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:Entretien avec Elie Wiesel
SOMMAIRE
Premier amour Mercier et Camier
par Anne Fabre-Luce
La ville sur la mer Pensée testamentaire Un siècle débordé Les paroisses de Regalpp-tra suivi de Mort de l'Inquisiteur Contes d'hiver Les belles endormies Cinq nôs modernes Des gens chics Œuvres littéraires et politiques La salive de Z' éléphant Les dix Japonais Elie Wiesel, le témoin
par Cella Minart
Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski.
La Quinzaine littéraire
Secrétariat de la rédaction : Anne Sarraute. Courrier littéraire: Adelaide Blasquez. Maquette de couverture: Jacques Daniel. Rédaction, administration: 43, rue du Temple, Paris (4"). Téléphone: 887·48·58...
par Marie-Claude de Brunhoff par Samuel S. de Sacy par J osé Pierre
Un lieu hanté Rome. la fin de fart antique
Le Seul
par Pierre Pachet
par Guy de Hosschère
Le manifeste différentialiste Principes de l'economie politique et de fimpôt
par Jean Duvignaud
L'étudiant
par Claude Mettra
L'image-action de la ou la politisation actuelle L'ecran de la mémoire
Conseiller: Joseph Breitbach.
par Angelo Rinaldi par André Bay par Claude Bonnefoy
Propos recueillis par Gilles Lapouge par Marcel Billot par Marcel Marnat
Colonialisme et
François Erval, Maurice Nadeau.
par Alain Clerval
par Michel Lutfalla
par Victor Karady par Jacques-Pierre Amette
Praxis du cinéma Cinéma Underground a Vcnisf'
par Alain Clerval par Marie-France Bridelance
Le Borgne est roi
par Simone Benmussa
w
par Georges Perec
Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris (7°). Téléphone: 222·94-03.
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p. p. p. p. p.
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Le Seuil Roger Viollet 7 Denoël 9 Albin Michel 9 Gallimard p. 10 Stock p. 11 Roger Viollet p. 14 Losfeld p. 15 Snark p. 17 Gallimard p. 19 Tchou p.20 Roger Viollet p.21 Gallimard p.22 Calmann-Lévy p.23 Roger Viollet p.24 Roger Viollet p.25 Riboud, Magnum p.26 Gallimard
1.11 I.IVRII DII
,
Les sentinelles du neant I.A QUINZAINII
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Samuel Beckett Pemier Amour (19451 Minuit éd., 56 p.
Mercier et Camier l19461 Minuit éd., 212 p.
1
De ces deux textes dc Beckett, l'un Premier A mour qui est courte nouvelle, a été écrit la même année que Watt (1945), et l'autre, Mercier et Camier, se situe un an avant Molloy (1947). Il est également important d'ajouter que ces deux œuvres furent composées pendant la période où Beckett écrivait Nouvelles et textes pour rien (1946-1950), qui contient un récit capital : f Expul.
3é. Premier Amour, qui raconte l'histoire de l'union du narrateur avec une femme, cst surtout lc récit d'une tentative d'ancrage qui échoue devant l'impossibilité de contact partagé ou durable entre deux êtres. La femme appal"aît ici comme la confirmation de l'échec dans l'amour. Les rapports de Watt avec la poissonnièrc Mm' Gorman étaient déjà une série de «fiascos ». A la séduction féminine, essentiellement castratrice, à la femme dévoreuse, le narrateur de Premier A mour répond déjà, non plus par l'humour qui est une distance prise par rapport à l'investissement affectif, mais par l'indifférence, refus de contact, ct enfin la fuite devant la procréation, les enfants étant «les scories de l'amour:l). Le refus de la femme se solde par une auto-expulsion qui correspond précisément à l'expulsion de l'enfant hors du corps de la mère. La femme disparaît alors du champ affectif, visuel, et intellectuel du narrateur à cause de son horreur de la paternité: «Je ne me sentais pas bien à côté elle, sauf que je me sentais libre de "enser à autre chose qu'à elle, et c'était déjà énorme, aux vieilles choses éprouvées, fune après fautre, et ainsi, de proche en proche à rien, comme par des marches descendant vers une eau profonde.» (p. 39). Et encore: «L'essentiel était que je commençais à ne plus faimer.:!> (p. 45). Une autre manière de refuser l'amour est de considérer la femme comme une prostituée, et de lui donner ce rôle comme le fait le narrateur pour Anne. Celle-ci devient
cr
ports entre Pim et Pem, Bom et Bam, Krim et Kram dans Comment c'est. La haine des enfants tcommc futurs géniteurs.' s'exprime par l'attitude violente de Mercier rencontrant son fils et sa fille, marchant sur eux pour les chasser en grimaçant. t« Foutez-moi le camp ! hurla Mercier », p. 48.1 Au refus de reconnaître l'identité ou l'existence de la progéni. ture, correspond la perte de la notion de l'identité d'autrui en général: Mercier et Camier, qui s'accrochent l'un à l'autre comme deux noyés à la manière des personnages de Godot, ne savent plus qui ils sont: c Qui es-tu Carnier? >, demande Mercier. L'apparition de Watt (qui ressemble à Murphy 1 apporte peut-être la réponse à cette question: c Il est né, il est né de nous, dit Walt, celui qui n'ayant rien, ne voudra rien, sinon qu'on lui laisse le rien qu'il a> (p. 198). Mais cet être, c'est aussi celui qui n'est rien et qui veut qu'on lui laisse le rien qu'il est. Bois de Gustave Doré pour "l'Enfer» de Dante Ces deux livrcs sont importants parce qu'ils marquent une des premières étapes de ce qu'on pourdonc doublement immonde en neslques par rapport à leur prorait appeler l'entreprise de «rétant que corps qui se donne de pre histoire (qui est la négation duction >, de dépouillement promanière anonyme et aussi corps d'une histoire) et dont le dialogressif que Beckett continuera susceptible de procréer d'autres gue interminable s'articule déjà d'opérer sur son écriture. Par le corps. sur la présence ou l'absence de refus de l'ancrage et le processus Dans la suite de son œuvre, certains objets comme le parade l'auto - expulsion, Premier Beckett restera remarquablement pluie, la bicyclette, l'imperméaAmour met en évidence l'imposfidèle à cette notion de dérélicble, le sac de «voyage >. Le but tion fondamentale dans l'amour, de leur errance se résume sou- sibilité d'existence du couple en tant que tel. Mercier et Camier et qui fait de tout rapport un vent à la récupération de ces obinaugure un nouveau genre de pourrissement inévitable se résoljets oubliés ou égarés «quelque couple, celui de deux hommes, qui Vant par la fuite, ou l'enlisement part ». dans la solitude. La cruauté gratuite que l'on re- seront plus tard présents dans les Dans Mercier et Camier,· les trouvera dans Fin de Partie par romans et le théâtre de l'auteur, deux êtres qui se sont eux-mêmes personnages sont déjà des expulexemple se présente ici sous la expulsés pour entreprendre une sés. Leurs rapports se situent forme du meurtre de de interminable odyssée aux portes dans l'errance et l'attente !'ans but police à coups de bâton. du néant. qui seront ceux de Vladimir et Mais si le corps des autres est Ce qui, ici, apparaît encore d'Estragon dans Godot. La notion devenu un objet haïssable, celui comme 'l1n dialogue, se réduira de temporalité se fond déjà dans des personnages prend au contraiplus tard en une seule voix, à la « une rêverie tumultueuse et grise re une importance considérable. où passé ei avenir se confon(dent) Le fonctionnement des organes, voix proliférante et litotique qui dit le Rien de l'existence. Au-delà crune façon peu agréable, et où et les douleurs qu'ils provoquent le présent tient le rôle ingrat de sont l'objet de discours. Mercier de l'humour noir dont Beckett noyé éternel» (pp. 48-49). Le sta- et Carnier ne sont pas encore im- . pare cette parodie d'aventure hude de l'ancrage possible est démobiles comme le seront Malone maine, on pressent la disparition passé et remplacé par des «visiou Hamm, mais ils portent déjà du sujet destiné à se dissoudre, et tes:!> à des auberges pourvues de une attention maniaque et inquié- l'émergence d'un être auquel il reste tout juste assez de vie pour servantes «disponibles », ou dans tante à leur propre physiologie. la maison d'Hélène qui est une Le corps d'autrui est nié à tel demander, tel un souffle venu des prostituée. point que Mercier et Carnier pré- profondeurs: c Qui maintenant? L'alliance des deux personnafèrent déjà les jeux homosexuels Quand maintenant? Où mainteges se fait au nom de «l'horreur à l'amour vénal d'Hélène. Ce nant? :1> de l'existence ». Mercier et Cagenre de contact qui est aussi un Anne Fabre-Luce mier sont des êtres sans âge, améchec se retrouvera dans les rap-
La Q!!iozaine Littéraire, du 16 au JI juillet 1970
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ROMANS
Le langage de la mer IlRANÇAIS
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Suzanne Prou La ville sur la mer Calmann-Lévy éd., 232 p.
De vieilles demoiselles, la vie feutrée de province, des langues qui se délient sous le sceau du secret, des yeux immobiles derrière les fentes des volets : le petit monde de Suzanne Prou celui, du moins, de ses trois premiers romans - se refermait sur le lecteur avec une simplicité machiavélique, ne lui laissant même pas le temps de prendre conscience de la façon dont il avait été transporté d'un paisible salon parfumé au patchouli en plein cœur d'une ahurissante histoire poli. cière. Que s'était-il passé? A peu près rien; quelques divagations de vieilles filles, un certain frémissement de l'air porteur de messages mystérieux et, surtout, la prodigieuse imagination de Su· zanne Prou qui, avec un humour froid assez rare chez un écrivain français, réussissait chaque fois un étonnant petit tour de force en renvoyant dos à dos, dans une même interrogation admirative, lecteurs et personnages. Avec la Ville sur la mer, le re· gistre a changé. Les grondements du monde ont eu raison des chuchotements sous les ébéniers et au récit intimiste - mais percutant - de jadis se substitue une histoire plus ample, une sorte de conte philosophique mi-fable, misatire qui, parce qu'elle rend le lecteur moins complice, ne convainc pas autant que les confi-
INFORMATIONS
Gide en Belgique Dans le cadre du centenaire de la naissance d'André Gide, la Bibliothèque Royale Albert 1"' de Bruxelles organise une exposition consacrée à l'auteur de la Porte étroite, avec le concours de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, de la famille de l'écrivain et de nombreux collectionneurs et bibliophiles. Sous le titre de • Présence d'André Gide., l'exposition groupe des lettres échangées par Gide avec plus de trente correspondants belges, des manuscrits, des éditions rares, ainsi que des portraits. Des études de critique et des critiques de presse, parues en Belgique sur l'œuvre de Gide. dès la publication des Cahiers d'André Walter, en 1891, permettront de
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dences précédentes, dont le charme désuet était irrésistible. Cela commence avec l'annonce de la mort d'un célèbre homme politique, dans cette ville sur la mer où l'un de ses anciens camarades qui l'avait perdu de vue depuis une vingtaine d'années revient justement après une longue absence. Pourquoi Gilles trouvet-il le décès d'André Lavenant suspect ? Parce que personne ne paraît sérieusement désirer percer le mystère qui l'entoure et qu'en rapportant, sans d'autres commen· taires, la fin du chef du Parti de l'Ordre et de la Famille dans un établissement de bains mal famé, les journaux semblent laisser la porte ouverte à toutes les suppositions : suicide, crime crapuleux, vengeance politique. Gilles, pour sa part, se croit autorisé, en sa qualité d'ancien ami, à rendre une visite de courtoisie à la veuve : il met ainsi le doigt dans un engrenage qui constitue, précisément, l'essentiel du roman. Le P.O.F., en effet, n'entend pas laisser un intrus mener une enquête au gré de sa fantai!;Oie; en pleine période électorale, et alors que l'organisation rivale du Parti des Armateurs lui cause de nombreux soucis, l'appareil du P.O.F. cherche à neutraliser Gilles en le. dénonçant comme "espion. Le voici donc devenu le gibier des polices parallèles des deux partis, chacune rivalisant d'ingéniosité pour le prendre aux pièges dressés ici par un déménageur de plaques manchot et, là, par deux femmes qui s'espèrent
fatales. C'est le P.O.F. qui, finalement, l'emporte: on arrête Gilles et, au terme d'un jugement Sommaire, on le condamne à mort. A quelques jours des élections, la situation est complètement ren· versée par l'intervention d'une troisième force, invisible mais menaçante, et qui contraint les deux Partis en présence à composer et peut-être même à s'aIlier. Sait·on qui sont ces insurgés réfugiés dans les grottes du bord de mer, et dont la rumeur assure que le nombre croît rapidement? On le devine, plutôt: des étudiants et des intellectuels auxquels commencent à se joindre certains des ouvriers des Armateurs. Devant la montée de la menace, on a tout juste le temps de proclamer l'union des anciens adversaires et de gracier Gilles pour lui offrir de partager avec les leaders du Parti des Armateurs et du P.O.F. l'honneur de former le premier triumvirat de la ville. Après quoi, tout ira très vite; des élections triomphales, un jeu difficile pour Gilles qui est contraint, pour garder sa place, de devenir agent double, la pression secrète, mais tenace, des insurgés. Enfin, après une énorme explosion qui emporte la ville, une belle apothéose libératrice avec l'irruption de la mer qui balaie tous détritus et permet l'arrivée - on peut le supposer - des exilés des ::;rottes. Aussi arbitraire et limitative que soit pour un écrivain la comparaison constante avec son œuvre passée, force est de constater que le talent de Suzanne Prou
s'était imposé, jusqu'ici, dans l'évocation d'un monde replié sur lui-même et surtout dans l'explo. ration minutieusèd'un quotidien volontairement banal, qu'envahis. saient soudain l'insolite et l'étrange. Avec cette fresque "qui se voudrait une satire politique et sociale, ce ton au second degré n'agit plus et de l'imposant édifice qui nous est proposé, à peine parvient-on à distinguer le rez-de· chaussée. Pour des raisons difficilement décelables - sinon, peut· être, le fait que le roman est tout entier rédigé au passé composé, ce qui lui donne à la fois une certaine monotonie et un incontestable flou - on reste le plus souvent en deça du récit et, partant, de sa leçon. « L'artifice ne régnait-il pas en maître sur la ville? Tout n'étaitil pas travesti, frelaté? », s'interroge Suzanne Prou, comme si eIJe voulait ainsi avertir son lecteur que les vrais acteurs ne sont pas ces êtres falots vis-à-vis desquels elle garde constamment ses distances, mais Kafka, mai 68, certains totalitarismes, l'absurdité. Sans doute. Mais ce n'est pas parce qu'un lieu est défini comme imaginaire qu'il doit nécessairement demeurer irréel, et d'autant moins s'il s'agit d'un roman qui voudrait proposer une réflexion politique et se soucier, par conséquent, de son efficacité. A moins -- et ce ne serait pas impossible - que seul le langage de la mer l;OOit, ici, détenteur de la vérité.
suivre le destin de "œuvre de "écrivain chez nos voisins berges. En raison du caractère inédit de maints documents - qui fera l'objet d'un catalogue détaillé - cette manifestation ne manquera pas de contribuer au progrès des études gidiennes et au rayonnement de Ta personnalité de l'écrivain. (Bibliothèque Royale Albert 1"', SalIe des Donations, Mont des Arts, Bruxelles. Du 4 juillet au 22 août 1970, de 9 heures à 17 heures. Entrée libre.)
ieunes, a été" attribué à l'ouvrage d'Ita· io Calvino, paru au Seuil, sous le titre du Baron perché, dans une traduction de J. Bertrand. Le Prix Nadal - l'équivalent espagnol de notre Prix Goncourt - a été décerné à Francisco Garcia Pavon pour son roman Hermanas coloradas (collection «Ancora y Delfin. des éditions Destino, Barcelone). Agé de cinquante ans, Francisco Garcia Pavon, après avoir publié un premier roman intitulé Cerca de Oviedo, qui provoqua des controverses passionnées, s'est consacré pendant long· temps à la nouvelle et au conte, genre où il excelle. Revenu au roman, il s'orienta vers le récit de science-fiction et le roman policier, formes littéraires fort peu cultivées en Espagne de nos jours. Las Hermanas coloradas nous propose une analyse en profondeur d'une société rurale en évolution, mais attachée encore aux vieux my· thes, aux superstitions et aux préjugés.
Le 1er août
Prix Le Prix Charles-Perrault, fondé cette année et destiné à attirer l'attention du public sur un livre pour la jeunesse publié en France au cours de l'année précédente et dont les qualités Iitté· raires aussi bien que la présentation d'ensemble doivent favoriser la formation du goût et du désir de lire des
Cclia Minart
paraitra le nO 100 de la Q!!inzaine Il comportera un bilan de l'année écoulée et sera en vente tout le mois. 40 p. 5 Il.
Retenez.le chez votre libraire
DOCUMENT
Roger Martin du Gard • Pensée testamentaIre Au moment où Roger Martin du Gard rédige la " Pensée testamentaire .. que nous publions ci-dessous grâce à l'obligeance de Pierre Herbart, il est assailli de doutes quant à la valeur de son œuvre et des Thibault en particulier. Prix Nobel en 1937, célèbre (plus à l'étranger qu'en France), ayant achevé le cycle des Thibault dont la publication s'est étendue sur vingt ans), il est vivement ému par l'étude que lui consacre Claude-Edmonde Magny dans son Histoire du roman français depuis 1918. Tout en lui tressant des couronnes, pour sa probité, sa modestie, ses exigences d'écrivain, notre regrettée consœur ne lui reconnaît pas les quai ités fondamentales du romancier et, dans sa conclusion, se montre bien dure en le qualifiant de c< naturaliste attardé dans l'après-guerre, repré-
r"'- .A. '1 t.. :. La Q!!inzaine Littéraire. du 16 au 31 juillet 197()
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sentatif de toute une génération de romanciers médiocres, que ne viennent sauver ni ses dons ni son extrême honnêteté intellectuelle ". Roger Martin du Gard est affecté par ce jugement d'ailleurs contestable et amené à faire retour sur lui-même. D'où le désir de marquer pour les critiques futures sa place dans l'évolution du genre. D'où cette" pensée testamentaire .. (il aura encore 8ept ans à vivre), empreinte une fois de plus de toute la probité et de toute la modestie dont il était capable. Il est probable, d'ailleurs. que la préface d'Albert Camus à ses Œuvres complètes dans la Pléïade (en 1955) ait mis quelque baume sur la plaie' que lui a causé une relative méconnaissance des générations d'aprèsguerre.
Pensée testamentaire (qui pourrait être rendue publique (31 décembre 51) lendemain de ma mort). On m'a fait une légende de " modestie ", parce que je ne cherche pas à faire parler de moi, et ne cours pas après les éloges. Si je suis modeste, c'est parce que j'ai une claire vision de ce que je vaux, de ce que vaut mon œuvre; et parce que mon succès de romancier, manifestement disproportionné à mes mérites réels, me donne mauvaise conscience, comme une usurpation ... Les louanges qui ont accueilli les Thibault, la place et les compliments qu'on me fait encore, me plongent, dès que j'y pense, dans une douloureuse mélancolie. Je sais ce dont je parle. C'est à tort qu'on me range trop souvent parmi les c< grands romanciers .. de ma génération. (Ou bien alors c'est que la génération de romanciers à laquelle j'appartiens, aura été une période c< creuse .. dans l'histoire littéraire; ce qui n'est pas impossible, d'ailleurs ... ). Je ne suis qu'un aboutissement. Je n'ai rien apporté de neuf. Je n'ai rien fait d'autre que de cultiver avec soin, avec goût, avec probité, des terres que les romanciers français, russes et anglais, avaient défrichées au XIX· siècle. Roger Martin du Gard
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I.ITT.RATURE
La fêlure .TRANG.RE
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Bernard Frank Un siècle débordé Grasset éd., 320 p.
Ah ! ces jeunes gens qui ·ont le bâillement langoureux et nostalgique, en rêvant des châteaux de sable! Leurs premiers châteaux en Espagne construits dans les allées du parc Monceau, sous l'œil attendri de leur nourrice, et qui noircissaient, faute de mieux, de taches d'encre leur manuel de littérature ! Thibaudet, Lanson, Faguet et même M. Petit de Julleville leur ont donné de la littérature française l'image d'un enchevêtrement subtil et rigoureux de parterres et de pièces d'eau, et ils ne songent plus qu'à remplir les marges de leur cahier d'écolier... Dans Géographie Universelle et la Panoplie littéraire, aux titres significatifs, Bernard Frank fai· sait de son rêve d'écrire la matière même de ces premiers livres où il se glissait frauduleusement, frileusement dans la biographie imaginaire et les morceaux choisis du grand écrivain qu'il voulait devenir, à ce point dupe de ses affabulations mythomanes qu'il réinventait un Drieu la Rochelle sans ressemblance avec le vrai modèle, selon le témoignage d'Aragon lui-même. Il souhaitait figurer dans les avenues royales des encyclopédies futures. Mais le rêve a fait long feu. Seule, la cene dre des grasses matinées a laissé sa trace d'amertume dans la bOUe che de notre hussard. Il revendique, aujourd'hui, d'avoir donné leurs lettres de noainsi blesse aux « qu'on devait désigner la petite troupe d'écrivains désinvoltes surgis, à la suite de Nimier, dans la littérature des années 50. Mais, dans ce dernier livre, Bernard Frank rompt des lances, surtout, contre lui-même. L'enfant gâté s'est, pendant dix ans, détourné de ce qui faisait ses délices au
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temps de l'adolescence, et il s'amuse, de retour, à démolir le jouet d'autrefois. Aussi bien, ne se lasse-t·il pas d'ouvrir l'intérieur de ces délicates horlogeries, les œuvres, sans percer le secret du mécanisme qui les fait fonctionner, et comme un enfant boudeur, les brise en morceaux. A force de rêver sa vie d'écrivain au lieu de la faire, insensiblement, Ber· nard Frank ne sait plus que nous parler des coulisses mondaines, de ce théâtre du demi·monde bourdonnant de rumeurs et d'échos, ce fond grinçant et fié· vreux sur quoi - ironisait, férocement, Julien Gracq dans la Littérature à l'estomac - se détachent, inévitablement, à Paris, les œuvres et les hommes. Quelle fêlure en a fait, moins le succès, le frère de Scott Fitz· dont il a préfacé autrefois Gatsby le Magnifique, dissipant sa rêveuse déréliction entre l'alcool, les sauteries mondaines,. l'écriture, dilapidant un capital d'homme d'esprit, obligé, pour faire hon· neur à sa réputation, de faire as· saut d'épigrammes grinçants où perce le noir rictus du désespoir? On est partagé entre l'agacement, l'ennui et la sympathie. l'amuse· ment, mais il faut bien l'avouer, c'est le plus souvent l'ennui qui l'emporte. Il n'a jamais su se guérir de voir se briser le cristal de ses illusions parce que, malgré son talent paresseux et brillant, le succès n'a pas répondu suffisamment à son appel. Dans ses premiers livres, ce qui en faisait le charme, Bernard Frank s'était bâti un royaume où il se blottissait avec délectation. Il se taillait un pourpoint éclatant dans le drap de ses fantasmes. Maintenant, il a trop le sentiment d'être talonné par le temps qui passe pour ne pas vouloir ruser avec celle qui toujours gagne, ne pas souffrir que lui échappe cette dimension légendaire, comme l'at· teste sa fascination pour Malraux, qui hausse de son vivant l'écri,'ain au-dessus de sa condition. Aussi bien, flâne·t-ilinlassablement, butinant de tout et de rien, dévidant des paroles man· gées par le silence où les mots dégonflés font un mince rideau de fumée devant le vide ouvert sous ses pas.
