Quinzaine littéraire, numéro 93

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SOMMAIRE

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LB LIVRB DB LA QUINZAINE

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Jules Laforgue

Poésies complètes

par Claude Pichois

Violette Leduc Michel Butor

La folie en tête La rose des vents

par Anne Fabre-Luce par Roger Borderie

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ROMANS .,RANÇAIS

Jean Pierre Faye Denys Viat

Les Troyens Le cœur en bandoulière

par Marc Saporta par Alain Clerval

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ROMANS ETRANGERS

Clarice Lispector Ismaïl Kadaré

Le bâtisseur de ruines Le général de farmée. morte

par Michèle Albrand par Gilles Lapouge

Portrait de Bergamin

par Claude Roy et Florence Delav

Laco Novomesky

Villa Téréza et autres poèmes

par Serge Fauchereau

Dirigée par Claude Pichois

Littérature française

par Claude Bonnefoy

Stéphane Mallarmé

Correspondance III, 1886-1889

par Michel Décaudin

L'Afriqùe à Marseille Un Californien à Amsterdam

par Guy C. Buysse par Jean-Luc Verley

Mon témoignage Les camps en U.R.S.S. après Staline

par Roger Dadoun

L'homme Lénine

par Vladimir Socoline

Jean Charlot Georges Clemenceau

Le phénomène gaulliste Lettres à une amie (1923-1929)

par Pierre Avril par Madeleine Reberioux

Bernard Shaw

Major Barbara

par Gilles Sandier

• 10

18

HISTOIRE LITTERAIRE

14

18

BXPOSITIONS

18

HISTOIRE

Martchenko

20

21 23

24

THEATRE

25

CINEMA

Objectif: Vérité

par Jacques-Pierre Amette

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..EUILLETON

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par Georges Perec

Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris-7°. Téléphone : 222-94-03.

Crédits photographiques

François Erval, Maurice Nadeau. Conseiller : Joseph Breitbach. Comité de rédaction : Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise· Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski. Secrétariat de la .rédaction : Anne Sarraute.

La Quinzaine littéraire

Courrier littéraire : Adelaide Blasquez. Maquette de couverture : Jacques Daniel Rédaction, administration : 43, rue du Temple, Paris-4e • Téléphone : 887.48-58. Promotion-Diffusion Fabrication Promodifa 400 rue St-Honoré. Parie-Ier

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Printed

mFrMef

p. 3 Pierre Cailler éd. p. 4 Pierre Cailler éd. p. 4 Pierre Cailler éd.

p. 5 Lüfti Ozkok p. 6 Vasco p. 7 Le Seuil p. p. p. p.

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12. 13 15 p. 17 p. 19 p.20 p.21 p. 22 p.23 p.24

D.R. D.R. Arthaud éd. Le Seuil éd. D.R. Le Seuil Fayard éd. Fayard éd. Elliott Erwitt, Magnum René Dazy Bernand


LB LIVRB DB

Laforgue en poche LA QUINZAINB

le livre de poche, dans une culture de masse, porte une responsabilité grandissante. Etudiants et lecteurs, enseignants parfois, ne voient pas toujours la nécessité d'acquérir le même texte à un prix plus élevé. D'autant que sa présentation matérielle permet de l'utiliser dans des circonstances où, naguère, on aurait eu scrupule à ouvrir un volume : aux Essais publiés dans la « Bibliothèque de la Pléiade -, Thibaudet appliquait le mot de Cicéron : nobiscum rusticantur. Combien plus vrai, maintenant, de ces petits livres !

Jules Laforgue Poésies complètes Présentation, notes et variantes de Pascal Pia Livre de poche Leur apparition a aussi coïncidé avec le moindre respect porté à l'ouvrage imprimé, relié ou simplement broché - , à moins qu'elle ne l'ait provoqué. Il en allait du livre comme du morceau de pain qu'on avait brichaudé ou des dernières gouttes de vin au fond d'un verre, et peut-être pour les mêmes raisons lointainement religieuses : un tabou l'écartait du rebut; les ciseaux, les encres de couleur n'osaient le défigurer. Que de travaux se font, au contraire, à partir de deux exemplaires d'un titre publié, dans les collections de poche : pages collées sur de grandes feuilles, constellati9ns de couleurs pour analyser, décomposer, recomposer. Qui dira si quelques formes de la nouvelle critique ne sont pas nées de cette commodité ? Encore faut-il que le texte soit pur, fidèle. C'est loin d'être toujour le cas. Quand se lit au début d'un Oberman : c: On verra dans ces lettres l'expression d'un homme qui travaille », au lieu de : c: On verra dans ces lettres l'expression d'un homme qui :rent, et non d'un homme qui travaille », n'y a-t-il pas lieu d'être saisi de doutes, qui s'étendent à l'ensemble du volume? Une étude peutelle prendre appui sur ces sables incertains? L'éditeur - au sens commercial du terme - semble La QuinzùDe littéraire, du 16

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parfois attacher plus d'importance à la préface dont il pense qu'un peu snob elle rajeunira un vieux· texte. Mais la préface de A est interchangeable avec la préface de B et, de toute manière, C pourrait l'écrire, et D et E. Points de vue ou guides..ânes.

par Claude Piohois

A l'autre extrémité du large éventail dont se composent les collections de livres de poche, il est des auteurs qu'on ne peut lire, qu'on ne doit lire que sous cette forme : le texte est pur, il est exhaustif. Ainsi du Tout Ubu procuré par Maurice Saillet. Et aujourd'hui des Poésies complètes de Laforgue dues à Pascal Pia ( c: le livre de poche classique », n° 2109, 672 pages!). De cette œuvre, on connaît depnis longtemps l'histoire, du moins sa fin, dessinée à grands traits. En juillet 1885, paraissent les Complaintes, en novembre de la même année, l'Imitation de Notre-Dame la Lune. A partir d'avril 1886, Laforgue écrit les pièces qu'il compte publier sous le titre: des Fleurs de bonne volonté. Alors, dans la Vogue, en juiri-juillet 1886, il prend connaissance des Illuminations ainsi que de vers libres de Gustave Kahn ; sous ,cette influence, il rompt avec son ancienne esthétique, peu ou prou classique, assortie de dissonances, et il renonce à publier des Fleurs de bonne volonté, qu'il va traiter comme une carrière. Il en extrait cinq poèmes dont il constitue le Concile féerique, publié dans la Vogue en juillet 1886, puis en une plaquette. D'autres poèmes offrent des éléments aux Derniers 'Vers douze pièces, dont onze furent insérées dans la Vogue (août-octobre 1886) et dans la Revue indépendante (novembre 1886) ; elles répondent à cette confidence, de juillet 1886 c: oublie de rimer, loublie le nombre des syllabes, j'oublie la distribution des strophes, mes lignes commencent à la marge comme de la prose. L'ancienne strophe ne reparaît que lorsqu'elle peut être un quatrain populaire, ete. ». Il est d'ailleurs probable que Laforgue a récrit, dans le sens d'une plus grande libération, certains des onze poèmes publiés et que le dernier mot appartient non aux imprimés, mais aux manuscrits. Puis, c'est la maladie et, en août 1887, la mort.

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30 Gvril 1970

Jula lAlor&ue, bois de Félix Vallolon

Un recueil, deux plaquettes, voilà les œuvres publiées par Laforgue. L'édition de' Pascal Pia les reproduit, bien entendu, et les fait suivre des Fleurs de bonne volonté et des Derniers Vers dont Félix Fénéon et Edouard Dujardin avaient donné en 1890 une transcription que le nouvel éditeur juge exemplaire, ,après en avoir éprouvé l'exactitude au vu des manuscrits. Ce sont les deux dernières sections qui apportent les plus grandes nouveautés. Les c:Poèmes posthumes divers» rassemblent les pièces qui n'avaient été recueillies ni par Laforgue lui-même, ni par Fénéon et Dujardin, mais qui sont entrées ensuite dans les prétendues édItions d'œuvres complètes procurées par Camille Mauclair (19011903) et Georges Jean.Aùbry (commencée en 1922 et re~tée inachevée), ainsi que par Sergio Cigada dans son édition des Poesie complete (Rome, Edizioni dell' Ateneo, [1966], 2 vol.), désormais incomplète, mais fort. bien présentée, accompagnée de nombreuses variantes et préfacée par Sergio Solmi. Les c: Poèmes inédits », dernière sectiQn, le sont

au sens absolu - et c'est la plus grande partie - ou, ayant été imprimés du vivant de Laforgue dans des périodiques quasiment introuvables, n'avaient pas encore été publiés en volume. Cette formule a l'avantage de souligner le considérable apport du «Livre de poche », dont le juste sous-titre est : Edition augmentée de soixante-six poèmes inédits, mais elle a l'inconvénient de disperser des poésies vraiment contemporaines. Par exemple, les «poèmes posthumes divers » contiennent quatre pièces publiées dans la Guêpe (Toulouse) de juillet à septembre 1879, et les « Poèmes inédits» six pièces publiées à la même époque dans le même périodique, plus une partie en août 1879 dans l'Enfer, autre petite revue toulousaine (leur auteur pensait alors les recueillir sous le titre : Un amour dans les tomb~). Pour suivre aussi exactement que possible l'évolution de Laforgue, il convient que le lecteur établisse une table chronologique en s'aidant des indications données par Pascal Pia et dont beaucoup résultent de sa patiente et scrupulel,lSC étude des manuscrits. Ce classement chronologique est d'autant plus nécessaire que la

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majeure partie des poésies retrouvées est antérieure aux Complaintes et représente donc une importante époque de composition poétique. Comment expliquer le progrès considérable que Pascal Pia vient de faire accomplir à notre connais· sance de Laforgue? Par le sort désolant qui fut réservé aux papiers de celui-ci, histoire doulou· reuse qui fut racontée naguère par un excellent laforguien, J .•L. De· bauve, lequel nous promet deux volumes de et sur Laforgue. Dans la Revue d'Histoire littéraire· de la France d'octobre-décembre 1964, M. Debauve a mis en cause Camille Mauclair, tartuffe du s)1UÙ>Olisme. Pascal Pia aggrave l'accusation_ et la dirige également contre X... : les inédits de Lafor· gue communiqués au Mercure de France, lorsque Mauclair prépara sa mauvaise édition, furent si bien conservés par cette maison que Georges Jean-Aubry, qui prépara la seconde édition du Mercure,

Dessin de Jules Laforgue

Pascal Pia nous offre une édition savante - et critique, au vrai sens du mot, car les notes recensent toutes les variantes des poèmes, de leurs brouillons et de leurs versions successives. C'est donc là un état présent de notre connaissance poé. tique de Laforgue, et l'instrument le plus sensible qui permette de poursuivre l'heuristique. L'œuvre poétique de Laforgue n'a sans doute pas fini de livrer ses secrets : « Il est à présumer - écrit Pascal Pia qu'on repérera çà et là d'autres inédits de Laforgue et d'autres versions de poèmes déjà connus. » Mais l'essentiel est main· tenant découvert, et c'est à Pascal Pia que nous devrons pendant des années de pouvoir lire un Laforgue remembré. Jules Laforgue à Berlin

n'en eut pas connaissance... Depuis lors, ces manuscrits de poèmes, pour ne pas parler des autres fragments, ont été diaboliquement dispersés. Et il a fallu, des années durant, la quête acharnée de Pascal Pia aidé par des libraires et des collectionneurs, pour que l'œuvre de jeunesse (si l'on peut dire...) de Laforgue retrouve un visage. Traditionnellement, des éditions s'ouvraient sur le Sanglot de la Terre, recueil que Laforgue rêva autour de 1880 et qui compta jusqu'à 1800 vers. Le titre de ce recueil et son inspiration générale étaient connus par la correspondance. D'autre part, en préparant la première édition du Mercure, Mauclair avait reçu communication de nombreux manuscrits inédits. Par une sorte de soustraction hâ· tive, de l'inconnu sur le connu, la reconstitution du Sanglot, titre béant, semblait légitime. Pascal Pia se méfie : alors que Laforgue nous a laissé une table des pièces qui devaient entrer dans Des fleurs de bonne volonté, le Sanglot de la Terre n'existe qu'à l'état de projet: Mauclair, en choisissant, parmi les inédits, vingt.neuf pièces, coiffées par lui de ce titre, s'est·il demandé « s'il n'en retenait pas de postérieures à l'abandon du projet de recueil poétique dont il prétendait donner un aperçu» ? Devant ce parti-pris on comprend mieux la volonté strictement scientifique du nouvel éditeur. Celui-ci se refuse. à remplacer de vieilles hypothèses par d'autres, de crainte d'imposer bientôt au lecteur des traditions tQut aussi suspectes.

Les poèmes retrouvés - grou· pons sous ce titre les «Poèmes posthumes divers» et les «Poè· mes inédits ~ - ressuscitent le La· forgue des années 80. Ils témoi· gnent de l'extraordinaire souplesse d'un poète moins précoce que Rimbaud, mais aussi moins libre que lui. Rimbaud pouvait confesser le génie de Baudelaire sans en être offusqué. Laforgue, dix ans plus tard, sent peser sur lui cette grande ombre. Il sait la ra· nimer, en activer les ressources poétiques. Là où Baudelaire n'osait, s'échappant par la voie du poème en prose, Laforgue, lui, ose. Et l'on comprend peut-être mieux, à lire les inédits recueillis par Pascal Pia, l'admiration vouée à Laforgue par un Ezra Pound notamment, admiration qu'il me sur ait plus chichement à Baudelaire, lequel lui paraissait par foi s timoré. Si l'on voulait à tout prix trouver une formule, il faudrait imaginer au point de départ de l'itinéraire laforguien un Baudelaire compli. qué de Charles Cros, - Hubert Juin ayant avec raison attiré l'attention 8ur les vertus provocantes du Coffret de santal (1) .

Le Laforgue d'avant «1_ Complaintes» Ce Laforgue d'avant les Complaintes, ce Laforgue de vingt ans dont les lecteurs de la Quinzaine littéraire ont déjà pu goûter la pri. meur, ne rend pas toujours le son volontairement aigrelet, agaçant aux dents comme un fruit vert,

des poèmes postérieurs. Il est parfois de ton plus ample, ainsi qu'il convient à une inspiration volon· tiers cosmique. Si l'on retire du groupe des poèmes dont Mauclair avait constitué le Sanglot de la Terre, la Complainte de l'organiste de Notre-Dame de Nice, dont on ignore la date de composition, et la Chanson du petit hypertrophique, composée dès 1882, et qui ne semblent appartenir ni l'une ni l'autre au Sanglot, on constate à un certain moment le ferme des· sein d'édifier un poème philosophique. Mais déjà, et admirablement, Laforgue sait tordre le cou à l'éloquence : le sonnet sur l'Hélène de Gustave Moreau, si parnassien de sujet, se termine en pointe par un concetto à rebours. De même, le sonnet suivant, Veillée d'avril. Hélène est une petite bourgeoise qui craint de « prendre froid »; une méditation sur « le pourquoi des choses de la terre » se perd dans « Le roulement impur d'un vieux fiacre attardé ». La poésie traditionnelle est désamor· cée ; atteinte est portée aux grands thèmes, récrits sur un autre registre. A sa manière, Laforgue illustre les « deux qualités littéraires fondamentales » que Baudelaire avait consignées dans Fusées : « Surnaturalisme et ironie » ; l'humour,· à la Henri Heine, se substituant lci à l'ironie. L'expression cc poésies de jeunesse » est restrictive, dépréciative : on pense à des gammes, réservant les mélodies aux recueils publiés par Laforgue. Erreur. La publication des recueils s'explique par leur unité : celle du genre (les Complaintes), celle d'une typologie (l'1mitation...), celle d'un thème (le Concile féérique). Mais non pas par une différence de qualité : Apothéose, Bouffée de printemps, Excuse mélancolique, les Amoureux, Dans la rue, les Boulevards - chacun fera son choix - sont dignes des poèmes publiés jadis ou naguère. Pascal Pia n'a donc pas seulement complété l'œuvre de Laforgue : il a renouvelé la conception que nous en pouvions avoir; il l'a mise en perspective. Grâce à lui, toute réticence doit céder. Laforgue n'est plus comparable, à son détriment : il est un très grand poète.

Claude Pichois 1. Dans sa préface aux Œuvru poétiquu de Laforgue, éd. Pierre Belfond,

[1965], • Poche-Club poésie •.


Le Dtal d'être Le drame dans la possibilité rie Comment jamais réaliser la (( printemps » que représente la fin de la • bâtardise », desnaissance à la vie littéraire et la serrer J'étau que constitue le passé et accomplir une véri- consécration par l'écriture qui vientable naissance au monde ? dt-ah' enfin iustifier l'existence de Telle est la question que l'écrivain dans le monde, c'est la pose Violette Leduc dans ce présence des autres. C'est pat' eux livre qui reprend la quête que s'exprime la carence fondamend'une coïncidence avec soi- tale contre laquelle l'œuvre s'in· même commencée avec la surge comme devant un scandale. Bâtarde. et qui confirme jus- Ils sOnt véritablement (( l'enfer» qu'au délire J'impossibilité 'diïns le sens sartrien, pour Violette qu'il y a à vouloir nier le' Leduc qui ne vit leur présence que déracinement fondamental , sur le mode du refus de sa propre existence. Cette « affamée » dévoqui est notre condition. re autrui de son désir pour se laisser ensuite détruire par lui. (( L'autre», qu'il soit Simone de BeauViolette Leduc voir, Jean Genet, ou Jacques La folie en tête l'impossible amant - est toujours Gallimard éd., 412 p. inaccessible parce que son désir est ( ailleurs». On sait, d'entrée de Le « mal d'être », l'inadaptation jeu, qu'il vise un autre être, un profonde au monde et à autrui qui autre objet que la narratrice. Saisis pouvaient aisément trouver leur jus- un instant comme possibilités providentielles de coïncidence avec tification dans la guerre, la lutte contre la faim et le désespoir pré- soi et avec le monde, les autres ne sentés dans la Bâtarde ne peuvent tardent pas à se transformer en plus servir d'explication dans la obstacles. Ils ne cessent alors de Folie en tête. Les ponts sont pour renvoyer, par leur seule existence, ainsi dire coupés, qui mènent aux à un don impossible d'eux-mêmes, à une disponibilité dont l'absence solutions pseudo - rationnelles, et ne peut que désespérer celle qui force nous est maintenant de comprendre que le déracinement et la fixe sur eux son désir. déréliction de l'être sont en fait Ce livre sera donc aussi une tratoujours antérieurs à la présence géd~e : celle du désir et du, manque des situations traumatisantes ellesqui confirment l'impossibilité du mêmes. Tout incline en fait à croire' bonheur et l'impuissance de vivre. que l'ensemble des activités mercan- Pour l'auteur, l'activité littéraire tiles par exemple, auxquelles se liest à la fois le seul refuge qui devrait avec tant de passion l'héroïne, meure devant l'échec dans le monservaient seulement d'écran à une de, et l'assurance tragique que l'on difficulté d'être plus générale, et est toujours seul et abandonné de~ qui se manifeste de manière déciautres. L'écriture c'est donc al1S!Ü sive dans les rapports avec autrui l'échec devant la vie, comme le comme horizon essentiel de toute remarquait Sartre, quand il écriexpérience vécue par la narratrice vait : de la Folie en tête. Pourtant, les « Il n'y a pas de don d'affabupentes névrotiques sur lesquelles ce lation : il y a la nécessité de débouleversant voyage intérieur nous truire virtuellement le monde par· invite à glisser, sont aussi le luxe ce qu'anse trouve dans l'impossiparticulier qui s'attache à 'la réusbilité d'y vivre. Il n'y a pas de site littéraire - réussite dans ladon verbal : il y a l'amour des quelle cet autre lU:ll;e qu'est le sucmots qui est un besoin, un vide, cès lui-même a toujours pour enune misère, une attention inquiète vers une transfiguration tragique qu'on leur porte parce qu'ils padu destin humain. raissent recéler le secret de la Considérés dans cette perspec- vie... (1). Violette Leduc ne dit pas autre tive., les récidives mercantiles (vécues ou imaginées, peu importe) chose quand, à propos de l'activimais certes. incompréhensibles en té littéraire, elle conclut : ( Ecrire, c'est tremper sa plume face du « chemin» parcouru par l'auteur, son amour panique des dans l'eau de mer le premier jour des vacances. Le reste est combiobjets et sa perpétuelle terreur du naisons... tout le monde est écri« besoin », s'expliquent ocmme tentatives désespérées d'ancrage dans vain, après, ce sont des jeux de le réel et non pas en tant que glaces... Courir d'une certaine façon pour attraper un papillon, c'est conduites d'aliénation.

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La

Qui~e

littéraire, du 16 ou 30 ovrü 1970

avoir un style... Ecrire le mot impossible sur la courbe d'un arc· en-ciel. Tout serait dit. » (p. 411). Le réçit sera donc un constat d'échec, ou il ne sera pas. Il représentera la transfiguration et la destruction répétées des possibles qui s'annulent douloureusement dans une conscience crucifiée le long des années. Violette Leduc (( à bout de souffle», laisse fuser les métaphores et se débonder de grandes richesses intérieures sur un fond de négativité tragique. Elle crucifie les_ printemps de sa vie comme ceux de ses amours. Assumant jusqu'au bout son entre: prise de destruction, elle fait de ses rapports avec les autres des théâtralisations intérieures (très sarrautiennes d'ailleurs) au sein desquelles, imaginaire et surréel président à la tétanisation dGuloureuse des contraires: ou bien l'ab· sence d'autrui la confirme dans sa non-existence, ou bien ~lle tremble à l'idée d'oser exister devant lui. (De Genet elle dit: ( Je disparais quand il arrive », et elle ajoute un peu plus loin : « C'est terrible... il m'accorde trop d'importance ».) . Le monde de « l'autre » est donc vécu ainsi, sous le signe' d'une contradiction irréductible : il est en même temps l'objet d'un désir infini, et il est subi comme une menace perpétuelle et obstacle permanent à la réalisation du désir. Violette Leduc nous donne dans ce livre un tableau des plus saisissants de la solitude à laquelle sont condamnés la femme, l'écrivain, solitude à laquelle ils se condamnent aussi eux-mêmes. Mais cette ( aventure » est toute vibrante des paroles, des émois, des séismes qui font de ce destin difficile la matière du livre. Dieu qui semble avoir donné à l'auteur « la permiSsion de tout détruire » lui a aussi donné celle de tout faire renaître sous sa plume, dans un désordre qui est celui de la vitalité même de l'esprit et du cœur. C'est dans la contradiction et l'ambivalence i n t i mes de ce « vécu » que réside la « vérité » du récit. L'amour y apparaît comme la simultanéité déchirante du don et du refus de soi et de l'autre: « C'est mon 'enfant, nous dit-elle de celui qu'elle aime. Je le couve. C'est en le couvant que je suis le plus vipérine. Je sors mon venin au moment où j'embrasserais le dessus de sa main... Je le vomis, ensuite je l'enveloppe de tulle.

Violette Leduc

C'est mon guepter d'impossibilités, j'y suis reine. Je me perds en l'ai· mant, je me perds en le démolis· sant... Qu'est.ce qu'adorer? C'est prier pour le boulet qu.'on a au pied ». (403). Pourtant, les trêves ne sont pas absentes de ce livre, et parfois la « féroce abeille » se perd un instant dans le padum des fleurs qu'elle dévore. Paris s'enchante sous son dard amoureux : « Des pierres, des rugueuses, des rébarbatives, des symétriques... le pont. Lointains raffinés, lumières d'orient entre les branches ciselées. Notre·Dame est voilée de sris, enivrement» (243). Les « cantiques » que sont pour .l'auteur les romans de Genet, transparaissent ainsi dans la poésie d'un paysage, ou dans le sordide-sublime d'une scène de prison, très MaratSade par ailleurs. Simone de Beauvoir est aussi une trêve.. Violette Leduc lui doit l'exigeance sécurisante d'une amitié sûre, vécue à une distance consentie et conquise sur le désir, et qui en fait, la rassure en dépit des tourments qu'elle a pu provoquer chez un être qui ne cesse de trop demander à autrui. La sereine « exemplarité » de cette amie qui lui demande toujours si « elle a travaillé», oriente chaque fois les tumultueuses gravitations de la narratrice vers un centre d'apaisement qu'elle s'acharnait à oublier et dont la présence fait que, soudain, les maléfices de la création chan.gent de signes,' et se transforment en grâces. Par elle, le côté positif de la création se fait jour dans le sens que Gracq lui donne quand il écrit : « Servir avec intelligence les fatalités de sa propre nature, là réside le seul génie ». Mais écrire, pour Violette Leduc, c'est aussi « prendre dans ses bras un absent »; c'est étreindre la « tendre indifférence » du monde, l'aimer à fonds perdu et se perdre en lui, pour rien.. Il s'agit aussi d'accomplir par la lettre et ( avant la lettr~ » sa propre fin, et d'acquiescer par l'écriture à la double orgie de la vie et de la mort dont l'être du monde nous propose le modèle. Anne Fabre-Luce

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1. ~. Cantat, M. Rybalka : Ecrits de Sartre, «la Vocation d'écrivain:o, Gall. 1970, p. 696.

