de voyages aux quatre horizons. Bref, les hauts et les bas d'une expérience dont Sternberg se plaît à souligner les contra8tes : marchant nus-pieds puis hôte des rois, couchant sous les ponts puis dans les palaces, passant de l'os rongé comme ferait un chien, aux dîners officiels offerts par les ambassades d'une· douzaine de nations.

Notre petit Sadoul illustré est péremptoire: en Josef vQn Sternberg il salue une des plus fortes personnalités du cinéma - mais il précise : entre les années 25 et 35. Précision doublement crucifiante. Loin d'être mort ainsi qu;on pourrait le croire, SternCe· n'est pas le' plus intéresberg se survit depuis trente ans ; . sant. Encore que les précisions et et tout se passe comme si Zom- les anecdotes ne manquent· pas de bie-Josef ne comptait plus que piquant, concernant le fabuleux comme créateur de la Sur-Femme, zoo du Hollywood de l'âge héroïde la Nana Superlati;'e, de l'Eve- que. Sur Griffith, par exemple, Lucifer, de la Vénus-Vamp sur Chaplin (c'est méchant), sur Pygmalion et Prométhée tout Stroheim (très méchant; Queen

ensemble, dont la Galatée-vautour aurait dévoré plus que le foie. C'est contre cette crucifixion que Sternberg proteste par la publication de ce livre de souvenirs. Descendant de son Golgotha ,en soulevant la pierre de sa tombe, comme on voudra) il allonge à tout le monde une belle série de coups de pied en vache, à seule fin de prouver qu'il est bien vivant. Il s'explique, selon la formule employée à Pigalle. Est-ce à la loyale? C'est une autre histoire. Les précisions autobiographiques, il les a limitées au strict nécessaire. Aucun attendrissement ni pittoresque superfétatoires. Rapide évocation de Vienne, entre Strauss et la cithare du Troisième homme, sur fond de Grande Roue et de cavalerie espagnole. La Famille? un père surtout, une brute fort vigoureuse capable de rosser un géant après l'avoir poliment informé que la couleur de ses cravates ne lui plaisait pas. Puis vient, très tôt, l'émigration en Amérique. Et les premiers contacts avec le cinéma en qualité de projectionniste ou de réparateur de pellicules. Enfin le métier de directeur, c'est-à-dire 28

Kelly est qualifié de film lamentable !}, sur Murnau, Muck Sennett, Cecil B. de Mille, Gloria Swag.son et Mary Pickford, sur les mésaventures d'Eisenstein dans le Nouveau Continent, sur les grotesques d'Emil J annings marchant aux saucisses comme les moteurs d'auto marchent à l'essence, sur mille et un petits détails de la. toute petite histoire - révélant que ce fut le père du Président Kennedy qui finança la· Queen Kelly de StroheimSwanson, ou que Charles Laughton fut toujours sur tous les plateaux le roi des enquiquineurs. Au delà de ces commérages plus ou moins malveillants (et plutôt plus que moins), ce qui retient dans Souvenirs d'un montreur d'ombres, c'est la méditation sur le cinématographe. Nul doute, cet homme l'a dans le sang. Il rêve, n'a pas cessé de rêver aux moyens qui feraient du cinéma un art. Il aspire, n'a pas cessé d'aspirer au statut d'artiste dans une branche artistique où il n'est pas permis, ni possible, d'œuvrer seul. Tout le drame est là. Et tous les drames, angoisses, espoirs, déceptions, échecs et triomphes de la vie de Josef von Sternberg. Il profite de l'occasion offerte

