Entretiens
Du nouveau
avec des
sur
• romancIers
de l'Est·
96
Hochhuth ,
cree Barthes
un scandale
.&m.alrik •
et
l'U.R.S.S~
en
1984
SOMMAIRE
J
LE LIVRE DE LA QUINZAINE
Massin
La lettre et limage
par RolaDd Barthes
4.
Georges Limbour Loys MassoD
Des bouteilles dans les yeux
par Maurice Nadeau par Maurice Chavardès
S 6 7
Mare Bernard Zaharia StaDCU Kazimir BraDdys
Mayorquinas La tribu
Italo CalviDo Luigi Malerba BreDdaD BehaD
Temps zéro Saut de la mort Encore un verre avant de partir
M. CODtat et Rybalka Mikhaïl BakhtiDe
Les écrits de Sartre Problèmes de la poétique de Dostoïevski La poétique de Dostoïevski
par Bernard PiDgaud par Georges Nivat
Trois Californiens à tODdre Les galeries Xiris L'Union soviétique survivra-t-elle en 1984? La religion dans son essence et ses manifestations Phénoménologie de la religion
par par par par
LITTERATURE ETRA.NGERE
9
10 11
lJ .ESSAIS 14.
HISTOIRE LITTERAIRE
16
EXPOSITIONS
17 18
BANDES DESSINEES POLITIQUE
Ser~e SaD J uaD ADdrei Amalrik
20
RELIGION
G. VaD der Leeuw
22
LETTRE D'ALLEMAGNE
RoH Hochhuth
ROMANS POPULAIRES
Maurice ReDard
24 2S
26 z7
FEUILLETON TIlEAT.KI:
FraDçois Erval, Maurice Nadeau.
Conseilkr: Joseph Breithach.
La Quinzaine
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I.E I.IVRE DE
L'esprit de la lettre
I.A QUINZAINE
par Roland Barthes Massin La lettre et fimage Préface de R. Queneau Gallimard, éd., 228 p., l 106 ilL
1
Le livre de Massin est une belle encyclopédie, d'informations et d'images. Est-ce la Lettre qui en est le sujet ? Oui, sans doute : la lettre occidentale, prise dans son environnement, publicitaire ou pictural, et dans sa vocation de métamorphose figurative. Seulement, il se trouve' que cet objet, apparemment simple, facile à identifier et à dénombrer, est quelque peu diaboli'que: il s'en va partout, et principalement à son contraire même: c'est ce qu'on appelle un signifiant con~ tradictoire, un énantiosème. Car . d'une part la Lettre édicte la Loi au nom de quoi peut être réduite toute extravagance (<< Tenez-vousen, je vous prie, à la lettre du texte :.), mais, d'autre part, depuis des siècles, comme le montre Massin, elle' libère inlassablement une profusion de symboles; d'une part, elle «tient:t le langage, tout le langage écrit, dans 'le carcan de ses. 26 caractères (pour nous Français) et ces caractères ne sont eux-mêmes que l'agencement de quelques droites et de quelques courbes; mais d'autre part, elle donne le départ d'une imagerie vaste comme une cosmographie ; elle signifie d'une part l'extrême censure (beaucoup de crimes commis au nom de la Lettre), et d'autre part l'extrême jouissance (toute la poésie, tout l'inconscient sont retour à la Lettre) ; elle intéresse à la fois le graphiste, le philologue, le peintre, le juriste, le publicitaire, le psychanalyste et l'écolier. La lettre tue et f esprit vivifie? Ce serait simple s'il n'y avait précisément un esprit de la lettre, qui vivifie la lettre; ou encore: si l'extrême symbole ne S(' retrouvait être la lettre elle-même. C'est
ce trajet circulaire de la lettre et de la figure que Massin nous permet d'entrevoir. Son livre, comme toute encyclopédie réussie (et celle-ci est d'autant plus précieuse qu'elle est faite d'un bon millier d'images), nous permet, nous fait une obligation de redresser quelques-uns de nos préjugés: c'est un livre heureux (puisqu'il y est question du signifiant), mais c'est aussi un livre critique. Tout d'abord, à parcourir ces centaines de lettres figurées, venues de tous les siècles, des ateliers de copie du Moyen Age au Sous-marin jaune des Beatles, il est assez évident que la lettre n'est pas le son; toute la linguistique fait sortir le langage de la parole, dont l'écriture ne serait qu'un aménagement; le livre de Massin proteste: le de-venir et l'a-venir de la lettre (d'où elle vient et où il lui reste, infiniment, inlassablement., à aller) sont indépendants du phonème. Ce foisonnement impressionnant de lettresfigures dit que le mot n'est pas le seul entour, le seul résultat, la seule transcendance de la lettre. Les lettres servent à faire des mots ? Sans doute, mais aussi autre chose. Quoi ? des abécédaires. L'alphabet est un système auto,nome, ici pourvu de prédicats suffisants qui en garantissent l'individualité: alphabets «grotesques, diaboliques, comiques, nouveaux, enchantés:t, etc.; bref, c'est un objet que sa fonction, son lieu technique n'épuisent' pas: c'est une chaîne signifiante, un syntagme hors du sens, mais non hors du signe. Tous les artistes cités par Massin, moines, graphistes, lithographes, peintres, ont barré la route qui semble aller naturellement de la première. à la seconde articulation, de la lettre au mot, et ont pris un. autre chemin, qui est le chemin, non du langage, mais de l'écriture,
non de la communication mais de la signifiance: aventure qui se situe en marge des prétendues finalités du langage et par làmême au centre de son jeu. Second objet de méditation (et non des moindres), suscité par le livre de Massin: la métaphore. Ces vingt-six lettres de notre alphabet, aninIées, comme dit Massin, par des centaines d'artistes de tous siècles, sont mises dans un rapport métaphorique ,avec autre chose que la lettre: des animaux (oiseaux, poissons, serpents, lapins, les uns mangeant parfois les autres pour dessiner un D, un E, un K, un L, etc.), des hommes (silhouettes, membres, postures), -des monstres, des végétaux (fleurs, pousses, troncs), des .instruments (ciseaux, serpes, faux, lunettes, trépieds, etc.): tout un catalogue des produits naturels et humains vient doubler la courte liste de l'alphabet: le monde entier s'incorpore à la lettre, la lettre devient une image dans le tapis du m9nde. Certains traits constitutifs de la métaphore sont ainsi illustrés, éclairés, redressés. Tout d'abord l'importance de ce que Jakobson appelle le diagramme, qui est une sorte d'analogie minimale, un rapport simplement proportionnel, et non exhaustivement analogique, entre la lettre et le monde. Ainsi, en général, des calligrammes ou poèmes en forme d'objets, dont Massin nous donne une collection précieuse (parce qu'on en parle toujours, mais qu'on ne connaît jamais que ceux d'Apollinaire). Ensuite, la nature polysémique (on devrait pouvoir dire pansémique) du signe-image: libérée de son rôle linguistique (faire partie d'un mot singulier), une lettre peut tout dire: dans cette région baroque où le sens est détruit sous le symbole, une même lettre peut signifier deux contraires (1a lan~e arabe con-
naît, paraît-il, ces signifiants contradictoires, ces ad"dâd, auxquels J. Berque et J. P. Charnay ont consacré un livre important) : Z, pour Hugo, c'est l'éclair, c'est Dieu, mais pour Balzac, c'est la lettre mauvaise, la lettre de la déviance. Je regrette un peu que Massin ne nous ait pas donné quelque part une récapitulation de tout le paradigme, mondial et séculaire, d'une seule lettre (il en avait les moyens): tou~ les figures du M, par exemple, qui va ici des trois Anges du Maître gothique aux deux pics neigeux de Megève - dans une publicité - , en passant par la fourche, l'homme courbé, cUÎ8lle8 levées, cul of. fert, le peintre et 80n chevalet et les deux ménagères qui s'apprêtent à étirer un drap. Car - et c'est le troisième chapitre de cette leçon en images sur la métaphore - il est évident qu'à for c e d'extra-vagances, d'extra-versions, de migrations et d'associations, la lettre n'est plus, n'est pas l'origine de l'image: toute métaphore est inoriginée, dès qu'on passe de l'énoncé à l'énonciation, de la parole à l'écriture; le rapport ui..Jogique est circulaire, sans pr~llence; les termes qu'il saisit SOlit flottants : dans les signes présentés, qui commence? l'homme ou la lettre? Massin entre dans la métaphore par la lettre : il faut bien, hélas ! donner un c sujet:. à nos livres; mais on pourrait aussi y entrer par l'autre bout, et faire de la lettre une espèce d'homme, d'objet, de végétal. La lettre n'est en somme qu'une tête de pont paradigmatique, arbitraire, parce qu'il faut que le discours commence (contrainte qui n'a pas encore été bien explorée), mais cette tête peut être aussi une sortie, si l'on conçoit par exemple, tels les poètes et les mystagogues, que la lettre (l'écriture) fonde le monde. Assigner une origine à l'expan!'ion métaphorique est toujours une option, métaphysique, idéologique. D'où l'importan'ce des renversements d'origine (tel celui que la psychanalyse opère sur la lettre elle-même). En fait, Massin nous le dit sans cesse par ses images, il n'y a que des chaînes 80ttantes de signifiants, qui passent, se traversent les unes les IIUtres: l'écrit.nre est en fair. Voyez le rapport de la lettre et
~ La Q.!!inzaine littéraire, du 1er
;lU
15 juin 1970
3
~
Ge()rges Lilnbour
Massin
de la figure: toute la logique s'y épuise: 1) la lettre est la figure, cet 1 est un sablier; 2) la figure est dans la lettre, glissée tout en· tière dilns sa gaine, comme' ces deux acrobates lovés dans un 0 (Erté a fait un grand tlsage de cette in'J1irication, dans son pré· cieux alphabet, que Massin ne cite malheureusement pas) ; 3) la lettre est dans la figure (c'est le cas de tous les rébus) : puisqu'on n'arrête pas le symbole, c'est qu'il est réversible : 1 peut renvoyer à un couteau, mais le couteau n'est à son tour qu'un départ, au ter· me duquel (la psychanalyse l'a montré) vous pouvez retrouver 1 (pris dans tel mot qui importe à votre inconscient) : il n'y a ja· mais que des avatars. Tout cela dit combien le livre de Massin apporte d'éléments à l'approche actuelle du signifiant. L'écriture est faite de lettres, soit. Mais de quoi sont faites les let· tres'?' On peut chercher une ré· ponse historique - Ïnconnue en ce qui concerne notre alphabet; mais on peut au.ssi se servir de la question pour déplacer le pro· blème de l'origine, amener· une conceptualisation progressive de l'entre-deux, du rapport flottant, dont nous déterminons l'ancrage d'une façon toujours abusive. En Orient, dans cette civilisation idéographique, c'est ce qui est en· tre l'écriture et la peinture qui est tracé, sans' que l'on puisse ré· férer l'une à l'autre; ceci permet de déjouer cette loi scélérate de filiation, qui est notre Loi, pater· nelle, civile, mentale, scientifique: loi ségrégative en vertu de. la· quelle nous expédions' d'un côté les· graphistes et de l'autre les peintres, d'un côté les romanciers et de l'autre les poètes; mais l'écriture est une: le discontinu qui la fonde partout fait de tout ce que. nous écrivons, peignons, traçOl.\s, un seul iexte. C'est ce que me montre le livre de Mas· sin. A nous de ne pas censurer ce champ matériel en réduisant la somme prodigieuse de ces let· tres.figures à une galerie d'extra· vagances et de rêves: la marge que nous concédons à ce qu'on peut appeler le baroque (pour nous faire comprendre des huma· nietes) est le lieu même où l'écri· vain, le peintre et le graphiste, en un mot le performateur de texte, doit travailler.
Roland Barthes
4
Georges Lim1Jour, dégustant un verre de rhum, chez Baccardi à Santiago de Cuba, juin 1961.
Au moment de mettre sous presse, nous apprenons la mort accidentelle de Georges Lim· b.our, en Espagne, le jour de la Pentecôte.
Il était venu du Havre à Pa· ris, comme Raymond Queneau et Jean Dubuffet, avec qui il était resté très lié. (II a notam· ment contribué à faire connaî· tre le peintre dont il est le vra.i découvreur.) Poète rare, à qui Max Jacob avait prédit un grand avenir, qu'Aragon et Cocteau avaient publiquement salué com· me leur • maître,. (bien qu'ils fussent de la même généra· tion), à l'occasion d'un prix de poésie qui lui avait été décerné il y a une dizaine d'années pour un recueil introuvable et qui n'a pas été réédité (Soleils bas, Galerie Simon, 1925), L1mbour a surtout fait œuvre de conteur et de romancier avec l'Illustre Cheval blanc (1930), les Vanil· Iiers (probablement son chef· d'œuvre, 1938), la Pie voleuse (1939), le Bridge de Mme Ly. ne (1948) et, en 1963, la Chasse au mérou qui le met soudain en vedette: Ces ouvrages insolites, chargés de poésie, d'ironie et d'émotion, porteurs d'un mer· veilleux qui s'allie au plus grand naturel, sont en même temps
L'invisible
engagés, quoique fort librement, dans les problèmes de l'époque (exploitation coloniale dans les Vanilliers, Guerre d'Espagne' dans la Pie voleuse, franquisme dans la Chasse au mérou).
1
.Avec ses amis André Mas· son et Michel Leiris, Georges Limbour était entré dans le groupe surréaliste en 1924. Fon· cièrement indépendant, dans son allure et son inspiration, il supporte mal la tutelle d'André Breton et fait partie de la char· rette des exclus du Deuxième Manifeste (1929). Il fuit alors les groupes, les partis, les cha· pelles, les modes, poursuit son activité en solitaire. D'où, sans doute, le son unique que ren· dent ses écrits. Grand amou· reux de la peinture, il se livre également en outsider à la cri· tique d'art, écrit des pages lu· mineuses et sensibles sur Dubuffet, Picasso, André Beaudin, S.uzanne . Roger, tout dernièrement, Cesare Peverelli. Une au· tre de ses activités était moins connue: celle de professeur de philosophie qui a enseigné dans les instituts français d'Egypte, de Pologne, de divers pays bal· kaniques p'uis, finalement, dans un lycée de Paris. Les aspects multiples de cette figure qui sera pour nous inoubliable ont été vivement esquissés par quelques·uns de ses amis (dont les plus proches, Michel Leiris et André Masson) dans une re· vue de jeunes: • Atoll,. (octo· bre 1968), qui lui a consacré un numéro spécial. . Du grand voyageur qu'a été toute sa vie Georges Limbour, nous venions de recevoir une carte postale envoyée de Cadix le 9 mai: • Maintenant, je sais ce qu'est l'Enfer: il s'appelle Urbanlsacion. Intégrale, catastrophique, cancer et gangrène généralisée. C'est pire que la bombe atomique, qui est belle et sûr qu'Apollinaire' l'aurait dé· corée, ornée féeriquement et chantée en' alexandrins et calli· grammes. Urbanisaclon; mot le plus sinistre du vocabulaire international... " Il nous y annon· çait son retour. Ce soir, nous aurions sans doute parlé de • la petite ville chinoise,. dans la· quelle, depuis longtemps, il se réfugiait avant de s'endormir. Maurice Nadeau
le, dans les yeux. «Ce, histoires, une présence ~. unit l'une ci l'autre et fait du livre un tout: Satan, le vieil homme, IOlitaire, comme l'a nommé je ne sail qui. Et avec lui sa sainte ombre, l'alcool, l'homme grandet maigre au visage trè$ beau, mais eXlaRgue... :. Ce qui caractérise effec.
Loys Masson
De, bouteilles dans les yeux
Robert Laffont, éd., 368 p.
Avant sa mort, Loys Masson avait lui·même présenté les texte8 réunis sous le titre : Des bouteil-
tivement ce recueil - et qui fit l'originalité de quelques.uns des précédents Quvrages de Loys Mas· son, poèmC?s ou proses - est l'art de rendre palpable le mystète, d'imposer la présence .de l'invi8ible en lui conférant un poids tel que l'être humain en est littéralement broyé. Dans la première des sept nou~ velles ici regroupées, l'invi8ible s'appelle «la Chose :.., Elle 8e manifeste dans un cadre de s~~ perstitions et d'angoisse8. On peut. la considérer .comme .une prémonition: ce qu'elle annonce, c'est la venue de l'innommable, peut.. être la mort. Dans les Orpingtonl, de Monsieur Beruf, ce dernier personnage contient en lui.. tout le mystère, il e,t presque le mystère, et on se demande s'il n'in· carne pas finalement Satan, c le vieil homme solitaire ~ ... L'inquiétant thaumaturge qui donne son titre à un autre récit c Saint Alias ~ pourrait aussi figurer Lucifer. Un Lucifer inversé, qui damnerait les gens en leur facilitant le bonheur. On songe à un Monsieur Ouine angélique, encore qu'il y ait peu de ressemblances entre le dru Bernanos et l'inquiet, le fragile Lo.Y8 Ma8son. Les délires du «Capitaine Le. Gall ~ en route vers c le8 eaux blanches de la joie~, vers c la glaciale félicité~, est·ce le remords d'un meurtre ou le souvenir d'un naufrage qui le8 provoque? L'homme est possédé au 8ens théologique: Satan l'habite~ C'est Dieu pourtant qu'il supplie de le sauver. Et lorsqu'il déclare: c La mer est peuplée d'une extraordinaire chevalerie~, se8 yeux voient ce que le8 autres n'ont ja. mais vu. A une belle histoire de mer l'auteur en avait déjà imaginé plusieurs: Tous le! cor· ,aire, sont morts, par exemple, ou
Vivre à Majorque le Lagon de la Mi&éricorde s'ajoute la peinture d'une hallucination qui a ceci d'encore plus étrange qu'elle est voulue et provoquée par le machiavélique Le Gall. A l'opposé: l'hallucination du petit Emmanuel, dans la plus réussie des nouvelles, celle qui donne au recueil son titre. Le «vieil homme solitaire. est ici le père de l'enfant, ou du moins l'enfant confond-il l'image d'un père ivrogne avec la silhouette du Malin. Malentendu d'autant plus pathétique qu'Emmanuel est la pureté même et que son âme est salie par la crédulité et l'insinuation, par une représentation culpabilisante de l'instinct, due à une tante dévote et à une «néIJène. malgache bourrée de superstitions. De tous ces récits dont le cadre est l'île Maurice, où naquit l'auteur, celui-ci rappelle le mieux son enfance, à laquelle, dans une chaleureuse préface, Claude Roy attribue un des traits les plus constants de l'œuvre de Loys Masson - éternel enfant «puni. d'être né dans une famille humi1iêe, offensée. D'où peut-être la soif de l'ailleurs, la soif de l'oubli - et le penchant à demander cet oubli à la boisson. Tous les personnages masculins du recueil - à l'exception d'Emmanuel boivent plus que de raison. Presque tous ont l'ivresse contrite. Visionnaire et poète, plus sans doute 'que romancier, poète d'un exotisme qui doit moins à la géographie qu'au folklore (les couleurs, les parfums, la sensualité qui imprègnent son œuvre sont davantage typiques des mœurs que des ciels), en mettant l'insolite au cœur de ces textes afin de mieux montrer la déréliction de l'homme, Loys Masson s'est livré d'une façon.. encore plus émouvante qu'il ne l'avait fait dans ses juvéniles et provocantes 'confessions (Délivrez-nous du mal, Chroniques de la grande nuit, ou Pour une Egli&e). On y devine la détresse de l'exilé en quête d'accueil, l'inguérissable blessure d'une enfance heurtée, la déception de l'écrivain créole dont le nom s'est tôt imposé mais que ses pairs n'ont pas toujours accueilli avec la chaleur qu'il attendait, ami terriblement exigeant et incommode. Maurice Chavardès La Qyinzaine littéraire, du 1-
2U
Marc Bernard Mayorquinas Coll. Les Lettres nouvelles Denoël éd., 260 p.
1
«Si l on me demandait, pourquoi je fui& les hommes, je ne saurai& quoi répondre. Ils ne m'ont pas été dans l ensemble hostiles, et je n'ai jamai& beaucoup compté sur eux pour tenter d'être heureux. ~ Mayorquinas n'apporte en effet pas la réponse à cette question; on y trouvera, en revanche, quelques indications concernant le long silence que Marc Bernard vient de rompre en publiant ce livre et qui révèle que la coupure avec les hommes, tout en ayant été - sciemment ou non - la motivation première, constitue à présent une justification nouvelle de l'acte d'écrire: « Remplacer la présence humaine par celle du feu, c'est ~ncore lune del$ choses que je ne m'attendais guère à trouver sur cette rive.• En fait, débarquant avec sa femme à Majorque pour finalement y passer un automne et un hiver, Marc Bernard avoue bien ne s'être attendu à rien de particulier. Tout au plus s'agissait-il de parier sur l'insolite là où les touristes s'entassent parce que les rassure, précisément, la certitude de trouver ce à quoi ils s'attendent: mer, soleil, nature domptée et loisirs organisés. Aussi commence-t-il par comparer la vision qu'il a, lui, de l'Ile, avec la carte postale classique. Rien ne coïncide. Etonné et circonspect, il fait le tour de son nouveau domaine, une «cala. déserte et sa maison blanche de type arabe, afin de ne rien perdre de la dualité de chaque chose: le soleil qui se déguise tantôt en Dr Jekyll et tantôt en Mr Hyde, l'eau douce qui demeure introuvable en surface alors qu'en profondeur il n'y a que lacs et rivières, la traîtrise de l'asparagus, si doux et tendre en sortant de terre et finalement invincible lorsqu'on s'imagine pouvoir l'arracher. Cet examen minutieux auquel Marc Bernard se livre autour du plus petit brin d'herbe, est d'abord celui d'un médecin attentif à ne rien perdre des moindres symptômes d'un malade difficile ;
15 juin 1970
il suffit, en effet, de peu de pages pour entendre battre le pouls de l'Ile et couler son sang. Mais à une vue des choses qui n'est pas sans rappeler l'attention qu'un Jean Grenier porte aux menus détails de la vie quotidienne, voici que se mêle bientôt un souffle lyrique qui signifie l'abordage vers des réalités moins faciles à cerner. Marc Bernard et sa femme Else ont pris possession de l'Ile et de la solitude pour désormais se confondre avec elles. Ce pas franchi, la situation acceptée et même savourée, il s'avère bientôt qu'ayant réintégré sa peau « d'homme préhistorique. et s'étant fait reconnaître comme tel par la nature, il s'agit à présent de s'accommoder d'une nouvelle sorte de disponibilité, tout intérieure celle-là. A lire les pages que Marc Bernard rédige à partir de ce moment et d'où la notion de Temps est rigoureusement absente, les rendant pour cela même intensément dramatiques; on a le sentiment que la communication qui s'est établie ne concerne plus la face visible de l'Ile, mais son essence même. Dans ses grondements, dans les étincelles et dans le tourbillon de feu par lesquels elle manifeste son humeur, l'Ile apparaît à Marc Bernard comme exprimant de façon hallucinante ses propres tourments: «Ce souvenir d'un instont de délire et lillusion d'avoir vu le signe au moment où je lespérai&, je ne les échangerai& pour, rien au monde, car ce tourbillon né de la terre, ce cercle de feu et de poussière a été comme la passerelle entre deux univers, que j'ai franchie en courant•• Ce signe, il faudra pour le comprendre, patienter jusqu'à ce que Marc Bernard apprenne lui· même à le déchiffrer: «Comme nous ne voyons autant dire personne et que personne ou presque ne nous écrit, j'ai comme un avant.goût de la mort. Ce n'est pas désagréable.. Aussi la prémonition, malgré sa fugacité, at-elle tout de même été nommée. Comment s'étonner, dès lors, de ce qu'il guette tous les «signes~, ceux de la mer, ceux de la pluie et même ceux des soucoupes volantes ?: «Si je les voyai& pla. ner au-dessus de moi, ou monter et descendre gracieusement dans un ciel qui paraît leur appartenir
autont qu'aux aigles, je n'allumerai& pas de feu, mai& mon cœur battrait plus vite. J'aurai& envie de crier: «Nous ne sommes plus seuls ! ~ Comment ne pas être ému par l'aridité du chemin parcouru, par la certitude qu'il ne peut être qu'à sens unique, puisque même les retours que l'on voit tentés ici - en de petits textes brefs et sans appel qui constituent la seconde partie du récit - ne font que marquer le divorce d'avec les autres ? « Il est passionnant, écrit Marc Bernard, d'être celui qui interroge et celui qui répond., et sans doute l'intérêt de son livre tientil, très exactement, à ce glissement du dialogue qui, commencé d'abord avec une terre mystérieuse, se poursuit peu après avec soi-même. Mais tout a-t-il vraiment été dit ici? L'élan poéti. que qui soulève ce petit livre, qui lui imprime cette trajectoire si· nueuse et secrète, à qui mène-t·il vraiment ? A cet autre, dont Marc Bernard se sent maintenant coupé, alors que toute son œuvre était précisément quête du semblable, ou à qUèlque chose qui n'est pas nommé, dont on n'ose pas, ici, prononcer le nom? « C'est la nuit, pourtant tout tourne; le grand manège vire sans fin. Peut-être lm vieillard actionne-t-il la roue, pensif, le regard vague, d'un geste machinal. Depuis le temps ! Pourquoi a-t-il construit cette mécanique ? :. Eh ,oui! Mayorquinas, livre d'un renoncement et d'une découverte, ne serait-il pas, surtout, celui d'une absence? La dernière page tournée, on a le sentiment que quelque chose d'irréversible s'est produit, et voilà pourquoi on ne se souvient plus qu'indistinctement du début, de l'arrivée joyeuse, de la découverte d'une île dont les facéties ont paru si surprenantes. Cependant, Majorque existe et elle est rassurante, d'innombrables prospectus ne cessent de le répéter, qui garantissent au voyageur un retour sans encombres. Marc Bernard, quant à lui, est revenu profondément changé de son voyage; par-delà Majorque, c'est de l'autre côté du miroir qu'il a abouti. Privilège de poète ? Assurément. Mais c'est l'homme qui nous dit ce qu'il y a trouvé. Cella Minart
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LITTtRATVRE
tTRANGtRE
Célèbre en Roumanie, Zaharia Stancu n'est pas inconnu du public français. Jeu avec la mort, roman étrange, lyrique, violent, Ourouma, la fille du Tartare, récit dont les thèmes, la mer, les chevaux, l'amour, et l'écriture rappelaient, retrouvaient la pureté des chansons médiévales, nous avaient déjà révélé ses dons de conteur. Zaharia Stancu La Tribu traduit du roumain par Léon Negruzzi Albin Michel éd., 376 p.
