La Quinzaine littéraire n°3

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Ulnzalne littéraire

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Numéro 3

15 Avril 1966

philosophe, étudié par Colette

Audry, est revu par

Stalingrad et le «nouveau roman» allemand. Le Moine raoonté par Artaud. Paoustovski, Kosinski, Moravia.

Ra~ond Picard

défendu par Jean·François

,Roland

défendu par

Luoette FÎnas : la querelle de la «nouvelle oritique ». Lettre de Zurioh. Pauvre Yahoo 1 Césaire et Lumumba•

Un des inventeurs de Maldoror

•Un Tooqueville du vingtième sièole. Viansson-Ponté et la guerre

froide. Treblinka. Réparation à Villiers. Jules Verne ressuscité. Vie et mort de Dillinger. Steinberg. Civilisation

, anoienne de


SOMMAIRE

L'ACCUEIL DE L'ÉTRANGER

a

LE LIVRE DE LA QUINZAINB

4

ROMANS PRAN(lAIS

&

THÉATRE

8 8

ROMANS ÉTRANGERS

8 9 10

LETTRE DE ZURICH

11

HISTOIRE LITTÉRAIRB

12 13 14

CRITIQUE

18

CIVILISATIONS

1'7

ARTS

18 19

:i:RUDITION PHILOSOPHIE

10

SOCIOLOGIE·

21

HISTOIRE

22

Alexander Kluge: Stalingrad, description d'une bataille. Marcel Schneider: La Sybille de Cumes. lean-Blach-Michel :. Frosinia. Aimé Césaire: Une saison au Congo. «Le Moine» traduit par Artaud. Constantin Paoustovski : Histoire d'une vie. lerzy Kosinski : L'oiseau bariolé. Alberto Moravia: L'A ttention. par François· Bondy. lonathan Swift: Œuvres. Villiers pair de Mallarmé René R. Khawam : Les mille et une nuits. La querelle de la «nouvelle critique» François Daumas : Civilisation de fEgypte pharaonique. Picasso: Notre-Dame de vie. Un des inventeurs de Maldoror. .Colette Audry: lean-Paul Sartre. Elias Canetti: . Masse et puissance. André Fontaine: Histoire de la guerre froide. Bernard Féron: L'U.R.S.S. sans idole. lean.François Steiner: Treblinka.. l. Boissonnat: La politique des revenw.

23

DOCUMENTS

24

aCONOMIB POLITIQUE

24 28

PORMATS DE POCHB AVENTURES

J ules Verne ressuscité. lohn Toland : Dillinger.

28

PARIS

Steinberg.

ao

TOUS LES LIVRBS

François ErvaI, Maurice· Nadeau

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CorUeiller, Joseph Breitbach Directeur artûtique Pierre Bernard Adminiatrateur, Jacques Lory

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La Quinzaine Il"'-ln

Un certain nombre de, nos l'avance par l'affirmative. Comme confrères français ont salué la en Allemagne, comme en Italie, naissance de la Quinzaine litté- comme en Angleterre, il existe raire; Nous les eQ. remercions. chez nous un public passionné de A l'étranger, nous avons suscité lecture et qui s'intéresse aux la curiosité et l'intérêt de plu- grands courants de pensée, un pu· sieurs grands quotidiens. Ils sou- blic qui veut être méthodiquement lignent tous le besoin pour la renseigné et choisir ses livres à France d'un périodique comme le bon escient. Nous sommes heureux nôtre et, après avoir analysé le de constater, après deux numéros, contenu de notre premier numéro que ce public nous est déjà en - et pour certains, reproduit no· partie acquis. Il reste à le conquétre couverture - ils forment des rir dans son entier. Ce sera notre tâche dans les vœux pour notre entreprise. Merci donc à Momento Sera (Rome), à mois qui viennent : par une prosla Frankfurter Allgemeine Zeit· pection systématique à laquelle ung, au Tages Anzeiger de Zurich. . participent d'ores et déjà quelques Merci également aux radios de centaines de nos amis libraires, Cologne, de Francfort et de Düs- par une amélioration constante du contenu et de la formule de seldorf. Quelques grands éditeurs étran· notre journal. Ce sera également gers nous ont. fait part de leur la tâche des premières dizaines contentement. Feltrinelli, à Milan, de milliers de lecteurs qui nou!! John Calder à Londres, Carl Han- ont fait crédit. La Quinzaine litser à Hambourg, Athenaeum à téraire n'est pas une entrepri!le New York, les directeurs littéraires commerciale. La seule aide finan· de Stahlberg à Stuttgart, de Suhr- cière qu'elle reçoit est celle des annonceurs. Elle n'a pas d'autres kamp à Francfort. Dans un article fort amical, Die fonds que ceux apportés par trois Zeit, de Berlin, se pose néanmoins personnes dont les noms figurent des questions à propos de nos à notre « générique ». Elle ne re· chances de durée. La Quinzaine çoit aucune subvention officielle littéraire, écrit en substance notre ou camouflée. Elle est libre. Nous confrère, part avec un handicap : avons confiance : oui, « un tel or· elle n'est liée à aucun grand quo- gane a quelque chance de réussir tidien et elle doit se débrouiller en France ». par ses propres moyens, sans apN.B. - Au moment de mettre pareil technique et sans aide étran· g.ère. C'est ce qui lui permet sous presse, nous recevons 1ln d'échapper à toute contrainte. Si grand nombre de coupures qui elle ne trouve pas rapidement en montrent l'intérêt .suscité à l'étran· abonnés la moitié de son chiffre ger par notre entreprise. Le Giar· de tirage (75.000 exemplaires), nale dei Mattino à Florence déclare que La Quinzaine Littérnire elle ne passera pas l'hiver. Ra88urons notre confrère, qui comble une lacune dont on s'éton· paraît assez bien renseigné. Tou· nait. Même son de cloche d~ la tes nos précautions sont prises Gazetta dei 'Popolo de Turin. Les pour «passer l'hiver », et même journaux de Suède, de Norvège, le printemps prochain. Il n'en du Danemark signalent notre en· reste pas moins que la création de treprise avec tant de sympathie la Quinzaine - qui, il y a SIX que nous avons reçu de ces pays, mois, paraissait une entreprise spontanément, plusieurs dizaines folle - repose sur un pari; A l'en- d'abonnements. contre de Die Zeit qui se demande Bref, les espoirs que nous susci· publiquement si «un tel organe tons à l'étranger confirment ceux a quelque chance de réU88ir en . que nous avons fait lever en France », nous avons répondu à France.

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

Un « nouveau rOlnan» allelnand Alexander Kluge

Stalingrad Description d'une bataille. tra«luit par Anne Gaudu Gallimard éd. Le livre d'Alexander Kluge ne ressemble à aucun document, témoignage ou fiction écrits sur Stalingrad. Il est à la fois document, témoignage et roman, on roman d'une espèce particu. lière et entièrement nouvelle. Stalingrad est le 8econd livre de Kluge qui avait débuté, il y a deux ou troi8 ans, par un curieux volume de nouvelle8. (Déjà à ce moment.là, on hé8itait à employer le terme « nouvelles «). n racon· tait la vie de quelques per80nna· ges, pris un peu au ha8ard qui avaient traversé, tant bien que mal, la guerre et le nazi8me. Il avait une curieu8e méthode de présenter leur vie, il employait tantôt de8 documents de police, tantôt de8 jugements de tribu· naux, tantôt il Be contentait du récit cla88ique, mais un récit toujour8 entrecoupé et en quelque 80rte 8Ou8.tendu par des docu· ments et des actes officiels. Le ré8ultat était déconcertant et fa8cinant. La vie de ce8 épaves se présentait avec une 8échere88e et une préci8ion qui donnaient au recueil une valeur historique et une qualité littéraire peu commu· ne. On était mal à l'aiBe : on ne savait jamai8 ce qui était vrai et ce qui était inventé. C'était au lecteur de choi8ir, à lui de décider 8'il con8entait à accepter ces récits comme un 8imple fait diver8, ou comme la 8ynthè8e d'une époque, re88u8citée grâce à une nouvelle technique littéraire, employée con8ciemment, pour tenter de ré80udre certain8 a8pects nouveaux de notre époque et en même temp8 du roman contemporain. Dan8 ce premier livre, l'auteur traitait d'une période de l'hi8toire où l'importance et le poid8 de la police ont été déci8if8, et lui·même étant avocat, on pouvait penser qu'il s'était livré à un jeu, à un montage de dos8ier8 plu8 ou moin8 véridique8 et qu'il avait accompli un tour de force unique et i801é. Stalingrad montre de8 ambi. tion8 plus va8te8. La méthode et, bien que ce terme 80it aujourd'hui décrié, la technique romane8que employée, ont été choi8ie8 avec préci8ion et intention. Kluge cherche à ré80udre certain8 problème8 que la tran8cription et le dépa88ement de la réalité p08e à chaque œuvre d'art. Avocat et écrivain, Kluge e8t aU88i cinéa8te et un des animateur8 du groupe d'OberhauBen, le 8eul mouvement cinématographique en Allemagne qui cherche à tirer d'une mi8ère à peine croyable le cinéma allemand, jadi8 l'un des premiers du monde. Je n'ai vu aucun de 8e8 film8 et j'ignore tout de leur vàleur. Les rencontre8 d'OberhauBen 80nt La Quinzaine littéraire, 15 avril 1966

con8acrée8 aux documentaire8 et il 8emble probable que Kluge Be me8ure aux mêmes difficultés et aux même8 problème8 que dan8 BeS roman8. Comment sai8ir la réalité, comment l'exprimer dan8 le roman (ou le film), saDI la trahir et 8an8 toutefoi8 re8ter au niveau du document ? Alexander Kluge a choi8i un 8ujet connu par tout le monde. Il ne pouvait 8'attendre à ce qu'un lecteur quelconque li8e IOn livre comme une hi8toire. dont il ignorerait la fin. Va-t·il poursuivre 8a . lecture ? Ne Be dira·t-il pas à un moment donné qu'au fond il 8ait tout cela et qu'il n'ignore pa8 l'i88ue de cette hataille? C'était le premier te8t auquel l'a~teur a voulu 80umettre 80n lecteur afin d'éprouver la valeur de 8a méthode. Stalingrad s'ouvre 8ur vingt. cinq page8 de communiqué8 de guerre. Le premier date du 10 novembre 1942, début des com· bats et le dernier, du 3 février 1943, jour de la capitulation allemande. On lit ce8 communiqué8 avec perplexité. Sont.ils authentique8? Ont-ils été 8implement récrits par l'auteur ou 80nt-il8 plu8 ou moin8 inventé8? Je l'ignore. J'ignore également 8i l'auteur 8'e8t livré à un travail de découpage, d'arrangement, 8'il a

vidu, du combattanL Il exp08e d'abord toute8 le8 me8ure8 à prendre dan8 la guerre d'hiver, ordre8 et con8eils di8pen8é8 au 801dat allemand, peu préparé aux rigueur8 de l'hiver ru88e. Aprè8 le corp8, il s'occupe de « l'âme :t. Le8 aumôniers prodiguent à leurs ouaille8 abandonnées et dése8pérées des encouragements, leur parlent de sacrifice, d'amour, de courage et d'héroï8me. Nous 80mmes tOUjOur8 daDl le domaine de8 idée8 générale8, C'e8t 8eulement dan8 la 8econde partie que l'auteur commence à 8e rapprocher du combattant individuel. Lettre8, témoignage8, dépêche8 d'état-major, dialogue8, opio nion8, récit8 d'officier8 et de 8imple8 801dats vi8ent maintenant à recon8tituer à un niveau 8ubjectif cette bataille que nOU8 avon8 vue 8e dérouler au niveau de l'hi8toire d'abord, au niveau de la politique en8uite. Il s'agit de. nOU8 montrer l'individu 8eul, débordé par l'hi8toire et la politique. En fait, nOU8 nOU8 trouvon8 toujour8 en pré8ence de documents. D'où viennent-ils? Viennent-il8 même de quelque part, 80nt-il8 authentique8? On voit que la que8tion qui 8e p08ait à partir de la première ligne de ce roman 8ub8i8te de façon inchangée jU8qu'à la fin. Cette authenticité

8ion réelle, celle du livre. Il l'a fait avec une 8implicité et un raffinement con80mmés, en maintenant une ambiguïté con8tante. Nou8 80mme8 porté à croire que les communiqué8 d'état-major, le8 directive8 à la presse et autre8 documents officiels ont été pui8é8 dan8 le8 archives et que l'auteur 8'est permi8 plu8 de liberté avec le8 déclaration8 de8 801dats et offi. cier8 inconnus. Mai8 e8t-ce bien 8ûr? Qui nOU8 dit qu'Alexander Kluge n'a pa8 réinventé le8 communiqué8 de guerre, tout en 8'en tenant 8trictement aux témoignage8 individuel8 ? Ne lai88e-t·il pas dan8 80n avant-prop08 8ub8ister un doute? « Le8 8cène8 décrite8 dan8 ce livre peuvent être con8idérée8 pour leur valeur documentaire. Mais la rai80n n'e8t pa8 8uffi8ante pour en faire un livre uniquement documentaire. » Il préci8e, bien 8ûr, qu'il 8'e8t 8ervi de8 archive8 officielle8, ain8i que de8 récit8 de re8capé8, de radiogramme8 et de d088ier8. Mai8 où commence 80n travail d'invention et - 8urtout - où 8e terminet-il ? Alexander Kluge fait partie de cette jeune génération littéraire qui, aprè8 le dé8a8tre nazi, a entrepris de réformer la littérature allemande. Il a dan8 le8 trentecinq an8 et ne 8emble 8e réclamer

élagué des communiqué8 trop long8 ou 8'il nOU8 le8 donne tels quels. Le second chapitre nOU8 lai88e dan8 la même perplexité. Du ni· veau des communiqué8 officiel8 qui, à l'époque, avaient force de loi, l'auteur de8cend à une interprétation plus 8ubjective, mai8 toujour8 officielle. Il énumère le8 directive8 donnée8 à la pre88e nazie et de8tinée8 à la diffu8ion dan8 le public. Les faits ne 80nt plu8 exp08é8 à l'état brut, mai8 choi8i8 avec une certaine intention de propagande. Le8 troi8ième et quatrième cha· pitre8 demeurent dan8 le domaine de l'objectif. Mai8 insen8iblement l'auteur se rapproche de l'indi-

qu'Alexander Kluge a cherchée, l'a-t-il trouvée dan8 le8 fait8 bruts, ou a-t-il cru devoir la recon8tituer, afin d'atteindre une authenticité plu8 profonde, plu8 8ignifiante, par le8 moyen8 de l'œuvre d'art? A-t-il créé cette œuvre en partant de documents ou en le8 forgeant ? S'e8t-il contenté de le8 arranger? Quel e8t 80n apport per80nnel ? Je ne 8aurai8 répondre à ce8 que8tion8. N'exi8terait·il toutefoi8 pa8 une 8eul~ ligne « inventée :t que la lecture. de ce roman re8terait pa88ionnante et exemplaire. Nou8 voyon8, en effet, le déroule. ment de la bataille de Stalingrad comme 8i nous l'ignorioDl complè. temenL Au vrai, il a inventé cette bataille, en lui donnant 8a dimen-

de per80nne. Mai8 le titre allemand de Stalingrad : « De8cription d'une bataille », ne fait·il pa8 allu8ion à « De8cription d'un combat », la première nouvelle de Kafka? Rien ici n'e8t lai88é au ha8ard et il 8erait étonnant que jU8tement le titre le fût. A traver8 le monde, les jeune8 écrivain8 cherchent un nouveau réali8me, au delà de celui du XIX· 8iècle. Le « nouveau roman » ne corre8pond guère à la langue et à l'e8prit allemand8 et toute8 le8 tentative8 faite8 dan8 ce 8en8 80nt restée8 Outre-Rhin à l'état de balbutie. ment8. Il 8e peut qu'Alexander Kluge inaugure « le nouveau roman » allemand. Frarn;ois ErtJal 3


ROMANS FRANÇAIS

Marcel Schneider La Sibylle de Cumes Grasset éd. Marcel Schneider, pour qui l'inspiration poétique procède directement des visions du sommeil, aime à écrire dans la chambre même où il a dormi - quand les impressions du rêve sont encore vives et précises, tous rideaux fermés. Je m'étais un peu étonnée, il y a un an, de lui entendre donner le nom de « grotte » il un lieu si h~main, fait pour le songe et le travail. C'est que je ne pensais pas à la Sibylle de Cumes en effet qui, inspirée par Apollon, montre à Enée le chemin des Enfers : c'est bien ùne « grotte » qui en cache l'accès. Ainsi le dormeur abandonnant chaque soir son plus familier paysage traverse immobile l'anti· chambre du royaume d'En Bas, et plonge, par une issue secrète et toujour.s de nouveau oubliée, aux profondeurs de ses. Enfers .personnels.

Rêver un poignard, dit Marcel Schneider, ce n'est ni penser un poignard, ni imaginer un poignard, c'est le voir d'une vision immédiate, sans pare-choc ni garde-fou, et qui nous laisse exposés à tous les vents, tous les périls. Le scandale es~ dans l'impossibilité où nous sommes de détourner le's yeux en rêve : si interdites, si horribles que soient les visions de nos songes, il nous faut les,8uppor~ér. Pourquoi y sommesnous contraints? Que n~)Us veu· lent les images de la nuit ,? Leur insistanc~ toujours victorieuse dé. signe peut.être un sens.à trouver, - une évidence d'un autre monde à quoi nous ne sommes sensible Il que confus~ment, et de loin en loin. Au matin, le plus souvent, tout rentre dans l'ordre, je veux dire à l'inintelligible ordinaire; le visible renonce à l'ambiguïté, et nous nous empressons d'oublier l'illquiétant voy~ge souterrain. . Mais aussi, l'homme attentif à cette part de sa vie qui lui révèle l'autre côté de la « grotte » peut dater ses ,grands rêves comme au· tant de grands événements. C'est le 13 août 1963 que le narrateur, ici, a connu l'aventure nocturne dont l'écho se prolonge comme une pressante interrogation. Raconter un rêve, c'est toujours mentir un peu. Le récit le plus proche n'est pas celui qui prend pour modèle les sottes conventions de la traduction littérale : car l'essentiel est justement, en rêve, le plus souvent ce qui n'est pas arrivé. Il s'agit donc d'être poète, pour, en somme, rivaliser avec la nuit. Le cauchemar de Marcel Schneider est bien le sien : ce sont ses monstres qu'il rencontre, - et pourtant, dans ce royaume qui n'est pas le. nôtre, 4

nous avons d'emblée le sentiment d'une nécessité. Ce n'est encore, à la lecture du récit, qu'une impres· sion légère, mais toutes les parties de ce rêve semblent tenir ensem· ble, non pas liées par les nœuds de la logique, - à la façon plutôt des fibres de la chair d'une pom· me. Le narrateur s'y est trouvé : Chercherait-on quelqu'un d'autre, on ne trouverait que soi. Il n'y a peut·être pas de rapport plus juste entre nous et nous· même que cette profonde pitié (qui n'est pas un attendrissement) révélée par nos rêves les plus effrayants. Marcel Schneider l'évoque ici avec force. Il n'y trouve pas cependant ce silence de l'âme, cette paix qui parfois résiste mê· me à l'éclat du soleil. Il veut comprendre son voyage, et s'engage d'abord sur les voies de l'analyse, partant avec méthode du connu vers l'inconnu. Un seul personnage de son rêve appartient à la vie réelle : son ami Léonard, qui s'est conduit là en traître, alors que tous les jours il se montre un ami fidèle. PoUrtant, à bien y réfléchir, Léonard contient aussi le personnage du rêve. Il est inégal et multiple, comme nous tous. S'il devait céder aux penchants de ses plus sombres jours, - quand on le voit sale et amer; arborer par défi des défroques grisâtres, sans doute il pourrait bien devenir l'homme du cauéhemar. Il en a tout le cvnismè~ En cela, le rêveur' a bie~ vu: Les autres tourmeriteurs, - jeunes gens et jeunes filles - n'ont pas de noms. Mais on ne peut avoir de doute sur ce qu'ils·repré. sentent. Grossiers, cruels, rail~ leurs, ils sont les plaisirs de la jeunesse, ses turbulences, ses fautes et ses regrets : Il faut renoncer aux désordres de la jeunesse et rien n'est plus dur que de renoncer à ce qu'on n'a pas connu. Le narrateur doit donc quitter par force, après les avoir refusés par libre choix, ces plaisirs qu'il n'aqra jamais goûtés. La liste en est longue; depuis les vives parties de ballon, au lycée Montaigne, à quoi il ne' participait jamai~ et pourquoi? Il se souvient d'un camarade de classe dont il admirait l'ardeur a~ jeu, dont il désirait l'amitié. Qu'a.t-il fait pour être aimé de lui? Vrai. ment rien. Sur tant de souvenirs à jamais inachevés, la désolation est sans remède. . Le dormeur attentif veut ex· ploiter toutes les ressources de son rêve. Le mot « Jamais » est le plus insupportable de tous, ~. mais si c'est bien le sens dé sa vision nocturne, si c'est là le fin mot - le narrateur veut qu'on le laisse face à face avec son « J a· mais ». C'est être vraiment seul. Et plus que seul. C'est descendre au plus noir, approcher le secret .:

Je suis dans un lieu trop rare, trop inhumain pour ne pas y rencontrer Dieu. Le cauchemar, alors, se renver· se, et change de sens. Il ne dé· nonce pas, comme on le croyait, les fautes passées, vécues ou dési· rées, - il annonce une ère nouvelle. Après la mort du renonce· ment total, c'est une deuxième naissance qu'il célèbre, et la réconciliation de l'être avec soi : Tout doit servir à ma gloire, même les humiliatrons que je reçois, les échecs subis, mes insuf· fisances et mes vices. Ainsi, au-delà des Enfers traver· sés, la Sibylle de Cumes guide les pas d'Enée vers la grotte, ven. le jour. Josane Duranteau

Jean-Bloch Michel Frosinia Gallimard éd. Les livres de Jean Bloch-Michel sont tous orientés vers une défini· tion du destin de l'homme. Aucun des personnages de ses romans ou de ses nouvelles qui ne s'interroge sur le sens de sa vie et sur les rai· sons qu'il a d'être ce qu'il est. Par ailleurs, la texture même de ces ouvrages - de la Fuite en Egypte au Visage nu - est d'une trame si serrée qu'elle donne l'impression parfois de l'étouffement et comme d'une suffocation par l'angoisse. ·Parti de la concision, Jean Bloch·Michel est allé vers la sobriété, puis de la sobriété vers le dénuement. Frosinia - un petit récit d'une centaine de pages est un modèle de dépouillement narratif. Une île grecqu~, patriarcale, immuable, avec ses églises, son pope, son encens flottant les soirs d'été au-dessus du village, ses ca· fés où l'on joue au jacquet, ses gamins courant sans. chaussures sur le pavé brûlant, ses pauvres et ses riches selon une répartition admise par tous, la pauvreté et la fortune paraissant aussi inévitables que le jour et la nuit. D'où pourraient venir le trouble et l'in· terrogation dans ce monde appa· remment comblé ? Ils naissent de la rébellion d'une jeune fille. Frosinia entend pour· suivre ses études sur le continent et y faire sa vie. Son père, Alexis, veut la marier dans l'île et l'atta· cher à l'épicerie familiale. Cela doit être parce qu'il ne saurait en être autrement, dit le vieil homme. Cela ne sera pas parce que je ne le veux pas, répond la fille. Tel est le drame - un drame sans cri ni menace, où tout se passe à l'intérieur, dans le mutisme. Ce n'en est pas moins la lutte entre deux conceptions de l'uni-

vers, entre le passé et le futur, entre l'île et la ville. D'un côté, les choses comme elles ont toujours été, comme elles devraient être pour toujours, c'est-à·dire la vérité de l'île et sa stabilité; de l'autre, la recherche du mieuxêtre, la mise en question de l'acquis et finalement la contestation de ce qui est. Si vivre, pour Alexis, c'est appartenir à un monde bien construit, où fon n'a pas à se demander tous les matins quelle place on y occupe, pour Frosinia ce monde est injuste, puisque ceux qui sont pauvres sont condamnés à le rester toujours tandis que ceux qui sont riches le deviennent chaque année davantage. L'opposition ne pourrait être plus radicale. Chacun prend conscience de l'abîme qui le sépare de l'autre, malgré l'affection qui les lie. Sous le même toit, parfois assis côte à côte, parfois de part et d'autre' d'une cloison à travers laquelle on perçoit les soupirs, le bmit mat des pieds nus sur le carrelage, le tintement d'un verre déplacé, ces' protagonistes d'un drame éternel s'enferment dans le silence. Frosinia pleure. Alexis connaît l'insomnie. Au bout de quelques jours, un basculement s'opère : tandis que le vieil homme finit par accepter sa défaite', la jeune fille accueille avec amer· tume sa victoire, comme si toute sa force fabandonnait au moment où elle s'aperçoit qu'il n'est plus nécessaire de se battre. La véritable question demeure d'ailleurs' en suspens. Où est la vérité? Ni totalement ici,. ni tota· lement là. Celle d'Alexis vaut peu't-être celle de sa fille. La mal'· che en avant n'est en soi ni bonne ni mauvaise : tout dépend de la direction prise... On voit quels développements suggère le rééit de Jean Bloch.Michel. Quant à ses moyèns, on chercherait vainement dans' la littérature d'aujourd'hui ouvrage ~i s'éloigne plus radica· lement de la non-signification ou de la «parlerie» que l'auteur dé· nonçait dans le Présent de rindicatif. Tous les échanges ,entre Frosinia et son père étant rapportés en style indirect (ce qui est aU88i une convention), l'absence même~ de dialogue accroît le sentiment tragique de l'incommunicabilité, murant chacun dans ses concepts comme sous la dalle d'un sépul. cre. Et n'est-ce pas de mort qu'il s'agit en définitive, puisque le vieillard et la jeune fille meurent à une certaine façon contradic· toire de voir la vie, s'amputent des certitudes intimes, de la paix inté· rieure et enterrent à jamais une part d'eux-mêmes dans le remords et le mutisme ? Ce monde du silence, immobile et nu, enserré dans les mailles d'un style imperturbable; impose SR présence étouffante. Maurice Chavardès


TB*ATBE

• Une épopée nOire par Césaire Aimé Césaire Une Saison au Congo. Le Seuil éd. Jamais le film d'une carnere politique ne se sera déroulé à plus folle vitesse que celui de Patrice Lumumba, 1 e a der du Mouvement Nationaliste Congolais et Premier Ministre du Congo durant sept mois. Tiré de prison le 25 janvier 1960 pour discuter à Bruxelles des modalités de l'Indépendance, il est assa88iné le 17 janvier 1961 par les sbires de Tschombé. Entre ces, deux dates, c'est l'accumulation inexorable des haines, des complots, des calomnies, des trahisons~.. le temps de la dernière pièce d'Aimé Césaire. Octroyée et non pas conquise, l'Indépendance est un cadeau empoisonné. Pour Lumumba, qui voit haut et loin, le mot est lourd d'un avenir entièrement à inventer, mais Lumumba est seul contre tous : contre les féodalités ethniques du Congo, contre la petite bourgeoisie évoluée d'où il est issu, contre les politiciens et les banquiers bel g e s, contre l'Union Minière, et pour finir contre l'O.N.U., honteusement partiale et passive. Il parcourt ce bref chemin de croix, de plus en plus assuré du but et de moins en moins certain de l'atteindre, conscient de l'effrayante bousculade des événements et ne les dominant jamais que pour en perdre aussitôt le coptrôle. L'on conçoit qu'un tel destin ait inspiré un homme de théâtre, et celui-là justement, Aimé Césaire, qui nous conta, il n'y a guère, dans le Roi Christophe, cette même tragédie d'un homme seul aux prises avec un peuple devenu trop vite adulte et qui se cherche dans le désordre et l'ignorance. Mais Christophe, semi-Iégendaire, gardait son mystère, son épaisseur, sa liberté. Lumumba nous est 'trop proche. Impossible de -lUi

ques du rusé Kasavubu ou de la grossièreté sans fards de Tschombé. Conscient de la nécessité de transposer, de distancer ce réel trop lié à la vérité historique, Césaire fait passer à travers toute la pièce un joueur de sanza qui émaille l'action de ses couplets : petite fable ou complainte, sa chanson tire de chaque événement le sens, le suc secrets. Ainsi, après la mutinerie des soldats de la Force Publique qui réclament l'africanisation immédiate des cadres de l'Armée congolaise:

inventer des réactions, des intentions, des démarches qu'il n'aurait pas eus. Impossible de ne pas placer autour de lui les acteurs, trop connus, du drame : Kasavubu (à peine camouflé sous le nom de Kala-Lubu), président de la république et leader de rA bako, le Colonel Mobutu (Mokutu), Tschombé (Tzumbi), le roi Baudoin (Basilio), etc. qui tous conti. nuent aujourd'hui de faire - ou défaire - l'histoire du Congo. De telles contraintes (celles du réalisme historique) pèsent lourdement sur cette nouvelle œuvre de Césaire. C'est sans doute inévi· table. Comme le constate Enzens-' berger dans son essai Poésie, et politique1 : c Le langage poéti. ' que se refuse à quiconque veut l'utiliser pour transmettre le nom des hommes au pouvoir... :t, que ce soit pogr les louer ou pour les blâmer. Paradoxalement, ce Lu· mumba, parfaitement conforme historiquement, est moins vrai, moins révélateur des luttes féroces engagées dans c le champ clos du sous - développement :t que ne l'était le roitelet noir d'Haïti du siècle dernier, avec ses lubies, ses

rêves, ses doutes, auquel, librement, le poète Césaire prêtait sa voix. « Hom m e d'imagination », ainsi que le nomme Césaire - Lumumba a passé sa brève existence à tenter, par la parole, d'élucider le réel, pour lui et pour les autres, de l'informer selon la forte vision d'un but (l'unité) qu'il est seul à concevoir. Je n'ai pour arme que ma parole, lui fait dire Césaire, je parle et j'éveille... et je rends f Afrique à elle-même. Beaucoup de ses discours, enregistrés, nous sont parvenus. Impr,ovisés dans l'inspiration et pour les besoins du moment, ils perdent, imprimés, tout ce qui fit leur vertu. Césaire les a récrits, traduits dans sa langue, restant fidèle à leur seul contenu et les parant d'une poésie qui est la sienne, où nous retrouvons le rythme césairien, cette profusion lyrique, abrupte, traver· sée de mots et d'images nés sous d'autres climats. Ainsi, par brusques envolées, la pièce par instants décolle-t·elle du réel, pour y retomber peu après - au niveau des discours d'Hammarskjold ou du roi Baudoin, des propos cyni.

« homme du verbe» -

... petit oiseau qui va et vient, chante le joueur de sanza, oublieux petit oiseau de la glu comme de la sarbacane quelle cervelle d'oiseau, dit le piège f oiseau a oublié le piège, le piège se souvient de foiseau. Construite, comme Le Roi Christophe, à la façon des chroniques shakespeariennes, Une Sai· son au Congo comporte une trentaine de courtes scènes. Les ruptures continuelles de l'action et du lieu scéniques paraissent impuissantes au moins à la lecture - à traduire la rapidité, l'incohérence, l'espèce de fièvre des événements qui menèrent Lumumba à sa perte. Ni homme, ni mythe, semblable à lui-même, ancré dans sa foi, inébranlable dans son courage, tel apparaît, de la première à la dernière scène, le héros de l'unité congolaise. Mais il faut attendre les feux de la scèn~ pour en juger. Plus que toute autre pièce de Césaire, Une Saison au Congo a besoin du mouvement des corps, de la chaleur des voix, de l'irremplaçable invention des gestes, des couleurs et du rythme scéniques pour exister réellement. Geneviève Serreau 1. In Culture ou mise en condition. D088ier8 de8 Lettre8 Nouvelle8, Julliard éd•

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Les IDOts

et les ebo8es

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La Quinzaine littéraire, 15 avril 196tJ


ROMANS ÉTRANGERS

« L.e Moine» raconté par .Artaud Le VIe volume des Œuvres complètes d'Antonin Artaud est constitué par une· trtJduction, fort libre, du Moine, le roman noir de Matthew Gregory Lewis. Roger Grenier, le romancier du Palais d'hiver, com·p(,JTe cette «traduction» avec les précédentes et en dit les mérites.