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A

Butor reve sur Fourier véritable machine à rêver. Un exemple de cette « forme unifiée » qui faisait défaut à la Science·fic· tion était trouvé, et ce petit livre de 170 pages constitue un extraor· dinaire répertoire de sujets de Science·fiction. Sa force réside dans le fait que chaque sujet s'inscrit dans une vision globale, au lieu de frapper d'impuissance l'imagina. tion, en lui proposant des thèmes de recherche divergents, fragmen. taires, contradictoires. Bien au con· traire, une nécessité organique semble devoir présider ici aux des· tinées de l'ensemble. En montrant que les périodes futures peuvent être déduites des périodes décrites, Butor souligne que le système de Fourier fonctionne.

Michel Butor La Rose du Ven.ù (32 Rhumbs pour Charw Fourier) Coll. te Le Chemin ». Gallimard éd., 173 p.

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On connaît la doubl.e prédi· lection de Michel Butor pour le rêve et la science. Elle .trouve l'.occasion de s'accom· plir, par exemple. dans l'évocation de villes imaginaires. La ville est à la fois le lieu de ,mille techniques et un produit de l'imagination. En ce sens toutes les villes sont imaginaires: nous avons bâti nos rêves. Dès 1953, Butor consacrait quel. ques pages pénétrantes à la science· fiction. Il y était question de villes futures, de villes prédites, et Butor estimait qu'un système qui serait assez fort pour intégrer les mythes fondamentaux dans le corpus scien· tifique contemporain., nous permet. trait (nous obligerait) de construire ces villes rêvées. Mais un tel systè. me fait défaut et toujours selon Butor, la science·fiction tourne à vide. Ainsi Les récits de S·F tirent leur puissance d'un grand rêve commun que nous avons, mais ils sont incapables pour l'instant de lui donner une forme unifiée. C'est une mythologie en poussière, im· puissante, incapable d'orienter no· tre action de façon précise. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que Butor ait été fasciné par l'œuvre de Charles Fourier qui of· fre un modèle de structures d'une incomparable richesse. Le Traité de l'Harmonie Universelle, le Nouveau Monde Amoureux, le Nouveau Monde Industriel, Analogie et Cosmogonie, la Fausse Industrie, etc., constituent une somme de vè. ritable cosmologie.fiction. Charles Fourier a imaginé un modèle d'organisation de ses écrits, destiné il régir en même temps que ses livres, « aussi bien la suite des âges de l'individu que celle des pé. riodes de l'histoire humaine ». Ce propos fait évidemment penser à la démarche de savants (tout près de nous : Einstein) partis à la recher· che d'une formule unitaire, d'une équation en tout cas d'une des plus saisissantes tentatives jamais décri· tes, de charpenter une mythologie de notre temps. La base de ce mo6

~'fichcl But"r, par \

'"CO

dèle d'organisation c'est, pour Foù· rier, la série de 32 termes, gamme du nouveau monde harmonieux. L'aspect scientifique précùrseur de cette géniale rêverie à moins trait à l'astrophysique ou aux sciences naturelles (encore qu'il soit ici abondamment question de Plurivers ou d'antibaleines et que la né· cessité d'une Encxclopédie natura· logique enluminée constamment mise à jour, soit clairement établie) qu'aux principes combinatoires sur lesquels se fonde cette philosophie sérielle.

A ceux qu'une lecture trop hâ· tive abuserait et qui se refuseraient à voir dans le fruit de la complicité de Fourier et de Butor autre chose qu'un tissu d'élucubrations gratui. tes, nous ne saurions trop conseil· 1er de se reporter à un autre ouvra· ge qui vient de paraître et mérite· rait un long commentaire; il s'a· git des excellents Fragments théo· riques l, de Henri Pousseur essai sur la musique expérimentale, publié par les Editions de l'Institut de Sociologie de l'Université Libre de Bruxelles. Le titre de la Conclu· sion est à lui seul tout un program· me fouriériste : Pour une périodi. cité généralisée. On peut y lire ces lignes significatives :

« Il semble possible de proposer maintenant, comme développement de la pensée sérielle, une méthode « périodique» généralisée, capable de donner à tout, au plus simple comme au plus complexe, au connu comme à l'inconnu, au tout nou· veau comme au très ancien (et par exemple aussi aux formulations théoriques antérieures) un commun dénominateur très proche de la réa· lité, parce que répondant à la fois aux propriétés synthétiques, concrètes et qualitatives de l'objet et aux La théorie de Fourier exigences rationnelles de notre es· oomme maohine à rêver prit, une méthode capable d'ouvrir à tous ces domaines la voie d'un Selon Fourier, l'histoire de l'hu·. fonctionnement coordonné, d'une manité comptera donc 32 périodes. coopération fructueuse. Je trouve Il ne nous décrit que les neuf pre· cela d'autant plus utile que nous mières, mais la grille qu'il propose avons justement besoin, pour réa· est conçue en fonction d'une struc· liser les intentions formelles et exture assez forte, et Butor est assez pressives très vastes développées rompu à ces sortes de rêveries sys· par la musique sérielle de trouver tématiques, pour que ce dernier, les moyens de réintégrer autant extrapolant, ait pu entreprendre de que possible le simple et le défini, compléter le tableau, se servant de de les mettre, par le truchement la théorie de Fourier comme d'Une d'une économie générale, au servi·

ce d'un projet de variation, de dif· férenciation et de démultiplication extrême ».

Inutile d'insister sur le fait que cette « économie générale» dont parle Pousseur, est précisément l'objectif visé par Fourier. Remarquable anticipation de ce structuraliste avant la lettre, de ce structuraliste visionnaire. On imagine tout le parti que Bu· tor pouvait tirer d'une telle struc· ture génétique, qui recoupe, à cha· que intersection du rêve et de la science, ses propres recherches. Fourier avait conçu cette pile géné. ratrice de rêves; Butor fait passer le courant. De l'hypothèse grandiose (tout ce qui dure est assimilable à une onde) se déduisent indéfini· ment de nouveaux mondes. Le poè. te sans cesse à l'affût de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouveaux sens, trouve ici l'occasion d'ébaucher une véritable Petite Encyclopédie des Envies de vivre in· connues. Les dernières pages du li· vre sont d'une émouvante beauté. L'essayiste, de son côté, instaure une nouvelle pratique très complexe et fructueuse de la lecture. Lectures multiples : lecture de Fourier par Fourier, impliquée dans le principe même de l'extrapolation; lecture de Butor par Butor à travers Fourier. Ainsi lorsque Butor écrit : « Si la pensée de Fourier nous apparaît toujours à travers un brouillard, s'il fLOUS faut perpétuellement ln re· constituer ce n'est nullement là un hasard; il convient que le· lecteur languisse vers une harm.onie entr'aperçue », ne suggère-t-il pas une relecture de ses propres harmonies déguisées, étant entendu qu'un es· sayiste commente toujours l'œuvre de son auteur en des termes qu'il souhaiterait voir appliquer à la sienne propre ? Ici Butor ne s'est pas contenté de traverser le texte de Fourier d'une lumière nouvelle; il s'est arrangé pour que la théorie de Fourier tra· verse d'une nouvelle lumière ses propres écrits. Le résultat est sin· gulier : les deux œuvres se traver· sent mutuellement. En un sens Butor s'est approprié l'œuvre de Fou· rier. On pourrait dire que désor· mais le Traité de l'Harmonie Universelle fait partie de son œuvre. Mais ce n'est pas tout: la Rose des vents, de Michel Butor, dorénavant fait partie des œuvres complè. tes de Charles Fourier.

Roger Borderie


ROMANS

Lire autrelDent FRANÇAIS

Jean Pierre Faye Les Troyens hexagramme ou roman Coll. Change Le Seuil, éd. 368 p.

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Si le lecteur des Troyens fait preuve de patience, ou se pique au jeu des déductions que lui propo~ l'auteur, un certain nombre de faits se dégagent bientôt du li· vre où tout semble, à première vue, hypothétique, et se regroupent en certitudes. Ainsi, il apparaît de façon rassurante que, malgré l'enchevêtrement initial des notations éparses, l'on a affaire à un début d'intrigue : le narra· teur, livré à des recherches bibliographiques se trouve à Troyes. Par sa fenêtre, il observe une jeune femme qu'il finit par ren· contrer et avec qui il échange des propos téléphoniques. Bien que son nom varie parfois, elle répond au diminutif de El. De même, l'on apprend, sans l'ombre d'un doute, que le bibliographe a rencontré, pour son travail, une jolie documentaliste eurasienne, du nom de Lé. Il entretient aussi des rapports épistolaires avec une Vanna qu'il n'a jamais vue. Bien que ses relations avec les trois jeunes femmes ne soient jamais claires, nombre de notations érotiques, de mystérieuses anecdotes induisent à se demander sans cesse comment se dénoueront ces liens ambigus et pour quelles nouvelles liaisons. Tel est le suspense. Comme le parler de J.P. Faye est aussi compliqué que possible, et néo-médiéval en diable, ce suspense' est entretenu par la démarche imposée au lecteur : celuici doit déduire, détecter sans relâche, comme si le roman était policier, où tout l'intérêt consiste à déjouer les ruses d'un auteur appliqué à brouiller les pistes. A llette particularité près, que les indices sont dans les mots et l'expression, non dans les faits. A cette première intrigue sentimentale, et qui se dessine assez ,-îte, dans l'entrelacs des lignes de force, s'ajoute une dimension qui ressortit plus ouvertement aux romans de mystère. Tout donne à penser que les personnages obscurs, désignés sous le nom de «Témoins », pour être apparus lors d'un minime accident de circulation, font partie d'~n complot où

sont impliquées les jeunes femmes. Lorsque l'émeute éclate, en ville, à la fin du livre, le lecteur est incité, malgré qu'il en ait, à chercher le rapport caché entre l'événement politique et l'intrigue aIJ;loureuse. Mais en cours de rou· te, la menace, réelle ou supposée que fait planer la présence des comploteurs ajoute au mystère ambiant. Pourtant, rien de tout cela n'est vraiment apparent dans les pages de Faye, ni même aisément compréhensible. Au contraire, le texte, par ses implications incessantes et ses sous-entendus, revêt une telle obscurité que l'on ne parvient à discerner ces faits qu'à force d'attention. L'un des aspects les plus intéres· sants de l'exposé tient, notamment, au fait que tous les héros sont, de près ou de loin, affiliés à des groupes rivaux' de linguistes qui se livrent à des recherches sur des dialectes divers, tandis qu'une sorte de personnage supérieur et lointain, connu de 'tous, respecté, craint, même par ceux qui semblent s'opposer à lui, ten· te de mettre au point l'appareil de synthèse, la machine à traduire tous les parlers.

Une indioation lourde de sens Ces écoles de lexicologues symbolisent-elles dans la pensée de Faye l'émiettement des groupuscules de gauche? Plus précisément, veut-il dire que les éléments divers du mouvement révolution· naire international diffèrent surtout par le langage et qu'il leur faut avant tout chercher un dialecte commun? Leurs études théoriques signifient-elles que toute révolution est, avant tout, une question de vocabulaire ? Ou bien ne. faut-il pas aller chercher si loin l'explication d'une fantaisie allégorique ? Car l'auteur a pris soin de laisser dans le vague la relation qui pourrait exister entre l'activité de ces diverses organisations et les troubles qlli ensanglantent la Cité. Après tout, il pourrait s'agir d'événements séparés. Pourtant, si J.P. Faye a pris soin de qualifier son œuvre d' « hexagramme », ce n'est pas seulement parce que le nom de

La Quinzaine littéraire, du 16 ou 30 avril 1970

la bonne foi de J.P. Faye dont les Troyens révèlent ainsi un certain don inattendu de voyant.

Une obsourité diftloile à peroer

Jean.Pierre Faye

roman ne convient plus à un mode de narration de plus en plus éloigné du discours romanesque traditionnel. A son tour, cette indication est lourde de sens. D'une part, elle fait allusion aux cinq récits antérieurs de l'auteur, auxquels le nouveau livre s'articule et emprunte nombre de personnages. D'autre part, ses six chapitres permettent de dessiner entre les protagonistes une série d'interpellations dont la géométrie se révè· le lorsque des calligrammes, en fin d'ouvrage, font apparaître sur les pages l'hexagramme de Pascal, dessiné par des mots. Le lecteur est enfin incité à rechercher des correspondances souterraines à chaque carrefour : c'est l'usage de tournures empruntées au vieux-français qui s'harmonise discrètement avec les préoccupations des philologues ; c'est la reversibilité des deux prénoms El et Lé, dont chacun est l'envers de l'autre, mais qui, accolés renvoient à l'éternel Fémi· nin, Elle : c'est même, dans la mesure où les comploteurs sup· posés s'abritent derrière des recherches sémantiques~ l'allusion à tel ou tel groupe de littérature qui a cru ou voulu participer aux événements de 68, sinon à ceux qui ont suivi. Tout cela, qui donne une idée de la richesse intrinsèque de cette splendide expérience littéraire, est couronné par la meilleure description que l'on ait encore faite des émeutes de mai 68... à ceci près que le livre était terminé (en toutes ses parties, précise l'auteur dans une note) en février 68. Le croira qui voudra 'et qui connaît

Reste que, pour le lecteur inattentif, le texte tient du rébus, et que chaque passage revêt une obscurité difficile à percer. Peut-on prendre plaisir à cet exercice d'exégèse pe'rpéiuelle que constitue la lecture' de l'hexagramme ? Certes, mais l'on peut se demander aussi pourquoi l'écrivain a pris ce détour pour raconter une histoire. Autant s'interroger sur les raisons qui portent un auteur de la Série noire à entourer un meurtre de mystère. C'est là tout le problème du choix d'un genre. Mais encore, pourquoi introduî· re dans un roman intellectuel de haut vol, des procédés empruntés à un genre mineur? Sans doute parce que les procédés narratifs audio-visuels remplissent le rôle dévolu traditionnellement au récit. Pour éviter que celui-ci, supplanté par l'image, ne tombe en désuétude, il faut que le public apprenne à lire autrement. La peinture est devenue abstrai· te quand la photo a relevé l'art de ses fonctions de copiste. Le roman devient abstrait depuis que la narration crève l'écran. Ce n'est pas la première fois que des écrivains - peu nombreux encore, il est vrai - utilisent la page comme un espace scénique à organiser et intègrent au texte des calligrammes, non pas comme ceux d'Apollinaire qui étaient des fins en eux·mêmes, mais à titre d'éléments inhérents à l'intrigue.

La page oomme espaoe soénique Au demeurant, il n'est pas impossible que J.P. Faye et une poignée d'autres ne soient, en la matière, destinés à faire subir au roman une mutation aussi sensible que celle survenue dans la sculpture contemporaine - mobi· les et fers à souder - par rapport à la rondebosse. A moins, tout simplement, que contesté par la télévision, le conteur ne soit en passe de prendre la place laissée vacante par le poète.

Marc Saporta 7


ROMAN.$

Le langage des pierres

Denys Viat Le cœur en bandoulière Gallimard, éd., 144 p. Enfin un jeune écrivain qui ne s'est pas cru obligé de défaire le langage, de céder au vertige de l'espace en l'emplissant d'idéogrammes subtils, ni de prendre le Livre pour un tabernacle. Denys Viat s'abandonne au seul bonheur d'écrire, de voir fuser en gerbes de feu une imagination et une sensibilité flamboyantes. Son premier et bref roman frappe par un accent lyrique, une superbe faite d'insolence et de désinvolture que brise soudain un sanglot ou un sarcasme blessé, une démarche incisive et baroque tout en ruptures, en vol· tes et en retraits. C'est dans la lignée de Morand, Larbaud, Nimier et Fitzgerald qu'il faut placer un récit imprégné d'influences littéraires qui orchestre avec une somptuosité désespérée des variations sur le thème roman· tique de l'adieu à l'adolescence, ce calamiteux passage de l'enfance à l'âge d'homme. Théobald, son héros, est frère de Barnabooth par l'exigence et l'humilité éperdue. Pour se guérir du deuil de Sibylle, noyée en mer, sa cousine et sa maîtresse, le narrateur que l'argent, la fatigue des sens et des sentiments vouent à l'exil intérieur, fait le tour du monde pour fuir un baillement précoce. De SaintTropez aux Baléares, à la Nouvelle Orléans où, parmi les magnolias sur le seuil des portiques à blanches colonnades des demeures coloniales se dresse l'ombre de Faulkner, ou bien en Arabie sur les traces de Nizan, Théobald se dissipe en aven· tures et en fêtes galantes. Comme Patrick Modiano avec qui il mÎmifeste une parenté certaine par l'humour et les pirouettes, Denys Viat éprouve un plaisir provocant à s'exhiber en des travestissements qui lui servent à se perdre ou à ressaisir sa fuyante identité. L'enfance, l'amour et la mort s'entrelacent en de savantes figures que gâte, parfois, uI!e excessive sophistication. Mais, nous retient toujours un accent personnel qui balance de la dérision glacée à l'exaltation, de l'enjouement aux crispations du défi, de la gouaille aristocratique à l'humilité infinie, où s'affirme la marque d'un écrivain de tempérament. Sans doute, ce premier livre aura-t-il permis à Denys Viat de jeter sa gourme, de se délivrer des boutons de fièvre qui abîment son style. Alain Clerval

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Clarice Lispector Le bâtisseur de ruines Trad. du brésilien par Violante do Canto Gallimard éd., 327 p.

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« Monter la colline, s'arrêter au sommet et, sans regarder, deviner, au·delà de l'étendue conquise, la ferme, au loin... ». Ce rêve d'évasion de Joana, l'héroïne adolescente du premier roman de Clarice Lispector, Près du cœur sauvage (Plon, 1954), Martin, l'homme, le réalise dans le Bâtisseur de ruines : il a su, à partir d'un geste de co~ 1ère, d'un geste qui a tué, gravir d'un (c grand bond» la colline pour embrasser d'un regard neuf sur l'autre versant la vallée où tout en bas, dernière étape, la ferme, la cc fazenda » et deux femmes sont là pour abriter mais aussi le livrer refuge et guet.apens.

La trame policière, le Crime et son Châtiment, la piste perdue puis retrouvée du meurtrier traqué qui, après un long temps se laisse arrêter, n'est évidemment ici que pré. texte à la poursuite de cette allégorie en trois parties, de ce voyage intérieur du Nouveau Pélerin qui pourrait avoir nom Chrétien, à. la recherche de sa vérité, par-delà le bien, purifié par l'acte du Mal irrémédiable et nécessaire qui l'ar· rache à la banalité, la contrainte du quotidien et le délivre : (c Jusque là. ce qu'il avait vu, il avait évité de le voir, tout ce qu'il avait fait, il ne l'avait pas fait vraiment, et tout ce qu'il avait senti, il l'avait senti de travers ». A partir de ce moment, il se retrouve et se découvre comme il découvre, les yeux ouverts, la gran· deur du monde- et le langage des pierres. Comme si l'acte de mort lui transfusait la vie. Clarice Lispector l'avait déjà écrit : « N'est-ce pas dans le mal que l'on peut respirer sans crainte, ouvrir à l'air ses poumons ? » et Martin se sent plus caline quand il voit dans sa main l'oiseau qu'il vient d'y écra· ser... De là, il reconstruit, prudemment, sans cesse sur ses gardes, pierre à pierre, son univers. Il va vers un but encore confus, infor· mulé, par le labeur imposé et accepté, l'héhétude, la lutte contre les tentations, notamment la plus insidieuse, celle du bonheur : c( A pré· sent qu'il avait créé de ses propres mains la possibilité de ne plus être victime ni bourreau, d'être en dehors du monde et de ne plus être

troublé par la pitié ni par l'amour, de n'avoir plus besoin de punir ni de se punir - inopinément l'amour pour le monde était né. Et le danger est que s'il n'y prenait garde, il renoncerait à aller plus avant ». Enfin, au terme des renonciations, il trouve avec extase le nom de sa quête laborieuse : le salut. C'est à ce moment. que surgit la punition, la censure du vieux monde : l'intervention ridicule du tribunal dérisoire et bavard - le professeur, le maire, les inspecteurs - qui lui révèle que même son crime n'a pas abouti. A la fin de son voyage, c'est donc l'éblouissement de l'échec, mais « l'histoire d'un homme ne serait· elle pas toujours l'histoire de son échec? ». Histoire de la solitude et du si· lence ; atmosphère lourde des nouvelles de D.H. Lawrence transplantée dans les plaines du Brésil où l'homme, importun et désiré, renard rôdeur, inquiète et tourmente, réveille les élans du sang, les pulsations sourdes, les envies d'amour sans amour, vite calmées et ne laissant que regrets ou rancune, où trois êtres se côtoient, se guettent et s'affrontent, impuissants à partager joie ou angoisse « parce qu'on ne peut pas dire je t'aime ». Un monde immense et clos où la terre, la nature apporte son écho : sèche, tourmentée et avide de pluie ; décor de Chirico : désert de pierres, arbre isolé, soleil énorme, à portée de main et qui rend fou. Pour accuser mieux la profondeur de la désespérance, le vol de l'oiseau, pérdu et retrouvé, toujours présent, plumes chaudes et sang, essor et chant, symbole de liberté et de mort. Histoire inquiétante, lente, envoûtante, difficile, dense, parfois trop dense. Dans la mesure où l'intrigue n'est que prétexte, où le dé· détail concret n'apparaît que pour renforcer le battement des consciences, les monologues intérieurs envahissent tout le champ : même si un geste, un regard, un moment de la nature viennent les éclairer, tous, à la fin, étirés sur la longueur d'un roman, finissent par se ressembler et c'est là peut-être le défaut de ce livre, de pêcher par excès, dans cet a- priorisme d'incommunicabilité des êtres, ce vouloir systématique. ment poussé à l'excès de tout inté· rioriser, on aboutit à une forme de paralysie. A force de ne voir que le « dedans» des choses, de vouloir

exprimer l'inexprimable, de le tourner et le retourner, de tenter de l'explorer jusqu'au fond, avec la cruauté de projecteurs braqués, la lumière trop crue a mangé le relief, le vertige du mystère et la dou· ceur des ombres. Les discours 'et les mots se succèdent sans jamais se confondre, sans ces retours et dé· tours, fils impalpables, imprévisibles associations, caprices du mot, touches successives, jaillissements que l'on trouve chez Virginia Woolf, par exemple et qui sont la Vle.

Michel Albrand

LES REVUES

Les Temps Modernes (N° 284). Si l'on excepte les notes de cInéma, de musique et de théâtre, ce numéro de mars des T.M. est entièrement politique : il est comme le dit Jacques Derrida dans une polémique avec le poète Jacques. Garelll qui l'avait pris à partie • presQue exclusivement consacré à la révolution, en cours ou à venir, à ses guerres et à ses guérillas à travers le monde ". En l'occurrence: le marxisme de Mao et la gauche européenne, le Brésil, la Méditerranée des Polices, le Mexique et, pour la France, une analyse sévère du Parti Communiste Français et des commentaires sur le sort des travailleurs émigrés.

Cahiers des amis de Valery Larbaud (N° 5). - Pour ouvrir le numéro, un texte très émouvant de Claude Roy, lauréat du prix V.L. Des lettres inédites de Larbaud à Léon·Paul Fargue et à J.G. Aubry sont, en outre, publiées en bonnes feuilles avant leur parution chez Gallimard.

Aménophis (N° 5). - Revue belge Qui se veut expression d'une • littérature parai· lèle ", c'est-à-dire une littérature Qui, • en rupture avec la tradition cultu· relie, propose une nouvelle exploration de l'espace verbal et graphique, et une intégration directe et révolutionnaire des notions de temps, de structure et d'énergie. Une littérature, en somme, redevenue action ". J.W.


Un grand rOlllan albanais De ce pays lointain et presque imaginaire qu'est l'Albanie, un roman nous parvient aujourd'hui et il étonne : il ne sacrifie ni au réalisme socialiste, ni à la propagande maoïste. 1\ est profondément incarné dans la réalité albanaise mais il est pur de tout folklore et de tout régionalisme. En vérité, cet écrivain inconnu d'un pays dont la littérature écrite est inexistante ou ignorée nous propose d'emblée un livre. Remarquable.

Ismai! Kadaré Le général de l'armée morte Albin Michel éd., 288 p.