1
Avec la Tribu, qui n'a peut. être pas, et pour des raisons logiques qui tiennent à l'ampleur de l'œuvre, la densité poétique des précédents ouvrages, Stancu devrait cependant rencontrer une plus large audience. Et cela pour deux raisons, apparemment contraires. D'une part, la construction du livre, la manière de raconter, précise, réaliste, riche en détails pittoresques, sont plus classiques, plus immédiatement accessibles au lecteur. D'autre part, l'histoire est plus singulière encore, et plus dépaysante - même si Ourouma ouvrait sur le monde austère et rude des paysans Tartares de la Dobroudja, vaste plaine des bords de la mer Noire. En effet, non seulement la Tribu nous offre la peinture d'une société close, ayant se8 rites et ses traditions, vivant résolument en marge, celle des tziganes nomades, mais elle montre cette société dans une situation elle-même exceptionnelle: la déportation collective, durant la guerre, dans un désert glacial de l'Est de la Roumanie. Aussi bien ce livre, qui est à la fois url étonnant document et un passionnant 'roman d'aventures, occupe-t-il une place à part dans l'œuvre de Zaharia Stancu. Z.S.: Mes romans et mes contes constituent deux grands cycles étroitement liés entre eux. Le premier, que j'ai commencé en 1948, illustre les principaux aspects de la vie des paysans roumains dans la période qui va du début du siècle aux années 192022. Il comprend des romans comme Le Jeu avec la mort,
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Entretiens avec Ourouma, la fille du Tartare que vous connaissez, et Les Pieds Nus. Les romans du second cycle, intitulés Les Racines sont amères, présentent non seulement la vie des paysans, mais toute la vie sociale et politique de la Roumanie à partir de 1922. Un des thèmes principaux est la lutte, qui prit parfois des formes assez dures, entre les différents partis politiques durant la période de montée du fascisme. Mon projet, actuellement, est de continuer ce cycle jusqu'à· nos jours, d'écrire fhistoire de toute une époque de la Roumanie, mais de f écrire en utilisant non le8 moyens de f historien, mais, autant que j'en suis capable, ceux de fartiste. Au reste, tous mes romans sont écrits à la première personne. Ils comprennent une part importante d'autobiographie, mais transformée par la littérature, accordée aux nécessités de la fiction. Or la Tribu, qui n'appartient à aucun de ces deux cycles, ne comporte rien non plus d'autobiographique. C'est un livre que j'ai écrit à partir de faits vécus par d'autres, et qui m'ont été racontés. ~
C. B.: Vous dites, en exergue de votre livre: C'est Alimut qui m'a raconté tous ces événements. Kéra a insisté pour que je les mette sur le papier. Or, Alimut et lCéra sont des membres de -la tribu, le fils et la bru du chef, et à ce titre, tiennent une place importante dans le récit. Il s'agit donc, dans celui-ci, de la transposition d'une aventure réelle. Mais ce qui frappe, c'est la manière dont vous décrivez, comme de l'intérieur, les comportements et les rites des Tziganes. Au niveau des sentiments, des passions, vous révélez leur humanité profonde, et combien ils sont proches de nous. Mais vous montrez également comment ces sentiments, de joie, de peur, d'amour, s'expriment dans des gestes, des actes qui se réfèrent à des traditions différentes des nôtres, aux lois à la fois cruelles et nobles de la tribu. Cela suppose une grande connaissance de la vie des Tziganes.
Z. S. : En Roumanie même, on m'a souvent demandé: «Comment avez-vous pu connaître ces gens ? '> Ceux-ci, en effet, vivent dans un cercle complètement fermé. Ils ont, certes, quelques rela-
tions avec les villageois ou le8 ci- pelait. Les petites filles tziganes tadins, pour vendre ou acheter, dansaient nues sous un vêtement pour dire la bonne aventure, mais d'herbe, et tout le monde les aron ne peut pénétrer facilement rosait, pour appeler la pluie. chez eux. En Roumanie, toute- Quand ils les virent partir en. défois, ils ne sont pas tous noma- portation, les Roumains eurent des. Les sédentaires sont beau- conscience que celle-ci était fun coup plus intégrés à la vie con- -des crimes les plus absurdes, les temporaine, mais même aujour- plus cruels de cette guerre. d'hui les nomades conservent leurs C. B.: L'absurdité de cette vieilles traditions. Si j'ai pu écriguerre, à la fois lointaine et prore ce livre, c'est que dans ma che, à peine nommée mais toujeunesse j'ai connu de très près jours menaçante pour les gens de une de ces tribus, expérience que la tribu, apparaît bien dans votre j'ai décrite au dernier chapitre livre. des Pie d s Nus. Pendant la Z. S. : C'est une des raisons qui guerre, le gouvernement fasciste, m'ont polissé à récrire. l'ai voulu raciste, a condamné tous le8 Tzimontrer cette absurdité, comment ganes à être déportés vers fEst dans des régions presque déserti- des gens qui n'avaient rien à faire avec la guerre finissent, malgré ques, que les combats, de surcroît, avaient ravagées. Chaque tribu eux, par être concernés par elle. était parquée en un endroit pré- Aussi, j'ai voulu faire de ces gens cis. Les Tziganes n'étaient pas ha- très simples, très humbles que bitués à vivre dans des conditions sont les Tziganes, des héros qui aussi dures, et beaucoup sont vivent leur tragédie avec une très morts de froid et de faim. Il y grande noblesse humaine. Enfin, j'ai montré que même dans le8 eut néanmoins des survivants. Ce sont ceux-ci qui m'ont raconté situations les plus exceptionnelles, les plus dangereuses, la vie conleur histoire. tinue avec ses soucis quotidiens, C. B.: Vous dites à plusieurs ses désirs, ses rêves, ses amours, reprises dans votre récit que le ses haines. chef de la tribu, durant leur Dans son livre où la tragique voyage vers l'Est, croyait lire dans réalité prend les allures de l'époles regards attristés des gendarpée, Zaharia Stancu a su très hames, des villageois, l'annonce de bilement mêler le drame historileur mort prochaine. Quels étaient que et les aventures individuelles, les rapports de la population avec les jeux de l'amour et ceux du les Tziganes ? destin. Mais parce qu'il a su reZ. S.: Les Tziganes sont des créer poétiquement la vie de la gens très intéressants, très sympa- tribu, il a la pudeur de nommer « roman ~ ce que d'autres, moins thiques. Ils gagnaient leur - vie comme forgerons, ou en disant la scrupuleux, baptiseraient «docubonne aventure. Quand la séche- ment ~. Claude Bonnefoy resse était trop grande, on les ap-
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deux rontanclers de l'Est Kazimierz Brandys est l'un des écrivains les plus singuliers de la littérature polonaise contemporaine. Si ses romans se réfèrent à la réalité polonaise actuelle, directement ou implicitement, ils sont surtout intéressants en ceci qu'ils contribuent, au même titre que les meilleures œuvres de l'avant-garde européenne ou américaine, à la remise en question des formes littéraires traditionnelles. D'autre part, il propose moins une nouvelle écriture qu'il ne cherche de nouvelles voies. Façon d'être (Gallimard), le troisième de ses livres à avoir été traduit en français (voir Quinzaine n° 79) ne ressemble pas aux précédents, la Mère du roi (Julliard), Lettres à Madame Z (Gallimard), mais brise tout autant avec les modes habituels du récit. Aussi bien, Kazimierz Brandys reconnaît volontiers qu'il y a deux directions ou plutôt cc deux trames» principales dans son œuvre. K. B.: Lors de mes débuts littéraires, dit-il, immédiatement après la guerre, en 1946, j'ai publié le Cheval de Bois, roman écrit à la première personne et qui décrivait la vie d'un homme moyen, d'un intellectuel quelconque dans une petite ville de Pologne durant la guerre. En 1963, à la parution de Façon d'être, les critiques ont reconnu dans ce livre l'esprit du Cheval de Bois. La trame de ces deux romans est la trame la plus subjective, la plus fictive de ma littérature. Dans le même temps, j'ai développé une autre trame - moins subjective malgré la résonance un peu subjective de certains titres dans le cycle intitulé les Souvenirs du temps présent et qui comprend notamment Lettres à Madame Z, Joker, la Place du Marché. Ces textes ne sont pas de pure fiction littéraire, mais proposent un collage de souvenirs, de lettres, de reportages, de journal de voyage, d'essai et de fiction. Quand je. dis cc je », ici, c'est bien de moi qu'il s'agit. Schématiquement donc, ma littérature a deux profils. J'ajouterai que dans les années 49-53, j'ai essayé de me plier aux formes du réalisme socialiste,
mais à mon avis, ce que j'ai fait là n'était pas réussi. Egaiement, à l'époque qui précéda octobre 56, en Pologne, j'ai écrit une vingtaine de récits dont le plus connu est la Défense de Grenade où je tentais d'une manière plutôt artistique d'exprimer le difficile passage de la période stalinienne à une étape ultérieure.
C.B.: Façon d'être présente une singulière particularité. Ce roman est la description d'une pièce de théâtre. En transposant vos indications, en conservant les dialogues, on pourrait en donner une représentation.
K.B. : J'appelle ce genre littéraire Cl: la prose scénique ». Pour moi, les indications de jeux de scène sont aussi des moyens C.B.: Revenons à vos deux artistiques. Par exemple, je sugtrames principales. Dans Façon gère dans Façon d'être qu'un d'être, qui illustre la première,· metteur en scène devrait recoula voix que l'on entend n'est rir à trois comédiens pour jouer pas celle d'un héros de roman, le même rôle durant le spectaau sens classique, mais ce cle. Le fait que les comédiens pourrait être celle de n'importe soient interchangeables souligne le caractère quasi anonyme quI. K.B.: Dans ce livre, Je voulais dire que l'être humain est à la fois coupable et innocent. Parfois mon narrateur s'accuse de ses fautes, ou s'enfonce dans ses péchés. Mais au moment de mourir, c'est lui qui pardonne à Dieu de l'avoir créé, qui absout Dieu de cette faute métaphysique : la création de l'existence. Dans le même esprit, j'ai écrit sous forme de dialogue un court récit dont on pourrait traduire le titre par Trop vieux tous les deux. Ce récit met en scène un vieux couple habitant une maisonnette des environs de Varsovie qui, en attendant la visite des enfants et des petits-enfants, bavarde sur un banc, évoque des souvenirs. Enfin les enfants arrivent, mais même s'ils ne venaient pas, ce serait la même chose. Les deux vieux seront encore là le lendemain. Pour eux, Godot ne viendra pas car ils n'ont rien à attendre, sauf la mort. C.B.: Vous citez Godot. A propos de Façon d'être, on a évoqué la Dernière bande. Devez-vous beaucoup à Beckett? K.B. : En écrivant Façon d'être, je ne connaissais pas la Dernière bande. Mais je reconnais une certaine dette envers Oh les beaux jours! Toutefois, si je me suis inspiré d'un texte, c'est surtout d'un petit récit de Tchékhov: les Méfaits du tabac.
La Q.yinzaine littéraire, du 1er au 15 ;uin 1970
du héros. Mais en écrivant, je ne pensais pas au théâtre, à une représentation possible, je donnais simplement ces indications pour renseigner le lecteur sur la nature du personnage. Or depuis, deux spectacles, l'un à Varsovie sous forme de lecture avec un seul acteur, l'autre à Cracovie avec trois comédiens dans le rôle principal et d'autres pour interpréter la femme, l'ami, le professeur de gymnastique, ont été montés à partir de ce texte. C.B. : Comment se présentent les romans appartenant au cycle des Souvenirs du temps présent?
roland auguet
cruauté et civilisation: les jeux • romains Rome: théâtre de la cruauté et de la violence. Ville de spectacles hauts en couleur. Cité où l'angoisse prend peu à peu le masque de la folie. En lisant l'ouvrage fascinant de Roland Auguet, peinture d'un monde délirant et tragique, "on comprend mieux comment Rome a pu, presque sans s.:en apercevoir, s'offrir lentement aux invasions barbares." CLAUDE METTRA - L'Express Un volume illustré: 24 F
flammarion 7
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Brandys
K.B.: Ils ont pour origine mon expérience, notamment mes voyages en Yougoslavie, en Italie, aux Etats-Unis. 'le ma· tériel essentiel est ce que je pense, ce que je fais - y compris mes travaux littéraires au cours de ces voyages. On y trouve par exemple des rencon· tres avec des étrangers, des impressions d'un congrès littéraire à Belgrade entremêlées avec mes brouillons, mes projets, mes notes, mes rêves nocturnes, mes souvenirs d'enfance et les premières esquisses de romans que j'essaie d'écrire en voyageant. Tout cela ne crée pas un désordre, mais au contraire s'ordonne selon une certaine structure. Par exemple dans la Place du Marché, je ne voyage pas seulement aux Etats-Unis, mais aussi, d'une manière plus symbolique à la recherche de l'innocence humaine. Cette innocence, je tente de la trouver dans mes souvenirs d'enfance, dans des rencontres avec certaines personnalités comme Thimotée Leary, le prophète du L.S.D., sur les traces des pionniers de l'ancienne Amérique, ou encore dans une fiction ethnologique que j'essaie d'écrire durant le voyage. Le sujet de celle-ci, d'inspiration Levi-Straussienne, est le mythe d'une tribu primitive qui aurait existé jadis dans les îles des mers du Sud. Une autre fiction du même livre rejoint celle-ci. C'est une sorte de roman érotique qui met en scène des gens moyens, une dentiste et un petit employé. Dans ce roman, l'innocence est représentée par le fils de l'employé, ancien poliomyélitique, qui ressemble à un ange. Or, cet ange deviendra un savant ethnologue et découvrira les traces de la tribu primitive dans les mers du Sud. J'ai voulu dire là q.ùe même dans la vie la plus grise, le monde le plus plat, peut apparaître une génération, un individu qui sauve tout. C'est là mon espoir.
C.B.: Comment situez-vous votre œuvre dans la littérature polonaise, plus largement dans la littérature européenne, contemporaines ?
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INFORMATIONS
Brandys
K.B.: Je ne vois pas de dif· férence essentielle entre la littéra'ture polonaise et la littérature européenne. Ce qui m'inté· resse le plus, en Pologne ou en Occident, ce ne sont ni les romans ni les anti-romans, mais certaines recherches comme celles de Claude Roy dans Moi Je ou d'Adolf Rudnicki dans les Feuillets bleus ou Witold Gom· browicz dans son Journal et que je classerais sous la déno· mination d'auto· roman, bref c'est le collage de l'autobiographie, de l'essai, du reportage, de la fiction. Les ancêtres de ce genre sont aussi bien Montai· gne et Rousseau qu'Alexandre Herzen. Pour moi, ce collage n'est rien d'autre que le roman contemporain. Le trait le plus caractéristique du roman est la variabilité. Le roman se recon· naît à ce qu'il change toujours, "Odyssée et la Bible (celle-ci d'une manière toute modeme, avec ses collages) étaient déjà des romans comme le sont les œuvres de Madame de La Fayette, de Balzac, de Stendhal, de Proust, de Joyce, de Kafka. Les prosateurs contemporains sont en train de chercher une nouvelle forme de ce sac éternel que fut toujours le roman, ou de ce cc miroir sur la route », selon le mot de Stendhal, qui reflète tout ce qui passe. Propos recueillis par Claude Bonnefoy
A l'occasion de l'exposition qui a lieu actuellement au Grand-Palais, à Paris, les éditions L.C.L. (diffusion Garnier) nous proposent un album intitulé Matisse, Florilège des Amours de Ronsard. Ce nouveau volume de la collection «Les peintres du Livre. présente vingt-trois poèmes et chan· sons, accompagnés de soixante lithographies du peintre. Parmi les ouvrages sur Matisse actuellement disponibles, rappelons: M. tisse, par Jean Selz, dans les • Gran· des. monographies illustrées. de Flammarion; Matisse, par Jacques Lassaigne, dans la collection • Le goût de notre temps. de Sklra et. chez le même éditeur, dans la collection les «Albums d'art Skira., un autre volume intitulé lui aussi Matisse; Matisse, par Gaston Diehl, publié par T1sné-Vilo; Matisse, par' J.•J. Levêque, aux éditions Cercle d'Art-Bordas (dlf· fusion Vilo); Matisse. par J. Mar· chiori à la Bibliothèque des Arts; Matisse, par Jean Guichard Meill chez Hazan (diffusion Vilo) ; Matisse, dans la collection • Les grands maitres du dessin. du Cercle d'Art; Matisse, période fauve et Matisse 1911-1930, dans la collection «ABC. de Hazan et, chez le même éditeur, dans la collection • Bibliothèque Aldine des arts", Matisse; Matisse ce vivant, recueil de souvenirs par Raymond Schollier chez Fayard. Signalons égaIement qu'Aragon prépare actuellement un Important ouvrage sur le peintre à paraitre chez Gallimard.
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aussi d'une étude approfondie des œuvres vocales, et Instrumentales, du compositeur, appuyée sur les recherches les plus récentes, par Karl Gelringer, professeur à l'Université de Californie et spécialiste de la musique du XVIII' siècle. A paraître: l'Opéra auJourd'hui, par Jacques longchamps, critique musical du • Mon· . de.; Debussy, Impresslonlsme et symbolisme, par Jarocinski; les Quatuors de Beethoven, par Joseph Kerman.
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Denoël inaugure une nouvelle collectlon; «Histoire de la France ", qui, sous la direction de François Dornic, se propose d'aborder l'histoire globale de la France en faisant appel aux techniques de l'anthropologie, de la sociologie, de l'économie, etc. « Histoire de la France" s'attachera à dé· couvrir les articulations profondes d'une archéologie nouvelle qui rende compte des transformations de la société, de l'économie et de la civilisation. C'est ainsi que le premier volume de la collection: la France de la Révolution 1789·1799, est divisé en trois parties: une «chronologie., qui s'efforce de suivre pas à pas le dérou· lement des événements; un • dictionnaire" qui fournit une mise au point des connaissances actuelles sur les sujets abordés; une • histoire globale", au niveau des structures, des problèmes politiques, économiques, sociologiques, etc. Un Important appareil critique complète l'ensemble.
Travaux " Il
• Travaux" est le titre d'une nouvelle collection des éditions de l'Ar· che qui proposera des ouvrages très divers: écrits sur le .théâtre, romans étrangers, etc. Trois volumes sont sortis en avril: l'Achat du cuivre, par B. Brecht, entretiens sur une nouvelle manière de faire du théâtre; Racine, par Lucien Goldmann (réédition); Théâtre complet de Büchner, comprenant la Mort de Danton (traduit par A. Adamov), Léonce et Léna et Woyzeck (traduits par Marthe Robert). A paraître ce mois-el: le Petit organon pour le théâtre, par Bertolt Brecht; Musset, par Henri Lefebvre (réédl· tlon); Itinéraire de Roger Planchon, recueil de divers articles parus dans • Théâtre populaire ". Les ouvrages, au format 11/18, sont vendus 9 F.
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Musique"
Sous la direction de François-Régis Bastide, est lancée, ce mois-ei, aux éditions du Seuil, une nouvelle collection: «Musique.. Le premier volume de «Musique. Illustre bien l'esprit de cette collection qui propose au public amateur de musique des ouvrages sérieux mais accessibles aux non spéclallstes: Il s'agit en effet d'une biographie de Jean-Sébastlen Bach, mals
Histoire de la France"
Femmes dans la vie "
Publlé~ en co-édition par Grasset et Le Centurion, la collection • Femmes 'dans la vie. traite de tous les problèmes qui préoccupent actuellement les femmes, qu'il s'agisse de la sexua· lité, de l'éducation, des activités de la vie quotldi"mne, etc. Premiers titres: l'Entente du couple, par Renée Massip; Comment plaire à tout âge, par Simone Baron; la Femme et les ad0lescents, par Simone Fabien; la MaIson ouverte, par Ghislaine Lavagne.
"Les idées et les mœurs" Chez Flammarion sera Inaugurée en juin une nouvelle collection Intitulée • Les idées et les mœurs. et qui, en six volumes, formera une vaste fresque sur les divers aspects de la vie d'autrefois. Pourquoi les • idées et les mœurs"? Parce que le principe qui sert de point de départ à la collection est que les Idées et les mœurs, plus encore que les événements, déterminent une époque donnée. Aussi. pour évoquer les périodes les plus si· gnificatives de notre civilisation occidentale, les auteurs ont recueilli des témoignages très divers et rassemblé une iconographie aussi abondante qu'originale. Les deux premiers titres paraissent ces Jours-el.
Le Sourire Qfwfq Italo Calvino Temps zéro trad. de. l'italien par Jean Thibaudeau Seuil éd., 160 p.