Le Moine de Lewis raconté par Artaud. T. VI des ŒlI.vres complètes d'Antonin Artaud. Gallimard éd.

Le moindre paradoxe d'Artaud est d'être un génie indiscutable, mais un génie qui n'a laissé aucune œuvre, car il était dans l'impossibilité de s'exprimer, frappé de « paralysie :t, c'est le mot qu'il emploie dans les lettres qu'il adre88e à Jacques Rivière et qui toutes parlent du fait qu'il a tant à dire, et que le naufrage de son cerveau l'empêche d'écrire. Si l'on réussit à réunir neuf volumes de ses Oeuvres complètes (six ont déjà été publiés), il s'agit de lettres, fragments, articles, projets, scénarios, courts essais, poèmes. Mais qu'importe, d'une ligne à l'autre crépitent les illuminations d'Un très grand écrivain. Finalement, les deux seules fois où il a trouvé assez de discipline pour mener jusqu'au bout une œuvre, il s'agit de deuX adaptations, Les Cenci et Le Moine.

Le Moine est une commande de l'éditeur Denoël qu'Artaud écrivit dans .les années trente. Cette œuvre, avec la correspondance qui s'y rattache, la comparaison avec l'original de Lewis, et même des photos de tableaux vivants posés à l'époque par Artaud et ses amis, . constituent le tome VI qui vient de paraître. Dans une lettre à Jean Paulhan, Artaud exprime très bien à la fois le but de l'opération et la contrainte qu'il s'est imposée: rai raconté le « ~oine ~ comme de mémoire et à ma façon, faisant toutefois effort pour m'abstraire de mon mouvement personnel qui m'aurait induit li introduire dans toutes ces histoires une anarchie intellectuelle qui les aurait rendues imperméables au Grand Public pour lequel ce travail m'a été commandé. Cela dit, il ne faudrait surtout pas voir dans ce rewriting du très célèbre roman noir qui plaisait tant aux surréàlistes, un pensum infligé au pauvre Artaud. On sent son enthousiasme. En laissant de côté toutes les discussions qui peuvent s'établir - avec la mauvaise foi hahituelle - sur les préoccupatioDs spirituelles d'Artaud, il 6

Constantin Paoustovski L'Histoire d'une vie. traduit du russe 4 volumes. Gallimard.

me semble que le poète admirait en tout cas très fortement l'utilisation· romanesq~e du surnaturel par Lewis. Si le lecteur croit à la Nonne Sanglante et à tous les fantômes qui hantent ce roman~ c'est la preuve d'une grande réussite littéraire.

Constantin Paoustovski fait aujourd'hui figure, à Moscou, d'autorité morale. Une carrière littéraire pure de compromission avec le stalinisme, une droiture dont le dernier exemple est l'intervention. récente en faveur de Siniavski et de Daniel comptent parmi les raisons qui ont donné à ce contemporain des grands poètes de la période révolutionnaire, adversaire des fanatismes religieux et, on Je devine, politiques, l'amour respectueux de la jeunesse soviétique. L'Histoire d'une vie, dont paraît en français le quatrième volume, occupe une place à part dans une œuvre romanesque où le fantastique est la clé du monde. Comme Tolstoï, Paoustovski a senti le besoin d'écrire ce que fut· son éveil à la conscience poétique, la naissance de sa vocation d'écrivain. Mais il y a bien autre chose dans cette autobiographie. Les années 1905-1921 qui donnent son cadre à l'aventure d'un homme, époque aujourd'hui étudiée par les historiens selon des critères forgés après coup, sont ici l'élément cruel et fascinant que le jeune étudiant, journaliste d'occasion, ouvrier par nécessité, subit avec terreur ou tendresse, mais toujours avec cette passion qui l'attache à la terre et au peuple russes. Passager d'un rafiot délabré dont les hélices tournent à vide au-dessus des vagues, en route vers Sébastopol, Paoustovski connaît en même temps que la peur du naufrage, un sentiment d'extase.

On peut affecter de mépriser le roman, écrit Artaud, mais on ne peut s'insurger ~ontre les figures créées par les romanciers, quand ils ont su les armer pour vivre. Cela ne me gêne ptu du tout, moi, que fon dise de «Madame la comtesse, qu'elle est sortie li trois heures :t si je parviens li croire qu'elle existe et qu'elle est sortie... Il ajoute que les figures de Lewis laissent après elles, dans f esprit, un sillage qui ne s'efface ptu. Il explique aU88i :

Le Moine, pour moi, ne vaut que par le naturel introduit dans des opérations surnaturelles et parce que le Merveilleux y devient un objet maniable, un· état dans lequel on entre comme on entre dans une tpJtre chambre en. ouvrant la porte ou poussant le rideau. En s'emparant de l'œuvre de Lewis, Artaud a supprimé des longueurs, ajouté au style une fulgurance que n'avait pas la traduction de Léon de Wailly. Voici par exemple le portrait de la Nonne Sanglante, version de Wailly:

Son visage était voilé; li son bras pendait un chapelet ; sa robe était ça et là Mchée de goutt~s de sang qui coulaient d'une blessure qu'elle avait au sein. D'une main elle tenait une lampe, de f autre un grand couteau; et elle avait fair de s'avancer vers les portes en fer de la salle. Et voici ce qu'en fait Artaud:

Le visage de cet ETRE était voilé ; li son brtu pendait un chapelet ; sa robe était sale, encrtusée et dégoûtonte de sang; et f on apercevait. dans une déchirure de la robe, son sein fendu d'une blessure toute fraiche; d'une main, IL. tenait une lampe, de fautre un grand couteau, et Il semblait vouloir sortir du cadre. Maintenant, je dois faire un aveu. En lisant Le Moine, je u'ai pas pensé aux rapports de Matthew Gregory Lewis, de Léon de Wailly et d'Antonin Artaud, laissant pour plus tard au diable Je soin de reconnaître les siens. J'ai été pris comme un lecteur de feuilleton par le plus pa88ionnant roman noir que j'aie jamais lu. L'histoire d'Ambrosio, le capucin prestigieux, modèle de toutes les vertus, que perd son orgueil ; sa .chute vertigineuse, depuis le

Antonin Artaud

premier baiser à Mathilde, qui l'entraînera à d'autres concupiscences, aux crimes, au viol, à un pacte avec le diable, et à une fin horrible; les digressions sur l'auberge sanglante, le Juif errant, le sac du couvent et le massacre des religieuses, les enterrées vivantes ; le sombre humour de certains épisodes, celui par exemple où don Raymond, voulant enlever sa bienaimée Agnès, se trompe et enlève le fantôme de la Nonne Sanglante, tout cela se dévore comme le meilleur roman d'aventures. Puis soudain on cesse de jouer. Comme le dit Artaud, on se met à croire à la comtesse de trois heures (ou à la marquise de cinq heures). On croit à ces souterrains, à ces sépulcres où Ambrosio cherche l'amour .au milieu des cadavres en liquéfaction, terrible rapprochemenL Mais à quels rapp,rochements ne nous invite pas ce Moine, qui ne conquiert sa liberté que dans l'infamie ? Roger Grenier

Il y a dans ce récit sans conclusion, une dualité qui tient à la sensibilité de son auteur. Déjà, l'élève rêveur du lycée impérial de Kiev avait trouvé dans la nature les deux principes de la douceur et du mal. La sécheresse de la montagne, absence d'eau me terrifiaient. A la mer, infinie et bienfaisante, qu'il n'a pas encore vue, mais qui a n~anmoins fait lever dans son esprit toutes les invitations au départ, à la conquête, il oppose la dureté, la rigidité, l'absence de mouvance des sols. Et lorsqu'au fond des terres, il vit des instants d'une paix inattendue, à laquelle il n'y a pas d'explication, c'est au rythme balancé des forêts de Briansk. La moitié du deuxième volume est écrite à propos des trains sani. taires qui mènent Paoustovski, infirmier engagé volontaire lors de la première guerre mondiale, à travers la Russie, la Pologne et l'Ukraine ravagées par le conflit. Ce n'est assurément pas, comme il l'avance, parce que son père avait été fonctionnaire des chemins' de fer, que les expériences doulou-

r


Un téD10in nostalgique reuses et exaltées sont transfigurées par un mouvement perpétuel. Bachelard aurait aimé cette vocation du déracinement, qui prend conscience d'elle-même pour s'en inquiéter et s'en faire reproche.

Si j'avais dix ans encore devllnt moi, j'écrirais une deuxième histoire de ma vie, comme elle aurait pu être si le cours de ma propre existence n'avait dépendu que de moi, au lieu de dépendre d'une suite de circonstances extérieures bien souvent hostiles. Elle aurait été une rêverie autour de tout ce qui possédait mon cœur et mon esprit. Si la perception poétique de Paoustovski s'organise autour de l'eau et de la terre antagonistes, son attitude devant les événements tient aussi du compromis. Sa jeunesse fait de lui le témoin de l'enlisement d'une société patriarcale corrompue. 1905 les premiers coups de feu, les débuts d'insurrection, les pillages, les pogromes. Il assiste à l'assassinat du ministre Stolypine, au grand théâtre de Kiev. Il vit la Révolution trois fois, en 1917 à Moscou, en 1920 à Kiev, en 1921 à Odessa. Aux yeux de Paoustovski la guerre civile est comme un océan auquel il ne peut échapper, avec ses brigands d'une opérette sanglante, couverts de pistolets, de poignards, de grenades, des trafiquants, des politiciens de hasard et les organisateurs de l'ordre bolchevique qui se disputent entre eux la gloire d'être les plus forts.

La liberté, la justice et l'amour Lors de l'entrée des bolchevicks à Odessa, il ne choisit pas l'émigration à la différence de tant de ses compatriotes, pris de panique. Trop de liens intimes l'attachent à la Russie, à ses hommes, à leur langue. Autant que la stabilité, il refuse l'incohérence. L'étranger, l'inconnu n'est pas pour lui dans l'espace, mais dans le temps mesuré à partir des bicoques de guingois des faubourgs de Moscou. Il fait sien le destin de la Russie, malgré la barbarie de ce nouveau « Temps des Troubles » devant laquelle pâlissent la cruauté et la débauche du Moyen Age. Et pourtant là, il garde ses distances. Emigré de l'intérieur ? La rationalisation historique n'est pas son fort. Et pourtant, il y a chez lui . une réaction à l'histoire, qui va parfois jusqu'à la leçon de morale. La liberté, la justice et l'amour, qui firent défaut (Paoustovski le rappelle) au poète romantique Lermontov, sont trois nostalgies constantes au long des mille pages et plus de cette his19ire d'une vie. Sans doute faut-il voir là, autant que l'élan d'un homme vers un épanouissement La Quinzaine littéraire, 15 ovrü 1966

heureux, uu des problèmes de conscience traditionnels dam la littérature russe, où le métier d'écrire se confond souvent, au XIX' siècle, avec l'œuvre sociale. On sent chez Paoustovski un déchirement entre l'individualisme raffiné, et la foule avec sa violence et ses beautés totalitaires. Au moment de la Révolution, il décrit les heures passées à contempler les reflets d'un tesson de bouteille, d'un coin de fenêtre, en même temps qu'il exprime son dégoût pour les « sorbets linguistiques », confectionnés par des écrivains perdus dans la recherche de finesses formelles, alors qu'au seuil de la maison où se tient la réunion littéraire, on égorge pour une miche de pain. L'Histoire d'une vie s'arrête (à ce jour) en 1921. Elle a été écrite et repensée par une mémoire qui vit selon ses lois poétiques propres.

Une plage déserte au centre des ouragans Pendant la période stalinienne, il n'était pas possible de dire à voix haute tous les rêves, ni d'oublier les réalités de la politique. Peutêtre les récits de Paoustovski ontils été pour les lecteurs soviétiques comme ces fleurs acquises par miracle dans Moscou affamée, et qu'il distribua aux voyageurs d'un tramway, émus jusqu'aux larmes de la promesse d'un printemps à venir.

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• • Des personnages historiques • apparaissent furtivement. Nicolas • • II au théâtre, l'anarchiste Makhno, • dans une calèche chargée sur un • wagon-plateforme, et faisant feu • au passage sur un préposé des • chemins de fer, Lénine présidant • un meeting (mais se déroule alors • • le drame personnel d'un marin • qui rêvait d'une voiture. de maî- • tre et dont la fiancée est morte • de faim). On voit pousser des • écrivains qui deviendront célè- • bres : Isaac Babel, le poète Ba- • • gritski. Les dialogues mêlent la • vie quotidienne et la méditation • « humaniste », comme on dit sou- • vent en U.R.S.S. Et que dire de • ces pages lyriques où, seul avec la • fillette d'un ami, Paoustovski vit • • sur une plage déserte une vacance • comme il y en a au centre des • ouragans? • • Il y a sans conteste des redi- • tes, des pages explicatives. Mais • • elles sont points de repère néces- • saires dans ce courant chaud et • lourd qu'est l'écriture de Paous- • tovski. On pourra préférer le pre- • mier volume, riche comme une • enfance, ou le quatrième, celui • déjà de la sagesse, sinon des • • « grandes espérances », mais cette • confession pudique vaut autant par • ce qui est avoué que par ce qu'elle • • suggère. • Erik Veaux • 7


Fay : L'auteur en rajoute Kosinski : Je n'ai pas tout dit

Des mülions d'enfants d'Europe de l'Est tombés en holocauste.

Jerzy Kosinslci L'Oiaeau buiolé tradUit de l'imglais Flammarion éd. Un petit garçon, fils .d'intellectuels bourgeois, est placé par BeS parents dans un village reculé, quelque part en Pologne orientale. Les Allemands occupent le pays, les parents font de la résÏ8~ance. Ils veulent éviter à leur enfant les risques de la déportation et de la mort. C'est ainsi qu'un garçon de sept ans, élevé dans une famille aisée, tombe subitement dans un milieu de paysans inc9ltes et rudes, qui vivent en marge de la civilisation. Il est soupçonné d'être juif ou bohémien parce que sa peau est mate, ses cheveux et ses yeux noirs. Parmi ces paysans aux cheveux blonds et aux yeux bleus ou gris, il paraît différent, autre.' Dans ce monde clos, c'est une faute impardonnable. Tel est le thè~e de L'Oiseau bariolé. L'enfant est persécuté, battu, change souvent de maître. Il est finalement livré aux Allemands mais sauvé par ~ soldat charitable. Ce sont les paysans qui présentent pour le petit garçon le danger immédiaL Ils sont tous méchants, violents, ignorants. Ils Be conduisent comme dès démons. Les femmes ne sont pas .~eilleures que les hommes, les enfants sont pires encore. L'intérêt matériel, la satisfaction des besoins élémentaires, et surtout de l'instinct sexuel, et cola, par tous les moyens, telle est la trame de ce récit où les scènes de violence abondent, où le souvenir d'événements réels se transforme en une sorte de cauchemar vécu. L'armée soviétique arrive. Le garçon qui, traumatisé, est devenu muet, est recueilli par un régiment, puis placé dans un orphelinat. Il a onze ans. Les scènes de violence recommencent. Garçons et filles Be livrent à la débauche et au crime. Leur seule loi est la force, leur seul devoir, la vengeance. Ils sont devenus aussi féroces 8

que ceux dont ils avaient subi les sévices. Ses parents le retrouvent, le reprennenL Mais il n'est plus le même. Il a changé. Comme un oiseau peint par un de ses maîtres, un oiseleur, il est devenu différ~nt de ses parents, étranger dans son milieu. Il ne se sent à l'aise qu'avec d'autres g088es, dévoyés comme lui, qui ont vécu le même cauchemar. A la suite d'un accident de montagne, il retrouve la parole, mais retrouvera-t-il jamais son ancienne personnalité ? Le livre se situe à mi-chemin du récit autobiographique et du roman. Mais l'imaginaire l'emporte sur le réel. L'auteur, Polonais d'origine, fraîchement fixé aux Etats-Unis, a écrit son livre en anglais. Sa maîtrise de la forme est surprenante. Les descriptions de la forêt sont belles, poétiques, font un contraste frappant avec les sombres tableaux de la vie au village. Face aux hommes qui, par leur cruauté, dégradent tout ce qu'ils touchent, la nature seule apporte l'apaisement, sinon le bonheur. Et pourtant ce village perdu dans la forêt était soumis à une règle de vie, à une loi commune que l'enfant ignore.. Il ne connait de cette société primitive que ses débordements, ses violences, ses crimes. C'est pourquoi, l'image qu'il en donne est à tel point déformée, à la fois monstrueuse et caricaturale. Oui, ils sont rudes ces paysans biélo-russiens, ils sont arriérés et misérables. Oui, il y a parmi eux, plus peut-être qu'ailleurs, des criminels et des vicieux. Mais ce ne sont pas des monstres. L'auteur en rajoute et, par son parti pris de noirceur sans nuance, diminue la crédibilité de son récit. Car, dans l'enfer de la guerre et de la misère, dans la dégradation la plus totale, il se trouve toujours· un Ivan Denissovitch, une Matriona pour faire briller, dans la nuit noire de la souffrance humaine, une petite lueur d'espérance.

VictOr Fay

Jerzy KOlinski a trente-troil ans. Il me&ure un mètre quatre-vingtdeux et pèle loixante-deux kilo,. Né en Pologne, il e&t de nationalité américaine et .vit à New York. Il e&t licencié en Histoire, Chimie, Science& économique&, et prépare r agrégation de IOCiologie politique. Il e&t également titulaire de cinquante-troù médaille& d'or, glanéel de pu le monde, pour leI talenu de photographe. L'Oiseau bariolé elt-il un livre autobiographique ? Il y a trois niveaux' de réalité dans mon livre. La première, celle de la mémoire, à travers laquelle revivent tous les épisodes que je relate. La seconde : une réalité littéraire, celle qui permet au livre d'exister de façon propre, en soi, grâce à sa composition et à sa forme. La troisième est la réalité de la vie, de ce qui a été vécu. Tout ce que j'ai écrit je l'ai vécu, mais je n'ai pas tout dit. Cela aurait risqué d'ôter au livre sa signification. L'Oileau n'est pas une autobiographie, c'est un document littéraire sur une certaine époque, dans un certain lieu d'Europe de l'Est.

Ayant vécu ce que VOUI relatez, comment êtel-vow devenu fhomme que vow êtel aujourd'hui? Finalement, j'ai eu une enfance heureuse, si je la compaJ;"e à celle de millions d'enfants d'Europe de l'Est tombés en holocauste.

Peut-être. Mais comment, phy'iquement, avez-voul lurvécu? L'enfant est beaucoup plus fort que l'adulte. Il ne pense pas, n'analyse pas de la même façon. Quant à l'endurance physique, n'importe quel médecin vous dira que les individus réagissent de manière fort différente à la douleur. Certains supportent la torture, d'autres s'effondrent sous l'effet d'une brûlure de cigarette. C'est pour eux le seuil extrême.

Et plychiquement? Eh bien, dans ma vie d'adulte

je suis souvent à ia recherche de sensations ·aussi fortes que celles de mon enfance. Il faut que je me contrôle : cette recherche pourrait me conduire à un désastre physique et moral.

Comment vow défini$$ez-vow ? Comme un écrivain américain de souche européenne - je ne dis pas polonaise - qui écrit en anglais.

Pourquoi en anglail? Il y a des affinités entre ma façon de penser et les structures de la langue anglaise. Elles m'ont permis de créer mon style tout-en m'exprimant de la façon la plus exacte possible.

Votre livre est-il traduit en Pologne? Non. Mais il est publié ou est en cours de publication dans dixsept pays.

Néanmoins, réagi.

les Polonais ont

Oui. Le 19 mars, Politika a publié un article m'accusant d'être anti-polonais et pro-S.S. On y a résumé mon livre de façon grossière en omettant certains passages fort importants, en particulier celui où je présente les soldats de l'Armée Rouge de façon sympathique. Il est intéressant de noter que l'action de mon livre n'est située d'aucune façon en Pologne. Elle Be passe quelque part, en Europe de l'EsL

Croyez-voul en Dieu ? Non. Je crois à l'infinie capacité de l'être humain d'être bon et mauvais en même temps. L'homme ne devient véritablement humain que lorsqu'il connaît les dimensions exactes de sa propre violence. Aussi longtemps qu'il ne l'a pas assimilée comme partie intime de sa vie quotidienne, il est dangereux. L'Oiseau bariolé c'est surtout cela : la description d'une réalité contemporaine toujours actuelle : la violence. Propol recueiUis· pu Claude DaUa ,Torre


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Moravia dans le vent Alberto Moravia L'A ttention. traduit de l'italien Flammarion éd. C'est d'abord l'histoire d'un ,. .. .,. . , . eCrIvam quI/n arrIve pas a ecrne 80n roman : l'histoire symbolique, donc, de la crise du roman. Dans L'Ennui, il s'agissait d'un peintre saisi par le dégoût de son art : ici, il s'agit directement du ro· mancier tourmenté par l'impuis. sance d'écrire. Francesco voulait raconter son aventure conjugale, l'échec de son mariage. En effet, marié à Cora (qui avait eu d'une précédente liaison une fille, nommée Baba), le narrateur de L'Attention s'aperçut vite qu'il n'aimait plus sa femme. Il décida donc de partir les trois-quarts de l'année pour de grands reportages autour du mon· de. Quand il revenait à Rome, il descendait dans l'appartement commun, mais sans partager la vie familiale. Lorsqu'il voulut raconter l'histoire de son mariage manqué, il se rendit compte que « le roman

Dès qu'il a mis en train son nouvea\l projet, Francesco décou· vre plusieurs choses étranges. Cora, sa femme, ne dirige pas seulement un atelier de couture, mais aussi une maison de rendez· vous. La première personne qu'elle a cherché à prostituer a été sa propre fille, Baba, âgée alors de quatorze ans. Baba, qui a maintenant vingt ans, raconte ces événe· ments à son beau-père, mais sans aucune animosité ni rancœur. Car, dit-elle, la Baba qui' a été séduite autrefois n'est plus la même que la Baba d'aujourd'hui.

J'ai une vie divisée en compartiments étanches. Dans chaque compartiment il y a une Baba diverse et toutes ces Babas ne communiquent pas entre elles. ne se ressemblent pas, ne sont pas responsables l'une de l'autre. En somme, comme la Cecilia de L'Ennui, la Baba de L'Attention incarne le mythe de la femmeohjet, perpétuellement différente d'elle·même, perpétuellement aliénée. Francesco découvre encore qu'il

Le sexe et l'argent

comme histoire, avec un début, un développement et une fin, le « roman comme drame» était im· possible. Il se résolut à la forme du journal : il noterait, par un effort d'attention, tout ce qui arriverait au cours d'un de ses séjours romains. L'Attention est le journal de ces petits événements quotidiens, une sorte de regard impartial posé sur le monde, regard qui se substitue à l'ancienne activité traditionnelle du romancier, qui était de combiner et de nouer des fils. La Quinzaine littéraire, 15 avril 1966

désire Baba, sa belle-fille. Mais pas plus que Baba n'en veut à sa mère de l'avoir prostituée, le beau-père de Baba n'éprouve du remords à cause de son désir incestueux. Si Baba n'est qu'un objet, elle est à la disposition de tout le monde, on peut la prendre et la laisser sans que ce qui lui arrive laisse la moindre trace en eUe. La suite du roman est une sorte d'enquête sur le passé de Baba : enquête qui se termine par la mort de Cora et le départ du

narrateur pour l'Amérique. Finalement, entre Baba et lui, il ne s'est rien passé. La jeune fille ne se serait point refusée, et les considérations morales ne l'au· raient pas retenu, lui, mais il a eu l'impression qu'une liaison avec sa belle-fille réintroduirait le drame dans le roman. Fidèle à son projet de « faire attention » aux événements en se gardant de les provoquer, il s'est contenté de rêver à l'amour de Baba, à l'amour avec Baba. Voilà sans doute la nouveauté de L'Attention, par rapport aux autres livres de l'auteur. On voit un personnage, Francesco, renoncer à une liaison, non point à cause du refus de sa partenaire ni à cause de ses propres scrupules, mais pour respecter ce qu'il ap· pelle l'authenticité de son regard sur le monde, c'est-à·dire de son métier d'écrivain. En cédant à son désir pour Baba, il dramatiserait le cours naturel des événements et donc les fausserait. Il aurait « quelque chose à dire », certes, il pourrait enfin écrire son roman, mais ce roman ne serait qu'une illusion de roman. Il y a donc dans ce livre plusieurs des clichés de notre temps : l'aliénation, la femme-objet, l'im· possibilité d'écrire, la honte de « dire quelque chose », etc. Toutefois l'auteur, en dépit de sa co· quetterie à faire croire le contraire, n'a jamais su mieux raconter, et L'Attention se lit comme ses autres romans, c'est·à· dire comme un feuilleton. Les lecteurs de Moravia retrou· veront leur pâture ordinaire : le sexe et l'argent, l'argent et le sexe. Si les deux protagonistes renon· cent à s'aimer, les comparses, Cora, le frère du narrateur, la femme du directeur de son jour. nal, d'autres encore, sont tenaillés par l'obsession sexuelle la plus élémentaire, la plus animale. Fran· cesco, lui, se complaît en des rêveries sordides: déshabillage de Baba, immersion de la têtc dc Cora dans la cuvette des cahinets. Il se cache dans un bordel pour épier un couple d'amants, etc. Feuilleton intellectualisé, le douzième roman de Moravia joue et gagne - apparemment - sur les deux tableaux. Le grand public est content, et les néo·néo·Turcs de l'avant.garde italienne, bien plus féroces que les nôtres contre tout ce qui peut éveiller le hideux soupçon de réalisme, ont accepté de récupérer L'Attention parmi les textes prophétiques du nouvel évangile. L'intelligentsia transal. pine, qui découvre tout à trac les vertiges de l'aliénation et de l'écriture, a trouvé un gonfalonier illustre. C'est ainsi qu'en trichant sur sa nature on arrive à rester dans le vent. Bref, pour me faire comprendre, il y a la même dis· tance entre Agostino et L'Attention qu'entre Le Cri et Le Désert rouge. Dominique Fernande::

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JERZY KOSIN.SKI L'OISEAU BARIOLE roman tradUit de l'anglais par Maurice pons.

..----------....;.--.. • "sa lecture : m'a littéralement : fasciné." LUIS BUNUEL

~ .Eïiiïii~ïiiïii...liiilaiimilimiiiiiaiiiri.oliin..

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LETTRES DE ZURICH

La Suisse est-elle un thè:rne littéraire? Dans les Lettres de Thomas Mann qui viennent de paraître en France, nous trouvons trace de la vive polémique qui opposa au début de 1936 l'écrivain qui avait choisi l'exil à Edouard Korrodi, rédacteur littéraire du plus important organe de presse de la Suisse alémanique, la Neue Zürcher Zei-

Oprecht donnait à Thomas Mann la possibilité d'éditer une revue « Mass und Wert », il y avait donc lieu pour l'écrivain émigré, de faire la leçon au représentant éminent d'un peuple qui a la vocation enseignante.

tung. Le vilain procédé de Korrodi à égard de émigration... écrivait Thomas Mann à Hermann Hesse. A l'affirmation polémique d'un journaliste émigré que toute la littérature allemande de valeur s'était expatriée, Korrodi avait opposé une simplification encore plus contestable : selon lui, c'était les romanciers et les « industriels du roman », surtout juifs, qui avaient quitté l'Allemagne. Les vrais poètes, les écrivains « profonds », y étaient restés. Thomas Mann répliqua que le roman c'est la forme littéraire la plus importante de notre temps et que, du reste, ni lui - même ni son frère Heinrich ni Schickelé, ni Bertolt Brecht et bien d'autres n'étaient le moins du monde « juifs ». Il concluait : «'L'actuel régime allemand ne peut donner naissance à rien de bon, ni pour l'Allema~ gue ni pour le monde ». Au moment où l'éditeur zurichois Emil

Un pays neutre oonfit en vertu

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En ce temps-là, la Suisse était surtout un pays consommateur de grande littérature. Depuis la guerre, deux écrivains suisse~ ont conquis la notoriété mondiale et ce passage de la consommation à la cr~ation a coïncidé avec le passage d'une certaine auto-satisfaction au « malaise », aux interrogations inquiètes. Max Frisch (né en 1911) et Friedrich Dürrenmatt (né en 1921) ont présenté dans leurs pièces les plus célèhres une vue hien singulière de leur pays. Dans La visite de la vieille dame, de Dürrenmatt, «Gullen », - la ville dont les citoyens par cupidité se font l'instrument collectif d'une vengeance - signifie « purin » en patois suisse. Chez Max Frisch, « Andorra », petit pays neutre, confit en vertu, sous les menaces des voisins, épouse leur antisémitisme et élimine ce « corps étranger » qu'est le seul juif du lieu et encore juif imaginaire - . Voici donc deux tragédies suisses où l'injustice n'est pas le fait d'un roi ou d'un Pouvoir absolu, mais d'un peuple entier. Ce peuple peut être lâche, cupide, bourreau - mais il l'est solidairement, en démocratie directe, à' l'helvétique. Ces deux écrivains, non conformistes jusqu'à la satire la plus acide, sont devenus, un peu malgré eux, les écrivains les plus représentatifs de leur pays. A cette soudaine, explosion de talent dramatique, un critique mrichois, Madame Elisabeth Brock-Sulzer, avait proposé une explication : Pendant des années. écrivait-elle, les' ruines s'accumu-

lèrent dans le monde entier. Quand nous regardions nos solides maisons. elles nous semblaient irréelles, fantomatiques à cause de leur solidité même... Notre monde intact nous parut tout à coup un simple décor. Pourquoi alors ceux qui "étaient appelés à 'pre1ulre la parole n'en profiteraient-ils pas pour faire de ces décors les maisons de leurs œuvres, pour faire du théâtre ? C'est ainsi que le deuxième drame de Dürrenmatt. le moins con,nu, ~'Aveugle, met en œuvre un homme vivant au milieu d'un monde en ruine. mai) qu'il croit intact. Sujet éminemment ,uisse, bien que r auteur le situe pendant la guerre de Trente Ans. Il y a eu le malaise du spectateur concerné. Mais au moment où la Suisse était un îlot de démo-

cratie, il importait d'insister sur sa « Suissité » et il était alors de mauvais ton de parler allemand en public plutôt que patois. Les écri. vains ne pouvaient toutefois se contenter d'une « identité parti. culière ». Appartenant à la cul· ture allemande, le drame allemand les touchait plus intimement. Qui suis-je ? Du Journal d'Amiel au Stiller de Max Frisch, il y a une manière bien suisse, bien protestante aussi, d'être troublé par les incertitudes de l'identité et, devant l'effondrement d'une culture individualiste, l'interrogation prenait un sens angoissant. C'est pourtant encore Max Frisch qui insistait en 1949 dans une revue de Berlin sur la valeur du modèle suisse. Vous aviez une culture esthétique raffinée, disait-il aux Allemands, et elle vous a laissé désarmés devant la harharie. Notre Etat est une création culturelle collective et nous devons préférer cette culture de citoyens, même si notre patrie est une terre bien ingrate pour ses écrivains et artistes. Le drame du spectateur, le malheur spirituel de celui qui a été heureux tout seul, «en Suisse », a trouvé son expression littéraire. Et le malaise de la solitude a perduré. Nous commençons à nous sentir un peu solitaires. écrivait Herbert Lüthy, enfermés dans

notre histoire à nous, dans notre passé trop vivant alors qu'autour' de nous r Europe s'efforce de se détacher de son passé de mort...

