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SOMMAIRE
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LB LIVRB DB LA qUINZAINII:
Hermàn Kant Günter Kunert
L'am phithéâtre Au nom des chapeaux
par Claude Bonnefoy
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LETTRE D'ALLBMAGNE
Peter Bichsel
Kinoogeschichten
par Luc Weibel
li
DOCUMENT
François Caradec
Du nouveau sur Lautréamont
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INEDIT
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POBSIII:
Benjamin Péret
Œuvres CDmplètes. Tome 1 De derrière les fagots
par Serge Fauchereau
LITT~RATURB ~TRANG~RB
Borges par lui-même Evaristo Carriego Chroniques de Bustos Domecq
par Gilles Lapouge
10
E. R. Monegal Jorge Luis Borges Jorge Luis Borges A Bioy Casares
11
ENTRETIEN SECRET
toi
ROMANS .. RANCAIS
t5
ARTS
18
EXPOSITIONS
t8
PHILOSOPHIE
20
POLITIQUE
24
PSYCHOLOGIE
16
FEUILLETON
28
THBATRE
Bertrand Russell : Ma vie
Propos recueillis par Pierre Bourlleade Brigitte Axel Olivier Perrelet Gabriel Deblander
Le retour des chasseurs
par Gilles Lapouge par Marie-Claude de Brunhofl' Dar M.-C. de B.
Jeux des nuages et de la pluie
par Jean Selz
L'art flamand Exposition Saenredam Les bolides au musée
par Guy C. Buysse par Marcel Billot par Jean-François Jaeger
François Châtelet
La philosophie des professeurs
par Jeannette Colombel par Jean-Jacques Marie
Dieter Wolf
Samizdat 1, la voix de l'opposition communiste en U.R.S.S. Doriot
par Maurice Chavardès
Roland Barthes
S/Z
par Philippe Sollers
La révolution sexuelle La fonction de l'orgasme La tlie et l'œuvre du Docteur Wilhelm Reich
par Roger Dadoun
W
par GeOrges Perec
Le Précepteur
par Gilles Sandier
_Wilhern; Reich Wilhelm Reich Michel Cattier
Lenz
Françou Erval, Maurice Nadeau.
ConaeiUer : Joseph Breitbach. Comité de-rédaction: . Georges Balandier, Bemard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski.
La Quinzaine litteraire
Secrétariat de la rédaction : Anne Sarraute. Courrier littéraire : Adelaide Blasquez. Rédaction, administration : '3, rue duTemple, Paris-4t·. Téléphone: 887-48-58.
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H Le dieu mouvant
Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris· 7". Téléphone : 222-94-03. Publicité générale : au Journal. Prix du n° au CantUÙJ : 75 cent•. Abonnements: Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Six mois : 34 F, douze numéros. Etudiants : réduction de 20 %. Etranger: Un an : 70 F. Six mois : 40 F. Pour tout changement d'adresse envoyer 3 timbres à 0,30 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15.551.53. Directeur de la publication François Emanuel. Imprimem : Graphiques Gambo. Printed in France
Crédits photographique. p.
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Lüfti Ozkok.
p.
7
Marc Riboud, Magnum.
p.
9
Eric Losfeld.
p. 15
Bibliothèque des Arts.
p. 16
Central Museum Utrecht.
p. 18
Michel Nahmias.
p. 23
Vasco.
p. 25
Siko.
p. 28
Bernand
LIVBJ:8 DB LA
Allemands de l'Est QUINZAINE
Apparemment, si l'on s'en tient à leur biographie, Hetmann Kant et Günter Kunert ont plus d'un point commun. Ils sont tous les deux citoyens de la République Démocratique Allemande. Ils ont publié leur premier roman la même année, en 1967 - et ce sont ces dernières œuvres que découvre aujourd'hui le public français. Enfin, ils appartiennent à la même génération, celle qui fut privée d'adolescence et passa brutalement des culottes courtes aux tenues de combat.
Herman Kant L'amphithéâtre Trad. de l'allemand par Anne Gaudu Coll. « Du monde entier » Gallimard éd., 353 p. Günter Kunert Au nom des chapeaux Trad. de l'allemand par Rémi Laureillard Coll. « Du monde entier » Gallimard éd., 288 p. A dix-sept ans Kant connut le Iront de l'Est et à dix-huit la retraite et la captivité. Kunert, à quinze ans, vécut la bataille et l'effondrement de Berlin. Si ces faits n'étaient pas évoqués, transposés dans leurs livres, ceux-ci par leur composition comme par leur écriture sembleraient n'appartenir ni au même monde ni au même temps. Par contraste avec le mouvement épique et onirique d'Au nom des chapeaux (publié à l'Ouest, non en R.D.A.), Amphithéâtre paraît être un récit classique et réaliste. Mais prenons garde aux nuances. Certes, d'un texte à l'autre, la différence est grande et l'on change radicalement d'univers littéraire.. Toutefois, il serait faux de dire de leurs auteurs respectifs que, si l'un regarde résolument vers les recherches les plus modernes, l'autre est encore pris aux rets du jdanovisme. Kant et Kunert, c'est évident, ne chantent pas la même chan~n. Tous deux cependant témoignent d'un renouveau de la pratique et de l'invention romanesque en Allemagne de l'Est.
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Tous deux ont le souci de l'écriture, le désir de rompre avec une tradition figée. Seulement l'un, qui bouscule les règles et ne craint pas' le délire, doit jeter son livre par-dessus la frontière, l'autre que les grands prix couronnent montre jusqu'où il est permis d'aller.
L'Amphithéâtre, d' H e r man n Kant, s'insère parfaitement dans la réalité politique et sociale de la R.D.A. Kant est communiste. Kant considère, sinon avec effroi, du moins avec une surprise peinée, ceux de ses camarades d'études qui ont choisi de pa~ser à l'Ouést. Son héros, Robert Iswall, qui lui ressemble comme un frère, se sent mal à l'aise lors d'une visite à Hambourg, étranger dans sa ville natale. Bref, il n'est pas question pour lui, un seul instant, de remettre en cause les acquisitions du socialisme. Au reste, si cet ancien apprenti électricien a pu devenir après la guerre professeur, puis journaliste, enfin écrivain, c'est au socialisme qu'il le doit, qui lui permit de s'inscrire à la Faculté ouvrière et . paysanne (A.B.F.) dès son ouverture en 1949. Cette faculté est au centre du livre. L'amphithéâtre, c'est l'aula construite et décorée par l'architecte baroque Andreas Mayer, où, en 1949, des garçons et des filles de 18 à 25 ans, charpentiers, fer· blantiers, ajusteurs, forestiers, agriculteurs, couturières, vendeu· ses, ont été reçus par le savant recteur qui leur ouvrait les portes de la cultur.e, où quinze ans après, pour la cérémonie de clôture de l'A.B.F., Robert Iswal, un de ses anciens élèves devenu journaliste, doit prononcer un discours. Tout le roman n'est autre que la réflexion de Robert Iawall sur le sens de son expérience, !lur le contenu qu'il doit donner à son discours. Là apparaît tout le talent d'Hermann Kant. II refuse de faire l'histoire conventionnelle de l'A.B.F., de transformer son récit en démonstration. Iswall, son héros, est, d'une certaine manière, dans une situation privilégiée. Il n'est pas professeur. II n'occupe pas de poste officiel. Son rôle, puisqu'on lui demande de prendre la parole, ne peut pas être d'apporter un bouquet supplémentaire de fleurs de rhétoriques à l'office funèbre de cette faculté morte - ou plutôt devenue inu·
La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 marli 1970
tue par suite des progrès de la scolarisation mais de dire quels furents la vie et l'enthousiasme des premières années. Il entend donc moins parler de l'institution que des hommes qu'elle forma, ce qu'ils étaient, ce qu'ils firent, ce qu'ils sont devenus. Aussi bien lui faut.il commencer par s'interroger sur ce qu'il était et sur ce qu'il est devenu. Tout le mouvement, tout l'intérêt du livre naissent de ces décalages dans le temps, de la perpétuelle confrontiltion entre un passé plein de contradictions, mais aussi d'espoir et un présent où toutes les contradictions n'ont pas été surmontées, où les camarades qui sont c arrivés ~ ont souvent oublié d'où ils étaient partis.
section que celui-ci n'était pas parti pour une sortie héroïque, mais pour se fondre dans la nature. Attitude raisonnable qu'il s'est empressé d'imiter. Ce don, qui donne au roman la dimension d'un grand jeu tragique, Günter Kunert se garde bien de nous le révéler d'entrée de jeu. La passion d'Henry pour les couvre-chefs ne prend sens que progressivement, et aussi sa crainte et ses tentations devant la casquette crasseuse, abandonnée par les policiers, d'un personnage inconnu qu'il a découvert, assassiné, près d'une pissotière, durant les premiers jours de l'occupa. tion. Tout le récit part de cette dé· couverte, plus importante pour Ce qui apparaît au terme de ce Henry (à qui la casquette révèle livre souvent vif et juste malgré que le mort était son père et que quelques longueurs et naïvetés ce père était juif) que tous les drames des semaines précédentes. (voulues? peut-être), c'est l'impossibilité d'écrire un discours vrai Plus précisément, cette décousur l'A.B.F., de rendre compte verte, à l'instar de la révélation object.ivement d'une réalité com- de ses dons, éclaire Henry sur le plexe. Seules, finalement, les rêve- sens de tout ce qu'il a vécu, le rend libre et étranger dans une :i-Ïes d'Iswall y parviennent. ville en proie au chaos, à la miAvec Günter Kunert, la rêverie . sère et à la honte. Henry peut se fait délire. Il est vrai que le désor.mais enquêter lIur la mort narrateur d'Au nom des chapeaux de son père. Henry peut connaîn'est pas sorti du cauchemar. Ou tre d'étranges amours, participer plutôt il n'en sort qu'à la fin pour au mouvement « hoministe » et le entrer, comme à regret, dans la faire échouer. II sait que les despeau d'un petit bourgeois bon tins sont embrouillés. Il sait aussi père, bon époux, et sans doute les lire et se jouer du sien. Tous fonctionnaire bien noté sur le en effet sont à sa portée jusqu'au compte duquel il n'y aura jamais jour où les chapeaux commenceront à ne plus lui parler. rien d'intéressant à dire. Aussi bien, Günter Kunert, Pour Henry, rentrer dans le même s'il maîtrise toujours son rang ne peut être que la dérécit et sait établir de secrètes chéance, tant son génie s'accorde concprdances entre les épisodes, au cataclysme et au cha·os. C'est ne nous conte-t-il pas une hisquelque chose comme le retour toire, mais mille : celle singulièdu poète chez la mère Rimbe rement désordonnée d'Henry et après la fugue exaltante dans le celles des chapeaux qu'il essaye, Paris de la Commune. Les ailes qui le guident et le font sauter sont coupées. La voyance est mise d'une aventure dans l'autre. en cage. Car la fabuleuse singuMieux, il pratique là un extraorlarité d'Henry est d'être voyant. dinaire et détonant mélange des Non au sens poétique, plutôt à genres. Le tragique s'allie à la drôcelui des diseuses de bonne aven· lerie et il apparaÎt que quand le ture. Seulement il ne dit pas pire n'est pas sûr, le comique n'est l'avenir, il lit, il vit le passé des pas loin. autres rien qu'en se coiffant de A travers les mésaventures coleurs chapeaux, képis, calots, bonnets, bibis ou voilettes. Quant casses ou prodigieuses d'Henry, à la révélation de ce don, il l'a Günter Kunert ne fait pas seuleeue pendant la bataille de Berlin, ment signe à Jarry, Kafka et Que. peu après la mort de sa mère sous neau, il nous donne la peinture un bombardement, quand, mili- la plus saisissante du Berlin, antaire de quinze ans peu doué née zéro, et peut-être aussi, la pour le sacrifice, il a compris plus vraie. grâce au casque de son chef de Claude Bonnefoy
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INFORMATIONS
La Terre est'ronde D'ALL&IIAGIf. voyage, notre homme s'en ira tout seul, à quatre-vingts ans, son échel· le sur l'épaule. Dans cette nouvelle, les objets refusent de se plier à l'injonction des mots. Dans celle qui s'intitule Il Une table est une table », le héros prend son parti de cet échec. Si son projet (Il que tout change») se heurte à l'inertie du mobilier de sa chambre, il prendra sa revanche en débaptisant les objets usuels qui l'entourent. SQn lit s'appellera tableau, et le tableau, lit. Bischel nous livre des tables de traduction, et offre des exemples de la nouvelle langue ainsi formée. Ce principe de substitution ouvre l'espace d'une liberté de la fiction qui trouve peut-être son illustration dans le texte qui porte pour titre : « Jodok vous ~lue ».
Pem Bic1uel. '
Peter Bichsel Kindergeschichten , Luchterhand éd., Neuwied, Allemagne
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On se ~:::l,y!l)nt qu'en 1964, par la publication .du Laitier (dont la traduction française a paru chez Gallimard), l'écrivain suisse Peter Bichsel avait reçu l'accueil le plus favorable de la critique et du public d'expression allemande. Son dernier livre: Kindergeschichten (histoires pour enfants) connaît également le plus grand succès, et manifeste à nouveau la maîtrise de l'auteur dans le genre de la nouvelle brève, où il avait fait ses premières armes. C'est en effet cinq « histoires » que nous raconte Bichsel, et si les enfants trouveront plaisir à les lire, c~ n'est pas seulement qu'elles sont écrites avec leurs IQots : c'est aussi et sur· tout qu'elles communiquent profon. dément avec des thèmes et des obsessions que l'âge adulte refoule mais qu'il ne saurait oublier. En d'autres termes, elles ne sont pas l'œuvre d'un auteur rassis qùi se pencherait généreusement sur le monde enfantin, mais le prolongement direct de questions et de rêves que l'éducation - et par làmême la' Société ne sauraient récupérer. Certes, les héros de Bichsel ne sont en rien des révoltés. L'un passe son temps à apprendre par cœur l'indicateur des chemins de fer, l'autre veut s'assurer par lui-même que la terre est ronde; l'un se défi·
nit « inventeur », l'autre s'enferme pour faire le vide dans son esprit et oublier tout ce qu'il sait : tous sont de vieux originaux, tels qu'il en existait dans les bourgeoisies puritaines, de ces maniaques marginaux, de ces inadaptés auxquels leS enfants ont toujours voué' une profonde sympathie. Etrangers à la société, ils sont à leur aise au contact des objets (le bricolage) et des mots : loin de remettre en question ouvertement les pratiques et le savoir social, ils en adoptent les axiomes, pour les pousser, il est vrai, à l'absurde. .A.insi la méthode expérimentale commande de mettre à l'épreuve toute espèce d'énoncé, comme par exemple : la terre est ronde: Il s'agira donc de faire, en ligne droi· te, le tour du monde, sans s'écar· ter ni à droite ni à gauche. Très positivement, très patiemment, Bichsel énumère les Qbstacles qui s'opposent à ce projet, à commen· cer par la maison du voisin qu'il faudra escalader, le fleuve qu'il fau· dra traverser, etc. Echelle, bateau, chariot pour transporter le bateau, bateau pour transporter le chariot (quand on arrivera à la mer) : l'énu· mération procède ici par progression logique, par emboîtement, imitant les poupées russes ou les tables gigognes. Le calcul, toutefois, échoue. Pour conduire tant de chariots et de navires il faudra beaucoup de main-d'œuvre, et la main-d'œuvre, par le temps qui court, est chère, et difficile à trouver. Après avoir consumé sa vie à préparer son
Un vieil homme y parle sans cesse à son petit.fils d'un « oncle Jodok» que personne n'a jamais vu, et auquel il attribue toute espèce d'actions et d'opinions. Cette présence d'abord reléguée dans le passé se rapproche: Jodok est censé adresser au vieillard des messages téléphoniques. Il annonce sa visite. Parallèlem~nt, il ~d~"'yient le sujet (grammatical) de toutes les phrases prononcées par le héros, il substitue à tous les noms communs (il neige ce matin se traduira par : il jodoque ce jodok) et illustre à sa manière le principe saussurien selon lequel, s'il n'y avait qu'un mot dans sa langue, il servirait à tout désigner. Bien entendu, rien de tout cela n'est vrai. En réalité, le grand-père n'a parlé de Jodok qu'une seule fois dans sa vie, sa femme l'a dure· ment rabroué, et il s'est excusé timi· dement, Cette impossibilité de parler rappelle certes le Laitier. On me permettra de la rapprocher du pas· sage de l'Idiot où Dostoïevski, ra· contant le 'séjour du prince Mychkine en Suisse, décrit les malheurs d'une jeune fille nommée Marie: (1 Elle était terriblement silencieuse. Une fois, jadis. elle s'était tout à coup mise à chanter en travaillant et je me souviens que tout le monde en fut surpris et se moqua d'elle ». Le silence de Marie, comme le silence du grand-père, manifeste un interdit porté sur l'expression. L'usage de la langue est codifié, et l'on sait ,avec quelle méfiance on regarde les enfants qui « fabulent ». Chez Bichsel, la parole reprend ses droits, et Il Jodok » est peut-être le signe de cette joie retrouvée. Luc Weibel
A paraître On annonce chez Gallimard pour la fin de ce trimestre la sortie du roman Trois tristes tigres du Cubain G. Cabrera Infante. traduit p,ar Albert Bensoussan. C'est la première fols Qu'est proposée une traduction de cette œuvre difficile Qui. publiée d'abord à Barcelone par les éditions Seix-Barrai (au prix de certaines coupures dues au ciseau hcingreur de la censure espagnole. et Qui ne figurent heureuse· ment pas dans l'édition française) reçut en 1964 le prix Blblloteca Breve, et concourut l'année suivante au prix Formentor. G. Cabrera Infante avait donné déjà un Intéressant recueil de nouvelles Dans la paix comme dans ta guerre, publié en 1962 chez Gallimard.
Chez Fayard, sous le titre de l'U,R.S.s. survlvr.t-elle en 1984 7, un document qui ne manquera pas de retenir l'attention et Qui, en tout état de cause. risque de coOter gros à son auteur. Celui-cI. Jeune' historien soviétique exclu de l'Université de Moscou à la suite d'une thèse sur les origines du peuple russe qui n'avait pas emporté l'adhésion des autorités, condamné à deux ans et demi de déportation un peu plus tard à cause de deux pièces de théâtre non moins contestataires écrites après cette exclusion, a choisi, malgré la précarité de sa situation actuelle, de signer de son vrai nom, Andreï Alexelevltch Almarlk ce court texte, parvenu sous le manteau et où se trouve analysé avec une lucidité Impitoyable l'évolution de la société soviétique vers un avenir qui, d'après l'auteur, compte tenu des relations de son pays avec la Chine, se présente sous des auspices Quelque peu apocalyptiques.
Albin Michel Chez Albin Michel où, dans la collection • Lettre Ouverte ", Robert Soupault étudie la crise actuelle de la médecine. contestée dans ses méthodes, dans son rôle social et dans son mode d'existence par le public, dans un pamphlet Qu'II Intitule Lettre ouverte à un malade en colère, on fait beaucoup de cas d'un ouvrage dO au rédacteur en chef du • New York Times ", Har· rison E. Salisbury, et où celui-cI, Qui a longtemps vécu en U.R.S.S.. s'est efforcé de reconstituer, en s'appuyant sur force documents, Inédits, le siège de Stalingrad : les Neuf cents lours.
Minuit AU)Ç Editions de Minuit. dans la collection • Le Sens Commun". P. Bourdieu et J.-C. Passeron (voir les n" 12 et 59 de la Quinzaine) présentent, sous le titre d'Eléments d'une th60rle du système d'enseignement, un ouvrage Qui fait suite aux Héritiers.
DoeUMBNT
Du nouveau sur LautréaDlont Il existait dans la vie d'Isidore Ducasse, futur cômte de Lautréamont, une lacune de trois années: de sa sortie du lycée impérial de Pau, en août 1865, à la publication du premier des Chants de Maldoror, en août 1868. Qu'avait-il fait pendant cette période? Où avait-il d'ailleurs passé ces trois années? A Bazet, dans la famille de son oncle? A Montevideo, comme on .le pensait, grâce à des allusions de la strophe du « Vieil Océan. et au témoignage incertain de Prudencio Montagne? _ Les dernières éditions des Chants de Maldoror n'apportaient aucune précision. Maurice Saillet penchait- pour l'hypothèse du retour à Montevideo (Le Livre de Poche, 1963) ; Hubert Juin y croyait fermement (Editions de la Renaissance, 1967).; Marguerite Bonnet laissait subsister cette lacune dans sa chronologie, faute de preuves (Garnier-Flammarion, 1969). Les pièces d'archives permettent de répondre, à Tarbes et à Bordeaux. Isidore Ducase n'a pas gagné immédiatement Montevideo à sa sortie du lycée de Pau. Il a séjourné deux ans à Tarbes même. Il
, . , . FEVRIER 1970 ,
BIBLlO!BlQUB SGllnmQUB
YUBI RBI CHAO
langage et s,stèmes s,mboUques
w. ORIIR BT P. COBBS la rage des DOlrs amérlcalDs
10,701
18,801
.JBAI-HIPPOLYTEIlICHOI s,stème de graphologie méthode pratique de graphologie
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18,40'
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Dr ALrRBD ADLER
le tempérameDt Derveu (P.B.P. Ko 1&1)
7,20 ,
IARL .JASPBRS
essals philosophiques
(P.B.P.Ko 1&2) 5,80 , h'était pas étudiant, mais tout simplement « sans profession -. Le 21 mai 1867, Isidore Lucien Ducasse obtient son passeport à la préfecture de Tarbes sous le n° 66. Le 25 mai, il fait viser son passeport à Bordeaux sous le n° 315; il embarque- sur le « Harrick qui n'est pas un navire régulier des Messageries impériales (P.B.P. Bo 1&1) 4,35 , (Archives départementales de la Gironde, -Visas des passeports français â l'étranger, 1866-1868. Cote provisoire 4 M 758). Le voyage doit durer un mois au moins. Il n'a pas e~ncore été possible de retrouver trace de son arrivée à Montevideo, de son nouvel embarquement et de son retour définitif à Bordeaux. (P.B.P. Ko 1&4) 7,20 , Mais n~us savons maintenant que ce voyage de retour au pays natal, dans la maison maintenant détruit'e de -la calle Camacua,a Clatalogue gratuit sur simple demande l la librairie PaJot été relativement court: trois ou quatre mC)is, si la date de 1867 Se~ce Q.L. 106, boulevard Saint-Germain - Paris VI'. que fixe Léon Genonceaux pour son arrivée à Paris est exacte (et Léon G~nonceaux ne semble pas avoir de raison de se tromper) : un an tout au plus, puisque le chant premier parait en août 1868. Mais que faisait donc Isidore Ducasse à Tarbes, de 19 à 21 ans? Et qu'a-t-i1 été faire à Montevideo ?A la première question, la réponse la plus plaUsible semble être: il travaillait, il lisait' et • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •111 passait le plus Clair, de son temps én compagnie de ses amis Henri Mue et Georges Dazet. Ala deuxième, il avait été convaincre son père, manuscrits en main, de son talent d'écrivain, et lui faire part "",raire de son intention d'èmbrasser la carrière d'homme de lettres. François Dl,Icasse, chancelier au Consulat de France de Montevideo semble avoir répondu favorablement aux demandes de son fils: il rui consentit une pension confortable (Isidore Ducasse n'a vécu à Paris qu'en «appartements meublés -) et les sommes nécessaires à l'édition de ses œuvres à compte d'auteur.
HBLBIB DBUTSCH
·problèmes de l'idolesceDce
P.H.CHOMBART DE LAUWB des hommes et des viDes
La- Quinzaine
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François Caradec A paraître le 20 mars, aux Editions de la Table Ronde: François Caradec : Lautréamont. Biographie accompagnée de la reproduction de la totalité des pièces d'état civil concernant Isidore Ducasse et ses parents. La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 mars 1970
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.Bertrand Russell •• Bertrand Russell vient de mourir,' au terme d'une vie longue et d'une carrière glorieuse (mathématicien et philosophe, il a eu le Prix Nobel de Iittér.ature en 1950). C'est pourtant, grâce à ses prises de position morales et. politiques qu'il a connu la célébrité des grands non-conformistes. Il a lui-même racont~ les prin-
cipaux épisodes de sa vie dans Autobiographie, dont deux tomes ont été publiés en français par les Editions Stock. Un troisième tome (et dernier) va incessamment paraître. Nous en avons extrait ce passage où Bertrand Russell jette un coup d'œil rétrospectif sur son existence et le sens qu'il a voulu lui donner.
Ce livre doit être publié alors que les grands problèmes qui divisent aujourd'hui le monde seront encore irrésolus. Pour le moment et pour quelque temps encore, ce monde où nous vivons doit être celui du doute. Il devra encore osciller entre l'espérance et la peur. . Il est vraisemblable que je mourrai avant qu'une décision n'intervienne. Je ne sais pas si mes derniers mots devront être C'en est fait du Jour lumineux, Nous voici voués à la nuit,. ou -
co".me je me permets parfois d'en rêver -
:
C'est le retour du bel âge du monde, Nous revoici dans l'âge d'or... Le ciel sourit, les fois et les empires luisent comme les épaves d'un songe évanescent. J'ai fait ce que je pouvais pour ajouter mon faible poids dans la balance et la faire pencher du côté de l'espoir,' mais ce n'a été qu'un effort contre des forces considérables. Puissent d'autres générations' réussir là où la mienne a échoué.