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Depuis ses débuts, Italo Calvino a toujours été le conteur de l'inattendu. D'où les surprises qu'il réserve au lecteur, non seulement à l'intérieur d'un même récit mais d'un livre sur l'autre. Calvino sè reconnaît à ceci que, du Baron Perché à Temps zéro en passant par la Journée d'un scrutateur, ses livres ne se ressemblent apparemment pas. Le ton change. On passe du concret au bizarre, de l'insolite au rationnel, et l'auteur semble jouer à chat perché avec le réalisme, la fantaisie et le fantastique. Mais toujours, il y a quelque part quelque chose de déréglé. Les systèmes révèlent leur faille ou bien, quand Calvino y met le doigt ou une goutte de son humour les mécaniques les mieux huilées deviennent folles. L'invraisemblable se teinte d'évidence, la logique se prend à ses propres pièges. ·Mais voici qu'avec Temps zéro, le conteur nous réserve une nouvelle ruse. Il feint d'abord d'être le même et de nous entraîner en terrain connu. Les récits qui ouvrent le recueil, non seulement sont de la même veine que ceux de Cosmieomies, mais ils ont le même héros, si l'on peut dire, ou du moins le même narrateur, le multiforme et bavard Qfwfq qui, microscopique ou volumineux, llubtil ou jobard, fut, de la nébuleuse originelle aux temps modernes, l'éternel témoin de l'univers, de sa formation, de ses transformations et de ses caprices. QfwEq continue donc à parler, glissant son grain de sel dans les théories cosmologiques, les élucubrations cosmogoniques, illustrant d'exemples surprenants les hypothèses, sérieuses ou hasardeuses, des savants. Ainsi, comme dans Cosmieomies, il commence par nous parler de la Lune et du temps où celle-ci s'était rapprochée de la Terre à un point tel que, selon les calculs de Gerstenkom et Mven, les continents terrestres seraient des morceaux de Lune tombés sur notre planète. Mais cette fois-ci, QfwEq ne nous conte plus comment il allait extraire
le lait lunaire, épais comme du. fromage blanc, il évoque l'échange de matière qui se fit entre la planète et son satellite à la faveur de ce rapprochement et grâce aux lois de l'attraction réciproque. C'est alors selon lui que la Terre perdit sa dureté, sa netteté, cette couche de matières lisses (béton, plastique, verre, acier) qui la recouvrait alors et qu'on s'efforce péniblement de reconstituer aujourd'hui. Au reste, une fois lancé sur l'apparition des oiseaux, la mésaventure des cristaux, l'analogie du sang 'et la mer qui fait que les amants souhaitent se replonger ensemble dans le même flux primitif pour le perpétuer, QfwEq pourrait continuer interminablement. En effet, il a tout vu, tout connu, et il serait à même de récrire avec le bon sens gouailleur du monsieur qui était là et à qui on ne la fait pas, toutes les œuvres de la science, de la philosophie, de la littérature, y compris les visionnaires, les fantaisistes et les apocryphes. Et il le ferait si son dernier avatar - dans la peau d'un amateur de dolce vita, de jolies filles et de puissantes voitures - ne finissait dans un accident d'automobile, laissant Calvino libre d'écouter ou de suivre d'autres voix ou voies. Cependant Calvino conduit mieux que le docteur libertin responsable de la fâcheuse disparition du bavard cosmique. Il prend les virages sans en avoir l'air, et ses dérapages sont contrôlés. La deuxième partie de Temps Zéro, en apparen~, est une sorte d'hommage à Qlwfq, ou encore se présente comme les œuvres posthumes du susdit. Elle est l'histoire de celui-ci et en même temps de l'évolution de la vie depuis l'apparition de l'unicellulaire jusqu'à la mort du pluricellulaire (supplanté par la machine électronique qui conservera tout en mémoire). C'est donc toujours de la même chose qu'il est question, et pourtant le ton a changé. Il ne s'agit plus d'aventures insolites sur un fond d'hypothèses scientifiques, mais presque d'un cours de biologie, de génétique sur la mit08e, la meiose, la transmission des caractères, le rôle de la double hélice, mais d'un cours truffé de métaphores, de remarques ironiques, récrit de manière subjective et aboutissant à des ré-
La Q,yinzaine littéraire, dù 1er au 15 juin 1970
sultats cocasses que le lecteur découvrira avec ravissement. Et c'est dans cette deuxième partie que s'opère le renversement qui caractérise les derniers textes du recueil, de Temps Zéro au Comte de Monte-Cristo. Les histoires de Qfwfq partaient d'hypothèses scientifiques, d'un moment de l'évolution du cosmos ou de la vie pour conter les réactions, les aventures d'individus, de personnages quelconques - si on peut les nommer ainsi - ayant les goûts, les habitudes et les travers du petit bourgeois moyen qui n'aime pas - ou du gamin farceur qui adore les bouleversements. Ici, au contraire, les situations de dé-
part sont concrètes, quotidiennes, banales. Un archer primitif vise un lion, un conducteur est poursuivi par un tueur, un amant roule vers le domicile de sa maîtresse à la suite d'une conversation téléphonique orageuse, un prisonnier célèbre, Edmond Dantès, rêve aux moyens de s'évader. Tout est simple à première vue. Mais comme dit Ionesco dans la Cantatrice Chauve, «prenez un cercle et caressez-le, il deviendra vicieux~. Les personnages que Calvino met en scène dans ces situations naturelles sont en proie au démon de la logique. Si la science a disparu avec Qfwfq, son langage est resté et se met à tourner tout seul, à rendre in-
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Vient de paraître
Claude Simon
Orion aveugle 24 ILLUSTRATIONS Dans toutes librairies Volume broché 16.5 x 21.5 cm couverture acétatée. F 35.-
VH
101 VH 101
LA REVUE DE L'AVANT-GARDE INTERNATIONALE 128 pages 70 illustrations 14 F
Il a été tiré à part 1000 exemplaires numérotés reliés pleine peau
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OTTO HAHN Littérature et Mystification PETER HANDKE Gaspard ANDY WARHOL Comment devenir un homosexuel professionnel MARTIAL RAYSSE Les Socialistes n'aiment pas leur mère GYbRGY LIGETI De la forme musicale DANIEL BUREN Mise en garde N° 3 CARL ANDRE - MICHAËL HEIZER DAVID LAMELAS - PIERO MANZONI Dans toutes les bonnes librairies. Correspondance et abonnement: 101, rue de Vaugirard _ Paris 6· Editions Esselller
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Une vertIgIneuse
.. Calvino
Luigi Malerba Saut de la Mort Trad. de l'italien par Jean-Noël Schifano Grasset éd., 260 p.
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solite ou insoluble ce qui d'abord semblait aller de soi. On a l'impression d'entrer alors dans un monde où les miroirs eux-mêmes deviendraient schizophrènes, autrement dit fêlés, à force de réfléchir. Et voici l'archer qui souhaite demeurer éternellement à cheval sur sa flèche en un point T. du temps mais qui ne peut imaginer l'intérêt de cette position qu'en se transportant en TI, T' ou T' c'est-à-dire au moment où le lion soit sera mort soit lui aura sauté dessus. De même Edmond Dantès ne peut trouver la manière de s'évader qu'en inventant, outre le roman de Dumas, la forteresse dont on ne pourrait s'évader. Au terme, la perfection du raisonnement aboutit au dérèglement de la réalité comme à l'impossibilité de sortir d'une situatiorl. Et dans le même mouvement/ l'auteur réussit à conter une histoire et à la détruire, à faire de la littérature tout en la niant, à récrire· et à effacer l'œuvre d'Alexandre Dumas. Mais si savants que soient les jeux auxquels il se livre, Calvino ne perd jamais le sourire de Qfwfq. Et si nous sourions avec lui, c'est pour oublier qu'il nous a pris dans ses pièges.
Claude Bonnefoy
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Pourquoi diable Michelange10 Antonioni a-t-il été jusqu'à Zabriskie pour tourner son dernier film? Luigi Malerba aurait pu lui confier que Paonne Point se trouve à 24 kilomètres au Sud de Rome; et question désert, la plaine de Paonne «c'est un désert pire que le Sahara:ll. Il est vrai que le moyen de locomotion dans Saut de la mort (1), c'est la bicyclette; que le «je ~ narrateur, Joseph dit Joseph, est chineur de métier et qu'il tète sa Rose (Rose ou Rosette ou Roseblanche ou Roseclaire... - un suffixe à Rose, s'il vous plaît, et vous trouverez III Femme -) entre deux bouffées de Gitanes, refusant tout Zabriskie coït: pas de pertes stupides d'énergie, sapristi! Et surtout pas de pertes de connaissance; car Joseph mène l'enquête... Si «une voix:ll n'avait été là pour le tirer vivement d'un sommeil qui promettait d'être éternel, Joseph ·dormirait encore, bercé par Radio Vatican (ou le bourdonnement d'un nuage de mouches? - au fond, peu importe...) Et ce serait bien regrettable: Joseph est un impayable enquêteur; un fils clownesque d'Œdipe et d'Agatha Christie qui démasque et démystifie à coups d'ingénuité. Aussi bien, le coupable ne devrait pas lui échapper. L'énigme première, la voici: qui a tranché la gorge de cet homme, «ce vieux », qui gît dans la plaine de Paonne, près de la Tour médiévale? Des interrogatoires burlesques vont former le fil conducteur de l'enquête et du livre. Joseph soupçonne d'abord un boucher, coupable tout désigné: en effet, son métier est de tuer - des animaux, certes mais l'adresse avec laquelle il découpe la viande n'est-elle pas un sérieux indice (indice renforcé par la méfiance qu'éprouve l'enquêteur loufoque devant ses petits yeux et ses oreilles qui remuent quand il parle!)? Et puis, «blague à part ~, on a aperçu le criminel sur une bicyclette noire : le boucher en possède une identique... Au coul'8 de ce pre-
mier interrogatoire, Joseph découvre, entre autres, le prénom du boucher: «Il s'appelle Joseph comme moi, voilà qui ne me plaît guère c'est-à-dire pas du tout.:lI Ainsi commence la ronde endiablée et cocasse des Joseph, tous, l'un après l'autre, soupçonnés par Joseph dit Joseph, d'être le coupable. Joseph, l'émoucheur d'Albano, qui prend un goût étrangement sadique à tuer les mouches; J 08eph, le maître nageur, dont le métier consiste, en partie, à retirer des cadavres de l'eau et qui peut tout aussi bien éprouver la tentation de concurrencer la mer néfaste. De plus, le maître nageur, comme l'émoucheur - et le protagoniste, d'ailleurs - possède «une bicyclette noire de forme et de couleur:ll. Malgré les remarques de «la voix ~ qui le double et lui dit, par exemple, «Joseph, mon bon ami, je suis navré mais tu fais rire les chiens avec tes interrogatoires:ll, il n'en poursuit pas moins son enquête et découvre même, tout à trac, que Rose lui a fait un petit Joseph en catimini, pour ainsi dire, un fils âgé maintenant de 18 ans. A cette dernière nouvelle, il pose la question capitale que tout père, depuis Freud, formule au sujet de son fils : «As-tu entendu dire par hasard qu'il en veut à mort à son père ? :li Bref, le mort du début - que ce soit un vrai mort ou un fantasme trimballé par le «je:ll narrateur - est à notre sens (chacun poura interpréter cette énigme-là à sa façon) le père (ou un substitut) du protagoniste: «Il y en a un déjà qui est allongé dans le pré, entouré de fourmis, le second pourrait être toi, s'il vous plaît~, se dit Joseph après la révélation de Rose, car «c'est ainsi que tourne la roue de la vie.:lI Nous vivons donc, dans ce roman, une brillante et authentique illustration du complexe d'Œdipe (cf. pour l'autre composante de ce complexe, la Femme-Mère) et de la culpabilité - d'autant plus angoissante qu'elle est inconsciente - , conséquence première de ce complexe, chez le «je ~ narrateur qui projette son antique désir de mort (ou son acte criminel réel) sur d'autres Joseph l'homonymie facilitant cette projection. Si l'on veut d'abord s'en tenir au seul dé-
brouillement du reclt construit comme un labyrinthe d'où l'on ne voudrait plus sortir tant il séduit, il y a donc quatre Joseph principaux (reflets, sans doute, du protagoniste qui semble posséder le pouvoir de se diviser en quatre, «spontanément comme le ver soi-disant solitaire :li!) qui mourront tous, sauf le chineur, d'une mort rocambolesque. Par exemple, le boucher se noiera dans vingt centimètres d'eau, persuadé qu'il était, expliquera son épouse, de grimper à un arbre! J 08eph dit Joseph se sent aussi persécuté, menacé par la police et par cette «voix ~ qui n~a cessé de le poursuivre, cette « voix ~ qui semble être elle-même - déguisée - de l'auteur qui pèse à sa créature (<< mon excellent ami:ll, «mon bon ami », sont les voyants lexicaux qui indiquent une intervention brève de l'auteur auprès du «je:ll narrateur). Et nous assistons, de chapitre en chapitre, à l'irritation puis à la révolte du personnage contre son auteur, jusqu'à la séparation finale où Joseph rudoie son créateur et... le dénonce à la police. Ainsi, il poursuivra sa destinée d'incomparable inquiéteur, désormais seul sur la scène narrative. Mais ce n'est là qu'une tranche de ce livre vivant et étincelant qu'est Saut de la mort, de cette pirouette vertigineuse où les vers, les chiens et les mouches rigolent à belles dents ! Dans une langue que Luigi Malerba excelle à chatouiller aux mots sensibles, sont abordés les thèmes les moins agréables d'une Italie coupée en deux (la riche plaine Paonne et la misérable lande désertique au Sud de Rome en sont un symbole) où règne un banditisme ici dénoncé - «Joseph le boucher de Paonne est mort, s'il vous plaît. C'est peut être la Mafia sicilienne qui r a tué, c'est d'elle que dépend rabattage clandestin de tout le Latium:ll - dans le cours même du récit, dénonciation judicieusement intégrée aux extraordinaires aventures du protagoniste. Et si l'on peut aisément mettre sur le compte de la schizophrénie les incohérences de pensée et d'action de Joseph, ces «incohérences» sont tout de même savamment placées par Malerba pour
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pIrouette donner à son personnage la taille réelle d'un être vivant aujourd'hui sur un globe pollué par le mazout (sur les plages), les gaz carboniques (dans les villes), et les poisons en tout genre. Tels ces gouvernements coupables d'incapacité même si dans le monde tous les présidents de la République ne se prénomment pas Joseph. «Autrefois on parlait des vernis allemands, dit le protagoniste (au sujet de sa bicyclette, bien sûr 1), désormais on peut employer les vernis nationaux ils sont même meilleurs.:t Surtout quand un clergé obtus les fait briller. En effet, que peut comprendre, par exemple, le prêtre de' Paonne auprès de l'émoucheur qui, sur son lit d'hôpital, lui confie: «j'entends la mystérieuse syllabe de la création ~ : OM? «A présent, je n'en S6J& pas plus qu'avant:t dit· le prêtre: pour lui, certes, le mot de passe ne peut-être l'homme. Saut de la mort est donc aussi le roman d'une schizophrénie géographique et sociale; le roman de l'Italie mutilée. Tous ces cous coupés, doigt coupé, jambes coupées, ces yeux qu'on ne voudrait pas avoir, peuvent être, entre autres, le symbole de ce clivage entre deux Italies, entre deux Mondes. Anti-héros d'une «hilarodyssée» miniaturisée par un orfèvre, Joseph le chineur se sert inconsciemment de tous les prétextes - tous passionnants, ô comhien ! - pour atermoyer la découverte du coupahle : et ce sont alors ces regards stupéfaits et indignés qu'il jette sur le monde et les gens qui l'entourent. Et, en fin de compte,
' ? QU1. tue encore ?.... qui• a tue. « C'EST VOUS ~. Luigi Malerha, ce magicien du langage, cet alchimiste du temps et de l'espace, des formes, des couleurs et des sensations, qui peint un paysage en trois mots et «le pire des mondes:t en un éclat de rire, a écrit un roman « moderne:t, au sens stendhalien du terme, un roman témoin d'une société et d'une époque, et qui vit, loin d'une littérature frelatée en cure chez Enzyme ou rendant avec force spasmes des mots chiqués. Disons enfin, que Saut de la mort, plein d'humour et de cocasseries, est cependant dominé par la couleur noire (bicyclettes, journaux, vêtements, voitures, oiseaux, etc.). Noirs et nus, en effet, sont ces fantastiques «événements de Paon· ne:t reflétés par ce chineur tour· menté qui, dans une manière de « conversation ~ au Latium, accuse une Capitale, un Pays et un Monde postiches. C'est une drôle de création poétique, cette histoi· re inquiétante, un roman d'une rare authenticité. Ceci encore: Ionesco, Beckett, Aymé, etc., ce brillant écrivain d'outre-Alpes ne s'est·il pas, dans cet ouvrage, débarrassé de ses « pères ~ ?... Car Malerba est ici Malerba, avant tout. Un grand créateur qui s'affirme. Luc Evaron
(1) C'est le second roman de Luigi
Malerba dont l'œuvre est traduite dans de nombreux pays. Son premier roman : le Serpent cannibale - paru en Italie après un recueil de nouvelles intitulé la Scoperta dell'Alfabeto - fut publié en France, par Grasset, en 1967. La traduction est de Michèle Causse. N° 30 de la- Quin·
zaine Iittéralre-.
La Q!!inzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970
Avant de partir le titre du recueil est désormais chargé d'une tragique ironie. Brendan Behan est parti et nous ne lèverons plus nos verres avec lui de ce côté de la tombe. Et pour· tant, ces brefs récits sont l'œuvre d'un jeune homme qui commence à découvrir son talent d'écrivain. A dé· couvrir qu'il a quelque chose à dire que les gens paieront pour entendre. Et j'insiste sur le paiement, car derrière les jeux et les mots, on sent déjà la tragédie. Brendan Behan Encore un Verre avant de partir Trad. de l'anglais par Paul·Henri Claudel Gallimard éd., 201 p. Le trait le plus caractéristique du jeune Behan était l'énergie: avec sa chemise ouverte et ses boucles noires, il avait l'air d'un jeune taureau, dangereux, mais joyeux. Avant de bien le connaître, je l'ai vu poursuivre un des meilleurs poètes irlandais, Patrick Kavanagh, à toute allure, le long de la rue la plus élégante de Dublin. Mais il s'était arrangé pour ne pas le rattraper ; en dépit de ses allures de forçat, la violence de Brendan était celle du langage plutôt que celle du geste. Ce qui le différenciait des autres jeunes écrivains réunis chaque jour dans les bars ou les sous-sols, comme les Catacombes (L'Homme de Gingembre de Donleavy (1) donne un aperçu de cette institution maléfique), c'est que Behan avait déjà accumulé une expérience à lui. Encore adolescent, il s'était engagé dans l'armée clandestine irlandaise et avait été envoyé en prison. Bien d'au· tres fanatiques ont fait de même, mais Brendan venait de la classe ouvrière et ne s'était pas dissocié des prisonniers de droit commun; la prison avait été pour lui une sorte d'internat, assez rude. A vrai dire, il était le premier repré. sentant des taudis de la rive nord à émerger depuis O'Casey; et il est sans doute le dernier. C'est l'écume de ces premières pintes de Guinness que représente ce recueil, fait surtout de conversations de bistrot. Publiés dans le plus orthodoxe des journaux irlandais (un peu comme si Jean
Genet écrivait pour le Fi~aro), ces récits sont déjà inconsciemment censurés. On n'y trouvera pas grand-chose qui touche à la religion, à l'amour ou à la révolution, mais on y trouvera beau· coup d'humour. Qui pourrait refermer un livre qui commence comme par hasard: «rai connu un homme de Nicholas Street qui s'est assis sur le trône cl'Angleterre ~ ? Ce type-là était peintre en bâtiment, comme Brendan lui·même et son père avant lui (Behan répétait volontiers que son père était Président du Syndicat des Peintres en Bâtiment) et il refaisait les pei~tures du palais de Buckingham, travaux qui lui va· laient du reste quelques avantages en nature, puisqu'ils l'habilitaient à vendre de l'Eau du Palais à des royalistes fervents. Un jour qu'il peignait l'escalier, «un pied menu et ravissamment chaussé... ~ On voit le genre... mais ce qu'i()n ne saurait assez apprécier, c'est combien le plus simple ré· cit est riche de la culture du petit peuple de Dublin, culture toute locale et internationale à la fois. Internationale, parce qu'il y avait toujours quelqu'un de la famille qui avait fait les campagnes d'Mrique du Sud ou d'Inde dans l'armée anglaise, ou travaillé dans les chantiers ou dans les chemins de fer en Angleterre ou aux Etats-Unis. Internationale dans les idées aussi: il ne faut pas oublier que Marx et Engels pensaient tous deux que la révolution aurait pu commencer en Irlande. La longue grève de 1913 avait été l'une des plus sauvages d'Europe, et si James Connolly et son Armée de Citoyens avaient survécu à la Révolution de 1916, l'Irlande aurait pu être une première version de Cuba. Mais 1916 était une révolution nationaliste et non pas socialiste ; comparé à celui de O'Casey, le monde de Behan est sur le déclin. L'humour est sa dernière défense, qui rend même la défaite acceptable. Quelques ouvriers rassemblés autour d'un trou entonnent «Bon Anniversaire... ~. Est-ce la fête du contremaître? demande un nouveau. Non, c'est le deuxième anniversaire du trou. La plaisanterie peut même adoucir l'horreur de la guerre.
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Behan COLLECTIONS
R.êver de... (Vilo) Revenir, c'est mourir un peu: mourir à ce qu'on laisse. La douane, la grève des transports, les factures im· payées, le travail en retard et le quotidien, plus quotidien que jamais, nous attendent à la fin de l'échappée belle. On rêvait d'un pays, le rêve s'est réalisé, Il est derrière nous: Il faut recommencer les rêves à l'envers, comme on reprojette à l'envers la bobine d'un film. Dans l'aller et retour des rêves de voyages, L. Larfillon a voulu, avec sa collection • Rêver de...., ouvrir la plus sûre agence de tourisme: le tourisme des songes, des songes vrais. Le tourisme des tapis volants de papier et d'Images, qui donnent l'envie d'aller, le sourire d'ami été, la nostalgie heu· reuse de retrouver, et la consolation d'être revenu. Invitation et incitation au voyage, la prolongation en harmoniques de celui qui s'est clos, ouverture sur les horizons à explorer ou réouverture des horizons parcourus, c'est à des rêveurs toujours un peu amoureux, et donc rêveurs lucides (qui aime bien, connaît bien), que L. LarflIIon a demandé d'être les guides de son Agence Générale du Rêve vagabond.
De J.-P. Clébert à Duché Un Dublinois échappe aux balle!' des Boers, parce qu'avec son colback, il a l'air d'un hérisson. Bien des rescapés, cependant, deviennent «candidats au garage pour cerveaux malades », comme le Sergent Cloonoe qui «faisait sortir sa femme du lit à une heure et demie du matin pour lui faire faire. de lordre serré et de lentraînement ·à la baïonnette avec un balai ». En fin de compte, seule la légende importe: «Essuie ta baïonnette, Kinsella, tn en as tué suffisamment », dit l'illustre Lord Roberts, en félicitant un fusilier dublinois. Pour Behan, la vraie gnerre n'est Val' contre les Boers, mais (et le jeu de mots est intraduisible) contre les bores, les fâ· cheux, les emmerdeur!.'. Dans ces rédts, comme plus tard dans Un Otage, une foule d'hommes et d'idées se mêlent, conservés dans la solidarité de l'alcool. En cas de querelle entre anciens combattants des armées républicaine et anglaise, il y a toujours un poivrot pour s'interposer: «A qu.oi bon aller maînterwnt se disputer pour cela ? Ne sont-il, pas aujourtf hui tous morts depuis long.temps, de toute manière? :t
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Contre l'ennui, l'arme déci· sive, c'est le langage, chanté, parlé, écrit, dans cet ordre. En vrai Dublinois, Behan est fasciné par le verbe; S8 prose, comme celle des autobiographies de O'Casey, devient aisément une sorte de sous-Joyce, truffée de calembours. Les noms de ses personnages caractérisent leurs humeurs, Maria Concepta la mégère, Tambour, le peintre, et pour l'orchestre, les Canards Boiteux. Quant à l'auteur, tous s'accordent à l'appeler « Behing », ce qui convient parfaitement, car s'il y a jamaIs eu un «human being », un être hue main, c'est bien Brendan. Le traducteur lutte vaillamment avec ce riche patois, sans presque de défaillance. (Comment pourrait-il savoir que «mot» n'est pas un mot, mais une petite amie?) Mais j'aurais aimé que l'édition française conservât les il· lustrations de la jeune femme de Brendan. Elles cement la joyeuse innocence de l'époque, avant que le jeune taureau n'ait compris que le seul spectacle qui puisse satisfaire le grand public soit celui de sa mise à mort. John Montague (1) Publié aux. Lettres Nouvelles • Denoël éd.
