Numéro 98 de la Quinzaine littéraire

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UlnZalne

littĂŠraire du 1 er au 15 juillet 1970

Entretien avec Jean POlDlDier

Vincent . Auriol


SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE LITTERATURE ETRANGERE

4 S

POESIE

J osé Cabanis

Le sacre de Napoléon

par Claude Mettra

John Barth Peter Bichsel Miodrag Pavlovitch Vasko Popa

L'enfant-bouc Les saisons La voix sous la terre Le ciel secondaire

par Marc Saporta par Jacques-Pierre Amette par Serge Fauchereau

Marguerite Duras François Nérault Jean Pommier

Poèmes élizabéthains (1525-1560) Abahn Sabana David Le pon.t de recouvrance Le '~T'e('tarle itltériellr

par par par par

ŒlLvres COmfllp.tes Œuvres complp.tes Isidore Ducasse, comte de LalLtréamont Vie de Lautréamon.t Récit d'une vie fugiiivr Contes extraordinaires du Pavillon du Loisir L'amour de la renarde Le dessin du récit Dans les galeries Edouard Manet Pierre Bonnard JI érités sur la révolution algérienne Mon Septennat Journal du Septennat. T. 1 Libres enfants de SummerhiLl La Reproductioll Philosophie des sciences sociales Du Sens Théâtre à Berlin Versuch des Revolutionierung des Bürgerlichen lndividltums

par André Dalmas par Marcel Jean

6 il

ROMANS FRANÇAIS

8

HISTOIRE LITTERAIRE

Lautréamont Isidore Ducasse François Caradec

11 12

Edouard Peyrouzet Chen Fou p'ou Song-Ling

14

Ling Mong-tch'ou

15 16 17

ECRITURES ARTS

18

HISTOIRE

Denis Rouart André Fermigier Mohamed Lebj aoui Vincent Auriol

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PEDAGOGIE

20 21 2l

SCIENCES SOCIALES

24 26

LINGUISTIQ.UE LETTRE DE BERLIN

A. S. Neill P. Bourdieu et J. C. Passeron Paul Lazarsfeld A.J. Greimas Kommune 2

26

FEUILLETON François Erval, Maurice Nadeau. Conseiller: Joseph Breitbach. Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski. Secrétariat de la rédaction: Anne Sarraute.

La Quinzaine litteraire

Courrier littéraire: Adelaide Blasquez. Maquette de couverture: Jacques Daniel. Rédaction, administration: 43, rue du Temple, Paris (4"). Téléphone: 887-48-58.

Jean-Marie Benoist Anne Fabre-Luce Lionel Mirisch Gilles Lapouge

par Jean Chesneaux

par Bernard Girard par Nicolas Bischower par Jean Selz par Marcel Péju par Pierre Avril par Jacques Bens par Daniel Lindenherg par Bernard Cazes par Georges Kassai par Julia Tardy-Marcus par Nina Bakman

W

par Georges Perec

Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris (7"). Téléphone: 222-94-03.

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p. 18 p. 19 p.20 p.24 p.27

Bulloz Giraudon Gallimard Gallimard Vasco Mercure de France Denoël La table ronde D.R. D.R. D.R. Titi MiIano Bulloz Giraudon Magnum Keystone Magnum Le Seuil Magnum


1.11 I.IV&II DII

La fin du reve A

I.A QUINZAINII

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José Cabanis

Le sacre de N apoléOJa Gallimard éd., 296 p.

C'était une singulière gageure que de confier iJ un peintre de la vie silencieuse, à un décrypteur des eaux souterraines, le soin d'évoquer la scène majeure de la hiographie la plus théâtrale de notre histoire. José Cahanis n'a pas été effrayé par son modèle; il l'a dépouillé de son masque épique, l'a ramené au niveau des destins quotidiens momentanément privilégiés. Et ce .Sacre de Napoléon ne va pas sans quelque sacrilège, comme si l'auteur avait voulu arracher Napoléon de la galerie romantique où Hugo, Vigny, Stendhal parmi tant d'atItres l'avaient paré de la grandeur mythique. Car derrière l'épopée, José Cahanis veut voir d'ahord la trahison d'un peuple et la décomposition de la foi révolutionnaire. Et s'il a choisi d'en parler sur le mode mineur, dans un langage presque· intimiste, c'est pour mieux faire revivre le héros essentiel de cette grande singerie que fut le sacre, le peuple français, ce peuple muet, écrasé, fatigué par dix ans d'espoirs et de désordres, ce peuple au nom de qui allait être ravagée, pillée

et incendiée toute l'Europe chrétienne. Reprenant une thèse ehère à Henri Guillemin, José Cabanis pense que le dessein premier de Napoléon était, à l'exemple d'Alexandre, de se tailler un empire en Orient, dessein dont le détourna l'insuccès relatif de l'expédition d'Egypte. La France ruinée et pervertie par la Révolution n'avait pas l'aura magique de ces terres lointaines sur lesquelles veillaient de leur éternité les grands maîtres du monde antique; ce n'était qu'une putain, mais qui avait au moins une vertu, celle d'être généreuse de ses biens, de son sang et de sa fidélité. Et la longue histoire de l'Empire, c'est la mise en coupe réglée de toutes les richesses de cette prostituée aveugle qui livre à son maître sa liberté fraîchement conquise, son amhition égalitaire et la fraternité pacifique dont avaient rêvé les premiers inspirateurs de la Révolution.

Le sacre de 1804, c'est la consécration symbolique de cette exploitation: Napoléon, c'est le chef d'une maffia peu nombreuse, mais efficace: pour l'essentiel, elle est faite de ceux qui ont trahi la Révolution mais qui ont appris, au travers des tumultes révolutionnaires, que rien ne ré-

siste à l'audace, au manque de scrupule et li la passion effrénée du pouvoir et de l'argent. Tout est affaire de calcul et, pour que la maffia soit sûre de son avenir, il lui suffit de s'assurer d'une série de complicités qui, s'ajoutant les unes les autres, donne au pouvoir ses racines. De ces complicités, celle de l'Eglise est la plus importante. D'abord parce que le sacre, accordé par le Pape lui-même, restitue le pouvoir à l'hérédité, ce dont toute l'Europe est familière depuis bien des siècles et qu'elle aura du mal à oublier. Ainsi, dans l'omhre de la maison régnante, prospéreront les nouv~aux privilégiés. Ensuite, parce qu'il faut bieu inventer une idéologie, si vague fût-elle, pour donner au peuple le sentiment du devoir et donner un sens à ses servitudes. «La religion est la vaccine de l'imagination, elle la préserve de toutes les croyances dangereuses et absurdes. ~ L'Eglise avait de bonnes raisons pour acquiescer à ce jeu : la plupart des prêtres avaient abandonné leurs paroi~ses, nombre d'églises servaient à des usages divers et la déchristianisation avait atteint une profondeur dont nous pouvons encore dif6cilement aujonrd'hui prendre l'exacte mesure. Elle sanctifia cette gigantes-

Goya : Fusillade du J mai 1870

... Q!!inuiae UttéraUe. du 1- au 15 juillet 1970

David, le sacre de Napoléon (détail)

que mascarade sans en tirer les avantages qu'eUe en espérait, sinon celui de se confondre une fois encore avec l'ordre étahli, avee l'argent et avec l'armée. Tout ce grouillement de vautours sans dieu et de prêtres couchés, José Cabanis le raconte avec un exceptionnel bonheur. Rien en lui du procureur plaidant au tribunal de l'histoire au nom de l'innocence bafouée et de la générosité agonisantc. On retrouve ici, dans unc multitudc de portraits aisément tracés, dans une suite de raccourcis qui sont autant d'ébanches des drames sncces.,>ifs de l'Empire. la familiarité et la légèreté des anciennes <:hroniques. Ici règne l'humble et ironique souveraineté des versions tardives du Roman de Renart, traduisant l'ancestral dialogue du bien ct du mal, l'interminable luue de l'homme ('ontre l'homme. L'épopée impériale se ramène alors à un vaste sursaut dans l'Enfer. L'Epopée c'est David, l'Enfer c'est Goya el, conclut José Cabanis, «face au Sacre, Ü est bon de placer les Fu;>illades du 3 mai. Le 2 décembre 1804 mettait en marche cette mécanique parfaitement au point, ·figurée par Goya dans ces soldats aux lignes cubistes qui sont des automates dressés à tuer. DCtJant eu.~ qui tirent, le peuple mîneuwnt sacrifié s'aplatit et s'écroule tandis ql!.e la terre boit son. san.g.:. Claude Mettra

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LITT • • ATURE

.TRANG.RE

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John Barth L'Enfant-bouc Gallimard éd., 2 vol., 792 p.

Avant même de commehcer à parler de r Enfant-bouc, il convient de rendre hommage au traducteur, Maurice Rambaud, qui a entrepris, sur huit cents pages, une tâche démesurée: rendre en français une allégorie américaine où le langage joue un rôle peu commun, celui de désigner les hommes et les événements par un autre nom que le leur. S'il est relativement aisé de deviner que «l'émeute tranquille» désigne «la guerre froide» et si l'on ne doute 'pas que le «Grand Maître Enos Enoch» soit Jésus, il n'est que de comparer le texte anglais à celui de la version française pour discerner l'extraordinaire difficulté à laquelle s'est heurtée Rambaud. Lorsque John Barth dote son ordinateur tout-puissant d'un mécanisme d'auto-détermination dont les initiales forment le mot AIM (si~ification: but, objectif; connotation: volonté délibérée de parvenir à l'objectif), la version française adopte une terminologie différente qui aboutit au sigle AME. Ce n'~st là qu'un exemple entre des milliers. Ces observations pel'mettent déjà de. deviner partiellement en quoi consiste le propos de John Bartb. Dans une synthèse téméraire, il utilise des éléments de science-fiction pour décrire une société parallèle à la nôtre, mais qui se prolonge dans l'avenir, et un vocabulaire parallèle au nôtre pour dessiner les contours de ce monde «de l'autre côté du miroir ». Dans la mesure où il se situe dans le domaine de l'allégorie (expression d'une idée par une image), il incorpore son interprétation de l'histoire universelle à un tableau de runiversité américaine (encore faut-il préci. ser qu'un certain nombre de finesse échapperont au lecteur non américain qui n'est pas au fait des institutions typiques de l'enseignement supérieur aux EtatsUnis : rôle du Président, influence spirituelle du Fondateur de l'établissement, etc.) ; enfin, il se sert, pour parvenir à ses fins, d'une multitude de symboles (êtres ou choses qui représentent une abstraction; signes conven-

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Un son

Avant-garde U.S.A. tionnels agencés en système lisible). Grâce à cette pluralité de moyens, nous voici devant une sorte de cosmogonie théologique : le jeune héros a grandi jusqu'à son adolescence parmi les chèvres et se prend pour un jeune bouc, sous le nom de Billy. Après avoir eu la révélation de son humanité (par le viol et l'assassinat), il prend le nom de George et aborde le domaine de l'initiation. Convaincu de sa Dll8S10n de «Grand Maitre:. (Messie?) à l'égal de Jésus ou de Bouddha, il entreprendra de se mesurer à l'ordinateur qui régit le campus, dans un combat qui évoque, bien entendu, la geste du chevalier errant et changera de nom une fois encore - ce sera Giles, dont la vie nous est aussi contée dans un nouveau 4: Nouveau Syllabus ». On ignore à la fin de l'ouvrage quelle sera la fortune du «gilesianisme» au cours des siècles à venir. Ce shéma ne suffit pas à rendre compte de la complexité de l'œuvre. A vrai dire, ce qui pourrait être un passionnant roman peut-être même une œuvre de très grande importance - est quelque peu gâché par son aspect de roman à clef. Le lecteur est sans cesse en quête de significations. Certes, p. .n'est pas arrêté par la recherche des équivalences quand il s'agit du «campus oriental ~ et du «campus occidental », il n'empêche que l'on hésite un certain temps devant l'interprétation d'une expression telle que «Les Ultimes Epreuves.» qui désigne l'examen final, sans doute, mais dont le sens caché n'apparaît pas tout de suite. Tout cela n'est pas indispensable au lecteur qui cherche seulement à prendre son plaisir en savourant les aventures infiniment variées, cascadantes, pétulantes, rocambolesques de George.Giles et de ses amis, le docte professeur Max Spielman créateur et victime de l'ordinateur dévorant, la pétillante Anastasia dont la nymphomanie se veut philanthropique et un véritable zoo de personnages qui mêlent allègrement la politique internationale, l'érotisme, la mystique, la technologie et les revendications sociales en un ballet effréné d'idées tumultueuses. Inutile de dire que fi-

Peter Bichsel dèle à sa vocation de Grand-MaiLes Saisons tre-Bouc, le héros insiste plus parTrad. de l'allemand ticulièrement sur sa double mispar Mathilde Camhi sion érotique et religieuse. Gallimard éd., 164 p. Roman d'anticipation et roman d'aventures, livre à clef et conte «On distingue les escaliers extéphilosophique, truffé de thèses, de rieurs et les escaliers intérieurs prises de position d'où l'humour d'une maison, ceux-ci se réparn'est jamais absent, c'est ainsi que tissent en six groupes, soit : se présente cette curieuse œuvre d'avant-garde qui, au même titre r escalier principal que les romans plus convention- les escaliers secondaires nels dans leur facture porte té- r escalier de service moignage, avant tout, pour le nou- les escaliers dérobés (qui permettent de se rendre d'un étage à vel «american way of life» l'acr autre sans être vu) cès à une consommation qui a liquidé la société de pénurie mais les escaliers de Cave pose des problèmes spirituels escalier du grenier ou de la grange ». neufs, la scolarisati9n à outrance de la jeunesse au niveau univerCet extrait du second livre' de sitaire et même une certaine Bichsel situe le propos de l'auréaction contre la civilisation de . teur. TI est assez différent du prel'image. mier ouvrage, le Laitier. DifféS'éloignant des astres, désorrent, mais logique. Après une mais éteints, de la grande «géné- exploration de la texture de l'écrit ration perdue », les jeunes roman(étude qui portait sur la transforciers américains sont en route pour mation du regard en écriture, exporer des espaces inédits de la métamorphose qui change la vigalaxie Gutenberg. sion oculaire en signes noirs) PeMarc Saporta ter Bichsel met à l'épreuve les types de fonctionnement du récit, le concept de personnage, la virtualité opposée au constat, la notion d'affirmation, entre autres. TI y a. la répertoriation: folie de l'affirmation,. vertige de la précision mathématique. Obsession de la puissance scientifique. Le niveau 1, c'est la nomination - sur quoi se fondait le Laitier.. Le niveau II, c'est l'accumulation des éléments de base. Expériençe .à la Francis Ponge qui se transforme d'une manière qui rappelle à la fois Borges et Robbe-Grillet. Le parti des choses, le parti de la. mise à nu (non pas de la mariée mais de l'objet), s'inscrit dans le jeu du développement scriptural. Ici on rejoint aussi le jeu d'es peintres comme Mondrian ou Vasarely. Juxtaposition d'éléments primaires. Raréfaction du signe. Goût pour l'expérimentation de composantes premières. Mais Peter Bichsel ne s'en tient pas là. Suivant sa propre logique il détermine des points de cristallisation qui vont lui servir de points exploratoires. TI s'attaque au problème des virtualités. L'élément le plus caractéristique sera le personnage Kieninger. Parce qu'il rejoint les notions traditionnelles du roman post.balzacien. C'est l'élément dont la position

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Poètes yougoslaves

étrange Miodrag Pavlovitch La voix sous la pierre Préf. et trad. du serbo-croate par Robert Marteau Coll. «Du monde entier:& Gallimard éd., 106 p. Vasko Popa Le ciel secondaire Préf. et trad. du serbo-croate par Alain Bosquet Coll. «Du monde entier :. Gallimard éd., 140 p.

ambiguë (entre Vienne son port d'attache et Tarragone son centre affectif) est parfaitement montrée à tous les niveaux. C'est le personnage sur qui pèse le soupçon. Il est parfaitement douteux, am· bigu, réactionnaire, à l'image de la pesanteur du roman de la Tra· dition. Il mélange tout, il est mé· langé par tout. Faut-il décrire un cendrier? Faut-il raconter son histoire? (Cf. l'histoire de l'arbre dans un roman de J.M.G. Le Clézio.) Faut· il raconter les amours du fabri· cant de cendriers ou la tension entre le regard du narrateur et l'objet? C'est la question que pose Bichsel. Il n'est pas le premier à la poser. Mais il la pose parfaitement. Et c'est fondamental. Pour le romancier d'aujourd'hui la pre· mière mesure à prendre c'est la destruction radicale du passé, de la tradition. Nathalie Sarraute, dans un entetien publié dans ce journal, avait raison de poser le problème de la littérature contem· poraine en ces termes. Bichsel donne des éléments de réponse. Des éléments très pero sonnels. Cela donne un livre qui rompt avec cette effroyable diarrhée verbale qu'on appelle production romanesque. C'est un livre qui lutte contre la marée noire des signes, cette littérature qui clapote entre Balzac et Bon· ne soirée. Le livre de Bichsel s'in· terroge sur le mot, ses limites, son fonctionnement dans le texte. Son pouvoir d'obscurité et son pouvoir de rupture. C'est pour' cela que son texte donne un son si étrange, une sorte de bruit proche du zéro du silence. Un bruit de table rase.

Jacques-Pierre Âmette La Q!!iiuaine Littéraire, du 1er

IIU

La Yougoslavie. Elle se trou· vait autrefois entre Byzance et les Barbares. Mais aujourd'hui? C'est peu de dire que le pays est un carrefour géographique, ethni· que, linguistique... Il y faudrait trop de qualificatifs. Encore se· rait-ce mince pour aborder la lecture de deux de ses meilleurs poètes; le patrimoine culturel dont ils sont l'extrême pointe ne se laisse pas définir simplement. L'intérêt que l'on porte à Vasko Popa et à Miodrag Pavlovitch tient justement beaucoup à la complexité et à l'ambiguïté du champ culturel au sein duquel ils cherchent à se définir. Dans sa préface à la Voix sous la pierre, envisageant le poète serbe comme slave et méditerranéen, Robert Marteau insiste: «A l échec historique de Byzance a été lié le sort des Serbes, et la chute de B"zance fut la fin d'un monde, une apocalypse qui a marqué dans sa chair et son âme le peuple serbe.:. On pourrait penser que l aspect catastrophique de son histoire amène chez lei! poètes une amertume fondamentale. Or, bien souvent chez Vasko Popa, le poème, allègrement absurde, semble-t-il, procède avec un humour bon enfant :

Il était une fois un bâillement Ennuyeux comme tous les bâillements Il paraîtrait qu'il dure encore. Il ne faut cependant pas se fier totalement au ton anodin du poète; ces poèmes sont loin d'être des divertissements légers et innocents. Plus d'un exemple serait nécessaire, mais ces poèmes ne se laissent ni résumer ni découper en citations. Il faudrait citer là le poème «Les voleurs de 15 juillet 1970

roses:t qui baigne dans une très belle atmosphère onirique; «Le gâteau de cendre ~ est au contraire un poème aux angles nets et durs, parfaitement conscient de son âpreté. Nous citerons l'un des jeux proposés par le Ciel se· condaire, jeux parfois dangereux où l'on peut, littéralement, pero dre la tête : Âu clou.

L'un fait le clou le second les tenailles Les autres sont les maîtres Les tenailles attrapent le clou par la tête Les dents et les mains s'en emparent Et tirent et tirent Pour l extraire du plancher D'ordinaire elles ne lui arrachent que la t.ête Dure besogne que d'extraire un clou Les maîtres alors disent Les tenailles ne valent rien Ils leur défoncent la mâchoire leur cassent les bras Et les jettent par la fenêtre

Un nOlLveau fait alors le clou Un nouveau les tenailles Les alLtres sont. les maîtres Ici l'objet du jeu ne peut qu'être à fonctionnement symbolique comme le voulaient les surréalistes, processus parodié d'un jeu beaucoup plus sérieux que le poème feint de laisser indéterminé. Vasko Popa ne ressemble guère à Miodrag Pavlovitch, mais s'ils ont un point commun, il est dans cette possibilité laissé au lecteur de choisir entre les différents niveaux de sens du poème.

Ils ont pillé, sans nous donner de viande ; nous avons sollicité de grandes libertés, mais nous n'avons reçu que le cadavre du roi, en dérision. Faut-il le dévorer? Pourquoi pas? Déjà nous avions pris sa place sur le trône! Sa chair était coriace comme une courroie et son foie noueux... Nous avions espéré une meilleure vie . sous les nouveaUx maîtres. h.

Qui parle ? Un chœur de chiens à Cnossos, semble-t-il. Mais (on songe aux dernières images du Fellini-Satyricon) qui dit que nous ne sommes pas aussi au vingtième siècle? La voix sous la pierre interroge passionnément l'histoire et les mythes, or ces poèmes n'ont rien de déclama· toire: les passions y sont égalisées sous un ton uni, et l'angoisse éventuelle cachée sous un humour noir. L'incertitude trouve son lieu absolu à Constantinople et le poème débouche alors en plein fantastique:

Mon nouveau m~n/.Stre me chuchota alors qu'il ne fallait pas que je me soucie trop des affaires de lEtat, lavais, paraît-il, omis de remarquer que l étais mort à deux heures de cheval de la ville, et il ajouta que je restais tout de même un hôte cher, qu'aux étages supérieurs des salles m'attendaient prêtes pour la nuit et le séjour dans lau-delà... Cnossos, Delphes, Byzance ou Constantinople... Le poète observe la succession des cycles de la civilisation et la question réitérée par le poème est celle-ci :

Un nouveau siècle de beauté naîtra-t·il du centre du néant, ou bie,~ les tapis sont-ils en secret dépliés pour accueillir d'étrangères tribus? Formant un rccueil aussi composé que Le ciel secondaire, La voix sous la pierre n'aboutit pas au terme de son voyage à travers l'histoire à une vue pessimiste sur le futur. Le poème final, inti· tulé «Pressentiment d'une nouvelle naissance », affiche non la certitude mais l'espoir de retrouver à laube finnocence. Vasko Popa et Miodrag Pavlovitch ont l'un et l'autre travaillé en collaboration étroite avec leur traducteur, et la qualité du texte français que nous présentent Alain Bosquet d'une part et Robert Marteau d'autre part, n'est pas pour peu dans notre intérêt pour les deux œuvres. Serge Fauchereau

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PoèDtes élizabéthains Poèmes élizabéthains

(1525-1650)

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trad. et présentés par Philippe de Rothschild Ed. bilingue Seghers.

Elizabeth, à Londres, en 1970, c'est surtout la salle centrale de cette magnifique exposition, the Elizabethan image à la Tate Gallery, qui groupe uniquement des portraits de gentilshommes et de dames peints de 1540 à 1620 autour de la Reine Elizabeth. La France a su aussi vivre ce renouveau élizabéthain grâce à l'édition bilingue des poètes métaphysiques et élizabéthains en général, un ensemble de textes choisis et traduits par un homme de goût qui n'a pas entendu faire œuvre universitaire, mais nous livrer sa propre moisson, son jeu de préférences au sein de foisonnement rigoureux et riche de signes et de gemmes que sont ces poèmes. On ne dira jamais assez le prix de ce travail pour faire connaître au grand public des .lecteurs ces auteurs trop souvent ignorés, tant pour le Français mê· me cultivé l'époque élizahéthaine s'identifie à Shakespeare. Or l'euphuisme des sonnets shakespeariens n'est qu'un moment, une va· riante de toutes les combinaisons possibles de signes dans un uni· vers qui sait garder ce désir des mots, cette érotique de l'écriture et déploie les fastes compliqués, hermétiques ou plurivoques d'une poésie baroque, aux arabesques bien tracées. Présentant chaque auteur par une notice brève où se résumcnt les événements les plus symptomatiques de sa carrière et de son œuvre, Philippe de Rotschild n'a pas surchar~é le lecteur d'informations érudites qui eussent étouffé le charme de ces textes, l'em.. sent accablé. Chacune de leurs lectures est au contraire une sur· prise, un salut nouveau, semblable à ce good-morrow, à ce bonjour de Donne, qui nous hèle au détour de la page. Et jamais la préciosité, le wit, l'euphuisme n'ont été aussi bien mis en valeur que dans cette confrontation, dans ce rendez-vous de textes hien éclairés. Jamais n'a été aussi perceptible l'ironie légère par laquclle

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un langage qui se complaît aux concetti, sait en même temps se moquer de lui·même. Il y a des textes où ce jeu de l'ironie culmine: To his coy mistress, à sa prude maîtresse par exemple, très célèbre, mais jamais épuisé, dans lequel Marvell sc décale par rapport à la convention de l'amour platonique.