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La guerre parle

Il raconte une histoire de guerre et c'est que la guerre est la grande affaire de cette nation. On prétend que chaque nourrisson y reçoit un fusil dans son berceau. Devenus grands, les Albanais brûlent d'uti· liser ce fusil. Que cette anecdote soit légende ou vérité, le sûr est que les Albanais forment un peuple de guerriers tout à fait redoutables. Accrochés dans leurs montagnes de début du monde, inaccessibles à la peur, féroces et intraitables, ils se battent comme des fauves, de· puis le début des temps, contre tous les conquérants qui ont tenté de les soumettre. Le sol albanais est plein de soldats tués. Parmi ces peuples conquérants, il en est un dont les souvenirs sont particuliè. rement amers : l'Italie qui se lance glorieusement contre la minuscule Albanie, en 1938, et dont les lé· gions sont décimées. Cette guerre italo-albanaise fait le thème du roman d'Ismai! Ka· daré. Nous sommes en 1958, vingt ans après les hostilités. Une mission italienne est envoyée en Albanie pour arracher à la terre étrangère les restes des soldats morts et les rapatrier. Ce devoir sacré est confié à un général et à un prêtre. Les deux hommes débarquent à Tirana par une neigeuse journée d'automne. Un groupe de cinq fossoyeurs leur est adjoint et voici la funèbre petite équipe occupée à fouiller les montagnes afin de recomposer, sous forme d'ossements enveloppés dans des sacs en nylon, la brillante armée qui s'y décom· posa vingt années auparavant. La Quinzaine littéraire, du 16

Dans les débuts, la mISSIon du général se déroule assez bien. Comme l'armée italienne est parfaitement administrée, les fossoyeurs se guident sur des plans précis. Ils creusent la terre à coup sûr et trouvent tous les cadavres qu'ils cherchent. Le général en tire vanité: «Nous sommes les fossoyeurs les plus modernes du monde ». Il serait presque gai, ce général cro· que-mort. En même temps, il est ému à l?idée de tous les orphelins, de toutes les veuves pour lesquels il est en train de gratter les boues de l'Albanie. Le groupe accomplit dignement son devoir : il déterre, il contrôle, il vérifie, il établit des listes. Il forme d'impeccables pelotons de cadavres.

GU

Mais le bonheur des commence· ments ne dure pas. Une guerre a beau être achevée depuis vingt am. elle commet encore des méfaits. Les signes inquiétants se multiplient. Une vieille Albanaise mélange les années et maudit les envahisseurs étrangers. On dirait que la compa· gnie des fossoyeurs a pouvoir de remettre en marche le temps qui s'était pétrifié depuis vingt ans. La guerre parle, elle envoie des messages. Des bouts de passé sont arrachés en même temps que les cadavres : les papiers que l'on trouve sur les morts, un médaillon autour d'un ossement, le journal intime d'un jeune soldat fasciste, tout cela ranime les braises de l'ancien com· bat, de l'ancienne misère. Un fossoyeur se blesse en maniant les dépouilles, il meurt, comme si une balle tirée vingt ans plus tôt atteignait enfin sa cible. Le général assiste, médusé, à ces malheurs. Il entre dans l'horreur.

comme le serupule n'est pas son fort, elle n'hésite pas à chaparder les cadavres italiens et à les faire passer pour siens. Quel sacrilège ! Tant de vilenie jette le général italien dans l'indignation : « Les restes de nos soldats vont être di.~­ tribués à des familles étrangères. Ils nous chipent les nôtres ». Les fossoyeurs s'acharnent mais rien ne va plus. On creuse la terre et l'on ne découvre pas le moindre cadavre parce que l'autre mission a raflé auparavant toute la récolte d'ossements. Tout cela est bien décourageant. Les deux missions se surveillent, se disputent les dépouilles comme deux troupeaux de hyènes. Le devoir sacré du général s'achève dans une sorte de débandade qui répond, peut-être, à la débandade de jadis, comme si les fossoyeurs ne formaient que le duplicata grotesque, sinistre et spectral des adolescents de jadis.

""4VRIL

On a pu comparer ce roman au Désert des Tatares, de Dino Buz· zati et il est vrai que certains accents sont communs aux deux livres mais le récit d'Ismail Kadaré n'est pas un récit fantastique. Kadaré n'a jamais besoin de recourir à l'imaginaire pour nous donner à voir ou à partager le ballet funè· bre de ses fossoyeurs, leur ronde dans les cercles interminables de la mémoire, de la mort ou de la détresse. En ce sens, il est plus proche d'un écrivain visionnaire comme Faulkner que d'écrivains fantastiques comme Buzzati, Kafka ou Gracq. Au vrai, il n'est pas necessaire de lui chercher des pa· rentages : ce livre se suffit à lui même. Tour à tour cocasse et cruel, sarcastique et jamais méchant, ten· dre et désespéré, plein de verve et grave cependant, ce livre annon· ce la naissance d'un grand talent. Gilles Lapouge

1970

IIIICII ILlIDE

De Ialmons à lengis-Khan

6tudu compuaUvu sur lu reUgioDS et le folklore de la Dacie et de l'Europe orientale 29,70 F

SIIIIIL!

De la proleetton

une 6tude PSJchaDalJ1ique

PETITE BIBLIOTBEQUE PAYOT

RICHIRD IVUS

Entretiens avec C.G. Jung avec des commentaires d'Ernest .Jones

l'épouvante, l'horreur La pluie ne cesse guère de tom· ber, tout au long de la mission. Dans la brume et le froid, l'équipe poursuit son inventaire. L'épouvante augmente et la dérision. Une autre nation, qui a eu maille à partir, elle aussi, avec les Albanais, a dépêché dans le pays une mis· sion identique mais cette mission n'a pas des plans aussi remarquables que ceux des Italiens. Et

30 avril 1910

4,35F

P.P.B.I'166

B. IIILmOWSII La brume, le froid,

24,80F

1

La vie semeDe des sauvages

du nord-ouest de la 1161aD6sie P.P.8... 168

8,65F

ILBIRT ORIIIIR Les8aulols P.P.B."167

8,65F

LI"'E

La révolution bolcheviste P.P.8."u

5,80F

Catalogue sur simple demande à la Librairie Payot service QL : 106, boulevard Saint·Germain - Paris 6·

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Portrait de Portrait? Plutôt idéograDlDte

par Claude Boy

Ce grand d'Espagne est un tout petit homme, net comme un merle bien lissé, juste plissé autour des yeux noirs d'oiseau vif, les plis de l'attention, de la malice aiguë, du chagrin tout de suite déguisé en sourire. On ne sait pas du tout s'il est si léger que le vent va l'emporter d'un coup de vent amical, ou s'il est si ailé qu'il va se jouer du vent, de nous, de lui-même. Se jouer? Est-ce que c'est bien le mot? Il a l'air de s'amuser mais c'est très gravement. Il fart chavirer la barque des locutions toutes faites, il met un bonnet d'âne aux idées reçues, il bouscule les puissants, les pesants (c'est comme un pick-pocket, pour mieux leur faire les poches et prouver qu'elles étaient vides), il lance des saillies comme on lance des fléchettes en papier, il birliboque et fait mouche de toute étincelle. A première vue, on croirait que dans le Quichotte il a choisi, plutôt que

deux yeux perçants. Il a l'air d'un clown bien vêtu, cérémonieux, catholique et narquois; d'une balle de pingpong noire sur un jet d'eau désinvolte; d'un merle (déjà nommé) qui siffle en persifiant; du maître des comédies du Siècle d'Or, quand il se déguise en valet, et que ce seigneur se montre plus agile à jouer des tours aux grands que les Farceurs eux-mêmes. Mais tout cela n'est que l'apparence, la politesse des apparences. A lire José Bergamin, à écouter don Pepe, on sait que le rire ou le sourire aigu ne sont en lui que les étoiles filantes d'une nuit admirable, de cette noire, somptueuse et fourmillante étoffe dont on tisse les rêves. Toujours en porte-à-faux entre exil et absence, entre tragique vrai et feinte frivolité, entre la foi et l'humour critique, entre le courage et l'ironie, José Bergamin est un porte-à-faux qui parle juste. Roseau qui ne plie ni ne rompt, il répète

en riant que comme le Roi Midas le Roi Franco a des oreilles d'âne. Ecrire l'histoire de Bergamin, ce serait écrire l'histoire de l'Espagne quotidienne depuis trente ans, qui meurt souvent et ne se rend jamais. Mais ce serait écrire aussi une histoire plus ancienne, pareille à celle des journées du drame espagnol, où l'action se joue dans cent lieux et sur plusieurs plans, le Ciel. la Terre, l'Enfer. Où se' rejoignent le sacré et le burlesque, la théologie et la farce, la politique et le jeu. Poète, dramaturge, essayiste, José Bergamin est un orchestre où don Pepe fait semblant parfois, malicieux, de n'être que le joueur de flûte, là-bas, entre la timbale et le basson. Mais quand on s'approche, on s'aperçoit que tous les musiciens, le chef et le compositeur ont son visage, celui d'un petit homme qui est un grand d'Espagne un grand écrivain de l'Espagne.

famille ? - se pose dans les universités pour que les étudiants le fassent vieillir, publie des revues, des articles, des livres. Il collaborera quinze ans au Nacional de Caracas, jusqu'en mai 68, où l'on jugea son enthousiasme irrationnel et définitivement impubliable. Il avait quitté l'Espagne en 1938. Premier écrivain catholique à se ranger aux côtés de la République, il avait créé avec Machado, Baeza, Alberti et Hernandez, l'Alliance des intellectuels antifascistes dont l'activité incessante au front comme à l'arrière-garde allait organiser un congrès international des écrivains à Madrid, pendant l'été 37, et, plus tard, un autre à Valence. Dans la bouche de Guernico, personnage de l'Espoir, s'expriment certaines de ses prises de position d'alors:

J'attends plus pour mon Eglise de ce qui se passe maintenant ici, et même des sanctuaires brûlés de Catalogne, que des cent dernières années de la catholique Espagne, Garcia. » Les années qui précédèrent là guerre civile avaient été d'une grande activité Intellectuelle. Cruz y Raya que Bergamin fonda en 1933, + et - , revue d'affirmation et de négation, complétait la Revista de Occidente d'Ortega y Gasset: tandis que cette dernière ouvrait l'Espagne, l'autre l'enracinait dans une terre qui était sa tradition. La pure poésie espagnole s'êst toujours allié le récit, a toujours chanté en racon· tant, comme l'a exprimé,à travers une allitération qui est presque un jeu de mots, Machado : • la poesia canta y

Fils de Dieu et du Diable qui, en Espagne, prennent souvent le masque l'un de l'autre, José Bergamin a, aujourd'hui, soixante-quatorze ans. Cela a peu d'importance puisqu'il se dit mort et devenu fantôme. Image qui est un concept. Si l'allégorie dit une chose et en signifie une autre, Bergamin dit bien des choses qui en signifient d'autres. Ses mains ont manié l'écriture comme une arme car il a accompli le vœu de Machado et d'Hernandez : .que la plume vaille un pistolet! Il vit pauvrement, comme un étudiant, dans une chambre. En exil, comme un politique. Dans une chambre dans l'espace, comme le poète. Et sa mince silhouette toujours en marche, telle une sculpture de Giacometti, semble avoir le temps avec sol.

1.

Sancho, trop lourd pour lui, que don Quichotte, trop grand, de jouer le personnage du moulin à vent, le moulin moqueur qui moud le grain volant de la dérision. Derrière la grâce des manières, et le sarcasme gai aux lèvres, comme un œillet de poète, rouge sang, ce moulin est un moulin rural. A la sagesse des nations de l'Espagne paysanne, Bergamin a fait don d'une moisson de proverbes qui ont l'air immémoriaux, et de p 0 ème s qui ont l'air d'écho de vieilles chansons populaires. Quand on y regarde d'un peu plus près, ces proverbes sont légèrement sournois, dérangeants, de bien inquiétants dictons. Et ce folklore imaginaire, à mi-chemin de la préciosité et du bon sens railleur, est tissé d'arrièrepensées. Non : ce n'est pas la sagesse des nations, c'est la folie des nations qu'on aurait mal examinées, que Bergamin révèle. Bergamin, c'est avant tout

A peine une brise avait-elle rafraîchi l'Espagne et lui permettait-on de rentrer, en 1958, qu'il faisait une conférence sur la censure et signait un manifeste en faveur des mineurs en grève aux Asturies. Il fallut regagner Paris. Maintenant, on se méfie. Ses œuvres, durant le plus long exil qui dura deux décennies, 1939-1958, portent le nom des pays qu'il a occupés: Mexique, Venezuela, Uruguay, France. Sa solitude morale et politique est telle que les informations les plus absurdes courent sur lui. Le peintre Diego Rivera va jusqu'à le dénoncer comme agent bolchévique devant la commission sénatoriale américaine Dies. En fait, ce passager sans autres bagages que sa famille - n'était-il pas héroïque d' a v 0 i r alors une

cc


Bergalllin cuenta •. Il s'agissait donc de mettre au présent le récit essentiel de l'Espagne, en le répétant de le découvrir. Il veut délinéer l'objet des systèmes de pensée qui occupent le présent, défaire les faux alliages entre activité intellectuelle et étiquette confessionnelle, dégager la structure de la quête de ses finalités, bref, en donnant des frontières claires à la pensée retrouver celles de sa vérité et défendre l'authenticité du combat pour les frontières. En fait il s'agit plus d'une démarche formelle que d'un engagement. Pourtant ceux qui l'entreprendraient se verraient vite compromis dans une bataille d'hommes. Singulière démarche que celle de ce jeune homme, fils d'un ministre d'Alphonse XIII, qui avait étudié le droit pour préserver les lettres et préférait au bureau de son père dont il fut secrétaire les cafés littéraires où explosa, en 1924, l'Etoile et la Fusée, son premier livre de • doutes aphoristiques ". Nous pouvons remonter jusqu'à la grande maison pleine de frères et de sœurs où il fut élevé par des servantes andalouses « qui heureusement étaient encore analphabètes, c'est-à-dire conservaient une fraîcheur d'imagination et de langage qui correspondaient à l'enfance, à mon enfance ou à l'enfance de mon squelette D. Ainsi arrivons-nous à ce premier souvenir, ce jour où, en tombant, il fit connaissance avec la douleur et où il prit conscience que ce n'était pas la terre qui était si dure mais quelque chose en lui d'encore plus dur qu'elle. • J'ai l'âme dans les os ", dira son don Quichotte. Et dans « l'invisible présence vive de la mort qui naît avec le squelette» il allait chercher son âme. L'œuvre de Bergamin est difficile à trouver, elle existe par fragments que republient timidement les éditeurs de Madrid et de Barcelone ou des maisons d'édition latino-américaines. On peut trouver traduits dans • les Lettres Nouvelles " de mars 59 quelques-uns de ses Aphorismes, dans la N.R.F. d'août 65 son Art de Birliboque. La radiodiffusion a monté deux de ses drames, Echo où est-tu? 1.. Quinzaine littbrahe, du 16

/lU

et Médée. La télévision vient de lui consacrer un film de deux heures • Masques et Bergamasques ou reportage sur un squelette " tourné par Michel Mitrani. Mais l'édition complète de son théâtre, de ses essais, de ses poèmes, reste à faire. Alors Bergamin a pris un crayon. Il a dessiné un arbre qui s'enracinait dans l'enfance, la poésie, et dont le tronc, mince comme celui d'un peuplier, s'appelait aphorisme. De ce tronc s'évasaient deux branches principales : le théâtre et l'essai. Les dernières frondaisons se perdaient à nouveau dans le poème. Tel lui apparaissait l'arbre de son œuvre. L'essayiste et le dramaturge commencèrent, en effet, par être aphoristiques. Que sa prose réfracte ou réfléchisse les auteurs qu'il interroge, qu'il anime dans de brefs dialogues leurs idées et les siennes, il va toujours à toute allure. Mais en compliquant son parcours. Car les personnages connus qu'il met en scène, Hamlet, Faust, Sigismond ou don Juan et don Quichotte (qui dialologuent aux portes de l'enfer, l'un voulant le quitter pour l'affirmer éternellement. l'autre y entrer pour l'anéantir) doivent répondre au sphinx espagnol qui pose l'énigme du paradoxe. Les voici projetés hors de leur décor (l'œuvre d'où ils viennent) et entraînés par un mouvement de spirale vertigineux à tourner autour d'un autre axe que le leur.• La paradoxe est un parachute de la pensée. Je fais des paradoxes pour ne pas me casser la tête ". En d'autres mots, pour survivre. Dans une de ses Trois scènes à angle droit, un profane, un bourgeois, interroge anxieusement un moine dont la robe de bure s'entrouvre sur un costume d'Arlequin. Le paradoxe est ami du masque. Et si le masque a ici une telle importance c'est qu'à travers lui, comme à travers le paradoxe, s'exprime une vérité dissimulée par ce second masque qu'est le visage ou la pensée droite. Dans Mélusine et le miroir la thématique baroque de l'apparence et du reflet, de l'envers et de l'endroit, du démenti. trouve son plus long développement. « J'ai toujours pensé, écrit Bergamin, qu'un

30 avril 1970

masque qui se dévêt se suicide D. Sur la fantasmagorie bergamasque, quand les personnages cessent de se prouver leur existence et se retrouvent seuls, plane la menace de la disparition. Tel est le sens du monologue inquiet de Mélusine qui se mire: cc Qui demande au miroir son avis? Si son savoir est connaissance ou pure intelligence? lt Si l'aphorisme, ce • courtcircuit de la pensée ", est resté l'expression favorite de l'auteur, c'est qu'il est un relai où pensée et poésie se déchargent. A peine cet éclair a-t-il troublé l'atmosphère, à peine a-t-il été formulé, qu'il disparaît. A nous les suites de l'orage. La prose de Bergamin n'a, elle, rien d'aérien. Terre morcelée en fragments de couleurs différentes, compliquée d'une multitude de sédiments divers, éventée et irriguée de partout, on ne découvre qu'à vol d'oiseau, enfin la lecture achevée, la clarté géométrique de son et ordonnance. Ses essais particulièrement "admirable Frontières infernales de la poésie sont écrits dans une langue concise, difficile, où l'œuvre interrogée et la réponse donnée, les citations et les découvertes, les échos et la voix, se mêlent inexorablement. « Sur Sénèque, Dante, Rojas, Shakespeare, Cervantes, Quevedo, Sade, Byron, Nietzsche...

mes yeux furent toujours p0sés. Parce que d:ms ces neuf je sens vraiment une vie éternelle. D C'est à chacun d'entre eLix - pré-chrétien ou antichrétien - qu'il demande : où est l'Enfer, en-deçà ou au-delà de la mort? La véhémence du questionneur semble prouver que l'enfer n'est pas pour lui une illusion mythique mais bien une réalité v ive que l'homme contemporain élude en le limitant à ('infernale expérience humaine, en niant la possibilité de son prolongement au-delà de la vie. Partant de Sénèque qui affirme • pire que la mort est sa tanière ", Bergamin découvre que dans l'homme est la tanière. C'est l'affirmation tragique qu'il poursuit dans ce songe de la vie qu'est la littérature. En retrouvant l'hispanité de Sénèque, que Nietzsche appelait toréador de la vertu, le sénéquisme de Shakespeare, le stoïcisme maudit de Sade (cc ne pas rire, ne pas pleurer: comprendre D) ou la surhumaine libération morale de Nietzsche, Bergamin découvre l'action dramatique d'affronter d'éviter à la fois la philosophie et la religion. Pour cet Espagnol dont on ignore ce qu'il regarde sans sourire, l'art du torero. cc ce jeu de pure intelligence où le joueur risque sa vie If symbolise l'attitude exmplaire Florence Delay 11


POÉSIE

Novornesky grisés de tant de découvertes, cependant qu'au-dessus de nos têtes et sur Prague dans r ombre la bannière et le vent battaient des mains dans le ciel de novembre.

Laco Novomesky Villa T éréza et autres poèmes Trad. du slovaque par H. Deluy et F. Kérel Suivi d'un entretien avec A. Liehm Postface de J. Felix P.J. Oswald éd., 142 p. Dans une collection qui, la première, nous a donné un choix de poèmes de Khlebnikov et de Vladimir Holan, un Russe et un Tchèque, parait aujourd'hui une anthologie de textes du plus grand poète slovaque contemporain, Laco Novomesky. Villa Téréza, le long poème qui ouvre le recueil est la preoùère œuvre que Novomesky donna au public lorsqu'il eut de nouveau l'autorisation de publier, qui lui avait été retirée douze ans plus tôt. Avec un détail aussi tragique, il faut bien en venir à quelques éléments biographiques puisque, outre la vie de l'homme qui appartient à l'Histoire - à la poutre horizontale de ce grand H, Staline fit pendre Clementis et Slansky - , l'œuvre du poète nous y invite. Novomesky n'avait pas vingttrois ans lorsqu'il publia Dimanche, son premier rècueil, en 1927. C'est l'heureuse période de la vie du jeune écrivain slovaque évoquée dans Villa Téréza. Installé à Prague, il est mêlé à toutes les recherches de l'avantgarde sans s'engager dans aucun mouvement littéraire : une photographie de l'époque montre un jeune homme souriant en compagnie d'un petit groupe au bord d'un lac où l'on reconnaît IIya Ehrenbourg, Roman Jakobson et Vladioùr Clementis. C'est désormais un écrivain connu et un oùlitant communiste actif que l'on verra dans des conférences à Moscou, à Paris ou à Madrid. Après l'invasion nazie, Novomesky participe à la résistance et à la formation du gouvernement tchécoslovaque en exil. Il écrit alors les poèmes de D'un crayon de contrebande :

Cimetières immenses, angoisse sans limites, Age de crânes fracassés et de rêves fusillés Tant de raisons de se poser la question Etre ou ne pas être... A la libération, il est nommé Commissaire à la culture et à 12

Novembre. Octobre était donc déjà passé. En filigrane du poème a toujours couru l'histoire personnelle du poète. Le lecteur est entraîné par le mouvement de Villa Téréza, mais certaines allusions lui échappent. Les poèmes les plus courts de la seconde partie du recueil le touchent, le frappent, le heurtent davantage (et le changement de traducteur, peutêtre, n'y est pas pour rien). Le plus bouleversant dans l'œuvre de cet homme emprisonné, bâillonné, est sa confiance en l'avenir, ses l'éducation, poste qu'il occupera jusqu'à son arrestation en 1951. Accusés de trahison, Novomesky, Clementis et quelques autres sont condamnés. Le poète échappe aux potences staliniennes mais passera plusieurs années en prison. Grâcié mais gardé à vue, il en sort à Noël 1955 (Sortir de la grisaille des années avec un petit paquet sous le bras, aller et passer devant la sentinelle...). Il devra attendre 1963 pour être réhabilité et autorisé à publier. Retiré des affaires publiques, Novomesky continue cependant à suivre attentivement la vie sociale de son pays : à la fin de ce volume, dans un entretien avec Antonin Liehm, on le voit analyser avec intransigeance l'antagonisme TchèquesSlovaques et les dangers qu'il représente puisque toute intervention étrangère (1938 ou 1968) en a toujours profité. Dans la Villa Téréza habitait dans les années vingt, AntonovOvséenko, «Chef de la mission diplomatique de l'URSS en Tchécoslovaquie ~; c'est à cet homme «injustement rayé de r histoire de la révolution d'Octobre et des premières années de rUnion Soviétique~ que le poème est dédié. Intéressé par toutes les recherches artistiques, Ovséenko recevait volontiers les écrivains de l'époque. Et ce sont leurs discussions d'alors que Novomesky se remémore, entre ceux qui voulaient une littérature prolétarienne et ceux qui suivaient Nezval et les théories poétistes. Discussions passionnées et fraternelles, heureuse époque dont un poète garde la nostalgie :

convictions communistes restées intactes après avoir tant souffert; un homme grand qui parle «A voix haute ~ :

- Ça faisait mal? - Ça faisait mal, et comment Et aujourd'hui je ne sais plus ce qui faisait le plus mal ; Le dégradant va-et-vient dans la crasse et les ruisseaux, Les montagnes d'humiliations, r offense et la faim, Ou le regret de tout ce que jadis j'aimai... Je recommencerais par là où nous avons commencé. Avec plaisir. Comme un savant étudie les microbes Qui le tuent. Serge Fauchereau

Qui est-ce? Voici les lauréats: Comme nous J'avons dit dans notre dernjer numéro, aucun des participants au jeu Imaginé par Pierre Bourgeade n'a répondu aux douze questions posées. JI nous a semblé, toutefois, qu'un grand nombre d'entre eux, avaient des qualités de limiers littéraires qui méritent d'être récompensées.