Rêver de Paris? Qui peut le faire mieux que J.·P. Clébert, qui ne salt Jamais très bien s'il est Clébert rêvant de Paris ou Paris rêvant de Clébert? Armond Lanoux sait Rêver des Châteaux de la Loire, Georges Blond RêIfer de la France. Si on descend au Sud, tiens: Jean-Paul Clébert est là, en train de Rêver à la Provence: Jean·Paul est resté à Paris, Clébert lézarde au soleil. Au soleil? C'est Rêver de la Grèce qu'aime par-dessus tout Michel Déon, qui y vit, et la vit, d'île en île et de vague en vague. Soleil encore, le Rêver du Maroc de Séfrioui. Et si trop de soleil éblouit, traversons la Manche avec Jean Du· ché, qui s'habille à Londres et qui est anglomane comme d'autres sont amateurs de peinture ou de tabatiè· res: Rêver des Iles Britanniques est Iln vice secret, et récompensé.
La lanterne magique La lanterne magique et le vol en· chanté des albums • Rêver de.... pro· jette sur l'écran des projets de voyage ou des souvenirs de vacances. Cent soixante-dix photographies dans cha· que volume, dont quarante en couleurs. Le lecteur. amoureux de cartes et d'estampes. trouve ici son compte, l'amateur d'histoire la trouve, qu'on lui conte, et le flâneur des grandes routes se voit indiquer les hauts lieux de chaque pays et les Itinéraires de son plus vif plaisir. Edltés simultanément en français, anglais et allemand, avec un tirage de départ de 30 000 exemplaires, les albums • Rêver de... - ont une autre
vertu des rêves: conter peu et donner beaucoup. Ils donnent à voir le monde à qui prend le départ et à qui s'en déprend. • Rien que la terre.? Sûrement pas: rêver de toute la terre, ce n'est pas rien. A paraitre prochainement: Rêver de la Tunisie Rêver de la Camargue Rêver de l'Espagne Rêver du Portugal
Q!!e j'aime (co-édition Sun-Vilo) Editeur des voyages, L. Larflllon est en train de faire le voyage d'un éditeur: Il fait quitter à son navire· "amarrage, traditionnel dans l'édition, du 6' arrondissement, pour aller jeter l'ancre au large et presque à la campagne - enfin dans le 15' arrondissement. Tandis que ses livres vont s'installer, eux, vraiment à la campagne, à 40 kilomètres de Paris. J'ai vu passer ainsi devant mol, par camions entiers, des tonnes de lettres d'amour: les vingt titres de la collection • Que j'aime -. Belle cargaison. Des albums. Les éditions Vilo-Sun voudraient que la collection • Que j'al· me ., ce soit davantage. Et Ils y sont parvenus. Un recueil de cartes postales reliées, ce n'est pas un livre, c'est seulement un mémorandum. " y a beaucoup d'images dans chaque volume de • Que j'aime - (120 documents photos, dont douze en couleurs). Mais Il y a plus: la présence d'un écrivain, la tenue d'un texte, et ce mariage d'amour entre un homme et un pays qui rend l'un et l'autre Inoubliables.
Dan. leur .ecret Une ville? C'est ce qui se passe entre Venise et Cocteau, entre Marcel Aymé et Paris, entre Florence et Paul Morand. Mais la cité et son ami de cœur nous mettent ici dans leur se· cret. Comme nous mettent dans la confidence de leur complicité (et de leur savoir partagé) Jean Giono, pro· meneur à Rome, Robert Guillain au Japon, Max Pol Fouchet au Mexique, Pierre Gaxotte à Versailles, Jean Char· donne au Portugal. On parle parfois de • Grands noms -. ,II n'y a peut·être que de vrais talents et de vraies beautés. Mais le grand nom de "Inde, marié Ici au nom de Jean Guéhenno, c'est autre chose que deux. grands noms -, c'est l'intelligence de la passion pour un pays. Les Alpes • vécues. par Maurice Herzog, ce n'est • deux vedettes à "affiche -, c'est un homme qui fait corps avec la montagne et la possède comme on possède les se· crets d'un être. A paraître: San Francisco que J'aime Londres que J'aime La Hollande que j'aime La Yougoslavie que j'aime
A.B.
ESSAIS
Un ntonuntent public • Il n'est pas plaisant d'être traité de son vivant comme un monument public Jt, écrivait Sartre dès 1945. Ceux qui le connaissent savent que l'écrivain le plus courageux de notre temps est aussi le moins soucieux de sa figure historique, et que sa gloire l'encombre plus qu'elle ne le satisfait. Mais le fait est là : Sartre joue depuis vingt-cinq ans sur la scène publique un rôle qu'aucun écrivain, sans doute, n'avait jamais joué avant lui.
l
M. Contal et Rybalka
Les écrits de Sartre Gallimard éd., 792 p.
C'est dire l'intérêt que présente, a priori, un recensement de ses multiples écrits. Si MM. Contat et Rybalka s'étaient contentés d'un simple travail d'érudition, ils auraient déjà fait Ulle œuvre très utile. Mais, par sa forme et par son contenu, leur livre va beaucoup plus loin. Il inaugure un genre, la «bibliographie com· mentée~, qui, pour reprendre l'heureuse expression des auteurs, vise à reconstituer la «vie biblio· graphique de l'écrivain~.
I/œuvre la vie
~cIaire
Ces mots marquent à la fois les limites et l'originalité de l'en· treprise. La biographie de Sartre n'est évoquée ici que pour autant qu'elle aide à situer certains textes; la vie n'éclaire pas l'œuvre, c'est plutôt l'œuvre qui éclai· re la vie; et le «commentaire ~ ne va jamais jusqu'à l'interpréta. tion. Il arrive à Contat et Ry. balka de porter des jugements, de signaler tel écrit qui leur pa· raît plus intéressant qu'un autre. Mais leur but n'est pas de nous donner un point de vUe person· nel sur Sartre. Il est plutôt de réunir, autour de références précises (on en compte 511 jusqu'à la fin de 1969) des informations, des citations, des rappels qui pourraient servir de base à, une étude ultérieure. Avant d'interpré. ter une œuvre, il faut d'abord la
c mettre en place •• C'est ce que Contat et Rybalka ont fait, au prix d'un labeur énorme. Le& Ecrits de Sartre constituent l'instrument de travail dont aucun exégète ne pourra plus, désor· mais, se passer. Ajoutons qu'en appendice, figue rent quelque 250 pages de c textes retrouvés ., les uns complètement inconnus, les autres égarés dans des publications aujourd'hui in. trouvables, qui méritent tous, à quelque titre, l'attention: les pre· miers récits de Sartre, sa première pièce, Bariona, des fragments non utilisés de Qu'est-ce que la litté· rature? ou du Saint-Genet, de brefs essais phénoménologiques comme le très beau Visages, des réflexions sur le théâtre, le cinéma, la poésie. L'intérêt principal du livre, à mon avis, n'est pas seulement dans la masse des renseignements qu'il fournit, l'éclairage qu'il don· ne sur certains moments peu con· nus de l'évolution de Sartre. Il n'est pas seulement de nous rappeler, textes à l'appui, quelques scandales oubliés et la résistance obstinée à laquelle l' œ pure· ment littéraire de Sartre aussi bien que son action politique s'est toujours heurtée dans cere tains milieux. Pour la première fois peut.être, ce travail bibliographique met en lumière un trait particulier de l'écrivain moderne, plus évident sans doute' chez Sartre que chez n'importe qui, mais dont la critique devra tenir compte de plus en plus: à savoir que toute œuvre s'accom· pagne désormais de son propre commentaire. L'écrivain, aujour. d'hui, ne se contente pas d'écri· re: il parle - de lui, des au· tres - , il prend des attitudes pu· bliques, signe des pétitions, intervient dans des domaines qui ne relèvent pas de 8a compétence .. immédiate. On l'attaque, il se dé· fend; on le critique, il se justi· fie; on l'interroge, il répond bref, il a un avis sur tout. Ainsi s'élabore, en marge de l'œuvre of· ficielle, celle qui est réunie en vo· lumes, une œuvre seconde, dispersée dans des textes de circons· tance, qui prolongent, explicitent et parfois corrigent la première. Ces textes, généralement, ne 8ur· vivent pa8. 118 ont été dits à la radio, prononcés dans de8 confé· rences ou de8 colloques, ou pu·
La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970
blié8 80US forme d'entretiens, dans des journaux ou revue8. Si l'auteur ne prend pas 80in de les réunir lui·même, dans quelque volume, on. les oublie vite. Pour· tant, ils font partie de l'œuvre, comme le reste comme ces brouillons, ces inédits, ces varian· tes auxquels, seuls, se limitait jusqu'à présent la curiosité des interprètes. Certes Contat et Rybalka ont raison de le souligner - de tels écrits doivent être maniég avec prudence. Beaucoup n'ont pas été revus par l'auteur, et la transcription de ses propos n'est pas toujours fidèle. La plupart reflètent une opinion du moment, exprimée dans le feu de l'impro. visation; telle phrase que l'au· teur n'aurait vraisemblablement pas écrite, mais qu'il a dite, prête à confusion et suscite des malen· tendus; et si l'on relit ces textes à la' suite, on y trouve sans doute bien des contradictions. Vouloir exploiter ces malenten· dus ou ces contradictions contre l'écrivain serait faire preuve d'une grande mauvaise foi, car il y a des niveaux différents dan8 l'expression 'd'une pensée. Pour prendre des exemples précis, on ne peut pas placer la fameuse interview du Monde, qui fit tant de bruit en 1964, sur le même
plan que Qu'est-ce que la littérature? ni voir dans l'entretien de l'Arc sur le structuralisme, en 1966, qui n'en fit pa8 moins, un prolongement direct de la Critique de la raison dialectique. Mais, préci8ément parce que l'interview se situe' à un autre niveau que l'écrit, elle est souvent plus signi. ficative. SOU8 la pensée propre· ment dite, de tels textes révèlent l'attitude générale, la réaction instinctive, ce que cette pensée nuance et atténue en l'élaborant, mais qui en constitue le fond permanent.
Une sugesdon Ainsi l'attachement de Sartre à des notions comme celle de sujet ou de praxis, son sens de l'enga. gement ou de la liberté apparais· sent·ils d'autant plus clairement dans ces écrits périssables qu'il a moins cherché à peser ses formu· les. Je suggère que Contat et Ry. baIka, après avoir fait la partie la plus ingrate du travail, qui consistait à repérer et réunir le8 textes, nous donnent une «édi· tion commentée ~ des entretiens les plus importants de Sartre. Ce serait le complément naturel à cette pas8ionnante bibliographie.
Bernard Pingaud
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HISTOIRII
LITTllRAIRII
Miklllu1 Bakhtine ProbreJne$ de la poétique de Dostoiet1ski Trad. du rosse par Guy Verret L'Age d'Homme éd., 325 p.
La poétique de Dostoiet1ski Trad. du ru88e par J. Kolitahefl Coll. c Pierre Vives ~ Seuil éd., 336 p.
L'exploration par rapport aux formalistes, un dissident ou plutôt un marginal. Mais son ouvrage est néanmoins fondamentalement formaliste en ce qu'il ramène la nouveauté de Dostoïevski à une innovation structurelle: le roman polyphonique. Le roman de Dostoïevski est radiealement opposé au roman monologique traditionnel, ce-
Exhumés d'un long oubli, et aussi des limbes où tombent en Union soviétique les auteurs idéologiquement coudamnés, les c formalistes ru88e8 ~ sont aujourd'hui à l'honneur chez nous et même refont surface en Union soviétique. Chez nous, les références à leur œuvre sont nombreuses, une anthologie de textes leur a été consacrée. Le groupe de jeunes universitaires et critiques rosses que l'on baptise de ce nom a, de 1915 à 1929, formulé avec une géniale précocité l'essentiel de cette révolution copernicienne qui consiste à analyser dans le texte littéraire ce qui le différencie des autres textes, dans le discours à faire l'inventaire d'une morphologie et non des fables dont se nourrit ce discours. Peut-être parce que la tradition radicale, utilitariste et scientiste avait été en Russie poussée à des extrêmes quasi pathologiques, les Russes se sont les premiers avisés que contenus et formes n'ont en littérature qu'un rapport second et que les genres littéraires ont leurs· propres mutations et séismes. A la fois .érudits et passionnés, portés par l'expérimentalisme poétique de leurs amis poètes futuristes, les formalistes russes définirent d'abord la spécificité du langage poétique (principale victime de la critique traditiQDDelle), puis élaborèrent une sorte de syntaxe historique des ~hres littéraires. Cervantes, Sterne, Tolstoï furent dans cette seconde étape le matériau d'élection des formalistes. Mais aussi Dostoïevski. Deux traductions paraissent aujourd'hui simultanément d'un même ouvrage c formaliste ~ ru88e: les ProbreJne$ de la Poétique de DostoïetJski de Mikhail Bakhtine. Ce livre .parut d'abord à Moscou en 1929, puis, revu et complété, il fit sa réapparition, toujours à Moscon, en 1963. Bakhtine est,
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DostoïevsD eD 1847
lui où les personnages sont tous de fin, c'est-à-dire se résoudre en des objets agencés, animés par la un accord majeur final. Chaque volonté d'auteur, par le regard parole est une parole adressée à d'auteur, seul sujet véritable. un autre, en lutte clandestine Chez Dostoïevski, cette primauté . avec un autre, et chaque mot du du regard de l'auteur disparaît et héros n'est que provocation ou tout s'organise en un échange de orientation à l'égard de cet auregards, en un dialogue de cons- tre. ciences qui, à l'inverse du roman Bakhtine, pour mieux soulimonologique, ne peut pas avoir gner sa démonstration, s'attaque
de l'interdit principalement aux récits de Dostoïevski qui sont en appa· rence des monologues, les Note! écrite! clam un !ous.!ol, ou la Douce. Même seul, le héros de Dostoïevski est en perpétuel dia· logue et affrontement. Rongé par cet affrontement, l'homme du SouNol dira: c Cela fait qua· rante ans d'affilée que par un petit trou j'écoute vos paroles." Mais par ce trou, ou cet œil, c'est toute l'affluence des autres qui pénètre. Dans les grands romans, cet œil devient immense, chacun est comme constamment surveillé, sondé par l'autre dans une con· frontation publique et inlassable. n n'y a chez Dostoïevski ni caraco tères, ni types sociaux, ni vérita· bles relations familiales, il y a avant tout des consciences qui, d'emblée, d'une- façon imma· nente, sont engagées dans une op· tion existentielle et la confrontent à celle des autres. Et cette confrontation est d'autant plus pathétique et sans issue que cha· que consciençe entend les voix des autres, résonne à leur appel et qu'un extraordinaire réseau souterrain de connivences, de diVination, de complicité s'établit entre les voix et entre les regards. Ainsi entre Porphyre et Raskolnikov, entre Mychkine et Rogojine, entre Ivan et Aliocha. Avant Bakhtine, le grand poète symboliste russe Viatcheslav Iva· nov avait souligné la qualité de c pénétration ~ du discours du héros dostoÏevskien. Ce discours est pénétrant, c'est-à-dire divinatoire parce que l'autre est profon. dément présent dans le moi, parce que le tu est ce qui fonde le discours de chaque conscience. Mais en même temps, cette pénétration ne paralyse pas, ne mutile pas, ne dit pas le dernier mot parce qu'elle se heurte à une liberté intérieure qui est un noyau profondément irréductible au monologue. La véritable originalité de Bakhtine est de rechercher à quelle filiation littéraire rattacher Dostoïevski. Et c'est là qu'il formule sa grande découverte, l'idée de la littérature carnavalesque. Ni biographique, ni social, ni psychologique, le roman polyphonique de Dostoïevski lui apparaît comme un genre spécifique où le dialogue est à jamais inachevé, où l'exceptiounel inter-
pénètre le quotidien, où le fantastique rôde autour du coutumier parce que les masques sociaux et psychologiques so.ot levés et que seules apparaissent, dans leur jaillissement spontané, les consciences. Et dans les particularités et artifices du roman dostoÏevskien (trame policière, permanence du thème de la bouffonnerie,
1860 : Retour :4 la vie
mélange du tragique et de l'actualité vivante proche du fait divers), Bakhtine voit l'héritage d'un genre littéraire antique qui fut toujours marginal, parce qu'à toutes les époques il a reflété la vie en marge des normes : la tra-, dition carnavalesque. Hiatus dans la continuité historique ou épique des nations, le carnaval représente un affranchissement, limité dans le temps, de toutes les contraintes sociales. C'est un spectacle syncrétique où tous 80nt acteurs, où s'abolit la distance sociale, où le sacré est profané, le bouffon couronné puis découronné, où la place publique se substitue au palais. La fête carnavalesque par excellence, c'est celle des Saturnales. Or sous la protection des· libertés carnavalesques se sont développés des genres littéraires mineurs, bouffons, comiques, triviaux ou parodiques, dont le prototype est la Satire Ménippée inventée au III" siècle avant J ésus-Chrlst par le cynique Ménippe de Gadara. Exubérante, affranchie des interdits, la satire ménippée (ou plu. tôt les satires ménippées) sont des sortes de dialogues philosophiques menés dans le désordre des pérégrinations et des embû-
La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970
ches burlesques de toutes sortes qui servent à pr01Joquer l'homme. Depuis Pétrone, Apulée, Lucien, en passant par les dialogues médiévaux, cette tradition s'est transmise à Cervantes, à Rabelais, à Swift. Bakhtine e,plique par la résurgence de ce genre plusieurs caractères spécifiques de l'œuvre de Dostoïevski: les confrontations insolites, les doubles parodiques (Raskolnikov - Svidrigaïlov, Ivan - Smerdiakov, etc.) l'atmosphère de place publique conférée aux principaux lieux de l'action, le rôle essentiel joué par le scandale. Certains schémas typiquement carnavalesques lui semblent sous-tendre des situations de persounages d08toÏevskiens: Raskolnikov couronné et découronné devant le peuple, comme le bouffon du Carnaval, ou encore le mythe de Stavroguine Prince et Tsar (aux yeux de la Boiteuse puis de Pierre Verkhovenski) . Armé de cette hypothèse de travail, Bakhtine nous fait relire toute l'œuvre de Dostoïevski et attire notre attention sur deux courts textes qui sont à son avis deux chefs·d'œuvre de la satire ménippée: Bobok (1873) et Le rêtJe d'un homme ridicule (1877). Bobok est assurément un étrange récit: un narrateur surprend au cimetière les conversations entre les morts les plus récents auxquels, dit-il, est donnée une dernière et fugitive vie de la conscience, qui s'éteint en trois à quatre mois. Les dalles s'entrouvrent et une sorte de carnaval cynique et provocant commence. 'Pour passer leurs trois mois de sursis, les morts conviennent de parler sans avoir honte de rien. «Làhaut, tout était ligoté par des cordes pourries. A bas les cordes! et vivons deux mois dans la vérité la plus impudente! Dévoilons-nous et dénudons-nous! ~ Ceci est en quelque sorte la devise même de l'affranchissement carnavalesque et une des clés de l'univers dostoïevskien. Cette clé, c'est la liberté de l'aveu, liberté qui, du Sous-sol aux Frères Karamaz01J, alimente le dialogue dostoÏevskien. La fête chez Nastassia Philippovna, le repas funéraire qui suit la mort de Marmeladov, la grande scène dans le salon de Varvara Pétrovna, la confronta· tion familiale dans la cellule de Zossime sont des scènes de libéra-
tion carnavalesque où brusquement «les cordes pourries tombent ». Le scandale et ]a profa. nation ouvrent la voie au n'ai dialogue des consciences. Ce scandale, dans l'œuvre de Dostoïevski, c'est le résidu moderne de J'an· cienne liberté carnavalesque où les hommes de l'Antiquité et du Moyen Age avaient trouvé leur antidote au monde des contraintes sociales ou religieuses. A trop expliquer, J'ouvrage de Bakhtine provoque des soupçons: qu'est-ce que cette c mémoire objective du genre ~ à laquelle obéirait Dostoïevski? Nous vou· Ions bien admettre qUe Dostoïevski appartienne à une tradition du défoulement carnavalesque, ou, comme le dit Julia Kristeva, de « l'exploration de l'interdit ~, mais nous restons quelque peu sur notre faim en ce qui con· cerne les mécanismes de cette mémoire ou les raisons propres à Dostoïevski de cette désacralisation. En fin de compte, l'ouvrage de Bakhtine, si riche d'idées et de rapprochements, porte moins sur Dostoïevski que sur ce qu'il appelle la tradition carnavalesque dans la littérature. Là est son intuition centrale et nous n~ pouvons que souhaiter aux lecteurs français de pouvoir bientôt lire, en plus de la Poétique de Doatoïevski, l'excellent FrançoÎ$ Rabelais et la culture populaire du Moyen Age et de la RenaÎ6aance, paru en 1965 à Moscou, et qui reprend cette étude de la désa. cralisation carnavalesque et du rire collectif comme c une des formes universelles de la vérité ~. Ainsi dans toute son œuvre, Bakhtine affirme l'existence d'un courant littéraire anticanonique, à la fois populaire et philosophique, auquel il rattache aussi bien Socrate ou Rabelais que Dostoïevski. Dans cette perspective, l'utopie p~opre à Dostoïevski, ou plutôt les deUx utopies con. currentes, celle du Grand Inquisiteur et celle des Noces de Cana, se réduisent un peu à un exercice «cutltrapuntique ~... Georgea Nivat
La traduction de Ouy Venet est fidèle, élégante et répugne aux excès de jargon spécialisé. Celle d'Isabelle Kolitcheff adapte ou modi1le en bien des endroits, mals sans trahir l'ensemble. Dans sa substantielle presentation, Julia Krt8teva replace Bathtlne dans l'histoire, le langage et meme l'actualité structuraliste (ou plutôt tel-queU1enne),
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EXPOSITIONS
Trois Californiens à Londres La Tate Gallery, ce temple de Turner qui consacre aussi' une partie de ses galeries à l'art contemporain, sait, exemplairement, faire alterner les expositions temporaires. Hier, l'. Image élizabéthaine" et sa valeur d'icône, commentée par quelques portraits métaphysiques, par le d~or architect~ral, la poésie (métaphysique) et la musique du temps. Aujourd'hui, une des plus intéressantes manifestations consacrées en Europe à l'art de l'environnement. L'espace d'exposition a été livré sans restrictions, pour qu'ils en fassent l'usage de leur choix à trois artistes de Californie. dont seul Larry Bell a exposé en France (galerie Sonnabend, 1967) . Bell, Irwin et Wheeler appartiennent à un groupe d'artistes établis à Venice, près de Los Angeles. Ils tentent d'agir sur la sensibilité visuelle en refusant au spectateur toute lecture de contenu, en supprimant toute connotation au profit d'une intensification de la perception. Davantage leur entreprise se situe aux seuils les plus bas de l'information perceptive, dans un processus contraire à celui de la tradition occidentale et dont l'ascèce évoquerait bien plutôt la démarche des artistes zen. Le moindre intérêt de l'expo· sition de la Tate Gallery n'est sans doute pas de faire apparaÎtre - involontairement - à la fois la puissance et la précarité de l'art de l'environnement. Ainsi Larry Bell propose une pièce plongée dans l'obscurité où le spectateur dispose seulement, pour suivre son chemin, de l'entrée à la sortie, de la mince indication fournie par deux fragments lumineux linéaires qui traduisent l'orientation des deux parois sur lesquelles ils sont placés à trois mètres et demi du sol. Une expérience analogue tentée au Museum of Modern Art de New York fut, nous dit-on, vécue à un tel niveau d'intensité psychologique, qu'elle provoqua des actes de van· dalisme ". Le public anglais, moins traumatisable, aurait plutôt tendance à utiliser le dispositif pour un approfondissement CI
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Dans Nora Speyer Nous n'avons pas revu un ensemble important de Speyer depuis sa première exposition parisienne à la galerie Facchetti en 1963. Le temps ne fait que confirmer l'intérêt d'Une œuvre miirie dans la solitude, loin du monde et des modes - fait exceptionnel aux Etats-Unis, les toiles de grand format - des nus pour la plu-. part exposés aujourd'hui, se signalent par leur puissance et l'économie des moyens: construction elliptique, mais architecturée, couleur limitée à une gamme de rouges-brun, mais d'Une matière somptueuse. (Galerie Speyer.)
Alechinsky Les gravures exposées à la Hune livrent comme une sorte de dénudement de la démarche et de l'œuvre d'Alechinsky. Plus explicitement que sa peinture, en effet, elles témoignent du don graphique exceptionnel et de la déroutante facilité de l'artiste. Mais ce trait torturé par le caprice, la réminiscence ou la parodie laisse aussi mieux percevoir la gratuité et le bavardage où s'enlise cette œuvre. (La Hune.)