Had we but worM enough, and tise This coyness, lady, were no crime. Hors monde et temps et leur régime Femme, être prude n'est point crime.' et atteint, dans lit deuxième strophe de ce poème ternaire dont la structure mime un syllogisme, les accents d'une énonciation charnel· le plus hardie que la Charogne de Baudelaire Thy beauty shall no more be lound; Nor in thy marble vault shall sound My echoing song; then worms shall try That long preserved virginity.

Ta beauté passée hors d:atteinte Sous le marbre tombal ma plainte A peine écho. Les vers ont eu Vierge sauve, ta vertu. Le mérite de cette édition est que les libertés prises par la traduction sont réglées par la très

alsee confrontation avec le texte anglais, immédiate. Dès lors se tisse tout un jeu de correspondances, où le métier de traducteur prend tout son sens de métier textile, de tissage : parvenant souvent à une qualité du français qui fait songer au baroque de Saint-Amant où aux méditations de Maurice Scève, où aux entrelacs subtils et sensuels· de la poésie de Louise Labbé, le traducteur a fait travailler une réserve de tropes, de tournures de thétorique, de figures sur le texte anglais, a pratiqué par eux une sorte d'alchimie qui révèle combien la traduction. peut être transmutation. La réussite générale de cette entreprise pose le problème de la stratégie, ou des stratégies de l'acte de traduire, surtout en poé· sie: ou bien l'on vise l'exactitude littérale, et l'on suit pas à pas la syntaxe du texte, mais c'est une utopie dans le cas de ces textes dont l'équivocité travaille souvent à quatre niveaux de lecturc pour un vers, ou bien l'on choisit de construire son texte français dans l'horizon d'une correspondance homogène à établir: asso· nance réussie ici, où la connota tion est souvent de tel ou tel baroque français, mais aussi pour· quoi pas, la surprise provient de la résonance, au détour d'un vers, d'Apollinairc ou de Mallarmé: un retour sur Ip. texte anglais éclai· re alors combien «modernes» ces poètes peuvent être parfois, plus prochc de G.M. Hopkins ou

de T.S. Eliot que les romantiques. C'est le mérite du texte français de viser cette adéquation essentielle qui vise, en deça, de sa littéralité immédiate, Une ressource du signe dont les correspondances avee sa propre langue et littérature se trouve enrichie du détour par le texte français et les correspondances qu'il excelle faire surgir dans la langue et la littérature française. Non seulement les éditions bi· lingues doivent se multiplier à l'exemple de celle-ci (et pas seulement pour la poésie, mais la littérature, la critique, les essais doi· vent maintenant recevoir cette facilité des éditeurs qui ont intérêt à faire des accords par.dessus les frontières) mais la pluralité des traductions doit venir «compléter» le poème de sa polyphonie, doit venir, de tous les axes de son rayonnement centripète, venir presser d'une question plurielle le signifiant du poème: ce livre fera date par le choix délibéré d'une écriture où l'on ne sc paic' pas de l'illusion d'une significa. tion unique, qu'il faudrait «ren· dre» dans l'autre code, mais où l'on vise plutôt à poser, d'un an· gle choisi, la possibilité d'un rap' port heureux du signifiant avec lui·même, éveillant dans le code des équivalences ou des corres· pondances, une écriture symboli. que dont la fidélité au texte ré· side dans sa fécondité rigoureuse, et dans le jeu de ses hardiesses.

Jean-Marie Benoist

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Un lieu magIque

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Marguerite Duras Abahn Sabana David Gallimard éd., ISO p.

C'est à nouveau dans un lieu magique, une sorte de Huis Clos où peut se déployer librement l'aspect de convertibilité de destins singuliers en une aventure universelle, que se joue la vie, ou plus exactement la survie des âmes mortes que sont Abahn, Sa· bana, David et l'autre Juif. A travers l'opacité des corps, c'est la transparence des êtres, leur possibilité de métamorphose, qui est constamment l'enjeu d'un dialogue dans lequel on retrouvera les éléments du passage significatif du JE au ON, du subjectif à l'intersubjectif tel que les manifestaient déjà les personnages interchangeables de Détruire, dit·elle. Pourtant, ce dernier livre se distingue de tous les autres récits de Marguerite Duras par l'importance que l'auteur accorde à rengagement politique. Comme le titre l'indique en effet, Abahn, Sabana et David représentent la condition juive dans le monde, aussi bien que la fascination de cette condition. Les personnag~s sont la marginalité douloureuse, l'exil perpétuel, l'interminable Odyssée «à travers les multiples J udées» des descendants de Moïse. L'action se situe aux environs d'une ville a p pel é e très symboliquement Staadt, qui est toutes les villes du monde où sévissent la malédiction et l'ostracisme. L'auteur a réussi à généraliser de manière remarquable la condition à la fois coupable, désespé. rée et pourtant secrètement souveraine de ces âmes errantes: elle leur oppose une autre généralité qui est le pouvoir oppresseur de Gringo (1) et des mar· chands, et assimile également la condition des Juifs à celle des Portugais exploités dans les chantiers de construction. Le récit peut se lire à deux niveaux différents : celui d'une aventure particulière, une longue nuit d'attente pour un Juif condamné à mort par Gringo et dont il a confié l'exécution à un de ses employés nom· mé David, accompagné de sa femme Sabana. L'arrivée d'un deuxième Juif

justifie le deuxième plan de lecture car ce dernier permet par son discours «l'accouchement» des consciences en présence, et par voie de conséquence, la «conver· sion» de David et de Sabana au sort de leur victime. Dans ces quatre personnages on pourra aussi reconnaître deux bourreaux et deux victimes dont les rôles sont interchangeables. Tous attendent, dans une maison isolée, entourée d'une immense forêt où des chiens hurlent à la mort comme le font les condam· nés eux-mêmes mais avec des cris sans voix. La forêt, ce sont aussi les autres hommes, en marche comme l'armée vengeresse de la forêt de Dunsinane, dans Macbeth, des milliers d'ombres se dirigeant vers le lieu du ma~acre, ,·ers «l'extermination» toujours recommencée des Juifs. «Depuis mine ans» les plaines du monde se couvrent de cadavres, les holocaustes «se succèdent enchaînés les uns aux autres par leurs frontières ». Au cours de cette longue nuit d'attente, c'est par l'infinie souf· france que Sabana «accomplit» au-delà d'elle-même dans et par la conscience des condamnés auxquels elle s'identifie, qu'elle dé· passera sa eondition individuelle pour assumer le mortel fardeau des. Juifs. Le jeune David, d'abord réfugié dans le sommeil (qui est aussi le sommeil de l'esprit et la peur de la mort) finira, lui aussi par céder, fasciné, à la «folie de douleur» que dissimulent les vi· sages clos des condamnés, afin d'unir son destin au leur.

La Q!!inzaine Littéraire, du 1 er au 15 juillet 1970

partie du récit l'impossibilité dans laquelle il se trouve de renoncer au monde et à ce qu'il aime (les chiens du Juif en l'occurrence) et d'accepter le non éblouissant, signe de la «conver·· sion radicale» de sa propre réalité. Ce st l'exemple de Sabana qui l'y mènera finalement. On pourrait dire que pour assumer la condition humaine, il faut devenir une âme morte. Dam une telle perspective tous les personnages paraissent en proie à un double vertige d' ide n t i té: d'abord celui qui naît de l'affron· tement de leur réalité individuel· le en face de la mort, et ensuite, celui de l'équivalence radicale de toute existence humaine devant les servitudes imposées par l'or· Il semble qu'une vie invisible, dre établi. Abahn, Sahana, Da· située au-delà de l'attente et de vid et le Juif ne savent plus qui iJs la patience devenue inutiles, aI- sont, parce que chacun d'eux re· mante irrésistiblement David et prend à son compte une forlIIe de Sabana vers leurs victimes. Com· martyre universel: cellli de l'op. me elles, ils désirent tout oublier, pression vécue dans la chair et le travail, le savoir, l'argent, la subie par l'esprit. S'il demeure douceur illusoire des liens amou- une possibilité rle lihération, elle reux. Sabana peut maintenant réside dans la seule atteIlte de la abandonner David, renoncer à cet DlOrt et non dans l'espoir d'un amour et dire: «J e serai tuée sens à découvrir dans l'ex istence. Il est possib le que le lecteur avec ce Juif », avec celui qui parlait de liberté et de destruction. se sente quelque peu rlérouté par Elle pourra sombrer pour revi- le début du livre rle Marguerite vre, renoncer au monde et choi- Duras: cela provient du fait que sir la mort. Ce renoncement im- l'auteur inscrit très tôt la dimen· plique son passage dans nn or- sion de convertibilité fies persondre différent qui est celui de la nages dans son histoire. Les quatre êtres en présence OIlt des illenrévolte; assumer la condition des lités délibéren·lent brou illées et Juifs c'est se choisir «autre », et l'on peut les voir conlll1e les qua'" assumer la tragique souveraineté tre visages d'une seule ·et même des «invisibles montagnes de douleur» qui hantent les cons-, conscience, d'un seul être humain, à la fois bourreau et victime, pris ciences aliénées. entre le feu de l'amour et la glaComme dans Détruire, dit-elle, on retrouve ici le pouvoir d'enli- ce de. la mort, oscillant sans ces· sement réciproque des regards et se entre la séduction du sommeil la toute-puissance du désir. Ce et celle de la lucidité tragique. Tout l'art de l'auteur consiste dernier n'est plus seulement d'or· dre érotique et la fascination ::;e à nous entraîner dans ce vertige dispense ici du viol des corps pour qui est en apparence particulier, atteindre les consciences.· La sé· mais en réalité universel. Ce verduction porte sur l'être de l'au- tige c'est celui d'une remise en question de l'engagement de tre dans sa totalité, et dan:> le l'homme. cas de Sabana· il s'agit pluti,t dll Derrière le contrepoint subtil désir de la «souffrance entière» de ces êtres qui sont des présenque manifeste le Juif en tant qllC ce-absence, l'auteur nous convie à eorps et que. conscience tragiqùe un au·delà de nous-mêmes dans de sa condition. Le «ravissement» du je par lequel nous ne pouvons manquer de nousreconnaîtrc. le on, c'est la conquête ultime Anne Fabre-Luce que peut réaliser un être sur le sommeil, l'oubli, l'ignorance. Le 1. Gringo: Appellation péjorative sommeil du jeune David exprime que les Mexicains donnent aux Améprécisément pendant to.ute une ricains du Nord.

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BISTOIRE

Partni les hotntnes

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François Nérault

Le pont de Recouvrance Mercure de France éd., 20} p.

Les Vigiles des eaux, voici deux ans, avaient surpris. De longues descriptions de régions maritimes, ou de mer, ou de terres marécageuses, l'absence de personnages, si ce n'est anonymes, enclos dans un nous qui permettait de raconter une «action» en délaissant l'individualité psychologique (mobiles, attitudes et, comportement de chacun, fondus dans une grisaille créatrice de tristesse et de dérision), cela donnait à ce premier livre une grandeur un peu froide, à laquelle le ton très mesuré ajoutait ses propres distances. Ainsi naissait, d'un regard net où la tendresse pourtant se laissait deviner, une poésie assez lointaine, une poésie de climat, d'espaces à la fois secrets et vastes, d'images enfin, dont la nudité découvrait les richesses. Si, avec le Pont de Recouvrance, François Nérault déçoit un peu, c'est sans doute qu'il a voulu, courageusement, ne pas rester tout à fait, dans sa «ligne ». et .-edescendre en quelque sorte parmi les hommes. Un couple se i1éfait, un enfant se lie aver le viellx gardien d'armes de guen'e ahallllonnées, l'ancien élève d'lIl1 lY('ée y vient faire un « pèlerinage» qui tourne court, la fantaisie (011 le sailisme) d'un condu<:teHl' eH i Ild i"ertement la cause d'un a(',('ident. Ces récits, où se retrouve ,railleurs le ton neutre, pareollru seulement de l'intérieur par l'émotion ou par l'ironie, des V igilps d(',~ eaux, s'organisent autour d'un événement simple, mais où le souvenir, l'amour, la cruauté, viennent mettre un peu de désordre (l'ordre du récit), une coloration plus violente, avant que la vie quotidienne, en silence, raccorde les fils épars de la réalité. D'autres récits du même recueil, cependant, sont' étranges ct moins définissables. Visions d'existence antérieure, de pays perdu, comme celle de cette gare où les trains passent trop vite ou trop lentement mais ne s'arrêtent généralement pas, et oit un jour se pré-

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I.ITTfI RAIRE

Entretien

siècle. Qu'espérer d'un critique dont le pre mie r soin est d'expulser Rimbaud, les surréalistes, le nouveau roman et la nouvelle critique? Alors, on ausculte le gros ,livre, on le flaire, on tourne les premières Il commence par m'entrepren- pages, on feuillette et c'est le dre sur Marcel Proust: est-ce ravissement. On comprend en même temps que je l'ai lu et est·ce que je l'aime? «Ah, dit·il avec soula· l'invocation à Proust. C'est qu'à gement, vous êtes d'un bon cru. se promener dans ses souveIl paraît que les jeunes gens ne nirs, Jean Pommier adopte na· le lisent plus D. Pauvres jeunes turellement l'allure de Proust. gens, et qui écrivent si mal, de même si la phrase est plus surcroît, dans une langue tara· brève, moins chargée. même si biscotée. Jean Pommier, lui, a le monde des ténèbres et de horreur de l'obscurité. Il ne. l'indicible n'y est désigné que tolère, dans cet ordre, que d'assez loin. Mais c'est la mê· Mallarmé mais les autres, il me exaltation, cette même lules rejette passionnément. cc Et mière de soleil dans la brume pourtant, je vois des gens si qui est celle de la mémoire et intelligents qui se vouent à dans les transparences de lal'hermétisme. Comment l'expli- quelle tremble, au lieu de Com· quer? Il s'agit, pour moi, d'un bray, cette ville de Niort, endormie dans sa fin de dix·neu· autre univers mental. D sente une locomotive vide, avec vième siècle, quand Jean PomVoilà les couleurs annoncées son tender, ne remorquant aucun et elles sont franches. Jean mier, fils du receveur principal train, bizarrement gracieuse et , Pommier. critique illustre, suc· des postes, partageait son ensilencieuse, et qui, conduite par cesseur de Valéry au Collège fance entre le songe et l'étude. personne, passe et s'éloigne maL'étrange est que ce livre de France, âgé aujourd'hui de jestueusement vers la campagne. soixante·dix·sept ans, est un désuet est d'un ton fort mo· homme d'un autre âge, du derne, et tant pis si Jean PomEtrange aussi la visite de ce moins il se donne pour tel. Les mier ne nous pardonne pas de phare désaffecté, transformé en phares qui l'illuminent sont ins- le dire. Dédaigneux de toute maison d'habitation, et celle tallés sur les rivages du siècle chronologie, il se promène, d'une institution où les élèves, passé: Sainte·Beuve et Lanson, avec de fausses paresses, à garçons et filles de seize à dix· ses deux modèles, Chateau- l'intérieur de son âme,. Cet huit ans, n'apprennent qu'à rêver, briand, Balzac, Flaubert, Renan écrivain classique est un roleurs cinq sens constamment « solsurtout. Plus près de nous, il mantique. Ce positiviste aime licités» par une mi~e en scène accepte les hommes qui chemi· la tendresse du souvenir et il ingénieuse ou la perception minunent sur la voie royale du clas- cède à toutes ses rêveries. tieuse de la nature. sicisme: Proust, Valéry, Gide, « Qui nous donnera, disait Charmais rien au-delà. Rimbaud le les du Bos, un journal des exal· Là encore, si l'idée séduit, si le harasse à force de complica· tations de l'âme?» Jean Pom· détachement du ton intrigue, si tions. Les surréalistes, ils n'en mier place cette phrase en épil'écriture promène sur le récit son veut rien connaître. Il a fait graphe. Elle dit superbement classicisme subtil, on n'éprouve une expédition chez Robbe-Gril· son dessein. pas exactement cette impression Le modernisme est surtout let et il s'est' replié à toute de déploiement de forces que donallure, en bon ordre. Michel ailleurs. Rien n'est émouvant naient, compactes, massives, presButor? cc Oui, celui·là est un comme le mariage entre Jean que souveraines, les nouvelles des peu plus cultivé D. Pommier a Pommier et les livres. On songe Vigiles des eaux. Avec le Pont de entendu une de ses conféren· à Mallarmé, à Valéry ou même Recouvrance, François Nérault a ces: cc Ce n'était pas très dis- à un homme comme Jorge Luis peut·être voulu manipuler, dans tingué, mais c'est un homme Borges, qu'il a probablement en d'autres registres, d'autres cordes qui a lu.» détestation. La frontière s'efaux résonances plus «personnel. La conséquence est que l'on face entre la vie réelle de l'aules », mais moins originalea. De pénètre ,dans son 1ivre avec teur et celle des livres qu'il toute façon, on est en présence des prudences de chat. De ce aime. d'un talent exceptionnel, où le JI a été conçu en mars 1893. «spectacle intérieur» qu'il lirêve poursuivi, avec une amertuvre aujourd'hui, et qui est celui tandis que Zola faisait repréme moins glaciale qu'il n'y pa· de ses pensées, de ses lectu· senter une Page d'Amour à raît, offre au lecteur qui y con· res, de ses rêves, que peut·on l'Odéon. Son grand·père est né sent de singuliers et rares bonattendre? Il avoue lui-même en 1827, l'année du Cromwell heurs. qu'il a cessé d'engranger à de Victor Hugo et ce grand·père l'âge de cinquante ans et toute ressemblait au vieil adjudant de Lionel Mirisch sa culture date du début du Vigny dans la Veillée de VinJean Pommier Le spectacle intérieur Dossier des Lettres Nouvelles Denoël éd., 418 p.

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avec Jean Pommier cennes. Où est la réa 1 i t é et l'imaginaire? Bien souvent, c'est la littérature qui l'emporte sur le réel. D'année en année, de passion en passion, un tissu de littérature se trame, dans lequel s'encoconne la vie apparente de Jean Pommier. La littérature l'a presque expulsé de sa propre vie, sa vie est devenue un interminable livre, une bibl iothèque de Babel. S'il parle de ses années de préparation à Louis-le-Grand, en 1910-1912, il n'en retient que ceci: " Période de grand travail pour Marcel Proust ". Immenses entrelacs de la vie et des livres, du présent, du passé, de l'avenir. Jean Pommier est le contemporain de tous les écrivains qu'il aime. Enfant, il s'asseyait sur les genoux de Victor Hugo, il se rappelle très bien la barbe dure sur sa joue. Au lycée de Niort, Platon lui enseigne l'histoire naturelle. Rue de la Sorbonne, il a rencontré Dante occupé à " draguer" (il va sans dire que le langage de Pommier est plus raffiné: (( Dante, dit-il, occupé à humer le sillage d'une belle adolescente ») et à Digne, en' 1952, il a croisé Arthur Rimbaud. J. P. - Oui, les livres, les mots, leur arrangement, tout cela est très important pour moi. Je suis un anxieux essentiel, comme l'était ma mère. Le déterminisme m'apparaît tou· jours comme un miracle. Il suffirait d'un rien pour que l'ordre des choses se défasse. Alors, il est possible que les mots, leur rigueur, l'ordre qui les soutient constituent une sorte de défense contre le chaos.

G. L. - Vous faites souvent allusion à votre âge. Vous acceptez qu'une coupure s'est produite pour vous, vers cino quante ans, après quoi vous n'avez plus accompagné le mouvement intellectuel. Ce décrochage, ,vous l'attribuez à une dimension de votre esprit ou bien à une sorte d'accélération de l'histoire? J. P. - Bien sûr, c'est ce que je me dis. Je pense que la guerre a tracé un sillon profond, impossible à combler. Mais, vous savez, à la bataille

d'Hernani, c'est aussi ce que pensaient les «perruques D. Au fond, j'ai cessé de lire vers cinquante ans, pour me contenter de relire et aujourd'hui, eh bien, je relis de ,moins en moins, et ce qui est affreux, voyez-vous, c'est que ça ne me manque même pas.

G. L. - Ces confidences sont dites avec une espèce de sérénité. Un peu d'ironie éclaire le regard, cette même ironie élégante et désabusée qui circule dans les pages du livre, mais comment ne pas sentir, dans le même temps, le pathétique d'un pareil aveu, chez cet homme qui se sent en exil dans son propre siècle et qui, sans se détacher de sa passion essentielle, la lecture, découvre aujourd'hui qu'il peut se passer de toute lecture?

pèce de moue. Il serait malséant d'insister. Mieux vaut se reporter au livre lui-même: «L'auteur, y est-il dit, sait à quoi. l'on s'expose, sous le régime de la librairie et de la presse et dans les mœurs qui sont les nôtres, quand on ose sur certaines questions une opinion indépendante.» Je m'emploie à remettre l'entretien sur ses rails. Freud formera un appât excellent.

J. P. - Je suis toujours resté un provincial. Quand je suis arrivé à Paris, pour poursuivre ' mes études, j'ai été ébloui par les Parisiens. Ils avaient tout lu, ils avaient une sorte de grâce. Je me suis mis à lire, mais je crois que je n'ai jamais vraiment rattrapé le retard. Les questions qui m'obsèdent ne se Moi·même en paysan breton posent plus guère aux hommes (Photo extraite de l/ouvrage) de 1970! Chaque année, j'ai la conviction que le cercle de mes compagnons va se restreignant, J. P. - Ah, Freud, ce qu'il comme si la loi des généra- a pu dire comme bêtises, quand tions était sans appel. il a parlé des rêves! Entendez· moi bien, Freud est un génie G. L. - Tout votre livre ne - moindre que Jung, du reste parle qùe de littérature, votre - mais, il l'avoue lui-même, il vie aussi, et pourtant vous dites ne rêvait pas. Il déchiffrait les dans votre préface: « Ma, vraie rêves de ses patients. Moi, j'ai notice serait-elle?: Penseur procédé au contraire. Dans ce politique et religieux. Violon livre, vous trouverez cinquante d'Ingres: la littérature." rêves. Ce sont les miens et je m'astreins à les noter dès mon J. P. - Oui, je le dis avec réveil car rien ne se dissout un peu d'humour, mais il est aussi vite que leur souvenir. Et vrai que la politique est ma ce que j'y lis n'a aucun rapport vraie passion. avec ce que ----dit Freud. Je ne crois pas qu'il y ait une couG. L. - Vous la dissimulez pure radicale entre le rêve et soigneusement. la veille. Il y a unité essentielle dé la vie mentale. Quant au J. P. - Comment voulez-vous système freudien, que voulezque j'exprime les idées que vous, des quatre éléments qui j'ai sur ce point? le fondent - l'érotisme, le déG. L. - Il y a donc des inter- guisement, la censure et le rôle fondateur de 1'âge infandits? tile - , il n'en est pas un seul Pas dé réponse. Les lèvres qui apparaisse dans les rêves se gonflent, fabriquent une es- que je relate. Alors...

la Q.!!bazaine Littéraire, du 1er au 15 juillet 1970

Ici, Jean Pommier s'interrompt. Il entame un autre dIscours, qui porte sur la religion, il adjure les laïques d'admettre que l'enseignement religieux ne devrait pas être abandonné aux religieux. Les laïques ont été bien naïfs de se laisser exclure du domaine de l'histoire religieuse, ca: seules, les méthodes rigoureuses de la science historique devraient être appliquées à l'étude des religions, des grands textes sacrés. Le ton monte, les lèvres gonflent, et puis, voici la bonace, nous revenons au calme. Un instant, seulement, .car un nouveau tra· vers de l'esprit moderne, par je ne sais quel détour, se présente dans le collimateur de Jean Pommier: J. P. - Et cette manie de découvrir, dans les écrivains du passé ou dans les événements du passé, des aspects modernes! On admire telle œuvre parce qu'elle préfigure le siècle. Quelle sottise! On actualise l'histoire. Mais, c'est absurde! Le propre de l'histoire, c'est précisément qu'elle est close dans le passé, que, ses événements ne peuvent pas être transportés à travers les siècles...