par ces Mémoires pour dresser le catalogue des obstacles qui se dressent sur le chemin de la réussite esthétique, en même temps qu'il évalue les instruments de son métier et jette quelque lumière sur leurs caractéristiques mouvantes et évasives. Sternberg présenter aussi les idées qu'il a essayé de faire partager à des millions d'hommes - avec peu de succès bien souvent (reconnaît-il lui-même). Sur ce plan-là également, il s'explique. Pour premier obstacle, et capital, la dégradation et la sottise criminelle inhérentes à toute activité où l'argent règne en souverain. Sternberg ne mâche pas ses mots et la satire qu'il nous donne de Hollywood trahit plus d'amertume que de tendresse. Deuxième obstacle (et instrument tout à la fois, comme l'argent): le public, voulu immense, international, la foule humaine, cette multitude des quatre horizons que Sternberg a appris à copnaître au cours de ses voyages et pour laquelle il a conçu très vite une méfiance armée d'un solide mépris. Le cinéma est un moyen d'expression populaire, c'est le sèul langage international; or, à un véhicule qui doit être médiocre pour rester populaire conviennent les ,idées médiocres; donc, lorsqu'il y a grandeur dans un film, ,il ne faut pas confondre cette grandeur avec ce qui a rendu ce film populaire. Conclusion: l''adorerais attirer les autres dans mon univers, mais mon univers n'est pas celui des foules, bien que les foules aient SOlwent fait la queue pour venir le voir. Inutile d'ajouter que ces déclarations n'engagent que Sternberg. Troisième instrument formant obstacle: les acteurs. Instruments humains dont se sert un travailleur humain: cela ne simplifie rien. Voilà Sternberg intarissable. Les anecdotes pleuvent, d'une méchanceté cocasse, d'une férocité pleine d'hum~ur. Malheureux J annings, malheureux Gary Cooper, malheureux tutti quanti. Ce ne sont et ne doivent être que des matériaux. Sternberg les choisit pour leur aptitude à extérioriser une de ses idées, non une des leurs. D'ailleurs ils n'en ont pas. Sauf exception, les acteurs qui atteignent le succès sont des créatures de fauteur qui cherche une marionnette et la rejette quand il s'en est servi. Marionnette, le mot est lâché. Naturellement toutes ces aménités sont amusegueule. Des hors-d'œuvre. Une marche d'approche. Ces acteurs et actrices déchirés à belles dents ne servent qu'à épeler. On attend l'offensive. Quelques mines la précèdent, l'annoncent: faire tourner sa femme n'est pas un moyen de réduire les frais d'un film, on y perd non seulement de fargent mais encore sa femme; allusions furtives et venimeuses

à une de mes actrices, à la dameque -l'Ange - Bleu-a-rendue-célèbre, à cette marionnette à ce point manipulée qu'elle, a eu une voix et une articulation parfaitement étrangères aux siennes et une expression de regard qui n'était pas à elle. Bref - à Marlène Dietrich. Enfin la voilà. C'est l'hallali. Sternberg, on le sent, se défoule de rancunes accumulées pendant des décades. Il décrit, avec un sens impitoyable de la caricature, cette petite comédienne méprisée qui marchait avec un air de surdité bovine, sans regarder devant elle, en donnant l'impression qu'elle allait d'un instant à l'autre, se cogner à un meuble; aux regards complètement voilés; dont le derrière était beaucoup plus expressif que la figure; qui n'attachait de valeur à rien sauf à sa fille, une scie musicale, et quelques disques d'un chanteur qui s'appelait Whispering Jack Smith ; dont la personnalité était faite d'une extrême sophistication et d'une simplicité quasi enfantine. Etc... etc... Mille et une gentillesses, dans le décor ·reconstitué du Berlin des années folles. Et pour bouquet final, cette réflexion qui tombe comme le couperet d~une guillotine : sous-produit accidentel de l'Ange Bleu, Marlène ne se doutait pas que la transformation d'une nullité en célébrité internationale se ferait aussi rapidement et avec tant d'éclat. Si l'on a bien compris, Marlène, sur le chemin de Josef von Sternberg, compta comme un instrument-obstacle. Cet obstacle, pas plus que les autres, s'il a pu gêner Sternberg, ne l'a empêché de se livrer, autant qu'il lui était possible, à ses recherches sur le plan formel, à ses compositions plastiques raffinées, à son goût pour les atmosphères bizarres et envoûtantes. Cela, grâce à l'importance du montage qui tient compte du rythme et du tempo, et au contrepoint son-image qui travaillerait à réaliser un son aussi «flexible» que l'image. Lorsque, Marlène oubliée pour un moment, Sternberg parle technique, métier, discute esthétique, il passionne. Il lui arrive d'agacer plus souvent qu'à son tour - quand il énumère avec une infinie complaisance ses triomphes, évoque la place qu'il occupe dans les cinémathèques, rappelle ses titres de gloire et l'accueil réservé à ses films - et qu'il a joué au ballon avec Jack Kennedy. Petitesse de grand homme. D'ailleurs nous sommes prévenus dès l'exergue du premier chapitre: Aucun homme n'est assez grand pour éprouver le besoin de se rapetisser. Ce que Sternberg s'est bien gardé de faire. lean-Louis Bory