Man Ray
Dough Wheeler
tactile des relations humaines, comme semblent en témoigner les bruits divers et rires de femmes chatouillée~ qui, du matin au soir, égayent l'oreille des gardiens. Côté Wheeler, des paralléli· pipèdes de plastique, lumineux, restent désespérément parallélipipèdes de plastique, lumi· neux malgré une somptueuse moquette blanche et malgré la blancheur des murs. Mais comment définir le gouffre qui sépare le vide-vide et le vide de la plénitude? Car le miracle peut se produire, comme en témoigne l'environnement de Robert Irwin, à propos duquel on voudrait parler de magie. A l'analyse, les moyens sont simples. Sur un mur blanc, fixé par un cylindre de métal, un disque d'aluminium légèrement connexe, recouvert d'un enduit plastique blanc, sauf une bande centrale parallèle au mur. La baguette magique: quatre pro-
jecteurs, deux en haut et deux en bas. Pénétrant dans la pièce, on est fasciné par la présence d'une sphère translucide qui, parmi quatre sphères grises, semble caressée d'un fulgurant rayon métallique, dans un va et vient incessant. Ici l'objectif de l'artiste est atteint. Le spectateur s'oublie dans la réalité des ombres (portées sur le mur par les projecteurs) . Non seulement l'attention est captée, mais par quasiment rien. La puissance d'un pareil mirage, voilà le traumatisme - et qui présage une révolution. R. Irwin est né en 1928. Il s'est adonné à l'expressionnisme abstrait jusqu'en 1959 où il a commencé de s'orienter vers des recherches optiques. En Europe, des œuvres de lui ont été montrées à Cassel (Documenta 1968), au Stedelijk Museum d'Amsterdam, pUis à Eindhoven. Souhaitons que Pa· ris l'accueille bientôt. Françoise Choay
Les dessins de Man Ray pour illustrer Breton sont sertis dans une guirlande d'œuvres évoquant la carrière du peintre-photographe-surréaliste. Ce contexte aide à mieux situer la suite graphique de «La ballade des dames hors du temps» dont le trait évoque curieusement la manière de Matisse et qui confirment ce que nous savions de Man Ray : non créateur de formes, mais bricoleur subtil dont l'intelligence de se dément jamais. (Galerie du XX, siècle, jusqu'au 15 juin.)
Alain Kirili . Dans une galerie vide, un fichier du bureau avec des fiches portant les noms d'artistes contemporains dans le vent, par exemple: Rauschenberg Robert, numéro de codification 3390720907 25 M. Figurez-vous qu'il ne s'agit de rien de moins que de repenser radicalement la problématique de l'art! Les derniers nés de l'art (Art conceptuel, Art pauvre) continuant à perpétuer une vision personnelle et phantasmatique de l'artiste, cette codification d'artistes entend enfin faire triompher l'obJec-
Entre le roDtan et la T.V.
les galeries
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Serge San Juan
X/ris
Losfeld éd. 70 p.
La recherche de nouvelles techniques narratives est en grande partie le résultat de la concurrence faite à l'Image mentale par l'Image réelle, au roman par le cinéma et la télévision. La caméra-stylo de Robbe-Grillet et les procédés de l'école du regard correspondaient (à cinquante ans de distance) aÙx expérienèes des cubistes traqués par les photographes dans le réduit des objets.
Une réhaoilitation
Un oas-relief de Marc Boussac
tivité et l'info)."mation scientifique et M. Kirili se souvient de ses travaux pratiques d'économie quand il était étudiant. Souhaitons-lui que ce «travail neuf,' vivant, subversif» tienne la fiche... (Galerie Daniel Templon, jusqu'au 23 mai 1970.)
Marc Boussac Empreintes et déchirures composent des reliefs blanc sur blanc où la lumière accroche le grain du plâtre, caresse des muqueuses de papier. L'atis~ .IL tenu .à présenter simultanément ses grands «plâtres abstraits» récents et ses «femmes» aux hanches larges, .aux sexes gontlés, et insiste sur l'unité qu'il accorde à ces deux aspects de son travail toujours développés simultanément. La variété des techniques et la richesse des formes gardent à Marc Boussac une place privilégie dans l'Ecole du «Blanc» dont il fut l'un des précurseurs. QuelqueS œuvres récentes sur plomb nous font, en contraste, découvrir la sombre douceur de ce métal. (Galerie Coard, jusqu'au 21 juin.>
Hayden, à Bourges Le 12 mai dernier, huit jours avant l'inauguration de la rétrospective que lui consacre actuellement la ville de Bourges, à sa Maison de la CUlture, Henri Hayden mOurait. Un infarctus était venu à bout de ses solides quatre-vingt-six ans: en mars, il· traVaillait encore à une série de gouaches.
LaQ!:!iDzaine
litt~rair.,
Ainsi, ses premières toiles étant datées de 1908, c'est plus de soixante années de peinture que résume cett exposition de Bourges. Le chemin parcouru est singulier depuis le jour où le jeune Hayden quitta l'Ecole Polytechnique de Varsovie pour venir s'installer à Montparnasse. Nous en retiendrons deux périodes qui constituent les deux phases de son évolution: la période cubiste de l'aprèsguerre 1914-1918, durant laquelle son nom s'était imposé à côté de· ceux de Picasso, de Braque, de Metzinger,' de Severini, sur les cimaises de la Galerie Léonce Rosenberg, et les dernières quinze années de sa vie, impliquant ce renouvellement total de sa manière que nous ont progressivement révélé les présentations de la Galerie Suillerot et la grande exposition de 1968 au Musée national d'Art moderne. Or, le fait le plus remarquable de ces deux manières à priori aussi dif-' férentes l'une de l'autre qu'elles sont, l'une de l'autre, éloignées dans le temps, est précisément le rapport qui. existe entre elles, fondé non sur un même langage pictural, non sur une même esthétique de la représentation, mais sur une même faculté de Hayden, et qui nous livre le point le plus sensible de sa personnalité, d'associer une distribution rigoureuse, presque mathématique, des formes ou des plans colorés avec cette sorte de délicate incertitude qui donnait tant de grâce à ses compositions cubistes et qui apporte une dimension de réalité distancée à ses dernières toiles où les sujets sont amenés à ne signifier presque plus un paysage, presque plus une nature morte, et où toute chose est perçue comme au travers d'une divagation de l'esprit en'" chantée.
du 1.r au 15 juin 1970 _
.Jean 8eIs
Certes, la littérature objectale présentait aussi un avantage autre que purement technique, pour l'écrivain; elle annonçait avec une remarquable intuition ('obsession des • choses qu'un Georges Perec développerait bientôt et qui formerait le fonds commun d'une certaine Idéologie, alors en gestation. Mals il était normal qu'on ne. s'en tînt pas là. D'ailleurs le ralliement d'un Robbe-Grillet aux modes d'expression cinématographiques _devait bientôt prouver que le fameux • nouveau-roman -, pour Intéressant qu'il fût, ne parvenait pas à déplacer le champ romanesque suffisamment pour le mettre hors d'atteinte des agressions et des empiètements du récit filmé. C'est dans cet échec qu'il faut chercher la raison d'une résurgence de la bande dessinée. Ce n'est pas un ha· sard si, à la même époque, ce genre généralement peu prisé des • lecteurs - commençait à faire l'objet d'une réhabilLtation - à vrai dire quelque peu prématurée encore. Bandes pour adultes
En effet, si l'on commence déjà à parler alors de bandes pour adultes, si l'on organise des clubs dotés de revues comme l'érudit • Giff Wiff-, si l'on publie, au Pavillon de Marsan un important catalogue initiatique pour accompagner une fort belle exposition • Bandes dessinées et Figuration narrative -, il faut convenir qu'à ce moment-là les réimpressions font figure d'exhumations et que les sympathisants eux-mêmes sont plus sensibles à la qualité documentaire des B. D. remises dans le commerce qu'à leur valeur plastlco-Iittéralre. L'Indigence des intrigues, le côté quasi folklorique de dessins désuets, la mauvaise qualité des reproductions généralement réalisées en offset à
partir de photos des bandes reprises dans des publications pour la jeunesse, à défaut des plaques originales disparues, tout cela empêchait le public de . prendre au sérieux' ce qui semblait être une nouvelle forme de snobisme ou un engouement passager. . X/ris que publie Serge San Juan aux éditions Losfeld montre bien que la B. D. a enfin accédé au stade de la maturité.
Une esclave sexuelle
L'Intrigue en est encore relativement simple, mals elle est en prise directe sur les mythes et les fantasmes contemporains : dans un univers qu'il est loisible de situer sur une autre planète (et par là on rejoint un autre genre littéraire qui suit la même évolution, à savoir la science-fiétlon) la jeune et farouche Xiris subit un conditionnement qui doit la transformer eh esclave' sexuelle; elle réussira .à fo· menter une révolte pour échapper à son sort, mals en voyant les émeutiers se conduire avec une sauvagerie égale à celle des anciens maîtres du pays, elle se sauvera dans le cosmos en faisant exploser derrière elle J'engin (atomique?) qui détruira oppresseurs et opprimés. L'inconscient collectif
Cet apologue est remarquablement servi par les procédés picturaux de Serge San Juan qui se révèle, par la même occasion, un artiste capable de pratiquer l'osmose entre l'Image et le texte, de faire dire à celle-là plus que n'en révèle celui-cI. JI en va ainsi par exemple de l'utilisation du personnage de garde mobile casqué dont les photos de mai 68 ont érigé la silhouette en symbole. On peut en dire autant du recours aux procédés de l'art psychédélique. Si la B. D. parvient, par ces moyens, à donner une représentation adéqliate de l'inconscielJt collectif, il n'eét pas impossible qu'elle ait trouvé sil vraie vole. Sur les procédés néo-romanesques, elle offre l'avantage de donner à voir. Sur la télévision, elle l'emporte par la liberté du graphisme et de la composition. Elle garde avec le roman le contact par le recours à l'Image mentale qu'elle se contente d'expliciter, enc.ore que son Irréalisme systématique concède des marges à l'interprétation; des marges que Serge San Juan a souci de préserver en évitant de couvrir l'espace scénique de la page blanche pour que le • troisième œil - du lecteur y trouve des vides à meubler. Marc Seporta
GALERIE RI \lE DROITE 3, rue Duras - P ••ris Se - 265-33-45
GINA PANE 11 JUIN
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20 JUILLET
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POLIT IQUE
Amalrik L'Union soviétique survivra-t-elle en 1984? Fayard éd., 118 p.
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Un journaliste américain a parlé récemment de la «gauche dingue~. Il faut admettre que le lourd handicap de cette «idiotie rurale ~ dont s'agaçait le cher Marx et qui grève notre patrimoine, empêche qu'en France on atteigne de manière très significative le niveau de dérèglement nécessaire à la production d'une telle gauche. Aussi demeuronsnous seulement affligés d'une gauche frivole. Frivole ? Disons : étourdie. Par exemple? Elle avait longtemps localisé dans la République des Soviets sa rêverie sur le thème de la société parfaite. Déception: l'Union soviétique n'est pas ce qu'on croyait. Alors l'Union soviétique? Rayée. Plus: démodée. Parlez-nous de la Chine, ou même de Cuba, de Marx, de Lénine, de Trotsky, de Rosa Luxemburg, de Gramsci, de Makno. de Bou· kharine, de Kautsy, de Bernstein à la rigueur. Mais parler de Brejnev? Pourtant, comment oublier que sous les quatre lettres du sigle à peine cinquantenaire et déjà vieillot d'U.R.S.S. se cache un grand peuple - se cachent de grands peuples dont l'aventure malheu· reuse se poursuit, fût-ce en se traî· nant, et donc, au demeurant, le poids reste considérable dans l'aventure humaine globale? Heureusement, l'événement politique, littéraire et autre dément l'obsolescence à laquelle le bon goût parisien condamne les hommes, les pays, les périodes, les sujets qu'il décrète ne plus «fairë l'histoire~. L'é'Vénement en l'occurrence, c'est, entre tous et ]es plus récents, la publication, chez Fayard, d'un court texte signé Andréi Amalrik L'Union soviétique survivra·t-elle en 1984 ? Un événement? Double. Par le caractère exceptionnel du ,document russe qui nous est soumis. Par le caractère non moins exceptionnel de la préface française due à Alain Besançon. Andréi Amalrik est donc un
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citoyen soviétique de 32 ans. Né en 1938 à Moscou d'un père historien, il a lui·même fait des études d'histoire à l'Université de Moscou. Exclusion (pour avoir écrit, sur les origines de l'Etat russe, une thèse dont les conclusions ne ratifient par l'orthodoxie chauvine grand-ru88e) ; petits métiers ; prison en 1965 (pour avoir écrit des pièces de théâtre qui n'ont pourtant jamais été ni jouées ni publiées); relégation en Sibérie'; retour à Moscou fin 1966; journalisme (à l'agence de presse li{Of)Osti): aujourd'hui, l'auteur cultiverait dans 80n village des concombres et des tomates. Bref, une biographie assez clu· sique de contestataire post-stalinien. Ce qui n'est pu clusique, c'est la qull1'aôtaine de pages écri· tes par Amalrik et traduites pour nous par Michel Tatu: la première analyse socio-politique, par un Soviétique, du système de pou· voir soviétique. Une analyse' si topique que cette fois, on n'a pas seulement envie de saluer un texte qui authentifie, fût-ee dans une langue maladroite et comme émaillée de naïvetés, ce qu'on sa· vàit et disait à l'Occident, mais un vrai texte qui dit mieux et plus que ce'que disent les' politologues occidentaux, cela dans la langue même de la politologie. Une analyse en deux parties. Dans un premier chapitre, Amal· rik part de l'idée que la «révolution au sommet ~, dont Khroucht· chev fut l'animateur, a rendu du jeu aux conduites rigidement ca· nalisées de la société stalinienne. Ce «jeu ~ s'est traduit en parti. culier par l'émergence d'une force autonome, «indépendante du gouvernement », qu'Amalrik propose de dénommer Mouvement démocratique. La «fiche» de ce Mouvement démocratique est aisée à établir :
- Composante idéologique: trois courants y participent, s'y marient ou s'y combattent sans qu'on puisse aujourd'hui encore parler ni de syncrétisme ni de dominante - un courant de retour à un marxisme-léninisme « authentique ), un courant chré· tien, un courant libéral.
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lorce: «quelques dizaines
de membres actifs et quelques centaines de ilympathisants ~ ; au· delà, nne aura attentive et silen· cieuse.
- Compo!lition !lociale : le monde « académique ~, comme on dit en pays socialiste, mais, sur la bue du dépouillement statis· tique d'une population de 738 perSonnes ayant signé pétitions et lettres individuelles à l'occuion de divers procès d'opinion (tel que le procès Guinzbourg), il est à noter que le pourcentage d'étu. diants (5 %) est très faible par rapport à celui des scientifiques
Andréi Amalrik
(45 %), ce qui donnerait à pen· sel' que l'image sociale du Mou· vement reflète moins un état de l'opinion universitaire que le degré de la llberté d'expre88ion laiesée à chacune de ses parties (les spécialistes, comme on sait, jouissant d'une marge très particu. lière). Amalrik en convient d'ailleurs implicitement puisque, réflé· chissant sur une caractérisation sociale du Mouvement, il élimine successivement les termes d'intelligentsia et de classe moyenne pour retenir celui de «classe des spécialistes ~. Notion capitale : elle comman· de le pronostic qu'Amalrik se risque à produire quant au développement de cette opposition et sur· tout quant à sa fonction dans le système. Avec une lucidité remarquablement peu «russe ~ et daDil' le ca· dre d'une analyse résolument concrète et empirique, l'historien
soviétique enregistre en effet les faiblesses intrinsèques de la cou· che ou cluse qui constitue le, fon· dement social du Mouvement: son inévitable médiocrité d'en. semble, résultat des ponctions sélectives d'une épuration continû. ment pratiquée sur plusieurs décennies; la conscience qu'elle a de son impui88ance; sa passivité essentielle, produit inéluctable du statut de fonctionnaire qui est celui de tous 8e8 membres. Au bout du compte, une telle couche, réglée de manière si fondamentale par des mécanismes auto-conservateurs, peut bien, au prix pour le régime de conces· sions et d'aménagements limités (la reconnai88ance, en particulier, d'un ordre juridique, d'une léga· lité qui ne soit pas seulement « socialiste ~) , constituer paradoxalement un phénomène «an· tientropique ~: en d'autres termes, une telle opposition (dont la situation ou la fonction n'est pu sans rappeler, mais à l'inverse du point de vue de son idéologie, le «marxisme légal ~ des années 90 du siècle dernier) concourt à l'immobilité du système, immobi· lité qui est précisément la mal" que du système de pouvoir post. stalinien: «Une cluse moyenne p888ive fait face à une élite bu· reaucratique pa88ive. ~ Andréi Amalrik en arrive donc à privilégier, à ce niveau, l'hypothèse d'uJœ -stabilité du régime. Stabilité qui est enlisement, en· gourdissement, ankylose. La «libéralisation ~ en cours, sous cet angle, n'est pas «un renouvellement mais comme la décrépitude du régime ~ dont «le résultat logique sera la mort de celui.ci, une mort à laquelle fera suite l'anarchie :te Cette perspective ne pourrait être modifiée que si la base sociale du Mouvement démocratique se modifiait, par exemple en acquérant une dimension large. ment populaire. Amalrik ne diesimule pas à ce propos son scepti. cisme : s'il croit pouvoir caractériser l'état d'esprit des mU8e8 comme un «mécontentement pusif~, il ne voit, pas comment le peuple pourrait se jeter dans une action positive: déjà handicapé par son arriération culturelle persistante, par le martèlement idéologique epI'il subit, par 88 dénatu·
en 1984? ration (c la prolétarisation du village a engendré une classe étrange - ni paysanne ni ouvrière ~) , le peuple serait encore paralysé par deux idées qui font traditionnellement partie de son bagage mental: l'id~e qu'il se fait du pouvoir - le pouvoir ne saurait être qu'un pouvoir fort; l'idée de justice c l'aspect le plus destructeur de la psychologie ru88e~. Ainsi, conclut AmaIrik, c les deux idées qui sont comprises par le peuple et lui sont les plus proches sont également hostiles aux idées démocratiques, lesquelles se fondent sur l'individualisme ~'. Dans ces conditions, l'opposition intérieure ne semble pas en mesure de fournir l'énergie grâce à laquelle le système d'ensemble pourrait faire mieux que s'auto. conserver. L'opposition dont tout système politique global semble avoir besoin pour être par elle soit, au pire, dynamité, soit,. au mieux, dynamisé, Staline la fabriquait lui-même artificiellement: c'était l'objet spécifique des purges et des procès. En ne pouvànt ou ne voulant plus avoir recours à ce type d'opposition d'autant mieux contrôlée qu'elle était agencée dans le sérail, les dirigeants soviétiques apparaissent paradoxalement (r·~pourvus: l'environnement, ses demandes et ses exigences sont coupées d'une c société de caste immobile~. Or, comment durer sans la capacité d'assimiler le changement, comment durer si la durée n'équivaut qu'à la sclérose ? C'est ici qu'Amalrik introduit logiquement une autre série de données: celle liée à la p088ibilité de recourir, pour en faire un foyer de dynamisme interne, à des c ennemis extérieurs ~ qui ne seraient pas des ennemis c intérieurs extérieurs ~ (comme dans le cas des grands procès) mais des ennemis. extérieurs à la fois à l'Empire et au régime; il pénèt~ alors dans le domaine de la politique étrangère, avec cette for m u 1 e remarquable: c·Le mieux est de le comparer [le régime existant aujourd'hui] au régime bonapartiste de Napoléo;.l m. Si l'on s'en tient à cette comparaison, le Proche-Orient sera son Mexique, la Tchécoslovaquie son domaine pontifical, et la Chine son Empire germanique. ~
En fait, arrivé à ce point, et pour poursuivre notre ré6.exion sur les devenirs possibles de l'aventure soviétique, c'est moins vers le second chapitre d'Amalrik, consacré à des analyses un peu aventureuses de stratégie mondiale, qu'il faut nous tourner, que nous retourner vers la préface d'Alain Besançon. Un seul mot résumera l'exacte impre88ion ressentie à la lecture de cet essai-préface: c Enfin ~ ! ~ Enfin quoi? Enfin une ré6.exion exigeante, savante, étendue dans le temps, vaste dans ses champs d'intervention - parce qu'elle a mesuré l'épai88eur ru88e de l'histoire soviétique, une ré6.exion qui part d'une interrogation fondamentale: quelle est la consistance et l'ordre de la pensée, quels strates, quels dépôts d'idées se sont accumulés dans l'être d'un jeune intellectuel soviétique, avec quels éléments humains, sociaux, économiques, culturels, spirituels, un jeune Russe d'aujourd'hui peut-il tenter d'orgàniser des réseaux significatifs du monde où il vit, d'interpréter ce monde et, peut-être, ~e le façonner ou refaçonner? Quels sont les thèmes, les valeurs, les phantasmes, les rêves, les acquis, les échecs qui meublent et structurent et donnent prise sur le réel à la mémoire de chaque homme russe et de la société soviétique tout entière ? Interrogation fondamentale: car· elle seule peut fournir un minimum de rigueur, de sécurité et de solidité aux spéculations sur les issues offertes à l'U.R.S.S. pour sortir d'elle-même en persévérant dans son être, pour rompre les blocages qui la figent sur place, pour lui permettre de retrouver le fil du récit russe. . C'est parce que cette interrogation fondamentale n'est pas posée, même par trop de slavisants français qui se bornent à «compter les verstes de chemins de fer et les pouds de seigle ~ qu'a pu se produire un incident comme la fausse traduction, par Michel Cournot, du livre .de Svetlana Alliluieva. Qui ne connaî~ pas . l'Union soviétique peut en effet considérer que la traduction en cause, même deci-delà infidèle, était dans l'ensemble correcte. Qui, par contre, a appris, par-
La Q..uinzaine littéraire, du 1er au 15 juill 1970
delà l'Union soviétique, à reconnaître la Russie et la culture russe, à fréquenter familièrement l'univers de Pouchkine ou de Dostoïevski ne pouvait être que stupéfait· ou révolté par le ton de la traduction, un ton juste s'il s'était agi d'un intellectuel parisien du type courant, détaché et gentiment cynique, mais assurément pas le ton d'une intellectuelle russe, habillée de parme et de violine, aspirant à la sainteté, au moins à la pureté, pourtant convaincue de succomber et d'ailleurs succombant au péché, voulant bien faire et faisant mal (ou ne faisant rien), effarouchée par ce qui, pour elle, est le com· ble de l'inculture et de la vulgarité - le laisser-aller du langage - , affolée, désolée, sincère, ah! combien sincère, de cette sincérité accablante, désarmante, salvatrice, destructrice quand il faudrait d'abord de la lucidité et du bon sens. Alain Besançon avait déjà, dans un précédent ouvrage, diffi· cile, téméraire et envoûtant, Le Tsarevitch i m mol é, mis en œuvre la démarche, d'une singulière richesse, de l'anthropologie psychanalytique: par une écoute des textes pas ceux des témoins de second ordre qui ne sont c fidèles ~ et «réalistes ~ qu'autant qu'ils sont pauvres et secs, mais c ce massif central de la littérature russe que forment ensemble dans leurs correspondances multipliées Pouchkine, Gogol et Dostoïevski ~ - il avait tenté de retrouver la configuration symbolique de la loi dans la culture russe, symbolique qui s'exprime dans la relation à Dieu et dans la relation au Souverain. Historien slavisant mais aussi praticien initié à la pratique psychanalytique, Alain Besançon fait ainsi le juste pari que, si crise soviétique il y a, celle-ci peut être partiellement décrite dans ses manifestations économiques, politiques ou autres, mais elle ne saurait être saisie dans son unité et à sa racine qu'au niveau profond, dérobé, en partie inconscient de fidentité russe.
Alain Besançon propose dans son nouveau texte-préface une histoire de l'intelligentsia russe dans la Russie prérévolutionnaire, des valeurs qu'elle sélectionna et de leur avatar - la loi, la justice, la grâce (la sainteté) - et du rôle de l'idéologie comme ver· rou de sûreté interdisant au re· foulé de monter à la conscience. Il est désormais exclu qu'on puisse oser une prospective con· cernant l'Union soviétique sans se référer à ces pages majeures, sévères, graves, exactes.