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Tel se dessine, à gros points, le portrait d'un homme qui se peint lui-même comme retardataire. «Un fossile", a-t-il dit, mais ce fossile est singulièrement vivant, emporté, vif, chaleureux, plein de malice. Ces notes ne sauraient pourtant rendre compte du charme profond de ce «spectacle intérieur ». Quelque part, Jean Pommier cite l'épitaphe de Henri Heine: « Il aima les roses de la Brenta ", C'est ainsi qu'il faudrait parIer de ce livre. Sous le discours passionné. brillant, qui couvre trois quarts de siècle, ce que l'on ai)ne à retenir, ce sont quelques images brèves et déjà disparues: la silhouette de Valéry devant le Coll è g e de France, le repas pris avec Honoré de Balzac, dans une auberge de Saint-Pierre-d'Oléron, une conversation avec Mérimée, dans la salle d'attente d'un dentiste, et tout le reste est littérature. Gilles Lapouge

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Le destin posthume SI, en 1946, le centenaire de la naissance d'Isidore Ducasse a suscité peu de commentaires, en revanche le centenaire de sa mort, qui tombe en 1970, donne lieu à de nouvelles études biographiques (à propos d'une vie dont on ne savait pas grand-chose) et au réexamen d'une œuvre sur laquelle on a formulé les jugements les plus contradictoires. Comme on le sait, l'auteur des Chants de Maldoror n'était un inconnu ni pour Remy de Gourmont ni pour Léon Bloy ni, en général, pour les Symbolistes. Pourtant, ce sont les Belges qui, en 1885, avaient les premiers découvert Lautréamont, et l'avaient fait connaître à leurs amis français. Cette découverte n'avait pas passé le cercle des poètes et de quelques fervents admirateurs. En 1914, Valery Larbaud tente à nouveau de ressusciter l'auteur des Chants, sans grand succès. Il faut attendre le lendemain de la guerre et la publication, en 1919, des Poésies (que connaissait Remy de Gourmont) par André Breton dans .. Littérature .. pour que commence le plus extraordinaire destin posthume d'un poète. Lautréamont devient le .. dieu • des surréalistes, le «seul" qui n'ait pas laissé .. une trace équivoque de son passage ". Il incarne pour. Breton et ses amis la révolte absolue et, non content d'avoir été l'initiateur de toute la poésie moderne, il annonce une libération de l'homme entier. Le .. terrorisme.. surréaliste a pesé durant vingt-cinq ans sur tous les critiques qui se sont occupés de Lautréamont et qui, négligeant l'étude de l'œuvre, ont vigoureusement réagi pour ou contre. Pour d'aucuns, Isidore Ducasse était simplement fou ". Pour d'autres, il était un .. génié •. Pour d'autres, enfin, un fou génial... Et peu importait, bien entendu, sa· biographie: suivant les auteurs, les dates de sa naissance et de sa mort variaient entre 1846-50 et 1870-74. Tout ce qu'on savait était qu'il était mort très jeuné. Une étape importante dans la connaissance de Lautréamont a été franchie après cette guerre, avec I.es études de Gaston Bachelard (Lautréamont, Corti, 1939 et 1956), Marcel Jean et , Arpad Mezei (Maldoror, le Pavois, 1947, et Nizet, 1959), Mauft

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rice Blanchot (Lautréamont et Sade, Ed. de Minuit, 1949), Maurice Sail let (Les Inventeurs de Lautréamont, .. Les Lettres Nouvelles., 1954, Notes pour une Vie d'Isidore Ducasse et de ses écrits, dans Isidore Ducasse: Œuvres complètes, le Livre de poche, 1963), Georges Goldfayn et Gérard Legrand (Poésies d'Isidore Ducasse, édition commentée, le Terrain Vague, 1960), Marcelin Pleynet (Lautréamont par lui-même, Ed. du Seuil, 1967). Il est nécessaire de se reporter à toutes ces études qui, entreprises de points de vue divers, présentent autant de courants d'une critique qui prend en~in ses légitimes distances envers un auteur et qui permet de mieux cerner une figure malgré tout énigmatique. L'ouvrage de François Caradec: Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, qui vient de paraître à la Table Ronde. et dont rend compte ici même Marcel Jean, apporte de nouveaux et précieux renseignements sur la vie d'Isid,ore Ducasse. La préface qu'a consacrée Pierre-Olivier Walzer. à la réédition des Œuvres complètès dans la Bibliothèque de la Pléïade constitue un bref mais remarquable .. état de la question -. Il faut signaler enfin, brièvement parce qu'il vient seulement de nous parvenir, le mémoire d'un universitaire belge: Frans de Haes, Images de Lautréamont (Duculot, à Gembloux, Belgique), qui reprend la question Lautréamont depuis ses origines (tant au point de vue de la biographie qu'à celui des commentaires sur l'œuvre) et qui joint à une information visiblement complète une judicieuse liberté d'esprit à l'égard des admirateurs fanatiques d'Isidore Ducasse comme à l'égard de ses détracteurs. C'est à une étude sans préjugés de l'œuvre qu'il nous convie, et c'est bien dan~ ce sens que semble aller une critique qui désormais et de plus en plus entend s'en tenir aux textes. Lautréamont a été jusqu'à présent un extraordinaire révélateur de tous ceux - écoles, courants, groupes, individualités qui ont voulu percer les intentions secrètes d'un poète qui, dans notre littérature, fait figure d'aérolithe. Il serait peut-être temps de substituer à ce qu'il a .. voulu dire ., ce qu'il .. a dit" en effet.

Principales dates de la vie d'Isidore Ducasse 1846. - Naissance, à Montevideo (Uruguay), le 4 avril, d'Isidore-Lucien Ducasse, fils de François Ducasse, commis-chancelier au consulat général de France, et de Jacquette Davezac (probablement servante des Ducasse, à Tarbes, avant qu'ils s'expatrient). 1847, 16 novembre. - Isidore est baptisé (dix-neuf mois après sa naissance) en l'église métropolitaine de Montevideo. Décembre, mort de la mère. Certains pensent qu'elle se serait suicidée. 1859 -1865. - Isidore, envoyé en France pour ses études, est interne au lycée de Tarbes, puis élève au lycée de Pau. Ses résultats scolaires sont médiocres. Certains de ses condisciples seront les dédicataires des Poésies. 1865 -1867. - On perd la trace d'Isidore. Ducasse. Le 25 mai 1867, il retourne à Montevideo (François Caradec). AüClébut de l'automne, il est à Paris, 23,,, rue Notre. Dame-des-Victoire.s. Il y écrit le premier des Chants

de Maldoror, entretenu par son père qu'il a probablement convaincu de l'aider à faire une carrière littéraire. 1868. - Impression et mise en vente du Chant l, qui ne porte pas de nom d'auteur. Il l'adresse aux Conèours poétiques de Bordeaux. 1869. - Isidore Ducasse remet à l'éditeur Albert Lacroix le manuscrit complet des six Chants. Lacroix l'imprime à (Bruxelles), mais en suspend la distribution. 1870 - Isidore Ducasse, qui habite 15, rue Vivienne, écrit à son banquier pour lui ànnoncer qu'il. a .. comp1ètement changé de méthode Jt et qu'il est décidé désormais à .. ne chanter exclusivement que l'espoir, l~espé­ rance, le calme, le bonheur, le devoir •. En avril paraît un premier fascicule de Poésies, le second en Juin. JI meurt le 24 novembre dans son nouveau domicile, 7, faubourg Montmartre. 1874. - Mise en vente des Chants de Maldoror, Imprimés en 1869, par un libraire bruxellois. Succès nul.


d'Isidore Ducasse cussion porte encore sur l'inventaire des sources tant littéraires que biographiques. Tout ou presque a été dit, le vraisemblable et le moins vrai, le proche et le lointain, le certain et l'imaginaire. Si bien que le foisonnement quelquefois artificiel du commentaire a fini par dissimuler le flam· boicment de l'édifice dans son fantastique éclairage.

Gravure exécutée de mémoire par un Uruguayen d'après la photographie perdue d'Isidore Ducasse

Lautréamont Œuvres complètes Introd. et notes par P.O. Walzer Bi~liothèque de la Pléiade Gallimard, éd.

Si même elle ne semble - heureusement, pourrait-on dire - rien apporter qui soit absolument neuf, l'introduction de P.O. Wa 1z e r à l'édition des Œuvres de Lautréamont dans la Pléïade constitue un document remarquable, tant par son ampleur (l'auteur a effectivement pris connaissance de tout ce qui a été écrit à propos de Lautréamont) que par le très sérieux examen des diverses hypothèses déjà émises et des commentaires qui les ont accompagnées. Point d'interprétations - justifiées ou pas - point de variantes qui ne soient ici confrontées au texte de Lautréamont lui-même. Une analyse aussi serrée et pertinente rend à l'œuvre son « incomparable» éclat, cette soudaine incandescence qui la vit, en même temps, paraître et disparaître, laissant dans cette retombé~ dans le silence ce que Léon Bloy appela «la trace calcinée d'un grand poète~_ Personne aujourd'hui ne songe plus à mettre en doute l'importance capitale de l'œuvre de Lautréamont, l'énergie singulière qu'elle porte avec elle, l'évidence de son caractère agressif. La dis-

Ce sera justement le mérite de l'étude de P.O. Walzer que de remettre à son rang, qui peut.être est secondaire, ce problème dcs sources. D'autant plus que, par dérision, Lautréamont a lui-même laissé un certain nombre de repères visibles. Nous connaissons ses lectures et la production littéraires qui lui fut contemporaine, découverte certes nécessaire et utile,. insuffisante cependant à ouvrir la perspective infinie d'une œuvre, au sens propre, boulever· sante. Après Remy de Gourmont qui, le premier, entrevoit la véritable originalité de l'œuvre, il revient à Maurice Blanchot, P.O. Walzer le rappelle, dc mettre à nu, à sa vraie place, ce .leu insensé d'écrire, révélé par Maldoror et les Poésies: «Son imagination est environnée de livres, écrit Maurice Blanchot. Et cependant, aussi éloignée que possible d'être livresque, cette imagination ne semble [lasser par les livres que pour rejoindre les grandes constellations dont les œuvres gardent l'influence, faisceaux d'imagination imperso1Ulelle que nul volume d'auteur ne peut immobiliser ni confisquer à son profit., Il est frappant que Lautréamont, même s'il suit le courant de son siècle, même lorsqu'il en arbore, avec l'insolence de la jeunesse, les partis pris et les passions de circonstance, exaltation du mal, gOlÎt du macabre, défi luciférien, sans doute ne fait pas mentir ces sources, mais, en même temps, semble hanté par toutes les grandes œuvres de tous les siècles et finalement apparaît errant dans un monde fiction où, formés par tous et destinés à tous, se rejoignent et se confirment les rêves vagues des religi01u et des mythologies sans mémoire.» Introduire ainsi Maldoror dans ce siècle, c'était prendre une responsabilité terrible, que la postérité vient tout juste de pouvoir mesurer. C'était par la violence du

.... Q!!'nu'nc LittéraiJ:'e, du litt au 15 juillet 1970

discours transgresser la loi, toute loi, y compris celle du discours. A ces lignes définitives, on peut ajoutcr l'accessoire, et par exem· pIe, retenir l'influence certaine du roman noir qui commença à se faire sentir dès lc début du siè· cle. D'Eugène Sue à Anne Radcliffe, la fiction romanesque introduit en littérature un monde fantomatique, irréel, disait-on à l'époque, qui côtoie le monde réel sans pourtant se mêler à lui et quc le lect.eur est invité à contempler à travers la vitre du récit. de la même façon quc Jc spectateur pcut, à travers sa fenêtrc, suivre sans danger le spectacle du dehors... Du roman noir, Lautréamont a saisi le s"cns profond pour le bouleverser aussitôt. L'irrationnel ne côtoie plus ici la réalité, il la pénètre et aussitôt la menace. D'un monde à l'autre, la communication est établie. Le revers des chose;;, celui du monde mental, est à présent sensible et les monstres de Maldoror menacent «naturellement» l'ordre établi, familial et social, ainsi que le montrc, parmi d'autres épisodes, l'enlèvement de Mervyn. Cc ne devrait plus être une sur· prisc pour quiconque que de constater l'aveuglement des con· temporains devant une irruption aussi soudaine, une métamorphose aussi absolue, une transgression aussi radicale. Cc sont là spectaclcs qu'on ne peut sans danger supporter, et chacun doit aujourd'hui admettre, sans risquer de se tromper, qu'il en aurait été de même si la diffusion de l'œuvre de Lautréamont avait à l'époque été plus étendue. Aucune société ne peut tolérer qu'on dise «au mal» ce que tant de siècles, auparavant, avaient dit « au bien ». Après Baudelairc et avant Rimbaud, Lautréamont a été l'un de ces «agitateurs» qui, par leur activité, maintenue par force presqne clandestine, ont. révélé cet ébranlement profond de J'esprit qui a suivi la Révolution française. Leur destin est souvent bref et toujours solitaire. Précédant Lautréamont, un autre jeune homme, Evariste Galois, mort à vingt et un ans, en 1832, a, dans sa brusque apparition, manifesté aussi la permanence de ce cheminement soutenain. Il est frappant de suivre le parallélisme, en même temps que la brutalité, de ces deux destinées.

Mathématicien prodigieux et prophétique, révolutionnaire dans la rue et à l'université, Galois est oublié aussitôt que mort, déjà écarté de son vivant pour l'inso· lence de son intervention. Chez l'un comme chez l'autre, c'est la même colère impuissante. A « J'ai vu pendant toute ma vie, sans en excepter un seul, les hommes, aux épaules étroites, faire des actes stupides et nombreu~, abrutir leurs semblables, et pervertir les âmes par tous les moyens. Ils appellent les motifs de leurs actions: la gloire. En voyant ces spectacles, j'ai voulu rire comme les autres; mais cela, étrange imitation, était impossible », de Maldoror, répond une lettre de Galois: «De l'itlresse ! je suis dé· senchanté de tout, même de l'amour de la gloire. Comment un monde que je déteste pourrait.il me souiller ? » A propos des Poésies, dont André Breton souligna, en face de Maldnror, l'apparente contradiction, je vOllllrais eil terminant rappeler la remarque de Jean Paulhan. COllllllenlanl ('es retournements de langa~e. Dérontant le Sens de maximes hiell connues, Lautréamont donna d'une pensée f1éjil énoncée el hiell étahlie I.ne idée seeol\(le et souvent plus fertile. COlllme par exemple: «Si la morale de Clé0f!Ûtre avait été moins courte, la face de la terre aurait chanf{é: son nèz n'en serait pas devenu plus long» ou encore: «L'homme est un chêne. L'ullivers n'ell compte pas de plus robu,~te. Il ne fallt pas que l'univers s'arme pOlLr le défelldre. Une gOlLtte d'eau ne Sil fIit pas à sa préservation. » L'entreprise n'est pas simple palinodie et le jeu rien moins qu'inoffensif. Le second message imaginé par Lau· tréamont est tout aussi pressant que l'ori/!:ina1. Tout se passe comme s'il n'existait rien qui soit dé· finitivement incompréhensible. Tout est «pensable ». Une simple agitation de la phrase et la métamorphose de la pensée est absolue. On n'a plus besoin de penser. Ce n'est pas là une des moindres audaces de l'inventeur des Poésies.

André Dalmas Le volume contient aussi, présentée par P.O. Walzer, l'œuvre complète de Germam Nouveau. sur laquelle nous reviendrons.

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Autour de Lautréamont Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, Œuvres complètes fac·similés des éditions originales présentées par Hubert Juin La Table Ronde. François Caradec Isidore Ducasse, comte de Lautréamont La Table Ronde, 264 p.

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Edouard Peyrouzet Vie de Lautréamont Grasset éd., 381 p.

Le centenaire de la naissance de Lautréamont est passé inaperçu en 1946. Il en est tout autrement du centenaire de sa mort: en cette année 1970, trois ouvrages viennent de paraître, consacrés au "Montévidéen ". On ne sait à peu près rien sur Isidore Ducasse - pas de portraits, pas de manuscrits, un ou deux comparses qui l'aperçurent ont tardivement rassemblé leurs souvenirs, on connaît son lieu de naissance, les lycées où il fit ses études, ses adresses parisiennes. Presque tout le reste est conjecture, y compris les causes de sa mort. De son vivant, personne n'a pour ainsi dire parlé de lui. Reste l'œuvre, qui a été ignorée pendant cinquante ans, qui est symbolique, et qu'on 'peut interpréter, avec tous les risques que cela comporte. Les renseignements se font plus nombreux à mesure qu'on s'éloigne du personnage. La figure de sa mère est obscure, celle de son père plus claire, on a pas mal de détails sur les collatéraux et les ascendants, on connaît un tas de choses sur les pays qu'il habita et les gens qu'il a pu fréquenter. Les biographies 3 "établissent " a 1.1 t our" du poète et non "sur" lui. On s'étonne dans ces conditions de trouver sur la couverture du livre au titre ambitieux: Vie de Lautréamont, de M. Peyrouzet, un " portrait" dont l'auteur, Félix Valotton, disait dans une lettre à André Breton le 2 avril 1921 : "C'est une création pure, faite sans aucun document ". Au n" 9 de la revue Minotaure, ce dessin est reproduit barré d'une croix (1). Il

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s'agit donc "d'une image de pure fantaisie" selon Valotton lui-même et non d'un "portrait présumé" comme le dit M. Peyrouzet. M. Pichon-Rivière, médecin psychiatre à Buenos-Aires, a été le premier à révéler, en 1946, la date de la mort de la mère de Ducasse, avec d'autres informations. Nous avons nousmême signalé ces données à deux reprises, en 1949 et 1950 (2) .' Chose curieuse, elles ont été négligées, voire tournées en dérision par la critique pendant plus de vingt ans. "Un amateur déterminé de sensationnel -, tel apparaît, encore aujourd'hui, M. PichonRivière pour M. Peyrouzet, ce qui n'empêche pas ce dernier de reproduire l'acte de décès (émanant d'une paroisse de Montevideo) dont le psychiatre

avait signalé qu'une copie existait dans les archives de la famille Ducasse, acte qui indique bien que Célestine-Jacquette Davezac, la mère du poète, est morte le 10 décembre 1847 (en réalité le 9), un après la naissance de son fils. Le "sensationnel" pour M. Peyrouzet, c'est sa",s doute que M. PichonRivière croie au suicide de cette femme, en se fondant sur quelques i n d i ces troublants (ainsi, on n'a jamais retrouvé sa sépulture alors que la tombe de son mari existe) et sur une tradition des familiers, qu'on ne saurait écarter d'emblée, même si elle contredit la pièce indiquant que la défunte est morte "de mort naturelle" (à 26 ans) et qu'elle a reçu "sépulture ecclésiastique ". En effet, lorsque le suicide n'est pas public et qu'il s'agit d'étouffer

59, rue des Belles-Feuilles. Le 2 avril 1921.

Il 1l-tonsieur, * Le portrait de Lautréamont paru dans le Livre des Masques est une création pure, laite .'>ans aucun document, pef.'wnne, y compris de Gourmont, n'ayant sur le personnage la moindre lueur, cependant je sais qu'on chercha. C'esl donc une image de pure fantaisie, mais les circonslances onl fini par lui donner corp.<; el elle passe généralemenl pour vraisemblable. Agréez, Monsieur... Il

• Félix "ullotoll à André llreton.

un "scandale" qui rejaillirait sur des familles "honorablement connues ", il Y a toujours des arrangements avec le Ciel et un enterrement religieux est possible. Mais pour l'auteur de La vie de Lautréamont, "La cause est entendue ... ": Mme Ducasse ne s'est pas suicidée. Nous ne serons pas aussi affirmatifs. M. Peyrouzet ne décrit-li pas les conséquences funestes du siège de Montevideo, de 1843 à 1951, sur 1ecomportement affectif de la population, en particulier les femmes? Il nous in for me d'autre part, "donnée précieuse ", dit-il, qu'une nièce de Célestine-Jacquette serait morte folle et que l'un de ses grands-pères passa en Cour d'Assises, soupçonné d'assassinat. On sait enfin que cette femme fut épousée, enceinte de huit mois, devant le "digne ecclésiastique" qui baptisa le fils et peu après enterra la mère. "II faut bien avouer ", selon une autre formule de M. Peyrouzet qui ne recule jamais devant les expressions toutes faites, que sans être un maniaque du sensationnel on puisse imaginer l'état psychique de la mère d'Isidore comme précaire, et pouvant mener à une décision désespérée. La Vie de Lautréamont, qui se défend d'être une biographie conjecturale, fourmille de poinrs d'interrogations aussitôt transformés en certitudes, et de aisgressions qui gonflent une documentation fort mince, eu ~gard au titre de l'ouvrage. Dès les premières pages on nous conte les exploits du chirurgien Larrey à la bataille d'Eylau, et la biographie d'un certain Laporte, de Tarbes, " juriste éminent" et de plus " instrument du destin ", lequel destin s'exprime également "par la bouche de Célestine-Jacquette" (?) Enchevêtrées avec des citations des Chants de Maldoror, s'accumulent les références aux personnages les plus divers et les plus étrangers au sujet - André Lhote, Rachil· de, le conventionnel Barère, le frère de Mlle de La Vallière, Simone Weil, Stendhal... sans compter les inévitables Cocteau et Claudel (Cocteau et Claudel à propos de Lautréamont!) et tant d'autres parmi


lesquels • le perspicace Jean Cassou D déclarant que Lautréamont· est un écrivain • essentiellement français D, ce qui est bien le· comble du manque de perspicacité. Plus loin M. Peyrouzet décrit, sans preuve, la d'Isidore • prise en charge par des amis de son père à son arrivée au lycée de Tarbes, dont le proviseur est. le bon M. Patry D. Là-dessus, récit des aventures d'un médecin émigré à Mexico; compte rendu de l'ascension du ballon Zénith en 1875; histoire d'une famille, Le Dragon de Gomiécourt, dont un rejeton, Edmond, aurait été un de Ducasse; • inséparable portrait d'un abbé, Osmin Durosse, personnage. d'une grande dis tin c t ion D qui aurait flairé le drame de cette amitié (?) et éloigné le fils Gomiécourt. • L'amitié d'Edmond, gage d'espérance, est pour toujours tarie D. Et voilà pourquoi, dans une strophe des Chants, Maldoror triomphe du • dragon» Espérance. Le curé Durosse serait-il Maldoror? Tout cela n'empêche pas M. Peyrouzet d'enfoncer chemin faisant des portes que nous ouvrÎmes il y a près de vingt-cinq ans et par lesquelles sont passés, depuis, pas mal de commentateurs: par exemple, Dieu comme représentant le père de l'auteur des Chants; l'expérience traumatisante de l'exil; le symbole récurrent de la spiraie; l'image du vol des étourneaux; le foyer du chancelier Ducasse inspirant les scènes sur le cercle familial; etc. (3) . N'accablons pas, cependant, M. Peyrouzet. Il a déniché quelques faits curieux et point négligeables dont une véritable biographie pourra tenir compte, après vérification. D

