Quinzaine littéraire numéro 95

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L'aveu

Pablo Neruda


SOMMAIRE

LE LIVRE DE LA OUINZAINE ROMANS FRANÇAIS

J

4 t

POESIE

7

Julien Gracq

La Presqu'île

par André Dalmas

Jacques Borel

Le retour

par Anne Fabre-Luce

André Puig

L'inachevé

par Bernard Pingaud

Pablo Neruda

20 poèmes cr amour et une chanson désespérée Résidence sur la terre Mémorial Splendeur et mort de Joaquim Murieta

par Jean W,gner

par Simone Benmussa

Pierre Oster

Les Dieux

par Jean Vagne

Victor Hatar

Anibel

par G.-E. Clancier

11 12

Norman Mailer

Les Armées de la nuit

par J ean Wagner

Catherine Backès

Lévi-Strauss ou la philosophie du non-savoir

14 15

Léo Spitzer

Etudes de stvle

par Jean Roudaut

Victor Chklovski

Léon Tolstoï

par Yolande Caron

Henri Matisse

Exposition au Grand-Palais

par Marcel Billot

Dans les e:aleries

par Nicolas Bischower

9 10

ROMANS ETRANGERS

HISTOIRE LITTERAIRE· EXPOSITIONS

16 17 11

PHILOSOPHIE

Bernard Jeu

La philosophie S01Jiétique et r occident

par François Châtelet

19

HISTOIRE

Fritz Fischer

Les buts de guerre de rAllemagne impériale

par Marc Ferro

20

ECONOMIE POLITIQUE

J.<'rançois Perroux

Indépendance de nationale et interdépendances des nations

par Philippe J. Bernard

François Perroux

Aliénation et société industrielle

par Jean Duvignaud

Trotsky

Nos tâches politiques

par Annie Kriegel

Bernard Thomas

Jacob

par Alain Clerval

L'aveu

par Roger Dadoun

Tristana

par Jacques-Pierre Amette

Chéreau au Piccolo

par Gilles Sandier

Publicité littéraire: 22, rue de Grenelle, Paris (7e). Téléphone : 222-94-03.

Crédits photographiques

11 11 2J 25 16

POLITIQUE

r économie

CINEMA THEATRE François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach. Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Doininique Fernandez, Marc Ferro, Gilles .Lapouge, Gilhert Walusinski.

La Quinzaine htteralre

Secrétariat de la rédaction : Anne Sarraute. Courrier littéraire: Adelaide Blasquez. Maquette de couverture: Jacques Daniel.

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Vasco Gallimard éd. Gamma Denoël éd. David Lévine © Opéra Mundi David Lévine © Opéra Mundi Roger VioUet D.R. D.R. Augustin Dumage Gallimard D.R. D.R. D.R. D.R.


LB LIVRB DB

LA QUINZAINE

A vouloir à tout prix éclaircir le secret de la création littéraire, on le rend, disait Jean Paulhan, plus obscur et plus sombre, dans le meilleur des cas. Sitôt entrevu, le secret retourne aux profondeurs qui le dissimulaient et l'on risque alors de se perdre sans espoir dans le courant des eaux intérieures où se nourrit la sensibilité de l'écrivain.

1

Julien Gracq

La Presqu'île

José Corti, éd., 256 p.

Le secret, notait encore Jean Paulhan, ce n'est peut-être que l'évidence - cette évidence qui se dérobe au regard tant elle est aveuglante, au sens propre. En ce qui concerne Julien Gracq, rien ne semble en effet plus trompeur que de vouloir absolument attribuer un dessin précis au cheminement de cette turbulence interne que révèle' au moins attentif des lecteurs la rigueur de ses textes. Mais quelle évidence? L'avis au lecteur qui, il y a plus de trente ans, introduisait Au Château irArgol, premier livre de l'auteur, soulignait l'importance qu'avait conservé à ses yeux l'expérience surréaliste, seule capable, disait-il, d'apporter

«autre chose que fespoir irun renouvellement », en ravivant « les délices épuisés du paradis toujours enfantin des explorateurs ». On se méprendrait en soutenant que, par ces mots, Julien Gracq revendiquait l'usufruit d'un quelconque héritage du surréalisme. Et si, plus tard, il écrivit sur André Breton un essai que tout le monde, ou presque, a dû lire, le surréalisme a eu surtout pour lui la valeur exemplaire de l'exercice d'une liberté illimitée. Liberté de choisir ou de ne pas choisir ses compagnons (que ceux-là se nomment André Breton, Chateaubriand, Holderlin, Lautréamont, Kleist ou Jünger), liberté de parler (la Littérature à r estomac), liberté d'être seul, liberté enfin de suivre, dans la création, un itinéraire «romanesque:. constamment jalonné d'impasses inattendues, de détours aux résonances à lui seul perceptibles. Rien n'est plus éloigné des préoccupations de Julien Gracq que la composition et la technique d'un livre. Et l'on se trompera le moins

L'attente en disant que chacun de ses ouvrages est ainsi fait, en dehors des apparences, d'une suite de projets, modifiés ou gauchis par la découverte, chemin faisant, de perspectives nouvelles. Plus sûrement pour lui que pour tout autre, dans la littérature contemporaine, le travail d'écrire ouvre à tout instant, devant l'écrivain, un champ d'incertitude où peuvent se développer et s'épanouir les germes nouveaux de la sensibilité. C'est cette liberté que Julien Gracq s'accorde, qui, toutes proportions gardées, le rapproche et l'éloigne à la fois d'André Breton. On se souvient (mais il est toujours temps d'en relire le texte) de la façon subtile et savante dont il a parlé de la phrase d'André Breton: «Jusqu'au dernier moment sinueuse, en éveil, toute en courbes qui sont autant iramorces tendues à f arabesque

qui voudrait s'y greffer, oscillant comme r aiguille de la boussole, et attirant à elle comme un aimant tout ce qui flotte aux alen,.. tours de plus subtilement magnétisé, la phrase irAndré Breton prolonge son appel indéfini à la chance et à la rencontre, reste ouverte, disponible, prête à battre tous les buissons et à déserter les sentiers de récole.:. La phrase de Julien Gracq n'a pas cette apparence, ce mouvement de vague déferlante, tentant de capter au passage, non seulement l'imprévu mais aussi l'irrationnel, ou le simple inconscient. Chez lui, la syntaxe reprend son ordre traditionnel. Dans tous les cas, cependant, la phrase laisse sa chance au mot. Cette prose est celle d'un guetteur attentif à saisir l'image favorable, qui va le mettre en résonance avec le monde qui l'entoure. Chaque phrase semble avoir la faculté de décharger toute son énergie dans l'instantané, préservant ainsi l'avemr. Chacun des trois récits qui composent le présent livre présente ce caractère singulier de vagabondage, inédit dans son développement futur. Remarquablement décrite dans la forme qui la soutient, l'attention du lecteur est sans cesse attirée du côté du spectacle qui possède la plus grande charge affective. L'environnement, le paysage, la rumeur qui accompagne le voyageur dans sa découverte, prennent l'allure du rêve éveiIJé. Les couleuTll chan-

Julien Gracq, par Vasco geantes du ciel, l'ombre que porte le soleil à son déclin, l'odeur de l'humus, la masse devenue sombre d'un village à la nuit, la profondeur d'une pièce obs,cure ouverte sur la forêt, sont moins des miroirs que les révélateurs de présences insoupçonnées que le rêve rend à la réalité. Mais le projet initial frappe toujours, heureusement pourrait-on dire, par sa fragilité. Le prétexte du récit central, la Presqu'île, qui donne son titre à l'ouvrage, est le plus simple et le moins inattendu: l'attente d'uxie femme à laquelle le narrateur a donné rendez-vous dans une petite gare de Bretagne. Tout va

se passer de midi au crépuscule, à travers la presqu'île que l'homme entreprend de parcourir, de l'intérieur jusqu'à la mer. Rien n'est à l'avance déterminé, ni l'angoisse ou l'impatience de l'attente, ni la survivance des fantômes de l'enfance. Le voyage semble avoir la durée de toute une existence, de l'enthousiasme d'une liberté retrouvée au silence glacé qui l'achève. Pourtant le monde s'est entre-temps entrouvert, donnant au narrateur le plaisir d'épuiser, en quelques heures, toute l'inquiétude qu'un homme peut ressentir au sein des forces naturelles qui l'entourent et l'assaillent. Le roi Copehuta débute aussi

~ La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970

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ROMANS

~

Julien Gracq

Nostalgie du temps perdu

FRANÇAIS

,par le souci d'une attente. Ici le narrateur se rend à l'invitation de l'un de ses amis, dans la propriété de celui-ci, au nord de Paris, tandis que, au-delà de la forêt, se fait entendre le roulement du canon durant la première guerre mondiale. Mais personne ne vient sans qu'on sache si cet ami est simplement absent, ou disparu à jamais. Le narrateur reste seul dans la maison obscure, en compagnie d'une servante dont les apparitions marquent, seules, l'écoulement du temps. Un tableau entrevu dans l'ombre, ce1ui du roi Copehuta et de sa servante-maîtresse fait naitre chez le visiteur le sentiment que quel,_ qu'un dans ,cette retraite l'at~end ,absolument: la servante ou le maitre, l'un et l'autre préfigurants _ i~i une inéluctable disparition. Dans son existence s'ouvre' alors un intervalle clandestin qui n'est --sans doute que l'ébauche d'une aventure brusquement resurgie de l'inconscient;---par l'attrait même de ce lieu désert et abandonné. Autre étrange récit que celui de la Route (1), premières pages d'un roman resté inachevé. Un, voyageur circule à cheval à travers une province' apparemment déserte qui parait, dans son désordre exubérant, où la nature a repris le dessus, être sortie intacte de la nuit des temps. Une route, dont le vestige est comme une cicatrice tracée à la surface de la terre, est l'unique témoign n u passage des anciens envahisseurs. Le long de ce paysage énigmatique, le voyageur se sent suivi comme observé entre deux lignes de guet. Au-dessus des arbres, des fumées révèlent la permanence d'une occupation. Des troupeaux de femmes, farouches et pitoyables, se hasardent quelquefois jusqu'aux abords de la route pour s'abreuver à une source de vie. Dans chacun de ces trois récits, le lecteur est constamment saisi entre deux présences, celle du narrateur qui s'épuise à découvrir, renaissant à chaque découverte par la vertu admirable du verbe, et celle d'un monde invisible, auquel est ainsi rendu son enchantement naturel, remis familièrement à porté de la main. André Dalmas (1) La Route a été publiée pouJ la première fois dans Commerce, à "automne 1963.

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Autant et plus encore que dans l'Adoration (Prix Goncourt 1965), Jacques Borel confirme avec le Retour que l'écriture est faite cc du même mol toujours aux prises avec la même aventure ». Cette aventure est celle d'un chasseur d'images qui, par plongées successives, tente d'en finir avec« la prolifération infinie» des souvenirs qui le hantent.

1

Jacques Borel Le Retour Gallimard, éd., 552 p.

Tel l'itinéraire proustien, qu'il évoque à plus d'un titre, ce «retour» n'est autre que la recherche passionnée d'un sens profond de l'être qui se dérobe sans cesse à l'investigation dont il est l'objet. Se libérer des images par l'écriture des images elles-mêmes, voilà le but d'une quête à la fois triomphante et torturée qui se poursuit pendant plus de cinq cents pages. , Contrairement à (Adoration où les lieux paraissaient surgir à partir des êtres aimés (la grand-mère, la mère du narrateur et plus tard, les femmes), l'auteur a choisi dans le Retour la méthode inverse qui consiste à visiter, pièce par pièce; la maison de son enfance. C'est il partir- des lieux que chaque être devient alors comme un paysage au cours de la visite de la maison de Mazerme. On peut alors se demander ce qui est le plus important: si ce sont les êtres aimés et perdus ou bien les lieux eux-mêmes qui leur ont survécu dans la réalité et surtout dans la mémoire du narrateur. D'ailleurs, sous le couvert des diverses pièces de la maison, transfigurées' par le temps en paysages intérieurs, on sent bien que c'est l'écrivain lui-même qui tente de déjouer les sortil~ges dont il se sent la proie. , La vraie question, et qui demeurera sans ,réponse, c'est: « Comment suis-je devenu ce que je suis? et pourquoi ne puis-je pas être un autr~ ?» La recherche de «cet univers sans faille, où tout étqit plein, ordonné, signifiant » est la seule illusion que le narrateur puisse opposer au monde adulte qu'il vit dans l'an-

goisse et la déchirure incessantes. C'est donc «pour s'arracher à un présent miné, irrespirable, où famour n'est plus possible qu'il ne peut pas ne pas refaire chemin », accomplir 'le pèlerinage aux sources, contenlpler une fois encore les femmes qu'il a aimées, remonter leur cours sinueux comme celui des rivières de l'enfance. Il sait à quel point ce livre est «un salut par la fuite» réalisé sur le monde du désir qui fait revivre les images. Pour le narrateur, comme pour le Marcel de Proust, les essences se situent au-delà de la vision métaphorique des éléments du passé. Pour lui, le petit heurtoir de bronze sur la porte de la maison de Mazerme, la lampe pigeon posée sur le coin de la cheminée, l'assiette qui se métamorphose en paysage, les rites immuables de la vie familiale doivent recéler de mamere indéfinissable et obscure l'être de celui qui, enfant, les regardait. Les décrire, c'est leur arracher cette essence intime dont la quête ne cesse de s'imposer à la conscience de celui pour qui ils existent encore. Au désir passionné de cette identification par le corps et ,par l'âme avec les imagcs de l'enfance, s'associe l'angoisse étrange de ce qu'elles peuvent révéler et détruire. Le présent, chancelant, il est vrai, mais réel, le temps « d'après le livre» surgit tout à coup. Il fait du narrateur un fossoyeur d'ombres, qui décrit un univers perdu, un tricheur qui choisit une manière de mourir au monde en se laissant bâillonner, juguler par des fantasmes inutiles. La patiente et minutieuse recherche des images, n'est plus alors qu'un jeu que le narrateur joue avec lui-même et aussi contre lui.même, puisqu'en définitive, il se retrouve dépossédé de toute forme de réalité, qu'elle soit passée, présente, ou à venir. On peut aussi discerner dans ce livre, comme dans (Adoratio'n, une image absente qui s'inscrit obstinément tout au long- du texte: c'est ,celle _du père disparu peu après-la naissance de Pierre Deligne. C'est ici que, au delà de la quête de soi, et débordant de loin se~ frontières avouées, se substi· tue la recherche d'une paternité pour le monde révolu dans le-

ce

quel on a connu le bonheur. Cc à quoi le narrateur nc peut se résoudre, c'est à l'absence de Loi, de puissance ordonnatrice qui au· raient dû exister à Mazerme. Et ce qu'il cherche dans Mazerme c'est la raison de ce scandale d'une absence jamais, comblée, le sens de cet univers parfait qui a pu fonctionner si longtemps sans justification énonçable. C'est à partir de cette faill(' fondamentale que l'entreprise de J'écrivain peut soudain t'hanger de signe: L'œuvre elle-même devient fantomatique, tout comme celui dont elle traque -la présence; elle ressuscite certes des images gratifiantes; sécurisantes, mais elle laisse surgir d'autres fantômes; elle fail du présent, du passé et de l'avenir des temps morts, elle consomme l'échec de la vie adulte par les effets d'une douloureuse et négative maïeutique. La recherche «des verts paradis» aboutit à la négation du réel, à sa désintégration irréversible. Elle restitue «le faux endroit» du passé et ne donne du présent qu'un envers. Déchiré entre le désir d'écrire pour capter «le rien de la textu· re des jours », c'est-à-dire ce qui est essentiellement non-restituable, le narrateur s'aperçoit qu'il n'a pas su vivre: « Vivre, c'était pour moi une difficulté surhumaine... A vare, inquiet, divisé, ni de la vie ni de l'écriture, en somme, je ne voulais rien abandonner, tremblant toujours de laisser perdre quelque chose de l'une QU de (autre. » (209). D'ailleurs, l'écriture «est un lâche sucèédané de la mort », c'est une conduite de fuite, une manière de vivre par procuration dans un temps qui n'est plus et qui lui fait mimer le retranchement du monde de sa mère internée. Le drame du «pèlerinage aux sources» est aussi qu'il s'accomplit dans la solitude; il faut faire le vide autour de soi et devant soi pour s'y livl'er. Et quand le li,vre est fini, «l'ombromane» se retrouve seul, déçu par les mythes dont il attendait de percer le mystère. La fuite dans le passé se heurte au présent qui «s'obstine à écorcher de grandes balafres à vif ~ le~ tendres souvenirs de l'e~fance. Le n'arrate~r ne peut se «terrer» 80US la chape d'un passé


L'indisable secourable et rédempteur. «Ressuciter le passé, écrit-il, c'est constater sa mort ». Pourquoi, alors, ne pas renoncer à ce monde exsangue qui ne peut faire de lui qu'un survivant acharné à sa propre perte, « bâillonné et mutilé dans son être ? » Parce que pas plus qu'aux ombres qui le hantent, le narrateur ne peut résister à l'écriture, au désir profond qu'il a de se livrer à ses «méditations paniques », même si elles font chavirer son monde quotidien. « Rongé par son enfance », il ne peut s'empêcher de créer des mythes et de les regarder agoniser sous ses yeux. Ce livre, qui se voulait une série de ponts lancés inlassablement entre le présent et le passé est bien plus qu'un récit de souvenirs. Les images «embaumées, couchées vives dans le noir sarcophage de récriture », alimentent «les orgies soliwires et in-. consolées de la mémoire ». Les reflets qui s'ébauchent dans ce vivier narcissique ne peuvent jamais parvenir à une totalisation, à un accomplissement définitif. Jamais ne surgit la «vision crépusculaire» dont rêve le chasseur fasciné. Bien au contraire, par leur «afflux limoneux », les images soulignent la contradiction permanente qui fait du narrateur un être de distance doublé d'un être de panique. '" Jacques Borel nous présente ici une saisissante autobiographie de ses propres mythes. La richesse du texte tient non seulement à la profusion de la matière mais sur-· tout à l'amhiguïté constante que le narrateur entretient quant à l!es propres fins. Aja fois possesseur unique d'un univers d'images figées qu'il lui appartient de faire revivre et d'exorciser par l'écriture, l'auteur est aussi la victime lucide de son propre théâtre. C'est en proie aux omhres qui l'assaillent sans répit qu'il nous livre et qu'il livre· ce long combat intérieur à l'issue duquel seul le livre fait figure de vainqueur~

On peut dire que ce récit à

« l'imparfait », entrecoupé de dialogues avec lui-même, exprime avec une authenticité parfois presque insoutenable la déchirure que la nostalgie du temps perdu inllige aux êtres. Anne Fabre-Luce

Préfacé par Sartre, VOICI un livre qui nous ramène vingcinq ans en arrière, à la belle époque de l'existentialisme et du café de Flore. A ceci près que les personnages, en quittant Saint-Germain-des-Prés pour Montparnasse, ont laissé derrière eux quelques illusions: dans L'inachevé, le roman existentialiste fait son autocritique.

André Puig L'inachevé preface de Jean-Paul Sartre Gallimard, éd., 296 p.

1

La scène se passe au Gymnase, un dimanche matin. Georges prend son petit déjeuner. Il a devant lui une chemise en carton «couleur violette un peu fanée» qui contient tout ce qu'il a écrit depuis quatre ans: une nouvelle de quarante pages, dont le héros s'appelle Marcel (et que nous avons pu lire au débùt du roman), des notes, des fragments de dialogues se rapportant à deux autres récits envisagéR: l'histoire de Robert et celle de Lucien. Naturellement, Marcel, Robert, Lucien ne sont que div~rs avatars de Georges. Méditant sur l'inconsistance de sa vie - laquelle se résume, pour l'heure, dans une liaison usée, mais difficile à rompre, avec une jeune femme mariée, Annette - Georges médite aussi, rêve plutôt sur une œuvre future. Achèvera-t-il les deux histoires commencées? Développera-t-il celle de Marcel? Essaierat-il de les mettre toutes les trois bout à bout et d'écrire le roman exhaustif qui lui permettrait de se connaître enfin, de tout savoir sur lui-même ? Les diverses hypothèses sont essayées à tour de rôle. Elles se heurtent à deux difficultés. La première est clairement exprimée: c'est que chacune des incarnations de Georges forme un personnage· autonome. qui a son humeur, son style propres. Impossible de passer sans artifice de Marcel à Robert, de Robert à Lucien. Quoiqu'ils représentent tous trois Georges et que leurs biographies tendent à se rejoindre (les mêmes souvenirs, les mê· meR impressions pourraient être

La Quinzaine littéraire, dli 16 au JI mai 1970

André Puig

utilisées dans les trois histoires),

il y a entre eux une différence

foncière qui les isole: le propre du . « personnage» est d'être une totalité close. La seconde difficulté n'est pas dite, ou plutôt elle n'est dite que négativement, en creux, par cette hétérogénéité même: c'est que Georges, lui, n'est pas, ne sera jamais une totalité. Georges - on peut le supposer - a lu Sartre. Il connaît donc « l'inadéquation de l'homme à luimême », il sait qu'une personne est «une totalité qui sans cesse se détotalise », et ne peut donc que se manquer à l'instant même où elle croit se saisir. Pour nous rendre sensibles à ce manque, Puig use d'un procédé original, qui consiste à tutoyer son héros. Quoiqu'il l!oit au centre du roman, Georges ne possède pas la belle autonomie de Marcel, de Robert, ou de Lu· cien, ces êtres clos dont on parle en disant «il ». Georges est un « tu », une seconde personne. Seconde personne de qui? Comme dans la Modification, où Butor employait le «vous », ce «tu» doit renvoyer à un «je» caché. Mais l'effet de distance n'est pas le même. Le locuteur invisible, ici, ne représente pas une conscience anonyme, quelque chose comme un juge d'instruction attentif à fixer les faits et gestes de son client. C'est au contraire quelqu'un de très proche, de sin· gulier, un complice qui ne se

distingue qu'à peine de son interlocuteur. Apparemment, Georges se parle à lui-même, et l'on peut voir dans sOn tutoiement l'effort perpétuellement déjoué de la conscience pour exprimer sa propre coïncidence avec soi. Ecart infime, et pourtant décisif, qui, en détruisant l'illusoire plénitude de la première personne, marque du même coup sa béam~e originelle, son incapacité à se rejoindre. Mais en dernière instance comme le montre Sartre au terme d'une analyse serrée - le «je» caché de L'inachevé, c'e1<t l'auteur lui-même, Puig dénonçant par le truchement de cette interpellation l'illusion réaliste naïve dans laquelle s'enferme son hér~s, et qui lui fait croire qu'en mettant de l'ordre dans sa propre histoire, en unifiant ses diverses figures, en coulant dans un temps unique ce qui fut vécu simultanément à des rythmes différents, il pourrait, à la manière des personnages du roman traditionnel, «se produire comme un tout achevé dans un livre qui, du même coup, serait lui-même une totalité parfaite, toute ronde, close, et se suffirait. » Le «tU» permet un «renversement copernicien» de la perspective romanesque: l'image (la fiction) ne sert plus, comme autrefois, à «viser la réalité»; maintenant, «c'est la réalité qui. se dévoile indirectement en dénonçant l'image dans son irréalité ».