La partie sérieuse de ma vie depuis mon enfance a été consacrée à deux fins différentes qui, pendant longtemps, sont restées séparées et qui ne se sont rejointes que· dans ces dernières années pour former un tout. J'ai voulu, d'une part, découvrir si l'on pouvait réellement connaître quoi que ce fût; et, d'autre part, j'ai voulu faire tout ce qui était possible afin de rendre le monde plus heureux. Jusqu'à l'âge de trente-huit ans j'ai donné le plus clair de mes forces à la première de ces tâches. J'étais perturbé par le scepticisme et porté malgré moi à la conclusion que la plus grande partie de ce qui passe pour connaissance est sujet au doute rationnel. J'avals besoin de certitude de la même mani.ère que d'autres ont besoin de foi. Je pensais qu'il était plus vraisemblable de trouver la certitude dans les mathématiques. Mais je m'avisai que beaucoup de démonstrations mathématiques, que mes maîtres voulaient me faire admettre, étaient pleines de faussetés et que, si réellement la vérité pouvait être découverte en ce domaine, cela devait être dans une nouvelle espèce de mathématiques, avec des fonments plus solides que ceux que l'on avait jusqu'alors tenus pour certains. Mais à mesure que mon travail avançait, il me rappelait constam· ment la fable de l'éléphant et de la tortue. Ayant construit un élé· phant sur lequel pouvait reposer le monde mathématique, je me rendais compte que cet éléphant chancelait et j'entreprenais de construire une tortue pour empêcher l'éléphant de tomber. Mais la tortue ne tenait pas mieux que l'éléphant et, après quelque vingt ans de travail acharné, j'en venais à la conclusion que personnellement
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je ne pouvais plus rien faire pour établir la science mathématique sur des bases irréfutables. Alors survint la Première Guerre mondiale, et mes pensées se trouvèrent concentrées sur la folie et la misère humaines. Ni la misère ni la folie ne me semblent appartenir à "homme comme son lot inévitable. Et j'ai la conviction que l'intelligence, ta patience et l'éloquence peuvent, tôt ou tard, soustraire le genre humain aux tortures qu'il s'impose à lui-même pourvu qu'il ne s'extermine pas entre-temps. Sur la base de cette foi, j'ai toujours eu un certain degré d'optimisme, bien que, tandis que je prenais de l'âge, l'optimisme se fît plus modéré et l'heureux dénouement plus lointain. Je n'en reste pas moins complètement incapable de donner raison à ceux qui admettent l'idée fataliste que l'homme est né pour souffrir. Les causes de malheur daM le passé et dans le présent ne sont pas difficiles à préciser. Elles ont été la pauvreté, la peste et la famine, lesquelles étaient dues à l'insuffisante domination de la nature par l'homme. Il y a eu des guerres, des oppressions et des tortures qui résultaient de l'hostilité des hommes contre leurs semblables. Et puis, il y a eu des infortunes morbides engendrées par de sombres croyances, plongeant les hommes dans de profondes discordes internes qui rendaient vaine toute prospérité extérieure. Rien de tout cela n'est nécessaire. En regard de tous ces maux on connaît les moyens par lesquels ils pourraient être éliminés. Dans le monde moderne si les communautés sont malheureuses, c'est souvent parce qu'elles ont des ignorances, des coutumes, des croyances et des passions qui leur sont plus chères que le bonheur ou que la vie même. Dans notre âge dangereux je vois beaucoup d'hommes qui semblent adorer la misère et la mort, et qui s'irritent quand on leur suggère des ral-. sons d'espérer. Ils pensent que Fespoir est irrationnel et qu'en cédant à un désespoir paresseux ils ne font qu'observer les faits. Mais la préservation. de l'espoir dans notre monde exige la mobilisation de notre intelligence et de notre énergie. Chez ceux qui désespèrent il est fréquent que ce soit l'énergie qui manque. La seconde moitié de ma vie a été vécue dans une de ces douloureuses époques de l'histoire humaine où la situation du monde se détériore, tandis que les victoires passées qui avaient semblé définitives se révèlent avoir été seulement temporaires. Quand j'étais jeune, l'optimisme victOrien allait de soi. On pensait que la liberté et la prospérité se répandraient graduellement dans le monde entier par un'e évolution régulière, et l'on comptait que la cruauté, la tyrannie et l'injustice iraient constamment en diminuant. Rares étaient ceux qu'obsédait la crainte de guerres majeures. Rares étaient ceux qui regardaient le dix-neuvième siècle comme un bref intermède entre la barbarie du passé et celle de l'avenir. , .~ -ri; da'ls cette atmosphère, l'ajustement au monde d'aujourd'hui s'est avéré malaisé. Malaisé non seulement affectivement mais intellectuellement. Des idéelS que l'on avait jugées adéquates se sont révélées inadéquates. Dans quelques domaines il est apparu difficile de préserver des libertés précieuses. Dans d'autres domaines. spécialement en ce qui concerne les rapports entre les nations, des libertés autrefois estimées sont apparues comme de puissantes sources de catastrophes. De nouvelles pensées, de nouveaux espoirs, de nouvelles libertés et de nouvelles restrictions à la liberté sont nécessaires si le monde doit enfin sortir de son périlleux état actuel. Je ne prétends pas que ce que j'ai fait en ce qui concerne les problèmes sociaux et politiques ait été de grande importance. Il est relativement aisé d'exercer un immense effet à partir d'un évangile dogmatique et précis comme celui du communisme. Mais, pour ma part. je ne peux pas croire que ce dont l'humanité a besoin soit ni précis ni dogmatique. Je ne peux croire davantage avec une entière conviction en aucune doctrine partielle qui ne s'Intéresse qu'à une fraction, à un aspect de la vie humaine. Il y a des gens qui tiennent que tout dépend des Institutions et que de bonnes institutions amèneront immanquablement l'âge d'or. Et, d'un autre côté, il y a ceux qui croient que ce dont on a besoin c'est de changer d'âme et que, comparées à cela, les Institutions
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n'ont guère d'importance. Je ne puis accepter ni l'une ni l'autre de ces vues. les institutions modèlent le caractère et le caractère modifie les institutions. les deux sortes de réforme doivent aller de pair. Et si les individus doivent conserver ce degré d'initiative et de flexibilité qu'ils devraient avoir, ils ne doivent pas être coulés de force dans un seul moule rigide; ou, pour user d'une autre métaphore, mis tous au pas dans une seule armée. La diversité est essentielle en dépit du fait qu'elle exclut l'obédience de tous à un seul credo. Mais il est difficile de prêcher une telle doctrine particulièrement en des temps ardus. Et peut-être ne peut-elle devenir efficace jusqu'à ce qu'une tragique expérience vienne nous donner des leçons amères .
.Dans quelle mesure ai-je réussi? Mon travail approche de la fin et le temps est venu où je peux en prendre une vue d'ensemble. Dans quelle mesure ai-je réussi et dans quelle mesure échoué? Depuis mon jeune âge il m'a semblé que j'étais destiné à des tâches grandes et difficiles. Il y a presque trois quarts de siècle, marchant seul dans le Tiergarten à travers la neige qui fondait sous le soleil de mars froidement lumineux, je décidai d'écrire deux séries de livres: les uns, abstraits, devenant de plus en plus concrets; les autres, concrets, devenant de plus en plus abstraits. les deux séries devaient être couronnées par une synthèse, combinant la théorie pure avec une philosophie sociale pratique. Sauf en ce qui concerne la synthèse, à laquelle je ne suis pas encore parvenu, j'ai écrit ces deux sortes de livres. Ils ont été loués, voire encensés, et les pensées de beaucoup d'homo mes et de femmes en ont été modifiées. En ce sens j'ai réussi.. Mais en regard de cela il me faut mentionner deux sortes d'échec, l'un extérieur, l'autre interne. Pour commencer par l'échec extérieur: le Tiergarten est devenu un désert; la Brandenburger Tor, par laquelle j'y étais entré ce matin de mars, est devenue la frontière entre deux empires hostiles, qui se regardent mutuellement par-dessus une barrière et préparent sinistrement la destruction de l'humanité. Communistes, fascistes e, nazis ont successivement défié tout ce que je considérais comme bon, tandis qu'on s'efforçait de les vaincre, une grande part de ce que leurs adversaires ont essayé de préserver est en train de se perdre. On en est venu à tenir la liberté pour une faiblesse, et l'on a forcé la tolérance à revêtir les apparences de la trahison. les anciennes formes d'idéal sont jugées inappropriées et aucune doctrine exempte de dureté ne commande plus le respect.
est exempt de violence; permettre aux moments de réflexion de répandre la sagesse dans les temps où l'on se trouve en compagnie d'autres êtres. Collective : se représenter par l'imagination la société qui doit être créée, où les individus croissent librement et dans laquelle la cupidité et l'envie meurent parce qu'elles ne trouvent plus d'aliment. En ces choses je garde ma fol, et toutes les horreurs de ce monde ne l'ébranleront pas. Traduit de l'anglais par Michel Berveiller c
Editions Stock.
Une bataille perpétuelle L'échec intérieur, quoique de peu d'importance pour le monde, a fait de ma vie mentale une bataille perpétuelle. Je suis parti d'une croyance plus ou moins religieuse en un monde éternel, platonicien, dans lequel les mathématiques brillaient d'une beauté comparable à celle des derniers « cantos • du Paradiso. Or j'en suis venu à la conclusion que le monde éternel est une futilité, et que les mathématiques sont seulement l'art de dire la même chose en des mots différents. Je suis parti de la croyance que l'amour, libre et courageux, pouvait conquérir le monde sans combat. J'en suis venu à donner mon soutien à une cruelle et terrible guerre. A ces égards j'ai connu l'échec. Mais par delà cet échec si lourd, je suis conscient de quelque chose que j'éprouve comme une victoire. Je peux m'être trompé dans ma conception de la vérité théorique, mais je ne me suis pas trompé en pensant qu'une telle chose existe et qu'elle mérite qu'on s'y dévoue. J'ai pu supposer plus courte qu'elle ne s'avère, la route menant à un monde d'humains libres et heureux, mais je n'ai pas eu tort de penser qu'un tel monde est possible et que l'espoir de hâter son avènement rend la vie digne d'être vécue. J'ai vécu à la poursuite d'une vision, à la fois personnelle et collective. Personnelle: aimer ce qui est noble, ce qui est beau, ce qui I.. Quinzaine littéraiJ'e, du 1" au 15
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1970
parmi tous les romans parus en 1969...
les lauréats des prix de fin d'année ont décerné le
l'AMAIEUR DE CAFE d'Edouard Mattéi
PRIX HERMES à
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Le vrai visage Pour ceux qui n'ont pas connu Benjamin Péret à l'époque du surréalisme, les impressions se limitent souvent à quelques épithètes vagues : un ultra, le plus fidèle et le plus intransigeant coéquipier de Breton, un homme droit, voire raide à force de droiture ; et l'impression générale est que l'envergure du poète ne correspond pas à la droiture de l'homme. Tout cela qui est bien vite dit se fonde Sl,Ir peu de choses : trois ou quatre poèmes (. Mon avion en flammes mon château....) et un ou deux contes sans cesse repris dans les anthologies.
guère ne sont plus excusables : même (et surtout) si l'on n'aime pas la poésie de Péret, il faudra s'en expliquer. Ses amis ont beaucoup insisté sur le désintéressement de Péret et, assurément, il était bien peu littérateur. Si cette œuvre est méconnue, c'est aussi que son auteur la traitait lui-même avec désinvolture. Péret ne posait pas au voyant; pour lui, être poète ce n'était pas produire des poèmes aux couleurs de l'avant-garde du moment, manigancer une publication et guetter quelque approbation. Le surréalisme répéta que « la main à la charrue :. valait bien « la main à la plume :., et Péret fut l'un des hommes de main les plus constants et les plus actifs du mouvement. Par Benjamin Péret conviction, par tempérament, parŒuvres complètes. Tome 1. fois aussi par nécessité, Péret ma· Eric Losfeld éd., 290 p. nia plus la charrue que la plume. Expulsé du Brésil pour ses acti· De derrière les fagots vités révolutionnaires, il fut l'un José Corti éd., 134 p. des rares poètes qui endossèrent En si peu de texte on se fait l'uniforme dans les Brigades in· de Péret une image d'Epinal, ternationales, avec un surréaliste celle d'un poète jovial célébrant belge, le poète communiste Achille comme Saint·Amant le fromage ou Chavée (recommandons l'Achille le melon, et pour un peu l'on Chavée d'André Miguel, Seghers). dirait le brave Péret comme on Au front ou diffusant les écrits pouvait dire le bon gros Rabelais de ses amis politiques, Péret pasou le bonhomme La Fontaine sa un an en Espagne. n en revint parce que lui aussi faisait parler aussi pauvre, aussi modeste et en· les andouilles à la barbe des papi- thousiaste qu'avant, sans penser manes et des sorbonagres, parce à en tirer la moindre gloire, sans que chez lui aussi le cercueil du penser qu'il aurait pu placer mort écrasait le curé. Péret pendant ce temps un recueil che~ n'était pas un bon gros - pas un éditeur pour n'avoir pas à le plus, d'ailleurs, que les répon- publier à compte d'auteur (le ro· man Mort aux vaches et au champ dants évoqués ici. Quelques tentatives ont été fai- d'honneur, annoncé à diverses pétes pour montrer le vrai visage riodes, attendit trente ans un édide Péret. D'une part celles de la teur) . vieille garde surréaliste, zélées Péret ne voulait pas confondre autant qu'agressives et sentimen- plume et charrue, ni donner à tales, tenant pour un tas d'idiots l'une le travail de l'autre; de là, tous ceux qui n'aiment pas la quelques années plus tard, sa copoésie de Péret autant que celui- lère du Déshonneur des poètes ci aimait les artichauts. D'autre (1945) : « sa qualité de poète en part, celles des faiseurs de thèses. fait (du poète) un révolutionnaire sérieusement penchés sur un do- qui doit combattre sur tous les cument du type « Heureux de terrains : celui de la poésie par savoir que votre mal aux dents les moyens propres à celle-ci et va mieux :. parce que cette ligne sur le terrain de action sociale est signée Picabia. Or, même si sans jamais confondre les deux le lecteur potentiel était touché, champs d'action sous peine de ré· il lui manquait l'essentiel : au- tablir la confusion qu'il s'agit de cun recueil de poèmes de Péret dissiper et, par suite, de cesser n'était trouvable en librairie avant d'être poète, c'est-à-clire révolu· 1969. A présent que plusieurs re- tionnaire :.. Pour lui, les poètes cueils ont été réédités et que ses résistants avaient commis l'erreur œuvres complètes sont en cours d'engager leur poésie au service de publication (1), les simplliica. de la patrie au lieu de se contentions et les déformations de na- ter de a'engager dans le maquis.
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Son point de vue inconditionnel reste discutable, mais il n'empêche que, la paix revenue, sa co· 1ère était salutaire quand il dé· nonçait le retour de la religion et du nationalisme dans la poésie. Et celui qui estimerait que Péret s'est trompé là sur toute la ligne devrait encore reconnaître qu'il avait acquis au cours de diverses incarcérations (en '1940, à Rennes notamment) le droit de parler. n s'agit ici de Benjamin Péret, et de lui seul. Jean Cocteau avait tort d'affirmer que Vive un tel doit s'accompagner de A bas un tel. n ne s'agit pas de savoir si le poète est plus ou moins grand que tel ou tel autre, il faut le lire pour lui-même sans souci de men· surations. La poésie de Péret ne requiert aucune préparation intellectuelle mais, plus rare peutêtre, une grande disponibilité, une ouverture adolescente à tout ce qui est merveilleux et provo· cant :
La vieille valise la chaussette et l'endive se sont donné rendez-vous entre deux brins d'herbe croissant sur un autel habité par des tripes Il en est résulté la création d'une banque hypothécaire qui prête des oignons pour recevoir des fauteuils Et le monde continue. Un petit tas de sable par-ci Un ressort abandonné par là... Le saugrenu, l'incongru Ilont parties intégrantes de l'œuvre, comme les passages gras chez Rabelais; il faut en prendre son parti ou laisser toute l'œuvre d'e côté. Cette poésie n'est pas pour l'honnête·homme rassis, assis, as· sagi et par-dessus tout modéré ; cet honnête homme-là dont Péret disait qu'il était « trop honnête pour être vrai:. sait d'instinct que cette poésie est dirigée contre lui, il sait que ces rencontres fortui. tes finiront quelques pages plus loin par se tourner contre lui et les valeurs qu'il défend : Le vieux chien et la puce ataxique se sont rencontrés sur le tombeau du soldat inconnu Le vieux chien puait officier crevé et la puce disait Si ce n.' est plU malheureux de .'accrocher des petites
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merdes avec des rubans rouges sur la poitrine Jadis les poireaux pourris ne rougissaient pas crêtre pourris... (De derrière les fagots) Ce n'est là qu'un des aspects de l'œuvre; à trop vouloir la consi· dérer comme d'un seul tenant, on lui a trop souvent dénué une évolution pourtant évidente. Les premiers poèmes de Péret, dans Le Passager du transatlanti· que (1921), furent composés en pleine période dada. Avant dada, ses futurs amis avaient déjà pu· blié en plaquette ou en revue : Tzara avait commencé par imiter Laforgue, Eluard les unanimistes, Breton avait mallarmisé... Lorsque le jeune Nantais arriva à Paris au début de 1920, il fut introduit auprès des dadaïstes par Max Jacob ; sa connaissance de la poésie moderne n'allait guère audelà des symbolistes et de Mallarmé. Très vite il se mit à lire Apollinaire et Reverdy, mais aussi des reoueils qui s'intitulaient Unique Eunuque, Vingt-cinq poèmes, Aquarium, Mont de Piété, Feu de joie, Les Champs magnétiques... Les poèmes du Passager accusent l'impact de ces lectures :
Les œufs sont cassés et le réveille·matin ne sonne plus Veux-tu me dire pourquoi tlt veux rester tranquille Ah ça ne me regarde pas et toi non plus... Ici, l'influence est celle des poèmes-conversation d'Apollinaire, et l'on trouverait ailleurs dans le recueil celle de Reverdy ou des dadaïstes de peu ses aînés, notam· ment Philippe Soupault. C'est (1) Le Tome 1 contient Le p_&eT du tranMltlantique, Immortelle maladie. Dormir, dormir dons le& pieTTU, Le Grand jeu, Je ne mange [KU de ce pain-là, Poèmes inédits; le Tome II, prévu polir juin, sera très attendu. Nous nOU8 réfé· rons en outre aux éditions suivantes : Je sublime (Ed. Surréalistes, 1936). Dernie, malheur, dernière chance (Fontaine, 1946). Un point c'ut tout (Les QuatJ'e Venta, N° 4, 1946), Air mexicain (Arcanes, 1952), Le Gi&ol, sa vie, son œuvre (Ter. rain vague, 1957), Le DUMnFU!ur da poètes (Rééd. Pauvert, 1965), Mort aux vaches... (Rééd. Losfeld, 1967); André Breton (La Bâconnière, 1949) contient Toute une vie. Ouvrages anne7.e8 : Ben· jamin Péret, par J .-L. Bédouin (Se«bers, 1962), Achille CMvée, par André Miguel (Se«bera, 1969); l'Andwlop de l'hulIlOur IIDÜ' et l'Amholop du noruerue IOnt publiées cha Pauvert; et Le Miroir d" rraeTI1eillewc aus Ed. de Minuit.
de Péret ..
d'ailleurs Soupault qui, dans Littérature, fut le seul à saluer Le Passager d'un 19 sur 20. De cette époque date aussi certaine chan· son que l'on retrouvera dans Mort aux vaches (La dame est sur la tour / la tour est ivre comme un bœuf...) et qui est un pastiche de Max Jacob. Après dada, Péret va s'engager dans de nouvelles voies, écriture automatique ou sommeil médiumnique... Encouragé, peut-être, par l'exemple d'Eluard, dans Immortelle maladie (1924), on le voit d;abord tenté par le poétique (Maintenant partons pour la mai· son des algues... / ô mon amie ma chère peur). Le long poème Dormir, dormir dans les pierres (1927) est certainement l'un des plus beaux poèmes lyriques que nous ait donnés le surréalisme
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Cardinal Mercier à cheval sur un agent je t'ai vu f autre jour semblable à une poubelle débordante d'hosties Cardinal Mercier tu sens dieu comme f étable le fumier et comme le fumier Jésus... On y trouve encore l'Hymne des anciens combattants patriote. ou la Vie de f assassin Foch :
Souffle ô corne un azur sombre et verbal Le printemps est malade d'un cerisier nouveau d'un cerisier plein de fruits miroitants où sombrent des cils de porcelaine comme un regard dans un jet d'eau... Ce n'est pas le Péret aux ima· ges fébriles et déconcertantes ; on per~oit même ici un écho symbo. liste et mallarméen. Malgré leurs mots dépaysants (de paysan ?), les ·alexandrins ne sont pas rares dans Dormir, dormir (Et les taupes de ma sœur gardent leur secret). Il faudra attendre Dernier malheur dernière. chance, écrit au Mexique durant lit guerre, pour retrouver un poème d'une telle ampleur. Entre les deux guerres mondiales, Péret écrivit aussI plusieurs recueils de contes. Les contes de Péret sont encore plus méconnus que les poèmes (II. Il Y a des contes à écrire pour les grandes personnes, des contes encore presque bleus ~, disait le premier Manifeste du surréalisme). Une partie de ces contes nous plonge dans un fantastique féérique, ainsi A hauteur de rêve que Pierre Mabille reprit dans son Miroir du merveilleux: « Je longeai la rive du lac, admirant la -luxuriante végétation de fumée fleurie d'agates et de chevelures de femmes ... ~. Le lecteur, entraîné par le conteur, pourra boire de la liqueur d'orage ou du lait
blime et Je ne mange pas de ce pain-là. Le premier est constitué de poèmes d'amour souvent cités, et l'on pourrait dire de l'autre qu'il ne contient que des poèmes de haine. Je ne mange pas est une œuvre extrêmement importante dont les poèmes, tous publiés en revue de 1926 à 1930, ont une violence qui étonne. L'insulte, l'injure, la scatologie qui s'y accumulent atteignent une rageuse grandeur :
Un jour d'une mare de purin une bulle monta et creva A f odeur le père reconnut Ce sera un fameux assassin Morveux crasseux le cloporte grandit... Il eut tout ce qu'on fait de mieux dans le genre des dégueulis bilieux de médaille militaire et la vinasse nauséabonde de la légion d'honneur... Portrait de Benjamin Péret, par André M8880n.
de rosée. Il existe une autre catégorie de contes non moins importante qu'il faut bien qualifier de drôlatiques ; c'est à juste titre que Robert Benayoun leur a fait une bonne place dans son Anthologie du nonsense. Extraordinaire dérailleur de mots, Péret excelle à les faire aller là où ils n'étaient pas prévus; avec lui, une séance à la Chambre (dans Mort aux vaches) devient une suite de discours proprement désopilants. Dans Les parasites voyagent, choisi pour l'Anthologie de fhumour noir, Péret en vient à créer un véritable argot : « J'avais reçu un ferreux (1) sur le rond (2) et je glissais dans le blanc (3), lorsque je sentis qu'on me serrait les tiges (4) ... :& Un glossaire est nécessaire pour suivre cette histoire farfelue : « (1) Ferreux : éclat d'obus, (2) Rond : tête, (3) Glisser dans le blanc : s'éva-
La Quinzaine littéraire, du 1'" au 15 mars 1970
nouir, (4) Serrer les tiges : prendre par les membres ». La veine nonsensique des contes se retrouve fréquemment dans les poèmes du Grand Jeu (1928) ou De derrière les fagots (1934) , mais des poèmes graves sont toujours présents dans les recueils; on voudrait citer tout Pieds et poings liés :
Quand je serai le cheval de pierre debout devant f éternité je demanderai aux divinités des plantes le manteau de pluies indispensable aux voyageurs éternels Aujourd'hui je suis dans le puits glacé... (Le Grand jeu) L'année 1936 voit paraître deux recueils dissemblables : Je su-
Décidément, Benjamin Péret l'indésirable ne prendra jamais place dans les manuels de littérature ou de textes choisis. La guerre et l'exil dont il ne revint qu'en 1948 amenèrent une nouvelle phase dans la poésie de Péret. Les œuvres de cette époque offrent moins de violences verbales. La voix du poète s'est faite plus grave et une émotion contenue sourd sous le lyrisme automatique. On voudrait citer toute la quatrième partie du long poème Dernier malheur dernière chance (1946) ou les poèmes d'amour de Un point c'est tout (1947) :
Je voudrais te parler cri,tal fêlé hurlant comme un chien dans une nuit de draps battants comme un bateau démâté que la mousse de la mer commence d'envahir où le chat miaule parce que tous les rats sont partis 9
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Je voudrai! te parler comme un arbre renver!é par la tempête... Au moment où André Breton compose l'Ode à Charle! Fourier et Fata Morgana, on note simultanément chez Péret un souci de faire fluer un discours suivi avec le poème, ainsi dans Air mexicain seulement publié en 1952. Le poè. me Toute une vie (1949) parut dans un livre consacré à André Breton ; exceptionnellement, et sans doute parce qu'il s'adresse à son ami, Péret, qui a toujours écarté de ses poèmes toute allusion à sa propre vie, y a laissé apparaître quelques souvenirs ou traits biographiques. En évoquant leur lutte commune, Péret retrouve alors la véhémence de Je ne mange pa!:
Il serait inutile de parler de la vérité !i f on ne lui avait tant craché au vi!age que !on regard en étoile polaire obstinée à marquer le la s'est aujourd'hui effacé comme une ville ra!ée par le! barbare! que déjà la brousse envahit Il! font même livrée à toU! les appétit! de la troupe Je nomme ici la tourbe de la !teppe comme la pègre en costume de gratte-ciel le chevalier de! menottes le rampant à moustaches d'épaulettes... Euphémismes, métaphores, peu importe; les mots sont transparents. Quelques mois après sa mort, en 1959, reparaissait le texte quelque peu remanié de La Parole est à Péret où il définissait le poète et concluait : « Pour lui il n'y a aucun placement de père de famille mai! le risque et f aventure indéfiniment renouvelés. C'est à ce prix !eulement qu'il peut se dire poète et prétendre prendre une place légitime à f extrême pointe du mouvement culturel, là où il n'y a à recevoir ni louanges ni laurien, mais à frapper de toutes se! forces pour abattre les barrières sans cesse 'renaissantes de f habitude et de la routine ~. C'est sans doute là le testament d'un poète qui, de ceux qui ont combattu pour la cause de la poésie, fut l'un des plus au· thentiques. Serge Fauchereau 10
Borges
Péret
Il est né en 1899 à BuenosAires et c'est à Buenos·Aires qu'on peut le rencontrer, en 1970, grand et lourd. un peu gauche avec sa canne blanche d'aveugle. Entre ces deux dates, peu de péripéties. Il a été étudiant en Suisse. de 1914 à 1919. poète à Madrid puis bibliothécaire de sa ville natale. JI aime les sabliers, les planisphères, la typographie du XVIIIe, le goût du café et la prose de Stevenson. JI s'ap· pelle Jorge Luis Borges et il fait son entrée, bien tardive, dans la collection Ecrivains de toujours.