Annie Kriegel (Moscou. A. F. P.). L'écrivain André Amalrik. auteùr de l'ouvrage clandestin L'Union soviétique survlvr. to8lle en 1984 1, a été arrêté Jeudi dans un village de la région de Riazan. Il a été emmené à Moscou par des policiers de la sécurité d'Etat. (Le Monde, 23 maL)
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REVER DE...
Avec une maturité et une sûreté plus évidentes encore, ayant ré6.échi sur les travaux des grands slavisants américains des vingt dernières années - Raeff, Malia, Ulam, Fainsod, Cherniavsky -
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REI.ICION
' ' ] ' Phenomeno ogle ,e
Bien que la phénoménologie de la religion ait près d'un siècle d'existence maintenant, c'est G. Van der Leeuw qui en est le plus célèbre représentant et c'est bien à travers lui qu'il convient d'étudier le mouvement. G. Van Der Leeuw La Religion dans son essence et ses manifestations ,Phénoménologie de la Religion Trad. par J. Marty Payot, éd., 693 p. Le point de départ de la phé. noménologie, c'est naturellement l'étude des phénomènes. Le phénomène, c'est ce qui se montre; or le fait de se montrer concerne aulltli bien ce qui se montre (l'objet), que celui à qui cela est mon· tré (le sujet). Mais on ne peut séparer les deux, car l'objet ne peut jamais s'appréhender qu'à travers un sujet, et réciproquement la conscience du sujet est toujours relative à un objet; elle n'est jamais conscience de rien. La phénoménologie se distingue donc nettement de l'empirisme, qui prétend connaître l'objet en lui-même, en le détachant de l'expérience vécue, en le chosifiant - comme de la psychologie, qui étudie les sentiments en dehors des objets qui les orientent et leur donnent une signification spécifique. Mais alors, peut-on faire une phénoménologie de la religion? Le' sacré se définit par la transcendance et, dans nos religions universalistes, par la Révélation. Or la, phénoménologie ne veut pas être une métaphysique, elle étudie les phénomènes, non ce qu'il y a ~ .derrière ~ eux; la Révélatiqn ~llt «mise entre parenthè~ ~: c'est fepoché phénoménologique. Mais même ainsi, ne franchissons-nous pas un premier obstaèle que pour tomber sur un second. Ce qui caractérise en effet la religion, c'est que l'homme n'accepte pas la vie .qui lui est donnée, il cherche la puissance qui l'enrichira; il essaie aussi de trouver un sens, à son existence ; il découvre ainsi peri à peu que toute chose au monde a, aussi, sa sipifi.cation religieuse; cependant 'le, sem du, tout, c'est-à-dire
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le sens dernier, n'est jamais at· teint: «le sens dernier est en même temps la limite du sens~. Mais, par un paradoxe apparent, qui n'en est pas un, ce qui est vrai de la religion, qu'elle est «ce qui se dérobe au regard~, «ce qui reste caché~, est vrai aussi de la science - toute compréhen. sion, lorsqu'elle est poulltlée jusqu'au bout, et quel que soit son objet, est donc finalement reli· gieuse. Si l'epoché est nécessaire, le «regard aimant ~ qui découvre les significations profondes, dans «ce qui se montre ~ de la religion, est aussi nécessaire. La possibilité d'une phénoménologie religieuse étant ainsi affir· mée, en quoi consistera-t·elle? Elle part de l'expérience vécue, conditionnée objectivement, puisqu'il n'y a pas, comme nous l'avons dit, d'intérieur' sans exté· rieur; une pierre sainte est vécue comme crainte ou comme amour. C'est pourquoi elle com· mence par l'angoisse, 'mais cette angoisse n'est pas un simple senti. ment, réductible à l'analyse psychologique; elle est une expé,rience existentielle, qui se trouve à la base de toute vie dépassant ce qui n'est que pure donnée. Ce· pendant cette expérience ellemême est insaisissable; on est obligé de la reconstruire; on passe ainsi de l'expérience vécue à la compréhension, qui la struc· ture, qui établit une connexion entre ses éléments ; l'homme élucide ce qu'il a vécu, il essaie de comprendre ce qui s'est montré. La compréhension aboutit à son tour à la signification : le factum empirique ou métaphysique (sui. vant qu'il est donné dans une religion primitive ou universaliste) èst devenu alors un datum, c'est. à-dire une expression (du sacré), une parole vivante qui parle à l'homme. Comme on le voit, et èontrairement à ce que l'on pense souvent (en confondant la phénoménologie avéc l'existentialisme), la phénoménologie religieuse n'est pas pure appréhension, plus ou moins inexprimable, du sacré; elle donne, comme toute discipline scientifique, des noms aux phénomènes, tout en les insérant bien entendu, dans la vie : expériences' de la purification, du sa-'
crifice, du service liturgique - ou encore la figure de la mère, du sauveur, du père comme objets de l'expérience religieuse - du roi divin, du sorcier, du prêtre, du prédicateur, si l'on met au contraire l'accent sur le sujet... Et après, elle regarde ce qui se mon· tre, afin de le comprendre et d'en saisir le sens véritable. Deux conséquences s'en dégagent: En premier lieu que, contrairement au positivisme, plus particu. lièrement au positivisme évolu· tionniste, qui a régné dans les esprits à la fin du XIX· et au dé· but du xx· siècle, elle ne se posera jamais le problème de l'ori· gine et de l'évolution des religions. Elle s'interdit de bâtir un roman. Elle reste sur le terrain solide des «phénomènes~. Par contre, et c'est là la seconde conséquence de la définition donnée de notre discipline, lorsqu'elle voudra les comprendre, puisque tout extérieur repose sur un intérieur et réciproquement, que des coupures par consequent se produiront, distinguant telle expérience du sacré de telle autre, elle aboutira à une classification. La phénoménologie religieuse est essentiellement - du moins dans le livre dont nous rendons compte, car cet élément classificatoire, tout en étant présent dans un autre livre de Van der Leeuw, fHomme primitif et la religion (P.U.F.) ; y est tout de même moins appa· rent - une typologie. Et les ty. pes auxquels elle aboutit (ceux de l'objet de la religion, du sujet de la religion, de l'action réciproque de l'objet et du sujet, du monde et des figures, c'est.à-dire des divers types de religion et des types de fondateurs) sont naturellement des types «construits~, donc des «images idéales~, au sens webérien du terme. Et alhms jusqu'au bout de notre pensée, des constructions de la raison. On voit donc combien ont tort ceux qui reprochent à la phénoménologie de nous lancer dans des gouffres, de nous rejeter au pur vécu et à l'inconnaissable, elle est au contraire - à partir certes de ce vécu, mais le dépassant effort de compréhension ration· nelle. Ce qui fait que, bien souvent, en lisant Van der Leeuw; on ne
voit pas très grande différence entre les descriptions empiriques des phénomènes religieux et les actes de saisie phénoménologique de ces mêmes phénomènes. Certes, l'auteur est bien obligé de partir des données recueillies par l'histoire des religions et par l'ethnologie religieuse, mais, trop souvent, à mon gré, il reste trop près de ses lectures. Au point que l'on trouve des paragraphes entiers, chez 'lui qui se refuse pourtant à étudier l'origine et l'évolution des religions, qui gardent - des livres où la documentation a été puisée - un certain climat encore d'évolutionnisme, surtout dans la première partie. Disons, pour ne pas 'pousser notre critique trop lOIn, qui gardent le souci de la «genèse ~ et pas seulement de «l'essence~. Les typologies du monde ou de la figure sont mieux venues que celles de l'objet ou du sujet - en tout cas, par rapport aux classifications des empiristes, beaucoup plus originales et allant plus loin. La question se pose alors. à nous de savoir le pourquoi de cette tentation de la description empirique des phénomènes, qui précède celle plus proprement phénoménologiqlle.' Je n'en vois qu'une raison, c'est que - comme Van der Leeuw le reconnaît lui· même - son examen des problè. mes religieux a son point de dép art dan sIe christia.nisme (p. 629). Certes, dès qu'apparaissent dans son œuvre, la figure du médiateur, et le passage des religions d'équilibre (de prestation entre l'homme et Dieu) aux reli· gions de la distance (où la Foi est nécessaire) , il introduit de suite l'epoché. Mais, ajoute-t~il, l'étude de la religion ne peut jamais être détachée du conditionnement religieux de celui qui s'y livre. Un bouddhiste pourrait faire une phénoménologie de la religion en prenant la sienne pour point de départ. Ce serait à la théologie de décider laquelle est la plus valable. «Nous considérons le christianisme comme la figure centrale de toutes les religions historiques. D'aüleurs la « comparaison ~ des religions entre elles n'est possible que du point de vue de la position qu'on prend soi-même dans la vie. ~ C'est parce qu'il est parti de ce
de la religion postulat, d'ailleurs en grande par· tie jU8tifié, qu'il a bien été obligé, pour les religions non-chrétiennes, de 8'adresser aux empiristes, pour chercher après ce qu'il pouvait y avoir, dans ces expérience8 «autres ~, de ré80nances aptes à être re88enties sur la longueur d'ondes d'une conscience chrétienne. La compréhension des expériences d'autrui est certe8 difficile. Elle néces8ite un effort de conversion et je prends le mot dans son sens religieux. Et certes aussi, cette conversion est, à la limite, impo88ible. Cependant si nOU8 acceptons que le phénomè.
ne, c'est ce qui se montre, nous devons dire que c'est ce qui se montre à celui qui vit ce phénomène, non à l'étranger - et que, pour l'étranger, c'est ce qui s'entend par l'oreille. La phénoménologie doit aboutir finalement à laisser parler les hommes sur leurs objets et leurs vies religieuses, non à interpréter ces expé. riences - ce qui risque d'y introduire notre propre conditionnement religieux. Comme le bouddhiste dont parle Van der Leeuw, l'idéal serait d'avoir non une phénoménologie, mais des phénoménologies, des animistes comme des polythéistes, des orientaux
comme des occidentaux, à travers toute une série de discours religieux ; et tant pis si elles ne sont pas comparables ! Durkheim n'avait donc pas tort de demander au savant d'étudier les faits sociaux «comme des chose8 ~; il ne faut pas oublier que pour lui ces cho8es n'étaient pas forcément des réalité8 matérielles, mais aussi des réalités psychiques; 80n erreur serait d'un autre ordre: d'avoir considéré les faits religieux comme des sentiments, sans voir - ce qui est la base de toute phénoménologie - que tout intérieur est
orienté, par conséquent, déterminé par un extérieur: n'ayant pas voulu prendre en compte cet « extérieur~, c'est·à·dire les choses 8acrées, il ne lui restait plus d'autre objet possible alors que celui qu'il pouvait 8e donner, par un raisonnement de nature philosophique: la société. Lévy-Brühl, «le mal aimé~, et Leenhardt nOU8 montrent la voie, dans la mesure où ils ont voulu .« écou. ter~, non dans celle où ils ont voulu expliquer, d'une phénoménologie de l'Altérité.
Roger Bas·tide
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LETTRE
D'ALLEMAGNE
Rolf Hochhuth
• J'avais annoncé une c0médie. C'est de nouveau une tragédie. Rien à faire. On ne change pas de peau. D Ainsi parle Rolf Hochhuth en présentant sa nouvelle pièce Guérillas, donnée en première mondiale au Staatstheater de Stuttgart dans une mise en scène de Peter Palitzsch. Elle sera reprise, par la suite, dans une dizaine de théâtres de langue allemande. A l''encontre de ses deux premières pièces, le Vicaire et les Soldats - centrées sur des personnages historiques: le Pape Pie XII et Churchill - , Guérillas est une œuvre d'anticipation politique. Elle décrit un coup d'Etat en Amérique du Nord qui, à
l'ère de Che Guevara, • est • J -, il commet une erreur faaussi historiquement probable tale: il envoie sa femme, nantie que techniquement possible-. d'informations secrètes, au GuaLe cerveau du complot fomenté temala, où elle se fera tuer par à l'intérieur de l'Establishment des agents de la C.I.A. Lorsqu'il même, est le sénateur améri- apprendra cet assassinat, Nicolcain David Nicolson, millionnai- son se rendra compte que sa re de son état et ami intime conjuration - l'opération Aube de Johnson, qui cherche à dé- , - a été éventée et qu'il a perdu la partie. Dans Guérillas truire l'hégémonie politique des cent-vingt grandes familles amé- dont la version intégrale publiée ricaines et à répartir plus juste- par Rowohlt comporte quatre ment les fruits de la prospérité heures de spectacle - les diaindustrielle. Nic ols 0 n peut logues sont entrecoupés de compter, dans son entreprise, commentaires de l'auteur et de sur la collaboration des gueril- citations empruntées à des artileros cubains, de certains mem- cles de journaux et à des essais bres de l'Etat-major, voire de la politiques. La nouvelle pièce de Centrale Electronique du Penta- Hochhuth présente ainsi, une gone. Mais à la veille du jour fois de plus, un mélange de fic-
tion et de réalité et charrie, malgré son caractère utopique, quelques • révélations - qui, si elles ne sont pas susceptibles de provoquer une contre-manifestation aux flambeaux de 10000 catholiques bâlois, n'en feront pas moins grincer des dents dans plus d'une chancellerie. Peu avant la première de Stuttgart, notre collaboratrice a rencontré, à Zurich, Rolf Hoch· huth qui est, à trente-huit ans, l'auteur allemand dbnt les pièces ont déchaîné le plus de passions depuis Brecht. Elle lui a posé quelques questions sur GuérillaS et sur ses idées en matière de théâtre.
I.L. Vos deux premières pièces ont déclenché des polémiques dans le monde entier. Guérillas contient-elle, de nouveau, des révélations qui risquent de faire scandale?
ment les conjurés veulent-ils instaurer?
directement l'appareil de la palice n'a, elle, aucune chance de réussir. Souvent, l'échec d'une utopie n'est pas imputable à une im· possibilité matérielle, ou tech· nique, mais à une absence de foi paralysante chez les contem· porains. D'après Galbraith, te il faut bien que quelqu'un com· mence. Si l'on ne devait se vouer qu'à des idées politiqùement réalisables aujourd'hui, on ferait mieux de se battre pour une meilleure distribution du courrier et de laisser tomber tout le reste-_ Guérillas est, en quelque sor· te, une illustration théâtrale du célèbre manuel du coup d'Etat d'Edward Luttwak qui révèle la réussite de 73 coups d'Etat dans 46 pays durant les dix der· nières ani1ées. '
Hopkins - des hommes qui se sont trouvés au sommet de la pyramide et qui ont eu en mains tout l'appareil de l'Etat. ROosevelt descendait d'une famille de millionnaires et avait, en mime temps, une très grande cons· cience sociale. Il a été le M'irabeau de l'Amérique, un Mirabeau qui a réussi. Churchill a dit à son propos: Roosevelt a épargné la révolution aux Américains.
R.H. Ils ne demandent' que l'application réelle de la Constitution. Ils veulent instaurer un Etat constitutionnel basé sur la R.H. Aucune de mes pièces justice sociale et la pluralité ne contient des. révélations D. des partis en renversant l'oligarLe silence du Pape Pie XII à pro- chie ploutocratique, ce club des pos d'Auschwitz et l'extermina- cent vingts familles qui te pos. tion délibérée de populations sèdent toutes les autres D, déciviles durant la deuxième guer- tiennent 80 % des biens du pays re mondiale étaient des faits et contrôlent les deux grands partis d'Etat tout autant que le largement connus. Il est vrai que le théâtre por- seul quotidien new·yorkais qui te à la conscience d'un grand ait réussi à survivre. Les analyses de H.G. Wells, nombre de gens des faits révélés depuis longtemps par les Galbraith, Mathias et Lundberg nous ont appris qu'aux Etatshistoriens. Unis, plus d'un cinquième de la I.L. Ouel est le sujet de vo- population végète en dessous du te seuil de la pauvreté D détre nouvelle pièce? terminé par l'administration elleR.H. Guérillas déc rit un' même, alors qu'en 1968 par coup d'Etat en Amérique du exemple, l'Etat a dépensé 40 fois Nord., Je suis parti notamment plus d'argent pour l'armement de la constatation banale, fami- c'est-à-dire pour l'industrie lière à tout lecteur de journal, - que pour les pauvres. que les Etats-Unis sont le seul pays civilisé du monde où ...... I.L. L'idée d'un coup d'Etat cun parti ouvrier n'a été en me- en Amérique n'est-elle pas ensure d'envoyer un candidat aux tièrement utopique? élections présidentielles. Tout le monde sait que, le jour des R.H. De toute façon, If! coup élections, un conducteur de bus d'Etat me parait le modèle de n'a d'autre choix qu'entre le can- subversion le moins sanglant, le didat des Kennedy et celui des seul à pouvoir - peut-être! Rockefeller. éviter les massacres d'une guer· re civile. Une révolution déclenI.L. Ouel genre de gouverne- chée dans la rue et affrontant
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I.L. N'est-il pas illogique que ce coup d'Etat soit l'œuvre d'un sénateur millionnaire, c'est-àdire d'un membre du groupe qu'il s'agit d'éliminer? R.H. Il n'y a que les gens Intégrés dans l'appareil et occu· pant des situations-clé - offi· ciers supérieurs, sénateurs, etc. - qui puissent exécuter un tel coup d'Etat. Ce n'est pas un hasard si les véritables révolutionnaires que l'Amérique ait comptés au cours de ce siècle soient Franklin Roosevelt et Harry
I.L. Sur qui votre sénateur et ses principaux acolytes peu· 'vent-ils compter pour mener à bien leur entreprise? R.H. Les principaux protagonistes du coup d'Etat doivent nécessairement faire partie de l'Establishment, mais Ils n'en ont pas moins besoin de s'ailier aux groupes extrémistes dans la rue, aux guerilleros urbains. Selon des enquêtes effectuées pour le compte du Pentagone par des militaires comme le cé· lèbre colonel Rigg, les détenteurs du pouvoir savent qu'une seule méthode permet de com· battre une Insurrection urbaine : la mise en place d'un système d'espionnage au sein de la guérilla même. L'Establishment doit recourir ainsi au moyen que Je considère comme seul apte Il renverser le pouvoir: au noyautage de l'adversaire.
nous parle de "Guérillas" Dans ses études publiées par l'hebdomadaire Newsweek, le colonel Rigg a comparé la Jungle des gratte-ciel à la jungle vietnamienne et démontré qu'il n'existe d'autre possibilité de mater par des moyens militaires une insurrection habilement menée sur le plan tactique que celle de raser complètement les grandes villes, à l'image de Stalingrad.
I.L. Comment avez· vous construit votre nouvelle pièce? R.H. J'ai tiré les leçons de mes expériences précédentes. Le Vicaire était trop chargé, trop explicite ausssi. En m'inspirant de Woyzeck (qu'il faut lire et relire), j'al essayé de bâtir des scènes courtes - pleines de trous - que le public est Invité à combler par son Imagination. Ce procédé, mieux qu'aucun autre, crée le suspense et soutient la progression dramatique.
I.L. Pourquoi avoir cherché, une fois de plus, la cible de vos critiques à J'étranger? R.H. Ma pièce est fondée sur la thèse qu'un coup d'Etat doit avoir lieu au centre même des grandes puissances pour avoir quelque chance de succès. Dans les Etats satellites, coups d'Etat et révolutions seraient automatiquement annihilés: en Allemagne de l'Est, en Tchécoslovaquie, en Hongrie par l'Armée Rouge - à Téhéran ou à Athènes par la C.I.A. Comme l'Allemagne, mon pays, est un Etat satellite des Etats-Unis (d'année en année s'intensifie le processus qui voit les industries allemandes les plus rentables passer aux mains des Américains - ce que de Gaulle voulait éviter à l'Europe), j'ai -le droit d'écrire une pièce comme Guérillas au même titre que Servan-Schreiber a accompli soli devoir de Français, en sonnant l'alarme contre les menées américaines au sein du Marché commun. I.L. Votre modèle de subversion n'est donc pas applicable en Europe? R.H. Le noyautage de l'appareil comme seul moyen de changement" vaut aussi pour l'Europe. Si les étudiants ne comprennent pas cette nécessité que Rudi Dutschke a d'ailleurs soulignée avec son extraordinaire formule de la ft longue marche à travers les institutions» - , ils n'auront même pas droit à une note en bas de page dans l'histoire du XX.. siècle. Je crois au- principe de Marx selon lequel ft toute vraie théorie doit se développer à partir de situations concrètes et des rapports de force existants D. La Q!!inzaine littéraire, du 1er
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I.L. Le Vicaire et Les Soldats ont eu une très grande influence sur la littérature allemande; vous passez pour le • père du théâtre documentaire-.
Rolf Hochhuth
C'est ce principe que J'ai essayé de mettre en pratique dans Guérillas. I.L. Vous citez Marx croyez-vous à la justesse de J'analyse marxiste des événements historiques? R.H. C 0 m m e Tocqueville pour la démocratie, Marx affirme que le communisme fera régner l'égalité. Mais je suis d'avis que Marx s'est trompé sur deux points import~nts: d'une part, il ne fait aucune piace à l'Opposition. Son système demande donc à être complété à la lumière des expériences historiques du XX" siècle. Marx n'a pas vu, d'autre part, que la cause profonde de l'oppression des masses ce n'était pas la propriété, mals la puissance. C'est la puissance qui distingue les hommes entre eux la moindre hiérarchie dans l'emploi est déjà source d'oppression. Les maitres du Kremlin, sans être des possédants, sont
15 juin, 1970
beaucoup plus puissants que les Rockefeller qui sont milliardaires. Si Marx croyait que l'expropriation conduirait à l'égalité, cela est dû au caractère idéaliste et eschatologique de la pensée allemande qui considère que l'humanité est en route soit vers le paradis, soit vers une société sans classes, soit, dernière instance, conçue par Marcuse, vers une Commune dont les membres, grâce à une révolution instinctuelle, biologique et psychique, seraient devenus tous bons et débarrassés des tentations de la soclété« d'abondance D. i.a puissance est une instance amorale, qu'elle se trouve entre les mains de l'individu ou entre celles de l'Etat. La faiblesse seule humanise les grandes nations. Chaque Etat est honnête dans la mesure où Il a peur. Si l'Etat est seul propriétaire, il est aussi seul à détenir le pouvoir...
R.H. Cette étiquette me déplait, mals on me l'a collée malgré mes protestations répétées. Des documents ne feront jamais une pièce. Le Vicaire n'est pas plus documentaire qu'une Dispute fraternelle à Habsbourg. Grillparzer avait compulsé des documents, lui aussi. Die Ermittlung (l'Enquête) de ~ter Weiss, voilà du pur théâtNt documentaire, car Il porte ~r la scène les minutes du procès d'Ausch· witz, condensées, mals littérales. Le cas Oppenheimer de Kipphardt relève du même prin· cipe. Dans mes pièces, certains personnages sont entièrement fictifs - Riccardo Fontana, par exemple, l'un des personnagesclé du Vicaire. S'il est vrai que des prêtres ont été tués dans les camps de concentration, un Jésuite comme Fontana, appartenant à la haute société romaine et choisissant de partao ger le sort des déportés, n'a jamais existé dans la réalité. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles jd. trouve Injuste qu'on m'accuse d:1avoir maltraité l'église dans le Vicaire. I.L. Cela signifie - t - il que vous prenez des libertés avec la vérité historique? R.H. Non, Je la respecte mais je suis d'avis que le théâtre ne doit pas faire concurrence aux actualités filmées ou à l'histoire. Rien que par sa durée limitée, une pièce de théâtre ne pourra Jamais se mesurer à un volume documentaire comme
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Le Mai de Bordeaux
Hoehhuth
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le Troisième Reich et les Juifs de Poliakoff·Wulff. Le théâtre n'est pas mû par des faits, mais par des hommes. Ce n'est pas la matière, mais le personnage qui rend la pièce intéressante. I.L. Adorno vous a reproché de présenter l'histoire comme si elle était faite par des individus, alors que nous sommes depuis longtemps régis par des puissances anonymes auxquelles l'Individu ne sert plus que de façade. R.H. Oui, dans Minima Moralla, Adomo a même écrit: «C'est déjà une effronterie, pour beaucoup de gens, que de dire « Je -. Je trouve cela inad· missible. J'estime que chaque homme a le droit de considérer sa personne et son destin com· me uniques et irremplaçables. D'ailleurs: Adorno enseignait la philosophie à Francfort. S'il pensait que l'individu ne sait pas ce qu'il fait, qu'il n'est qu'un numéro dans la masse, pourquoi n'est·iI pas allé au Palais de Justice où se déroulait le procès d'Auschwitz pour dire aux juges: tous ces gens, vous n'avez qu'à les renvoyer chez eux, Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient, ils n'étaient que les rouages d'un appareil ?