• 5


LES REVUES

~

André Puig

Comprenons que le «tu », dans la mesure où il disqualifie l'entreprise imaginaire de Georges - et Georges lui-même comme personnage compromis dans sa propre aventure - nous renvoie à une réalité absente, à une présence invisible, celle qui ~outient la dénonciation, «Puig en personne ». Ainsi, ce que Georges manque, Puig le réussit: «sur f échec de la technique réaliste, il instaure, sans nous en prévenir, une nouvelle technique romanesque fondée sur f apprésentation directe du Tout. »

Le piège fonctionne Pour ceux qui seraient tentés de croire que Sartre a trouvé dans L'inachevé un simple prétexte à renouer avec une réflexion longtemps interrompue sur la technique romanesque, disons tout de suite que l'œuvre n'est pas indigne de la préface et qu'effectivement, le piège monté par Puig fonctionne à merveille: si dérisoire que soit l'intrigue, si falot le personnage, .si éculé le thème du roman dans le roman, l'iutérêt se soutient de bout en bout. Le le~teur, séduit par le livre et convaincu par la préface, serait prêt à jeter par-dessus bord vingt années de «nouveau roman» et de littérature expérimentale et à saluer l'avènement du «roman critique» si, dans ce subtil jeu de glaces, il n'avait pas l'impression de retrouver l'image brouillée d'une théorie fort ancienne, qu'il faudrait peut-être nommer, justement, fidéologie du miroir. Peut-on dire qu'en dénonçant l'imposture d'un roman qui tend à totaliser l'existence et manque sa «pluridimensionnalité », l'œuvre critique nous libère de l'illusion réaliste? Je crois plutôt qu'elle nous y enferme. Car l'objectif reste le même: il s'agit toujours d'exprimer, de traduire quelque chose qui est déjà là, même si être déjà là, dans cette nouvelle perspective, consiste paradoxalement à ne pas être là. Aussi bien la réussite de Puig tient-elle, pour une grande part, à l'adresse avec laquelle il manie l'outil réaliste. Comme le souli.gne Sartre, Puig «sait convoquer les objets, parler d'une tasse, d'une vitre, d'un ciel ». Et sans doute «des procédés savants et

invisibles» donnent-ils aux choses « une sorte d'apesanteur» qui les «vide de leur être ». Mais cette apesanteur est encore à sa manière une pesanteur, une présence; l'image brouillée reste une image. Voyez, par exemple, avec quelle «réalité» existe la jeune fille inconnue du café: anti·per. sonnage, puisque Georges ne saura rien d'elle, puisqu'elle n'appartient pas à son histoire, mais personnage quand même, symbole de ce réalisme négatif qui soutient tout le roman. n y a d'ailleurs une équivoque dans la notion d'« indisable » qui revient à plusieurs reprises dans la préface et que Sartre emprunte à Flaubert. L'indisable est-il une signification plus difficile à saisir que les autres, celles aux· quelles s'arrêtait le roman réaliste? Est-il l'ensemble des si· gnifications que le récit cherche à totaliser? Ou n'est-il pas plutôt ce qui rend possible la diction, l'œuvre elle-même imprimant un sens global à toutes les significations qu'eUe rassemble, réalisant à son niveau (au niveau de l'écriture qui n'a plus rien à voir avec celui de l'existence) l'impossible vérité du vécu ?

Le roman-sujet Pour qualifier cette totalité ( <~ Puig en personne») que le roman désigne négativement, Sartre a une curieuse fornlule : c'est, dit· il, le «roman-sujet, une activité qui invente sa passivité et, du même coup, se coule en elle pour la maintenir en vie ». Mais l'œuvre peut-elle être un sujet? N'y a-t·il pas contradiction entre les deux termes? n me semble que Puig va plus loin, voit plus juste lorsque, tout à la fin du livre, il écrit: «Ce qui est le véritable fond de cette histoire... c'est le silence.» Silence non pas de la conscience échouant à se saisir, mais de l'œuvre qui ne parle qu'en apparence, qui croit que, parce qu'elle utilise les mots du langage quotidien, elles est faite comme lui pour dire quelque chose. Si la multiplication des mi· roirs ne nous fait pas sortir de l'illusion, c'est que l'illusion est dans le miroir même. Autrement dit, le roman, en un sens, ne peut pas échapper au réalisme. Cette· hypothèque pèse

sur lui depuis l'origine, depuis l'époque où pour se justifier du soupçon de frivolité, il a dû se présenter comme un moyen de connaissance, - et non pas seulement depuis le XIX' siècle. L'histoire du roman n'est rien d'autre que la succession de ses efforts pour «apprésenter» une réalité qui toujours se dérobe, pour sub· stituer à des miroirs trop grossiers des miroirs plus fins, plus sélectifs.

Le mirage d'une forme Mais, en un autre sens, le ro· man n'a jamais cessé de dénoncer, par sa réalité même l'illusion qui l'anime. Tous les grands romans sont des romans critiques qui, sous couleur de raconter une histoire, de faire vivre des personnages, d'interpréter des situations, glissent sous nos yeux le mirage tangible d'une forme. n faudrait donc renverser la perspective et se demander si le désir de totalisation ne trouvent pas leur ori· gine dans le discours narratif, dans cette histoire de nous·mê· mes que nous passons notre vie à nous raconter à nous-mêmes. «Pour que l'événement le plus banal devienne une aventure, il faut et il suffit qu'on se mette à le raconter », notait déjà Ro· quentin dans la Nausée. Toute œuvre romanesque forme bloc : on ne peut y soustraire ou y changer un mot, la prolon. ger ou la dévier de son cours. C'est ce qui fait d'elle un leurre. Nous croyons y trouver l'expression de notre unité, alors qu'elle n'en manifeste que le désir. Nous croyons, en nous racontant, découvrir ce quelqu'un que nous sommes déjà. Mais ce quelqu'un n'existe que dans l'œuvre, il en est le produit et non pas la source. Et ceci parce que le propre d'un discours littéraire - c'est-à· dire d'un discours fixé une fois pour toutes - est de trouver sa référence, ses règles d'organisation en lui.même, et non pas dans l'expérience réelle ou imaginaire sur laquelle il s'appuie. A travers tous les détours qu'on voudra, le sujet qui écrit ne se saisira jamais dans le roman: il ne sai. sira que le roman qui, par définition, l'exclut.

Bernard Pingaud

CRITIQUE (N" 275)

L'Amérique (par Roger Kempf), Michel Deguy (par Daniel Wilhem), une réflexion sur l'art (par J.-C. Lebensztejn) , Kostas Alexos (Par Gilles Deleuze) et surtout une très belle étude sur Jean Vauthier (par Jean-Noël Vuarnet), tel est le sommaire du numéro d'avril de Critique.

LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE (N" 208)

Jean Giono ouvre le sommaire de ce numéro d'avril. Il est suivi par Guillevic, Philippe Jaccottet, José Cabanis et Marcel Arland. Les chroniques sont consacrées à Raymond Queneau, Samuel Beckett et au peintre Szenes.

LES TEMPS MODERNES (N° 285)

La revue de Jean-Paul Sartre devient, de numéro en numéro, de plus en plus italienne. Dans cette livraison, c'est tout un ensemble d'études consacrées à la situation des techniciens et employés, qui, toutes, proviennent de re" vues italiennes. L'université est le sujet du second ensemble: André Gortz déclare sans ambage: • Détruire l'université. et Jean-François Lyotard fait le point de la situation à Nanterre.

EUROPE (N"' 492-493)

Picasso est le thème de ce numéro spécial qui a réuni de nombreux collaborateurs notamment Rafael Alberti, Vercors, Raymond Jean, Jacques Madaule, Jean-Noël Vuarnet, Marie·Louise Coudert, etc. Ce qui rend cependant cette revue précieuse, c'est l'illustration: presque à chaque page, un des: sin de Picasso fait parfois oublier le texte ...

SIECLE A MAINS (N° 12)

Une revue trimestrielle imprimée en français à Londres dont le sommaire est dominé par un très beau texte d'Edmond Jabès où l'on peut lire: • Je n'ai de regard que pour ce que je ne vois pas et qui va bientôt, je le sais, m'éblouir. La route s'étend entre ses deux commencements. Le soleil brûle dans la nuit au lieu de battre, ou bat peut-être en brûlant, bat sûrement. La mort est complice de la création. La mort est le lieu absent où se tient, pour son accomplissement, le livre.. D'autre part, au sommaire, des textes de Louis Zukovsky, de John Ashberry et de AnneMarie Albiach. J.W.


PO&SII:

Neruda Dans un récent ouvrage sur J. L. Borges, M. R. Monegal soulignait que tous les jeunes poètes d'Amérique latine nourrissaient devant Pablo Neruda un solide complexe d'infériorité. Comme si sa grande ombre envahissant tout, il n'était plus possible de créer hors des chemins qu'il a tracés. Pablo Neruda 20 Poèmes d'amour et une chanson désespérée Trad. de l'espagnol par André Bonhomme et Jean Marcenac Editeurs Français Réunis. 105 p.

Résidence sur la terre Trad. de l'espagnol par Guy Suarès Gallimard éd. 228 p.

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Mémorial de Nle Noire Trad. de l'espagnol par Claude Couffon Gallimard éd. 341 p.

Splendeur et mort de Joaquin Murieta Trad. de l'espagnol par Guy Suarès Gallimard éd. 86 p.

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En ce qui nous concerne, l'amvre de Neruda nous semblait l'une des plus abond~mment traduites. Depuis T:Espagne au cœur que préfaçait Aragon en 1938, nous avions pu lire les trois tomes épais du Chant général, Tout rA mour, la C e n t a i n e d'amour, trois poèmes traduits par Guy-Levis Mano, plus une précieuse monographie de Jean Marcenac dans la collection « Poètes d'aujourd'hui ». Nous avions l'image d'un poète, politique. ment très engagé, chez qui le meilleur côtoyait le pire, parfois au milieu du même _vers, et pour qui tout était prétexte à poésie. Avec la parution simultanée de trois recueils et d'une pièce de théâtre, cette image un peu simpliste se modifie quelque peu. Il s'agit d'une œuvre immense par la quantité (aujourd'hui en· core, la majeure partie est iné· dite en français), multiple par

les thèmes : le lecteur a l'impression de s'enfoncer dans une forêt touffue où lianes, branches, feuilles, buissons s'enchevêtrent pour créer une fresque flamboyante, pleine de cris et de tendresse, essentiellement baroque comme ces films récents (ceux de Glauber Rocha par exemple) qui nous viennent d'Amérique du Sud. C'est pourquoi il serait trop simple de, ne privilégier - com· me on l'a souvent fait en France - que l'aspect engagé et directement politique de son œuvre. Ce thème n'apparaît qu'assez tard, en 1936 exactement: Ne· ruda était consul en Espagne lorsque éclata le coup d'Etat franquiste. L'Espagne était un pays qu'il aimait, à qui il avait consacré quelques textes où l'on chercherait en vain toute- allusion politique. Cet événement fut un choc qui devait transformer toute sa vie. En tête de l'un de ses plus beaux poèmes: «Les fureurs et les peines~, il écrira en mars 1939: «J'ai écrit ce poème en 1934. Que de choses sont sur· venues depuis lors! L'Espagne où je rai écrit est un amas de ruines. Ay !Si seulement avec une goutte de poésie ou d'amour nous pouvions apaiser la haine du monde, mais cela, la lutte et le cœur résolu le peuvent seule· ment. Le monde a changé et ma poésie - a changé. Une goutte de sang tombée sur ces lignes demeurera vivante en elles, indélébile comme T:amour. ~ Neruda, dans le «Mémorial de l'Ile Noire» qui date de 1961, reconnaît que «c'est peut·être alors qu'il a changé» :

regagnai ma patrie avec d'autres yeux que la guerre plaça sous les miens. D'autres yeux brûlés dans la fournaise, éclaboussés par mes larmes et le sang des autres, et je me mets à regarder et à voir plus en bas, plus {lvant dans le fond incléme.nt des associations. La Vérité lui restait collée" à son ciel auparavant .levint pareille à une étoile, puis se fit cloche, j'entendis qu'elle m'al'l'elait Je

Pablo Neruda â Grenwich Village

et

qu'à son appel hommes se rassemblaient.

d'autres

Pendant cette guerre d'Espagne, il écrit le recueil r Espagne au Cœur, recueil qui le fait connaître en France et que nous retrouvons dans une autJ;.e traduction au sein de Résidence sur la terre. C'est un cri du cœur, un chant d'amour et de colère où, dans l'invective, il trouve des ac· cents rageurs qui, parfois, font penser à Goya. Mais c'est aussi un chant de douleur où cet homme qui, jusque.là, avait connu une vie facile et agréable, prenait conscience du malheur du monde:

C'était le temps angolSse où les femmes portaient une absence comme un charbon terrible, et la mort espagnole, plus acide et aiguë que d'autres morts emplissait les champs jusque-là magnifiés l'ar le blé.

La guerre d'Espagne fut donc une sorte de catalyseur pour le poète. Elle devait le conduire au Parti Communiste chilien en 1945 (en 1969, il fut candidat de ce parti à la présidence de la République), à s'engager dans une activité directement politique (notamment sous la dictature de Gonzales en 1948 où il dut prendre le maquis) et à illustrer, se· Ion son optique précise, avec plus ou moins de bonheur, tous les événements du monde. C'est ainsi que, pendant la seconde guerre mondiale, il écrivit un «Chant à Stalingrad» dont quelques vers sont parmi les -plus beaux Que cette guerre inspira:

Garde-moi une parcel~e de violente écume, garde-moi un fusil, garde-moi un sillon, et qu'on le place dans ma sépulture avec un épi rouge de ton domaine, pour que fon sache, s'il subsiste quelque dOltte,

~ La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970

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~

Neruda

que je suis mort en t'aima.nt et que tu m'as aimé, et,que si· -je-n'ai pas combattu dans ton enceinte je laisse en ton honneur cette grenade obscure, ce chant cramour à Stalingrad. Et l'on se souvient des impré. cations antiaméricaines du Chant général (il devait par la suite, dans un poème inédit en français, écrire une «chanson de geste» à la gloire de la Révolution cu· baine). Comme' à nombre de poètes communistes, la révélation des ,crimes staliniens allait faire l'ef· fet d'une douche froide. C'est Claude Roy qui, dans sa. préface au dernier livre de Loys Masson, .raconte cette anecdote: «Le poè. te chilien évoquait le tournant de sa vie des grandes désillusions, le fameux. rapport «attribué 2 à Khrouchtchev, et les crimes sans fard que personne n'attribuait mais que, disait Neruda, tous ceux qui en avaient nié la rfMtlité partageaient avec les criminels. Et Neruda avait conclu, avec son accent hispanique qui laissait rouler les r: «Ils nous ont fait descendre de cheval... » C'est alorS un retour sur lui· ,même avec cette autobiographie poétique le' Mémorial de rIle ;- Noire: le poète part à la recher. che. de son enfance, de son ado· ·lescence, de sa découverte de la poésie. Toute la dernière partie qui s'intitule «Sonate' Critique» est une sorte de mélopée amère sur la foi vacillante :

Nous avons peut.être le temps encore crêtre, et crêtre justes. D'une manière provisoire la vérit~ est morte hier, cela tout le monde le sait bien que chacun le dissimule : elle n'a point reçu de fleurs: elle est morte et nul ne la pleure. Et, plus loin:

... pour nous blesser, nous oubliâmes le pourquoi de notre combat. Dans ce recueil, il revient à ses thèmes de toujours, ceux qui mal" quaient ses premiers vers aux· . quels nous avons accès pour la première fois, ses «vingt poèmes

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d'amour et une chanson désespé. rée », ouvrage d'un jeune homme de· vingt ans· et toute .la.première partie de «Résidence sur la terre ». Pour la première fois donc, nous pouvons faire une lec· ture de quarante ans de création. Cette voix est amplifiée, a touché à tous les genres, tantôt épique, tantôt élégiaque, tantôt dramati· que, mais elle est, de près ou de loin, restée toujours fidèle à un seul thème: la terre. C'est, du reste, aussi bien la terre du Chili que la terre comme élément. Dès le premier quatrain, dès sa première métaphore, il est ce qu'il sera toujours, un poète minéral :

Corps de femme, blanches collines, cuisses blanches, r attitude du. don te rend pareil au monde. Mon corps de laboureur sa,uvage, de son soc a fait jaillir le fils du profond de la terre.

Il est l'homme du sang et de la sève, l'homme du métal et du bois. De cette matière première (il a écrit des Odes élémentaires inédites en France), il ne s'éloi· gnera jamais. Même dans ses poèmes les plus' contingents, mê· me dans ceux qui ressemblent plus à des pamphlets journalisti. ques qu'à des poèmes, il nous rappelle toujours, au détour d'un vers, ses racines. Qu'il parle d'amour ou de politique, sa réfé· rence unique reste la terre. Cette terre, elle est pour lui incarnée par le Chili, «la terre centrale du Chili, cette terre où/ les vi· gnes ont frisé leurs vertes cheve· lures,/ où le raisin se nourrit de lumière,/ où le vin naît des pieds du peuple ». On ne compte plus les poèmes qu'il consacre à ce qu'il appelle «sa douce patrie ». Ne retenons que le dernier en date; aux toutes dernières pages du Mémorial: La terre, ma terre, ma boue, la clarté sanguinaire du lever volcanique, la paix claudicante du jour et la nuit des séismes, le boldo, le laurier, araucaria occupent le profil de la planète, le gâteau de maïs, le corbeau de mer sortant de r étuve sylvestre,

r

la pulsation du condor s'élevant sur la peau 'ascétique de la neige, le collier des rivières qui exhibent les rar.srns de lacs sans nom... En fait, Pablo Neruda est un homme simple, un homme près de son peuple. Et l'on ne peut s'empêcher de le comparer à Vic· tor Hugo, aussi bien par la stature que par les sources d'inspiration. Dans son œuvre, on trouve aussi bien les C hunsons des rues et des bois, la Légende' des siècles que les Châtiments. Dans sa jeunesse, il a touché au roman. Il vient d'écrire une admirable pièce de théâtre: Splendeur et mort de Joaquin Murieta (que Patrice Chéreau vient de faire triompher à Milan), dont le héros principal est l'homme chilien, l'homme du peuple. Et comme Hugo, il a su toucher 'le cœur de cet homme du peuple: le tirage de son re· cueil: 20 Poèmes cramour et une chanson désespérée a dépassé le million. Comme Hugo, il ne dédaigne, pas l'abondance. Au cœur d'une 3trophe banale, on trouve soudain un vers admirable. Il ne trie pas. Il parle. Simplement, directe· ment. A un rythme très rapide, en utilisant pratiquement un seul procédé: la métaphore. Et si quelque obscurité semble parfois interrompre son discours, c'est toujours par l'approfondissement <J'une métaphore ou dans le téles· copage elliptique de plusieurs métaphores. (C'est en ce sens qu'on a pu le rapprocher du sur· réalisme auquel il est complète. ment étranger. Dès le début de sa carrière, sur le plan de l'art poé. tique, il s'est inscrit dans une tra· dition plus espagnole que sud· américaine. Quand il est arrivé à Madrid, dans les années trente, les grands poètes de l'heure, Lor· ca, Hernandez, Alberti, l'ont tout de suite reconnu comme l'un des leurs.) Poète considérable donc, Pablo Neruda est avant tout l'homme d'un continent. En assumant l'Amérique latine, il a envahi tout l'espace et laissé dans l'om· bre d'autres poètes qu'en d'autres temps on eût trouvé importants. Peut-être' simplement parce que personne .comme lui n'a su chan· ter ce continent. S'il lui est arrivé de se tromper en voulaut assumer

la terre entière, il a toujours su trouver les accents justes lorsqu'il n'a pas quitté ses racines. C'est alors qu'il nous touche. C'est alors que nous pouvons le faire nôtre. Jean Wagner

Pablo Neruda Splendeur et mort de Joaquim Murieta Mise en scène de Patrice Chéreau Piccolo Teatro de Milan Patrice Chéreau a fait une admirable mise en scène. Cette pièce est la seule œuvre dramatique de' l'auteur, une sorte d', oratorio insurrectionnel - racontant l'épodu héros-brigand légendaire pée Murieta qui partit au cours du siècle dernier pour la Californie au moment de la fièvre de l'or et qui d.evint le symbole de la liberté. pour les Chiliens et les Mexicains misérables sur leur terre veinées d'or, exploitées par les Américains. Neruda, à travers Murieta, montre la situation actuelle des Latino-américains. Dans sa préface, l'auteur donne tou· te liberté au metteur en scène. Cette œuvre est par moment, dit-il, ,écrite en farce, elle se veut un mélodrame, un opéra, une pantomime -. A propos du cortège funèbre de Murieta, il parle d'un « pathétique déguenillé, frôlant le grotesque -, vision qu'il avait eue d'un Nô à Yokohama dans un théâtre des faubourgs où, dit-i1,,« je sui.s entré comme un marin quelconque et où je me suis assis par terre -. Ces indicatiQns sont inspirantes pour un metteur en scène tel que Chéreau. Il nous propose sa lecture de la pièce. Si Neruda raconte la vie et la mort de Murieta sans utiliser d'intermédiaire, si le récit se déroule à l'époque où Murieta vécut, Chéreau, lui, va faire raconter cette histoire. Nous sommes comme ce marin qui s'assit un jour dans un théâtre de faubourgs. Dans une église désaffectée servant de remise, garage ou lieu de fêtes municipales, meetings, etc, arrive une troupe d'artistes minables de musichall, tournant dans les banlieues. Ils vont jouer devant un public de paysans et d'ouvriers l'histoire de Murieta. Cette troupe, Chéreau la représente d'une manière à la fois précise et dérisoire: visages las, apeurés, miséra· bles de sous-prolétaires du divertissement, costumes défraîchis, vieilles solidarités entre « artistes. déplumés, restes fanés, échos de galas de villes d'eau taries, travestis aux traits trop fins, aux gestes professionnels, à l'ambiguïté émouvante, fantaisistes, clowns, pauvres rats ridés, êtres sans poids dont le dessin irréel et précis se trace sans perspective. Ils ont des gestes frileux quand ils .arrivent danS> ce lieu gris et vidé où ils s'asseyent sur leurs valises dans les coins. Tout est merveilleusement vu: des détails de jeu comme, par e,xemple, le


A contre-courant refuge que trouvent les travestis près des vieilles grand-mères poussives, sortes de Marlènes soufflées en boa et gibus ou comme certains gestes fatigués quand Ils se défont hors de scène entre deux numéros. Dans ce lieu où se superposent d'autres lieux morts, Ils vont accrocher au plafond la traditionnelle boule à facettes comme on en trouve ~ncore dans les boîtes de la rue de Lappe qui va éclairer de ses petits miroirs ce monde de pacotille. C'est sous cette lune de bastringue qu'Ils vont interpréter l'histoire du rebelle Murieta. Chéreau insère dans sa mise en scène des citations de Visconti ou de' Strehler comme dans Richard 1/ il Citait Fellini (contrairement à ce qu'on en a dit, je ne vois pas là d'influence mais des références).

Pierre Oster

1

Les dieu% Gallimard, éd., 88 p.