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Ce texte est extrait du volume Happening de Jean-Jacques Lebel. Dossiers des Lettres nouvelles, Denoël éd. Le public est debout dans la salle, une passerelle relie la scène et la salle. La scène est divisée en deux, à gauche un vaste cube blanc ouvert devant; à droite un écran de cinéma à ras de terre. Noir total, la bande sonore commence à faire entendre Eric Dolphy. La partie gauche s'allume (A) en lumière noire. Deux femelles apparaissent que l'on aperçoit à peine, elles jouent au badmington. On ne voit clairement que les vo-

c Bande sonore: Ollé! Ollé! Une n • ::1 corrida au Mexique. La foule • U 1: hurle en chœur. •.~ C CD De derrière l'écran par surprise ::1 surgit une grosse moto derrière laquelle est assise une superbe fi) fille à la longue chevelure blonde, CD nue. La moto descend de la scène "1:1 et fonce comme un taureau dans la foule, la fille écrasant des cerises sur le visage de tous ceux » qui s'approchent d'elle. Au même moment, les joueuses de badmington dont on a mangé les robes en •••••••••••••••••••••••••••••••••••• choux sautent aussi dans la salle et se jettent dans le public en assénant des coups de raquettes. La foule excitée bouge autour d'une quatre-chevaux Renault littéraire parquée au milieu de la salle. Une fille à tête de mort, dévêtue, se dresse sur le toit de la voiture. Un homme l'enveloppe dans des spaghetti mous, elle s'agite comme une sculpture hystérique lançant les spaghetti dont son corps est couvert sur la foule. Une petite fille lit au micro un texte du Larousse Médical sur la puberté, ses effeta physiques et moraux. Danse mortuaire, arrosage de spaghetti pendant que sur 4l la bande sonore on entend Maïakowsky lire un de ses poèmes en russe, les bruits d'une canonnade, des mitrailleuses, des voitures de pompiers se précipitant vers un incendie, encore les bruita d'une corrida démente, la musique •••••••••••••••••••••••••••••••••••• d'Eric Dolphy et vers la fin un important extrait d'un discours de Castro (reconnue, sa voix est saluée d'applaudissementa spontanés dans la salle). Mouvementa de la foule, certains montent sur scène. Les joueuses de badmington, maintenant nues et hyperexcitées, continuent de donner des coups de raquettes et de pousser les gens autour de la voiture qui est offerte au public. Des invités commencent à la démolir à coups de pioche et de hache. FerlinTenir entre ses mains les fac-similés des journaux d'autrefois, déplier l'Aurore pour y lire "J'accuse" de Zola, le ,:,etit ghetti entreprend la lecture de Parisien du 24 mai 1885 pour y apprendre la mort de Victor Hugo la correspondance IitlJraire secrète du 15 septembre son poème The Great Chinese 1785 : pour y suivre l'affaire du "Collier de la Reine", - c'est Dragon pendant qu'un immense pour l'amateur d'histoire ... une satisfaction gourmande... c'est de l'histoIre vivante. On apprend, on réapprend, on s'étonne; tube en plastique transparent se on s'indigne, on s'amuse... Ah 1 si chaque jour le journal pouvait être aussi passionnant 1 . _ gonfle lentement d'air et se déC'est en ces termes que Jacqueline Piatier, dans le Monde, roule dans la salle pàrmi les gens signale le magnifique recueil de 85 JOURNAUX DU TEMPS et finalement s'enroule comme un PASSE qui, dit-elle, "reproduits en offset ont "gardé. leur"grandeur nature et leur saveur du temps passé . 85 Journaux : boa autour de la voiture où deux 12 des XVII- et XVIII- siècles, 21 de la Révolution, 23 pour Napoléon et la Restauration, 18 du Second Empire et de la couples «inter-raciaux» s'enlaTroisième, 11 journaux clandestins de l'Occupation. Les ~u­ cent. Le tube prend des proporméros choisis sont parus au lendemain des grandes dates de l'Histoire et relatent - quelquefois comme des événements tions énormes et paralyse le mousans importance noyés parmi les potins du jour - l'abjuration de Galilée ou le 14 Juillet ou la bataille de Waterloo ! "Ces vement de la salle. La moto contilectures sont passionnantes" écrit Les Echos. Et le Canard nue à rouler dans la foule, les Enchainé : "Ce recueil panoramique est une réussite". films se terminent. A 22 h. 45 on Les journaux reproduits au format réel et pliés si nécessaire, sont insérés ~ précédés d'une notice généraie qui sit~e chaque annonce par trois fois la fin du liIlIiiï~:"';;'_ioljournal et chaque èvénement - dans une luxueuse reliure pleine toile, format 37 x 26, gardes soie, d'où ils peuvent être extraits happening, mais vers minuit et pour la lecture. La Librairie Pilote offre pour 15 Jou", ..,~,. demi il reste encore une centaine ce magnifique recueil au prix exceptionnel de SOUScriptIon '. ,. de 69,50 F. (ensuite 74,50 F) ou 3. mensuaUtés de 24 F. de personnes dans la salle qui ne .. ' .. Demandez-lui une documentation gratUite ou, mieux, le recueil : ',' lui-même pour exam.n g...tult de 5 Jou", avec droit de veulent pas quitter les lieux. On • 1 retour, en vous hâtant de lui adresser le bon ci-dessous pour éteint les lumières. Fin. " ,. " . profiter des conditions actuelles. Jean-Jacques Lebel. •