A. M ,-M, André Angoujard à Rennes et Yves Mathez à Boncourt (Jura Suisse) qui ont fourni six réponses justes, nous offrons un volume à choisir dans la Bibliothèque de la Pléiade. MM. Hubert Brlcaud à Cholet, Jean-François Marquet à Tours, Tiar Malek à Paris (14') qui ont fourni cinq réponses exactes ont droit à un volume de leur choix dont le prix n'excède pas 30 F. MM. Henri Gautreau à La Baule, qui avait pris un brillant départ et Jean-Patrick Imbert à Toulouse (4 réponses justes) verront leur abonnement à La Quinzaine littéraire prolongé de six mois. Abonnement prolongé de trois mois pour Albert Bensous· san à Rennes, Pierre Berthon à Bellerive-sur-Allier, Nicole Gilbert à Paris-1S", Line Hémery à Paris-Se, Pierre Lepère à Paris15", Isabelle Micha à Bruxelles, Alain Montandon à Paris-12" O. Denys à St-Etienne, Bernard Plouzennec à Quimper, Jean Quéguiner à Melun, Gyula Sipos à Paris-14· qui ont fourni trois réponses exactes. Pierre Bourgeade et La Quinzaine littéraire s'en voudraient de ne pas remercier également les malchanceux qui, par leur nombre et leur empressement, ont contribué à l'intérêt du jeu.


Nos lettres leur juste place. Mais c'est au seuil de l'ouvrage de Jean·Charles Payen que, dans une introduction générale à la collection, Claude Pichois qui la dirige précise les intentions et la structure de celle-ci.

Mme DI LA FAYETTE

Littérature Française Coll. dirigée par Claude Pichois Arthaud éd.

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I

lean Charles Payen Le Moyen Age 1 de~ origines à 1300 Tome 1, 360 n.

Antoine Adam L'âge classique 1 1624-1660 Tome 6, 312 p.

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Pierre Clarac L'âge classique Il .1660.1680 Tome 7, 328 p.

1

Raymond Pouilliart Le Romantisme III 1869-1896 Tome 14, 340 p.

1

« Le Moyen Age des ongmes à 1300 ~ est le quatrième volume paru, mais selon l'ordre logique et chronologique, le premier des seize tomes de la collection Littérature Française. Depuis la pa· rution, il y a deux ans, de l'étude remarquable d'Antoine Adam sur les débuts de r Age classique, on connaissait le style de la collec· tion, on appréciait que chaque ouvrage fût complété par un tableau synoptique, une bibliographie et surtout un très précieux diction· naire des auteurs et des œuvres où les « minores » eux·mêmes, les « laissés.pour.compte » des ordi· naires histoires littéraires qui ne s'embarrassent guère des victimes de Malherbe ou de Boileau, sont traités avec précision et remis à

Littérature Fra n ç ais e est d'abord une histoire de notre littérature, les origines à 1960. Elle doit être un instrument de travail - dont l'absence se faisait sentir, les histoires littéraires existantes étant soit trop brèves, soit partielles ou partiales, soit écrites de seconde main, soit trop marquées par l'influence classique - pour les étudiants et les chercheurs. D'où la présence en fin de volume de dictionnaires et de tableaux. D'où la rédaction de chacune des parties par un spécia. liste de l'époque concernée. En même temps, elle se veut d'une lecture agréable pour le profane qui se réjouira de certaines for· mules aussi vives qu'heureuseSl de Raymond Pouilliart, qui sui· vra avec plaisir Jean Charles Payen dans ce monde médiéval où « la nature collabore avec la grâce ». Mais comment écrire l'histoire littéraire? Cela déjà faisait problème alors même - il n'y a pas si longtemps - que celle·ci domi· nait l'enseignement et la critique universitaires. Depuis, la « noua velle critique » influencée par les sciences humaines a proposé d'au· tres méthodes d'approche des œuvres littéraires. Sans doute, ces méthodes ne sont pas appli. cables telles quelles dans un ou· vrage aussi vaste et dont le but est d'être une « encyclopédie de la littérature française ». Toute· fois, elles ne sont pas ignorées, et au passage, J. C. Payen montre bien comment la littérature mé· diévale « se prête à r analyse structurale ». Surtout, Claude Pi· chois, dans son introduction, pré. cise qu'une encyclopédie, au sens du XVIIIe siècle ne peut se borner à un ensemble de constatations, mais suppose une interprétation, des choix et des refus. Pour donner une unité à sa collection, il a procédé à un découpage en volumes se référant non plus à l'histoire événementielle (1610, généralement adopté par les manuels comme date charnière entre le XVIe siècle et le pré.classicisme « ne met en évidence qu'un cou· teau et une vell.ve : ce ne sont

La Quinzaine littéraire, du 16 ·au 30 avril 1970

Vient de paraître

Roland Barthes

L'empire des signes 42 ILLUSTRATIONS Dans toutes librairies Volume broché 16.5 x 21.5 cm

couverture acétatée. F 35.-

11 a été tiré à part 1000 exemplaires numérotés reliés pleine peau

Les Lettres Nouvelles BertoIt Brecht Souvenirs de Max Frisch Karl Korsch et Brecht Hanns Eisler et le "Manifeste communiste" Nick Ra11lson . - - - Jean Chesneaux: L'or et l'argent chez Jules Verne - - - Charles Juliet: Propos de Bram Van Veld~---Poèmes d'André Chédid- - - Serge ~~~

Marcei Jean-- José Pierre

M~D~

Domini'l"e Nores

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Le de& objeü, de& perlOnnage& littéraires :t), mais à la notion de c générations littéraires :t. De même, il impose à tous les ouvrages une structure commune. Mais ce découpage et cette structure sont suffisamment souples pour que chaque auteur puisse, à l'intérieur, maDÜester ses goûts comme adopter des méthodes personnelles d'analyse. pa

Pour la perspective d'ensemble, Claude Pichois la définit ainsi : c La littérature n'est pas un en-soi. Elle est une manifestation - privilégiée, certes, par sa tIQriété et ses nuances infiniu - de r histoire des sociétés. :t Chaque volume part donc de l'infrastructure politique, économique et sociale d'une époque pour aboutir, après un panorama de l'activité littéraire au sens large, à une ana· lyse des œuvres majeures. Mais sur ce canevas, chacun brode Belon son tempérament ou introduit les variantes qu'impose la période traitée. Si Pierre Clarac décrit les événements et les œuvres de la période cla88ique, avec du reste une clarté et une honnêteté scrupuleuses, Jean Charles Payen n'hésite pas à donner une analyse brillante de la civilisation médiévale, à proposer une interprétation de la poétique des troubadours. De même chaque auteur met l'accent sur un ou plusieurs problèmes. On sait gré à Pierre Clarac de nous exposer ce qu'était la situation matérielle de l'écrivain au XVII" siècle, à Antoine Adam d'insister sur le problème de la langue au moment de la formation du cla88icisme et de donner la parole aux baroques et aux précieux. à Raymond Pouilllart de dégager le rôle de la presse littéraire, de chercher dans les expériences des symbolistes, les sources de la littérature moderne, d'analyser les thématiques du naturalisme et du symbolisme, de sortir de l'ombre où les abandonnaient les manuels Cros, Darien ou Elémir Bourges, à Jean Charles Payen de taire le point sur la culture médiévale et de rappeler les règles de l'ancien français. Si, avec ses quatre premiers volumes, remarquablement illustrés, Liuérature Française s'annonce comme une collection de haute qualité, indispensable à quiconque s'intére88e à l'histoire de nos lettres, c'est peut-être l'essai de Jean Charles Payeo sur le Moyen

Age (encore que ceux d'Antoine Adam et de Raymond Pouilliart p088èdent des qualités similaires), qui illustre le mieux ce que peut, ce que doit être l'histoire littéraire aujourd'hui : non pas une sui· te de petits faits, une succession ou un cha88é-croiBé d'influences et de querelles, mais une analyse des mouvements de pensée et des phénomènes de création, une mise en évidence des langages - ou des genres - littéraires, de leur ac· cord avec ou de leur avance sur la culture de leur temps. Sans doute la tâche de J .C. Payen était-elle facilitée par le fait qu'on ne compte pas au Moyen Age d'individualités aU88i marquantes que dans les siècles suivants, que la littérature médiévale, souvent anonyme, est une littérature où non seulement dominent formes fixes et conventions, mais où les histoires elles-' mêmes sont infiniment reprises, la nouveauté du dire important plus que celle du contenu. Encore fallait-il qu'il sût se servir de ces atouts, ce qu'il a fait avec une singulière maîtrise et, souvent, aveé un réel bonheur d'écriture. Par exemple, les chapitres qu'il a consacres aux structures mentales du Moyen Age, au rapport de l'homme à la mort, au temps ou à sa condition terrestre, nourris de références historiques et d'exemples littéraires, constituent plus qu'une transition entre le tableau de la civilisation médiévale et la description des différents genres poétiques, ils montrent le lien étroit entre la littérature et la vie, ils révèlent comment troubadours et romanciers cristallisèrent les tendances latentes, tendirent à leur _public un miroir inquiétant ou merveilleux ou lire et recon·· naître le visage de leur propre monde. En même temps, Payen comme Adam pour le baroque, Clarac pour le classicisme, Pouilliart pour le naturalisme ou le symbolisme; dégage tout ce qui dans la littérature médiévale annonce l'évolution ultérieure ou fait signe, de très loin, aux recherches d'aujourd'hui. Et ce n'est pas le moindre mérite de son essai, comme celui de toute la collection, que de nous offrir une histoire littéraire non seulement dépoussiérée mais qui ensemble attise notre curiosité, accroisse nos connaissances et fasse écho à nos preoccupations.

Claude Bonnefoy

par Michel Déeaudin « Comme si les poètes avaient une vie! • s'écriait un correspondant de l'abbé Brémond, pour la plus grande satisfaction du fougueux inventeur de la poésie pure. Mais les poètes ont, aussi, une vie : les biographes le savent comme les collectionneurs d'autographes, et les éc:litions de correspondances sont là pour nous le rappeler. S'agirait-il même de Mallarmé, dont l'œuvre, écrite ou rêvée, semble tellement détachée d'une existence qu'on imagine petite et monotone, l'homme ne cesse de renvoyer au poète, par un jeu d'échos plus subtils, mais peut-être plus impérieux, que ceux dont se contente trop souvent l'histoire -littérair.e.

Stéphane Mallarmé Correspondance, III, 1886·1889 recueillie, classée et annotée par Henri Mondor èt Uyod James Austin Gallimard éd., 446 p.

Ce ~iSième tome de sa couespondancegénérale a été établi par LJ. Austin avec une rigueur et une science exemplaires. TI nous propose plus de 400 lettres (parmi lesquelles 50 {( fantômes », lettres perdues mais attestées par les J:épow;c;, des destinataires) étalées sur quatre ans de 1886 à 1889. Mallarmé approche de la cinquantaine. TI est professeur d'anglais à Rollin - ft. un peu par accident », dira en 1887 un inspecteur général. TI s'échappe de Paris pour Valvins le plus souvent possible; ce sont ses seuls voyages, ·avec deux courts séjours à Royat où l'attendent Méry Laurent et le Dr Evans. Nous sommes dans les belles années du Symbolisme. Les jeunes poètes, habitués des mardis ou désirant y être admis, le vénèrent comme leur maître - et ne manquent pas d'ailleurs - signe des temps - de lui donner du « Maître ». Le voici aux prises avec ses éditeurs dans des discussions qui nous rappellent que le poème, s'il est un objet, n'est trop souvent qu'un objet imparfait. Sans doute il peut calli-

graphier ses poesIes pour une édition à 40 exemplaires que doit réaliser Edouard Dujardin. Mais Va· nier ne lui apporte que mécomptes et cet amoureux de la belle typ0graphie qu'il est se révolte. Et s'il fait remarquer à Gustave Kahn que l'absence de ponctuation dans le manuscrit de M'introduire dans ton histoire... est « à dessein », n'est-il pas contraint d'expliquer un peu plus tard à Dujardin que s'il a ponctué tel autre po ème, c'est li parce que somme toute ü ne faut pas nous meUre tout le monde à dos » ? TI fait heureusement, grâce à Verhaeren, la connaissance d'un éditeur bruxellois, Deman, pour qui il éprouve rapidement une estime affectueuse. Si

Avec l'éditeur DemtIA On n'a pas d'emmerdement, ce n'est pas seulement parce que ce Belge travaille consciencieusement et avec goût, c'est aussi parce qu'il est, à sa manière, poète, et que l'édition devient une collaboration:

Nous avons encore bien des choses à nous dire, vous l'éditeur qui allez jusqu'à la poésie et à son devenir nouveau; moi, le leUré qui mise à ce que le texte faue corps àvec le papier même. Noue point de jonction est absolu... .Que fait-il paraître? Peu de chose, en somme. Des poèmes dans les revues amies. Une édition de ses Poésies en tirage de luxe, qne, ou plutôt deux rééditions (à la suite d'un différend avec Vanier) de l'Après-midi d'un faune. Un projet, le Tiroir de laque, n'aboutira qu'en 1891 sous le titre Page&. Quant au Grand Œuvre, il en parle, il y pense. A Pica à la fin de 1886 il résume son idéal : Je crois que la liuérature, reprise à sa source qui est l'Art et la Science, nous fournira un Théâtre, dont le& représentations seront le vrai culte moderne; un Livre, explication de l'lwmme suffisante à nos plus beaux rêve&. Je crois tout cela écrit dans la nature de façon à ne laisser fermer le& yeux qu'aux intéressés à ne rien voir. CeUe œuvre existe, tout le monde l'a tentée sans le savoir; ü n'est pa un


poète et sa

• vIe Cet artiste obsede d'absolu a le sens du « joli D, du « charmant D : deux adjectifs qui reviennent souvent sous sa plume. Cet homme qui affirme son « goût de solitaire » vit entouré d'amis. Il manifeste, dans tous les rapports humains, d'une extraordinaire gentillesse, qui semble être plus qu'une affabilité exquise de sudace. Il n'a pas seulement de l'attention pour les jeunes symbolistes les plus proches de lui, Dujardin, Kahn, Vielé - Griffin, Henri de Régnier. Il fait également l'éloge de François Coppée et de Catulle Mendès, dont il apprécie « la rareté et magnificence d'écriture D, de Paul Adam et d'Ernest Raynaud. Avec cela, toujours un certain sourire qui affleure, dans les adresses en vers, ou dans d'autres jeux de langage. A Champsaur, dont il vient de voir la pantomime Lulu, il avouequ 'il préfère « Lulu lu D ; ou il rédige - le remarquera qui voudra - un télégramme eJ1. octosyllabes : li: Je vous souhaite un bonheur neuf en 1889 ». Mais cet enjouement n'est-il pas un masque, ou plutôt une conduite de sauvegarde ? Même à sa femme ou à sa fille, quelle que soit la sensibilité des lettres qu'il leur envoie, Mallarmé se donne peu. Il a beaucoup d'interlocuteurs, mais combien de confidents? On ne peut douter de la profondeur de l'amitié qu'il porte à Villiers de l'Isle-Adam quand on voit son dévouement discret et efficace : il collecte des fonds

pour le vieux compagnon malade et sans ressources, veille sur ses derniers jours, s'occupe de l'avenir de son fils. On est aussi frappé du ton particulier de ses lettres à Méry Laurent. A elle, et à elle seule (une version plus anodine est destinée à la famille) il raconte l'épisode tragi-comique d'une chute où il a failli rouler sous un train : il faut lire cette lettre du 15 août 1889. Surtout on entrevoit, bien que L,J. Austin ait écarté de cette Correspondance les billets que lui adressait Mallarmé, le rôle qu'elle joua dans sa vie. En 1888, « l'excellent docteur et Madame Laurent », comme il l'écrit à « Mesdames Mallarmé D lui réservent le meilleur accueil à Royat. L'an suivant, il. écourte son séjour et envoie à Méry cette lettre du Il septembre, qui est une de celles où il se livre le plus, dans sa « sensibilité aiguë » et .ses ~mplexités. « Le cœur, lui dit-il, je ne sais ce que cela signifie. Le cerveau, avec je goûte mon art et j'aimai quelques amis ». Aveu terrible, mais ensuite : « Vois donc, il n'y a sur rien presque de rapport entre nos pensées, et l'attrait seulement qu'en tant que femme tu as pour moi est merveilleux de survivre à tout cela, ce miracle subi représente assez généralement ce qu'on nomme de l'amour; hors lui, quoi ? D Pour terminer ainsi : « Si un grand dévouement sûr. Tu l'au· ras ». Limites et élans, il est tout entier, et à découvert, dans ce mouvement.

Michel Décaudin

Portrait' de Méry Laurent par Manet

genre ou un pitre, qui n'en ait retrouvé un trait sans le savoir. .Montrer cela et soulever un coin du voile de ce que peut être pareil poème, est dans un isolement mon plaisir et ma torture. Plaisir et torture, quête essentielle. A, Mockel le 9 février 1889 il confie:

Vous avez mis le doigt singulièrement sur ce point que tout ou le peu que j'ai livré est chose de transition. Le reste, ce qu'il faut faire, à quoi je m'obstine, dùssé-je y laisser l'âme, est à des siècles d'ici... La Quinzaine littéraire, du 16

GU

C'est sa tapisserie de Pénélopel'expression est de lui. Il ne la reprend que, semble-t-il, pour la détruire ou l'abandonner à nouveau. Est-ce pour s'encourager lui-même, ou parce qu'il a conscience de la nouveauté de l'entreprise ? Il songe à une « publicité D, qui consisterait à « jongler avec le contenu d'un livre D, dans le courant de l'hiver 1888-1889. Mais rien ne se fera. On touche par transparence, dans ce jeu de confidences voilées, de promesses vagues et de silences dilatoires, tout le drame secret de la vocation et de la création mallarméennes.

30 livra 1970

Vient de paraître

Roger~aillois

L'écriture des pierres 45 ILLUSTRATIONS Dans toutes librairies Volume broché 16.5 x 21.5 cm couverture acétatée. F 35.-

Il a été tiré à part 1000 exemplaires numérotés reliés pleÎne peau

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BXPOSITIONS

Il se pourrait bien que l'exposition Arts africains (1) qui vient de s'ouvrir au Musée Cantini de Marseille constitue un tournant dans notre approche d'un univers dont nous commençons à peine à entrevoir le dessein. Le titre même choisi par les organisateurs de cette exposition est révélateur de leur démarche. Celle-ci s'inscrit en effet dans un processus de démythification qui se veut aussi retour à la genèse d'un monde de formes profondément originales. On sait le choc que la révélation de ces formes provoqua en Europe. Le caractère sismique de cette découverte et l'odeur de poudre et de razzia qui lui sont associés ont sans doute marqué notre attitude à l'égard des arts d'Afrique. L'ambiguïté de cette attitude est le résultat de réactions profondément divergentes. Le souci de ne pas imposer nos catégories esthétiques occi-

L'Afrique à Marseille paraissent exclusivement liés à leur destination fonctionnelle ou religieuse, l'une comme l'autre énigmatique, à l'exclusion de toute considération esthétique proprement dite. Une telle approche est aussi peu satisfaisante que si nous avions analysé pendant des décades les fresques de la Renaissance italienne en nous attachant uniquement à leur valeur didactique ou à leur enseignement historique et religieux, sans jamais nous soucier de la technique de la fresque, ni de la personnalité de Giotto, Masaccio, Mantegna, et della Francesca, ni de l'évolution de la perspective dans l'œuvre de ces différents artistes. Il semble que les arts de l'Afrique émergent peu à peu de la conjuration de silence et d'ignorance, où ils se sont trouvés confondus par notre vénération hypostatique. L'exposition de Marseille iI-

L'apprendssage d'une vision nouvelle

dentales à un champ qui semblait récuser leur ordonnance et leur discipline peut paraître à première vue une préoccupation honorable. Sous les dehors d'une apparente déférence, elle se double toutefois d'un certain mépris à l'égard d'un univers que l'on préfère laisser à l'écart du domaine esthétique pour ne pas avoir à en rendre compte. La magie et le ritualisme deviennent ainsi les alibis et les fausses clés de l'art primitif, à l'instar de ces vestiges des religions désertées que l'effet diluant du syncrétisme a privé de leur signification première et de leur saveur originale. Il y a là un mécanisme de sublimation empreint d'une singulière duplicité, comme si nous cherchions à justifier notre effraction et la fascination qu'exerce sur nous cet univers en le rejetant dans les ténèbres hermétiques de rites mystérieux et d'usages inconnus. Cette démarche, qui tient de l'exorcisme, aboutit à confondre l'ensemble de l'art africain dans l'anonymat rassurant d'une nuit peuplée de phantasmes et de mythes obscurs. Sculptures et objets y ap16

lustre cette approche nouvelle qui transparaît dans la belle préface (2) de Jacqueline Delange sur laquelle s'ouvre le catalogue. Celui-ci ne comporte pas moins de deux cents pièces, dont la plupart sont d'une grande beauté. Or, la majeure partie d'entre elles - et sans doute les plus remarquables proviennent de musées peu connus ou de collections privées. Au premier rang de celles-ci. il faut citer la collection de L.P. Guerre qui livre ici quelques pièces maîtresses : un masque Bambara couvert de cuivre martelé, trois statuettes Fang d'une patine superbe. et des figures de reliquaire Ba-Kota dont le géométrisme rigoureux et le regard fendu rappellent le Senecio de Klee. Certains musées de province nous apportent également des révélations. A l'entrée de l'exposition, on se trouve accueilli par une majestueuse divinité Baga, provenant du Musée d'Histoire Naturelle de Toulouse, tandis que le Bénin est admirablement représenté par: une tête de Reine-Mère, provenant des musées de la ville de Liverpool.

Enfin, il faut aussi se féliciter du choix des objets exposés. Les expositions d'art africain se limitent trop souvent à une sélection de statuettes, de masques et de bijoux. Les armes et les outils de la vie quotidienne ne sont pas jugés dignes de notre délectation. Les organisateurs de l'exposition de Marseille ont eu le singulier mérite de ne pas négliger ces témoignages subtils et émouvants de la sensibilité esthétique africaine que sont, dans leur simplicité, les peignes ou les poulies de métier à tisser baoulé. C'est qu'on y voit affleurer avec une fraîcheur bouleversante une recherche de la beauté, qui ne se laisse pas réduire à la seule notion d'adéquation fonctionnelle ou d'efficacité pratique. On y touche du doigt l'éveil d'une dimension Douvelle. Il y a là. en attente, tout un monde que nous avons à peine commencé à découvrir : celui de l'artiste africain, dont l'œuvre se veut une création et pas seulement ('émanation d'une ombre féconde. 11 est grand temps d'abandonner le mythe. secrètement paternaliste d'une Afrique peuplée de formes, vaste grenier à l'imagination fertile dont l'inconscient collectif engendre comme par enchantement ces masques et ces statues, qui ne trouveraient que dans notre regard le fondement de leur statut esthétique. Au delà des poncifs de la cosmogonie nègre et de la pensée sauvage, les arts d'Afrique nous ramènent ainsi à leurs auteurs; par où il eût fallu commencer. L'exposition de Marseille constitue à cet égard une véritable - initiation -, entendue cette fois non plus comme la découverte d'un mode d'emploi ou d'une explication rituelle, mais comme l'apprentissage d'une vision nouvelle. Guy C. Buysse. 1. Jusqu'au 20 mal.

2. Artistes tiques.

et

iugements

esthé·

Bibliographie P. lempels : La philosophie bantoue, Présence Africaine, 1949. G. Balandier : Afrique ambiguë. Plon 1957. W. Fagg : Sculptures africaines. Hazan, 1965. M. Leiris et J. Delange : Afrique noire, N.R.F., 1967.