Si, en lisant les poèmes de Pierre Oster, l'on pense d'abord, à Claudel, ce cousinage n'a rien de répréhensible à nos yeux. Il s'agit d'ailleurs plus d'un air de famille que de véritable ressemblance. D'une même, ou très voisine, articulation du vers et sur· tout d'une même idée profonde de la création poétique. En l'un et l'autre cas, 'le poète est celui qui est touché par mille sollicitations du monde extérieur ou intél'ieur que son esprit «rassemble:. Un héros (pour employer le mot claudérévolutionnaire' lien) et qui rétablit entre les apparences un ti88u de réalité que Ouel récit révolutionnaire cette trounos sens n'éprouvent plus immépe peut-elle, en effet, assumer puisdiatement. Une transmutation se qu'elle est dans l'immobilité, puisque son théâtre fige ce qu'il touche? Ce produit qui recrée de ces choses théâtre sans avenir donne le vertige. rassemblées, de ces sensations reLes ouvriers écoutent, d'abord étoncueillies ou sollicitées généreuse. nés, mais reconnaissant leur propre ment un monde qui est à la fois sort dans celui du rebelle, leur imagination fera basculer cette théâtralile nôtre et celui du poète et un té pétrifiée dans un vieux rêve. Ils autre dont les contours et la arrêtent, furieux, le spectacle, s'em-. substance se glissent entre les parent des tréteaux et les démolissent, prennent possession de leur his- ' vers.

tolre et vont alors raconter à leur manière, sans le théâtre, se servant tout de même des acteurs de music-hall Présence au monde pour représenter les oppresseurs, la 'suite de la vie de Murleta. Il redevient ce qu'il est, un héros révolution- . Mais il faut d'abord ce rassemnaire' alors que le théâtre en avait fait blement de tout dans le cœur du un personnage. Tout comme cette églipoète, cette attention, cette ou· se où ils se trouvent est désaffectée, verture de l'être. Le langage in· les comédiens, par, leur Inexistence, tervient, dont la fonction est d'at· ont désaffecté le théâtre. Ils hantent un lieu, les ouvriers vont l''habiter pour tester la réalité profonde de ce ensuite aller 'habiter d'autres lieux. qui est perçu et la connivence de Envahissement donc du théâtre par tout pour un même destin à la l'action, du personnage par le héros fois subi et concerté. Aucun homrévolutionnaire, du hanté par l'habité.

me, aucune chose ne restent seuls, sinon dans la mesure où ils veuThéAtre politique lent s'isoler. Tout un réseau de fines solidarités les relie, que le Les ouvriers quittent ce lieu et parpoète découvre, et en même tent raconter l'histoire de Murleta ou temps leur donne vie. La poésie, faire "Histoire ce qui maintenant revient au même. Ouant aux artistes de c'est d'abord cette présence au music-hall, leur chef (qui représente monde et cette volonté de le surle poète Neruda) parti avec les auprendre dans sa totalité à chaque tres parce qu'II est conscient du peu instant perçue, recréée. Et l'on -de validité du théâtre (ou de la poésie), Ils restent là encore plus démus'aperçoit que réunis, brassés, aunis, fantomatiques. se raccrochant .. ' thentifiés, êtres et choses prennent comme Ils le peuvent à leurs vocalises un sens pas toujours directement brisées, à un air émouvant de La Toslisible mais toujoul'!l pressant. ca, à leurs valises. Chéreau tente d'Investir la pièce de A ce «beau désir de mesurer Neruda pour dénoncer le moyen poétunivers et le ciel lumineu%:., tique dont celui-cI se sert mais, du Pierre Oster s'ouvre et son poème même coup, Il dénonce le moyen théâest une fête. Non pas sans omo tral qu'il utilise lui-même. Il met en évidence, pour les gens que nous sombres, mais sans haine ni révolte, mes, Installés dans les fauteuils du comme si tout le secret était de Piccolo' Teatro, les contradictions du s'ajuster à ce monde qui est nôthéâtre politique. tre, que l'on peut bien honnir ou Simone BenmUSSB La

Qui~aine

littéraire, du 16 ;lU JI

m;lÎ

1970

mépriser, dont la pensée peut bien croire qu'elle nous abstrait, mais dont nous sommes. A contre-courant donc des recherches ou pseudo-recherches d'aujourd'hui, cette poésie exalte l'homme dans son être et dans son univers. Elle est pleine d'arbres, d'oiseaux, de vent, d'insectes qui vivent leur vie surprenante et si, dans les interstices, d'étranges lueurs un 'peu inquiétantes sur· gissent, on sent bien qu'elles sont celles de nos carences, de nos distractions. Et Pierre Oster, suffi-

samment maître de son verbe pour se fier à lui, ne craint pas plus le lyrisme que la, rigueur. Nous sommes aU88i loin du «dia· lecte :. claudélien que du langage brut, à peine articulé, de certains essais récents. La métaphore, la syntaxe, la grammaire ne sont pas démons qu'il faille, exorciser, ni la musique ni même le «beau vers~. Oster ne craint pas d'être lisible, sachant que ce qu'il nous donne à lire l'emporte sur la fureur des mots en creux.

Jean Vagne

Paul Celan Paul Celan, qui résidait en France où il comptait de nombreux amis et admirateurs - Il était l'un des plus grands poètes de langue allemande vivants -, vient de mettre fin à ses jours. Il avait trente-neuf ans. Nous

reprenons d'un des numéros de • Lettres Nouvelles. (décembre 1965janvier 1966) ce poème qu'avait traduit pour cette revue la regrettée Denise Naville:

Dors donc... Dors donc. et mon œil restera ouvert. La pluie remplit la cruche. nous la vidâmes. La nuit fera germer un cœur - le cœur une brindille. Il est trop tard pour la faucher, madame. Tes cheveux de neige, vent de nuit. Est blanc ce qui me reste, et blanc ce qu~ je perds! Elle compte les heures. je compte les années. Nous avalâmes la pluie, la pluie fut avalée.

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LA REVUE DE L'AVANT-GARDE INTERNATIONALE

OTTO HAHN Littérature et Mystification PETER HANDKE Gaspard ANDY WARHOL Comment devenir un homosexuel professionnel MARTIAL RAYSSE Les Socialistes n'aiment pas leur mère GYORGY LIGETI De la forme musicale DANIEL BUREN Mise en garde N° 3 CARL ANDRE - MICHAËL HEIZER DAVID LAMELAS - PIERO MANZONI

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COLLECTIONS

ROMANS

L'univers

ÉTRANGERS

Le Manasement" (Fayard) Il

Après. L'aventure des civilisations" et • L'expérience psychique., les éditions Fayard lancent une nouvelle col· 'Iection qui sera Intitulée • Le Management -. Dirigée par Roland Claude, elle s'adresse aux cadres ou aux. managers. confirmés qui veulent définir ou renouveler leurs méthodes de tra· vail. Elle' sera divisée en trois sérJes qui se distingueront entre elles par la couleur de leur couverture: • Fonctions. (rouge), • Méthodes. (bleu) et • Expériences. (vert). ' Premiers titres: le Contrôle de gestion, par Henri Migeon; de l'Organl. satlon scientifique du travail au ma· nagement des entreprises; par Roland Claude; les Méthodes de créativité et d'innovation, par Abraham Moles et Roland Claude; la Suède socialiste, par Rolf Nording; Stratégie et' poli. tique de l'approvisionnement, par Jean Dautry-Lafrance. '

"Panoramas" (Seghers) Les éditions Seghers annoncent une nouvelle collection qui, sous le titre de • Panoramas., réunira une suite d'études sur les grands moments des différentes civilisations. Chaque volume comprendra une étude générale sur le siècle choisi qui s'efforcera d'en dégager les caractères politiques et sociaux et de brosser le tableau de ses réalisations lit· téraires, artistiques ou scientifiques. Un choix de textes particulièrement représentatifs, des tableaux synoptiques, une bibliographie complèteront rensemble. Premiers titres à paraîtres : le Siècle de Périclès, par Michel Nouhaud; le Siècle élisabéthain, par André Castagna; la Renaissance lta· IIenne en 2 tomes, par Ida Maïer pour le premier tome et Paul Larivaille pour le second. I l En direct" (Mercure de France)

• En direct. est le titre d'une nouvelle collection du Mercure de France. Dirigée par Jacques-Pierre Amette, elle se propose de donner aux lecteurs des informations • directes" sur les problèmes qui se posent, aujourd'hui en France, en particulier dans le domaine de l'éducation, de l'urbanisme, de la médecine" de la psychiatrie, etc. Les ouvrages pré· senteront soit des entretiens sur le sujet choisi, soit- l'opinion d'une personnalité directement concernée par le problème. C'est ainsi que le pre· mier volume de la collection, paru ces jours-ci Les Ouvriers - du tier· cé à la révolution, par Philippe Gavi, est constitué par" des interviews d'ouvriers enregistrées au 'magnétophone, sur la politique et la sexualité, l'amour et l'argent, la culture et l'aliénation, la révolution et le régime social. Le second, le Lycée unidimensionnel, a pour auteur J-Ienri Gunsberg qui s'appùie sur son expérience d'enseignant pour dressér un bilan sévè· re de la situation de l'enseignement secondaire en France d.epuls mai 1968.

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Le. êniJllles de l'univers" (Robert Laffont)

par G.-E. Clancier

Il

Depuis un mois, une demi-douzaine de collections consacrées aux sciences secrètes ont été créées simultanément chez les éditeurs parisiens. L'engouement de l'immense public virtuel que draine une collection telle que • Les énigmes de l'univers", la première du genre, puisqu'elle fut inaugurée avec éclat, dès 1966, par Fantastique Ile de Pâques (plus de 200.000 exemplaires vendus), est un fait dont on ne peut pas ne pas tenir compte. Le - livre de Francis Mazière, qui est le fruit de deux ans d'études et de fouilles sur le terrain, jouit, du reste, d'un succès mérité: il y a, dans ce récit, une chaleur, un ton d'authenticité indéniables dont l'auteur, qui est en même temps le directeur de la collection • Les énigmes de l'univers", a compris, et on ne peut que l'en féliciter, qu'II convenait de faire la marque distinctive de chacun des volumes qu'il devait publier par la suite.• Je suis, nous dit-il, un homme _sans parti pris. Aussi suis-je prêt à accueillir dans ma collection des ou'vrages aussi différents que les Mystères de la cathédrale de Chartres (plus de 70.000 exemplaires vendus), où Louis Charpentier, s'appuyant sur les recherches des Templiers, remonte aux sources les plus lointaines de l'art gothiql,le, et que les Soucoupes volantes, affaire sérieuse de Frank Edwards ou le Livre noir des soucou· pes volantes, par H. Durrant, qui traitent tous deux d'un sujet des plus d~consldérés par les gens sérieux. En somme, mon but est de promouvoir des formes de p~nsée différentes, des thèses nouvelles sur tout un en· semble -de ,problèmes que la science et la philosophie traditionnelles tendent' à éluder. Les deux seules clauses restrictives' que je demande à mes auteurs' de respecter, c'est, d'une part, d'éviter' d'introduire dans leurs ouvrages des considérations politiques, ,et, d'autre part, de présenter des recherches ouvertes, qui les engagent personnellement, et non pas des compilations de travaux anté· rieurs. "

Un volume par mois Au rythme d'un volume par. mois, dont le tirage moyen se situe aux alentours de 100.000 exemplaires, la collection. Les Enigmes de l'univers" nous offre ainsi une sorte de décryptage, des grands mystères de notre monde, depuis les secrets millénaires du cosmos analysés à travers 1. Genèse, jùsqu'aiJx origines' clJ:hées de la tradition cathare, en passant par les phénomènes extra-terrestres, le déchiffrement des manuscrits de la Mer Morte. I.'épqpée de l'Atlantide, les clés de l'Odyssée ou de la civilisation mégalithique. Ainsi se trouve renouvelé un genre où se sont illustrés naguère Bergler, Pauwels, Planète et leurs productions.

Victor Hatar, écrivain épris de liberté, aura connu, pour cet amour, deux fois la prison dans son pays natal, la Hongrie: d'abord en 1943 sous le règne fasciste de Horthy, et, sept ans plus tard, sous le régime pro-stalinien. Après l'insurrection de 1956. il gagna l'Angleterre où il demeure exilé. Victor Hatar

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Anibel

Les Lettres Nouvelles Denoël, éd., 256 p.

avec les constructions précaires, voire monstrueuses, du présent. Au début du récit, nous voyons le narrateur Simon Samjen, .exguerrier échappé au massacre, partir à la recherche de Ernike Kerkapoly. dont le nez trapézoïdal hante ses souvenirs d'amours en· fantines. Simon dénichera Ernike et l'adorable trapèze de son nez. Mais, en vérité, Ernike pas plus que sa mère, la belle Anibel, ne trouve grâce aux yeux du narrateur: pour lui, toutes les femmes sont pièges: «des escrocs,

des crocheteuses, reptile et singe lout en même temps; en bref, des femmes. belettes !» A leur propos, Simon se demande sur le ton amer et bouffon qui 'lui est familier: « Peut-on dissocier

lamour de linfamie? Sincèrement, le peut-on? » Plus généralement, cette question semble re· venir tout au long du livre:

«Peut·on dissocier la vie de finfamie? »

Victor Hatar

Satiriste et poète, traducteur de Rabelais, Victor Hatar possède un talent alerte, truculent, dont la cocasserie se déploie sur un fond souvent tragique. Ainsi, le roman Anibel, qu'il écrivit en 1954 deux ans donc avant le soulèvement du peuple hongrois - et qui paraît dans une traduction française de J. Faure·Cousin et M,-L. Kassaï, nous offre-t-il un très savoureux mélange de récits picaresques, de visions poétiques et de traits d'humour noir. Dans une capitale en ruines, des rescapés de la guerre essaient, tant bien que mal (plutôt mal que bien) de survivre. Dans les âmes et les cœurs, quelques vesti· ges du monde ancien voisinent

La réponse n'est jamais donnée en clair. Mais, sous l'apparente drôlerie, sous l'îronie du langage et des péripéties, s'affirme un pessimisme sans illusion, bien qu'un sentiment de fraternité pitoyable et moqueuse ne cesse de se manifester envers les falotes silhouettes qui peuplent les coulisses et les ateliers du théâtre Oupregouran. Ils sont là toute une équipe de peintres barbouilleurs, comme' le narrateur lui-même, employés à peindre les décors de pièces hautement édifiantes et staliniennes sous la direction du «grand régisseur»: Oncle Verderber, vi· goureux et généreux bonhomme à qui «on ne la fait pas ».

Lettres à la Q!!inzaine Les écrivains contre la Commune Des lecteurs nous font remarquer que Vigny, mort en 1863, aurait eu du mal à se «déchaîner» contre les Communards. L'auteur du compte rendu du livre de Paul Lidsky s"excuse de ce lapsus de plume. Il suffit· en effet à Vigny qu'il ait fulminé contre les insurgés de juin 48 et, après ces fameuses journées, se soit barricadé contre ceux qu'U appelait les «communistes».


Marche sur le Pentagone

de Victor Hatar Au-delà des décors du théâtre, c'est la réalité médiocre, tâtillonme et ridicule d'un monde bureaucratique et policier que peignent et dépeignent Simon Somjen et ses camarades - comme lui anciens combattants passés du délire de la guerre à celui de la «guerre froide ». Voici Ernike, la fiancée de Simon, employée à l'Office des Haricots, employée provisoire, «car elle n'était pas «' bon cadre »... D'autre part, nous en étions à la phase des légumes : le chou-rave, pour être précis... C'est le Parti qui avait la charge de la réorganisation, et la Campagne des Pommes de Terre avait sauvé le pays. (Ils mentent comme ils respirent. Leur vérité n'est pas même le contraire de la vé· rité)... mais selon toute vraisemblance, rOffice des Haricots serait bientôt dissous. Dieu merci f... (...) Pourtant, elle s'était attacltée à ce Service de Triage des Haricots Striés de rOffice National des Haricots, bien que pareil travail fût une sorte d'enfer... Du matin jusqu'au soir, sélectionner des haricots et les coller un à un sur une fiche de carton... » C'est bien d'un univers délirant que 'nous rend compte Victor Hatar, et, pour mieux témoigner symboliquement de cette aliénation, il conduit ses personnages dans un cercle spirite que traque la police politique (le «service intellectuel» de celle-ci entend liquider le spiritisme). Cela amène des' rebondissements de l'action, fort comiques dans leur expression, bien que parfaitement désespérés et désespérants. Tout, dans ce monde grinçant, tourne au grotesque ou à la dérision, que ce soit la quête spirituelle ou celle de l'amour. Pourtant, sous l'amertume et l'ironie du récit se devinent une tendresse bafouée, une blessure profonde infligée à l'espérance dans sa soif de liberté et de fraternité. La succession des scènes comiques du présent semble être le fruit pourri d'autres scènes, atro· ces celles-ci, du temps de guerre, celles, par exemple, de «la véritable histoire des souhaiteurs de bonsoir », ces soldats, alliés des Allemands, qui, en Ukraine, allàient chercher le repos du guerrier auprès des paysannes apeurées, puis, après avoir souhaité le bonsoir, laissaient dans la fernle

une bombe qui, un peu plus tard, faisait son office radical. Autre exemple, cette anecdote pOUl' expliquer l'entrée d'un des personnages au «cercle spirite ~ : «Peu de temps après la Libération, dans la période de lune de miel, une facétieuse patrouille soviétique, en quête de deux montres de femme et d'une montre d' homme, expédia dans autre monde la famille d'Imre Penagel, accessoiriste en chef. Et maintenant, il cherchait à établir un contact interplanétaire.» Comme l'écrit Victor Hatar des «so~hai­ teurs de bonsoir» - il peut le faire tout aussi bien des «amateurs de montres » - «Ils ne représentent aucun principe, aucune nation, aucune puissance conquérante, simplement les armées de tous les temps et de tous les peuples... » Ils représentent l'homme, tout simplement, l'homme, qui se fait monstre si aisément pour peu que l'Histoire l'y encourage. Et pourtant, c 0 m m e Innocence, l'Ours favori de l'empereur Valentinien, qui lui donnait ses prisonniers à dévorer, cet ours qui, une fois rendu à la liberté de la forêt, «dissous dans r anarchie primitive, oublieux des exp~its de naguère, (...) mena une vie exemplaire: pillant des ruches, léchant ses oursons et grognant amicalement, comme les autres,» comme cet animal, l'hommemonstre retrouvera lui aussi une (apparente) innocence, grâce à l'oubli. «Voilà les bienfaits de oubli. Nous oublions donc nous sommes.» Sans cette amnz.stz.e· que s'octroie l'homme par l'effet d'une permanente amnésie, comment pourrait-il supporter l'amoncellement de crimes qu'il accomplit et subit sous le couvert des idées et des principes les plus divers?

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N orman Mailer Les Armées de la nuit Traduit de l'américain par Michel Chrestien Grasset, éd. 373 p.

Des Armées de la nuit, Norman Mailer n'attendait rien sinon quelques insultes supplémentaires, ces insultes qu'il a le don d'attirer sur lui en toutes circonstances et qui ont l'air de profondément le réjouir. TI fapt aussi ajouter qu'il fait tout pour ça. Une fois

doxales et souvent excitantes. Ce n'est pas d'un cœur gai qu'un jour d'octobre 1967, Norman Mailer entreprend de participer, à la marche sur le Pentagone pour protester contre la guerre du Vietnam. Il avait été sollicité, et c'est 'plutôt réticent qu'il avait accepté. Pour se donner dl,l ~ourage, il s'arme d'un grand pot de bourbon. Tel est le début du livre :, c'est une chronique drôle, pleine de verve et de bonne humeur. Son discours à l'Ambassador semble sorti d'un

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Tout en gardant pour l'homme (l'Ours Innocence) une pitié terriblement lucide, Victor Hatar enseigne que le pardon n'est pas l'oubli, ni la bassesse complaisante un mode acceptable d'existence. Du moins, de son expérience, de sa douleur, tire-t-il, par la vertu d'un langage inventif, d'une observation sans merci et d'une imagination peu commune, une œuvre où la poésie surgit, imprévisible, de l'humour, de la satire et de l'atroce. G.-E- Clancier

Norman Mailer vu par David Lévine

de plus, on stigmatisera son exhibitionnisme, son égocentrisme exacerbé, son mauvais goût et l'on conclura, les lèvres pincées, que les Armées de la nuit ne sont pas un livre réu88i. Est-ce même un livre? Il a beau gravement intituler sa première partie: «L'histoire en tant que roman» suivi du «roman en tant qu'histoire », l'ensemble forme un bric-à-brac incroyable où le talent éclate à chaque page. Ce n'est ni un roman ni un livre d'histoire' et c'est un reportage qu'aucun rédacteur en chef n'accepterait. C'est un livre à l'image de son auteur, sincère et, cabot, brouillon mais débordant de vie et rempli d'idées bizanes, para-

film burlesque. D'autant plus qu'avec le poète Robert Lowell et le critique littéraire Dwight Macdonald, Mailer forme un trio de comiques involontaires dont les silhouettes, par leur contraste, portent au rire. Ce n'est, évidemment, guère le ton auquel on est habitué dans la relation d'un événement politique, événement d'autant plus important que cette marche était la première de toute l'histoire des Etats-Unis. Pendant toute la première partie du livre (environ les deux tiers), le ton ne varie pas même quand les choses, deviennent graves, même quand Mailer paie de sa personne: il est, en effet, arrêtéet passe vingt-quatre heures

~ La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970

Il


Lévi-Strauss ~

Norman Mailer

en prison. On le devine ravi de cet avatar. C'est même à partir de ce moment-là qu'il se sent vrai· ment engagé. Tout ce récit est traité sur le mode du roman, un roman à la troisième personne dont le héros est Norman Mailer, «un héros simplet et un merveilleux imbé· cile, avec un don d'objectivité su· périeur à la moyenne ». Cela ne va pas sans quelque coquetterie, coquetterie qu'un humour cons· tant tempère. Mais c'est aussi un artifice tech· nique: «Car le roman, quand il est bon, personnifie une vision qui vous permet de comprendre mieux d'autres visions, c'est un microscope pour explorer la ma· re, un télescope sur la tour pour regarder la forêt. ~ Dans la se· conde partie, Mailer va tenter une approche objective de cet événe· ment dont l'influence sur la poli. tique américaine fut, comme la plupart des manifestations de ce genre, quasi nulle. Mailer, en tant qu'homme, s'efface; à peine s'il se cite quelquefois. II tente de démontrer le méca. nisme de cette marche du Penta· gone. Tous les particij>ànts,· des jeunes gens aux policiers, trou· vent leur place dans cet échafau· dage. C'est une analyse serrée à partir d'une enquête (qu'il faut bien appeler journalistique) de tout premier ordre. Dans cet ana· lyste, on ne retrouve que rare· meut l'hurluberlu de la première partie. Même l'écriture change: elle conserve la même vigueur, mais elle se fait sèche, précise. Même quand il se transforme en pamphlétaire, son ton reste me· suré: Johnson est notamment l'une des cibles favorites de Mai. 1er. II faudra attendre les dernières pages pour le voir emprunter un ton apocalyptique. C'est le destin entier de l'Amérique qu'il em· brasse alors, c'est sur la naissance de cet Américain nouveau qu'il se penche, naissance qui est une de ses préoccupations de tou· jours (on se souvient de son essai, le Nègre blanc qui, aujourd'hui encore, est l'objet de discussions chez les intellectuéls américains) : «Méditez sombrement sur ce pays qui incarne notre volonté. :C'est rA mérique, jadis beauté ,d'une splendeur inégalée, aujour. ,d'hui beauté à la peau lépreuse.

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Elle attend un enfant - nul ne sait s'il est légitime - et languit au fond d'un cachot. C'est à pré. sent le commencement des con· tractions de son pénible travail - il va se poursuivre : nul méde· cin n'est là pour dire jusqu'à quelle heure. Tout ce qu'on sait à peu près, c'est qu'il ne s'agit pas d'une fausse alerte, non, elle donnera vraisemblablement la vie. ~ Ce livre, qui n'en est pas un, est certainement le meilleur que Norman Mailer ait écrit depuis les Nus et les morts. Dans ce roman, il se pliait à un schéma tra· ditionnel. Aujourd'hui, il plie les genres à son propos. II est facile de le prendre en défaut, si l'on s'en tient à un aspect académique de l'écriture:. quand on fait éclater les cadres, on marche à l'aventure. Mais cette aventure-ci, il l'a contrôlée. Ce n'est peut.être pas la première fois qu'il se laisse aller à son tempérament, mais c'est la première fois qu'il le fait à l'intérieur d'un cadre inédit en· tièrement dessiné par lui. Les Ar· mées de la nuit n'est pas, malgré les apparences, un fourre·tout, c'est un livre qui, par son entrain, ses pirouettes, ses paradoxes et ses clins d'œil roublards, fait pen· ser au désordre mais, en y regar· dant d'un peu plus près, on s'aperçoit qu'il est rigoureusement cc,lDstruit. , Enfin - et cela n'est pas négli. geable - il y a un homme : sou· vent irritant, pas toujours lucide, il va de l'avant. II fonce, dépasse les garde.fous et ne craint pas les chutes. II se révèle ainsi la chose la plus ra~e du monde (et cela vaut pour toutes les littératures) : un tempérament. Ce barbare· s'in· téresse à tout: il n'a pas assez de 8a vie pour réaliser tout ce dont il a envie : il met en scène deux films, il écrit quatre cents pages en quelques semaines, il n'ignore rien de la vie et des pro· blèmes politiques, il a une vie privée très compliquée. II est rempli de projets. Dès qu'il prend la plume, il explose et les éclats en s'envo.lant composent une des œuvres les plus inégales mais aussi l'une des plus riches de la .littérature américaine d'aujourd'hui. Les Armées de la nuit en sont un des moments majeurs. Jean Wagner

Notre collaboratrice Catherine Backès va publier chez Seghers Lévi·Strauss ou la structure et le malheur. Il s'agit d'un choix de textes de LéviStrauss. Chacun est présenté

et commenté. Nous publions ci-après un extrait où Catherine Backès s'interroge sur la « philosophie li de l'auteur de Tristes Tropiques.

