Quinzaine littéraire n°101

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Tel Quel

répond

Une télévision pour adultes


SOMMAIRE

3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

LE LIVRE DE LA QUINZAINE HISTOIRE LITTERAIRE ROMANS FRANCAIS LITTERATURE 70 JOURNAL NOTES LITTERATURE ETRANGERE POESIE

André Frénaud

Jacques Serguine

Depuis toujours dejà

par Bernard Pingaud

Le jeune La/orgue

par Claude Pichois

La mort confuse

par Alain Clerval

Tel Vuel répond Julien Green

Les années faciles

par Anne Fabre-Luce

Marc-André Schwartz Thomas Sourdine

L'automne La démolition

par Lionel Mirisch par L. M.

Per Olof Sundman

Le voya{!e de l'inl?énieur Andrée

par C. G. Bjurstrom

Axel Jensen

Epp

par Jean Queval

Georges Godeau René Lacôte Lucien Rioux

Les foules prodigieuses Anne Hébert Gilles Vigneault Poèmes inédits de Saint-Denys Garneau La lune d' hiver

par Georges Mounin par Serge Fauchereau

13 15 16 17

ARTS

Alexej J awlensky

Lyon, Musée des Beaux-Arts De Reims à Ancy-le-Franc Iris Clert sur les routes

18 19

ETHNOLOGIE HISTOIRE

Roger Bastide

Le prochain et le lointain

par Marcel Billot par Jean Selz Propos recueillis par Françoise Choay par H. Desroche

L'ère des révolutions

par Marc Ferro

Claude Vigée

20

E. J. Hobshawm

1789-1848

René Dumont

K. S. Karol

22

SCIENCES

J osé Yglésias Gottlob Frege

24

TELEVISION

Jacques Thibau Alain Bourdin Jean Cazeneuve

26

INEDIT

littéraire

Cuba est-il socialiste '! Les guérilleros au pouvoir Dans le poing de la révolution Les fondements de r arithmétique Une télévision pour tous les Français Mc Luhan Les pouvoirs de la télévision Un inédit dt" Jerzy Grotowsky

par Guy de Bosschère

par Allal Sinaceur par Jean Duvignaud par Louis AreniIIa

François Erval, Maurice Nadeau.

Publicité littéraire :

Crédits photographiques

Conseiller: Joseph Breitbach.

22, rue de Grenelle, Paris (7"). Téléphone: 222-94-03.

p.

Publicité générale: au journal.

p. 10

D.R. D.R.

p. Il

D.R.

Comité de rédaction: Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Fernandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbt"rt Walusimki.

La Quinzaine

par Robert Misrahi

Secrétariat de la rédaction: Anne Sarraute. Courrier littéraire: Adelaide Blasquez.

3

Prix du nO au Canada: 75 cents. Abonnements : Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Six mois: 34 F, douze numéros. Etudiants: réduction de 20 %. Etranger: Un an : 70 F. Six mois: 40 F. Pour tout changement d'adresse: envoyer 3 timbres à 0,40 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15551-53.

Maquette de couverture: Jacques Daniel.

Directeur de la publication :

Rédaction, administration:

Imprimerie: Ahexpress.

43, rue du Temple, Paris (4"). Téléphone: 887·48-58.

Impression S.I.S.S.

François Emanuel.

Printed in France.

Gallimard

D.R. p. 14

Flammarion

p. 15

Bildarchiv W. Kirchberger

p. 16

D.R.

p. 17

Joël Brunerie

p. 18

Elliott Erwitt, Magnum

p. 19 p. 21

Roger Viollet Chris Marker, Magnum


I.E I.IYRE DE

La présence et la perte I.A QUINZAINE

1

André Frénaud Depuis toujours déjà Gallimard éd., 140 p.

La poeSIe d'André Frénaud n'est ni difficile ni obscure. Elle parle de choses que nous connais· sons tous et dont s'occupent volontiers les poètes: l'enfance, la campagne, l'amour, la mort. Mais c'est peut.être cette simplicité qui égare. Ajoutons.y l'extrême diver· sité des tons (épique, lyrique, gra· cieux, familier, comique, amer), une forme parfois rude, voire rocailleuse, contrastant avec des moments d'une grâce extrême, un certain passéisme allié curieusement à la flamme révolutionnaire, un mélange inhabituel de bonhomie et d'amertume: autant de traits qui brouillent le portrait, autant de pistes où le lecteur risque de s'engager tour à tour en perdant de vue l'essentiel, qui est une contradiction volontairement, obstinément maintenue. «Insoutenable amour », «harmonie violente », «bonté téné· breuse »: ces quelques expressions glanées dans Depuis tou· jours déjà (le plus beau, à mon sens, des trois recueils où Frénaud a voulu, depuis huit ans, regrouper la majeure partie de 8es poèmes) peuvent nous servir d'indices. Le paradoxe apparent qu'elles évoquent se retrouvera dans les «paroles -du poème », à la fois «justes et ambiguës », «jamais rencontrées » mais «évidentes », «retenues» mais aussi « sorties ». Tout se passe comme si, dans un premier temps, il ne s'agissait que de regarder et d'entendre: le monde est là, devant nous, débordant d'être, reposant dans sa plénitude silencieuse, prêt à être recueilli par la parole humaine. Mais à peine essaie·t·on de le dire que ce monde contemplé, parcouru, savouré, dont la «bienveillance» est entière, échappe au discours. Non pas le monde, mais ce qui le fait être monde, sa brillance secrète, cet être insai· sissable et pourtant répandu. Et cela qui «depuis toujours déjà» semble s'offrir est donc aussi de· puis toujours déjà perdu. Perdu mais présent. Perdu mais vivant. Perdu mais brûlant. Comment expliquer cette rupture ? L'erreur inévitable - c'est l'infirmité de notre regard qui nous la fait commettre - est de chosifier l'être, de le considérer