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La mort aux spaghettis, une séquence de Dechirex, 1wppening de J.-J. Lebel.

lanta, peinta au fluor, qui passent en comètes fluorescentes au-dessus des têtes. Arrivent deux hommes portant casques et lunettes Courrèges également peinta au fluor. On voit que la « partie ~, commencée lentement, peu à peu se déchaîne. Les hommes portent des chemises blanches illuminées par la lumière noire. Dans la partie droite (B) on a commencé la projection d'un cinéma collage en couleur. Cinq ou six films de nature, de technique, de taille, de longueur et de couleur différentes apparaissent simultanément sur l'écran. Un collage qui durera en se renouvelant toujours, à peu près une heure (par exemple: le film de Michaux sur la mescaline, un film sur la sorcellerie au Dahomey, un film sur les accouchements - la Conduite active de la délivrance - projeté à l'envers, de manière à ce que les bébés rentrent dans le ventre de leurs mères au lieu d'en jaillir, des films d'actualité politique au Vietnam, à SaintDomingue, etc.). Pendant toute la durée du happening le film collage continue augmenté de la bande sonore et des actions spontanées qui ont lieu dans la salle. La Quinzaine littéraire, l or ovril- 1966

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La Quinzaine

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Les prochaines soirées de happening se dérouleront les 4, 5, 25 et 26 avril, au Théâtre de La Chimère, 42, rue Fontaine, au cours du Ille Festival de la Libre Expression, animé par Jean-Jacques Lebel.

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1 -~=------------------·--1 Veuillez m'adresser "Journaux du Temps Passé". Si je n~ r~nvo/e. pas

1 dans lès 5 jours le recueil complet, dans son emballage d ongine, le le 1 réglerai a 69,50 F. comptant a en 3 mensualités de 24 F. par: 1 1 a chéque a chèque postal é votre C. C. P. PARIS 13905 31 a mandat. 1 nom.................................... 1 adresse 1 , : : : de CCP ou banque

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TOUS LES LIVRES

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Pierre.Jean Launay Aux portes de Trézène Grasset, 15 F. A Athènes, avec un conseiller britannique, parmi les partisans. Jean Misùer Les .orgue. de Saint-Sauveur Grasset, 15 F.

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Pierre Brandon Le 1GlI& et le ciment Ed. du Pavillon, 15 F. Aujourd'hui avocat, l'ancien chef-euisinier d'lÙl grand restaurant était. avec les brigades internationales en .Espagne.

Maurice Toesca Les loupl-&Grous Albin Michel, 12 F. La résistance aux troupell françaises, en Allemagne, en 1945.

l'ha~ucination.

Yves Véquaud

Le petit livre avalé Marcel Brion

De Talitre

côté de la forêt

Albin Michel; 12 F. La réalité transformée par les lIOuvenirs et par le rêve. Michel Del Castillo La premièrel iUU&io,.. Jùlliard, 15 F. Second tome ,des A. . . interdit., par l'auteur de Tan&uy. Mohammed Dib Le taliIman, DOUVelles Le Seuil, J,50 F.. Entre le réaliaml'.·' ~t là vision poétiqUe; . Driéu' La Rochelle Mérhliires de' Dirk Ratpe Préfajle .de Pierre Andreu Gallimard, 14 F.' Voir l\article de Maûrice Nadeau, p. 5. Lydie Duttier L'absente Col. Vinitiale. Me~.:aiJF;a~~, 5,40 F. Charles Estienne M . Illustrations de LapiCqùe Le Soleil Noir, 18,50 F. Une suite à l'Histoire d'O.

o et

Jean Garmiers Le .pedateur Mere. de France, 10,80 F. Un personnage et sa conscience. André Hardellet Les chasseurs J .•J. Pauvert, 9',95 F. Voir l'article de Josane Duranteau, po 8. Dominiq~e

·P. Larger Le ,vidame de Neuville Col. La vague. Albin Michel, 9,75 F. Une petite ville, au bord de la mer. 30

Gallimard, 9 F. Le personnage-auteur, pris entre le burlesque et l'horreur.

ROMANS ÉTRANGERS José-Maria· Arguedu Les fleuve. profond. Traduit de l'espagnol par J .•F. Reille Col. La croix du Sud. GaIli.m8rd, 'l8 F.' Dans' les .valléesdu. Pérou. Manfred Bieler' Boni/ace ou le matelot d(Jns la. bout8Üle Trad. par Jacques Chary Le Seuil, 15 F. Voir la' critique de / René Wintzen, p. 10. . André' Bitov .L'herbe du 'ciel 'Traduit du russe Le Seuil, 12 F. Par .un jeune romancier soviétique:

K.B. Gilden Que vienne la nuit Traduit de l'anglais par Laure Casseau Plon, cartonné, 30 F. La nostalgie du vieux Sud. Natalia Ginzburg Lu mots. de la tribu Traduit de l'italien Grasset, 15 F. Une jeunesse antifasciste à Turin. Patricia Highsmith La cellule de verre Traduit de l'américain. Robert Laffont, 12,35 F. La vie dans les prisons américaines, par l'auteur de L'inconnu du Nord-Expreu.