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E. R. Monegal Borges par lui-même « Ecrivains de toujours » Ed. du Seuil Jorge Luis Borges Evaristo Carriego traduit par F. M. Rosset Ed. du Seuil, 160 p.
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Jorge Luis Borges A. Bioy Casares Chroniques de Busto! Domecq traduit par F.M. Rosset Les Lettres Nouvelles Denoël éd., 160 p. A force de pratiquer les contes de Borges, le soupçon nous avait gagné que leur auteur n'était qu'une idée égarée dans le labyrinthe des mots, une phrase lue de l'autre côté du miroir, une aporie aussi perverse que l'espace dont sont éternellement séparées la flèche d'Achille et la tortue de Zénon. Il faut dire adieu à ces fantaisies. Borges n'est pas seulement une notule, un errata ou un etcœtera dans les marges de la littérature universelle. L'homme dont nous parle Monegal est un Argentin qui adore les chevaux de la pampa et la mélancolie du tango, non l'un de ces écrivains imaginaires qui grouillent dans l'œuvre de Borges et qui résident, entre l'aleph el l'omega, dans la bibliothèque de Babel. Naissance, donc, à Buenos·Aires. Enfance parmi les livres anglais de son père. Traduction du Prince heureux, d'Oscar Wilde, à neuf ans. Lecture de Tartarin de Tarascon en Suisse. Poésie. En 1938, un accident lui ouvre le crâne, il manque de mourir, s'affole. Est·ce que sa cervelle va
fonctionner comme avant? Dans sa terreur, il invente une ruse : au lieu d'écrire de nouveaux poèmes, il va s'essayer au conte. S'il échoue, cela ne signifiera pas que son accident l'a rendu idiot. Il en concluera seulement que le conte n'est pas son fort. On sait la suite et que ce trou dans Je crâne a fabriqué l'un des grands conteurs de ce temps. Aujourd'hui, trente ans après, Borges n'est plus tout à fait dans Borges. Le s mythes qu'il a crées sont des vagabonds, ils transhument, ils ne tiennent pas en place et se faufilent de cervelle en cervelle. Ce disciple exaspéré de Berkeley nous a enseigné que la personnalité n'existe pas, que l'auteur et son lecteur se confondent et que chaque homme est Shakespeare. On dirait que la littérature l'a pris au mot. Ses pensées se baladent en tous lieux, dans les taxinomies de Michel Foucault, dans les films de Robbe Grillet, dans la critique moderne, Jans tous les jeunes gens qui s'échinent à raconter l'histoire d'un écrivain en train d'écrire le texte que nous sommes en train de lire. Cet effet de boomerang obéit à Borges. L'œuvre de celuici se présente comme une glose sur la littérature. Il empile des monceaux de vieux livres pour édifier les livres les plus neufs du monde. Voici que le cercle se referme. Borges devient à son tour le matériau de la littérature des autres. Parler d'un tel esprit, à la fois sans limite et d'une précision de cristal, capricieux et gouverné, humoristique et désespéré, champion du vertige métaphysique, de la « mise en abyme », de la logique fausse et de la référence truquée n'est pas une besogne commode. Beaucoup s'y sont employé avec compétence mais, dans leurs études savantes, où donc était passée la grâce dévastatrice de l'Argentin? Le livre que lui consacre aujourd'hui Monegal est peut-être moins brillant que d'autres mais il se signale par deux avantages. Le premier est sa modestie. Monegal suit Borges, pas à pas, dans sa vie et dans son œuvre. Il ne l'utilise pas comme un tremplin pour ses propres acrobaties, mais se soucie d'en faire une honnête lecture. Et s'il ne peut explorer toutes les étoiles de la constellation borgésienne, du moins, si-
gnale-t-il, leurs passages dans ses télescopes. On connaît le nom de ces étoiles - le miroir et le labyrinthe, le tigre et le fleuve, la flèche, l'épée, le double, le cerde, la loterie, le temps et ses illusions, Dieu et son absence, la personnalité et ses hypothèses, le futur, le passé, le présent... Monegal déerit chaque étoile, les situe les unes par rapport aux autres, donne une idée du système qui fonctionne dans cette œuvre et, si sa description n'est pas parfaite, on ne lui en tiendra pas rigueur, c'est que la configuration est inextricable. Monegal a un autre avantage. Il n'oublie jamais que Borges est un écrivain argentin et cela est nouveau. L'habitude a été prise, en France, de tenir Borges pour une erreur de la géographie et d'en faire un Londonien, un Puisien et un Persan en même temps, c'est-à-dire un homme de nulle part. Rien de plus inexact. Borges est aussi lié à Buenos-Aires que Joyce le fut à Dublin ou Faulkner au Mississipi. Son cosmopolitisme est celui de sa ville natale. Il existe deux Borges, irréconciliables au premier regard : l'un est un habitant de Buenos-Aires, amoureux des apaches et des faubourgs, des refrains de la milonga et des duels au couteaux. L'autre est un théologien dépravé, un philosophe un peu dément, un métaphysicien farceur. De ces deux registres de Borges, l'édition française nous propose aujourd'hui l'illustration. Deux ouvrages inédits sont publiés. L'un qui date de 1930, parle de Buenos-Aires. L'autre, écrit en 1966, est une chroniqu~ sur des écrivains qui n'existent pas. De Buenos-Aires, Borges nous entretient, grâce à Evaristo Carriego. Nous ne connaissons pas Carriego. Ce poète local ressemble à un compositeur de tangos plutôt qu'à Dante et l'on songe à une farce : imagine·t-on un livre de Maurice Blanchot sur Jean Dutourd ou sur Paul Guth? Or, ce n'est pas une farce. Comme beaucoup de grands esprits, Borges a des goûts déconcertants, il donnerait toute la poésie française pour un quatrain de Paul·Jean Toulet. Il aime vraiment Carriego. Au surplus, le très jeune Borges a été fasciné par Carriego qui était un ami de son père et J orge Luis voudrait être le Platon de ce minuscule Socrate sud·américain. Le livre est donc sincère. Borges, pour
et le temps une fois, parle avec son cœur. Il trouve de vrais mots de tendresse pour évoquer la Buenos-Aires du début du siècle, ses faubourgs de fleurs et de poussière, ses guitares et ses grilles, ses jeux de cartes, ses bordels, ses prostituées, ses gauchos. Tout le passage est admirable. Mais rien n'est simple avec Borges. Le livre sur Carriego a beau être sincère, il possède un double fond. Borges n'a pu éviter de prendre possession de l'humble Carriego. Il l'investit, le dévore, le détruit, il le recompose et voici le poète des tangos projeté parmi les étoiles folles du système borgésien. Cet infime écrivain réel devient un immense écrivain imaginaire. Une place lui est assignée dans cette vaste littérature des limbes que Borges s'est donné à tâche d'inventorier.
Buno. Domeoq Cette idée nous servira de relais pour aborder l'autre ouvrage de Borges, ces Chronique, de Bwtos Domecq qu'il a ourdies avec son vieux complice, A. Bioy Casares. Les deux compères ont écrit une vingtaine de textes sur des écrivains ou des peintres qui n'existent pas. Le divertissement est exquis. Chacune des têtes fictives qu'ils massacrent, masque une tête vivante. Ce livre est un superbe feu de joie dans lequel grésillent et grimacent tous les écrivains «modernistes.. Qui ne mettrait un nom - beaucoup de noms, les écrivains sont si nombreux désormais qu'ils pullulent sur chaque trouvaille - derrière ce Ramon Bonavena dont l'œuvre complète, Nord - NordOue,t décrit en six tomes l'angle nord-nord-ouest de sa table de travail avec son cendrier et son crayon à deux pointes? Et qui ne connaît le peintre Tafas qui peint des tableaux réalistes pour les recouvrir ensuite de cirage noir, se contraignant ainsi à calculer ses prix sur le tableau effacé, puisque les œuvres achevées, toutes également noires, sont identiques? Ce livre forme une meurtrière machine de guerre dont les canons sont braqués contre l'avantgarde. L'homme qui l'a écrit est un réactionnaire fieffé, un passéiste, un vieillard attaché à sa jeunesse, incapable d'évoluer. Il déteste toute novation et tout proLa Quinzaine littéraire, du
grès. Il vitupère tout ce qui change. Ces choses là ne !lont pas pour surprendre. Borges est sourd aux rumeurs de son temps et la jeune génération d'écrivains argentins est justifiée de lui en faire reproche. Il est aussi conservateur en art qu'en politique : « L'incomcient, nous disait-il, voici quelques années, fincomcient? Ah, oui, je voi" de mon temp" on appelait ça la mwe •. Seulement, Borges est aussi le contraire de Borges. La seule existence de cet ouvrage l'atteste. N'est-ce pas se situer à la pointe de l'avant-garde que d'écrire la critique d'une littérature qui n'existe pas? Critique du rien, critique du néant, du vide et de l'impensé, on soupçonne que ce livre est porteur de vertiges plus raffinés. Il convient, pour les reconnaître, de lire les Chronique, de Bwto, Domecq à la lumière des autres ouvrages de Borges. Nous songeons à ces deux textes brefs et fondamentaux que sont la Bibliothèque de Babel et Pierre Ménard, auteur du Quichotte. Le rapprochement est légitime car les Chronique, de Bwto, Domecq, c'est la paraphrase des contes anciens que nous venons de citer - et on sait que pour Borges, toute la littérature n'est que la paraphrase de quelques images ou de quelques symboles. Rappelons l'argument de Pierre Ménard, auteur du Quichotte. Cet écrivain français, né dans la tête de Borges, s'applique à réécrire le Quichotte. Après des années de labeur, il réussit à rédiger un raragraphe rigoureusement identique à l'un des paragraphes du Quichotte. Cet exploit peu commun permet à Borges d'offrir un double commentaire de ces deux textes qui sont identiques mais dont les sens divergent du seul fait que le second n'est pas le premier. Texte de génie dont les Chronique, de Bwtos Domecq, publiées aujourd'hui, renouvellent la veine avec bonheur. Quel est donc l'objet de ces facéties ? La Bibliothèque de Babel, autre conte ancien, nous propose une hypothèse. Borges a toujours été hanté par le mythe d'une bibliothèque totale, une bibliothèque abritant tous les livres qu'on peut composer en combinant les vingt-six lettres de l'alphabet. Cette idée est réaliste: entrelacer, selon toutes les configurations pos-
J*' au 15 mara 197tJ
sibles, les lettres de l'alphabet, n'est-ce pas en effet le propos radical de l'écrivain, étant bien clair qu'une fois épuisées, les combinaisons logiques des vingt-six lettres, toute la littérature aura été accomplie et, de surcroît, toute l'histoire du monde ? Cette notion flotte dans les marges des Chroniques. Elle suggère que les écrivains imaginaires dont Borges fait son miel ne sout pas du tout imaginaires. Ils ne le sont pas davantage que Shakespeare, Goethe ou Mallarmé. La différence est que la combinaison alphabétique qui organise leurs noms et leurs œuvres n'est pas encore sortie à la lot~rie de Babel. Mais, dans l'infini du temps, leur chance adviendra, toutes les combinaisons langagières se réaliseront, toute parole sera proférée. Un jour, les vingt-six lettres produiront les œuvres. de néant que Borges analyse en 1960.
L'Eterael Retour
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Ces considérations établissent Borges dans une durée assez insolite. Toute l'œuvre de l'Argentin est obsédée par le problème du temps, il y revient avec constance et c'est sa torture intime. Il e.n a traité dans toutes ses œuvres, par l'aporie de Zénon, par les divagations des gnostiques, par des gloses sur Léon Bloy, par des nouvelles réalistes comme Emmfl Zunz. Tour à tour, le temps a été décrit comme illusoire ou atroce, déchiqueté, multiple ou implacable mais le plus fréquemment le temps de Borges obéit au mouvement circulaire de l'Eternel retour. Si le temps dessine vraiment une ligne cyclique, les notions de l'avant· et de l'après sont des notions en ruine et l'extrême avant-garde rejoint l'absolu retard. On expliquera ainsi que la répétition maniaque de l'ancien à laquelle se complaît Borges tolère et appelle l'invention d'une littérature qui n'a pas encore accédé à l'être. Et comment s'étonner, dès lors, que cette Œuvre, incessamment envahie par le passé, allume ses feux très en avant du point du cerCle où la littérature, et peut-être l'histoire, ont l'illusoire conviction d'être parvenues. Gilles Lapouge.
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Pierre Bourgeade a rencontré un certain nombre d'écrivains à qui il a posé des questions inusitées. Elles ne se rapportent ni à leur vie ni à leur œuvre, mais à ce qu'ils ont en eux de caché, de secret, d'imaginaire, ce qu'en somme, ils ont fait passer dans leurs ouvrages, sans toujours en être conscients, et qU'ils n'auraient pas toujours envie de révéler. Il y avait là. pour la Quinzaine littéraire,
Pierre BOURGEADE Bonjour, Monsieur. Que signifie cette armée d'ombres derrière VOlIS? X. Tiens, elle est donc si visible? Certes, ces ombres, je ne les sens pas exsangues, mais je leur en veux d'apparaître ainsi au grand jour, au premier regard, et j'espérais mieux réussir à les cacher. Vous avez dit : armée; auriez-vous dit aussi bien: cortège, ou : escorte, ou bien, comme il m'arrive, avezvous le sentiment que je sois leur prisonnier? Quelle foule! De morts, de vivants, d'êtres que je n'ai croisés peut-être qu'une seule fois dans ma vie: un filet, ma mémoire, un chalut! je suis de ceux qui ne savent rien oublier. Et il n'y a pas que des êtres que j'ai connus et aimés : une grand-mère, des amis, des visages de femmes, il y a des lieux, maisons d'enfance ou de vacances, chambres, paysages, il y a des objets, aussi vivants et aussi tyranniques qu'eux, il y a des personnages de fiction, des écrivains, ,des poètes, Nerval et Baudelaire en particulier, je n'arrête pas de leur parler. Je m'enfonce avec eux dans des galeries sans fin et sans fond, à la rencontre de je ne sais quoi, de ie ne sais quelle obscure origine peut-être, comme si, à travers cette ft chaîne des aïeux» qui, justement, obsédait si fort Nerval, j'allais pouvoir remonter jusqu'aux commencements du monde - ou buter, seulement, sur ce fantôme évanescent que je crois parfois pouvoir prendre pour moimême... P.B. Ces ombres, qui vous accompagnent dans la vie, vous accompagnent-elles dans vos rêves? 12
la possibilité d'un jeu. Qui est l'écrivain rencontré par Pierre Bourgeade? Les lecteurs qui nous envoient une réponse juste, dans le délai d'un mois, bénéficient d'un abonnement de trois mois (ou, s'ils sont abonnés, voient leur abonnement prolongé de trois mois). Ceux qui auront découvert tous les écrivains interrogés (ou presque tous) recevront de la Quinzaine littéraire un cadeau.
X. Non, en rêve je n'en ai' croisé et reconnu qu'une ou deux peut-être en des années. Vous allez me dire que c'est sans doute que les autres n'apparaissaient la nuit que déguisées. Mais c'est aussi que ma vie onirique est d'une consternante indigence. Longtemps, j'ai été persuadé que je ne rêvais pas, et je pourrais l'être encore si je ne savais que tout le monde rêve, rêve chaque nuit, et même à des moments bien précis du sommeil que l'observateur peut parfaitement repérer. Seulement, moi, dès le réveil, plus rien, pas même, la plupart du temps, la confuse impression d'avoir rêvé et l'irritation que l'on éprouve à tenter vainement de se souvenir. Estce que je les censurais, comme on dit, ces rêves, ou bien au contraire accomplissaient - ils discrètement leur fonction d'anges gardiens du sommeil, com~ me .cet ange gardien de mon enfance qui avait toujours foutu le camp au moment où, me rappelant brusquement sa problématique existence, j'aurais bien voulu, au moins une seconde, l'apercevoir, ne serait-ce que pour lui conseiller de me surveiller un peu mieux... Non, vraiment, jusqu'à ces toutes dernières années, je ne me suis guère intéressé à mes rêves, si rares, si pauvres. Si je faisais le compte des rêves qui m'ont assez frappé pour que je songe à les noter, le crois bien que j'arriverais difficilement à la douzaine, pour toute la durée d'une vie déjà assez longue. Tout de même, vous le voyez, j'en ai noté quelques-uns. Récemment. Deux ou trois, en particulier, que je fis presque coup sur coup. A ce moment, j'avais même naïvement espéré que j'allais me mettre, moi aussi, à avoir des rêves plus nombreux
Les écrivains interrogés jusqu'à présent étaient François Mauriac, André Pieyre de Mandiargues, J.M.G. Le Clézio. Nathalie Sarraute. Eugène Ionesco, Pierre Klossowski, Raymond Queneau. Marguerite Duras, Claude Roy, Joyce Mansour. Qui répond aujourd'hui aux questions de Pierre Bourgeade?
et plus riches. Comme ces amis qui me racontaient les leurs, éblouissants, qui les interprétaient, les commentaient. Ça devait me vexer de faire auprès d'eux si piètre figure. L'envie, l'exemple, c'est ça peut-être qui avait incité ces quelques rêves à sortir de l'ombre. Elles n'ont guère continué, les visitations nocturnes. A peine assez pour m'en donner une vague nostalgie. Pour m'inciter à moins négliger cette face obscure de ma vie : les longues heures que je passe, ligoté, dans les nasses closes du sommeil (mais peut-être, après tout, n'est-elle pas là, cette face obscure et qui continue à se dérober : avec toutes ces ombres, déjà, tout le jour...). Assez, tout de même, pour m'inciter à ébaucher une Petite Histoire de mes rêves. P.B. Pouvez-vous me raconter un rêve que vous ne vous apprêtez pas à raconter? X. Je voudrais bien, mais pensez à cette Petite Histoire de mes rêves! J'arrive à peine à la douzaine, je vous l'ai dit, et comment le remplacer, ce rêve ? Je ne peux pas compter en faire un autre la nuit prochaine, ni avant des semaines, des mois peut-être... Et puis, ce ne sont pas des histoires, mes rêves; rien du film d'aventures; aucune intrigue, absurde ou cohérente, ne les noue et les dénoue. Ce sont des rêves statiques, tous, ou presque tous, ou du moins il ne m'en reste au réveil qu'une image, une seule, fixe, immobile. P.B. Votre vie rêvée se situe donc avant l'invention du cinéma ? Vous rêvez en daguerréotypes?
X. Ce n'est pas faute pourtant d'en avoir vu, des films, des muets, dans ma petite enfance, des parlants. Mais je parlerais plutôt de lanterne magique : les daguerréotypes, il me semble, - il y en a deux au trois dans ce cortège d'ombres dont nous parlions - ne sont pas en couleur: presque toutes mes images nocturnes sont en couleur_ P.B. Parlent - elles? Vous offrez-vous un spectacle • parIant »? X. A cause du cinéma muet, ou de la lanterne magique? Non, c'est d'images muettes qu'il s'agit, ou alors le réveil confisque aussitôt les paroles. Car je parle la nuit, je le sais, on me l'a dit, nouvelle preuve que je rêve bien plus que je n'en garde ou n'en veux garder mémoire, que je rêve depuis toujours. Il m'arrive, on me l'a dit aussi, de parler, parfois de crier, dans des langues étrangères, et jusque dans des langues inventées. Aucun son, cependant, ne reste accroché à ces images immobiles qui surnagent. Pas plus, si j'y songe, avez-vous fait la même constatation ? que les paroles ne survivent à la plupart des images de la mémoire. Comme dans les films muets, je vois bouger les lèvres de certains êtres que je revois avec la plus grande précision : la plupart des mots qu'ils prononçaient ont sombré. J'ai cinquante images de ma grand-mère, de la vieille bonne de mon enfance : je n'entends plus leur voix, je ne saurais plus reconnaître leur accent ni leurs inflexions. Les images sont là toujours, aussi nettes, aussi vivantes : je ne me rappelle pas en tout dix de leurs phrases. Est-ce à cause de la banalité de tant de nos propos? Mais je me
La chaîne des aïeux Les images Dluettes La Mort du Loup rappelle des amis qui m'éblouissaient. Je les revois pareillement, j'al pareillement tout oublié, ou presque, de ce qu'Us disaient : l'Image et le souvenir de l'éblouissement ont seuls survécu à ce qui me paraissait l'inoubliable. Et d'une femme almée, de l'inoubliable début d'un amour, que nous rappelons-nous? Ses premiers mots, le consentement ou l'aveu? Pour mol du moins, Il me semble que c'est l'Image, le souvenir d'un contact, une bouche, des traits, un regard : là encore, presque toujours, les mots ont fui. C'est curieux, pour un écrivain. A moins que ce ne soit, ces mots, pour me permettre de les inventer... P.B. Y a-t-il eu, quand vous étiez enfant ou adolescent, une phrase qui a provoqué en vous un choc tel que vous vous êtes dit en la lisant : Moi aussi je serai écrivain; mol aussi j'écrirai des phrases? X. Non, pas une seule phrase. Mals des œuvres, oui, des poèmes. P.B.
Ouels poèmes?
X. Il y en a un, en particu11er: la Mort du Loup. P.B.
Ouel loup?
X. Le loup de Vigny, qui était un loup-cervier, d'ailleurs, un lynx. P.B.
Pourquoi celui-là?
X. Eh bien, ce poeme me fascinait d'une double fascination. Comme beaucoup d'autres vers que j'aimais, tout petit, à lire à ml-volx ou à me réciter sans en rien « comprendre -, sans chercher ni même soupçonner en eux un sens Intelligible, dédétachable en quelque sorte de la forme rythmique qui seule m'enchantait, il était pour mol pure délectation. Comme le récit de la mort d'Hector dans Andromaque, lu dans de vieux Morceaux choisis. Comme certaines contes en vers, Grisélidis, par exemple, à quoi Je n'entendais goutte. Je suppose que c'est la musique de la poésie à quoi j'étals uniquement sensible, et aussi, comment dire, à cette espèce de décalage que je
sentais entre la langue d'un livre en prose, Gull/ver ou la comtesse de Ségur, et la langue hiératique, quasi sacrée, des vers. C'est cette forme mystérieuse, exaltante, aux JfOuvoirs décuplés, cette incantation que je . tentai, très tôt, d'imiter : pendant des années, je me suis cru, je me suis voulu poète, je me suis égaré là, parce que ça me paraissait plus beau d'être poète, de « chanter - : la prose me paraissait ramper. Moi non plus, même enfant, je ne me résignais pas à ce que les marquises (ou les femmes de ménage) pussent sortir à cinq heures. Pou r moi, les poètes étaient des dieux, pas les romanciers, pas les écrivains : ils n'écrivaient, eux, que des « histoires -; être dieu, il me semblait que je ne pouvais guère aspirer à moins! Mais, dans la Mort du Loup, il y avait autre chose, une autre sorte de fascination : j'étais, pour la première fois, sensible à une morale, exalté par elle; j'admirais ce loup qui souHrait et mourait sans parler. P.B. La forme alexandrine et la morale stoïque? X. De l'une et de l'autre, en tout cas, j'ai eu beaucoup de mal à me remettre. J'ai été longtemps victime de mes admirations enfantines, voilà. Pour ressembler à ce sacré loup qui mourait à la fois en alexandrins et en silence, je me suis, pendant des années, trompé sur moi-même, fourvoyé... C'est V. léry qui a dit : «Ce que nous pensons nous cache ce que nous sommes -? Ah oui, ça, sûrement! P.B. Je remarque que vous n'avez pas été influencé par cette morale stoïque au point de mourir sans parler? X. Il vous faudra venir à mon dernier moment pour vous en assurer. P.B. Dites-moi quand c'est, et je viendrai.