comme une substance, alors qu'il s'agit d'une force, d'une «éner· gie ». Ainsi nous imaginons mais comment le spectacle du monde ne nous y pousserait-il pas? - qu'il y a des «choses à dire '>, alors qu'il y a seulement une nécessité de dire. Que certains instants, certains lieux, certains visages sont privilégiés, alors que l'être « gronde» partout. Dans un second temps (qui est inséparable, bien sûr, du pre· mier), le poème tente de se plier à cette force, de se faire l'écho de cet ébranlement, et c'est alors seulement qu'il devient vraiment poème. Un texte déjà ancien, pu· blié en annexe de Passage de la Visitation (1), décrit l'acte poéti. que comme l'effet d'une expé. rience d'être, fulgurante et fugitive, qui, à l'instant où elle se produit, impose silence au poète et ne lui donne la parole qu'après, dans le sillage de son retrait. Relevons le mot «passage» : il indique bien que cet événement, s'il est vécu dans «l'ébranlement du souffle », ne peut être reconnu (nommé) qu'une fois passé, dans la trace qu'il laisse derrière lui. C'est dire que l'occasion de l'événement importe peu. Mais c'est dire aussi qu'il n'y a que des occasions. La parole qui veut « attraper» l'événement doit se laisser prendre à l'expérience. Elle ne peut être parole pure, sans visée, qui s'enchanterait d'elle-même. Bref, ce quelque chose à dire où elle se piège, il faut encore qu'elle le dise pour qu'il prenne valeur de trace. Ainsi, avec un entêtement qu'on pourrait croire aveugle, la poésie de Frénaud ne cesse de vouloir faire retour à l'origine. Et pourtant les diverses « origines» qü'elle se découvre, tel lieu autrefois habité ou visité, telle image d'enfance, telle figure féminine, tel moment inoubliable, ne sont pas de vraies origines - et le poète le sait bien: car l'être ne peut s'y loger. L'important dans le souvenir, si émouvant, si fasci· nant soit·il, est sa perte, qui désigne le passage, l'ébranlement, la « visitation ». Il faut, en somme, qu'existe un «depuis toujours dé· jà» pour que surgisse le bel « après» du poème. Mais nous n'en connaîtrons (de l'événement) que cet après. A la limite, les deux temps vont se confondre : cette présence qui

La Q!!IDzaiDe I.Ittéralre, du 1" au 15

Paroles du poème Si mince l'infractuosité d'où sortait la voix, si exténuant l'édifice entrevu,

s; brûlants sont les monstres, terrible l'harmonie, si lointain le parcours, si aiguë la blessure et si gardée la nuit. Il faudrait qu'elles fussent justes et ambiguës, jamais rencontrées, évidentes, reconnues, sorties du ventre, retenues, sorties, serrées comme des grains dans la bouche d'un rat, serrées, ordonnées comme les grains dans l'épi, secrètes comme est l'ordre que font luire ensemble les arbres du paradis, les paroles du poème.

1970

3


BI. TOI ••

Le jeune Laforgue

Frênaud

nous enchantait d'abord et que nous n'avions de cesse d'avoir nommée existe bien; il ne s'agit pas d'un leurre. Mais c'est, finalement, celle du poète lui-même. L'édifice que le poète avait «entrevu ne se distingue pas de celui qu'il bâtit, 1'« ordre des arbres de celui des fnots. En un sens, donc, aucun poème n'est jamais satisfaisant: il n'y a que des poèmes où subsiste un faible écho de l'expérience, un éclat d'autant plus précieux que fragile. Mais en un autre sens, ce;;; monuments périssables sont la seule trace, la seule marque tangible de la visitation, et l'on_ peut dire alors que la parole poétique est l'unique voie d'accès à l'être. Ainsi la contradiction se retrouve à tous les niveaux, renaissant chaque fois qu'on croit la dépasser. C'est la maîtrise de ces deux mouvements opposés qui, me semble-t-il, donne à la poésie de Frénaud, dans ses meilleurs moments, son admirable exactitude. J'entends le mot dans le sens où l'on parle d'une personne exacte: qui vient à l'heure dite, qui tient ses promesses. La voix qui porte Depuis toujours déjà, qu'elle plaisante ou qu'elle gronde, qu'elle 'se contente de quelques vers ou qu'elle s'aventure dans un de ces longs poèmes que Frénaud est à peu près seul à écrire aujourd'hui (comme Vieux pays), qu'elle parle d'amour ou de mort, de Paris, de Gordes ou de Saint-Vallerin, de la jeUJie amazonc, du divin Actéon ou de la petite Milena, à chaque page nous dit que « tout est comme il doit être », à chaque page aussi avoue une «déchirure inoubliable ». Seul le poème peut réunir ces deux langages, celui de la présence et celui de la perte, dire à la fois qu'« il n'y a pas de paradis» et que les «arbres du paradis », ensemble, font «luire un ordre ». De cet ordre introuvable et pourtant éclatant, ou, pour reprendre lcs termes d'un autre poème, de cette « bienveillance» qui peut être « terrible », André Frénaud me paraît le témoin exemplaire.

Bernard Pingaud (1) Il se trouve repris, sous le titre

Note sur l'expérience poétique, à la flri:de l'édition de poche de Il n'y a paâ de "radis (Collection «Poésie., Gallimard) .