Le Stedelijk Museum d'Amsterdam présente actuellement dix - tableaux» de J'artiste californien Edward Kienholz, réàlités durant la dernière décade (1). Il s'agit d'assemblage~, c'est-àdire de collages tridimensionnels constitués par la juxtaposition d'objets préexistants et de -sculptures- créées. Par rapport à de nombreux - assembleurs» américains que cette démarche a conduit, vers les années 60 au Pop-art, Kienholz présente une grande originalité, tant dans ses techniques que dans le regard qu'il jette sur la Société. Sa dénonciation de l' - American Way of Life» ne s'attarde pas à sa forme la plus visible (la publicité, la société de consommation) mais aborde brutalement les tabous les plus intangibles (présence de la décadence et de la souillure humaine, frustrations sexuelles, a b sur dit é ~onfortable des certitudes sociales ou patriotiques). Les - tableaux - de Kienholz sont des pièces entières, avec leur mobilier, leur plancher, les bibelots, les objets courants qui - traînent - après usage... dans lesquelles sont incorporés des mannequins néo-surréalistes de taille humaine. A cet égard, l'œuvre la plus caractéristique, Roxy (1961), évoque un fameux bordel de Las Vegas. La reconstitution a été effectuée avec une minutie d'entomologiste : lettres de famille et souvenirs personnels dans le sac des - pensionnaires -. portrait du général Mac-Arthur au mur; un calendrier publicitaire et les magazines datent la scène de juin 1943. Au son d'un juke-boxe diffusant des airs à la mode pendant la seconde guerre mondiale, Madame, grotesque figure affublée d'un crâne de porc, veille sur ses filles ... Dans toutes ces scènes. la juxtaposition, soigneusement étudiée dans ses moindres détails, d'objets usuels. parfois démodés ou même choquants, empruntés à la banalité de la vie quotidienne. crée, par l'accumulation des anecdotes, une superréalité oppressive physiquement insupportable. Les environnements de Kienholz attaquent le public et exigent de lui une réponse qui ne peut guère être autre chose que des grin-


Un Calif'ornien à Amsterdam cements de dents. Entrez, Messieurs et Mesdames, entrez. Vous y verrez une vieille femme sans amis et sans parents, seule avec ses souvenirs (soigneusement mis en conserve dans des bocaux), qui attend la mort: vous y verrez, grandeur nature, le rêve d'un vieil homme incurable condamné à vivre. Entrez Monsieur, venez faire l'amour a v e c Mademoiselle Cockeyed Jonny au bordel Roxy; une poubelle (marquée • Love • sur le couvercle pour éviter toute confusion) recueillera votre précieuse semence de bon citoyen et/ou de bon père de famille. Voyeur, vous préférez peut-être revivre la première expérience sexuelle de milliers de jeunes Américains en pénétrant dans une Dodge 38 où un homme en treillis (pas un militaire; du treillis de cage à lapin) culbute des morceaux d'une femme après des libations dont témoignent les bouteilles de bière vides qui jonchent le sol... Quel mauvais goût! Vous trouveriez sans doute de meilleur ton une pure description d'opération iIIé· gale (1962) : au premier plan, des cotons tachés de sang et, dans des récipients en émail, des instruments chirurgicaux rouillés et également tachés; un tabouret en bois rouge (trois pieds contournés) devant un siège à roulettes d'infirme. Une lampe (pied en cuivre, abat-jour défraîchi tombé en arrière) éclaire ce qui se trouve posé sur un drap souillé recouvrant le siège: un sac avachi, de forme indécise, fendu sur le devant; par cette fente s'échappe ce qui reste (une poignée d'une matière meuble, de couleur cendre). Il n'y a pas dans l'art contemporain d'œuvre qui exprime une telle agonie. Les sujets sont variés, toujours perturbants. « White Visions of Sugar Plume Danced in their Heads» (1964), dont le titre se réfère à un poème enfantin, traite des phantasmes sexuels nécessaires aux rapports d'un homme et d'une femme qui s'ennuient mutuellement. L'œuvre se situe sur plusieurs plans temporels : l'image du couple se déshabillant est figée dans le miroir; dans le lit les deux corps s'étreignent sous les draps tandis que s'écartent les

Edward Kieoholz : L'hôpital d'état, concept tableau 64.

Au-dessus du vieil homme dans le

lit, il y a sa réplique exacte, y compris le lit (les lits sont superposés, comme des couchettes). Le personnage supérieur aura aussi la tête·aquarium, deux poissons noirs, etc. Mais de surcroît, il sera entouré d'une sorte de bulle de plastique transparent (peut-être semblable à un ballon de bande dessinée) représentant les pensées du vieil homme. Sa pensée ne peut pas le situer en dehors de l'instant présent. Il est condamné à rester là pour le restant de sa vie. PRIX : première partie : 15.000 dollars; deuxième partie : 1.000 dollars; troisième partie : les frais plus les gages de l'artiste.

têtes, démesurément gonflées par les images érotiques auxquelles l'autre n'a point de part (on peut apercevoir ces images par l'intermédiaire de deux lentilles). Le Mémorial de guerre transportable (1968), où des sol· dats sans visage piquent le drapeau américain au centre d'une table de jardin, à côté d'une buvette et d'un distributeur automatique, est un violent constat

de l'absurdité de la guerre qui a fait accuser son auteur d'insulte à l'Amérique... Les difficultés de réalisation et de transport de tels • tableaux. (il y a aussi un coup de patte aux collectionneurs qui achètent l'art contemporain pour spéculer) ont conduit l'auteur à réaliser virtuellement une partie de son œuvre sous forme de concepts-tableaux. Il s'agit d'une

Ce tableau est relatif à un vieillard interné dans un hôpital psychiatrique d'Etat. Il est sur un lit, les bras attachés, dans une chambre nue (l'œuvre sera constituée d'une chambre réelle avec des murs, un plafond, un plancher, une porte verrouillée, "etc.). Il y aura seulement un bassin et une table d'hôpital (hors d'atteinte). L'homme est nu. Il souffre. On l'a bat· tu sur l'estomac avec une barre de savon enveloppée dans une serviette (pour ne pas faire d'ecchymoses). Sa tête est un bocal éclaird contenant de l'eau et deux poissons noirs vivants. Il est couché immobile sur le côté.

Le Qwai...imt UtténUe, da 16 .. 30 .ml 1970

plaque de brol')ze, portant le titre de l'œuvre et, au verso, la description de celle-ci. L'acquéreur du concept-tableau (pour un prix fort sérieux...) signe avec l'artiste un contrat (d'une ironique minutie bien digne de Keinholz) qui lui accorde la propriété potentielle de l'œuvre. Si le bailleur le souhaite, il peut faire exécuter par l'artiste, moyennant une petite somme supplémentaire, un dessin. Enfin, dans un troisième temps, il peut faire réaliser l'œuvre à ses frais. Le seul concept-tableau existant sous les trois formes est l'hôpital d'Etat (1966), qui appartient encore à l'artiste (en 1948 Kienholz avait travaillé dans un hôpital psychiatrique et avait été horrifié des traitements que subissaient les malades) . Jean-Luc Verley 1. L'exposition vient du musée d'art moderne de Stockholm; après Amster· dam, elle Ira à Düsseldorf. 17


HISTOIRE

Martchenko Après six années de déportation (1961-1966) dans un qu'il camp de Mordavle décrit dans son livre qui vient de paraître en français sous le titre mon Témoignage Anatoli Martchenko est arrêté à nouveau le 29 juillet 1968 pour avoir publiquement affirmé sa solidarité avec le parti communiste tchécoslovaque; sous prétexte d'une infraction • au règlement sur les passeports -, il est condamné à un an de déportation; le jour même de sa libération, le 20 août 1969, il se voit encore condamné à deux ans de déportation supplémentaires en raison de son attitude au camp. Martchenko Mon témoignage Les camps en U.R.S.S. aprè& Staline Coll. Combats, Seuil, éd., 332 p. L'objectif poursuivi par les autorités soviétiques et leurs exécutants, les administrations judiciaire et pénitentiaire, est clair : elles veulent ]a peau de Martchenko - elle veulent, par l'action conjuguée de la. famine, de l'épuisement et de la maladie, le faure crever dans un camp, de « mort naturelle » - seule .façon de le faire taire, comme c'est aussi la seule façon d'en finir avec les Soljenitsyne, les Daniel, les Siniavski... Aussi, ces quelques lignes consacrées au témoignage de Martchenko ne peuvent avoir d'objectif plus impérieux que de faire savoir qu'à cet instant même Martchenko est en train d'être assassiné. Assassiné selon la méthode qu'il décrit dans son livre lorsqu'il évoque l'arrivée et le séjour de Iouli Daniel dans le camp de Mordavie. Premier contact avec l'écrivain, dans un éclat d'humour: « Nous nous serrons la main... En parlant, il tend l'oreille droite et me demande de hausser la voix. En lui répondant, je tends aussi vers lui l'oreille droite et mets ma main en cornet. Nous sommes collègues, aussi sourds l'un que l'autre D. Daniel est a.ffecté aux travaux les plus durs : décharger de lourdes pièces de bois, alors qu'il souffre d'une blessure de guerre au bras; la blessure suppure, un fragment d'os appa· 18

rait sous le pus; cela n'exige aucun soin, décrète ]e médecin du camp; comme Daniel tient le coup, l'administration lui inflige, sous le prétexte toujours disponible de c non-exécution des normes ~, quinze jours de cachot, suivis de dix jours supplémentaires. « Il faut simplement lui faire la peau~, constate Martcbenko. Lui-même a failli crever de cette façon : le 17 mars 1966, déchargement - à la main - de trois wagons pleins de rondins de bouleaux d'un mètre et demi. recouverts d'une mélasse de neige et d'eau; ce travail exténuant terminé, attente de l'escorte dans le vent glacial, pendant une heure. Brûlant de fièvre, saisi de vomissements, Martchenko est transporté à l'infirmerie ; il reste six ou sept jours sans soin, attendant la visite d'un otorhino qui prescrit des piqûres inefficaces; pendant vingt jours, avec une température proche de 40°, il est soigné par un voisin, qui réussit à faire tomber la fièvre; envoyé par ses amis de baraquement, un déporté médecin diagnostique une méningite purulente; mais cela n'empêche pas le médecin du camp de renvoyer Martchenko dans une équipe d'urgence - celle qui exécute les travaux les plus durs ; survient, quelques jours après, une commission de Santé : «deux inconnus en civil, trois femmes, n0tre chirurgien aux bras tatoués comme un pilier de prison. Tous bien habillés, bien nourris, bien propres. Des médecins!» Martchenko expose son cas - et la commission le classe - elle est venue pour cela travailleur de 1re catégorie, c'est-à-dire apte à tous les travaux, et dépose le rapport suivant : «Le service médical du camp nO Il atteste que le détenu Martchenko A.T. n'a pas besoin de soins. Signé : le chef de la commission médicale du Doubrovlag, ma· jor du service médical, Petrouchevski D. Martchenko réussit à survivre pendant quatre mois, jusqu'à sa libération ; il se rend alors chez le Dr. G.V. Skourevitch, agrégé de médecine, qui l'opère d'urgence de l'oreille gauche, puis de l'oreille droite. « Après quoi, raconte Martchenko, il me déclara qu'il lui arrivait rarement de recevoir des malades dans un état aussi grave et menaçant... Il me dit que lorsqu'il perça mon tympan, le pus jaillit comme un liquide à haute pression. ~

On voit que le témoignage de Martchenko ne doit d'être connu qu'à un miraculeux concours de circonstances; en quoi, il s'apparente aux témoignages .du même type, à ces œuvres exceptionnelles, singulières, redoutables, qui parviennent, par la voix d'un individu devenu pour nous unique, irremplaçable, à nous faire entendre les pulsations même de l'histoire : l'Accusé, d'Alexandre Weissberg (1), ouvrage disparu de la circulation, et que, curieusement, aucun éditeur ne cherche à re-publier; le Pain amer, de J ozsef Lengyel (2), le Vertige, d'Evguénia Guinzbourg 3) ; Récits de Kolyma, de VarIam Chalamov (4) , et les livres de Soljenitsyne (5)... Mon Témoignage d'Anatoli Martchenko met une nouvelle fois à nu les procédés caractéristiques de tout camp de concentration, qu'il soit nazi ou stalinien, ou relevant de tout autre système répressif : le travail et la famine brisent les forces de l'individu ; les maladie~ le mettent à la merci de la mort ; le cachot, les coups, parfois les armes l'achèvent; l'extermination - de l'opposition d'abord, puis de toutes les oppositions possibles et imaginables, puis de tout ce qui porte la plus infime marque d'altérité, (et qui. n'en porte pas ? jusqu'au bourreau lui-même qui finit par avoir peur de son ombre) - se poursuit à un rythme relativement régulier, menée danS certains cas jusqu'à son terme, comme ce fut le cas pour toute la génération bolchevique détruite par Staline, ou pour l'ethnie tzigane détruite par Hitler. Certaines gens, généralement progres.'listes, s'amusent à distinguer camp nazi et camp stalinien; un ancien déporté des camps nazis rétablit l'identité fondamentale des systèmes lorsqu'il écrit: « Des hommes qui ont vécu à Auschwitz et à Buchenwald vont entendre des hommes qui ont vécu à Kolyma et Magadan». (6). L'identité fondamentale réside dans l'administration systématique et massive de la mort; si différence il y a, elle tient dans le « style», lui-même déterminé par les conditions spécifiques de « travail»; les nazis étaient pressés par le temps et limités par l'espace, d'où leurs méthodes d'extermination «intensive», si l'on peut dire; le système stalinien disposait de plus de temps et de plus d'espace, d'où son style d'extermination « ex t e n s ive» ; «l'espérance de vie» d'un dépor-

té de camp stalinien devait être d'environ douze mois, selon les estimations des différents témoins, et notamment de Martchenko; elle n'était guère que de trois à quatre mois dans les camps nazis (7).

Le déporté de camp stalinien ne dispose pas seulement d'un peu plus de temps ; l'hypocrisie du système - « l'homme est le capital le plus précieux» disait Staline lui accorde un peu de Il matière humaine», il a un peu plus de chair, un peu plus de sang, un peu plus de parole disponibles - et il s'en sert, en tournant presque toujours contre lui-même la maigre énergie qui lui reste. I( TOI~s les déportés de Mordavie connaissent » l'histoire de Nicolas Chtcherbakov, dit Martchenko qui lui avait remis une lame de rasoir. Il Nicolas s'était d'abord fait tatouer sur l'oreille, avant de se la trancher (sinon le sang se serait écoulé complètement avant qu'il n'y parvînt) ; e Don pour le XXII" congrès du PCUS ». Puis il s'amputa, cogna à la porte et, lorsqtle le surveillant se présenta et ouvrit la porte massive de l'extérieur, Nicolas lui jeta à travers la grille son oreille avec cette dédicace ». Encore ce geste a·t-il un charme à la Van Gogh! La réalité est souvent beaucoup plus horrible. eParfois, écrit Martchenko, dans des moments de désespoir impuissant, je me suis surpris moi-même à penser : « Ah, faire quelque chose! Jeter à la face des tortionnaires un morceau de mon corps!» Des déportés se livraient à des actes d'auto-cannibalisme : « Dans une cellule, rapporte Martchenko, des déportés s'étaient procuré une lame et, depuis quelques jours, entassaient du papier. Lorsque tout fut prêt, chacun découpa un morceau de sa propre chair, certains du ventre, d'autres de la jambe. Ils recueillirent tout le sang dans une assiette, firent du feu de papier et de livres, y jetèrent la chair et se mirent à faire cuire leur rôti. Lorsque les gardiens s'aperçurent du désordre, la cuisson n'était pas terminée et les déportés, se bousculant et se brûlant, attrapaient les morceaux dans rassiette et se les fourraient dans la bouche... ~ Un personnage remarquable dans ce domaine était Iouri Panov, qui était dans la cellule où eurent lieu ces agapes : Il Panov... avait déjà plusieurs fois découpé des morceaux de son propre corps pour les jeter à la face des gardiens à travers le guichet; il s'était éven-


tré plus d'une fois et avait sorti ses intestins; il s'était ouvert les veines, avait mené de longues grèves de la faim, avalé toutes sorte~ de choses et on lui avait ouvert le ventre et l'estomac à l'hôpital... Pourtant, il sortit de Vladimir vivant, puis on l'envoya au camp 11,0 7 et au camp 11,0 Il ». Chalamov dit, dans les Récits de Kolyma, qu'un déporté qui a perdu le sens de l'humour est déjà un homme fini. Au cœur même de ses descriptions cannibaliques, Martchenko évoque le tour qu'il joua, avec ses compagnons, au vieux Tkatch, qui avait de grandes et belles oreilles et crut longtemps que Martchenko voulait les lui croquer. Peu de temps avant sa libération, convoqué par les instructeurs du KGB chargés de son « éducation», Martchenko les met sérieusement dans l'embarras en leur posant la questiQn : « Je vous demande à quel type de communiste vous appartenez : les communistes parallèles, les communistes perpendiculaires ou les communistes en diagonale ? » Et les autres de chercher une réponse dans des collections de journaux. Mais ce qui donne au livre de Martchenko une force incomparable, c'est la volonté farouche, inflexible, de ne pas se soumettre, de ne pas se résigner de témoigner. A aucun moment, le débardeur Martchenko, né de parents « totalement illettrés» n'accepte de passer aux fameux « aveux » ; il tient tête, autant qu'il est possible, à ses bourreaux, s'efforce de comprendre le système qui l'écrase, lit les classiques du communisme, et accède ainsi à une conscience révolutionnaire qui devient son arme privilégiée face. au stalinisme. On comprend alors que témoigner devienne le sens même de sa vie : « raconter la vérité sur les camps et les prisons où l'on jette aujourd'hui les détenus politiques », c'est dénoncer le bluff de la déstalinisation; « on a puni les coupables des crimes monstrueux commis hier, on a réhabilité les victimes }) ? « Rien n'est plus faux, dit Martchenko. Combien de victimes a-toOn réhabilitées après leur mort, combien de victimes oubliées croupissent aujourd'hui encore dans les camps, combien de nouvelles victimes s' y entassent; combien cremprisonneurs, crenquêteurs, de bourreaux occupent aujourcrhui encore leur poste ou vivent tranquillement de leur grasse re-

ESPRIT MOUNIER DE NOUVEAU J. Conilh, J.M. Domenach .M. Reggui, M. Steiner.

• LA QUESTION NATIONALE AU QU~BEC

• Anatoli Martche'lko.

traite... Les camps de concen· tration où r on encage les détenus politiques en U.R.S.S. au· jourd'hui sont aussi terrifiants que les camps de Staline... » Assuré du silence de ses complices internationaux, la machine stalinienne continue à broyer; mais si la solidarité du crime unit encore les dirigeants du Kremlin (les Kossyguine, Brejnev, Souslov, Kirilenko, Mazourov etc.) et les privilégiés de l'appareil, les finalités deviennent de plus en plus confuses, les contradictions plus insupportables, les échecs plus apparents et plus sordides. Le courage, la ténacité et la ~nérosité d'un Martchen· ko ne sont pas seulement les qualités propres d'un individu, ils sont aussi et surtout l'expression d'un nouvel état de la conscience politique en U.R.S.S., telle qu'elle se manifeste avec une particulière vigueur dans le Samizdat 1 (8) ; si quelques années de déportation ont fait du débardeur Anatoli Martchenko un écrivain remarquable et un esprit politique lucide et audacieux, c'est peut-être qu'une génération nouvelle est prête à entrer sur la scène de l'histoire et à demander des comptes. Roger Dadoun 1. FasqueUe éditeUl'S, Paris, 1953. 2. Coll. Lettres Nouvelles, Denoël, 1965. 3. Seuil. 1967. 4. Coll. Lettres Nouvelles, Denoël, 1969.

JEAN GENET ou le théâtre de la haine

des cancéreux, Julliard 1968; Le PreInier cercle, l.affont, 1968. 6. Cité dans Récits de Kolyma, préface. 7. Le bilan des massacres et de l'extermination dans le système stalinien reste considérable; cr. les évaluations indiquées dans le livre de Robert Conquest, The Great Terror (Macmillan) et reprises dans un article de Prelwes (no 215-216, février-mars 1969), où il cite Soljenitsyne qui, dans Le Premier Cercle, évaluait la population des camps en 1949 à 12-15 millions, et surtout le document du savant atomique et académicien André Sakharov évaluant à 10-15 millions au moins le nombre des morts du fait des exécutions ou des conditions de détention sous Staline; selon Sakharov, 1.150.000 membres du parti communiste soviétique auraient péri dans les purges. 8. Seuil, 1970. Cf. La Quinzaine Lit,téraire, nO 90.

• LA PO~SIE HONGROISE CONTEMPORAINE

• AVRIL 1970 : 10 F

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5. Voir notamment Une joumée d'Ivan Denissovitch, Julliard, 1963; Le Pavillon

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 avril 1970

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L'homme Le 22 avril de cette année, l'URSS célèbre le centième anniversaire de la naissance de Vladimir Illitch Lénine, fondateur de l'Etat soviétique et grand inspirateur du communisme mondial. Depuis des mois déjà, tous les peuples de l'URSS, l'école, les entreprises, l'armée, l'information dédient au centenaire 1 es efforts, les prouesses, la fleur de leurs accomplissements. la stature de l'homme, son rôle, sa légende émergent du broui liard sanglant de notre temps et s'érigent sur le socle cardinal de l'Histoire dans une aura d'amour et de contestation. Le vieux venin s'aigrit, ses séquelles suintent, les cultes ennemis se disputent les droits et les feuilles ruissellent d'eau lustrale à la rose. De son vivant, Lénine ne fut pas une idole. Sa réflexion critique dans la simplicité n'écrasait pas l'ami qui demandait à voir et lorsqu'il brandissait les armes du courroux, ni caprices, ni orgueil, ni les à-coups cruels ne guidaient son combat. L'infinitésimal démon des vanités futiles ne s'aventurait pas dans l'ombre du prestige et nulle présomption .ne ternissait la sobre majesté des projets pla· nétaires. Les souvenirs sans nombre fleurissent le mémorial. Je le revois, assis devant ce bureau net comme l'établi d'un travailleur de choc : la tête . penchée de côté, il lève un re· gard attentif vers l'interlocuteur. Là, un éclair moqueur sil· lonne le sourire; là, un mot téméraire, une idée trop crue déclenchent le plissement de la lèvre et des rides légères qui ourlent l'oreille fine. Illitch vient un instant s.'asseoir chez des amis. L'enfant de la maison grimpe sur ses genoux et lui fait part tout haut des • secrets " que l'on chuchote : cc Tu ressembles à Socrate, il n'était pas bien beau; Papa est plus joli, mais on dirait le tsar, tandis que l'oncle Koba (Staline), avec son fou· lard affreux et sa vilaine casquette, c'est un vrai voyou, tu ne trouves pas? » Illitch rit 20

très fort, comme un bambin heureux, puis gentiment se dé· robe : cc Qu'est-ce que tu feras quand tu seras grand?» cc Conducteur de tram, et toi? »

Ci·dessus

Lénine en 1920.

Ci.dessous : Lénine et Kroupskaïa pen· dant un défilé des milices populaires le 25 mai 1919.

Ces photographies, co=e celle de I~ page 21, sont extraites de Lénine vivant, Fayard éditeur, où sont reproduites de nombreuses photos inédites.

Je le revois sur la Place Rouge, le 7 novembre 1918, premier anniversaire de la Révolution. Il se tenait à gauche de la plaque commémorative qu'il venait d'inaugurer, à quelques pas seulement de son futur tombeau. On ne se pressait pas autour de lui. Personne pour mendier une marque exclusive. Ouelques hommes de la • Vieille Garde » devisaient entre eux, tandis que Trotsky, un peu plus loin, caracolait sur un cheval maigre devant des détache· ments sans panache de la jeune Armée rouge. Ouelques-uns des « viennent-ensuite » contemplaient la scène en échangeant des propos où l'ironie et un brin de cynisme, se mêlaient à l'admiration. Cinq ans plus tard, des délé· gués français débouchant sur la Place Rouge où la milice préparait la voie au défilé de troupes déjà belles lançaient, rieurs des : cc Mort aux vaches! », cc La police avec nous! », cc A

Vladimir Socoline est un ancien diplomate soviétique qui vit actuelle· ment en Suisse. Enfant, il a approché Lénine de près, comme le montrent les souvenirs que nous avons choisi de publier en raison de leur ton très personnel et qui tranche sur les géné· ralités dont nous sommes actuelle· ment abreuvés à l'occasion d'un cen· tenaire. Vladimir Socoline, qui a rompu avec le régime stalinien du vivant de Staline, a brossé un tableau de la vie de ses compatriotes dans un ro· man naguère publié chez Robert Laf· font : Trois Kopecks. Le texte qu'II nous a envoyé a été écrit directement en français.

bas l'armée! » et cc Vive l'armée rouge! ». Sans le savoir, ils déchiffraient avec brio le scénario plus discret des novices attardés de l'An Un. Illitch fait signe à un jeunot, lui demande des nouvelles de sa famille, l'interroge sur son travail. Peut·être prend-il plaisir à s'entendre rappeler la célèbre bise de 1908, lors du retour à Genève, capitale du refuge. Les petits yeux en vrille sondent le jeune homme qui les voit soudain grands et remplis de douceur. Ce regard, presque fixe l'espace d'une minute, s'implante au fond de l'âme et ne pourra mourir. L'épouse, attentive et soucieuse, intervient: cc Volodia, viens, tu pren· dras froid». Sans escorte, IIlitch et sa femme traversent la Place Rouge. Une voiture les attend près du Musée d'Histoi· re. Un • hourra » solitaire les salue au passage . Les assemblées, les meetings tant de fois décrits ! Penché, un peu voûté, Lénine parcourt les planches. Les mains tantôt rivées au. revers du veston, tantôt projetées en avant, il expose, expnque, fait pénétrer l'idée. Son débit curieusement grasseyant module des phrases sans fioritures. Un mot livresque lui échappe-t-il, le voilà traduit en langage général. Il n'est pas le plus grand orateur du pays mais le plus simple, le plus substantiel. Certaines saillies provoquent plus de rires que les siennes, telle péroraison déchaîne des tempêtes que ses discours ne provoquent pas,


Lénine

Le gaullisme Jean Charlot, qui a donné, il y a trois ans la première étude scientifique de l'UNR (1), reprend, aujourd'hui, son sujet en l'élargissant à l'ensemble du gaullisme et en le replaçant dans la vie politique française. Intéressant parce qu'il s'attache à un phénomène qui nous concerne tous, son livre l'est plus encore comme témoignage des travaux de la nouvelle génération des politistes français.