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D

On trouve dans l'étude de ·M. François Caradec les renseignements les plus utiles dont se sert de son côté M. Peyrouzet, avec, de surcroît, beaucoup d'apports originaux. Chez M. Caradec, l'historique, très complet, du siège de Montevideo, les aspects du pays tarbais, l'atmosphère du Paris de fin d'Empire, tout ce qui constitue la réalité d'époque des lieux qu'a traversés Isidore Ducasse est restitué par· les en'quêtes personnelles de l'auteur ou pal" I.a

~bu;aiDe Littéraire,

des extraits significatifs des écrivains du temps. Le style alerte de M. Caradec présente tous ces éléments avec une vivacité qui n'exclut jamais la clarté et la méthode, ni surtout le soin de ne rien avancer qui ne soit, en relation avec Ducasse, conséquent et prouvé. La presque totalité des travaux qui ont précédé est citée, hommage est rendu, en particulier, à M. Pichon-Rivière, de nouvelles lumières sont apportées et de judicieuses suggestions formulées tant sur les aspects critiques que sur des points de biographie; ainsi M . Caradec estime à juste titre que c'est seulement à propos des Chants de Maldoror qu'on devrait parler de • Lautréamont D, mais d'•.,Isidore Ducasse D pour les Poésies. Parfois, cependant, et bien qu'il se méfie terriblement du • délire d'interprétation D, le biographe interprète l'œuvre et non sans bonheur, proposant une hypothèse plausible au sujet des corrections dans les différentes versions du premier Cha n t et une traduction que nous croyons légitime de l'étonnante image des Poésies: .• le canard du doute aux lèvres de vermouth D. Mais il y aurait beaucoup d'autres aspects à signaler dans un travail que complètent les index, une bibliographie et des photographies de documents. Cependant, lacune étonnante (qu'on note aussi chez M. Peyrouzet) : parmi tant de références, on n'en trouve aucune concernant André Breton, dont le nom n'est jamais prononcé. On regrettera ce silence dans l'ouvrage de M. Caradec. M. Hubert Juin, cependant, termine sa préface à l'édition en fac-similé des Œuvres, qui nous assure enfin un accès aisé aux rarissimes éditions originales, par une citation du chef du Surréalisme, le vrai découvreur, en fait, de Lautréamont. Marcel Jean (1) Cf. revue Minotaure, n° 9, octo· bre 1936, • le Merveilleux contre le Mystère ", par André Breton. (2) Combat, 24 mars 1949: Genèse de la pensée moderne, Corréa 1950. (3) Maldoror, Ed. du Pavois 1947.

du 1" au 15 juillet 1970

Montevideo· A venida 18 de Julio . Ana 1865

Principales éditions des œuvres de Lautréamont ~890. -

Genonceaux. Comte de Lautréamont: les Chants de Maldoror. 1919. - Gabrie. Isidore Ducasse: Poésies 1 et Il. Note d'André Breton. 1920. La Sir è n e. Les Chants. Préface de Remy de Gourmont. Au Sans-Pareil. Les Poésies. Préface de Philippe Soupault. 1925. - Au Sans-Pareil. Les Chants. Avec cinq lettres de l'auteur. 1927. - Au sans-Pareil. Œuvres complètes. Et u d e, commentaire et notes de Philippe Soupault. 1938. - G.L.M. Œuvres complètes. Introduction par André Breton. Corti. Œuvres complètes. Etude d'Edmond Jaloux. 1946. - Corti. Œuvres complètes. Introduction par Roger Caillois. 1947. La Jeune Parque. Œuvres complètes. Etude de Julien Gracq.

1950. - Le Club français du Livre. Œuvres complètes. Introduction par Maurice Blanchot. 1953. - Corti. Œuvres com~ piètes. Avec les préfaces de Genonceaux, Gourmont, Jaloux, Breton, Soupault, Gracq, Caillois, Blanchot. 1960. Le Terrain Vague. Les Poésies, commentées par G. Goldfayn et G. Legrand. 1961. Mazenod. Chants, Poésies et Lettres. Note et postface de Jean Selz. 1963. Poche - Club. Les Chants. Préface de Jean Cocteau. Livre de Poche. Œuvres complètes. Etablissement dt! texte et étude de Maurice Saillet. 1967. - .Club Géant, Ed. de la Renaissance. Œuvres complètes. Préface, notes et variantes d'Hubert Juin. 1969. - Garnier-Flammarion. Œuvres complètes. Introduction par Marguerite Bonnet. .


Chinois d'antan Chen Fou

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Récit irune vie fugitit'e Traduit par J. Reclus Gallimard éd., 182 p.

Pou Song-Ling

Contes extraordinaires du Pavülon du loisir Traduction dirigée par Y. Hervouët Gallimard éd., 218 p. Ling Mong-tch'ou L'arrwllr de la renarde Traduit par André Lévy Gallimard éd., 292 p.

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m'efforce de communiquer une vie à rrwn pinceau, mais le résultat n'est que ce livre médiocre, fruit de ma désolation amère... je ne suis rien de plus qu'un oiseau terrifié par le gel de lhit'er, qui se serre contre larbre qui ne peut lui apporter aucune chaleur. je suis linsecte de lautomne, qui se plaint à la lune et se presse contre la porte pour se réch:auffer. Il me semble que les seuls qui me comprennent, ce sont les ombres, qui traversent les bois lorsque le soir tombe; et les lisières des forêts que recouvre la nuit. :. (préface aux Contes du Pavülon du loisir.)

c Quatre sujets de cont'ersation étaient bannis de" nos entretiens au Pavillon de Solitude et de Lumière: les prorrwtions et lIU,Itations de la gent mandarinale, les potins et faits difH>rs de lactualité administrative, les traditionnelles c 0 m p 0 sitions à huit branches des examens impériaux, et les jeux de cartes ou de dés. Le contrevenant s'engageait à payer une amende de Dans l'ancieune Chine, un homcinq livres de vin de riz. me de culture, même sans aveuir, En revanche, nolJ$ prisions sans fortune et sans puissance sotous quatre traits de natu- ciale, ne peut songer à travailler" re : la générosité et la hau- de ses mains. fi dispose de nomteur irâme, la fantaisie ro- breux loisirs (terme qui est l'einmantique jointe à la m0- blème du studio de Pou Songdération, un abord out'ert, " Ling et se retrouve dans le titre exempt de contraintes ct de de son recueil de nouvelles), d'aupetitesse, enfin la tranquIl- tant pIns considérables qu'il est lité iresprit ct le goût du écarté des responsabilités de la recueillement. :t classe dirigeante. La vie se passe « à la dérive. (fou, titre de la bio-

" C'est ainsi que Chen Fou, aotenr d'une extraordinaire biographie roosseauiste dont le manuscrit (incomplet) fot retrouvé par hasard en 1877, un demi-~iècle après sa mort, définit son art de vivre, son aversion pour les valeurs conventionnelles de la soCiété, sa quête d'hommes plus authentiquement conforme à la nature. Chen Fou était un raté ; son père, petit employé d'administration~ n'avait même pas réusili à pousser son rejeton aux plus bas degrés de la carrière mandarinale. fi vivait pauvrement avec sa bien-aimée y un, a1l86i cultivée que loi, a088Ï sensible. aU88i libre, capable de porter son dernier "bijou au Mont-de-Pi~té pour pouvoir égayer de vin de riz une soirée littéraire. Pou Song.Ling loi a088Ï (16101715), qui vivait un siècle et de-

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mi avant Chen Fou, était un raté. fi ne réussit jamais à passer les examens eonfuœens de licencié et dut vivoter comme secrétaire" d'une riche famille, pour" fiuir comme maîtrc d'école de district. Son recneil dc uouvelles, ciselé avec one dilection désabusée, ne le consolait mêmc pas de ses déboires dans la société : «Malgré rrwn inexpérience, je

graphie de Cben Fou), eu dérivatüs dérisoires et raffinés: les jeux littéraires, la rêverie à la lune, le jardinage:

«La culture des arbres nains exige pour être menée à bonne fin au rrwins trente ou quarante année" de soins diligents... Pour représenter en miniature, dans un pot, à laide de plantes et de pierre, un paysage quelconque, on doit faire en sorte que le petit paysa~e figure un tableau et que le grand provoque l extase. Contemplé tout en humant un thé parfumé, ladmirable spectacle vous procurera, dans la solitude du cabinet, une vraie jouissance. :t

fi s'agit donc d'une horticulture

hautement intellectuaIisée,

qui se prolonge même en ""sensation philOSOphique et fait" appel à la" dialectique élémentaire do

taoïsme: «montrer le petit dans le grand :t (planter comme au hasard des touffes de bamhous dam un large espace vacant), ou monter «le plein dans le vide» (un paysage artificiel qui débouch~ à l'improviste sur un horizon Vf'rt). La seule chance qu'auraient eq. ces lettrés désahusés de mettre ~u œuvre leurs capacités sous-employées, leur seule chance de s'insérer dans la réalité sociale autrement qu'à travers un establishement confuœen qu'ils refusaient et qui les refnsaient, ç'aurait été de rénssir par l'argent. Os l'ont tenté, ils l'ont au moins rêvé. P'ou Song-Ling était le fils d'un marchand; ChenF01i-"avâit essayé de faire fortune dans le commerce lointain, vers Cantou ou Taiwan. Dans le recueil de nouvelles de Ling Mong-tch'oo (1580-1644), le pIns ancien des trois volumes examinés ici, les questions d'argent tieunent une place considérable. Les héros de ces contes fantastiques font fortune en des terres lointaines, par la simple vertu d'une cargaison de mandarines offertes sur le marché en temps opportun. André Lévy, qui a préparé l'édition française de ce recueil et l'a traduit avec autant d'adresse que les colJaborateurs des autres volumes, a raison d'insister sur le lien qui existe entre cette production littéraire si originale et les esporn d'une bourgeoisie chinoise qui n'arrive pourtant même pas à s'imposer en tant que classe. Ces espoirs de la bourgeoisie sont des espoirs déçus. Le «bloc bistori- qUe:t confucéen interdisait, par son opacité même, que la bourgeoisie poisse préparer de l'intérieur l'avènement du capitalisme en Chine, comme elle a pu le faire dans l'Occident des XVI"-~ siècles. Cette idée était chère à Etienne Balazs: la bourgeoisie chinoise s'est réalisée littérairement avec d'autant plus de talent qu'elle a été incapable de se réaliser historiquèment. La. frUstration" des lettrés désabusés se IProlonge aussi dans le fantastique et le merveilleux, dont ces trois volumes sont profondément, bien qu'inégalemeut, nburris. Chen Fou déjà, dont le iécit est pourtant pIns intimiste et donc plus lié au réel, raconte comment dans son enfance. a88a au pied d'un -mur éboulé, les touf-

bosquets et les fourmis en bêtes sauvages, les rrwttes devenaient des rrwntagnes, les creux figuraient des vallées, et dans ce monde chimérique rrwn imagination enchantée errait tout à son aise. Le recours au fantastique est

fes irherbes se chanseaient en

Jean Chesneaux

constant dans les deux recueiIS de récits examinés ici, notamment pour illu!'trer la condition féminine. Ce ne sont que renardes, biches, esprits divers, et guêpes même, qui se présentent sous les trails charmeurs de créatures dont on sait qu'elles sont d'un autre monde et qui VOllS comblent néanmoins de leur grâce et de leur tendresse. Le conte de P'ou Song-Ling: "Lôu.yi. N'rit (la femine à la veste verte) bouleversant dans son impeccable concision (deux pages) relate les amours d'un lettré et d'une jeune femme «d'u.ne

beauté exquise, dont la taille était si fine qu'on l enserrait facilement à deux mains, et qui chantait irune voix ténue, tel un fil de soie à peine perceptible, mais dont les modulations à la fois gli,ssantes et ardentes troublaient loreille et agitaient le cœur:.. Un petit matin, elle quitte son amant comme à l'accoutumée, mais avec le sentiment d'un danger qui la menace. Le lettré sort peu après, juste à temps pour sauver de la toile d'une. araignée gigantesque une guêpe au corselet vert, dont les derniers murmures avaient le même timbre que la voix de sa belle. TI ne la revit jamais. Ce recours au fantastique est le signe de l'extrême isolement mor~ où se trouve ces lettrés marginaux et non-conformistes. c Les seuls qui me comprennent, dit P'ou Song-Ling dans sa préface, ce sont les esprits qui tra-

versent le bois lorsque le soir tombe... :t Mais c'est en même temps le signe de leur intimité avec le peuple. Dans leur forme si raffinée, dans leur langue conventibnnelle si éloignée du langage quotidien, ni les contes de P'ou Song-Ling ni ceux de Ling Mong-tch'ou n'étaient accessibles aux simples gens. Mais ils puisent directement dans le fonds populaire chinois; ils reflètent les" rêves des paysans, leur tentative désespérée pour s'évader de leur misère en peuplant leur univers d'êtres merveilleux et de puissances fantastiques.


ECRITURES

Pages d'écriture

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Le Dessin du Récit «Change» 5 Le Seuil éd., 64 p.

Françoise Rojare publie dans Change 5 (1) les trente premières planches de sa «traduction gra· phiqu~» de Compact (2), roman de Maurice Roche. Inédite, inso· lite; cette tentative participe avec succès d'une tendance encore souterraine, 'encore incertaine une tendance que fardent et que gangrènent les modes les plus équivoques (bandes dessinées, af· fiches, etc.), une tendance qui vi· se, avec des moyens divers (écri. ture, dessin), à créer une narra· tion graphigue. Disons, dès l'abord, que Mné· mopolis (titre du fragment) n'a absolument rien de commun avec le «Papillon en bande dessinée» du quotidien le plus vendu depuis vingt-cinq ans! Bien malin serait, du reste, le scénariste capa· ble de transformer en roman d'aventures «la texture de signes, de cicatrices» de Maurice Roche ! Le choix de Compact n'est pas fortuit: les «blancs », la disposition des caractères typographi. ques dessinent une figure du tex· te, forcent à une «nouvelle lecture », une lecture autre, non plus discursive, successive, mais multiple, simultanée. Le texte de Compact fonctionne sur plusieurs niveaux avec des systèmes de renvois horizontaux, verticaux... montage de plusieurs récits (modes du récit, registres de la parole), chacune de ses séquences est construite autour de jeux de mots (douleur, doux leurre, d'où l'heure?, lourdeur, etc.), de jeux de signifiants, de citations (sonores, littéraires, quotidiennes, etc.) n. cette armature sophistiquée étant le calligramme de la ville, du crâne, figures privilégiées: «ce qui dure, c'est os : la tête de mort c'est une ville, même pulvérisée par une bombe atomique, la ville toujours demeure, le squelette »... Toute traduction graphique d'un récit se heurte à une double difficulté : passage des signes linguistiques (code digital) aux signes icôniques (code analogique), transposition des «opérateurs ~ d:u .récit (r e 1 a t ion s temporelles, logiques, etc.). La solution la plus fréquente (celle des bandes dessinées, des affiches) est la

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combinaison d'une image qui représente l'objei, l'acte (pictogramme, rébus direct) et d'un texte sélectif, explicatif, qui réduit la polysémie de l'image, assure, renforce la cohésion syntagmatique (le lien entre les images). Françoise Rojare a utilisé, à l'occasion, ces techniques ; mais la complexité du récit à transcrire l'a conduite à multiplier, diversifier les procédés de transpositions. Ainsi, à côté de rébus direct, nous trouvons dans Mnémopolis : - des rébus à transfert (phono~rammes: dessin d'un chat et d'un pot pour signifier chapeau) ; - des figures, des signes conventionnels empruntés aux codes graphiques usuels (plans, partitions musicales, symboles logiques, etc.) ; - des idéogrammes (combinaison de plusieurs des figures précédentes) . De même, à côté de textes em· ployés de manière ordinaire sélection, supplément, lien entre les images - , nous en découvrons qui fonctionnent comme des rébus directs (titres de journaux, le mot NUIT en gros caractères sombres enfoncé, en coin, à l'intérieur d'un crâne: «tu t'enfonceras littéralement la nuit dans le crâne »), comme' éléD;lents d'un ré· bus à transfert (D'OU - à l'intérieur d'un cadran de réveil, pour «douleur»). Ce travail de transfert d'un roman à un ensemble graphique, cette transposition intersémiotique ne se ré-'

La Q!!iJu:aiDe Littéraire. du 1er au 15 juillet 1970

duit ID a une simple transmutation de signifiants, ni à un changement de code (ce n'est pas une traduction ordinaire), ni même à la combinaison originale de deux ou plusieurs codes distincts. Que les mots, ou groupes de mots (mais aussi, les images), puissent être utilisés comme citations (transport, sans modifications; d'un fragment du récit), images, (dans les rébus directs, phonogrammes (dans les rébus à transfert), etc., qu'ils puissent avoir en même temps deux ou plusieurs de ces valeurs éclaire la méthode de Françoise Rojare: détournant les signes, les soumettant à des codes différents, elle les violente, brise leur environnement naturel, les disperse et, dans le même temps, les réunit. Ce montage de «restes disparates... fragments de toutes appartenances », ce mouvement d'écriture qui ne dédaigne aucun mode de notation mais n'en conserve aucun, est assez proche de celui qu'effectue Maurice Roche dans son roman: «nous pouvons monter ainsi des échantillons d'enregistrement, des chutes de mémoire, des prélèvements bruités, amorces de tombées ». Assurer la cohésion syntagmatique, trouver un relais efficace entre les images constitue sans doute une des plus grandes difficultés de la narration graphique. Certes, François Rojare, comme la plupart des auteurs,

emploie symboles logiques (de consécution...) et texte.' Dans plusieurs planches, pourtant, elle use d'une technique plus élégante et plus économique, empruntée à l'écriture: plutôt que de disposer les éléments' graphiques, les images, dans les conventionnels et mal-commodes rectangles, elle les insère dans des figures complexes (le crâne, la ville). Par leur' composition, ces caraCtères semblent très proches des idéogrammes chinois. A cela il y a double avantage : la figure complexe établit entre figures simples un sens de circulation, les met en relation: l'idéogramme évoque, est lui-même signe - fait, lui-même, sens. Un compte rendu moins rapide tenterait de mettre à jour l'articulation de ces deux textes, une analyse plus fine insisterait sur la plurivocité, la surdétermination du sens, montrerait le perpétuel mouvement de renvoi des signes les uns aux autres - et aussi le renvoi à l'idéogramme originel, invisible: le crâne/la ville... Si j'ai essayé de démontrer quelques-uns des mécanismes de fabrication, c'est que l'expérience est neuve: ni recueil de dessins, ni bande dessinée, plutôt pages d'écriture.

Bernard Girard (1) • Le Dessin du récit -. Ave,c des textes de J,P. Faye, Klossowski, PI· sensteln, J.N. Vuarriet. (2) Ed. du Seuil.

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ARTS

Dans. les galeries François Bret

Denis Rouart

Edouard Manet 64 pl. en couI. 500 ilI. documentaires en noir Flammarion, éd., 128 p.

Un artiste peu connu à Paris, mais qui est l'animateur de ('Ecole d'Art et d'Architecture de Marseill'e, montre une série de paysages traités de façon désinvolte et elliptique, avec un rare bonheur dans l'emploi de la couleur. Ses • routes -, diurnes ou nocturnes, ont pour dénominateur commun d'être recréées par la vitesse et par le mince écran des parebrise. Et d'être vécues à travers la présence insolite des mains du conducteur. Bret réussit ainsi à suggérer l'étrange par le moyen d'une écriture immédiate et joyeuse. (Galerie de France, 3, rue du Faubourg-Saint-Honoré, jusqu'au 5 juillet.)

André Fermigier

Pierre Bonnard

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48 pl. en couI. 79 ilI. en noir Cercle d'Art, éd., 160 p,

Dorothea Tanning Lucio Fontana 1956

Dorothea Tannlng sculpteur: on s'attendait à quelque jeu surréaliste où l'esprit aurait compensé l'absence de métier. Et certes le jeu est là, avec ('intelligence et l'humour. Mais bien davantage. Selon une technique qui est celle des anciennes poupées en tissu, elle a créé en se servant essentiellement de deux matières, tissu clair (femelle et muqueuses) et peluche (mâle), un ensemble de formes et surtout d'assemblages de formes érotiques. Mais cet érotisme Ironique et léger témoigne d'une virtuosité dans le maniement des trois dimensions, dont il faut espérer de nouvelles manifestations.

A.lix Rist

Le collage abstrait est un jeu difficile qu'Alix Rist joue avec maîtrise. Elle le pratique depuis cinq ans dans des tableaux de petit et moyen format où le papier est découpé au gré d'une torture originale: ce sont des fragments plutôt que des formes qui, biscornus, aiguisés en arrondis, suggèrent la stridence et aussi l'érotisme de nos univers en miettes. (Galerie Philadelphie, 44, rue de Seine, jusqu'en juillet.)

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Fontana

Giorgio Giffra

Cette rétrospective de Fontana n'est pas complète et ne tient pas à l'être. Elle concerne les vingt dernières années de l'œuvre avec un bref rappel d'une période abstraite dans les années trente. En est exclue l'abondante production de céramiques et de reliefs figuratifs que chacun s'accorde à justifier par la nécessité pour Fontana de gagner sa vie. N'y figurent pas non plus les environnements évidemment impossibles à reconstituer. Ne restent donc, dans un excellent échantillonnage, que les perforations et les lacérations qui ont fait la renommée de Fontana. C'est du moins l'occasion de vérifier que cette réputation ne tient pas seulement au fil d'un rasoir et que derrière ces estafilades et ces trous, il se passe réellement quelque chose. La zébrure qui cravache la toile monochrome ne séduit pas en effet que par l'élégance ou l'excentricité du geste. Lorsque Fontana perfore ou fend la toile, il n'anime pas une surface plane, il l'ouvre à "espace vrai. Alors que de tout temps la peinture s'est ingéniée à le suggérer en le réinventant sans cesse, que la sculpture l'a toujours mobilisé pour vivifier ses formes, l'entaille profanatrice des Concepts spaciaux en impose la présence dans son infinie dimension. Elle restitue à l'espace sa poétique au moment même où on en aborde la connaissance scientifique.

Il est de bon ton depuis quelque temps de faire la fine bouche devant les expositions de la Galerie Sonnabend. Je crois qu'on a tort. Il me parait en effet que Mme Sonnabend demande de plus en plus aux artistes Qu'elle expose, de provoquer avant tout le potentiel de créativité Qui est en chacun de nous. Il y a quelques semaines, Borgeaud nous montrait, photos à l'appui, comment faire tremper une serpillière dans le sillon d'un labour et Quelques autres • actes - du même genre, en nous invitant formellement à suivre son exemple. Aujourd'hui, Giffra coupe un Quelconque métrage d'une pièce de percale ou de toile à drap Qu'il pend au mur avec Quelques semences. On imagine combien la liberté ainsi laissée au support est susceptible de modifier la trace d'un coup de pinceau ou de toute autre empreinte colorée. Giffra en fait une démonstration si convaincante Que je défie quiconque de ne pas avoir secrètement l'envie d'en faire autant. Ne craignons point d'y céder et peutêtre Qu'un jour nous pourrons tous exposer chez Mme Sonnabend les fruits de cet enseignement novateur Qu'elle dispense sans tambour ni trompette et dont l'efficacité serait ainsi démontrée.

(A.R.C., Musée d'Art moderne de la Ville de Paris.)