4

En louant ici-même ln° 93 du 16 au 30 avril 1970) l'édition par Pascal Pia des Poésies complètes de Laforgue (Livre de poche), nous avions annoncé que J .-L. Debauve préparait deux volumes qui témoigneraient eux aussi de la renaissance laforguienne. L'un d'eux a paru au moment où était publié cet article de la Quinzaine : les Pages de la Guêpe (Nizet éditeur) , textes «précédés d'une étude sur les premières années de l'écrivain ». Dans cette étude biographique, M. Debauve nous présente avec précision la jeunesse scolaire de Laforgue au Lycée de Tarbes de 1869 à 1876, professeurs et camarades, et le cadre où s'inscrit la nouvelle Stéphane Vassiliew. Puis, ce sont les années parisiennes, l'échec au baccalauréat, l'atelier d'Henri l.ehmann, la connaissance de Seurat, les cours de Taine sur les beauxarts, la fréquentation des bibliothèques, les rencontres avec Gustave Kahn et Charles Cros - de 1876 à 1879. Oui, du nouveau sur Laforgue, comme M. François Caradec vient de nous en apporter sur Lautréamont. Le plus important est la collaboration de Laforgue à la Guê-

LES REVUES

Informations et documents La revue Informations et documents consacre son numéro du le. août au propriétaire du Comté de Yoknapatawpha, dans le Mississipi, dont la capitale est Jefferson. On sait que ce comté est l'image mythique d'un comte réel, celui de La Fayette et que Jefferson porte, sur les cartes du monde, un autre nom: Oxford. Ouant au propriétaire de ces terres imagi· naires, il se nomme William Faulkner. Enrichi d'admirables documents qui nous présentent un Faulkner familier ou cérémonieux, et les images du Palais de Justice, de la Grand-Place d'Oxford, du jardin familial, bref, de tous ces lieux que nous avons appris à connaître dans Sanctuaire, Absalon ou le Domaine, la revue s'organise comme un dyptique. Un de ses volets décrit la ville réelle, celle d'Oxford, que Marc Saporta est allé explorer minutieusement, retrouvant partout les empreintes de Faulkner. L'autre volet décrit la ville imaginaire, celle qui est née dans l'esprit de Faulkner. C'est Claude Jannoud qui se charge de découvrir, à travers les livres de Faulkner, cette cité qu'II

pe, feuille toulousaine, d'esprit estudiantin, qui parut irrégulièrement de 1879 à 1890. Pierre Capretz avait déjà découvert les vers qu'y donna, l'année de .la fondation, le jeune poète et qu'on retrouve dans l'édition Pascal Pia: vers baudelairiens avec des accents naturalistes; parfois du Coppée de génie. A ces pièces, M. Debauve ajoute les,chroniques parisiennes et des articles de critique littéraire que, régulièrement, de Paris, Laforgue adressait à la Guêpe: ces proses étaient complètement inconnues. Au nombre de trente-cinq environ, elles couvrent à peu près tous les événements importants de la vie parisienne de mai à novembre 1879 et sont accompagnées de dessins légendés, fort spirituels. Ce provincial ne semble avoir éprouvé aucune peine à prendre le ton parisien, et ce mauvais élève est un excellent journaliste. Il a fait ses classes dans les salles de théâtre, dans les cafés-concerts et au cirque qui était certainement ce que le monde du spectacle offrait alors de plus vivant et de plus original. Résolument, Laforgue, bien qu'il ait acquis une solide t'1Iltu-

place justement dans la lumière des Atrides, au point qu'il nous entretient non pas de la place de la ville d'Oxford, mais de l'Agora de Jefferson, et que nous recevons ce terme comme une évidence. Cet article constitue une avancée pénétrante dans les ténèbres de l'œuvre faulknérienne en même temps, qu'à la suite, il propose une belle méditation sur l'histoire, sur la ville, sur le mal. Le numéro est complété par une ancienne interview de Faulkner, décevante si l'on s'en tient à la lettre de ce que dit l'écrivain, et à son partipris de jouer au « gentleman farmer ., fascinante si on tente de la déchiffrer à travers les silences, les malices ou les mensonges de Faulkner. Enfin, un certain nombre de conversations avec des habitants actuels d'Oxford permettent d'imaginer le travail d'alchimiste de l'écrivain. G.L.

Les Cahiers du Chemin C'est un gros numéro que cette II· vraison d'été, avec en vedette Michel Butor, Jean Ricardou, Jean Roudaut, Ludovic Janvier, Bernard Teyssèdre, Jean-Loup Trassard et Jacques Borel. On peut y lire aussi les derniers poèmes de Jean-Philippe Salabreull et sur-

re classique, est favorable aux jeunes, et c'est la raison pour quoi il se veut partisan de Zola et du naturalisme: Tout jeune - ainsi conclut-il un article - , quels que

soient ses dieux, doit remercier Zola cr avoir secoué par ses audaces notre âge engourdi dans la politique ou l'indif1érence ». Ce qui ne l'empêche pas de reprocher à Zola de méconnaître la grandeur de Victor Hugo, de qui il tient sa «vigueur si superbe de coloris ». Ce jeune Laforguc n'est pas moutonnier. Il est indépendant. Il secrète ses propres images, il se crée son propre style et, déjà, jusqu'à ses propres mots. Et il dit - c'est peut-être l'article le plus important pour son évolution ultérieure son admiration pour les accents étrangement parodiques du Coffret de.

santal. Ces pages de la Guêpe, vers et proses et dessins, nous renseignent d'abondance sur le Laforgue de 1879. L'on devra à M. Debauve de nous avoir fourni sur la formation littéraire et artistique du poète les documents les plus utiles. Un nouvel aspect de Laforgue sort de l'ombre.