L'écrivain avec qui s'est entretenu Pierre Bourgeade dans notre numéro du 1er février était Georges Perec. Aucun de nos lecteurs n'a reconnu l'auteur des Choses, de la Disparition et du feuilleton que nous publions actuellement. Pierre Bourgeade nous fait remarquer que les questions avaient été choisies dans les ouvrages suivants : Beckett, Fln de partie; Miller : Sexus; Michaux : l'Espace du cIecIans; Borges : Discussion; Genet : Miracle de la ros•• , Les réponses de Georges Perec suivaient les règles d'un code. Bref, nos deux amis se sont au moins bien amusés. Avec l'entretien publié dans ce numéro notre Jeu se termine. Dans notre numéro ·.<Ju 1er avril, en même temps que nous révèlerons le nom de l'écrivain aujourd'hui interrogé (et dont l'un des ouvrages fut très lu durant une saison au moins) nous publierons les noms des gagnants.
je suis mal dans ta peau
le nOUTeau roman de
cesbron 112000 exemplaires
ROBERT.a LAFFONT
X. Je voudrais bien avol> encore un peu parlé avant c'est-à-dire: écrit. P.B.
La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 maT' 1970
Oui êtes-vous? 13
ROMANS
H,
CODlIDe
hippie
FRANÇAIS
1
~igilte Axel
Flammarion, éd., 256 p.
De cette route de l'enfer qui aboutit à Katmandou, d'hallucinants reportages nous ont dit l'horreur mais ce sont des reportages et comment connaître, de l'in· térieur, l'aventure qui jette ces jeunes gens de l'Europe repue sur les voies les plus pauvres du monde? Une lucarne s'ou· vre aujourd'hui sur ces paysages méphi. tiques, par le livre d'une jeune Belge, Brigitte Axel, qui relate le long voyage de Katmandou. L'ouvrage renverse quelques idées re· çues. L'enfer qu'il molItre a des couleurs pâlichonnes, il n'est pas très riche en soufre. Brigitte Axel s'y présente comme une jeune fille costaud et résolue, réaliste, avide de sa liberté. Sous sa plume, la quête hippy prend des allures d'auberge de jeunesse. Non que cette quête ignore l'enfer mais le cœur de Brigitte est sans doute ignifugé, les flammes ne le brûlent pas. Son récit est bien troussé. Le mouvement est vif, le ton narquois et le fol1ùore coule à pleins bords : le chatoiement des étoffes, l'élégance des vestes afghanes, l'éclat des bagues, l'ocre des masures, voilà ce qui hisse Brigitte au septième ciel. Elle aime la beauté et surtout la sienne. Elle n'en revient pas d'être ainsi, une
fille qui a largué l'Europe et qui passe. chaque matin deux heures à peindre un serpent sur son front. Elle est pleine de vie, les Indiens l'appellent Kali, elle porte des saris superbes et tous les garçons lui font la cour. Mais attention, Brigitte ne va pas donner son corps au premier venu, il faut qu'on le mérite, comme dans l'amour courtois. Bri· gitte fonctionne comme la reine de ces petites sociétés vagabondes. Une « allu· meuse» voilà ce qu'elle est et de le savoir porte son plaisir au zénith: cela lui confirme qu'elle est au·delà de toute morale et qu'elle a transmué les valeurs. Majestueuse, elle se laisse servir, dans l'attente du « Prince charmant» qui aura droit à son corps parce qu'il aura plu à son cœur. Ce qui. en Inde, advient à uu certain Ric. On voit que l'Europe, si l'on peut s'en éloigner en quittant ses rivages, ne se déclare pas battue. Bien sûr, on va en auto-stop et non en avion, on vit à six dans la même chambre et l'on est une vraie cigale, mais a·toOn pour autant "changé la vie », a·toOn "réinventé l'amour» ou " écrit des opéras fabuleux,,? Ce livre ne donne pas à le croire. Cette hippy ressemble à une touriste d'un nouveau style. Elle est hantée par le besoin de se laver et ses amoureux passent leur temps à pomper de l'eau, pour son corps.
dans les fontaines. Et ce problème du dentifrice! Il y a aussi la drogue, mais longtemps Brigitte s'en approche avec circonspection. Ce beau papillon aime tournoyer autour du feu mais il apprécie trop l'éclat de ses ailes pour les brûler. Elle fume du haschich parce que le monde y gagne p.n beauté, non en danger mais elle se méfie légitimement des piqûres comme d'une peste. Un jour, elle fera un pas. Elle va prendre du L.S.D. Dans la confrérie. qu'elle affaire! « Le premier acide-trip de Brigitte, dit-elle modestement, est un évé· nement.» Suivent les chimères et les délires du L.S.D. Brigitte est au centre du monde, personnage héroïque, fabuleux, à écrire sur des feuilles d'or, vedette in· contestée. Elle se surpasse. Elle abandonne ses vêtements et la voici nue dans les rue de Katmandou, puis rhabillée dans une affreuse prison. Période atroce. Rapa. triement en Belgique chez les parents. On la réconforte, elle grossit de cinq kilos, écrit ce livre et ne songe qu'à repartir. On cherche, dans les silences du livre, l'écho des forces profondes que cette jeune fille a côtoyées. La récolte est maigre. Ici et là, elle s'extasie sur la religiosité de l'Inde mais elle manque de temps pour l'approfondir. Les petites tâches quotidiennes la requièrent, confection des re·
Un objet insolite
Le Mal
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Olivier Perrelet Le dieu mouvant Mercure de France éd., 248 p. Il y a trois ans. amicalement préfacé par André Pieyre de Mandiargues, Olivier Perrelet avait publié Aphrosyne ou l'au· tre riva~e et le& Petitu Fillu criminelles, des récits inspirés par le romantisme alle· mand et allégés par un érotisme baroque. Avec le Dieu mouvant, une suite de quatre courts récits, le poète rejette tout baroque, refuse tout clin d'œil. Il sait bien à quoi il s'engage ainsi et le dit simplement dans Ganymède : " celui qui ne fait aucune concession au% goûts du moment n'ut jamais aimé, ils (les critiques) ne le manquèrent pas. » Mais il termine ainsi : " Ecoute·moi, ~locier! Ecoute·moi, convul· sion pétrifiée! Ecoute-moi mO&se de pure· té! tu t'ollon~es sons fin vers le ciel et le ciel se retire ... Ecoute-moi ! Je monte, ;e monte, je monte... ». Olivier Perrelet est consumé par la poé. sie, déchiqueté par le stylet des mots. Il avance dans un rêve, refusant toute lu· mière extérieure. Il s'explique dans Royombre où le héros vit la nuit : un matin de juillet le soleil entrant dans sa chambre l'avait attaqué, incendié, étouffé, mis ses souffrances à nu. Désormais, dans la pénombre de ses volets clots il peut essayer de ranger les mots, d'un côté les diurnes : « aigle », de l'autre les noctur· nes : "source ». Parfois il y a des hésitations, où ranger le mot « douleur » ? et puis certains mots sournoisement fran· chissent la frontière. La Nature le met en transes, le fait délirer et le Dieu mouvant est un de ces rêves fièvreux. Le dieu est un marais, somptueux royaume caché dans les r0seaux, les fleurs, " la sagne rose buveuse
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d'aiguail, le souci d'eau et la spirée, la dorine et le lotier II les plantes : « !Denthes, orties et douves, trèfle et châtaigne d'eau, prèles et fougères, carex et lentilles ». Au bord du marais, une maison où habitentdeux sœurs Iris et Elodie. Le héros y est reçu comme l'Etre Attendu. Avec Iris il parcourt le marais. apprend à le connaître à s'imprégner de sa substance, à l'aimer jusqu'au plus inf.ime reflet d'eau, jusqu'à la plus frémissante de ses libellules, jusqu'à sa senteur la plus secrète. La profusion des images paraît infinie, le luxe des détails botaniques et poétiques font de ce marais un monde immense, sa splendeur tremble au bord de la beauté et de la pestilence. Et le. soir venu, devant les hautes flammes, il retrouve Elodie la belle et l'encemence avec le pollen du marais. L'érotisme de ces jours d'été devient at· tente avec les pluies d'automne, attente d'un enfant - celui du héros ou celui du dieu? Mais dans la nuit de l'hiver Elodie meurt. Le printemps reviendra-t-il ? Non. Le sable, la boue s'étendent à perte de vue «la mort vers eux tendait ses . lippes li. La bizarre fascination qu'exerce sur nous ce récit onirique, cette poussière d'or poétique, ce raffinement d'observations passionnément polies, est néanmoins trou· blé par des images qui nous font rire: nous sommes encore sensibles au ridicule de flammes enchaînées dans la cheminée ou du jour qui passe un bras blanc sous une nuque... Avons-nous tort de donner ainsi des limites à la poésie? Le livre d'Olivier Perrelet doit se découvrir comme une boîte ancienne très ouvra· gée, il faut la regarder avec soin, c'est un objet insolite. Morie-Claude de Brunhoff
Gabriel Deblanqer
Le retour du c1wsseurs
Robert Laffont, éd., 280 p. La méchanceté crue, sans sadisme, sans psychologie, sans aucun· esprit sophistiqué ni surréaliste, la peur venue de la terre même, des arbres. des animaux, reste peut. être un des domaines de l'épouvante le plus inexploré de nos jours. L'inspiration de Gabriel Deblander - poète belge vient de ces régions démoniaques contre lesquelles nous n'avons pas appris à nous défendre. Ces nouvelles sont hors du temps, elles pourraient aussi bien se passer au Moyen Age. Dans une grande ferme parquée par l'hiver, sous une neige" grumeleuse, âcre comme suie ». où court une bise au bec de pierre, la servante-maîtresse de Juste Le Mal Nommé est une femme·belette. Le fils de la maison sait qu'elle a tué sa mère en la mordant au cou : les belettes mor· dent ainsi les lapins pour leur sucer la cervelle. Son tour ne saurait tarder, les signes précurseurs sont là. Mais la vp.n· .geance existe aussi. Le drame commence il y a longtemps va se dénouer sous nos yeux. Certains soirs, la belette peut dev!'.. nir lapin pourchassé. Plus loin un insecte venu « d'ailleurs », une énorme chose jaune - la couleur sata· nique - hume doucement la peau douce d'un enfant, puis le pique brutalement. La joue goDne, éclate, et un insecte jaune gros comme un poing d'homme en jaillit. Dans ces deux nouvelles la même approche : une menace qui rôde comme un bourdonnement sourd, puis soudain un geste brutal, et l'horreur. Les je'unes gens sont aussi aux prises avec les démons de la nuit. L'un d'eux s'arracherait la peau tant une démangeai.
pas, shopping dans les " bazaars », amours platoniques et dentifrice. Du reste, Bri· gitte est une âme tranquille : la société vous aliène et il faut s'en isoler, voilà tout. Et comme elle est forte, elle évite les drames qui en broient tant d'autres. Elle saisit ainsi quelque chose qui res· semble à la liberté ou à son leurre. Il est vrai que son courage est extrême. Elle se défend comme la chèvre de M. Seguin : non seulement contre les garçons qui ne pensent qu'à ça mais aussi contre les autochtones parfois malhonnêtes (scène insolite, dans le livre, des hippies qui livrent à la police le concierge de leur hôtel soupçonné d'avoir chapardé dans leurs bagages). Quant à l'argent, on profite de la mendicité généralisée de l'Inde pour mendier aussi !
Ce livre nous en dit davantage sur Brigitte que sur le mouvement hippy, du moins si l'on demeure convaincu que les révoltes des jeunes gens sont des décisions généreuses, violentes et ravageuses. Il reste que l'histoire se lit sans ennui et que le caractère de cette jeune fille n'est pas ordinaire : elle dose curieusement le goût de l'aventure et la raison, la révolte et le conformisme. Elle a enfin une ardeu.r, un sens de la liberté et de l'haleine fraîche qui font honneur à la bonne éducation belge. Gillu Lapou~e
son le brûle et soudain, il est entière· ment couvert de poils de taupe, même sa figure. La meilleure histoire de Gabriel Deblan· der est sans aucun doute les Fous autour de l'arbre. Tout se passe dans un jardin, autour d'un arbre. Un vieux jardinier aveugle essaye d'arracher son jeune assistant à une curiosité obsessive. Au haut de l'arbre, au cœur de sa cime, il y a quelque chose. Le garçon entend un cris· sement doux et intolérable : « On eut dit la carU5e d'une main colleuse sur une robe de soie. Qu'est-ce que cela peut bien être? Une femme et un homme dons un nid ?» " V a à la ville, vois le& fillu ... ", grogne le vieil aveugle. Mais le garçon s'entête, il '!oe peut plus penser à autre chose, il ne peut plus entendre autre chose. Il monte au haut de l'arbre. Je me garderais bien de vous dire ce qui s'y passe... Il faudra qu'un troisième jardinier vienne s'occuper du jardin; mais lui aussi rôde maintenant autour de l'arbre. Cette nouvelle toute enduite d'une poé. sie rude a néanmoins une atmopshère qui rappelle. çertains tableaux de Mal( Ernst. Un mystère, une couleur si belle et maléfique et soudain, dans un coin, un éclat de métal, un mouvement d'oiseau. La rudesse du ton de Gabriel Deblander a une lourdeur rustique. On peut même s'y enliser comme dans de la terre meuble. Peut-être est-ce cet équilibre précaire entre le style raboteux et l'imagination diabolique qui provoque notre peur. Gabriel Deblander la tisonne comme un vieux sorcier au coin de son feu. Il nous transmet un malaise profond, écœurant comme un fruit blet. Aucun fol1ùore, sim· plement, le Mal. M.C.B.
La Chine et l'art d'aimer Jeux des nuages et de la pluie Textes de divers auteurs. 13.1 ill., dont 28 pl. en coul. Bibliothèque des Arts, éd., 224 p.
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L'Eglise ne s'y trompe pas : ces prêtres qui ont l'audace de revendiquer le droit au mariage font partie du scandale où se Jette avec allégresse l'Occident en osant vouloir délivrer l'érotisme de la notion de péché. Il est curieux qu'il suffise de se tourner vers une autre partie du globe, vers la Chine, pour voir cette notion se volatiliser. C'est, en effet, au cœur même d'une vieille religion, c'est dans le pur taoïsme, que les traditions érotiques chinoises plongent leurs racines. A l'époque des Han (206 av. - 220 apr. J.C.), les pratiques sexuelles faisaient l'objet de manuels destinés à propager les doctrines taoïques. Elles constituaient un exercice fondamental .dans la recherche de l'immortalité. C'est pourquoi la légende a fait d'un maître des • arts sexuels ., le sage P'eng-tsou, un auxiliaire du dieu de la Longévité : il n'eut pas moins, dit-on, de dix-neuf femmes et de neuf cents concubines. Et selon le philosophe taoïque Ko Hong, qui vécut au IVe siècle, • nul ne peut obtenir la longévité qui ignore les Arts de la Chambre à coucher». Image vécue de l'union spirituelle du Yin et du Yang, les deux principes complémentaires de la cosmologie chinoise, l'union charnelle révèle sa perfection par la volupté. En outre, elle est tenue pour essentielle dans la thérapeutique d'affections multiples. Religion populaire, le taoïsme des premiers siècles initiait les masses à son rituel qui comportait des cérémonies sexuelles rigoureusement réglementées. Et lorsque, plus tard, la réaction bouddhique manifestera son opposition à de tels rites, des courtisanes se feront encore une renommée en se spécialisant dans les techniques érotiques taoïstes. C'est du fond de cette sexologie sacrée que surgit dans la littérature chinoise un courant érotique dont les manifestations La Quinzaine littéraire, du 1 au 15 W
mGT.
atteindro.nt toutes les formes de l'écriture, poétique et roma· nesque, en même temps que s'y déploiera un panorama dendu des raffinements et des perver· sités inséparables des • jeux des nuages et de la pluie» ou yun yu, ainsi que sont nommés, dans un langage souvent moins aérien, les jeux de l'amour. Des aventures des moines lubriques aux délicats poèmes des Song, des scènes de lupanars, où l'on met un entrain diabolique à «forger l'épée dans le four· neau écarlate., aux évocations élégiaques où «la rosée, comme un doux ruisseau, atteint le cœur de la pivoine ., toute une galerie de héros et d'héroïnes ont rendu célèbre l'histoire de Ying-ying, souvent reprise au cours des siècles, le Kin P'ingMei, roman de toutes les débauches, le Jeou Pou T'ouan (le Tapis de prière de chair), écrit par Li Yu, le Yu Kouei Hong, de Louo P'ing-cheng, récit de l'ignoble dégradation imposée à une jeune fille dont la virginité est vendue à un vidangeur et où plus d'une scène semble préfigurer les romans de Sade avec une Justine aux petits pieds bandés, le P'in-houa-pao-kien, où Chao-Yi décrit les mœurs des acteurs, spécialement de ceux qu'on appelle les • manches coupées ., le Liang-Hiang-Pan, livre des amours saphiques, etc. Les extraits de ces romans et des poèmes sont publiés dans des traductions de Mme Georges Bataille, Pierre Klossowski, Tchang Fou-Jouei et Franklin Chow, tandis que des études historiques et analytiques, dues aux sinologues Kristofer Schipper et Jacques Pimpaneau, professeur à l'Ecole des langues orientales, complètent cet ouvrage que Michel Beurdeley présente, qu'il a aussi, en partie, rédigé, et qu'il a illustré par un choix de peintures et d'estampes chinoises. Puisées dans les collections, sans doute un peu cachées, du British Museum, du Metropolitan de New York, de l'Université d'Indiana, entre autres, ainsi que dans des collections privées, principalement dans celle de l'ambassadeur R.H. van Gulik, auteur de Sexual Iife in ancient China, elles sont reproduites avec un grand soin et font tout le char1970
Porcelaine de l'époque de
Kan~.hi
(1662.1722,.
me de cette édition exceptionnelle. Les personnages que les artistes chinois, depuis les Yuan jusqu'à l'époque K'ien-Iong, c'està-dire du XIIIe à la fin du XVIIIe siècle, et, même au-delà, ont peints sur soie, sur papier huilé ou, plus curieusement, sur peau de fœtus, parfois sur des rouleaux offerts aux jeunes mariés pour leur initiation, ou encore dessinés d'un. pinceau volant • et d'une • encre dansante • pour illustrer les pages du Kin P'ing-Mei, ces amants au visage à peine souriant, ces jeunes beautés aux gestes délicats (mais précis), presque hiératiques, nous persuadent tous qu'ils ont bien mérité leur immortalité. Mais, aussi descriptive et réaliste que soit la représentation de leurs jeux non innocents, jamais l'image ne se situe au niveau d'une qualification égrillarde. L'humour n'en est pas pour autant absent (on y découvrira un usage inattendu de l'escarpolette) , et la cruauté y trouve aussi sa place. Dans le cas du moindre mal, le « Jeu des fléchettes volantes ., même alors que les fléchettes sont
remplacées par dés prunes. n'est pas de tout repos pour leur cible vivante. Cependant, on est bien obligé de reconnaître que la pureté du trait, dans tous ces dessins, est communicative, et qu'elle y dissipe toute impureté des intentions. C'est un privilège de l'art - singulièrement de l'art chinois - que de transcender toute chose et de climatiser, pour ainsi dire. l'impudeur. Une recherche stylistique poussée jusqu'au maniérisme fait de ces jardins clos et de ces intérieurs de gynécée un décor toujours un peu irréel dans lequel le spectacle de l'amour semble s'offrir à l'esprit plutôt qu'aux sens. Jean Selz
THEATRE DE LA MUSIQUE Square Chautemps. Tél. 277-88-40 16 mars
LUC FERRARI HETERO • CONCERT 18 h 30 : Sandwichs concert 20 h 30 : Soirée concert
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EXPOSITIONS
L'Art flallland c'est une exposition exceptionnelle qui se tient à l'Institut Néerlandais (1) jusqu'au 15 mars. Non que Saenredam soit un grand maître (chacune de ses toiles vaut cependant un nombre respectable de millions), mais parmi les innombrables peintres de l'Age d'or hollandais, il occupe une place singulière. Qui est Saenredam? Biographiquement, cela tient en peu de mots. Il naît bossu à Assendelft en 1597, peint cinquagtecinq tableaux à peu près identiques et meurt en 1665, laissant aussi cent quarante dessins. Il a une manie, l'architecture, une passion : le vide. Les manuels le signalent comme peintre d'églises, précisent parfois que son père était graveur et le catalogue de l'exposition ajoute qu'il eut pour compagnons deux architectes, Pieter Post et Jacob van Campen qui fit son portrait, et qu'il n'alla jamais en Italie. Saenredam est donc • peintre d'églises -. Il n'est pas le seul. Emmanuel de Witte, van der Vliet et quelques autres n'ont pas négligé cette source d'inspiration, mais ils ne l'ont pas privilégiée comme lui. Ils s'attachent à la réalité et même peut - être l'embellissent - ils. Saenredam semble la fuir. Leurs églises sont aussi peuplées que les canaux gelés d'Avercamp ou les rues de Harlem de Berkheyde. Les siennes sont désertes. Ils se résignent mal au dépouillement des nefs ordonné par la Réforme, lui l'accentue; ainsi multiplient-Ils sur les murs ces curieux blasons en forme de losange dont il ne se sert que pour briser d'une façon quasi clandestine la rectitude d'une colonne. Leur champ visuel entrecroise les piliers, les clôtures de bois ajourées, installant une succession de plans qu'animent à plaisir les jeux d'ombre et de lumière et les allées et venues d'un peuple en labeur. Saenredam, lui, aborde les nefs et les transepts dans leur frontalité, les vide de tout mobilier et réduit les personnages quant il les tolère - à l'état de silhouettes inutiles: Il exacerbe la perspective des dallages, pose les piliers com-
le
El{lise St-Jan à Utrecht.
me des portants sur la scène d'un théâtre et fait descendre des voûtes enveloppantes comme des coquilles, un lustre aussi énigmatique qu'un pen· dule figé dans sa course. Il éclaire enfin cet espace savamment élaboré d'une lumière uniformément blonde. envahissante et illogique, qui atténue les volumes, simplifie les plans au point de suggérer parfois la grille d'un Mondrian ou les arcades métaphysique d'un Chirico. Non. Saenredam n'est pas le seul à peindre des églises, mais il est le seul à les peindre vi· des. Mieux, c'est le vide qu'il peint. On ne manquera pas ça et là, et non sans raison, de voir dans cette obstination son goût quasi exclusif pour "architecture ou, sur un autre plan, le triomphe de la Réforme aux Pays-Bas, l'exaltation du dépouillement et de l'austérité calvinistes. Cela ne suffit pas. Pour mettre Saenredam à sa vraie place. il ne
faut pas le restreindre aux peintres d'églises mais le situer dans l'ensemble des petits maîtres qui l'entourent. Solidaire parmi tous ces intérieurs cossus et soigneusement astiqués, ces ports grouillant de marchandises. ces orgies villageoises, ces natures mortes étalant les pâtés entrouverts, les citrons à demi pelés, les fruits vernissés, les carafes miroitantes et les verres à moitié vides, son œuvre prend alors une résonance inattendue. Le dénuement s'oppose à l'exhibitionnisme et l'on se de· mande si, face à cette société hollandaise qui ne se lasse pas de commander à ses peintres les images de son opulence, Saenredam ne serait pas tout simplement contestataire comme le sont à leur manière, Arman et ses poubelles, Warhol et ses Campbell soup. Marcel Billot (1) 121, rue de Lille.