Là où Bernard Frank cesse de nous bercer de mots un peu vides, où il met le doigt sur la blessure vive qui fait de cet écorché le douloureux bouffon de soi·même, c'est lorsqu'il se met à parler de la question juive. Ceux qui ont choisi de n'être pas antisémites voudraient, tel Mauriac, que les juifs leur sachent gré de leur neutralité bienveillante, comme si la haine, en devenant silencieuse, voulait faire payer le prix de son mutisme. Frank a raison d'insis· ter, il n'est pas de façon plus odieusement sournoise d'être anti· sémite que d'espérer des juifs de la gratitude envers ceux qui Be refusent à être des bourreaux. De· puis qu'Israël, face à l'encercle· ment belliqueux qui le menace, a le malheur, pour survivre, de recourir aux moyens de la force, les non juifs lui reprochent de ne pas cultiver une vertu qu'ils n'ont la naïveté de réclamer d'aucun autre pays. Il règle son compte, de manière péremptoire, à cette gauche bien· pensante qui, non satisfaite d'être l'éternelle pero dante responsable de la vertigi. neuse promotion conservatrice de la France actuelle, voudrait en· core, au nom d'on ne sait quels universaux, non seulement obliger les juifs à s'assimiler, mais encore qu'Israël renonce à se défendre. Bernard Frank a choisi de jouer à qui perd gagne. Par des pirouettes, qu'on peut appeler pu· deur, il escamote sans cesse son impuissance ou sa fatigue devant la littérature. Mais, pour écrire un livre comme ceux qu'il aime, Proust, Chateaubriand ou Diderot qu'il imite par son improvisation buissonnière, il est nécessaire d'ajouter foi à ce qu'on écrit. Les pages les plus belles, si, rétrospectivement, il est facile d'en relever les ficelles parce qu'elles sont ins· crites de manière indélébile dans l'anthologie de notre mémoire et se sont incorporées à notre sensi· bilité, à notre goût, ne sont pas issues d'une dérisoire dérision. Peut-être, ce qui rend ce livre émouvant est qu'il soit fait de ces chutes et de ces ébauches qui sont l'envers d'une œuvre, son moule en creux...
Alain Clerval
Leonardo Sciascia Les paroisses de Regalpetra suivi de Mort de rInquisiteur Trad. par Mario Fusco Les Lettres Nouvelles Denoël éd., 304 p. Le compte rendu des activités· de sa classe, qu'il rédigeait à la fin de l'année à l'intention de son inspecteur primaire, donna l'idée à Leonardo Sciascia, jeune instituteur d'une trentaine d'années,· d'écrire une chronique plus large, délivrée de l'optimisme officiel, qui embrasserait tous les aspects de la vie de la bourgade où il enseignait. C'était en 1954, quand la démocratie·chrétienne régnait sans partage sur la péninsule, et que Pie XII voyait en De Gasperi un moindre mal. Dans l'avant.propos dont il coiffe la réimpression de son livre, chez Laterza, en 1967, Scias· cia prévient que cette réalité, dont il devait, par la suite, faire une œuvre, n'a guère changé depuis, et l'on a ici de bonnes raisons de penser que quelques années de plus n'ont pas suffi à la modifier et que, de retour dans son village, un immigrant n'a pas à craindre un profond dépayse. ment. Les «braccianti - les hommes qui n'ont pas leurs bras continuent d'y crever de faim, les enfants se placent toujours en service dès l'âge de dix ans, les sauniers à la retraite cherchent au soleil un engourdissement de leurs membres tordus par les rhu· matismes, qui leur procure un avant·goût de l'apaisante mort. La Maffia prend la vie de ses ennemis, l'argent de ses protégés et une Eglise à qui 1'« aggiornamento» n'a pas encore enseigné l'élémentaire pudeur, des ··sous à tout le monde Pendant ce temps, au les «messieurs », épaves de la bourgeoisie terrienne, tapent le carton, racontent leurs fantasmes sexuels comme des aventures vécues, se font une Apocalypse de l'élection d'un conseiller munici· pal communiste, et évoquent avec nostalgie le temps de l'ordre. Ils n'accorderont pas pour autant leur voix au Mouvement Social
ALFRED
Contre l'humiliation Italien, héritier spirituel du fascisme. La démocratie-chrétienne, pai- les temps qui courent, leur semhle mieux qualifiée pour assurer une administration du pays qui ne dérange pas les possédants dans leur digestion. Qui douterait que la «Di-Ci» soit un excellent syndic de faillite n'aurait qu'à lire dans ce livre le récit d'une campagne électorale. De voix tranquille, grave, d ' h 0 m me sûr de son fait, qui n'a pas hesoin des higar. rures du phamphlet pour fain' accepter sa vérité parce que sa vérité est irréfutahle, Sciascia remarque: «Ce parti venait de la lutte contre le fascisme et n'eut pas le courage de se /Jasser des fascistes. » Ils n'ont donc pas tort de le soutenir, ces bourgeois qui entendent encore l'écho des victoires de la guerre d'Abyssinie, comme une ouverture de Léoncavallo: vingt-cinq ans d'un parlementarisme dont, entre parenthèses, les communistes ne furent pas les derniers à respecter les règles, ont laissé les choses en l'état. Pour trouver du travail sous Mussolini. il fallait être inscrit au Fascio ; à présent, ii est nécessaire d'entretenir de bons rapports avec Je curé qui, sur cette terre déjà, a le pouvoir de vous faciliter l'en· trée dans un monde meilleur; l'Amérique, qui n'accepte d'immigrants que s'ils sont munis d'un certificat de bonne conduite chrétienne, «viatique indispensable, note Sciascia, pour que quelqu'un IlUisse s'en aller couper du bois au Canada ». Quand il regarde ses élèves qui, titubant de fatigue, de faim. n'ont que la force de chauffer les bancs, lïnstituteur ne saurait leur souhaiter nn sort meilleur: qu'ils aient la possibilité de partir, ces gosses pour lesquels la condition ouvrière, même en France. sera un paradis. Il les aime bien, l'ins' tituteur. Il sait qu'il n'est pas payé de retour et qu'il ne saurait en être différemment. Aux yeux des gamins, il se trouve de l'autre côté de la barricade, là oÙ J'on est assuré, qn 'il vente ou qu'il neige, de recevoir un traite· ment à la fin de chaque mois. Le fonctionnaire ne gal!;ne-t-il pas mille deux cents livres par jonr. quanti un ouvrier agricole n'eu obtient que cinq cents d'un patron qni se demande toujours s'il n'a pas obligé un ingrat, lequel n'auLa
SAUVY la révolte
des jeunes un volume 15 F du même auteur:
LA DES JEUNES
SUZANNE
PROU
la ville sur la mer
..... Mélange efficace de cruauté, de fantaisie, d'érotisme et d'absurdité.....
LES NOUVELLES LITTERAIRES
P.M.
Leonardo Sâasca
ra rien de plus pressé que de glisser un bulletin rouge dans l'isoloir? Sur la place du village, chaque matin, les propriétaires aisés choisissent les «braccianti ». Pour 'un peu, ils leurs écarteraient les mâchoires, comme font les maquignons à la foire, avec les chevaux. Avions-nous attendu Sciascia pour soupçonner que les Nègres commencent à Rome? Non, sans doute, car nous avions lu Silone. Vittorini et le Pirandello des nouvelles. Mais à cause de leur brillant, ces écrivains aboutissent au résultat inverse de celui qu'ils escomptaient. Par exemple,. quand Pirandello décrit les salines, il voit briller les gemmes d'une cathédrale là où Sciascia, sans lyrisme, montre un bagne. Quand il s'apitoie devant le sort de Cece. mineur des soufrières qui, toute sa vie, travailla pendant la nuit, et à la faveur d'une Il:rève, redécouvre la lune, c'est un chant Ù la nature que l'on entend surtout. de sorte que la misère devient poésie. Avec Sciascia, cessant enfin d'être pittoresque. elle nous
Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970
émeut d a van t age. Au reste, Sciascia va plus loin qu'un constat. S'il connaît le 'mal, il connaît aussi le remède et il l'indique sans jamais hausser le ton, car 'l'écrivain dont le premier livre laissait prévoir et l'importance et la couleur de son œuvre future, ne croit pas que l'humiliation de l'homme par l'homme soit inéluctable, ni en Sicile ni ailleurs. Refus qui fut aussi celui, au début du XVII' siècle, d'un religieux, Frère Diego, qui périt sur le bûcher de l'Inquisition: Examinant les textes oubliés, fouillant le passé pour mieux comprendre le présent de la Sicile, comme dans le Conseil d'Egypte, Sciascia, de la masse des documents, dégage le visage d'un homme qui n'avait pas abdiqué, et dont le portrait complète ce recueil de chroniques. Il est dit dans les Psaumes que «les rebelles seuls habitent les lieux arides ». Sciascia est de ceux· là, et il serait temps qu 'on lui reconnût, en France, la place singulière qu'il occupe dans les lettres italiennes. Angelo Rinaldi
PASINETTI le pont de l'Accademia
.. Une chronique romanesque qui s'étend sur trois générations où l'auteur manie avec une grande maîtrise les techniques joyciennes."
LA QUINZAINE LITTERAIRE
VICTOR
GARDON
l'apocalypse écarlate Une fresque grandiose de l'Arménie martyre.
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Une étrange dame Karen Blixen Contes d'hiver Trad. de l'anglais par Marthe Metzger Gallimard éd., 320 p.
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Elle se nomme Karen von Blixen, ou encore Isak Dinesen, quand elle n'écrit pas un );Oman policier sous le nom de Pierre Andrézel. Elle vit masquée, déguisée au plus profond d'ellemême et dans ses apparences, elle pourrait porter le nom de tous ses personnages. Elle est Danoise, mais on ne sait trop où elle a vécu; du fond de l'Afrique, du Kenya, elle a rêvé une Europe historique qui s'étend de préférence de la Révolution' française de 1789 à celle de février 1848, et pourtant l'espace qu'elle occupe ou qu'elle fait occuper à ses héros n'est jamais tout à fait de ce monde. Au temps vécu, elle donne une dimension palpable, d'une densité exactement proportionnelle aux besoins de son récit. En fait, tout est vrai en elle. Je le sais, je l'ai rencontrée, nous avons, il y a une dizaine d'années, passé un après-midi ensemble; elle ressemblait à une momie, embaumée, naturellement desséchée, seuls des yeux de feu brûlaient au-dessus de ses pommettes creuses, et sans lèvres, elle parlait. Elle n'était ni homme ni femme, les deux tout à la fois, peut.être. Elle aurait pu aussi bien se casser net ou s'évaporer sous mes yeux. Etait-elle née, avait-elle, enfant, puis jeune fille, grandi à la manière des humains ordinaires, ou était-elle sortie une belle nuit d'un sarcophage? La deuxième hypothèse semblait la plus vraisemblable, non seulement à cause de l'enveloppe char· nelle mais à cause d'un esprit qui savait tout et qui était de tous les temps. Elle est morte en 1962, elle était née en 1885. Elle appartient au domaine du fantastique naturel; elle est incontestablement un génie. Si l'on veut comprendre son œuvre, il n'est pas mauvais, il est même indispensable de connaître un peu sa vie. Par exemple, le nom de Blixen est celui de son mari, un cousin de Suède qu'elle épouse en 1921 ; elle avait alors trente-six ans, elle habitait le Kenya où il était planteur et : grand chasseur. En 1925, ils di-
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vorcèrent et elle resta seule, maîtresse féodale, hautaine et généreuse, à lutter contre l'adversité, ce qui a donné son beau livre autobiographique, la Ferme africaine (1) , signé du nom de Blixen, Dans le même temps, pour mieux résister à la solitude africaine, elle évoquait un monde imaginaire, un fabuleux refuge. Elle était la fille d'un homme, Wilhelm Dinesen, qui avait été un aventurier et un artiste, qui avait vécu la Commune de PariB et écrit à ce sujet un bon livre.. qui avait été chasseur parmi leE Indiens d'Amérique et officiel dans l'armée turque contre les Russes. Il décrivait la nature com· me personne et a laissé à la litté· rature danoise une sorte de clas· sique, Lettres d'un chasseur. On peut donc comprendre qu'elle ait publié son œuvre fantastique, Sept Contes gothiques (2) sous le nom d'Isak Dinesen, donnant au visage de Karen le masque d'un Isak. Il n'est pas indifférent de savoir qu'elle a écrit ses Contes d'hiver (3) recluse dans son manoir des environs de Copenhague, pendant l'occupation allemande. Son cœur sans âge se serre alors autour du vieux Danemark, son imagination se fait moins exubérante; elle sait comme toujours éblouir, mais aussi émouvoir. La noble baronne n'ignore pas la part du peuple ; elle comprend les deux côtés de la barricade, ce qui sépare et ce qui unit. Le premier de ses contes d'hi· ver est l'histoire d'un petit mous· se. Enfant, il prend sur lui de grimper en haut de la mâture de son navire pour. délivrer un faucon empêtré dans les cordages. Plus tard, dans un port, d'un coup de couteau il tue un marin russe qui, s'étant pris d'affection pour lui, l'empêchait sans le savoir - d'aller retrouver la jeune fille qui l'attendait. Poursuivi par les camarades du marin, il est sauvé par une vieille Lapone qui n'est autre que le faucon qu'il a naguère délivré. Rien n'est plus injuste, à vrai dire, que de résumer un conte de Karen Blixen. D'abord, parce que ces contes ne sont contes qu'autant que l'imaginaire y joue un rôle. Ce sont de longues nouvelles, parfois de courts romans, qui pero mettent des développements en éventail sur plusieurs registres
qui s'interpénètrent pour devenir une sorte de fugue, de bouquet éblouissant. Le réel et l'imaginaire se chevauchent et s'entraident ICI miraculeusement. Le génie d'Andersen n'est pas loin. Le Champ 'de la douleur, autre conte d'hiver, est un chef-d'œuvre. La campagne danoise sert de fond, avec un manoir où réside un seigneur terrien qui règne sur les paysans. Un de ses sujets, fils d'une veuve, est accusé d'avoir incendié une grange. A sa mère qui venaille supplier, le seigneur a proposé cet étrange marché: «Si en un jour, entre le lever et le coucher du soleil, tu 'es capable de faucher seule ce champ, j'abandonnerai la poursuite et tu garderas ton fils.» Le champ est vaste, la mère accepte l'enjeu avec reconnaissance. Le jour de la moisson venu, tous les paysans se sont rassemblés autour de ce champ fatidique et le seigneur lui·même sera là, présent au ter· rible match dont la signification profonde ne cesse de s'amplifier, et de s'approfondir en un bouleversant suspense. Quelle que soit la variété des thèmes, le charme de Karen Blixen ne cesse d'opérer, le phil. tre est efficace, analyser les ingrédients qui le composent serait une longue affaire. Elle est bien héritière des romantiques allemands, elle reconnaît avoir lu Hoffmann, mais aussi Edgar Poe, Shakespeare, Dante, les Tragiques grecs, les Mille et Une Nuits, Racine... Elle prend son bien où elle le trouve, selon ses affinités, et en filigrane, comme dans T.S. Eliot, apparaît si on veut bien la chercher, une immense culture. Elle n'est pas moderne, mais classique, de tous les temps, pour la forme. comme pour le fond. Elle est romanesque, plus facilement cruelle que tendre, mais capable de faire vibrer le cœur autant que l'esprit. En communion étroite avec une nature qu'elle décrit admirablement, sensible au réel, elle sait authentifier le merveilleux. Il semble qu'elle sache tout, qu'elle ait tous les pouvoirs, comme l'une de ses héroïnes, dans les Contes ques, nommée Nuit·et-Jour, elle est du jour et de la nuit. André Bay (1) Gallimard éditeur. (2) Stock éditeur. (3) Gallimard éditeur.
Yasunari Kawabata Les Belles endormies trad. du japonais par René Sieffert Albin Michel éd., 192 p.
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Yukio Mishima Cinq' nôs modernes trad. du japonais p.ar Georges Bonmarchand Gallimard éd., 176 p.
Comme la plupart des écrivains japonais contemporains, Kawabata et Mishima empruntent des modèles et des thèmes à la littérature européenne. Mais, et sans doute est·ce ce qui fait pour nous leur force et leur étrangeté, ils ne cessent de réaménager ces modèles, de gauchir ou de transformer ces thèmes pour les intégrer dans «ce système de sigries agissant sur nous par suggestion pure:t qui, selon Focillon, est la caractéristique de leur art. Le roman est un genre typiquement occidental. Kawabata en connaît les règles. Il les respecte dans les Belles endormies comme auparavant dans le très ·beau Grondement de la montagne. La forme, ici, n'a rien à voir avec. celle de ces «romans» épiques et touffus, mélange de chanson de geste et de feuilleton populaire qu'illustraient HokusaÏ ou Outamaro. Le récit, avec son action bien centrée, trouée de retours en arrière, élargie par les jeux conjugués de la sensation immédiate et du souvenir, s'inscrit, semblet-il, dans le courant de recherche inaugurée par Proust. Le vieil Eguchi caresse un sein et se 8OU-. vient de sa mère. Freud, dira-t.on, n'est pas loin. Mais peut.être n'at·il jamais été aussi loin. Car si Kawabata nous. conduit par des chemins familiers, ceux-ci mènent en des lieux radicalement étranges et étrangers. En n'importe quel point du parcours, il suffit de jeter un œil par-dessus la haie, de prêter l'oreille aux murmures des vents, à la respiration des personnages, pour se sentir soudain dépaysé. L'écriture, ici, est comme affectée d'un singulier Elle est elle-même et son fantôme. Le romancier décrit avec précision les objets, les paysages, les gestes. Mais derrière la réalité qu'il nous propose, évidente et simple, une autre ne cesse de se
Le Japon et l'Occident profiler, hantées par les figures troubles du désir et de la mort, troubles d'être placées constamment aux frontières du sensible et du spirituel, de ce monde et de l'au-delà. Aussi bien est-ce pour cela quc le livre échappe à toute vulgarité. Rien pourtant de plus scabreux que son sujet. Les «belles endormies », ce sont des jeunes filles, toutes vierges, plongées dans un sommeil artificiel, offertes pour la nuit à des vieillards décrépits et impuissants. «Il ne se passe jamais rien », dit la tenancière, sorte de sous-maîtresse distinguée qui offre le thé à ses clients. Et le vieil Eguchi lui-même, qui, à soixante-sept ans, n'a pas perdu toute virilité, qui est venu là par curiosité, pour comprendre aussi quels plaisirs lui resteront possibles dans quelques années, renonce à enfreindre les interdits non formulés de la maison, mieux, y revient pour rêver auprès de corps frais, innocents et singulièrement prostitués. Au vrai, nul établissement ne mérite mieux le nom de maison d'illusions. Ce qui fascine Eguchi, jusque dans sa dernière et tragique visite, c'est de respirer le parfum de la jeunesse, de retrouver à travers ce parfum celui de sa propre jeunesse, ses élans et ses plaisirs d'autrefois. Auprès de ces filles qui, endormies, silencieuses, ne sont peut-être pas réelles, qui sont peut·être des incarnations de Bouddha, il découvre ensemble ce que sont J'essence du désir et le sommeil bienheureux de la mort. Bref, ce qui aurait dû être sa dernière expérience érotique expérience, prise tellc quelle, d'une grande pauvreté - devient en fait une expérience mystique. Aussi bien, dans ce récit sobre, rapide, d'une indiscutable tension poétique, Kawabata nous entraîne bien au-delà de ce qu'il semble dire. Avec ses nôs, Mishima, dont les qualités de romancier sont bien connues, renoue avec la tradition théâtrale japonaise. Rien d'étonnant quand on sait l'intérêt que portent à celle-ci les dramaturges de Brecht à Genet. Mais, comme son aîné Kinoshita J ungi, Mishima cherche à renouveler le théâtre, à créer un théâtre reflétant la réalité japonaise en liant tradition nationale et apport européen.
Mishima Kawabata
Le titre de son l'ecueil est clair. Il s'agit de «cinq nôs modernes ». Mishima pratique à l'égard du « nô» une opération analogue à celle de Brecht dans son Antigone, de Cocteau dans la Machine infernale à l'égard de la tragédic anti· que. De même que Brecht ou Coco teau de Sophocle, il propose une lecture moderne, accordée à nos préoccupations, d'œuvres célèbres du «nô », notamment de Zeami qui en fut le grand maître. D'une certaine manière, Mishima va plus loin. Il conserve bien la structure et l'esthétique des « nôs» primitifs, y compris l'indispensable partie mimée et dansée - difficile à imaginer à la lecture - où culmine toute l'action. Il garde bien l'essentiel des thèmes avec leurs arrières-plans étranges et fantastiques où circulent les fantômes, où, le temps acquérant une singulière élasticité, cent nuits et cent ans se résument en un même moment. Mais à ces structures et à ces thèmes, il fait subir de singulières distorSIons. Tandis que le «waki », l'acteur secondaire qui était comme le té· moin ou le commentateur de l'ac· tion a disparu, histoires et personnages sont métamorphosés. Tout se déroule de nos jours, dans un Japon marqué par l'influence occidentale. Au décor abstrait, au temple, sont substitués des lieux précis, salon de haute couture, boutique d'avocat, clinique, gare, rue aux enseignes multicolores. Les héros eux-mêmes sont, en ap-
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parence, intégrés à cette SOCIete. Même leur misère, leur inadapta. tion ou leur folie sont expliquées par des raisons sociales ou psychologiques. Un esthète cite une phrase en français. Une infirmière se lance dans un long discours sur la psychanalyse et les obsessions sexuelles. Bref, la modernité est présente partout. Bien vite, cependant, on s'aper-
çoit que Mishima a introduit dans ses textes des repères familiers et une apparence de logique pour rendre plus crédible et plus sen· sible le dépaysement qu'il nous propose. Même le recours aux phrases banales, aux clichés et vé· rités toutes faites, recours quin'est pas sans rappeler certaines formes du théâtre européen actuel, n'est là que pour masquer le glissement du réel vers l'insolite. L'auteur ne donne pas au «nô» une allure plus prosaïque, plus réaliste. Au contraire. Il se sert de situations réalistes pour redécouvrir le caractère cérémoniel du théâtre. A travers un jeu qui ble emprunter des échos et des ficelles à nos comédies, il mine la réalité pour nous introduire dans un monde où tout est possible, où le fantôme d'un vieillard amoureux peut entraîner une jeune femme dans la mort, où les charmes de la magie agissent jusque dans les cliniques les mieux équipées. Comme chez Kawabata, c'est le monde de l'illusion - ou de ce que nous croyons, nous occi· dentaux, être l'illusoire qui donne son sens au monde réel. Claude Bonnefoy
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Un vi·de étouffant Joyce Carol Oates
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Des gens ehics Trad. de l'américain par Benoît Braun Stock éd., 320 p.