Leonid Leonov La forêt russe, t. 1 Traduit du russe par Dominique Arban Col. Littératures soviétiques. Gallimard, 20 F. Le chef-d'œuvre de LeoBov. Mendel Mann Lu plaines de Mcu:Ovie Traduit du yiddisch par E. Fridman Calmann-Lévy, 16 F. La Pologne d'entre les deux guerres. Leonardo Sciascia Le COns8Ü d'Egypte Col. Lettres Nouvelles Denoël, 12, 30 F. Voir la critique de Henri Hell, p. 10. Johannes Mario Simmel On n'a pal toujours du caviar Robert Laffont, 18,55 F. Une histoire d'espionnage par un des auteurs best·sellers dans son pays. Abraham Tertz Lioubimov Traduit du russe Julliard, 15 F. alias Siniavski, qui vient d'être condamné à 7 ans de déportation par les tribunaux soviétiques. Lajos Zilahy Le siècle éCflTlate Traduit de l'américain Stock, 24 F.'

LITTÉRATURE Jacques Chardonne Propos comme ça Grasset, 9,60 F. Réflexions et aphorismes.

André Frénaud Les rois mages, édition revue Seghers, 12,40 F. L'un des recueils qui ont fait la notoriété de Frénaud. Pierre Jean Jouve Poésie UV 1925-1938 Lu Noces, Sueur de sang, Matière céleste, Kyrie Mere. de France, 30 F. Poésie V-VI 1939·1947: La Vierge de Paris,. Hymne Mere. de France, 24 F. Voir l'article de Maurice Saillet, p. 14. Mallarmé Poésies Préface de Jean.P. Sartre Col. Poésie GalIimard, 3,50 F.

CRITIQUE HISTOIRE LITTÉRAIRE Roland Barthes Critique et vérité Collection Tel Quel Le Seuil, 4,50 F. Barthes répond à Picard Claude Bonnefoy Entretiens avec Eu&ène IonelCo Pierre Beifond, 9,25 F. Jean.Louis Bory, Tout feu tout flamMusique Il Julliard, 15 F. D'Eugène Sue à Queneau. Jean Descola Histoire littéraire de l'E.pa&ne Fayard, 24,65 F. De Sénèque à Lorca. Victor Hugo

Yachar Kemal Le püier Traduit du turc par Guzine Dino, Gallimard, 26 F. Une vieille paysanne d'Anatolie. Amos Kenan Le cheval/ini Adapté de l'hébreu par Christiane 'Rochefort. et l'auteur Grasset, 13,50 F. Un .Israélien mal à l'aise.

Lesley Blanch L'homme aux nell./ tipu Robert Laffont, 13,80 F.· L'Inde romantique du XIX' siècle, par l'ex-femme de Romain G(lry.

Fletcher Knebel Le Président est /011. rraduit de l'américain par Gilbert Vivier. et J.G. Chauffeteau Stock, 19,50 ·F. , Le destin du monde entre les mains d'un paranoiaque.

Johannes Bobrowski Le moulin à Levine Traduit par Luc de Goustine· Le Seuil, 15 F.

Konsalik Erika Werner, chirurgienne Tradùit de l'allemand Albin Michel, 13,50 F.

Mikhaël Boulgakov Le roman théâtral Traduit du russe et et présenté par Claude Ligny Robert' Laffont, 13,90 F. Moscou 1925.

Jerzy Kosinski L'oiseau bariolé Traduit de l'anglais par M~urice Pons Flammarion, 15 F. Un enfant dans l'horreur quotidienne.

Cahiers Paul Claudel Claudel homme de théâtre Gallimard, 16 F. Correspondances avec Copeau, Dullin, Jouvet.

Bemard B. Dadié Légendf!5 et poèmu Seghers, 13,50 F. Un poète de Côt~ d'Ivoire enrichit la littérature française. Franz Hellens Poétique du éléments et des mythu Albin Michel, 16,50 F. Retour aux sourCes. René de Obaldia Choix de textes' Col. Humour secret Julliard; 15 F. Un savoureux comprimé.