Un sentiment bizarre s'empare du visiteur de l'exposition de l'Art Flamand à l'Orangerie. Certaines toiles ou certains peintres lui apparaissent comme des points de repère. Il retrouve avec plaisir la fresque chatoyante d'Ensor l'Entrée du Christ à Bruxelles ou l'exubé· rance ensoleillée des toiles de R. Wouters. Ces œuvres fami· lières demeurent cependant isolées dans un paysage nocturne de terres inconnues. L'impres· sion d'étrangeté qui se dégage ainsi de cette exposition se trouve encore accusée par la diversité frappante de ce que l'on n'ose à peine appeler une école, tant celle-ci paraît défier les normes de la cohérence. Au premier regard on voit mal, en effet, quel principe mystérieux a déterminé le regroupement d'œuvres si différentes, sinon qu'elles ont toutes été créées en Flandre au cours d'une période s'étendant approximativement de 1880 à 1940. Au seuil de l'exposition, l'œuvre d'Henri de Braekeleer et celle de van Rijsselberghe indi· quent toutefois, d'une manière révélatrice, une rupture entre deux mondes. Tous deux ont, d'une façon presque contradic· toire, vidé les apparences du réel de leur support. L'œuvre d'Henri de Braekeleer baigne dans le vacillement immobile d'espaces confinés où le silence s'installe avec l'attente anxieuse d'une absence en perpétuel devenir. L'espace ai n si découvert, Ensor va le remplir de ses phantasmes qui empruntent à ses terreurs enfantines et aux han· tises de son subconscient les aspects horrifiques d'une mas· carade qui n'est pas sans rappeler les hallucinations de Poe. L'extraordinaire y revêt les apparences du quotidien et les rues d'Ostende, les chinoiseries des brocanteurs deviennent le lieu d'un sabbat démoniaque. Bientôt la lutte avec les forces du mal étend ses ravages, les artisans de la persécution multiplient leurs coups en tous sens et même les espaces les plus sublimes ne sont plus à l'abri de leurs atteintes. Ensor de· viendra alors pareil à l'Homme de Douleur. assailli de toutes parts, ignoré et bafoué, muré dans ce silence de supplicié et
,
Les bolides au musee dans l'attente muette de cette résurrection tardive, parodie dérisoire et grotesque du triomphe condamné. Cet espace est aussi celui de van den Berghe. La consistance opaque et les couleurs graves de ses premières toiles sè déchirent comme des fruits mûrs pour faire place à des lam· beaux aux formes tentaculaires et à des monstres menaçants. Ailleurs, cepend;mt, les peintres flamands semblent s'ingénier à déguiser leurs spéculations sous les formes rassurantes de l'espace familier. Tout se passe comme si van de Woestijne, Minne ou de Saedeleer s'étaient appliqués à conjurer leurs démons en s'inspirant de l'imagerie religieuse ou des paysages que leur avaient légués les siècles. Sous leur pinceau nous redécouvrons, dans Jeur fraîcheur primitive, les vastes étendues de la perspective et le visage trop humain de la suavité divine révélés par les maîtres du XV· siècle. Bientôt cependant la fixité insolite d'un regard ambigu, la pâte crayeuse d'une neige trop blanche, la distorsion exaltée d'un geste dénoncent sournoisement J'imposture et ses illusions. Ainsi, la sérénité admirable des Dor· meurs trahit-elle l'accablement abruti des mauvais bergers, tandis que le visage du Christ se brouille dans la buée des Jarmes refoulées. La fantasmagorie captée au gré des images anciennes et pieusement reconvertie, selon les deux sens du terme, dans le langage quotidien, avec une patience orientale, aboutit ainsi à en démentir l'apparente quiétude et à y insérer une dimension irrationnelle : cette lumière laiteuse et asthénique qui est le tissu des rêves. Ainsi les artistes flamands ont-il tracé, par des voies souvent divergentes, les limites d'un espace nouveau dont de Smet a élaboré l'architecture tandis que Permeke en a tracé l'horizon et campé les acteurs. C'est par l'œuvre de ce géant que s'achève cette exposition: paysages illimités où la charpente de l'homme se dilue dans l'éclat soufré d'une lumière inquiétante chargée d'orages èt d'angoisses. Guy C. Buysse La Quinzaine littéraire, du 1- au 15
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Immobiles, ils composent sur la piste tendue à travers la grande nef du Musée des Arts décoratifs une surprenante figure de ballet. Ces voitures plus fréquemment aperçues comme des formes fuyantes, accompagnées par le vacarme des échappements libres et d'enivrantes odeurs d'huile, se retrouvent briquées, luisantes, désodorisées, presque démystifiées dans l'atmosphère compassée du musée. Les qualités qui leur apportent l'efficacité: profilage, astuces mécaniques, recherche d'une totale adhérence, d'une plus grande légèreté, nous apparaissent composer une étrange beauté. Ces formes qui nous séduisent sont le fruit d'une évolution continue, au long- des années et presque de saison en saison, selon les développements de la technique, les options mécani· ques ou les règlements de course. Les formidables monstres au capot démesuré, aux formes brutes, s'affinent et perdent leur aspect de mastodonte pour re· vêtir des allures de pur-sang merveilleusement déliées, avant de se métamorphoser en poisson, puis en insecte. A chaque époque, quelques réussites exceptionnelles donnent le ton et déterminent une mode. L'esthétique prend alors le pas sur la mécanique, l'une et l'autre toujours intimement liées. La Bu· gatti n'est pas seulement la voiture la plus racée des années 3D, c'est également celle qui gagne, parce que l'esprit de s-on constructeur s'est tendu vers la perfection sur tous les plans et se préoccupe aussi bien de la beauté de son moteur, de ses roues, de la netteté de sa ligne que de l'efficacité des solutions techniques mises en œuvre. Il en est de même pour la Mercédès de Fangio, la Jaguar des 24 Heures, la Lotus de Clark ou la Porsche de Siffert. Sur les piédestals où se trouvent ces vedettes, auréolées de fulgurante gloire, notre œil est appelé à contempler ces formes soumises à des fonctions, nées d'aucune émotion, mais d'une rigoureuse science, et cependant sensibles. Du croquis initial à la réalisation définitive, elles ont allié à tous moments la techni· que la plus avancée aux concep1970
Etude pour la Sigma.
tions esthétiques les plus audacieuses. Les artistes, parmi les premiers, se sont passionnés pour ces grands jouets, pas seulement sous le coup d'une exci· tation passagère pour un fasci· nant gadget, mais sans doute séduits par cette force en pleine expansion qui cherchait sa forme ; peut-être également par un inconscient besoin de s'approprier les pouvoirs et les vertus de la star rivale, de la posséder avant qu'elle ne les possède, pour découvrir, avec elle, de nouvelles notions de temps, d'espace et d'équilibre, dont les relativités vont transformer leur
vision. Ils ont donné libre cours à leur frénésie au volant de leur cpvale, parcourant les paysages déchirés comme ils éclataient les plans de leur tableau ou de leur sculpture, découvrant dans la vitesse des énergies nouvellement assemblées. Aucune confusion de genre n'a sans doute été cherchée dans la manifestation du Musée des Arts Décoratifs. Nous y trouverons le plaisir un peu ma· sochiste de côtoyer des vedettes dont l'usage nous sera, hé· las, refusé, objets de culte et mirages pour nos instincts de puissance.. Jean.François Jaeger
GALERIE RIVE DROITE 3, rue Duras - Paris 8'
- 265-33-45
MOURAUQ Exposition prolongée jusqU'au 7 mars
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PHILOSOPHIE
La philosophie Le livre de François Châte· let: La Philosophie des professeurs, écrit par un professeur de philosophie, évoquée ici par un professeur de philosophie... pourrait paraître typique de ce qu'on dénonce: le serpent qui se mord la queue, le débat interne et l'au· tocritique qui ne fait de mal à personne, d'autant que cette autocritique comporte toujours une réserve, puisqu'elle est le produit d'une réflexion théori· que liée à une pratique de c quatre lustres -, o~ l'on a connu les classes terminales, la sélection de la Khâgne et l'expérience du département de philosophie de Vincennes, c'est-à-dire à une pratique suffisamment complète et disparate pour avoir le droit de juger... ou tout au moins la possibilité de prendre ses dis· tances!
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François Châtelet l,a philosophie des professeurs Grasset éd., 230 p.
Cependant nous ne sommes pas $ur ces terrains et François Châ· telet nous met en garde. dès le début contre cette interprétation contestable et psychologiste. En effet le livre, et son titre, ne doi. vent pas être pris comme l'an· nonce d'une critique des' ensei. gnants de philosophie - somme disparate d'individus - de toutes opinions .et de tous caractères, de Sénik l'indésirable, au professeur modèle que l'Inspection Générale note au maximum ou que le minis· tère, accentuant la hiérarchie bien connue' et concurrentielle, prônent en « Chaire supérieure ». Car l'analyse de Châtelet est d'abord destinée à éviter le piège du vécu, et l'illusion « psychophi. losophique» d'une indépendance que nous n'avons pas. « Il s'agit d'abord de critiquer résolument l'enseignement actuel de 'la philosophie tel qu'il est défini institutionnellement, afin de mettre à jour sa place et sa fonction dans la lutte politique et, pour ce faire, de définir les moyens qu'il utilise ». On voit à quel point ce livre, est salutaire qui dit clairement ce que l'on tend à cacher, plus encore depuis Mai qu'avant : le dévoile· 18
ment, fait alors dans les masses, de la fonction de classe de l'Université et, plus spécialement de l'enseignement de la philosophie en classes terminales, dans le cadre de la préparation aux KN.S., dans l'enseignement supérieur, bloque la reconnaissance de struc· tures par rapport auxquelles nous ne voulons pas avouer notre dépendance. Aussi pour en faire prendre conscience, François Châtelet met· il en lumière les conditions ob jec· tive., communes. Dès la première ligne est indiquée la spécificité de l'institution de la philosophie en France : son enseignement' pour tous' les élèves du secondaire, en « classes terminales ». Quel est alors le rôle de ce « couronnement qui se veut situé dans l'extrême généralité » ? Quelle' philosophie y enseigne.t.on ? Et comment, au· delà des spécialistes, cet enseigne. ment fournit·il « à qui pense, à qui écrit, à qui décide en ce pays ses concepts.•clés et ses valeurs pri. mordiales ? » De façon plus générale il « permet à l'adolescent, bien doué et soutenu par sa famille de faire sa place dans la société de son tem"s» et « possède ce privilège redoutable de rendre digne l'indi. gnation, critiquable la critique, acceptable l'acceptation ; de tout ramener à l'étiage commun, la religion, l'université, la vie des ré· gions, la politique mondiale, de tout disposer en colonne par cinq; de tout comprendre et de tout re· cevoir ; de définir ce que, désormais, on va appeler « l'objectivi. té ». Les annexes du livre montrent comment les programmes, pour indic~tif8 qu'ils soient, n'en sont pas moins exigés, et constituent déjà un cadre.' L'efficadté immédiate, celle du baccalauréat, en est l'enjeu. Et ce dyptique montre la distorsion en· tTe la I( liberté assurée au profes. seur à chaque page des instructions ministérielles (liberté d'opio nion, liberté d'ordonnance, liber. té de mét.hode... ) et la plate réa· lité. » « De fait le professeur en cla.,ses terminales peut procéder comme b,on lui semble pourvu qu'il sache faire aimer La Philosophie et développer les capacités réflexives en général. Mais ce libéra· lisme apparent a une limite et cette liberté déclarée sombre dans la plus complète abstraction. Il y
a une sanction en fin d'année : le ,baccalauréat. » On croirait la re· tombée du poème de Rimbaud : « Le voyage »... le contraste entre le rêve et la dernière réplique : « Et le bureau » ? Le tout, en référence aux ma· nuels. Et certes, il est conseillé (Instructions de 1925, celles du libéralisme bourgeois et de l'apogée de la philosophie des professeurs, qu'il faudrait commenter de près... ) « de ne s'en servir qu'acci. dentellement », mais ils sont choisis par l'ensemble des professeurs. Ils sont la trame sourde et l'ex· pression commerciale d'un discours analogique, mal~é sa distinction. De sorte que l'élève peut s'y référer, et s'y retrouver, dans ses dissertations comme à l'exa· men, et le manuel, sera, qu'on le veuille ou hon, le miroir défor· mant où l'enseignant découvrira ce qu'il n'a pas cru dire. Prenant ces repères objectifs : programmes, examens, manuels, comme indice, Fr,ançois Châtelet va développer dans une analyse descriptive les lieux communs et le proces.sus commun à tous les secteurs et tous les niveaux de la Philosophie scolaire et universitaire (que Fr.ançois Châtelet dési. j(Ile, en s'amusant, des initiales P.S.U.). C'est pourquoi il ne s'attachera pas à l'enseignement supé. rieur en lui·même : « réitération et dérivation» de l'enseignement donné dans le secondaire; il est, comme le rappelait le ministre Guichard contestant la validation de la licence d'enseiplement à Vincennes, destiné à former de bons agents de la P.S.U. La P.S.U. se définit d'abord par son incroyable capacité d'intégration. Ce mode d'intégration 'est aussi plus modeste et s'accommode d'un électismequi convient bien à l'en. seignement de la philosophie quand on a perdu confiance dans les valeurs dominantes. Seuls le « Moi·je », sujet « psychophilosophique » que Châtelet désigne comme premier lieu commun, et l'Homme, second lieu commun: source et achèvement, unifient cet amalgame. Entre les deux pôles les autres « lieux communs» : le concret, l' histoire de la philosophie, les sciences de la nature et les sciences humaines ont des pro· cessus analogues et des rôles par. ticuliers. Et la récupération ré· cente d~s sciences humaines pero met de fermer le cycle : l'ordon.
nance de la P.S.U., comme chacun de ses ch,apitres, de ses cours, comme l'idéal de la dissertation bien faite ou du chef·d'œuvre constitue une totalité achevée. L'analyse descriptive que François Châtelet mène de proche en pro· che nous y conduit comme si de rien n'était, encore faudrait·il la suivre pour voir la précision que l'auteur apporte dans les différen· ces. La P.S.U. en appelle aussi aux « grands auteurs» et confronte leurs « subjectivités libres », hors de toute référence historique puis. qu'il s'agit de pensées éternelles: « 'comme en un dialogue des mort, Platon dialogue avec J.• P. Sartre et Bergson avec Zénon l'Eléate ». Par,allèlement elle a recourlt aux faits pour échapper à l'analyse. Le « Faitalisme» que dénonce Nietzsche comme typique de la décadence, répond au lieu commun « concret» et permet de ne rien conclure : oui mais... oui mais, qu'il s'agisse du socialisme ou du capitalisme, on en appelle à 'la neutralité. Dans un cas (histoire de la phi. losophie) comme dans l'autre (concret) il s'agit d'un nivellement où tout est édulcoré. La façon de manier les auteurs, de les lier à tel problème en un réHexe condi· tionné, de le8 in8érer dans une sé· rie qui dénature leur pensée (la thèse de Sartre à propos de l'Ima· gination), de les réduire au P8Ychologisme (Descartes, inventeur de ce « truc » pédagogique commode qu'est le doute ... ) n'a d'égal que l'irrespect pour les sciences : « Galilée avec son lustre (sans le tribunal du Saint-Office), Newton avec sa pomme (sans la révolution théorique qu'il détermine) pero mettent d'esquiver les problèmes ». Tel semble trop souvent l'inten· tion de cette philosophie du Ques. tionnement. Pour avoir démonté les rouages de la P.S.U. et avoir cerné les idées directrices (éclectisme et intégration, banalisation et postulats normatifs, démagogie et neutralité etc) qui correspondent au vide théorique et à la fonction sociale de l'en8eignement de la bourgeoi. sie, le livre de François Châtelet est important. Ce qui n'exclut pas l'aisance dans l'écriture et la pensée. On sent à la lecture une saine gaîté à critiquer le pourrissement de cet enseignement qui (comme beaucoup d'autres) « ad·
des professeurs ministre un cadavre avec déférence :Il. Au-delà des collègues qui «trou. veront le temps» de lire les 250 pages' alertes, synthétiques, par· fois trop allusives, parfois trop brillantes, François Châtelet s'a· dresse aux élèves, aux étudiants, à tous ceux qui, d'une spécialité à l'autre, s'interrogent sur la pesante survie de l'Université, de la phi. losophie et de la culture bourgeoise. Un livre qu'il faut discuter, armes en mains (je veux dire : manuels et cours), enseignants et enseignés... L'aisance n'exclut pas l'exigence : le mérite de Châtelet est de situer l'enseignement de la philosophie dans sa fonction sociale, comme idéologie de la classe dominante, sans se laisser prendre au piège du « savoir », sans pra· tiquer l'auto-censure habituelle à la « défense de la philosophie»
devant les menaces réactionnaires. Car si l'enseignement de la philosophie est, tout relativement et malgré sa confusion « un lieu de résistance à la bêtise dominante ". c'est tout relativement! et l'i d é 0 log i e anarcho-chrétienne qu'évoque François Châtelet risque éventuellement, devant le développement de mouvements lycéens et étudiants, plus souvent de freiner que d'aider. Dans ces conditions, les limites du livre ne répondent pas à ce qu'on attendait; car manque l'ana· lyse de ces luttes politiques en rapport à quoi l'auteur annonçait qu'il déterminerait Il la place et la fonction de l'enseignement de la philosophie », comme est partiel aussi le rôle que l'auteur propose à l'enseignant dans la lutte contre l'idéologie de la P.S.U. Certes, il s'agit « d'utiliser ce lieu qu'est l'enseignement de la philosophie dans les lycées et dans
Sans l'action politique la critique théorique devient IC critique )J.
François Châle/el,
les facultés pour cntr.quer cet enseignement ». Mais, à en rester là, le risque de récupération par la P.S.U. demeure. Aussi la dénonciation doit·elle comporter la répudiation pratique de la pensée spéculative. La lutte idéologique ne se mène pas qu'avec des mots.
Et si François Châtelet s'était interrogé, comme il le fait, au terme du chapitre sur les sciences humaines à propos de Freud (et de l'ethnologie! ) nous savons « ce qu'il resterait de l'èdifice théorique de la P.S.U. si elle donnait réellement la parole)J .. .' à Marx, ce lien à la pratique politique se serait sans doute imposé. Encore est·ce une fausse question : la P.S.U. ne donne jamais la parole au discours marxiste s'il reste lié à la pratique révolutionnaire. François Châtelet le sait bien, pour l'éprouver au département de philosophie de Vincennes. Aussi faut-HIa prendre dans ces « luttes rebelles » auxquelles il fait allusion et qui actuellement comportent le risque de répression.
Jeannette Colombel
Une nouvelle forme d'équipement'culturel LE COLLÈGE GUILLAUME BUDÉ DE YERRES
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réalisation La Quinzaine littéraire, du 1· au 15 mar. 1970
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POLITIQUE
Les voix du silence Le 5 décembre 1969 une trentaine de membres du Groupe d'initiative .pour la défense des droits civiques, organisation proclamée publiquement en Union Soviétique en mai 1969, organisaient une manifestation à Moscou pour le respect des droits garantis par l'article 125 de la Constitution (liberté de parole, de réunion, de presse, de manifestation); 16 jours plus tard, le 21 décembre, une trentaine de manifestants, à l'appel du même Groupe, se réunissaient sur la Place Rouge devant le mur où sont enfouies les cendres de Staline pour manifester contre la réhabilitation de Staline. Dans les deux cas la police dispersa violemment la manifestation. Samizdat 1 La voix de l'oppositwn communiste en U.R.S.S. Edité par la Vérité Réédité par Le Seuil, 644 p.
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Le gros volume qui vient de paraître sous le titre Samizdat l, lu voix de l'opposition communiste en U.R.S.S., publié par les trotskystes français de l'Organisation Trotskyste pour la reconstruction de la IV· Internationale, permet de comprendre l'origine, la nature et le sens de ces manifestations, qui se répètent depuis 1965 et traduisent la montée lente mais régulière d'une opposition de gauche que la répression renforce, loin de pouvoir la briser. Les textes ici réunis couvrent la période qui va de la fin de la seconde guerrc mondiale à ces dernièrcs semaines. De l'évocation de la grève générale des déportés de Vorkouta (1953) qui ouvrit la première faille dans le système des camps, à l'appel du Groupe d'Initiative pour la défense des droits civiques, les divers moments d'une longue lutte sourde. illl.~onnue, méconnue, sont ici évoqués par la bouche de ceux·là mêmes qui en furent ou en sont les pionniers. La nature de cette lutte, l'écrivain Constantin Paoustovski la définit dès le 22 octobre 1956. Ce jour.là devait se tenir un meeting officiel pour condamner l"f/omme ne vil pas seulement de JlU.in. roman de Doudintsev qui 20
dénonce certaines pratiques bureaucratiques. Mais ce jour.là en Pologne, des dizaines de milliers de travailleurs réunis en assemblées et en mettings affirmaient leur volonté de prendre en mains leur destin; mais ce jour.là, en Hongrie, les meetings se multipliaient dans les Universités et les étudiants de l'Université technique décidaient d'organiser une manifestation de solidarité avec la Pologne et d'envoyer des délégations dans les usines. Egalement, ce jour.là à Moscou, le meeting qui devait condamner Doudintsev fut envahi par des centaines d'étudiants et par les écrivains fondateurs d'un syndicat autonome clandestin qui le prirent en mains. Paoustovski y déclara dans un discours que Samizdat 1 reproduit : « Le problème est que dans notre pays existe impunément et prospère même jusqu'à un certain point une couche sociale tout à fait nouvelle, une nouvelle caste de petits·bourgeois. Cest une nouvelle caste de carnassiers et de possédants, qui n'a rien de commun avec la révolution, ni avec notre régime, ni avec le socialisme ». En affirmant la nécessité de combattre ces c carnassiers », Paoustovski concluait: c Il faut mener le combat jusqu'au bout. Ce n'est qu'un début.» (p. 143·146). Après l'écrasement de la révolution hongroise et la confiscation de l'Octobre polonais, l'opposition se reconstitue au milieu des écrivains autour de la revendication du droit à la parole. C'est ce que les auteurs de Samizdat 1 appellent «l'opposition littéraire », inorganisée, que sa volonté d'arracher la liberté d'expression, dans le seul cadre même de la littérature, entraînait, involontairement sans doute, à poser à nouveau des revendications de caractère politique. Toutes les traditions de la littérature russe donnent à celle.ci, en effet, un rôle social éminent. Le c réalisme socialiste », luimême, en proclamant les écrivains des Il: ingénieurs» des âmes, a sanctifié ce rôle social, l'a institutionnalisé. Cela seul suffisait à donner au plus minime exercice de ce droit à la parole une importance extrême et donc une dimension explosive. Soljenitsyne en est un exemple frappant : une Jour-
née d'Ivan Denissovitch apparaît sans doute assez fade aujourd'hui, comparé aux Récits de Kolyma de Chalamov ou au Témoignage de Martchenko, mais sa publication officielle en U.R.S.S., dans les colonnes de Novy Mir, publication imposée, semble·t·il, par Khrouchtchev à une minorité réticente du Bureau Politique, était un acte politique très important parce qu'elle levait le voile sur un moment du passé aux conséquences toujours actuelles. C'est pe\! après, d'ailleurs, que commencèrent la réaction et les procès contre les écrivains dont les vérités, même partielles, étaient trop explosives. En même temps commençait le lent processus de la réhabilitation de Staline, nécessaire à toute tentative de resserrer le corset de la bureaucratie. Ainsi le combat pour la liberté de parole devint combat pour le respect des droits garantis par la constitution, étroitement lié à la lutte contre la réhabilitation de Staline. Au premier plan de ces combats des fils de vieux-bolcheviks (Pavel Litvinov, Piotr lakir, Leonide Petrovski), un vieux bolchevik rescapé de Kolyma, Alexis Kosterine, qui maintiennent une fragile continuité historique. Leurs textes sont sans doute les plus riches du volume. L'importance de cette continuité, Piotr Grigorenko la souligne lorsque dans son discours prononcé aux funérailles d'Alexis Kosterine le 14 novembre 1968 - le premier meeting libre en U.R.S.S. depuis les funérailles du trotskyste Abraham loffé en 1927 - il affirme : c Il y a très peu de temps que je connais Alexis. Il y a moins de trois ans. Mais lai passé à ses côtés une vie tout entière. Mon ami le plu!J proche m'a dit, du vivant même d'Alexis Kosterine : « C'est Kosterine qui t'a créé ». Et je ne le contestai pas. Oui il m'a créé: du révolté que l étais, il a fait un combattant. »
Combattant. C'est le mot qui définit sans doute le mieux les auteurs de la grande majorité des textes de Samizdat 1. Une force tranquille s'affirme chez ces hommes qui veulent en même temps défendre l'Union Soviétique et en balayer ceux que Paoustovski dénonçait dès 1956 comme les pires ennemis du socialisme : le docker Anatoli Martchenko, condamné à
six ans de camps de concentration de 1961 à 1966, condamné depuis l'admirable lettre qu'il écrivit aux travailleurs tchécoslovaques (pp. 398·403) à trois nouvelles années de camp, Larissa Daniel, Piotr Grigorenko, Boukovski, le président du kolkhoze Ivan lakhimovitch - dont la Komsomolskaia Pravda reproduisait le journal de président cmodèle» en 1964 et qui croupit aujourd'hui dans un asile, le poète Vadim Delaunay, le mathématicien Léonide Pliouchtch. S'il est impossible d'analyser ici les nuances et les activités d'une opposition communiste qui fondait dès 1961 en Ukraine une Union Ouvrière et PaY!Janne dont Samizdat 1 reproduit une partie du programme, qui vient de se constituer en une organisation publique et qui organise des manifestations, s'il est impossible ici d'évoquer le contenu fort riche de la soixantaine de textes reproduits dans Samizdat l, s'il est impossible de détailler le contenu d'une politique qui s'affirme comme une volonté de «retour à Lénine ~ et d'ouvrir «la seule alternative au capitalisme et au c socialisme ~ stalinien, le socialisme marxiste léniniste régénéré et débarrassé de la boue » (Kosterine), on peut dire que les textes de Delaunay et de Kosterine, de Grigorenko et de Iakhimovitch, de Pliouchtch et de Iakir, d'Alexeev et de Martchenko, de Larissa Daniel et de Pavel Litvinov rassemblés dans Samizdat 1 mènent tous plus ou moins directement à la conclusion du dernier texte rédigé par Ivan Iakhimovitch avant son arrestation et où, se posant sans la moindre ambiguïté comme un combattant du socialisme et de la classe ouvrière, comme un défenseur des conquêtes d'Octobre, il conclut par ces mots : « Communistes, en avant! Communiste!J, en avant! Avant tout, c'est un danger pour le pouvoir soviétique lui·même quand les homme!J sont privés de liberté pour leuT!J convictions, car il ne !Je passera pas longtemps avant que lui aussi soit privé de liberté. Les puissants de ce monde sont forts parce que now sommes à genoux. Levons·nous.» (p. 429·433).