Jean Charlot Le phénomène gaulliste Fayard, 204 p.

1

Le gaullisme ne se ramène pas à une aventure exceptionnelle ni à un phénomène de conjoncture. Il est certes cela, aussi, mais l'observateur attentif décèle des transformations autrement significatives lorsqu'il dépasse la simple chronique du règne.

Lénine dans la cour du Kremlin.

mais, l'ivresse passée, c'est à son enseignement à lui que la pensée s'attache. Ni ascète ni saint, sans nimbe ni auréole, l'homme Lénine ressemblait à tous ceux qu'il aimait. L'éclat de son génie ne terrassait personne. Le plus effacé des humbles ne bégayait pas devant lui. Le démiurge est venu plus tard, des histoires d'outre-tombe. Lui se trompait, avouait, réparait si possible, et même s'excusait. Ce n'était pas « le rêveur du Kremlin • que Wells imagina, mais le chef de file engagé dans un monde sans route, un monde inexploré aux fondrières piégées. Ni géants maléfiques ni moulins à vent pour cet homme de justice. Peu

d'aléas, au fond, mais des erreurs humaines, l'héritage séculaire et l'ennemi puissant. Je me souviens du soir où, figé à mon poste, j'attendais les nouvelles que le cœur refusait. Implorant du regard le cadran de l'automatique, je crois que je priais pour que rien n'arrivât. « Il est mort. Faites venir le sculpteur et les anatomistes, les embaumeurs aussi, mais ne leur dites rien ». C'est ainsi qu'en secret, le 21 janvier 1924, j'appris en frémissant, la mort du chef aimé dont d'immenses multitudes chérissent la mémoire dans le recuei llement.

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 avril 1970

Vladimir Socoline

Jean Charlot a eu recours à l'analyse fonctionnelle dont Georges Lavau vient de tirer des résultats si prometteurs en l'appliquant au PCF (dans le Communisme en France, paru l'an dernier chez Armand Colin). Cette méthode, que les sociologues connaissent bien, consiste à considérer les différentes manifestations de l'activité politique du point de vue de leur participation à la vie de l'ensemhle dont elles dépendent (soit pour le renforcer, soit pour l'affaiblir). Ainsi l'UNR s'interprétait-elle par sa fonction dans le système nouveau de la y. Répuhlique : « Faire qu'un système ·parlementaire et majoritaire soit possible dans un pays où le multipartisme et la force des' barrières idéologiques ont créé une longue tradition de régime d'assemblée ».

Le phénomène majoritaire qui a accompagné le principat du général de Gaulle s'est d'abord manifesté grâce aux instroments de la « démocratie directe » (ou plébiscitaire) mais ceux-ci étaient étroitement personnels et d'un maniement .exceptionnel. Il fallait qu'une organisation prenne le relais en prolongeant et en stabilisant l'adhésion populaire immédiate. Tel était le rôle du parti gaulliste. C'est par rapport à ce schéma fonctionnaliste que Jean Charlot a apprécié les

performances de l'UDR. Sile parti réussit et si son succès renforce le régime, c'est que .l'interprétation a bien mis en lumière une « loi » du développement de la y. République. Le raisonnement théorique avait permis à l'auteur d'affirmer que le gaullisme devait normalement survivre à son fondateur, non grâce à l'inertie des comportements, mais parce que l'intervention du général avait entraîné une transfoI:mation du système politique. Dans la mesure où l'UNR (puis UDR). en appliquait les règles du jeu, le parti gaulliste devenait un élément nécessaire du nouveau régime et tendait ainsi à acquérir une existence autonome, objective par rap-. port à son leader. La première phase de la mutation s'est produite à l'automne 1962, lorsque le gaullisme « partisan » a commencé à se détacher du gaullisme « d'unanimité ». On avait cru discerner l'amorce du déclin dans cette réduction, mais c'Jtait une erreur de perspective : la démonstration est, sur· ce point, particulièrement frappante. La courbe du {( gaullisme référendaire », observe Jean Charlot n'a cessé de décroître et elle est passée au-dessous de la ligne de flottaison des 50 % lors de la dernière consultation (47 % de « oui »). Inversement, la courbe du « gaullisme législatif » n'a cessé de s'élever : 19,5 en 1958 ; 35,4 % en 1962 ; 37,7 % en 1967 et enfin 43,6 % en 1968.

ro

Certes, la multiplicité des procé. dures a pu donner le change. Elle. l'a même donné au principal inté· ressé dont Alain Lancelot avait noté qu'il abordait l'élection présidentielle de 1965 comme un nouveau'· referendum. Mais dès cette époque, le ballotage de décembre 1965 signifiait que sa statue échappait à Pygmalion... La confirmation en a été apportée, définitivement, le 27 avril 1969.

Le fait que l'œuvre échappait au sculpteur ne voulait pas dire qu'elle allait nécessairement passer à l'opposition ! Tout au plus pouvait-on penser qu'elle se donnerait à qui respecterait ses lois. Or l'opposition n'est pas allée au bout de ses efforts d'adaptation. Elle a affronté l'épreu. ve de la seconde élection présidentielle en adoptant un comportement « dysfonctionnel » : son suc<cès paraissait peu compatible 2,vec le maintien du régime majoritaire.

~ 2J


en est résultée a très naturellement dissipé l'amhiguïté des rapports du gaullisme du général avec la gauche. Le parti gaulliste de 19681969, nous montre Jean Charlot, est « le fédérateur de la droite ) en face d'une gauche toujours en miettes... Cette première partie est la plus neuve de l'ouvrage. La sele gaullisme des groupes conde gaullistes ») est plus descriptive :

«(

ciliation de la droite et du suffrage universel. La droite s'était toujours méfiée de lui, avant de découvrir le parti qu'elle pouvait en tirer (par exemple en juin 1968). Aussi ses conceptions tendaient-elles toujours à l'enfermer dans des limites aussi étroites que possible. Or la Constitution de 1958, de ce point de vue était d'inspiration « réactionnaire l)

En faoe d'une gauohe en miettes, le gaullisme, oonsi· déré dans sa longue période, apparaît comme l'agent de réoonoiliation entre la droite et le suffrage universel.

elle analyse les « trois âges » du gaullisme et dresse l'inventaire des diverses organisations. La dernière, assez brève, esquisse les portraits des deux occupants successifs de l'Elysée.

Dès lors une majorité de Français pouvait bien souhaiter le départ du Général, mais il ne s'en trouvait plus assez pour se mettre d'accord. sur une succession qui ne fût pas gaulliste au sens objectif (c'est-àdire, conforme aux lois du système nouveau).

La première partie de l'ouvrage est consacrée à l'étude du « gaullisme de l'opinion ». Les données électorales y sont éclairées par les sondages. Ces éléments permettent de dégager deux époques bien distinctes : la période algérienne, durant laquelle le général est un leader d'union nationale, et la période suivante, pendant laquellè il apparaît de plus ep plus comme le chef d'une majorité. Les courbes

de popularité et d'impopularité du président de la République y sont parallèles. (bien que décalées respectivement vers le haut et le bas) à celles du Gouvernement. L'éclat d'une personnalité a masqué la réalité d'une transformation de l'opinion qui s'est concrétisée dans l'apparition, avec l'U.D.R., d~ ce que l'auteur appelle « un parU d'électeurs» caractéristique des démocraties industrielles. Ce parti est aussi un parti dominant pour la bonne raison que l'introduction de ce type d'organisation politique dans un .système de partis multiples tel que nous le connaissions, bouleverse les règles antérieures de répartition des forces. La simplification objective qui

La qualification du gaullisme comme fédérateur de la droite ne fera sans doute pas plaisir à bien des gaullistes historiques qui verront la confirmation de leur pho. bie du pompidolisme. Quant aux antigaullistes, ils contesteront un~ vision un peu irénique de la y. Republique dont l'auteur re~ie~~ surtout ce qui conforte la validIte abstraite de son schéma. En forçant parfois les analogies, Jean Charlot a peut-être affaibli la portée de sa démonstration, selon laquelle la mutation a rapproché le régime français du système anglais tel qu'il fonctionne globalement. Il pourrait répondre que les imper. fections qu'un observateur plus critique relève volontiers sont des scories et, surtout, qu'elles s'expliquent par l'absence d'opposition cohérente : une telle opposition est en effet nécessaire pour contraindre la ma· jorité, par la pression qu'elle exerce sur elle, à un respect plus attentif des droits de la minorité. Il n'empêche qu'une pareille lacune prive le système d'un élément essentiel de so~ équilibre, et donc de sa validité. On voudrait plutôt 'signaler un point historiquement curieux. Considéré dans la longue période, le gaullisme objectif analysé par l'auteur apparaît l'agent de la récon·

selon le mot de Raymond Aron, puisqu'elle soumettait le seul organe populaire, c'est-à-dire l'Assem· blée nationale, à la double tutelle d'un Président et d'un Sénat issus de la même base de notables rasiiis (les mêmes qui, plus tard ...). Etait-ce une ruse de l'Histoire... ou du Général ? A lire les exégètes autorisés, comme Michel Debré Est-il possible d'asseoir l'autorité sur un suffrage aussi divisé? » interrogeait-il en août 58 pour écar· ter la désignation du Président au suffrage universel), on ne le pense pas. Certes, l'ancien Premier ministre, s'est toujours mépris sur le sens des mouvements contemporains, mais le général de Gaulle lui-même avait esquissé son modèle dans le discours de Bayeux, qui préfigurait le texte de 1958. Or, il procédait de la même inspiration « réactionnaire ». Tout y était fondé sur un Etat fort et indépendant des foucades électorales. Analysé (c ex ante ", l'équilibre institutionnel de la y. République était donc exactement l'inverse de celui qui s'est établi c( ex post l).

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Jean Charlot n'évoque pas cet aspect qui affecte évidemment la clairvoyance du gaullisme originel : peut-être sa démonstration n'en aurait-elle été que plus frappante encore, puisque la logique du système l'a emporté malgré le contresens initial de ses fondateurs !

Pierre Avril )ui=aw littéraire de févr.


Le Tigre

•IntIme •

Le roman par lettres surgit, en tant que genre littéraire au XVIII" siècle et enchante pour un siècle le lecteur de son apparente authenticité et du jeu de miroirs qu'il rend possible. Balzac y met en 1840 un point d'orgue avec les admirables Mémoires de deux jeunes mariées. Les éditions de correspondances auront la vie plus dure, plus longue : Diderot et Sophie, Hugo et Juliette, ou, dans un autre • genre -, Charles Brunellière, armateur nantais de la fin du XIX' siècle, francmaçon, socialiste, qui garda sa vie durant copie de toutes les lettres qu'il écrivit à sa famille, à ses amis (1).

Georges Clemenceau

1

Lettres à une amie 1923-1929 Gallimard éd., 650 p.

Lorsque les épîtres voyagent d'un sexe à l'autre, c'est généralement l'homme qui l'emporte. La femme est plus discrète, plus menacée aussi, dès qu'il s'agit d'une correspondance amoureuse. Ainsi Marguerite Baldensperger entre 'quarante et cinquante ans, épouse d'un professeur à la Sorbonne, et, comme on dit en milieu protestant, «dame d'œuvres» - demande-t-ellç à Georges Clemenceau - entre quatrevingt et quatre-vingt-dix ans, anticlérical, maire de Paris sous la Commune, et «premier flic de France» de détruire chacune des quelque sept cents lettres qu'elle lui adresse entre 1923 et 1929; et il les détruit. Mais Clemenceau, lui, 'n'exige, ne suggère rien de tel. Ses quelque sept cents lettres sont conservées. Elles sont même, quarante ans plus tard, publiées, à la N.R.F. bien sûr, et sous un titre modeste : Lettre!; à une amie. De la longue épître au court billet, voici la dernière correspondance du Tigre. Il faut tout de suite dire qu'elle est dépourvue de tout intérêt politique. Que Clemenceau ne se soit jamais senti «aucune sympathie pour les Soviets» (24-7-29), on s'en doutait. Qu'il méprise Tardieu pour avoir aœepté d'entrer dans le ministère de son vieil ennemi Poincaré cet Il: accident» lui fait « pour la France beaucoup de peine » (1-8-26) - il n'y a guère lieu

de s'en étonner. La portée publique des lettres est quasi nulle, même si l'on voit se profiler au loin la silhouette du colonel House ou si l'on apprend avec émotion que Louis Lépine le grand «préfet» du début du siècle, resté fort lié avec son ancien ministre de l'intérieur et président du Conseil, continuait à quatre-vingt-deux ans, en 1928, d'aller à pied, de Paris à Versailles, déjeuner le dimanche chez sa fille : la police conserve. La haine aussi. L'irénisme n'a jamais caractérisé Georges Clemenceau, et il ne fut jamais très scrupuleux sur le choix des moyens. De Jules Ferry à Joseph Caillaux, ils sont nombreux ceux dont il brisa ou lenta de briser la carrière. Maie; s'il donnait des coups, il en recevait aussi : au temps de Panama, ses relations avec Cornélius Herz lui valurent d'apparaître comme le porte-drapeau de la corruption de la république bourgeoise et ses choix politiques dessinèrent sur sa personne l'image du vassal de l'Angleterre alors haïe : «aoh! yes! » criait-on à ses trousses, dans la rue, et, en plein Parlement : « Qu'il parle anglais! ». Ce sont là polémiques véhémentes, entre égaux somme toute, entre députés susceptibles de devenir un jour ministres et journalistes susceptibles de devenir un jour députés. L'homme y révèle sa pugnacité. Mais elle s'exerce aussi par la provocation, la machination policière, pour laquelle il n'hésita pas à utiliser tous les moyens que mettait à sa disposition l'appareil d'Etat, dès qu'il flJt président du Conseil. Jacques Julliard l'a démontré à propos de cette tuerie ouvrière, l'affaire de Draveil - Villeneuve-Saint-George, en 1908 (2). Ce ministre de l'intérieur accompli, « voué au mépris » comme on disait avant guerre, dans les groupes socialistes et les sections cégétistes, le voici amoureux. A quatrevingt-deux ans? Pourquoi pas? « La main dans la main », «les yeux dans les yeux », comme il l'écrit quotidiennement à son amie lorsque Paris ne les réunit pas. Un amour véritable, car, au bout de quelques mois, il tourne à l'habitude, à l'affection. Un amour véritable car, au début, il n'est même pas égoïste : « le voudrais que

quelque chose vous fût venu qui vous créât une saveur des choses en tous temps, en tous lieux»; cette sorte d'assurance dans le pouvoir d'un grand amour de créer chez l'autre le bonheur s'accompa-

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 avril 1970

gne parfois d'un cri d'angoisse «Est-il donc possible que je sois impuissant à vous aider? ». Au reste, la plume est allègre, le vocabulaire vif et ~-arié, et le récit <plotidien, avant de se muer en traintrain, donne à voir en ce vieillard, que ronge une toux diabétique, un être amoureux des roses et des pins, de l'océan surtout, qui bat les plages de sa Vendée. Beaucoup de mièvreries bien sûr, qui ne sont telles que dans la mesure où elles sont publiées et qui font regretter souvent - une fois n'est pas coutume - l'intégralité de la publication. Une dose raisonnable aussi de mesquineries financières, d'incompréhension devant sa propre famille. Tout ceci coexiste avec qne grande, une belle con,science de soi. Je préfère ce mot à cebÜ d'orgueil. « Ma raison d'être est d'enfanter des ouragans'» s'écrie-t-il le 9 septembre 1924. Son goût de la vie jaillit en août 1929, à quelques semaines de la mort « Fatigué, mais pas fini de vivre l) - et son mépris de l'humanité mais non des êtres - qui dès leurs premières rencontres avait écarté de lui Jaurès, surgit à maintes reprises au milieu de ses protestations d'amour: « le Pflrle au nom de la médiocrité qui est la loi du

monde et le sera jusqu'au jour où l'humanité aura tout au moins disparu » (5-4-1925). Décidément, fou de politique, ivre de pouvoir - « Il n'y a rien de plus malheureux que d'être le plus fort, mais ce malheur 1le va pas sans agrément» - ou livré aux joies de la terre ou, à la -tendresse d'une femme, c'est bien le mêJhe Clemenceau - . Sa vie publique est terminée : il en fait des testaments, au soir de sa pensée. Ses choix, ses préférences, qu'il esquisse souvent au fil des page,s, ses silences aussi nous apprennent beaucoup sur l'homme et ses contradictions. Au petit jeu des amours, Clemenceau eût répondu pêle-mêle : Claude Monet et Gustave Lanson, Beethoven et Edmond de Rothschild. Mais Bourdelle qu'on lui a signalé comme « cubiste» l'inquiète, la Commune est « loin », l'affaire Dreyfus oubliée, le pauvre Marcelin Albert et l'indicateur Métivier aussi : « GrandeQ.l's et misères d'une victoire ».

Madeleine Reberioux 1. Cf. Claude Willard. La correspondance de Ch,Jrles BruneUière, socialiste

nantais 1880-1917, Klincksieck, 1968. 2. Jacques Julliard, Clemenceau brio seur de sri!ves, « Archives », 1965.

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THÉATRB

Shaw socialiste? Bernard Shaw Major Barbara Théâtre de l'Est parisien

1

Bernard Shaw, qui avait le goût du paradoxe, doit bien rire dans sa barbe et sa tombe : il aura fait grimper sur la scène du TEP, Pierre Dux et lise Delamare, figures mythologiques du Boulevard et de la Comédie Française, assurant du même coup le triomphe d'un vieux théâtre sur une scène habituellement ouverte à d'autres exercices; et il aura d'autre part, avec une pièce grinçante et socialiste sur l'Armée du Salut et les marchands de canons, enthousiasmé la critique bourgeoise. Voilà, du coup, - en apparence du moins, - deux paradoxes. Cela dit, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas jouet cette pièce au TEP ? Major Barbara, qui date de 1905 était une œuvre inédite en France. Rétoré a eu raison de la présenter, Il aurait pu seulement la faire plus méchante, et moins équivoque qu'il ne l'a faite : Il est vrai qu'elle aurait moins plu. La pièce, en son temps, avait de quoi provoquer. Elle a pour héros une sorte de Krupp - Il s'appelle Undershaft cynique, sans complexes et sans masque, et d'une logique imperl'argent n'a pas turbable. d'odeur (c'était le titre de la première pièce de Shaw, nouvellement acquis au socialisme) : ce milliatdaire a une -usine de mort • pOur faire des milliards et fonder sa puisssance. A sa fille, qui s'était engagée dans -l'Armée du Salut (- Major Barbara .) Il va prouver en sortant son carnet de chèques, que cette - usine de rédemption • fonctionne avec les chèques des fabricants de whisky et des marchants de canons, et qu'au demeurant cette pieuse engeance, ôtant des cœurs des pauvres la haine et la colère, leur ôte du même coup l'idée de se révolter ou la tentation de se faire socialistes (. vous avez les remerciements de la grande industrie -) ; à son fils, honnête jeune homme qui veut faire de la politique. il démontre où est le vrai siège du pouvoir: .Je suis le gouvernement de ton pays-. (Marx ne dit rien d'autre). Tout cède à sa logique: il est l'ordre

Arlette Tépbany et Pierre Dux.

du monde; ses principes seuls sont adaptés à la nature des choses, pas d'autre solution que de se rallier à lui; (au J- acte on a visité l'usine de mort, usine - modèle évidemment avec dispensaire, log e men t s ouvriers, gros salaires et tutti quanti) , et en effet tout cède devant cette démonstration : l'aristocratique rombière, - sa femme - , qui méprisait en lui le self-made man, est retournée de fond en comble, sa fille claque la porte de l'Armée du Salut; il n'est pas jusqu'au petit prof de grec, ami de la fille et salutiste lui aussi, - ironique, pacifiste et vaguement socialisant - qui ne soit conquis : après tout, ce capitalisme intelligent et dynamique est une espèce d'humanisme; avec de meilleurs salaires, que diable, on apprend à se mieux respecter (et à respecter l'ordre établi) ; bref, • tourner le dos à Undershaft, c'est tourner le dos à la vie.; tout le monde s'incline. Et pour un peu, il semblerait que Bernard Shaw, lui aussi,

s'incline. Après tout, il ne serait pas le seul. Cette logique, un peu moins cyniquement exhibée fait aujourd'hui fortune ; c'est un langage qu'on parle volontiers, du côté des maîtres et qu'on sera assez enclin à écouter, de l'autre côté, • tant que, - pour citer Sartre - le Parti Communiste français restera le plus grand parti conservateur de France-. Mais, en fait, entendre ainsi la pièce, admettre que l'auteur, lui aussi, se rallie à l'idée de la fatalité du capitalisme, c'est faire bon marché de l'humour de Shaw, de ce même G. B. Shaw qui, d'ailleurs, après la lecture du Capital, disait que ce livre • constituait contre la société bourgeoise le plus inexorable réquisitoire qui ait jamais été écrit -. Il est déjà plaisant d'entendre un marchand de canons reprendre cyniquement à son compte l'analyse marxiste : mais l'humour de Shaw pousse plus loin le paradoxe, puisqu'il conduit le spectateur à ce point extrême où Il est presque con· traint de se rallier à la logique

d'Undershaft; mais à peine s'y est-il rallié qu'aussitôt il lui saute aux yeux que cette logique, c'est celle d'Ubu : un sophisme s'ouvrant sur la monstruosité; la logique capitaliste est irréfutable, soit; il n'y a pas d'autre solution que de se rallier à son ordre, soit: mais comme on ne se rallie pas à Ubu, c'est donc qu'il faut l'abattre; il Y a donc une solution : changer radicale· ment le monde; la logique de Krupp n'avait oublié qu'une cho-, se : la possibilité, pour la -lutte de classes, de se faire révolution; la logique ubuesque y ramène le spectateur. Brecht, dans un texte de 1926, rendant hommage à Shaw, de faire, dans ses œuvres, « hardi· ment appel à l'entendement - et de « prendre plaisir à semer le trouble dans le système de nos associations d'idées -, ajoutait que Shaw «est convaincu qu'il n'y a rien à retarder en ce monde hormis le regard tranquille et incorruptible de l'homme du commun -. Ce regard-là démantèle immédiatement la logique d'Undershaft. Mais tous n'ont pas nécessairement le regard tranquille et incorruptible de l'homme du commun. Ils peuvent donc à leur aise • récupérer. la pièce, et s'ébrouer là-dedans comme ils feraient dans de l'Anouilh; la chose leur est d'autant plus facile que, pour ce qui est de la forme dramatique, il n'y a pas grande différence entre les deux: un Anouilh socialiste (1) aurait écrit cette pièce grinçante. le tort de Rétoré est d'avoir facilité la confusion. Shaw n'est pas Brecht, certes; mais puisque l'un retrouvait dans l'autre quelque chose de sa propre démarche, Rétoré aurait pu essayer de nous faire songer à Brecht au lieu d'accuser la ressemblance avec Anouilh. Une autre mise en scène moins uniment boulevardière, et d'autres acteurs moins imperturbablement boulevardiers, auraient pu nous faire oublier la facture conventionnelle de la pièce et, par delà cette forme discrète, faire éclater - , et sans équivoque, ce qui n'est pas le cas ici - , le sens d'une pièce qui peut être singulièrement percutante. Mais cela aurait fait grincer trop de dents. Il était plus tentant de les faire sourire. Gilles Sandier


INFORMATIONS

CINEMA

Objectif' : Vérité le jeune cinéma américain explose. Nous avons eu droit, depuis quelques mois, à une bonne dizaine de films turbulents, passionnants, authentiqUes, sortant des studios car· tonnés pour courir les rues, se répandre dans la vie quotidienne américaine, interroger les représentants du Black Power, les manifestants contre la guerre du Vietnam, rencontrant des hippies, interrogeant des flics, bref un cinéma documentaire qui change le présent en Histoire et qui fait de l'Histoire un récit cinématographique. Alors que le cinéma français s'accroche au divertissement psychologique (signe évident d'on sait quoi !) ou au divertissement dit • du samedi soir ., alors que les auteurs les plus turbulents (Godard, mais aussi beaucoup de jeunes inconnus) pratiquent un cinéma muet, un cinéma enfermé dans les bobines de fer blanc, un cinéma qui ne peut pas se montrer parce que les Etats généraux du cinéma sont relégués à l'époque héroïque des révolutions manquées, alors qu'au niveau de la censure inconsciente les cinéastes de renom pratiquent une politique de refuge (dans l'Histoire, la psychiatrie, le policier ou le désespoir métaphysique), alors qu'il n'est donc plus possible de parler de cinéma français documentaire, le cinéma américain travaille sur le vif, le présent, les secousses d'une société empêtrée dans ses contradictions; le cinéma américain parle, lui, fait parler, et dresse procès-verbaux et procès-images avec des coups de zoom, avec des interviews cU'eillies au vol dans une rue de Chicago ou dans une rame du métro aérien. Bref: c'est l'actualité saisie au vol. la politique redécouverte à l'indicatif présent. Bref, c'est l'Amérique vue - par les cinéastes américains. Imaginez la Frànce des commerçants contestataires filmée par Chabrol. Imaginez le problème de l'Université filmé par Truffaut. Imaginez la grève des cheminots vue par JeanPierre Melville. Eh bien' non, n'est-ce pas, vous n'arrivez pas à imaginer ça et vous avez ralson. C'est pas demain qu'on verra ça. Nous restent un petit Eustache par-ci, un petit Rei-