Aux Etats.Unis, tout le monde a lu ou bien veut lire Joyce Carol Oates. Il est rare d'ouvrir un journal littéraire sans tomber sur un article mentionnant son nom, car elle reçoit constamment des prix (The National Book Award) et des récompenses. Cette jeune fem· me de trente·deux ans écrit sans relâche: romans, nouvelles, poè. mes, essais critiques, même une pièce de théâtre; elle est aussi professeur d'anglais à Windsor University (Ontario). Frêle, la voix douce, elle a un long cou gracile et de trop grands yeux noirs. Elle aime rêver pendant des heures sur sa terrasse ou au bord de la rivière et laisser 8a pensée se concentrer dans une sorte d'espace vide rempli par ses personnages. Et tout à coup, l'histoire est là, toute prête, et il n'y a plus qu'à l'écrire... En 1965, nous avions pu croire que Joyce Carol Oates était une « sudiste»; son premier roman, With Shuddering FaU, avait un son nettement faulknérien. Mais Joyce Carol Oates est née dans l'Etat de New York et chaque nouveau roman semble apporter une autre facette de sa personna· lité. Pas de lieu géographique pré· cis pour des Gens Chics. Ce roman se passe dans les riches ban· lieues qui entourent les grandes villes américaines. Des maisons luxueuses posées au milieu de ga· zons bien entretenus, bordés d'ar· bustes de valeur et de vieux arbres. Un village où l'on trouve toujours une petite, mais si bien achalandée, «boutique des gour· mets »; une école très privée et snob, en plus des établissements habituels. Les dessins du «New Yorker» nous ont habitués aux lieux de ce genre. De nombreux romans américains s'en sont moqués avec plus ou moins d'humour, de hargne ou de tristesse, Mais avec des Gens Chies, un nou· vel aspect nous saute aux yeux. Sous la calme ordonnance et l'hy. pocrisie courtoise de bon ton de ces banlieues «climatisées », ron· ronne un silence lourd de violen· ce, de solitude désespérée, de vide
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étouffant, comme la respiration d'une bête tapie. L'histoire nous est racontée par Richard, un gros garçon de dixhuit ans - à peu près - extrêmement intelligent, et maladif. Il a besoin d'écrire cette «autobiographie» pour s'en sortir et pour se tuer ensuite (du moins, il le prétend). Richard ne mâche pas ses mots: «J e fus un enfant assassin ». Son père, Elwood Everett, homme d'affaires brillant, sautant de haute situation en plus haute situation, fanfaron, pathétique mais considéré comme séduisant, les entraîne à sa suite, de maison luxueuse en maison plus luxueuse. Sa mère, Natashya Romanov (appelée Nada par Ri· chard), est un personnage com· pliqué. Très belle, fille d'émigrés russes, elle écrit des nouvelles qui sont souvent publiées. Elle adore et déteste tout à la fois cette vie de «faubourgeoisie », ses belles voitures, ses dîners mondains et ses robes «vu dans Vogue ». Par moments elle suffoque, parle avec une grossièreté de corps de garde, et abandonne tout, mari, fils, maison, pour se perdre dans New York et dans les bras d'un intellectuel quelconque. Richard est obsédé, traumatisé, dévoré d'inquiétude pour cette mère. Toute sa vie, ses études, ses pensées lui sont dédiées. Il l'ob· serve et l'épie sans cesse. Lorsqu'elle s'épanouit dans un tourbillon mondain et pseudo-intellec. tuel, la maison est heureuse. Dt:s que le baromètre descend, d'étran· ges voix appellent par téléphone et le château de cartes commence à s'ébranler.
Richard, observateur né, nous donne ainsi des portraits· extraordinaires, il ne cache pas qu'il écoute aux portes. Et chaque fa· milier de la maison devient une caricature entourant l'image de sa mère. Il décrit aussi ses trou· bles personnels avec une précision qui enchanterait un psychiatre: gargarismes mentaux, boulimie, fièvres, vomissements véritables, réactions, causes, tout est étudié raisonnablement. Joyce Carol Oates a même l'idée d'insérer une nouvelle soi· disant écrite par Nada: il s'agit. d'une petite fille au bord de l'eau caressée par un homme noir très gentil. L'histoire est racontée en trois étapes, comme si la petite fille, ou Nada elle-même effravée, osait chaque fois mieux. Beaucoup de voiles sont ainsi à demi soulevés pour nous expliquer les angoisses de Richard. Lorsqu'à l'âge de douze ans, horrifié à l'idée que sa mère le quitte une nouvelle fois, Richard réussit à acheter un fusil et à terroriser tous les alentours, le ro· man se contracte alors lui·même comme un chat qui va sauter. Il ne s'agit pas de suspense, nous savons presque tout. Mais la ner· vosité chronique va pouvoir enfin s'échapper comme la lave d'un volcan. Le meurtre a lieu, certes. Mais nous avions méconnu mal· gré tout la force énorme de l'hypocrisie de ces banlieues «fau· bourgeoises» : ni la police, ni le médecin ne veulent admettre que Richard est un enfant assassin. Hallucinations, disent·ils... Etude psychologique, sociologique, satire tour à tour cruelle et romantique, ce livre est fascinant. Joyce Carol Oates· ne s'est pas contentée de faire jouer devant nous les arabesques tortueuses de EOn roman, chaque fois qu'un morceau de fil de l'histoire est déroulé, elle nous prend à partie, demandant notre attention plus précisément: et le fil s'enroule subrepticement autour de nous. Peu à peu nous nous trouvons prisonniers de son récit. Nous participons en suivant page par page l'élaboration du roman, l'analyse, la compréhension des personnages. Nous sommes pris dans le même rythme. Encerclés dans le cauchemar. Le talent de Joyce Carol Oates est redoutable.
Marie-Claude de Brunhoff
Hérault de Séchelles
Œuvres littéraires et politiques Edition établie et présentée par Hubert Juin Rencontre éd., 336 p. « Hérault de Séchelles est au carrefour de deux univers: son nom et sa lignée le font captif de l'Ancien Régime, ce règne immobile; son appétit et sa conviction le portent dans le mouvement de la société future, Il est distendu jusqu'à l'extrême.... Hubert Juin définit ainsi très bien l'équivoque du personnage et. en même temps. ce qui donne à l'équivoque elle·même. une valeur attachante.
Un chef·d'œuvre certainement, deux sans doute. Et qui, après deux siècles (ne chicanons pas sur les décimales) demeurent tels. Sans rien devoir aux grâces attendrissantes et fanées que nous goûtons encore quelquefois, en nos moments . de compatissance et d'abandon, dans Atala ou même, pourquoi pas, dans la Chaumière indienne. Sans rien devoir non plus aux charmants alibis d'une sophistication qui épice le plaisir qu'on prend à feuilleter Voiture, Fontenelle, Paul·Louis Courier. De vrais chefs-d'œuvre. L'un tient en trente pages, l'autre en soixante ; la dimension n'y fait rien. Et on nous laissait oublier cela. Serions-nous trop riches ? Hérault de Séchelles naquit à la fin de 1759 ; son père putatif (quem nuptiae demonstrant), colonel, était mort quelques mois auparavant, des suites d'une blessure de guerre. L'enfant fut élevé par sa mère et sa grand-mère dans un château angevin. Ce milieu inconditionnellement dévoué en esprit à l'autel et au trône appelait bien des revanches. On le destinait à l'armée. Il préféra le droit; à dix-huit ans, le voilà déjà avocat du roi à Paris ; il allait tenir toujours un rang fort honorable parmi les gens de la loi. Avec une curiosité ouverte, qu'attes. tent, par exemple, en 1783, au cours d'un voyage en Suisse, ses visites à Lavater et à Charles Bonnet, destinés (ne quittons pas la littérature) à faire une jolie carrière dans les doctrines halzaciennes, ou, deux ans plus tard, sa
Hérault de Séchelles visite à Buffon séant en son fief bourguignon de Montbard. Rien de compassé, cependant, chez ce juriste, qui entendait ne pas gâcher sa jeunesse comme on lui avait peut.être gâché son en· . fance. La mode étant, jusque chez Thémis, à la fronde et à la licence, il ne manqua pas de fouler aux pieds tous les principes, et de préférence les plus sacrés. Il avait un château à Epône, entre Mantes et Meulan, «élevé comme le nid des aigles », oset-il écrire: il faut croire que les aigles de ce temps-là nichaient bas. Région très fréquentée, à l'époque comme bientôt sous l'Empire, par la bonne société, qui alors ressemblait fort à la mauvaise. Il y réunissait des compagnies mêlées, où les amoureux n'étaient pas fervents ni les savants austères.
Jouer à la contestation On se piquait d'y jouer avec la contestation ; sans imaginer le moins du monde comment devait finir ce qui commençait par de si aimables chansons. Aux soupers on discutait, selon un témoignage, «à faire dresser les che· veux sur la tête », et le châtelain, payant d'exemple, «se reposait des impiétés par des obscénités ». Il faut dire que le témoignage date de la Restauration: contemporain et collègue de Hérault de Séchelles, le prétendu témoin, après s'être distingué par la constance de sa fidélité aux régimes successifs, était devenu farouchement bien pensant. Peut-être cet opportuniste a-t-il noirci le portrait ; ce serait dommage. Buffon, en 1785, avait soixantedix-huit ans; malade, il allait mourir trois ans plus tard. Né à Montbard, il y demeurait habi· tuellement. La petite cité, à michemin entre Auxerre et Dijon, était dominée autrefois par un vieux château des ducs de Bourgogne; il en avait rasé la plus grande partie, pour donner du champ à la passion maniaque qu'il avait de bâtir et de planter. Entendu en affaires, il y avait installé des forges (quatre cents ouvriers, quatre cents tonnes de fer par an) , devenues de nos jours une entreprise de quelque importance. Il sacrifiait volontiers à Vénus, pourvu que Vénus n'em· piétât ni sur son travail ni sur ses
aises. Avec un goût particulier pour les «petites filles»; mais s'agit-il vraiment de gamines, ou simplement de ces bonnes filles qui ne font pas d'histoires? L'érotologie a besoin de lexicographes. La relation de Hérault de Séchelles est à la fois reportage et interview. Elle en a le caractère direct, le relief, la couleur, l'animation, l'efficacité. Buffon chez Buffon, vivant, existant, se pavanant, se proposant à l'admiration, s'admirant lui-même, naïvement glorieux, glorieusement naïf, et pompeux avec bonhomie. Je me souviens d'un mot d'Alain: «Le spectacle des Importants m'a toujours donné l'idée de les cribler de flèches.» Quand on a lu ces pages, on ne peut plus se laisser prendre à certain mélange habituel de la vanité et de la démagogie (non, ne suivez pas la direction de mon regard). Rien n'est enlevé à Buffon, que ce qui était étranger à la vérité de Buffon. Le visiteur sait très bien retenir sa verve, et l'empêcher d'aller s'éga. rer dans les excès d'un pamphlet. De la malice, oui, et beaucoup d'irrévérence; mais une extrême légèreté de doigté, et assez de finesse pour qu'on se demande par moments s'il se moque ou s'il admire, si c'est caricature ou si c'est portrait. C'est tout ensemble. C'est dégonfler l'Importance sans réduire le sujet. Visant plus loin, il donna en 1788 un opuscule intitulé Codicille politique et pratique d'un jeune habitant d'Epône. Titre bi· zarre. Etait-ce dire adieu à la folle vie d'Epône, annoncer un virage vers les choses sérieuses, et, entre les deux, enregistrer le souvenir des analyses graves qui s'étaient gaiement entrelacées à la galanterie? Quoi qu'il en soit, le tirage fut aussitôt étouffé. Sur injonction, paraît-il, de la famille horrifiée.
Du mauvais esprit Pourquoi horrifiée? Nous dé: gustons dans ces pages de l'impertinence encore, du mordant aussi, une agréable densité, de la pénétration ; mais rien de scandaleux. Sans doute eût-on accepté plus aisément un peu de libertinage, non moins banal alors que ce que nous appelons aujourd'hui érotisme: mais on flairait du mau-
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vais esprit. De fait, Hubert Juin y souligne l'influence du curieux Antoine de Lasalle en qui l'on croit deviner un précurseur exalté, sinon délirant, de ces idéologues, matérialistes des idées, dont Stendhal allait bientôt nourrir la vorace jeunesse de sa pensée ; pas tellement éloigné, au fond, de Charles Bonnet ni de Lavater. Les aphorismes dont est fait le Codicille composent un petit manuel hétérodoxe de cynisme appliqué, un petit traité pratique de phy. siologie morale où une certaine manière de connaître les hommes se présente comme une méthode pour les manipuler. (Stendhal, qui l'avait lu avec attention, en a retenu maints préceptes, pour les appliquer, notamment, aux incertitudes de sa politique amoureuse.) Hérault de Séchelles, dans son préambule, proposait un titre de
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rechange, moi n s ésotérique: Théorie de lambition. Quelle légèreté ! Comment se fier, en 1788, lorsque grossissaient déjà les si· gnes de l'orage, à une ambition assez ingénue pour étaler ses atouts avant même d'engager la partie? Quelqu'un, je le' suppose, sans que sa famille y fût pour rien, dut lui conseiller de ramasser ses cartes en toute hâte. N'estce pas un indice de son ambiguïté qu'un tel flottement entre deux goûts inconciliables, le goût de l'action et le goût d'une philoSQ' phie de l'action?
Son rôle sous la Révolution Son rôle sous la Révolution demeure confus, malgré les historiens; lesquels l'ont observé, mais avec condescendance, vu que, s'il a côtoyé les grands des-
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Hérault de Séchelles
tins, il n'y est pas entré. On le vitheaucoup à l'étranger ou aux frontières, dans des conditions énigmatiques,pour ne pas dire douteuses. Mais si l'éloignement donne de la sécurité, le lieu de l'amhition est toujours Paris. D'autant plus que la Révolution a grand hesoin de légistes pour échafauder ses structures. Il prend là quelque importance;. on le compte parmi les principaux auteurs de la constitution de 1793, dont suhsiste un texte original écrit de sa main. Cependant cet écervelé, qui se prend. pour un manœuvrier, volette de parti en parti. Il se permet des mots piquants, des mystifications cuisantes pour les victimes; régicide d'ailleurs, par correspondance. «Il y a, entre la Révolution et lui, note Huhert Juin, un malentendu. » En littérature, les petits jeux de la suhtilité peuvent, à l'aventure, payer; mais Paulhan n'avait pas en face de lui un Rohespierre ni un Saint-Just. Bref, Hérault de Séchelles fut de la même charrette que Danton. C'était le 5 avril 1794. Il avait trente-quatre ans. Jusqu'à présent, on ne pouvait lire de lui, je crois, et encore si on avait la chance de rencontrer le livre en houquinerie, que ses Œuvres littéraires, réimprimées par les soins d'Emile Dard en 1907. Huhert Juin y ajoute écrits politiques et correspondance; il y ajoute aussi tout ce qu'il fallait (sauf en matière de hihliographie) pour que l'ensemhle se trouve mis en sa juste place, et éclairé d'une lumière juste. Ce n'est pas une simple résurgence; c'est une résurrection. Un ouvrage du même Emile Dard, daté également de 1907, a collé sur Hérault de Séchelles l'étiquette d'épicurien; dont on a pris l'hahitude de se contenter. Huhert Juin a raison, dans sa préface ample, forte et nerveuse, de faire remarquer qu'elle est loin de suffire. Cet homme de plaisir, mais solide sur le droit et capahle d'une réflexion dépouillée de préjugés, était en passe. peutêtre de devenir un homme d'Etat véritahle. La tête tranchée par la guillotine était une honne tête - à moins qu'elle n'eût pris trop de plaisir à s'écouter parler. Mais quelle futilité que d'épiloguer sur ce qu'auraient pu être les choses qui n'ont pas été.
Samuel S. de Sacy
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En feuilletant... Picabia Germaine Everling fut longtemps une amie de Picahia. Elle l'avait connu pendant la guerre, et ce fut, de part et d'autre le coup de foudre. Mais Picahia vivait déjà avec Gahrielle Buffet qui, en apparence accepta Germaine comme elle en avait accepté heaucoup d'autres avant elle. La vie ne fut malgré tout pas facile pour les amants, et c'est une longue suite de malentendus, de joies et de malheurs que décrit Mme Everling. Cette épopée sentimentale retient moins que le portrait de Picahia, l'un des fondateurs de Dada, et que l'histoire même de la naissance et des premiers pas scandaleux du Mouvement. Les historiens puiseront ici des renseignements à la source. (L'Anneau de Saturne, Fayard, 208 p.)
Henry Miller Georges Belmont s'est entretenu, à la Télévision, avec Henry Miller, lors du dernier passage de celui-ci à Paris. Le texte de ces Entretiens paraît chez Stock. On y découvre un Miller surprenant, moins intéressé quoi qu'on dise par les choses du sexe que par un art de vivre que, le premier, il pratique. L'un des derniers grands vivants de ce temps s'exprime avec un naturel et une franchise qui font chaud au cœur. (Entre-
tiens de Paris avec Georges Belmont, Stock, 126 p.)
Dubuffet Max Loreau poursuit la puhlication du Catalogue des travaux de Jean Dubuffet. Ce premier fascicule de « Céléhration du sol» (le 13" de la série) est soustitré: «lieux cursifs, texturologies, topographies ». Tous les travaux de cette époque sont reproduits, en noir et couleur. Max Loo reau marque leur importance dans l'évolution du peintre. (Weber, éd., 154 p., grand format.)
Gisèle Freund Quarante ans de l'histoire de la photographie. C'est ce qu'on trou-
ve dans l'autobiographie de la grande ph 0 t 0 gr a p he Gisèle Freund qui s'est intéressée surtout, on le sait, aux grands écrivains de notre temps, de Joyce à Gide, à Eliot, à. Michaux. Tout entière à sa vocation, Gisèle Freund sait néanmoins raconter avec aisance, vie et naturel. (Le Monde et ma caméra, Denoël-Gonthier, 256 p., nombreuses photographies.)
Balzac Chez Garnier vient de paraître
L'Année balzacienne 1970. Ce volume est consacré au.'t influences étrangères suhies par Balzac et à l'influence que l'œuvre de Balzac eut à l'étranger. On y trouve également des études générales (la !lotion de comique, le jeu des analogies), des études particulières (sur le Curé de Tours, le Médecin
de campagne, Séraphita, la Fille aux yeux d'or) et uneahondante documentation (biographique et bibliographique), (426 pages).
Jules Vallès Dans la série des Œuvres complètes de Jules Vallès, publiées aux Editeurs Français Réunis sous la direction de Lucien Scheler, paraît une pièce inédite, en cinq actes et onze tableaux: la Commune de Paris. Vallès, exilé, l'écrivit à Londres et ne parvint pas à la faire représenter. Il y met en scène un ouvrier forgeron ( «le plus collectiviste de ses révolutionnaires ») et un peuple d'artisans. Il montre la continuité révolutionnaire qui existe entre 1848 et 1871. Les préfaciers (Marie-Claire Bancquart et Lucien Scheler) voient dans cette pièce l'exemple réussi d'un théâtre pour le peuple. (378 p.)
Architectes Seghers publie un précieux ouvrage : le Dictionnaire des architectes de Bernard Oudin. Plus de 800 noms y figurent, couvrant toute l'histoire de l'architecture, de l'antiquitë aux plus récentes
tendances de l'architecture d'aujourd'hui. Des notices sont également consacrées aux principaux styles et écoles. Glossaire technique et index géographique des milliers d'œuvres citées. (Relié. 480 p., 110 illustrations.)
Samizdat Un ouvrage qui recoupe et complète Samizdat 1 (Ed. du Seuil) : la Presse clandestine en U.R.S.S., 1960-1970. Il s'ouvre sur cette épigraphe (prophétique) d'Alexandre Herzen (1848) : «Le socialisme se développera dans toutes ses phases jusqu'aux conséquences extrêmes, jusqu'à l'absurde. Alors s'échappera de la poitrine titanique de la minorité révolutionnaire un cri de désespoir et à nouveau reprendra une lutte sans merci, dans laquelle le socialisme occupera la place du conservatisme actuel et sera vaincu par la révolution inconnue à venir... » Ce sont les preuves de cette « lutte sans merci» que nous donne Michel Slavinsky, l'auteur de ce recueil. On y retrouve les noms et les textes des héros et martyrs qui pourrissent actuellement en U.R.S.S. dans les camps ou les hôpitaux dits psychiatriques. La documentation a été fournie par les organes d'émigrés Grani et Possev. L'accent est mis, moins sur la lutte politique que sur le combat religieux, moral et spirituel. (Nouvelles Editions Latines, 256 p.)
Littérature La bibliothèque des connaissances essentielles (Bordas-Laffont) comprendra une Histoire de la littérature française en cinq volumes, publiés sous la direction de Henri Lemaître. Le premier tome vient de paraître : Du Moyen Age à rAge baroque. Il est d'auteurs bien connus des étudiants: Lagarde et Michard. y ont collaboré: Thérèse Van der Elst et Roger Pagosse. Plaisant à feuilleter, en raison d'une mise en pages originale et des nombreuses illustrations, il constituera pour beaucoup un instrument de travail. (Relié toile, 640 pages.)
tROTISME
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Lucifer IIje
La salive de f éléphant Eric Losfeld éd., 315 p.
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Léone Guerre
Les dix Japonais
Eric Losfeld éd., 132 p.
« Mais, lavais la conscience des étemités différentes de fhomme et de la femme », écrivait en 1908 Guillaume Apollinaire dans un texte à plusieurs égards prophétique, Onirocritique. Cette «conscience », sans doute pouvons·nous y parvenir plus directement, pour notre part (je veux dire: nous qui ne sommes pas poètes), si nous nous penchons au point d'intersection de ces «éternités différentes»: l'amour. L'amour hétérosexuel s'entend, avec cette zone de lumière, autour de son noyau brûlant, laquelle peu à peu se fait zone d'ombre... En d'autres termes, à quoi son· gent les femmes quand nous leur faisons l'amour? Pour ma part, je crois que nous (je veux dire : etc.) ne le saurons jamais. Et les hommes, quand ils font l'amour avec les femmes, à quoi pensent· ils donc ? Je ne suis pas certain, mais alors pas du tout, que nous le sachions (nous, etc., voir plus haut) ! D'où, à mon sens, la fascination qu'exercent sur la plu. part des gens les livres et les films dont le thème principal est l'amour. S'il était vraiment prouvé, ainsi que l'affirment certains esprits posés (sur quoi?), que «c'est toujours la même chose », on comprendrait mal cette fascination et pourquoi les gens (dont pas mal font tout de même l'amour de temps à autre) se ruent pour voir deux personnes faire l'amour sur un écan (ou plutôt, dans l'état actuel de nos mœurs, nous faire croire qu'ils font l'amour). Cette fille et ce garçon, qui font l'amour devant nous (ou font semblant), qu'éprouvent.ils? A quoi pensent.ils? La réponse à cette question est, en principe : ils pensent qu'ils sont en train de - faire l'amour. Réponse qui ne résout rien. Car, faire l'amour, qu'est.ce que ça veut dire? Et chacun des spectateurs de se pen· . cher, chacun avec des sentiments particuliers, - de la jalousie à la haine, de la complicité au dé· La
Les éléphants • sont contagIeux goùt, sur cette étreinte amoureuse et de tenter d'y lire sa propre vérité (ou, mieux encore, sa propre image de l'amour) : qui suisje quand je fais l'amour? C'est· à-dire: pourquoi est·ce que je fais. (ou que je ne fais pas) l'amour? C'est là, je ne me le dissimule pas, un problème bourgeois et réservé par conséquent aux bourgeois. Les autres (ceux qui ne sont pas bourgeois) s'affairent à pren· dre le pouvoir. Mais prenez donc, je vous en prie, faites comme chez vous et ne vous dérangez pas pour moi! Moi, qui n'ai pas de pouvoir (ni de train) à prendre, persuadé en outre de n'avoir pas plusieurs siècles devant moi pour découvrir le secret de «la vraie vie », j'avoue sans rougir céder à la fascination dont j'ai parlé plus volontiers qu'à n'importe quelle autre. Surtout lorsque, de temps à autre, un film ou un livre me rappelle brutalement à cette réalité·là. Douce-amère, si vous voyez ce que je veux dire. Tout ce qui pré c è de, ce n'étaient point des prolégomè. nes, mais une indication de l'état mental (je n'ose dire: de la pen· sée) où je me suis trouvé après la lecture successive, le même jour, de deux livres sur l'amour, sans l'ombre d'un doute écrits le premier par un homme la Salive de f Eléphant, le second par une femme les Dix J a p 0 n ais. Si j'ajoute que je crois avoir corn· pris que cet homme et cette femme qui ont écrit ces deux livres ne sont pas des inconnus l'un pour l'autre, on aura peut-être une faible idée du trouble qui est le mien en présence de ces deux rapports si dissemblables, tant par le ton et par l'allure que par le nombre de pages. Les deux ouvrages sont écrits à la première personne. Le héros de la Salive de f Eléphant, Lucifer Hje, est aussi l'auteur du Ii· vre et, nous laisse-t·il entendre, de plusieurs autres de la même veine. Il nous décrit les tribula· tions de sa vie amoureuse qu'il partage entre trois prostituées. Dans l'ordre ascendant, il y ft Durande, docile et un peu niaise. Rose, capricieuse et portée sur les nègres, enfin la grande Tchang, une Chinoise, sorte de Mère des Putains. Une fugue de Rose va entraîner le héros à accepter de subir une initiation érotique, dite
Littéraire, du 16 au JI juillet 1970
de «la salive de l'éléphant », qui est tout autant une initiation mystique dans la tradition de l'Inde. A la fin du livre, Rose, repentie, sera initiée à son tour par Tchang. Que l'on ne se laisse pas abu· serpar la maigreur de l'intrigue (ni par la couverture du livre, intentionnellement du style le plus plat pour bibliothèques de gares): l'ouvrage se développe avec une virtuosité stupéfiante selon une trajectoire de plus en plus tendue (bien que régulièrement interrompue de paliers où reprendre souffle) au fur et à mesure que l'on s'avance. Bien que, contrairement à toutes les lois du genre, le héros ne fasse jamais l'amour avec plus d'une femme à la fois, on y parvient à une intensité telle que la sim-
pIe évocation d'un baiser sur la bouche (pages 176 et 177) suffit à crever le plafond de notre blasement. La luxuriance verbale, qui ne se prive pourtant pas des ex· plosions de la trivialité, atteint plus d'une fois à son comble: c'est aussi un ouvrage lyrique que la Salive de f Eléphant. Contrastant avec cette superbe architecture de temple hindou, les Dix Japonais surprennent avant tout par leur manque d'apprêt. Cela se passe à Marseile, un certain printemps, où la narratrice, une jeune fille, connaît quelques aventures (dont celle qui fournit son titre au ré· cit) et nous fait part en outre des circonstances assez lointaines de son dépucelage (vraisemblablement le pIns. bouleversant épisode
Les Lettres Nouvelles Mai-Juin
InO
Octavio Paz Leonardo Sciascia Janine Matillon Jean Ricardou Jobn Cage Kennetb Wbite - - - - Viviane Forrester Harry Matbews - - Malcolm Lowry P.B. Biscaye - - - Georges Kassaï Serge Faucbereau----Dominique Nom et Colette Godard - - - - - - - Déserteurs et insoumis américains
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ENTRETIEN
José Pierre
Vingt-cinq années, cela fait le temps d'une génération et c'est de cette génération qu'Elie Wiesel entend dresser le bilan, dans son nouveau 1ivre, Entre deux soleils. Cette période de l'histoire, pour lui, a la forme d'un itinéraire: au départ, sa ville natale, Sighet, une de ces bourgades juives comme elles existaient par centaines, entre le Dnieper et les Carpathes - le marché, l'école, les bains rituels, les hommes en caftan et en chapeau noir, le cimetière et cette vie traditionnelle dont les heures sont scandées par la lecture du Talmud, les silences du Shabbat, la psalmodie des prières, les fêtes du Yom kippour ou du Tisha b'Av. Au terme provisoire du voyage, la chambre qu'Elie Wiesel occupe à Manhattan, comme s'il n'avait pu reconnaître l'écho du silence des Carpathes qu'au cœur de la plus formidable concentration humaine de ce temps.