Lévi-Strauss s'est toujours défendu de se livrer à l'exërcice de la philosophie, depuis la critique féroce et justifiée de la philosophie enseignée en Sorbonne au temps où il préparait l'agrégation. Elle reste lettre morte, sentiers battus sur lesquels il ne s'aventure que par accident et comme par braconnage. Et pourtant, comment faut-il qualifier cette réflexion qui, partie des caractères les plus sensibles, la saveur du miel, le mauvais caractère des épouses (mythiques), aboutit à constituer une théorie des rapports, éthique, voire politique? Témoin ce texte récent qui décrit les découvertes qu'il a faites à travers la mise en structure des mythes:. «Ce caractère topique du code astronomique n'empêche pas qu'il s'engrène sur plusieurs autres. Il met ainsi en branle une philosophie arithmétique, à l'approfondissement de laquelle la sixième partie est presque entièrement consacrée. Le lecteur s'étonnera peut-être, mais la surprise fut d'abord nôtre, que les spéculations les plus abstraites de la pensée mythique fournissent la clé d'autres spéculations pourtant axées sur des conduites guerrières et l'usage de scalper les ennemis, d'une part, et les recettes de cuisine d'autre part; enfin, que la théorie de la numération, celle de la chasse aux têtes et l'art culinaire s'unissent pour fonder ensemble une morale (1).» Certes, si la philosophie implique un privilège explicatif, si on la place au sommet de la hiérarchie des savoirs, Lévi-Strauss reste en ce cas fidèle à sa vocation de non-philosophe. Mais à entendre par philosophie compte rendu du monde, prise de vues sur l'hétérogénéité des phénomènes, Lévi-Strauss ne peut sé défendre d'être philosophe: elle n'est alors pas différente de la pensée mythique, et à dire. le vrai nous n'y aurions pas attaché d'importance si lui-même ne s'en défendait avec une suspecte vigueur. Ainsi donc il faut pouvoir dire sans offense que LéviStrauss donne à ses contemporains un exemple parfait de philosophe. Philosophie qui va en sens contraire du courant avant, tout au moins, de représenter elle-même le ·courant: philosophie réfutant le sens, l'humanisme comme morale, philosophie antidialectique. Ce refus de tout mouvement synthétique, caractéristique de la dichotomie qui s'éparpille jusqu'à l'indifférence, nous paraît relever du même dessein que le refus de la transgression; le paradis perdu où parler et aimer sont possibles sans violence, où la coexistence est pensable, interdit autre chose que la répétition de sa perte, indéfiniment renouvelée. L'Aufhebung est impensée dans le système des structures: non qu'elle semble plus réelle que l'édifice combinatoire où Lévi-Strauss met le fonctionnement de l'esprit; mais on en volt bien le manque, il est mortel pour la pensée. On peut légitimement, et c'est ce que fait Lévi-Strauss, choisir le chemin par lequel la pensée se pense mortelle. On peut faire la théorie de l'exclusion, tout en restant prisonnier de l'opposition intérieur-extérieur: tout spontanément, l'exil, l'errance, le mal, surgissent comme thèmes philosophiques ou mythiques. Lévi-Strauss n'est pas loin de Platon: le rapport entre les structures et le réel est une participation. « ... La conception que les hommes se font des rapports entre nature' et culture est fonction de la manière dont se modifient leurs propres rapports sociaux... Pourtant, nous n'étudions que les ombres qui se profilent au fond de la caverne, sans oublier que seule l'attention que nous leur prêtons leur confère un semblant de réalité.» (2) Certes, Marx et Lénine emploient la métaphore du reflet pour qualifier le rapport idéologique aux choses; mais ici c'est tout autre chose. Le réel se tient dans le sujet, qui pourtant


ou la· philosophie du non-SaVOIr par Catherine Backès

Claude Lévi-Strauss vu par David Lévine

nous coupant de l'Orient bouddhique, a entraîné une osmose par la guerre avec lui: « C'est alors que l'Occident a perdu sa chance de rester femme... (5) Ce que le bouddhisme offre à Lévi-Strauss, tout, comme certaine conclusion résignée de l'éducation des femmes, c'est un monde sans homme ni femme. Telle est la dichotomie déchirante, source du' désordre: il y a des femmes et des hommes. Nous voici revenus à notre point de départ: la parenté comme solution à la différence sexuelle. Mais, si vraiment l'harmonie est asexuée, si le paradis, c'est l'absence d'interdit sur les sexes, si la paix réside dans la sublimation, la procréation comme telle est' absente de la pensée de Lévi-Strauss. Car la procréation doit, pour être pensable, s'intégrer dans un système où le nouveau puisse s'expliquer. Tout comme, dans la dialectique, on fait un à partir de deux contraires, «dans la vie ~ l'enfant se fait de deux dissemblables. Lévi-Strauss refuse,' dans la dialectique, ce quï' lui paraît mythique: ce qui la rend sem: blable à une alliance. féconde. Ce qui résulte de l'échange, c'est l'enfant: or, tout se passe comme si, dans le système de LéviStrauss, l'enfant, comme le fou, comme le shaman, comme l'Amérique indienne, comme l'ethnologue, était hors structure, valeur symbolique zéro, impensé. L'enfant est dans la catégorie, chère à Lévi-Strauss puisque lui-même en fai.t partie, des exclus: notre société est anthropoémique, c'est-à-dire qu'elle rejette les êtres différents des autres normaux. L'ethnologue demeure enfant dans un monde adulte : dernière figure de l'Occident, voici l:adulte exclusif. Les chemins dé l'Amazonie, une fois parcourus, doivent se parcourir à reboÜrs, dans le sens du retour, mais ils ne conduisent plus à l'enfance: • Amazone, chère Amazone, Vous qui n'avez pas de sein droit Vous nous en racontez de bonnes Mais vos chemins sont trop étroits.· (6)

déréalise son objet à vouloir le comprendre. Participation: il s'agit bien d'un mode de connaissance dans lequel un rapport h'est garanti que par l'instance. La méthode. semble la meme: Ce refrain, composé par l'auteur pendant son pénible retour, au qichotomie originelle, puis méditations successives jusqu'à ex.in~- moment où il ne sait plus ce qui, en lui, est culturel, au moment tio,", progressive du sens. Là se rencontre la scandaleuse dlfte- de la plus grande fatigue, pourrait, à la limite d'une facéti~use rence: car c'est un modèle inversé, dans lequel le progres interprétation, témoigner d'un certain fantasme : fantasme d u~e s~accom'plit à l'envers, dans lequel le réel s'estompe au lieu, de maternité vierge' et difficile. Lévi-Strauss ne pense pas la naisse constituer, dans lequel la dialectique, absente, ne .peut ope!er sance, mais le rêve: du même coup, au plan des concepts, il se la soudure entre des étapes, qui, discontinues, se fixent. Le reel, trouve conduit à un processus circulaire, dans lequel l'événement c'est soi-même, c'est l'Enfer, c'est ce qu'il importe de rédui~e à qui manque, la naissance -:- figurant ici tout éVénemen~ possib~e, la ponctualité: philosophie de la dissolution du sujet, le sys.teme toute nouveauté réelle _ se répète; d'abord une deuXième fOIS, de Lévi-Strauss relève, comme il le dit lui-même du bouddhisme. puis indéfiniment. Ce qui se répète, c'est le péché originel de . A dire le vrai, le bouddhisme est la somme de tous les fan- l'humanité: présent une première fois à l'instant de la perte du . tasmes théoriques de Lévi-Strauss. Il n'est pas indifférent. de Paradis, il se renouvelle avec les voyages du XVIe siècle, puis constater q~e c'est là que s'achève le périple de Tristes Tropi- encore avec la genèse de l'ethnologie et ses conséquences Sl!r ques: le bouddhisme est au-delà, géographiquement parlant, de l'anthropologie. Ce qui se répète, c'est l'interpréta!iOn myt.hique, l'Islam, qui lui-même est, dit Lévi-Strauss, I:Occide~t de, !'Orien~ : lue une première fois à l'endroit -.Le Cru et le CUit - , P~IS une. aussi conquérant et destructeur. Le bouddhisme av.e~e 1evanoUls- seconde fois à l'envers _ tapisserie inversée dans Du Miel aux. sement du sujet dans le monde: «grande religion, ~u n?n- Cendres. Ce qui se boucle à travers ces ~épétit~on~" c'~st .Ie savoir» (3). En procédant par le refus absolu .du sens, Il valide cycle du sens: plein mais obscur en son orlgme, ri. s eclalre en la démarche de relativisme par lequel l'homme se libère de. ses même temps qu'il s'appauvrit. Contresens apparent, la recherche propres exigences. Enfin --.., faut-il' dire surto~t ? --:- le b?~ddhism~ des limites et des structures dévoile «un maître sens, obscur ,èst essentiellement religion asexuée, sans interdIt, religIOn faml- ' sans doute mais dont chacun des autres est la transposition parli,ère, maternelle. "Aucune statuaire· ne procure interdit, religion tielle ou déformée .. '(7). Mais le dernier terme de la démarche sentiment de paix et de familiarité que c~Il~-ci,avec ses fe":lmes . bouddhique, c~est le. refus du sens: «dernier pas .. qui valide chastement impudiques et sa sensualite mater~elle q~l, se fous les autres: ainsi le cycle recommence. Contresens, refus complait à l'opposition des rTlèresaman!es, et des ,filles c1oltrees, du sens, et maître sens: le sens seul est absent du système &'opposant toutes deux aux amantes clOltree,s d.e 1Inde non. boud-' des structures, qui, en tant que tel, l'abolit. Point d'orientation dhique: féminité placide. et comme affranchie du conflit. des. puisque la terre des' structures est circulaire; point de différence sexes qu'évoquent aussi, pour leur part, les bonzes, con!o!!dus sexuelle ptJisquec'est celle-ci qui suscite tou~e désordre et tout par, la tête rasée. avec les nonn~s ?ans .une so.rte de trols~eme ordre culturel; point de sens, point de marque: le système de sexe, à-demi para~ite et, àde~!-pnsonn~er... Sile bouddhlsm~ Lévi-Strauss devrait conduire à la parfaite indifférence.• cherche, comme .1 Islam, a dominer la. dem~sure des cultes Prl. mitifs, . c'est grâce à l'apaisement unifiant qu~ ·~o.rte . en ,~II~ la p'romesse. du retour au .se,in, materne~ ; 'p~r ce Qla,IS, Il. remtegr,e (1) L'Origine des M,anières de Table, p. 13. -: (2) La .Pe'!sée sauvage, p. 000. (3) Tristes Tropiques, p. 4~5. (4) TnsJes· TropIques. p. 440. l'éroti.smeaprès l'avoir IIbere'dE;} lafren.esle.et .de.l'ango~sse. (4) (5t Ibid., p. 443. - (6) Ibid., p. 368. - (7) Tristes Tropiques, p. 48. C'~st au ppir'lt ql:l\me é.trange séquenc·e .se fa.t Jour, : 1Islam, .en La Quinzaine littéraire, du 1611u JI mai 1970


BI.TOI• •

Léo Spitzer Dix ans après sa mort, paraissent les essais du romaniste allemand Spitzer. Cela ne nous fait guère honneur. Léo Spitzer Etudes de style Préface de Jean Starobinski Bibli. des Idées Gallimard, éd., 535 p.

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Publiés avec un tel retard (les premiers travaux de Spitzer sur Rabelais et Balzac datent de 1910), les essais peuvent paraître un peu maladroitS et outrageusement marqués par un certain nombre de tics universitaires: l'essai se réfère souvent à des critiques secondaires, et rien ne vieillit plus plus mal que des noms de professeurs; les notes ont une telle -ampleur, et une telle importance, que l'essai semble n'avoir pas toujours pris sa véritable dimension. Enfin cet ouvrage, sans doute par souci de légèreté, est publié sans index des noms cités, ni bibliographie des volumes de références (manqlient également les -paroles où Spitzer, en préface à l'édition italienne, indique que lorsqu'il écrivit son essai sur Proust il ne connaissait pas la fin du roman, et que son étude, en 1959, ne lui semble pas exprimer toute la portée de l'œuvre). En outre, il aurait été nécessaire que fussent indiquées les dates des premières publications de ces textes qui ont été choisis parmi divers livres de Spitzer: Linguistics and Literary History (1948) ; Stilstudien (1928), essai sur Proust, Romanische Stil und Literaturstudien (1931) (Racine, Voltaire), Romanische Literaturstudien (1959) (Jaufré Rudel, La Fontaine, Marivaux). Deux essais (Rabelais; Butor, cette étude est la dernière qu'ait écrite Spitzer) n'avaient jusqu'ici été publiés qu'en revue. _On peut ima/9:ner les raisons qui ont déterminé cette sélection (choisir des auteurs du XII" siècle à aujourd'hui et choisir des textes représentatifs de trente ans d'activité critique), mais à elle seule elle ne donne pas idée de la prodigieuse activité de Spitzer: 425 pages de Romanische Literaturstudien sont consacrées à la littérature de langue française (Villon, du Bellay, Hugo, Baude14

laire, Ramuz, Valéry... dans que mène à fintuition directe Linguistics and Literary History d'une « entité» psychologique (1948) sont étudiés Racine (Le dans fâme du poète. Les deux dorécit de Théramène), Diderot, maines ne se recouvrent pas exacClaudel et Cervantès. Ce premier tement; il se juxtaposent plus volume pourrait facilement être qu'ils ne s'impliquent. suivi d'un second également conQuelque soin que Spitzer mette sacré à la littérature française. à passer du détail décelé comme Mais ce serait encore très incomsignificatif à l'ensemble de l'œuplet, car l'activité de Spitzer s'est vre, puis, par un mouvement comexercée dans le domaine allemand, plémentaire à revenir au détail, anglais, espagnol, portugais, itaselon la méthoae qu'après Dillien. Peut-être quand nous conthey, il nomme «cercle philodescendrons à nous montrer moins logique» (comme des détails chauvins pourrons-nous connaître d'une langue romane on doit les écrits de Spitzer sur Dante et remonter au latin vulgaire comme Le Don Quichotte. prototype, et expliquer ensuite de Quelle fut la nouveauté de Spitnouveaux détails par le protozer ? Elève du grammairien type supposé (p. 61) ; niais la noMeyer-Lübke, et linguiste luition de totalité en littérature même, il veut appliquer l'étude est difficilement précisable), il littéraire, habituellement réduite n'échappe pas à la subjectivité. à ce que Spitzer appelle une préLe détail initial est, comme le histoire (et qu'on pourrait nompremier vers pour Valéry, donmer des ragots: Molière avait-il né par les dieux: nous lisons, représenté ses déconvenues conjurelisons un texte, et soudain un gales dans «fEcole des Femmot, un vers surgissent, et nous mes » ?), la méthode philologisaisissons que désormais il y a que. Cela implique que l'on mette une relation entre le poème et à l'écart l'histoire littéraire et que nous (p. 67). Il y a donc, à l'oril'on porte une attention, très nougine de l'essai, une sensation, irrévelle alors, -au texte, à son organiductible à toute justification, une sation syntaxique et à ses buts intuition fondamentale qui rend artistiques. Spitzer procède à parévident, par le bonheur intime tir de l'examen d'un détail stylisqu'elle procure, le fait que le détique dont la répétition lui pa-- tail et le tout ont trouvé leur raÎt caractéristique. Il sera le precommun dénominateur (p. 67). mier à utiliser la notion d'écart, -C'est à partir de là que se déveà tenir compte des déviations styloppe l'essai avec une sCience conlistiques d'un écrivain par rapfondante, et selon une méthode port aux normes. qui ne vaut pas mieux qu'une Bien que la définition de la autre. Un certain nombre de norme ne soit pas des plus aisée, convictions- déterminent les choix Spitzer tire de la notion d'écart et les lectures de Spritzer : le hestylistique des conséquences psysoin qzwsi métaphysique d'arriver chologique et sociologique qui à la solution (p. 67) rend émousont de simples postulats: la dévant son acharnement à décrypter viation stylistique de findividu les romans de Butor ; la certitude par rapport à la norme générale que la poésie de Jaufré Rudel est doit représenter un pas historique la manifestation la plus émouvante franchi par f écrivain; elle doit de ce que j'appelais le «pararévéler une mutation dans f âme doxe amoureux» (p. 81) sous-tend d'une époque, - mutation dont toute son argumentation ; il semf écrivain a pris conscience et ble partager avec Marivaux la qu'il transcrit dans une forme lincroyance que le cœur est une sorguistique nécessairement neuve te de génie naturel. (p. 54). (fi y a là comme un écho Dans l'importante étude qui assez confus des lectures de Vosssert de préface au volume, Jean Starobinski situe l'effort de Spit1er et de Freud.) Si le passage de la linguistique à la psychologie zer et précise, avec autant d'indemeure assez aléatoire chez Spittelligence que de sympathie, ses zer, c'est que le lien de l'une à limites, et par là même ce qui l'autre n'est pas _déductif mais nous attache à des lectures qui intuitif: par la somme d'obserdécrivent «un parcours inachevations concrètes on arrive à vable, à travers une série indéfif abstraction d'une «entité» stynie de circuits ». listique - et cette entité stylistiJean Roudaut

C'est une somme, le résultat d'une réflexion qui porte sur de très longues années (l'auteur est né en 1893). Cette présente biographie n'est du reste pas la première approche tolstoïenne de Chklovski; déjà, dans le cadre de la critique formaliste dont on sait qu'il fut l'un des chefs de file, il avait écrit: « Matériaux et style dans le roman de Léon Tolstoï: Guerre et Paix ».

Victor Chklovski Léon Tolstoï Trad. du russe par Andrée Robel 2 tomes. Gallimard éd. 458 p. et 418 p. C'est dans une toute autre perspective que se situe ce Léon T olstoï: l'auteur ne s'adresse plus à un groupe de spécialistes mais au grand public. Il ne s'agit plus pour lui d'étudier les facteurs esthétiques d'une œuvre précise mais de cerner un des plus grands écrivains russes. Pour ce faire, Chklovski s'appuie sur les œuvres de cet écrivain bien sûr, mais il emprunte de nombreux éléments aux textes de Lénine sur l'auteur de Maître et serviteur. C'est là une démarche habituelle, on le sait, pour tout écrivain soviétique et aujourd'hui, il est à peu près impossible de lire une critique, une préface, une biographie sans retrouver quelques citations léninistes plus ou moins en situation. Ici, elles sont, malgré tout, assez discrètes et si le livre, en dépit de son épaisseur (plus de 800 pages), se lit très facilement, c'est qu'au départ, l'auteur est un véritable écrivain: au travers -de la vie de Tolstoï, il se pose de multiples questions sur la genèse de l'écriture, sur le génie, sur l'art et l'actualité. Sa méthode critique n'est pas de celle que l'on attend d'un linguiste. Au lieu d'une analyse phrase à phrase ou tout au moins œuvre à œuvre, il réalise une étude synthétique comme il avait voulu faire de la biographie de Tolstoï un roman de Tolstoï: son essai se présente en effet comme un long fleuve lent et riche plein de méandre-s et d'accidents de parcours.


Tolstoï, par Chklovski Dès les premiers chapitres, la maison de IasnaÏa Poliana où Tolstoï passa presque toute sa vie, le vieux divan, le parc, tous ces détails concrets nous sont décrits minutieusement. Il pose le décor comme un bon romancier : la tragédie que constitue toute vie d'homme peut commencer. Chklovski va mettre ses pas dans les pas de son modèle, de l'intérieur et de l'extérieur. Si les toutes premières années de la vie de TolstOÏ semblent sereines, malgré la mort de sa mère, il est siunificatif - Chklovski le souligne ;ans pour autant faire appel à la psychanalyse qu'un des premiers souvenirs de Tolstoï se rattache à sa privation de sa liberté : il est probablement emmailloté et se souvient très nettement de cette impression affreuse: «Je voulais ma liberté, ma liberté ne lésait personne et on me suppliciait. ~ Chklovski fera le lien entre cette privation et celle qui assombrira sa vieillesse et le poussera à fuir sa maison presque inhospitalière. Et nous suivons Tolstoï pendant son adolescence lorsqu'il en· tend se fixer des règles de vie, tout au moins des règles de travail ; il se forge des programmes d'étude, il tient un compte minutieux de toutes ses erreurs et de ses failles. Si pour lui, la vie n'est pas simple, c'est aussi, comme le dit Chklovski dans cette «autoanalyse i~tensive que mûrit le ta-

lent du futur écrivain.

TolstOÏ distribuant des aumônes.i des paysannes.

il écrira. Jusqu'à la fin de sa vie, il restera persuadé que «fessentiel, c'est f activité perpétuelle~. Cette activité, il l'appliquera non seulement à défendre sa conception du monde: les troubles et les bouleversements d'une époque pré-révolutionnaire l'obligent à prendre parti même à son corps défendant: «Afin de vivre dans

fhonnêteté, ü faut s'engager, se battre... La tranquillité n'est qu'une bassesse de f âme. ~

~

Ne sachant trop à quoi employer ses forces, le jeune homme part se battre au Caucase à l'heure où cette région venait de se soulever contre les Russes qui voulaient la coloniser. L'absurdité, la cruauté de la guerre feront de lui un apôtre de la non-violence. Et puis il écrit. C'est Enfance, sa première œuvre. On y trouve déjà un des principes de la cré~­ tion tolstoÏenne: «chaque chapr.-

tre ne doit exprimer qu'une seule pensée ou qu'un seul sentiment~. C'est sur ce même schéma que Chklovski a fondé son ouvrage : chaque chapitre, relativement court. est consacré soit à un épisode 'de la vie de Tolstoï soit à une de ses évolutions spirituelles soit aux circonstances de la rédaction d'une œuvre. Nous suivons Tolstoï à Sébastopol où il trouve sa voie définitive : La Quinzaine littéraire, du 16 au JI mai 1970

Il faut croire que Tolstoï n'eut jamais l'âme ba88e car cette tranquillité, il la connaîtra de moins en moins au fil des années: non seulement la situation sociale en Russie se dégrade mais sa propre situation devient affreuse. L'écrivain cherche désespérément des solutions à des problèmes insolubles, tels le paupérisme, la reli· gion, la possibilité de concilier sa vie de famille, sa vie de propriétaire avec ses exigences morales lesquelles impliquent la distribution des biens. Cet homme infatigable, entouré d'une nombreuse famille, de disciples, est seul. TI n'a personne à qui parler dans son entourage. Que faire? Il écrit, comme toujours : Chklovski sait nous émouvoir en évoquant cette solitude. On voit Tolstoï supporter très mal la surveillance de sa femme qui profite de la moindre occasion pour lire ses carnets personnels et lui en faire de violents reproches. Pourtant, Chklovski s'efforce de faire la part des choses. Si son admiration évidente pour l'écri· vain et pour l'homme est sensi· ble tout au long de ces pages, il ne condamne pas pour autant l'épouse et il tente même parfois de la justifier: peut-être est-ce là sagesse et compréhension de la part d'Un homme qui a lui-même beaucoup vécu. En fait, l'entreprise de Chklovski est sans détours : «démontrer

TolstOÏ sur ses terres, â lasnaÏa PoUana

que dans ses œuvres et dans ses articles Tolstoï ne fait qu'un seul homme. Mais ce seul et même homme est en contradiction avec lui-même comme à la jonction des grandes époques, les hommes sont en contradiction avec eux-mêmes. Et cette contradiction, c'est celle des héros de la tragédie grecque ~. Tragique est en effet la longue vieillesse de TolstOÏ sur laquelle Chklovski s'est longuement étendu ; les départs du vieil homme, ses retours, les diverses rédactions de son testament. Il ne nous épargne rien. De même que TolstOÏ se penchait sur ses héros à l'approche de la mort pour tenter de percer le secret de celle-ci, de même Chklovski suit pas à pas les dernières démarches de Tolstoï, s'attache à la moindre ciro. constance, semble fasciné par l'agonie d'un homme que son génie et sa vitalité faisaient croire immortel. De là, cette légère disproportion entre la peinture de la vie de Tolstoï et celle de sa vieillesse et de sa mort. A la fin de sa vie, TolstOÏ, las de tous les compromis qu'il a dû accepter, n'a cependant jamais renoncé à ses idées, même les plus utopistes. «Le bonheur, c'est de vivre pour les autres », écrivait TolstOÏ. Chklovski a dû être extraordinairement heureux en rédigeant cette étude : lui, écrivain bien personnel, s'est mis entièrement au service de l'auteur d'Anna Karénine. D'une étude, il a fait un livre d'amour. C'est vraisemblablement ce qui rend sa lecture si attrayante.