POÉSIE Aragon Elégie à Pablo Neruda Illustrations d'André Masson Gallimard, 12 F. René-Guy Cadou Les amis d'enfance Maison de la' culture de Bourges . ,Quatorze poèmes posthumes.

loumal de ce que j'apprend. c1urque jour Juillet 1846. Février 1848 Boite aux lettru Edit. critiques établies par René Journet et Guy Robert Flammarion 19,50 et 16 F. Voir la critique de Georges Piroué, p. 12. philippe Sénart Chemins· critiqUe5 Plon, 12 F . D'Abellio ,à Sartre.

ESSAIS Jacques Ellul Exégèse du nouveaux lieux I;ommuns CaImann·Lévy, 16,35 F. Robert Escarpit Lettre ouverte à Dieu Col. Lettre ouverte. Albin Michel, 7,71 F. Maurice Garçon Lettre ouverte à la Justice Albin Michel, 8. F. Col. Lettre ouverte. Pierre Mélèse Samuel Beckett Seghers, 7,10 F. Beckett romanëier et dramaturge.

André Virel Histoire de notre image Mont-Blanc, 26,75 F .. Une remise en question des. problèmes de l'aventure ~umaine.

PHILOSOPHIE Marie-Madeleine Davy La connaislGllCe de lOi P.U.F., 5 F. Michel Foucault Lu Mots et lu ChaIa, une archéolop des sciencu humaina Gallimard, 26 F. Voir la critique de François Châtelet, p. 19. Henri Lefebvre Sociolop de MlII'x P.U.F.,8 F.

HISTOIRE C. Bea1s L'Amérique latine, monde. en révolution Payot, 21,60 F. Michel Debré, Pierre Mendèe-Franoe Le pond débœ 'Préface de Georges A1tschuier Gonthier, 9,60 F. Texte des 3 émiasiona qui ont lDllrqw§ la campagne

présiélentielle.

Bernard Féron L'URSS sant idole Castermann, 18 F. De Staline à Brej.., et Kossyguine. André Fontaine Histoire de la &uerre' froide, t. 1 Fayard, De la Révolution d'octobre à la guerre de Corée. A. Gautier Walter La Chevalerie et les atpects 1ffC1'8U de l'Histaire La Table ronde, 28;80 :F Morton H. Halperin La Chine et la bombe Traduit de l'américain Calmann.Lévy, 1'0;&0 F. Elizabeth Longiord Victoria, reine d'An&leterre, Impératrice du Indu Traduit de l'anglais par Denise Van Moppès. Fayard, 30,85 F. Marcel·Edmond Naegelen La Révolution GISGIIinée Hongrie oct.·nov. 1956 Berger.Levrault, 18 F. William Peirce Randel Le Ku Klux Klan Traauit de l'améticain Albin Michel, 21,60 F. Voir l'article de Guy Braucourt, p. 22. Philip Schiiffer Treize jours de l'histoire du monde Traduit de l'allemand Stock; 19,50 F. Comment éclata la II' guerre mondiale.


INFORMATIONS

John Toland Dülinger Calmann·Lévy, 19,90 F. Un des grands gangsters des années vingt par le brillant reporter de Bastogne. Albert Vulliez Tonnerre sur le Pacifique Fayard, 19,10 F. Joseph Weinberg Le printemps du cendres Sedimo, 20,60 F. Les camps de concentration.

POLITIQUE Georges Lukacs Lénine E.D.I., 5,90 F. Voir l'article de Victor Fay, p. 20. Théodore C. Sorensen Kennedy Gallimard, 25,70 F. Voir l'article de Hans J. Morgenthau, p. 3. Georges Suffert De Del/erre à ·Mitterrand Le Seuil, 9,50 F. La campagne présidentielle.

~CON()MIE

POLITIQUE Eugène Préobrajensky La nouveUe économique Traduit du' rosse par B. Joly Préface de P. Naville Présentation d'E. Mandel E.D.T., 17,60 F. Un ouvrage capital pour le développement de la pensée marxiste.

Eggers, Will, Holmqvist Les Celtes et les Germains à l'époque païenne Albin Michel, 49,36 F. . Une étude à propos de ce livre sera publiée dans La Quinzaine Littéraire. Will Grohmann AquareUes 1922 de Hans Hartung Texte Trilingue 33 planches couleurs LM. Erker, 93 F. Saint·Gall, Suisse Une étude à propos de ce livre sera publiée dans La Quinzaine Liuéraire.

Aimé Césaire Une saison au Congo Théâtre Le Seuil, 7,50 F. Autour de la figure de Lumumba. Armand Salacrou Impromptu délibéré Gallimard, 10 F. Six entretiens avec Salacrou sur son œuvre. Armand Salacrou Théâtre, t. VII Trois pièces de Salacrou.

Rafael Larco Hoyle Checan, essai sur les représentations érotiques du Pérou précolombien 145 planches en couleurs 36 illustrations en noir Nagel, 186 F. Une étude à propos de ce livre sera publiée dans La Quinwine Littéraire.