Jean-Jacques Marie
Du communisme à la collaboration Dieter Wolf Doriot Trad. de l'allemand par Georgette Chatenet Fayard éd., 482 p.
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Si impartiale qu'elle se veuille, une biographie de Jacques Doriot court le risque de paraître majorer un homme et, par voie de conséquence, un mouvement politique relativement secondaire. C'est sans doute afin de parer à ce reproche que Dieter Wolf - jeune historien allemand qui n'a guère connu d'ex. périence le nazisme et la Seconde Guerre mondiale - a entendu replacer le Parti populaire français et son fondateur dans le contexte du fascisme et de la collaboration avec l'Allemagne hitlérienne, parmi les autres personnages et mouvements similaires auxquels il s'est efforcé de restituer leur véritable échelle. S'il n'y est pas toujours parvenu, on lui accordera cependant que sa peinture des années 20, son évocation de février 1934, son analyse des milieux collaborationnistes de Vichy sont, en général, justes et objectives. Sur un tel fond d'histoire, le métallo Doriot, amateur de boxe et de théâtre, socialiste antimilitariste en 1917, secrétaire des Jeunesses communistes, enfant gâté, puis enfant terrible du P.C.F. et de Moscou, partisan de l'ouverture vers la S.F.I.O., battu par Thorez dans la lutte pour le pouvoir à l'in. térieur du parti, schismatique après 1934, chef d'un mouvement natio· naliste pro-mussolinien et pro-hitlérien, munichois en 1938 (mais, en dehors de ceux des députés communitses, deux votes seulement s'exprimeront contre Munich au Parlement), partisan d'une entente totale avec l'Allemagne en 1940, et, pour finir, adversaire malheureux de Laval, puis triomphateur dérisoire, à Sigmaringen, de Darnand, Bucard et Déat - cet aventurier qui devait mourir banalement, en 1944, dans un bombardement, ce « fils du peuple» (son père était forgeron), cette « force de la nature prolétarienne » qui, sans drame de conscience, franchit le fossé qui sé· parait Staline de Hitler, apparaît comme le meneur fasciste type. Il est intéressant de noter que sa conversion, après la rupture de 1934, est un ralliement sans conditions à la définition du fascisme valable, à quelques nuances près. pour tous les fascismes, qu'ils soient
allemand, italien, espagnol ou fran· çais : un nationalisme exaspéré, la création d'un parti unique (Doriot y échouera à Vichy à cause de Pétain et de Laval), le principe du chef et l'idée d'élite (cf. l'hymne du P.P.F. : « Ecoute Doriot qui t'appelle - Enfant de France, vers le plus noble but!»), la formation d'un front contre le marxisme, la démocratie et les Juifs (dès juillet 1940, des membres du P.P.F. sac· cagèrent des magasins appartenant à des Israélites et tentèrent, le 15 août, d'incendier la synagogue de Vichy).
Si l'on ne partage pas l'optimisme de Dieter Wolf sur le fascisme « irrévocablement vaincu par la Seconde Guerre mondiale», ni le jugement favorable qu'il porte incidemment sur le préfet de p0lice Jean Chiappe, si le mot « invasion » pour désigner le débarquement allié en 1944 (p. 393) est de nature à choquer la sensibilité fran. çaise (mais peut-être s'agit-il d'une maladresse de traduction ?), il re~ te que ce Doriot, sous-titré : Du communisme à la collaboration, est un portrait brossé avec une lenteur minutieuse, une application opiniâ. tre et un souci constant de vérité. Maurice Chavardès
Ce qu'il '11 a d'~ationnel et d'élémentaire dans le fasofsme n'empiohe pas la f..aination qu'il peut ezeroer sur oertains intelleotuels.
Ce qu'il y a d'irrationnel et d'élémentaire dans le fascisme - et que l'ouvrage de Dieter Wolf met assez bien en lumIère - n'empêche pas la fascination qu'il peut exercer sur certains intellectuels. Il est édifiant de rappeler à cette occasion l'enthousiasme béat de Drieu La Rochelle parlant du « rendez·vous à Saint-Denis» (où se rassemblèrent, en juin 1936, les fondateurs du P.P.F.) : « On y vient avec ou sans gants, en blouse ou en salopette, à pied et en voiture». Et tout de même le vertige d'un Thierry Maulnier, d'un Jean-Pierre Maxence, d'un Alfred Fabre-Luce, « se hasardant un peu étourdiment sur le sol vierge du fascisme». Contradiction trompeuse : la pensée française a toujours eu beaucoup de mal à se dégager de la caste, à se faire « socialiste ». Par une autre contradiction non moins apparente - la haine de la ploutocratie qui, par moments, prenait un aspect anticapitaliste, n'a jamais empêché Doriot de tou· cher des fonds de diverses banques parisiennes (dont Rothschild, Dreyfus et Lazard), d'industriels de l'automobile et de l'alimentation, de plusieurs associations patronales et des Aciéries de l'Est. En marge de quoi, on devine l'intérêt d'une étu· de d'ensemble sur lp. financement des ligues d'extrême-droite en France de 1930 à 1945 ... Un phénomène rarement analy.
La Quinzaine littéraire, du 1 au 15 mars 1970 W
sé, sur lequel Dieter Wolf se pen· che en passant, est l'imprégnation d 'hommes politiques français (dont la réputation de démocrates n'a guère été mise en doute) par les idées fascistes. C'est le cas, par exemple, de Daladier, qu'on vit, en 1939, recourir à une propagande animée des principes du P.P.F. : à l'approche du conflit, le « tau· reau du Vaucluse », reprenant plus d'une idée à Doriot, « se conduisit en dictateur possible », ainsi que le notèrent alors - mais on l'a un peu oublié Jacques Debû·Bridel et Alfred . Fabre-Luce, lequel avait rompu, après Munich, avec le P.P.F.
MAURICE CLAVa •
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est aliéné ?• critique et métaphysique sociale de l'occident
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LIRGUISTIQU.
Sollers parle 1
Roland Barthes
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Le Seuil éd., 280 p. « L'aventure a des passages dangereux pour le narrateur. » (Balzac). Georges Bataille, en 1957, indique avec sûreté l'importance d'une nouvelle peu connue : Sarrasine (qu'il écrit d'ailleurs avec un z) où il voit « l'un des sommets » de Balzac. Plus qu'un prohlème formel ou technique, ce qui compte à cette époque, aux yeux de Bataille, c'est le fondement qui ferait d'un certain nombre de textes, épars dans notre culture, les symptômes d'un houleversement ouvrant, comme il le dit, sur une « vision lointaine». Le récit qui révèle les possibilités de la vie n'appelle pas forcément, mais il révèle un moment de rage, sans lequel son auteur serait aveugle à ces possibilités excessives.» Nous n'avons plus aujourd'hui, dans le champ théorique désormais dégagé, à nous demander ce qu'il en est de l'expérience d'un «auteur». En revanche, nous savons que notre travail doit porter sur les limites, les hords, l'épaisseur signifiante et l'inscription historique du fonctionnement des textes : travail d'avant-garde, malgré tou· tes les résistances ohscurantistes (psychologiques), travail qui con· solide une mutation idéologique dont le frayage est inéluctahle. Nous supposons démontré, après les recherches de Marcelin Pley-
net et de Julia Kristeva, que la mur et vitral;-e, qui est le règlecoupure qui fait apparaître le plus ment et la mise en cause de la difnettement cette mutation dans . férence : ce trait est caché dans le l'écriture est précisément datée : texte classique, opérant et visihle dans le texte moderne (d'où la disLes Chants de Maldoror (1869). Sarrasine a été écrit en novemhre parition de la figure, de l'image, 1830 (année où les mouvements li- du personnage, du nom). Le mot héraux et nationaux agitent toute Sarrasine ne s'entend pas comme l'Europe). Barthes, en 1970, peut il se lit : un Z vient, à l'audition réécrire cette nouvelle au point de à la place d'un s. L'espace figu. lui assigner exactement sa place : ratif est dicté par la méconnaiscelle d'un tahleau maintenant li- sance de cette incision. sihle en chacun de ses points, d'un Mais résumons. Le texte d'Ho· ensemhle entièrement saturé, d'un noré de Balzac commence par la système qui enregistre la crise de « description» d'un hal au Fau· la représentation même. Le texte bourg Saint·Honoré. Apparaît un de Balzac, nous explique Barthes, « mystérieux vieillard » dont la est juste antérieur à cette aventure narration, par une série de détours de l'écriture qui définit la pointe et de décrochages (minutieusement de notre modernité : il la frôle, la repérés par Barthes), nous ap· dénie, la suggère ; il en suhit les prendra qu'il est un castrat célè· craquements, la fissuration, la hre, Zamhinella, cause de la fortune de ses neveux. Zamhinella a été hrûlure, et cela au point vif que Freud est venu définir : la castra· responsahle de la passion mortelle tion. Sarrasine est le récit d'une et aveugle d'un sculpteur vierge, castration qui a lieu dans le récit, Sarrasine (c'est le récit dans le et le récit de la cas t ra- récit : le narrateur essaye de vention du récit comme récit. Bien dre cette histoire à une jeune fem· plus, nous pouvons ici en donner me contre une nuit passée avec le monogramme, la formule, le elle. La narration de l'énigme tourne autour d'un tableau, L'Enchiffre : S/Z. Ce qui passe entre dymion, de Girodet, lui-même les « personnages » du récit hour· geois n'est rien d'autre, en défini· réplique de la sculpture réalisée tive, qu'une permutation et une par Sarrasine avant qu'il s'apermutilation de lettres, une entaille çoive que Z n'était pas une femlittérale en miroir. Entre le narra· me. Le récit, conçu comme mar· teur et celle qui l'écoute (entre chandise, hute sur le fait qu'il ne Balzac et son écriture) com- peut ni nommer ni intégrer l'effet me entre Sarrasine (le sculpteur de la castration : le narrateur assassiné) et Zamhinella (le cas- n'ohtiendra pas le corps qu'il dé· trat chanteur) se dresse un trait, sirait. « On ne raconte pas impu.
M. A~
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43 rue du Templ.,. Paris 4. c.c.P. 15.:>51.53 Paris
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nément une histoire de castration.» Balzac aura cependant écrit son texte en tournant elliptiquement autour d'un manque qu'il ne peut pas dire constituant ainsi le tissu symholique et son trou, l'œil et sa tache aveugle. Il faut lire Sarrasine puis le montage et la partition qu'en fait Barthes. La nouvelle n'étant plus finalement, que ce montage où elle est incluse. Ce texte - classiqueest un pluriel économisé. Il parle en rêvant, et il rêve qu'il parle. Il n'a pas à se rendre compte qu'il est écrit. Il sait quelque chose qu'il ne sait pas et sur quoi il se fonde pour se raconter, quelque chose qui l'autorise, l'interdit, le sauve des interv,alles où il s'évanouirait s'il les prenait en charge et s'il les pensait. Il est tout entier comme le fantasme, mis en scène dans l'emhrasure d'une fausse fenêtre logique: celle de l'antithèse qui est sa matrice tonale. Comme tel, il est « incomplètement réversihle». Il faut, pour le susciter dans son volume, le radiographier, le plisser, le disperser, le faire régresser jusqu'à retrouver les traces du travail dont. il est l'effacement et le vernissa~e, le transformer en « galaxie de signifiants » soumise à un mouvement topolop:ique, à une indication continue. C'est ce que Barthes appelle le « texte étoilé» : indication du fait qu'il peut commencer à sortir de la toile, par interruption, coupes, suspens, surgissement et dérive des hlancs sous.jacents. ceLe développement d'une énig'me est hien celui d'une fugue. » De plus, le texte classique (comme le discours névrotique) est appendu à la méconnaissance de la castration (c'est-à.dire au pénis de la Dière maintenu coûte que coûte). « Un doigt, écrit Barthes, de son mouvement désignateur et muet, accompagne toujours le texte classique : la vérité est de la sorte lonj{uement désirée et contournée, maintenue dans une sorte de plénitnde enceinte, dont la percée, à la fois libératoire et catastrophi. que, accomplira la fin même du discours; et le personnage, espace même de ces signifiés, n'est jama;s Que le passage de l'énigme, de cette forme nominative de l'énigme dont Œdipe (dans son débat avec le Sphynx) a empreint mythiquement le discours ocddental. » Or le castrat, dans Sarrasine, in-
de Barthes troduit dans le code culturel classique ùne fissure irrémédiable : il est bien le représentant de sa représentation écoilOmique. Venant à la place creusée et inverse de la mère au pénis - envers strict de l'essence (divine) - , il (9U elle) perturbe comme l'écrit Balzac « la mort et la vie, ma pen. sée, une arabesque imaginaire, une chimère hideuse à moitié, divine· ment femelle par le corsage. >J Le texte classique ne montre que sa moitié, c'est un effet de gorge. Entièrement déplacé sur la voix (et pour cause), Z, le castrat chan· teur (ou chanteuse) fait de cette ressource vocale un « produit direct de la castration, trace pleine liée,. du manque. » De même que le récit classique (dit réaliste) est copie de copie (réglé sur une idéalisation picturale du réel, écriture inconsciente d'une image déjà -écrite), de même, donc, que la littérature est conçue par l'idéalisme .esthétique comme un « rétrovi. ~eur» de la peinture (et jamais .comme une machine signifiante antérieure à toute saisie) ; de mê· me, la mélodie. comme ],a figura. tion (dont le point de fuite imprésentable est, dans notre culture, le phallus) culmine dans la voix' ase· xuée. On s~it ce que rapporte Stendhal (cité par Barthes) des castrats vocalistes du XVIII" siècle : que les femmes portaient leurs portraits « un à chaque bras, un au cou suspendu à une chaîne d'or, et deux sur les boucles de c.haque soulier. »
ture» qui ressort dans sa voix et dans sa parole, d'une prostitution voilée et syntaxiquement neutrali. sée assurée par un argent sanLe castrat est ainsi refoulé-su- glant qui en est le support sémi. blimé. Sinon il ne serait évidem. nal. Le récit bourgeois est un ment qu'un monstre, un corps « corsage >J : au·dessus de la ceinmorcelé ou, comme le dit Balzac, ture de ce qui se fait, il s'accumule un vampire, un Faust, un alchi. dans sa sublimation stéréotypée. miste, une fée. Au niveau écono· La castration et l'argent passent mique, il est d'autre part une l'une dans l'autre : pour le « sasorte de point.mort de la monnaie, voir >J, il faudra payer. sa source neutre : « l'Or est subsAinsi le récit·marchandise est titut du vide de la castration >J. « la représentation du contrat qui Sarrasine est implicitement le le fonde )1 • • « Raconter est un acte responsable et marchand... dont dia~nostic le plus lucide sur la so· ciété capitaliste en pleine expan- le sort (la virtualité de tran.~forma. sion : l'argent bourgeois est aussi tion) est en quelque sorte indexée fondé sur l'exploitation d'une sur le prix de la marchandise, sur plus-value symboli~ue liée à la l'objet du récit ». Dans Sarrasine, jouissance, ce que Lacan appelle cependant, le premier symptôme le « plus.de· jouir >J. Ce que nous de la crise apparaît. Echec de la indique le texte, et ce qu'il redou- sublimation et récit de la sublimable dans son non.dit, c'est que tion d'un échec, de l'impossibilité l'excrément se capitalise sous « d'authentifier l'enveloppe des l'apologie de « l'art >J, c'est que le choses, d'arrêter le mouvement di. spectre idéologique de ],a 'bour-' latoire du signifiant >J, ce texte est geoisie, de ses corps et de son ré- déjà une critique. de tout « art >J cit, est composé de cette « castra- où s'accomplit la représentation La Quinzaine littéraire, du ]" au 15 mars 1970
sauf le sexe, de la feuille de vi. gne - de la feuille de signes qui soutient son dessin. S/Z est ainsi l'exposé analytique et dramatisé de la manière dont le re· foulé sexuel se cherche dans le discours, s'empare de lui et le guide, oriente son glissement, ses distri· butions, sa clôture; comment ce refoulé ou ce blanc marqué, mais non pensé, surdétermine le champ discursif, informe sa clé, sa pente, son alpha et son omega fictifs. Le tissu du texte classique ne reconnaît pas son travail qui reste inconscient : or nous savons, par Freud, ce qu'il en est de ce tissage C9mme « origine» de l'écriture, comment il correspond au jeu de la femme tres8ant ses poils pubiens pour fabriquer le pénis qui lui manque. La reconnaissance du sexe est ainsi prise indissoluble· ment dans un filet d'écriture et toute connaissance de l'écriture entraîne une connaissance sexuelle. Le texte classique, Barthes a raison de le souligner, est un fétiche (une chimère qui parle à moi.
tié). Il tourrie autour d'un sujet barré vide, d'un prédicat double et flottant : il est la pensée dU' trou dont il est le tour. On com. prend pourquoi il souHre de l'ex. position et de l'évitement de la castration comme une contagion en lui réprimée, une véritable gan. grène ; comment cette coupure e8t pour lui la destruction d'une idéologie obsessionnelle de l'art, du sens et de la beauté. La castration, en effet, interrompt « la circula· tion des copies (esthétiques ou biologiques) elle trouble « la perméa. bilité des sens, leur enchaînement qui est classement et répétition, comme la langue. >J Au contraiJ::e, l'effet de coupure de l'écriture moderne est d'abandonner le plein « pensif» (la déambulation discursive) du champ classique pour introduire, à l'infini, un excès qui fait de sa visée non pas un objet perdu mais un reste multi· plié et dialectisé. A travers Sarra• sine, S/Z, nous abordons à cet envers dudit qui va trancher les liens de l'écriture et de la voix ouvrir le texte à une atonalité qui annonce une transformation historique générale, le passage (tou. jours en cours) à un autre mode de production. Dans la nouvelle de Balzac, la' fin du discours hésite encore. Son idéologie est program· mée par un savoir pauvre, par des codes de références culturels l'es· treints. « Quoique d'origine entiè· rement livresque, ces codes, par un tourniquet propre à l'idéologie bourgeoise, qui inverse la culture en nature, semblent fonder le réel, la « Vie >J. La « Vie» devient al~rs, dans le texte classique, un melange écœurant d'opinions cou. l'antes, une nappe étouffante d'idées reçues : c'est dans ces codes culturels que se concentre le démodé balzacien, l'essence de ce qui, dans Balzac, ne peut être ré· écrit. Seule l'écriture, en assu· mant le pluriel le plus vaste possi. ble dans son travail même, peut s'opposer .~ans coup de force il l'impérialisme de chaque langage. 1830 : il faudra près de quarante ans avant que vienne la main qui tracera pour nous ce début : « Plût au ciel que le lecteur, en· "ardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit ... >J Marx et Freud, désormais, existent. Bientôt, le texte de Sade va sortir de l'ombre. Bientôt tout sera dit et commencera d'être écrit.
Philippe Soller$ 23
P8YCBOLOGI.
Wilhelm Reich A 23 ans, Wilhelm Reich devient, en 1920, membre de la Société Psychanalytique de Vienne, au moment où Freud, avec la publication d'Au-delà du principe du plaisir, engage la psychanalyse dans une voie nouvelle : en proposant ce qu'on appelle aujourd'hui sa « deuxième topique -, Freud présente le fonctionnement de l'appareil psychique comme l'interaction de trois instances, le ça, le moi et le surmoi. Il élargit le concept de sexualité, et fait appel à la notion platonicienne et mythique d'Eros, à laquelle il oppose, dans un dualisme massif et radical, l'instinct de mort, Thanatos.
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qu'elle détient dans un système. Ainsi, chez Melanie Klein, elle inaugure une problématique qui éclaire des aspects saisissants du tout-premier psychisme enfantin. Chez Freud, en revanche, l'instinct de mort semble bien avoir pour vocation - telle est en tout cas l'opinion de Reich de clore une problématique articulée sur les thèmes du masochisme, du sadisme, de l'agressivité, rte la compul. sion de répétition ; elle opère un décentrement du système : l'économie psychique fonctionne en ~ir cuit fermé entre les deux pôles d'Eros et de Thanatos, au lieu d'être centrée sur ce point pivotaI qu'est la sexualité; est escamotée, ainsi, l'ouverture sur les problèmes politiques et sociaux.
res, réseaux neuroniques, etc.) qu'il importe de regarder au moins, d'interroger, de déchiffrer, en liaison avec son mode spécifique de perception et de position dans le monde qui est ce qu'on appelle le caractère - concept original et déterminant de la thérapeutique reichienne, qui n'a pas grand chose de commun avec les intui· tions caractérologiques traditionnelles, de nature phénoménologique ou impressionniste. Le concept reichien de caractère est un concept total et dialectique : « la constitution d'une personne, écritil dans la Fonction de l'orgasme, est la somme totale fonctionnelle de toutes ses expériences passées ... Tout le monde vécu du passé vit tÙms le présent sous la forme d'at-
Wilhelm Reich La révolution sexuelle Plon, 1968, 315 p. Wilhelm Reich La fonction de l'orgasme L'Arche, rééd. 1967,300 p. Michel Cattier La vie et l' œuvre du Docteur Wilhelm Reich La Cité, Lausanne, 1969, 221 p.
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C'est par son OpposItIOn à ce second versant de la pensée freudienne et sa fidélité aux principes premiers de la révolution psychanalytique que Reich se définit. Dans la Fonction de l'orgasme, sa grande ,autobiographie intellectuelle (1), il évoque avec une exacte ironie la figure des fameuses instances psychiques : « Le "ça" était "méchant". Le "surmoi" siégeait avec la longue barbe, et il était "sévère" Quant au pauvre " moi", il tâchait de ménager la chèvre et le chou. » (p. 103). Figures plus aptes, lui semble-t-il, à s'agencer en fantaisies combinatoires qu'à susciter des développements théoriques ou cliniques efficaces. Le bel et hellénique Eros prenant la place du sexe, c'est, pour Reich, l'abandon ou la mise en veilleuse du concept fondateur et centr,al de la psychanalyse : la sexualité ; enfin, Reich refuse catégoriquement l'idée d'un « instinct de mort ». Non pas qu'une telle hypothèse soit contestable en soi : ce qui est surtout à repérer, c'est la fonction 24
Résolu à se maintenir au niveau du prinoipe de plaie sir et à traiter le problème
~ans 88S
termes littéraux,
Reioh dénonoe toutes les sauces idéalistes ou métaphoriques à l'aide desquelles on oherohe, un peu partout, à « faire passer» la libido freudienne. La libido, pour
Reioh, o'est l'énergie sexuelle.