Yolande Caron

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IlXP081TION8

L'exposition Henri Matisse Exposition du Centenaire Grand Palais Avril-septembre 1970

tude qui sera constante chez Ma· tisse. Il se met à l'école de Cé· zanne (Homme nu, n° 34), entreprend ses premières sculptures, essaie de discipliner la couleur par tous les moyens : pointillisme (Buffet et table, nO 29), géomé. trisme (Intérieur à l'harmonium, nO 33), pour finalement s'y abandonner dans un faux-pas, le néoimpressionnisme. (Luxe, calme et volupté, nO 55.) Mais très vite, il fait éclater ce divisionnisme qui ne peut lui convenir, révélant ainsi son besoin de synthèse, premier pas vers la simplification.

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Dans les années d'après-guerre qui établirent sa gloire, le peine tre des Odalisques n'était pas In· gres, mais Matisse. J ellnes fem.. mes alanguies, fenêtres ensoleil· lées et philodendrons étaient les attributs d'un hédonisme volon. tiers tricolote et opposaf»le à . l'existentialisme et à l'abstraction que toute une génération décou· vrait alors. Image aimable et ras· surante- à laquelle s'ajoutait celle d'un vieillard à la barbe bien peignée, au regard cerclé d'or qui terminait ses jours en découpant du papier pour décorer une cha· pelle. Matisse était célèbre mais son œuvre plus dispersé qu'aucun autre à travers le monde était pratiquement inconnu. Ainsi s'était établie une équivoque de bon aloi que vient pulvériser, pour la plus grande gloire de Ma· tisse enfin démontrée, l'exposition organisée pour le centenaire de sa naissance. Il est évident que la levée de cette hypothèque a été la préoc. cupation majeure de Pierre Schneider qui a magistralement Arbre conçu et réalisé cette exposition. Il fallait avant tout réunir l'œu· tion, langage qui n'a pas à tra· vre qui s'étale sur soixante ans: duire des sentiments (interprètes elle est là, dans ses pièces maî. d'une émotion), mais qui les tresses, provenant presque totaletransmue en une perception di· ment de collections particulières recte et totale de l'objet même et de musées étrangers. Il fallait de la communication. «Il y a aussi l'accrocher: jamais accro· deux façons de décrire un arbre, chage ne fut plus intelligemment écrit-il à" son ami Rouveyre: attentif au peintre et au visiteur. 1) par le dessin d'imitation comIl ~st l'image même de la pléni. me on l'apprend dans les écoles tude de l'œuvre, de ses bonds, de dessin européennes; 2) par le de ses replis ; à la plate démons· sentiment que son approche et tration chronologique, il substitue sa contemplation nous suggèrent, les rapports de Matisse et de la comme les Orientaux. » Ainsi, du peinture, ce combat de toute une grand dessin de 1951 Arbre vie dont il sort vainqueur avec (no 210) dont on sent qu'il est à les papiers découpés; il sollicite la fois la contemplation et la enfin par des rapprochements, chose contemplée et qui interdit des contrastes, l'attention du visi- toute interprétation en les offrant teur qui n'est pas convié à regar· toutes. Ainsi également de la der, mais à entrer dans une œu· Piscine de 1952. (no 225) à lavre qui va bien au-delà des éti· quelle nous reviendrons, car ce quettes don' on l'affuble pour la n'est pas seulement dans les der· commodité d'une culture dite gé. nières années qu'apparaît ce lannérale. gage dont la manifestation tout au long de l'œuvre définit le gé. L'œuvre de "Matisse est la renie de Matisse. cherche d'un langage et de son écriture établissant la relation au Ce qui frappe dès l'entrée de l'exposition, c'est le sérieux de nh'eau de ce qu'il appelle rémo·

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Matisse, de ce jeune homme dé· couvrant relativement tard le plaisir de peindre, qui s'applique à copier Chardin, Ribéra, Fragonard ; qui 'devient artiste en fréquentant les Académies et en étant attentif à ce qui se fait au· tour de lui, peintre lorsqu'il écoute le conseil de son maître Gustave Moreau: «Simplifiez », et découvre le moyen pour lui d'y parvenir: la couleur. La première salle reflète d'une façon éton· nante la turbulence de ses expériences, la diversité des influen· ces qu'il reçoit (Manet, l'impressionnisme, Turner dont il voit l'œuvre à Londres, au cours d'un bref voyage) et l'évolution rapide de sa peinture, des conventionnelles natures mortes du début aux paysages bretons qui l'intro· duisent à la couleur avant que la Corse lui en apporte l'éblouis· sante révélation; C'est alors une véritable explosion (Coucher de soleil en Corse, nO 26), un débordement auquel succède un temps d'ascèse, de reconstruction, première manifestation d'une aui·

Simplifier, oui, mais pour signi. fier. L'art, pour Matisse, n'est pas délectation mais médiation: «J'ai compris que tout le labeur acharné de ma vie était pour la grande famille humaine à laquelle devait être révélée un peu de fraîche beauté du monde par mon intermédiaire », dira-t-il dans ses dernières années. Il ne s'agit plus d'imiter, mais de faire participer. de transmettre l'intrinsèque vérité des êtres et des choses, perçue dans sa globalité et non par l'analyse. Or la forme isole et la couleur harmonise et Matisse, qui ne peut sacrifier l'une à l'autre, ne les conciliera qu'à la fin de sa vie, mais ce ne sera pas dans la peinture! Pour le moment, le combat s'engage et il en naît le fauvisme. La toile est totalement livrée à la couleur (la Femme au chapeau, nO 70; l'Idole, nO 81) à charge pour elle d'équivaloir les valeurs et les demi-teintes défi· nitivement bannies et plutôt que de reconstituer le sujet, restituer l'émotion qu'il provoque. «Tan· tôt, écrit Pierre Schneider, la cou· leur construit le motif (Margot, nO 76), tantôt elle le dévore, le fait voler en éclats (Intérieur à la fillette, nO 71). Nouvelle ascèse, nouvelle simplification : la ligne réapparaît, plus ou moins péremptoire (Marin II, nO 82), pour endiguer cette anarchie mule ticolore, verrou provisoire qui saute avec la Desserte rouge (no 89). Dans cette grande toile qui fut d'abord bleue (ce qui montre que plus que la couleur c'est sa fonction qui intéresse Matisse), la tapisserie du mur et la nappe volontairement identiques, ,escamotent purement et simple:ment la tahle, et cependant l'im· Iposent au point de rendre les ,chaises inutiles au premier regard.


Matisse

Dans les galeries Papillons

Le lieu est dit et non pas décrit, de même que sa fonction l'est par une servante et des fruits parfaitement anonymes. Toute référence à la quotidienneté est super1lue, la communication déjà s'établit sur le plan de l'inexprimable. Mais si l'on sent bien qu'un nouveau langage s'élabore, on devine aussi que le décor d'arabesques et la fenêtre même sont en quelque sorte des béquilles. Avec la Danse (nO lOI) et la Musique (no 102), les amarres se brisent: trois couleurs, bleu, rouge, vert, des couleurs qui dessinent,enfin! C'est un instant capital qui confirme la validité de la recherche mais en gomme les limites, le sommet entrevu mais pas atteint, le champ élargi où tout. est à réinsérer. Une période commence, extrêmement féconde, caractérisée par la réintégration des formes et des couleurs et la déIIJultiplication de leurs rapports. A travers une série d'éblouissants chefs-d'œuvre, Matisse invente son écriture, essentiellement mouvante car il récuse toute codification. « Le signe est déterminé dans le moment que je l'emploie et pour l'objet auquel il doit participer. C'est pourquoi je. ne peux à l'avanée déterminer des signes qui

ne changent jamais et qui seraient comme une écriture: ceci paralyserait la liberté de mon in· vention. :. Ecriture qui défie donc l'analyse et ramène impérative. ment au sujet, véritable clé cependant de cette communication qui s'établit au-delà des mots. Que djre en effet du Portrait de Mme Matisse (no Il2) et des deux toiles qui l'entourent: les Poissons rouges (no 107) et la Fenêtre bleue (nO Ill) et de tant d'autres : La leçon de piano (no 145), le Rideau jaune (no 128), Portrait de Sarah Stein (nO 135), Violoniste à la fenêtre (nO 156), les Glaïeuls (nO 177), Jeune femme au collier de perles (no 193), etc. Rien d'autre assurément que ce qui est dit. Mais cette écriture porte en elle-même sa propre aventure. Tous les signes créés par Matisse au long de son œuvre l'ont été dans des conditions elles aussi déterminées et déterminantes, qu'il appartiendra sans doute à Pierre Schneider de mettre à jour dans la biographie critique qu'il prépare, et dont sa préface au catalogue est le remarquable écho. Matisse se trompait lorsqu'il voyait dans la Chapelle de Vence l'aboutissement de son œuvre;

La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970

l'équilibre recherché et obtenu du dessin et de la couleur procède encore d'une dualité qu'il allait lui être donné de dépasser. Les gouaches découpées sont le fruit iniraculeux de soixante années de recherches, émotion de toute une vie dirigée sur la connaissance sans cesse approfondie de la nature, des êtres et des choses et le désir de la transmettre. C'est le cheminement interne de tous les signes et des gestes qui les ont tracés qui s'épanouit dans une liberté totale et sereine. Tout est mouvant dans Acrobates (no 224) et la Piscine. L'espace n'est plus contenu et se recrée à chaque instant; les quatre côtés du cadre que Matisse jugeait la part la plus importante du tableau ont sauté, la fusion de la forme et de la couleur est totale, c'est le signe ultime: celui de la plastique pure. Marcel Billot

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L'exposîtion du Grand Palais présente également des sculptures qui font de Matisse un des grands sculpteurs m 0 der n e s. L'œuvre gravé est présenté à la Bibliothèque Nationale et l'on peut voir des dessins chez Dina Vierny, rue Jacob.

Sans doute Dali n'a-t-i1 pas voulu être en reste avec Mathieu, auteur heureux d'une .série d'affiches pour Air-France, puisqu'il a offert, avec pompe, à la S.N.C,F., six affiches pour l'Auvergne, Paris, les Alpes, Strasbourg, la Normandie et le Roussillon, exposées le 29 avril, gare de Lyon, Mais il eût fallu pousser l'émulation jusqu'à observer (comme Mathieu), les lois du genre, c'est-à-dIre proposer aux foules voyageuses des images lisibles, synthétiques, attrayantes et présentant un minimum de rapport avec le signifié à évoquer. (A cet égard, le fonctionnement des images-signes de Mathieu, précises et ouvertes à la fois, était exem· plaire,) Hélas, c'est davantage à rester chez soi devant la télévision qu'incitent ces bricolages, ou plutôt ces « démo-collages " collages pour le peuple, gratuits donc, sans raison ni déraison, ramassis hasardeux des poncifs daliniens. La Normandie, c'est Cadaquès, le Roussillon une gare (où paraît-il Dali trouva la grâce), Strasbourg une mince évocation de gothiqoe relevé par un vrai morceau de dentelle (cf. dentelle de pierre) et un ange-horloge. L'unité des six affiches est donnée par un semis de papillons sortis tout droit des Altas Boubée: la lépidoptérologie est sans doute le gracieux symbole du loisir dans la société industrielle. Devant ces tristes -bricolages, on croyait à peine au souvenir de l'hiver, à ces quelques toiles exposées gale· rie Knœdler, où la poétique dallnienne ne jouait de nouvelles écritures picturales. Heureusement, la S.N.C.F. avait eu - et vraisemblablement sans malice - l'idée d'assem· bler autour de ce « cadeau. une sélec· tion des affiches qu'elle « commanda. autrefois à de vrais affichistes ou à des grands peintres plus modestes ou moins méprisants. Et c'était un bonheur de suivre un demi-siècle de graphisme des Alpes de Capiello à l'Alsace de Hanoi, à la Normandie de Dufy, aux Vosges presque chinoises de Théo Doro et même au Parjs de Bernard Buffet.

F. C.

Guy Harloff Le sous-sol d'une galerie d'avantgarde est transformé en labyrinthe pour présenter les dessins précieux d'Harloff. Toute la richesse baroque et les splendeurs de l'Orient - perIes, pierres précieuses - enluminent ces compositions, enchâssent les symboles sous la présence multipliée de J'œil-joyau de l'artiste, tandis que, des inscriptions - cris, explications, anathèmes? s'enlacent ou écla· tent. On a ici une belle rétrospective chronologique d'une œuvre hermétique et ésotérique qui se situe tout à fait à part. (Galerie Claude Givaudan, jusqu'au 23 mal.)

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PHILOSOPHIE

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Galeries

Naves Saviez-vous que l'isorel peut présenter sous nos d!>igts à la fois le duveteux de l'abricot ou la froideur du métal, le feutré d'un tissu ou la rugosité du vieux bois; mais aussi bien le poli d'un cadre doré (orné de lézards décoratifs) ou le contact rèche du ciment? C'est avec toutes ces sensations tactiles remarquablement maîtrisées que Naves organise, à la scie et au marteau, ses compositions-assemblages autour d'anecdotes décrites avec un humour caustique: la verticalité est-elle indiquée par cette lampe-poire suspendue et est·iI vraiment impossible d'accrocher ce tableau droit? Ouant à l'araignée, pourquoi est-elle plus mystérieuse que la nuit du Luxembourg? (Galerie Stadler, 51, rue de Seine' jusqu'au 23 maL)

Naves,' L'énigme du front de mer

Comparaisons Mai, et avec lui, fidèle à lui-même, le salon Comparaisons, qui s'intitule • Tout l'Art actuel -. Ou 'en dire de plus cette année, sinon que l'accumulation d'œuvres souvent médiocres est encore plus triste dans les sous-sols des Halles que sur les murs du musée d'Art moderne (et ce n'est pas peu dire ...)? Comme toujours, quelques artistes de qualité locomotives tirant les wagons de marchandise de la peinture-pompier - cautionnent ce magma, Mais faut-il se déranger pour voir un ancien Soto, ou un fort beau Cupsa, que l'on peut voir ailleurs? Car pour ,les découvêrtes, je vois mal comment l'œil, lassé dès les premières salles, peut être séduit. (Jusqu'au 31 maL) Nicolas Bischower

Bernard Jeu La philosophie sotnetlque et rOccident. Essai sur les tendances et la signification de la philosophie soviétique contemporaine (1959-1969) Mercure de France, éd. 556 p.

, C'était une hO,llDe idée que de porter à la: connaissance du pu. hlic occidental la fonne, la nature, le contenu de la philosophie soviétique. Original dans son projet, Bernard Jeu, dans une thèse ahondante, s'est attaché à analyser, avec heaucoup de précision et appareil de références fort sérieux, les tendances et la signification des puhlications se réclamant, en U.R.S.S., de la philosophie et cela entre 1959 et 1969. Les quelque cinq cent cinquante pages: pouvaient laisser espérer que nous allions avoir enfin accès à la prohlématique des théoriciens d'Union soviétique, mystérieuse dans son ensemble p.our la plupart d'entre nous; nous connaissions, directement ou indirectement, p~r allusion ·ou par indiscrétion, les déhats concernant la ,littérature, la musique, les questions ~~onomiques; nous étions saturés d'informations politiques. Peut-être allait apparaître cette philosophie se réclamant du marxisme-léninisme - , qu'il était hien difficile de lire, même entre les lignes, dans les déclarations et les articles des responsahles politiques et idéologiques. Et le lecteur est fort satisfait, au déhut. Il apprend, avec intérêt - il ne sait trop encore quel in· térêt il' y a à cela que six thèses de, doctorat de philosophie ont été soutenue~ à Thilissi (pour quarante et une à Moscou et trois à Léningrad) au cours de l'année 1964-1965; que durant la même période, le titre équivalent à celui d'agrégé en France était attribué à cent -soixante-neuf candidats à Moscou, mais dix à Bakou, neuf à Alma.Ata, quatre à Erivan ct trois à Douchambé, entre autres centres universitaires. Il se réjouit de cette régionalisation. Ce que- lui apprenait déjà l'ana· lyse «objective» de G. A. Wet· ter, écrivain douchamhé: « ... en Union soviétique, la littérature philosophique spécialisée a témoi-

La philosophie ., . SOVIetIque par François Châtelet

gné dans les années après la mort de Staline d'un essor prodigieux» se trouve confirmé. Au Congrès de l'Académie des 5 cie n ces d'U.R.S.S. de 1958, fut adoptée «une série de mesures pratiques qui devaient pennettre de constituer la hase matérielle nécessaire à l'apparition d'une pensée philosophique : et dès 1962, «on comptera plus de quatre.vingts docteurs et deux mille agrégés en philosophie »... Mais Bernard Jeu, soucieux des règles de l'historiographie classique, ne se contente pas de ces

qu'une dénomination extrinsèquè, un cadre, que la suite de l'analyse aura à remplir, étant bien entendu - précise Bernard Jeu - qu'elle est et qu'elle ne peut être que marxiste-léniniste. Dès lors, en bon historien pétri de la méthode cumulative, «ajus. tative », descriptive et anecdotique, caractéristique de l'historiographie philosophique française, Bernard J eu se livre à une combinatoire savante de citations et de références. Et, du coup, la logique et l'événement se renforçant, s'installe une prohlématique d'ensemhle. Ce qui retient la phi-

On voudrait que ces philosophes, lecteurs préten_ dûment assidus de Marx, d'Engels, de Lénine, de Staline, soient autre chose que ces totons universi· taires qui ressemblent, en moins bien, à la grande majorité de leurs collègues européens et américains.

informations et de ces remarques statistiques. Dans un rappel un peu court, il est vrai - du passé philosophique de l'Union soviétique, il revient sur les discussions de Dehorine et d'Axelrode, sur les débats portant sur l'interprétation de Spinoza et de Hegel. Et, avant d'entrer dans le contenu même - la philosophie soviétique au cours de ces dix dernières années - , il dégage un problème général. Trois termes sont en présence: les sciences, l'idéologie, la philosophie. Les premières sont définies d'une ma· nière fort schématique, comme étant ce grâce à quoi l'homme peut agir sur le monde; la seconde est entendue comme l'équivalent du discours politique; quant à la troisième, elle n'est

losophie soviétique post - stalinienne, c'est d'abord la question ontologique, celle de l'infini, _de la matière, du progrès. Celle·ci débouche, hien vite, sur l'interrogation morale, et, du coup, se trouve posé le problème de la vérité... Le détail : il est navrant. Ces philosophes soviétiques, pour « libérés» et « régionalisés » qu'ils soient, coincés entre l'idée qui continue à leur être imposée par l'héritage stalinien d'une ontologie marxiste et les exigences d'une pensée ayant à souscrire à des régulations pédagogiques normales, sont réduits à une désolante scolastique. Les discussions, dont Bernard Jeu rapporte méti· culeusement les modalités, sont, si on les prend au pied de la lettre, un mixte incertain de suhti·


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HISTOIRB

lités logiciennes" d'informations scientifiques hâtives et de certitudes dogmatiques : elles se situent dans l'ordre de la métaphysique traditionnelle. Faut-il accuser Bernard Jeu de naïveté? N'a-t-il point su lire entre les lignes de ces textes qu'il rapporte des affrontements profonds qu'ils impliquent ? On serait t~nté de l'espérer. On voudrait que ces philosophes, lecteurs prétendûment assidus de Marx, de Engels, de Lénine, de Staline, soient autre chose que ces totons universitaires qui ressemblent, en moins bien, à la grande majorité de leurs collègues européens et américains.

Un fidèle reflet Or, il est probable que Bernard Jeu n'est rien que ce qu'il a voulu être: un fidèle reflet. Ce qu'il dit de la philosophie soviétique contemporaine, c'est ce qu'elle est. Le post-stalinisme s'est accordé un luxe qui le réconforte (comme la bourgeoisie de Louis-Philippe en, France, au milieu du siècle dernier s'accordait de « signe extérieur ~ de richesse _et cette garantie de spiritualité): on « philosophe» en U:R.S.S. comme partout ailleurs dans les Etats développés; on discute allègrement de la liberté, de la nature, des lois de la dialectique ; on établit des programmes d'enseignement. A cette stupéfaction, le travail de Bernard Jeu est l'expression sincère. Reste ceci qui est peut-être plus important: Samizdat 1 a révélé, dans la conclusion, que des courants contradictoires, hautement significatifs du désordre soviétique, déchirent les intellectuels. Les philosophes seraient-ils à part'? Ne sont-ils que des fonctionnaires auxquels le pouvoir a remis des prérogatives théoriques.? En serait-il ainsi, n'y aurait-il pas parmi eux des francstireurs qui écrivent ce qu'ils pensent de l'institution philosophique post-stalinienne et de la société soviétique ? Bernard Jeu a écrit un premier volume: la Philosophie soviétique et rOccident. Un second s'im,pose dont le titre pourrait être, par exemple: la Philosophie soviétique et la révolution.

François Châtelet

Fritz Fischer

Les buts de guerre de r Allemagne impériale

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Préface de J. Droz Trévise, éd., 556 p.