Claude Pichois

tout un émouvant hommage de Jacques Réda à ce jeune poète disparu: «Et ainsi se débat dans la douleur, avec tous ses sursauts baroques, ses maniérismes, ses audaces, ses apaisements insondables, chaque poème de Salabreuil d'une seule foulée qui bouleverse, car elle est du passage d'un être jeté vers l'amour impossible, le retour impossible, l'impossible et pourtant profonde innocence du cœur. Il s'est mis à neiger ce matin avec une telle violence qu'on ne sait pas si c'est la neige ou quel noir éblouissement.• Tel Quel (n° 41). Pour leur livraIson de printemps, les animateurs de cette revue ont choisi l'aridité: la première partie d'un texte de Jacques Derrida (dont l'étude en profondeur peut occuper toutes vos vacances), deux essais sur la peinture de JeanLouis Schefer et Marc Devade et, enfin, comme distraction, un extrait du prochain roman de Maurice Roche, Clrcus. C' (n" 2 et 3). La deuxième livrai· son de cette jeune revue est dominée par un texte de Jean Laude avec notamment un très beau poème: «Ma-. rée basse •. ,J.W.


ALFRED

ROMANS

L'épreuve FRANÇAIS

1

Jacques Serguine La mort confuse Gallimard éd., 208 p.

Jacques Serguine pourrait se réclamer de Nimier, Blondin et du Montherlant du Voyageur Solitaire, d'Encore un instant de bonheur, comme eux se placèrent sous l'invocation de Stendhal ou du Gobineau des Pléiades. Il est de la famille, aujourd'hui clairsemée, des écrivains de tempérament et d'humeur qui n'ont d'autre règle que le caprice, certaine grâce de vivre, qui savourent l'éblouissement d'un inBtant et ne séparent pas la chasse au bonheur, avec son arrière-goût de désespoir, du bonheur d'écrire.

ESPRIT LES ET LA

Les institutions

Mercenaires, missionnaires ou partenaires?

-

Ingérences

Mystique de l'aide et réalités de l'impérialisme

Coopérer sans illusion

JUILLET-AOUT 1970: 15 F

E\11 tRIT l'

19. rue Jacob. Paris 6C.C.P. Paris 115+51

Selon eux, la dernière entreprise où se révèle et se reconnaisse encore une arilltocratie, c'est l'amour. En exaltant la complicité que nouent entre les ado· lescents leur jeunesse, la beauté de leur corps, l'alliance avec l'eau, le soleil, les plages, c'est leur propre reflet que les person· nages de Serguine cherchent, dé· sespérément, à fixer. L'auteur fait la peinture d'une jeunesse, amo· raIe parce qu'elle refuse, ce qui est tout à fait neuf dans la Ion· gue histoire de l'amour en Occident, de se laisser prendre à la gesticulation confuse des sentiments et des passions, obéit au langage du corps plus qu'aux mouvements du cœur. Elle refuse de par od i e r plus longtemps l'amour courtois dont la tradition héritière du Moyen Age chrétien a terriblement entravé le libre jaillissement du désir physique, cette jubilation païenne, seul luxe que Jacques Serguine oppose à la fuite des jours. Il y a aussi le thème de l'homo me à femmes, cher à Drieu la Rochelle, de cette race d'homo mes voués à la solitude et à l'exil de la conquête et du plaisir, im· bus cependant de leur suprématie physique et morale, mais condamnés, aussi bien à la discontinuité et à l'irresponsabilité et qui cherchent dans la sexualité un prin. cipe contre les velléités et la dis· persion. L'auteur de Gilles en faisait le produit même de la déréliction européenne entre les deux guerres, et ce thème se retrouve, assez singulièrement accordé à notre temps, dans l'œuvre de Jacques Serguine. Mais l'époque et la sensibilité ont changé et l'auteur de Mano r Archange ne cherche pas comme Drieu à habiller son malaise aux couleurs tragi. ques de l'Histoire, mais en fait la marque d'une jeunesse séparée l'âge adulte par le culte sans mesure qu'on lui rend et qu'elle se rend à elle·même. La foule soli· taire et la société de tolérance isolent cette jeunesse dans un ghetto doré sur quoi l'époque se penche avec une. complaisance maladive et une curiosité trouble. Dans l'œuvre de Serguine où les Jours avaient marqué une crise de l'inspiration et un certain affaissement du talent, Mano l'Ar· change s'enlisant dans l'atroce noria du donjuanisme, la Mort confuse introduit une gravité nou·

La Q!!ln••1ne IJttéraire, du 1-' au 15 sl!ptl!mbn 1970

velle. Histoire rétrospective d'un amour raturé par une mon ce dernier roman évoque avec un lyrisme retenu, pu· dique, la figure pleine de tendresse d'une jeune femme, Sharon, pendant les trois dernières années de sa vie. Il s'agit d'un amour que la mort a rendu d'aUtant plus poignant que la jeune femme s'était remise entièrement de son bonheur entre les mains du narrateur. C'est. aussi une recherche du temps perdu, le narrateur, pour se justifier de pouvoir continuer à vivre, cherche à rassembler les souvenirs épars qu'il a conservés de son amie, afin de s'en munir comme d'un viatique dans ses fu· tures amours. En éclairant ses jours à venir à la noire lumière qui rayonne du visage disparu, il veut égoïstement profiter jusqu'à la fin du don que, vivante, Sharon lui a fait. Mais aussi exor· ciser les trahisons et la souffrance 'lu'il n'a cessé de commettre à son égard. C'est dans le mouve· ment contraire de l'égoïsme et du repentir, trouver dans l'adoration défunte le courage de vivre, attendre des récurrences de la mé· moire une réhabilitation morale, que le livre de Serguine trouve son inflexion et son registre. Bien entendu, à travers la reconstitu· tion patiente, sinueuse et subtile, l'écriture ne reflétant plus l'inno· cence édénique qui rayonnait des premiers livres, c'est sa propre image, le souci de sa figure, le sentiment de sa réalité que le narrateur cherche à reprendre aux plages de la mort, vers où Sharon s'est aventurée sans retour. L'inti· misme frémissant de l'accent donne à ce récit, que gâtent encore les traces obsédantes de la délectation narcissique, une résonance parfois déchirante. A la fa· veur de la cassure morale provoquée par la .mort de la jeune femme, le narrateur, qui rêvait au seuil de chaque nouvelle aventure, à cette royauté intérieure où le plaisir et la certitude de plaire l'introduiraieilt, traverse l'épreuve qui le fait entrer dans l'âge de raison. Ce livre est l'un des meilleurs de Serguine, une fêlure ayant en· tamé l'hédonisme triomphant du personnage pour l'ouvrir à une souffrance morale et à une inquié. tude dont il avait été préservé. Alain ClenJal

SAUVY

la révolte des jeunes un volume 15 F du même auteur:

LA MONTtE DES JEUNES

SUZANNE

PROU

la ville sur la mer

..... Mélange efficace de cruauté, de fantaisie, d'érotisme et d'absurdité.....