Un passé oerné de tabous Il n'y avait pas 'que le regard impuissant, il n'y avait pas que la solitude. Il y avait aussi le drame d'une certaine participation. Le rapport du professeur Ludwig au Conseil Fédéral sur la politique à l'égard des réfugiés - largement diffusé - a rappelé les tares d'un opportunisme extrême. Le professeur Ludwig remit en mémoire que ce fut sur la suggestion de Berne que les Allemands timbraient d'un « J » les passeports des Juifs allemands afin que les fonctionnaires suisses pussent, à la frontière, les distinguer des touristes de bonne foi. Il rappela que de nombreux fugitifs furent refoulés qui se croyaient déjà saufs. Beaucoup ont péri en déportation. Le rappel de ces faits fut un choc tardif mais salubre. La redécouverte d'un récent passé cerné de tabous se liait aux réactions des intellectuels contre la nouvelle poussée de xénophobie occasionnée par l'afflux d'ouvriers étrangers. Le rapport Ludwig a même suscité un roman : Die Hinterlassenschaft (Le Legs) de W.M. Diggelmann. Ce roman, qui veut être « l'anatomie d'un scandale », a

valu à l'auteur quelques chicanes policières. C'est l'histoire d'un jeune homme qui découvre qu'il a été adopté et que ses vrais pare~ts ont été déportés. Voici cet orphelin à la recherche des responsables et explorant le passé. L'ouvrage, bien intentionné, mêle documents et récit. L'inventionn'est malheureusement pas au niveau du témoignage. Une « littérature engagée» doit-elle se contenter de n'être qu'une « pro· vocation» à la bonne littérature? A lire les romans des meilleurs jeunes écrivains - Otto Walter, Hugo Lœtscher, Adolf Muschg où la réalité est réfractée et transposée, on pourrait le croire.

Une littérature énigmatique Dans Neutralitiit, une revue bâloise, les deux générations littéraires viennent de s'opposer. Max Frisch est frappé - écrit-il - par l'ahsence d'une littératuré qui s'expliquerait avec le passé et explorerait en profondeur le's pro· blèmes et drames d'une nation, à l'instar des romanciers et auteurs dramatiques allemands. Nous avons plus de talents, que jamais, mais la Suisse ne les inspirerait~lle plus ? Otto Walter (né en 1928) répond en substance : Notre littérature est proche des littératures française et italienne en train de naître. C'est plutôt la littérature allemande, obsédée par le drame moral du passé, qui constitue un cas à part. Si notre littérature est devenue énigmatique plutôt que réaliste, c'est que les rapports de l'écrivain avec sa langue passent à présent par l'ironie.

Une sorte de oompleze de oulpabilité Jean Rodolphe de Salis, historien bilingue et auteur réputé est intervenu dans ce débat pour sc demander si par hasard Max

Frisch serait notre dernier écrivain patriote ? Otto Walter avait écrit qu'il se' sentait Suisse en troisième lieu seulement. En 1937 dans sa réponse à Esprit, C.F. Ramuz en avait déjà dit autant, et plus. Si Walter et de Salis ne s'en sont pas souvenus, Denis de Rougemont, dans son récent ouvrage La Suisse, rappelle la déclaration de Ramuz qui, en Suisse, fit scandale. Salis remarque que l'étranger sait bien ce qu'est un Suisse et qu'il faut donc croire' à un ensemble de particularités, de même qu'il y a une histoire et des problèmes suisses. Notre patrie se demande-t-il - n'est-elle pas un thème tragique, avec son mélange bizarre de justice et d'injustice, de bien et de mal ? Tragique ou non, il faut croire


HISTOIRE LITTÉRAIRE

Pauvre Yahoo que ce thème appartient aux historiens, aux mémorialistes, aux enquêteurs. Ainsi nous avons un récit de la Résistance intellectuelle en Suisse, par Alice Meyer, veuve d'un historien antinazi militant. Nous avons le livre mal accueilli par les militaires - de John Kimche qui rend hommage au général Guisan, mais montre qu'il n'y a pas eu, sauf dans la légende, une Suisse unanimement résisiante et démocratique. Il y a un film et des livres sur la condition des ouvriers italiens en Suisse. Tous ces auteurs portent sur le passé et le présent un regard plus 8incère. C'e8t tout de même de la littérature d'enquête. Pour la vraie « littérature ~, si une théorie se juge par 8es fruits, il faut reconnaître que c'e8t Otto Walter, et non Diggelmann, par qui la Suisse alémanique existe. Deni8 de Rougemont a pourtant raison de déceler même dans cette jeune littérature un sentiment diffus, presque inconscient, qui tourmente la Suisse du vingtième siè· cle : une sorte de complexe de culpabilité.

Jonathan Swift Œuvres. Bibliothèque de la Pléiade. Gallimard éd. Jonathan Swift Voyages de Gulliver. Le Livre de Poche.

La Sul... en cque.tion.»

Jonathan Swift, l'auteur de8 Voyages de Gulliv.er, du Conte du Tonneau. du Journal ti Stella, d~8 Voici trente ans, Thoma8 Mann ! nstructions aux Domestiques, etc. eut à se défendre contre un cri· celui qui n'aimait· ni le8 mou· tique luisse qui décrétait ce qu'e8t chard8, ni les railleur8, ni les et ce que n'est pas la littérature bavard8, ni les seigneur8, qui ne allemande. Les écrivains et cri· valaient pa8 mieux à se8 yeux que tiques luisse8 d'après-guerre sont le8 bandits, ni le8 juge8 qu'il metplue encline à mettre en doute tait dan8 le même 8ac que le8 leur propre littérature qu'à juger as8assins, celui qui haiuait l'humales autrel. nité et l'animal appelé homme, En vérité, qu'ils le veuillent ou encore qu'il pût avoir quelque non, ila parlent toU8 de la Suisse, amitié pour Pierre ou Paul, aura non pal par affirmation, mais en eu, 8i j'ose dire, de la chance: la mettant, à leur manière, en voici que son œuvre noue e8t « que8tions :t. offerte, rassemhlée' en un seul FrtJn(}ois Bondy, volume par Emile Pon8, un homme qui lui a consacré toute 8a vie. TI faut lire la préface de son fils, le T"," cit": . romancier Maurice Pon8, aux 1. L.,tre. de Thoma. Mann Voyages de Gulliver pour com· 1889-1936. Gallimard éd. 1966. prendre à quel point Swift, 8a vie, 2. Walter Matthia. Digge1maJm 80n œuvre et son portrait, fai8aient Die HinterlMaemchaft, Piper éd; Munich 1965. partie de la famille Pon8. Cette 3. Max Fri.ch longue fréquentation érudite nous Je ne .ui. pal SriUer, vaut aujourd'hui une « Pléiade ~ Gra88et éd. 1957, réédité en 1966. d'une qualité exceptionnelle. 4. Deni. de Rougemont

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La Suiue ou fhistoiTe d'un peuple heure_, Hachette éd. 1965. N eutralitiit revue trime.trielle, Bâle. E. Brock·Sulzer Dürrenmatt et le théâtre .uiue, Preuve., août 1957. Herbert Liithy La Suisse a COIItre-eourlJ1ll Preuve., 1962. Alice Meyer AnpalSWIff oder W'iderstantl Huber éd. Frauenfeld 1966. John Kimche Un général .uÏ&.e contre Hitler Flaminarion. De. roman. de Hugo Loet.cher el d'Adolf Mu.chg oni paru à Die Arche, Zurich. Otto Walter La dernière nuit, GalUmard 1963 Mon.ieur Tourel, Gallimard 1965.

La Quinzaine littéraire, 15 allril 1966

Mais il y a plus. Depui8 la trè8 intéreuante Présentation de SU'ift de A.-M. Petitjean 1, le8 études 8wiftiennes connaissent une véri· table mutation. L'Angleterre vietorienne s'était faite complice d"une certaine figure de Swift, malheureux pamphlétaire mora· liste victime de son idéal, exemple vivant de8 vertu8 qu'il défendait. A la bien8éante hypocri8ie 8'ajou. tait l'ignorance. Deux livres récents au moin8 rendent le Doyen à ce que fut sa vraie vie, éclairent son caractère et &Qn œuvre: le SU'ift de Pierre Frédérix 2 et le Eros et Thanatos de Norman O. Brown 3, révélateur du mécanisme intellectuel 8wütien, de 8a méthode

de sublimation, de8 source8 de sa rage et de 80n dégoût de l'huma· nité. Il y a plu8 encore : tout le désigne, en matière d'humour noir, comme le véritable initiateur, a écrit André Breton. L'un de8 texte8 le8 plu8 connU8 de Swift e8t sa Modeste proposition pour empêcher que les enfants d'Irlande ne soient une charge ti leurs parents et ti leur pays. Il 8'agit comme on 8ait, de manger le8 enfant8 au bout d'un an; d'en faire une 8UCculente viande de boucherie. Proposition dont un auteur d'anticipation à court terme pourrait s'in8pirer de n08 jour8 pour ré80u· dre, dan8 un même mouvement, le problème de la 8urpopulation dans la mi8ère et de la copulation san8 risques. Bien loin de 8'atténuer avec le temp8, les horreur8, les ab8urdités, le8 ignominie8 commi8es par l'e8pèce humaine n'ont fait que croître, jU8tifiant au-delà de toute e8pérance le8 fureur8 du pauvre Yahoo qui, se prenant pour· Gulliver, écrivait néanmoin8 dans le but le plw noble. celui d'informer et d'ins· truire thumanité. Dans l'une de ses Pensées sur divers sujets. il écrit: On dessine toujours les éléphants plw petits que nature ,mais les puces toujours plw grandes. L'œuvre publiée aujourd'hui, de lui et 8ur lui, permet une e8timation de la grandeur nature de Jonathan SWÜt. Certain8 le verront plu8 grand que nature, d'autre8 auront tendance à le rapetisser. Lui·même semhle s'être ingénié à brouiller les meàure8, se servant tantôt, comme à Lilliput, du petit bout de la lorgnette, pour ridiculiser ceux qui prétendent à

la grandeur, tantôt du gr08 bout, ne visant en définitive qu'à nous donner une image de nous-même8 qui, tenant compte du niveau des pa88ion8 humaine8, exclurait le goût du panégyrique. La guerre même ohéit à ce8 déformations fantai8i8te8, guerre entre le8 Gr08· Bouti8tes et le8 Petit-Bouti8te8,

menant au maS8acre généralisé de tous ceux qui ont préféré mourir plutôt que d'accepter d'ouvrir leurs œufs par le petit bout. En fait, il s'agi8sait, comme on 8ait, de stigmati8er la guerre entre le8 Whig8 et les Tories, et le fait que les homme8 font feu de n'importe quel boi8 pour 8'entretuer avec de « bonnes raisons ». Ce8 images ont joué un mauvais tour à notre Doyen qui n'avait pas prévu que le8 enfants des hommes 8'en amu· 8eraient au lieu de s'en inquiéter.

Misanthrope et mîsoÛlle AU88i bien e8t-ce au paY8 de8 Yaho08 que l'on 8e rapproche le plus de la vraie taille de Swift et je croi8 que l'on peut adopter la thè8e d'Emile Pon8 qui veut que « Yahoo ~ ne soit pa8 8eulement le malheureux paY8an irlandai8 réduit à l'état de bête mai8 aU88i une déformation du pronom e8pa· gnol « yo ~, c'est-à-dire le Moi, l'En Soi de l'homme et de Swift en particulier. Avec ce8 bête8 ignoble8 et puante8, on touche aux caU8e8 profonde8 du génie de Swift qui, ayant fait le tour de l'espèce humaine (voir par exem· pIe et entre autre8 la Méditation sur un Balai et les Instructions aux domestiques) ne se pardonne pa8 d'être et .de 8e 8avoir lui·même l'un des membres de cette 8ale espèce - à laquelle il oppose le8 noble8 chevaux. Swift n'est aucu· nement un moraliste ab8trait, la vie ne lui a -pas épargné le8 passion8 qu'il condamnait, mai8' il les a d'autant plu8 ressentie8 qu'il a voulu le8 refouler, le8 dominer, les « sublimer ~ en écrivant. L'ild· mirable, c'e8t que deux 8iècle8 avant Freud, il ait été conscient de son entreprise, il 8avait qu'il n'aurait pa8 pu faire l'Ange 8'il n'y avait eu la Bête, que le Bien et le Mal, tout en ayant l'air de se fuir, se rencontraient 8ur un même cercle. De 8es contradiction8 nai8· 8aient 80n éloquence et '80n génie ...,.... et 8a folie. Il ne s'aimait pa8, il n'aimait pa8 l'e8pèce à laquelle il appartenait. Son œuvre démon· tre amplement qu'il y a de bonne8 rai80ns pour cela. Misanthrope et mi80gyne, il a lai88é .8a fortune pour créer un a8ile de fous, et pour ceux qui, à tort san8 doute, ne sont pa8 enfermé8, il a lais8é une œuvre qui n'a pa8 fini de nOU8 fU8tiger et de nous émouvoir, une œuvre qu'il faut lire parce qu'elle participe incontestablement de la condition humaine et parce qu'elle est une prise de con8cience au même degré que l'œuvre, par exemple, d'un Sade ou d'un Orwell, parce qu'en définitive, ce sont ce8 œuvre8-là qui font la dignité de l'Homme. André Bay 1. Gallimard. 1939. 2. Hachette. 3. Le. Lettre. Nouvelle., Julliard.

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HISTOIRE LITT*RAIRE

Villiers, pair de Mallarlné Stéphane Mallarmé Villiers de rIsle-Adam. In (Euvres Complètes de Mallarmé Bibl. de la Pléiade. Gallimard éd. Je ne suis pas d'accord avec l'étude sur Villiers écrivain fan. tastique? du regretté. Albert·Ma· rie Schmidt, parue dans le pre· mier numéro de La Quinzaine lit· téraire et annoncée au sommairé sous cet autre titre, qui souligne le parti.pris : Villiers surestimé1• Et d'abord, il est imprudent d'estimer un écrivain d'une telle richesse et diversi~ sur deux lieu· les pièces - d'un intérêt relatif puisqu'il s'agit de la seconde ver· sion d'un drame et d'une anthologie faite dans un esprit assez particulier - et d'après une thèse d'histoire littéraire. Je ne connais pas celle de M. Alan-W. Raitt, mais j'imagine les remarques « désabusées ~. qui ponct.uent ses recherches sur le maistrisme, l'hégélianisme, le. wagnérisme, etc., de Villiers de l'Isle·Adam. Aujourd'hui, nos artistes se font enseigner Marx, .Heidegger et Schoenberg à l'heure de l'apéritif. Ce qu'il en passe dans leur œuvre légitimera sans doute le « désa· busement ~ des générations studieuses, mais ne les diminuera point (ce sera, tout au plus, un sujet de rêveries annexes) aux yeux des « chers indifférents ~, qui aiment l'œuvre e~ soi et non pour les arpèges d'idées qu'elle déclanche dans les cerveaux spécialisés. Ce qui montre, à mon sens, qu'Albert-Marie Schmidt n'y est pas du tout, ce sont ses vues sur l'écriture de Villiers - elle ne lui semble presque jamais' au point, elle manque d'unité fondamentale, un rien lui fait perdre le ton requis - qui aboutissent à cette conclusion péremptoire Seul Axël offre les charmes d'un style soutenu. En mettant Axël au-dessus du lot à cause de son style, AlbertMarie Schmidt renouvelle l'erreur des cadets de Villiers qui glorifiè. rent cette œuvre en tant que « drame symboliste » pour se donner du ,cœur à l'ouvrage - et écrire qui la Dame à la faulx, qui le Vieux Roi, qui César-Antéchrist - et ce, au grand dam des autres pièces et surtout des contes, qui furent pareillement éclipsés par f Eve future. Or, quand la diction des acteurs (ou du lec'teur) ne parvient pas à implanter le prodigieux décor verbal, Axël reste une pièce assez morne, et f Eve future un édifice trop industrieusement fantasma· gorique pour émouvoir les rêveurs et les railleurs auxquels ce livre est dédié. 12

Au vrai, les grandes machines conviénnent mal à l'aile légère de Villiers - qui est un ange. Et Elémir Bourges, qui en est un autre, a commis la m~me faute en beaucoup plus grave, car il n'a traité que de « grands sujets ». Reste un fond d'exquisité, qui n'est pas perceptible au premier venu : il faut savoir cligner entre les lourdes pièces de l'armure romantique qui barde ce croisé de l'Idéal.

D-une ezquidté totale Rien de tel avec les contes de Villiers, qui sont d'une exquisité totale jusque dans leurs inégalités et maladresses. Et' Schmidt, qui nous passait hier ce très superbe plateau de fromages que constitue son édition collective des contes de Maupassant et nous les avons accueillis sans barguigner, bien que d'aucuns nous aient paru fort « avancés ~ - est plutôt malvenu de repousser ce non moins superbe plateau de petits foura, ou de fruits déguisés, ou encore (je garde une intense nostalgie de cette espèce disparue) de gâteaux Poiré.Blanche, aussi crémeux qu'alcoolisés, et qui étaient, Vll l'extraordinaire variété des « par· fums ~, un, perpétuel muacle pour le palais. Poursuivant cette métaphore alimentaire', j'ajouterai que la dé· gustation de Contes et Nouveaux contes cruels, Tribulat Bonhomet, Histôires insolites, f Amour suprê. me, Akëdisséril, Propos d'au-delà et Chez les Passants ne demande pas d'entraînement ni d'initiation particuliers, qu'elle répond à tou· tes les gourmandises, et enfin puisse la Librairie José Corti finir de combler ce vœu - qu'elle de· vrait être mise à la portée de tous par une bonne édition courante, et complète. ' En revanche, je n'aperçois point la nécessité des anthologies ou « plus belles pages » de Vil. liers. Le choix de contes fantasti· ques dû à Henri Parisot est certes très bon - peut.être meilleur que celui, fait par l'auteur luimême' avec l'assistance (entre au~res amis) de Mallarmé, d'Histoires souveraines - , mais pourquoi, grands dieux, m'en contenteraisje? Devant une 'telle abondance de biens, il n'y a pas lieu de se priver, et le contingentement de Villiers selon l'appétit, l'humeur ou la mode d'un chacun me semble vraiment hors de saison. ' Les seuls contes qui méritent, non pas d'être édités, mais lus à part du reste, sont ceux qui forment l'archipel Tribulat Bon homet., D'abord à cause de l'extrême stridence des propos du macabre Docteur - lesquels justifient, en plus d'un sens, le reproche que Schmidt adresse à ceux de Villiers d'être tantôt lâchés et quasi-vul-

gaires, tantôt exagérément retenus, pincés, prétentieux : il est bien vrai que les entretiens du couple Lenoir avec Tribulat Bonhomet sont tout cela; et il e'st également vrai que le conteur ne hausse pas, malgré qu'il en ait, ce personnage d'une sombre jovialité à la dignité d'un type littéraire tel que Joseph Prudhomme et le Père Dhu. Mais au lieu de se demander pourquoi celui·ci a moins d'existence que ceux·là - ce qui ne fait pas l' 0 m b r e d'un doute - , Schmidt enfourche bravement le dada, sellé par Villiers lui-même, de Tribulat Bonhomet archétype de son siècle, qui exprime à merveille essence du bourgeois, intendant méticuleux, féroce, borné, des jardins de la terre - ce qui peut être discuté à perte de vue.

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Car est·il dans l'essence du bourgeois de tuer des cygnes, d'utiliser les tremblements de terre, ou de regarder dans l'Infini par le trou de la serrure qu'est f orbite d'.une morte? En octroyant au Docteur Bonhomet -:Homais revu et bonifié, comme son nom .l'indique - ces actions saugrenues, et les gloses plus sau· grenues encore qui les accompa· gnent, Villiers ·lui délègue une belle part, et non la moins étrange, de son esprit.. Don Quichotte, j'imagine, n'agirait pas plus che· valeresquement s'il lui prenait fantaisie d'é~rire une satire ou un pamphlet : les gestes et opinions que l'ingénieux hidalgo prêterait à ses ennemis, les bergers, barbiers et moulins à vent de la Manche, auraient à coup sûr le même défaut de congruité et, en somme, de réalité que ceux dont Villiers pare l'objet de ses exécra· tions. De là l'extraordinaire affection des « villierolâtres ~ Ûe tiens à honneur d'en être) pour cette œuvre disparate et comme désaccordée : renonçant à y chercher l'ar. chétype promis par l'auteur, ils trouvent dans Tribulat Bonhomet, avec ses singularités les plus inexpugnables, le parfait « négatif ~, comme on dit en photographie, de celui que Mallarmé nomme le contempteur, aveuglé par le réel!

Vu par Mallarmé Pour accéder .au positif, à Vil. liers dans son naturel, il faut lire et relire ce témoignagne d'un homme au rêve habitué, (qui) vient ici parler d'un autre, qui est mort : texte difficile mais capital, la splendide étude que Mallarmé écrivit au lendemain de la disparition de son « camarade » redresse bien des erreurs auxquelles donnent lieu, depuis près d'un siècle, l'œuvre et la figure du poète. Voici quelques-unes des plus criantes :

Contempteur, soit, mais c'est se méprendre sur le sens et la qualité de son dédain en le réduisant à ce seul objet, le bourgeois, et en le confondant avec l'ire chronique d'un Barbey, d'un Bloy, d'un Huysmans. Plus déliée et comme décantée, celle de Villiers se change en une ironie prompte à se retourner contre soi, en raison d'un certain virus laissé par la rage d'avoir été superflu à son temps. Pourtant, au rebours du mendiant ingrat, nulle convoitise du bien d'autrui - car le fasciné de richesses avait à la fin compris que . f état, en toute justice, de fhomme littéraire, qui a tout le reste, est la pauvreté - et nulle autre revendication. .que· celle, royale, du pays mystérieux' tou-. jours par lui habité et maintenant' surtout, car ce pays n'est pas. Catholique, certes, et bien plus romain que chrétien (Gide ne s'y est pas trompé) par son attachement de poète au cérémonial et· au rituel, avec des élans-vers une ardue théologie pour enfreindre le catéchisme du bas âge prôné par' les écrivains nommés plus haut. Factice, assurément, si l'on tient pour authentique èette décalcoma. nie des choses que pratiquent les romanciers réalistes et naturalistes afin de s'en assurer la possession. Effort sans cesse déçu et re· commencé, car - ici Mallarmé cite Villiers - ils ne veulent pas s'apercevoir qu'ils n'ont possédé que ce qu'ils désiraient. Il leur est impossible de croire que, -:- hors la pensée qui transfigure toute chose - toute chose n'est qu'illu. sion ici-bas... . Non, Mallarmé ne s'est pas « abusé », comme parle Schmidt, en jugeant Villiers plus apte que lui à composer le « livre absolu ~ dont il rêvait. Ce livre existe : c'est la vaste quête opéradique qui, d'Isis à Axël, nous suspend au fil de sa voix diamantine. Peu im· porte si le « monde occulte ~ sus· cité par ce chant n'est qu'un leur. re : Autant, par ouï-dire, que rien existe et soi, au regard de la divinité éparse... Peu importe·si cet art n'est « qu'une admirable et magnifique imposture » (Gide), .digne d'un acteur plutôt que d'un écrivain: Histrion véridique, je le fus de moi· même ! de celui que nul n'atteint en soi, excepté à des moments de foudre, et alors on fexpie de sa durée... Martyr et héros de « ce jeu insensé d'écrire» - s'arroger, en ver· tu d'un doute (...), le pouvoir de tout recréer - , Villiers reste, avec Mallarmé, l'étalon-or de cet his· trionisme véridique qui consiste à se traduire en histoires et en images, et l'on devra toujours s'y référer pour faire le départ entre les deux races d'histrions - les véridiques et les mensongers qui peuplent notre littérature. Maurice Saillet 1. En réalité Villiers surfait, ce qui revient au même. NDLR.


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Qui a cassé « Les wlle et une nuits» ? René J{. Khawam Dames insignes et ser,viteurs galants. (Lés mille et une nuits) Albin Michel

,Quelle histoire! Déjà et souvent on nous, avait avertis que les Mille et une nuits n'étaient pas les Mille et une nuits mais d'au· tres Mille et une nuits qui, malgré toutes ressemblances, ne devraient pas être confondues avec elles. J'en passe. Et voilà maintenant qu'il !l'Y a plus du tout de Mille et une npits. Les' amateurs français, en réalité, ne s'affrontaient qu'entre deux adaptations françaises, celle de Galland, parue de 1704 à 1717, et celle de Mardrus, parue de 1899 à 1904. Mardrus accusait Galland d'avoir édulcoré les contes, et, dans les thèmes; dans le' ton. dam le style, dans le langage, d'en avoit trafiqué l'orientalisme pour le mettre au goût - au parfum d'un public littéraire dressé à Versailles ou à Marly. Et désormais, et pendant. longtemps, il fut du dernier vulgaire de garder quelque attachement à Galland. Et puis, peu à peu, on finit par savoir que les Anglais, de leur côté, avaient étudié les Mille et une nuits, et aussi .les Allemands. Que de leurs travaux,. d'ailleurs discutables à leur tour, il ressortait que Mardrus dans son genre ne méritait pas plus de confiance que Galland, - peut-être moins. Que si Galland ne s'était pas dérobé à d'austères devoirs d'infidélité, Mardrus, 'plus coupable, s'était complu à y ajouter les agréments _du plaisir. Et Galland bénéficia d'un nouveau revirement, sanctionné en 1964 par un ,1 i v r e posthume de Raymond Schwab, L'Auteur des Mille et une nuits - Vie d'Antoine Galland. Titre qui était un, manife~te. Son cas mis à part, il faui reconnaître que chacun là-dessus dissertait selon l'humeur et la rumeur, sans science ni méthode. M. René R. Khawam vient y mettre bon ordre. Iranien d'origine, orientaliste par nature et par destination, formé aux disciplines universitaires, il a 'voulu assurer ses bases. Ce qui l'a conduit, d'unc part, à écarter tous les ma· nuscrits qu'une critique sévère pourrait ne pas regarder comme authentiques, d'autre part à éliminer les autres sources et notamment la tradition orale, enfin à ne retenir, pour les confronter et concilier, que des' documents datant grosso modo du XII~ siècle, - si du moins j'ai hien compris son introduction (car il nous y fait crédit d'un fonds de connaissances que nous voudrions bien avoir). Ce XIIIe siècle serait pour les Mille et une nuits une époque privilégiée où' convergent en une sorte . de corpus arabe des courants venus non seulement de l'aire arabe, mais aussi de la La Quinzaine litlér~re. 15 avril 1966

Perse, de l'Inde, voire de la Grèce. Après quoi toutes sortes d'apports nouveaux, que n'ont jamais cessé d'enrichir lettrés, portefaix, marchands ambulants ou caravaniers, ont derechef éparpillé les courants en un inextricable réseau deltaïque. (Pour moi, ignorant, je reste à me demander si la tradi· tion orale qu'une critique sourcil· leuse s'efforce de laisser de, côté n'a pas plus de valeur en Orient, comme en Extrême.Orient"que les versions écrites qui n'en sont que des transcriptions.)

«Beauooup de nuitslt L'ensemble que nous apporte M. Khawam après dix ans de recherches, de collationnements et d'un très brillant labeur de transposition, ce premier volume doit être suivi de deux ou trois autres, - est admirable de verve, de truculence, de gaillàrdise, de délicatesse, de vertu lyrique, et, dans le ton, de variété et d'am· pleur. 0 merveilleux conteur,; orientaux! ,Seulement Schéhérazade n'est plus, notre enchanteresse maintenant qu'elle' s'appelle Chahrazade, et que le. suspens de SOR aventure, factice, interminable et ravissant, s'expédie et se termine dans le>! trente premières pages, après lesquelles il n'y a plus que des con· tes divers qui succèdent à divers contes. Quant au titre féerique de Mille et une nuits, M. Khawam, souriant paternellement de notre jobardise, nous avertit qu'il ne signifie pas autre chose que « beaucoup de nuits »; et s'il nous le laisse néanmoins, c'est, dirait-on, par une sorte de condescendance, mais ravalé au rang modeste d'un discret sur·titre. Je n'ai pas l'outrecuidance' de mettre en doute sa science, ni la valeur de sa traduction, qui est d'une qualité rare, ni même le hien·fondé du parti qu'il a choisi. Seulement je ne crois pas que ce parti soit assez fort pour annuler sans exception tout ce qui a précédé. Quand il fait all~llion aux éventuelles « rancunes de ceux qui se plaisent aux mirages, reflet de leurs visions personnelles sur des civilisations enfermées sans pitié dan8 un cadre d'exotisme artificiel », - je me sens visé. Je lui ahandonne les Anglais, les Allemands, Mardrus même; il en sait infiniment plus que moi, je l'en crois ; mais je ne lui abandonne pas Galland. Ce dont on fait grief à Galland, c'est justement ce, qui pour moi fait sa vertu. Il écrit, tout au début : « ...Cette dernière ne manquait pas de mérite; mais l'autre avait un courage au·dessus de san siècle, de l'esprit infiniment avec une pénétration admirable », etc.; c'est le propre langage de Mme de La Fayette; et dans le même langage , de Galland, Alain disait en-

le livre chez vous

tendre « le ram~ge de' Voltaire enfant 1>. De ces rapprochements • signalés à Raymond Schwab est • sorti tout son livre. • Les ridicules simplifications • scolaires escamotent, entre le siè- • cle prétendu dix·septième et le • siècle prétendu dix-huitième, tout • un « siècle 1> littéraire, dont on • se débarrasse sournoisement en • l'appelant période de transition. • Drôle de transition, qui n'englobe • rien de moins que le second La • Bruyère, Bayle, Fontenelle, etc., • 106 bis, rue de rennes et, précisément, notre Galland. bab. 19.07 paris 6e Prenons donc cette « période » : pour ce qu'elle est réellement : • une très grande époque tout à fait • autonome au cœur de 'laquelle .' scintille l'auteur des Mille et une • nuits comme un très grand écri· • vain parfaitement méconnu. • Voici deux siècles et demi que • son recueil exerce son action, di~ • recte ou subtile mais constante, • sur la littérature française, soit en • la fournissa,nt d'alibis (Montes. • quieu, Voltaire, Crébillon et la • suite), soit en l'engageant dans • les. chemins d'un exotisme: de, bon • aloi (celui ,de Segalen)', soit" et • surtout, en rénovant ,de' forid en • comble notre plus ancienne tradi- .. tion d'enchantements' et de féé· • ries : directions qui se' trouvent en • fait se confondre, dans la .mesure • où elles tendent également à af- • franchir l'imagination française • du jeu de société auquel tend en • permanence à la ramener une sor- • te de loi sociologique, de loi phy- • sique. • Dix générations de Français, en- • fants d'abord, puis adultes remet- • tant délicieusement leurs pas dans • les pas de leur enfance, ont trouvé • et retrouvé dans Galland la forme • de leurs rêves. Ce qu'ii y a d'ap. • prêté dans ses héros n'en fait que • mieux ressortir dans le récit l'in- • solite familier du merveilleux, du • fantastique, de tout un pré-surréa- • lisme assez confondant. Cette lit- • térature prétendue policée nous • remet au contact d'un imaginaire • ~-"'''''''-_0iilI!!!~'''' et d'un merveilleux qui restent, • bien au delà des songes de l'en- • fance, et dans la même ligne indé- • finiment prolongée, le fonds se- • cret de la pensée adulte. • Ces Mille et une nuits-là pour- • ~ suivent une navigation h auturière • bien loin d'un port d'origine qui • ~ 3 a cessé depuis longtemps et pour • 41' , toujours d'être leur port d'atta- ., ~ , che. Vaisseau Iantôme. Mais, quoi • DEMANDEZ NOTRE 1 qu'on insinue, et comme on dit, • DOCUMENTATION 1 il n'y a pas de honte. La manière • qu'elles ont d'être vraies diffère • NOM 1 de celle des autres, mais elle la • 1 vaut bien. Rien de subalterne. • PRÉNOM 1 Simplement nous prendrons dé- • 1 sormais la précaution, pour en • ADRESSE 1 parler, de dire « Les Mille et • une nuits de Galland » : ce sera : rendre hommage, tout ensemble, • à l'étincelante réalisation de M. • 1 Khawam, à la mémoire de Ray-. PROFESSION • mond Schwab et à notre cher An· • -II toine Galland. Tout le monde sera : content. • '~QLI , ,

vous fera parvenirdirectement chez vous

TOUS LES LIVRES DE VOTRE

CHOIX

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Samuel S. de Sacy

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CRITIQUE

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• Revel: j'ai cherché a oUvrir une discussion Avec Nouvelle critique ou nouvelle imposture, Raymond Picard a mis les rieurs de son côté. La publication, par Roland Barthes, de Critique et Vérité a toutefois fait réfléchir ceux qui voient la vie intellectuelle autrement que sous les couleurs de joutes bien parisiennes et pr.opres à alimenter la conversation. Dans sa réponse à Raymond Picard, Roland Barthes dit ce qu'est - ou ce que pourrait être - la «nouvelle critique ~ et pose le problème à débattre sur un terrain où son adverst;lire n'a fait qu'avancer le pied. JeanFrançois Revel. directeur de la collection Libertés où a paru le libelle de Raymond Picard, donne ici ses raisons. Lucette Finas plaide une cause qui paraît d'ores et déjà gagnée.