Pièces de Rolf Hochhuth Le Vicaire (Ed. Rowohlt, 1963. Ed. du Seuil, 1964). Sujet: le Pape Pie XII et son silence devant le drame juif de la Seconde Guerre mondiale. Traduite en 16 langues. Représentée dans 26 pays. Les Soldats (Ed. Rowohlt, 1967. Ed. du Seuil, 1968). Sujet: les res· 0nsabilltés de Churchill dans le .' bardement des villes ailem ndes et dans la mort mystérieuse du général Sikorski, chef dugouvemement polonais en exil. TradiJlt~ dix fols. Représentée' dans 11 pays. Guérillas (Ed. Rowohlt, 1970). Su,et: un coup d'Etat fomenté à 'Intérieur de l'Establishment américain. Anticipation d'un événement • politiquement probable et techniquement réalisable-.
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I.L. VOUS croyez à la responsabilité totale de chaque homme?
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(tH. Oui. Je suis d'avis que chaque individu doit répondre de ses actes, et cela même aux échelons les moins' élevés. Ouant aux puissants, on peut prouver jusque dans les ordres du jour que les décisions les plus graves de notre siècle ont été prises par une poignée de gens. I.L. Vous posez, dans vos pièces, les grands problèmes moraux de notre époque. Ontelles opéré des changements?
«On me prend pour un maître de l'ironie. Pourtant, l'idée ne me serait pas-venue d'ériger une statue de la liberté dans le port de New york.Bernard Shaw, cité par Hochhuth en exergue à sa nouvelle pièce.
R.H. C'est difficile à dire. J'ai appris, toutefois, par des théologiens catholiques, que le Vicaire avait contribué, dans une certaine mesure, à la libéralisation du clergé. Je regrette, par contre, que le niessage des Soldats n'ait pas été entendu. J'ai écrit cette pièce après avoir appris, au siège de la Croix Rouge, à Genève, qu'il n'existait aucune convention internationale réglementant la guerre aérienne. Ouand les Américains déver· sent, par exemple, leurs bombes sur les populatiOns civiles du Vietnam, Ils ne violent pas 1es conventions de la Croix Rouge, parce que celles.el ne s'appliquent qu'à la guerre ter· restre et navale. C'est parfaitement absurde. SI le Président Nixon annonce, aujourd'hui, que des troupes américaines seront retirées du Vietnam, c'est que l'armée cie l'air lui aura promis de créer une ceinture de térres brûlées telle que les troupes n'auront même plus besoin d'y aller. Propos recueillis p~r lrmelin Lebeer
Le Mal de Bordeaux est clas· prétation puissante et virile, sique. G.lorieusement. Désespé- passionnée, qui exaltait le gérément. Le Mai, ce n'est pas, nie d'un compositeur si mal comme à Aix, une idée, une in- connu et souvent si mal joué. tention, une volonté, mais une . Zino Francescatti porta le addition. L'addition d'un certain concerto en Ré Majeur Opus 35 nombre de chefs, de solistes, de Tchaïkowsky jusqu'au sublide danseurs. L'addition du bon me. Michèle Boegner donna du et du moins bon. Un peu au ha- concerto n° 20 en Ré Mineur de sard des disponibilités des uns Mozart une exécution étourdis· et des autres. Sans thème, sans sante. L'orchestre national de colonne vertébrale, donc sans l'O.R.T.F., sous la direction de grande chance d'attirer un pu· Jean Martinon et Paul Klecki, blic extérieur à la ville, même fut excellent. Katia et Marielle si les citadins s'estiment satis- Labèque confirmèrent avec aufaits. tant de charme que d'éclat les Hétérogène, le programme se promesses d'un double, Jeune et devait d'être inégal. Je n'énumé- riche talent, se jouant avec une rerai pas ici les spectacles les passion toute juvénile des aramoins intéressants ou les plus besques difficiles de Stravinsky décevants. Je me bornerai à re- ou de Bartok. gretter que le Parsifal qui avait Enfin la chorale de chambre été choisi pour la soirée d'ou- Madrigal de Bucarest révéla une verture n'ait pas su traduire la étonnante maîtrise du chant • a ferveur musicale, la poésie reli- capella -. gieuse qui fait le mystère et le Le Harkness ballet de New charme de cet ouvrage wagné- York, dont on attendait beaurien. coup, offrit ce qu'il est convenu En revanche, le premier con- d'appeler un bon spectacle. Une cert du Mai fut d'une poignante technique solide, un travail sébeauté. Marie-Madeleine et Mau- rieux, mais une chorégraphie rice Duruflé étaient à l'orgue. sans originalité et dépourvue du S'appelant, se répondant, croi- jaillissement créateur d'un Mausant fugues, chorales, cantates rice Béjart. La plus belle soirée de Bach, œuvres de Tourne· du Mai, ou du moins la plus mire, d'une sidérale pureté. Ce parfaite, c'est-à-dire au sens Bordelais inspiré réussit à épa- premier du terme, la plus achenouir l'originalité de son talent vée, le Festival la dut au T.N.P. tout en s'inscrivant dans la tra· Il ne s'agissait, du moins le di· dition des grands maîtres. Ma· sait-on, que de jouer • l'Illusion rie-Madeleine et Maurice Duru- Comique - de Pierre Corneille. flé ont en partage une telle In- De cette œuvre baroque et gételligence du cœur et des néralement ignorée, Georges doigts, qu'ils ont su nous trans- Wilson a extrait un pur chefmettre la quintessence de rê- d'œuvre de théâtre, d'humour, ves, de poèmes intérieurs qui d'intelligence, d'esprit. Tout est nous laissèrent bouleversés. raffiné à l'extrême. L'originalité Le lendemain, autre fête de des décors, le somptueux des l'esprit: franchies les douves costumes signés par Jacques Le de l'austère et délicat château Marquet, l'accompagnement mude La Brède, dans l'enchante- sical de Georges Delerue. ment d'une lumière dorée, un Grâce à l'exposition de la Gapublic surpris et ravi a pu dé- lerie des Beaux-Arts, le Festival couvrir, sous les voûtes de la de Bordeaux se prolongera jusbibliothèque de Montesquieu, qu'au mois de septembre. Ce un étrange bonheur. Celui d'en- dernier rameau n'est pas le tendre deux Quatuors et le Trio moins intéresssant : c'est à une de Gabriel Fauré, joués par le véritable rétrospective de Dufy directeur du Conservatoire Na- que nous sommes conviés. Une tional Supérieur de M~slque" centaine de toiles, de gouaches, Raymond Gallois-Montbrun, qui de dessins, d'aquarelles retraavait réuni autour de lui Co- cent l'évolution d'un art tour à lette Lequlen, André Navarra et tour tenté par le foisonnement Jean Hubeau. Bonheur rare, car du fauvisme, l'austérité rigide les Interprètes donnèrent de du cubisme, les sortilèges du . ces œuvres de Fauré, une Inter- primitivisme. Colette Deman
ROIIA.NS
Maurice Renard
POPULA.IRES
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Maurice Renard
Lea mairu d'Orlae Préface de P.-A. Touttain
1Le docteur Lerne
Préface de H. Juin
L'invitation à la peur Préface de P. Rambaud Coll. «Domaine fantastique Pierre BeHond éd., 256 p., 280 p., 208 p.
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Cette nouvelle édition est destinée à redécouvrir le vrai Maurice Renard, déclare le préfacier des Mairu d'Orlae. Dédié à Wells, le Docteur Lerne remontait en effet à 1907. Romancier prolifique, Maurice Renard a surtout connu le succès entre les deux guerres mondiales, grâce à ses feuilletons et aux centaines de contes qu'il écrivit pour le journal le Matin. A cette époque, les éditions et les rééditions de ses œuvres se succédaient, d'autant plus que le cinéma, en 1924 puis en 1935, avait .adapté avec bonheur l'une d'entre elles, les Mains d'Orlae. Après la seconde guerre mondiale, le romancier étant mort entre temps, on pouvait croire que 8es livres allaient tomber dans l'oubli. Il n'en est rien, puisque les éditions Tallandier firent plusieurs fois reparaître de ses romans dans .leurs collections populaires, volumes à bon marché, destinés à un large public se préoccupant peu du renom littéraire de l'auteur mais des qualités palpitantes de ses histoires. La dernière en date de ces éditions, quatre volumes, était de 1958 ; intervenant à un moment où le public de lecteurs et la diffusion des livres étaient en pleine mutation, après l'expansion du livre de poche (objet bien différent du livre de «série populaire~, de Tallandier par exemple, mais c'est là un autre problème), cette dernière série hésitant dans sa présentation entre le livre populaire et le livre ordinaire, ne répondait pas au conditionnement que le public attendait dorénavant d'un livre. Il se produisait simultanément un changement de la demande: où l'on attendait des «grandes aventures et voyages excentriques~, des «romans mystérieux~, on voulait maintenant d'autres lectures (la télévision y était-elle pour quelque chose?) sous forme de romans policiers ou d'es-
pionnage, voire de bandes deesinées. Où le lecteur se délectait d'une intrigue inédite, riche en imbroglios dramatiques, il fallait à présent une trame simple, une écriture élémentaire, avec en revanche quantité de coups de feu, bagarres et vamps, jeux brutaux ou d'un érotisme primaire. Ce nouveau lecteur ne veut plus d'histoires aussi complexes que les Mairu d'Orlae ou le Maitre de la lumière; il ne peut plus comprendre l'érotisme exaspéré du Docteur Lerne, car les tournures et les mots même lui font défaut, non que l'écriture en soit savante, mais parce que, sans être un grand maître de style, Maurice Renard reste toujours soucieux de la tenue et de la précision de ce qu'il écrit. Maurice Renard n'est plus un auteur populaire, pas plus que Jean de la Hire ou Gustave Le Rouge, ses contemporains. Des auteurs comme Renard, qui n'avaient eu d'autre ambition que de conter des histoires de leur invention, qui ne se prenaient pas pour des maîtres (que sont devenus les Marcel Prévost, les René Bazin, de l'Académie française?), voici qu'on crée pour eux de belles collections où l'on entend faire redécouvrir leur vrai vi3age. Cette nouvelle édition des œuvres de Maurice Renard montre ce qu'il faut entendre par là: cette œuvre n'eut pas à subir vraiment de temps de purgatoire puisqu'il fut toujours possible de trouver quelques-uns de ses livres en librairie, mais, négligence des éditeurs ou peut-être de l'auteur, ils étaient souvent déformés par des coupures et des édulcorations; faute de procéder à ces aménagements, comme dans certaines éditions du Docteur Lerne, on précisait sans rire dans les Mairu d'Orlae de 1933 que l'ouvrage ne pouvait être mis entre toutes lea. mains. Aujourd'hui, les amateurs se réjouiront de voir des rééditions intégrales de ces deux livres; l'Invitation à la peur .est un choix de nouvelles (sous le même titre, l'édition précédente présentait un choix différent) ; la parution prochàine du Péril bleu, de fHomme truqué et du Maitre de la lumière est annoncée. Ainsi Maurice Renard n'est-il pas exactement redécouvert mais pérennisé.
La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970
Maurice Renard
Maurice Renard est à la jonction de deux époques. Venu du dix-neuvième, on trouve chez lui l'attirail savoureux du romanfeuilleton : vendetta, enfants trouvés toujours de haut lignage, châteaux, sociétés secrètes... Avec, sans doute, ce côté roman-feuilleton, il y a chez Renard un conservatisme endurci pour lequel le monde, par exemple, ne peut qu'être divisé entre maîtres et serviteurs: entre, ici, financiers, aristocrates, et, là, domestiques, paysans fidèles et respectueux, n'ont droit de cité que les artistes et les hommes de science. S'il arrive par exception que l'on évoque la petite ou moyenne bourgeoisie, comme dans les preI;DÏè~•. chapitres d'un Homme -chez. kt microbe~, cela tourne à la bouffonnerie assez lourde. A cet héritage du siècle précédent, Renard a ajouté des traits qui sont typiquement de son époque. On était alors passionné de physiologie et l'usage qu'en fait Renard est caractéristique. Des expériences du chirurgien Alexis Carrel sortiront, outre le docteur
Lerne (frère du docteur Cornélius de Le Rouge), le chirurgien au nom transparent de Cerral, qui greffera de nouvelles mains à Orlac - songeons que dans le même moment, chez Gaston Leroux, le Kanak pratiquait l'opération inverse sur Chéri-Bibi, ne lui laiesant que les mains. Avec la fascination de la science, la première avant-guerre avait aussi une passion pour les expériences métapsychologiques, comme pour les grandes affaires criminelles, du Sâr Péladan à la bande à Bonno(. Dans Orlae et dans Lerne, les spéculations sur la vie et la mort n'excluent ni les tables tournantes ni les enquêtes policières. Le médium criminel des Mains d'Orlac trouvera un splendide homologue dans le docteur Mabuse, tandis que le docteur Lerne et ses aides ne verront leur monstruosité dépaesée que par des médecins nazis, hélas ! bien réels.
De nombreuses anticipations de Renard échappent à leur époque : nOU8 avons fait allusion aux transplantations d'organes de
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Renard
Lerne, mais il faudrait s'arrêter longuement à ces œuvres qui relèvent proprement de" la sciencefiction, le Voyage immobile ou le Péril bleu: téléguidages hardis, sous-aériens, aérofixes, visites du monde microbien, êtres invisibles venus d'une autre planète et capturant sur la terre des plantes, des animaux, des hommes afin de les étudier. C'est justement à propos de ces être". les Sarvants, que l'auteur laisse voir son optimisme à l'égard des découvertes futures et des mondes inconnus ; cet optimisme le distingue de ]a plupart des auteurs de science-fiction (l'exemple de Wells est flagrant). Lorsque les Sarvants, qui ignorent ce qu'est la douleur, prennent conscience que les hommes et les animaux souffrent durant leul'll expériences, ils cessent de prospecter sur terre et relâchent tous leurs prisonniers - et les hommes s'empressent de tuer les animaux libérés par les Sarvants sous prétexte qu'ils sont maigres et en mauvaise santé après leur captivité. Il n'est pas si important de dé· eider, comme le voudraient quelques spécialistes de ces questions, si Maurice Renard est un auteur de science-fiction plutôt qu'un auteur fantastique: ce Maître de la lumière encore marqué «Prix de mathématiques de la classe de 6 eM2 pour l'année 1950-51 », je l'avais alors lu d'une seule traite, et je crois l'avoir lu avec le même plaisir aujourd'hui. C'est là le paradoxe des meilleurs auteurs de ce qu'on nomme quelquefois la littérature marginale; on retrouve avec autant de plaisir les plus ahurissantes créations d'un Maurice Renard, les Sarvants, les yeux électroscopiques de l'homme truqué, Orlac le pianiste aux mains greffées, que les subtiles fictions de la plus littéraire littérature. Renard prenait le parti du rêve et de l'imagination bruts, profession de foi que l'on peut lire dans les premières pages du Docteur Lerne: «Pour reprendre ridée du philosophe, «quand l'eau courbe un bâton », il m'est désagréable que «ma raison le redresse », et je voudrais ignorer que sans la décomposition de la lumière solaire, rarcher Phœbus ne banderait pas son arc-en-ciel formidable et charmant.»
Serge Fauchereau
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FEUILLETON
par Georges Perec Aucune manifestation sportive W, pas même l'ouverture solennelle des Olympiades, n'offre un spectacle comparable à celui des Atlantiades. Cet attrait exceptionnel vient sans doute, pour une bonne part, de ce que, au contraire de toutes les autres compétitions qui se déroulent dans un climat de rigueur et de discipline forcené, les Atlantiades sont placées sous le signe de la plus entière liberté. Elles ne font appel ni aux Juges de touche, ni aux chronométreurs, ni aux arbitres. Dans les courses nor· males, qu'il s'agisse d'éliminatoires ou de finales, les 12 concurrents sont amenés sur la ligne de départ dans des cages grillagées (un peu analogues à celles qui sont utilisées pour les chevaux de course) que le coup de pistolet du starter fait se soulever toutes ensembles (à moins qu'un juge facétieux n'ait déCidé de retarder de quelques instants le mécanisme libérateur d'une, de deux, ou même de toutes les cages, ce qui provoque généralement des incidents spectaculaires) . Dans les Atlantiades, les 176 concurrents sont parqués tous ensemble sur la zone de départ; un treillis de fer électrifié, large de plusieurs mètres, est posé sur la piste et les sépare des femmes. Quand les femmes ont pris suffisamment d'avance, le starter coupe le courant et les hommes peuvent se lancer à la poursuite de leurs proies. Mais Il ne s'agit pas, même au sens strict du mot, d'un départ. En fait, la compétition, c'est-à-dire la lutte, a commencé depuis longtemps. Un bon tiers des concurrents est déjà pratiquement éliminé, les uns parce qu'ils ont été assommés et qu'ils gisent inanimés sur le sol, les autres parce que les coups qu'ils ont reçus, et particulièrement les blessures aux pieds et aux jambes occasionnées par
les chaussures à pointes, les rendent inaptes à accomplir une course, si petite soit-elle. Il n'y a pas dans les Atlantlades, li proprement parler, de stratégie unique assurant la victoire. Chaque participant doit tenter d'évaluer ses chances en fonction de ses qualités Individuelles et a à décider de sa ligne de conduite. Un très bon coureur de demi-fond, qui salt qu'II pourra produire son effort maximum après 300 ou 400 mètres de course, a évidemment Intérêt li se placer le plus en arrière par rapport à la ligne de départ; moins Il aura d'adversaires derrière lui, moins Il aura de chances d'être agressé avant le départ. Au contraire, un pugiliste, ou un lanceur de poids, qui savent qu'ils n'ont pratiquement aucune chance li la course, essaieront plutôt d'éliminer tout de suite un maximum d'adversaires. Certains tenteront donc de se protéger le plus longtemps possible, d'autres au contraire attaqueront d'emblée. Entre ces deux groupes li peu près définis, la masse des concurrents ne salt Jamais très bien quelle tactique est la meilleure, encore que l'Idéal soit évidemment pour eux de parvenir li livrer leurs adversaires les plus dangereux - les meilleurs coureurs - II l'agressivité souvent aveugle "des pugilistes. Ce schéma élél)'lentalre se complique considérablement du fait des possibilités d'alliance. La notion d'alliance n'a aucun sens dans les autres compétitions: la victoire y est unique et personnelle, et c'est seulement par crainte de représailles qu'un concurrent mal parti apportera, s'II le peut, son aide au mieux placé de ses compatriotes. Mais, dans les Atlantiades, et c'est une de leurs caractéristiques spécifiques, il y a autant de vainqueurs que de femmes à conquérir, et toutes les victoires étant identiques (il serait évidemment utopique de la part d'un concurrent de convoiter une femme particulière), Il est parfaitement possible à un groupe de concur· rents de s'unir contre les autres jusqu'au partage final des femmes. Ces alliances tactiques peuvent prendre deux aspects selon que les partants s'allient leur nationalité (c'est-à-dire selon leur village), ou selon leur spécialité. Les deux clivages existent rarement en même temps, bien qu'ils soient parfaitement envisageables, mais ils se succèdent souvent et parfois avec une rapidité terrifiante et c'est toujours un spectacle étonnant que de voir, par exemple, un lanceur de marteau Nord-Ouest W (en l'occurrence Zacharie ou Andereggen) se battre contre l'un de ses collègues des autres villages, comme Olafsson de Nord W ou Magnus de W, puis tout à coup s'unir à lui pour tomber sur un de ses propres compatriotes (Friedich, ou Von Kramer, ou Zannucci, ou Sander, etc.). Mais c~s luttes préliminaires qui se déroulent sur la zone de départ avant la course proprement dite, ne sont elles-mêmes, elles aussi, que l'aboutissement, la dernière manifestation, les ultimes péripéties d'une
guerre Il ne semble pas que le mot soit ici trop fort qui pour s'être déroulée en dehors des pistes, n'en a pas moins été acharnée et souvent meurtrière. La raison de cette guerre est simple: c'est que les participants d'une Atlantiade (les deux premiers de chaque épreuve de classement) ont été désignés plusieurs jours, et parfois jusqu'à trois '3emaines auparavant, et que dès lors chaque jour, chaque heure, chaque minute, ont été pour les futurs concurrents l'occasion de se débarrasser de leurs adversaires et d'accroître ainsi leurs chances de triompher. Sans doute cette lutte permanente, dont la com· pétition elle-même n'est que le point final, est-elle l'une des grandes lois de W, mais elle trouve ici, li l'occasion des Atlantlades, son terrain d'action le plus favorable, dans lamesure où la récompense - une fem· me - accompagne Immédiatement la victoire. Les pièges se tendent, les tractations s'échafaudent, les alliances se nouent et se dénouent dans les coulisses des stades, dans les vestiaires, dans les douches, dans les réfec· tolres. Les plus chevronnés cherchent à négocier leurs conseils; on achète l'Indulgence d'un lutteur: Il fera semblant de vous frapper, on pourra faire le mort jusqu'au signai du starter. A 15 ou 20, des non classés, des crouilles, qu'attirent "espoir Insensé d'un avantage le plus souvent dérisoire, une demi-cigarette, quelques sucres, une barre de chocolat, un peu de beurre ramené d'un banquet, s'attaquent à un champion d'un village voisin et le laissent pour mort. Des batailles rangées éclatent la nuit dans les dortoirs. Des athlètes sont noyés dans les lavabos ou dans les chiottes. L'Administration n'est pas ignorante de ces marchandages Incessants. Elle fait afficher partout des placards les interdisant; elle rappelle que lamoraie du Sport n'admet pas le trafic, que la Victoire ne peut pas s'acheter. Mais elle n'a jamais rien tenté de sérieux pour y mettre fin. Elle semble s'en accommoder. C'est la preuve pour elle que la vigilance des Athlètes est toujours en alerte, que ce n'est pas seulement sur la piste, mais partout, et li tout Instant, que sa Loi terrible s'exerce. Les autres compétitions se déroulent dans un silence total. C'est le Directeur de la course qui, en levant le bras, donne le signal des applaudissements et des vivats. Dans les Atlantiades, au contraire, la foule peut, ou plutôt doit hurler tout son saoul et ses cris, captés, sont retransmis à pleine puissance par des haut-parIeurs disposés tout autour du stade. Les vociférations et les clameurs sont telles, sur la piste comme sur les gradins, elles atteignent li l'issue de la course, lorsque les rescapés parviennent enfin à s'emparer de leurs proies pantelantes, un paroxysme tel que l'on pourrait presque croire à une émeute. (A suivre.)