Américain, il écrit en français
du livre). Tout cela est à peine écrit, comme murmuré au magnétophone dans une sorte d'état second, dans le demi-sommeil, les yeux clos. Et pourtant le moindre détail prend ici une violence étonnante et détonante, chaque geste nous atteint de plein fouet, nous laisse chancelants, désemparés. D'horreur ou de concupiscence, on ne sait plus. Plutôt, sans doute, d'éprouver de si près les vertiges charnels que toute distance s'efface. Car là me paraît la grande différence entre ces deux livres qu'unit cependant un même bonheur d'expression: que la Salive de r Eléphant nous transporte dans les vertiges de l'imagination là où les Dix Japonais nous plon-
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gent dans les vertiges du vécu. Et, en tant que lecteur (masculin, je suppose), on se tire moins bien, moins alerte de la lecture du second que de celle du premier. Peut-être suis-je victime des pièges d'un art raffiné? Mais je me persuade aisément que Lucifer Ilje n'est pas Lucifer Ilje là où j'ai du mal à convenir que Léone Guerre puisse n'être pas Léone Guerre. Comprenne qui voudra! Et si c'était la réponse à ma question première? A sa· voir que si les hommes rêvent qu'ils font l'amour alors qu'ils sont en tràin de le faire, les fem-· mes, elles, ne rêvent pas; elles font l'amour. Même quand elles l'écrivent. José Pierre
Entre ces deux étapes, le périple a été long, tragique et désordonné. Déporté dès l'âge de douze ans, le petit Elie Wiesel échappe par miracle à l'holocauste. JI a quinze ans lorsqu'il arrive à Paris, en 1945. La Sorbonne lui permet d'ajouter à sa culture biblique un savoir littéraire et philosophique. Il s'installe ensuite aux USA, comme correspondant d'un journal israélien. Un accident de voiture l'immobilise pour un an. Le voici naturalisé américain. Américain, Elie Wiesel écrit ses livres en français. Et dès ses premiers récits, l'Aube, le Jour, la Ville et la Chance, une voix singulière était saluée, presque unique dans la littérature de ce temps. Aujourd'hui, ce n'est pas un récit qu'il propose, mais un livre éclaté, fait de bribes de contes, de descentes dans la mémoire, de réflexions sur l'histoire. Non que Wiesel se tienne pour un homme politique, mais s'il prend parti passionnément en faveur d'Isr:aël, dans les circonstances actuelles. c'est à un autre niveau que celui de l'analyse politique qu'il s'établit. Ecrivain. Elie Wiesel l'a pro-
bablement toujours été, mais le mot n'avait pas pour lui le sens que nous lui assignons. JI se définit moins comme un écrivain que comme un homme de "écrit: E. W Israël est le peuple du livre, dit-il, et, pour moi, j'ai toujours écrit, mais comprenez bien, dans mon village, ce que j'écrivais n'avait rien à voir avec le roman. A douze ans, j'avais fait un commentaire de la Bible et je l'ai retrouvé vingt ans plus tard, quand je suis retourné chez moi ; je suis allé dans la synagogue, il y avait des livres en· tassés, en désordre, et, en fouillant, j'ai découvert ce texte, ma première œuvre. Inutile de dire qu'elle était très mauvaise.
G. L. Depuis, vous êtes devenu écrivain. Pourtant, vous dites quelque part que vous considérez les romans comme puérils ? E. W. Est-ce que j'écris des romans? Il s'agit de légendes ou de contes. La différence avec le roman, c'est difficile. Dans ce livre, Entre deux soleils, il y a une phrase qui explique peut-être mon idée: • Certains événements ont eu lieu mais ne sont pas vrais. D'autres par contre le sont mais n'ont jamais eu lieu... Eh bien! j'ai vécu certains événements et ce que je décris, à partir de là, ce sont des événements qui peuvent ou non avoir eu lieu mais qui sont vrais. Or, je crois qu'il est très important qu'il y ait toujours et partout des témoins.
JI faudrait ici donner à entendre cette voix, toujours un peu blessée et pourtant calme. qui semble se détacher sur un fond de silence comme si elle n'associait les mots que pour désigner l'espace même de ce silence. Dire aussi le visage juif, fait de douleur et de sourire, vulnérable. E. W. Oui, il doit y avoir des témoins. Je viens de lire un livre sur la Russie des années trente. La poétesse Akhmatova avait un fils de 17 ans en prison et elle allait lui rendre visite. Le spectacle était affligeant de
Elie Wiesel, le tém.oin tous ces gens qui rendaient visite aux prisonniers. Et un jour, devant la prison, une femme reconnaît Akhmatova. « Pensezvous que vous pourrez raconter cela ?» Et comme Akhmatova lui répond qu'elle le racontera, pour la première fois un sourire est apparu sur le visage de la femme. C'est cela que je veux dire. Les hommes de ma génération, nous sommes tous des survivants. Il nous faut empêcher que l'holocauste ne s'efface de la mémoire du monde. G. L. Vous avez témoigné par une dizaine de livres, déjà? Maintenant... E. W. Oui, le livre qui paraît aujourd'hui clôt une certaine forme de témoignage. Maintenant, après le temps d'une génération, je m'éloigne du témoi· gnage direct. G. L.
Des romans encore?
E. W. Je prépare un roman qui sera différent des autres. Mais surtout, je vais faire paraître deux livres sur la Iittéra· ture hassidique. Vous savez ce que c'est, n'est-ce pas? C'est un mouvement qui s'est formé à la fin du XVIIIe siècle, dans ma région justement, et qui s'est répandu très rapidement dans toute l'Europe centrale. C'était la zone où les communautés juives étaient soumises aux pires persécutions. Et je .suis persuadé que le hassidisme a permis à la communauté juive de survivre.. Il s'agissait de retrouver, malgré l'holocauste, la joie, la spontanéité, l'intégrité. La phrase maîtresse du hassidisme est celle-ci: le chemin de Dieu traverse l'homme. Autrement dit, l'homme ne peut approcher Dieu si ce n'est par l'homme. Alors, le hassidisme, s'il est intimement religieux, parle d'une religiosité très peu dogmatique et qui ouvre sur la beauté. Il a produit, naturellement, des philosophes, des penseurs, mais j'en retiens surtout les chants et les contes qu'il a créés. Nous ne sommes plus du côté de IYécrit, mais dans la tradition orale. Les Rabbis racontaient des histoires, d'une richesse souvent extraordinaire.
C'est de ces Rabbis que je parIe, en en faisant des figures aussi vivantes que possible. Par exemple, il y a une personnalité étonnante, celle du Rabbi Nah· man de Bratzlav. Ses similitudes avec Kafka sont surprenantes. JI avait même auprès de lui une sorte de Max Brod qui a recueilli ses histoires. Et ces histoires, ah ! je crois qu'elles dépassent parfois celles de Kafka, oui, vous trouvez chez Rabbi Nahman de Bratzlav la Métamorphose, la Colonie pénitentiaire. Je ne veux pas dire que Kafka a été influencé, mais la parenté spirituelle et même littéraire est évidente. G. L. Vous dites dans votre livre: « Des milliers d'êtres ont dû mourir pour que je devienne écrivain et toi sculpteur. »
nous nous sommes retrouvés par hasard, en Amérique. Et parfois, quand nOus nous rencontrons, cette question flotte dans ma tête, peut-être dans la sienne. Après tout, s'il n'y avait pas eu la guerre, je n'écrirais pas, je serais toujours à Sighet. Ces pensées-là sont assez terrifiantes. D'une certaine manière, je crois que nous sommes tous coupables, même si la culpabilité du bourreau n'est pas celle du témoin ou celle du survivant. Ne voyez pas là la moindre résignation au mal, la notion que le mal participerait d'une façon mystérieuse, à un vaste dessein. Non, le mal est absur· de comme l'holocauste de la guerre est absurde. Cet événement, le plus grand de l'histoire, ma conviction reste qu'il aurait très bien pu ne pas être...
E. W. Comment dire plus précisément? A New York, j'ai un ami qui est professeur de Talmud. C'est un ami d'enfance, du même village que moi, et
Et puis, Elie Wiesel va se taire. Ou peut-être parlera-t-il d'autre chose. Il me dira pourquoi il écrit en français, et que cette décision, en 1945, était un choix
La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970
auquel il d e m e ure fidèle. (( Bien sûr, je parle hébreu, et quand j'écris, en hébreu, que je bois un verre de lait, j'utilise les mêmes mots que les prophètes. Mais le français est une langue qui se prête au récit, mieux que l'hébreu qui est une langue du silence, une langue non rationnelle. ») Il dira encore qu'il croit à l'inspiration et qu'aucun savant linguiste ne lui expliquera jamais pourquoi il associe deux mots dans un récit, et il parlera de Paris, de New York, de la vie littéraire, il plaisantera, il dira des drôleries, mais peut-être ne parlait-il plus déjà, comme s'il avait songé, en dessous de sa parole, à cet « événement", le plus'grand de l'histoire dont il s'est juré d'être le témoin, comme les rabbis de Hongrie, au XVIII" siècle, utilisaient la joie, le conte, les éhants, pour porter témoignage sur la vie de leur peuple, dans l'holocauste. Propos recueillis par Gilles Lapouge'
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ARTS
Un lieu hanté Il Y a à peine dix aQs, l'abbaye de Beaulieu, dans le Tarn-etGaronne, était envahie par les ronces. L'église émergeait à mihauteur du portail d'une gangue de terre et de détritus qui s'étaient amassés durant des siècles d'abandon. Le reste des bâtiments était à l'avenant, les viviers comblés et au chant des matines avait succédé le meuglement des vaches d'une exploitation agricole. Beaulïeu ne démentait cependant pas son nom et lorsque chaque année Pierre Brache et sa femme Geneviève Bonnefoi séjournaient dans la région, ils allaient à l'abbaye rêver d'une improbable restauration. Jusqu'au jour où, mise en vente, ils l'achetèrent pour l'arracher à une mort certaine. Tout comme les moines, huit siècles auparavant, ils commencèrent par défricher, mais --cette fois les bulldozers remplacèrent les serpes. Maçons, charpentiers et autres corps de métiers, tous de la région, s'attelèrent alors à la tâche menée avec l'aide des Monuments Historiques. Neuf années de travaux dont on imagine qu'ils ne furent pas sans susciter parfois autant de découragement - que d'enthousiasme, restituent auJourd'hUi Beaulieu à ('architecture cistercienne. Coiffée d'un bas clocher orné de rosaces, l'église ferme le quadrilatère dessiné par les bâtiments conventuels et le logis abbatial. Bâtie dans la seconde moitié du XIW siècle, sa nef, sans bas-côtés, allie l'élégance gothique à l'austérité cistercienne. Longue de cinquante mètres, éclairée par de hautes baies étroites, elle se termine par un chevet arrondi percé des mêmes hautes fenêtres auxquelles les feuillages extérieurs font les plus beaux des vitraux. A ce lieu habité, Pierre et Geneviève Brache se sont heureusement gardé de donner une destination et c'est l'ancien dortoir des convers qui abrite l'exposition « Un art subjectif ou la face cachée du monde», première manifestation et fondement de ce -Centre d'Art contemporain qu'ils veulent implanter en plein Rouergue. Car la restauration de Beaulieu n'est pas leur première aventure. Il y a plus de vingt ans, ils se je-
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tèrent à corps perdu dans la peinture et le combat qu'ils me· nèrent pour l'abstraction lyrique ne se traduisit pas seulement par les véhémentes chroniques de Geneviève Bonnefoi par un réel soutien aux artistes qu'ils défendaient. Ainsi d'achat en achat, une collection prit forme qui, à Beaulieu, sera désormais ouverte au public. Collection on ne peut plus personnelle de jeunes a mat e urs passionnés qui se saignent aux quatre veines pour l'achat d'un Poliakof, d'un Vieira da Silva, d'un Hartung, voire d'un Vasarely, mais qui très vite préfèrent à cet échantillonnage, la découverte d'une œuvre avec laquelle ils se mettent à vivre. Ainsi se trouvent présentés comme nulle part ailleurs les temps forts de la peinture française des années 50, peinture qu'on aurait tendance à oublier parce qu'éloignée des recherches actuelles et surtout gardée- par les collectionneurs. Il suffit pourtant qu'une centaine de toiles soient, comme ici réunies, poUr s'apercevoir qu'elle tient admirablement. Des vingt-cinq peintres présentés, certains ont la part belle et c'est justice. Michaux, en premier, avec vingt-cinq œuvres qui s'échelonnent de 1944 à maintenant: Fred Deux dont une vingtaine de dessins témoignent de l'œuvre trop secrète, d'une éblouissante technique et d'une exceptionnelle richesse thématique; cinq Dubuffet dont la superbe « Barbe de désintégration des injures.. Hantai est aussi magnifiquement présent avec quatre grandes toiles, ainsi que Degottex, Claude Georges, Sonderborg et Viseux avec une importante sculpture mécanique installée en plein air et son « Orchidée pour la Révolution • en acier qui trône devant quatre fortes toiles du temps qu'il était peintre. Il y a aussi Karskaya et Loubchansky et, représentés par une seule toile Mathieu, Matta, Manessier, Fautrier, Bissière, etc. Que l'on pardonne ce rapide inventaire, mais n'est-il pas nécessaire pour détourner vers Beaulieu la route de vos vacances?
Marcel Billot
Ranuccio Bianchi Bandinelli Rome, la fin de l art antique 425 ill. «L'Univers- des Formes Gallimard éd., 470 p.
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Il Y a un an, Bianchi Bandinelli nous avait offert avec Rome, le centre du pouvoir, une vue d'ensemble magistrale de l'art romain, se promettant d'en finir avec l'art antique en un seul volume traitant du moment où «les provinces de l Empire vont devenir des protagonistes de lHistoire, de la cultlUre et de l Art Ce volume, le -voici : on imagine, d'emblée, que son plan sera moins sinueux et savant que celui de l'ouvrage précédent puisque, chacune de ces provinces s'individualisant de plus eJ;l plus, il faut bien, désormais, en montrer l'évolution dernière sans chercher trop à rattacher ces bourgeons au tronc commun. Il se trouve par ailleurs que la période de l'art antique (1) couverte par ce volume (de l'assassinat de Commode en 192 après J .·C. à la fin du règne de Théodose le Grand, en 395) est l'une des plus négligées de l'histoire de l'art, mise à part la «renaissance constantinienne ». Le propos de cet ouvrage est donc non seulement d'aller chercher les évolutions terminales d'un art « impérialiste disséminé aux confins d'un empire trop vaste mais encore de rétablir une conti·
nuité entre, disons, le style MarcAurèle et les premières manifestations d'un art devenant à la fois européen et médiéval. Dès le règne de Septime Sévère, Bandinelli voit apparaître, dans la statuaire, diverses manifestations d'« angoisse morale opposées aux figurations traditionnelles de la douleur physique (Laocoon). L'Empereur, autrefois -héroïque, en vient à faire triste figure. Simultanément les -structures plastiques s'amollissent, la cohésion va disparaître. Un beau texte de l'évêque Cyprien de Carthage rellète le sentiment de mutation ressenti par l'époque. Les structures économiques sont ellesmêmes minées: au III" siècle se répandra une véritable fausse monnaie. La centralisation de l'Empire le mène ainsi à sa perte, fût-elle retardée par le compromis qu'offrira la reconnaissance des communautés chrétiennes par Constantin. Déjà prospères (du fait de ce malaise généralisé), la coinmunauté chrétienne devint en effet le meilleur soutien du pouvoir (évolution qui allait devenir traditionnelle) . L'irrationnel officialise (les chrétiens apparaissaient comme les tenants d'un au-delà omniprésent), c'était faire état, implicitement, d'un certain «expressionnisme apparu dans l'art et la pensée (Plotin), lequel avait con-
Collections Chez Eric Losfeld, le Désordre. Cette nouvelle collection, publiée sous la responsabilité de Jean Schuster, se propose, par son contenu, sa présentation et son prix économique, de rendre accessibles au public le plus large, certains textes de référence aujourd'hui introuvables et des inédits, les uns comme les autres portant défi,- en leur domaine, à l'ordre policier, mondain, littéraire, rationnel et moral qui asservit l'homme à travers toutes les institutions. Premiers titres annoncés :
Les Mots font lamour, citations surréalistes recueillies par An-
nie Le Brun. L'un dans l autre, d'André Breton; Les Rouilles encagées, une œuvre libre de Benjamin Péret, illus· trée par Yves Tanguy. Développements sur l'infra-réa. li.sme de Matta, de Jean Schuster. Lexique succinct de r érotisme (Breton, Mandiargues, Paz, etc.) Lettres de guerre de Jacques Vaché, précédées de 4 essais d'André Breton. Plaisanteries, satire, ironie et sens profond, de Christian Diedrich Grahbe. Fétais cigare, d'Arthur Cravan. Le Testament d'Horus, de José Pierre.
La fin de l'art antique duit à préférer la restitution « psychologique» à la congruence anatomique ou sociale. Les cultes orientaux parlaient également d'une autre vie meilleure et cette convergence des courants intellectuels allait remodeler tous les canons esthétiques. Des chefs militaires se succè· dent pourtant à la tête de l'Empire, vite assassinés pour la plupart. Les bustes qui nous en res· tent parlent un autre langage. d'une énergie si implacable qu'il;; sont uniques dans l'histoire de l'art. Après Constantin, les Empereurs se feront de plus en plus représenter sous des traits divins. A un niveau plus modeste, l'art soudain abondant des sarcophages mènera, de même, à maintcs représentations «crypto-chrétiennes» et, avec elles, un art plus fruste qui apparaît moins comme une décadence que comme nn nouveau départ. Il y a encore moins de différence entre la peinture païenne et celle des chrétiens, simplement
l'évolution se fait d'un style décoratif et soudain à une expression plus essentielle et populaire (d'Egyptt; viendront les panneaux composés avec des marbres multicolores) . Cette tradition de Rome même aura des évolutions bien plus diverses dans les différents territoires occupés, en Europe et en Afrique, par les légions et les administrations impériales. On imagine la variété d'hypothèses qui doivent être abordées ici pou r déterminer l'importance relative d'une infinité d'œuvres allant dc l"imitation soumise (et donc romaine) à un style pratiquement séparé et donc local ou «provincial» (ainsi qu'on le nomme par tradition, mais il faut en exclure toute nuance péjorative). La sculpture apparaît, de loin, comme l'élément le plus «traditionnel »: le midi de la France en témoigne. Cela s'explique du fait qu'elle est l'apanage de classes plus ou moins inféodées au Régime. Mais les artistes importés
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91 - LINAS La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970
Alexandrie. Statue du prètre Hor,
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La fin de l'art antique
d'Orient et les traditions locales ajoutent leurs piments, au moins dans les aires éloignées. On connaît assez hien, depuis quelque temps, les arts celtiques et galloromains (2). Certaines régions, surtout, brillèrent dans des formes d'expressions particulières: verrerie (Cologne), portrait sculpté (Espagne), etc. Mais c'est en Afrique que l'art romain va BC réinventer de la plus belle façon, dans l'Algérie et la Tunisie actuelles. Même la sculpture prend un accent passionné et un réalisme qui restent exceptionnels à Rome même. C'est enfin dans la mosaïque qu'un art suprême sc déploie, parallèlement (sans doute) à une peinture dont presque tout est perdu. A cet égard, cet ouvrage (qui est sans doute l'un des mieux illustrés de toute la collection) va nous combler, tant par la quantité des document" que par le soin avec lequel, enfin, on nous les présente. La Tripoli-
taine prend, dans cette évolution, une position spéciale, étant res· tée inféodée aux modèles hellé· nistiques (enfin quelques peintures y ont été conservées). En Cyrénaïque, Leptis Magna semble fai· re revivre l'architecture. L'élément le plus troublant est apporté par l'art romain et pré· chrétien d'Egypte. La statuairc y dérive moins de Rome que de la tradition de l'Egypte ancienne. Le mélange des deux courants va créer ces effigies saisissantes du «prêtre Hor» ou de «Maximin Daia» (3). Ici l'auteur constate que l'histoire de cet art caracté· ristiquement africain n'a pas encore été écrite et se montre pru· dent. La Grèce, pour sa part, se sur· vivait dans de beaux portraits (constante de la statuaire romaine) et des sarcophages. C'est à Adamklissi (Roumanie) que, soudain, va sembler naître un art si séparé qu'il a une saveur parfai-
tement médiévale, l'influence de la colonne Trajane fût-elle évi· dente. En Asie mineure enfin, les théo· ries s'affrontent. Depuis le dilemme «Orient ou Rome:. par le· quel on voulait trancher du passage à l'art médiéval, la situation s'est nuancée et, alors qu'on tendait à tout faire venir d'Orient, les fouilles d'Antioche ont révélé que la tradition hellénistique y était, au contraire, plus vivace qu'ailleurs (mosaïques). De la première Constantinople, par mal· chance, il ne reste rien : les plus anciens vestiges de l'actuel Istan. bul remontent à Théodose (379395) et donc à un style pré-byzan. tin. La vraie fin de l'Antiquité nous échappe donc quelque peu et de Byzance nous passons directement aux bas-reliefs érodés (390) qui servent de base à un obélisque qu'avait ramené Julien l'Apostat. L'Orient connaît déjà les premières formes d'art byzan-
tin et Constantinople sera, au cours des ve et vI" siècles, la seule capitale artistique. Pour tout le reste, un lent processus de matu· ration va plonger l'Europe dans une apparente «régression ». Ghi. berti pensait qu'elle était due à la destruction des «modèles» an· tiques par les premiers chrétiens. En fait, ainsi que termine Bandi· nelli: «La difficile naissance de la nouvelle civilisation se faisait à partir d'une culture moins savante et moins raffinée mais à laquelle étaient appelés à participer un plus grand nombre d' hommes. » Marcel Marnat (1) C'est·à·dire de tradition antique et païenne: le premier art chrétien est aujourd'hui mieux connu, (2) Rappelons Celtes et Germains. • l'Art dans le Monde,' (Albin Michel) et Art et Dieux de la Gaule (Arthaud), (3) Telle est l'identification tradl· tionnelle, Bandinelli préfère y recon· naître l'Empereur Galère tandis que d'autres parlent de Cicinus ou de Dioclétien .. ,
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ESSAIS
Au bord du chemin Roger Munier Le Seul préf. de René Char Tchou éd., 149 p.