Les réactions suscitées par le texte de Raymond Picard,_ Nou,_'elle critique ôu nolwelle imposture constituent un excellent matériel pour l'étude de la société littéraire française. En effet, entre le 1er octobre 1965, date de la publication du texte de Picard, et le 1er avril 1966, date de mise en vente de Critiqlte et Vérité de Roland Barthes, aucun des artides militants écrits pour répondre à Picard n'a porlé sur le fond du débat, ni répliqué à un argument, ni réfuté une objection. Tout ce qu'on a opposé à Picard était le plus souvent étranger au problème de la critique littéraire. ' Barthes lui-même avait montré la voie, je regrette d'avoir à le dire, dans- son article du Nouvel Observateur, en noveJObre dernier, lorsque non content de traiter son contradicteur de «Pion~, il iminuait que ce contradicteur parlait au nom de la jeunesse, de -la morale, de la patrie. Or je mets au défi quiconque de trouver dans Nouvelle critique ou nouvelle imposture une seule ligne où il soit question de ces vocables fleurant leur vichysme. Je n'emploie pas ce mot au hasard, car le « grief de collaboration» fut même mis en circulation. Il tombait particulièrement mal, Picard ayant été, précisément, arrêté par les Allemands! Peu après, dans les Temps Modernes de décembre, sous la plume d'un nommé Brochier, signataire d'un article où pas une seule ligne n'était consacrée au contenu des livres respectifs de Barthes et de Picard sur Racine et la critique, on pouvait lire ceci : L'honnêteté intellectuelle n'est pas la qualité marquante d'une telle démarche. Picard procède le plus souvent par allusions ou insinuations : ce n'est bientôt plus d'analyse -existentielle ou marxiste mais de telle tendance fractionnelle du marxisme ou de existentialisme

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qu'il est question; soulignant « fractionnelle ~, Picard espère sans doute indiquer à ceux qui détiendraient la vérité officielle de f existentialisme et du marxisme la marche à suivre ; ce travail a un nom. Tout le texte d'ailleurs respire la dénonciation etc... Je conseille à M. Brochier de lire, dans Situations J, les pages où Sartre analyse 'les procédés de défense des communistes en montrant qu'ils relèvent tous de l'essence même de l'esprit conservateur. On écrit 'Jour se protéger, dit Bernard Pingaud dans Le Monde (6 novembre 1965). C'est en effet le cas. Philippe Sollers poursuit dans Tel Quel: ce serait peu dire de ce discours qu'il est réactionnaire. Il semble incarner f ordre moral lui-même. Dans ce même article, Picard, cheval de bataille, - Sollers me pose à moi personnellement une question. Je lui signale que je suis à sa disposition pour y répondre, dans Tel Quel. Enfin, dans Critique et V érité, Roland Barthes parle à nouveau d'interdits relevant de la morale (p. 23) et va jusqu'à écrire (p. Il) : Provenant d'un groupe limité, ces attaques ont une sorte de marqueidéologïque, elles plongent d",",s cette région ambiguë de la culture où quelque chose

et à cause de son

«jargon~. Or

je

liB page 50 de Nouvelle critique ou n.ouvelle imposture: Je ne suis pas de ceux qui reprocheront ci un critique son. jargon parce que c'est un jargon. Malgré des apparences que déplissent bien vite les apprentis philosophes, Descartes et Pascal. qui -emploient le langage de tout le monde, sont beaucoup plus difficiles à suivre et à comprendre que Kant, qui a -créé un jargon. Plût au ciel que Pascal, au lieu d'employer le mot cœur dans plusieurs acceptions différentes, se fût fabriqué un jargon! La démarche ne porte donc pas sur le principe d'un' jargon, mais sur le bien-fondé et l'efficacité, en termes de signification, de tel jargon déterminé. Autre exemple : Picard refuserait l'étude d'une œuvre à un autre niveau que le niveau explicite. C'est ce que lui reproche notamment Bernard Pingaud dans l'article _du Monde déjà cité. Or Picard a seulement protesté contre l'attention donnée dans une œuvre, uniquement à l'implicite : la vérité d'un écrivain est dans ce qu~il a choisi, non pas exclusivement dans ce qui fa choisi, (p. 36 c'est moi qui souligne). En- publiant Picard, j'ai cherché à ouvrir une discussion. La pluie

ment d'accord. Ainsi peut-être nous acheminerons-nous (on annonce également un livre de M. Dubrovsky au Mercure) vers une discussion portant enfin sur l'objet du débat. Quel est cet objet? Barthes l'effleure dans la seconde partie de Critique et vérité en posant l'équation : critique = écrivain. Elle est tout à fait juste. Comment refuser le rang d'œuvre littéraire à l'essai de Montaigne sur Tacite, de Proust sur Nerval, aux textes liminaires écrits par Breton pour chacun des auteurlil de l'Anthologie de fhumour noir, ou encore aux articles de Henry James sur Trollope (1883) Stevenson (1887), Maupassant (1 8 8 8), Flaubert (1902), Zola (1903) et Balzac (1905) ? L'œuvre critique est œuvre d'art, c'est entendu. Donc elle est soumise à la loi de- toute œuvre, à savoir d'être essentiellement, fondamentalement et pour toujours, susceptible de réussite ou d'échec. Par conséquent toute argumentation fondée sur l'honorabilité d'une entreprise, le côté sympathique des initiatives de ses auteurs est, en art, nulle et non avenue. On ne demande pas à la poésie (puisque Cocteau avait déjà parlé de «Poésie critique:., ne l'oublions pas) on ne demande pas

Le& ancêtre&

Emile Faguet

Sainte·Beuve

d'indéfectiblement politique, indépendant des options du moment, pénètre le jugement et le langage. Bref, contester les idées de Bar-thes sur Racine, examiner les méthodes, postulats et résultats de la nouvèlle critique ne saurait être le fait que d'un complot fasciste. A ce chef d'accusation s'ajoutent de grossières déformations et omissions qui, en un temps où bien des gens lisent les journaux pour ne pas avoir à lire les livres dont parlent les journaux, fixent dans leur esprit une image-repoussoir du livre de Raymond Picard. Celui-ci, par exemple, condamnerait Barthes au nom de.la clarté,

Jules Lemaître

d'articles qui a suivi, mais ne portant pour la plupart que sur l'accessoire, prouve que j'y ai réussi sans y réussir. Espérons que les livres annoncés après celui de Barthes seront autre chose qu'un mé-. lange de perfidies ad hominem et de généralités passe-partout. Je vais publier dans Libertés même la réponse de Jean-Paul Weber. J'ajoute que si d'autres auteurs avaient voulu faire paraître leur réponse dans Libertés, j'aurais été heureux de les accepter aussi, car ma morale (puisque morale il y a) ne consiste pas à refuser la parole à ceux avec lesquels je ne suis pas d'accord, ou pas entière-

à la poésie d'être sympathique, audacieuse, bien orientée : on lui demande d'être. J'approuve le projet de Barthes : recréer Racine, ou tout autre. Je réclame le droit de trouver que cette recréation a eu lieu ou n'a pas eu lieu. D'autre part, il n'entrait nullement dans le projet de Picard, ni dans le mien en le publiant, de contester, je le répète, le principe de l'application de la psychanalyse, du marxisme, de la linguistique structurale à la critique littéraire. Mais est-il permis, oui ou non, de se demander si cette application a bien eu lieu, encore une fois, ou bien si l'on a simple-


Barthes, ou le pari sur une • nouvelle fOrD1e de raIson

Raymond Picard

ment assisté à une parodie d'application? Par exemple, Barthes invoque souvent les Essais de Lingui.•tique générale de Jakobson. Or, jusqu'à présent, je ne vois pas plus de possibilité d'utilisation de la linguistique structurale en critique littéraire que d'utilisation de la théorie des qU3nta en critique picturale. Peut-être la thèse annoncée de M. Jean Cohen, Structure du langage poétique, nous apportera-t-elle du nouveau sur ce point, je le souhaite. Mai8 pour l'instant le texte de Jakobson intitulé Linguistique et politique, par exemple, n'a rien de barthien : c'est une étude formelle et phonétique des rythmes, rimes, assonances, enjambements, dans la prosodie traditionnelle. Autre question que ne tranche pas Barthes dans sa réponse : estce que le tout est dans d'écriture» comme .le soutient volontiers la nouvelle critique, est-ce que seul le langage existe en littérature, ou bien est-ce que tout est dans l'inexprimé ?

Il semble que la nouvelle critique ne se soit pas souciée de concilier ses énoncés touchant l'autonomie du langage avec ceux touchant l'explication par le structuralisme thématique inconscient. Pour rendre l'œuvre à la littérature, écrit fort bien Barthes, il faut ri' abord en sortir et faire appel à une culture anthropologique. Dès lors il faut choisir, ou bien le critique accepte la discussion sur le terrain de cette culture anthropologique, c'est-à-dire sur le terrain de l'exactitude, ou bien il l'accepte sur le terrain du seul langage, c'est-à·dire il accepte le risque de l'écrivain qui est le risque du poème raté. Il n'a pas le droit de répondre : je suis poète, quand on soumet à l'épreuve son information, et je suis un chercheur, quand on lui dit votre poème ne m'émeut pas. Jean-François Revel Quinzaine littéraire, 15 avril 1966

Le 9 février 1857, la Gazette des Tribunaux publiait le jugement du procès de Madame Bovary. Le réquisitoire avait été prononcé par l'avocat impérial Pinard. Au nombre des attendus figurait celui-ci : l'ouvrage déféré au Tribunal mérite un blâme sévère, car la mission de la littérature doit être d'orner et de. recréer l'esprit, en élevant l'intelligence et en épurant les mœurs. Orner, recréer, élever, épurer : la frivolité et la censure ont partie liéc. Les voici à l'œuvre, sous d'autres espèces, dans le procès fictif intenté à Roland Barthes. On peut s'en féliciter, puisqu'elles obligent l'inculpé à préciser ses intentions, à publier, en Critique et Vérité, une défense qui est aussi un programme. « C'est ici un livre de honne foi, lecteur », livre de chercheur, non de polémiste. Mais on doit également s'interroger sur l'hostilité, voire la haine, que suscite la critique de Barthes. La vieille querelle de l'esprit d'autorité et de l'esprit d'examen est bien vivante et, périodiquement, une Inquisition subtile ressuscite quelque Galilée pour tenter de réduire celui-ci. Bornée à la parole, elle s'assouvit d'exécutions imaginaires. En quoi consiste l'hérésie de Roland Barthes? A proclamer l'autonomie de l'écriture. On veut bien admettre que l'écriture a ses exigences, qui ne sont pas celles de la vie, mais on refuse de le croire, c'est.à-dire d'en tirer les conséquences qui se pourraient formuler ainsi: la littérature n'est pas un hochet, ni une parure, ni un miroir; elle ne fait pas la leçon, elle.ne cherche pas l'homme sous l'auteur ; elle n'est pas un moyen, ni un instrument. La littérature ne veut plus dépendre. Elle réclame son statut. Elle se veut. Or, dès que la littérature s'enferme en elle-même, ses relations avec le lecteur entrent dans une phase critique. Il faudrait, dit Mallarmé, qu'on se crût un homme complet sans avoir lu un vers d'Hugo comme on se croit un homme complet sans avoir déchiffré une note de Verdi. Il n 'est personne, si étranger fût-il aux problèmes du langage, qui ne se croie autorisé à trancher sur le fait littéraire. Une imposture soigneusement entretenue présente la clarté littéraire comme immédiatement accessible. Or elle ne l'est pas, même et surtout quand elle le paraît, et la clarté « classique » moins qu'une autre. N'importe ! Le lecteur enrage d'abandonner un privilège que pourtant il n'eut jamais. La dignité de la littérature est incompatible avec la recherche de la communication à tout prix. Les adversaires de Roland Barthes ne sont pas dupes de la clarté aisée dont ils se font les défenseurs. Sitôt franchi « l'universel reportage » dont parle Mallarmé, com· mence la zone des clartés diffici-

les. Ne pourrait-on faire grief à M. Picard d'attiser la rancune qu'éprouve naturellement tout public à l'égard de l'écrivain qui lui fait une obligation de s'initier à la clarté ? Et cela, en mettant les rieurs de son côté... Une phrase de Sartre me revient : « Lukacs a les instruments pour comprendre Heidegger ». Les instruments pour comprendre ! Osons le dire : la clarté littéraire, comme la clarté philosophique ou la clarté mathématique, est plus ou moins médiatisée : elle ne se livre que si l'on met en branle un nombre variable de moyens. Qu'est-ce alors qu'un jargon ? Pour Barthes, c'est le langage d'autrui, lorsqu'il menace le nôtre. Je le définirais plutôt comme du langage en miettes. Nos élèves jargonnent, par exemple, quand, sommés de s'exprimer dans un certain langage, ils y introduisent par maladresse, prétention ou naïveté les débris injustifiés d'un autre langage. Peut-on faire sem· blable reproche à l'auteur de Sur Racine, pour qui la' cohérence ipterne n'est pas seulement un « beau souci », mais un critère? Et peut-on, sans une injustice égale, qualifier sa critique d'abstraite ? Nous voici au plus secret du conflit. Critique et Vérité s'oppose, rappelons.le, à Nouvelle Critique Nouvelle Imposfure. Quelle est, pour Barthes, cette vérité que ses adversaires dénoncent comme une imposture? C'est la vérité du symbole, inséparable de la nature 'symbolique du lan· gage. Le symbole, en littérature, est « la pluralité même des sens ». L'esprit d'autorité peut bien affecter l'œuvre d'un sens canonique, celle-ci ne souffre pas de s'y laisser réduire. Sainte-Beuve luimême évoque la « citadelle irréductible » du sens. Citadelle reconstruite aussitôt que détruite, toujours ailleurs et toujours autre. Le même symbolisme qui fonde l'œuvre fonde la critique de l'œuvre. En d'autres termes, la critique ne peut que tenter de rivaliser avec l'œuvre, et de rivaliser en nature symbolique, au lieu de poser sur l'œuvre un voile de concepts. Le critique est un voleur de sens, le voleur, en l'occurrence, ne faisant qu'un avec le donateur. Barthes, par exemple, cherche à surprendre la vigilance de Racine, il lui vole ses objets, riches de signes. RivaI. Voleur. Amoureux aussi. Le 'critique est amoureux du langage de l'œuvre et de son propre langage au contact de l'œuvre. Son amour se trahit à un certain frémissement de l'écriture, si perceptible chez Barthes. Amour n'est point facilité, tant s'en faut et la poursuite du langage ne diffère en rien d'une ascèse. L'écrivain et le critique se rejoignent dans la même condition difficile, face au même objet: le langage. Pourquoi difficile ? Parce qu'il n'existe pas d'avantlangage qui garantisse le langage.

ou

Pour le cntIque comme pour l'écrivain, le langage est un piège. « Abstrait », « jargonneux ~, Barthes, aux yeux de ses adversaires, passe pour un « terroriste ~ qui, en matière de critique, ne souffre que la sienne. Voilà bien la confusion. Barthes souffre avec bonheur ! - toutes les lectures, mais, ce qu'il ne souffre pas, c'est qu'on ne lise pas ou, ce qui revient au même, qu'on lise de manière univoque. Il n'y a pas de littéralité d'un texte (ou, comme le note Valéry, pas de vrai sens d'un texte), mais il y a une littéralité de la littérature selon l'expression de Jakobson. Le terrorisme de Barthes est au cœur de cette exigence. Il revient à la linguistique, en effet, de fournir le modèle génératif dont aura besoin la science formelle du discours. La science de la littérature n'existe pas encore, mais on peut en rêver : elle sera une science p,es conditions du contenu, c'està-dire des formes ; (n.) elle n'interprétera pas les symboles, mais seulement les polyvalences. Elle aura pour objet non les œuvres particulières, mais la grande écriture mythique où l'humanité essaie ses significations, c'est-àdire ses désirs. Le projet de Barthes constitue un pari sur une nouvelle forme de raison, à laquelle nous aspirons d'autant plus volontiers que celle qu'on lui oppose et au nom de laquelle on va-t-en-guerre nous semble une forme vide. Au demeurant, peut-

on traiter de terroriste un critique pour qui le fait littéraire est un fait anthropologique dont l'explication requiert, à la limite, le concours entier de l'anthropologie ? Tout se passe comme si Barthes substituait à la notion de beauté celle, plus féconde, de désir. Une œuvre est désirable, qui ne pétrifie pas le désir et qui n'est pas, elle-même, du désir pétrifié. Dans 'c'ette perspective, 1'« ancienne critique » est affaire de conformisme, non d'époque. Cependant, si hardie que puisse paraître l'entreprise de Barthes, elle est au fond un retour aux sources mythiques de la littérature. Barthes nous dirige vers Homère, vers Eschyle, dont nous ne savons rien, dont nous savon8 tout pui8que nous parVient leur voix. Lucette Finas 15


CIVILISATION

Toute l'Egypte François Daumas Civilisation de Egypte pharaonique. 255 illustrations en noir. 8 planches en couleurs. Arthaud éd.

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Travail de synthèse, mais où l'on devine à chaque page le support d'une profonde étude analytique, la Civilisation de rJt;gypte pharaonique, de François DllUmas, nous apporte, avec la pl udence et les scrupules d'un esprit scientifique qui connaît les lacunes dans le puzzle- compliqué de matériaux sur quoi se fonde le savoir de l'égyptologie, la somme des connaissances acquises depuis moins de cent cinquante ans sur la' vie, la pensée et l'art d'un peuple dont l'histoire était restée engloutie dans son. secret pendant treize siècles : depuis la transformation. en église, sous Justinien, vers 535, du dernier temple d'Isis, jusqu'à la découverte, en 1822, par Champollion, d'un système d'interprétation de l' é cri t ure hiéroglyphique. Si l'antiquité égyptienne nous apparaît encore aujourd'hui comme ces fresques romanes en partie effacées et dont la beauté des fragments intacts nous fait déplorer les atteintes du temps, du moins pouvons-nous, par ce qu'il en demeure, nous faire une idée assez précise de ce que fut sa grandiose civilisation. Les difficultés qu'ont eu à surmonter les archéologues et les historiens, leur lente et patiente approche d' une signification cachée dans un monceau de papyrus et de pierres, nous com· muniquent cette curiosité de la recherche et ces émotions de la découverte qui contribuent à nous rendre très attachante la lecture d'un tel ouvrage. Son auteur, directeur de l'Institut français d'archéologie orientale du Caire et professeur d'égyptologie à l'Université de Lyon, n'a réussi à reconstituer certains événements qu'à l'aide d'éléments disparates : sceaux' d'argile, inscriptions tom· baIes, handelettes de momies, extraits des chronologies du prêtre-historien Manéthon, notations et figures peintes sur des ostraca ou fragments de poterie. En revanche, la découverte de certains textes, comme le livre du vizir Ptahhotep, entièrement conservé (sans doute, le plus ancien livre du monde), ou le Papyrus Harris, long de plus de 40 mètres et intact, a été une précieuse aubaine. Dans une première partie, purement historique, le livre de François Daumas nous montre, après un aperçu sur les plus lointaines origines du pays, ce que fut l'Egypte à l'époque protohistorique des Thinites, c'est-àdire au IVe et au début du Ille millénaire. Deux royaumes, celui du Sud et celui du Nord, se disputent la totalité du territoire qui 16

reviendra à Menès, roi du Sud, fondateur de la 1" dynastie. La structure fondamentale de la civilisation p h a r a 0 n i que déjà s'élabore. Les Thinites ont laissé des traces de leur écriture. Ils ont déjà un calendrier de 365 jours. La société repose sur le roi dont le pouvoir est fondé en droit religieux. Protégé par les deux déesses du pays, il est dieu lui-même. L'évolution de l'Egypte unifiée est rapide. Administration, organisation des cultes, apparition et développement de l'architecture funéraire, statuaire, tout ce qui fera la puissance et le prestige des pharaons pendant trois mille ans est déjà mieux qu'esquissé à l'aube de leur histoire. C'est là un des caractères les plus surprenants de cette. civilisation : la persévérance à travers une si longue étendue de temps d'une théocratie, d'une idéologie religieuse déterminant toute la création artistique, et d'une culture, que seul le christianisme réussira à ruiner, comme il ruinera plus tard les vieilles civilisations américaines. Ces trois mille ans d'histoire, div i s é s en périodes appelées Ancien, Moyen et Nouvel-Empire, l'auteur en prolonge le récit jusqu'aux successives dominations perse, grecque et romaine. Dans l'impressionnant défilé des pharaons qui traversent ces pages, et dont plusieurs nous sont connus par leurs statues, leurs sarcophages ou leurs figures peintes sur les nrurs de leurs tombeaux, d'autres n'ayant laissé qu'un nom impossible à éclairer d'un événement h i s t 0 r i que, nous voyons se détacher quelques personnages dont l'œuvre fut d'une grande importance pour leur pays. Tout d'abord, Djéser, qui, dès là Ille dynastie, donna une puissante impulsion à l'empire. Il est vrai qu'il eut l'intelligence de s'attacher un ministre de si hautes capacités qu'e1les lui valurent plus tard d'être déifié . Imouthès, connu non seuleme.nt comme grand administrateur mais aussi comme écrivain et comme architecte. Il est le constructeur de la magnifique pyramide à degrés de Saqqara. Puis, voici Snéfrou, fondateur de la IVe dynastie, père de Khéops, dont la puissance a été glorifiée dans des contes; Akhtoès III, roi héracléopolitain, qui a laissé dans la littérature égyptienne les admirables Enseignements dédiés à son fils, où se formulent, à côté de conseils politiques, les principes d'une éthique tendant à faire prédominer l'intelligence sur la violence (Les paroles ont une force supérieure à n'importe quel combat); Amménémès }"', ancien vizir, fondateur, vers 2000, de la XIIe dynastie, au début du MoyenEmpire, et qui fit de son fils Sesostris son corégent. La sagesse de ses écrits devait se répercuter sur l'essor littéraire et artistique de son règne... Au Nouvel-

Empire, le nom des Pharaons de la XVIII" dynastie quatre Aménophis, quatre Thoutmosis (avec la régence de la reine Hatchepsout) et Toutankhamon est lié, dans une époque brillante, à d'imposantes constructions monuments de Karnak, tombeaux de la Vallée des Rois, colosses de Memnon, palais de Malqata. La richesse du pays s'accroît en même temps que s'affirme son extension ce qui suscite la convoitise des « peuples de la mer» et fera combattre Ramsès II contre les Hittites. De longues périodes de troubles sur lesquelles règne une obscurité presque totale conduiront peu à peu l'Egypte à se soumettre à ses envahisseurs perses, puis à accueillir, dangereusement, Alexandre comme un libérateur. Faute de documents, n 0 u s sommes malheureusement peu renseignés sur la vie sociale des Egyptiens au cours de ces millénaires. Les biographies, les annales, étaient l'œuvre des scribes royaux, et l'important pour eux était de consigner les' hauts faits des pharaons. Notons cependant, dans la première moitié du XIIe siècle av. J .-C., sous. Ramsès III, la révolte des ouvriers travaillant à la nécropole royale, relatée par un papyrus conservé à Turin et qui fait mention d'une véritable grève, la première connue dans l'histoire de l'humanité. Ce fait est rapporté dans la deuxième partie du livre où François Daumas étudie la société pharaonique, la vie juridique et économique, la religion, la littérature et l'art prodigieux qui fut de tout temps en Egypte conçu « à la mesure de l'éternité », grâce. à quoi il a survécu . à la disparition des trois empires. Ces chapitres ne sont pas les moins passionnants de cet ouvrage dont l'abondance des matières n'a pas détourné l'auteur d'un constant souci de clarté qui donne un grand prix' à son écriture autant qu'à sa réflexion. Malgré la complication incessante des idées religieuses et des rites, nous voyons se dégager, par. delà le polythéisme et la zoolâtrie qui n'ont jamais cessé de marquer les croyances, une certaine cohérence dans la pensée égyptienne, toujours encline à chercher un équilibre métaphysique entre l'homme et le cosmos, et m~me une manière de donner prise à l'homme sur l'univers. C'est pourquoi la théorie de la royauté est fondée sur le fait que le pharaon, héritier du .créateur, assume luimême un pouvoir cosmique. Même si l'orgueil d'une telle conception a pu jouer un rôle dans l'édification de monuments funéraires dont l'ampleur n'est plus à l'échelle humaine, il y faut voir surtout la nécessité pour le pharaon de laisser sur terre un témoignage de son immortalité divine. Cette préoccupation, qui

Le ka du Roi Hor. Statue en bois du Moyen.Empire, trouvée à Dachour. Musée au Caire.

domine toute la pensée religieuse des Egyptiens, est curieusement accompagnée de la peur de mourir de faim dans l'éternité. Le culte des aliments funéraires montre que le danger d'une rupture entre la vie et la mort doit être exorcisé' et que cette rupture est donc toujours redoutable. L'art religieux se révèle ainsi comme « une tr.ansmutation de la vie présente en éternité ». C'est la raison pour laquelle la pierre est choisie pour les monuments funé· raires alors que les villes sont construites en briques crues. Le sculpteur, comme l'architecte, obéit aux canons imposés par la théologie. Son art doit être .impérissable. Il évite alors les mouvements qui rendraient dans l'avenir ses œuvres trop vulnéra· bles. A cet égard, les statues-cubes, comme celle du prince Hetep, au Musée du Caire, où tout le corps est ramassé en une géométrie ne laissant apparaître que très peu de relief, sont typiquement repré. sentatives d'un art destiné à défier le temps. Cela n'empêcha pas les artistes égyptiens, notamment sous la IVe et la Ve dynastie, d'apporter à leurs œuvi-es un esprit d'invention et un raffinement qui se sont manifestés plus librement encore en peinture. Parmi les remarquables reproduc. tions qui illustrent le livre de François Daumas, on sera frappé par la grâce d'une scène représentant une réception au harem qu'un peintre de la XVIIIe dynastie a composée pour le tombeau de Nakht, à Louxor. Entre le réalisme d'une observation saisissante et la dignité d'un hiératisme idéalisateur, l'art égyptien a traduit par son style même cet ,équilibre d'une pensée qui se. voulait à la fois divine et humaine. Jean Selz


ART

Pevsner

Picasso Picasso Notre-Dame de Vie. Texte d'Hélène Parmelin. Ed. du Cercle d'Art.

Notre-Dame de Vie est le dernier d'une série de trois ouvrages consacrés à la peinture de Picasso par les éditions Cercle d'Art. Composé de 150 reproductions en quadrichromie de tableaux et de crayons de couleur récents, il est accompagné d'un texte d'Hélène Parmelin qui constitue la meilleure des introductioos à l'œuvre de celui qui demeure l'artiste le plus prodigieux de notre siècle. A feuilleter Notre-Dame de Vie, en effet, ce qui frappe, c'est la continuelle invention, l'extraordinaire vitalité, la vérité de Picasso, sa double plénitude sur le plan pictural et humain. Jamais, il n'existe un trait ou un ton dans sa peinture qui, au lieu de se refermer mollement sur soi, n'aille à la réalité, ne la cerne, ne la tenaille, ne l'enserre. Jamais, il n 'existe une toile ou un dessin qui ne manifeste une recherche constante, toujours remise en question, toujours aboutie et toujours, déjà, orientée vers des préoccupations nouvelles. Le texte d'Hélène Parmelin adhère de mamere étroite à l'œuvre présentée. Les pages traitant de la peinture face à la caméra et dégageant la signification du Mystère Picasso tourné voici quelques années par Clouzot, les descriptions d'atelier où intervient le personnage de Jacqueline, la manière dont Hélène Parm6lin

,La Quinzaine littéraire, 15 avril 1966

rattache Picasso à la corrida sont en tout points remarquables. Le chapitre, surtout,' intitulé Picasso peintre constitue, àtravers l'analyse de l'œuvre ellemême, un véritable essai sut la modernité. Il faut tuer l'art moderne. Le style, qu;il s'agisse d'écriture automatique ou d'organisation de formes abstrailés, n'est qu'une sécurité, écrit-elle. Les avant-gardes sont immuablement figées, reconnues pat <tous et cataloguées aussitôt qu'elles apparaissent. Picasso, au contraire, jette dans la bataille l'immensité de sa science, de son travail, de sa technique ahurissante. Quelle chose étrange que ce peintre obsédé de réalité ! Qui toute sa vie ne pense qu'à elle! Qui ne s'en sépare jamais et qui pourtant ne l'invite jamais à entrer dans son atelier ! C'est en lui, cependant, que partout il la mène. C'est en lui qu'il la regarde et la fait exister. A un moment où chacun ressent la nécessité pour la création picturale de revenir au concret, Picasso décuple l'humanité réelle de ses créatures avec des moyens qui, en même. temps, décuplent le pouvoir de la peinture.. Tant du point de vue des écrits sur l'art qui, tour à tour trop théoriques ou simplement niais, offrent le plus souvent peu d'intérêt, que de celui de l'art et du livre d'art, Notre-Dame de Vie, aussi bien par la pertinence de son texte que par la qualité et le choix de ses reproductions, compte parmi les réussites certaines de l'édition d'aujourd'hui. Jean-Louis Ferrier

Bernard Dorival Antoine Pevsner. 64 planches dont 9 couleurs. Collection Prisme. Dimeo éd. Ce n'est guère depuis plus d'une dizaine d'années qu'Antoine Pevsner a été reconnu pour l'un des plus grands créateurs de notre époque. La grande exposition du Musée National d'Art Moderne en 1957, la salle consacrée à ses œuvres dans ce musée, deux ans après sa mort, en 1964, et plusieurs monographies importantes, ont tardivement rendu justice à l'un des premiers sculpteurs dont le travail ait remis en question le sens même du mot sculpter. Cependant les dessins de Pevsner étaient demeurés, jusqu'ici, en grande partie inconnus. Ils sont peu nombreux, ce qui leur donne à nos yeux plus de prix. Les trente-six planches dessinées, publiées en même temps qu'un choix de reproductions de sculptures dans l'Antoine Pevsner de Bernard Dorival, complètent ainsi notre connaissance d'une œuvre dont la rigueur s'est poursuivie avec une exigence jamais relâchée. Ce que nou!! ignorions de Pevsner et ce que nous montrent ses dessins de jeunesse, c'est qu'il connut autour de 1910 comme une tentation de l'Expressionnisme. Un autoportrait, peint à l'aquarelle en 1912, en porte encore le reflet avec une curieuse imprégnation d'esprit oriental. Mais très vite un souci de structure plus architecturale s'impose à lui et dès ses portraits dessinés en 1913, d'où l'influence cubiste n'est pas exclue, nous voyons s'ébaucher une géométrisation des formes qui le conduira dans les années 20 à ses premiers reliefs de métal et de matière plastique, encore attachés à une représentation de la figure humaine. Les dessins exécutés à partir de 1914 nous révèlent ce que furent les premières recherches abstraites de Pevsner. Ils sont d'un très grand intérêt, car ils nous font assister à la formation de l'esthétique linéaire qui dominera toute l'œuvre du sculpteur. Ils sont généralement tout autre chose que des projets dessinés. Ils représentent, parfois avec hésitation, 80Uvent avec certitude, la naissance de ces idées où la sphère, l'ellipse, la spirale, l'œuf et le diabolo, prenaient corps et se mettaient en mouvement, comme dans une épure de l'esprit, avant de se transformer en objets de cuivre ou de bronze lorsque, plus tard, l'artiste aura fixé sa vocation en ajoutant une troisième dimension à ses rêves crayonnés sur le papier. Bernard Dorival, en étudiant cette évolution, souligne le caractère poétique de l'univers en perpétuel élan dans lequel Pevsner, d'une main précise et puissante, faisait éclore ses géométries. J.S.