Il a fallu beaucoup de courage à Fritz Fischer pour publier un tel ouvrage en 1961. Il y avait alors tout juste quinze ans que l'Allemagne nazie avait été écrasée et les dirigeants de Bonn imaginaient toutes les explications pour faire comprendre aux vainqueurs comment ils avaient été séduits et trompés par le nazisme; et puis il avait été trop tard et toute lutte contre Hitler était devenue vaine. Aujourd'hui encore, dans les Damnés, l'aristocrate Visconti montre comment, dans une société, des pervertis glissent au nazisme, comme si les pervertis étaient les seuls responsables des crimes que la société a pu commettre. Or, il n'en est rien. Il faut remonter bien plus loin pour repérer les premiers signes de la dégénérescence globale dont chacune des deux guerres mondiales a été la manifestation tragique. Que les deux guerres mondiales soient indissociables, qu'il faille rechercher leur origine dans la crise du capitalisme et dans le conflit des impérialismes à la fin du XIX" siècle, voilà ~ce que Fritz Fischer montre avec force. Pour lui, entre les buts de guerre de Hitler et ceux de Guillaume II, il Y a continuité, même si des modifications, dues à la conjoncture, ne permettent pas de conclure à une parfaite identité. Ainsi, certaines des données fondamentales de l'idéologie du système bitlérien, qui passent à tort pour spécifiques, puisent en vérité au fond d'une tradition qui remonte au début du siècle. Pour un Alle· mand, affirmer cette permanence est évidemment le fait d'un «'antipatriote ~ et l'on imagine avec quelle violence ont pu être atta·· quées les thèses de cet ouvrage. Faut-il ajouter que cette démonstration ne justifie en rien les thèses de ceux qui croient qu'il y a une,« éternelle Allemagne» ou autres ~alivernes. S'il existe une volonté de puissance

La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 nrai 1970

De Guillaume II , a Hitler des dirigeants allemands depuis la fin du XIX" siècle, le phénomène est lié à un stade précis du développement des rivalités entre les monopoles; on découvre des aspirations équivalentes chez les dirigeants d'autres peuples, mais proportionnées à la puissance de leur pays et reflétant ses potentialités ; simplement, hors d'Alle- , magne, il y a peu d'historiens aussi courageux que Fritz Fischer pour oser révéler ces ambitions. Ainsi, il est certain que les buts de guerre des dirigeants français en 1914 étaient à la mesure d'un pays dont le développement était en voie d'essoufflement. Leurs objectifs ';nt été en partie satisfaits par le traité de Versailles, mais les ambitions de certains dirigeants allaient, plus loin: ils envisageaient de «briser l'Empi. re allemand », Poincaré allant jusqu'à offrir la Silésie et la Bavière à l'Autriche.Hongrie, lors des négociations secrètes enga-

gées un an plus tôt par le prince Sixte-Bourbon. Les projets des dirigeants aIle· mands traduisent la volonté expansionniste d'une puissance industrielle, tard venue dans la course à l'hégémonie, mais qui, grâce à ses aptitudes propres (charbon, potasse, etc.) et grâce à un effort d'analyse rationnel du développement économique, imagine les moyens qui lui permettent de rattraper ses concurrents, de les concurrencer, de les menacer même dans leur existence pro· pre: de la même façon que l'An· gleterre et puis la France avaient pu, au stade précédent, paralyser le développement d'autres petites nations. La différence est évidemment qu'au stade de développement où l'on se trouve à la fin du XIX' siècle, seule une visio~ globale de l'avenir du monde permet d'orienter la production, de la rationaliser. Le concours des sociologues,

!!IIIIIIODVIIUTII r-r-IVRIL 70 , IIICIIL PDOrr

La terre et l'organisation soelale en Polp6sle

Une enqu6te sur le terraID pu an jeane etlmolope, élève de Léri·Stra1lll 29,70r

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Catalogue sur deDWide aux BdiÜODS Payot Beniee Q1. lOI, bd laiut-Oermain, ParisS·

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ÉCONOMIE

~

Fischer

POLITIQUE

des historiens, des géographes est François Perroux n'est assuréune nécessité économique absolue ment pas le moindre des éconoet ainsi, ce n'est pas un hamistes français. Son nom, si l'on sard, si, précisément à cette date, veut en désigner 11n de réputation, l'Allemagne tient la tête dans le est depuis deux décennies le predomaine des sciences humaines : mier qui vienne à l'esprit, et l'on il n'est pas fortuit que Marx soit voit même mal quel autre on u~ Allemand. pourrait lui opposer. Il est presIls sont ainsi, toute une cohorte que le seul, avec, quelques éconoqui', dans les années 1890, annonmistes mathématiciens à l'audiencent que l'âge des compétitions ce plus étroite, à se trouver Cité pacifiques entre Etats est passée. avec quelque fréquence dans les Gustav Schmoller estime que «cetravaux étrangers, et à voir par lui qui comprend que le cours de, exemple certains de ses écrits inrhistoire au xx· siècle sera déterclus dans ces «Readings ~ utiliminé par la compétition entre les sés dans les universités anglo-améRusses, les Anglais, les Américains ricaines. Sinon par son enseigneet peut-être les Chinois, par leur' ment direct - depuis de longues aspiration à réduire les autres naannées, il ne professe plus à la tions au rang de satellites, celui-là Faculté mais au Collège de Franverra dans une fédération de r Euce - au moins à travers ses discirope centrale le noyau de quelque ples, amis ou collaborateurs de chose qui'pourra sauver de la des-' l'Institut de Science économique truction non seulement rindépenappliquée et les revues et travauX' dance de ces Etats mais la vieille qu'il anime, il exerce en Frànce culture européenne ». C'est l'idée, un rayonnement indéniable. du Mitteleuropa qui constituera bientôt le premier stade auxquels François Perroux tendront, successivement, GuilIndépendance de r économie laume II et Hitler. nationale et interdépendance Le 'mérite de Fritz Fischer est de rév~ler que dès 1914, les buts des nations de guerre allemands visaient à la , Aubier-Montaigne, éd., 240 p. rédtrction de la France à l'état de pr~vince rurale dans une Europe allemande, une petite province Un nouvel effort de sa part ne d'ailleurs, amputée d'un bon tiers peut laisser indifférent. Aujourd'hui, en même temps qu'un livre de son territoire. Il montre égalede petit format, François Perroux ment que les b~ts d'hégémonie mondiale ne sont' pas le fait de interroge Hebert Marcuse, dont le titre évoque le contenu, il publie quelques militaires à la tête brû' lée mais que toute la société diri- un ouvrage dont la couverture porte «Indépendance» de la nageante les partage: des diplomates aux professeurs en passant, tion et dont le titre complet est « Indépendance ~ de r économie naturellement, par les industriels. L'énumération de ces objectifs nationale' et interdépendance des nations. Comme les premières pan'est pas un exercice vain, bien que pour l'essentiel, ces buts de gés l'indiquent, l'objet de l'ouguerre aient été formulés dans le vrage est d'examiner, à la lufeu de l,'action. L'Allemagne visait mière de l'analyse et des réalités à rien moins que la, constitution économiques, la signification et les conditions de cette indépend'un empire qui irait d'Ostende dance nationale, «aujourd'hui au Caucase, à l'empire turc et à hautement revendiquée par cerl'Afrique centrale, de Madagascar tain gouvernement ». Il s'agit aux Indes néerlandaises, du Brésil ,à, Dakar. M;aître à penser de, Hit-', donc, au départ, d'une réflexion 1er, Ludendorff les approuva, les, économique sur l'un des objectifs majeurs, sinon unique, de défendit devant les sc,eptiques. Quant à l'opposition, elle serait l'entreprise gaullienne. Toutefois, l'intérêt et l'actualité de l'étude neutralisée, car, disait Hugenberg: «devant de telles an- n'ont nullement disparu avec ce gouvernement ; tous ceux qui sont nexions, les travailleurs resteraient muets d'admiration ». Il aujourd'hui au contact d'étudiants savent qu'il n'est en fait s'agissait du même Hugenberg qui ouvrit, bientôt, la route du pou-, guère de quéstions qui retiennent davantage l'attention immédiate voir à Hitler. "Maré' Ferrp , que celles de domination et d'im-

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20,

FrançQÎs périalisme, d'indépendance et des possibilités des politiques économiques nationales. L'effort d'analyse tenté par l'auteur doit d'ailleurs, selon lui, pouvoir être appliqué au cas des autres nations occidentales développées et également, moyennant adaptation, aux nations en voie de développement.

Une emprise de s.tructure «Les inégalités entre les structures, entre les nations, introduisent des déséquilibres dont ne rendent aucunement compte les prétendus quasi-mécanismes régulateurs du marché des capitaux. » Si l'on tient compte de ce que l'on n'est pas, en matière de commerce extérieur comme ailleur!!, en régime de concurrence complète, qu'il existe des groupes économiques et financiers, dont les stratégies s'élaborent en liai· son avec celles de leurs propres gouvernements, on est fondé' à parler d'une « emprise de structure» exercée' sur l'autre par le partenaire qui a la plus forte structure industrielle. La conclusion de l'analyse n'est pas de conduire à une approbation sans nuance des politiques d'indépendance nationale. La réalité d'aujourd'hui est l'interdépendance des nations - le titre même de l'ouvrage le souligne. Les innovations, les capitaux, venus de l'extérieur, sont souvent facteurs de croissance. Mais l'analyse montre « que r augmentation du taux de crois· sance éventuellement engendré par le secteur entraînant soumis à décision étrangère» peut comporter un passsif, par les effets sur les structures et les pouvoirs ultérieurs de décision et d'entraînement qui en résultent. D'où la préférence de l'auteur pour ce qu'il appelle la ,« modalité forte de , l'interdépendance », formule servant à résumer le contenu à donner dans l'ordre économique à l'indépendance et à la politique qui en découle. La stratégie appropriée ne doit pas être seule· ment défensive, mais doit se défi· nir dans la moyenne ou longue période, par un programme ou plan indicatif et actif de la nation tendant à réaliser une struc· ture préférée.

Par cette analyse, l'auteur donne ainsi une justification d'ensemble a posteriori aux politiques suivies en France ces dernières années, quitte à en critiquer dans le détail l'application. Cependant, on doit observer que le développement des ~changes internatio,naux est actuellement rapide (Perroux note, dans le cas de la France, que le rapport des échanges extérieurs au produit national va se relevant, mais sans beau. coup souligner qu'il s'agit là d'un mouvement quasi-général) et il ne saurait être question de s'y opposer. Il est d'autre part diffi: cile de ne pas reconnaître qué, en France ou ailleurs, beaucoup ,d'erreurs ont été commises ces dernières années dans la conduite de la politique des investissements. Le besoin, par conséquent, est de crItères pratIques utilisables dans la conduite' des opérations. Les analyses du Professeur Perroux peuvent-elles fournir le critère opérationnel demandé? Ce n'est pas certain. Toutefois, venant mettre en évidence quelques-uns des phénomènes dont il importe de tenir compte dans l'évaluation des décisions, elles contribuent à relever substantiellement le niveau de l'information, et, à ce titre, devraient apporter une aide très positive aux hommes et organismes responsables. '

L'indépendance culturelle L'ouvrage se termine, après des remarques sur l'Europe, par un chapitre sur « l'indépendance culturelle », où est évoquée la menace de l'emprise que les Etats-Unis - puisque c'est bien d'eux qu'il s'agit tout au long de l'ouvrage - représentent. pour la culture moderne. «L'A mérique, ni aucun super-grand, ni aucun grand, n'offre un modèle accep· table de la société pour la masse »; mais l'indépendance .cultul'elle, comme toute autre, ne nie pas l'interdépendance. La conclusion générale est que «nul ne peut se dispenser d'une élaboration scientifique de rindépendance nationale et des modalités de rinterdépendance entre des structures organisées d'industries et d'activités. économiques. ». Philippe J. Bernard


Perroux Voici dix à quinze ans, on parlait beaucoup d'aliénation (Sartre, Goldmann, Lefèbvre). On désignait ainsi un état collectif de frustration résultant de l'inégalité économique et entraînant un désir plus ou moins violent de remise en question du monde...

Françoi8 Perroux Aliénation et société industrielle Coll. «Idée8;t Gallimard, éd. 183 p.

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Derrière ce terme d'aliénation 8e cache, qu'on le veuille ou non, une image ou une repré8entation, confuse ou non, de l'e88ence de l'homme. L'erreur trop souvent commise con8iste à confondre cette e88ence matérielle de l'homo me (dont l'inégalité prive les individu8 de la joui88ance immédiate) avec le vieil c humani8me ~ libéral qui pen8e l'homme 8ans chercher à le faire. . Depui8 le développement de8 doctrine8· contemporaines qui partent d'une réduction de l'expé. rience humaine au langage et dan8 le langage aux 8Y8tèmes, le mot d'aliénation perd 80n 8en8. Il ne s'agit plu8 de récupérer une eS8ence matérielle, de jouir de8 bien8 auxquels l'être vivant a droit 8uivant 8a propre nature, mais de définir le8 technique8 d'arrangements permettant de réa· liser des configurations stables, masquée8 80U8 la confu8ion extérieure. L'idée d'homme matériel capable· d'épai8seur exi8tantielle 8'efface· et lai8se place au technicien du langage 8pécifique. F. Perroux prend le problème à . l'envers. Certe8, 8a pensée 8e rattache au courant 8aint'8imonien qui mit l'accent sur les capacités réprimée8 de création collec· tive humaine - et cela avec une in8istance qui marqua profondément Marx. Mai8 la que8tion posée par ce bref manifeste e8t au fond de 8avoir 8i actuellement l'homme di8p08e des moyens de pa8ser de l'aliénation réelle à la création collective p08itive. L'idée de faire de l'aliénation une constante tragique de notre exi8tence devrait ici être rejetée : dans.. 8a 'polémique avec Marcu8e, La Quinzaine,

litt~raire,

déjà, Perroux 8'étonnait de voir élever au rang d'une maladie mortelle et métaphY8ique, d'un « mal du 8iècle », le ré8ultat d'un dé8équilibre provi80ire. Cela tient 8ans doute aux définitions ab8traite8 que Hegel a 8uggérées de cette aliénation où l'on ne voit plu8 en fin de compte que l'allure de péché originel. Or, «ce n'est pas le seul capi. talisme qui aliène les existants concrets, les sujets. C'est findustrie et les pouvoirs politiques de f âge industriel. Il ne suffirait donc pas tE éliminer le capitalisme pour éliminer faliénation. ~ L'e88entiel est là dan8 cette incapa· cité de8 groupes à inventer de8 forme8 collective8 neuve8 qui ne maintiennent pa8 un état de fru8tration - même en changeant le sens des mots. Perroux pense donc que la création collective ne peut 8e contenter d'être négative et de défi· nir négativement 80n objet - le non-eapitali8me qu'elle doit, par la convergence de8 «8ujets ~ collectif8 et individuel8, concevoir et con8truire une 80ciali8ation perpétuellement inachevée parce que perpétuellement en ge8tation. On dirait que 8e fondent ici deux idées celle du mutuali8me proudhonien et celle de la «révolution permanente» trotskY8te. Fusion féconde: ce n'e8t pa8 dan8 la pureté conceptuelle du musée idéologique que s'élaborent les instrument8 d'action mai8 dans le méti88age de8 concepts ancien8 et de8 8ugge8tions pré8ente8. Il exi8te donc une pratique déjà con8tituée, pense Perroux, et elle 8e manifeste par trois com· portements typiques: la de8truc· tion collective de l'homme, la fabrication collective de l'homme, la création collective de l'homme. Du choix qu'impliquent ces troi8 technique8 déjà fortement élaborées, tout dépend préci8ément du projet que nOU8 formulon8. Com· me le pharmacien fait le8 même8 études que l'empoi80nneur, l'homo me peut choisir, fût-ce 8a lente de8truction même. Le danger ne vient·il pa8 de ce que la société industrielle a 8uscité une contradiction plu8 grave que celle des cla88e8, entre masses et élites techniciennes? Exi8te·t.il un peuple où ce8 der~ nière8 se fixent réellement comme but de « déprolétariser ~ le8 masse8? Voilà qui «dramatise

du 16 au JI mai 1970

INFORMATIONS

Livres politiques

François Perroux

févolution de findustrie contem· poraine et qui désigne le redressement nécessaire ~. Car ce8 «élite8 technicienne8 ~, dè8 lors qu'elle8 8e pensent en terme d'efficacité, ne peuvent plu8 admettre l'idée d'homme matériel dans 80n épai8seur (et même 8i certaine8 d'entre elle8 vont chercher l'alibi de Teilhard de Chardin !). Elle8 doivent dé8humani8er le 8ujet ou, plu8 précisément, « chosifier» le rapport humain, comme le néo·freudi8me réduit la communication au phallu8. Mou· vement général qui élimine le 8Ujet collectif ouvrier du Capital et réduit la Révolution à une 8tra· tégie de 8tructure8. Et qui, par là, maintient une «aliénation» dont conceptuellement et hypocrite. ment le concept est récu8é ! De cette dialectique idéologique, le livre de Perroux touche un a8pect e88entiel. Peu impor. tent le8 présupposition8 phil08ophique8 de l'auteur: l'économie, ici, retrouve le8 donnée8 maté· rielles d'une création collective p088ible. Reste à 8avoir 8i cette création ne trouve plu8 80n point d'application, comme le croit Pero roux, ni dans la clas8e ni d·ans le groupe élargi. Re8te à 8avoir 8i, dans un univer8 qui, me8urant le coût d"'8 guerre8 générale8 et ne pouvant plus provoquer san8 8e détruire un conflit absolu, 8e condamne à la rivalité de8 impérialismes et par con8équent aux gué· rilla8, nOU8 traver80n8 un «âge noir », ou 8i nOU8 voyons s'élabo· rer une 80ciété nouvelle. Pour François Perroux; l'e8pèce humaine n'e8t pa8 encore 80rtie de l'animalité. L'homme n'est donc pa8 derrière nOU8 (comme le pen· 8aient Rou88eau et Marcu8e) mai8 devant nOU8. L'homme ou un mon8tre? Jean Duvignaud

Tandis que dans la collection • Pers· pectives économiques. de CalmannLévy paraît u·ne étude économique de Jean Parent intitulée Le modèle suédois, Rolf Nordling nous propose, dans la nouvelle collection • Management· de Fayard, une description de l'organisation sociale et économique de ce pays dans un ouvrage auquel il a donné le titre de La Suède socialiste.

Chez Julliard, Philipe de Saint-Robert publie une étude sur la politique française au Moyen-Orient et, en particulier, sur la politique du général de Gaulle: Le jeu de la France en Méditerranée.

Chez Robert Laffont paraît un document de Natalia Gorbanevskaia sur le fonctionnement de la justice en U.R.S.S., illustré par les pièces du procès des manifestants qui protestèrent le 25 aoOt 1968 à Moscou contre l'Invasion de la Tchécoslovaqule: Midi, place Rouge.

Aux éditions de Minuit est présenté pour la première fois au public français l'ouvrage fondamental du grand économiste allemand Rudolf Hilferding souvent cité jar Jean Jaurès et par Lénine: Capital financier • Etude sur le développement récent du capl. talisme (collection • Arguments .).

Chez Plon, où paraît le tome Il des Discours et messages du général de Gaulle: Dans l'attente (1946-1958), Jacob Tsur, ancien ambassadeur d'Israël à Paris, président du Comité directeur du Fonds national juif et du Conseil général sioniste, publie un essai IntitUlé Juifs, sionistes, Israéliens.

A Edition Spéciale, enfin, MichelAntoine Burnier et Bernard Kouchner analysent ce qui s'est passé en France depuis mai ·1968 dans un do· cument intitulé: Les chemins de la révolte • mai 1970.

George8 Perec a tardé à nOU8 envoyer la 8uite de son feuilleton.

Il s'en eXCU8e auprès de n08 lecteur8 qui trouveront dan8 notre prochain numéro la 8uite de W.

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POLITIQUE

Le jeune Trotsky Pour tous ceux de ma génération, la lecture gloutonne des écrits de Trotsky a été une étape quasi-inéluctable du procès de déstalinisation: à la fin des années 50, nous avions enfin, l'intelligence disponible, lu pour elle-même l'immense œuvre dont nous n'avions jusque-là connu que des bribes. parcourues d'ailleurs en service commandé et avec l'unique objet de les réfuter. Trotsky, Nos tâches politiques Trad. revue et corrigée par Boris Fraenkel. Pierre BeHond, éd.

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Cette lecture gloutonne m'avait rassasiée. D'autant que, tous comptes faits, l'observation de la Russie révolutionnaire (1917-1922) n'autorise guère à ~hercher chez Trotsky la variante salvatrice propre à consoler de la version stalinienne du bolchevisme: son plan de «militarisation du travail» au printemps 1920 et sa position dans la discussion sur les syndicats à l'automne de la même année - pour ne pas parler de son rôle à l'époque il était encore le « Prophète armé », s'orientait de manière à échapper sûrement aux méthodes et recours qui devaient disqualifier le système de pouvoir stalinien (1). De ce texte de Trotsky on ne connaissait en français que des fragments insérés par Souvarine dans son StaliTU3 (Plon, 1935), par Isaac Deutscher dans son Trotsky (Julliard, 1962), par Jean-Jacques Marie dans son édition du Que faire? de Lénine (Le Seuil, 1966), par Jean Baechler dans sa Politique de Trotsky (Colin, 1968). En voici le texte intégral. Depuis sa parution en russe en août 1904 à Genève, il n'avait jamais été traduit en aucune· langue ni republié, même en russe, Trotsky lui-même l'ayant désavoué. On devine les motifs qui commandèrent cette dillcrétion de Léon Davidov.ith à l'égard d;une de ses premières grandes œuvres politiques: c'est que Nos tâches politiques est «l'opuscule accusateur le plus violent jamais rédigé contre Lénine par un socialiste révolutionnaire~. Dès lors que

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C;lrte de presse de Léon Trosly dilivrée par la Préfecture parisienne

Trotsky eût décidé d'établir sa légitimité théorique et politique sur la proclamation de sa filiation directe et exclusive avec le léninisme, comment n'aurait-il pas tout fait pour escamoter les preuves de ses divergences doctrinales avec Lénine, preuves qu'en rev~n~ che ses adversaires staliniens n'ont cessé de brandir (dans la limite du moins où il leur était avantageux de brandir encore des textes plutôt que des accusations infâmantes: en fait, dans le cas qui nous occupe, si le texte est resté enseveli, c'est qu'il était sans doute trop prémonitoire pour qu'on en tirât argument à la place et contre Trotsky. On a toujours tort, en matière doctrinale, de subordonner la recherche de la vérité à des considérations tactiques : il est en effet plausible que, sous peu, le plus grand titre de gloire de Trotsky aura été d'avoir combattu le léninisme sur des points essentiels, d'aVOIr, jusqu'à son ralliement en 1917, élaboré, sans et contre Lénine, un «système de perception et d'action» pleinement autonome et original, qui fait de lui toute autre chose que l'épigone respectueux en quoi il a voulu se transformer, bref d'avoir été en quelque sorte, avant 1917, «marxiste-trotskyste », et non pas « marxiste-léniniste ~ comme il se déclarerà après qu'il eût été à la mi-temps des années 20 «désarmé ~. En ce sens, la publication de Nos tâches politiques illustre· et

renforce le sens du travail de Jean Baechler, travail hélas passé, malgré son intérêt exceptionnel, trop inaperçu parce que publié, dans une collection universitaire, en préface à un choix de textes (2) : Jean Baechler en effet s'était proposé de «mettre en évidence l'armature conceptuelle» du «système intellectuel» par lequel Trotsky percevait son temps et «les modèles d'action que cette perception . de la réalité entraînait ». Ainsi faisant, Baechler a restitué «ce que cela pouvait être de penser à la manière de Trotsky ~ ; il a pu montrer comment, même si - loin de là - tous les éléments de sa logique ne sont pas de lui (Trotsky, pas plus que Lénine, ne saurait être tenu pour l'inventeur de la lutte des classes, ou de l'impérialisme, ou d'un quelconque des grands thèmes spécifiquement «marxistes») , Trotsky néanmoins a un système clos qui lui appartient en propre : particularité qui d'ailleurs est seule de nature à expliquer son incroyable obstination, sa résistance il l'adversité et, malgré bien des zigzags circonstanciels, l'imperturbable continuité de son comportement et de ses convictions fondamentales. Comme il arrive généralement dans ce cas, ce système clos, Trotsky se l'est formé et donné très jeune. Quand aujourd'hui on s'ébaudit dans les milieux informés de la maturité précoce de notre belle jeunesse, dont témoigne, par exemple, la poésie des

graffiti nanterrois, on devrait bien se souvenir que Trotsky, quand il ferraillait ainsi contre Lénine, avait tout juste 24 ans. Et ce qu'il critique alors si furieusement, c'est l'ensemble des articles, brochures, discours que Lénine, au tournant de la trentaine, vient de rédiger ou de prononcer, entre autres: Par où commencer? (mai 1901), Que faire? (1902), Lettre à un camarade sur nos tâches d'organisation (1902-1904), Un pas en avant, deux pas en arrière (1904), bref très exacte· ment cette partie théorique et politique de son œuvre qui justifie sans conteste qu'on parle de léninisme (alors que continue à me paraître amphigourique le « léninisme» de Lénine philosophe). Quel est l'objet de cette polémique à laquelle tout ce qui compte dans le socialisme révolutionnaire russe de l'époque fut mêlé - Axelrod, le «cher maître» à qui Trotsky dédie sa brochure, Rosa Luxemburg qui intervient dans l'lskra de juillet 1904 par un article intitulé «Questions d'organisation de la socialdémocratie russe» et reproduit dans la Neue Zeit (article auquel Lénine a voulu sur-le-champ donner la réplique: «La camarade Luxemburg ignore souve· rainement nos luttes de parti et se répand généreusement sur des questions qu'il n'est pas possible. de traiter avec sérieux », mais Kautsky a refusé de publier cette furibonde protestation), Plekhanov qui écrit alors non moins aimablement que « Lénine n'a compris ni Kautsky, ni Engels, ni Marx». On a voulu réduire la discussion, dans la vulgate stalinienne ultérieure, à la définition des critères auxquels se reconnaît un membre du parti, la définition de Martov étant· vaguement plus lâche que la définition de Lénine. Il s'agit plus fondamentalement de savoir qui fait l'histoire: le prolétariat, les masses, le parti ou les professionnels qui en assument la direction? Sam doute aujourd'hui un tel débat risquet-il de se trouver merveilleusement épuisé s'il est vrai que, l'histoire n'ayant plus de sujet, personne ne la fait mais qu'elle se fait: bien loin d'avoir à cesser d'interpréter le monde pour se consacrer à sa transformation, la seule


Jacob et la"reprise individuelle" activité qui ne soit pas strictement insensée consisterait précisément à en acquérir l'intelligence. On n'en était pas là au, début du siècle. On voulait encore que, sinon Dieu ou la Providence, sinon l'Homme ou le Peuple ou les Masses, au moins une classe; le Prolétariat, directement ou par délégation, fasse l'histoire, en l'occurrence la révolution. Or, dans cette discussion, comme dans beaucoup de celles qui eurent lieu ces années-là - en musique, en peinture, en littérature, en psychiatrie ou en physique - on vit se profiler toutes les incertitudes et toutes les affres, toutes les alliances et toutes les rupture", des cinquante années suivantes. En la matière, Rosa Luxemburg, Trotsky, Martov et ses mencheviks tenaient que c'était du dedans de la classe que devaient naître puis s'élaborer l'initiative historique et le cours de la révolution. Lénine disait déjà que c'était là spontanéisme trade-unioniste et dilettantisme artisanal, et qu'il fallait que, de l'extérieur, se lèvent des intellectuels sociauxdémocrates, que prennent les choses en main, des révolutionnaires professionnels, tant au niveau de la formulation politique que de l'organisation centralisée et unifiée. L'histoire, pour une fois, a répondu assez clairement. Pour autant que quelqu'un l'a fait, Lénine «fit» la révolution, mais le système de pouvoir qui en découla vérifia, déjà sous Lénine et insolemment sous Staline, la sinistre prophétie du jeune Trotsky de 1904: «Ces méthode conduisent l'organisation du Parti à se « substituer» au Parti, le Comité central à l'organisation du Parti, et finalement le dictateur à se substituer au Comité central. » Les autres furent des martyrs, des victimes, parfois des complices. Qui eut le plus beau rôle? Question assez futile car la seule question sérieuse est la suivante : y a-t-il une troisième voie? Annie Kriegel (1) " faut reconnaître, à la décharge

de quiconque entend traiter de la Révolution d'Octobre qu'il est dès l'abord handicapé par l'existence de ce livre éblouissant: l'HistoIre de la Révolution russe, écrit précisément par Trotsky ,à Prlnklpo de 1930 à 1932. (2) Politique de Trotsky, présentée par Jean Baechler, Paris, A. Colin, 1968 (coll. U).