Joseph von Sternberg Souvenirs d'un montreur d'ombres Laffont, 20,10 F. Voir l'article de Jean·Louis Bory, p. 28.

SPECTACLES

En 1965 ont été publiés 21.531 titres parmi lesquels on compte 4.213 réimpressions. Les texte6 littéraires viennent en tête avec 6.195 titres (2.131 réimpres. sions) suivis par les sciences soaiales : 2.682 titres, les sciences médicales: 2.361, les sciences pures : 2.265. Il y a eu, en 1965, 1.762 traductions contre 1.955 en 1964. Les traductio~ du rwse ont régressé de 50 %, celles de f allemand monté de 289 à 302.

Maurice Nué Paris du poètes 82 photos Hachette, 42 F. Quatre-vingt poèmes de Villon à Aragon, accompagnés d'autant de photos sur Paris.

Jean.Jacques Lebel Le Happening Nombreuses illustrations Dossiers des Lettres Nouvelles Denoël, 15,40 F.

Vient de paraître, dans la coUection Les Lettres Nouvelles (Denoël éd.) le nouveau roman de W itold Gombrowicz: Cosmos.

Karl Jettmar L'Art du steppes Albin Michel, 46,27 F. Une étude à propos de ce livre sera publiée dans La Quinwine Littéraire. Michel Seuphor· Le style et le cri Le Seuil, 19,50 F. Voir la critique de Geneviève Bonnefoi, p. 17.

SCIENCE FICTION Algernon Blackwood Elève de la quatrième dimension Col. Présence du Futur penoël, 6,15 F. Un des classiques de la cr; science-fiction ", mort il y a une dizaine d'années.

POLICIERS MUSIQUE

SCIENCES Jacques Berque et divers Normes et valeurs de l'Islam. contemporain Payot, 29,80 F. Albert Ducroq Le roman de la vie Julliard, 15 F. Nos 80Urces biologiques. B. Whiteside, Serge Huttin et divers Paracelse La Table ronde, 14,40 F. La Biologie, acquUitions récentes Aubier.Montaigne, Voir l'entretien avec Jean Rostand, p. 23.

LIVRES n'ART François Daumas Civilisation de l'Egypte pharaonique 255 illustrations en noir 8 planches en couleurs 47 cartes et plans Arthaud, 95 F. Une étude à propos de ce livre sera publiée dans La Quinwine Littéraire.

Siniavski et Daniel, récem· ment condamnés à Moscou, vont êtte dirigés sur le camp de Potma (République des Mordves) où se trouvent déjà 10.000 déte· nus. La déclaration de Siniavski à son procès, désormais connue, a de nouveau ému les écrivains et artistes dans le momie. En France, une protestation a été signée par des intellectuels com· munistes et sympathisants.

Pierre Boulez Relevés d'apprenti Textes réunis et présentés par Paule Thévenin Col. Tel Quel Le Seuil, 35 F. Voir l'article de Maurice Faure, p. 27.

P. Souvestre et M. Allain Fantômas, t. XI Réimpression Robert Laffont, 24,60 F.

HUMOUR Pierre Daninos

Le 36· dessolU Hachette, 12 F.

Jaroslav Iwaszkiewicz Chopin Trad. du polonais par LÏ80wski Gallimard, 18 F.

Robert Shinosi Rue Attarine Col. Labiche Calmann.Lévy; 9,90 F.

Paul Netll Histoire de la danse et de la mU8Ïque de ballet Payot, 20,55 F.

Pierre-Jean Vaillard Guirlandea du 1OU7Îres La Table ronde, 12.35 F.

Michel Philippot Igor StnJvinsky Seghers, 7,10' F. Voir l'article de M.·CI. Jalard, p. 26.

VOYAGES R.L. Briickberger Sortilège. rr&UiccJim Sedimo, 9,25 F.

SPORT Simone BenmUllllll Eugène Ionesco Seghers, 7,10 F. Une vue d'ensemble sur le théâtre de Ionesco.

La Quinzaine littéraire, 1" avril 1966

Philippe GaU880t Histoires de ski Préface de Marielle Goitschel Calmann.Lévy, 9,90 F.

Les libraires amencains ont pris, depuis 1929, fhabitude de remettre à chaque nouveau Pré· sident des Etats·Unis un choix de livres, destiné à former la base de sa bibliothèque. Ce cadeau comprend 250 volumes, choisis parmi les livres parus au cours des derniers quatre ans - durée du précédent mandat présiden. tiel - et porte sur les titres que les libraires estiment « im· portants et dignes d'être lus ~. M. Johnson vient de recevoir cet envoi traditionnel. Sur 250 volu~ . mes, 31 relèvent de la littérature au sens strict du terme. L'écrasante majorité est composée de livres d'histoire, d'études politi. ques, de mémoires et de biogra. phies. Les autobiographies sem· blent très appréciées, et fort diverses: du général Eisenhower à Sammy Davis. Parmi les romans on trouve la dernière œuvre de William Faulkner. Les auteurs étrangers sont peu repré. sentés.