Pérou Rafaël Larco Hoyle Checan. 145 planches en couleurs. 36 illustrations en noir. Nagel éd.

L'auteur, spécialiste des imtiquités péruviennes qu'il étudie depuis quarante ans, a groupé toutes les céramiques qui représent de façon variée et fort diverse des manifestations sexuelles ou érotiques. Cela fait, sous forme de planches en couleurs, une étonnante galerie. Suggestive, cela va sans dire, mais qui montre

Céramique

précolombienne du Pérou

également le parti artistique qu'ont pu tirer de l'acte amoureux dans toutes ses phases des populations surtout cantonnées sur la côte septentrionale du Pérou. Les objets qu'ils fabriquaient avaient une utilisation pratique : vases, pots, gargoulettes, dont le rôle fonctionnel est mis en évidence soit par une représentation monstrueuse des organes génitaux mâles et femelles, soit par de curieux assemblages de couples. Si bien qu'avec notre désir moderne de voir et de chercher des significations, probablement fort étrangères à celles qu'entendaient donner les anciens Péruviens, on voit ici se déployer une riche gamme qui va du réalisme à l'humour en passant par la morale (la mort est parfois représentée comme châtiment du vice) et la religion. Il y a quelque malice à faire du goulot d'une bouteille un pénis turgescent qu'il faut prendre dans la bouche, tandis que la représentation d'un jaguar dressé sur ses pattes de derrière et arborant un pénis rectangulaire d'où semble irradier la lumière et la vie, renvoie à des doctrines plus ou moins secrètes. L'image entière d'une civilisation se voit ici sous une forme symbolique qui n'exclut pas l'innocence naturelle. 17


j:BUDITION

Un des inventeurs de Maldoror Dans l'essai historique et critique qu'il consacrait en 1954 aux inventeurs de Maldoror, Maurice Saillet a très exactement mis en valeur l'importance de découvreur exceptionnel que fut à l'époque du Symbolisme, l'éditeur Léon Genonceaux. Sans doute cette importance avait-elle échappé à la plupart des contemporains de Genonceaux. Les amateurs éclairés n'ont jamais constitué une foule 'très dense, et tout porte à croire que les lecteurs habituels de Zola, de Daudet, de Maupassant, de Bourget et de Loti ne prêtèrent guère d'attention aux deux coups de maître que Genonceaux accom}»lit en moins d'un an : d'abord en décembre 1890, en rééditant Les Chants de Maldoror, puis en ~ovembre 1891, en réunï88ant pour la première fois, sous le titre de Reliquaire, les poésies d'Arthur Rimbaud. Quelques encouragements furent pourtant donnés au nouvel éditeur. Ils ven8i.ent surtout du jeune Mercure de France, où s'exerçait déjà de manière décisive l'heureuse influence de Remy de Gourmont. L'audace n'était pas pour déplaire à Gourmont, et Genonceaux ne manquait pas de hardiesse. Maurice Saillet ne s'est pas mépris en discernant dans ce « héros de l'édition:. un personnage « quelque peu picaresque :., un de ces aventuriers du livre, tra.qués par la police et par les créanciers. Il existerait, paraît-il, des mémoires de Genonceaux dont le manuscrit aurait été vendu vers 1948, par un libraire de Bruxelles, à un amateur qui jusqu'à présent ne s'est pas fait connaître. Si cela est exact, il est regrettable que ces mémoires demeurent inédits. Outre les détails piq'~ants qu'on y trouverait peut-être sur les démêlés de Genonceaux avec la police et la magistrature, ils nous offriraient vraisemblablement de quoi résoudre le petit problème d'histoire littéraire que pose un curieux ouvrage, intitulé: Le Tut u , mœurs fin de siècle. Le hasard seul m'a fait découvrir ce roman, édité par Genonceaux dans les derniers mois de 1891, et dont l'auteur se dissimule sous le pseudonyme de Princesse Sapho. La Bibliothèque Nationale n'en possédant pas d'exemplaire, il n'est pas inutile de préciser qu'il s'agit d'un de ces in-16 de format courant qui, durant un demi-siècle environ, se sont débités au prix marqué de 3 F 50. Sa couverture s'orne d'une image signée Binet, représentant un gommeux à monocle, qui, affublé d'un gilet blanc, d'une veste rouge, de bas noirs et d'un tutu, esquisse un pas de danse. Tous les personnages du livre sont des excentriques, des extravagants, voire des moustres, - au sens propre du mot. Le premier d'entre eux, Mauri de Noirof, épouse une riche héritière 18

obèse et portée sur la boisson, engrosse une femme à deux têtes qui s'exhibait dans les cirques, subit le traitement grâce auquel un médecin procure aux femmes stériles comme arix hommes, la possibilité d'allaiter, devient député, ministre de la Justice, et se livre en compagnie de sa mère à des orgies de débris anatomiques dans la garçonnière où Gabrielle Bompard et son amatit avaient estourbi l'huissier Gouffé. Mauri et Madame de Noirof mère se délectent des Chants de Maldoror. Mauri les lit à haute voix, ce qui permet à l'auteur du Tutu d'en reproduire textuellement plusieurs pages (trois pages et deJlli du chant troisième et six pages du chant quatrième). Pour expliquer ces larges emprunts à Lautréamont, deux raisons sont concevables, qui ne s'excluent point l'une l'autre. La première est que l'auteur du Tutu était féru de Maldoror. Les déambulations nocturnes de son héros dans le quartier de la gare Montparnasse ne sont pas sans rappeler les randonnées de Maldoror ou de Mervyn à travers Paris eudormi. Mais peut-être le romancier méditait-il a u s s i d'intéresser aux Chants de Maldoror les lecteurs que pouvaient attirer au Tutu son titre et sa couverture «tape-àl'œil :.. Pour ma part, je tiens que la Princesse Sapho, signataire de l'ouvrage, doit être identifiée à Genonceaux lui-même. Reste à dire pourquoi. Avant de s'établir à son compte, 3, rue Saint-Benoît, près de SaintGermain - des - Prés, Genonceaux avait été un des principaux collaborateurs de l'éditeur Alphonse Piaget, dont les bureaux se trouvaient 16, place des Vosges. Dans un recueil de souvenirs paru en 1922 \ le romancier Georges Beaume raconte comment, arrivant de sa province, il fut accueilli chez Piaget, en 1888, le jour où il vint y signer les exemplaires de presse' de son premier livre : Jeme présentai à la librairie Piaget, au premier d'une de ces belles maisons en briques rouges, qui composent le cadre à la fois si élégant et si noble de la place des Vosges. (m) L'éditeùr, Piaget, ne se montra pas. Son secrétaire, un Belge, Genonceaux, m'apporta sur le bout d'une table les exemplaires à dédicacer. (...) Quand tout fut bâclé, Genonceaux m'adressa des compliments, d'ailleurs bien inutiles, à propos de mon ouvrage ; il m'assura que la vente serait bonne ; et puis, brusquement, à ma grande stupéfaction, il me proposa d'aller chez le marchand de vin « prendre un verre ». Allons, me dis-je, c'est drôle 1... Mais, puisque nous som. mes dans Paris, il faut se conformer à ses usages. Et je me résignai à suivre cet homme considérable, de r autre côté de la rue, dans une vieille boutique malodo-

rante qui plongeait, sous le niveau du sol, parmi r ombre d'une galerie à voûte basse, qu'on appelle à Montauban un « couvert :.. Or, dans les chapitres II et III du Tutu, le héros du roman, Mauri de Noirof, moyennant un apport de cent mille francs, s'associe au directeur d'une maison d'édition, la librairie du Marais, installée dans une vieille maison Louis XIII de la place des Vosges. Un rapprochement avec la Librairie Piaget s'impose. D'autre part, l'auteur du Tutu, s'il indique en passant que Mauri est un diminutif de Maurice, garde le silence sur l'origine du nom d~ Noirof, lequel, à première vue, a l'air d'un anagramme. En réalité, Noirof n'est pas un nom anagrammatique, mais un nom allusif. Piaget, dont la carrière d'éditeur fut assez brève, avait eu pour prédécesseur Maurice de Brunhoff. De Brunhoff à Noirof, il n'y a qu'une différence de nuance, ce qui ne veut pas dire que Le Tutu soit un roman à clef : la fantaisie même de sa fiction s'y oppose. Mais c'est un roman d'où la malice n'est pas absente. On peut évidemment se demander si ce Tutu, Genonceaux, loin d'en être l'auteur, n'en aurait pas reçu le manuscrit d'un des romanciers avec qui il ltVait lié connaissance chez Piaget ? Je me suis posé la question, et si j'ai néanmoins conclu en faveur de l'attribution à Genonceaux, c'est que deux détails m'y ont incité. On a de fortes raisons de penser qu'avant d'éditer le Reliquaire, Genonceaux se sera ingénié à recueillir le plus grand nombre possible de poésies de Rimbaud, et qu'il en aura notamment demandé à Charles de Sivry, qui n'avait jamais fait mystère de sa détention de certaines pièces rimbaldiennes. Sivry n'est pas nommé dans Le Tutu, mais peut-être y aura-t-il vu que l'auteur lui faisait une sorte de clin d'œil., Noirof, rencontrant une femme qu'il a festoyée quelques jours plus tôt dans un bordel du boulevard Edgar-Quinet, apprend d'elle qu'elle vient d'entrer à l'Eden, où elle doit danser dans Le Cœur de Sita. Effectivement, il y a eu jadis à Paris un Eden-Théâtre, où' fut créé le 15 mai 1891, le ballet dont il est question dans Le Tutu; or, la musique de ce ballet était de Charles de .Sivry. Le second détail qui m'a retenu concerne le pseudonyme de l'auteur. La page de titre du Tutu dit : Princesse Sapho, et la couverture : Sapho, tout court. Il se trouve que la même signature : Sapho, figure à deux reprises dans un des almanachs (La Saison joyeuse) publiés en 1892 par le froufroutant hebdomadaire Fin de Siècle. Et des deux textes signés ainsi, l'un, dédié « à M. Vandenpeereboom, Ministre, Belge et pornomane », exalte Spa et les femmes faciles qu'offre aux tou-

ristes cette station balnéaire, d'où un ministre pudibond avait alors proscrit les illustrés français. Comme Genonceaux était Belge, et qu'il fut amené à quitter la France précipitamment au cours de novembre 1891, il ne me paraît pas déraisonnable de le soupçonner d'avoir été et Sapho et la Princesse Sapho. Peut-être est-ce à cause du Tutu qu'il a eu les ennuis auxquels Verlaine faisait allusion le 19 novembre 1891, dans une lettre où il dit à Vanier que « Genonceaux, saisi et poursuivi par la justice, spontanément cette fois » est « en fuite, pour publication d'un roman immoral :.. Genonceaux se réfugia-t-il alors dans son pays natal ? C'est possible, mais il ne dut pas s'y attarder longtemps, car en 1892 il entreprenait à Londres, 30 Store Street, Bedford Square, la publication d'une petite revue d'histoire et de curiosité, Les Inédits, où il se proposait de reproduire des documents conservés soit au British Museum, soit dans des collections privées. Cette revue, qui se présentait comme un fascicule in-8° de 16 pages, semble n'avoir eu qu'un seul numéro, imprimé d'ailleurs en France, chez FirminDidot. Elle contient notamment les textes d'une lettre de Diderot, d'une lettre de Voltaire, d'une lettre de Madame de Pompadour à Voltaire, d'une lettre de Racine à sa sœur et plusieurs autres pièces de caractère historique. Au verso de la couverture, un élégant placard annonce la mise en souscription du Latin mystique de :R.emy de Gourmont. Loin de Paris, Genonceaux restait fidèle à qui avait soutenu ses débuts. Il devait, par la suite, refaire surface dans le monde français de l'édition. En 1903, une maison L. Genonceaux et Cie, qui avait son siège place Saint-Michel, éditait encore Les Carnets du Roi, ouvrage sans nom d'auteur, mais qu'on sait être du poète belge Paul Gérardy, qui y moquait légèrement Léopold II et la cour de Bruxelles. Des démarches furent faites alors auprès du Quai d'Orsay, pour que le gouvernement français réprimât ces ironies. Comme celles-ci ne tombaient pa" sous le coup de la loi, police et parquet fUrent invités à chercher noise à l'éditeur. Il semble qu'ils y soient aisément parvenus. Genonceaux disparut. On ne sait ni la date ni les circonstances de sa mort, mais il serait mort de dégoût que cela se comprendrait. Propager un Lautréamont et un Rimbaud ! des exploits de ce genre sont de ceux que le pouvoir, en quelque lieu et à quelque époque que ce soit, n'a jamais admis spontanément. Même quand elle n'est pas maudite, toute poésie nouvelle est pour le moins suspecte. Pascal Pia 1. Georges Beaume, Parmi les vivants et les morts. Nouvelle Librairie Nationale.


PHILOSOPHIE

Sur Sartre Colette Audry Jean-Paul Sartre. Philosophes de tous les temps Seghers éd.

Francis Jeanson et Colette Audry sont de proches amis 4e Sartre. Ils collaborent tous deù.x aux « Temps Modernes :t dont Jeanson est le gérant. Ils sont les mieux placés pour parler du philosophe et de écrivain. Francis Jeanson vient de ré.imprimer, aux Editions du Seuil, Le problème moral et la pensée de Sartre, qu'il a fait suivre d'un essai inédit : ,Un quidam nommé Sartre. Colette Audry venant à son tour de publier un Sartre, il nous a paru intéressant de demander à Francis Jeanson de dire à nos lecteurs ce qu'il pensait de ce ·livre.

r

Après Confucius, St Thomas d'Aquin et Gabriel Marcel, après beaucoup d'autres encore, c'est à Jean-Paul Sartre que - par les la soins de Colette Audry collection Philosophes de, tous les. temps vient de consacrer son vingt-troisième volume. Les spécialistes peuvent sourire de ces tentatives, de plus en plus répandues, qui consistent à mettre Platon ou Leibniz à la portée du grand public Jsous la forme d'un exposé d'une centaine de pages, suivi d'un choix de textes qui n'en fait guère que soixante-dix) mais le grand public semble bien leur donner tort, et je vois mal, en ces matières, comment nous pourrions nous abstenir de lui donner raison. En ce qui concerne Sartre, tout particulièrement, l'expérience de ces vingt dernières années suffirait à nous convaincre que la compréhension d'une œuvre .se développe, au niveau du « lecteur moyen », tout à fait indépendamm«mt de ce que la critique spécialisée croit pouvoir en dire, ou en penser, le cas échéant. Dc nature exceptionnellement polygraphique par la diversité de ses contenus et de ses modes d'expression successifs, la pensée sartrienne (à la différence de celle d'un Spinoza ou d'un Hegel) parvient d'ailleurs assez souvent à s'éclairer élIe-même de livre en livre : Huis-clos, par exemple, illustre en partie l' « ontologie phénoménologique » de r Etre et le Néant, dont La Nausée impliquait déjà certains thèmes essentiels ; le Saint Genet nous éclaire sur notre rapport à la morale ; et Les Séquestrés d'Altona préfigurent le rapport à l'histoire dont la méthode d'analyse sera fournie par la Critique de la raison dialectique. Il n'en est pas moins vrai que l'accès direct à sa philosophie demeure pratiquement interdit à la plupart des lecteurs de Sartre, de sorte qu'ils ne sont pas en mesure de vérifier leurs interpréLa Quinzaine littéraire, 15 avril 1966

tations successives (obtenues selon différents biais d'ordre littéraire, critique ou politique) en les confr.ontant au mouvement réflexif fondamental, à r ossature conceptuelle qui structure sa pensée de part en part. Et c'est ici qu'apparaît fort précieux le petit livre que Colette Audry vient d'écrire à l'intention du grand public. Ayant pour ma part commis diverses études sur cette même pensée (dont la toute dernière n'est Colette Audry Jean-Paul Sartre pas encore parue), je m'avoue du reste tout aussi frappé par la complémentarité de nos méthodes respectives que par leur diffé- n'en est pas moins contrainte, par L'Etre et le Néant, liberté et sponrence radicale. Car il est tout à le fait même de sa liberté, de se tanéité se sont rejointes ». Personfait sûr que l'idée ne me serait dépasser vers le monde et vers les nellement, j'y ai toujours cru lire jamais venue· d'exposer de la autres subjectivités. Je vois d'ail- l'affirmation inverse : celle d'une sorte la pensée sartrienne ; mais leurs àssez mal comment on peut perversion de la spontanéité consciente, due au fait que le pour-soi, il ne m'en apparaît pas moins soutenir à la fois (pp. 14 et 15) nécessaire de signaler l'existence que « Sartre s'est délibérément contesté par la présence d'autrui, de ce nouveau Sartre, - et d'en coupé au départ d'un recours se réfugie dans une « réflexion souligner l'intérêt, auprès de ceux- quelconque à une philosophie de complice » qui commande expreslà mêmes qui ont pu déjà s'inté- la subjectivité » et' que l'attitude sément son « attitude naturelle ». · morale « ne fera jamais qu'un L'Etre et le Néant n'a point d'auresser à mes propres tentativ~s. A certains égards, il est vrai, ce (chez lui) avec l'acte de penser :t. tre objet, sauf erreur, que de n'est plus seulement le mode d'ex- En fait, Sartre s'est manifestement décrire cette attitude-là, et c'est position qui est en cause : c'est coupé de tout recours au sub jee- une véritable ontologie de l'échec l'interprétation proprement dite. tivisme, mais ce fut eil fonction 'que Sartre .nous y a proposée. Si je ne tenais pas pour réelle- de cet irréductible rapport que sa Quant à la « réflexion purifianment positive l'entreprise de Co- pensée a très tôt établi 'entre-la te » qui rendait- possible· cette' lette Audry, je n'éprouverais pas subjectivité et l'objet, entre la description, il- ne prétendait nulle besoin d'en parler : sur près de conscience, qui donne sens à l'être' lement qu'elle fût en mesure de . cinquante ouvrages qui ont déjà en le néantisant, -et l'être, tians transformer l'attitude en .cause ': été consacrés à Sartre en langue lequel il n'y aurait pas de néanti- cette tâche était d'ordre pratique française, je ne crois pas, depuis sation possible. La transcendance et relevait d'une « morale de la 1947, avoir conseillé à quiconque concrète qu'il reconnaît au « je :t délivrance et du salut », c'est-à.la lecture de plus de trois ou qua- n'est certes pas d'ordre « trans- dire d'une « conversion radicale » tre d'entre eux. Essayant de dire cendantal :t, au sens idéaliste dont (à la faveur de laquelle la liberté aujourd'hui tout le bien que je ce terme reste toujours plus ou aurait en effet pu rejoindre pense de celui-ci, je me sens d'au- moins entaché : elle est, précisé- sa propre spontanéité, mais dont tant plus tenu (et je le serais déjà ment, d'ordre moral, en tant la définition n'avait précisément suffisamment par l'amitié même qu'elle engage d'emblée notre passa place au niveau de l'ontoque je porte à son auteur) de pré« liberté », notre « responsabi- logie) . ciser les quelques points à propos lité » de fait, puisque nous ne Or il n'est pas douteux que, sur desquels, si je l'ai bien lu, un cer- pouvons nous empêcher de dontain désaccord tend à se manifes-. ner sens au monde par la façon la lancée de cette extrapolation ter entre nous. même dont nous le pratiquons, à finale, la pensée sartrienne ne Il y a d'abord, peut-être, une partir de la situation concrète pouvait alors déboucher que sur certaine confusion entre rEgo qui nous .y est d'abord assignée. des perspectives encore assez idéatranscendantal (que Sartre récu- De sorte que j'y verrais plutôt, listes : car la description même sait dès 1934, dans une étude in- quant à moi, la dimension donnée qui lui avait servi de base souftitulée « La Transcendance de · de tout~ entreprise, l'enracine- frait déjà d'avoir été menée de fal'Ego l ») et la transcendance ef- ment de toute « praxis », l'irrécu- çon fort abstraite. Aux environs fective de la conscience qui dit sable « être-là » de notre pouvoir- de 1953, Sartre se mit en quelque « je » : c'est-à-dire entre le Sujet faire (et par conséquent la source sorte à totaliser les diverses expéabsolu que postulerait à priori contingente de notre « devoir riences de rapport concret à l'histoute activité consciente et le fait faire ». C'est parce qUe je suis lib~e toire qu'il lui avait été donné de même de cette activité. Colette que j'ai sans cesse à me· libérer, faire durant les dix années précéAudry, en effet, cite et commente c'est parce que je suis responsable dentes; et c'est alors qu'il entrefort justement (p. 13) cette formu- • qu'il me faut prendre mes respon-' prit de penser vraiment contre le de Sartre: « le Je transcendan- sabilités. Quelles que soient les lui-même, en s'attaquant à son tal, c'est la mort de la conscien- multiples aliénations dans lesquel- propre idéalisme, en s'efforçant ce »~ et cette autre encore (p. 14) : les ma liberté peut à tout moment d'en extirper les racines jusqu'au « la conscience transcendantale s'ignorer, se renier ou se perdre, niveau de sa petite enfance. Mais est une spontanéité imperson- cette transcendance de fait me j'observe précisément que cette nelle » ; mais c'est pour en tjrer condamne à exister librement ma remise en question de sa pensée la conclusion que Sartre a d'em- vie : en dehors d'elle, c'est déjà (en même temps que de son attiblée rejeté hors de la conscience la simple notion d'acte humain tude la plus fondamentale) ne le qui nous deviendrait incompré- contraignit en aucune faç'on à - et contre Husserl lui-même « t~mte référence à un Je person- hensible, - et ce serait aussi l'his- récuser ce qu'on pourrait assez 'nel, individuel,. particularisé ». toire elle-même, en tant que pro- bien appeler, je crois, son plus ce double Or il me semble au contraire que cessus dialectique dont nous som- profond orgueil, Sartre s'est surtout séparé de mes à la fois les producteurs et souci, qui désormais le caractérise à nos yeux, de ne se tenir que de Husserl en opposant à la notion les produits. d'un Je universel la description C'est aussi pourquoi. Colette lui-même tout en s'efforçant de d'une suj;)jectivité située, c'est-à- Audry me semble s'être un peu devenir « 'n'importe qui ». Et dire séparée de toute autre par trop hâtée de donner raison (p. 15, c'est sur le seul plan de la descripson incarnation, par sa contingen- note 1) à Sylvie le Bon lorsque tion du moncle humain qu'il a dû ce spatio-temporelle,' mais qui celle-ci nous assure que, « dans ~ 19


SOCIOLOGIE ~

finalement modifier ses perspectives premières, en substituant à la vaine généralité des « relations avec autrui » la complexité réelle de fhistoire : d'une histoire humaine qui ne parvient pas à se totaliser vraiment, parce que les innombrables « praxis » particulières qui la constituent jour après jour s'y retournent contre ellesmêmes, et retombent ainsi à l'absurdité du « pratico-inerte », faute de parvenir à s'unifier dans une praxis commune. On voit que le mal n'est point jc.i dans la transcendance du « je » en chacun d'entre nous, mais au contraire dans la facson dont chaque conscience individuelle se laisse réduire à une sorte d'immanence objective, .en négligeant de réviser ses propres .fins à la lumière de la seule fin qui puisse donner un sem réel (un « sens commun »..."l à leurs entreprises concrètes. Cette unique fin véritablement humaine,' c'est finvention progressive de fhomme par les hommes : de l'homme « à venir » par cette sous-humanité que nous sommes, et qui demeure notre seul horizon, notre seule réalité, aussi longtemps que nous nous résignons, « ensemble », à n'exister que séparément. Si l'existentialisme sartrien peut apparaître aujourd'hui plus vivant que jamais, tout en se définissant lui-même comme une « idéologie » qu'englobe le marxisme, c'est bien parce qu'il s'est d'emblée donné le moyen de réintroduire, dans cette « indépassable philosophie de notre temps », la dimension de la transcendance: celle de la conscience individuelle, - dont l' « être » ne consiste qu'à dépasser indéfiniment l'être qui l'investit, et au niveau de laquelle il faut bien qu'on situe la possibilité de toute action, même collective. C'est la transcendanc.e en tant que donnée, c'est l'obligation de se dépasser et de doÎmer sens en se dépassant, qui définissent la condition humaine en condamnant l'homme à n'être que son rapport à l'homme : c'est en reprenant à leur compte cette « condamnation », c'est en 's'efforcsant d'assumer ensemble leurs transcendances respectives, que les hommes ont chance de s'inventer vraiment un avenir humain. Mais il suffit de lire les dernières pages de Colette Audry pour mesurer à quel point demeure secondaire cette querelle que de proche en proche je me suis laissé entraîner à lui chercher ici. Et l'on s'y convaincra en outre que le schématisme de son exposé ne l'empêche en aucune facson d'ouvrir les- perspectives les ph~s sûres. quant à l'actuelle orientation de' la pensée sartrienne. Francis Jeanson 1. Publiée en 1938 dans la revue Recherches philosophiques, puis, tout récem· ment, chez Vrin-(avec une introduction de Sylvie le Bon). :lU

Un Tocqueville du vingtièDle siècle

s1J,r Sartre

Elias Canetti Masse et Puissance Gallimard éd.

petits groupes rigides, nettement délimités et très persistants, qui servent à déclencher la formation des masses. Les meutes, les guerElias Canetti était connu jus- rières et les funèbres, et leurs qu'à présent en France par un liens avec les religions. Deux cents merveilleux roman, : La Tour pages souvent éblouissantes; mais, de Babel. C'est dire qu'ii n'est mis à part un sens inné des granpas sociologue de profession. Il des étreintes de l'inconscient colvient pourtant de publier un lectif, rien jusque-là n'est absolugros ouvrage : Masse et Puissan- ment étranger à ce que plusieurs ce qui n'étonnera pas seulement auteurs, depuis Le Bon, nous les spécialistes. Nous avons deavaient appris sur la psychologie mandé à Pierre Nora, directeur des foules. de la nouvelle collection où Vient sou d· a i n l'intermède. paraît Masse et Puissance, de Changement de décor. Elias Cal>résenter cet ouvrage. netti nous entraîne dans «les entrailles de la puissance ». C'est Tout sépare, à première vue, un chapitre clé. Nul n'a eu cet art notre aristocrate libéral d'un du raccourci pour faire jaillir l'arXIX' siècle très français et· cet chaïque du civilisé, retrouver dans autodidacte polyglotte, Elias nos repas l'affût, transposer' une Canetti. Quel étrange écrivain que « arrestation» policière en un ce latin d'Europe Centrale élevé drame primitif de la jungle, reà l'anglo-saxonne, cet ami de donner à nos mains qui caressent, Thomas Mann. et d'Alban Berg, prennent, écrasent et broient, la né en Bulgarie, étudiant à Zürich patience des singes. Un exemple : et Francfort, chassé de Vienne par Le rire s'est vu reprocher sa vull'Anschluss, 'réfugié à Londres, et garité parce qu'il ouvre grand la dont nous ne connaissions, de ses bouche et 'découvre les dents... romans et pièces publiés, que la, Mais un homme qui tombe rapvolumineuse Tour de Babel, l'expelle f animal que f on chassait et traordinaire et fabuleuse histoh'e'- que f on a· soi-même fait tomber, d'une bibliothèque! Non, rien de abattu. Toute chute qui provoque commun, en apparence, entre le rire rappelle la détresse de qui l'Académicien ministre de la Ses'abat,· .On ne rÙait pas si f on conde République et ce déporté p ursuivait la série rI'événements de notre histoire, cet explorateur amorcés et si on le mangeait réeldes grands fonds de la psychololement. On rit au lieu de le mangie collective dont le nietzschéisger. Hobbes et Bergson avaient me extérieur se tempère de malice déjà montré que le rire était l'extalmudique. pression d'une supériorité; mais Masse et Puissance qui, chez Canetti, avec quelle vigueur il est ramené aux sources animaparu il y a six ans, nous arles de la puissance! Parmi les rive aujourd'hui dan s 1a traduction de Robert Rovini. 'animaux, seule fhyène fait entendre un son qui se rapproche vraiCette œuvre d'une vie ne se ment de notre rire. laisse pas plus facilement résumer que La Recherche du Temps Second acte : la passion humaiPerdu. Partant de l'idée que c'est ne la plus fondamentale est la seulement dans la masse que survie, «l'instant de survivre est l'homme se libère d'une' phobie instant de puissance ». Et défile fondamentale de contact avec l'inla galerie des siècles et des peuconnu, Canetti commence par une ples, . depuis les héros guerriers phénoménologie de la masse pour des îles Marquises jusqu'aux porélaborer progressivement une traits des Césars déments, obsédés théorie des rapports qui unissent d'immortalité. Mais cette passion les masses à toutes les manifesde survivre se manifeste avant tout tations de la puissance. par l'ordre dont Canetti fait une Masses 'fermées, tout à leurs théorie originale : un ordre plus limites, à leurs frontières, concenancien que le langage - sinon les trées' sur leur rage destructrice, chiens ne pourraient pas le comles décharges où sont abolies les prendre - , un ordre dont la distances et conjurée la peur. forme efficace la plus ancienne Masses ouvertes, tout à leur acdérive de l'ordre de fuite imposé croissement, à leur éclatement, par un être plus fort. Une senleur rapacité évangélique ou mistence de mort, terrible et impisionnaire. Et toujours persécutées, toyable, transparaît sous tous les paniquées, domestiquées. Masses ordres. Ordre qui se décompose stagnantes: celle du moindre en une impulsion et un aiguillon concert, par exemple, mais aussi qui reste au fond de quiconque celle de la station sur l'Harafat, a obéi. Fiché pour toujours, insommet du pèlerinage à La soupçonné, 'secret, actif. Nous Mecque - ou celle du Jugement sommes tous, ne serait-ce que pour dernier. Masses invisibles: les avoir: été des enfants sages, des morts, les diables du Moyen âge, Saint-Sébastien criblés d'aiguilles bacilles, les spermatozoïdes... lons. Ils so'nt notre destin. L'élan Masses ameutées, masses de fuite, de nos volontés s'enracine au bede renversement, de fêtes; masses soin de nous en délivrer. «L'or. doubles : les vivants et les morts, dre, sous la forme achevée et les hommes et les femmes, la compacte qu'il a revêtue au bout guerre. 'Cristaux de masse: de d'une longue histoire, est l;elé-

ment isolé le plus dangereux de la vie collective.» L'homme «libre» est donc celui·là seul qui a su esquiver les ordres. Autant dire qu'il n'existe pas. Après avoir enfin, avec le concept subtil et riche de «métamorphose» étudié les conduites de fuite, ces morts masqués que sont l'hystérie,la manie, la mélancolie, l'œuvre s'achève par trois monographies sur les Rois africains, un sultan de Delhi, et le cas de Schreber, cet ancien président du sénat de Dresde, analysé par Freud, dont les extraordinaires Mémoires d'un névropathe offrent à Canetti la synthèse de toutes ses théories de la domination paranoïaque. Théories que pour discuter, il faùdrait la compétence d'un collège d'historiens, de sociologues, de psychanalystes et de philosophes. Sans doute un côté Hercule de la psychologie conective, qui ne cite ni Marx ni Freud pour ne pas se laisser impressionner; fera sourire, plus ou moins légitimement, quantité de spécialistes. Mais il y a dans ce livre un tel foisonnement de formules poétiques ~un court cliapitre sur Les symboles de la masse - le feu, la forêt, le blé, le vent, le sable, le tas, le trésor est du meilleur Francis Ponge : le drapeau c'est le vent devenu visible, le fleuve est la masse dans sa vanité, la. masse qui s'affiche..., un si vaste éventail de documents savoureux (entre mille, le banquet funèhre de Domitien, le pressentiment chez les Boschimans d'après Bleek, les émasculations religieuses chez la secte mystique des Skoptsy), un tel déploiement d'intuitions neuves (par exemple le lien en Allemagne en· tre l'inflation et l'antisémitisme) qu'aucun amateur d'intelligence, d'ironie et de férocité ne marchandera son émerveillement devant cette œuvre unique en son genre. Son unité dramatique vient d'un sentiment très personnel de la mort. Elle est partout, ce livre a son odeur, il n'est qu'épidémies, pourriture, il n'est que cendres, Canetti n'est jamais aussi brillant qu'au milieu de la Peste de Thucyd~de, face à face avec un potentat gorgé du sang d'un massacre, dans les allées d'un cimetière où le dernier des jeunes imbéciles peut éprouver sa provisoire mais souveraine puissance. Et la fascination que l'auteur exerce sur nous est à l'exacte mesure de celle que la puissance exerce sur lui-même, cette puissance dont le degré suprême s'affirme, sous la potence, et devant le peloton, dam la grâce, mais qui trouve aussi sa limite ultime da~s l'incapacité de rappeler les morts à la vie. Quel rapport avec Tocqueville? Il est précisément là. TocqUeville utilisait déjà le mot «démocratie » comme Canetti le concept de « masse », avec le même décisif halo de confusion. Son intuition


HISTOIRE

Cinquante ans de guerre froide premlere, exprimée dans une acception tantôt limitée, tantôt large de la « démocratie », c'était bien la montée des masses à l'époque moderne. Mais les masses, dans la première moitié du XIXe siècle, se résument à l'avènement d'une société bourgeoise et au déclin d'une société aristocratique. Un siècle après, le renversement s'est opéré, les «masses» ne sont plus les mêmes. Celles que Tocqueville avait sous les veux se sont finalement intégrée~ comme des classes moyennes au système des démocraties bourgeoises, libérales, rationalistes. Les phénomènes dont il redoutait le triomphe, c'est, dans la première moitié du xxe .siècle, en Italie, Allemagne et Russie qu 1il faut en voir le déchaînement : masses acculées à une insertion politique et sociale violente,· irrationnelle et pathologique, condamnées à la démocratie de l'uniforme et de la mort, à ··Auschwitz, au Führer et aux procès de Moscou. Tocqueville est à la fois prophétique et démodé. D'où la transposition du répertoire : son juridisme analytique, ses études institutionnelles (comment sauvegarder la liberté des individus dans . un régime démocratique?), sa. psychologie natio~ale et son expé·riènce toute française ou américaine sont devenues, pour un homme de l'entre-deux guerres, méthode phénoménologique, matériel ethnographique, exploration psycho-pathologique de l'inconscient. Tocqueville cherche à dresser la raison contre la puisSance des passions. Devant le déferlement des hordes et des meutes, l'inflation, le génocide et pour finir la menace de l'Apocalypse, Canetti saute le pas; il comprend qu'une analyse de l'irrationnel ne relève plus d'aucune de nos caté· gories historiques .et fait spontanément appel à toutes les sciences humaines. A temps nouveaux, masses nouvelles; à masses nouvelles, nouvelles méthodes. Dates et thèmes se font alors écho. Les Trois Glorieuses expliquent la Démocratie en Amérique (1835) comme l'Union Sacrée, la Marche sur Rome et les parades de Nüremberg expliquent le thème des masses. Et le Despote Napoléon III dont le coup d'état fatal pousse Tocqueville à écrire f Ancien Régime et la Révolution (1856) trouve son exact équivalent dans le Survivant paranoïaque, Hitler dans le bunker et Eichmann dans sa cage de verre. Canetti reprend le problème où Tocqueville l'avait laissé. Chez tous deux la détermination première est la même : une angoisse biographique. Rien d'étonnant à ce que ces deux exilés soient habités par l'idée collective de la mort. Rien d'étonnant à ce que Masse et Puissance soit, comme toute l'œuvre de Tocqueville, un grand essai sur la liberté. Pierre Nora La Quinzaine littéraire, 15 avril 1966

André Fontaine Histoire de la guerre froide. J. De la Révolution d'octobre à la guerre de Corée. Fayard éd.