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Pour me faire une idée d'un livre, j'en recopie un passage. Si au bout d'une page ou deux je suis content de ce que j'ai écrit, c'est une première conclusion. Et si cela me donne envie du pastiche, alors ma religion est faite. Pasticher est un acte de respect : mettre par écrit le travail de lecture, pour dégager plus nettement l'inimitable, qu'on laisse intouché. C'est là une opération intime, dont l'insolence n'a pas besoin d'excuses. Bien préférable en tout cas à celle dont on prend l'habitude dans les classes, de souligner les mots ou phrases jugés «im ou récapitulatifs: de quel droit? Plutôt écrire carrément dans les marges, ou espaces laissés blancs, insérer entre les pages des Beurs, des dates ou de menus calculs, jusqu'à faire de l'objet industriel ce compagnon qu'est parfois le livre de cuisine ou de comptes.
Le pasticiaccio Comment écrire, d'ailleurs, sans se pasticher soi-même ? Mais pour son propre contentement, la satisfaction d'enclore encore plus hermétiquement, par la suite des variations qu'on décrit ainsi sur un thème inouï, l'essentiellement soi, dont il n'y a rien à dire. Plaisir de pasticher Péguy, Proust, Claude Simon, Lacan: plaisir gustatif du pasticiaccio.
Le Seul, de Roger Munier, provoque à la fois et charme. Estce du même mouvement ? Devant le lecteur, puis en lui-même, progresse une pensée qui «interroge le visible» - le seul, non qu'il n'y ait pas d'invisible, mais parce que l'invisible est «la dimension même du visible» - laissant surgir le nu, le simple, le savoureux, l'immédiat. Et cependant se déploie aussi une rhétorique. Rhétorique: désir anxieux de faire taire le lecteur. La tension entre l'invocation du monde et la réticence du style est l'inimitable de Roger Munier. Un personnage oublié, l'arbre, revient devant nous. Souvenezvous des arbres médusants et obscènes de la Nausée, puis laissez s'ériger devant vous l'arbre contre lequel s'appuie Roger Munier. TI n'en faut pas plus pour condamner Sartre, regretter qu'il ait si vite avalé Heidegger, plus pressé de le dépasser que de le savourer. Mais on comprend, mais on excuse presque la boulimie du normalien parti à Berlin la tête déjà farcie, et qui ne sait pas qu'on se nourrit aussi en jeûnant. Je recopie: «Je· touche cette évidence érigée, aveuglante lEêtre ainsi offusquée, comme stupéfaite dans ce tronc lisse et tendu... Je lis dans cet arbre finfinité qu'il est sa limite. Accueillant cette limite, j'accueille (infinité... ' Lieu de surgissement du monde, la parole est mon abri, mon habitacle. Nommés, farbre, le nuage, la rivière, f étendue, la pluie, le vent sont plus que ce qu'ils sont, devenant en effet: arbre, nuage, rivière, étendue, pluie et vent. L'arbre est arbre, qui n'était en· core qu'attente lE arbre. Il se produit réellement comme arbre. La parole met f arbre au monde. D'une certaine manière, elle est proprement « arbre »... L'arbre échappe à la saisie, globalement se refuse au savoir, par la présence en lui de Ce qui s'abolit pour qu'il ait forme et limite lEarbre, infinisant du même coup cette forme et cette limite... C'est Cela que le dire-monde cherche à nommer. Il dit ce calme pouvoir, cette affirmation noueuse accomplie dans la grâce du feuillage, cette force souple jaillissante dans (immobilité du là, cette sorte de distance et lEélan, de verticalité et d'imminence dans la proximité du là, par quoi f arbre impénétrablf:-
I.a Q:!!iJazainc Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970
ment se dérobe et en lui-même échappe à sa finitude d'arbre ... » Je cesse de recopier: non que je sois mécontent du texte, mais parce qu'au contraire, il m'invite si fortement à un silence qu'il dérange lui-même. Inconvénient du poème didactique: il est si plein de ce qu'il aime qu'il en oublie. ce suspens grave pendant lequel le disciple imbécile creuse son silence jusqu'à en faire surgir une forme conjointe à la parole. Ou alors le livre est la poussée de fièvre des NourriIJures Terrestres, dévorées dans l'exaltation adolescente, avide, assoiffée, puis déçue mais nourrie de cette déception même: le vrai fruit est hors du livre, il faut partir.
Le Sacré Puis, comme le Seul est pas. sionnant, il faut y retourner. Il s'y trouve un chapitre, «Mémoire », dans lequel Roger Munier demande à l'arbre de nous dire l'histoire de notre regard, depuis «la halte des vergers» jusqu'à «l'arbre des plantations industrielles », en passant par l'arbre sacré de Dodone. Ce très beau chapitre provoque infiniment de questions, et souvent y répond. C'est un récit d'une grande pureté, où le Sacré (au sens où W. Otto l'entendait) est restitué, à la fois familier et étrange. Copie: «L'hommage au Disparu dans farbre, qu,'il aille donc à f arbre, puisque f arbre est la disparition même du Disparu sous forme lEarbre, puisqu'il est, en n'étant qu'arbre, en n'étant Rien lEmttre qu'arbre, le lieu fini de ce Rien qui le fonde ... Ainsi farbre devint sacré. Pure absence érigée sous forme lEarbre, énigme végétale érigée disant f Enigme. » Mais pourquoi tel arbre, et non tout arbre présent? N'est-ce pas déjà un retrait par rapport au «tout est plein de dieux» de Thalès? Munier répond: «Mais ce qu'il est ainsi dans sa plénitude signifiante, f arbre sacré ne fest que par décret. Au sein du monde de f oubli, le sacré préalablement définit une enceinte à fintérieur de laquelle seul f arbre a ce pouvoir lEêtre arbre. Le chêne sacré - le chêne - n'est qu'à Dodone.» Puis, avec l'enfoncement des hommes dans l'oubli de ce qui est, «le chêne-oracle, s'il parle encore en tant que chêne,
n'est bientôt plus que la seule voix du dieu. Il se perd en sa fonction, devient le porte-parole, l'organe lEun Autre, lEun Séparé du chêne qui n'accède au visible que par son truchement ». Le sacré déjà «confirmait» l'oubli. C'est sur une telle perspicacité que se fonde l'attitude pleinement pacifiée de Roger Munier. La condamnation de la technique conduirait en effet au désespoir, si elle opposait mécaniquement à notre monde d'aveugles un « avant» de pure translucidité. Mais Munier rend le présent à son ambiguïté parce qu'il se garde du regret, ou régrès, qui menace quiconque oriente sa pensée dans le sens du «retour» hoelderlinien. D'où les deux issues: ou bien «l'arbre humilié sauvera l'arbre », «sauvé de l'oubli par ]'excès même de l'oubli»; ou bien le monde «se désertera chaque jour davantage, s'abîmera dans son propre artifice ». Cet « ou bien» est le sens présent. R. Munier avait déjà affirmé sa position, dans une. langue' d'une remarquable clarté, en dialoguant avec Brice Parain à propos de l'être du langage (1). On avait été surpris par la sûreté de la méthode, consistant à permettre aux mots de conduire la pensée ; Brice Parain, par contraste, apparaissait à la fois hésitant et incisif, tendu par une angoisse très sen· sible. Au fond, avec Roger Munier, c'est la première fois que Heidegger parle français, et bien sûr cela ne va pas sans quelque artifice, comme dans le doublage d'un film. On sait quel rôle de premier plan R. Munier joue dans le travail patient de translation opéré depuis quelque temps en France sur les textes de Heidegger (2). Le Seul marque une nouvelle étape, non d'infidélité mais d'audace. La pensée s'y avère à sa place dans la poésie, ordre de mots dont la source, quoique cachée, ne se dérobe pas. On prendra vite l'habitude de pen· ser à Munier, et de relire ses textes, et de les attendre, comme des signes placés d'avance au bord d'un inévitable chemin. Pierre Pachet (1) Cahiers du Chemin, n° 3. avril 1968. (2) En particulier la remarquable traduction de • Qu'est-ce que la métaphysique? parue dans le n° 14 du Nouveau Commerce, été-automne 1969.
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ETHNOLOGIE
Chez les Canaques
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Roselène Dousset Colonialisme et contradictions Mouton et Co., éd., 208 p.
1878: en Nouvelle-Calédonie éclate «l'Insurrection générale des tribus canaques », entraînant une atroce répression. A quelle frappante analogie avec la révolte et le massacre du peuple malgache, en 1947, n'est-on pas confronté ? Le processus de détérioration des rapports entre Blancs (deux fois Français, en l'occurrence) et Autochtones connaîtra, ici et là, des développements d'une étrange parenté, parce que les ressorts sont toujours les mêmes. Et le mérite essentiel de l'ouvrage que Roselène Dousset publie aujourd'hui est de mettre en lumière, à la faveur d'un cas exemplaire, l'immuable logique du comportement colonial. Ce n'est pas un hasard si l'auteur a choisi de traiter ce sujet: fille de Maurice Leenhardt qui fonda, en 1902, la mission protestante de Nouvelle-Calédonie, née elle-même dans l'île, Roselène Dousset voue visiblement (et on la comprend) une admiration et un respect actifs au peuple de son pays natal, pardonnant difhcilement, en revanche, à nombre de ses compatriotes le désastre matériel et moral auquel ils l'ont acculé, par l'instrument de la colonisation, depuis plus d'un siècle. Se fût-elle laissée emporter par l'indignation pure, que les faits rapportés, ainsi déformés. et alté-
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rés par le feu de la passion, n'eussent pas représenté la même valeur. Mais, choisissant de contenir ce naturel sentiment de révolte, et le canalisant. dans la voie d'une réflexion scientifique, elle assure à son travail un haut niveau d'objectivité. Comme l'écrit très justement Bastide, dans une brève préface, mais d'une singulière densité: «La thèse de Mm. Dausset sur les causes de llnsurrection de 1878 en Nouvelle-Calédonie s'inscrit dans le cadre de cette nouvelle science que lon voit, enfin, naître et se développer a.ujourd'hui: lethno-histoire, qui n'a rien à voir avec la généralisation, à des ethnies autres que la nôtre, des méthodes ou des perspectives de lhistoire traditionnelle.» La méthode scientifique adoptée permet effectivement d'analyser simultanément les structures de pensée en présence, et de suivre le cours parallèle des raisonnements qu'elles conditionnent. Et ainsi aperçoit-on immédiatement que la méconnaissance par les Européens, prisonniers de leurs catégories mentales, du «code culturel» en vigueur chez les Néo-Calédoniens, implique déjà le fatal malentendu qui engendrera, grossi de nombreuses autres causes, l'Insurrection de 1878. Les manuels d'histoire nous apprennent que le Capitaine Cook « découvrit », suivant un tic de langage typiquement européen (induisant à la non-existence de tout peuple avant l'arrivée de l'Europe), la Nouvelle-Calédonie,
en 1774. Dix-neuf ans plus tard, un nouvel explorateur, français celui-ci, Entrecasteaux, va débarquer, tout comme Cook, à Balade, à la recherche de La Pérouse qui aurait également séjourné dans l'île. Après un autre entr' acte, de cinquante ans cette fois, les premiers missionnaires maristes envoyés de France, mettent pied, à leur tour, en 1843, et toujours à Balade, sur le sol de la «Grande Terre ». Pendant dix ans, qui coïncideront avec la période de précolonisation de l'île, les missionnaires vont tenter d'approcher les Canaques et de les convertir. Ils y réussiront relativement, dans ce qu'il est convenu d'appeler l'étape d'adoption: les «pouvoirs» de ces représentants de la «tribu du ciel» paraissant irrésistibles. Mais, à l'étape de l'adoption succédera· celle du rejet. Que s'est-il donc passé? Ceci, que les Européens, trop confiants en leur supposée supériorité, et faisant fi, par ignorance, des coutumes locales, sousestiment gravement les facultés d'observation et de pénétration des Néo-Calédoniens. Ceux-ci ne se laissent pas longtemps abuser par les «pouvoirs» des «bons Pères », dont ils décèlent la super-
calédonien. Les Canaques ont accepté les missionnaires, et de se convertir à eux, mais ce premier geste ne devait pas rester unilatéral. Les missionnaires devaient y répondre par un autre geste, implicitement inscrit dans le «pacte tacite» liant les parties, en partageant avec eux vivres et biens des navires si longtemps at· tendus de France (Culte du Cargo). Or, dès l'arrivée de ces bateaux, loin de partager, les «bons pères» entassent les marchandises dans leur camp, et les gardent pour leur usage, laissant les Indigènes dépérir sous leurs yeux. Se sentant « joués» par ces Etrangers qui sont si loin d'être ce qu'ils prétendent, les Néo-Calédoniens ·vont désormais les rejeter_ A ces premières erreurs, sans doute déjà irréparables, vont s'ajouter, avec l'implantation de la colonisation, une suite d'exactions inhérentes au système colonial lui-même. Malgré les déclarations d'intention exemplaires de la France métropolitaine, garantissant l'intégrité de la propriété indigène, la logique interne de la colonisation conduira nécessairement au résultat inverse : la spoliation des meilleures terres, autorisée et encouragée par l'admi-
Une contribution précieuse à l'étude de l'histoire coloniale et • l'enrichissement de l'ethno-histoire.
cherie, et surprennent très vite les contradictions que les missionnaires laissent apparaître entre leurs paroles et leurs actes: ils se prétendent témoins d'un Dieu d'Amour, mais se présentent armés jusqu'aux dents; ils déclarent «ouvrir leur cœur », mais ferment leur camp ; ils se disent « indépendants» du temporel, mais sont objectivement solidaires (certes, à leur corps défendant, et les circonstances aidant) des soldats et marins français qui les «protègent ». Rien de cela n'échappe à la sagacité des Autochtones. Il y a plus grave. Les Européens ne respectent pas ]a loi de réciprocité qu'implique ladoption dans le «code culturel» néo-
nistration locale, chaque jour plus dévouée aux intérêts des colons. La colonisation pénitentiaire ne fera qu'aggraver les choses, et l'élevage intensif, enfin, précipitera le processus de l'insurrection proprement dite. Celle-ci n'est pas directement décrite par l'auteur, mais Roselène Dousset nous laisse pourtant espérer un prochain ouvrage consacré à ce phénomène. Avec l'œuvre présente, écrite d'une plume vive et élégante, nul doute qu'il représentera une contribution précieuse à l'étude de l'histoire coloniale, et simultanément, à l'enrichissement de cette science encore dans l'enfance, que l'on nomme l'ethnohistoire. Guy de Bosschèrf"
INFORMATIONS
Un guérillero Henri Lefebvre
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Le manifeste différentia liste
Coll. Idées Gallimard éd., 186 p.
«Philosophie, histoire, politiq1;le,. associées ou dissociées, alliées ou mésalliées, forment la Sainte-Trinité des pouvoirs hOlllogénéisants réducteurs de ce qui diffère... » Travail obscur de laminage des originalités. Lente récupération des particularités (Artaud, Holderlin, Nietzsche devenus sujets de cours !). Puissante boulimie de la force instituée qui ne dit pas son nom - politique? raison? puissance technique? magie? . Ce pouvoir d'intégration, Henri Lefebvre le retrouve à tous les niveaux de la vie quotidienne; confusion de la croissance économique dédaigneuse des diversités de groupes et de classes avec le développement social générateur de différenciation, assimilation déjà ancienne de la révolution et de l'Etat révolutionnaire, assimilation du travail producteur et de la logique abstraite, valorisation de grands modèles abstraits, universellement affirmés. Dans sa Vie quotidienne dans le monde actuel (1) qui fut un cours professé à Nanterre en 196768, Henri Lefebvre avait déjà défini ce double caractère de l'époque contemporaine d'être réductrice et affirmatrice de différence à la fois; seulement cette affirmation des différences, si elle se plaçait, au siècle dernier (du moins tel que le voulurent les philosophes socialistes), une classe sociale se situe aujourd'hui dans une classe d'âge. D'autre part, la société industrielle engendre spontanément et, sans l'avoir médité, une puissante assimilation des divergences - et cela avec la même force que pouvait y prétendre l'Etat (rationnellement pensé) de Hegel. Derrière cette critique se situe la réflexion même de Lefebvre, réflexion qu'il poursuit depuis ses premiers livres, parus bien avant la guerre, comme cette Conscience mystifiée jamais rééditée (1). Cette pensée est une mé· ditation . permanente et jamais achevée sur les suggestions formu· lées hâtivement par certains penseurs romantiques, de Schelling à Marx et du jeune Hegel à Fichte.
Semences qui, à vrai dire, restèrent chez ces philosophes à l'état d'ébauche, tant fut ravageur chez eux la puissance systématisante. Lefebvre trouvait ici la première ébauche d'une différenciation radicale entre la pensée et la réalité vivante, différenciation qu'il s'agissait moins de réduire que de mainten.ir en un affrontement permanent et radicalement indomptable. . Image romantique? Recherche de la réalité créatrice de l'être humain, réalité dynamique que n'a 'pu encore étouffer aucune diversion, aucun· esclavage, aucune aliénation, fût-elle celle de la dialectique? Pourquoi non? Il est évident que le seul penseur qui ait résisté complètement à cette «homogénéisation reste Nietzsche. Lefebvre, qui prépare un livre sur lui, en parle à peine dans ce Manifeste. Pourtant, le centre du propos est bien là : ou bien l'abandon de la réflexion instituée et la solitude, ou bien l'intégration dans les cadres traditionnels. Quelle grande pensée ne serait tentée par la sécurité apaisante de 1'« establishment» ? La révolution a-t-elle elle-même résisté à cette intégration en insti· tutions? La civilisation industrielle ne nous jette-t-elle pas dans la calme et générale jouissance de biens un.iversellement répartis? Ce «manifeste », écrit la bride sur le cou, ce survol brillant et rapide renvoie aux autres lignes de Lefebvre, à sa Méta-philosophie, à son Introduction à la modernité (2). L'idée même de différence ne trouve pas ici son épanouissement complet parce que l'auteur, soucieux d'avancer
f.a Q.!!inzaine Littéraire. du 16 au 31 juillet 1970
et de briser les obstacles, ne s'arrête jamais, et progresse avec une fougue de jeune homme. Cette différence est cependant, depuis quelques années, non pas un thème de réflexion mais une préoccupation, une interrogation pour une nouvelle génération de philosophes: Gilles Deleuze a noté combien le concept de différence se vide dès que l'on prétend le comprendre à partir de l'identité ; ce fut le cas de Hegel, mais Hegel ne constitue-t-il pas un recul dans la réflexion européenne ? Et ne faut-il pas constituer le concept de différence en lui-même, sans compromis avec l' « identique» ou le «semblable », comme fondement de toute réalité (3) ? Lefebvre se situe dans des perspectives comparables, mais avec un talent de polémiste. Il ouvre la brousse à coups de machette et pratique la guérilla intellectuelle. C'est le propre de cet esprit prodigieusement acéré et vivant qui, à grandes brassées, travaille la pâte plus ou moins figée du savoir commun. Lui-même est un «guérillero de la philosophie et de la sociologie. Mais le « guérillero» n'est-il pas, par dé6nition, autre, celui que l'on n'assimile jamais, parce qu'il est de nature différent ? Lefebvre ne pense pas la différence, il s'installe en elle. Il lui reste, maintenant, à la démontrer.
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Jean Duvigrwud (1) Gallimard éditeur. (2) Editions de Minuit,
collection • Arguments '. (3) Différence et répétition, PUF.
.Les d'économie et de politique Analyse et Prévision (juin 1970) L'ancien Commissaire au Plan. Pierre Massé, reprend un texte qu'il avait écrit en 1962 sur «La France et les Gadgets - et réèxamine la tension propre à toutes les sociétés modernes entre rémunération du travail, consommation collective et dépenses de solidarité. Chronique Sociale de France Dans le n° 5, consacré à la pensée utopique, trois textes inédits en français: Aldous Huxley: • Utopie positive et utopie négative-. B. de Jouvenel: «Du bon usage de la pensée utopique-. David Riesman: «Etat présent de la pensée utopique en Amérique -. Dissent (mai-juin 1970) Michael Harrington (dont le livre l'Autre Amérique a été traduit en français) : • Pourquoi le socialisme nous est nécessaire en Amérique-. Preuves (3' trimestre 1970) Ota Sik (le père de la réforme de la planification en Tchécoslovaquie) : • Ma Réforme était juste, la politique l'a fait échouer-. Projet (mai 1970) F. Bloch-Lainé: «Bâtir des utopies concrètes - ou: «Comment mettre la croissance économique au service du développement humain-. Juin 1970: numéro spécial sur l'économie et la société japonaises. Revue Française de Sociologie (juin 1970) J. R. Treanton: • Le sociologue doitil ignorer l'histoire? • Survey (printemps 1970) Contient des commentaires sur le livre d'A. A"lalrik.· et des lettres de' ce dernier (dont une lettre ouverte à Kuznetsov) .
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POLITIQUE
Relire Ricardo rien de plus éloigné du maître ouvrage de Smith que les Principes de Ricardo. L'Ecossais était professeur, mais aussi curieux de la pratique. Son livre est à la fois un manuel relativement or· donné et une encyclopédie des connaissances économiques du temps. Ricardo est un banquier épris d'idées abstraites, mais dont les talents d'exposition sont limités. Les Principes sont un livre difficile d'accès. Du moins sontils courts, au contraire de la Richesse des Nations qu'alourdissent de multiples digressions. Pourquoi relire Ricardo en 1970? Christian Schmidt en donne les raisons dans une introduc. tion. On peut les ordonner sous deux titres : - L'économie ricardienne est une analyse pénétrante de la réalité économique anglaise du début du XIX" siècle. Telle est sans doute la raison de son succès exceptionnellement rapide. - Nous assistons d'autre part, depuis la dernière guerre, à un retour aux sources ricardiennes de la ·théorie économique; sous
travail. 2 0 Est-il possible de concevoir un étalon invariable des valeurs ? Nous insisterons ici sur ce deuxième point, moins connu sans doute des non-spécialistes que le premier. De toute manière, on le verra, ils ne sont pas indépendants. Ricardo pensera d'abord avoir trouvé son étalon invariable des valeurs dans le blé, ce bien fondamental de l'économie d'ancien régime, économie dont Ricardo fait la théorie et dont il est, on l'a dit, l'un des plus pénétrants analystes. Dans ce type d'économie, où domine l'agriculture, la production alimentaire, symbolisée par le blé, occupe la majeure partie de la population, qui consacre la plus grande part de son maigre revenu à l'acquisition de subsistances. Le capital fixe est peu important. Tout se résout finalement en nourriture, la consommation comme l'investissement: le capitaliste épargne une partie de son revenu; celui-ci étant équivalent à une certaine quantité de blé, le capitaliste la fera fructifier en la remettant aux
C'est dans Ricardo que Marx apprit la science éco nomique. En 1811, comme aujourd'hui, le problème de la valeur est au centre de l'intérêt qu'on peut porter à ses «Principes».