Le théâtre retrouvé Roland furieux· d'après l'Arioste par le théâtre libre de Rome Th. des Nations
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Le Roi Jones Slave Ship Rencontres Internationales 70 Cité Universitaire
Théâtre de fête, de foire, de carrousel, de place publique, nous rendant soudain, dans l'émerveillement, une sor t e d'enfance. Théâtre de provocation raciste à la violence révolutionnaire - la révolution noire. Voilà en tout cas, semblant se repousser l'un l'autre, deux spectacles étonnants Roland furieux et Slave Ship qui tous deux nous proposent un nouvel usage, à la fois très ancien et très moderne, du théâtre; deux spectacles qui tous deux rendent un sens au vocable exténué de • théâtre populaire -, deux spectacles en face de quoi le reste de la chose théâtrale paraît soudain artifice, trompe-l'œil, cabotinage, exhibi-. tionnisme ou vulgaire ou savant. Quand les chariots du Roland furieux foncent au milieu de la foule du public en faisant virevolter à hauteur de nos têtes ces acteurs gesticulant, accoutrés d'oripeaux et peinturlurés comme des figures de charrettes siciliennes, ces chevaux de métal pour manège onirique, ces paladins et amoureuses d'opéra-comique, ces lances pour Don Quichotte, ces épées de Matamore, et ce Charlemagne en ruines, et ces corps de guerriers nus et beaux, et convulsés, quand ces petits véhicules scéniques s'assemblent et se désassemblent comme les grosses lettres d'un alphabet d'école pour composer et décomposer, démonter et remonter le poème de l'Arioste en images à la fois ironiques et naïves, l'enchantement est tel - celui de l'esprit et des yeux - , qu'on ne sait plus si c'est l'enfant amoureux d'images, de fables et de songes, qui est comblé en nous, ou le maniaque de théâtre soudain mis en présence d'une somme de culture théâtrale, populaire et savante, où se retrouvent unis le déroulement cinématographique, l'u-
sage amusé des bandes dessinées, l'opéra et l'opéra-bouffe, et les marionnettes siciliennes, et les machines de Léonard ou de Vigarini, et les fresques de Pinturicchio, sans compter une certaine référence à l'analyse structuraliste des textes, et un certain mode de distanciation dans le récit, et enfin, curieusement alliés, le principe médiéval de la simultanéité des actions scéniques et les recherches récentes sur l'espace théâtral conçu comme lieu de communication ou d'affrontement entre spectateurs et acteurs.
des traditions populaires de jeu théâtral dont notre art dramatique de mondains s'est radicalement coupé; il faut des comédiens capables à la fois de la fougue, de l'humour et de la tendresse dont sont capables les acteurs italiens; il faut une langue susceptible de se déclamer et de se chanter autrement que ne le fait la nôtre. Il faut enfin le support d'une civilisation où, il existe encore Une vie de cité, où des gens peuvent encore se regarder, se parler, se sourire et exister les uns pour les autres.
texte est réduit à rien. Tout, dans cette action dramatique d'une violence et d'une vérité presque insoutenables, tout est dit par le corps, et le cri, et le chant, et le rythme, et l'afrojazz d'Archie Shepp et Gilbert Moses, et jusqu'aux lambeaux de negro-spirituals qui ne chantent plus le Rédempteur mais la révolutjon raciale. Retrouvant l'art noir dans son essence même, avec son étonnant pouvoir d'incantation, faisant coïncider la révolte charnellement, viscéralement vécue, et la poésie théâtrale dans sa beauté la plus intense, ce spectacle fascine comme un rituel religieux.
Aussi bien, quand vers la fin Ici, cet espace n'est plus de leur spectacle (Slave ship) , Dans un massif appareil de qu'un: lieu commun, vivant et les comédiens noirs du Celsea bois, échafaud figurant la cale ter cherchaient Theater C e n tumultueux, d'acteurs emportés dans le mouvement furieux et dans le public leurs frères de et le pont d'un bateau négrier éclaté d'un dynamique scénique, race pour leur prendre les et susceptible d'être installé et de spectateurs bousculés, ré- mains, leur sourire, les embras- partout sauf dans une salle à veillés, redevenus hommes par- ser et les inviter à danser avec l'italienne, se déroule l'histoire mi d'autres hommes, et actifs eux, en nous ignorant ostensi- d'un continent déporté, avili, de nouveau, contraints de se blement, en nous refu~ant, nous depuis l'entassement de cette déplacer sans cesse pour choi- autres Blancs et Parisiens, nous marchandise humaine, puis sa sir dans la multiplicité des ac- donnant leur dédain en paie- vente aux enchères, jusqu'à tions qui se jouent au milieu ment de nos hécatombes, nous l'explosion révolutionnaire d'aud'eux, et aux quatre coins de laissant à notre peau et à nos jourd'hui. Histoire de l'avilissel'aire commune: un duel ou une . souvenirs collectifs de croisa- ment d'une race, é.\'ocation de scène d'amour, la folie de Ro- des esclavagistes et d'extermi- son ancienne gloir~, dénoncialand ou des bricolages libertins, nations coloniales, aussi bien tion du christianisn1e mystificaqui teur et célébration de la mort cependant que l'hippogriffe du avait-on le sentiment magicien vole au-dessus de leur n'était pas forcément délecta- de tous les libéralismes, le tête, que l'ourse marine - fan- tion masochiste - que c'était blanc et le noir. Ce spectacle tastique carcasse de. dinosaure là vengeance légitime, qu'ils a la beauté violence, inouïe, - s'avance parmi eux, ou qu'un n'avaient rien d'autre à nous d'un cérémonial d'exorcisme. labyrinthe à claire-voie les en- donner que ce mépris. Gilles Sandier ferme peu à peu dans les méanDans cet admirable et hallucidres où ils se retrouvent tous, nant spectacle, qui se veut raacteurs et spectateurs, prisonet qui est féroce en effet ciste niers et complices. Rarement le (encore le mot de • spectacle bonheur de jouer et de regarder est-il presque indécent,)' Le Roi jouer ont été· unis dans une si Jones, comme dans les pièces magnifique connivence. que nous avait fait connaître Il est vain de se lamenter. Bourseiller (Métro fantôme noMais le spectacle que nous a tamment) continue son œuvre proposé Luca Ronconi sur une de dramaturge révolutionnaire adaptation du très savant poète noir, militant du Black Power Eduardo Sanguineti, ce specta- dont on hisse, à la fin, le dracle qui nous paraît offrir de telpeau. Il ne veut voir dans le les possibilités à l'élaboration théâtre qu'une arme, l'instrud'une écriture dramatique nou- ment d'un réquisitoire implaca- tt velle et authentiquement popu- ble contre la race des maîtres, . laire celle que, peut-être, le véhicule - comme dans les cherche en vain Gatti par exem- Nègres - d'une haine superbe ple - , ce spectacle n'est guère et inexorable, et le moyen d'orconcevable en France. Il faut chestrer l'appel à la révolution d'abord, pour qu'il existe, qu'il noire. puisse s'ancrer dans un fonds Mais dans cette pièce qui est, populaire, mythologique, que noen somme, une • action - ges~ tre culture aristocratique et salonnière ne fournit pas, il faut tueIle, musicale et physique, le
La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 juin 1970
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Daniel Boulanger Mémoire de la Ville Gallimard, 232 p., 19 F. Un nouvel recueil de vingt nouvelles, par l'auteur de • La Nacelle. (voir les nO' 2, 34 et 71 de la Quinzaine).
ROMANS FRANÇAIS Alexis Le livre premier de Mathilde L'Or du Temps 202 p., 31 F. Un roman d'un libertinage raffiné. Christine Arnothy Chiche 1 Flammarion, 256 p., 18 F. Un livre qui tient du roman d'anticipation et du conte philosophique. Georges Bordonove Le chevalier du
LancIrMu
Laffont, 352 p., 20 F. Le roman d'un homme qui, ayant vécu de 1787 à 1832, a connu la Révolution, le Consulat, l'Empire et la Restauration.
Victor Gardon L'apocalyp.. écarlate Couverture de Carzou Cal mann-Lévy, 384 p., 24 F. A la fols une épopée, un poème et un reportage qui retracent la tragédie arménienne de 1894 à 1915. Jean Olivier Héron La maison brille Laffont, 208 p., 15 F. Un roman très représentatif des obsessions, nostalgies et désillusions de la jeunesse, deux ans après mal 68.
Yves Heurté La ruche en feu Gallimard, 216 p., 15,75 F. Un roman de guerre qui a pour toile d'e fond la bataille de Normandie, après le débarquement américain. Jacques Isornl Un dlpl6me en Bavl.e Flammarion, 160 p., 12 F. Un récit traité à la manière des conteurs libertins du XVIII' siècle.
Jean Suquet Le acorplon et la rose Ch. Bourgols, 224 p., 15,40 F. Un premier roman qui se présente comme un hymne à la vie d'une Imagination et d'une fantaisie débridées.
heures glluantes Laffont, 240 p., 16 F. Un roman-reportage sur la vie souterrai ne d'une Rome paienne et très réelle. Maurice Pons Chtol Ch. Bourgols, 128 p., 15,40 F. Voir le n° 38 de la Quinzaine.
La ..ntonlme Julliard, 256 p., 17,10 F.
Suzanne Prou La ville .ur la mer Calmann-Lévy, 232 p., 18 F. Une satire sociale et politique qui révèle un aspect Inattendu du talent de l'auteur (voir les n" 16, 36 et 59 de la Quinzaine).
Eric Ollivier L'escalier deS
Jean-Philippe Simonne Les 101. de l'ét6 Flammarion, 224 p., 20 F. Quinze histoires d'amour ironiques, tendres et résolument antlconformlstlts.
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François Valorbe Voulez·vou. vivre en EPS 1 Ch. Bourgol., 272 p., 20,40 F. Un roman d'anticipation et d'humour noir qui nous décrit, avec la minutie d'un reportage, la vie dans un Etat Imaginaire.
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Trad. de l'allemand par Mathilde Cambl Gallimard, 168 p., 12,75 F. Par l'auteur du • laitier. (voir les n" 27 et 90 de la Qulnzafne).
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William Burroughs Nova express Ch. Bourgols, 224 p., 18,40 F. Par l'auteur du • Festin nu. et de • La machine molle • (voir les n" 40 et 45 de la Quinzaine).
Ch. Bourgols, 160 p., 20,40 F. Un roman érotique où il est question d'extrême plaisir et d'extrême douleur, de sexe et de mort.
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Gallimard, 240 p., 19 F. Cinq textes de la Bible, destinés par la tradition juive à des fêtes religieuses, réunis dans une présentation originale par ce grand spécialiste de la linguistique et de la poétique. .Jacques Réda Récitatif Gallimard, 80 p., 12 F.
REEDITIONS CLASSIQUES L.V. Beethoven Carnets Intimes Buchet-Chastel 117 p., 9 F. Hector Berlioz L.V. Beethoven Buchet-Chastel 181 p., 15 F.
Sainte Thérèse d'Avila . Œuvres complètes Desclée de Brouwer, 904 p.• 48,30 F. Léon Trotsky Lénine suivi d'un texte d'André Breton présenté par Marguerite Bonnet P.U.F., 280 p., 15 F.
BIOGRAPHIES MEMOIRES Dictionnaire biographique du Canada Tome 1: de l'an 1000 à 1700 Tome Il : de 1701 à 1740 Presses de l'Université Laval éd., Canada 774 et 792 p., 105 F le vol. Un important ouvrage de référence qui fourn.it les biographies de tous les personnages ayant joué un rôle de quelque Importance au Canada.
l'Herne, 296 p., 35,50 F. Sur les traces d'un poète qui, pour reprendre l'expression de l'auteur, • s'est avancé aussi loin que le langage peut aller-. Maïté Dabadie Lettre à ma nièce sur Edmond Ros1and lettre-préface de Jean Rostand Ed. Privat, 116 p., 15 F. le rayonnement de l'auteur de • Cyrano et de • L'Aiglon -. René Guénon L'homme et son message Ouvrage collectif Planète, 148 p., 7,50 F. L'Itinéraire spirituel d'un esprit éperdu de transcendance et d'universalité. Henri Giraud
La morale d'Alain
Marot à Malherbe José Cortl, 576 p., 65 F. Une étude de la poétique française du siècle de la Renaissance, appuyée sur l'analyse de l'incidence des phénomènes historiques et culturels sur l'écrivain. Michel Mansuy Etudes sur l'Imagination de la vie José Cortl, 224 p., 25 F. Un recueil d'essais critiques' où l'auteur s'est efforcé d'appliquer la philosophie de Bachelard à l'analyse de l'inspiration et de la réalisation d'une œuvre littéraire originale.
SOCIOLOGIE
~SYCHOLOGIE
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Ed. Privat, 288 p.• 30 F. L'éthique d'Alain: .Plerre. Ansard une étude de l'homme Trad. de l'anglais Naissance de et de l'œuvre. par Gerai Messadié l'anarchisme Laffont. 336 p., 20 F. P.U.F., 264 p., 30 F. Un roman de scienceeAlain Huraut Esquisse d'une fiction que certains . Aragon, prisonnier Claude Michelet explication rapports récents politique Une fols sept sociologique du publiés par la NASA Balland, 276 p., . Julliard, 320 p., proudhonlsme. 19,50 F. rendent étrangement 20,90 F. Une étude fort sévère actuel. la seconde guerre Jean-Claude qui, à travers le mondiale vue par Arfouilloux personnage et l'œuvre, Hans Heinz Ewers les yeux d'un enfant. Jean Hiemaux met en cause la Mandragore Cyrille Koupernlk Simone problématique même Coll.• Dans Stanislas Tomklewicz Mon nouveau du parti communiste l'Epouvante» Traité de psychologie testament français. Ch. Bourgois, de l'enfant • Tome Il 104 p., 10 F. Gallimard, 416 p.• 25,50 F. Le développement les souvenirs de Un des représentants M. Issacharoff biologique. Madame Simone. les plus remarquables J.K. Huysmans P.U.F., 320 p., 30 F. du roman fantastique Jean-Jacques Thierry Devant la critique moderne. Journal sans titre en France .Jean ChAteau Julliard, 224 p., Kllncksleck, 207 p., Maurlçe Debesse 17,10 F. Karl Jaspers 32 F. Paul-A. Osterrieth Strindberg et Van Gogh Un journal apocryphe Un essai de sociologie Traité de psychologie de Pie XII pour littéraire, appuyé sur Swedenborg - H61derlln de l'enfant .; Tome 1: composer lequel Etude psychiatrique une documentation Histoire et gén.éralltés rigoureuse, qui rend l'auteur a utilisé les comparative Sous la direction de compte du Trad. de J'allemand discours et les lettres H. Gratiot-Alphandéry de ce Pape. rayonnement de par H. Naef et de R. Zazzo Préface de M. Blanchot Huysmans en France P.U.F., 208 p., 20 F. .Claude Vigée Ed. de Minuit, et à l'étranger. Un traité dont la La lune d'hiver 244 p., 20 F. paternité revient à Flammarion, .Colette Janlaud Lust Henri Wallon qui, peu 424 p., 35 F. Jean Rousset Nlkas Kazantsald, sa avant sa mort, en A la fols œuvre de La littérature de vie, son œuvre avait dessiné les méditation et recueil l'I9-e baroque Maspero, 600 p., grandes lignes. de souvenirs, Circé et le paon 54,35 F. l'itinéraire d'un Frontisclpe et 16 p. Une étude biographique André Coutln écrivain, de la France d'illustrations et critique très Demain les parricides occupée aux José Cortl, complète sur l'auteur La trahison des pères Etats-Unis et, enfin, 336 p., 36 F. de • Zorba - et du Balland, 180 p., 15 F. en Israël. Un classique • Christ recruclfié-. Les causes profondes de la critique d'une crise de la .Mlchel Jeanneret littéraire. civilisation que CRITIQUE Tradition et poésie l'auteur attribue à HISTOIRE biblique au Sainte Thérèse • la démission des LITTERAIRE d'Avila XVI" siècle pères -. Recherches stylistiques Correspondance Desclée de Brouwer, sur les paraphrases Pierre Boutang Bernard Durou 905 p., 42,30 F. des Psaumes de William Blake André Rlmallho Michael Chrlchton
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La Qyinzaine littéraire, du 1er
<lU
15 juin 1970
Les ~ Vagu8Ùx IÏ dans la société Industrielle Ed. Privat, 240 p., 19,50 F. Vagabonds, clochards, beatniks et hippies: les phénomènes d'errance dans les sociétés Industrielles. Claude Get:ts Psychanalyse et morale sexuelle Editions Universitaires, 144 p., 9,70 F. Une étude appuyée sur une lecture attentive de l'œuvre freudienne et, notamment, de Totem et tabou. Jacques Gutwlrth Vie Juive traditionnelle . Ethnologie d'une communauté hassidique 6 plans et 41 tableaux ln texte, 24 i11. hors texte, un glossaire ylddlche et hébraïque, un Index Ed. de Minuit, 496 p.. 30 F. Une approche systématique du hassidisme tél qu'II est vécu dahs une communauté formée il Anvers apt&s 1945.
La mémoire Ouvrage collectif P.U.F., 304 p., 40 F. Comptes rendus du symposium de l'Association de Psychologie scientifique de Langue française (Genève, 1968). .Paul Lazarsfeld Philosophie d.. sciences sociales Trad. de "anglais par une équipe placée sous la direction de Raymond Boudon Introduction de R. Boudon Gallimard, 512 p.• 42 F. La réflexion de Lazarsfeld sur le langage d's sciences sociales. A: Maeder De la psychanalyse à la psychothérapie appellative Pltyot, 224 p., 21,80 F. Par un représentant de J'école de Zurich, une étude consacrée à l'expérience des psychothérapies de courte durée. Michel Panoff
La terre et
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Livres publiés du S a-u 20 mai
.. - l'organisation sociale en Polynésie Payot, 288 p., 29,70 F. Une enquête sur le terrain, par un jeune ethnologue, élève de Claude Lévi-Strauss. • Géza Roheim Héros phalliques et symboles maternels dans la mythologie australienne Essai d'interprétation psychanalytique d'une culture archaïque Trad. de l'anglais par Roger Dadoun B i11. hors texte Gallimard, 336 p., 33,75 F. Publiée pour la première fois en 1945, la première grande enquête ethnographique sur le terrain effectuée par un psychanalyste.
ESSAIS • Gaston Bachelard Etudes Présentation de G. Canguilhem Vrin, 100 p. Un ensemble d'essais composés entre 1931 et 1934. .. E. Hemingway En ligne Présentation par William White Commentaire de Philip Young Trad. de l'anglais par J.-R. Major et G. Magnane Gallimard, 544 p., 35 F. La majeure partie des reportages et articles de journaux écrits par Hemingway entre 1917 et la fin de sa vie. C. Holsteln-Brunswlc Le droit et l'amour Flammarion, .240 p., 18 F. Une, démystification de 1" science juridique à ttavers l'analyse d'UR problème exemplaire, celui des relations entre l'homme et la femme. • Henri Meschonnic Pour la poétique Gallimard, 184 p., 13,75 F. Un essai sur la fonction poétique où l'auteur s'efforce de répondre à la question de Jakobson: qu'est-ce qui fait d'un message veroal une œuvre d'art?
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Henry de Montherlant Le treizième César Gallimard, 200 p., 14,75 F. Urfe étude sur les constantes de l'âme romaine qui éclaire un aspect essentiel de l'inspiration de Montherlant.
guêpier espagnol Flammarion, 256 p., 20 F. Une étude approfondie de la guerre d'Espagne qui, de 1808 à 1814, usa l'Empire et détermina sa chute.
Henri-François Rey Alleluyah ma vie ou l'apprentissage d'un baroque Laffont, 288 p., 20 F. Par l'auteur des • Pianos mécaniques -, une méditation sur l'homme, sur ses pouvoirs et sur son devenir.
POLITIQUE ECONOMIE
HISTOIRE Jacques Debu-Bridel La résistance Intellectuelle Julliard, 256 p., 14,30 F. Le témoignage d'un résistant de la première heure. Abba Eban Mon peuple (Histoire des Juifs) 70 illustrations Buchet-Chastel, 525 p., 34 F. Par le ministre des Affaires étrangères d'Israël, une histoire des Juifs, d'Abraham à notre époque. "ienri Guillemin Jeanne dite "Jeanne d'Arc. Gallimard, 256 p., 20 F. Une tentative de décryptage de l'énigme Jeanne d'Arc. Michel Meslin Le christianisme dans l'empire romain P.U.F., 200 p., 10 F. L'affrontement de deux cultures totalement opposées et leur fusion finale en un nouvel humanisme. Léonce Pei liard Histoire générale de la guerre sous-marine (1939-1945) 16 p. de hors-texte 1 carte Laffont, 368 p., 29 F. Un tableau d'ensemble de la guerre sous-marine étayé sur une documentation exceptionnelle. Georges Roux Napoléon et le
Charles Bettelheim Calcul économique' et formes de propriété Maspero, 144 p., 11,80 F. Un ouvrage qui tente de répondre aux questions posées par l'écart entre les propositions théoriques de Marx et Engels et la réalité des • pays socialistes-. louis Fortran Gérard Klein L'épargne des ménages P.U.F., 224 p., 12 F. Le bilan d'une série de recherches très approfondies sur cette épargne qui représente la moitié de l'épargne nationale. Daniel Guérin Front populaire, révolution manquée Maspero, 320 p., 18,10 F. Réédition revue et complétée. Lénine Zinoniev Contre le courant Maspero, 280 p., 15 F. Réédition en facsimllé d'un ensemble de textes devenus introuvables. Les clés du marché européen Ouvrage collectif en édition française et anglaise Havas-Conseil éd., 340 p., 225 F. : Réunies à l'intention des milieux d'affaires par le service d'. Etudes et Recherches - de HavasConseil, les données économiques essentielles du marché européen. André Nataf Le marxisme et son ombre ou Rosa Luxemburg Balland, 208 p., 19,50 F. Une réflexion sur la • face cachée - du marxisme, à travers
le personnage de . Rosa Luxemburg. David Ricardo Principes de l'économie politique et de l'Impôt Préface de Ch. Schmidt Coll. • Perspectives de l'économieCalmann-Lévy, 400 p., 15 F. Dans la série • Fondateurs de l'~conomie -, un grand classique qui recouvre aujourd'hui une étonnante actualité.
bouleversante sur la drogue à travers le témoignage de deux jeunes filles. Lewis Chester Godfrey Hodgson Bruce Page Un mélodrame américain Trad. de l'anglais par O. Todd et H. Nizan Gallimard, 544 p., 39 F. Un document. exceptionnel dû à une équipe de reporters britanniques chargée par le • Sunday Times - de • couvrir l'élection présidentielle de 1968.
Amaury de Riencourt L'Amérique Impériale Trad. de l'anglais par M. Paz Gallimard, 320 p., 27 F. THEATRE Par un journaliste politique, une étude • Yukio Mishima sans complaisances Cinq Nôs modernes de l'impérlum Gallimard, 176 p., américain sur plus 12,75 F. de la moitié Trad. du japonais du monde. par Geori)es Bonmarchand Ph. de Saint Robert Modernisées par le Principes pour une grand romancier légitimité populaire japonais (voir les L'Herne, 224 p., 24 F. l'lM 2 et 53 de la La France au bord du Ouinzaine), cinq cataclysme: une pièces japonaises des analyse impitoyable XIV", XVde la situation et XVI" siècles. actuelle. Ph. de Saint Robert Le jeu de la France en Méditerranée Julliard, 304 p., 20,90 F. Par un jeune gaulliste, une fougueuse justification des thèses officielles sur le conflit du Moyen..()rlent. Paul M. Sweezy Charles Bettelheim Lettres sur quelques problèmes actuels du socialisme Maspero, 72 p., 4,80 F. Une correspondance entre le directeur de la • Monthly Reviewet le directeur d'Etudes à l'E.P.H.E. dont le thème central est la transition vers réconomie socialiste à travers un certain nombre de cas précis.
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André Roussin On ne sait Jamals••_ . Calmann-Lévy, 160 p., 9 F. Dans le cadre de l'édition du Théâtre complet d'André Roussin. Théâtre 1970 Tome 1 Ouvrage collectif sous la direction d'Arrabal Ch. Bourgois 208 p., 20,40 F. Réflexion autour de quelques thèmes essentiels de l'activité théâtrale actuelle.
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THE"'TR.E Anne Barbey Süd-Afrlka Amen Plerre-Jean Oswald Théâtre en France
La Qyinzaine littéraire, du 1er au 15 JUÎn 1970
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André Benedetto Emballage Pierre-Jean Oswald, Théâtre en France Pièce créée en mars 1970 à la Maison de la Culture du Havre.
La chamade
livre de Poche.
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1 Françoise Mallet-Jorris 2 Roger Peyrefitte 3 Hervé Bazin 4 5 6 7 8 9 10
Jean Giono Graham Greene Christine de Rlvoyre Romain Gary Gabrielle Russler Henri Troyat Konrad Lorenz
La maison de papier (Grasset) Des Français (Flammarion) Les bienheureux de 1. désolation (le Seuil) L'Iris de Suze (Gallimard) Voyages avec ma tante (laffont) Fleur d'agonie (Grasset) Chien blanc (Gallimard) Lettres de prison (Le Seuil) L'éléphant blanc (Flammarion) Tous les chiens, tous les chats (Flammarion)
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