1818 : naissance de Karl Marx inscrit André Fontaine en tête de la chronologie qui accompagne Histoire de la guerre froide. Et il faut aller jusqu'à la huitième page de cette chronologie, qui en compte dix, pour parvenir en 1946, au réquisitoire antisoviétique prononcé à l'université de Fulton par Churchill le 5 mars de cette année-là, discours qui est généralement considéré comme le point de départ de la guerre froide. C'est pourtant de ce discours et

amené à faire de ce premier tome, qui s'arrête à la guerre de Corée, une histoire des origines de la guerre froide et presque une histoire de la diplomatie soviétique depuis la révolution de 1917. S'il a choisi de consacrer ainsi les deux·tiers de son ouvrage aux relations de l'U.R.S.S. avec le reste du monde, c'est visiblement, parce qu'il estime que le pouvoir soviétique, par sa nature même, porte en lui la guerre froide comme la nuée porte l'orage. Certes, l'auteur entend faire œuvre d'historien, non de partisan. Pourtant, à ses yeux, à part Hitler et ses lieutenants, le plus grand criminel de cette histoire a nom Staline. S'il ajoute aussitôt que le sang qu'il a versé coulait au nom d'une cause qui dépassait sa personne, son

sion, à chaque réaction du Kremlin. André Fontaine écrit: Au cours de ce demi-siècle, la Russie soviétique aura été successivement f alliée ou f associée de fA llemagne contre les signataires du traité de Versailles; de la France contre Hitler; de Hitler contre la France, f Angleterre et la Pologne; de f Angleterre et des Etats-Unis contre Hitler; de la Chine contre les Etats-Unis, avant de signer avec ceux-ci en 1963 un traité dans lequel Pékin a immédiatement dénôncé la plus noire conjuration. Partant de là, il ne déguise rien de l'inconscience des démocraties, de la naïveté retorse et vaniteuse dont peut parfois faire preuve Roosevelt, du cynisme brutal que peut montrer Churchill. y a-t-il jamais eu sur cette terre,

Un camp américain de prisonniers, en Corée.

de l'apparition, l'année suivante, parti et son peuple pour s'identide l'expression elle-même, que fier aux espoirs d'une grande parl'auteur entendait, logiquement tie de l'humanité, il ne dissimule partir pour relater l'affrontement pas que cette cause lui semble être du monde bourgeois et du pou- une gigantesque mystification, et voir des Soviets au cours des vingt ces espoirs une immense duperie. dernières années, depuis la dislo- II ne s'agit pas de ramener l'afcation de leur alliance contre le frontement à une lutte du Bien nazisme et le fascisme. Mais il et du Mal; il concède même que explique honnêtement dans sa nés ailleurs, les héros d'un camp préface qu'il dut bientôt modifier auraient pu bien souvent être ceux ses plans. Comment faire compren· . de fautre. Mais il juge, et c'est dre la rupture si l'on ne rappelle son droit, que c'est dans le régime soviétique, héritier de l'expanpas ce que fut l'association? Comment parler du pacte Hitler- sionnisme slave et de la défiance Staline de 1939 sans évoquer l'ac· traditi~nnelle de la Russie, qu'il cord germano-soviétique de 1926 ? faut chercher le principal respon· Comment surtout mettre au jour sable de cinquante années de ten· les racines de la méfiance récipro- sion, de crises, de conflits chauds que sans remonter à l'interven- ou froids.· D'où le point de départ retenu tion occidentale dans la guerre civile russe ? De proche en proche, et l'importance extrême accordée André Fontaine s'est trouvé ainsi à chaque variation, à chaque déci-

demande·t·il cependant, de génie sans lacune ? Sévère pour les fautes des Occidentaux, il dénonce vigoureusement les crimes de Sta· line et de ses séides et s'il formule des critiques ou des reproches à l'égard des premiers, ce sont des condamnations sans appel· qu'il prononce à l'endroit des seconds. Sa thèse, il faut le dire; tire sa force d'une expérience incomparable. Journaliste, chef· des services étranger et diplomatique du Monde, toute l'information quoti. dienne lui est passée entre les mains depuis vingt ans dans le domaine qu'il étudie. Aucune source nouvelle, aucun document, aucun ouvrage important ne lui ont échappé. Les références bibliographiques qui suivent chaque chapitre sans en .alourdir la lec-

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L'HISTOIRE CONTEMPORAINE REVUE ET CORRIGÉE . -. collection dirigée par

jacques laurenl et gabriel jeanlel

jacques laurenl avec la collaboration de gabriel jeantet

ANNEE40 LONDRES - DE GAULLE VICHY

45e mille dans la même collection:

roben mengin DE GAULLE A LONDRES VU PAR UN FRANÇAIS LIBRE

pierre darcoun DE LATTRE AU VIET-NAM UNE ANN~E DE VICTOIRES

jean bourdier LE COMTE DE PARIS UN CAS POLITIQUE

wenzel jaksch

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Cinquante ans de guerre .froide

ture, les notes, l'index alphabéti. que et la chronologie qui complètent l'ouvrage, disent l'extrême richesse de la documentation, son ampleur et sa solidité ; elles don. neront bien du fil à retordre aux contradicteurs éventuels. On pourrait certes imaginer une histoire des origines de la guerre froide écrite par un pro-soviétique qui rejetterait sur les Occidentaux la responsabilité globale de nombreux épisodes. On ne voit guère comment une réfutation sérieuse du livre d'André Fontaine pourrait être tentée. Des récits très complets et soigneusement étayés, à chaque pas, comme ceux qu'il donne de la paix de Brest-Litovsk en 1918, du pacte germano-soviétique de 1939, de la rupture Hit1er-Staline deux années plus tard, des conférences de Yalta, Téhéran et Postdam, sont très éclairants et bien venus. Rappels et citations, au surplus, composent au fil des pages un .extraordinaire « dictionnaire des contradicteurs éventuels. On pourrait certes imaginer une histoire des origines de la guerre froide . par un pro-soVIetIque . ecrlte qUI. rejetterait sur les Occidentaux la responsabilité globale de nombreux épisodes. On ne voit guère comment une réfutation sérieuse du livre d'André Fontaine pourrait être tentée. Des récits très complets et soigneusement étayés, à chaque pas, comme ceux qu'il donne de la paix de Brest-Litovsk en 1918, du pacte germano-soviétique de 1939, de la rupture Hit1er-Staline deux années plus tard, des conférences de Yalta, Téhéran et Postdam, sont très éclairants et bien venus. Rappels et citations, au surplus, composent au fil des pages un extraordinaire « dictionnaire des girouettes ~ et l'on voit tour à tour' presque tous les acteurs de cette grande histoire joindre l'imprévoyance à l'aveuglement. Voici Trotsky affirmant en 1917 : Ou la révolution russe déclenchera un mouvement révolutionnaire en Europe, ou les puissances européennes écraseront la révolution russe ; Staline déclarant en juillet rable travail, c'est la /!rande remise en perspective qu'il apporte, où rien d'essentiel n'est omis et où tout élément, eapital trouve sa juste place. André Fontaine, dans l'écriture, ne recourt que très modérément aux adjectifs : la densité des substantifs dit assez le caractère de grande fresque historique de son récit où les faits, les dates, les textes, priment tout le reste. La lecture en est donc aisée et cette synthèse sera accueillie avec faveur par tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de leur temps ; ils. y trouveront une vue d~ensemble sérieuse. et complète du p~ssé, ~p III.0yen dOQc de mieQX cornprendre". le. présent et· même d~explorer les c~emins de l'avenir. Pierre Vianssoh.-Ponté

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POTSDAM 1945

ÉBlnoNs

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Bernard Féron L'U.R.S.S. sans idole. Casterman, éd.

Bernard Féron nous fournit le fil d'Ariane qui permet de se tenir à jour en « kremlinologie », de suivre grâce à un exposé continu le récit enchevêtré des crises qui ont agité le monde politique soviétique depuis la mort de Staline. Dégageant avec adresse la réalité des faits de la rhétorique des formules, il fait apparaître qu'au fond seul Malenkov avait - une conception vraiment révolutionnaire de l'avenir économique ou politique de l'U.R.S.S. C'était aller trop vite et trop loin, se heurter à trop de positions acquises. Pour l'évincer, Khrouchtchev s'appuya d'abord sur le vieux système bureaucratique et sur le Parti, ainsi menacés puis, pratiquant une politique de bascule, il se servit des « couches nouvelles» pour éliminer les éléments traditionnalistes, comme Molotov, ou les tenants de la dictature policière comme Béria. Il reste que, puisant ses forces dans le Parti, Khrouchtchev perpétuait le régime lénino-stalinien. Il en transformait suffisamment IfS apparences pour que l'on puisse parler de déstalinisation, encore qu'il serait plus exact de dire que le khrouchtchévisme fut du stalinisme moins le crime et plus la liberté de critique. Au moins est-ce ce qui se dégage de la lecture d'un ouvrage qui propose moins une histoire de la politique du Kremlin qu'un bilan de l'ère khrouchtchévienne. Pour l'agriculture, Khrouchtchev prit le contre-pied des mesures préconisées par Stalinc : il renforça les kolkhozes, supprima les M.T.S.I et clama à tous vents la faillite des anciennes méthodes. En réalité, il les perpétuait, les aggravait même, puisqu'il s'orientait vers une réduction des lots individuels et qu'il renforçait la mainmise du Parti sur les campagnes : « les journaux devaient constamment rappeler à quel moment commencer les labours, la moisson », observe B. Féron, qui ajoute : « pour un bon agriculteur, cel;l choses-là devraient aller sans dire ». Ainsi, dans ce domaine comme dans d'autres - qu'on pense aux jugements ex-cathedra sur l'art ou l'enseignement Khrouchtchev maintenait l'emprise de la bureaucratie ou du Parti. Ceux q~j. l'ont renversé y appartenaient; on comprend néanmoins leurs raisons : ils lui reprochaient de dévoiler les faiblesses du régime sans avoir trouvé la médecine qui lui donnerait meilleur visage. Comme ses projets de réforme procédaient plus du bricolage économique ou théorique que d'une analyse sérieuse de la situation, qu'il n'avait avec lui ni les savants

qui le méprisaient ni les théologiens qu'il ridiculisait, il n'y eut personne pour regretter son dé· part. Indépendants par nature, les intellectuels et les artistes, tout étonnés de pouvoir s'ébrouer, exercèrent leur talent aux dépens de leur bienfaiteur - n'était-ce pas faire la preuve qu'ils étaient arrivés à l'âge adulte ? Quant aux masses, encore tout engourdies par trente années de souffrance, les horreurs de la guerre, et qui avaient appris à faire' retomber les difficultés de la construction du socialisme sur les ennemis de l'extérieur ou à évoquer le poids d'un lourd héritage, elles ne comprirent plus - dix ans puis quinze ans après la fin de la guerre qu'on manquât encore de légumes ou de bonnes chaussures. Le mérite p ers 0 n n e 1 de Khrouchtchev fut d'avoir osé ex· primer tout haut ce que chacun pensait, d'avoir humanisé le régime. Aidant ainsi les citoyens soviétiques à sortir du pays de la peur, donnant l'exemple, il pouvait difficilement bénéficier de leur gratitude : ils se fussent dé•. jugés. Grâce à Khrouchtchev néanmoins, l'immense capital social accumulé depuis cinquante ans se révélait à lui-même. Désormais les rôles étaient renversés : les structures staliniennes se main· tenaient en apparence ; en fait, se réévaluaient chaque j 0 u r, en U.R.S.S., les rapports entre l~tat et la Société. Marc Ferro. 1. M.T.S., Station dc machines et tracteurs.

Assez disparate d'apparence, le numéro 54 du Mouvement Social consacté au Front populaire ne comporte que d'excellentes étu· des. On retiendra en particulier une analyse très nuancée des rapports entre la C.G.T. et le Gouvernement Léon Blum, par Bernard Gcor~es, une étude de Georges Lefranc qui montre à quelles oppositions s'est heurté le courant pIaniste, une autre, de Pierre Broué et Nicole Dorey, qui analyse les différentes minorités révolutionnaires : groupe de la « Révolution prolétarienne », Trotskistes, gauche pivertiste, «Nouvelle opposi. tion» communiste de Ferrat. Sur la politique économique du Front Populaire, on lit également une note assez féroce et bien venue de Jean Bouvier. Parmi ces articles qui attaquent, pour de bonnes raisons, les dirigeants de la politique du Front populaire, aucun ne présente le contexte international dans lequel s'est située leur action. On peut regretter cette lacune. Les Editions Ouvrières, 12, av. de la Sœur.Rosalie, Paris-13·. Le numéro 6 F.


DOCUMENT

Treblinka Jean-François Steiner Treblinka. La révolte d'un camp d'extermination. Fayard éd.

Sur lun des pires camps nazis, Treblinka, vient de paraître un ouvrage exceptionnel qui, para· doxalement, n'est pas d'un témoin. lean·René Chauvin qui a vécu successivement dans sept camps de déportation et a connu deux «évacuations» dont il s'est miraculeusement tiré - dit ici les mérites de ce livre. C'est un ancien déporté, il en a lhumour. C'est ce que je me suis dit aux premières lignes de ce livre. J'étais persuadé de lire, enfin, le témoignage d'un survi· vant de Treblinka, un des' plus atroces camps d'extermination où quelques centaines de détenus juifs terrorisés, et condamnés à terme afin de ne laisser aucun témoin, étaient contraints d'assu· rer le fonctionnement d'une usine de mort et de hrîller les cadavres. Eh bien non. J'ai hcau avoir connu les meilleurs « hôtels·55 », et lu près d'une centaine d'ouvra· ges sur la déportatiôn, 'j'ean.Fran. çois Steiner était en train de me blouser. Si sa famille a disparu dans les camps, l'auteur n'avait que quatre ans à l'époque et n'a donc pu les connaître. Il en va de même que pour John Hersey qui reconstitue dans son livre La Muraille, une histoire du ghetto de Varsovie plus vivante que le scrupuleux journal rédigé par Emmanuel Ringelblum au cœur des événements. Treblinka nous fait revivre l'aventure incroyahle d'une ré· volte victorieuse a u p r è s de laquelle certains exploits militai· res de la dernière guerre, y compris la célèbre bataille de l'eau lourde, apparaissent dérisoires. Toutefois, alors que John Hersey disposait d'une ahondante docu· mentation, il ne reste presque rien sur Treblinka : quelques brèves dépositions faites par les survi· vants au lendemain de la guerre. Ces survivants eux·mêmes ne sont plus aujourd'hui qu'au nombre de quarante dont vingt.deux vivent en Israël. On comprend aisément que l'auteur, directement concerné, et, comme beaucoup de jeunes juifs de sa génération, hanté par l'idée que tant de ses coreligionnaires se laissèrent docilement conduire à la mort, se soit exalté aux récits hallucinants et épiques des resca· pés, des vainqueurs. Il y a trouvé une. réhabilitation, une justification et une réplique à des préjugés toujours tenaces. Les témoignages étaient imparfaits, venant de survivants qui ne furent que La QuiDzaine littéraire, 15 avril 1966

des acteurs secondaires. Les seuls qui auraient pu avoir une vision exacte du drame, les organisateurs clandestins de la révolte, y ont tous péri. L'auteur dut confronter les témoignages, les recouper, les dépouiller de leur affabulation sans espoir d'atteindre à la vérité historique. Il devait choisir : ou disséquer l'histoire à l'usage de quelques spécialistes ou faire rcvi· vre la révolte dans ce qu'elle a, à ses yeux, et aux nôtres, d'exem· plaire. Il a opté pour cette dernière solution. Il réinvente les dialogues des protagonistes, ressuscite l'am· hiance tantôt désespérée, tantôt /!onflée d'espoir, où les hommes ahattus après un échec sont se· roués d'élans mystiques, et enfin tcndus jusqu'au paroxysme vers cc qui pour eux est tout à la fois une vengeance et l'affirmation d'une communauté nationale. On ne saurait donc faire grief à l'au· teur d'avoir, en chemin, comblé les lacunes de la documentation ou d'avoir commis quelques erreurs. Son sujet n'est pas la comptabi. lité des cadavres, c'est la révolte, ct le personnage central est une fragile petite braise sur laquelle soufflent quelques individus exceptionnels jusqu'à ce que l'en· semble des détenus prennent feu. Les quelque deux mille camps qui maculèrent à l'époque la carte de l'Europe présentaient une extrême diversité. Mauthausen était une ville fortifiée de murs de granit. A Birkenau, aligne. ments de baraques et de barbelés se perdaient à l'horizon. Hergasur·Elster était un grand hangar planté au milieu d'une coquette petite ville de Thuringe. Les uns étaient des métropoles gorgées d'esclaves, avec tout un équipe. ment moderne : établissement de hain, cinéma, terrain de football, orchestre, bordel, prison (une prison dans un camp de concentra· tion !) , clocher, cheminée du cré· matoire. Beaucoup d'autres étaient des « camps très ordinaires ». Tre· blinka ne ressemblait à aucun autre. Deuxième après Auschwitz·Birkenau pour la statistique, 3.000.000 de concentrationnaires à Auschwitz, 800;000 à Treblinka, mais le premier peut-être par l'horreur. Ailleurs on effectuait tous les métiers: maçonnerie, charpente, percement de tunnel, montage de V2, horticulture et même fausse·monnaie pour le Ille Reich. A Treblinka on gazait. Des Juifs. La chaîne de fabrication des cadavres, perfectionnée au long des jours, y avait atteint un haut degré de rendement, encore que Boss, le commandant d'Auschwitz, en visite de courtoi· sie, fît à ce propos quelques cri· tiques. Les détenus du camp 1 récupéraient les vêtements, les colis, les bijoux, l'or, apportés par les futures victimes, les classaient et les rangeaient pour réexpédition. Dans le camp 2, isolé du premier par des barbelés et que

Ce qui reste de Tréblinka : la route qui menait vers les chambres à gaz.

les détenus du premier appelaient « l'enfer », on vidait les chambres à gaz de leur contenu plusieurs fois par jour et l'on enfouissait les corps dans d'immenses fosses. Du moins au début. Par la suite, Himmler donna l'ordre de les rouvrir, de tout brûler et de tamiser les cendres avec la terre afin de tout effacer. Pour stimuler l'ardeur au travail, un quart des détenus était, dans chaque kommando, quotidiennement liquidé. Vivre là relevait déjà de l'hé· roÏsme. S'y révolter de la folie... ou de la conscience sublimée d'une mission : survivre pour por. ter témoignage devant l'histoire. Comment, sur un millier de détenus, hommes et femmes _. car il y en eut aussi - six cents parvinrent à franchir vivants les enceintes après avoir attaqué leurs gardes SS et ukrainiens, alors que quelques heures avant le déclenchement de l'assaut ils ne disposaient même pas d'une grenade, mais seulement d'un plan de bataille, je laisse aux lecteurs de Treblinka le soin de le découvrir. L'intelligence stratégique de la révolte n'en explique pas, seule, le succès. Il réside, à mon sens -

et Steiner ne l'a peut-être qu'entrevu, bien que cela se dégage de l'ambiance qu'il recrée - de l'homogénéité ethnique et en quelque sorte idéologique de l'ensemble des détenus. Ailleurs, toutes les nationalités: Allemands, Fran· çais, Espagnols, Russes, Polonais, Italiens, Hongrois, Grecs, toutes les idéologies : commuuistes, catholiques, piocheurs de la Bible, démocrates, militaristes, anarchis· tes et pour beaucoup apolitiques, s'y mélangeaient et se haïssaient. A Treblinka, à quelques exceptions près, rien que des Juifs polonais, parlant la même langue, conditionnés par la même culture, nourris d'une même mythologie. Ailleurs des hommes de tous les âges. A Treblinka une sélection permanente qui ne laissa subsister que des hommes en âge de pren· dre les armes. Enfin, et ce détail n'est pas sans importance, sur la masse des vêtements et des valeurs qu'ils devaient récupérer, les déte· nus purent rafler au nez de leurs gardiens de quoi leur assurer, comme au Sonderkommando d'Auschwitz, une meilleure nourriture. Tout cela concourait à faire des détenus un détachement avancé du peuple juif et ils en prirent conscience. L'OI'ganisation clandestine minoritai.'e y dispo. sait d'un appui de masse. En retraçant une telle histoi"e, l'auteur n'avait pas hesoin de for· cer son talent pour toucher le lec· teur. Son mérite au contraire est d'y avoir renoncé. Il rompt déli. bérément avec la littérature pleur. nicharde anciens-comhattants·et· vieux-de·Verdun. Déroulant sa fresque dans toute son ampleur, coupant son récit avec l'habileté d'un auteur de théâtre, mêlant l'bumour froid à la ferveur, il empoigne son lecteur et le prend en charge, le mène jusqu'à la révolte et gagne ainsi la seconde bataille de Treblinka. lean·René Chauvin

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Un très grand ouyrage... Irremp açab e pour quiconque veut comprendre non seulement Kennedy, mals le fonctionne' ment des Institutions amérlcsl" S. Hoffmann nes •

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LE MONDE

DENDEL

t 23


j:CONOMIE

FORMATS

POLITIQUE

DE POCHE

J. BoÏ880nnat La politique de3 revenus. Collection Société. Le Seuil éd. 4,50 F.

nus pour s'attaquer à ces deux problèmes. La politique dite de stabilisation a pour but de conjurer, les dangers d'inflation en freinant la montée de la demande, tandis que la fiscalité et la sécuriAvoir une politique des reve- té sociale corrigent la répartition nus, c'est nous dit un rapport de des revenus opérée dam le cours l'O.C.D.E. . (Organisation de Coo- du processus de production (répération et de Développement partition dite « primaire ~) en Economique) , le fait pour les enlevant à certains pour donner Pouvoirs PubliC8 tr avoir une opi- plus à d'autres. Mais ce sont des nion sur le} conditions dans solutions insatisfaisantes. lesquelles révolution de3 revenus Pratiquement, une politique peut être compatible avec leurs des revenus suppose donc deux objectifs économiques et, en par- opérations complémentaires : un ticulier, avec la stabilité de3' travail de chiffrage des évolutions prix; elle signifie qu'il leur faut futures de revenus et de prix qui obtenir raccord de r opinion pu- soient compatibles avec une exblique sur les principes qui pansion économique en bon ordre devraient guider la progression - ou avec les proportions définies entre les divers objectifs du des revenus. Une telle définition a le mérite Plan, pour les pays recourant à de mettre l'accent sur certaim une planification pluri-annuelle ; aspect8 de la politique des d'autre part, une confrontation du revenus: soucis d'éviter l'in- mouvement effectif des prix et flation qui pousse les gouver- des revenus, et de l'évolution nement8 à se préoccuper du projetée initialement. Sous quelle rythme d'accroissement des reve- forme ce schéma est-il en cours nus, impossibilité d'agir sur d'application en France? Deux ceux-ci sans un minimum d'ac- expressions peuvent 'résumer la cord sur les but8 et les moyens. situation : programmation en vaElle demande cependant à être \ leur, et Centre d'étude des revecomplétée sur deux point8, comme nus et des coûts. La progràmmation en valeur, le souligne avec netteté J. Boissonnat dans le livre qu'il vient de qui forme l'un des chapitres du consacrer à la politique des reve- V· Plan (1966-1970) a pour but nus 1, et qui constitue à ce de dêfinir la façon selon laquelle jour l'exposé le plus précis et le les différents prix et les différents revenus varieront les uns par plus complet sur la question. Tout d'abord, s'il est vrai rapport aux autres (p. 96) au qu'historiquement les essais de cours des cinq années du Plan. P9litique des revenus pratiqués C'est une programmation, c'est-à~ dans certains pays d'Europe occi- dire que les divers élément8 qui dentale (Pays-Bas, Grande-Breta- la composent se commandent les gne, Suède, France) et aux Etats- uns les autres et ne doivent pas Unis sont étroitement liés dans se contrarier. Elle est dite en leur origine à la recherche de la valeur parce qu'elle ne décrit pas stabilité des prix et à la crainte des évolutiom en quantités physide l'inflation, on ne peut bien les ques (ou en volume) mais tient, comprendre que par une vue compte des variations de prix et d'ensemble des économies occi- de revenus impliquées par les dentales des années 50 et 60. objectifs du Plan relatifs à la Celles-ci se caractérisent par une production et à la demande. croissance rapide et persistante· Autrement dit, elle s'efforcé de la production, qui a' deux de 'transposer en termes de conséquences : elle favorise les revenus et de prix l'augmentapoussées inflationnistes, .et elle tion de 27,5 en cinq ans, de la crée des inégalités de développe- production, de 31\ 1"0 pour les ment entre secteurs d'activité, investissement8 productifs, de entre' régions, entre niveaux hié- 24,5 70 pour la consommation rarchiques., Or l'inflation est globale, etc. dangereuse dans une économie Toutes les données chiffrées re· non protégée, car toute disp:lrité latives aux accroissement8 souhaides prix entre pa,ys concurrent8 tables des grandes catégories de se traduit rapidement par une revenus n'ont qu'un caractère dégradation de la balance com- indicatif. Ajoutons qu'elles consmerciale des pays où les priX tituent une moyenne 'su.r cinq montent le plus vite. Quant aux ans, que le gouvernement adap. inégalités dans le progrès du tera annuellement à l'évolution de niveau de vie, mieux cl)nnues que la conjoncture, avant de faire par le passé grâce aux progrès de connaître les accroissement8 de la statistique (et à son utilisation revenus par grande catégorie qu'il croissante comme argument dans recommande pour l'année à les conflits sociaux, voire politi- venir 2. ques), elles vont à l'encontre de Suivre le sort réservé à ces l'aspiration à la parité, à l'égalité recommandations? Ce sera la des conditions de vie - ou plutôt tâche du Centre d'étude des reveà l'égalité dans les progrès du ni- nus créé il y a quelques semaines. veau 'de vie. Ce Centre aura à analyser les proLes gouveI'nement8 n'ont .certes grès de productivité dans telle ou pas attendu la politique des reve- telle branche d'activité ou entre-

rc,

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prise et dans quelles proportiom ces progrès ont bénéficié aux investi88ements, aux actionnaires, au personnel ou aux clients (som forme de bai88es de prix). Si l'on retient la distinction utile que propose J. Boi880nnat (p. 122) entre différentes politiques de revenus selon qu'elles reposent sur un dirigisme gouvernemental (Pays-Bas jus qu' e n 1954), le paritarisme syndicatspatronat (Suède) ou l'intervention d'un « pouvoir moral qui peut aller de l'information à l'arbitrage », on voit que la solution française relève plutôt du' type n° 3, le seul s8n8 doute qui soit adapté à l'état présent de la société française. Cela ne veut pas dire que ses chances de réussite soient immenses. Les argument8 en faveur d'une politique des revenus sont aussi forts que les oppositions qu'elle rencontre dans les milieux les plus divers - et cela en dépit du fait qu'elle ne crée aucune contrainte nouvelle, car « en toute hypothèse, avec ou sans politi-· que des revenus, la répartition des richesses s'opère dans la contrainte » ~ celle de la rareté économique en général, et, en particulier, de la croissance économique dans des frontières ouvertes. Mais la sit~ation comporte tout de même deux éléments favora. bles. Le premier est l'état d'esprit que le Plan a contribué à créer, et qui consiste à· aborder les problèmes nOQ point isolément et de façon statique, mais à les replacer dans une vue d'ensemble et une perspective. Le second réside dan~ l'ampleur même de la mutation des structures industrielles que nous devons réaliser si nous voulons parvenir à la compétitivité qu'impose ,la libcrté des échanges. Car cette ampleur donne à la politique des revenus ses vraies dimensions, et la fait apparaître non point comme le seul moyen d'atteindre à une expansion sans inflation marquée (ce serait . trop lui demander), mais comme l'un des éléments d'une stratégie de la croissance équilibrée qui imposera bien d'autres révisions des habitudes et des situations acquises. Bernard Cazes 1. On pourra également consulter le

rapport que M. P.èrre Massé a rédigé après la Conférence sur .les revenus (publié par la Documentation Française, Recueils et Monographies, nO 37), le livre du Pr Lecaillon : Croissance et Politique des revenus, Edo Cujas; le numéro spécial de la Revue d'Economie Politique de mai 1965, notamment l'article signé Jo Delors; et enfin l'étude de H. Aujac, La Politique des revenus et la planification française, à paraître dans un livre publié par Harvard Uni. versity Press. 20 On 3ait que le Président des EtatsUnis publie chaque année dans son Rapport économique des « lignes direc. trices ~ (guide·lines) sur les hausses de prix et de salaires qui lui paraissent compatibles avec l'évolution anticipée de la productivité.