Simenon ne semble pas des· tiné à une carrière fulgurante en· Pologne, si fon en croit le jour. nal Polityka de Varsovie. D'après Maurice Werther, chef du cette publication, les œuvres du service diplomatique à la Télévi· père de Maigret manquent trop sion fraru;aise, vient de .signer le de crédibilité au moins pour le service de presse de son Kennedy lecteur polonais. En voici quel. (Seghers éd.) L'ouvrage est formé ques exemples : 1. Il n'existe' d'une étude et d'un choix de à Varsovie un seul restaurant où textes. on peut commander par télé· phone un repas, ce qui semble Toujours chez Seghers, pour pourtant indispensable pour les avril : un Cummings dans la col· interrogatoires interminables du lection Poètes d'aujourd'hui. Sui· commissaire Maigret. 2. Les sour· vront un Louis Brauquier, poète ces d'information de la police des escales et des mers du Sud, française sont inimaginables en et un Géo Lihrecht, le poète Pologne. Les concierges de Var· belge qui s'est aventuré, solitaire, sovie sont trop paresseux pour sur la route des morts qui vont signaler à la police un fait inhabituel: d'ailleurs ils dorment vers la lumière. toute la journée. 3. Les prosti. tuées ne constituent pas non plus En mai Gallimard publie une source d'information. D'abord les deux ouvrages de Stanislaus il n'en existe pas. Et si par ha· Joyce consacrés à son frère : Le sard il en existe, elles se marient Journal de Dublin et Gardien de très rapidement. 4. M aigret mon frère. Guidé par une admi· obtient en quelques secondes une ration parfois agacée, Stanislaus liaison téléphonique avec Londonne de précieux renseigne. dres ou New York. A Varsovie on ments sur la personnaUté intime ne peut même pas téléphoner en de Joyce. province. 5. La police fraru;aise connaît très bien les hôtels où Toujours chez Gallimard, la. habitent les gangsters. A VarS011Ïe publication d'un roman de fécri- il n'existe pas assez d'hôtels pour vain islandais H alldor Laxness, les voyageurs. prix Nobel : Le Poney merveil· leux, ainsi que dOns la collection Profell8eur Unrat, le célèbre Croix· du Sud cèlle d'un nouveau recueil, critique cette fois, de roman de Heinrich Mann a été porté deux fois à f écran et tou· Jorge Luis -Borges: DiscU88ion. jours sous le titre L'Ange bleu. Il vient d'être adapté en « musi· Les Editions ouvrières annon- cal ~. Une fois de plus 'le- . titre cent Une image de la famille et original de Heinrich M~n a "été de la société 80US la Restauration, écarté et remplacé par celui. de .par Raymond Deniel. Cette étude Pousse·café. La première· a déjà sera fondée sur f actualité immé· eu lieu à Toronto, avant que la diate de fépoque en question et pièce tente sa chance à Broad· telle qu'elle apparaissait clans les way. Ses chances sont d'ailleurs jdurnaux dirï"gés ou inspirés par excellentes: la musique est de des catholiques. Duke Ellington.

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Hall d"exposition du Collége Expérimental de Sucy-en-Brie.

une révolution technique au service de la réforme de l'enseignement Le sème Plan prévoit, dans les cinq années à venir, la construction de 1200 CES, 300C E G, 26800 classes primaires et maternelles, que nécessite la scolarisation de 8 millions d'enfants. Une expérience de six ans, un souci constant de perfectionnement technique permettent à GEEP CIC de répondre à ces trois impératifs: Rapidité - Quantité - Originalité. En 1966, GEEP CIC réalise les collèges expérimentaux de Sucy-en-Brie, de.Marlyle-Roi, de Gagny dont l'architecture particulière a été étudiée pour répondre aux besoins pédagogiques nouveaùx : salles de cours transfor>mables, équipées pour l'enseignement audio-visuel, prolongées par des terrasses, "studios" d'équipe, combinant salle d'étude et chambre. Ces trois réalisations de GEEP CIC démontrent que l'assemblage des modules industrialisés ne signifie pas monotonie mais variété, élégance et harmonie.

' E 'P GE BMiment Externat du CoÎlége Expérimental de Sucy-en-Brie.

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Chantiers Industrialisés de Construction

Procédés ALUMINIUM FRANÇAIS/SAINT. GOBAIN

22, rue St-Martin Paris 4" Tél. 272,25.10,-887.61:57


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