(Galerie Sonnabend) Nicolas Bischower

Le reproche qu'on pourrait adresser aujourd'hui à Manet est la virtuosité qu'il apporta il l'exé. cution de certaines œuvres, en particulier à ses portraits au pastel des dernières années. Et peut· être faut-il voir dans cette façon un peu trop brillante de manier les bâtonnets de couleur un effort désespéré de surmonter ou de tromper l'ataxie dont il était me· . nacé et dont les premiers effets l'avaient conduit à utiliser de plus en plus souvent le pastel. En tout cas, c'est, au contraire, son man· que d'habileté qui, de son vivant, lui fut reproché avec une hargne obstinée. La seule habileté que lui reconnut un critique, en 1873, était celle avec laquelle «il cher· chait à tromper l'ignorance du public. Et, concluait-il, à coup sûr, ce n'est pas un peintre. )} Dix ans plus tôt, Ernest Chesneau avait déjà écrit: «M. Manet au· ra du talent le jour où il saura le dessin et la perspective.)} Plus persPJcaces que les critiques d'art, les écrivains - Baudelaire, Zola, Mallarmé - prirent, on le sait, la défense de Manet. Or, en dépit du changement d'opt~que que l'écoulement d'un siècle devait apporter à notre vi· sion du peintre, son œuvre con· serve une contradiction que Paul Valéry avait découverte et éclai· rée en constatant «qu'aux extrê· mes d.es Lettres », Zola et Mal· larmé avaient été tous deux épris de son art. Il est évident que le romancier et le poète n'y trou· vaient pas les mêmes raisons de l'aimer. La contradiction n'est pas ici précisément technique, encore que «la présence réelle des choses» que Zola, selon Valéry, ad· mirait' chez Manet, dût impliquer une façon de peindre différente de cette «transposition sensuelle et spirituelle)} que, toujours d'après l'auteur de Monsieur Tes· te, Mallarmé pouvait y goûter. Et


Manet, Bonnard peut-être ne s'agit-il pas d'une contradiction mais d'une dualité d'expression qui provenait de la faculté de Manet de donner à la représentation de scènes réalistes (la Chanteuse des rues, l'Exécution de Maximilien, Au Café) un souffle d'irréalité qui n'était pas perceptible par tout le monde et que, malgré tout, VaIéry n'explique pas suffisamment en parlant de «transposition spirituelle ». Il y a dans les personnages peints par Manet quelque chose de caché, de tu, d'inquiet, qui appartient au domaine des rêves tragiques. C'est à peu près, semble-t-il, ce que ressentait Georges Bataille en disant que «l'Olympia tout entière se distingue mal d'un crime ou du spectacle de la mort ». Et l'Exécution de Maximilien lui procurait «l'étrange impression d'une absence », ce qui est bien l'envers du réalisme, le contraire de cette « présence réelle des choses» observée par Valéry et qui s'accordait avec une certaine «fureur de peindre ». Il y a aussi un côté Léautaud chez Manet, peu enclin à fignoler sa besogne. «Il n'y a qu'une chose vraie, écrivait-il à Antonin Proust. Faire du premier coup ce qu'on voit. Quand ça y est, ça y est. Quand ça n'y est pas, on recommence.» En vérité, cela ne lui réussissait pas de trop travailler ses toiles. On peut le remarquer dans certaines œuvres des dernières années, notamment dans Un bar aux Folies-Bergère, que j'ai eu l'occasion d'examiner lon-

guement à l'Institut Courtauld, ct au sujet de laquelle je ne partage pas l'opinion de M. Denis Rouart qui voit en cette toüe «l'ultime affirmation des impératifs qui ont dominé son œuvre ». Ainsi une riche matière à réflexion et à discussion nous est offerte par la formule d'édition de ces «Classiques de l'art» où l'œuvre peint d'un artiste est reproduit dans sa totalité et s'accompagne de nombreux extraits de sa «fortune critique ». Ce Manet apparaît d'ailleurs comme la suite logique du Velasquez d'Yves Bottineau, publié l'année dernière dans la même collection. Car la filiation entre les deux peintres est presque celle de maître à élève et l'on ne peut s'empêcher de rechercher tout ce que l'auteur de Lola de Valence doit à celui des Infantes (1). Les rapports entre les peintres contemporains des Impressionnistes et la peinture de ceux-ci sont toujours intéressants à observer. Manet mourut, il est vrai, neuf ans après leur première exposition. Néanmoins, il est visible qu'entre Berthe 1l'lorisot au chapeau noir (1872) et Claude Monet dans son atelier (1874), sa palette avait changé. Mais comme le notait Antonin Artaud dans un écrit sur Manet, en 1927 : «L'Impressionnisme a pu sur le tard modifier sa technique, il n'a rien ajouté à son tempérament.» On pourrait dire aussi cela de Bonnard, en la peinture dc qui

Manet: Portrait de Mal/armé

La Q!!Ïluaine Littéraire, du 1"' au 15 juillet 1970

Bonnard : Femme assoupie sur un divan

l'on peut voir, après 1910, c'està-dire après une période plutôt sombre, une renaissance de l'Impressionnisme, sous une forme qui lui fut toute personnelle. Et il sera le seul en son temps à en maintenir les modulations lumineuses, comme Matisse fut le seul Fauve à tirer des éléments essentiels du Fauvisme, sinon une manière de peindre, du' moins uu choix de couleurs qu'il conservera jusqu'à la fin de sa vie. André Fermigier, dans son Pierre Bonnard, qu'illustrent d'excellentes reproductions, analyse cette curieuse évolution d'une peinture grâce à laquelle la jeunesse du peintre semble se situer après sa vieillesse. Chemin faisant, ici aussi, le nom de Mallarmé, admirateur de Manet, surgit dans son histoire, et l'admiration de Bonnard pour le poète n'a rien de surprenant, surtout à l'époque où probablement il le découvrit, dans les années 90, époque de la Revue Blanche et de ce «japonisme» qui le fit plaisamment surnommer par ses amis «le. Nahi très japonard ». Bonnard fut en réalité beaucoup plus «japonard» que Nabi. Et lorsqu'il abandonna ce style trop décoratif, ce ne fut pas pour puiser tout de suite dans les sou-

venirs de l'Impressionnisme une liberté éperdue de couleurs. Mais son goût de libérer les volumes de toute construction conventionnelle était déjà puissamment affirmé dans des œuvres comme l'extraordinaire Femme assoupie sur un lit, de 1899, ou dans la sombre Femme aux bas noirs, de 1900, que nous a révélée, il y a trois ans, l'Exposition Bonnard à l'Orangerie. Ce n'était pas ce «tachisme violent» que Gustave Geoffroy, dès 1892, voyait dans ses toiles, et ce n'était pas encore, non plus, le Bonnard « précieux» dont parle André Fermigier, mais c'était déjà une peinture qui avait complètement bousculé et réinventé le monde des formes, et substitué à la matière de toute chose un imaginaire matériau, apte à la création des chairs féminines comme à celle des ciels, des tables et des arbres. Aussi est-ce plutôt à Bonnard que pourrait s'app1iquer, dans son sens le plus concret, le mot de Malraux disant de Manet qu'il avait entrepris « une picturalisation du monde ». Jean Selz (1) Signalons que deux nouveaux tItres viennent de s'ajouter à cette série: un Véronèse, présenté par Sylvie Béguin, et un Watteau, de Pierre Rosenberg.

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HISTOIRE

La révolution algérienne lier comment le processus d'unification du mouvement nationaliste et les tentatives d'élaboration doc· trinales furent pratiquement arrêtés dès le repli de la direction à l'extérieur. Derrière une façade d'intransigeance et une phraséologie révolutionnaire ne se dissi· mula plus, généralement, qu'une lutte de clans pour le seul pouvoir, hors de toutc perspective politique. Le résultat fut le «wilayisme » et la succession des crises sous le régime de Ben Bella, jusqu'au coup d'Etat militaire qui vint figer les contradictions sans pouvoir en résoudre auc,une. Les membres du G.P.R.A. au chàteau d'Aunoy en 1962. De gauche â droite: Aït Ahmed, Ben Bella, Khider, Boudiaf et Bitat.

Mohamed Lebjaoui Jl'érités sur la révolution algérienne Gallimard éd., 256 p.

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Mohamed Lebjaoui, sur la scè· ne algérienne, occupe une place singulière. Extérieur aux étatsmajors des partis nationalistes comme au groupe restreint qui déclencha l'insurrection du 1er novembre, il n'en devint pas moins, dès sa fondation, membre du Conseil National de la Révolution Algérienne (C.N.R.A.), puis chef de la Fédération de France du F.L.N. Peu connu du grand public, n'ayant accepté, depuis l'indépendance, aucun poste officiel, il exerça à plusieurs reprises, sur la politique de son pays, une influence déterminante. Indépendant des clans presque «féodaux» qui, pendant et après la guerre, se disputèrent le pouvoir, il put s'engager résolument contre les uns ou les autres, et même diriger le principal mouvement d'opposition au régime actuel, sans perdre une autorité que même ses adversai· res, aujourd'hui, reconnaissent. Dans cette révolution algérienne qui dévora tant d'hommes, quand elle ne les vit pas, simplement, sombrer dans les palinodies et les reniements, l'exception est assez rare pour valoir d'être relevée. On peut discuter les ana·

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lyses politiques de Lebjaoui et les choix auxquels elles l'ont conduit. Nul ne peut nier la constance avec laquelle il les a maintenus, au prix d'un refus très inha· bituel des tentations du pouvoir. C'est dire l'intérêt de ces Jl'éri· tés sur la Révolution algérienne, dont il publie aujourd'hui un premier· volume. II ne s'agit pas d'une histoire exhaustive: trop d'archives, constate-t-il, restent fermées, trop de témoins sont plus ou moins inaccessibles. Mais tout ce qui est dit a été vérifié, rien n'a été avancé qui ne puisse être prouvé, et aucune concession n'a été faite au genre trop facile de l'histoire romancée. Comme c'est la première fois, d'autre part, qu'un dirigeant national du F.L.N. prend la parole, pour ouvrir quelques-uns des dossiers les plus brûlants de la révolution, cet ouvrage, tout incomplet qu'il soit, prend une valeur capitale. Incomplet, il l'est, délibérément, sur les origines du F.L.N. et la préparation même du 1er novembre - bien que le chapitre introductif, où sont rappelées les principales étapes du mouvement nationaliste, contienne d'impor. tantes précisions inédites. II l'est aussi sur des sujets qui exigeraient, à eux seuls, de longs déve· loppements et sur lesquels, appa· remment, l'auteur se réserve de

revenir: l'histoire détaillée de la Fédération de France, par exemple, sur laquelle rien, jusqu'ici, n'a été écrit. Sur trois ordres de faits, en ~e­ vanche, ce livre apporte un témoignage de premier ordre. II rappelle d'abord ce qu'on eut parfois, la guerre aidant, tendance à oublier: l'extrême ambiguïté des rapports qu'entretenaient, sur le sol algérien, la communauté européenne et la communauté musulmane. L'épisode de Jacques Chevallier, maire d'Alger, rencontrant Lebjaoui dans un refuge clandestin, à la veille de la célèbre «bataille », et procurant de faux papiers à trois dirigeants du F.L.N., en est l'illustration la plus spectacu~aire, mais non la seule. Dans un registre plus subtil, le récit. de la conférence algéroise d'Albert Camus, fait pour la première fois du point de vue du F.L.N. (Lebjaoui fut l'un de ses organisateurs) en donne un autre exemple. Ce livre commence d'éclairer, d'autre part, ce que furent les débats et les conflits à· l'intérieur de l'état-major du F.L.N., tant au cours de la guerre qu'au lendemain de l'indépendance. Eclairage qui, faut-il le dire, ne laisse rien subsister des mythes du bloc monolithique ou de l'unité indestructible des dirigeants de la Révolution. Il montre en particu-

Ainsi se pose enfin la question des hommes, dont il apparaît aujourd'hui que l'Algérie manque tragiquement. Riche en dévoue· ments, en sacrifices, en héroïsmes de toute sorte, le F.L.N. sut former des combattants, mais peu de militants et des hommes d'Etat moins encore. Presque toujours, le débat politique s'effaça derrière des rivalités personnelles, qui tolérèrent d'ailleurs les revirements les plus indécents. Quand elles n'aboutirent pas, il est vrai, au guet-apens le plus nu, au crime le plus froid. II faut lire, à cet égard, ce qui est sans doute l'un des «sommets» du livre de Lebjaoui: le récit de l'assassinat d'Abane Ramdane, l'unificateur du F.L.N., l'une des personnalités les plus fortes de la Révolution, à l'instigation de quelques-uns de ses compagnons. II y a là des pages qui, normalement, ne devraient pas rester sans réponse. Non moins révélateur, sur un autre plan, est l'histoire du différend entre Ben Bella et Khider, qui paralysa, dès son instauration, le régime algérien ; ou la manière dont le premier, aveuglément, prépara Je lit de Boumedienne, quitte à voir se rallier à l'armée ceux qui, peu avant, avaient été les premiers à dénoncer sa me· nace. Le plus grand éloge, probable. ment, qu'on puisse faire du livre de Mohamed Lebjaoui, est que, lorsqu'on l'a fini, on a envie d'aller plus loin. Que la Révolution algérienne ait pu, malgré tout, être victorieuse, n'est pas le moin· dre problème qu'on puisse, ici, évoquer. Peut-être, après tout, y a-t·il un sens de l'histoire...

Marcel Péju


Un septennat de la IVe Vincent Auriol Mon Septennat Coll. Témoins Gallimard éd., 616 p.

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Vincent Auriol .Journal du Septennat. T. 1 Armand Colin éd., 880 p.

La f 0 n c t ion présidentielle, avant 1958, ne bénéficiait pas d'un prestige excessif. En lançant sa boutade sur l'inauguration des chrysanthèmes, le successeur de René Coty s'inscrivait dans une tradition sarcastique: J.J. Weiss n'observait-il pas en 1885 que «le principe fondamental dc la Constitution est que le President chasse le lapin et ne gouverne pas» ? Le général de Gaulle eonfirmait donc un lieu commun. Mais les lieux communs ont besoin d'être revisités de temps à autres, et la publication des papiers de Vincent Auriol y invite naturellement. Dans sa présentation de l'édition abrégée, Pierre Nora indique que l'ouvrage ne contient aucune « révélation ». On pourrait ajouter qu'il ne propose pas de vision historique ni de synthèse politique du premier septennat de la IVe République, d'autant qu'il s'agit de notes quotidiennes et de ré8exions rapides, non d'une œuvre élaborée. Mais cette spontanéité fait précisément tout leur prix: avec Mon Septennat, nous disposons d'un témoignage sur la Quatrième ou jour le jour, apporté par un Français moyen lequel se trouvait occuper le meilleur observatoire politique, c'està-dire l'Elysée. Un Français moyen, avec son bon sens et sa mauvaise humeur, un brave homme prompt à s'indigner, mais aussi un vieux routier de la politique... Que ces stéréotypes du langage viennent naturellement sous la plume pour définir l'auteur est en soi un signe. Il faut ajouter aussitôt que la conscience de sa mission préoccupait Vincent Auriol. Elle le préoccupait tellement qu'il s'était imposé la tâche quotidienne de tenir cette espèce de journal de bord de la Quatrième, pour l'histoire. La publication intégrale du Journal du septennat fournit à ce propos une contribution inestimabltb sur la vie de la présidence et sur l'activité gouv~rnementale La

puisque l'on y trouve aussi bien le récit des conseils des ministres que l'emploi du temps détaillé du chef de l'Etat. Cette conscience de sa mission avait surtout conduit Vincent Auriol à concevoir son rôle d'une manière qui contrastait avec l'idée subalterne que s'en étaient faite les constituants de 1946, et à transformer ainsi l'institntion présidentielle. D'entrée de jeu, le 5 février 1947, il prévient ses collaborateurs : «Si je dois être seulement le monsieur représentatif en habit et en cordon rouge, que l'on prenne un danseur mondain !» Sa première préoccupation sera en effet .le faire respecter sa fonction et, pour cela, de revendiquer le plein exercice de ses prérogatives. Ce fut le cas, par exemple, lorsqu'il s'agit de donner leur sens plein aux dispositions constitutionnelles prévoyant que le chef de l'Etat est informé des négociations internationales, ou de faire passer dans la réalité des institutions nouvelles comme la présidence du conseil supérieur de la magistrature et la présidence de l'Union française. On retiendra, pour la première, les interventions provoquées par la répression en Tunisie, notamment la vive réaction aux pressions du résident général sur-l'exercice du droit de grâce: «Si M. de Hautecloque veut tuer, qu'il tue sous sa responsabilité, sous réserve des conséquences possibles de cette action. Il faut qu'il sache que le pré.sident de la République symbolise l'équité humaine et n'est pas un assassin.» (Lettre à Laniel du 18 août 1953.) Pour la seconde, il ne parviendra pas à imposer ses conceptions, en dépit d'initiatives et de réclamations dont l'année 1947 apporte de nombreuses illustrations. Les prérogatives du chef de l'Etat sont cependant limitées, juridiquement par la lettre de la Constitution et politiquement par la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée. Or les circonstances vont amcner Vincent Auriol à «construire» une interprétation de sa fonction qui renversera le schéma de 1946. Mais c'est parce que les événements eux-mêmes ont fait tourner court les intentions des Constituants. Les 590 pages de Mon septelUUlt sont comme ces :films ac-

Cl!!;n.. inc l.ittéraire, du 1 er au 15 juillet 1970

célérés qui montrent la croissance d'une plante, tandis que le premier volume de l'édition intégrale nous restitue, dans leur durée, les premiers in8échissements. Fondée à l'origine sur l'accord de grands partis disciplinés, la IVe République prit le virage qui devait la ramener au parlementarisme traditionnel dès 1947, avec l'éviction des ministres communistes. La rupture du tripartisme, estimait Vincent Auriol aurait dû entraîner une dissolution afin que le pays fût appelé à remplacer l'ancienne majorité par une nouvelle. Les conditions posées à l'exercice du droit de dissolution rendaient· celle-ci inapplicable au moment où elle aurait pu contribuer à clarifier la situation et, surtout, à rendre les députés plus conscients de leurs responsabilités. L'absence de conséquence directe des crises précipita le régime dans la confusion qui facilita les menées du R.P.F. et, ce mauvais départ pris, la dissolution devenait dangereuse car elle ne pouvait que favoriser les oppositions contraires et non dégager une majorité (par ex. Mon septennat, p. 162). Livrée à elle-même, l'Assemblée était de moins en moins capable de se passer des interventions du chef de l'Etat. Pour dénouer .les crises et dégager des solutions, il lui fallait suggérer des programmes acceptables par une majorité (cas de l'investiture d'André Marie en juillet 1948) et mettre les partis devant leurs responsabilités (crise de mai 1953). A ce stade, des commentateurs comme Fauvet estimaient que le président de la République était à la limite de ses prérogatives constitutionnelles. Vinccnt Auriol n'écrivait-il pas dès juillet 1948 : « Je me considère comme le guide du gouvernement et de la nation, comme leur conseiller... Si je ne devais pas remplir ce rôle, je me demande à quoi servirait la présidence? » Que le grief lui en ait été fait par les gaullistes dont il contrecarait les desseins n'est pas le moins suggestif des rappels de cette périodc... En réalité, le rôle du président était une sorte de «substitut fonctionnel» à l'impuissance des mécanismes normaux, au même titre que la permanence de l'Administration, comme Vincent Auriol le note lui-même à la fin de son

septennat (p. 583). Il pouvait tout au plus en limiter les inconvénients en menant une action défensive, non assurer le fonctionnement d'un système paralysé. Ille pouvait d'autant moins que la Quatrième se trouvait en face de problèmes qui auraient éprouvé le plus efficace des régimes : «cycle infernal» des salaires et des prix, Indochine, Maroc, Tuni· sie, guerre froide, Allemagne... On s'étonne rétrospectivement qu'elle y ait résisté tout en pratiquant une espèce dc bricolagc bien analysé par Picrre No.ra dans ses notes sur 1947. Les limites de l'homme y apparaissent en toute clarté, notalnment cn cc qui concernc les rapports avec l'Allemagne. Ses convictions étaicnt le plus souvent (;ClIc!i du pays luimême: c'est à la foi!i ]a force et la faiblcsse du personnagc qui se révèlc à travers ces pages que d'avoir été finalement représentatif au ·sens plein du terme. Représentatif des illusion!i des Français, il se préoccupait aussi de répondre au sentiment populaire, ses réf1ex.ions sur ]a désignation de Pierre Mendès France cn témoignent: «Je l'ai fait envers et contre tous. Mais la foule ne s'y est pas méprise. » Et, au moment de quitter l'Elysée: «Si le président de la République est aussi éloigné du pays que le sont les parlementaires, plus rien ne symbolisera la République... ~

Pierre  vril

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PEDA.GOGIE

La violence 1

A.S. Neill

Libres enfants de Summerhill

Maspero éd., 328 p.

En 1921, à Leiston, dans le Suffolk (Angleterre), un psychologue, mécontent des méthodes d'éducation qu'il avait connues jusque-là, fonda l'école de Summerhill. Ce psychologue, qui s;appelait A.S. Neill, voulait expérimenter les effets d'une. atmosphère de liberté totale. C'est cette longue expérience qu'il raconte dans son livre, dont la première édition parut aux Etats·Unis en 1960. D'abord, quelle liberté? (Car nous savons bien qu'il n'existe pas de liberté totale.) C'est à peu près celle des communautés utopiques, celle du royaume de Pausole: «Ne fais pas de niaI à ton voi· sin; en dehors de cela, fais cc que tu veux. » En d'autres termes, celle dont nous rêvons pour notre usage, d'un bout de notre vie à l'autre.

Ce n'est pas aussi simple On n'a pas manqué de prétendre, bien entendu, qu'une telle entreprise devait fatalement engendrer le désordre, l'anarchie et les sentiments asociaux. Et, bien entendu, ce n'est pas aussi simple. Neill démontre suffisamment que la discipline nécessaire à toute vie communautaire est aisément atteinte, que des enfants que l'on ne soumet pas à des contraintes imbéciles acceptent volontiers les contraintes justifiées. Enfin, Neill se garde bien de tomber dans le piège du «risque» : s'il est interdit, à Summerhill, d'embêter son voisin, il est également interdit de faire l'acrobate sur les toits, de se baigner sans surveillance, de farfouiller dans l'armoire aux médicaments. Cela seulement pour préciser que la conception de la liberté que défend Neill n'est ni aveugle, ni visionnaire. Si l'on examine son expérience à la lumière de l'expérience française la plus voisine, celle de Freinet, on constate beaucoup d'éléments communs entre elles. Tout le procès de l'enseignement traditionnel, par exemple, est identiquement traité. Il en est de même de l'analyse de la psychologie du tout petit enfant, de la discipline collective, des rapports

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entre l'adulte et l'enfant (contrainte, obéissance, punitions, récompenses, etc.). En revanche, quelques points les séparent, qu'il est intéressant d'examiner. D'abord, Neill a une formation de psychanalyste assez poussée. Beaucoup de cas difficiles sont résolus, dans son école, par des moyens dérivant de la psychanalyse. L'lj,ttention qu'il apporte, notamment, aux questions sexuelles, est extrêmement intéressante et capable de consolider n'importe quel système d'éducation. On reste cependant un peu perplexe devant le récit de certains traitements, dont la naïveté paraît désarmante. (Et si cette apparente naïveté provient d'une simplification du récit, c'est regrettable: car, justement, c'est le récit complet qui nous eût intéressés.) En~uite, Neill professe un étrange dédain pour la pédagogie. Il dit, à plusieurs reprises, qu'un enfant qui veut apprendre à faire des divisions y parviendra de toutes façons, quelle que soit la méthode utilisé. On peut répondre à cela: primo, que ce n'est pas tout à fait exact (ce n'est vrai qu'avec 1 e sen fan t s supérieurement doués) ; deuxio, que «donner envie d'apprendre » représente l'essentiel de la pédagogie. Enfin, Neill méconnaît totalement la valeur formative du travail. Il considère le travail comme· un mal nécessaire (et moins né-

cessaire qu'on ne le pense, du reste), à quoi les enfants, puis les adultes, sauront se plier quand ils ne pourront pas faire autrement, si leur éducation les a suffisamment équilibrés. Il ne remarque pas qu'il existe une différence fondamentale entre la corvée et le travail créateur, et que l'enfant devenu adulte ne pourra se défendre contre les effets destructeurs de la corvée que dans la mesure où il aura profondément ressenti les richesses du travail créateur. Ces deux dernières attitudes trouvent sans doute leur origine dans les convictions philosophiques de Neill. Il semble manifester une opposition totale à la société occidentale (anglaise, tout au moins) dans laquelle il vit. Il renie en bloc toutes les bases de cette société. (La forme' de mépris de l'argent qu'il enseigne à ses élèves est tout à fait significative : il admet le gaspillage, il l'encourage presque.) Bien entendu, le travail est englobé· dans cette malédiction, ainsi que toutes les connaissances «académiques» des hommes d'aujourd'hui.