Le « très curieux Jules Verne ~, comme disait Mallarmé, connaît une renaissance inattendue : brusquement, tandis que les cosmonautes de Gemini VIn poursuivent dans l'espace interstellaire leur fantasmagorique ballet, le Livre de Poche met sur le marché dix titres des Vorages extraordinaires, a880rtis d'une publicité massive, et d'une exposition au Pub Renault où les Russes délèguent des éléments de fusée, les dessins originaux de Tolstoï pour Le Tour du monde en quatrevingts jours et maintes merveilles techniques. Il y a un siècle paraissait De la Terre à la Lune (trajet

Une illustration de L, Bene" pour Les cinq millions de la Begum,

'

direct en 97 heures 20 minutes) et la bibliothèque de Nantes, ville natale de l'écrivain, prépare de son côté une exposition commémorative, pour laquelle travaillent déjà les enfants du département. Tout ce tapage souligne cependant l'ampleur d'tin événemeJ1t auquel le lecteur avisé donnera son sens : pour la première fois l'œuvre, nous l'espérons entière, de Jules Verue, reparaît, illustrée des fameux dessins de Riou, Benett, Ferat, Roux, de Neuvine.. ~ et autres qui donnaient aux volumes rouges et or de Hetzel la plus grande part de leur fascination ; et ce dans une collection spéciale du Livre de Poche, c'est-à-dire hors du patronnage quelque peu péjoratif du « Magasin d'éducation et de récréation ~. Pour la première fois, Jules Verne échappe à l'étiquette d' « auteur pour la jeunesse » et trouve son vrai public, illimité. Pour l'édition, le phénomène est d'importance. Il y a quelque douze ans le regretté directeur de Hachette qui régentait ces tré· sors ne disait-il pas catégoriquement : « Jules Verne n'intéresse plus les enfants » ? La Bibliothèque verte ne se vendait plus, malgré les efforts de ses dessina· teurs pour remettre les Voyages


Jules Verne ressuscité extraordinaires

au « goût du jour ». Et de sourire aux fantaisies de ceux qui rapprochaient des montages de Max Ernst les gravures des éditions anciennes. Au même moment Michel Leiris ex· humait une lettre de Raymond Roussel 2 qui écrivait, au lendemain de la première guerre mondiale : « C'est aussi monstrueux de le faire lire à des enfants que de leur faire apprendre les Fables de La Fontaine, si profondes que déjà bien peu d'adultes sont aptes à les apprécier ». Butor et Michel Carrouges soulignaient la dimension homérique d'une œuvre qui avait si patiemment rempli son propos initial, « résumer toutes les connaissances géographiques, géologiques, physiques, astronomiques, amassées par la science moderne, et refaire, sous la forme attrayante qui lui est propre, l'his· toire de l'Univers » (préface de Hetzel) . Quelques années plus tard, ~arcel Moré publiait s~cces­ sivement deux volumes 3 qui jetaient bas le mythe du grand.père barbu· et bien.pensant chargé d'instruire en amusant Jules Verne était bien ce « révolutionnaire souterrain » qu'avait entrevu Pierre Louys, un homme mu par des complexes que l'analyse freudienne met en lumière, où domine le problème du' Père et une misogynie évidente au lecteur attentif. Ainsi la résurgence actuelle est-elle le fruit d'une longue et presque biologique assimilation. Trois générations ont nourri leurs rêves enfantins de presque cino quante volumes. Peu à peu nos pères ont découvert avec étonnement que les découvertes techniques allaient dans le sens qu'avait entrevu le conteur de leur enfance. Et l'enthousiasme des ingénieurs masquait pour un temps les feux secrets d'un langage où J arry, Claudel, Saint·John Perse, Eluard, Michaux allaient puiser plus ou moins sciemment.

Des anticipations de Jules Verne aux réalisations d'aujour. d'hui, ce livre d'avant la dernière guerre semble avoir servi de modèle aux organisateurs de l'exposition des Champs-Elysées. Ils ajoutent ainsi une seconde et fâcheuse etiquette, celle de vulgarisateur scientifique, à un homme qui avait profondément modifié le concept même de littérature. Il suffit de comparer, à cet égard, l'exposition du Pub-Renault à celle que la Bibliothèque Nationale consacre à Hetzel, qui fut d'abord l'éditeur de Balzac, Hugo, George Sand, Stendhal... A l'une des vitrines austères, des visiteurs discrets, à l'autre un apport mondial, une foule cosmopolite. Un million de lecteurs, rien qu'en France, se précipitent sur la ·nou·velle collection du Livre de Poche. Si Jules Verne n'avait été qu'un 'écrivain pour la jeunesse, un vulgarisateur scientifique, un roman1

La Quinzaine littéraire, 15 avril 1966

cier romanesque à la Walter Scott, en irait-il ainsi? Certes, les sublimations naïves de l'enfance ont germé. Après nos grands-pères et nos pères, nous trouvons dans notre « Voyage » de prédilection l'image de ce temps où la « Fée Electricité », les applications des sciences, allaient merveilleusement transformer la vie quotidienne. Notre enfance fut nourrie de rêves qui apparaissent comme ceux-là mêmes de l'enfance de l'homme : au Moyen Age, l'Europe entière brodait, après les Byzantins, sur les voyages d'Alexandre, marchant au fond des eaux, pérégrinant en Scythie, à la limite des terres connues, au frontières du Ciel et de l'Enfer. Le nouveau, avec J ules Verne, c'est qu'il ne brode pas, ne fait pas de littérature. Il assimile toutes les revues scientifiques, il lit les carnets inédits des explorateurs, il barre son voilier, il gouverne son yacht, il sent profondément le langage de la mer, des vents, il décrit avec le vocabulaire précis des savants les plantes, les roches, les animaux, les espaces interstellaires. Toute sa vie, il observe, il amasse. Et ce qu'il restitue n'ouvre pas seulement

notre imagination sur le futur, mais aussi sur cette Nature, telle que nous ne la verrons plus, vierge encore des transmutations industrielles. Ce passé de la Terre, où le cœur des vieux continents figurait en blanc sur les cartes, où la mer libre couvrait les pôles, où les sources des grands fleuves étaient incertaines, s'exalte de toute la poésie qui sourd des éléments : la Terre, parcourue par les enfants du capitaine Grant, par tous les héros, et fouillée dans son passé géologique vers son

Une illustration de Neuville et Riou pour Vingt mille lieues sous les mers.

noyau central, l'Air, conquis par le ballon du docteur Ferguson et par l'hélicoptère de Robur, l'Eau des profondeurs éclairée par les sous-marins de Némo et du docteur Antekirt, le Feu qui engloutit les entreprises prométhéennes de certains savants tels Herr Schutze, "excédant les limites de leur pouvoir. C'est là qu'apparaît la dimension réelle de l'écrivain : s'il paraît plus vivant aujourd'hui que Becquerel, Linné, Reclus, Humboldt même, qui savaient si bien décrire, c'est qu'il crée des hommes : le Prof. Lidenbrock, Ferguson, Némo, Hatteras, Philéas Fogg, le cousin Bénédict et tant d'autres. Ses nouveaux héros sont tous mus par une identique passion : éprouver leur pouvoir sur le cosmos. Leur vie est réglée par une ma. thématique rigoureuse ; plus que leurs machines, ils appartiennent au monde de demain. C'est eux, non leurs inveptions, qui fascinent nos ingénieurs. Plus la science se désincarne, devient abstraite, cybernéticienne, régie par des cerveaux électroniques, plus l'imagination, mécontente, doit trouver un au-delà. L'inconnu véritable, c'est le cœur, qui bat sous la roide apparence. Le pari absllrde de Philéas Fogg rejoint le pari pascalien. Ecoutons le dialogue que, dès son premier livre, Jules Verne place dans la bouche de ses héros, à bord du Victoria, au-dessus des steppes inconnues de l'Afrique australe : « A force d'inventer des machines », dit Kennedy le chasseur, « les hommes se feront dévorer par elles ! » et le docteur Ferguson de répliquer un peu plus tard : « Il n'y aura peutêtre pas toujours des savants, il y aura toujours des poètes ».

Bernard Gheerbrant 1. Les dix volumes réédités représentent un choix qui ne s'explique ni chronologiquement ni littérairement : de la t~. , logie qu'inaugnre Les Enfants du capItaine Grant, seul. Vingt mille lieues sous les mers nous est offert. A côté de Cinq semaines en ballon et du Vorage GU centre de la terre, un des < livres pairs» du Dr Faustroll, œuvre du début, figue rent Robur le conquérant et le Château des Carpathes, œuvres de la soixantaine, ce dernier roman peu connu est de la· même veine que les Contes Fantastiques d'Erckmann·Chatrian ou les Contes d'Achim d·Arnim. De la Terre à la Lune est publié selll, sans Autour de la Lune qUi en forme le complément et où figure la scène étrange de la récupération... de l'ogive de la fusée, allais-je dire. A noter que les dessins sout intégralement reproduits, les in·texte réduits de I/I()e seulement, avec, en légende, une phrase du roman, comme dans les originales. Mais, en se donnant la peine de les rapprocher du texte, les maquettistes ont ignoré un des charmes des éditions Hetzel : en précédant, de plusieurs pages, l'événement, les images créent chez le lecteur une appréhensiou délicieuse. 2. Arts et Lettres, nO 15. Les Presses Littéraires de France. Le texte de Michel Butor est reproduit dans Réper toite, Gallimard et-Idées. 3. Marcel Moré : Le très curieux -Jules Verne, Gallimard 1960. Nouvelles exploratiollS de Jules Verne, Gallimard 1963. o

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~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~-: AVENTURES

J'- Votre édition des Œuv'res de Balzac

• • • •

n~ est

pas twaiment complète si elle ne réunit pas les textes suivants:

John Toland 92 romans et nouvelles. 28 œuvres ébauchées. Préfaces. CO~TES

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TOUS CES TEXTES SONT RÉUNIS DANS L'ÉDITION DES

LA COMÉDIE HUMAINE:

Calmann.Lévy éd.

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40 Contes et ébauches.

THÉATRE:

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9 pièces: Cromwel,l. Le Nègre. Le Corse. L'Ecole des ménages. Vautrin (2 versions). Les Ressources de Quinola. Paméla Giraud (2 versions dont une inédite). La Marâtre. Le FaiseurMercadet (2 versions). ?6 pièces éhauchées ou proJetees.

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Cette édition reconnue d'Intérêt National.

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reproduit en FAC-8IMILÉ un document historique exceptionnel: les volumes personnels de Balzac portant de sa main, dans la couleur sépia de son encre, ses annotations, corrections et additions en vue de l'édition définitive de la Comédie humaine. Dans la reliure même de son exemplaire personnel, cette édition définitive constitue véritablement

Près de 250 textes, dont plusieurs inédits, comprenant toutes les œuvres qui ne font pas partie de la Comédie humaine.

LE BALZAC DE BALZAC C'est la publication - 115 ans après la mort de Balzac - du seul texte authentique de la Comédie humaine et, pour la première fois, la réunion de l'œuvre réellement complète de Balzac, y compris les derniers inédits.

R~ALlS~E

PAR UNE ~QUlPE INTERNATIONALE DE BALZACIENS

notre édition en 25 volumes des Œuvres complètes illustrées de' Balzac a été conçue pour être durable. EUe est garantie contre le risque de " dépassement" et sera valable pour les générations futures comme pour la nôtre. Le dernier volume donnera la Genèse de chaque œuvre et l'Histoire des éditions de Balzac. Index, tables, études, chronologie - avec références aux volumes .de notre édition - complèteront cet ensemble monumental encore jamais réalisé pour une œuvre littéraire.

Plusieurs volumes sont déjà parus. rtBON

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publiées sous le haut patronage d'un Comité National

ŒlJlRES DIVERSES:

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Départ

LES BIBLIOPHILES DE L'ORIGINALE

•••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••1: 6.

RUE

DE

L'ORATOIRE

PARIS

1·'.

TÉL.:

488

31-91

Cent.vingt revolvers automati· ques, quarante-neuf mitraillettes, soixante fusils de chasse dont vingt à canon scié, dix douzaines de grenades lacrymogènes, trente mille cartouches, dix millions vo· lés en coupures de 1 à 100 dollars, trois cents plaques minéralogiques de rechange pour cent voitures subtilisées, cent fois le mot « hold up ~ prononcé sur un ton glacé dans le hall de marbre des ban· ques de Middle-West, dix-sept signaux d'alarme déclenchés, cent quatre-vingt otages désespérément agrippés aux toits de Fords lan· cées à cent à l'heure, trente policiers étendus sur des civières, cino quante maîtresses éplorées, vingt bandits coiffés de canotiers ensan· glantés, leurs corps dissimulés au regard de la foule par d'immenses feuilles de papier d'emballage d'un brun sinistre tout cloqué par la pluie : tel est l'inventaire rapide et combien incomplet de Dillinger, de John Toland, un des écrivains et des reporters les plus circonspects et les plus consciencieux du nouveau Continent. Procédé inquiétant que cette avalanche de noms de guerre, de lieux-dits, de dialogues en argot, d'actions confuses et détaillées que l'auteur a puisés, avec une troublante obstination, dans ses interviews. En vrai reporter américain, il ne ménage ni son matériau dont la règle est la surabondance, ni son lecteur réduit à absorber un flot d'informations, tel un computeur voué à la programmation du crime. Apparenté aux dialogues à répétition de Hemingway, de Caldwell, de Steinbeck, le texte de ces comp· tes rendus commence par vous noyer sous une avalanche d'informations et ne vous laisse qu'après coup la liherté de faire votre choix. Le lecteur d'une chronique française cst lin spectateur de théâtre, parfois de j!:uignol ; le cléc·hiffrcllr des chroniques américaines, de gré ou de force, se sub!'titue au policier chargé de l'enc(uète ou mieux, au reporter, ce superman et paria de la vie tumultueuse d'outre.Atlantique. Lourds, confus, implacables comme la nature, les faits vous submergent dans un flot ininterrompu. Lé lecteur est là, semble-t-il, pour les subir, les trier, pour se glisser, peu à peu, dans la peau d'un être aux aguets : le journaliste, son frère.

••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• •• ,.....----------------------------------------------,.• • Bulletin d'abonnement • • • • • M. • Adresse • • Signature Dépt. Ville • Date • • • • souscrit un abonnement • • o d'un an 42 F / Etranger 50 F Abonnez-vous o de six mois 24 F / Etranger 30 F •• Dans Dillinger (sous-titré Les règlement joint par • Irréductibles, Baby Face Nelson, • Ma Barker, Machine Gun Kelly, o mandat postal 0 chèque postal • que de noms évocateuJ:s), la masse o chèque bancaire • d'informations conduit à un ta· • • bleau d'apparence familière: La Quinzaine Utt4ralre

13, rue de Nesle, Paris 6 - C.C.P. 15.551.53 Paris L-

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• Chicago et le Middle-West améri. • cain des années 30, la crise, la fin

•• d'Al Capone, la fin de la prohibi.

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tion, la gloire naissante de Clark


Dillinger Gable et de Roosevelt, le New Deal et Autant en emporte le Vent. Mais tout est légèrement différent. L'image des « Incorruptibles ~ sur l'écran de la Télévision, avec l'inspecteur Ness et ses coups de filet est ici dégradée, le travelling suit les bandits de grand chemin sur des routes mal ~ou­ dronnées, bordées d'accessoires de misère, et les embardées tigresques sur chapeaux de roues rap-

autre le frappa dans le dos et ressortit par l'œil droit. Une heure plus' tard, les policiers chargés de la poursuite le voient, pour la première fois, en ~hair et en os. Mais c'est à la morgue. Le brigadier Frank Reynolds de la brigade Dillinger fit irruption dans la pièce. De joie, il prit la main du cadavre et la secoua. Modifié grâce à une intervention de chirurgie esthétique, son visage

SUCCÈS DE VENTE, EN MARS ~

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S"'Z S ; 1 Henri Troyat 2 George Painter 3 Graham -Greene 4 Pierre Daninos 5 Julien Green 6 N° de «Bizarre» 7 Jean Giono 8 9

10

J.F. Steiner Georges Elgozy Albertine Sarazin

La Faim des lionceaux Marcel Proust Les Comédiens Le 36" dessous Terre lointaine Boris 'Vian Les deux cavaliers de l'orage Treblinka Paradoxe des Technocrates L'Astragale

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SUCCÈS DE CRITIQUE Cette liste est établie, selon un mode de calcul complexe qui en garantit l'objectivité - d'après les articles publiés dans cinq quotidiens, huit hebdomadaires... et un bi-mensuel parisiens. 1 D~

2

scènes peu dignes' iuivirent. pour clore le mythe.

3

4 pellent plutôt celles de lièvres traqués. Dillinger n'est pas Al Capone; il n'a pas des millions en poche, ni de complices dans la magistrature. C'est un « braqueur de banques », un « mitrailleur ~: s'il' est pris, il va droit à la chaise électrique. Aussi, de planques en cabane, du recéleur au toubib marron, c'est mie succession d'échappées, une migration dont les, escales se perdent dans les bas quartiers, la campagne désertique, les fermes isolées, les repaires d'animaux. A travers le réseau de frontières d'Etat que les fugitifs ne cessent de traverser, on voit surgir en transparence la petite bourgeoisie de l'époque, ses banques, ses cinémas, ses fusils de chasse gauchement pointés vers les Van Meter, Carroll, Baby Nelson et autres Dillinger qui ne cessent de dévaliser, en hâte, banque sur banque, au milieu des gaz lacrymogènes, sous la grêle des balles perdues. Les Irréductibles sont finalement matés. Reste le chef, Dillinger. Trahi par la Femme en Rouge, il finit à Chicago-Est, le 22 juillet 1934, à 11 heures du soir, près de la sortie du cinéma Biograph,- après avoir vu Manhattan Melodrama" film de· Clark Gable sur un bandit qui se fait conduire, la tête haute, à l'échafaud. Sorti du cinéma, il dut foncer, tête baissée• ...Dillinger continua de courir vers la ruelle. HoUis et Iles del:tx agents, ouvrirent le feu en. direction àu fuytll'd: ,lJne balle a~tef,gnit',Dil/i~ger au flanc. Une La Quinzaine littéraire, 15 ,",Til 1966

tailladé par les projectiles et sa chute, resta méconnaissable. On remarqua cependant que Dillinger avait des jambes exceptionnellement robustes et musclées, des pieds bien dessinés, presque féminins, des bras fuselés. Des scènes peu dignes suivirent pour clore le mythe. Des centaines de curieux se bousculaient pour entrer, prêts à payer rien que pour jeter un c(mp d'œil sur le corps. Des milliers de gens, alertés par la presse et la radio, se pressaient aussi devant «Biograph ». Une voiture, immatriculée dans 'l'Indiana et garée à proximité, fut proprement' mise en pièces par des gens croyant qu'elle appartenait à Dillinger. D'autres trempaient leurs mouchoirs ou des morceaux de papier dans la petite flaque de sang au milieu de la ruelle. On vit même des femmes y tremper l'ourlet de leur jupe. Où sont ces Tricoteuses d'antan, où la Femme en Rouge, où la chaleur étouffante de cette nuit de juillet 1934 ? Où l'avant-guerre. brumeux, Billie Frechette la métisse, Bonnie Parker poétesse et assassin, l'auberge La Bohème, au fond de ta brousse qui abrita leu~s amours, la ruelle entre Food Store et Country Club qui fut la scène finale d'une pauvre et terrifiante épopée ? M'ais leur souvenir subsiste, et grâce à l'enquête de John Toland, nous faisons un long et ,bien ,iroublant séjour parmi ces fantômes à la poitrine trouée.

Tibor TtII'dos

J.M.G. Le Clézio Jean Cayrol P. Drieu la Rochelle Oscar Wilde Montgomery Hyde

5 Pierre Daninos 6 Pierre-Jean Launay 7 Robert Escarpit 8 Pien:e-Henri Simon 9 Fernand Combet 10 Jean Mistler

Le Déluge Gallimard Ed. du Seuil Midi minuit Mémoires de Dirk Raspe Gallimard Lettres Gallimarc;l Les procès d'Oscar Wilde Mercure de France Le 36" dessous Hachette Les portes de Trézène Grasset Lettre ouverte à Dieu Albin Michel Ce que je crois Grasset Schrumschrum J.-J. Pauvert Les orgues de St Sauveur Grasset

LA QUINZAINE LITTÉRAIR.E VOUS RECOMMANDE ptll'mi le& ouvrages qui viennent de ptll'aître : ,Romans Je'an Blanzat Georges Darien

L'Iguane Biribi

Tibor Déry W. Odejowski

La Phrase inachevée Le Crépuscule d'un monde

Gallimard Ed. Jérôme Marlincau Albin Michel Ed. du Seuil

Poésie Travaux sur la terre Liberté sur parole

Ed. du Seuil Gallimard

Gallimard Ed. du Seuil

J. Suret-Canale, etc.

Une histoire modèle Les Infortunes de la rtJÜon La Naiasance des dieux

Ernesto de Martino

La Terre du remords

Robert Marteau Octavio Paz

Essais Raymond Queneau André Regnier

Ed. de l'Union rationaliste Gallimard


PARIS

Entre la ligne et vow, on dirait qu'il y a un secre,t? Saul Steinberg : Si je ferme une ligne, je me sens attrapé, et je n'aime pas ça... Vous n'avez pas encore vu mon dernier livre, The New W orld, qui vient de sortir aux Etats-Unis : c'est le combat entre le cercle et la spirale. On croit qu'il y a une grande ressemblance entre eux - pas du tout ! Le cercle, c'est la mort, on ne peut jamais en sortir. Après un cercle, il y a un autre cercle, toujours un autre cercle... C'est un symbole de peur. On commence à la naissance, par exemple, puis il yale cercle des cinq ans qui entoure le premier, puis celui des treize ans, des vingt ans, des trente-sept, soixante-cinq, comme pour les arbres ou les oignons. Pas de communication entre les cercles, ils sont tous séparés. L'enfance est perdue. Elle est recouverte d'un nouveau cercle...

sion et c'est la fin ! Mais vivre à 40-50 % c'est déjà magnifique! On ne peut vivre comme ça que dans :I.e travail ou l'amour. Ou bien quand on s'échappe avec exactitude d'un danger...

Avec exactitude ? Lorsqu'on a su faire au bon moment le mouvement exact qui permettait de s'en sortir. Un mouvement sobre, concis, sans prolixité. La prolixité, comme l'angoisse, c'est une lorme de mort. L'essence de la poésie c'est la vitesse, la vitesse comme une forme de sténographie. Le travail, la vitesse, c'est pour se faire vivre au maxi·' mum, avec le plus d'intensité possible. Travailler, pour moi, c'est ça. Pour d'autres c'est chasser, pêcher, manger, se dépenser physiquement... De cette façon on arrive à une forme de légèreté, on devient spirituel...

r

Ces femmes que on voit à votre dernière exposition...

Et la spirale? Dans la spirale on est toujours en relation avec le début. C'est l'idéal. 'C'est la vraie vie, toujours... "Pour moi, pour m'expliquer les choses, un cercle, une spirale, ça ,me suffit. Mais pour les gens il faut un dessin, alors je mets le cercle sur un fauteuil, la spirale sur une chaise, et voilà, ils parlent, c'est une cocktail-party !

N'avez-vous pas fait awsi des labyrinthes ?

'Le lahyrinthe c'est la spirale troùhlée. Le labyrinthe c'est un moment de maladie de la spirale, quelque chose d'inorganisé, de géométrique, qui perd beaucoup de temps. La spirale c'est une vie réussie, une harmonie. La plupart des vies commencent par une spirale, puis arrivent des labyrinthes et là on perd du temps. Si on est heureux la spirale reprend, puis de nouveau c'est le labyrinthe... Mais je ne suis pas absolument contre le labyrinthe, c'est parfois une belle expérience et ça fait un beau dessin. Ça n'est pas forcément mauvais les erreurs, si on a des vertus, de grandes qualités, c'est beau même, et 01) s'en tire. Mais pour cela il faut un instinct, c'est-à-dire une qualité poétique. C'est ça l'essence de la spirale, la qualité poétique.

Ce ne sont pas vraiment des femmes, ce sont des symboles sociaux.

De

r Amérique?

Du monde occidental. L'Amérique ça n'existe plus, pas plus que la France des paysans. L'Amérique c'est le résultat d'une civili. sation mécanique... qui se répand. c'est la spirale troublée.

N'êtes-vous pas cruel avec vos personnages ? Je n'ai jamais été cruel avec les gens en devenir, mais je l'ai été avec les cercles concentriques, les cercueils vivants... Des gens qui vivent par la société, qui ne sont plus que des payeurs d'impôts, des consommateurs... Ils palisent leur vie comme les passagers d'une croisière. Ils ont payé et tout est prévu pour eux : trois repas par jour, l'exercice le matin, la sieste, les jeux, la cour aux passagères... C'est ça la vie sociale : on accepte un ordre et en échange la sécurité vous est assurée. La plupart des gens vivent comme ça, dans cet ordre imposé. Pourquoi gardons-nous toujours l'angoisse du temps de l'école qui était le temps le plus terrible de notre vie? Parce que l'école c'est la préfiguration de la' vie qu'impose la société...

Pourquoi travailkz:vous ? Pour chasser l'ennui, le boredom qui est le grand ennemi.

L'ennui ou

r {lngoisse

?

C'est pareil. Quand on ne vit pas complètement on est angois!!é. La plupart des gens vivent à 15 pour cent, à 3 %' Quand ça va bien, on vit à 70 %' Pas à 100 %, jamais, parce que si on vit à 100 ,pour cent il y a une grande expIa-

28

des formes les plus populaires de l'assassinat des artistes par leur société c'est l'immortalité! Dans le monde du bwiness, quand on veut se débarrasser de quelqu'un on le kick upstairs, on le nomme président de quelque chose, ce qui en fait une façon de l'enterrer et de le kick downstairs. C'est ce qui se pa88e 'aussi dans les milieux de l'art. ~Si on veut survivre il faut se défiler, ne pas être ce qu'on attend de vous. L'une des façons les plus pratiques de s'échapper c'est de se rendre désagréable...

peur de la solennité de l'art et de la nature. C'est une réaction qui existe depuis toujours, les idoles grimaçantes des primitifs, c'était, ça : un effort pour tenter de se moquer un peu de ses terreurs...

Et, à, cet instant, le chat de la maison qui' passait par là recon-, nut Saul Steinberg et lui sauta sur les épaules... Ah, les chats Le mien fait toujours du théâtre .

Comme tous les chats... ,Je ne vois pas que vow soyez désagréable. Je pourrais être plus agréable encore... Avoir de la constance et de la continuité dans ce que je fais, me tenir dans des sujets considérés « comme il faut »...

Comment faites-vous pour échapper à cette mécanique ?

Il n'y a pas que vous 'qui sortiez du comme il faut, il yale Pop-Art...

Je tâche de ne pas être trop respectable, en faisant le cartoonist par exemple, en touchant à des sujets et des situations qui ne sont pas nobles... en niettant mon nez dans des coins qui ne mènent pas à l'immortalité. Le plus grand danger pour les artistes c'est l'immortalité, c'est la mort la plus sûre et la plus immédiate. L'une

Le pop, j'admire ça. C'est du Grand Guignol. Au Mexique, ils font des têtes de mort 'en sucre, ils prennent une chose effrayante et ils la rendent mangeable et comique... Le pop fait pareil, il se moque d'une terreur, il se moque de la nature et de l'art en les rendant pompiers, une forme très noble de pompiérisme, ils ont

Il n'y a pas que les chats" moi je fais du théâtre, les arbres font du théâtre. Le théâtre des arbres... En hiver, ils deviennent,d'une stabilité, ils sont nus, silenciéux, puis ils font' un geste, la mimique de la géométrie, de l'architecture gothique, ils font de la géométrie dans l'espace... Quand le printemps arrive ils commencent à se couvrir de petites gouttes tendres, ils commencent à sucrer et à être humides, ils deviennent animaux plus que végétaux, ils ont des langues, des nez partout. En été ils sont paysages, un Watteau, un Poussin aquarelles au printemps ils deviennent huiles en été. Puis c'est l'automne, ils sont macabres et comiques en automne, des clowns, c'est la folie, le carnaval. Et à cet époque, chez les hom-


LA QUINZAINE HISTORIQUE

Steinberg mes, il y a des carnavals rustiques, des bacchanales ~our la fin de l'année... Le vent fait des massages aux arbres, comme ils font ça bien! des chats qui s'étirent, les dessous de bras des arbres; ventilés... Et la pluie, ils sont comme quelqu'un sous la douche qui danse et qui chante, et la nuit, ce sont des bruits, des terreurs, ils craquent... En vérité, la raison d'être de l'homme sur la terre c'est d'expliquer comment la nature fait du théâtre. L'homme comme personnage a été créé pour faire des compliments à la nature, pour lui faire la cour...

Expliquez-moi un peu vos dessins de l'exposition. Qu'est-ce que c'est que ces petits personnages bleus qui 'courent un peu partout? Des blagues sur l'histoire de l'art! II Y a un peintre qui peint un paysage, on dirait un paysage italien primitif, un port, une forteresse, et mélangés à ça, un peu ici, un peu là, des éléments de plats chinois, des petits personnages bleus de plats chinois. Une chose que nous avons vue vient se mélanger avec des choses que nous connaissons, la réalité des choses que je connais, cela se continue l'un l'autre... Je vois une femme, par exemple, et je la, compare à une autre femme que j'ai bien connue, à Emma Bovary...

Vous avez bien connu Emma Bovary? Oui, très bien, je la connais très bien, aussi bien que les plats chinois. Le monde de l'art est autant la réalité que le monde soi-disant réel. Dans un autre dessin je fais défiler en ordre des personnages pris aux carreaux de faïence hollandais 'sur un horizon qui appartient aussi à l'art hollandais, mais à la peinture... C'est comme écrire une nouvelle, sur une rencontre entre Madame Bovary et Anna Karénine...

verte, je dis Verdi, je pense Rigoletto, et je me retrouve en train de chanter l'air de l'assassin... Dans mes natures mortes je mélange des éléments que nous possédons tous, comme ça, et qui nous viennent au même moment par associations, parce que nous sommes contemporains. C'est une belle complicité d'être contemporains, ça devrait nous rendre très amis d'être contemporains!