DeUZième l'estival du Livre à Niee Le deuxième Festtval International du Livre se déroulera à Nice du 26 mal au 1er juin 1970. Un certain nombre de manifestations ont été préwes par ses organisateurs pour illustrer le but premier de ce Festival, qui est de réunir, autour de cet élément commun qu'est le livre, les spécialistes les plus divers, depuis les librairies Jusqu'aux représentants des associations populaires, en passant par les auteurs, les bibliothécaires, la presse, les représentants des lecteurs, etc.

chenbach par-là. Quelques miettes de Jean-Pierre Mocky. Pour le reste allez voir Objectif Vérité? de Haskell Wexler. Qu'est-ce donc qu'Objectif Vérité? C'est un film d'une banalité décourageante. le héros est reportèr pour une chaîne de télévision. Il se promène, caméra sur l'épaule et court les accidents de voiture, les réunions politiques, les manifs, les criminels à la petite semaine. Il couche avec une infirmière. Il a un poster de Jean-Paul Belmondo dans sa chambre et surtout il a des idées généreuses, humanistes. Il donne dans le style. p'tit gars courageux., honnête, qui n'hésite pas à dénoncer la violence de la police et la démagogie des politiciens locaux. Ce reporter fait donc du cinéma politique et son objectif, c'est la vérité. Mais tout ceci ne tient pas le coup quand les choses se gâtent. Par exemple, au cours des émeutes à Chicago en 1968, les choses se sont gâtées. les flics ont tapé trop dur. Et les manifestants pacifistes ont essayé de tenir bon. lé fait-divers s'écrase dans des images chahutées de sang, de têtes labourée.s, de corps emmenés dans des ambulances aux sirènes hurlantes. Mais la bonne conscience du reporter en prendra encore un coup. En mieux et en plus -fort. Au- cours d'un entretien, plutôt d'une tentative d'entretien, avec le Black Power. Ici

La QuiuPne littéram, du 16 ou 30 avril 1970

le dialogue est impossible. le reporter s'aperçoit qu'il est floué. Ses belles idées de blanc bien propre, sûr de tenir la Vérité dans son objectif de caméra fichera le camp. l'objectivité est un luxe de reporter blanc. Mais ce n'est pas la Vérité. Ici il faut s'arrêter, le film devient très beau. Il y a quelques secondes où on sent physiquement que le personnage doute de sa mission, de ses bons sentiments. \1 fait même plus. On a l'impression qu'JI n'aura plus de bons sentiments, mais des mauvais sentiments. \1 ne fera plus des images. \1 filmera l'événement selon une certaine dialectique, selon une certaine sensibilité, selon ses croyances, ses convictions, mais inversées, c'est-àdire marquées par le sceau de la révolte, de l'inquiétude. le mérite de ce film est d'avoir filmé l'Amérique et montré comment on passe du 24 images seconde à un cinéma vraiment poIi.tique : de la recherche au mouvement, de l'inquiétude à une attention qui n'est plus un attentisme. Beau travail. Chapeau. Cinéma de prise de conscience politique qui laisse loin derrière lui le travail honnête des cinéastes engagés dans leurs certitudes politiques et, à l'autre extrémité, les tenants d'une objectÏ\{ité qui n'est qu'une forme de désinvolture appliquée aux événements.

Jacques-Pierre Amette

On pourra -ainsi assister à un colloque dont le thème est • Le livre et ses publics - et qui sera animé par des conférences de personnalités diverses (dont Alain Robbe-Grillet, le samedi 30 mai à 15 heures). un carrefour sur la circulation du livre auquel prendront part divers spécialistes (le mardi 26 mai), un carrefour intitulé • Création et public de masse. au cours duquel les porte-parole de différents groupes confronteront leurs wes ~t fixeront leurs positions à propos du divorce de plus en plus marqué entre ce qu'il est convenu la littérature d'avant-garde et les besoins du grand public (le 29 mal). Sous les auspices du ministère des Affaires Culturelles, un autre colloque réunira un 'certaln nombre de spéclaljstes de l'enfance aftn d'étudier les rapports de la poésie et de l'enfant. Un essai d'anthologie poétique idéale sera réalisé en fin de journée, tandis qu'une autre équipe, patronnée par le Secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports, montera- dans le théAtre de Gabriel Monnet • L'histoire du Soldat -, avec des enfants des écoles de Nice. Comme en 1969, • L'Aigle d'Or du' Meilleur Livre - désignera le livre le mieux fait sur le plan techntque, tandis que • L'Aigle d'Or de la Poésieattlrel'll l'attention sur un poète contemporain. Trois nouveautés ont été cependant prévues pour 1970 : • Le Grand Prix Littéraire du Festival-, créé pour remplacer • L'Aigle d'Or du Roman - et dont le Jury sera composé exclusivement de directeurs littéraires de maisons d'édition, lesquels seront Invités, au premier tour, à voter pour un auteur de leur maison et, au second tour, pour un auteur d'une maison concurrente; • L'Aigle d'Or de la Bibliophilie -, dont le jury sera présidé par Julien Cain et qui est destiné à attirer l'attention du Wblic sur cette spécialité essentlellernent française; le • Prix Charles Perrault -, dont le jury sera com· posé des membres non-éditeurs de la section française de l'Union internationale du Livre pour la Jeunesse et qui couronnera un ouvrage d'imagination pour la jeunesse paru l'année -précédente chez un éditeur français. Enfin, le • Prix du Grand Aigle d'Or de la ville de Nice'-, décerné par un jury composé des membres du Comité d'honneur et du Comité International du Festival, sera attribué à un auteur français ou étran· ger pour l'ensemble de son œuvre,

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COLLECTIONS

Soienoes seorètes Après «Les énigmes de l'univers", chez Laffont, «En marge", à Edition Spéciale, et «Les chemins de l'impossible", récemment Inaugurée chez Albin Michel, Pierre Belfond lance à son tour une nouvelle série consacrée aux «Sciences secrètes.~ dont les premiers titres seront : le Dictionnaire Initiatique d'Hervé Masson; les Admirables secrets de la magie naturelle et cabalistique du grand et du petit Albert; Erotique de l'alchimie, par Elle Charles Flamand. Dans le même ordre d'Idée, «La Blbllotheca hermetica., chez SGPP (diffusion Denoël) , reprendra d'anciens textes comme Le Livre des figures hiéroglyphiques de Nicolas Flamel ou l'Alchimie et les alchimistes de Louis Figuier. Signalons également, chez Fayard, une collection dirigée par Jacques Brosse et qui sera composée d'ouvrages appuyés sur des expériences vécues et consacrés aux récentes investigations dans le domaine métapsychique : «L'expérience psychique •. Premier titre : Les Lamas du Tibet, par Paul Arnold, spécialiste de la littérature et de la pensée orientales. Chez Christian Bourgols sera Inaugurée sous peu une collection consacrée à la littérature d'épouvante et du surnaturel et qui tire son titre d'un des premiers ouvrages li paraître : Dans l'épouvante, par Hans Ewers. Au-

tres titres, la Mandragore, du même auteur; le Repaire du grand ver blanc, par Bram Stocker, le père de Dracula; Nouvelles d'Arthur Machen.

Dunod aotualités Dunod lance ce mois-ci une vaste campagne de publicité autour de sa nouvelle collection : «Dunod actualités •. Au rythme de trois volumes par mois, « Dunod actualités. présentera, à l'intention du grand public, des ouvrages destinés à répondre à l'en· semble des problèmes qui, dans le domaine social, politique ou économique déterminent notre vie quotidienne. Vendus au prix de 9 F, les livres seront différenciés par la couleur de leur couverture qui sera rouge pour la série politique, jaune pour la série économique et orange pour la série sociale. Les trois premiers titres viennent de sortir : Qui dirige Israël, par Simon Ben David; Pourquoi les prix -montent-Ils ? par Bernard Bernier; La Vie sexuelle du couple, par Pierre Vellay.

La 3 e République Sous le titre de «Souvenirs et documents sur la III' République., Jérôme Martineau lance ce mois-cl une nouvelle collection. Elle sera Inaugurée par un ouvrage de M.-E. Nae-

par Georges Perec Celui qui commence à se familiariser avec la vie W, un novice par exemple qui, venant des Maisons de Jeunes, arrive vers 14 ans dans un des 4 villages, comprendra assez vite que l'une des caractéristiques, et peut-être la principale, du monde qui est désormais le sien est que la rigueur des institutions n'y a d'égale que l'ampleur de leurs transgressions. Cette découverte, qui constituera pour le néophyte un des éléments déterminants de sa sauvegarde personnelle, se vérifiera constamment, à tous les instants, à tous les niveaux. La loi est implacable, mais la loi est imprévisible. Nul n'est censé l'ignorer, mais nul ne peut la connaître. Entre ceux qui la subissent et ceux qui l'édictent se dresse une barrière infranchissable. L'athlète doit savoir que rien n'est sûr; il doit s'attendre à tout, au meilleur et au pire; les décisions qui le concernent, qu'elles soient futiles ou vitales, sont prises en dehors de lui; il n'a aucun contrôle sur elles. Il peut croire que, sportif, sa fonction est de gagner, car c'est la victoire que l'on fête et c'est la défaite que l'on punit; mais il peut arriver premier et être déclassé, il peut arriver dernier et être proclamé vainqueur : ce jour-là, à l'occasion de cette course-là, quelqu'i.Jn, quelque part, aura déCidé que l'on courrait à qui perd gagne. Les athlè-

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gelen : l'Attente sous les armes 19391940 (la «drôle de guerre. vue du côté de la politique). Autres titres : Histoire et philosophie d'une guerre 1870-1871), par Emile Olivier, épuisé depuis longtemps; le Mémorial des plébiscites, par François Piétri; les Grandes heures du cabinet Clemenceau, par André Tardieu.

" Perspectivcs éoonomiques" Deux nouveaux titres dans la collection «Perspectives économiques. de Cal mann-Lévy : le Modèle suédois, par Jean Parent, dans la série «Economie contemporaine., et Cou r s d'économie politique, par Jean-Baptiste Say, avec une préface de Georges Tapinos, dans la série « Fondateurs de l'économie '.

"Les chemins de l'impossible" Dans la nouvelle collection d'Albin Michel, «Les chemins de l'impossible., paraît une histoire de la sorcellerie et de la magie à partir de l'assassinat de Sharon Tate : les Esclaves du diable, par Georges J. Demaix. Signalons également, dans la collection «Lettre ouverte " une Lettre ouverte aux juifs, par Roger Ikor et, dans la collection • Présence du judaïsme., une anthologie bilin· gue de textes talmudiques réunis et commentés par Abraham Epstein sous le titre d'Etincelles.

"Trésors inoonnus " A l'heure où nos sociétés en voie de surdéveloppement et en mal de frissons sacrés s'imaginent de bonne foi découvrir l'érotisme, et où les moralistes de tout poil se penchent avec anxiété sur un phénomène que le mercantilisme international s'est pourtant chargé avant eux de désamorcer, il est bon de prendre du recul, de faire des confrontations, de revenir aux sources. C'est ce à quoi nous invite la série intitulée les «Trésors inconnus. de Nagel et ce n'est pas le moindre mérite de cette collection consacrée aux représentations érotiques dans l'art des différents p~ys et qui nous montre que la symbiose de l'érotisme et du sacré est présente dans toutes les civilisations hormis la nôtre, que l'érotisme sous toutes ses formes a toujours fait partie, sous tous les climats et en tous temps, du matériel même de la création artistl· que. Collection de prestige, somptueusement illustrée, rédigée par des spécialistes internationaux et publiée simultanément en français, allemand, anglais et italien, • Trésors Inconnus· apporte une contribution importante à l'histoire de l'art en ce qu'elle jette un éclairage nouveau sur un sujet vulgarisé par l'expression populaire et nous donne à découvrir, sans fards mais sans complaisances, des œuvres qui, jusqu:ici, étaient obstinément occultées ou défigurées par les tabous

tes auraient pourtant tort de se livrer à des spéculations sur les décisions qui sont prises à leur égard. Dans la majorité des courses et des concours, ce sont effectivement les premiers, les meilleurs qui gagnent et il se vérifie presque toujours que l'on a intérêt à gagner. Les transgressions sont là pour rappeler aux athlètes que la victoire est une grâce, et non un droit : la certitude n'est pas une. vertu sportive; il ne suffit pas d'être le meilleur pour gagner, ce serait trop simple. Il faut savoir que le hasard fait aussi partie de la règle. Am Stram Gram ou Pimpanicaille, ou n'importe quelle autre comptine, décideront parfois du résultat d'une épreuve. Il est plus important d'avoir de la chance que du mérite. Le souci de. donner à chacun sa chance - peut paraître paradoxal dant un monde où la plupart des manifestations sont fondées sur un système d'éliminatoires (les championnats de classement) qui interdit dans presque tous les cas à quatre athlètes sur 5 de prendre part aux principales épreuves. Il est pourtant évident et c'est à ce souci que l'on doit deux des institutions les plus caractéristiques de la vie sportive W : les Spartakiades et le Système des Défis. Les Spartakiades sont, on le sait, des jeux ouverts aux athlètes • sans noms .. , à ceux qui ne se sont pas classés dans leurs villages et qui, par conséquent, ne participent ni aux championnats locaux ou aux épreuves de sélection, ni aux Olympiades, ni aux Atlantiades. Il y en a quatre par an, une par trimestre. Ce sont des épreuves très disputées et d'un haut niveau compétitif, bien qu'opposant entre eux les plus mauvais éléments des équipes, ceux qui, dans l'argot du public, s'appellent. la piétaille -, • l'écurie - ou «les crouilles ». En effet ces épreuves sont pour ces athlètes la seule chance d'obtenir un nom et de disposer de quelques-uns des avantages (droit aux douches, laisser-passer dans les stades, bons d'équipemenL) réservés aux athlètes nommés.


INFORMATIONS

occidentaux. Pour reprendre le mot de Bataille, nous découvrirons ainsi avec Mulk Raj Anand, professeur à l'Université du Pendjab qui, dans Kama Kala, s'est efforcé d'interpréter, tout au long de trois millénaires d'histoire religieuse et philosophique, le message spirituel contenu dans les sculptures érotiques hindoues, que • la suprême interrogation philosophique coïncide avec le sommet de l'érotisme -. A ceux qui considèrent avec Baudelaire qu'il n'est de plaisir en amour que dans la transgression et la souillure, Vun Vu, l'essai de R. Etiemble sur le sentiment de l'amour et sur les représentations érotiques de la Chine, révélera une pensée dont le propre était de ne pas connaître le péché, du moins sous la forme qui accable les pays judéo-chrétiens, une philosophie naturelle à contre-courant du puritanisme confucéen ou du réalisme socialiste, et qui savait prôner avec infiniment de charme et de saveur l'innocence du sexe et la douceur du sentiment de l'amour partagé. C'est un ouvrage non moins inattendu et non moins fascinant que devait nous proposer le regretté Rafael LarcoHoyle, disparu au cours du séisme qui dévasta récemment la région de Lima et détruisit les plus belles pièces du musée dont il était le conservateur (pour la plupart reproduites dans le livre), avec Checan, étude admirablement illustrée sur un aspect Inconnu de l'art précolombien: l'érotisme du Pérou antique, dont l'exubérance et l'humour débridé tranchent singulièrement avec l'austérité et la

cruauté que l'on associe généralement à l'âme précolombienne. Oe même, avec Rosa Amor, où sont reproduites pour la première fois les pièces les plus représentatives des musées secrets de Naples, Rome et Pompéi, et Eros Kalos, où se trouvent réunis des documents d'une savoureuse originalité sur l'érotisme grec, que seule l'audace de leur sujet avait jusqu'ici reléguées dans l'ombre, Jean Marcadé nous plonge au cœur des superstitions les plus anciennes de l'humanité et nous invite à une compréhension profonde du paganisme. Citons également Shunga • Images du printemps, essai sur les représentations érotiqufls du Japon auxquelles Charles Grosbois rend, loin de toute vulgarité, leur véritable dimension; Sarv-é Naz, par Robert Surieu qui nous rend sensible l'évolution d'une sensibilité à maints égards fort différente de la nôtre, celle de l'Iran, depuis les commandements austères de l'Avesta jusqu'à l'aube de l'ère moderne incarnée par l'avènement des Pahlevis, en passant par les romans courtois du Moyen Age, les poètes épicuriens et mystiques de l'Islam et les récits des voyageurs occidentaux du XVII' siècie; Rati·Lila, par Giuseppe Tucci, qui nous entraîne au cœur de l'aimable royaume du Népal où le plus extrava· gant des humours s'allie au mysticisme le plus délirant.

Par ailleurs, les Spartakiades rassemblent 1 056 athlètes, alors qu'il n'yen a que 264 pour les Olympiades et l'ampleur de la participation garantit souvent une combativité exceptionnelle qui, des éliminatoires aux finales, donne aux courses et aux concours une vigueur peu ordinaire et à toute la rencontre une ambiance passablement survoltée; les récompenses sont d'ailleurs souvent à la hauteur de ce climat et la victoire de ces sans-grade est fêtée avec une chaleur et un enthousiasme que les vainqueurs des Olympiades ne connaissent pas toujours. Les vainqueurs des Spartakiades, pendant tout le trimestre qui suit l-eur triomphe, jouiront pleinement de leur nom et des prérogatives qui y sont attachées; ils auront droit, en particulier, à un handicap favorable dans les championnats de classement et il est presque de règle qu'un vainqueur de Spartakiade (un Newman, un Taylor ou un Lama pour le 200 m par exemple) gagne aussi dans le championnat de classement qui suit et soit dès lors admis à part entière dans toutes les autres rencontres. Les athlètes classés n'ont évidemment que mépris pour les Spartakiades et pour leurs vainqueurs. L'idée est venue assez vite aux officiels d'utiliser ce mépris et d'en faire le moteur d'une manifestation originale; de là est né le Système des Défis. Le principe du défi est assez simple : un athlète classé et qui, par conséquent, n'a pas participé à la Spartakiade, s'approche du vainqueur dans la minute qui suit sa victoire et le défie de recommencer son exploit. On dit, en argot de stade, qu'il le « coinche - ou encore qu'il le « contre -. Le Spartakiste n'a pas le droit de se dérober; tout au plus peut-il espérer triompher de son adversaire grâce au handicap, parfois considérable, que les juges lui laisseront et qui sera déterminé par le directeur de courses en fonction non pas tant de l'état 'de fatigue du vainqueur que de la qualité du « coincheur ,. ; en principe, plus le coincheur est célèbre (plus lA Quinzaine littéraire, du 16 au 30 avril 1970

Beckett au Festival de Royan Le 23 mars, au Festival de Royan, a eu lieu la création mondiale de Paroles et Musique d'Arié Ozierlatka, sur le texte de Samuel Beckett. Arié Ozierlatka, trente-sept ans, d'origine polonaise, est né à Anvers; il a composé notamment un Hommage à Bram Van Velde. Conçue pour baryton, voix et orchestre, cette nouvelle composition entendait suivre de près les indications de Beckett. Le musicien explique luimême : • Beckett utilise simultanément quelqu'un (Croak) et personne (Paroles et Musique). Ils font jeu égal et dialoguent ensemble. Cela est hallucinant. N'est-il pas INOUI ce mot que Paroles adresse à Musique : • Ecoute... - ? Je vois aussi cette œuvre comme un chant de la vieillesse avançant en quelque sorte à reculons, regardant en arrière, se souvenant, discourant avec une emphase grinçante sur la paresse, l'amour, les passions, l'âme ... J'ai été amené à traiter musicalement certaines données que Beckett indique évidemment par des mots -. Or ni la beauté du texte ni la qualité de la partie or·chestrale magnifiquement dirigée par Marius Constant

n'ont empêché les manifestations bruyantes de mécontents pas toujours aussi jeunes qu'on l'a dit. Précisons qu'il ne s'agissait pas de contestation, terme à la mode couvrant un peu n'importe quoi, mais de simple chahut. Peu après les premières mesures commençaient sifflements et quolibets adressés aux acteurs et aux musiciens, mêlés aux protestations des partisans de l'œuvre. Si une œuvre comme les Variations baroques de Lukas Foss était explicitement destinée à irriter la critique et le public (hurlements lorsque la percussion brise des chaises et des planches aux accents de Bach ou Scarlatti) , ce n'était pas le cas de Paroles et Musi· que, évidemment. L'œuvre n'avait pas l'heur de plaire aux amateurs de Marcei Achard et de Frank Pourcel, au fond pas si rares jusque dans les manifestations de musique contemporaine. Comme toujours l'incompréhension rencontrée par l'œuvre est moins désagréable que la volonté d'une minorité sujette aux lubies, d'imposer une contrainte au créateur et de gêner les exécutants. S.F.

il a de noms), plus le handicap qu'il concède est lourd. Ainsi, si le Jones de Humphrey d'Arlington Von-Kramer-Casanova) on reconnaît sous ces noms le second sprinter de 100 m de Nord-Ouest W, vainqueur olympique, etc.) défie Smolett jr (vainqueur du 100 maux Spartakiades) Smolett jr partira avec 30 m d'avance, ce qui, sur une si faible distance, constituera vraisemblablement un handicap décisif. Si le Jones parvient quand même à triompher, il bénéficiera immédiatement de la victoire de l'autre et s'emparera, non seulement de son nom (Smolett jr) mais de ceux du second (Anthony) et du troisième (Gunther) de la course, ce qui, en principe, lui assurera des avantages considérables. S'il perd, par contre, c'est son titre le ~Ius prestigieux qu'il perdra, celui du Jones, celui de Vainqueur Olympique, et que portera désormais, avec toutes les prérogatives afférentes, le Smolett jr qu'il aura imprudemment défié. Le système des Défis est, par excellence, une arme à double tranchant. Car, de même que le Spartakiste ne peut refuser le défi, aucun athlète nommé ne peut refuser de le lui lancer, pour peu que la foule ou qu'un officiel lui en fasse la demande. L'humeur des officiels, en fixant le handicap que le défiant concède au défié, déterminera à elle seule le résultat de l'épreuve: ou bien elle privera le Spartakiste de la seule victoire qu'il pouvait espérer remporter, ou bien elle détrônera en un instant un athlète que ses victoires auraient pu rendre impudent. Ce n'est pas tellement que les officiels soient opposés à l'impudence; au contraire, ils l'encouragent souvent, ils s'en amusent. Ils aiment que leurs vain· queurs soient les dieux du stade; mais il ne leur déplaît pas non plus, précipitant d'un coup dans l'Enfer des Innommables ceux qui croyaient, un instant plus tôt, en être sortis à jamais, rappeler à tous que le sport est une école de modestie. (A suivre) 27


Livres publiés du 20 Dlars au 5 avril ROMANS l'RANCAIS

• J.-P. Amette Un voyage en province Mercure de France, 136 p., 9 F Un court roman d'un ton très nouveau.

Pierre Caminade Le don de merci R. Morel, 232 p., 25 F Un chant d'amour à "alliance physique, intellectuelle et morale du couple. François Coupry La promenade cassée Gallimard, 184 p.,

la platitude de la vie quotidienne.

Viviane Forrester Ainsi des exilés « lettres Nouvelles. Denoël, 192 p., 14 F l'après-guerre dans une petite ville balnéaire de Hollande, • hantée par le passé récent.

les années • Bilou Grand Maitre d'apprentissage d'un Carnavals et cendres adolescent en Gallimard, 208 p., 17 F Angleterre et une Un roman d'amour qui savoureuse étude se déroule dans un de mœurs sur les gens coin perdu du Brésil. et les choses d'Outre-Mançhe. Cornélius Heim Horizon guérilla RÉÉDITION Mercure de France, 192 p., 16 F Romain Gary Premier roman qui Chien blanc traduit les angoisses Gallimard, 256 p., 20 F d'une ville en émeute. la chronique terrifiante de l'Amérique en crise Johanne Klein (voir le numéro 9 de Océane la Quinzaine). Denoël, 112 p., 11 F le très mystérieux Julien Gracq passage de l'enfance Les presqu'îles à la maturité sexuelle. Corti, 224 p., 19,50 F

Jean Fougère Flo R. Morel, 188 p., 18 F

Un recueil de nouvelles par l'auteur du «Rivage des Syrthes • (voir le numéro 29 de la Quinzaine).