Conservant à la sexualité sa position centrale, Reich en poursuit l'analY8e et l'inscription dans deux, directions et domaines différents mais rigoureusement complémentaires : le corps et la société. Là où l''reud fait surgir des figures monadiques, anthropomorphiques ou lDythiqueF; (le ça démoniaque, le !Jurmoi imperator, Eros, le Père primordial, etc.), Reich s'efforce de cerner la singularité et la totalité du sujet. L'être qu'il a en face de lui - patient qui vient sollicit.t~r son intervention, ou tout a u t r e interlocuteur c'est d'abord un corps, un ensemble organisé de signes somatiques (surfaces cutanées, plaques musculai-
titudes caractérielles» (p. 1I8, souligné par Reich). Total, donc, en ce qu'il est à la fois histoire et structure ; dialectique, en ce qu'il se fonde, entre autres mécanismes, sur « l'unité fonctionnelle-antithétique de l'instinct et de la dé· fense ». Tandis que la cure analytique traditionnelle consiste dans l'interprétation des matériaux inconscients et des associations - toutes choses qu'on peut grouper sous la rubrique très jungienne de « métamorphoses et symboles de la libi. do » - « l'analyse caractérielle» ou caractéro-analyse proposée par Reich s'attache avant tout à approcher les défenses caractérielles
du patient, à cerner et dissoudre ses résistances telles qu'elles sont constituées dans ce qu'il appelle la « cuirasse caractérielle » qui est en même temps, et littéralement, « cuirasse musculaire» : spasmes et tensions musculaires mis au jour par la végétothérapie ne sont pas de simples manifestations de symptômes névrotiques ou de formations caractérielles, ils sont ces formations et ces symptômes euxmêmes, comme le sont aussi les mimiques et traits du visage, les façons de respirer et toutes les modalités individuelles de fonctionnement des organes. Sous l'effet de la « brèche» opérée dans la cuirasse caractériellemusculaire, Reich voit surgir la colère, la haine, l'angoisse - tous sentiments qui le conduisent à une source commune : la frustration sexuelle, et plus précisément, l'incapacité d'atteindre la plénitude du plaisir sexuel, l'orgasme. Résolu à se maintenir au niveau du principe de plaisir et à traiter le problème dans ses termes littéraux, Reich dénonce toutes les sauces idéalistes ou métaphoriques à l'aide desquelles on cherche, un peu partout, à « faire passer » la libido freudienne. La libido, pour Reich, c'est l'énergie sexuelle, c'est l'énergie du système nerveUl - plus spécifiquement du système neuro-végétatif - en tant qu'elle commande le mécanisme tensiondétente des organes sexuels. Energie biologique que Reich, dans le courant des années 30, conçoit comme énergie électrique, et qu'il voit à l'œuvre dans la fameuse « formule de l'orgasme : tension mécanique ~ charge électrique décharge électrique - relaxation mécanique » (la Fonction de· l'or· gasme, p. 219). Reich
appuie
sa
conception
« nerveuse » de l'énergie sexuelle
sur tout ce que la physiologie de son temps pouvait lui proposer quant au fonctionnement des systèmes sympathique et parasympathique. En revanche, ses spéculations sur l'orgone, « énergie sexuelle cosmique », ne peuvent faire état que de données contestables et confuses. Plus qu'un développement de sa réflexion, elles traduisent l'impact de circonstances historiques bouleversantes sur un homme harcelé de tous côtés, épuisé par un labeur stupéfiant
et la révolution sexuelle (allez-vous eontinuer longtemps comme ça lui demanda Freud un jour, et ce n'était qu'au début !) et rendu plus vulnérable encore par sa lucidité. L'orgone a surtout permis à la meute enragée des adversaires de Reich de dénigrer l'homme et l'œuvre, tandis qu'on s'acharnait à réduire par le silence ou- la calomnie (ne vient-on pas de voir paraître ces derniers jours quelques lignes infâmes?) une pensée redoutable. La justice et la police américaines se sont chargées de passer à l'acte : un jugement, concluant un -procès intenté par la Federal Food and Drug Administration, interdit tous les livres de Reich; un second jugement l'envoie au pénitentier de Lewisburg, en Pennsylvanie ; après huit mois Ge détention - dans quelles conditions ? - il meurt le 3 novembre 1957, Il avait été mis, au ban du parti communiste allemand en 1933, il aavit été exclu de l'Association Psychanalytique internationale en 1934 - expulsé du Danemark et de la Suède. Psychanalystes, communistes et bourgeois ne pardonnent pas à Reich d'avoir poussé à son terme logique la « révolution psychanalytique », de la transformer en psychanalyse révolutionnaire. ~'incom parable expérience clinique de Reich - sous-directeur de la Polyclinique psychanalytique de Vienne, mrecteur d'un séminaire de thérapie psychanalytique, enseignant à ]a clinique psychanalytique de Berlin, Qirigeant de nombreux centres d'hygiène sexuelle - l'amène à cette constatation : un analyste tente péniblement, au fil des années, de Génouer un conflit névrotique, de « guérir » une névrose, alors que c'est par millions que la société fabrique des névroses. ·C'est donc au système sodal qu'il faut s'attaquer : nommément, le système capitaliste et la société bourgeoise, fondés sur l'exploitation économique et la répression sexuelle. Comment parviendrait-il à la pleine jouissance sexuelle, à l'épanouissement de sa génitalité, l'homme que le travail quotidien harasse, que harcèlent les soucis d'argent et que crétinisent les massmedia, la religion, les idéologies conformistes et disciplinaires, .qui vit dans un logement étroit et bruyant, avec une femme elle-même épuisée par le travail ménager, les soins donnés aux enfants et han-
tée par la peur de la grossesse tous deux, en outre, ignorants des capacités de bonheur qui les habitent, pervertis et mutilés par une éducation qui a mis le grappin sur eux dès la naissance et depuis lors ne cesse de traquer les « bas instincts»? Tel est le langage franc, direct, concret, et toujours actuel - si l'on en juge d'après la contre~ffensive généralisée de l'ordre répressif dans les écoles, lycées, universités, maisons de jeunes, etc. - que parle Reich dans la Revolution sexuelle. Fort d'une expérience thérapeutique-sociale-politique unique en son genre, appuyé sur une culture immense qui a su intégrer le meilleur du freudisme, du marxisme et du savoir sociologique et biolo/l;ique de son temps, Weihelm Reich, qui a fondé en 1931 là SEXPOL - Association allemande pour une une politique sexuelle prolétarienne, qui comptera au bout de quelques mois 40.000 membres démonte, en des analyses sans réplique, les mécanismes de la société répressive, qu'elle soit occidentale ou so~iétique ; il porte se'; coups les plus durs à la famille, « fabrique d'idéologies autoritaires et de structures mentales conservatrices» (p. 113). Ses descrip'tions de la misère sexuelle des jeunes - qui aimer ? où ? comment? avec quelles conséquences ? - , des rapports du couple viciés par l'obligation du mariage en tant qu'institution économiquemorale, de la tyrannie quotidienne exercée par l'adulte sur l'enfant prisonnier d'un univers imposé qu'on peut déjà nommer « concentrationnaire », du « regel ». moral en Union soviétique après la lutte pour une « nouvelle forme de vie » donnent à l'ouvra~e une vigueur et un souffle inégalés. Il y ,a une acuité du regard de Reich, qui traverse l'anecdote pour atteindre un aspect· structurel déterminant. Assiste-t-il, en exil à Malmo, à la promenade du soir dans la grand-rue, où J!:arçons et filles sont contraints de bêtifier, il note : « Civilisation ? Bouillon de culture pour mentalité fasciste, dès lors que l'ennui et la pourriture sexuelle rencontrent la fanfare national-socialiste. » (p. 132). Rien n'est plus loin de Reich que l'utopie. Militant pour l'avènement d'un homme libre et heureux, c'est dans la chair même de
La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 mar3 1970
Wilhelm Reich, 1924.
l'homme, dans la sexualité comme expérience primordiale, quotidienne, universelle, qu'il inscrit sa vocation révolutionnaire - développée en propositions précises, concrètes, qui font de la RévQlution sexuelle un manüeste et un programme d'une vitalité inépuisable - ' source à laquelle s'alimentent les expériences et les ten· tatives de libération et de transformation dans les domaines les plus divers : puériculture, pédagogie, éducation, vie sociale, etc. Que l'on pense à l'activité militante d'un Luigi De Marchi en Italie (2), à l'expérience de pédllgogie libertaire d'A.S. Neill en Grande-Bretagne (3); que l'on se souvienne que, trente ans à l'avance, la Révolution sexuelle a donné la formule des revendications qui aboutirent à
l'explosion des mouvements étu. diants dans le monde, inaugurant ainsi la révolution culturell~ (4). Wilhelm Reich, ce n'est peut-être qu'un début, mais c'est déjà tout le sens d'un combat. Roger Dadoun 1. Cet ouvrage autobiCigraphique ne doit pas être confondu avec Die Funk. tion de3 Orgaamw, publié en 1927 dan. leqnel Reich expose de façon scientifiqne sa théorie de l'orgasme. Cf. le livre clair et documenté de Michel Cattier sur Reich, p. 56, note 1. 2. Cf. Repressione seasuale e opprea. lIione lIociale, Sugar ed. 1965. SillnaloDi que Feltrinelli avait publié dès 1963, en édition de poche, une tradnction italien. ne de la Révolution 3e%uelle. 3. Cf. Summerhill, Pelican Books, 1968. 4. Cf.Perapectitlfl3 paychiœriqua, nO 25, 1969 : la Révolution culturelle, Freud Marcnse, Reich; notamment le. deux articles de Constantin Sinelatkofl, exeellent traducteur de la Révolution 3e%uelle.
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COLLECTIONS
.L'art dans le monde On ne saurait manquer de rapprocher cette collection d'Albin Michel d'une autre collection de cet éditeur que nous avons évoquée dans un précédent numéro : «L'Evolution de l'humanité. (voir le n° 66 de la Quinzaine) . Il s'agit en effet, appliqué cette fois à l'évolution des formes artistiques, d'un tableau d'ensemble non moins vaste, non moins ambitieux, non moins minutieux dans le détail, qui groupera au total une cinquantaine d'ouvrage8 de synthèse fondés sur les recherches et les découvertes les plus actuelles dans le domaine concerné, dus à des spécialistes internationaux et qui tous s'articulent autour d'une conception, d'une approche communes. C'est bien une histoire de l'art dans tous les pays et à toutes les époques qui nous est proposée ici, mais à travers elle se trouve reconstituée du même coup l'histoire des conditions
politiques, sociologiques et religieuses au milieu desquelles ont pris naissance les innombrables œuvres d'art répertoriées à travers les cinq continents, et qui, intimement liées au stade de civilisation dont elles sont issues, offrent souvent des analogie's frappantes en dépit de leur prodigieuse diversité. C'est du reste sur cet aspect que devait mettre l'accent le premier volume de la collection, paru en 1960, sous le titre de l'Age de pierre, ouvrage collectif composé d'études très différentes sur des régions éloignées aussi bien dans l'espace que dans le temps et qui démontre que si l'art pariétal franco-cantabrique trouve ses répliques en Afrique, en Australie, en Asie, c'est que la civilisation suit à peu près le même processus dans tous ses débuts. Par la suite, la collection devait faire alterner régulièrement, au rythme de trois ou quatre volumes par an, des ouvrages portant tantôt sur les civili-
FEUILLETON
par Georges Perec Il est clair que l'organisation de base de la vi-e sportive sur W (l'existence des villages, la composition des équipes, les modalités de sélection, pour ne donner de cette organisation que des exemples élémentaires) a pour finalité unique d'exacerber la compétition, ou, si l'on préfère, d'exalter la victoire. On peut dire, de ce point de vue, qu'il n'existe pas de société humaine susceptible de rivaliser avec W. Le Struggle for Iife est ici la Loi; encore la lutte n'est-elle rien, ce n'est pas l'amour du sport pour le sport, de l'exploit pour l'exploit, qui anime les hommes W, mais la soif de la victoire, de la victoire à tout prix. Le public des stades ne pardonne jamais à un athlète d'avoir perdu, mais il ne ménage pas ses applaudissements aux vainqueurs. Gloire aux Vainqueurs! 26
sations non-européennes, tantôt sur les civilisations occidentales mais dont le trait commun et l'originalité particulière est de permettre au lecteur, qu'il soit spécialiste, étudiant, enseignant ou amateur, de découvrir des aspects ignorés de l'univers plastique de telle ou telle civilisation, notamment dans le domaine des arts appliqués que les histoires synthétiques se contentent généralement de survoler. C'est ainsi que E. Homann-Wedeking, évoquant la Grèce archaïque, se livre à une minutieuse analyse des céramiques peintes, des architectures, des sculptures des bronzes nés dans le monde hellénique du VIII' au XI' siècle avant Jésus-Christ; que l'archéologue français A. Grabar nous fait pénétrer dans l'extrême complexité de l'Art du Moyen Age en Europe; que Herman Goetz dégage dans le volume consacré à l'Inde, la signification d'un art qui s'étend sur cinq millénaires et dont les formes, d'une complexité infinie, s'associent toujours à ses intentions
religieuses; que Paul Bourguet, conservateur au Musée du Louvre, nous ré)lèle cet Art Copte très particulier et mal connu des chrétiens de la vallée du Nil; qu'Anil de Silva nous entraîne jusqu'au cœur de l'Asie pour nous faire découvrir dans un livre qu'il intitule la Peinture de pay· sage chinoise la mystérieuse signification de ces fresques qui ornent les parois des quatre cent soixanteneuf chapelles taillées dans le roc de Touen-Houang. Il faut porter au crédit de ces volumes, outre la valeur scientifique et la tenue littéraire de leur contenu, une présentation attrayante et une documentation iconographique d'une richesse et d'une qualité remarquables. Tout cela explique l'excellent accueil qui a été fait par le public à ces ouvrages qui, tirés à 15.000 exemplaires, ont fait pour la plupart l'objet d'une ou de plusieurs réimpressions en dépit de leur prix relativement élevé (52,40 F). La réus-
Malheur aux Vaincus! Pour le sportif professionnel qu'est le citoyen d'un village, la victoire est la seule issue possible, la seule chance. La victoire à tous les niveaux : dans sa propre équipe, dans les rencontres avec les autres villages, dans les Jeux, enfin et surtout. Comme toutes les autres valeurs morales de la société W, cette exaltation du triomphe a -trouvé dans la vie qùotidienne son expression concrète: des cérémonies grandioses sont données en l'honneur des athlètes victorieux. Il est vrai que de tous temps les vainqueurs ont été célébrés, qu'ils sont montés sur le podium, qu'on a joué pour eux l'hymne de leur nation, qU'ils ont reçu des médailles, des statues, des coupes, des diplômes, des couronnes, que leur ville natale Is a faits citoyens d'honneur, que leur gouvernement les a décorés. Mais ces célébrations et ces honneurs ne sont rien à côté de ceux que la Nation W réserve à ceux qui ont mérité d'elle. Chaque soir, quelqu'aient été été les compétitions disputées dans la journée, les trois premiers de chaque série, après être montés sur le podium, après avoir été longuement applaudis par la foule qui leur a lancé des fleurs, des confetti, des mouchoirs, après avoir reçu des mains des calligraphes officiels le diplôme armorié immortalisant leur exploit, après avoir eu l'insigne privilège de hisser l'oriflamme de leur village au sommet des màts olympiques, les trois premiers de chaque série sont conduits, précédés des porteurs de torches et des porteurs d'étendards, des lanceurs de colombes et des fanfares, jusqu'aux grands salons du stade central où est préparée pour eux une réception rituelle, pleine d'éclat et de munificence. Ils se débarrassent de leurs survêtements, on les invite à choisir un costume magnifique, un habit brodé, une cape de soie aux brandebourgs rutilants, un uniforme chamarré constellé de décorations, un frac, un pourpoint au jabot et aux parements de dentelle. Ils sont amenés devant les Officiels qui lèvent leur verre à leur santé en les congratulant. On les entraîne dans un tourbillon de toasts et de libations. On leur offre un banquet qui se prolonge souvent jusqu'à l'aube: les mets les plus exquis leur sont proposés, les vins les plus capiteux, les charcuteries les plus fines, les douceurs les plus onctueuses, les alcools les plus enivrants. Les Fêtes célébrées au moment des grands Jeux ont évidemment plus d'ampleur et plus d'éclat que les fêtes données aux vainqueurs des championnats de classement ou des championnats locaux. Mais cette différence, pour marquée qu'elle soit, n'est pas essentielle à la compréhension du système de valeurs en usage sur W. Ce qui, par contre, est beaucoup plus significatif, et qui constitue même un des traits les plus originaux de la société W,
bien l'efficacité des nouvelles méthodes de co-édition Internationale.
Théâtre Deux nouveaux titres dans la collection c Théâtre. du Seuil (voir le n° 77 de- la- Ouinzaine) : A bientôt Monsieur Lang, par Jean Louvet, dont le protagoniste symbolise l'élégante impuissance et les droits compromis de l'intellectuel de gauche intégré à la société qu'il conteste; Splendeur et misère de Minette la bonne Lorraine, par Jacques Kraemer et René Gaudy, parabole comique et satirique dans la tradition d'Arturo Ui et de l'Opéra de Ouat' Sous.
Les revues Esprit (Février 1970). -
En tête de ce
numéro, une lettre émouvante de P.C. Nappey sur l'homosexualité. La -revue présente en outre plusieurs centres d'intérêt : Giacometti (par Robert Marteau), l'université aux U.S.A., la violence selon Freud et selon la Bible, la poésie (grâce au Québécois Jacques Brault), Claudel encore. Pour qualifier la • nouvelle société -, Jean-Marie Domenach a des mots qui ne pardonnent pas.
La Nouvelle Revue Française (N° 206). - C'est Paul Klee qui est la vedette de ce numéro. Dora Vallier, Jean Guichard Meili et surtout Jean Clair publient trois textes à l'occasion de la rétrospective du grand peintre au Musée d'Art moderne. Au sommaire, une nouvelle d'un écrivain japonais Yukio Mishima, un essai très précis de Maurice-Jean Lefebve sur c Le discours du récit. et une étude de Pierre Oster sur Paul Claudel.
c'est, non pas que les vaincus soient exclus de ces fêtes - ce qui n'est que justice - mais qu'ils soient purement et simplement privés de repas du soir. Il va de soi, en effet, que -si vainqueurs et vaincus recevaient tous deux de la nourriture, le seul privilège des vainqueurs serait alors d'obtenir une nourriture de meilleure qualité, une nourriture de fête au lieu d'une nourriture quotidienne. Les Organisateurs, non sans raison, se sont- dit que cela ne suffirait peut-être pas' à donner aux Athlètes la 'combativité nécessaire à des compétitions ue haut niveau. Pour qu'un athlète gagne, Il faut d'abord qu'il veuille gagner. Sans doute, le souci de sa gloire personnelle, le désir de se faire un nom, sa fierté nationale, constituent-ils des moteurs puissants. Mais, à l'instant crucial, - au moment où l'homme doit donner le meilleur de lui-même, où il doit aller au-delà de ses forces et puiser, dans un ultime détachement,-I'é'nergie qui lui permettra d'arracher la victoire, il n'est pas inutile que ce qui soit alors' en jeu relève d'un mécanisme presque élémentaire de survie, d'un réflexe de défense devenu quasi Instinctif: ce que l'Athlète tient au bout de sa victoire, c'est beaucoup plus que le prestige, nécessairement fugace, d'avoir été le plus fort. c'est, par la seule obtention de ce repas supplémentaire, la garantie d'une meilleure condition physique, la certitude d'un meilleur équilibre alimentaire et, par conséquent, d'une meilleure forme. C'est ici que l'on pourra apprécier à quel point le système d'alimentation W s'insère d'une manière subtile dans le système global de la société et en devient même une des articulations essentielles Il va de soi que l'absence de repas -du soir ne constitue pas, en elle-même, une privation vitale. 'Si tel était le cas, il n'y aurait plus depuis longtemps de vie sportive, ni même de vie tout court, sur W : un simple calcul montre en effet que, dans le meilleur des cas, celui des championnats de classement, 264 athlètes seulement, sur un total de 1320, ont une chance de dîner. Après des championnats locaux ou des épreuves de sélection, il n'yen a plus que 132. et, à l'issue des Jeux, il n'en reste que 66, c'est-à-dire, très exactement, 1 sur 20. La grande majorité des Athlètes serait donc sous-alimentée d'une manière chroniq~e. Ils ne le sont pas : leur régime comporte trois repas par jour, le premier le matin, très tôt'. avant le cross de mise en train, le second à midi, à la fin des séances d'entraînement, le troisième à 16 heures, au cours de la mi-temps traditionnelle qui sépare les éliminatoires des finales. Par contre, ces repas sont calculés de façon à ne pas satisfaire pleinement les besoins diététiques et énergétiques des Athlètes. Le sucre en est presque complètement absent. de même que la vitamine 81, indispensable La Quinzaine littéraire, du
r au 15 mars 1970
Les Temps Modernes (N° 282). - Malgré une nouvelle de l'écrivain polonais Korab, de plusieurs études sur les problèmes révolutionnaires, l'essentiel de cette livraison est constituée par l'interview donné à Il Manifesto par Jean-Paul Sartre : il y fait le point actuel (et vraisemblablement provisoire) de ses difficiles relatjons avec le Parti Communiste Français, de la structuration des Partis Révolutionnaires et du Processus -de socialisation des pays régis par un capitalisme avancé. Comme toujours chez Sartre, c'est aussi riche que discutable.
RECTIFICATIF Dans le no 89 de la Quinzaine, noùs avons omis de préciser à propos de la collection • En toute liberté _ dlrl· gée par Alain Duhamel qu'elle était éditée par Fayard.
Pér.ôiisme de notre tetnps
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à l'assimilation des glucides. Les Athlètes sont donc, d'une façon permanente, soumis à un régime de carence qui, à plus ou moins long terme, risque de compromettre sévèrement leur résistance à la fatigue musculaire. Le repas des vainqueurs. avec ses fruits
frais, ses vins doux. ses bananes séchées, ses dattes, ses confitures de fraise, ses compotes, ses médailles de chocolat, constitue donc. de ce point de vue, une véritable récupération glucidique indispensable à la bonne condition des Athlètes. L'inconvénient de cette méthode est évidemment qu'elle risque, en favorisant les vainqueurs et en pénalisant les vaincus dans un domaine précisément lié aux _conditi~ns physiologiques de la compétition, d'accentuer les différences entre les athlètes et d'aboutir à une sorte de système en circuit fermé: les vainqueurs du jour, récompensés le soir même par une ration supplémentaire de sucre. ont toutes les chances d'être aussi les vainqueurs du lendemain, et ainSi de suite, les uns étant de plus en plus vigoureux, les autres de plus en plus faibles. Ceci ôterait évidemment tout intérêt aux rencontres, les résultats en étant pour ainsi dire connus d'avance. Pour pallier cet inconvénient, les Organisateurs n'ont pris aucune mesure particulière; plutôt que d'interdire aux vainqueurs l'entrée des stades au lendemain de leur victoire - mesure évidemment contraire à "esprit même de la vie W-, ils ont préféré. faisant encore une fois la preuve de leur sagacité. de leur profonde connaissance du cœur humain, faire confiance à ce qu'en riant ils appellent la nature: l'expérience leur a donné raison. Les Vainqueurs ne sont pas exclus des compétitions du lendemain. Mais ils ont le plus souvent passé une nuit blanche et n'ont regagné leurs quartiers que pour l'appel du matin. Affamés de sucre, ils se sont précipités sur les nourritures. ils se sont empifrés comme des goinfres. Grisés par leur victoire, ils se sont laissé aller à répondre à tous les toasts qu'on leur portait, mélangeant les vins, les alcools jusqu'à rouler sous la table. On comprend aisément pourquoi, dans .ces conditions, il est rllrissime qu'un Athlète triomphe deux jours de suite. La sagesse voudrait que le vainqueur se modère, refuse les libations, choisisse et surveille les aliments qu'il consomme. Mais les tentations sont si fortes pour les lauréats fêtés qu'il faudrait une âme singulièrement trempée pour y résister. Nul ne les y pousse, d'ailleurs, ni les Officiels - au contraire, ils les invitent à tout instant à vider leurs verres - , ni les Directeurs Sportifs qui, soucieux du bien-être de leur équipe, ont tout intérêt à ce qu'une permutation rapide des vainqueurs assure le plus régulièrement possible au maximum des Athlètes ('indispensable appoint énergétique de ces repas du soir. (à suivre) 27
THEATRE
«Le Précepteur», de Lenz
1
Lenz Le précepteur Th. de J'Ouest Parisien
• Si on vous dit : • L'école est faite pour dompter des fauves, pour soumettre au normal. La pédagogie est en crise parce qu'elle exclut la violence et la sexualité ", vous mettez·vous à hurler: " Mais non... Cela s'enseigne doctement dans les universités où l'esprit souffle à gauche,,? Et le même texte d'ajouter : • Notre bonne conscience de profs repose sur un sacré mensonge : • ils " auraient besoin de notre savoir pour vivre. Mais on leur apprend seulement, en réalité, à tenir leur place dans une hiérarchie, on leur donne seulement les raisons de se résigner à ne pas vivre ". Il faut bien croire que ce texte, signé en octobre dernier, par 24 professeurs, est subversif puisqu'il a attiré, sur tels d'entre eux, la répression. C'est pourtant là ce que nous dit, si on sait la lire (et Brecht la lisait ainsi) la pièce de Lenz le Précepteur écrite dans la Prusse de 1774, par un garçon en colère de 23 ans, qui allait devenir fou 4 ans plus tard, sans doute parce qu'à l'encontre du personnage de la pièce, il avait refusé de se châtrer, c'est-à-dire de· se soumettre à la loi. L'exl'œuvre trême violence de contre une certaine forme de pédagogie et de morale issue de Kant et nous régissant toujours sous les espèces de l'humanisme bourgeois, cette violence a-t-elle fait peur à Antoine Vitez, qui a traduit et mis en scène la pièce? A-t-il craint de tomber dans J'hérésie • gauchiste " ou seulement d'en être accusé? En tout cas sa mise en scène intelligente et sagement humaniste, méticuleuse et prudente (. révisionniste" ?) ne risque pas de heurter ni le Pouvoir ni les Syndicats de l'enseignement secondaire et supérieur. D'abord, - c'était son droit - Vitez a choisi de présenter la pièce de Lenz plutôt que que l'adaptation corrosive Brecht en a faite. Et c'est déjà un signe. Et puis, cette pièce de Lenz mise en jolies gravures, et en usant d'inutiles arabesques scéniques, il l'a désamorcée. On connaît le sujet de la pièce. Un jeune homme pauvre, 28
fils de pasteur, voulant s'élever dans la société, se fait précepteur chez des hobereaux : J'intellectuel est domestique, coincé entre le père et la mère, même s'il couche, comme c'est le cas, avec la fille. Coucher, en dehors de sa classe, est un crime; on veut le tuer, il s'enfuit, et ce produit du monde ancien (le • Précepteur ,,). se réfugie chez un représentant capital et modeste du monde instituteur ", en qui vient, l' l'occurence un vieil homme nommé Wenceslas - pantoufles, pipe, saucisses, célibat et citations de la Bible - , qui ILii prêche une morale à cheval sut Kant et le catéchisme, et d'abord abstinence et continence. Pour se punir de ses égarements et se prémunir contre la chair, le jeune homme se les coupe: nouvel Origène, le voilà dévenu pédagogue idéal; il fera même un très potable époux bourgeois. Le thème est sauvage. Et Vitez le sait qui commence ainsi : • Autrement dit : pour vivre heureux dans le monde tel qu'il est, vivez châtrés ... Qu'est-ce qu'enseigner? C'est jeter une semence; le pédagogue châtré, si je passe au sens figuré, ne fait que transmettre un bagage. " Et il est vrai que ce thème est cher à tous les • enragés ", qu'ils soient de Mai 68 ou du • Sturm und Drang ", ces jeunes exaltés, Lenz et ses amis, que le sage Gœthe désavouera très vite. Sur ce thème, la pièce de Lenz batifole, s'égare, se com-
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pll;lit aux péripéties et au romanesque plus ou moins échevelé. Vitez nous dit que Lenz aimait Fielding et que sa pièce, avec ses allures picaresques, fait penser à ·Tom Jones. Soit, mais Brecht a eu· raison de tailler làdedans, et s'il· a assagi le récit, comme Vitez le lui reproche (lui, il a assagi le contenu). Brecht a exacerbé les idées, aiguisé leur mordant. Comme le disent les traducteurs de la pièce de Brecht, Brecht va donner à juger un siècle et demi de trahisons· de la caste intellectuelle allemande. Lenz a suivi les cours ~de Kant, mais son œuvre • paroxystique, faite d'ordure et de flamme " comme le lui reprochait Gœthe, ne s'en ressent guère. Et Brecht, lur, a vu en effet les ravages· du kantisme dans les universités de Guillaume II. Il connaît, du haut jusqu'en bas de l'échelle universitaire, ces Wenceslas qui transmettent un savoir répressif, enseignant, avec l'écriture droite, la droite observance des normes établies, la discipline et la mort au champ d'honneur : ce ne seront pas leurs élèves qui risqueraient d'être passibles du tribunal militaire de Rennes. • Châtreurs des volontés et des intelligences ", ces respectables enseignants feront. contre leurs élèves, et avec les parents, front commun et commune engeance. L'humanisme kantien, dans la version de Brecht, est mis radicalement en question : • Le père Kant est un crétin - fait·i1 dire à un étudiant sans doute contestataire - oui, c'est
un révolutionnaire mais seulement au royaume de l'Idée. Chacun sait que chez Rousseau, dans l'Emile, comme chez Kant - et les principes fondamentaux de l'éducation sexuelle et civique sont restés depuis lors inchangés - l'essentiel de la pédagogie consist~ à empêcher l'adolescent de se masturber. Cette éventualité leur fait pousser des cris d'horreur : à l'enseignant châtré répond l'élève aux mains jointes sur le drap. Dans sa Pédagogie (Somme de textes non traduite en français, dont René Schérer me communique un fragment), Kant écrit : • Rièn n'affaiblit plus l'esprit et le corps de rhomme que c~ genre de jouissance ·qui est orientée vers soi-même, il contredit entièrement à la na· ture de l'homme. On doit le re· présenter au jeune homme dans toute son abomination. on doit· lui dire que par là, il se rend inutile à la propagation de la race, qu'il travaille à l'anéantissement de ses forces corporel~ les et se prépare une vieillesse prématurée"o • Eux - il s'agit des élèves, dans le texte subversif déjà cité - ils refusent de parler du sexe sans avoir l'air d'y toucher ". En vérité, la mise en scène de Vitez est bien loin de tout cela, qu'il était pourtant capital de nous donner à entendre. Vitez s'est contenté de nous faire parcourir gentiment et intelligemment une suite d'aventures, dont un immense jeu de l'oie dressé sur la scène comme un panneau d'affichage, figure le parcours. Et comme si la pièce de Lenz était encore trop dangereuse, il l'a. désamorcée en doublant l'intrigue d'un commentaire muet, et parasite comme le lierre sur le tronc : le mime Pierre Byland, talentueux du reste, traverse la pièce de part en part en lui surajoutant. scène après scène, un commentaire de gestes humoristique et gen· tillet qui en extirpe radicalement toute violence. On rêve de ce que Chéreau, qui mit en scène les Soldats de ce même Lenz en donnant à la pièce la violence que l'on sait, aurait fait de ce spectacle. Il est vrai que le Pouvoir et les Syndicats l'eussent, peut-être, conjointement condamné. Ici, ça ne risque pas. Gilles Sandier
Livres publiés du 5 au 20 février 1970 ROMANS FRANÇAIS
Stani Gorka Les cavaliers de Guernica J. Martineau, 144 p., 15 F. Un chant d'amour au peuple basque, à travers la chronique d'une famille.