LES NOUVELLES LITTERAIRES

P.M.

PASINETTI le pont de l'Accademia

"Une chronique romanesque qui s'étend sur trois générations où l'auteur manie avec une grande maitrise les techniques joyciennes."

LA QUINZAINE LITTERAIRE

VICTOR

GARDON

l'apocalypse écarlate Une fresque grandiose de J'Arménie martyre.

5


LIT1'JlIlATUIlI!

Tel Quel répond 10 En publiant le texte de Pierre Bourgeade: Littérature 70, dans notre n° 100 (1" août), nous invitions les contradicteurs à se manifester. La réplique de Tel Ouel ne s'est

pas fait attendre. Nous la publions ci-dessous avant de la faire tenir à Pierre Bourgeade, qui aura vraisemblablement le désir de préciser à nouveau son point de vue.

Semblable à beaucotJp de journalistes qui en sont, économiquement, à une idée près, M. Bourgeade écrit assez souvent le même article dont le mouvement linéaire est d'une désarmante simplicité. Cet article paraît régulièrement ici et là, avec des variantes. Le noyau en est constitué le plus souvent par l'appréciation négative que M. Bourgeade fait de Tel Ouel. Notre intention est d'en analyser ici la logique. 1° Il est à remarquer d'abord que l'article de M. Bourgeade paraît dans un journal « littéraire " et s'intitule littérature 70. On pourrait donc s'attendre à des considérations en rapport avec leur sujet. Personne n'aurait, par exemple, la perversité d'imaginer que M. Bourgeade est un écrivain politique. chargé d'une mission politique, directe ou indirecte. Une telle mau· vaise foi serait aussi exagéree. bien entendu, que celle du psychanalyste qui, derrière chaque discours, prend la manie malsaine d'écouter un autre discours. M. Bourgeade ne parle donc que de littérature. Cependant, il a fait une découverte: c'est que, écrit-il, « nous vivons dans l'histoire -. «Même lorsque nous décrivons un corps de femme, écrit-il encore, nous ne pouvons pas faire abstraction de tout le reste. Il y a plusieurs manières d'écrire le mot "jambes", le mot "sein", le mot "amour". - Voilà une pensée intéressante, et que M. Bourgeade aurait avantage, disons, à creuser. Pourtant, il se lance aussitôt dans une synthèse historique (l'exercice devient à la mode: il n'y a pas si longtemps nous était proposé un de ces raccourcis fulgurants qui, à travers Moréas et Stefan George, aboutissait à prouver que Tel Ouel développait une idéologie ... nazie) dont nous résumons les moments. Thèse: Sartre (positif). Antithèse: Nouveau Roman puis Tel Ouel (négatif).

Synthèse: Mai 1968 + le Clézio + M. Bourgeade (positif). Proposition générale: Mai 1968 est l'expression de «l'homme rendu à la douleur, aux hommes, au sexe et à la mort ". Un grand frisson noir secouerait donc ia France, sous le masque trompeur de Georges Pompidou ou de Jean-Jacques Servan-Schrelber.

6

2° M. Bourgeade est, comme le cardinal Daniélou, un farouche dénonciateur du « capitalo-communisme". Un des lieux com· muns insistants de la propagande bourgeoise actuelle est, on le sait, de renvoyer dos à dos les pays capitalistes et les pays socialistes. Pour les belles âmes. ces deux systèmes sont irrespirables, il faut les noyer dans le même sac. D'où l'affection de M. Bourgeade pour les révolutions « manquées " c'està-dire, comme il l'écrit, pour .ia ft révolte absolue -. Cette révoite métaphysique, qui n'aurait pas déplu à Albert Camus, explique, selon M. Bourgeade, tous les «grands mouvements qui agitent le monde -. Parions que les combattants des armées populaires de libération d'Indochine vont être flattés d'apprendre qu'ils luttent pour la «révolte absolue - de M. Bourgeade, lequel, s'il semble avoir ressenti de manière particulièrement douloureuse les crises hongroise (1956) et tchécoslovaque (1968), n'a cependant pas un mot pour les «révoltés - d'Indochine. " est vrai que pour M. Bourgeade, une révolution doit rester en échec car, continue-t-il avec un comique imperturbable, une révolution « réussie - a le grand défaut de prendre le pouvoir. L'ordre bourgeois est, à son avis, aussi mauvais que l'ordre prolétarien. Quelle est la solution? L'issue idéale? La troisième voie? La .troisième classe? Substituer, nous dit à peu près M. Bourqeade, l'imagination au pouvoir.