David Ricardo
Principes de {économie politique et de {impôt
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préf. de Christian Schmidt Cahpann-Lévy éd., 416 p.
«Ricardo conquit l'Angleterre aussi complètement que la Sainte Inquisition a conquis l'Espagne. » Ce jugement de Keynes (dans la Théorie générale) fait. écho à ce qu'écrivait Baudelaire dans les Paradis artificiels lorsqu'il évoque de Quincey: «Cet intellectuel proclame la venue d'un législateur de l'économie politique », Ricardo. Quincey est, en effet, l'auteur - peu connu sous cet aspect de son œuvre - de Dialogues de trois Templiers principalement en
relation avec les principes de
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l'économie politique de M. Ricardo, publiés dans l'Edinburg Review en 1824. A cette date, les Principes, dont la première édition date de 1817, ont déjà conquis l'Angleterre. Une propagande fort bien faite par James Mill, le père de John Stuart, et par MacCulloch, répand dans le public cultivé les théories fondamentales de Ricardo ; cellesci se précisent, d'abord au cours des fameux petits déjeuners de l'auteur, puis au Political Econo· my Club, lorsque les discussions matinales en vinrent à troubler l'appétit des convives de Ricardo. Le club fut animé par le fils de l'émigré Mallet du Pan. Ricardo est souvent présenté comme le successeur de Smith, dont la Richesse des nations, rappelons-le, date de 1776. En fait,
l'influence principalement des membres de 1'« Ecole» de Cambridge : Joan Robinson, Nicholas Kaldor et Piero Straffa. Ces auteurs reprennent dans leurs modèles les abstractions sublimes du grand ancêtre. On peut inclure dans le même ordre d'idée le fait que c'est dans Ricardo que Marx, qui inspire tant de nos modernes philosophes (ainsi la lecture de Ricardo par Foucauld) apprit la science économique. En 1817, comme aujourd'hui, le problème de la valeur est au centre de l'intérêt que l'on peut porter à Ricardo et à ses Principes. TI conviendrait d'ailleurs de dire plutôt les problèmes de ·la valeur, puisqu'il y en a deux: 1 0 Qu'est-ce qui fonde la valeur? Ricardo répond, comme Smith avant lui et Marx après lui: le
travailleurs sous forme de salaires en échange d'un certain nombre d'heures travaillées. A cette hégémonie, l'agriculture joint la par· ticularité d'être le seul secteur dont on puisse immédiatement, et sans l'intermédiaire dévoilé de la monnaie, calculer le rendement physique: tant de semence, tant de moisson. On conçoit que Ricardo ait cru voir dans le blé J'étalon invariable des valeurs. Le développement de la société industrielle, qui bouleverse l'Angleterre depuis plusieurs décennies, exerce aussi son action sur l"économie agricole: le rapport semaille/récolte varie. D'autre part, elle fait surgir tout un secteur industriel nouveau, aux lourds et nombreux équipements. Le travail, qui équivalait à une certaine quantité de subsistances,
HISTOIRE
Le réel et le songe n'est plus le facteur prépondérant de la production: la machine à vapeur, le haut-fourneau, la ma· chine textile prennent une place de plus en plus importante à tous les stades de la production et de l'échange. Il n'est donc plus possible de trouver un rapport simple entre travail et blé d'une part, et valeur d'autre part. Les variations de la pensée ricardienne, entre ses premières œuvres et les Principes, entre les deux premières et la troisième édition de ces mêmes Principes, témoignent des difficultés entraînées pour la théorie économique par la présence du capital et des progrès de la productivité du travail. C'est l'objet du fameUx débat entre les économistes de l'époque sur l'infZuence des variations
de salaires sur la valeur relative des marchandises. Ricardo finit par admettre et faire admettre et c'est là l'un de ses apports théoriques essentiels - que, avec le machinisme, l'augmentation des salaires élève la valeur des mare chandises produites avec une grande . proportion de travail, mais baisse· relativement la valeur des marchandises produites avec plus de capital durable. Quincey esquissera la même idée lorsque, dans ses Dialogues, il fera dire à l'un de ses Templiers qu'un étalon de valeur ne peut rester stationnaire dans un système en croissance que si le produit qui sert d'étalon de valeur est luimême toujours produit par la même quantité de travail. Il est bien difficile de rencontrer dans la pratique un tel produit; aussi bien Ricardo, suivant une démarche caractéristique du théoricien qu'il était avant tout, l'invente pour les besoins de la démonstration. Cette partie de son œuvre n'a été reprise que tout récemment, par M. Straffa, dans son livre au titre caractéristique :
Production de marchandises au moyen de marchandises. Christian Schmidt a raison de souligner, avec M. Straffa qui fut le préfacier de l'édition britannique des œuvres complètes de Ricardo, que ce dernier, par son souci de la théorie, par sa méthode d'analyse, est un moderne. Aussi devons-nous lire et relire Ricardo, comme une des sources de l'esprit scientifique en matière économique.
Michel Lutfalla
Edgard
et Michelet reprennent possession de leurs chaires (1848)
Jules Michelet
L'étudiant précédé de
La parole historienne par Gaëtan Picon Le Seuil éd., 196 p.
« J'ai vécu dans une umte terrible, digne de ceux que j'ai racontés », dit Michelet au début de 1848, en songeant à' la dramatique résurrection de l'histoire ré· volutionnaire où il s'était enseveli depuis 1843. Cette unité terrible, c'était la plongée dans le cœur le plus secret de l'histoire, ce dont ne rendaient compte ni la succession des événements ni leur interprétation: le souffle obscur du peuple découvrant sa nécessité, s'inventant comme acteur unique du devenir.
Une tension intérieure quotidiennement renouvelée En toutes ces années, il avait vécu dans une tension intérieure quotidiennement renouvelée qui était en lui la traduction de eette pulsion cachée grâce à laquelle « le peuple fait le peuple:l>. Dans les derniers mois de 1847, Michelet pressent que ce souffle peut à nouveau, comme en 92 et 93, brio ser l'écorce de l'ordre bourgeois et que les opprimés cherchent à reconnaître leur voix et leur visage. L'enseignement de Michelet (republié aujourd'hui par Gaëtan Picon sous le titre fEtudiant) au Collège de France, va être une réponse à cette espérance.
La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970
Il s'agit pour lui de donner à ces jeunes gens informulés qui attendent de l'Université moins un savoir qu'une action la conscience vivante du grand mouvement qui se prépare, d'ouvrir leur regard à l'immense détresse qui les entoure afin de les en rendre solidaires. Mais ces jeunes gens sont presque tous des bourgeois qui n'ont que le pressentiment des abîmes qui les entourent, et à qui les maux de la société demeurent lointains. Alors, pour les faire pénétrer dans la misère d'autrui, Michelet les fait pénétrer d'abord dans la mi· sère de leur condition d'étudiants: la stérilité de la culture dont ils se nourrissent et dont les oripeaux romantiques dissimulent la pauvreté; l'esprit religieux des idéologies officielles empoi. sonnant la religiosité profonde de l'homme; l'ignominie des privilèges qu'on leur promet s'ils entrent dans les hiérarchies recon· nues; l'avilissement du cœur qui nie à la fois l'amour et la frater· nité. Comme le montre Gaëton Picon en multipliant les ponts qui unissent dans une commune révolte février 48 61. mai 68, l'his· toire fut voici plus d'un siècle ce que fut la sociologie voici deux ans: le révélateur qui, tout à coup, levait le masque dont s'étaient couverts une culture, un ordre, une société tout entière. Pour Michelet, les étudiants sont appelés à prendre en charge le grand silence des hommes écrasés. Seule la jeunesse, en retrouvant l'esprit vivifié, en redonnant un sens à la parole, peut entendre
« cette voix douloureuse qui part
de tous les points du globe et qui n'est pas tant encore la voix de la souffrance physique que celle de la pensée muette qui se cherche, qui veut, qui ne peut s'exprimer».
Un thème fondamental de Sartre Compte tenu de l'énorme distance qui sépare le discours universitaire de 1848, reflet de ce que l'auditoire peut entendre alors, et le discours philosophique d'aujourd'hui, on est frappé de retrouver chez Michelet un thème fondamental de Sartre dans la
Critique de la Raison dialectique: celui du groupe ou «ensemble pratique» qui cristallise les tensions errantes, et agit ensuite sur le corps social tout entier, le «pratico inerte », pour le transformer en rassemblement agissant. C'est à travers cette ac· tion du groupe, ici le groupe étudiant à qui Michelet a tenté de fournir sa nécessité, son existence intérieure, que peut se déchirer la trame apparemment immuable du tissu social, que peut être mise à nu la réalité ignoble à laquelle le peuple est condamné. Mais la mise en cause de cette réalité, c'est d'abord la mise en cause du langage: les mots sont pervertis parce qu'ils sont complices du malheur des hommes; ils sont comme bloqués par le mauvais usage de l'intelligence et du cœur. Il faut les délivrer cette prison, les rendre à leur spontanéité. Car c'est à travers des mots neufs que les hommes peu-
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SOCIOLOGIE
Naissance
Michelet
Alfred Willener L'image-action de la société ou la politisation actuelle Le Seuil éd., 345 p.
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vent tout à coup retrouver «ce qu'ils voulaient réin· venter l'histoire comme un vaste théâtre dont ils sont les acteurs. Les dix leçons rassemblées dans r Etudiant, et dont la majeure partie ne furent pas prononcées après l'interdiction du cours de Michelet, racontent cette lente ascension vers l'apocalypse révolutionnaire qui trouve son éclat majeur en février 1848. Et l'éclai· rage que Gaëtan Picon prodigue sur cette «parole historienne ne rétahlit pas seulement la similitude de vision entre février 1848 et mai 1968. Il restitue aussi à l'œuvre de Michelet une de ses vertus les plus singulières, celle de s'interroger sans cesse sur les pouvoirs de la littérature et sur ses chances de déchiffrer, dans les lumières apparentes de. la réalité, les ténèhres fécondes et inaliénahles du rêve. Dans la rencontre du réel et du songe, se lève le vent des grandes métamorphoses. C'est le sens même de toute la destinée de Jules Michelet. Claude Mettra
B. Bal, Nleuwersluis, PaysBas, voudrait être mis au courant de toute publication concernant Wilfred Owen hors de
l'Angleterre et de l'Amérique, même les références brèves.
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Les événements de mai 68 ont donné naissance à une extraordinaire éclosion de • sociologie spontanée. allant du folklore à dominante politique à l'analyse sociopolitique véritable, faite 'par les protagonistes et les observateurs du mouvement. Cette sociologie spontanée, accompagnée de militantisme, ou plutôt l'action politique qui en est la base et qui s'exprime et se vit dans ces discours, messages, recherches, manifestations comme une expérience neuve, constitue pour Alfred Willemer et ses collaborateurs une • nouvelle culture • marquée par la • politisation cul t ure Ile. qu'ils se sont proposé d'explorer • de l'intérieur. dans leur livre. Livre à maints égards fascinant, ne serait-ce qu'en raison de la fascination que les auteurs ne cachent pas d'avoir éprouvée face à tel ohjet d'étude. Il en résulte indéniahlement quelque ambiguïté quant à leur propos. Participants-ohservateurs et analystes à la fois, ils n'échappent pas à la difficulté, inhérente dans une certaine mesure à toute étude sociologique de faire la science du vécu, être objets et sujets à la fois. Conscient du prohlème, Alfred Willener justifie explicitement sa méthode, seule capahle, selon lui, «de rendre compte de rintérieur trun mouvement caractérisé précisément par son intériorité (p. 314). D'ailleurs, «se placer à rintérieur n'exclut pas la prise de conscience, sociologique, des problèmes posés dans et par le phénomène (id.). Prise de' conscience, certes, n'équivaut jamais à explication. De fait les auteurs n'ont pas l'ambition «de dépasser le stade de rexploration qui laisse ouvertes différentes voies trinterprétation (p. 331). Les procédés divers qu'ils mettent en œuvre, quelle que soit leur ressemblance aux techniques psycho - sociologiques courantes (sondages par questionnaires, in·
terviews, discussions de groupe, analyse de contenu, etc.) n'aboutitpas à un rapport d'enquête discursif parce que, de par la nature du phénomène étudié, ils retrouvent partout «des esquisses du même modèle éléments d'une nonvelle culture. Alfred Willener est parti d'une problématique sociologique clas. sique - l'image de la société, illustrée déjà hrillamment par sa propre thèse de doctorat, vieille maintenant d'une dizaine d'années - pour aboutir à un ohjet d'étude bien plus complexe et autrement plus difficile d'ahord, le programme d'expérimentation sociale en train de s'élaborer dans l'événement, dans le temps fort des journées de mai 1968 et après. D'où le titre du livre, rebutant pour ceux qui ne se sont pas immergés dans cette prose souvent dense, parfois difficile, toujours intére$sante. Image-action évoque l'œuvre des images socio-culturel. les en action dans la conduite des facteurs de l'événement historique, à la fois moteur, agent et résultat ou fin, proche de l'imaginaire par le hiais utopique, com· me l'évoque la formule mise en avânt dans la conclusion du livre imaginaction, formule peut-être moins heureuse que la première puisque le couple central, par son sens privatif, suggère malencontreusement le contraire du premier concept. «L'image de la société s'élabore dans et à travers le proces· sus de projection et traction. Seuls ceux qui vivent ce processus - et fimplication est évidemment qu'il s'agira rapidement de toutes les catégories sociales actuellement dominées - sont la société. (p. 329) «Le changement lui-même... tout processus trélaboration trune société nouvelle seront la base... de ce nouveau type trimage de la société, qui évoluerait à travers une discussion et une activation permanente. (p. 329; c'est moi qui souligne). Cette conjonction étroite de l'image et de l'action sociale, projet qui s'étahlit en se réalisant, parait donc être l'ohjet du livre. Il ne s'agit pas de faire l'étude de certaines données, mais de quelque chose qui est en marche, en train d'être « in· Ainsi s'explique un soustitre audacieux de la conclusion, c sociologie du accom-
pagné cependant d'un prudent point d'interrogation) . Le contenu de cette «virtualité est fourni par les manifestations de tous ordres des groupes anarcho-gauchistes les plus importants par l'écho des thèmes de réflexion et slogans d'action qu'ils ont mis en circulation, sinon par leur poids numérique ou représentativité du mi· lieu étudiant. Comme entrée en matière, Alfred Willener nous livre, sous forme d'interview libre, présentée in extenso, l'expérience vécue d'une militante «en Ensuite un sondage, réalisé « à chaud» en plein événement, auprès d'un nombre limité d'étudiants (p. 77) , en quête de l'opinion «moyenne concernant l'image de la société, la modification par l'événement des perspectives professionnelles, la conception du rôle de la science et les chances des transformations socio-politiques. Une discussion de groupe, à laquelle ont pris part des engagés de l'événement - .. et l'analyse, à hase de rapprochement et d'explicitation, des thèmes récurrents - clôt la première partie du livre. Le sociologue s'apparente ici à un appareil récepteur qui classe, range, catégorise les énoncés reçus sans jamais les susciter ou valoriser. Ses résultats rejoindront cependant, et même recouvriront pOUl une bonne part, ce qu'il aura dégagé des messages, mémoires, textes de statut incertain, écrits pendant et à la suite de mai 1968, qu'il s'agisse du discours consigné aux murs ou des écrits des protagonistes politiques. Il scrute successivement l'image de la «société étahlie », et de celle, «non établie qui se trouve en gestation dans les des acteurs de mai. Son effort vise toujours à clarifier les thèmes, souvent identiques mais apparus confusément, sans chercher à leur trouver un sens autre qu'ils ont revêtu dans la conscience des auteurs. Cette démarche nous vaut une remarquable présentation des courants intellectuels essentiels sinon tous - Alfred Willener se garde de prétendre à l'exhaustivité - du mouvement de mai. Elle pourra servir de documentation sûre en vue d'une étude proprement sociologique de l'événement. Cette étude, Alfred Willener ne
d'une culture
CinélDa et structures Marie·Claire Ropars.Wuilleumier
L'Ecran de la Mémoire Essais de lecture cinématographique Seuil éd., 239 p.
Meeting à la Sorbonne en mai 68
fait que l'amorcer, la réservant à un prochain ouvrage. Mais il s'explique suffisamment sur sa position à cet égard pour s'attirer les foudres de ses pairs, les sociologues de la connaissance et des œuvres culturelles. Contrairement en effet à toute la tradition sociologique; qu'elle soit durkheimien· ne ou marxiste, il s'intéresse très peu, si tant est qu'il le fasse, aux conditions sociales de production ou aux fonctions sociales de ce qu'il nomme image.action. Le mot idéologie n'est guère prononcé, refoulé qu'il est par l'idée d'utopie, créatrice d'avenir, au sens de Marcuse ou encore de Mannheim, auteurs opportunément cités. Les sociologues resteront proba· blement sceptiques devant cette «étude de l'intérieur d'une JWUvelle culture dans ses rapports avec la société projetée (p. 315) qui exclurait toute référence aux antécédents sociaux objectifs. Tout se passe en effet comme si l'action, ou plutôt l'image-action ou, mieux, fimaginaction, était créatrice, par sa vertu propre et autonome, d'une réalité sociale qualitativement neuve, détachée en quelque sorte de l'infini des déterminismes que les sociologues s'efforcent de dévoiler. Référer ces contenus politico.culturels à une réalité future, c'est·à·dire hy. pothétique, permet sans doute de les légitimer en tant qu'idéologies dans une perspective philosophique mais ne facilite pas pour le 80ciologue de rendre compte de leur vérité sociologique cachée. AHred Willener et ses collaborateurs font cependant bien plus qu'une analyse interne puisque La
toute la troisième partie de leur livre est consacrée aux rapports qu'ils découvrent entre le mouve· ment de mai et certaines tentati· ves intellectuelles de l'avant· garde européenne depuis la pre· mière guerre mondiale. Ils mon· trent qu'entre la pratique da· daïste, les discours surréalistes, les techniques du free jazz, le cinéma de Jean.Luc Godard et les expé. rimentations du Living Theater d'une part et certaines manifesta· tions du mouvement de mai d'au· tre part, il n'y a pas seulement de nombreuses analogies thémati· ques et gestuelles, mais aussi de profondes homologies d'intentions et de motivations. Ces vieux thèmes, portant tout le projet d'une civilisation autre, apparus d'abord dans l'art, les ac· teurs de mai les ont réagencés à la manière d'un collage, en les réactivant mais aussi en les ré· investissant dans ce nouveau con· texte d'un sens neuf. Ces rapprochements, conduits de main de maître, constituent peut.être l'ap. port le plus original du livre. Qui plus est, ils conduisent aux con· clusions fondamentales qui s'en dégagent concernant la «politisa. tion Il s'agit de la mutation que les auteurs perçoi. vent dans les relations entre poli. tique et culture dans l'intelligent. sia française d'après.mai et qui
«fait comprendre que ce qui échoue comme révolution politique peut devenir culture - au sens le plus large du mot : menta· lités et relations nouvelles, trie inventée, vie changée
IJttéraire, du 16 au JI juillet 1970
Victor Karady
En matière de critique cinéma· tographique, il y a peu de véri· tables points de repères. La cri· tique marxiste eut son Sadoul. La Nouvelle Critique a l'équipe des Cahiers du Cinéma. Et la criti· que structuraliste a M. C. RoparsWuilleumier. C'est donc une excellente initiativ.e que d'avoir réuni en un voluÙie des articles rédigés entre 1959 et 1969. Recueil qui, affirme son auteur, n'a pas été inspiré par un système critique préalablement défini.
Une critique de structure C'est vrai en un sens: on s'aperçoit que l'auteur ne s'est attaché à rendre compte le plus précisément possible que du de· gré d'accomplissement de chaque œuvre à l'intérieur de son systè. me narratif. Cela revenait, on le voit bien maintenant, à faire très exactement de la critique de structures. Que l'ouvrage commence à l'époque où le cinéma français entre dans l'ère de la révolution des formes n'apparaît donc plus comme un hasard. D'une nouvelle génération de cinéastes naissant, d'un côté, du film Hiroshima mon amour, et de l'autre par A bout de souffle, M. C. Ropars Wuilleumier a tendance à préférer l'irruption d'un espace intérieur qui dialectise son passé. De là le titre donné au re· cueil (écran de la mémoire), et de là cette multiplication de réfé· rences à l'œuvre de Resnais. Les choix de l'auteur sont nets: refus de «la tradition américaine d'apparente objectivité ». On comprend une telle attitude. Le criti· que ne s'intéresse aux œuvres que dans la mesure où la nouveauté des formes prend une netteté et une évidence particulières. Et surtout, quand les innovations formelles atteignent ce. degré de subjectivité qu'on voit dans les œuvres d'Antonioni ou de Resnais. A ce ·propos, il faut noter que l'importance - outre qu'elle se
justifie largement - accordée à Alain Resnais s'explique par une conception globale du cinéma qui court derrière les lignes et qui affleure au détour d'une phrase, dans une expression comme «nostalgie toute moderne (à propos des films de Godard) et qui tend à assimiler la grande œuvre modème à une dimension qui fasse activement entrer en ligne de compte une récupération du passé, sous la forme nostalgique.
Une vision personnelle C'est ici que la conduite proprement structuraliste dérape et c'est heureux - vers une vision personnelle et propre à M. ne-Claire Wuilleumier. On ne saurait d'ailleurs lui reprocher ses options. Elles 80nt clairement justifiées et on aura rarement aussi bien défendu la cause d'un cinéma qualifié d'art et essai. La seule question qui subsiste est la question d'un certain silence: pourquoi l'auteur ne mentionnet·il que passagèrement le nom de WelIs, Bunuel et quelques autres? Le degré élevé d'élaboration structurale des œuvres de ces cinéastes (mais aussi Pasolini, Robbe-Grillet et des moins connus) aurait sans doute mérité des textes.
Le change
des formes
Mais je me rends compte que je par là mon désir d'avoir à en lire plus et, comme il s'agit d'une critique et d'une recherche théorique, de connaî· tre les réactions et les possibilités d'une telle lecture formelle devant des œuvres qui touchent par d'autres côtés à des domaines moins saisissables, qui font entrer .en jeu des notions de regard moral, ou de lecture politique. Il faut vraiment relire cette suite d'articles. On allie rarement avec autant de subtilité l'acuité d'un regard et la recherche de ce change des formes qui constitue rapport le plus net d'un certain cinéma que Pasolini appelait un «cinéma de
Jacques.Pierre Amene
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Le cinéma est un langage
'Les Beaux·Arts de Bébé', par Emile Cohl
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Noël Burch Prans du cinéma Gallimard éd., 256 p.
Le ClDema est un art où l'empirisme joue un rôle beaucoup plus important que dans les au· tres formes d'expression. Il est donc parfaitement artificiel de vouloir lui appliquer des discipli. nes méthodologiques, comme certains ont déjà été tentés de le faire, empruntées à la linguis. tique.
L'analyse d'un technicien Ce qui fait la grande originalité et l'intérêt de ce livre est d'être, non pas une histoire ou une étude critique consacrée au cinéma, mais uue analyse du langage, de récriture ci n é m atographiques, analyse d'un technicien et d'un auteur de films qui estime que la maîtrise des problèmes con· crets techniques posés par la créa· tion d'un film est la meilleure préface à l'intelligence de l'art ci· nématographique. Composé de textes initialement publiés dans les Cahiers du Cinéma, ce livre est, si l'on veut, une éblouissante leçon de choses, une introduction, à l'aide d'exemples précis, à l'es· thétique du cinéma.