Un certain nombre de défauts assez évidents Une telle conception, qui s'appuie en vérité sur une vision idéaliste, et non politique, du progrès humain (quand tous les hommes seront devenus gentils, il n'y aura plus de guerre), présente un certain nombre de défauts assez évidents. Le premier consiste à deman-' der un effort trop grand à la nature de chaque individu. On ne peut plus, au xx· siècle, devenir quelqu'un sans avoir rien apprIS, ni apprendre suffisamment de choses tout seul. A vouloir respecter la liberté d'un enfant d'une manière trop systématique, on risque de le priver de l'appui dont il a un besoin permanent. Et, justement, toute 18 pédagogie de Freinet démontre qu'un enseignement bien conçu peut aider un enfant sans jamais le contraindre. Le deuxième réside dans l'impossibilité raiso~nable d'étendre à tout un pays le système de Neill. Les réussites qu'il a connues dans son école vienDtmt du

fait qu'il est un éducateur exceptionnel, capable d'improviser une bonne réponse à tout nouveau problème posé par ses pensionnaires. Mais il est clair qu'un éducateur moyen, quelle que soit sa bonne volonté, ne peut remplir correctement sa tâche que s'il dispose d'une méthode, de techniques et d'outils appropriés. Dans le cas contraire, la première dif· ficulté venue le fait trébucher, l'épuise, le décourage. Le troisième défaut du système de Neill, et c'est peut-être aujour. d'hui le plus grave, c'est d'appuyer son mépris de la société contemporaine sur. une utilisation parfaitement .bourgeoise de cette société. Les enfants de Summer· hill étant libres de ne rien faire, Neill est obligé d'embaucher du personnel pour récurer les planchers. En d'autres termes, .les enfants de Summerhill ne sont libres que parce que la société bourgeoise leur procure des serviteurs. Il arrive à Neill de le re· gretter. Mais ses regrets ne vont pas jusqu'à un changement radical. Nous ne demandons pas nécessairement, quant à nous, aux enfants de faire le ménage. Mais ils se livrent à des travaux, convenant à leur âge et à leurs aspirations, qui équivalent aux besognes des adultes. Or, ce principe d'équivalence, s'il n'est pas respecté, met en cause le principe de l'égalité entre les enfants et les adultes qui est fondamental pour Neill (pour nous aussi) • Parce que Neill n'a pas admis l'importance du travail, le travail fait apparaître l'inégalité entre les enfants et les adultes. ,Finalement, il est évident que l'école de Summerhill apporte des arguments tout à fait remarquables aux diverses tendances de la pédagogie moderne. On n'aura plus à craindre, désormais, les excès imaginaires de la liberté .et de la confiance. Mais ses réponses sont trop souvent d'une nature individuelle: l'aide psychanalytique, le mépria du travail, la liberté sexuelle ne sont pas immédiatement applicables. sur nne vaste échelle. Or, ce sont tous. les enfants du monde qui ont besoin d'une. nouvelle pédagogie, et pas seulement les enfants de Summerhill.

Jacques Bens


pédagogique 1

P. Bourdieu et J.-C. Passeron

La Reproduction Ed. de Minuit. 279 p.

Avec les Héritiers, paru en 1964, les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron réintroduisaient entre les sciences sociales et la vie de la cité une prise directe dont on avait perdu l'habitude depuis la mort de Durkheim. A vrai dire, les similitudes étaient grandes entre le projet que laissait entrevoir l'écriture brillante des Héritiers et ce qu'avait été la c grande pensée. du fondateur de l'Ecole française de sociologie. Même importance d'abord, attribuée à l'institution scolaire considérée comme un rouage essentiel de la société ; même souci de s'insérer dans un débat national d'une grande .portée tout en le dominant par la sûreté de l'information et la méfiance vis·à·vis des lieux communs, eussent-ils d'illnstres cautions; même volonté enfin d'aboutir au terme de l'enquête scientifique à des propositions concrètes réactualisant ainsi le lien, tôujours conscient dans la grande sociologie classique d'Auguste Comte à Max Weber (mais oublié quelque peu depuis au prix d'une certaine chute dans le discouI'll pontifiant ou édifiant), entre sociologie et réforme sociale, voire entre sociologie et socialisme, au sens très large (société organisée) que ce mot avait il y a cent ans. Mais il faut se méfier des ana· logies: Bourdieu et Passeron, la suite des événements ra prouvé, n'avaient rien (le sociologues

d'Etat, pas plus d'ailleurs qu'ils n'étaient. en dépit d'une aberration contraire, les prophètes de Mai. En effet. 8i l'inspiration de Durkheim était celle d'un positi. visme moralisant aux fortes résonances kantiennes, la méthode de Bourdieu et Passeron est manifestement nourrie (comme celle de Max Weber dont ils ne manquent jamais de se réclamer), aux sources de la pensée nietzschéenne dont on connaît l'a-moralisme foncier et la méfiance incoercible pour tout discours éthique, soupçonné par principe d'être le voile protecteur de passions et d'appétits inavouables. Ainsi toute référence au normal et· au pathologique, appliquée méthodiquement par les durkheimiens et en général par la sociologie de l'éducation traditionnelle, est-elle systématiquement écartée. Ce qui permet. par exemple, à Bourdieu et Passeron de traiter de la violence comme Taine (un ancêtre qu'ils ne renieraient nullement, malgré l'opprobre quasi.rituel et suspect - dont ce nom est recouvert) voulait qu'à l'instar «du sel ou du sucre ~ on traitât du «vice ~: sans passion ni pathos. Que la violence, la' force nue soit à la racine, avouée ou honteuse de tout fait social, tout une tradition Sociologique l'affirme, et pas seulement les marxistes. Il a même pu arriver, - ct il arrive encore - que des marginaux du marxisme, voire des adversaires endurcis, soient pour un temps les tenants d'lme thèse si «oubliée ~ qu'elle en paraît neuve et partant, suspecte. De Kautsky, le marxologue qui affirmait sa foi lénifiante dans l'évolution pacifique à l'ombre de la paix des monopoles, ou de Max Weber. hé-

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Bourdieu

raut de la bourgeoisie allemande, faisant de la lutte (<< Kampf ~) le rapport social élémentaire ct irréductible, qui était le plus «idéologique» ? De même, pour prendre appui sur un épisode de notre vie intellectuelle qui n'était peut.être pas sans résonances aujourd'hui, l'ingénieur Georges Sorel ne rappelait-il pas le b.a. ba de la lutte des classes à coup de références proudhoniennes et bergsoniennes, au grand scandale du socialisme français qui misait ouvertement avec son prophète Jaurès sur les perspectives de démocratisation indéfinies ouvertes par la République laïque? En 1907, l'essor du syndicalisme révolutionnaire fait voler en éclats la paix sociale et ses penseurs attitrés. Plus de bavardages «solidaristes », plus de confiance béate dans le «progrès ». La violence exclue de la théorie, «forclose », reparaît dans la rue. Du coup elle accède enfin à la dignité philosophique. Sans abuser des analogies historiques, on ne peut qu'être frappé des rapports étroits, aujourd'hui comme hier, entrc une grande explosion sociale et la crise de ce que Robert Castel appelle très justement la «sociologie dominante », ce mélange déconcertant d'apologies de l'ordre établis et de conseils au Prince. Il est vrai que les dégâts sont proportionnels au caractère plus ou moins inféodé de la sociologie en question. Il est certain par exemple que personne n'oserait plus faire aujourd'hui de la «sociologie in· dustrielle », comme on en fai!'ait à la veille de mai 68. Pour la sociologie de l'éducation, les choses sont loin de se présenter avec cette simplicité biblique. Bien que pendant des années, Bourdieu, Passeron et la plupart de leurs disciples aient mis le politique entre parenthèses, leur sociologie a toujours .représenté, en intention et en acte, une conte.~tation, parfois virulente (cf. le Métier de Sociologue) de la sociologie dominante. Cette conte!ltation débouche toujours, même si elle est menée sur le terrain épistémologique, à dévoiler en fin de parcours un présupposé politique réactionnaire. Ainsi l'usage de la notion de «don» pour rendre compte de la réussite scolaire est-elle d'abord un non-sens scientifique, du type «vertu dormitive

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de l'opium»; mais il témoigne scientifique de la face cachée de tout aussi bien d'une conception la Société. L'un représente une élitiste mal refoulée de la socié- mise en ordre de thèses déjà larté. D'autre part, on est ici quasi~ gement connues, voire vulgarisées ment en terra incognita pour toudepuis plusieurs années. C'est la te théorie non-conformiste, marxisdeuxième partie, intitulée «Le me compris, si l'on met à part maintien de l'ordre », qui fait le quelques fragments, extrêmement bilan de tous les travaux semiriches mais «bruts» d'A. Gramsempiriques poursuivis par les auci et de Boukharine. teurs eux-mêmes ou leurs collaDe ce point de vue, l'entreprise borateurs du Centre de Sociolode Bourdieu et Passeron fut dès gie Européenne d e p u i s les l'origine suivie avec passion par Héritiers et qui aboutissaient tous tous ceux qui ressentaient com· à la conclusion: si l'on pose qu'il me une lacune l'absence de toute y a diffus dans l'espace social un élaboration sérieuse sur les no- capital culturel comparable au cations de pouvoir, de culture et pital économique (il se transmet d'idéologie. n n'est pas non par héritage; on l'investit pour plus étonnant qu'ils aient été vite le faire cultiver, etc.) il y a là rapprochés d'hommes qui dans une source d'inégalité qu'aucune d'autres domaines défrichaient scolarisation, aussi laïque, gradans le même esprit, disons le tuite et obligatoire soit-elle ne « structuralisme », pour faire saurait réduire. Toutes les études court, d'autres contrées vierges de publiées jusque-là laissaient enla connaissance. Et de fait 'un cer- tendre que lc systèmc d'enseignetain nombre de refus rapprochait ment n'était pas une loterie, mais incontestablement Bourdieu et une machine à confirmer les priPasseron de Foucault, de Barthes, vilèges. La Reproduction le dit, de Derrida, etc. Mais partager un en toutes lettres, et soumet le certain nombre d'antipathics in- Père durkhcimien à un réévaluatellectuelles n'a jamais fondé une tion sévère. «En définissant traécole de pensée. En fait, pour cerditionnellement le « système tains (qui n'hésitent pas depuis d'éducation» comme l'ensemble peu à clarifier leurs arrièrc-pendes mécanismes institutionnels ou sées marxicides...), la méthode coutumiers par lesquels se trouve structurale n'était que le point de assurée selon l'expression de Durdépart. d'une nouvelle métaphy- kheim la conservation d'une culsique ·idéaliste de la culture. Preture héritée du passé, c'est-à-dire nant appui sur l'importance du la transmission entre les générasymbolique dans l'étudc des faits tions de l'information accumulée, humains (les structures qui tisles théories classiques tendent à sent la trame dans laquelle nous dissocier la fonction de reproducsommes insérés à notre entrée tion culturelle de la fonction de dans la vie, structures signifianreproduction sociale. » tes de l'Oedipe, de la langue, des Dans une communication prérapports de parenté) , de nouveaux sentée au moment même où paidéologues bâtissent une ontologie raissait la Reproduction Pierfantasmagorique du social: tout re Bourdieu déclarait: « Le n'est que symbolique, tout n'est système scolaire remplit une fonc. que le jeu du signifiant. Tout tion de légitimation de plus en y compris la lutte des classes, qui plus nécessaire à la perpétuation devient en toute logique, au terde fordre social (souligné par me de ce discours de platonicien nous) à mesure que l'évolution enragé, un simple effet de langa- . du rapport de forces entre les ge. Contre le courant, Bourdieu classes tend à exclure plus comet Passeron n'hésitent pas à se plètement l'imposition d'une hiédémarquer une fois pour toutes de rarchie fondée sur l'affirmation la Sainte Famille structuraliste, brute ct brutale des rapports.» au risque de subir l'affront défini- Cet excellent résumé de la Reprotif, la marque infamante entre duction nous introduit au problètoutes : sociologisme vulgaire. Cet- me central, posé dans la première te démarcation c'est la Reproduc. partie, dont l'enjeu n'est pas mintion. ce. D'emblée s'v trouve à la fois Deux thèIJles s'entrecroisent affirmées l'uni~ersaIité de la rédans la Reproduction, et chacun pression dans tous les secteurs de d'eux nous '~emble également im- la vie (contre les fonctionnalistes portant pour la compréhension ou sociologues philistins) et l'exis-

tence d'une forme particulière de violence, différente de la violence ouverte et palpable, mais non moins efficace (contre l'économis· me, - ou le «politisme» - vulgaires). C'est ce que les deux auteurs définissent «tout pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont uu fondement de sa force, a joute sa force propre à ces rapports de force ». Rien de très nouveau, susurreront tels esprits chagrins. Marx ne disait-il déjà que l'idéologie dans certaines conditions, peut devenir une force matérielle? Plus près de nous, les freudo-marxistes de l'Ecole de Francfort n'ontils pas fait du concept de mani pulation le pilier de leur analyse du pouvoir dans nos sociétés industrielles? Certes! Mais un monde sépare une intuition exprimée en termes vagues ou incantatoires, qui ne dépasse guère le niveau descriptif, et un discours qui rend compte de l'efficace d'un phénomène soupçonné, mais mal connu. Les véritables ancêtres sont ici Freud et Max Weber, en tant qu'ils ont connu l'un et l'autre dans leur théorie de la religion, cette violence symbolique par excellence, essayé de fonder une science des pouvoirs que nous proposerions d' a p pel e r a-matériels (a-matériel s'opposant à immatériel comme a-moral à immoral..,). Sous une forme axiomatique, dépouillée à l'extrême, nous voyons, fascinés, mais parfois un peu sceptiques, se dérouler l'enchaînement déductif qui nous conduit de la violence symbolique en général à un de ses cas particuliers, à savoir faction pédagogique, elle-même condition sociale d'une forme de pouvoir, f autorité pédagogique, ct impliquant, pour former des sujets conformes à la commande sociale qu'elle véhicule, un procès d'inculcation dit travail pédagogique. De proche en proche sont ensuite redécouverts les notions fondamentales que sont l'autorité scolaire, le système d'enseignement et le travail scolaire. A l'heure de tant de contestations oiseuses de la théorie, n'y a-t-il pas là comme une promesse d'une théorie - enfin -- trouvée de la contestation ? Daniel Lindcnbcrg


SCIENCES

SOCIALES

Paul Lazarsfeld Philosophie des Sciences Sociales Préf. de R. Boudon Trad. de l'anglais Bibliothèque des Sciences Humaines, Gallimard éd., 506 p.

L'aspect doctrinal lpour ne pas dire doctrinaire) des sciences so· ciales tend à occuper un peu trop souvent le devant de la scène au détriment d'autres traits qui, pour se prêter moins bien aux conver· sations de sa'lon, n'en constituent pas moins l'essentiel de la démarche scientifique, à savoir la traduction de concepts scientifiquement stratégiques en variables observables, et l'analyse des rela· tions entre ces variahles. Le recueil de textes du sociologue amé· ricain Lazarsfeld qui nous est présenté, dans une traduction extrêmement soignée, par Raymond Bourdon, l'un des trop rares représentants en France de ce que l'on appelle improprement la so· ciologie empirique (celle qui se préoccupe d'administrer une preuve logiquement suffisante des propositions qu'elle énonce), a préci. sément pour originalité d'être centré sur le langage des sciences sociales, sous le double aspect de sa formation historique progres· sive, et de la structure logique qui le constitue.

Un travail de méthodologie Autrement dit, pour employer un terme-clé de la pensée de Lazarsfeld, nous sommes en présen. ce d'un travail de méthodologie consistant à étudier les produits de la recherche sociale et à en élucider le mode d'élaboration - à l'inverse des fausses querel. les méthodologiques où l'on s'in· terroge a priori sur la validité gé. nérale de telle ou telle voie d'ap. proche sans trop s'inquiéter des situations concrètes où elle mérite de s'appliquer. Lazarsfeld renoue ainsi avec la pensée de Condorcet, qui écrivait un an avant sa mort en présentant son nouveau Journal d'instruction sociale: II: Une des principales causes du peu de pl'ogrès des sciences morales et

La mathématique sociale politiques, et surtout de la diffi· culté d'en répandre et d'en faire adopter les vrais principes, c'est l'imperfection de la langue qu'elles emploient.» En fait, cette imperfection s'amenuise, quoique de façon len· te et irrégulière. Dans un chapitre fascinant consacré à une histoire de la quantification en sociologie, Lazarsfeld montre qu'à partir du XVIIe siècle, un des problèmes permanents de la méthodologie scien· tifique a commencé à se poser: le choix (ou plutôt le dosage) en· tre exactitude et pertinence. Les fondateurs britanniques de l'arithmétique politique (Petty, Graunt, etc.) avaient cherché à décrire la société de leur temps à l'aide d'éléments chiffrés, d'ordre démographique en particulier, et à dégager des relations causales entre ces éléments. Mais à peu près en même temps, l'Allemand Conring, contemporain de Leibnitz, et un certain nombre d'universitaires de Gottingen, jetèrent les bases d'une nouvelle science qui reçut le nom de statistique (1a paternité de ce terme revient à Achenwall, qui enseignait à Gottingen), mais ils entendaient par là la «science de l'Etat », c'est·à-dire une description systématique des forces et des faiblesses d'un Etat, qui ne faisait appel qu'avec précaution aux variables quantitati· ves, et au cours des premières années du XIX' siècle, une longue polémique opposa les quantitativistes aux partisans du qualitatif, qui reprochaient aux premiers de vouloir faire croire que «l'on peut comprendre la puissance d'un Etat en ne connaissant que sa superficie, sa population, son revenu national et le nombre des animaux broutant alentour» (p. 99). La seconde grande étape, dans ce tableau historique de la quan· tification sociale, est représentée par le Belge Quételet, qui avait su provoquer dans sa jeunesse l'admiration de Goethe, et qui n'est guère connu en France que par l'éloge que lui consacre B. de Jouvenel dans l'Art de la Conjecture. C'est à Quételet que l'on doit les premiers travaux sur la théorie de la mesure dans les sciences sociales, et plus générale. ment l'idée, comme l'écrit Boudon, que «l'inobservable peut devenir mesurable à condition d'admettre l'existence de relations

... _lgz.lge Lfttéraue, du 1er au 15 juillet 1970

mathématiques entre caractères observables et variables non observables» (p. 38) .

Le troisième grand ancêtre Le troisième grand ancêtre est lui aussi un Européen (car Lazarsfeld rappelle très justement que la sociologie empirique n'est pas née aux Etats-Unis). Ce n'est pas un astronome comme Quételet, mais un ingénieur des Mines, le très catholique Le Play, surtout connu comme le fondateur des études de budgets familiaux, mais qui a eu surtout le désir de «faire parler» les chiffres pour en inférer des aperçus sur des aspects non chiffrables de la réalité so· ciale. Lazarsfield dirait: pour as· seoir son diagnostic. Ce mot de diagnostic est plus important chez Lazarsfeld qu'il n'y paraît à première vue (encore que l'absence d'index thématique ne permette pas de le percevoir clairement), car il désigne à ses yeux «les procédures par lesquel. les on peut établir une classification à partir d'observations em· piriques» (p. 217) , c'est-à·dire, une fois encore, à inférer la pré. sence . de l'inobservable à partir de l'observable. L'ouverture d'esprit assez exceptionnelle de Lazarsfeld se manie feste à cette occasion, car une lec· ture tant soit peu attentive de son livre permet de se rendre compte que chez lui, le diagnostic ne se fonde pas exclusivement sur l'analyse empirique de la «causabilité » et l'instrumentation statistique. Certes, plusieurs chapitres leur sont consacrés mais un texte très important traite de l'analyse qualitative en sociologie, toujours à partir « d'explications de texte» conduites avec clarté et un profond respect de l'objet analysé. Lazarsfeld y formalise no~ tamment un processus de conceptualisation fréquent en ethnologie, en macrosociologie ou en psychologie sociale, qu'il appelle « construction de formules-mè· l'es» (matrix formulation). L'opération consiste à agréger sous un vocable commun (la Gemeinschaft de Tonnies ou la «culture apollinienne» imputée par Ruth Be· nedict aux indiens Zunis) des élé· ments disparates mais étroitement associés. De même Lazarsfeld attribue-t-il une fonction heuristi-

que éminente à la quête de ce qu'il appelle les faits révélateurs ou surprenants (cf. pp. 156.7, 320, 351), à côté des grands nombres qui seuls se prêtent à un traite· ment statistique. Il n'est donc pas surprenant que l'on trouve vers la fin du livre un chapitre, à bien des égards le plus stimulant, sur la collabo· ration qui devrait s'instaurer entre l'historien et le spécialiste des sondages. Cette collaboration a été jusqu'ici peu fréquente, et l'on a plutôt eu cette interversion pa· radoxale des rôles relevés par Charles Tilly (dont l'étude de sociologie historique sur l'insurrec· tion vendéenne vient d'être traduite) : les historiens cherchent à rendre compte des événements par les intentions et les sentiments, toutes choses que les sources documentaires sur lesquelles ils travaillent ne révèlent que difficilement, cependant que les sociologues, intéressés par les struc· tures et les changements de Ion· gue durée, sont mal armés pour les appréhender au moyen de leurs enquêtes par sondages.

Les opinions sont des "faits" L'opposition est dans une large mesure réelle, et les propositions de Lazarsfeld, qui consistent au fond à considérer que les opinions et les attitudes sont des «faits» comme les autres dont l'historien peut être appelé à faire usage, devraient contribuer à la réduire, en suscitant une politique d'investissement en sondages qui tien· nént compte des besoins présents et futurs des recherches historie ques. Moyen utile d'enrichir la comptabilité sociale, moins déve· loppée jusqu'ici que la comptabi. lité économique, mais illustration également de l'unité latente des sciences de l'homme, unité qui ne naît point d'un essai d'application à la réalité sociale des modèles emprunté8 aux sciences de la nature, mais d'une traduction des problèmes et des hypothèses de recherche en procédures formelles contrôlables, et d'une con· viction, présente chez Lazarsfeld comme chez Quételet ou Durk· heim, à savoir que l'arbre de la connaissance n'a pas pour l'homme de fruits empoisonnés. Bernard Cazes

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LINGUISTIQUE

La nature du sens I

A.J. Greimas

Du Sens

Seuil éd., 320 p. Parmi les théories linguistiques modernes, celle du Danois Louis Hjelmslev est sans doute la plus séduisante et la mieux exploitable pour la recherche' littéraire. En postulant l'isomorphisme du plan du contenu et du plan de l'expression, c'est-à-dire en affirmant que le • fond • pourrait être structuré de la même façon que la • forme ., Hjelmslev a ouvert la voie à de fécondes et passionnantes spéculations sur la nature et l'organisation du sens d'une part sur ses manifestations dans les différents types de discours (et la littérature en est un!) de l'autre.