Alors que l'Assemblée vient d'offrir à l'arbitraire répressif le moyen d'inculper quiconque aura été le témoin d'un rassembfement, sous le prétexte fallacieux de protéger le patrimoine de la collectivité contre la violence des «casseurs », il apparaît, à "évidence, que la terreur sacrée qui saisissait la société bourgeoise à l'aube du siècle devant la profanation de la sacra-sainte propriété, fait toujours trembler les " honnêtes gens ».

1

Bernard Thomas Jacob Tchou, éd.

Comment ne pas lire dans la fabuleuse odyssée d'Alexandre Marius Jacob, ce précédent éclatant qui enseigne que l'ordre établi a toujours dérobé la sauvegarde des valeurs trébuchantes et sonnantes derrière celle des valeurs morales ? , Un enfant naît à' Marseille, le 29 septembre 1879, d'un père alsacien, ancien cuisinier aux Messageries Maritimes, déraciné sur le plancher des vaches parce qu'il a promis à sa belle famille de ne plus bourlinguer, et d'une' méridionale, Marie, abusée -par les sortilèges exotiques de l'ancien marmiton. Sur la lubie de son père, l'enfant est confié aux soins édifiants des Frères de l'Instruction Chrétienne. A douze ans, pour échapper à l'enfer d'un foyer désuni - Joseph, le père, noie dans l'alcool son inconsolable nostalgie des Tropiques et apaise ses accès de rage sur son épouse - Alexandre Marius décide de donner corps aux mirages de l'aventure dont J ules Verne, relayant son père, l'a grisé. Pendant quatre ans, Alexandre Marius verra ses illusions héroïques partir en lambeaux. C'est ainsi qu'en 1890, Jacob embarque comme novice à bord du Thibet. Mais, très vite, il déchante, car la vie d'un mousse sur un cargo est faite de corvées harassantes dans une promiscuité douteuse; en butte aux brimades incessantes des officiers. Au cours de son expérience de navigant, il est même engagé à bord d'une baleinière pirate qui arraisonne des navires en haute mer, pille leur cargaison, massacre l'équi-

Couverture du livre de poche pour un "Arsène Lupin "

page. C'est par hasard qu'il échap. tre de Jacob avec le mouvement pe au sort des flibustiers qui fini· anarchiste eut lieu au cours d'une l'ont pendus haut et court. Il s'arréunion du groupe des Rénova· rête de naviguer à quinze ans teurs, à Marseille. Il se lie avec parce qu'il a contracté une fièvre les milieux libertaires où domine paludéenne dont les accès le fe· la figure de Roque. C'est ainsi l'ont souffrir toute sa vie. De sa qu'il devient typographe à l'Agibrève et riche carrière de mate- tateur, feuille anarchiste de la rélot, Jacob a retenu l'humiliation gion, participe à la composition que le plus fort fait subir au plus du journal, fait la connaissance faible, le trafic clandestin dont de Charles Malato, fils d'un com·' s'enrichissent certains membres munard déporté en Nouvelle Ca· de l'équipage et des armateurs au lédonie. Sa première arrestation détriment de leurs clients, la trai· a .lieu sur dénonciation d'un indite des noirs et des blancs, et, pen- cateur de police qui a répété les dant ses escales, il a assisté à cer- propos incendiaires qu'il aurait taines opérations sanglantes entre- tenus au cours d'une discussion prises au nom de la civilisation avec Roque. Il est inculpé pour blanche par les puissances colo- détention et fabrication d'exploniales contre les populations indi- sifs que le mouchard avait glissés gènes. Il eut même l'occasion de à son insu. Condamné à six ans rencontrer Louise Michel, cette de réclusion par la Cou'r d'Assises passionaria communarde chantée du Var, il purge, sa peine dans par Victor Hugo, qui tenta d'évan- un asile d'aliénés. géliser les Canaques de l'Ile Nou. A dix-huit ans, ayant perdu C'est un cousin éloigné confié tout espoir de gagner «honnêteà la tutelle de son père qui fera ment:t sa vie, il saute définitivelever chez Alexandre la ferveur ment le pas pour devenir cet ,enanarchiste. La première rencon- trepreneUl: de démolition con,tre

~ La Quinzaine littéraire, du 16 /lU 31

m/li

1970

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INFORMATIONS

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Jacob

la société bourgeoise. Tout au long de sa carrière de justicier cambrioleur qui déhute le 31 mars 1899 par un coup d'éclat, Jacob, qui signe ses premières ef'fractions du nom d'Attila, s'attaque à toutes les institutions qui symbolisent l'ordre étahli: la banque, les rentiers, les proprié. taires, les industriels, les militaires et les prêtres. Son premier cambriolage révèle sa manière: la victime est un receleur sur gage un commissionnaire c'est-à-dire un usurier qui s'enri· chit en revendant les ohjets déposés en gage par ses déhiteurs, évidemment incapahles de le rem· bourser. Sa méthode: il usurpe l'uniforme d'un commissaire de police et rend justice en hafouant l'emhlème dérisoire de l'ordre public. Comment ne pas être transporté d'admiration et de sympathie pour l'idéal de J acoh et le pana· che qui relève toutes ses actions ? A travers l'extraordinaire desti· née de Jacoh, Bernard Thomas montre les origines de l'explosion anarchiste, sur quels ahus épou. vantables provoqués par le développement incontrôlé du capitalisme, s'est greffé ce rameau utopique et fou de générosité de l'esprit révolutionnaire. Jacob est le frère réel des héros suscités par l'imagination populaire, Fantômas, Lupin, dont les vertus che· valeresques et les exploits sont accomplis à la barbe des forces de l'ordre, expriment la protes· tation des exploités contre le scan· dale de l'injustice. Après avoir improvisé ses pre· miers cambriolages, Alexandre J acoh organise son réseau: les Travailleurs de la nuit. La serru· rerie, l'indicateur des chemins ,de ler, le recrutement d'anciens repris de justice frappés d'interdic· tion de séjour et sympathisants de la cause anarchiste, enfin, comme il le dira ironiquement lors de son procès, la décentrali· sation de ses activités en province lui permettant d'agir avec célérité, suhtilité, et de paraître doué du génie d'ubiquité. Il écoule les hijoux volés au moyen de filières dont les ramifications s'étendent à l'étranger. Il se fera même un ami d'un représentant de la Lloyd à Amsterdam qui le consulte sur la technique du fric frac. Le nom· bre des repri!'es indh·jduelles est

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düficile à évaluer, d'autant que des dissensions ayant parfois fait éclater la bande, certains d'entre eux opéreront à titre individuel. Il est certain que J acoh a effectué près de deux cents vols et cam· briolages. En faisant le portrait des principaux compagnons de Jacoh, Bernard Thomas dresse un tableau sociologique sur les causes de la délinquance à la Belle Epoque où la frénésie spectaculaire des affaires s'accompagne d'une épouvantahle paupérisation. On aperçoit aussi ce qui faisait la faiblesse idéologique de l'entreprise de récupération individuelle. La fin ne justifie pas tous les moyens, et toute révolution porte le stigmate des tares originelles qui l'ont fait aboutir.

Le 22 avril 1903, Alexandre Ja· coh est ahandonné par la chance et se fait arrêter après une chasse à l'homme qui durera toute une nuit. Son procès, qui s'ouvre de· vant la cour d'assises de la Somme, le 8 mars 1905, éveille un écho forlnidahle, et se tient dans une atmosphère d'émeute. Les mi· nutes du procès dont Bernard Thomas livre des extraitsrévè· lent l'éloquence, le talent, l'énergie indomptahle de Jacob qui transforme Je prétoire en trihune. La fin du procès se déroule à huis clos, en dehors de la présence des accusés, qui seront tous condamnés à des peines excessives. J acoh est condamné aux tra· vaux forcés à perpétuité. Il purge alors vingt ans de bagne à SaintLaurent-du-Maroni et à l'Ile du Diable dans des conditions qui en disent long sur la répression sous la Ille République. La vie de J acoh ne peut être séparée de l'arrière-plan politique et social qui la hausse à une dimension exceptionnelle. Cette existence, que l'on se réfère au Voleur et à Biribi de Darien, est un témoignage accahlant sur le scandale de l'ordre bourgeois sous la Ille Répuhlique, sur le traitement pénitentiaire infligé dans les comptoirs outre-mer aux bagnards soumis à un régime qui n'aura rien à envier à l'institution concentrationnaire. Le livre de Bernard Thomas, écrit d'une plume alerte et élégante, est remarquable par sa documentation historique.

Alain Clerval

li l'étranger Peter Faecke et Wolf Vostell font paraître chez Luchterhand un • roman par correspondance. (Postversandroman). Assemblage de textes, de photos et de disques, il est distribué par la poste à raison de onze livraisons bihebdomadaires. Cè livre-objet s'élabore au fur et à mesure de sa parution et fait appel à la collaboration du lecteur prié de faire des suggestions par téléphone ou par écrit ou encore d'envoyer des documents aux auteurs. De plus, chaque lecteur doit enrichir son propre exemplaire d'éléments de son choix: coupures de journaux, tél é g ra m mes, bulletins d'agence, documents personnels. Il ne doit plus exister, à la fin de l'opération, deux exemplaires qui soient identiques.

Hans Magnus Enzensberger sort, chez Suhrkamp, un livre document in· titulé Das Verhor von Habana. On y trouve reproduit huit parmi les quarante interrogatoires publics que les membres d'un comité révolutionnaire cubain ont fait subir à des prisonniers anti-castristes après l'invasion de la Baie des Cochons. En analysant, dans une longue préface, le contenu de ces interrogatoires, Enzensberger a saisi • une occasion uni· que de dégager les structures men· tales de la classe dominante dans une société répressive fondée sur l'exploitation et l'aliénation-. L'historien et polémiste anglais David Irving (c La Destruction de Dres-' de., • Accident., éd. Laffont) a été condamné pour diffamation à une amende de 25.000 f: augmentée de 15.000 f: de dommages et intérêts et de 35.000 f: de frais de justice, peine maximale rarement prononcée par un tribunal anglais dans ce genre d'affaire. Ce jugement a été rendu à l'issue d'une procès intenté à l'auteur par un officier de la marine anglaise à propos de son dernier livre, The destruction of the convoi P.O. 17. Irving y relate la tragique aventure d'un convoi de trente-huit cargos anglais et américains faisant route, en' 1942, vers le Nord dé la Russie et dont la protection devait être assurée par des bâtiments de guerre anglais qui les abandonnèrent à mi-chemin sans raison connue. Le convoi fut alors anéanti par les avions et les sous-marins allemands. L'auteur qui avait interrogé trois cents survivants et consulté, pendant des années. des rapports militaires américains, anglais et allemands. se sent • victime d'une machination de l'Establishment destinée à le réduire au silence.•

On l'attendait depuis plusieurs années. Le dernier roman d'Arno Schmidt vient de paraître aux Editions Stahlberg. Zettels Traum pèse 8, 5' kg et comporte, en fac similé, 1.352 feui lIets manuscrits de format Din A 3, l'équivalent de 5.320 pages d'un livre, courant. Zettels Traum décrit vingt-quatre heures de la vie d'un érudit, Danil Pagenstecher (Dan), vivant en solitaire dans un village de l'Allemagne du Nord, qui reçoit la visite d'un couple d'amis et de leur fille de 16 ans, venus consulter l'œuvre de E.-A. Poe. C'est ainsi que le roman se double d'un essai sur Poe dont Schmidt analyse le langage grâce à la • théorie des étymes. qui constitue la grande originalité de sa recherche (les étymes étant des radicaux verbaux susceptibles d'être assemblés par le subconscient et dotés de sens multiples). Schmidt qui a consacré dix ans à la rédaction de son roman, recommande • au critique Intelligent de ne pas le commenter pendant un an, mals d'en signaler simplement l'existence-.

I.L.

M.

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La Quinzaine Il.....1..

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CINEMA

L'aveu L'Aveu, film réalisé par Costa Gavras, opérateur: Raoul Coutard; scénario de Jorge Semprun, tiré du livre d'Artur London (L'Aveu, Gallimard, 1970), avec Yves Montand, Michel Vitold, Gabrièle Ferzetti, Simone Signoret, etc. (2 h 15) « Arrestation qui, dans sa forme, relève plus du gangstérisme que de l'éthique communiste ! ", écrit Artur London en racontant le début de son aventure (1). Et le film que Costa Gavras, le réalisateur de Z, a tiré du livre de London, l'Aveu, commence ainsi comme un film de gangsters: des hommes à chapeau mou et à imperméable prennent en filature le viceministre des Affaires étran. gères de Tchécoslovaquie, le coincent dans une petite rue de Prague, l'assomment et le kidnappent.

Dans l'ouvrage compact de London, fourmillant de rappels historiques et de références politiques, Costa Gavras devait nécessairement faire un choix; il a construit son film sur ce qui est la structure même du livre, la fabrication des aveux, pièce maîtresse de la grande machinerie des procès politiques. Nuit et jour, pendant des mois, policiers, officiers de la Sécurité, se relaient face à London pour lui arracher des signatures; il s'agit de faire d'un militant communiste au passé prestigieux secrétaire des Jeunesses communistes d'Ostrava à 14 ans, plusieurs séjours en prison pour activité politique, volontaire dans les Brigades internationales en Espagne, engagé dans la Résistance en France, déporté à Mauthausen - un « espion trotskyste-titiste à la solde de l'impérialisme américain" (selon une formulation par ailleurs abondamment employée dans toute la presse communiste à une certaine époque), et impliqué dans le " Centre de conspiration contre l'Etat dirigé par Slansky Les moyens employés sont décrits avec force et précision: toutes les formes pqssibles d'humiliation, la faim, la soif, les coups, le chantage des relt.

présailles contre la famille, le chantage de la fidélité à l'idéal communiste et, le pire de tout, dit London, le manque de sommeil, concourrent à transformer l 'homme en loque; Yves Montand a su admirablement incarner et donner à voir cette dégradation: l'élégant diplomate qui descend avec vivacité les marches du ministère, qui " exige encore des explications, devient, en peu de temps, le détenu 3 225; le mâle souple et musclé aux gestes sûrs n'est plus, au bout des labyrinthes et des cellules, qu'une forme innommable - l'innommable - flottant dans du drap tion du "référent la reprépénitentiaire gris sale. rable ; elle est rendue par Costa Pour montrer cette décompo- sentation peut commencer, le Gavras dans une scène étonprocès public est ouvert. Le corsition, cette déshumanisation, nante, où Montand-London, affacette division de l'individu, Cos- respondant de l'Humanité est mé, épuisé, débite l'épopée réprésent, en bonne place; il ne volutionnaire du père à un polita Gavras a .multiplié les gros s'inquiétera pas de savoir quel plans, qui se révèlent ici d'une cier vautré dans son fauteuil et genre de public garnit la salle, remarquable efficacité: sur le qui s'endort, gavé de bière et ni de la surprenante aisance de visage de Montand-London, les de sandwiches; mais le fond rides se creusent, les joues s'af- parole des accusés; parfois un politico - historique qui rend faissent, les yeux s'alourdissent mot oublié met un grain de sa- exemplaire l'aventure de Lonble dans une machine parfaite- don n'est suggéré que par de et se voilent, s'ouvrant avec ment huilée - ou alors, l'imprépeine sur un regard hébété, la brèves ou trop elliptiques imavisible: un pantalon trop ample bouche perd toute consistance, ges: le fanion rouge de la brio qui s'avise de tomber au mo- gade Thaelmann, pour la guerre les poils envahissent la peau ment d'un interrogatoire, entraîcomme une végét~tion sauvad'Espagne, quelques inserts nant public. accusés et gardiens ge; non. seulement le corps, d'actualité pour Staline ou la dans un fou-rire hystérique. Sur mais encore· l'espace et le manifestation en faveur de Sacles quatorze accusés, onze sont co-Vanzetti, l'ample marée révotemps chavirent, éclatent, ne condamnés à mort, exécutés et sont plus qu'instants et morlutionnaire montant derrière Léleurs cendres dispersées sur nine et quelques vues de la réceaux épars: mains prises dans les menottes, poings des poli- une chaussée verglacée dans volution bolchevique cela les environs de Prague; les ciers serrés sur la victime, pouvait suffire à des lecteurs trois autres, Hajdu, Lobl et Lonpieds tuméfiés, lampes faites avertis du livre de London, mais don, condamnés aux travaux ,la présentation de l'œuvre à pour aveugler, portes faites pour être claquées et laisser dé- forcés à perpétuité, seront réhades centaines de milliers, peutbilités en 1956. ferler menaces et assauts, juêtre à des millions de spectaA se centrer ainsi sur les das faits pour porter l'agresteurs, appelait sans un doute sion des regards et des cris... techniques en quelque sorte un développement de l'aspect gestuelles et psyéhologiques Des plans très brefs, réduits à informatif et didactique. de l'aveu, sur la fabrication craune forme forte et simple, à un Plus discutable et de plus de puleuse d'un procès politique, . portée paraît être le traitement geste sommaire, brutal, à un à se maintenir au plan policier- des résonances idéologiques du visage traversé d'un hurlement, judiciaire, le film de Costa Ga- témoignage de London. Il était à un regard envahi par la panivras donne sa pleine mesure que, sont montés à un rythme peut-être légitime, ici, de mieux et s'offre comme un film-choc, rapide, haletant, instituant ce distinguer le portrait politique " carrousel dont parle un offi- aux effets perceptifs et émode la femme de London, Lise, tionnels immédiats et sensi- aux dépens des aspects hucier de la Sécurité et destiné à emporter l'accusé dans un bles, qui doivent beaucoup à la mains, familiaux: staliniennemouvement proprement affolant, . grande habileté de l'opérateur type, parlant par citations de à faire de lui un objet inerte, Coutard. Il était, en revanche, Staline ou slogans de kermesse plus difficile de rendre deux dimalléable, entre les mains des (" Ceux qui vivent sont ceux mensions importantes du témoipoliciers et des conseillers soqui luttent >l, dit-elle au cours gnage de London: le passé viétiques. d'une visite à son mari épuisé historique et la résonance idéoL'homme brisé est logé alors et que le moindre faux-pas enlogique. à l'exacte place dessinée pour verrait à la mort), elle est de lui dans le jeu de construction; ces militants fanatiques et borDans la formation politique il a été" défait lt et " refait lt, il de London, la figure splendide nés pour qui " Le Parti A Toudu père joue un rôle considéa appris son rôle sous la direcjours Raison Elle risque fort lt

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~ La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970

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Tristana

L'aveu

de bien représenter un vaste public communiste ou sympathisant qui va • recevoir - le témoignage de London et le film de Costa Gavras d'une façon particulière, aux fins d'une récupération. Elle présente, en outre, l'intérêt de mener, par des Hens familiaux, à des officiels du' Parti communiste français, comme Raymond Guyot, ce qui amène à poser en des termes plus précis, plus concrets, le problème des responsabilités et des complicités. Ce problème est posé par Costa Gavras dans quelques séquences, insérées dans le développement policier - judiciaire, qui sont probablement parmi les plus faibles: sur la Côte d'Azur, Montand-London, libéré, discute avec deux amis, entre viande et salade, de son aventure et de ses réRercussions; le calvaire de London, qui fut celui de millions de victimes du stalinisme (2), aÏimente une espèce de bavardage mondain, le jeu de ce qu'il eût fallu dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire; ce qui est plus grave, c'est que s'opère ainsi un glissement Idéologique décisif: au moment même où, passée l'étape du • gangstérisme - policier et judiciaire, le problème fondamental politique devrait être enfin posé, il est question d'. éthiqùe communiste -, de • nouveau respect des valeurs humaines -; partant pour Prague porter son manuscrit à "Union des écrivains tchécoslovaques, Montand-London, légion d'honneur à la boutonnière, déclare avoir le Parti avec lui; ainsi, jusqu'au bout, l'illusion est entretenue, l'équivoque s'accroche. Jusqu'au moment où, dans Prague, prennent po si t ion 600 000 hommes et 6 000 tanks. Alors, il n'est plus question de la seule responsabilité de tels ou tels agents de la Sécurité, le problème est celui dG la politique des partis communistes, de la structure du pouvoir et de la société en Union soviétique. Roger Dadoun (1) Cf. l'article de M. Nadeau, Quin-

zaine littéraire n° 66. (2) Un témoignage analogue à celui d'Artur London est donné par Vincent Savarius dans Volontaires pour "Echafaud, Dossiers des • Lettres Nouvelles., Julliard, 1963.