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C'est pourquoi il embrasse tous les aspects techniques de l'art ci· nématographique, du mont,age à l'usage du son, de la fonction de l'aléa au choix du sujet, pour en montrer immédiatement toutes les implications et les prolonge. ments esthétiques. Se situant tOUa jours au plus près des réalités concrètes dont il a une double expériènce, à la fois en tant que réalisateur et en tant que cinéphile, Noël Burch en dévoile ad· mirablement la portée et la valeur formelle. Plus et mieux que dans d'autres arts, la problématique d'un film est mise en jeu à tra· vers les structures formelles qui la composent. Tout le livre de Noël Burch, bien qu'il s'en défende, tend à démontrer tout le bénéfice que le cinéma pourrait tirer de la recherche structurale parce que' c'est par excellence un art qui met en jeu des structures, c'est·à·dire des éléments ou des paramètres, champ in, champ off, entrée, sor· tie, raccord, ellipse, image, son, dont l'organisation fonde la signi. fication du film à tous les niveaux. Il s'ensuit. que dans un chapi. tre capital, Noël Burch s'attache à éclairer, par des exemples pré. cis, le sens et la valeur du décou· page. Au stade du scénario, le découpage est l'opération maté· rielle qui consiste à découper une action (récit) en plans et en sé· quences, mais le film achevé, il manifeste la facture même d'un film. La combinatoire spatiale et
temporelle mise en jeu dans un film offre une complexité aussi riche que la musique sérielle. Car un film se développe toujours dans deux dimensions, l'espace dans le champ et l'espace off hors champ chargé de toutes les virtua· lités imaginaires possibles. La dis· tinction qu'établissent les sémiologues semble pouvoir s'appliquer au cinéma : dans l'image, le signifiant et le signifié se rejoignent, mais le champ off, par tous les prolongements imaginaires qu'il 8uggère, fait rayonner l'image au· delà du signifié ou de sa charge poétique vers une région ou un arrière-plan onirique.
Une manière neuve de regarder Le livre de Noël Burch est d'une lecture assez malaisée pour un profane, désorienté par l'usa· ge des termes techniques et la dif· ficulté dcse représenter la diver· sité des réa.lités concrètes qui sont désignées. En dépit de son aridité, il offre des aperçus si justes sur le cinéma qu'il nous propose une manière neuve de regarder. A l'inverse de ceux qui parlent du cinéma, Noël Burch privilégie les problèmes de forme par rapport au sujet, à la matière même du film. Beaucoup de .critiques. em· pruntent inconsciemment une dé·
marche littéraire ou poétique en mettant l'accent sur le récit, le sujet, la psychologie et non sur l'économie formelle spécifique du cinéma. A cet égard, il a écrit un livre qui paraît novateur. Dam la partie qu'il intitule Dialectiques. Noël Burch insiste sur 1. complexité des relations de l'image avec tous les degrés qu'elle comporte, notamment dans sa durée, à sa lisibilité, et de cette dernière au contrepoint rythmique ou musical. Ainsi prenons-nous conscience de toutes les possibilités ouvertes au réalisateur par la mise en œuvre des paramètres, imllge, lisibilité, son, dont la surimpression affecte la tonalité même du film. Que l'intégration d'éléments dont l'évaluation n'est pas soumise à la même rigueur que celle dont dispose le musicien, fasse échapper au réalisateuf une partie des significations et. de la valeur des phénomènes dont son film s'enrichit, comme échappe à tout artiste une partie du sens et de la portée de son œuvre, tend à démontrer l'intérêt d'une analyse qui, à partir des données techniques, introduit à une intelligence profonde de l'écriture cinématographiquè et semble anticiper une conception de la mise en scène où l'improvisation fera place à une approche beaucoup plus rigoureuse et élaborée .de tous les moyens du cinéaste.' les artifices techniques, marche arrière et marche à l'endroit, ac' céléré et ralenti, dont peut user le cinéaste, ajoutent encore à la complexité des ressources qui 80nt au service de l'expression ci· nématographique. Œuvre d'UD Américain qui, contrairement à la démarche natu· relle de l'esprit français, nourrit une très grande méfiance à l'égard de toutes les théories, et estime désastreuses les affabulations ima· ginaires que certains critiques, par goût du paradoxe, ont édi· fiées à partir de films médiocres où ils veulent, à toute force, dé· couvrir des richesses insoupçonnées, Noël Burch soumet son analyse à la réalité sensible. Il s'élève contre ceux qui veulent annexer des démarches exclusives de la réalité concrète du cinéma. Ce li· vre ouvre une voie fructueuse à l'intelligence et même à la pratique du cinéma. Alain Clerval
THflATRE
·· · D e V I·enne a, A 'VIgnon Carlos Fuentes Le 'Borgne est roi adaptation française. de Céline Zins au Festival d'Avignon
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C'est à Vienne que Maria Casarès et Sami Frey ont créé mondialement la pièce de Carlos Fuentes dans une mise en scène de Jorge Lavelli. Spectacle rare et beau qui fascine avant de se laisser comprendre. Donata et Duc sont enfermés dans une maison délabrée. Ils sont aveugles, mais chacun d'eux croit que l'autre voit. Leurs chemins respectifs seront la découverte de la cécité de l'autre. Duc est le serviteur. Ils attendent tous deux le retour du mari de Donata, personnage dont ils ne peuvent s'empêcher de parler, leur maître, celui à qui ils doivent tout mais qui est allé à Deauville jouer à la roulette en leur laissant des ordres précis. Ils sont au septième jour d'attente. Ce jour-là où quelqu'un n'en finissait pas de créer ces infirmes abandonnés, temps où leur fut laissée
la liberté qu'ils ne connaissent que comme transgression, où leur fut laissée l'action que comme inachèvement de leurs gestes, temps où, par perversité, leur furent laissés le désir et la nostalgie de ce qu.'ils ne peuvent atteindre. 11 serait incomplet de' ne voir dans cette pièce que cette trame. L'organisatron des personnages est complexe, complexe aussi l'organisation de l'œuvre où ils se meuvent. Si Donata est à la fois Eve, déesse mythique, décadence de la civilisation européenne, elle tient aussi de la magicienne, du vampire et de la star hollywoodienne déchue. Si Duc est valet, amant, frère, mari, Adam, il est aussi messie, présence divine qui n'a de réalité que par son absence: «Si je reve· nais, on n'aurait plus besoin de moi (m) Ils n'écoutent mes paroles que s'ils ne savent pas que ce sont les miennes.» Créatures de Dieu, de l'auteur, du metteur en scène, du metteur au monde et au regard, mais aussi créateurs, ils pour-
raient bien avoir cree Dieu, s'être créés eux-mêmes ou l'un l'autre. « - Madame pense seulement qu'elle pense. En réalité, Madame est pensée. - Je parle. Madame est parlée. - D'où sors·tu ces bêtises? - Comme ça. Je les ai rêvées. - Et toi, tu n'est que rêvé.... C'est par jeu qu'ils ont été créés, par goût du jeu que Ducmari, auteur, dieu va à Deauville. Qu'a-t-i1 laissé à Donata et Duc-serviteur comme seul recours sinon le jeu? Ils jouent de tous les masques, ils jouent à être tout, à faire tout et ne peuvent rien d'autre que ces constructions de l'imaginaire. Ils leur faut «singer le créa· teur, transformer la vie en théâtre, en représentation in· versée de la création. Mais il n'y a pas de création sans chute; la chute guette l'acteur au détour de chaque parole qu'il prononce. Le risque de représenter n'est que le pari le plus audacieux de vivre », écrit
Fuentes. Ils rêvent à haute voix ce monde de fantasmes qu'est devenue l'Europe, incapables de trouver de nouveaux noms pour désigner ces univers trop nommés. Donata, sur l'interminable tapisserie qu'elle doit achever avant le retour de Duc-mari, tisse un labyrinthe de lignes dont le dessin s'est perdu. Le regard aussi se perd, s'aveugle dans les détours de ce vieux monde, dans ce délire d'ornementation. Les chemins sont devenus incertains dans cette Europe en trompe-l'œil. 11 a bien fallu inventer un tain au miroir pour créer un Dieu, l 'homme aveugle ne pouvant plus se regarder. Mexique et Deauville, Jésus et dieu mexicain, valse de Vienne et adios muchachos, orfèvrerie de l'Europe et pierre dure d'Amérique latine, temps et lieux coexistent, deux mondes aux mains enlacées d'a man t s séparées lentement l'une de l'autre par une force nouvelle, par la réalité des gUérilleros.
CinéDla "undergroud" à Venise Dans le cadre de ses activités de printemps, la Biennale de Venise a organisé, en mai, outre une assemblée internationale sur les Arts plastiques et sur la musique expérimentale, un séminaire sur le théâtre de recherches et le cinéma «Underground,.. La Biennale avait offert A cinquante étudiants des difIérents pays d'Europe, d'Amérique et d'Afrique, la possibilité (c'est-A-dire l'hébergement et la nourriture) de participer A ce festival. Une vingtaine ont répondu à l'appel et une douzaine seulement ont suivi le séminaire en entier. Huit pays d'EUrope étaient représentés. Cette rencontre devait dépasser la classique manifestation de prestige que le cadre de Venise ne pouvait manquer de faire naltre. Les responsables avaient l'intention de favoriser les échanges d'expériences entre les di1Iérentes troupes, les étudiants et le public vénitien. Les spectacles devaient revêtir l'aspect de séances de travail et chaque pièce fut précédée d'une démonstration, par la troupe exécutante, de ses méthodes de travan; elle était suivie, le lendemain, d'une discussion. L'organisation des journées Underground fut inspirée des mêmes soucis et des tables rondes s'ajoutèrent à l'actif de ces renLa première semaine fut consacrée
La
Uttéraire, du 16
;lU
au théâtre de recherche. Recherches engagées dans deux voies radicalement opposées. D'une part, quête d'une forme nouvelle dans le cadre du théâtre traditionnel. La Nouvelle Compagnie d'Avignon a ainsi présenté Xerxès, d'après les Perses d'Eschyle. Le texte avait été modifié pour mettre l'accent sur la guerre impérialiste et la lutte pour le pouvoir (la pièce fut montée en 1967). Le Forum Theater de Berlin, avec une pièce de Roland Dubillard, la Maison d'os, traitait de l'exploitation des serviteurs, de leur prise de conscience et de leur révolte. Pour ces deux troupes, l'essentiel n'est pas la conception, abstraite, de l'art et du fait théâtral, mais leur position intellectuelle face aux problèmes politiques de la société contemporaine (la guerre du Vietnam et l'exploitation de l'homme par l'homme). La seconde solution trouvée, beaucoup moins réussie, était un repli du théâtre sur lui-même, qui conduisait A négliger le texte et même l'acteur pour privilégier les éléments ludiques du spectacle: objets extérieurs ou improvisations (Le Jardin de Paris; le groupe d'expérimentation de Rome et le Centre de Recherches théâtrales de Florence). Ce genre de spectacles peut d'aUleurs fort bien se passer du spectateur qui, n'étant pas concerné, reste
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passivement voyeur. Et c'est peut-être cette raison qui a poussé le spectateur A se désintéresser peu à peu des discussions mornes, sans intérêt, et même A les fuir. Les cinq Journées consacrées au cinéma ont rallumé l'intérêt du public, qui est venu fort nombreux. Etant donné les difficultés que rencontre la production des films parallèles, nous ne nous attendions pas A une proJection de chefs-d'œuvre, et cependant notre déception fut grande : le niveau technique général n'a jamais dépassé celui de l'amateurisme, et bien souvent a été en dessous. Quant au niveau intellectuel... Est-ce l'effet d'un hasard de la sélection? Ou devonsnous voir dans cet échec le résultat de la contradiction insoluble pour les organisateurs, entre leur volonté démagogique de sortir des sentiers battus et leur désir de ne pas se compromettre aux yeux de leur public traditionnel? Le choix des œuvres dites de contestation et de provocation était une concession faite au malaise de certains intellectuels qui, dans une société en crise, ne parviennent plus A réaliser leur personnalité créatrice. L'impuissance issue des problèmes économiques et politiques du cinéma est transcendée, faute d'être résolue, par un mépris du public, dont la bêtise serait A la bue de ces difficultés.
Dans cette optique, bousculer le spectateur, lui cracher A la figure, devient pour le metteur en scène le moyen privilégié et le but final du message scénique. Ce délire provocateur s'accommode d'a1lleurs très bien de recherches creuses à tendances psychanalytiques (Dliac Passion de Gregory Markopoulos) ou formelles (Scènes from' under Childhood, de Stan Brakhage: film entièrement fiou). Il faut cependant avouer que le spectateur, masochiste à souhait, entrait dans ce cercle vicieux et, au nom de l'avant-garde nécessairement incompréhensible, acceptait le manque de signification. Si c l'élite:t vénitienne était prête à subir les derniers outrages moraux, parfois même avec délectation (en acceptant sans sourcUler les quatre heures d'obsessions scatophiles et de défécation - au sens strict du terme que nôus ont imposées les c cinéastes :t autrichiens Kurt Kren et otto Mühl), en revanche, elle n'était pas décidée à supporter des attaques plus conséquentes sans broncher. Prudents, les organisateurs ne nous ont montré aucun exemple de cinéma parallèle revolutionnaire, tels qu'il existe aux U.S.A., en Amérique du Sud, en Italie et en France. Marie-France Bridelance
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FEUILLETON
Fuentes
L'Amérique latine a de vieux comptes à régler avec ce maître-serviteur, avec cette civilisation chrétienne. Pour Fuentes, il ne sert plus à rien de les ressasser, ils ne se régleront qu'avec les mitraillettes de la révolution. Intru6ion de la réalité dans un monde délabré quOi nous est montré fermé, • œuf de lumière et de poussière-, dit Fuentes.
Lme toule de petits postes strictement hiérarchisés peuvent lui être proposés:serveur, crieur, balayeur, lanceur 'decolombes, porteur de torche ou d'étendard, mascotte, musicien, calligraphe, gardien de travée, etc.
Maria. Casarès Maria Casarès donne à la fois toutes les hauteurs et toutes les brisures de ce rôle. Elle fa,it atteindre à la représentation une dimension mythique. Elle est Donata • l'espérée et la désespérée -, la femme à la cape de plumes blanches, réelle et Incertaine: «Mon apparition est si éclatante que certains croient percevoir la folie dans mon regard. Mon arrivée est si impréwe que certains disent 'se souvenir de son annonce. Ma présence est si inoubliable que certains affirment que je n'étais pas là. Sami Frey toujours renaissant et vulnérable, servant et dominant, inquiétant comme s'il était véhicule et agent d'une puissance obscure. L'un et l'autre aveuglés plus qu'aveugles, précis dans la direction et les buts de leurs mouvements mais cognant chaque objet, le regard lointain et non fermé.
par Georges Perec
Jorge Lavelli Jorge Lavelli, dans sa mise en scène, a su intégrer le mouvement des acteurs au rythme poétique du texte. Théâtre en effet de texte et de geste qui ne craint pas la difficulté d'une .Iangue poétique dont Céline Zins a fait une très belle adaptation. Les personnages sont enfermés dans un décor de Pace, sorte de conque de dentelle grise et blanche, où les sons par bouffées viennent à la fois de l'extérieur et de l'intérieur, où la réalité surgira plutôt qu'elle n'entrera pour met· tre fin à la pièce. Simone Benmussa
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A première vue, il ne semble pas Qu'il soit très difficile à un Athlète de remplir les conditions requises pour être admis à l'un ou l'autre de ces postes et bénéficier des prérogatives qui leut sont. attachées et qui, pour minuscules qu'elles puissent paraître (exemption de corvées, droit aux douches, logement individualisé, libre accès des stades, des vestiaires, des salons de réception, etc.) s'avèrent solNént indispensables à la simple survie du vétéran. Il y a tout d'abord tout un système de points, primes et bonifications qui sont comptabilisés tout au long de la carrière de l'Athlète: le cumul des points s'effectue de façon telle qu'il suffit en principe de quatre années de performances régulières pour que l'ex-champion soit à peu près assuré d'obtenir d'office une place privilégiée. Il y a ensuite di· verses combinaisons de victoires qui permettent aux vainqueurs de passer la frontière, de sauter la barrière dans des délais encore plus courts: en trois ans, si l'Athlète obtient un brelan, c'est-à-dire s'il se classe second ou troisième trois fois de suite dans les Olympiades: en deux ans, s'il ga· gne le doublé: deux victoires olympiques de suite, performance considérée comme la plus glorieuse de toutes mais dont l'histoire W n'offre aucun exemple; ou même en un an, en une seule saison, en gagnant un carré (une première place dans le championnat de classement, dans les deux championnats locaux, dans l'épreuve de sélection) ou un tiercé (premier au championnat de classement, premier à la sélection, premier à l'Olympiade), combinaison qui semble statistiquement la plus probable, mais qui se rencontre en fait extrêmement rarement. Il y a enfin, en bon accord avec l'esprit même de la vie W, di· vers systèmes apparemment fondés sur le seul hasard: un Athfète minable, un crouille invétéré, incapable de la moindre performance honnête, incapable de se faire un nom, pourra, du jour au lendemain, devenir officiel: il aura suffi, par exemple, que le numéro de son dossard corresponde à la performance du vainqueur. ......
La frontière qui sépare les sportifs des officiels est d'autant plus marquée qu'elle n'est pas absolument infranchissable. Les lois W, d'ordinaire si laconiques, et dont le silence même est une menace mortelle pour les Athlètes qui en subissent le Joug, sont ici étonnamment prolixes: elles décrivent, minutieusement, complaisamment, presque avec générosité, toutes les situations qui peuvent pero mettre à un Athlète d'accéder, après Quelques années de compétition, à un poste responsable, soit dans son Village, comme Directeur d'équipe, ou comme entraîneur, masseur, doucheur, coiffeur, etc., soit sur les stades où
L'abondance de ces leur précision, le grand nombre et la variété des possibilités offertes, peuvent laisser croire qu'il suffit vraiment de peu de choses pour qu'un Athlète devienne Officiel. Comme si les lois W, en affirmant vouloir récompenser aussi bien le mérite sportif que la seule régularité ou que la simple chance, voulaient donner l'impression qu'Athlè· tes et Officiels appartiennent à la même race, au même monde, comme s'Ils étaient tous de la même famille et qu'un même but les unissait: la seule plus grande gloire du Sport; comme si rien ne les séparait vraiment: les concurrents rivalisent et redoublent d'efforts sur les cendrées; massée sur les gradins, debout, la foule de leurs camarades les acclame
ou les conspue; les Officiels sont assis dans les tribunes et un même esprit les anime, un même combat les galvanise, une même exaltation les traverse! Mais l'on connaît assez le monde W pour savoir Que ses lois les plus clémentes ne sont Jamais Que l'expression d'une ironie un peu plus féroce. L'apparente générosité des règles qui déterminent l'accession aux postes officiels se heurte chaque fois au bon plaisir de la hiérarchie: ce Qu'un chronométreur suggère, un arbitre peut le refuser; ce Qu'un arbitre promet, un juge peut l'interdire; ce qu'un Juge propose, un Directeur en dispose; ce Qu'un Directeur concède, un autre peut le nier. Les grands Officiels ont tout pouvoir; ils peuvent laisser faire comme Ils peuvent Interdire; Ils peuvent entériner le choix du hasard ou lui préférer un hasard de leur choix; Ils peuvent décider et revenir à tout instant sur leur décision. Il n'est jamais sOr qu'un Athlète, au terme de sa carrière, parviendra à devenir Officiel et surtout, il n'est jamais sûr qu'il le restera. Mals, de toute façon, il n'a pas d'autre issue. Les vétérans chassés des équipes et qui n'ont pas obtenu de poste, ceux Que l'on appelle les mulets, n'ont au· cun droit, n'ont aucune protection. Les dortoirs, les réfectoires, les douches, les vestiaires leur sont interdits. Ils n'ont pas le droit de parler, Ils n'ont pas le droit de s'asseoir, Ils sont souvent dépouillés de leur survêtement et de leurs chaussures. Ils s'entassent près des poubelles, Ils rôdent la nuit près des gibets, essayant, malgré les gardes Qui les abattent à vue, d'arracher aux charognes des vaincus lapidés et pendus Quelques lambeaux de chair. Ils s'amassent en grappes compactes, essayant en vain de se réchauffer, de trouver un instant, dalls la nuit glaciale, le sommeil. Les petits officiels n'ont, à vrai dire, pas grand-chose à faire: les préposés aux douches tournent négligemment leurs robinets d'eau bouillante ou glacée; les coiffeurs passent leurs tondeuses; les gardiens de travée font claquer leurs longs fouets; les crieurs donnent le signal des applaudissements et des huées. Mais il faut que les hommes se lèvent et Qu'ils se mettent en rang. Il faut qu'ils sortent des chambrées - Raus! Raus! - il faut qu'ils se mettent à courir - Schnell ! Schnell 1 - Il faut Qu'Ils 'entrent sur le Stade dans un ordre impeccable 1 Les petits officiels, quels que soient leurs rangs, sont tout-puissants devant les Athlètes. Et Ils font rerspecter les dures lois du Sport avec une sauvagerie décuplée par la terreur. Car Ils sont mieux nourris, mieux vêtus, car ils dorment mieux et sont plus détendus, mais leur sort est à jamais suspendu au regard courroucé d'un Direc· teur, à l'ombre qui passe sur le visage d'un Arbitre, à "humeur ou à la facétie d'un Juge.
CA suivre.)
Livres publiés du 20 juin au 5 juillet ROIIAN8 ..a Ali ç AI8
.Julien Gracq La presqu'île José Corti, 256 p., 19,50 F
Etats-Unis avec 1 500000 exemplalre5 vendus.
Trad. de l'anglais par M. Sinolr A. Michel, 224 p., 15 F. L'aventure d'un petit professeur devenu espion malgré lui.
Emile Zola Les Rougon Macquart Tome IV Présentation et notes de Pierre Cogny 86 illustrations Seuil, 656 p., 20 F.
Dix-huitième siècle-2 Revue annuelle publiée sous le concours du C.N.R.S. Garniers, 384 p., 50 F Le siècle de Voltaire et de Kant abordé selon les méthodes et postulats de la critique moderne.