Préfacier de la traduction française du Langage de Hjelmslev, A. J. Greimas se place, à plus d'un égard, dans la perspective hjelmslcvienne. De même que Hjelmslev se désintéresse de la c substance:t pour ne s'occuper que de la forme du contenu et de l'expression, de même Greimas abandonne à la philosophie l'interrogation sur l'essence du sens et limite son enquête c aux modes de sa manifestation :t. Dans la préface de son ouvrage Du Sens, il décrit la quête, la vaine poursuite du sens, l'enquête du sémioticien menée c par une porte

étroite, entre deux compétences indiscutables, philosophique et logico-mathématique:t (p. 12). La seule certitude, c'est que c la production du sens n'a de sens que si elle est la transformation du sens donné :t (p. 15). Jouant alors sur la polysémie du mot français c sens :t qui signifie à la fois c ce que les mots veulent bien nous dire:t et une direction c Sinn :t et ~ Richtung :t, Greimas identifie le sens avec le procès d'actualisation orienté, la production littéraire se présentant comme un cas particulier de ce procès d'actualisation du sens virtuel, comparable à la production des voitures automobiles, procès désémantisé, réduit en automatisme.

c Ainsi, on ne sait rien de phl~ sur le sens, mais on a appris à mieux connaître où il se manifeste et comment il se transforme:t (p. 17).

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Les lieux de cette manifestation et les modes de cette transformation - tel est, en gros, J'objet des quatorze textes écrits en· tre 1960 et 1969, qui constituent ce recueil. Les quatre premiers précisent la conception théorique de l'auteur en explicitant, notamment, l'idée que le sens est «un

projet virtuel, l'achèvement d'un procès programmé ». C'est dans cette première partie que le théoricien de la littérature lira avec le plus grand intérêt la discussion - toujours dans la perspec· tive hjelmslevienne - sur la notion de connotation. On peut s'étonner avec Michel Arrivé (1) du peu d'efforts qui ont été déployés jusqu'à présent en vue d'une étude ssytématique de la connotation. Pour les uns, c'est tout simplement l'attitude du sujet parlant à l'égard de l'énoncé, un message supplémentaire dont le codage et le décodage obéiraient à des règles fort mal connues. Parmi les tentatives d'élucidation les plus intéressantes, signalons celle d'Ivan Fonagy, qui la considère comme un mode d'encodage prélinguistique, toujours archaïque et élémentaire (la périodicité du rythme, un des codes producteurs de connotation, représenterait la régression à un état précédant la fonDation de la conscience et évoquerait le radotage, la victoire du principe de plaisir et du principe léthal sur le principe de réalité) et d'André Martinet (2) qui, allant fina· lement dans le même sens, la rattache à l'apprentissage de la langue maternelle.

La conception de Hjelmslev que Greimas s'efforce de développer pour le plus grand profit de la sémiotique (Pour une sociologie du sens commun, p. 93), est à la fois plus obscure et plus ambitieuse. Pour Hjelmslev, la connotation est un système, une langue dont le plan de l'expression serait déjà constitué par une langue. Autrement dit - et en simplifiant, peut-être, outrancièrement en «connotant» on « parle» du signifiant. (Si on « parle» du siguifié, on est dans le métalangage.) Ce qui est particulièrement séduisant dans cette conception, c'est le caractère systématique que Hjelmslev attribue aux langages de connotatiou qui s'ajouteraient aux langages de dénotation et dont les éléments constitutifs seraient les ,connotateurs. Par exemple, dit Hjelmslev, la langue danoise forme le plan de l'expression dans un système significatif dont le contenu serait l'esprit danois. Les mots danois, outre leur sens « référentiel» proprement dit, posséderaient un Eens second qui est «l'esprit danois ». On voit l'immense extension que pourrait prendre cette notion, si on réussissait à décrire le système qu'elle constitue. Avec les métalangues et la métasémiologie, également postulés par Hjelmslev, «la théorie linguistique nous amène, note Martinet dans son compte rendu sur la glossématique (3), à une position-clef d'où aucun domaine scientifique ne peut nous échapper. En concentrant notre attention sur la langue elle-même, et non sur ses à-côtés, nous avons atteint la connaissance, non seulement du système linguistique, dans son ensemble, mais aussi celle de l'homme, de la société, de la totalité du domaine de la science ». Avec Greimas, nous n'avons que des ébauches de description, des «directions de recherche» qui nous éloignent à la fois du texte et de la linguistique en généraI. On aimerait pourtant avoir quelque lumière sur la façon dont Hjelmslev concevait la langue danoise comme système de connotations de l'esprit danois - si toutefois un ter m e aussi vague qu' «esprit» peut servir de point de départ pour une étude systématique - ou sur les opérations qui font que «l'ensemble des

messages français renvoie au signifié "français"»? (Barthey: Eléments de sémiologie, p. 165). Or, le genre d'explications suggéré par Greimas à propos de l'exemple de la connotation désignée en français par «vulgarité» (p. 95) renvoie à l'extra-linguistique: un champ sémantique sociologiquement délimité, des habitudes articulatoires et prosodiques que la phonostylistique identifie facilement comme manifestations du moi profond, etc. On pourrait cependant tenter une étude des connotations basée sur les structures du matériau qu'est la langue dans laquelle le texte est produit. La connotation « bienséance» ou «discrétion» de tel roman français de l'époque classique serait l'expansion de ]a structure dite «discours indirect », acquisition relativement récente. La suppression d'une telle structure (dans le cas, par exemple, de la tradition, si la langue d'arrivée ignore cette structure) entraîne une modification dans la connotation. II en est de même de la structure dite «imparfait» dans le «récit itératif» (le terme est de G. Genette) chez Proust, ou «passé c 0 m p 0 s é» dans l'Etranger de Camus, etc. Une autre voie de la recherche pourrait consister à considérer la connotation comme une «valeur moyenne » déterminée par les continents du texte, c'est-à-dire les termes en présence, et cela aussi bien sur le plan phonétique que sur le plan sémantique, bien que dégager des sèmes dans un texte comporte toujours un certain risque d'arbitraire. Mais cette méthode aurait l'avantage de nous enfermer dans le corpus. Les «anagrames» de .saussure pourraient nous servir de guide: le texte que l'on retrouve «sous le texte », qui est secrété en quelque sorte par lui, ressemble étrangement au «système second ~ des hjlemsléviens. L'étude de Greimas sur la connotation débouche sur une autre notion qui dominera une bonne partie des textes suivants de ce recueil: celle de la «réalité sociale vécue », prolongement mythique des langues de connotation avec ses « objets culturels»: proverbes, rites, récits, etc. «En

ne nous référant apparemment qu'à la langue naturelle, nous avions constamment présents à l'esprit les autres langages so-


Théâ.tre à Berlin ciaux », note Greimas. Or, ces langages sociaux, eux, sont décrits comme des systèmes, en termes relationnels (le contraire, le contradictoire, l'implication, etc.). Il en est de même en ce qui concerne les œuvres narratives: récit mythique, contes populaires. Le gros de l'ouvrage est consacré à l'établissement de modèles destinés à rendre compte de leur configuration structurelle, celle-ci étant significative à un certain degré: «La génération de la signification ne passe pas, d'abord, par la production des énoncés et leur combinaison en discours; elle est relayée, dans son parcours, par les structures narratives et ce sont elles qui produisent le discours sensé articulé en énoncé.» (p. 159).

Adéquation du modèle à l'objet Pour dégager les structures narratives, Greimas fait appel à l'anthropologie structurale ou à la mythologie comparée. C'est l'aspect· le plus connu de son acti· vité: il déploie une ingéniosité scrupuleuse en vue de l'adéqua.tion du modèle à l'objet. Ce qu'il faut noter à ce sujet, c'est qu'il est parfaitement conscient de la portée idéologique d'une telle entreprise. «Ce qui est en cause, écrit-il (p. 36), c'est {ensemble des valeurs culturelles - populaires autant que bourgeoises que la société occidentale assume traditionnellement et qui, sous le nom de {humanisme, constituent son «vécu» implicite... La sémiologie syntagmatique menace, par le fait même qu'elle est possible, les deux bastions de la tradition humaniste : la littérature et {histoire. » Ainsi, tout en limitant ses recherches aux modes de manifestation du sens, on ne peut éviter de rencontrer le sens lui-même: celui-ci est suggéré par la structure. L'étude de la sémiotique des relations sexuelles (pp. 142-150) ne peut guère éviter de poser le prohlème du «pourquoi» de toutes ces contraintes, ces permisl'ions, ces interdictions. S'agissant d'institutions humaine!l, et non de matières inanimées, on ne peut s'empêcher de penser que ces

structures !lont l'effet d'une volonté et non le fait d'une quelconque fatalité.

Une prise de position Toute tentative de démythification est, en effet, une dénonciation et la lucidité du regard est prise de position chez un homme «appartenant à une génération où tous les intellectuels se définissaient par rapport au marxis· me» (4). Explicite dans quelques cas - comme à propos des proverbes et des dictons, où il est dit que «la répétition du même élément lexical... contribue notoirement à la mise en ordre du monde moral censé régir une société» (p. 314) - cette prise de position est implicite tout au long de l'ouvrage. La position qui consiste à refuser de chercher le sens ailleurs que dans ses modes de manifestation n'est pas sans analogie avec celle du linguiste distrihutionnaliste. Dégager par commutation des formes «avons »/ « avions », le «i» qui peut être la marque de l'imparfait en fran· çais, c'est hien. Cela n'empêche pas le linguiste de s'interroger sur la nature de cet imparfait, dont la richesse sémiologique va bien au-delà de la simple indication temporelle. Il en est de même du « sens» des structures sémantiques : contrainte sociale ou idéologique, faihlesse des ressources imaginatives, finitude de la comhinatoire. La liherté, la vérité, la heauté sont bien des illusions. Mais elles sont si profondément ancrées en nous qu'elles contestent la validité des analyses formelles. Au fond, c'est sur la vieille contradiction faustienne entre la soif d'absolu et l'impossihilité de l'atteindre que déhouchent les recherches sur la structure du sens.

Georges Kassai (1) Langue française. 3 septembre 1969, p. 8. (2) Connotations. poésie et culture. dans • To Honor Roman Jakobson., La Haye, 1967. Tome II. (3) A. Martinet: Au sujet des fondements de la théorie de Louis Hjelmslev, Bulletin de la Société de Linguistique, 42, 1946, 19-42.. (4) Cf. Le langage au stéthoscope, par CI. Bonnefoy dans • Les Nouvelles Littéraires. du 4 juin 1970.

La Q!!inzaine Littéraire, du 1 er au 15 juillet 197Q

Depuis quelques années, les meilleures mises en scène en langue allemande sont présentées ensuite à Berlin. Il ne s'agit pas seulement d'une confrontation eutre les diverses manières de faire du théâtre. Chaque présentation est en effet suivie d'une discussion puhlique entre metteU:rs en scène, auteurs, traducteurs et spectateurs. Deux pièces de Goethe ont inspiré des mises en scène totalement différentes. Le sujet de CIavigo - drame écrit· par Goethe à 25 ans en une semaine - a été emprunté au Fragment de mon voyage en Espagne de Beaumarchais. Une grande partie du texte a été presque littéralement traduite, et Beaumarchais, se voyant lui-même en Clavigo selon Goethe, a trouvé, paraît-il, que ce dernier avait peu de talent et une tête de linotte. Le metteur en scène Fritz Kortner a assumé la représentation du Théâtie de Hambourg. Les personnages se détachaient avec la finesse d'omhres chinoises, mais l'action, floue, traînait en longueur. Torquato Tasso a été joué par la troupe du théâtre de Brême, dirigée par Peter Etein, qui présentera, entre autres, à Berlin, cet automne, {Interrogatoire de Habana de H.M. Enzensherger. Un buste de Goethe, posé sur un tapis de sol vert pré, un Torquato Tasso répétant toutes les poses tenues par Schiller et Goethe sur tous les socles des monuments historiques, une structuration remaniant entièrement la pièce ont permis au puhlic de se délecter tout au long de la soirée. Ironie et parodie constituent les attraits de ce renouveau, qui marque sans doute une date dans l'histoire du théâtre contemporain. Wolfgang Bauer, jeune auteur autrichien de 29 ans, s'est fait un nom avec sa première pièce Magie afternoon. Continuant sa préférence pour les titres anglais, il a écrit Change, qui se veut une cri· tique «sanglante» de la société actuelle, à l'occasion du lancement d'nn artiste-peintre. La mise en scène de Bernd Fischerauer (du Théâtre populaire de Vienne), réussie aux deux tiers, n'est sans doute pas responsahle des « intentions scéniques» de l'auteur, d'une banalité navrante. Le décorateur Thomas RichterForgach a inventé un dispositif

remarquable pour illustrer l'époque de Cabale et amour de Schiller. Le trône et les jambes d'un souverain ame dimensions gigantesques emplissent la scène, de sorte que le jeu est conditionné par ce poids fatal. Rolf Henniger, Gerd Bockmann et Susanne Tremper sont les protagonistes de ce drame de la cupidité au détriment des «sujets:t d'un hon père du peuple. Excellente mise en scène de Hans Hollmann. Les Cannibales, de George Tahori (première européenne à l'atelier du Théâtre Schillcr de Berlin) est présentée comme une messe noire à la mémoire du père de l'auteur, mort à Auschwitz.· C'est une exorcisation à résonance singulière de l'univers concentrationnaire dans son pays d'origine. Elle est incarnée avec un grand courage physique par tons les acteurs. L'Anglais John Hopkins (38 ans) est l'auteur de This story 0/ Yours. Prohablement très mal traduite, cette pièce culmine en un méli-mélo physico-psychologique entre un policier et sa vietime. Le metteur en scène Peter Palitsch et ses acteurs du Théâtre de Stuttgart se sont fait copieusement huer. Le pla i sir du eth é â t r e pour et par le théâtre:t a servi de fil à la mise en scène de What you will de Shakespeare, par Johannes Schaaf et ses acteurs du· Théâtre de Munich. Imhroglios, travertis, intrigues, tout est prétexte à un déchaînement joyeux du jeu. Samuel Beckett a été présent deux fois. La Dernière Bande à l'atelier du Théâtre Schiller bénéficie de la mise en scène de Beckett lui-même et d'une interprétation magistrale par Martin Held. En attendant Godot est venu de Bâle, où la pièce se joue depuis 20 mois. 25 000 8pectateurs l'ont vue dans une salle louée longtemps d'avance. Les jeunes y tiennent la plus grande place. fi est vrai que le théâtre de Bâle leur offre un tarif réduit, quel que soit le nombre des acheteurs à plein tarif. La mise en scène de Hans Bauer offre une communication totale avec le spectateur. Quant au personnage de I.ucky (Peter Brogle), je n'ai jamais vu une interprétation aussi boweversante du rôle. JulÛl Tardy.Marcw

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LETTRE

DE BERLIN

Kommune 2 Versuch der Revolutionierung des bürgerlichen Individuums Oberbaum éd., 311 p. Berlin-Ouest.

L'idée est r é pan due dans l'extrême-gauche que la révolution changera l'homme, que l'instauration d'un système politique nouveau entraînera une transformation profonde des rapports humains. Rares sont ceux que préoccupent les modalités psychologiques de cette transformation et, ce qui importe peut-être davantage) les problèmes psychiques que posc aujourd'hui la lutte politique aux militants eux-mêmes. La commune berlinoise dont le rapport vient de paraître a tenté de résoudre ces deux questions à la fois: elle a anticipé, par l'expérience communautaire, un ordre social radicalement différent; en même temps, cette forme de vie était destinée à rendre ceux qui la pratiquaient plus aptes à l'engagement révolutionnaire; il s'agissait de modifier un caractère formé par une éducation bourgeoise dont les normes étaient intériorisées. La «Kommune 2 » fut créée à Berlin-Ouest début 1967 par un groupe de militants du S.D.S. lSozialistischer Deutscher Student.enbund, Association des étudiants socialistes allemands). A cette époque existait déjà la «Kommune 1 », qui devint célèbre par ses actions provocantes. L'intention première des promoteurs de la seconde commune était de vivre ensemble pour faire du travail politique en commun. Cette tentative se solda par un échec : les membres de la commune avaient de sérieuses difficultés individuelles qui les empêchaient de se consacrer librement à l'activité politique: «Nous réalisâmes de plus en plus clairement qu'un travail collectif était impossible sous la pression de nos problèmes personnels, aussi longtemps que nous ne les avions pas affrontés. » Tirant les conséquences de cet échec, ils se regroupèrent en été 1967 pour recommencer d'une façon différent.e: la priorité serait donnée à la solution des problèmes personnels, car «nous devons nOlIS transformer nous - mêmes

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Une COnInIune avant de pouvoir changer la réalité sociale ». Un appartement de 7 pièces fut loué, où emménagèrent 3 femmes et 4 hommes, âgés de 19 à 29 ans, et deux enfants: Nessim, un garçon de 3 ans et 9 mois, une fille, Gricha, de 2 ans et 9 mois. La commune s'est dissoute en été 1968, elle aura duré près de deux ans. Le rapport de son existence difficile, passionnée, vécue avec une sensibilité aiguë et des exigences radicales, a été rédigé collectivement par ses anciens membres. Le livre s'ordonne non selon la chronologie, mais d'après des thèmes: l'organisation de la vie quotidienne, l'éducation des enfants, l'activité politique, les conflits et la psychanalyse de groupe. La vie quotidienne fut organisée de façon à éviter une division du travail d'après les sexes. A tour de rôle, tous les membres, deux par deux, faisaient le ménage et s'occupaient des enfants. Ainsi était rompue la monotonie d'une existence faite de travaux ménagers constamment recommencés. Sur ce plan, l'égalité des hommes et des femmes s'instaura sans difficultés. L'aspect le plus nouveau et le plus captivant de l'expérience communautaire est sans conteste l'éducation collective des enfants. Tous les membres s'accordaient sur la nécessité de créer avec eux un autre rapport que la famille traditionnelle. Une théorie de l'éducation antiautoritaire était inexistante, à part quelques essais datant des années 20 (Véra Schmidt, Wilhelm Reich et le mouvement sex-pol); il fallait donc partir de zéro et oser expérimenter, en corrigeant les erreurs au fur et à mesure par une réflexion théorique. L'idée générale était d'éduquer les enfants à l'autonomie. Nessim vivait dans la commune avec son père, Gricha avec sa mère ; tous deux étaient traumatisés par des événements antérieurs et profondément liés à leur père et à leur mère. L'éducation collective réussit à réduire progressivement cette fixation: les enfants s'attachèrent peu à peu aux membres de la commune, qui s'occupaient d'eux autant que leurs parents. La possibilité de décharger leurs affects sur d'autres adultes leur permit de mani-

fester des agressions contre leur ainsi: «Etre antiautoritaire ne père et leur mère, au lieu de signifie pas abandonner complèdevoir les refouler, comme c'est tement les enfants à eux-mêmes, le cas dans la famille tradition- mais empêcher que la soumission nelle. De leur côté, les adultes autoritaire ne soit ancrée dans la apprirent lentement à communi- structure caractérielle.» Beaucoup plus ardue que l'éduquer avec les enfants et à comprendre leurs besoins. Craignant cation des enfants se révéla l'évoau début de prononcer des inter- lution des adultes. Tous étaient dictions, ils réalisèrent par la sui- partis de l'idée que l'existence te qu'ils recouraient à la manipu- collective se justifiait seulement si lation pour influencer les enfants elle accroissait l'aptitude de chadans leur sens et changèrent d'at- cun à s'engager dans la lutte polititude: «Quand cela nous sem- tique. Les études universitaires blait inévitable, nous avons préfé- que les hommes avaient commenré formuler des interdictions clai- cées leur avaient donné un sentires (en essayant de les motiver) ment de frustration et d'isolement. plutôt que d'empêcher les en- Ils voyaient dans la commune la fants par des trucs de faire certai- possibilité de faire un travail colnes choses : utiliser le tourne-dis- lectif qui alliât la productivité au que, jouer dans la chambre de plaisir. Mais tous les projets dans travail. » . ce sens échouèrent; une activité Dans le cadre d'une telle édu- commune satisfaisante ne put cation, la sexualité prenait une être trouvée, ni dans le domaine importance particulière car, pour de la théorie, ni dans celui de les «communar.ds », l'épanouisse- la pratique politique. Les femment de l'adulte dépend des res- mes surtout retrouvaient le malaitrictions imposées à la jouissance se qu'avait suscité en elles l'engade l'enfant. Ils s'efforcèrent non gement au sein du S.D.S. : la lutte seulement de tolérer mais d'ap- politique et le travail théorique prouver affectivement la sexualité leur semblaient abstraits, sans enfantine. Ils encouragèrent l'in- rapport immédiat avec leurs térêt et les jeux sexuels de Nes- problèmes personnels. Pour tous, sim et Gricha, tout en insistant les inhibitions et les conflits indisur «réquivalence fonctionnelle viduels resurgissaient continuelledes organes génitaux masculins et ment: « Nous étions toujuurs reféminins », afin d'éviter la valori- jetés sur nous-mêmes: sur noussation traditionnelle du sexe mâ- mêmes comme des individus qui avaient peur, qui ne savaient trale. Les enfants allaient au jardin vailler collectivement mais seuled'enfants municipal; ils commen- . ment en tallt que concurrents incèrent par le faire avec plaisir, divicf,ualistes, ... qui craignaient autorité, que ce fût la police, puis manifestèrent une aversion croissante à son égard. L'éduca- la justice, le professeur, une vetion discipline qu'ils y recevaient de,t,te S.D.S. ou un membre du était en contradiction flagrante groupe... » Ainsi les «communards» fuavec celle de la commune. En collaboration avec d'autres mili- rent amenés à se préoccuper de tants du S.D.S., celle-ci entreprit plus en plus de leurs difficultés de créer des jardins d'enfants se- psychiques. Ils tentèrent au fil du lon sa propre conception; des temps d'élaborer une méthode, magasins désaffectés furent loués basée sur la psychanalyse, qui à cet effet, d'où le nom de «Kin- leur permît de «travailler» leurs derladen» (magasin d'enfants). conflits. Dès les premiers jours de Actuellement, il en existe à Ber- la commune, ils avaient commenlin-Ouest un nombre considérable. cé par des conversations, où chaL'expérience communautaire cmi racontait à sa guise «sa vie ~ n'a pas assez duré pour permettre et ses tourments. C'était à peu des conclusions définitives en ma- près les mêmes pour tous: diffitière d'éducation collective; il cultés de travail, peur de l'auton'est par exemple pas possible de rité, problèmes sexuels. A l'endire aujourd'hui quelle influence contre de la «Kommune 1 ~ qui elle exerce sur des conflits déci- avait solennellement décrété l'abosifs tels que le complexe d'Œdi- lition du couple, la seconde compe. La commune ne prétend pas mune a récusé tout dogmatisme livrer un modèle, elle a voulu à cet égard. La plupart de ses frayer une voie qu'elle résume membres vivaient en couple.

r


INFORMATIONS

berlinoise

LES PRIX Le prix Roger Nimier 1.970 a été attribué à Robert Quatrepoint pour son roman, publié aux éditions Denoël: Mort d'un Grec. Jacqueline Kahn-Nathan et Gilbert Tordjman ont obtenu le Prix Fagon 1970 pour leur étude intitulée le Sexe en questions. Une expérience d'éducation sexuelle dans la région pari· sienne, et publiée dans la collection • Femme. chez le même éditeur. Le Prix Charles Perrault, créé cette année. a été attribué à Italo Calvino pour son roman le Baron perché (Gallimard). Le Prix du Rassemblement Breton a couronné l'ouvrage de Jean Markale. les Celtes et la civilisation celtique, publié aux éditions Payot. Le Grand Prix Inter-Clubs du Théâtre 1970 a été décerné au spectacle de la Gaîté-Montparnasse: Un jour dans la mort de Joe Egg, pièce de Peter Nichols (adaptation française de Claude Roy, mise en scène de Michel Fagadau). Le jury, qui représente une centaine de groupes de spectateurs. a attribué d'autre part les Prix InterClubs à la Mise en pièces du Cid (mise en scène par Roger Planchon) au Théâtre Montparnasse et aux Nonnes d'E. Manet (mis en scène par Roger Blin) au théâtre de Poche-Montparnasse.