Vous croyez que tout le monde comprend vos dessins ? II y en a, oui, qui sont très difficiles. Dans le Labyrinthe en par· ticulier. J'ai songé à leur ajouter des commentaires, comme ces juxta qu'on trouve rajoutés aux textes classiques grecs et Jatins, une sorte de clé des rêves... Pour moi mes dessins sont très clairs. Par exemple, je prends deux points A et B et je les relie. C'est une vie, une biographie. Le tracé qui va de A à B c'est celui d'une biographie. L'un. c'est une ligne droite, c'est très rare, il faut être un bébé qui meurt à la naissance pour avoir une telle vie. Les autres c'est tantôt comme çi, tantôt ça (et Saul Steinberg de se mettre à dessiner), tantôt c'est 'tout vilain, tout noir, ou clair, large, généreux, têtu, courageux... Autant de personnes, ~utant de vies, autant de dessins possibles. Ici, c'est la vie de l'artiste, regardez, avant de vivre sa propre vie il va rendre visite à toutes le;; autres biographies, il les imite un moment, et puis il continuera leurs aventures d'ans, sa vie à lui... ' '

v ous avez

longtemps dessiné les paroles, les discours, puis vous avez dessiné les vies, qu'est-ce que vous dessinez de préférence en ce moment? Les lits. Maintenant je fais des lits et je regrette de ne pas en avoir mis dans l'exposition. II faut montrer la table et aussi le lit. si on veut tout montrer. Ce sont les deux choses les plus importantes de la vie. La table où on travaille et on mange - et le lit.

Et les fauteuils? Vous en avez dessiné beaucoup... ?

Et ces dessins où il y a un peu de tout, un disque... Le disque c'est un message, une chose parlée, une chose que je connais. Je ne peux pas me dé· barrasser de certaines musiques. Dans la rue je vois une couleur La Quinzaine littéraire, 15 tWril 1966

C'était déjà le lit ! Le fauteuil, la chaise, le tapis, c'est le lit... II y a aussi des blagues, des jeux... J'ai collé un peu partout des étiquettes. Pourquoi? Je voulais faire des collages, des choses collées. Je me suis dit : coller? coller quoi ? Eh bien des étiquettes ! Des étiquettes bien entendu! Elles sont là pour être collées, elles ont déjà l~ colle toute prête, tu ne les vois pas qui t'implorent: colle-nous! colle-nous L.. Je pense que l'art n'est pas, ne doit pas être respectable.

Propos' recueillis par Madeleine Chapsal

Circulation du sang, crucifixion en rose, lecture d'Alfieri, éloge de Rimbaud, bronchite inattendue, tels sont les événements littéraires de la quinzaine, de 1809 à 1927. Notons en outre que le 8 avril 1903 Léautaud quitte l'étude Lemarquis (1903, année funeste : Gauguin meurt, Wright s'envole, les Congrégations sont expulsées, le Parti Socialiste Russe se divise). Me Lemarquis estime que Léautaud approuve les voleurs. II s'en défend. Cependant, avril incite les garçons-bouchers aux découvertes et le peuple juif au déicide.

couples dansent. Le Cristi agonise en mesure, suivant la cadence del'orchestre. » Desnos. La Liberté ou fAmour! 10 avril 1896 considérable.

Correspondant

« J'imagine qu'une de ces sOIrees de mardi, rares, où vous me fîtes l'honneur, chez moi, d'ouïr mes' amis converser, le nom soudainement d'Arthur Rimbaud se soit bercé à la fumée de plusieurs cigarettes; installant, pour votre curiosité, du vague. » Mallarmé Lettre à M. Harrison Rhodes.

1" avril 1897 : Découverte de la circulation du sang.

12 avril 1809 : Lecture d'Alfieri.

« II existait à Rennes, vers 1897, un garçon boucher illettré, un peu sauvage, qui découvrit, après quinze ans de recherches obscures, les lois de la circulation du sang. » Paulhan : Les Fleurs de Tarbes.

« En arrivant à l'auberge, je trouvai deux jeunes filles au teint frais. Ces petites filles avaient de jolies figures. Je pris le c. à celle qui l'était le moins, j'aurais pu la..., mais je trouvais cela imprudent

Il est

u

2 avril 1905 due.

Bronchite inatten-

« Boule est malade. Je l'ai mené ce matin. chez le vétérinaire, un homme charmant, rue de Pontoi· se. Commencement de bronchite. Nous lui avons tondu la gorge pour une application de pommade iodurée. II est très abattu et tousse, très rauque. Quels yeux tristes il a aussi ! II me faut toute ma raison pour ne pas pleurer. » Paul Léautaud : Journal Littéraire. 5 avril 1927 : Crucifixion en rose. « Le Cristi' est enfin digne de son nom. II est crucifié sur une croix en cœur de chêne, décorée de drapeaux tricolores comme une estrade de quatorze juillet. Au pied, une dizaine de musiciens, sur des instruments de cuivre, jouent des airs rondouillards. Des

E" femme morte

au commencement de la campagne. Cela chassa entièrement l'humeur qui me rongeait depuis Pforzheim et je fus heureux jusqu'à Stuttgart, où nous arrivâmes vers les dix heures. Je lus pendant la route la Vie d'Alfieri. » Stendhal: Journal. Tels sont les faits, dans leur évidente nudité. Ils entraînent le peuple à des célébrations tardives. II est à présumer que le Cristi défunt provoquera, cette année encore, de la musique. Le sang circulera nor· malement. Les bolchevicks triompheront des menchevicks. Rimbaud recevra l'hommage incongru de Ministres. J'affirme sur l'honneur, enfin, que des « petites filles » demeurent préhensibles, loin de Rueil. L'Allemagne en fourmille. De Pforzheim à Stuttgart, qui suivra Stendhal, sera heureux. Pierre Bourgeade

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TOUS LES LIVRES

ROMANS FRANÇAIS

Wlodzimierz Odojewski Le crépuscule d'un monde Traduit du polonais par J. Ritt et J. Trahuc Le Seuil, 15 F.

Michel Braundeau L'amazone Le Seuil, 3 F.

Raja Rao La chatte et Shakespeare Camarade Kirillov Traduits de l'anglais par G. Fradier Calmann·Lévy, 12 F. Par l'auteur de « le Serpent et la Corde

Jean.Louis Curtis La quarantaine Julliard, 14,58 F. U/le suite aux « Jeunes Hommes» Georges Darien Biribi Jérôme Martineau, 28 F. Par l'auteur du « Voleur

Il

Didier Decoin Le procès à l'amour Le Seuil, 15 F. Michelle Maurois Les grandes personnes Flammarion, 12 F. Un « ingénu » féminin Raymond Millet Le ballet d'Ostie Calmann.Lévy, 12,90 F. Le génie et la folie

Il

Ray Rigby La eolline des hommes perdlts' Traduit de l'anglais par J. Lagrange et J. Hall Flammarion, 12 F. Le meüleur scénario à Cannes en 1965 Gore Vidal Julien Traduit de l'américain par Jean Ro~nthal Robert LaHont, 24,70 F. Mémoires apocryphes de Julien l'apostat.

Noëlle Norman,Sauville. POÉSIE La première mort La Pensée moderne, 13,50 F. André Blanchard Jean d'Ormesson et Robert Houdelot A u revoir et merci Philippe Chabaneix JulIiard, 14,58 F. Seghers, 7,10 F. Michel Perrin La sensitive Presses de la cité, 15 F. Jacques Perry Vie d'un païen Tome II: La beauté à genoux Robert Laffont, 16,50 F. Prix des Libraires 1966 Jean Thibaudeau Ouverture Le Seuil, 12. F. Franck TolIand Le sourire de la demoiselle de Tourtelot Ruchet.Chastel, 15,60 F.

ROMANS ÉTRANGERS Pio Baroja Paradox. roi Traduit de l'espagnol par· Claude CouHon Editeurs français réunis, 12 F. Peter Faecke de feu Traduit de l'alIemand P1'r fi:. Witthop.Ménaroeau GàUirriârd, 14 F. L'Allemagne des 30 derniè· res OIlI1ées La; '/luit

Edward Grierson L'affaire Massinghallt Traduit de l'anglais par P. Beyssade Gallimard, 14 F. Amos Kenan Le cheval fini Adapté de l'hébreu par l'auteur et Christiane Rochefort Grasset, 13,50 F. Alexander Kluge Stalingrad. Description d'ùne bataille Traduit de l'allemand par A. Gaudu Gallimard, 18 F. V oi,. r article de François Erval p. 3 30

Cahiers canadiens, Claudel 1. L'endormie par E. Roberto, 20 F. 2. Claudel et l'Amérique 23 F. 3. Claudel et l'Allemagne, par M. Andersen, 34 F. Diff. Minard

Aurélien Weiss Le monde théâtral de Michel de Ghelderode Librairie 73, Paris, 6 F.

Jean Cazeneuve Les mythologies à travers le monde Hachette, 29,18 F.

Jean Grandmoujin Histoire vivante du Front Populaire Albin Michel, 21 F.

ESSAIS

Jacques Grand'Maison Le Monde et le Sacré Tome 1: Le Sacré Edit. ouvrières, 10,50 F.

Roger Grosjean La Corse avant l'Hi8toire Klincksieck, 28,50 F.

André Abbou Cohérence et vrai&emblance dans "Jules César Il de Shakespeare Minard, 6 F.

Pierre Benoit Les cinq plaisirs de l'homme cultivé et L'Auto Albin Michel, 12 F,.

Jean Bonamour A.S. Griboedov et la vie littéraire de son temps P.U.F., 50 F. L'auteur du Malheur d'avoir de l'esprit

Marc· Oraison Le mystère humain de la sexualité Le Seuil, 9,50 F.

Jean-Henri Borneeque Verlaine por lui-même Le Seuil, 4,90 F. René Cannac Théâtre et révolte Essai sur la jeunesse de' Schiller Payot, 13 F. , Armand Caraccio Mélanges franco-italiens de littérature P.U.F., 20 F. Publications de l'Université de Grenoble

Raymond Queneau Une histoire modèle Gallimard, 7 F. Une méditation d'allure mathématique sur l'histoire

PHILOSOPHIE Jean Brun Les stoïciens P.U.F., 5 F. Jacques Chevalier Histoire de la Pensée Tome IV: La Pensée moderne (de Hegel à Bergson) Flammarion, 36 F.

Jacques Buge Connaissez·vous Milosz? Choix de textes André Silvaire, 8,95 F.

Yves Coirault Les additions de Saint· Simon au journal de Dangeau, L'op~ique de Saint·Simon Albin-Michel, 42 F. et 56 F.

Andié F.rénaud L'étape dans la clairière Gallimard, 10 F.

Claudine' Gothot·Mersch Vladimir Jankelevitch La Genèse de Mme Bovary La mauvaise conscience José Corti, 30 F. . Aubier.Montaigne, 12 F.

Jean-Paul Gourévitch La poésie en France Editions ouvrières, 15,90 F.

Germaine Lafeuille Rutebœuf Seghers, 7,10 F.

Robert Marteau Trat'aux sur la terre Le Seuil, 12 F.

Allotte de La Füye Jules Verne, sa vie, son œuvre Hachette, 13 F. Jules Veme por sa petite-fille

Octavio Paz Liberté sur parole Traduit de l'espagnol par J .-Cl. Lambert Edition bilingue GalIimard. 22 F. Boris Vian Textes et chansom Julliard, 14.58 F.

SOUVENIRS Pierre Bo'ulIe A,u sources de la rivière Ktvai Julliard, 14,58 F. Le récit après le roman Léon·Paul Fargue Haute solitude Gallimard, réimpr. 12 F. Han Suyin L'arbre blessé Stock, 24 F. La Chine à travers la vie d'une femme

CRITIQUE HISTOIRE LITTÉRAIRE

Jean Levaillant Les aventures du scepticisme 'Essai sur l'évolution intellectuelle d'Anatole France Armand Colin, 59 F. Jacques Maurens La tragédie sans tragique Armand Colin, 26 F. Le néo-stoïcisme dans l'œuvre de Corneille

Martin Heidegger Questions III Traduit de l'allemand Gallimard, 14 F.

Georges Guérin L'appel du ChTÏ8t ressuscité Editions ouvrières, 9 F. Jean Suret·Canale La naissance des dietu: Ed. de l'Union rationaliste, 12,30 F. Textes des conférences organisées à la Sorbonne en janvier et février 1964 par Gilbert Mury

Elias Canetti l'tfasse et puissance Traduit de l'allemand par Robert Rovini . Gallimard, 35 F. Voir l'article de Pierre Nora, p. 20 Alain Biron Vocabulaire pratique des sciences sociales Edit. ouvrières, 33,15 F.

Jean Pommier L'Univers poétique et musical d'Ernest Renan Minard, 4 F. Y. Scalzitti Le verset cla udélien Minard, 6 F.

Catherine de Russie Gallimard, 26 F.

SCIENCES

François Ribadeau-Dumas Cagliostro Arthaud, 20 F.

Gabriel Perreux La v~ quotidienne Claude Tresmontant en France pendant Comment se pose oujourd'hui la Grande Guerre le problème de l'ezi8tence Hachette, 14,59 F. de Dieu? Le Seuil, 21 F. René Pomeau L'Europe des lumières Stock, 15 F.

Jacques Cosnier Les névroses expérimentales de la psychologie animale à la pathalogie humaine Le Seuil Col. '" Science ouverte Il Paul Muller Dictionnaire de l'astronomie Larousse, 9,65 F.

Le monde du sorcier Col. Sources orientales Le Seuil, 24 F. Benjamin Manassé Rituel de magie blanche: Le livre des secrets La Diffusio~ scientifique, 15 F. Secrets de bergers et de rebouteux

HISTOIRE

Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier fra1lÇ4Ü Didier Faivre, d'Arcier Sous la direction de Le' bouton du mandarin J. Maitron Préface de Jean Rostand Ed. ouvrières, 57 F. Castermann, 8 F. L'école face à Lf!$ Empereurs Romain$ notre avenir d'Espogne C.N.R.s., 75 F. Michel ROUsselet L'enseignement du latin La question chinoise dam P.U.F., 7 F. l'Internationale communùle Textes rassemblés et présentés par Pierre Broué E:D.I., 16,10 F. RELIGIONS

J. Robert Simon Anatomie de la méhzncolie Col.. Etudes anglaises Didier, 55 F.

Configuration cnttque de James Joyce, II par Hayman, Atherton, Pierre-Henri Simon Diagnostic des lettres Colin, Goldberg, etc. Rt'vue des Lettres modernes, Renaissance du livre 24 F. 21 F.

MYTHOLOGIB

C.F. Nims La Thèbe des pharaons Albin Michel, 49,50 F. Photographies de Wim Swan Zoé Oldenbourg

PÉDAGOGIE

Gérard de Nerval Œttvres complémentaires, III Théâtre 1: Piquilla, Les Monténégrins, Textes réunis et présentés par J. Richer Minard, 40 F.

Jean-Marie Mayeur La séparation de l'Eglise et de l'Etat Julliard, 5,82 F.

Jean François Six Un prêtre, Alttoine Chevrier Le Seuil, 29 F. Le fondateur du P1'tUÙI

P. Teilhard de Chardin Je m'explique Textes choisis et ordonnés SCIENCES par J.P. Demoulin OCCULTES Le Seuil, 15 F.

SOCIOLOGIE

Amiral Le Potier Bizerte France-Empire, 18 F.

Général Bethouart La bataille pour l'Autriche Pro!SSes de la Cité, 15 F.

Les actes du Concile Editions du Cerf, 21,50 F. Tous les textes du Concile André Brissaud Pétai,t à Siegmaringen Vatican Il Perrin, 20 F. Entretiens Saul Friedliinder avec un musulman Editions du Cerf, 27 F. . Hitler et les Etats·Unis A Ankara, au XIV· siècle Le Seuil, 19,50 -F.

J.-H. Roy et J. Deviossc Octobre 733: La bataille de Poitiers Gallimard, 23 F. Martial Senisse Les carnet d'un fédéré 1871 recueillis et présentés par J .•A. Faucher Col. Action, 13,90 F. Major A.W. Sanson J'e..'pion1UJÙ les espions Presses de la Cité, 15 F. Albert Soboul Le procès de Lauis XVI Julliard, 5,82 F. Jean.François Steiner Treblinka Préface de Simone de Beauvoir Fayard, 16,50 F. Voir l'article de lean-René Chauvin, p. 23 Peter To,mpkins Le meurtre de l'amiral Darlan Traduit de l'américain par Jane Fillion Albin Michel, 18,50 F. Maurice Vaussard La conjuration du Grand Conseil fasciste contre !Ifussolini Del Duca, 12 F.

POLITIQUB QUESTIONS ACTUELLBS

Abdel·Malek Ant~logie de la littérature arabe contemporaine 2. Les essais Le Seuil, 29 F. Jacques Amault Du colanialisme au socialisme" Editions sociales, 18 F. ~hal'les

Fourniau Le Vietnam fal:e à la guerre Fditions sociallls, 11 F.


INFORMATIONS

Hermann Kahn De l'eacolade. Méraphoru et scénlJTÏo3 Traduit de l'anglais par Magdeleine paz Calmann.Lévy, 20,40 F. Michelot et Thoma'i Dimensions du nationaliame Armand Colin, 22 F.' Daniel Parker Robert Boniot La folie nucléaire Editions de l'Epi, 9,90 F. Maxime Rodinson I sblm et Capitalisme Le Seuil, 32 F. Albert Samuel Caslrime, Communisme Démocratie chrétienne en Amérique latine Chronique sociale de France, 13,50 F. Maurice Thorez Œuvres choisies, t. II Editions sociales, 15 F. De 1938 à 1950 Raymond Vernon Le dilemme du Me%ique Editions ouvrières, 16,80 F. Maurice Werther John Fitzgerald Kennedy Seghers, 7,10 F.

I:CONOMIE Henri Durand L'abonclance à crédit Le Seiill, 4,50 F. Jean Robert L'artisanat et le secleur des 'métiera Armand Colin, 5,70 F.

ART

Klaus Lanltheit Révolution et Rearauration Traduit de l'allemand Albin Michel, 48 F. Hélène Parmelin PicWlso. Secrets d'alcôve d'un atelier Cercle d'art, 3 vol., 4,50 F.

Marcel Guérin Caral6gue raiaonné de l'œuvre gravée, et lithographiea de Aristide Maillol Tous les livres. 80 F. Michel Janltowslti Décode%. Guide annuaire de la décoration et de l'agencement Editions des arts et manufactures, 37 F. Gabriel Janneau Dictionnaire des style. Larousse, 9,65 F.

Littérature contemporaine: L'image et la couleur T. 1: La couleur en Jean Giraudoux queation Ondine Etudes cinématographiques Livre de Poche Minard, 10 F. Georges Duhamel Barthélémy Amengual Cécile pormi noua G.W. Pabst Livre de Poche Seghers, 6,90 F. Philosophie et essais: Georges Charensol Le cinéma Jean Lacroix Larousse, 80,80 F. Kant et le kantisme Que sais- je ? Charles Ford MO% Linder Nostradamus Seghers, 7,10 F. Les Centuries Poche-Club

POLICIERS Agatha Christie Œuvres complètes, VII Les dü petita nègres, Témoin muet, Le chat et lea pigeons, La pension Vaniloa Librairie des Champs-Elysées

19 F.

La

Q~inzaine

J .-J. Rousseau Le contrai social G.F. Paul Valéry L'idée füe Idées Le 10er volume de cette collection Jean-Paul Sartre L'Imaginaire Idées

Fereydoun Hoveyda Histoire du roman policier avant-propos (1955) de Jean Lucien Goldman Cocteau Sciences humainu et Editions du Pavillon, 15 F. philoaophie Médiations Georges Simenon Le confessionnal Albert Memmi Presses de la Cité, 15 F. Portrait du colonisé Libertés

LIVRES CLUB

Sociologie : Adam Kardiner f ntroduction à l'ethnologie Idées Des origines de cette science nouvelle jusqu'à ses récents développements

Art: ffistoire de l'Art, T. 4. Marabout Du baroque à l'impressionnisme

Henri Dontenville

Fromentin Les maîtres d'autrefois Bibliothèque du merveilleux Livre de Poche

La France mythologique Tchou éditeur, 39 F.

Michelet Histoire de France Edition présentée et commentée par Cl. Mettra 3 vol. parus Editions Rencontre 10,20 F. pour les abonnés 13,55 F. pour les non-abon.

l'ORMATS DE POCHE Littérature clasaique:

Luzius Keller Piranèse et les romantiquea français ' !osé Corti, 30 F.

Charles Nodier Inft'rnalia Poche-Club Première réimpression depuis 1822

Sous la direction d'Albert Béguin: Claude Roger-Marx Li! romantism.e allemand Photiodès Bibliothèque des arts, 75 F. 10/18 Le' célèbre numéro des « cahiers du Sud» réédité, CINÉMA un panorama critique

Muaée d'Etat. L'ErmÎ.lGle Edit. 'de Moscou, 23,50 F. VOYAGES Peintures occidentalea du XIV" au XX" aiècle Marc Blancpain La Galerie Tretiakov Aujourd'hui l'AmériqlW Editions de Moscou, 33 F. latine Peintru ruaaes du XIV" Berger-Levrault, 22 F. au XX' aiècle Dominique Fernandez Raymond Boyer Lea événementa de Palerme Entretiens aur l'art Grasset, 15 F. abatrait Vie quotidienne et Tous les livres, 25 F. mal/ia en Sicile Will Grohmann Paul Klee Avant-propos de Henri Michaux Bibliothèque des Brta, 90 F.

Montesquieu Lettres peraanes Livre de Poche

Diderot fJe neveu de Rameau Livre de poche

littéraire, 15 avril 1966

Peter Swann La peinture chinoise Idées-Art

Muaique: Jean Gallois César Franck SoUèges

Métiers: Luc Benoist Le compagnonnage P.U.F. Un livre qui fait le point sur une question redevenue d'actualité

Nouvelles de l'étranger:

Les éditeurs préparent:

Il Y a une dizaine d'années, nous now gaussions des A méricains. Henry Miller n'avait pratiquement pas droit de cité dans son pays. Les Tropiques y étaient interdits et un éditeur qui atmit passé outre àvait déclenché une série de procès en chaîne dans une trentaine d'Etats. Aujourd'hui, les choses ont bien changé. Les' Tropiques ont été publiés aux Etats-Unis en livres de poche, c'est-à-dire à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Et on n'apprend pas sans stupéfaction que La Crucifixion en rose qui comprend Sexus, Plexus et Nexus - est prise en charge par un « club du mois» : le Hudson Book Club à New York. Sexus, rappelons-le, a été saisi en France, chez fimprimeur, le jour de sa sortie, y compris en édition expurgée. Il fa été de nouveau, assez récemment, sorts la forme d'un ouvrage de luxe ré. servé aux abonnés d'un club. En dépouillant la presse américaine, on a d'autres sujets d'étonnement. Dans deux périodiques littéraires, sur toute une page, s'étale cette annonce : « En paperback pour la première fois, à 1 dollar 75 (au lieu de 15 dollars que c04te f édition ordinaire) les œu-· vr:es « unexpurgated » du marquis de Sade: Justine, la Philosophie dans le boudoir, Eugénie de Franval et autres contes. » Passe pour Julitine et ce qui doit être Les crimes de l'amour. Nous pouvons les lire' en France aussi, et dans des éditions de poche. Mais la Philosophie dans le boudoir! Quel éditeur frarn;ais se risquerait à la publier? Jean.Jacques Pauvert a tenté f entreprise il y a quelques années. Il sait ce qu'elle lui a coûté. Plus fort encore. Dans New York review of Books, nous lisons cette annonce: « Harvard Books est heureux de présenter au 'grand public des lecteurs américains une édition limitée, illwtrée, du plus important classique européen de férotisme : les 120 Journées de Sodome, du marquis de Sade. » Les 120 Journées ! L'audace des Américains laisse rêveur. D'autant qu'une notice résume fouvrage toujours « maudit» ici du divin marquis, et promet au lecteur « f enchantement ». De façon fort avisée, féditeur de New York ne manque pas de clamer que les 120 Journées est enfermé dans « les archives criminelles de Paris» (?) et qu'un de ses confrères n'a pu s'en procurer un exemplaire qu'il était prêt à payer 1.000 dollars. En revanche, dans le pays de la liberté et de la tolérance, c'est de la France que nous parlons, on en est à interdire un film inspiré d'un ouvrage de Diderot...

Francis Jeanson va publier en mai, aux Editions du Seuil, un essai sur Simone de Beauvoir. Chez Gallimard, à la même époque, paraîtra un Simone de Beauvoir dans la Bibliothèque idéale. René de Obaldia, dont vient de paraître un Choix de textes chez Julliard, va bientôt voir .~on Théâtre publié par Grasset. Jean-Louis Curtis vient de signer le service de presse de « La quarantaine» (Julliard) où il montre ce que sont devenus certains des personnages des Jeunes hommes. Robert Laffont publie le deuxième tome de Vie d'un païen, de Jacques Perry, récent lauréat du Prix des Libraires. Michel Leiris réunit dans Bri· sées préfaces, présentations d'expositions et textes de circonstances. A paraître au Mercure de France. Jean-Jacques Pauvert annonce, du poète Jean Follain, un ouvrage sur fargot ecclésiastique, Fayard un Humour en soutane par f abbé Ducouret. Plon va publier f ouvrage de Valéri Tarsis, à qui vient cl'être retirée la nationalité soviétique : Salle 7. Les Editions de Minuit mettent en souscription un ouvrage de -Léon Trotsky : Le Mouvement communiste en France (1919-1939). Il est composé de textes choisis et présentés 1Jar Pierre Broué. Il aura 752 pages grand format. Les Editions du Seuil publieront en mai un nouvel ouvrage de Kateb Yacine: Le Polygone étoilé, L'Instruction, de Peter Weiss, un nouveau Calvino et un nouveau Cassola. Dans.la collection «Grarnles études contemporaines », prendront place chez Fayard Les dossiers secrets de t'occupation, par Jacques Delarue. Livres de cluhs Privilège, «édition de poche du bibliophile» que publie le Club Français du Livre, s'enrichit de trois titres : La nuit et le moment, de Crébillon fils (dont Samuel S. de Sacy entretiendra les lecteurs de La Quinzaine), La fille du capitaine, de Pouchkine, tra· duit 1Jar Louis Viardot, Les Maximes, de La Rochefoucauld, qu'a préfacées Roland Barthes. Ces volumes en pleine peau, de reliure souple, comportent dos et plats gravés à for fin. Leur prix varie entre 15,50 F et 16,50 F. 31


MIDI MINUIT par Jean Cayrol .. Une des créations romanesques les plus originales de notre temps" (P.H. Simon, LE MONÇE) - .. Nous retrouvons dans MIDI MINUIT les traits essentiels de Jean Cayrol, tout ce qui fait que ce poète occupe dans le roman d'aujourd'hui une place un' peu étrange et, ma foi, presque secrète" (Kléber Haedens, LE NOUVEAU CANDIDE) - .. Ce beau roman est un des plus simples, des plus, directs de M. Jean Cayrol, un des plus poignants" (Robert Kanters, LE FIGARO UTIERAIRE).

rOnlUfts.!)

Roman 224 p. 15 f - relié 21 f 25 ex. numérotés sur velin neige 30 f

poésie

SEUIL

DIDIER DECOIN Le procès' l'amour 15 f Une cérémonie Impitoyable où la jeunesse risque sa vie et sa raison à tenter de tout comprendre des choses de l'amour.

~

RELEVES D'APPRENTI

WLODZIEMIERZ ODOJEWSKI Le crépuscule d'un monde 15 f Un romancier polonais de renom International.

ROBERT MARTEAU Travaux sur la terre 12 f Légendaires ou familiers, ces poèmes tentent de retrouver le royaume de l'homme Qui se souvient du dieu,

coll. " tel quel ~ ~ ROLAND BARTHES Critique et vérité 4,50 f Roland Barthes répond' il ;, l'ancienne critique"

JEAN THIBAUDEAU Ouvert\lre 12 f L'un des jeunes romanciers les plus doués d'une génén!.tion Qui vient après le "nouveau roman ".

par Pierre Boulez Par son action théorique, créatrice, didactique, Pierre Boulez s'est affirmé très vite comme le plus grand musicien et penseur de la musique d'aujourd'hui. /1 s'appliqua à la critique, une critique poussée parfois jusqu'à la polémique. Qu'il s'agisse de Debussy, de Stravinsky, de Schonberg, de Berg" de Webern, de l'espace de la création musicale contemporaine, ce livre révèle donc comme un témoin historique fondamental.

Textes réunis et présentés par Paule Thevenin 1 vol. 388 p. avec 75 exemples musicaux, 35 f

SEUIL

écrire MICHEL BRAUDEAU L'amazone 3 f Une maison-piège, un amour fou, et un homme dans la perfection de ses rêves.

ALAIN GARRIC Les grand.s malines 3 f Parler d'amour, c'est s'Interroger. On ment comme on aime.

BRUNO MESURET Les chambres 3 f Du fantastique découvre.

comme seule

la

poésie

en

l~intégrale BALZAC La com6die humaine Tome 3 : Scènes de la vie de province (2) 16 f Tome 4: Scènes de la vie parisienne (1) 161

essais

le problèlDe lDoral et la pensée de SARTRE, suiri de un quidalD nOlDlDé Sartre par Francis Jeanson En 1947 Francis Jeanson publiait avec ce livre une des premières grandes études sur Sartre. En ajoutant aujourd'hui à cette réédition une étude nouvelle qui ,passe en revue tout ce que Sartre a écrit depuIs 20 ans, Jeanson peut conclure que son interprétation était la bonne et que Sartre a bien été tel qu'il l'avait deviné.

Préface de Jean-Paul Sartre 1 volume 352 pages, 19,50 f

SIl'IUIL .n

GEORGES SUFFERT D. Defferre' Mltter· rand, la campagne présidentielle 9,50 1 En attendant le troisième tour...

LE MONDE DU SORCIER Coll... Sources orientales" 24 1 La sorcellerie, ses procédés, ses buts, ses rapports avec la religion,

science ou'Verte JACQUES COSNIER Les névroses expchlmentales 12 1 De la p,sychologle animale à la pathologie humaine.

ANDRÉ REGNIER Les Infortunes de la raison 9,50 f La nature n'a pas de lois, "expérience ne prouve rien, le raisonnement finit toujours par nous fourvoyer...

JE M'EXPLIQUE par Pierre ,Teilhard de Chardin Pour la première fois, Teilhard expose et résume lui-même l'ensemble de sa pensée (Phénoménologie, Apologétique, Morale et Mystique). En fin d&-veltfme, quelques pages-aurobiographiques sont suivies d'un index et d'une table de références 'qui .permettent, à partir de cette anthologie synthétique, d'aborder l'étude systématique de la pensée de Teilhard de Chardin.

Textes rél,mis et présentés par J.-P. Demoulin 1 volume 256 pages, 15 f

SEUIL

religion JEAN.FRANÇOIS SIX Un Prêtre, Antoine Chevrier, fondateur du Prado 29 1 Un prêtre lyonnais parmi les ouvriers, au 19" s,

li'Vre de vie P. TEILHARD DE CHARDIN Hymne de l'Univers 3,40 1 La Messe sur le Monde, Les trois histoires comme Benson, la Puissance spirituelle de la Matière, Pensées choisies.

RÉCITS D'UN PÉLERIN RUSSE, trad. de Jean Laloy 3,40 1 L'un des plus beaux textes spirituels de l'orthodoxie russe,

U'licrocosU'le

comment se pose aujourd'hui le probIèlDe de

L'EXISTEN(JE DE D,lEU par Claude Tresmontant Le problème de l'existence de Dieu a été traité philosophiquement au Moyen Age par les grands théologiens, puis au XVIII· siècle par les grands philosophes. Mais le m.onde a changé et notre connaissance de l'Univers, s'est totalement renouvelée. Comment alors cette connaissance scientifique de l'Univers permet-e/le aujourd'hui de poser-et de traiter le problème?

1 volume 416 pages, 21 f CÉSAR FRANCK par Jean Gallois 4,90 f VERLAINE par Jacques-Henry Bornecque 4,90 f

SEUIL


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