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Le cinéma - disons l'écriture cinématographique - , c'est autant de possibilités que le roman et la musique à fa fois, l'événement et la psychologie, l'opéra et la sociologie, le champ libre laissé à la lumière, aux mots, aux sons, aux lettres, à tout ce qui se passe entre tout ça : une façon de mettre en relations, relations de l'espace et de la figure, du discours et de sa rupture, c'est l'instrument de toutes les dialectiques et la meilleur approche du spectacle total qui leure approche du spectacle total qui champ pédagogique au champ formaliste le plus dénudé. Le dernier film de Bunuel, Tristana, est à la limite du supportable tant le souci de narrer selon les lois les

cinéaste du Chien Andalou. • Hé ! l'auteur de Viridiana, réveille-toi!. En effet, tout le côté agressif sur le plan visuel est complètement gommé. C'est à peine si le cauchemard de l'héroïne (elle voit la tête de son tuteur pendue à la place du bourdon nfl la plus grosse cloche de Tolède) vient secouer une narration assoupie, fluide, sans surprise et se déroulant avec une régularité confondante. Tout se passe comme si Bunuel se détournait d'un art du choc de l'image, de la dénonciation polémique, au profit de quelque chose d'autre qui vient constamment affleurer un récit filmique sans histoire. Ce quelque chose d'autre, je "appellerai volontiers une attention plus

Catherine Veneur e plus conventionnelles du genre sont soutenue. Comme si nous nous trourespectées. Je n'al pas lu le roman vions en présence d'un homme qui ne baisse plus les yeux, mais qui espagnol (1) dont le film est tiré, les tient ouverts, d'une façon Intense, ,mals les clichés et les personnages traditionnels abondent de manière si - et sur tout. Bunuel est prodigieuseeffarante qu'on ne peut croire à la ment intéressé non par ce qu'II ranaïveté de Bunuel sur ce point précis. conte, mals par ce qu'II volt. Il abanDe la servante modeste et muette donne un art de l'expression et un comme une carpe au forgeron-braveart de la dénonciation pour un art type, des ecclésiastiques onctueux au qu'on pourrait appeler un art de la vieillard qui n'a pas les yeux dans nomination, qui va parfois jusqu'à sa poche, du peintre-artiste-impulsif une certalno forme de glorification. à la vieille fille acariâtre, Luis Bunuel Je m'explique. ressort les plus vieilles figurines d'un art romanesque usé depuis longtemps. La meilleure part du film tient dans les plans qui sont dramatiquement les Le premier mouvement est un mouplus anodins, les plus neutres. C'est vement de déception.• Il a vieilli, le père Bunuel ! •• Pas très agressif, le une conversation entre un prêtre et

l'héroïne, mais, curieusement, on ne s'intéresse pas à ce que les personnages disent. On s'intéresse à ce verger, à l'air du temps, aux herbes, à ce qui tait la beauté fragile du moment. Le film éclate de beauté dans les plans • pour rien., ceux qui laissent la caméra devant une porte d'église, une ruelle en pente, un salon dans la pénombre du soir, une croisée devant laquelle la neige tombe. Cet art non plus de mise-enscène mais de mise-en-présence atteint le comble de la perfection lorsque le cinéaste se laisse à filmer le visage unique, pâle, tendu, diaphane, blanc comme certains marbres et rose comme certains pastels français du XVIII", le visage de Catherine Deneuve. Le film est un véritable chant, parfois, à la Femme. Il y a quatre ou cinq plans de Catherine Deneuve d'une telle plénitude dans la vibration sensuelle que le film rejoint cette beauté pleine, harmonieuse, apaisée, qui ne se trouve que dans les pages de l'Odyssée. là où chaque mot fait tenir une parcelle d'un Eden perdu. On comprend alors pourquoi Bunuer a pris plaisir à montrer des personnages stéréotypés, joués par des acteurs sans grand talent (Catherine Deneuve étant un cas à part), parIant une langue molle et morte, empesée mals friable, singeant un beau langage de mauvais roman du début du siècle; on comprend tout. Bunuel récuse ces vieilles histoires dans ce qu'elles expriment. Mals il aime à tourner d'après ces supports parce qu'ils permettent un libre jeu de la sensibilité qui s'exprime dans une plénitude à laquelle Bunuel ne nous avait pas habitué. Les êtres et les choses jouent de leur présence nue. La violence a fait place à une recherche de la présence prise pour elle· même et glorifiée dans son étrangeté. Tout ce qui appartient à l'univers passé de Bunuel (les motivations d'une société hypocrite fondée sur les fausses valeurs) et à ses dénonciations Incessantes est relégué au second plan - au sens propre du mot - comme ces ombres de policIers déambulant dans les squares ou les portes des cafés. On peut le regretter. Néanmoins, Il fallait ce film. Il fallait cette recherche marquée d'un formalisme qui finit par s'autodétruire lui-même pour céder la place, un bref Instant, au chant pur de la lumière et du visage d'un être. Cette sorte de regard subitement pétrifié devant l'être, devant le mystère de ce qui échappe au dlcible et qui ne joue que de sa plénitude temporelle, comm'e des reflets d'eau jouent sur un mur, a quelque chose de bien séduisant. On revient à cette forme d'art des grands Primaires: d'Homère à Faulkner. Le discours filmique s'entretIent de ce bruit des choses qui sont, hors de toute parole. de tout discours et qui sont et qui ne cessent d'être et qui vibrent comme un incessant arra· chement à notre regard. Jacques-Pierre Amette (1) Trlstana, de Benito Perez Galdos.


TRÉATRE

Chéreau au Piccolo hors-la-loi, cette légitimité que Sartre, en ce moment, semble être en train de nous rappeler.

Stendhal avait choisi de vivre et de mourir • milanais.: la France de Charles X et de Louis Philippe le dégoûtait. Patrice Chéreau paraît en passe de choisir, lui aussi, l'Italie: la France de mai 70 n'a guère de quoi retenir. Le triomphe qu'il vient de remporter à Milan a vu avec la pièce de Neruda lui donner la possibilité d'user du prodigieux Instrument de travail qu'est ce Piccolo Teatro dont Strehler et Paolo Grassi ont fait un des premiers théâtres du monde: on lui demande d'assurer en partie la prochaine saison du Piccolo.

Une nouvelle pratique thédtrale

Chéreau en Italie La rencontre de Chéreau et de l'Italie n'est pas fortuite. Nature et culture - comme on dit - , tout paraît chez lui, comme chez Stendhal, tenir à l'Italie. Sauf ce qu'il doit à Brecht et qui, certes, n'est pas minime, puisque depuis L'héritier de village en passant par Le prix de la révolte au marché noir, jusqu'à Splendeur et mort de Joaquim Murieta, c'est un mode brechtien de récit et d'analyse qui gouverne ses mises en scène: encore son Brecht à lui est-il plutôt celui de Giorgio Strehler que celui des Allemands, ou de Planchon. Mals c'est avec les Soldats de Lenz que Chéreau a éclaté à lui-même: romantisme et libertinage, passion de l'opéra, fascination devant les corps, leurs jeux et leur beauté et l'Insolence de leurs désirs, goût • décadent,. pour les formes en décomposition, les architectures en ruine et les passions de l'Immaturité, Chéreau avait découvert son univers; il lui restait à aller chercher chez Léonard de Vinci la • machine théâtrale. dont il allait user dans deux pièces chinoises, dans Don Juan et Richard Il. Tout, dès lors, était italien: la terre de Visconti, de Strehler, de Verdi, de Léonard, des grands scénographes de la Renaissance, des fresques d'Arezzo, de Pompéi ou des tombes étrusques, c'était la sienne.

Un discours double La terre de Fellini aussi, et du Pirandello des Géants de la montagne: deux hommes qui hantent étrangement l'idée de la grandeur et de la dérision de ce moyen d'expression vieux comme le monde qui s'appelle le théâtre. Or, depuis Le prix de la révolte... jusqu'à Joaquim Murleta, c'est un discours sur le théâtre et sur sa mort que nous tient Chéreau. Un discours double: sur le théâtre et sur l'Insurrection. Un homme de théâtre, en 1970, a-t-il autre chose à nous dire, qui nous concerne? J'admire dans les deux cas (la • proposition de pièce. de Dimltriadis et l'. oratorio insurrectionnel. de Neruda) avec quelle Intelligence Chéreau s'empare d'une œuvre pour lui Imposer sa propre articulation et y loger son propre discours sans que l'œuvre originale soit en rien trahie pour autant. Mals Le prix de la révolte ne débouchait sur rien: l'assassinat de Lambrakis par la monarchie

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Une scène de Joaquim Murieta grecque 'n'était pour Chéreau, juste aprés mai et les désillusions, qu'un prétexte à un éblouissant exercice de virtuosité où l'on voyait fonctionner le pouvoir et sa théâtrale imposture, les comédiens de Chéreau continuer maladroitement les colloques confus de mai et Chéreau nous dire' avec quelque complaisance son impuissance descène. théâtre et son politique génie de d'homme metteur en Cette fOIS, dans le spectacle le plus beau peut-être, en tout cas le plus achevé qu'il nous ait donné (il disposait, cette fols, des comédiens du Piccolo...}, Chéreau nous tient un discours positif. Certes, il assassine - et avec quelle tendresse, et 'avec quelle richesse d'invention poétique un vieux théâtre exténué, une forme d'art décomposée: ces cabots, ces travestis, cette prima donna décatie, il en connaît la solitude, le dééhirement ou le vide intérieur, leur vie fantomatique de poupées ventriloques. Mais à partir du moment où le peuple public, paysans, ouvriers - , balayant les oripeaux du vieux théâtre, se mettent à Jouer eux-mêmes, à dire eux-mêmes l'his· toire de Murieta, de ce hors-la-loi qu'on les conduira sans doute à être, puisqu'ils sont comme lui des humiliés, des exploités, et faire entendre partout qu'ils partent dans les villages pour cette histoire exemplaire, dès lors c'est une nouvelle parole théâtrale qui prend forme, née du peuple et retournant à lui, pour l'éclairer et le soulever: le légendaire ainsi ancré dans l'actuel,' et Guevara se profilant dans Murleta, la cantate humaniste de Neruda, d'un progressisme simpliste et non-violent (œuvre bien médiocre dans le texte français que nous en donne Suarès) devient appel à l'Insurrection, matière d'un authentique théâtre d'agitation (Chéreau a vu à Nancy la troupe d'ouvriers agricoles mexicains et californlens, • El Campeslno.), une œuvre capable de dire la légitimité, à tels moments de l'Histoire, de la violence

La Quinzaine littéraire, du 16 au JI mai 1970

En tout cas, ce n'est pas merveille si la mise en scène. à ce moment du spectacle, paraît se référer expressément à Brecht: c'est plus qu'une • citation. (comme ces • citations. de Fellini ou de Strehler, évidentes dans le spectacle): le mouvement épique commande. Sur les ruines du théâtre ancien, une nouvelle pratique théâtrale s'instaure, qui se confond avec la violence révolutionnaire. Il est bien que Patrice Chéreau nous l'ait dit, et nous l'ait dit avec cette force que, paradoxalement, semble ace r 0 î t r e encore le raffinement extrême que prend chez lui l'intention poétique servie, cette fois, par les comédiens du Piccolo, ces prodigieux Arlequins qui Jouent aussi parfaitement Brecht que Goldoni, ces comédiens capables de tout, et d'abord de vérité. Pour la première fois que Chéreau, sans renier son goût de la • décadence., nous fait entendre une parole positive, Il était bien qu'il eût ces moyens pour nous la faire entendre. GlIIes Sandler

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sociales, nationales, leur impact et leur charge mythique.

POLITIQUE ECONOMIE Jacques Baguenard Jean-Charles Maout Raymond Muzellec Le président de la V' République Armand Colin, 112 p., 5,80 F. L'élection, le statut et les fonctions du Président de la République selon la Constitution actuelle. Dominique Carreau Le fonds monétaire international A. Colin, 272 p., 16 F. L'organisation, le fonctionnement et les activités de cet organisme international. Hans Magnus Enzensberger L'Allemagne, l'Allemagne, entre autres Ch. Bourgeois, 272 p., 19 F. Un ancien «jeune Allemand en colèrenous parle de "Allemagne (voir le n° 35 de la Quinzaine). Fischer et Manlk Ce que Lénine a vraiment dit Trad. de l'allemand Stock, 208 p., 20 F. Un choix de textes théoriques dont la plupart furent écrits en réponse à des problèmes pratiques. Colloque de Princeton Incertitudes américaines Préface de F. Duchêne Calmann-Lévy, 360 p., 22 F. Les comptes rendus de ce colloque organisé à Princeton en décembre 1968 et qui avait pour but de redéfinir les formes d'organisation !Iolitique dans le nonde moderne. Jacques Hermone La gauche, Israël et les Juifs Table Ronde, 288 p., 17 F. Un pamphlet où l'auteur s'est efforcé de mettre en lumière les sources du néo antisémitisme actuel dans certains milieux de gauche,

Roland Marx La révolution Industrielle en Grande-Bretagne 3 cartes A. Colin, 320 p., 11,80 F. Une mise au point, accompagnée de documents en anglais. sur un sujet central de l'Histoire anglaise. Ania Francos Les Palestiniens Julliard, 352 p., 20,90 F. Réédition revue et augmentée. • Claude Lévy I.es parias de la Résistance 16 p. de documents Calmann-Lévy, 256 p., 19,20 F. L'histoire méconnue d'un groupe de francstireurs partisans de Toulouse H. et M. Stix R. Tucker Abbott Les coquillages Les chefs-d'œuvre de la vie sous-marine Trad. de l'américain sous le contrôle des services du C.N.R.S. 203 III. dont 82 en quadrichromie Seghers, 302 p., 165 F. Sous la forme d'un album prestigieux, un véritable • musée Imaginaire - des plus beaux coquillages ilxistant au monde. Louis Figuier L'alchimie et les alchimistes Coll. • Bibliotheca Hermetica S.G.P.P., 416 p., 36 F. Un essai historique sur les doctrines, les biographies et les œuvres des philosophes hermétiques. Nicolas Flamel

Le livre des figures hiéroglyphiques Précédé d'une étude historique sur Flamel par E. Canseliet Avant-propos de R. Alleau S.G.P.P., 232 p., 29F. Le premier volume d'une nouvelle collection: • Blbliotheca hermetlca -.

RELIGION Paul Arnold Avec les lamas tlb6talns


Coll. • L'expérience psychique. Fayard, 200 p., 20 F. L'aventure spirituelle vécue par l'auteur dans un monastère du Tibet. René Burrus La vie, pour quoi faire? Ed. du Mont..Qlanc, 120 p., 14,90 F. Comment appuyer nos contenus de croyance, notre exigence de spiritualité, sur des contenus d'expérience. Le catéchisme hollandais Avec le dossier des points discutés et la déclaration de la commission des cardinaux (1968) Privat, 656 p" 15 F. Un texte qui s'est imposé à "attention dè tous les chrétiens soulevant bien des contestations. Mircea Eliade De Zalmoxis à Gengis·Khan Payot, 256 p., 29,70 F. Un ensemble d'études comparatives sur les religions et le folklore de la Dacie et de l'Europe Orientale.

THEATRE Michel Mohrt Un jeu d'enfer Gallimard, 192 p., 13,75 F. Une comédie dramatique qui a pour toile de fond la France des Cent Jours et de la Restauration. Romain Weingarten Théâtre Il Alice dans les jardins du Luxembourg Ch. Bourgois, 128 p., 14,30 F. Par l'auteur de • L'Eté •.

L'expérience française des villes nouvelles Publications de la Fondation Nationale des Sciences Politiques A. Colin, 216 p., 29 F. Compte rendu d'un colloque présidé. par P. Delouvrier. Jean Favière Le Berry roman Photographies inédites de Zodiaque 128 pl. hélio 6 h.-t. couleurs Zodiâque, 350 p., 40 F. A la découverte de cette province d'une richesse architecturale inépuisable, notamment par le nombre de ses églises romanes. Les chemins de Saint-Jacques Textes de Saint Augustin et des • Miracles de Saint Jacques. traduits par E. de Solms Introduction de R. Oursel 80 p. héliogravure 4 h.-t. couleurs Zodiaque, 200 p., 40 F. Un livre qui nous permet de suivre, par le texte et par l'image, l'itinéraire des anciens pèlerins de Vézelay à Santiago de Compostelle. Massin La lettre et l'image (La figuration dans l'alphabet latin du VIII- siècle à nos jours) 1 106 illustrations dont 32 en deux couleurs Gallimard, 288 p, 75 F. Une somptueuse et très insolite évocation de l'évolution du graphisme à travers les civilisations, par l'histoire, la sociologie, la paléographie, la sémantique et la sémiologie.

Claude Roger-Marx L'univers de Delacroix 65 illustrations H. Screpel, 96 p., 34,50 F. Les mille facettes du talent de Delacroix. Maurizio Taddei Inde 53 illustrations en couleurs et 116 en noir Edition française, anglaise, allemande Coll. • Archaelogia Mundi. Nagel, 268 p., 47,15 F.

considérablement augmentée. Henri Viard Rira bien qui mourra le dernier 8 p. hors-texte Laffont, 224 p., 10 F. L'envers de l'histoire contemporaine vu par un humoriste qui lui donne ici une dimension grotesque et terrifiante.

POCHE

LITTERATURE

HUMOUR DIVERS Georges Coulonges Le grand guignol Calmann-Lévy 240 p., 14,40 F. Par l'auteur du • Général et son train. (Grand Prix de l'Humour. 1964) et de • La Lune papa. (Prix Alphonse-Allais 1966) . Yvi Larsen Michel Warren L'antisteak 6 p. d'ill. hors-texte Denoël, 1968, 19 F. . Un • petit traité du dandysme culinaire •. José Le Dentu Le bridge facile Fayard, 448 p, 40 F. Une méthode originale pour apprendre vite à bien jouer le bridge. Young love Jeune amour L'Or du Temps, 44 p., 24,50 F. Sous la forme d'un album de photographies, un manuel • de morale pratique • à l'intention de tous les couples' à la recherche du plaisir.

ARTS URBANISME

Matisse Florilèges des amours de Ronsard Garnier, 110 p., 7~ F. A l'occasion de l'exposition Matisse

Serge San Juan Xiris Losfeld, 45 F. Dans la célèbre collection de bandes dessinées du Terrain Vague, un nouveau titre qui ne décevra pas les amateurs.

Chine Texte de Michèle Pirazzoli et t'Serstevens 84 pl. en héliogravure Weber,.45 F. L'architecture chinoise, du Palais impérial à l'art du jardin.

Ornemental design Texte de Claude Humbert 1 000 dessins en 2 couleurs Weber, 240 p., 110 F. Une véritable étude des diverses civilisations à travers leur graphisme

Suède 1970 Préface de J.·P. Sartre 13 p. de planches 16 p. de plans et de cartes • Les Encyciopédies de .voyage • Nagel, 480 p., 40,85 F. Réédition refond~e et

Asimov Bradbury et d'autres Après Edition établie par Charles' Nuetzel Bibliothèque Marabout Une anthologie de la science-fiction américaine dans ses tendances les plus actuelles. Homère L'odyssée Garnier/Flammarion. Stendhal Racine et Shakespeare Garnier/Flammarion. Zola La curée Garnier/Flammarion.

THEATRE Hector Bianciotti Les autres, un soir d'été Trad. de l'espagnol par M.-F. Rosset Gallimard/Théâtre du Monde Entier Par l'auteur des '. Désert dorés • et de '. Celle Qui voyage la nuit. (voir les nO' 22 77 de la Quinzaine) •

et

POESIE Guillaume Apollinaire Le guetteur . mélancolique suivi de Poèmes retrouvés Notice de Michel Décaudln Gallimard/Poésie. Henri Thomas ~. Poésies Préface de J. Brenner Gallimard/Poésie.

ESSAIS Albert Grenier Les Gaulois Présentation de Louis Harmand Petite Bibliothèque Payot. Lénine La révolution bolchéviste Petite Bibliothèque Payot. B. Malinowski La vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie Petite Bibliothèque Payot.

INEDITS André Bergé La sexualité aujourd'hui Casterman/E 3 Série • Vie affective et sexuelle •. Nigel Calder Les armements modernes Flammarion/Science Le dossier des armements modernes: un document terrifiant d'après les témoignages des spécialistes militaires et scientifiques. Hal Clement Grains de sable Trad. de l'américain sous, la directi,on de Paul Alexandre Denoël/Présence du Futur Sept nouvelles de science-fiction qui ont pour fil 'conducteur le • système D. de l'astronaute. Alexandre Cordell La Chinoise blonde Bibliothèque Marabout Un roman de politlquefiction à travers lequel se déssine une image des plus véridiques de la Chine contemporaine. Jean Dalsace Maitre Dourien-Rollier L'avortement Casterman/E 3 Un nouveau titre dans la série • Vie affective et sexuelle ••

Richard Evans Entretiens avec C. G. Jung Avec des commentaires de Ernest Jones Petite Bibliothèque Payot. Une série d'entretiens. qui eurent lieu en 1961. peu avant la mort du psychanalyste, et à travers lesquels se dégagent les grandes lignes et les grands principes de sa doctrine. Jacques Fansten Michel Simon Seghers/Cinéma d'aujourd'hui A travers le portrait du grand comédien, une réflexion sur la • création. au cinéma. V. A. Flrsoff Vie, intelligence et galaxies Dunod/Science-poche Inaugurant cette nouvelle collection, un livre pour tous les publics. Jean Fourastié Des loisirs: pour quoi faire Casterman/E 3 Un nouveau titre dans la série • ManutentionsOrientations •. Albert d'Haenens Les invasions normandes, une catastrophe? Flammarion/Questions d'Histoire Une peinture des Normands qui s'écarte opportunément de tous les poncifs. Léon Kolodziej Adam Mickiewicz Seghers/Poètes d'aujourd'hui La vie, la personnalité et l'œuvre de ce poète particulièrement représentatif du romantisme européen . A. Kremer-Marietti Auguste Comte Seghers/Philosophes de tous les temps Une analyse rigoureuse de la pensée positiviste. M. Mc Calg Les aimants Dunod/Science-poche Les dernières découvertes de la technique dans le domaine du magnétisme.

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Aux Editions Rencontre Pour la première fois en langue française, une présentation d'ensemble de l'œuvre de

BENITO·

plREIGALOOS Une fresque inoubliable du XIXe siècle espagnol

·«Grâce·.à lui, le XIXe siècle espagnol n'est pas vide.» Jean Cassou .'5

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Benito Pérez Galdos est le narrateur de son époque, le seul en qui demeure l'image inoubliable d'un siécle qui, en Espagne, n'est pas celui d'orgueilleuses promesses, mais des épreuves de la conscience nationale. Pourtant, cet . \ , écrivain de taille universelle, aussi célébre dans son pays que le fut Cervantés, n'a R.as encore connu chez 1I0US le succès qu'il mérite. Pourquoi, comment a-t-on pu ignorer un 'tel génie qui donna à l'histoire et à la littérature occidentales des œuvres égales aux plus grandes, qui fut le Balzac, le Hugo, le· Swift et le Zola de l'Espagne? C'est un mystère. Benito Pérez Galdos reste le témoin lucide et passionné de cette descente auxénfers que connut l'empire le plus étendu du monde à l'heure où il perdait une à une ses colonies et où les querelles régionalistes menaçaient son unité. Vous découvrirez, à travers les romans et les ft Episodes nationaux» de Benito Pérez Galdos, l'extraordinaire aventure d'vn pays isolé de tous, qui traversa des épreuves sanglantes dont il porte les plaies aujourd'hui encore. Avec son talent inimitable, Galdos analyse, dissèque, raconte et explique l'époque dont il fut le témoin et donne au lecteur les clés de l'Espagne contemporaine. Mme Monique Morazé, éminente spécialiste de Pérez Galdos, a rassemblé les œuvres que vous présentent~aujourd'hui les Editions Rencontre. Les meilleurs traducteurs français: R. Marrast, P. Guénoun, B. Sesé, B. Lesfargues et M. Lacoste ont collaboré à cette entreprise.

Des sept ouvrages suivants, cinq sont déjà parus:

Episodes nationaux -- .Vol. 1 Trafalgar - La Cour de Charles IV Vol. II Juan Martin el Empecinado Les Cent Mille Fils de Saint Louis

Romans

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Vol. III, IV, V Fortunata et Jacinta (3 volumes) Ouvrages à paraître en automne 1970 ou auprintemps 1971:

Romans Vol. VI L'Ami Manso Vol. VII La Fontaine d'Or Dans les bonnes librairies


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