Nous allons voir se développer peu à peu sa réponse. 3" La pensée de M. Bourgeade est une des plus simplistes, nous l'avons déJil dit. Ainsi, pour lui. toute la recherche du « nouveau roman. se réduit au fait que celui-ci aurait « prôné la résignation -. On croirait lire ici les pires aberrations de certains théoriciens dogmatiques, se disant même parfois marxistes, qui comptaient ou comptent encore pour rien, par rapport à leur message ", la matière des textes. L'ironie inconsciente de son idéologie veut donc que M. Bourgeade commette les mêmes erreurs, les mêmes contre-sens que ceux qui sont trop souvent répandus dans les pays socialistes. Toujours la même méconnaissance, s p é c i fiquement bourgeoise, qui annonce le retour de la vieillerie idéaliste, moraliste, voire spiritualiste: la conception métaphysique de la littérature comme " tremplin vers la transcendance " ou la " chose en soi D, conception qui. d'ailleurs, s'accompagne toujours, et logiquement, d'un solide mépris pour la littérature comme telle. Dans son style imagé, la littérature n'est plus en effet, pour M. Bourgeade, qu'un • objet immobile, une chose finie, plus morte qu'une charogne putréfiée -. Autrement dit, selon une banalité bien connue: vive • la vie ellemême -. Nous ne sommes plus en 1970, mais en 1948. M. Bourgeade est en effet, comme le cardinal Daniélou, un défenseur du contenu-à-tout-prix. Pas de ce contenu complexe, différencié, que seul un travail d'avantgarde, une réelle innovation formelle, historiquement justifiée dans son autonomie relative, dans sa propre série historique, peut découvrir: non, un gros contenu, massif, «tragique-, « l'homme rendu à la douleur et à la mort -. Bref, la littérature éternelle, reflet de la nature humaine éternelle. On reviendrait ici au bon vieux cache-cache régressif entre naturalisme et religion poétique dans la nuit de la « création -. Il est significatif que la démystification produite par l'avant-garde littéraire en France, ses positions dialectiques, les recherches et l'approfondissement théoriques qu'elle ft

a suscités soient ainsi attaqués: en réalité, la bourgeoisie ne peut que craindre un tel éclaircissement des processus de la production littéraire qui risque de mettre décisivement à nu son fonctionnement idéologique. On le voit bien aujourd'hui: dès qu'une avant-garde est simultanément révolutionnaire dans son langage, sa position philosophique et en politique, elle ne peut qu'être violemment aux prises avec l'idéologie bourgeoise et sa dernière variation: l'anarchisme technocratique. Le « nouveau roman ", malgré son rôle formaliste positif, a précisément manqué idéologiquement cette articulation entre littérature, science, philosophie et politique qui est au centre de l'activité de Tel Ouel. C'est pourquoi la bourgeoisie, après avoir lutté dans un premier temps, contre les innovations du « nouveau roman ", l'a très vite récupéré comme produit académique. L'article de M. Bourgeade annonce une nouvelle tactique, une solution de rechange: on peut prévoir qu'elle sera à la fois de type positiviste et irrationaliste. C'est ainsi qu'il y a de fortes chances que le surréalisme, par exemple, soit de plus en plus valorisé à titre de • supplément d'âme -. Ainsi va l'histoire, qui transforme les choses en leurs contraires. Ce qui est symptomatique, c'est que le seul mouvement qui n'a cessé d'être attaqué depuis des années, et qui l'est plus que jamais aujourd'hui, est précisément Tel Ouel. 4° Tel Ouel est en effet coupable, aux yeux de M. Bourgeade, non seulement de ne pas être anti-communiste (péché capital, surtout en ce moment, n'est-ce pas ?), mais encore de défendre sur la littérature un point de vue scientifique. M. Bourgeade a même inventé une nouvelle science qu'il repousse avec horreur: la • syntaxique -. Contre la linguistique, la sémiotique qui, selon le schéma de résistance habituel, sont éprouvées comme sources de stérilité par ceux qui en ignorent les limites et les buts (M. Bourgeade devrait relire Hegel pour savoir en quoi «la beauté impuissante hait l'entendement -), se dressera donc « l'imagination -. Vo;-


Pari pour l'invisible

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Julien Green Les années faciles Plon éd., 582 p.

Depuis la publication de son dernier roman (Chaque Homme dans sa Nuit, Plon 1960), Julien Green semble se consacrer entièrement aux exigences de sa propre biographie. Aux six volumes de Journal publiés entre 1938 et 1954 qui couvraient la vie de l'auteur entre 1928 et 1954, il a déjà ajouté depuis 1960 trois livres importants pour la compréhension de son œuvre. Ce sont: Partir avant le Jour (Grasset 1963), Mille chemins ouverts (Grasset 1964) et Terre Lointaine (Grasset 1966). Ces volumes évoquent successivement l'enfance de Julien Green, né avec le siècle, les années de guerre et enfin le sé·

Tel Quel

là donc le • progrès - que nous promet M. Bourgeade, la pseudo-antinomie qui le mobilise. Or il est assez évident que cette défense du spontanéisme créateur est une rengaine aussi éculée que l'anti - communisme. M. Bourgeade est peUt-être un écrivain de • talent - (ce n'est pas à nous d'en juger, nous ne nous intéressons pas au • talent -), mais il développe spontanément une idéologie obscurantiste qui n'est ni plus ni moins que l'idéologie dominante prise de panique, comme un certain humanisme poussiéreux, devant les possibilités objectives des sciences, surtout si elles viennent appuyer le marxisme (Engels: • Ce n'est que dans la èlasse ouvrière que le sens théorique se maintient intact. Là, il est impossible de l'extirper; là, il n'y a pas de considération de carrière, de chasse aux profits, de protection bienveillante d'en haut; au contraire, plus la science procède avec intransigeance et sans préventions, plus elle se trouve en accord avec les intérêts et les aspirations de la classe ouvrière. -). Tant pis pour M. Bourgeade: le dévelop-

jour de trois ans qu'il fit sur la terre de ses ancêtres, à l'Université de Virginie. C'est ce cadre qui servira d'inspiration à ses premières œuvres, au Voyageur sur la Terre (1931), à Mont-Cinère (1927) et beaucoup plus tard à Moira (1952). En publiant aujourd'hui une nouvelle édition de son Journal pour les années 1926-1934, l'auteur montre qu'il continue de se désintéresser de la fiction afin de parfaire son autobiographie intérieure. Les Années faciles nous apportent le texte jusqu'alors inédit du journal de Green pour l'année 1926. Il ne manque plus maintenant que celui des années 1922-1925, c'est-à-dire la période qui suivit son retour des Etats-Unis et au cours de laquelle il fit la ren.contre décisive de son ami Robert de Saint-Jean.