Jean-Claude Fontanet La montagne Table Ronde, 216 p., 15 F

Un roman régionaliste par un écrivain suisse dont c'est la première œuvre publiée en France.

13,75 F

Ange Bastlanl Iris A. Balland, 264 p., 27 F. Jean-Roger Bourree La brûlure Gallimard, 184 p., 13,75 F Un premier roman auquel son style fiévreux, exalté, passionné confère une grande originalité.

Un premier roman • d'un ton très insolite, où la tendresse et la fantaisie sont adroitement dosées. • René Fallet Au beau rivage Denoël, 208 p., 15 F la chronique savoureuse d'un petit hôtel-pension ou comment échapper à

Jean lorbais Les cicatrices Gallimard, 288 p., 21,25 F

la confession d'un croyant mais aussi d'un homme assoiffé de tendresse humaine. Paul dei Perugia Les derniers rois mages Gallimard, 272 p., 21,25 F A travers le récit d'une expédition ethnologique dans le Ruanda, une vaste fresque épique et romanesque sur l'Afrique éternelle. Marcel Sauvage La fin de Paris Denoël, 176 p., 12 F Réédition, sous une forme nouvelle, d'un roman qui obtint avant la guerre le Prix Georges Courteline.

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Réédition du premier roman de l'auteur, paru en 1948 chez Plon. .John Barth L'enfant bouc Trad. de l'anglais et préfacé par Maurice Rambaud Gallimard, 448 et 360 p., 54 Fies 2 vol. Par l'auteur de • L'Opéra flottant •. • G. Cabrera Infante Trois triste.> tigre. Trad.> du cubain par Albert Bensoussan, avec la collaboration de l'auteur Gallimard, 468 p., 30,75 F Un roman qui a pour cadre La Havane de la Révolution mals dont le véritable sujet est la littérature et les avatars du langage. • Rosario Castellanos Le Christ de. ténèbres Trad. da l'espagnol par A. et J.-C. Andro Gallimard, 364 p., 25,50 F Une farce sanglante qui a pour cadre le Mexique et, pour protagonistes, les Indiens exploités par les propriétaires blancs • Hugo von Hoffmannstahl Andréas et autre. récits TriKl. de l'allemand par Badoux et M. Michel Préface d'Henri Thomas Gallimard, 264 p., 21,25 F Nouvelles Inédites du grand écrivain allemand.

e:

Ling Mong-tch'ou L'amour de la renarde Marchands et lettrés de la vieille Chine Traduit, préfacé et annoté par A. Lévy Gallimard, 296 p., 29,75 F Douze contes chinois du XVII' siècle.

• B. Perez Galdos fortunata et Jacinte Histoire de deux femmes marl'es Trad. de "espagnol par Robert Marrast Rencontre, 500 p., 17,60 F L'œuvre maîtresse du Balzac espagnol.

Daniel Blanchard Cartes Mercure de France, 72 p., 12 F. Alain Rais La nuit manque de mallMi'œuvre Coll . • J'exige la parole. Plerre-Jean Oswald, 136 p., 13,50 F.

REEDITIONS CLASSIQUES Joseph Delteil Choléra R. Morel, 194 p., 25 F Voir le n° 58 de la Quinzaine.

de Faulkner et de Dos Passos.

• Basil L1ddel Hart Mémoire. Guy de Pourtalès Fayard, 560 p., 50 F La piche miraculeuse 50 ans de notre passé Préface de F. Nourlssle. récent, vus par celui Gallimard, 556 p., 35 F que Montgomery Réédition d'un roman appelait • l'écrivain militaire britannique qui obtint le Grand Prb le plus Important du Roman de de notre époque •. l'Académie Française en 1937. Dom Ph. Rouillard Le dictionnaire des saints R. Morel, 426 p., 25 f.

BIOGRAPHIES CORRES· PONDANCBS

Victor Alexandrov Roulette russe • Charles Dickens Table Ronde, 320 p., Œuvres • Tome VI 19 F La petite Dorrlt Le roman des dernières Un conte de deux villes décades, vu à travers Publié sous la direction une vie d'homme. de Pierre Leyrls Introduction et notes de Pierre Leyrls • Brendan Behan Trad. de l'anglais Encore un verre par Jeanne Métlfeuavant de partir 1 Béjeau Trad. de "anglais Bibliothèque de la par P.-H. Claudel Pléiade Gallimard, 208 p., 17 F Gaillmard, 1.392 p., 52 F. Chroniques sur la vie quotidienne en Irlande Jean Douassot parues dans l' • Irish La Gana Tlme. de 1954 à 1956 Préface de Maurice Nadeau Lucien Bodard Illustrations Mao Tsé-toung de l'auteur • Losfeld, 744 p. 360 illustrations 15 cartes Voir le n° 71 de Gallimard, 256 p., 64 F la Quinzaine. L'épopée de Mao miSE en textes et en images Euripide Médée Edition, Introduction • François Caradec et commentaire de Isidore Ducasse, Robert Flacellère comte de Lautréamont P.U.F., 128 p., 15 F. 8 p. de hors-texte Table Ronde, 248 p., 23 F Joseph Kessel Une biographie très Les rois aveugles complète de ce grand Plon, 320 p., 22,50 F poète mystérieux. Réédition, entièrement remaniée par l'auteur, d'un ouvrage sur les derniers jours de la Grande Russie. Gaston Leroux La poupée sanglante La machine à assassiner L()sfeld, 336 p., 24 F. Jean Lorbais Sans armure Gallimard, 144 p., 11,75 F

La Quinzaine littéraire, du 16 au 30 avril 1970

• Malcolm Cowley Wlliam FauJkner Correspondance Trad. de l'anglais par R. Hilleret Gallimard, 216 p., 15,75 F Un recueil de lettres et souvenirs de 1944 à 1962, commentés par l'historien et critique Malcolm Cowley, qui fut aU8s1 l'ami

Prince de Joinville Vieux souvenirs Edition présentée et annotée par D. Meyer Coll. • Le temps retrouvé • Mercure de France, 328 p., 21 F Les mémoires du fils de Louis-Philippe, qui fut commandant de la flotte française en Algérie. Violette Leduc La folle en tête Gallimard, 416 p., 28,50 F Voir ce numéro de la Quinzaine.

La vie des frères Goncourt, leurs rapports et leur influence sur la littérature contemporaine.

est abordé dans toute la diversité de ses faits et de ses problèmes.

• Pierre Bourdieu Jean-Claude Passeron La reproduction Lanza dei Vasto Eléments d'une théorie Enfances d'une pensée du système Denoël, 128 p., 12 F. d'ense.lgnement Premier volume 3 graphiques et 10 d'une série Intitulée tableaux in texte, • Le Viatique •. 1 graphique hors texte et un index Ed. de Minuit, 288 p., 20 F. Un ouvrage de synthèse CRITIQUE théorique, appuyé HISTOIRE sur des travaux LITTERAIRE empiriques, et qui fait suite aux • Héritiers -. Chaucer Troile et Crisède (Extraits) Présentation, traduction et notes par J.R. Simon Aubier-Montaigne, 16,50 F.

• Changer l'école Ed. de l'Epi, 256 p., 20 F. Un ouvrage étayé sur des expériences concrètes et où la parole a été donnée aussi bien a~ enseignants qu'aux enseignés.

• Jean Duvignaud ' . Pol Ernest Anthologie des Approches sociologues français Ignace Lepp pascaliennes contemporains Lettres posthumes Duculot, Gembloux P.U.F., 256 p., 18 F. à mes lecteurs (Belgique), 712 p., Un ouvrage critique Préface dli 650 FB. à travers lequel Dr Chauchard L'unité se constitue Aubier-Montaigne, 15 F et le mouvement, un discours objectif le sens et la fonction Recueil de notes de la sociologie de chacune et de lettres trouvées contemporaine. des 27 liasses parmi les papiers laissées par Pascal. de ce marxiste converti resté • Charles Ford un authentique Caméra et mus media L'érotisme progressiste. Mame, 158 p., 11,55 F. dans le roman Du bon usage des masCJ contemporain Rosa Luxemburg media. Choix et présentation Lettres à Karl et par René Varrln Luise Kautsky Ed. de la Pensée Trad. de l'allemand Salvador Giner Moderne, 320 p., 20 F. par N. Stchoupak Initiation Une anthologie et A.·M. Brackeà l'Intelligence de textes érotiques. Desrousseaux sociologique Présentation par Trad. de "espagnol Dominique Desanti par T. Jerphagnon André Thérive P.U.F., 212 p., 24 F Ed. Privat, 208 p., Procès de littérature Une correspondance 18,50 F. La Renaissance étalée sur du livre éd., vingt-deux ans Une vue d'ensemble 276 p., 28,95 F. et qui éclaire d'un objective et très Un ouvrage posthume jour nouveau actuelle. de l'auteur les conceptions de la de • Clotilde de Vaux., fondatrice disparu en juin 1967. du parti communiste La sociologie allemand. Ouvrage collectif sous la direction de J. Cazeneuve SOCIOLOGIE Lec Mellor et D. Vlctoroff PSYCHOLOGIE Lord Chesterfield Denoël, 548 p., 47,50 F. Mame, 340 p., 29 F. Collection Une grande figure • Dictionnaires P. Bertrand, V. Lapie, du XVIII' siècle. du savoir moderne -. J.-C. Pelle Dictionnaire d'information sexuelle Marcel Sauvage Odile Levassort E. Privat, 280 p., 25,60 F. J. et E. de Goncourt, Garçon. et filles précurseurs Une étude très ou le bonheur d'aimer complète où le vaste Mercure de France, Nombr. photos Mame, 368 p., 12,50 F. domaine de la sexualité 208 p., 19 F. 29


Livres publiés du 20 mars au 5 avril 19'70

L'amour pour les adolesl~ents d'aujourd'hui : un livre écrit par des jeunes, pour des jeunes. Serge Lebovicl Michel Soulé La connaissance de l'enfant par la psychanalyse avec la collaboration de S. Decobert et J. Noël P.U.F., 648 p., 44 F. Les applications de la métapsychologie freudienne dans les cures d'enfants. Suzanne Mathieu

Le célibat féminin Mame, 230 p., 16,50 F. Les motivations du célibat féminin et sa problématique dans le monde actuel.

de la linguistique structurale américaine. J.-l. Boursin P. Caussat Autopsie du hasard Bordas, 334 p., 19,30 F. Une étude à la fois philosophique et mathématique sur le concept de hasard. • Martin Heidegger Traité des catégories et de la signification chez Dun Scot Traduit de l'allemand et présenté par Florent Gaboriau Gallimard, 240 p., 26,50 F. Ecrit Immédiatement avant .. Sein und Zeit-, une méditation sur le problème de la langue et sur ie problème de l'être.

.Gérard Legrand .P.C. Racamier Pour connaître la psychanalyse la pensée sans divan des pnisocratiques la psychanalyse et les Bordas, 174 p., 10 F. Institutions de soins Une étude très complète psychiatriques sur une pensée Avec la collaboration dont les philosophes de R. Diatkine, contemporains S. Lebovici, P. Paumelle, redécouvrent l'actualité. P. Béquart, l. Carretier, S. Ferraresi-Taccani, D. Masson Payot, 424 p., 42,60 F. La pratique psychanalytique BSSAIS en milieu institutionnel. Marguerite Quidu Le suicide Préface de Paul Sivadon E.S.F. éd., 160 p., 28 F. Les aspects psychopathologlques et sociaux du suicide. • Daniel Wildkôcher Freud et le problème du changement P.U.F., 216 p., 30 F. Les principales étapes de la découverte des changements individuels en psychanalyse.

PBILOSOPHIB LINGUISTIQUE .Leonard Bloomfield Le langage Trad de l'américain Avant-propos de Frédéric François Payot, 552 p., 49,60 F. Traduit pour la première fois en français, le livre capital du père

30

André Bonnard Les dieux de la Grèce Rencontre, 288 p., 17,60 F. Les grandes figures de la mythologie, vue par un grand hélléniste. J.A. Baker La colline de l'été Trad. de l'anglais par E. Gaspar Mercure de France, 200 p., 18 F. Un livre qui est le fruit d'une longue fréquentation amoureuse de la nature. André Deledicq Initiation à l'intelligence informatique Ed. Privat, 180 p., 18 F. Les conceptions fondamentales de l'informatique et ses diverses applications.

HISTOIBB

Jorgen Haestrup Le mouvement de la Résistance danoise 1940-1945 préface de Rémy Presses de la Cité, 42 p., 22,50 F. A l'occasion de l'exposition qui se déroule actuellement à la Maison du Danemark à Paris.

POLITIQUB ECONOMIE

Cyril Alfred Akhenaton 145 photos • Joe Mc Ginnlss dont 17 en couleurs Comment on • vend • Jules Tallandier éd., un président 271 p., 58 F. Arthaud, 224 p., 19,80 F. Les mystères du règne Dans les coulisses de ce pharaon mystique des élections qui fut le premier présidentielles monothéiste américaines. de l'histoire. lieutenant Chevalier Souvenirs des guerres napoléoniennes Publiés d'après le manuscrit original de Jean Mistler et de H. Michaud Hachette, 338 p., 30 F. Non moins émouvant que les • Cahiers du Capitaine Coignet-, le journal, tenu de 1789 à 1815 par un héros de l'épopée napoléonienne. Dominique Eudes Les Kapetanlos La guerre civile grecque de 1943 à 1949 Préface de Poulanzas 16 p. de photos Fayard, 496 p., 30 F. Un livre qui éclaire singulièrement la situatlon actuelle de la Grèce. Fritz Fischer Les buts de guerre de l'Allemagne Impériale Préface de Jacques Droz Trévise, 556 p., 62 F. Les responsabilités allemandes dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Jean Parent la concentration industrielle P.U.F., 224 p., 12 F. Les relations de la grande entreprise avec la société. Patrice

La France Impossible R. Morel, 256 p., 25 F. Un pamphlet d'une grande lucidité sur le malaise et la maladie de la France actuelle. Bernard Voyenne le droit à l'information Aubier-Montaigne, 224 p.. 15 F. La liberté de .Ia presse dans la France d'aujourd'hui.

A. Wolfelsperger Les biens durables dans le patrimoine du consommateur P.U.F., 160 p., 30 F. Une étude de théorie économique qui met "accent sur le rôle que jouent ces biens, en tant qu'actifs à la fois physiques et financiers.

Heinrich Frles •

Lénine vivant Préface de Anastase Mikoyan Fayard, 128 p., 18 F. Un album de 145 photos pour la plupart inédites, de Lénine. Jean-Pierre Migeon. Jean Jolly A qui la Palestine 7 Nombr. cartes Edition Spéciale, 256 p., 21 F. Un dossier complet, par deux journalistes de • L'Aurore -. J.-P. N'Diaye Négriers modernes Présence Africaine, 128 p., 12 F. Le dossier explosif d'une exploitation sordide. Jacques Sadoul Le trésor des alchimistes 12 i11. hors texte 344 p.. 24 F. Qu'est-ce que l'alchimie, qui furent les grands alchimistes. comment devenir alchimiste? Shabtaï Teveth

J.V. Luce L'Atlantide redécouverte 114 photos dont 14 en couleurs. Jules Tallandier éd., 223 p., 55 F. Une étude appuyée sur les découvertes les plus récentes de l'archéologie, de la sismologie et de l'océanographie. • Relations des ambassadeurs vénitiens Choix et introductions de François Gaeta Trad. de J. Chuzeville Klincksieck, 384 p., 48 F Ouvrage classique et introuvable édité dans la collection Unesco d'œuvres représentatives.

Les chars de Tarnmuz

DOCUM.NTS

Uri Dan L'embargo 12 illustrations h. t. Edition Spéciale, 256 p., 21 F. Edition revue et augmentée de de • De Gaulle contre Israël-•

Mary Bosanquet Vie et mort de Diebich Bonhoeffer 4 p. de hors-texte Casterman, 304 p., 22 F. La pensée et l'action de ce grand théologien exécuté par les nazis.

32 p., d'i11. hors texte Rencontre, 368 p., 17,60 F. La campagne des blindés israéliens pendant la Guerre des Six Jours.

.José Yglesias Dans le poing de la révolution Trad. de l'américain par Elisabeth Gille • Dossiers des Lettres Nouvelles Denoël, 336 p., 28 F. Georges Guette A travers la chronique La tour octogone d'une petite ville Postface d'A. Decaux cubaine, une image Planète, 512 p., 29,50 F vivante de la révolution L'histoire tragi-comique de l'ancienne vécue au niveau souveraineté de la réalité de Dombes. quotidienne.

La foi contestée Trad. de l'allemand par H. Rochais Casterman. 224 p.. 15 F. la foi est-elle encore possible aujourd'hui'1

Y. Kaufmann Connaître la Bible Trad. de l'hébreu par l. Toboul et C. Duvernoy P.U.F., 400 p.. 32 F. Un des monuments les plus importants .de la culture hébraïque moderne. D. Mackensie P. Brown Paul nllich s'explique Trad. de l'anglais par Jean-Marc Saint Planète, 368 p.. 29.50 F. A travers un débat organisé dans une université américaine, une introduction à la tMologie de PaÜI Tillich. Michael Novak Où est dieu 7 Mame, 240 p., 19 F. la profession de foi d'un laïc de notre temps. Cardinal Renard Vivre la fol en communion avec l'Eglise Fayard, 144 p., 15 F. Par l'archevêque de Lyon, Primat des Gaules. Gustave Thlbon Notre regard qui manque à la lumière Fayard. 256 p., 22 F. Une méditation sur la vie intérieure. les rapports humains et le rapport avec Dieu.

ARTS L'art moderne et le monde Sous la direction


de René Huyghe et de Jean Rudel 2.500 Illustrations Larousse, 2 vol. 784 p., 278 F (prix de souscription) Toutes les tendances et toutes les formes de l'art dans tous les pays, de 1800 à nos jours.

du plus célèbre livre érotique de tous les temps. Les cures Denoël, 256 p., 19 F. Un nouveau • Guide pratique de la vie quotidienne-.

Garnier/Flammarion Henry James Maud-Evelyn La mort du lion Introduction par T. Todorov Traduit de l'anglais par L. Servlcen Aubler-Flammarion/ Collection bilingue.

Fernand Lequenne

La Renaissance en Italie Texte et photos de H. Decker 4 hors-texte couleur 295 III. en héliogravure 27 plans et croquis Braun éd., 352 p., 75 F. Belgique romane Texte de A. Courtens Illustrations de Jean Roubler 30 hors-texte couleur 125 III. en héliogravure 24 plans et croquis Braun éd., 224 p." 89 F. Merveilles des châteaux de Bretagne et de Vendée Préface de L. Guilloux 300 photographies dont 55 en couleurs Hachette, 308 p., 96,60 F.

HUMOUR VOYAGES DIVERS Joies de la gastronomie La cuisine aux étoiles Nombr. illustrations en noir et en couleurs Hachette, 340 p., 75 F. Un panorama de la France gastronomique. Ils sont fous, ces gauchistes 1 Citations recueillies et commentées par Dominique Venner Ed. de la Pensée Moderne, Un recueil . des meilleures phrases et prophéties démenties par les faits, signées Marx, Staline, Marcuse, Mao Tse Toung, Castro, etc. J. Lanzmann Wolinski Kama-Soutra 1970 80 illustrations Edition Spéciale, 200 p., 12 F. La quintessence érotique et humoristique

Le livre des boissons

31 Illustrations R. Morel, 400 p., 40 F. Une encyclopédie fort vivante sur l'histoire des boissons et l'art de boire à travers les âges.

Jules Vallès L'insurgé Garnier/Flammarion.

Bilingue AubierFlammarion. Michel Vachey Amulettes maigres Pierre Jean Oswald/ Contes et poèmes. Paul Valéry Eupalinos L'âme et la danse Dialogue de l'arbre Gallimard/Poésie

I:SSAIS THÉATRB

Pierre Lleutaghi Le livre des arbres 75 pl. Illustrées R. Morel, 1.392 p. en 2 vol., 90 F. Un ouvrage sans équivalent, qui répond à toutes les questions que l'on peut se poser à propos des arbres J. Poujol M.Oriano Initiation à la civilisation américaine 150 illustrations Masson éd., 384 p., 25 F Un livre où se trouvent rassemblée, sous une forme vivante et condensée, la masse des renseignements de base nécessaires à qui veut comprendre les Etats-Unis. Jean Riverain La folle des extravagances 16 p. hors texte Hachette, 304 p., 28 F. De l'Antiquité à nos jours, une évocation des grands personnages dont les extravagances ont étonné le monde.

Livres

de poche

André Benedetto Rosa Lux

Colette Audry Léon Blum ou la politique du Juste Gonthier/Médiations.

P.U.F.jSUP Les fondements historiques et philosophiques de cette esthétique et l'opposition entre l'art révolutionnaire et le réalisme socialiste Jean-Louis Bédouin La poésie surréaliste Seghers/P.S. Un panorama du plus riche courant de la poésie moderne Marle-Thérèse Bodart Marcel Lecomte Seghers/Poètes d'aujourd'huI. Une étude, Illustrée de nombreux Inédits, sur ce grand poète surréaliste belgé, découvert par Paulhan et disparu en 1966

Théâtre en France Bertolt Brecht L'achat du cuivre Trad. de l'allemand par E. Perregaux, J. Jourd'heuil, J. Tailleur L'Arche/Travaux Entretiens sur une nouvelle manière de faire du théâtre. Pierre Jean Oswald Georg Büchner Théâtre complet Traductions par A. Adamov et M. Robert L'Arche/Travaux Courteline Messieurs les ronds de cuir Garnier/Flammarion

POESIE

Louis Aragon Le mouvement perpétuel précédé de Feu de Joie et suivi d'Ecritures automatiques Préface d'Alain Jouffroy Gallimard/Poésie

LITTBRATURB

Roland Boyez Abîmes Jean Grassln/ Poésie actuelle

Andersen Contes

Emily Dickinson Poèmes

Aimé Césàire Discours sur le colonialisme Présence Africaine. Le Corbusier Sur les quatre routes Gonthier/Médlations Réédition d'un ouvrage paru en 1940 et devenu introuvable. Lucien Goldmann Racine L'Arche/Travaux. Montesquieu De l'esprit des lois Les grands thèmes Introduction et notes par J.-P. Mayer et A.F. Kerr Gallimard/Idées. Nietzsche La . naissance de la tragédie Trad. de l'allemand par G. Bianquis Gallimard/Idées

INÉDITS

Barthélémy Amengual Dovjenko Seghers/Cinéma d'aujourd'hui Un grand classique du cinéma soviétique Henri Arvon L'esthétique marxiste

Paul Chauchard Connaissance et maîtrise de la mémoire Marabout Service Comment mettre la mémoire en condition et l'exercer Marcel David La neurochirurgie Que sais-je?

R. Pinon et Ph. Soupault Seghers/P.S. Un panorama de ce folklore enfantin, essence de tout langage, de tout rythme, de toute poésie Jean-Jacques Marle Le Trotskysme Flammarion/Questions d'histoire Le trotskysme aujourd'hui Juan MarlneUo José Marti Seghers/Poètea d'aujourd'hui La vie et l'œuvre de ce poète cubain, héros de la lutte contre les Espagnols Alexander Mitscherlich L'Idée de paix et l'agressivité humaine par S. Bricianer Gallimard/Idées Une étude psychanalytique capitale sur la sexualité, l'agression et les difficultés de l'effort humain d'adaptation à la civilisation Jean-Jacques Nattiez Che. Guevara Seghers/Destins politiques d'Ernesto Guevara : une biographie éclairée par un choix de textes, pour la plupart inédits «

Jacques Fontaine La littérature latine chrétienne Que sais-je? Claude Guillot Les Institutions britanniques Que sais-je ? Alex Jacquemin Le droit économique Que sais-je? Jean Lacroix Spinoza et le problème du salut P.U.F.jSup. Le salut par la philosophie et le &alut par la fol. problème essentiel du spinozisme Louis Le Guillou lamennais Desclée de Brouwer Les Ecrivains devant Dieu Les comptines de langue française recueillies et commentées par J. Baucomont, F. Gulbat, T. Lucile,

Jean-Marc Pelorson Cervante. Seghers/Ecrivains d'hier et d'aujourd'hui Une étude qui s'écarte opportunément des sentiers battus du cervantisme G. Rodls-Lewis La morale stoïcienne P.U.F./SUP Les thèsEls maîtresses du système stoïcien Henri Rousseau L'électricité en France \Jue sais-je '! Raymond Ruyer Dieu des religions, Flammarion/Science Le problème du théisme et du principe de l'unité du monde il la lumière des grandes thèses de la science contemporaine

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