Henri Troyat L'éléphant blanc Les Héritiers de l'avenir • T. III Flammarion, 272 p., 22 F. La fin de l'épopée pré-révolutionnaire russe et l'exil dans le Paris des années 1911-1914.
histoires fort extraordinaires et fort célèbres dues à un des plus grands prosateurs chinois.
Caude Berri Le pistonné • Per Olof Sundman Mercure de France, Le voyage de 168 p., 17 F. l'Ingénieur Andrée Un recueil de nouvelles Trad. du suédois et la première œuvre par Ch. Chadenson .Jean·Claude Hémery littéraire de J'auteur Gallimard, Anamorphoses et réalisateur du • Vieil 376 p., 25 F. Lettres Nouvelles • Michel Vachey homme et J'enfant-. La Snow Le récit romancé Denoël, 160 p., 12 F. Mercure de France, d'une expédition Par l'auteur de Suzanne Blum tragique et fort réelle 176 p., 15 F. • Curriculum vitaeNe savoir rien Un roman très nouveau au Pôle Nord en 1897. (voir le n° 11 de Julliard, 224 p... 14,30 F. de forme par l'auteur la Quinzaine). Un drame de de • Cétait à Mégara-. l'Incompréhension Vahé Katcha POÉSIE familiale, Un nègre lur la statue de Lincoln Jean Chambon ROMANS Julliard, 224 p., 14,30 F. La sentinelle BTRANGERS .Louis Brauquler Un roman sur le Ch. Bourgols, --------Feux d'épaves problème noir 272 p., 19 F. Gallimard, 176 p., 20 F. E. Averott aux Etats-Unis. Une rêverie poétique Terre de souffrance sur les mythes de Willy Derron Michel Mardore Traduit du grec l'amour fou, de Mon chant li la muse Le mariage li la mode Stock, 416 p., 30 F. l'Impossible et du classique Denoêl, 24 p., 18 F. Un roman qui fait suite Poésie Vivante, Genève miroir. Un roman plein de à • Terre des Grecs128 p., 10 F. situations cocasses, et qui a pour cadre Serge Chauvel Prix des Poètes Suisses voire scabreuses, l'époque tragique et La vie douce de langue française, à travers lesquelles mal connue Ch. Bourgois, 1968. se dessine une nouvelle de l'après-guerre 160 p., 14,30 F. morale du couple. dans ce pays. Un roman dont les Pierre Emmanuel thèmes et la facture Jacob Melmoth ".Graham Greene Illustrent un certain Seuil, 328 p., 24 F. Seing Voyages avec ma tante romantisme moderne. Un grand poème inédit. Ch. Bourgois, Trad. de l'anglais 352 p., 23,70 F. par G. Belmont Gabriel Deblander César Fernandez Moreno Un roman fait d'une Coll. • Pavillons Le retour des chasseurl Argentin Jusqu'li de flashes succession Lattont, 360 p., 20 F. Lattont, 288 p., 20 F. la mort échevelés et Par l'auteur du Un recueil de nouvelles Edition bilingue hallucinants. • Rocher de Brightoncampagnardes et Traduit de l'espagnol et de • La puissance rustiques aux confins par Claude Coutton Robert Ouatrepolnt et la gloiredu fantastique. Coll. • La poé.sle des Mort d'un grec (voir le n° 40 de pays ibéro-américainsDenoêl, 216 p., 16 F. Etienne Dor-Rivaux la Quinzaine). Plerre-Jean Oswald Un roman qui a pour Les grandes pyramides cadre une Ile grecque 136 p., 13,50 F. .Robert A. Heinlein Cb. Bourgois, Le chef de flle de la et qui nous propose En terre étrangère 144 p., 14,30 F. nouvelle poésie une vision pittoresque Trad. de l'américain Un entassement argentine traduit pour et émouvante du petit par Frank Straschltz hétéroclite de souvenirs peuple de ce pays. la première fois en Coll.· • Ailleurs d'amour, de guerre France. et demain et de bohème, • Olivier Perrelet Lattont.. 480 p., 24 F. Charles Mouchet Le dieu mouvant Le second titre de Pierre Emmanuel Morte ou vive Mercure de France, cette collection de Autobiographies 248 p., 17 F. science-fiction d'une 104 p., 12 F Seuil, 480 p., 29 F. Un recueil de nouvelles grande tenue littéraire Réunis en un seul Pierre-Jean Oswald où l'on retrouve les et qui semble avoir pris volume, deux romans Série: obsessions du premier un excellent départ. parus, l'un, en 1948, • Contes et poèmes roman de l'auteur sous le titre de Un des tenants suisses • Les petites filles • Véra L1nhartova • Oui est cet homme-, criminelles de la recherche poétique il l'écrevisse Canon J'autre, en 1957 : actuelle. (voir le n° 30). Trad. du tchèque par • L'ouvrier de la J. et D. Suchy • Geneviève Serreau • PIerre Oster onzième heure -. Seuil, 224 p., 19,50 F. Les Dieux Cher point du monde Par un des écrivains • Jean Pierre Faye (1963-1968) Lettres Nouvelles les plus originaux Les Troyens Denoêl, 192 p., 14 F. Gallimard, 88 p., 13,50 F de la jeune génération Coll. • Change L'itinéraire d'un homme tchèque, une série Seuil, 368 p., 27 F. • Jean-Loup Passek sans cesse déchiré Pouvoir du cri de textes écrits Par l'auteur de entre la justice et la 12 p., 9,60 F • entre 22 et 26 ans. • L'Ecluse - et du violence, l'utopie et la Pierre-Jean Oswald • Récit Hunlque - (voir réalité, bref d'un p'ou Song-LIng Coll. • J'exige la parole _ Je n° 27 de la Quinzaine). héros-type de notre Second recueil • Contes extraordinaires temps. Maud Frère du Pavillon du Loisir d'un nouvel auteur. Evelyne Soren L'ange aveugle Trad. du chinois Gallimard, 164 p., 12 F. Polnt.vlrgule sous la direction • Jacques Rigaut Ecrits Le roman d'amour d'une Lattont, 192 p., 15 F. d'Yves Hervouet Edition établie et Un premier roman jeune fille rangée et • Connaissance de présentée par très représentatif d'un bel étranger de l'OrientMartin Kay de la sensibilité des Inquiétant, ou du Gallimard, adolescents 1 frontispice bonheur d'écrire et 224 p., 23,20 F. d'aujourd'hui. du malheur d'aimer. Une anthologie de ce. Gallimard, 292 p., 20 F La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 mar, 1970
Les écrits, en partie Inédits, de cet Impor· tant représentant du mouvement Dada, qui se suicida en 1929, à "Age de 30 ans. Jude Stefan Libères Gallimard, 112 p., 18 F Jean Vasca Jaillir Pierre-Jean Oswald La première œuvre poétique de l'auteur-compositeur.
REEDITIONS
Jacques Chardonne Ce que je voulais dire aujourd'hui Avant-propos de Paul Morand Grasset, 270 p., 20 F Une correspondance qui jette un jour nouveau sur l'homme et son Itinéraire. Georges Clemenceau Lettres à une amie, 1923-1929 Edition établie et présentée par P. Brive Gallimard, 672 p., 42 F Un document inattendu: les lettres d'amour du • Tigre -, alors Agé de 83 ans, à Marguerite Baldensperger.
James Burnham L'ère _ organlseteurs Préface de Léon Blum .Coretta S. King Ma vie avec Un livre prémonitoire, Martin Luther King paru en 1941 et dO 42 photos à un anCien trotskyste. Trad. de l'américain Chagall Stock. 380 p., 22 F Ma vie La vie du leader noir 31 dessins, assassiné, retracée ·14 eaux-fortes avec mesure, chaleur trad. par Bella Chagall et une grande véracité, Stock, 252 p., 30 F par son épouse. Les souvenirs d'enfance du peIntre, où l'on retrouve' le monde naif CRITIQUB de ses toHes (voir le HISTOIRE n° 86 de la Quinzaine). LITTÉRAIRE
Pierre Mac-OrlaA • Roland Barthes La maison' du retour S/l écœurant Coll. • Tel Ouel Gallimard, 208 p., 14 F Seuil, 280 p., 21 F Réédition. dans sa Une • lecture active version définitive, de la nouvelle de Balzac, du premier roman de • Sarrasine -, dont Mac·Orlan, paru Il y a Barthes déploie les 30 ans. virtualités, les Interdits, Léon Trotsky les prolongements Karl Marx signifiants, Buchet/Chastel l'Inconscient littéral. 275 p., 9,75 F • Lettres d'Erza Pound Jules Vallès .i1 Joyce Littérature Trad. de l'anglais et révolution par Philippe Lavergne Choix, préface et notes Mercure de France, de R. Bellet 352 p., 36 F Editeurs Français Un recueil groupant Réunis, 496 p., 29,20 F des lettres, des articles, des confidences: André Wurmser un document capital La comédie Inhumaine sur deux figures • Bibliothèque des essentielles de la Idées littérature moderne. Gallimard. 840 p., 62,80 F Paulette Roy Pierre Boulle et son œuvre BIOGRAPHIES Julliard, 176 p., 14,30 F M.MOIR.S L'univers romanesque de Pierre Boule. Jorge-Luis Borges Walter Schmiele Evaristo Carrlego Henry Miller Trad. de l'espagnol dans l'Intimité par M.·F. Rosset Préface de E.R. Monegal 73 illustrations Seuil, 160 p., 16 F Buchet/Chastel, 192 p., 29 F Une biographie poétique d'un poète populaire La vie intime argentin, symbole d'un du grand écrivain, Buenos Aires perdu qui Illustrée par de est celui de l'enfance nombreuses de l'auteur. photographies inédites.
Livres publiés du 5 au 20 février 1970
• Leo Spitzer Etudes de style Précédé d'une étude de J. Starobinski : Leo Spitzer et .Ia lecture stylistique Trad. de l'anglais et de l'allemand par E. Kaufholz, A. Coulon et M. Foucault .Gallimard, 536 p., 42 F Les principales études de .celui qui, avec Auerbach, illustra la grande génération des romanistes de culture r germa~ique .. • Tzvetan Todorov Introduction à la littérature fantastique Coll. • Poétique Seuil, 192 p., 10 F Inaugurant cette' collee· tion, un' essai où l'auteur tente d'explorer les Iimitès ef le réseau qui commande ce genre littéraire.
SOCIOLOGIE PSYCHOLOGIE Henri Amoroso La condition sexuelle
des Français Ed. de la Pensée Moderne, 420 p., 24 F Réédition d'un ouvrage explosif, devenu Introuvable. Georges Bach , Peter Wyden L'ennemi intime Buchet/Chastel 252 p., 19 F La fonction de l'agressivité dans l'économie psychique de l'homme. Hilaire Cuny De la sexualité Editeurs Français Réunis 196 p., 15 F Dans le cadre de l'édition des Œuvres complètes sous la direction de L. Scheler. S. Fantl Contre le mariage Flammarion, 304 p., 18 F Par un psychiatre suisse, un violent réquisitoire contre le triangle familial, illustré à travers quatre psychanalyses significatives. C. Konczewski La psychologie dynamique et la pensée vécue Flammarion, 352 p., 32 F Un essai centré sur l'étude de la mémoire et où l'auteur s'est efforcé de dépoussiérer 'et d'approfondir la méthode de la psychologie d'observation.
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Eda Le Shan. Complot contre l'enfance Trad. de l'américain Stock, 272 p., 24 F Le danger du • forcing en matière d'éducation. Iganzio Majore Principes de psych. nalyse clinique Ed. Privat, 312 p., 23 F La mise en œuvre de la praxis psychanalytique.
ESSAIS Pierre Antoine Abel Jeannlère Espace mobile et temps fncertalns Coll. • Recherches économiques et sociales Aubier-Montaigne, 160 p., 13, 30 F Une étude sur les profonds changements échus et à venir de notre, cadre de vie dans le monde d'aujourd'huI.
J. Ortega y Gasset L'évolution de la th60rle déductive L'idée de principe chez Leibniz Trad. de l'espagnol par J.·P. Borel Gallimard, 344 p., 32 F La genèse de l'esprit scientifique à travers ses principales étapes et ses principaux penseurs. J.W.C. Wand Ce que saint Paul a vraiment dit Trad. de l'anglais Stock., 168 p., 15,40 f La dualisme d'une pensée partagée entre le monde classique et le monde hébraïque, et ses grandes Idéesforces.
HISTOIRB Jean-Pierre Azéma Michel Winock La III" République Calmann-Lévy, 348 p., 24 F La naissance et la mort de la plus longue République de France (187o-1940)
Nicolas Berdiaev L'Idée rus.. Mame, 274 p., 28 F Les problèmes essentiels de la pensée • ~dward Gibbon russe du XIX' siècle Histoire du déclin et au début du et de la chute de XX' siècle. l'empire romain Texte établi, présenté Maurice Clavel et annoté par D.M. Low Qui est aliéné? Trad. de l'anglais Flammarion, 336 p., par.J. Rémillet 25 F Laffont. 1080 p., 85 F Une étude sociale et Dans la coll.. • Les métaphysique sur la grands monuments de société de consomma· l'histoire -, le chef· tlon et sur le sens d'œuvre de celui qu'on des révolutions sociales a appelé le contemporaines. Montesquieu anglais René Duvillard André Guérin Dynamique du couple' La folle guerre le 1870 Mame, 220 p., 18,80 F 1 cahier d'Illustrations Le couple, contradlcHachette, 334 p., 30 F tlon dialectique qui Le drame de la réalise la synergie des Commune et celui d'un contraires et explique million et demi peut-être le sens de d'Alsaciens devenus, l'univers. malgré eux, sujets allemands. Jean Guitton Profils parallèles Fayard, 496 p., 35 F Quatre portraits parallèles : Pascal et Leibnitz, Newman et Renan, Teilhard et Bergson, Claudel et Heidegger Arthur Koestler Le démon de Socrate Cal mann-Lévy, 320 p., 23,40 F Un recueil d'essais sur des sujets divers mais que sous-tend constamment la volonté de construire une éthique adaptée à notre temps.
Robert Lacour-Gayet Histoire de l'Afrique du Sud Fayard, 488 p., 45 F De la découverte de l'Afrique du Sud par les Portugais au XV' siècle jusqu'à nos jours. Marcel Le Clère L'assassinat de Jean.Jaurès Mame, 250 p., 22,50 F Par un professeur de l'Institut de criminologie de Paris, ulle enquête portant simultanément sur l'assassin et la victime.
Léonard Mosley Le grand sursis Trad. de l'anglais 36 photos Stock, 520 p., 39 F Par le correspondant du • Sunday Times pendant ces mois décisifs, une analyse impitoyable des erreurs tragiques qui devaient conduire l'Europe à la guerre, de l'accord de Munich à l'invasion de la Pologne.
POLITIQUE ECONOMIE André Barjonet Le Parti Communiste Français J. Didier éd., 236 p., 17 F L'analyse spectrale du P.C.F. au moment de son nouveau Congrès par un transfuge de la C.G.T.
Cal mann-Lévy, 320 p., 18 F Une mise au point Impitoyable sur un certain nombre de problèmes peu connus de l'opinion.
DOCUMBNTS Brigitte Axel H Flammarion, 264 p., 16 F L'expérience • hippie racontée par une jeune fille' qui explique pourquoi et comment elle a vécu cette aventure.
de l'univers Laffont, 304 p., 20 F Un document sur le spiritisme appuyé sur une expérience vécue et où se trouvent réunis les éléments d'une théorie du spiritisme. Raymond Thévenin . Criminels, fous et truands: grands procès d'assl..s Préface de René Florlot Fayard, 384 p. 20 F Une introduction à • l'univers judiciaire -, par le chroniqueur de Il.T.L.
RELIGION
Franco Basaglla L'Institution en • David Flusser négation Jésus' Trad. de l'Italien Trad. de l'allemand par L. Bonaluml par Michael Marsch Coll. • Combats'Préface de B.C. Dupuy Seuil, 288 p., 21 F Seuil, 160 p., 16 F Une dénonciation de Par un historien juif, l'Institution psychlaun.e étude de la vie Henry A. Kissinger trique par le de Jésus replacée dan. Pour une nouvelle médecin-chef d'un asile. son contexte politique, politique étrangère juridique et culturel. américaine Colette Fayard, 160 p., 20 F Contes des mille .Angelus Sileslus Une analyse des réalités et un matins L'errant chérublnlque et des Impératifs de Flammarion, :256 p., Préface de R. Laporte la politique étrangère .16 F présenté et traduit américaine, par le Les chroniques de de l'allemand Colette dans • Le conseiller n" 1 du par Roger Munler président Nixon. Matin - entre 1910 Planète, 224 p., 22 F et 1918. Un grand mystique Le Centenaire du allemand (1624-1677). • Capital. Charles Glllard dont la pensée a joué Mouton, 344 p., 24 F Echec aux rois de un rôle Important dan. la drogue Exposés et entretiens l'histoire de la Buchet et Chastel sur le marxisme au philosophie de son pay•. cours des décades 241 p., 24 F du Centre Culturel Par l'ancien chef de la Max Thurlan International de Cerisy· brigade des stupéfiants Sacerdoce et mlnlstire la-Salle (juillet 1967). une évocation des Presses de Taizé grandes affaires dont Il diffus. Seuil, 304 p., 18 F James Mac Millan s'est occupé. Du sacerdoce aux Bernard Harris problèmes des F. Perez Lopez L'Angleterre est une ministères d'aujourd'huI. colonie américaine El Mexlcano Coll. • Vécu. Ed. de la Pensée Laffont, 288 p., 20 F Moderne, 280 p., 22 F Un dossier explosif sur Rédigé en 1941 par un ARTS la situation économique jeune combattant des URBANISME de l'Angleterre et sur Brigades Internationales le danger que comporun document Z. Arsène-Henry terait son insertion exceptionnel sur la Notre ville guerre d'Espagne et dans le Marché Mame, 328 p., 25 F Commun. ses lendemains. De la ville fonctionnelle à la ville personnalisée: • Anatoll Martchenko A. Teissier du Cros un aspect de l'urbanisme Mon témoignage J ..J. Thiebaut que les architectes Le courage de diriger Trad. du russe par tendent à méconnaître. Coll. .L'uslne nouvelleFrançois Olivier Coll .• Combats. Laffont, 344 p., 18 F Tibor Bodrogl Seuil, 320 p., 21 F Inaugurant cette L'art en Afrique Un témoinage sur les collection consacrée 190 pl. noir et couleurs aux problèmes du camps soviétiques, par Cercle d'Art, 132 p.,'60 F management français, un Russe arrêté en 1960, alors qu'il se • A.ndré Fermigler une étude d'ensemble Bonnard sur les perspectives préparait à franchir la 48 pl. en couleurs frontière, et condamné qui s'offrent actuelleà six ans de Coll. • Les grands ment en France dans déportation. ce domaine. peintres Cercle d'Art, 160 p., 100 F James A. Pike Adrien Zeller Diane Kennedy L'Imbroglio agricole Michel Laglotte Dialogue avac l'au-delè du Marché Commun Musée du Louvre Coll. • Les énigmes Peintures Préface d'E. Plsanl
Bilan de février Illustrations en couleurs Flammarion, 128 p., 9,80 F l'histoire de ce musée devenu, au cours des deux derniers siècles, l'un des plus complets du monde. Hermann J. Wechsler
La gravure, art majeur
Trad. de l'anglais par Jacques Chavy 100 pl. en noir et en couleurs Cercle d'Art, 244 p., 90 F Des maîtres inconnus à Picasso.
CINÉMA MUSIQUE lerol-Jones Musique noire Collection « Musique. Buchet/Chastel 256 p., 18 F les écrits sur le jazz du grand écrivain noir. Tarkovsky Andrei Roublev précédé de Andrel Roublev dans la Russie de son temps (1360-1430) par l. et J. Schnitzer et d'une interview de Tarkovsky 20 illustrations Editeurs Français Réunis, 168 p., 19 F le scénario littéraire du film de Tarkovsky (voir le n° 85 de la Oulnzalne) .
HUMOUR SPORTS DIVBRS Roger Ferlet Le vivarais 135 photos, 4 pl. Arthaud, 268 p., 47 F A la découverte de cette province. l'une des plus anciennes de France et la dernière à avoir été découverte par la mode. Alain Hervé Au vent d'aventure 32 photos d'Anne Hervé, 9 dessins et cartes Arthaud, 260 p., 23,40 F le périple d'une famille de navigateurs, partis à la recherche des îles perdues. Bernard Heu Matra, la course en bleu Coll.« l'heure du sport • 16 p. d'illustrations Calmann·lévy, 280 p., 15 F les coulisses de la compétition automobile. Ephraim Klshon Les sacrés fils d'Abraham
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