Les Années faciles sont intéressantes à un double titre: d'abord parce qu'elles correspondent aux débuts de l'auteur comme romancier. (Le fameux Pamphlet contre les Catholiques de France sous le pseudonyme de Théophile Delaporte, en 1924, aux éditions de la revue des Pamphlétaires, est le premier écrit de Green.) Ensuite parce que Green a enfin consenti à y intégrer les passages qu'il avait lui-même censurés lors de la première publication. Du point de vue littéraire, ces années 1926-1934 correspondent en partie à la période que l'on pourrait appeler • gothique -. C'est un univers. sans grâce -, comme le dira Mauriac, que Julien Green présente dans Mont-Cinère (Plon 1926), Le Voyageur sur la Terre (Gallimard 1927), Adrienne Mesurat

(Plon 1927) et Léviathan (Plon 1929) . Les personnages évoluent dans un monde de fantasmes et d'hallucinations qui débouchent invariablement sur la folie et sur la mort. Mais dès la fin de 1929, un changement se produit avec la publication de l'Autre Sommeil (Gallimard 1930) qui est à mon avis le plus beau texte de Green (avec Moira, 1952) . Ce récit de l'amour que porte un jeune homme à son cousin coïncide avec une rupture importante dans les convictions rel i g i e uses de Green. A propos de ce récit, Gide demandait à l'auteur • de ne pas flancher -, de même qu'il lui recommandait de ne pas faire de coupures dans son Journal. Ces conseils qui touchent le grave problème de la • singularité - de Green sont maintenant réintégrés dans les Années

pement scientifique ne s'est jamais laissé impressionner par les soupirs ou les imprécations de l'idéologie qu'jl dissout. Les sciences du langage sont une découverte décisive, irréversible, des sciences: elles existent et existeront malgré et même au service· de ce qu'on aura appelé, faute de mieux, • l'imagination -. Il est stupéfiant d'avoir encore aujourd'hui à rappeler qu'opposer. l'imagination - à la pensée scientifique est le type même de l'argument réactionnaire. Une avant-garde, matérialiste par définition, n'a pas à faire cette distinction scolaire. En fait, cet appel au secours de • l'imagination - a une signification idéologique précise: la censure pure et simple de Freud. 5· Il y a plus grave, et c'est par là que nous terminerons. Mai 1968 en France a été et reste une très grande lutte politique. (Notre contribution peut être lue dans Mai 1968 en France, de Jean Thibaudeau ; précédé de Printemps rouge, de Philippe Sollers; collection Tel Ouel, 1970.) Or la question de Mai se pose désormais en ces termes: qui sera isolé, la bourgeoisie ou le prolétariat? Nous sommes dans une phase de lutte idéologique intense entre ces deux classes fondamen-

tales. Y en a-t-il une troisième? Oui, et c'est là que M. Bourgeade nous fournit un exemple précieux.. Sa position est celle, flottante, agitée, aveugle à ellemême de la petite-bourgeoisie qui se vit naturellement comme étant. au-dessus des classes -, au-dessus des systèmes sociaux. La phrase petite-bourgeoise nous est connue: c'est elle, anarchiste, utopique, que la bourgeoisie a tout intérêt à exploiter; c'est à travers elle qu'elle espère dévoyer vers un centrisme pas du tout imaginaire, le mouvement de critique radicale qui a commencé en France en Mai 1968 et auquel nous sommes plus attachés que M. Bourgeade: nous voulons qu'il débouche sur une révolution, non sur une • révolte -. Nous lutterons donc pour que ce dévoiement, puissamment orchestré, cette solution de rechange, soit un échec. Non, Mai 1968 n'a pas sonné l'heure de la réapparition du Proudhonisme, du Fouriérisme, du Bakouninisme, du Surréalisme. Non, Mai 1968 n'a rien à voir avec le retour de l'Etre, de l'Esprit, de Dieu, de l'Imagination, de la Révolte et de l'Absolu. La réalité, l'évidence difficile, sont celles que seule la vision bornée d'un petit-bourgeois pari-

sien peut ignorer: la lutte révolutionnaire des peuples pour leur indépendance, l'échec de en l'impérialisme américain Asie, l'aggravation des contradictions internes au capitalisme, la révolution idéologique causée. par l'extension du marxismeléninisme à travers ses propres contradictions. M. Bourgeade termine son article par une citation surréaliste à effet: il appelle la venue d'un • Ordre monastique - où • les plus belles femmes adopteront le décolleté en Croix, etc. -. C'est peut-être en ce point qu'il se sépare du cardinal Daniélou (mais sait-on jamais ?). Qu'il aille donc plus loin, qu'il arrive jusqu'en 1970, qu'il abandonne au musée les décolletés, la • révolte absolue - et l'anti - communisme. Bref, qu'il devienne révolutionnaire en travaillant à la victoi"re de la gauche pour un changement de régime en France. Ou bien qu'il parle réellement de • littérature -, s'il veut être pris sur ce plan. En effet: • Quiconque attend une révolution sociale "pure" ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n'est qu'un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu'est une véritable révolution. - (Lénine.) TelOuel (août 1970)