Il s'avéra bientôt que cette façon de discuter ne résolvait rien. Après une phase de désarroi, on décida de pratiquer une psycha. nalyse systématique de groupe; des séances régulières furent instituées. Leurs procès-verbaux té· moignent de la confusion qui y régnait et du danger de mener en amateurs une «analyse sauvage ». Un psychanalyste munichois appelé à l'aide proposa qu'au lieu de se faire analyser par le groupe, chacuu ait son propre «analyste» déterminé. Cc conscil fnt suivi: chacun devenait à la fois « patieut» el «analyste ». Le groupe investit une énergie considérable dans son analyse, qui donna deux résultats positifs: la possibilité d'exprimer des affects sans provoquer de réactions hostiles eut un effet libérateur, et l'accroissement de la sensibilité à l'égard d'autrui créa une atmosphère quotidienne dépourvue de contrainte. Mais l'analyse eut aussi des conséquences négatives, qui finirent par l'emporter. EUe «psy· ehologisa» la vie quotidienne: les gestes, les paroles, les actions La Q!!inzaine Littéraire, du

let

de chacun étaient perpétuellement l'objet d'une interprétation freudienne de la part du groupe. En outre, un réseau complexe de transferts mutuels se tissa, qui enrichit les rapports affectifs mais suscita de fortes tensions. Le groupe se repliait sur lui-même:

« Plus tard, nous réalisâmes qu'une situation se répétait, de façon presque insensible, que nous croyions dépassée depuis longtemps : la surcharge émotionnelle de la famille.» L'attentat contre Rudi Dutschke en avril 1968 et les manifestations anti-Springer qui suivirent arrachèrent la commune à ses problèmes internes et interrompirent ranalyse. Par la suite, certains refusèrent de la reprendre, soit parcc que le travail politique leur semblait plus important, soit parce qu'ils n'en avaient pas la force psychique. La mère de Gricha, en revanche, y tenait énormément. Ces intérêts contradictoires ne purent être conciliés. La communc vivota quelque temps encore pour se désagréger en été 1968~ La «Kommune 2» s'est donc achevée sur un échec. Aucun de ses membres n'envisage pourtant,

au 15 juillet 1970

daus la conclusion du livre le retour à une forme de vie non collective. Leur exigence d'allier l'activité politique et la vie privée reste posée, et une commune leur semhle le seul moyen d'y répondre. La faillite semhle due à plusieurs facteUl's : elle illustre la difficulté de changer délihérément un caractère déjà formé; les moycns dont disposaient les « communards» étaient cel·tainement insuffisants; la psychanalyse n'a pas donné les résultats escomptés : elle cst inadéquate au but qu'ils se proposaient ou elle a été mal faitc. De plus, l'activité politique et la transformation de «.l'individu bourgeois» s'excluent peut-être, tant que cette dernière exige un repli complet du groupe sur lui-même. Toujours est-il que cette expé. rience rcste exemplaire. Les « communards» en ont pleinement assumé les risques: ils ont osé vivre, dans toute leur acuité, les difficultés, les angoisses, les conflits. «Révolutionner l'indi· vidu bourgeois », c'est commencer par s'affronter soi-même.

Le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres a été décerné à Marc Bernard pour Mayorquinas (Denoël, LN).

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Au bout de ses. six mois de quarantaine, le nouvel arrivant est officiellement déclaré novice. Cette nomination est l'occasion de deux manifestations. La première est une cérémonie d'intronisation qui se déroule sur le Stade central, en présence de tous les Athlètes: on enlève aux jeunes gens leurs menottes, leurs fers et leurs boulets et on leur remet l'insigne de leur nouvelle fonction: un large triangle d'étoffe blanche qu'ils cousent, pointe en haut, sur le dos de leur survêtement. Un sous-directeur de courses ou un chronométreur

La seconde manifestation, de caractère beaucoup plus privé, a lieu dans les chambrées des villages. D'abord secrète et clandestine, elle a fini par être reconnue par l'Administration qui, selon sa politique habituelle, n'a pas cherché à l'interdire mais s'est contentée d'en codifier le déroulement. L'objet de cette manifestation est de choisir parmi les Athlètes celui qui sera le Protecteur du nOVIce, c'est-àdire celui qui se chargera de son entraînement, qui le guidera sur les stades, qui lui enseignera les techniques du' sport, les règles sociales, les marques extérieures de respect, les coutumes du village. C'est lui, évidemment, qui viendra à son secours chaque fois qu'il sera menacé. En échan· ge, le novice servira ce tuteur attitré avec dévouement et reconnaissance: il lui fera son lit chaque matin, lui apportera son bol de porridge,. lui lavera son linge et ses gamelles, lui servira son repas de midi; il veillera au bon état de son équipement sportif, de ses maillots, de ses chaussures de compétition. Accessoirement, il lui servira de giton. Il faut évidemment être classé pour avoir l'honneur de protéger un novice. On peut se rappeler qu'il y a, dans chaque village, 330 Athlètes dont 66 sont classés régulièrement, c'est-à-dire ont gagné leur nom dans les championnats de classement, et une vingtaine, au maximum, de crouilles qui ont réussi à se décrocher une Identité en triomphant dans les Spartakiades. Or l'effectif des novices oscille. nous l'avons vu, entre 50 et 70. Il pourrait donc y avoir à peu près autant de protecteurs que de protégés. Mais ce serait méconnaître profondément la nature de la société W que de croire qu'il pourrait en être ainsi. En fait, ia désignation du tuteur est déterminée par l'issue d'un combat singulier que se livrent les deux meilleàrs champions du village, c'est-à-dire ceux qui sont au moins Champions Olympiques et dont le nom est précédé de l'article défini (le Kekkonen, le Jones, le -McMillan, etc.) S'il y a plusieurs champions olympiques dans un village, ce qui est fréquent puisqu'il y a 22 champions olympiques et 4 villages, on choisit en priorité ceux qui ont triomphé dans les disciplines

dites nobles: les courses de vitesse d'abord, le 100 m, le 200, le 400, puis le saut en hauteur, le saut en Ion· gueur, le 110 m haies, les courses de demi-fond, etc., jusque, en désespoir de cause, aux pentathlons et décathlons. En règle générale donc, la plupart des novices se retrouvent avoir pour protecteur attitré l'un ou l'autre de ces deux super-champions; il peut arriver qu'on se les dispute âprement et que leur obtention fasse l'objet d'une lutte sanguinaire: mais, le plus souvent, le partage se fait par accord tacite: chaque champion choisit à tour de rôle, selon les arrivages, dans le lot des novices et le combat singulier qui les oppose se limite à quelques invectives topiques et à un simulacre de corps à corps. On conçoit ainsi aisément comment cette institution, qui ne visait au départ que la seule relation des Anciens et des Nouveaux, un peu à l'image de ce qui se pratique régulièrement dans les collèges et dans les régiments, a pu devenir sur W la base d'une orga· nisation verticale complexe, d'un système hiérarchique qui englobe tous les sportifs d'un village dans un réseau de relations en cascade dont le jeu constitue toute la vie sociale du village. Les protecteurs en titre n'ont en effet que faire de leurs trop nombreux filleuls: ils s'en réservent deux ou trois et monnayent les services des autres auprès des autres Athlètes. On aboutit ainsi à la formation de véritllbles clientèles que les deux champions de tête manipulent à leur gré. Sur. le plan strictement locai, le pOl,lYQir des champions protecteurs est immense, et leurs chances de survie so.~i . considérablement plus grandes ql,t6 celles des autres Athlètes. Ils peuvent, par des brimades systématlql,les, .filn les faisant harceier par leurs novic.e.s et par leurs crouilles, en les empêchant de manger, en les empêchllnt .de dormir, épuiser ceux de leurs compatriotes dont ils ont le plus à craindre, ceux qui se classent immédiatement derrière eux dans leur spécialit~, ceux qui les talonnent à chaque course, à chaque concours et dont ils savent que la victoire serait le signal d'une-·impitoyable vengeance. Mais le système des clientèles est aussi fragile qu'il est féroce. L'acharnement d'un adversaire ou le bon plaisir d'un arbitre peuvent, en une seconde, faire perdre au Champion ces noms qu'il a si durement gagnés et si sauvagement défendus. Et la masse de ses fidèles se retournera contre lui et ira mendier les bouchées, les sucres et les sourires des Nouveaux Vainqueurs. (à suivre)


Livres publiés du 5 au 20 juin 1970 112 p., 9 F. Le premier roman d'un jeune auteur de 30 ans.

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FRANÇAI8

.Samuel Beckett Mercier et Camier Editions de Minuit. 216 p" 15 F Un roman inédit, écrit en 1946 (voir les nO' 1, 67, 82 et 93 de la Quinzaine). • Joyce Mansour Ça Illustrations de Baj Soleil Noir, 160 p" 18 F. Sept récits d'érotisme, de cruauté et d'humour noir. Ph. Mestre Quand flambaIt le bocage Laffont. 416 p., 20 F. Un roman d'amour et d'action qui a pour toile de fond l'insurrection vendéenne de 1795. Jean-Pierre Milovanoff La fête interrompue Editions de Minuit,

par J. Rosenthal Laffont, 304 p" 20 F. Dans la tradition du film • Le Pigeon-, un roman qui mêle savoureusement "humour anglais à la fantaisie italienne.

Reine Silbert Les simples rencontres Edition Spéciale, 208 p" 19 F. Dans le Paris de mai • Jorge Amado 1968, une jeune femme Les pâtres de la nuit fait son éducation Trad. du brésilien sentimentale Stock, 352 p., 26 F. et politique. Une comédie humaine qui a pour toile Georges Thinès de fond Bahia, par Les effigies un des principaux Gallimard, 240 p., 17 F. représentants du Inspiré de • L'Anabase roman brésilien de Xénophon, un d'aujourd'hui. pèlerinage lyrique aux sources de John Brunner l'enfance et de Le long labeur l'humanité. du temps Trad. de l'américain par A. Doremieux ROIIAIII8 Laffont, 224 p., 16 F. .TRAIIIGBRS Dans la collection • Ailleurs et demain-, un roman de sciencefiction sociologique Rennie Alrth et historique d'un Rapt Trad. de j'anglais ton très nouveau.

.Julio Gortazar Tous les feux le feu Trad. de l'espagnol par L. Guille-Bataillon Gallimard, 208 p., 14,75 F. Un recueil de huit nouvelles, par l'auteur de • Marelle - (voir le n° 20 de la Quinzaine) .

Gudrun Pausewang Mariage bolivien Trad. de l'allemand Stock, 224 p., 20 F. Une évocation savoureuse de la vie quotidienne des Indiens dans les hauts-plateaux de Bolivie.

William Golding La pyramide Trad. de l'anglais .André Bely par M.-L. Marlière Poèmes Gallimard, 272 p" Edition bilingue 21,25 F. Adaptation par Par l'auteur de Gabriel Arout • Sa majesté des Gallimard, 128 p., 16 F. mouches - et de c La Nef - (voir le Ghérasim Luca n° 19 de la Quinzaine), Héros-Limite • Joyce Garol Oates 3 dessins de J. Hérold Des gens chics Soleil Noir, 96 p., Trad. de l'américain 12 F. Stock, 320 p., 20 F. Réédition d'un Par une des ouvrage paru en 1953 romancières les plus et devenu originales de la introuvable. génération américaine actuelle, lauréate Poèmes de l'année du National Book 1970 Award. choisis et présentés

par A. Bosquet et P. Seghers Seghers, 192 p" 16,50 F. Un florilège des meilleurs poèmes publiés en 1969.

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Livres publiés du ; au 20 juin 1970

Auguste Comte Œuvres: Tomes VII, VIII, IX et X Le système de politique positive ou Traité de sociologie Anthropos, 850, 650, 650 et 800 p. 200 Fies 4 vol.

MEMOIRES BIOGRAPHIES F. d'Hautefeuille Le tourment de Simone Weil Préface de J. M. Perrin Desciée de Brouwer, 207 p., 17,20 F. Simone Weil ou le drame d'un esprit écartelé entre l'optimisme militant et le pessimisme spirituel. Jeanine Huas Juliette Drouet ou la· passion romantique Hachette, 320 p., 25 F. Une biographie approfondie de la compagne de Victor Hugo, étayée sur de nombreux documents inédits. Ho Chi Minh, notre' camarade Souvenirs de militants français rassemblée par Léo Figuières et Ch. Fourniau 8 hors-texte Editions Sociales, 272 p., 14,50 F. Un recueil de souvenirs qui permet de comprendre la personnalité réelle de l'Oncle Ho' et les raisons des combats et des victoires du peuple vietnamien.

CBITI-,UIZ HISTOIR. LITTERAIRE André Bleikasten François Pltavy Michel Gresset William Faulkner 4 illustrations A. Colin, 384 p., 13,80 F. Un dossier littéraire comprenant une présentation et l'étude des deux romans les plus importants de l'auteur: • As 1 lay dying - et • Light in August -. Henri Brémond Maurice Blondel

Correspondance établie, présentée et annotée par A. Blanchet Aubier-Montaigne, 512 p., 42 F. Alain Jouffroy La fin des alternances Gallimard, 312 p., 23,25 F. Une suite de textes qui ont pour point de départ la rencontre du poète avec Breton en 1946 et qui éclairent son propre itinéraire ainsi que celllj de la poésie contemporaine dans son ensemble. Monique Jutrin Panaït Istrati, un chardon déraciné Maspero, 304 p., 20,80 F. Une étude critique et une biographie très fouillée de cet exilé roumain devenu écrivain français à l'âge de quarante ans. Jean-José Marchand Sur «Mon cœur mis à nu,. de Baudelaire L'Herne, 308 p., 26,87 F. Une glose minutieuse, où l'auteur s'est efforcé de dégager l'enseignement du poète pour les temps que nous vivons. Henry Miller ~ritretiens de' Pa,is avec Georges Belmont Stock, 130 p., 18 F. Une série d'entretiens enregistrés en septembre 1969 pour l'O.R.T.F.

Hachette, 256 p. 17,50 F. Par le directeur du Centre psychopédagogique de l'Académie de Paris. F. Chazel R. Boudon P. Làzarsfeld L'analyse des processus sociaux Sous l'égide de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes Mouton, 413 p., 38 F. Un recueil de textes consacrés aux divers types d'analyse dans le temps. F. Donovan Education stricte ou éducation libérale Trad. de l'américain par Simone Roux Laffont, 288 p., 22 F. Un bilan des plus objectifs sur les ' recherches effectuées depuis un siècle et demi sur le comportement et l'éducation de l'enfant. Fernand Dumont Dialectique de l'objet économique Préface de L. Goldmann Anthropos, 382 p., 27 F. Une critique épistémologique des sciences humaines qui se situe à la fois dan~ I.a sphère des concepts et de la logique et dans celle des pratiques sociales modernes.

sociétés rurales françaises A. Coiin, 312 p., 11,80 F. La substitution à la civilisation paysanne traditionnelle de la nouvelle civilisation technicienne. Sexualité humaine Ouvrage collectif Aubier-Montaigne, 304 p., 21 F. Un ensemble -d'études qui présentent la sexualité humaine en fonction des diverses approches dont elle est aujourd'hui l'objet. Denis Szabo Déviance et criminalité. Textes A. Colin, 384 p., 13,80 F. Un recueil de textes de sociologues français et étrangers sur )es. pr.oblèmes majeurs de la criminologie.

PHII.OSOPHIJI Martial Géroult Spinoza 1. Dieu (Ethique, 1) Aubier-Montaigne. 624 p., 45 F. Réédition d'un important ouvrage, considéré comme une éclatante démonstration d'analyse structurale appliquée à une œuvre philosophique.

Denise Jodelet .Karel Kosik Jean Vi et La dialectique du Philippe Besnard concret La psychologie sociale Trad. de l'allemand Une discipline en par R. Dandeville mouvement . Maspero, 176 p., Préface de S. Moscovici 14,80 F. Sous l'égide de l'Ecole Par un militant Pratique des Hautes communiste tchèque, Etudes un ouvrage considéré Mouton, 470 p., 34 F. comme l'un des grands Un instrument de textes de la travail et de réflexion philosophie marxiste. appuyé sur l'analyse Pierre Spriet Michel Piclin de textes de référence Michel Grivelet La notion de et sur une approche Shakespeare : transcendance critique des problèmes Richard III A. Colin, 304 p., 70 F. de la recherche. A. Colin, 208 p., 8,80 F. Le sens de cette Une étude approfondie • Henri Lefebvre notion et son évolution de l'une des Du rural à l'urbain de Platon à principales pièces Ed. Anthropos, l'existentialisme. de Shakespeare. 285 p., 25 F. L'opposition conflictuelle entre la campagne et la ville SOCIOLOGIE et son dépassement. PSY-CSOLOGIE Janine Mossuz André Malraux et le gaullisme 6 hors-texte A. Colin, 316 p., 35 F. Une étude littéraire et politique dont le thème central est celui de la fidélité contestée de Malraux à l'idéal de sa jeunesse.

Henri Mendras

André Berge L'enfant au caractère difficile

La fin des paysans .Changement et· innovations dans ,les

Marcel Cohen Toujours des regards sur la langue française Editions Sociales.

352 p., 45 F. A la portée de tous les publics, une étude à la fois claire et rigoureuse sur le fonctionnement de notre langue.

HISTOIR. J.-B. Barbier Si Napoléon avait pris Londres••• La Librairie Française, éd., 160 p., 18 F. Sur un sujet fort controversé, une étude objective et rigoureusement documentée. André Castagna Panorama du siècle élisabethain éo iII. in texte Choix de textes, chronologie synoptique, bibliographie Seghers, 256 p., 25 F. Collection • Panoramas illustrés -. E.R. Chamberlin Des mauvais papes Trad. de l'anglais Stock, 304 p., 28 F. La vie publique et privée de sept papes dont les dépravations devaient conduire à la Réforme. ePierreChaunu La civilisation de l'Europe classique 140 illustrations en héliogravure, 8 pl. hors texte et 37 cartes et plans Arthaud, 876 p., 102 F. La civilisation de l'Europe classique dans son unité profonde et dans sa diversité. Réédition. Abba Eban Mon peuple, histoire du peuple juif 65 illustrations Buchet-Chastel, 374 p., 30 F. Par le ministre des Affaires étrangères d'Israël, un ouvrage ~ . la fois historique . et philosophique, qui reflète les visions, les faits, les mythes '.: dont sont constituées . la vie et la pensée du peuple juif. Michel Nouhaud Panorama du siècle de Périclès . . Choix de textes, ehfOnologie synoptique, bibliographie Seghers, 256 p., 25 F.

Collection • Panoramas illustrés -. Victor Wolfson Mayerling: la mort trouble Trad. de l'américain par M. Ponty-Audiberti 8 p. de photos Laffont, 256 p., 19,50 F. Une enquête minutieuse sur le drame de Mayerling.

POLITIQUB ECONOMIE Gene E. Bradley Le défi des années 1970 - EuropeAmérique: un marché de 500 millions de consommateurs France-Empire, 364 'p., 25,50 F. . Une étude synthétique réalisée dans le cadre du Conseil Atlantique. Jacques Capdevielle René Mouriaux Les syndicats ouvriers en France A. Colin/U 2 Les fondements historiques, les structures, le champ d'action., les moyens et les problèmes actuels du syndicalisme français. Charles Carter La richesse Trad. de l'anglais Stock, 192 p., 21 F. Par un économiste, vÎce-chancelier de la nouvelle Université de Lancaster et co-rédacteur en chef de • The e'conomic journal -. Nicolaï Ceausescu Pour une politique de paix et de coopération internationale 17 illustrations N3gel, 200 p., 18,75 F. Par le président de la République Socialiste de Roumanie. Monica Charlot La persuasion politique A. Colin/U 2 Les méthodes et t~chniques de la propagande politique, illustrées par des exemples précis. Yvonne Dumont Les conununlstes et


Bilan de juin la condition de la femme Editions Sociales, 176 p., 12,35 F. Une étude sociologique, politique et économique sur l'évolution de la condition féminine dans les sociétés industrielles.

l. Durànd-Reville Les investissements privés au service du tiers monde Préface de Gaston Leduc France-Empire, 372 p., 29,50 F. Un spécialiste fait le bilan de l'aide privée aux pays du tiers monde. André Kaspi

La vie politique aux Etats-Unis. 19 tableaux, 5 cartes et schémas, index, bibliographie A. Colin, 416 p., 13,80 F. L'évolution du système politique américain de 1776 à 1945 et son fonctionnement actuel. Leonev De Gaulle devant ses juges Nouvelles Editions Debresse, 288 p. 23 F. Un réquisitoire violent pour le procès moral et politique de "homme d'Etat, appuyé sur une documentation très précise. Mémoires d'un vieux bolchevik Maspero, 196 p., 14,80 F. Un recueil de textes provenant d'Union . soviétique et édités par le Samisdat. Pierre Naville Nouveau Leviathan; Tomes Il et III: Le salaire socialiste, Anthropos, 550 p., et 35 F le volume. Voir le nO- 97 de la Quinzaine. Léon Trotsky Nos tâches politiques suivi de deux textes de Rosa Luxemburg et de Lénine Edition établie par Boris Fraenkel Belfond, 256 p., 26 F. La première réédition, depuis sa parution en russe en 1904, à Genève, du plus violent réquisitoire Jamais rédigé contre Lénine.

DOCUIIENTS Robert Ambelain Jésus ou le mortel secret des Templiers Coll. • Les énigmes de l'univers» Laffont, 400 p., 18 F. Un décryptage insolite de la vie de Jésus appuyé sur l'histoire des Templiers. Neil Armstrong Michael Collins Edwin E. Aldrin Premiers sur la lune Trad. de l'américain par Frank Straschitz Epilogue d'A. C. Clarke Coll. • Ce jour-là» 28 p. de hors-texte Le récit complet de la conquête de la lune par ceux qui l'ont vécue. Jacques Chancel Radioscopie Laffont, 312 p., 18 F. Dix entretiens réalisés pour France-Inter, avec B~igitte Bardot, Mitterrand, Montherlant, Pouillon, etc. Jean. Daubier Histoire de la révolution culturelle prolétarienne en Chine Màspero, 306 p., 18,10 F. Une étude qui offre la particularité d'être le fruit d'une expérience vécue. Jeanne Delais Les enfants de l'auto Gallimard, 212 p., 17 F. Un dossier constitué par des témoignages d'enfants sur un des plus importants phénomènes de civilisation de notre temps: l'automobile. Victor Franco La grande aventure du Club Méditerranée Laffont, 344 p., 15 F. L'histoire du célèbre club de vacances, devenu, en vingt années, avec un million d'adhérents, l'une des plus puissantes organisations de loisirs actuelles. Mohamed LebJaoui Vérités sur la révolution algérienne Gallimard, 256 p., 24 F. Une série de témoignages irrécusables, par un de ceux qui furent parmi les dirigeants de la Révolution.

ta Q!!inzaine. Littéraire. du le. au 15 juillet 1970

Le livre des travailleurs africains en France Sous l'égide de l'Union Générale des Travailleurs Sénégalais en France. Maspero, 204 p., 14,80 F. Un dossier complet sur les conditions de l'émigration des travailleurs sénégalais avant et après l'indépendance de leur pays. Hubert Nyssen L'Algérie en 1970 telle que je l'ai vue Arthaud, 160 p., 19,50 F. Une étude d'ensemble sur l'Algérie après huit ans d'indépendance. O. Reile L'Abwehr ou le contre-espionnage allemand en France de 1935 à 1945 Préface de Rémy France-Empire, 320 p., 19 F. Par celui qui fut l'adjoint de l'amiral Canaris qui le chargea du contre· espionnage en France à partir de 1935.

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