Hans Heinz Ewers Dans l'épouvante Luce Amy Trad. de l'allemand (J<lr De quel bonheur F. Gautier et M. Mtmry .Mohammed Khair-Eddine Mario Puzo secret? Coll. • Dans Moi l'aigre Le parrain Julliard, 224 p., 14,30 F. l'épouvante Seuil, 160 p., 18 F. Trad. de l'américain par Chasse au bonheur et Ch. Bourgois, 288 p., Par l'auteur d'. Agadir Yves Malartlc bonheur conjugal ou les BIOGRApHIES 0.0. Nedeljkovic 20,90 F. et de • Corps Laffont, 488 p., 28 F. problèmes existentiels MEMOIRES Romain Rolland et Dix nouvelles d'horreur négatif (voir les N" En tête des best-seller d'un couple aujourd'hui. CORRES· Stefan Zweig et d'épouvante, à lire 36 et 62 de la internationaux, un PONDANCES Klincksieck, 392 p., avec précaution m:l.s Quinzaine.) roman sur la Mafia. Michel Anthonioz 52 F. aussi avec délectation. Fini de parler Une étude appuyée sur Marc Nacht Maj Sjowall Gilles Seuil, 176 p., 18 F. des documents pour la Raymond Hitchcock Batailles Per Wahloo Mon demi-siècle Un premier roman qui plupart inédits. Percy Grasset, 128 p., 10 F. Elles n'iront pas au et demi se présente comme Trad. de "anglais par Un récit poétique qui Nombr. illustrations bois Michel Plourde une sorte de R. Albeck décrit les itinéraires Trand. de l'anglais par Rencontre. 312 p., psychodrame ou Paul Claudel, une A. Michel, 256 p., 15 F. troubles de l'homme M. Deutsch 17,60 F musique du silence d'exorcisme funèbre. Un roman d'un humour en guerre à travers Planète, 248 p., 15 F. Les mémoires d'un Préface de G.-A. Vachon débridé, qui a obtenu les âges. L'enquête d'un chansonnier miKlincksieck, 395 p., 56 F. Christian Augère un gros sucees de rire vaudois mi-parisien, • Maigret - suédois, qui Les sources profondes Une solitude d'encre en Angleterre. Louis Nucéra qui vient de fêter ses traque dans Stockholm de la poétique, de Seuil, 128 p., 15 F. L'obstiné 75 ans, et, à travers un dangereux maniaque la dramaturgie et de Le dialogue d'un Julliard, 352 p., 23,70 F. • Ernest Jünger elles, une évocation sexuel. . l'esthétique de Claudel. garçon de vingt ans Un roman à la fols Orages d'acier chaleureuse du entre sa jeunesse onirique et cynique, Trad. de l'allemand par théâtre et du cabaret Bram Stoker Madame de Staël, présente et les dont le héros est Henri Piard parisien. Le repaire du ver ses amis, ses souvenirs qui forment un centenaire révolté Ch. Bourgois, 480 p., correspondants blanc sa vie. Premier roman. contre l'hypocrisie et· 23,70 F. Trad. de l'allemand par .Jean Pommier lettres choisies par la sottise humaines. L'un des plus célèbres Le spectacle intérieur F. Truchaud Georges Solovieff romans de Jünger, qui a Marc Blancpaln Lettres Nouvelles Coll . • Dans 30 illustrations h. t. pour toile de tond la La Saga des amants • Hélène Parmelin Denoël, 424 p., 32 F Kliencksleck, 586 p.. l'épouvante guerre de 14 (voir les séparés: tome Il La manière noire Voir le n° 98 de la Ch. Bourgois, 288 p.. 68 F N" 65 et 86 de la La grande nation Ch. Bourgois, 576 p., Quinzaine 392 lettres, 19 F. Quinzaine) . Denoël, 368 p, 21 F. 28,60 F. accompagnées des Par l'auteur de Un roman d'amour qui Un roman sur le temps Georges Wolfromm réponses de 51 • Dracula -. Les chefs-d'œuvre de la a pour toile de fond d'aujourd'hui et sur Mon enfance me suit correspondants et science-fiction les années les problèmes des Julliard, 352 p., 23,70 F s'échelonnant sur 40 Textes présentés et d'occupation et la communistes et de la L'autobiographie d'un années rassemblés par vérité (voir les N" 3, résistance. médecin, marqué, pour (1778-1817). J. Sternberg 22 et 73 de la toute sa vie, par le Planètes, 408 poo 47 F. MA Méraville Quinzaine.) souvenir ébloui de son Ariel Denis Contes populaires 36 nouvelles de enfance et de sa La vie .Alaln Suied de l'Auvergne, suivis science-fiction, signées jeunesse Grasset. 232 p., 20 F. Le silence par les plus grands' d'un Mémoire sur la Premier roman: le Mercure de France, langue et le patois auteurs américains, récit d'une adolescence 72 p., 13 F. Préface de Paul angiais. français, bourgeoise vécue par la Les débuts d'un Gauriat. Chronologie et .polonais et argentins. médiation des grands poète de dix-huit ans. CRITIQUE bibliographie de 1. Alvarez de Toledo écrivains. HISTOI• • J. Fouilheron Moravia - Parise La grève LITTERAIRE 4 hors-texte Del Buono - Pini Trad. de l'espagnol par Jacques Deval Maisonneuxe et Larose. Moretti Rea - Murgia L. Vergnes REEDITIONS Les voyageurs 416 p., 24 F Quintavalle - Maraini L'année balzacienne Un roman-document CLASSIQUES A. Michel. 288 p. Le deuxième volume de Zolla 1970 sur la réalité 15,90 F. la collection Amours à l'italienne Garnier, 432 p., 38 F quotidienne de Un roman-document Théophile Gautier • Documentaire de Trad. de l'italien par Une contribution l'Espagne actuelle. sur le Canada et le Spirite, suivi de Ph. Prades capitale à Folklore -. par la • duchesse Londres de la fin du La morte amoureuse A. Michel, 256 p., la connaissance de rouge - espagnole. • Claude Simon XVIII' siécle. Flammarion, 240 poo 19,50 F. "auteur de la Comédie Orion aveugle 18 F. Dix nouvelles sur un humaine .Jorge Amado 22 illustrations Jean-Michel Gardair Deux œuvres thème commun: Les pâtres de la nuit Coll. • Les sentiers La ménopause de la l'amour, écrites par maîtresses de Sunday O. Anozie Trad. du brésilien par de la créationThéophile Gautier dans reine les plus grands Sociologie du Conrad Detrez Sklra, 148 p., 35 F Ch. Bourgois. 272 p.. le domaine de la romanciers italiens roman africain Stock, 352 p., 26 F. Où l'auteur de • la littérature fantastique. 17,10 F. contemporains. Aubier-Montaigne, Par un des maîtres du Route des Flandres-, Par l'auteur du 272 p., 21 F. roman brésilien, une du • Palace» et • Corps de Louise· Juliette Drouet Une étude systématique comédie humaine qui a • Joyce Carol Oates d'. Histoire - s'explique Lettres à Victor Hugo et dynamique qui réunit et de • Et Moi Des gens chics pour cadre Salvador (voir les nO' 25, 27, 41 Editions de Minuit (voir Georges Sand Trad. de l'américain par les romans africains de de Bahia. ch 80 de la les W' 41 et 53 de la Lettres à Musset et Benoît Braun langue anglaise et de Quinzaine) • Quinzaine) . Stock, 320 p., 22 F. à Flaubert langue française Pénélope Ashe Madame de Staël Madame de Sévigné Le drame d'un L'étrangère est arrivée et l'Europe adolescent qui se Lettres à sa fille Jean-Pierre Collinet nue André Gillois Llncksieck, 396 p., 44 F Madame de Staël venge de la société Le monde littéraire Adapté de l'américain Information contre X Lettres à M. Narbonne Textes d'un colloque par le meurtre de de La Fontaine par R. Ploquln Julliard, 320 p., 20,90 F. et à Benjamin Constant organisé pour la sa mère. P.U.F., 648 p., 99 F Editions de La Pensée Un réquisitoire, à la Coll. • Le livre de célébration du deuxième. Publications de la Moderne, 256 p., 22 F. Fols sévère et plein chevet» Tchou, centenaire de Joyce Porter Faculté des Lettres et Un roman d'érotisme et d'humour, contre notre 4 vol. sous coffret, la naissance de Pas de vodka pour Sciences humaines de d'humour qui a connu société et sa machine 76 F (20 F le vol.) l'auteur. Mr. Brown Grenoble un immense succès aux judiciaire. Voir le n° 95 de la Quinzaine
La
Littéraire, du 16 au 31 juillet 1970
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L ivres publiés du 20 juin au ; juillet
PHILOSOPHIE • J.L. Austin Ouand dire, c'est faire Trad. de l'anglais par Gilles Lane Seuil, 192 p., 24 F Un ouvrage déjà « classique ., par l'un des plus remarquables représentants de la philosophie « analytique. en Grande-Bretagne.
Jean Thibaudeau Mai· 1968 en France précédé de Printemps Rouge par Philippe Sollers Coll. «Tel Quel. Seuil, 128 p., 13 F A la fois un rappel subjectif, informatique et théorique des journées de mai, et une méthode pour lire, en tout temps, l'actualité.
Pierre Boudot Nietzsche et l'au-d8là de la liberté Aubier-Montaigne, 336 p., 15 F
.Mlchei Bernard Les coqs ou I;)u bonheur d'être français Balland, 165 p., 15 F Comment « le peuple Pierre Guiraud le plus spirituel de Pierre Kuentz la terre. est sur le La stylistique point de devenir le Klincksieck, 329 p., 44 F plus bête du monde. Une anthologie de textes choisis parmi Anna Bonboir les plus caractéristiques La pédagogie de ceux auxquels corrective s'alimente la pensée P.U.F., 144 p., 10 F linguistique actuelle Une méthode d'invidualisatlon de Gilbert Lane l'enseignement, qui Etre et langage tente de satisfaire aux Aubier-Montaigne, exigences du 336 p., 18 F programme et de Une réflexion rester compatible avec sur les conditions la connaissance ordinaires de la classe. scientifique et son mode de Louis Comtet communication. Analyse combinatoire Tome Il P.U.F., 129 p., 20 F Jean Largeault Le deuxième volume Logique et philosophie d'un ouvrage chez Frege d'introduction au Ilauwelaerts, 490 p., calcul des probabilités 12 F et à l'informatique. Les débuts du développement de la logique symbolique • Philippe de Félice Poisons sacrés, à travers l'œuvre de ivresses divines l'inventeur du premier Essai sur quelques système formel. formes inférieures de la mystique Jean Nabert A. Michel, 400 p., 24 F Essai sur le mal Réédition d'un ouvrage . Aubier-Montaigne, d'une brûlante 192 p., 18 F actualité puisqu'il traite Le mal en tant que de l'ensemble des constante de la nature toxicomanies humaine qui redresse d'aujourd'hui. oJ,!Jimite l'optimisme de' ia philosophie de Peter Kolosimo l'histoire. Terre énigmatique Nietzsche et les écrivains français.
J.-M. Peterfalvl Introduction à la psychoJingulstlque P.U.F., 160 p., 12 F Les principaux domaines de recherches de la psycholinguistique aux niveaux phonologique, sémantique et svntaxique.
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Trad. de l'italien par S. de Vergennes 100 reproductions h. 1. Coll. «Les chemins de l'Impossible. A. Michel, 280 p., 24 F Le problème de la civilisation et de son âge réel : l'ère des !léants, les secrets des Pyramides, le mystère de l'Atlantique, etc.
Michel Lancelot Je veux regarder Dieu en face (Le phénomène hippie) 21 photographies h. t. A. Michel, 256 p.,
et très documenté, inaugUrant la nouvelle collection «Les idées et les mœurs •.
règne mals aussi à travers la vie quotidienne des petites . gens de son temps.
la résistance palestinienne. Charles de Gaulle Discours et messages Tome III : vers le renouveeu Plon. 480 p., 35,70 F De mai 1958 à juillet
Eric Hobsbawm L'ère des révolutions POLITIQUB Une étude d'ensemble 1789-1848 ECONOMIB sur un phénomène que Trad. de l'allemand par nous connaissons mal F. Pineau-Braude 1962. et que l'auteur Fayard, 432 p., 50 F considère avant tout Par l'auteur des • Rudolf Hilferding • Jean Baechler comme un mouvement «Primitifs de Le capital financier Les phénomènes mystique alliant la révolte dans l'Europe Etude sur révolutionnaires la drogue et Dieu Moderne. (voir le n° 13 le développement P.U.F., 264 p., 12 F réédition. de la Ouinzalne). récent du capitalisme Une étude systématique Trad. de "allemand par de toutes les formes Marcel Ollivier de remise en cause de André Morali-Daninos James Laver Présentation de l'ordre social. La psychologie Au siècle de Yvon Bourdet pratiquée l'optimisme Editions de Minuit, Editions Universitaires, • Batasuna, la répression (1848-1914) 480 p., 60 F au pays basque 567 p., 39,95 F 96 p.; horx texte Un ouvrage fondamental Ouvrage collectif Un livre très complet, Flammarion, 272 p., 35 F qui fut salué li sa Maspero, 136 p., 11,80 F destiné aux usagers de Collection «Les idées parution. au début du Le «livre noir. des la psychologie aussi et les mœurs •. siècle, comme • le mouvements basques bien qu'au grand public. véritable quatrième en lutte contre Roland Oliver livre du Capital de l'oppression franquiste. • Roger Munier Anthony Atmore Marx •. Le Seul L'Afrique depuis 1800 Bernard Béraud Avant-propos de Trad. de l'anglais par • La Jacques Nême gauche René Char Odette Guitard Economie européenne révolutionnaire au Japon Tchou, 140 p., 16 F P.U.F. 360 p., 40 F. P.U.F., 560 p., 35 F Coll. « Combats. Voir ce n°, p. 19. Une introduction à Un ouvrage économique Seuil, 160 p., 15 F l'histoire de l'Afrique de-base sur Le phénomène contemporaine abordée .Jacques Thibau le Marché Commun. gauchiste au Japon, • du point de vue Une télévision pour son évolution actuelle africain •. tous les français François Perroux et ses perspectives Seuil, 288 p., 24 F Industrie et créàtlon Une analyse de notre collective Tome Il : M.-T. Emile Ollivier D. Blondel, J.-P. Daloz, télévision et des Images de l'homme J'ai vécu l'agonie du C. Jessua problèmes qui se nouveau et techniques Second Empire Essais sur la nouvelle posent actuellement collectives Textes recueillis et théorie quantitative a elle, par l'ex-directeur P.U.F., 328 p_, 18 F présentés par Anne de la monnaie adjoint de la télévision Voir les 56 et 95 dO!! Troisier de Diaz Préface d'E. James française. la Quinzaine. Fayard, 240 p., 25 F P.U.F., 188 p., 18 F Sous la forme d'un Travaux et Recherches Ismet Cheriff Vanly . Journal, un récit de la Faculté de Droit Le Kurdlstan Irakien spontané, désintéressé et des Sciences entité nationale et extrêm'}ment lucide, économiques de Paris. Etude de la RévolutiOil qui constitue un de 1961 précieux témoignage Rap Brown Ed. de la Baconnière, sur le climat politique Crève, sale nègre, 424 p., 38,60 F de ce temps. crève Arthur Conte Une étude historique, Grasset, 224 p., 16 F Lénlne-Staline géographique et Trad. de l'Américain • Albert Soboul librairie Académique politique sur par F. Alphandéri La civilisation et Perrin, 290 p., 50 F le Kurdistan à L'autobiographie la Révolution française Un parallèle saisissant la recherche de son politique d'un 1. La crise de l'ancien des deux géants du Identité nationale. revolutionnaire noir. régime communisme russe : 140 p., Illustrée en le grand prophète et héliogravure • M. A. Burnier le grand exécuteur. DGeU• •IITS B. Kouchner Coll. «Les grandes La France sauvage civilisations. Edition Spéciale, Arthaud, 800 p., 108 F La guerre des Yves-Guy Bergès 320 p., 24 F Un ouvrage qui fait le camisards La lune en Amazonie La crise de la France, point sur létat de La résistance huguenote 46 photographies h. t_ deux ans après mai 68. la société française et sous Louis XIV 6 dessins et 1 carte in t. de la société Hachette, 256 p., 20 F A. Michel, 176 p., Paul Didier internationale, à Une révolte populaire 19,50 F Droit commercial l'approche de la fin qui prit des aspects de Un reportage Tome 1 : Introduction du XVIII" siècle. «vendetta mystique. passionnant sur Les entreprises et déboucha sur une les Indiens de P.U.F. 752 p., 35 F répression féroce l'Amazonie qui vivent Philippe Sussel Les sources et (1702-1709) . encore comme il y a La France de les structures du droit 30.000 ans et ignorent Naporéon 1er commercial. tout de la conQuête de Philippe Erlanger (1799-1815) l'espace. Lorand Gaspar Au temps des rois Coll. « Histoire de Palestine, année 0 (1558-1715) la France. J. Delperrie de Bayac Maspero, 112 p., 8,60 F 96 p., hors texte Denoél, 256 p., 35 F L'organisation, Du sang dans Flammarion, 240 p., 35 F Napoléon présenté à la montagne (vrais et les objectifs, Un ouvrage travers les grands fauxmystiresde les perspectives de Illustré événements de son 19,50 F
la Bête du Gévaudan) Fayard, 272 p., 24 F Une évocation très documentée de la vie des paysans du Gévaudan et d'Auvergne, un quart de siècle avant la Révolution. Maurlce·Jean Calvet Echec au putsch Préface de Philippe Dechartre Edicef éd., 200 p., 18 F Un témoignage de première main sur le coup d'Etat des Généraux (22 avril 1961). W. M. Diggelmann Le crime de la sainte famille· 1969 : L'affaire Stocker Planète, 240 p., 19 F Un reportage, fait à partir du procès de J. Stocker et M. Kohler, connus aussi sous le nom des «exorcistes de Ringwill ". Gisèle Freund Le monde et ma caméra Collection «Femme" Gonthler, 256 p., 33 F Quarante ans d'histoire de la photographie, à travers la propre histoire de l'auteur.
t J.
K. Galbraith Journal d'un ambassadeur Trad. de l'américain par Sylvie Laroche Denoël, 544 p., 35 F Un document exceptionnel sur les «années Kennedy" et un reportage brillant sur la vie quotidienne d'un ambassadeur américain aux Indes de 1960 à 1963.
secrets égyptiens. Edition Spéciale, 232 p., 21 F Les confessions d'un capitaine des services Albert Sigusse Salauds de jeunes 1 Denoël, 256 p., 22 F Mené de 1967 à 1970 un reportage pathétique et souvent violent sur la jeunesse.
Réunis, 384 p., 26 F Une pièce inédite, dans le cadre de l'édition des œuvres complètes de l'auteur.
• •LIGION
J. et R. Thévenin J'ai tué mon enfant Edition Spéciale, 320 p., 24 F A travers le récit d'un drame très réel, le dossier de l'enfance handicapée et de l'euthanasie.
Maurice Corvez Dieu est·1I mort? Aubier·Montalgne, 272 p., 21 F Par l'auteur des « Structuralistes", une étude sur les théologiens dits «de la mort de Dieu '.
Un observateur à Moscou Trad. de l'anglais par J. M. Jasienko Coll. «L'Histoire immédiate" Seuil, 256 p., 20 F Par un observateur «'anonyme ", un tableau saisissant des réalités quotidiennes en Union Soviétique.
L'Infaillibilité Son aspect philosophique et théologique Ouvrage collectif Aubier·Montalgne, 588 p., 50 F Textes du Colloque de l'Institut philosophique de Rome.
Joseph Wulf L'Industrie de l'horreur Fayard, 416 p., 30 F Par le directeur du Centre international de documentation sur le nazisme, un document Implacable sur la S.S.
ARTS URBANISME
THEATRE
J. de Azeredo Perdigao Calouste Gulbenklan, collectionneur 69 iII. dont 42 en couleurs P.U.F. 224 p., 60 F. Un ouvrage qui, à travers la vie d'un bien singulier personnage, nous fait as'slster à la création et au développement d'une des plus prestigieuses collections privées.
Jean-Paul Aron Théâtre : Le bureau • Jean Dubuffet fleurets mouchetés Catalogue des travaux Ch. Bourgols, 144 p., Jens Kruuse 14,30 F Fascicule XIII : Oradour-sur-Glane Céélbration du Sol • 1 Un théâtre de la Préface de Elaboré par Max Loreau révolte de l'homme sur Jacques Delarue 150 illustrations l'impuissance du Fayard, 196 p., 18 F Office du Livre. langage. Une reconstitution 155 p., 65 F. minutieuse et pleine L'œuvre de Jean Victor Hugo de sensibilité de Dubuffet d'avril 1957 Mangeront-Ils? la tragédie d'Oradour et è avril 1958. «Cahiers Victor Hugo. surtout des multiples Edition critique établie tragédies Individuelles par R. Journet et .Germaine Everllng qui la composèrent. C. Robert L'anneau de Saturne Flammarion, 272 p., 48 F Préface de J. Cocteau L'une des pièces les Fayard, 208 p., 20 F. Jean Noli mieux connues 'du Par celle .gui fut, Les loups de l'Amiral «Théâtre en liberté", pendant de longues (Les sous marins écrite en 1867, créée années, la compagne allemands dans en 1907 et reprise six de Picabia, un portrait la bataille de fols jusqu'en 1968. sans Indulgence du l'Atlantique) célèbre peintre. Fayard, 472 p., 28 F • Jules Vallès L'épopée des sous· Henri-Paul Eydoux La commune de Paris mariniers de "amiral Châteaux fantastiques U Préface et notes de Doenltz. 105 illustrations M.·C. Blanquart et Flammarion, 'l72 p., 24 J:=. L. Scheler Farld Shaker Une évocation Editeurs Français L'agent du Caire La Littéraire, du )6 au JI juillet 1970
historique, artistique et poétique de ces monuments dans lesquels, selon l'expression de l'auteur, « il est Impossible de tracer les limites du documentaire et de la poésie. ".
Xavier Antomarchi Jean Schoumann La grande aventure de Spennato Denoël, 72 p., 18 F. Les aventures poétiques et humoristiques' d'un spermatozoïde et d-'une ovule fort bovaryques.
Oreste Ferrari Les trésors d'art du Vatican 52 reproductions en couleurs, 119 reproductions monochromes Aimery Somogy éd., 288 p., 40 F. Au cœur de ce complexe architectural unique au monde pour la richesse de ses musées et de ses œuvres d'art, mals aussi pour le symbole qu'il représente pour tous.
Ange Bastianl Les mauvais lieux des environs de Paris l3alland, 244 p., 26,80 F. Des bords de Seine aux rives de la Marne, des guinguettes aux grands ensembles, les )oints brûlants de l'île de France.
Guide des musées de France 180 illustrations Office du Livre, 220 p., 26 F. Un. guide pratique très complet et remarquablement conçu. Joseph·Eime Müller L'art et le non-art 57 reproductions Somogy, 1·92 p., 18,50 F. Un essai de démystification sur le caractère à la fois futile et prétentieux de certaines manifestations de l'art actuel. Carle Sala Max Ernst et la démarche onirique 37 planches Klincksieck, 110 p., 36 F. L'itinéraire d'un des .. artistes les plus représentatifs des nouveautés et des contradictions de notre temps.
B1111011R SPORTS DIVERS Marianne Antoine Florence Rémy Le guide de la chasse à l'homme Denoël, 228 p., 15 F. A la fois un manuel pratique et un dictionnaire de • science et technique" sur l'art de séduire et de se servir des hommes.
Robert Landry Le guide des villages abandonnés 31 illustrations Balland, 292 p., 29,50 F. Un guide pratique et très complet, destiné à Informer le public sur l'acquisition de hameaux abandonnés. Jean-Pie Lapierre Seine-Maritime 200 i11. et cartes Seuil, 96 p., 12 F. Le deuxième titre d'une nouvelle collection de guides qui en comprendra 95 (1 par département) .
100 itinéraires ()OUr vos loisirs 30 i11. en couleurs IIilo, 250 p., 35,60 F. Jn guide abondamment lIustré des plus beaux lites à visiter en ;rance et en Corse.
Pierre Mazars Voulez-vous «chiner. avec moi? Grasset, 272 p., F. Une introduction à l'art subtil du collectionneur.
Jean·Philippe Chassany Dictionnaire de météorologie populaire 60 illustrations Maisonneuve et Larose. 416 p., 49,50 F. Sous la forme d'un dictionnaire alphabétique, un répertoire complet des traditions populaires relatives au temps.
Pierre Minvielle Guide de la France souterraine 150 documents Inédits Nombr. cartes et schémas Tchou, 480 p., 42 F. Par le chroniqueur scientifique au .'Monde", chargé par les Monuments Historiques de la conservation des grottes et cavernes classées en France.
Bernard Gorsky Expédition «Moana. Le tour du monde de l'exploration sousmarine 36 photographies h. t. :2 cartes A. Michel, 400 p., 29 F. Le récit d'une expédition effectuée par quatre plongeurs sur un voilier réédition. Diana Hunt Vous, les astres et l'élu (e) de votre cœur Trad. de l'anglais par G. Marchegay A. Michel, 312 p.. 19,50 F. Une analyse astrologique des relations amoureuses où sont examinées chacune des 144 combinaisons possibles offertes par les signes de naissance. Christian Lacombe La moto Préface de J.-P. Beltoise Nombr,.. photos en noir et en couleurs Denoëi, 252 p., Des machines d'antan aux plus' prestigieuses motos. d'aujourd'huI.
Antoine Ottavi Corse 200 i11. et cartes Seuil, 96 p., 12 F. Inaugurant une nouvelle, collection de guides, à la fois une encyclopédie portative, un album· souvenir, un atlas et, naturellement, un guide pratique. Savoir tout faire Nombreux dessins et figures Flammarion, 320 p., 19,50 F. Un liVre auquel ont collaboré douze spécialistes et dont le but est dîndlquer les moyens de parer aux défaillances des installations d'un local d'habitation. Ralph Stein Les voitures célèbres Nombr. photos en noir et en couleurs de Tom Burnside Une somptueuse galerie deportralts ceux de vlngt-clnq marques de voitures choisies parmi les plus grandes d'Europe.
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