La QHbualae Lltt'raire, du Je, au 15 septtmbnJ970

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Julien Green

faciles, et permettent de retrouver la continuité qui faisait défaut dans la première publication. Ces années qui sont celles du doute, de la déchirure intérieure évoquent la crise religieuse qui se résoudra par le retour à la foi catholique en 1939 après l'exploration des religions orientales manifestes dans Minuit (Plon 1936) et Varouna (Plon 1940). Amour et succès Mais pourquoi appeler ces années «faciles -? alors que l'auteur ne cesse de se demander: « Je voudrais savoir ce que je crois ». La raison en est qu'en même temps qu'une époque de doute, ces années représentent aussi le grand bonheur qu'apportent un amour partagé d'une part, et les premiers succès littéraires, de l'autre. A côté du sens tragique de la vie qui l'habite depuis toujours et qui lui fait dire: «Connaît-on l'angoisse de suivre une rue en pensant avec désespoir à toutes les rues où l'on n'est pas, les rues où ceux qui voudraient vous connaître vous attendent, et s'en vont, ne voyant venir pe.... sonne?» (8-1-31, p. 148), audelà du conflit irrésolu des exigences de la chair et de celles de l'esprit, de la double tentation de l'angélisme et du démonisme, il y a la présence de l'Autre, les journées de bonheur qui surgissent et submergent par leur harmonie et leur plénitude le flot des démons intérieurs. Ces démons, ils habitent toute l'œuvre de Green pendant ces années, ils « passent - dans l'écriture tourmentée de ces romans dont il dit: « Si l'on savait ce qu'il y a au fond de mes romans ! Quel chaos de désirs cachent ces pages soigneusement écrites! Je prends souvent en dégoût ces appétits furieux qui ne me laissent de repos que lorsque je travaille» (passage rajouté à la date du 18 septembre 1928, page 50). Les succès que remportent ses livres étonnent Green. Il réalise, avec bonheur, qu'il va peut-être pouvoir vivre de sa plume et consacrer sa vie à l'autobiographie de ses propres mythes. Il voit beaucoup Gide,

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Cocteau, Christian Bérard, continue de se passionner pour la peinture, la musique, rencontre un Drieu qui se plaint «de la purée - où il vit, et fréquente les salons littéraires de l'époque. Il fait un voyage en Amérique, nouveau pèlerinage aux sources, dans le Sud qui vit naître ses parents, et rentre dans une France qui respire déjà la panique d'une guerre prochaine. Le Journal s'achève avec le début de la rédaction du Visionnaire (Plon 1934) dans lequel Green assumera pour la première fois peut-être le pari pour l'invisible et inaugurera un univers de chevauchement entre deux mondes: celui de la réalité et celui de l'imaginaire, domaine privilégié, donateur de sens, accessible seulement par la mort. Les transpositions y sont évidentes et c'est à runivers imaginaire de son héros (Manuel) que Green confie sa « vérité -, comme il continuera de le faire dans l'ensemble de son œuvre romanesque. La vraie vie est « ailleurs -, et le « visionnaire - habite enfin «les régions obscures et merveilleuses où tout désir s'accomplit -. Cette longue «hallucination intérieure - est aussi un apprentissage de la «grande réalité qu'est la mort -. Mais depuis l'invisible auquel il a enfin consenti, le visionnaire «jette... sur cette terre un regard plus aigu que le nôtre, et en un monde qui baigne dans l'invisible, les prestiges du désir et de la mort (n') ont autant de sens que nos· réalités illusoires ». (Le Visionnaire, Plon 1934, p. 204.) Le style des Années faciles possède l'extrême limpidité et la fluidité « intime - qui caractérise un type d'écriture parlaiteme·nt dominé. Il atteint ce naturel par la transparence qui semble traverser les mots. Pourtant la matière, on le sent bien, est faite de paysages intérieurs où les « continents noirs voisinent sans cesse avec les plages de lumière. Car l'invisible possède lui aussi ses carrefours, ses croisées de chemins tout intérieurs où se pose à nouveau la question fondamentale qui est celle du sens de la quête, celui de ce pari pour l'invisible. Anne Fabre-Luce

Nostalgique

Erotique

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Mare-André Schwartz

L'Automne

Thomas Sourdine

La démolition

Grasset éd., ISO p.

Le romantisme est une fête à laquelle se complaisent volontiers les jeunes gens. Fête littéraire, essentiellement : ils y convient leur « âme:t, leurs souffrances, d'autant plus intimes qu'elles sont en· core illusoires, et leurs lectures. Moment faux, fou, iremplaçable, dont Marc-André Schwartz, à tra· vers cet Automne, son premier li· vre, semble tout pénétré. Tout pénétré, jusqu'aux deux pages finales, où le narrateur s'installe dans la réalité (le bonheur ?). M.-A. Schwartz a su d'ailleurs, entre·temps, suffisamment nous faire aiIQer les rêves de ses personnages pour que l'on se prenne. à regretter leur candide foisonnement. Amour du petit garçon que l'on fut pour une petite fille blonde, si fort qu'il faut la retrouver pour que l'existence (et l'amour d'une autre) soit possible. Hantise de la mort, que n'étaie nulle expérience de la vie mais ce tourbillon noir de l'être puéril au secret dans sa gangue d'adulte. A jamais séparés de l'enfance, les deux cousins de T: Automne regardent sans cesse vers elle, à travers leurs parents, les uns morts les autre.. bons et intelligents, phares éteints ou trop brillants qu'il faudra fuir pour le large. Ils se regardent aussi l'un l'au· tre, et cette amitié est peut-être ce qu'il y a de plus attachant dans le roman. Cette amitié et également ce fonds commun : la maison, dans une campagne devenue un peu banlieusarde, mais où le silence, la pluie sur la tonnelle, les vieilles revues descendues du grenier, parlent toujours de l'enfance, insouciance et pureté. Tel est, sans doute, le véritable roman· tisme de M.-A. Schwartz: l'exal· tation du sentiment qui, par mille liens ténus mais indispensables, assure la présence au monde, un monde enfoui plus que celui qui est à faire. Ayant ainsi dépouillé la l'ohe prétexte, M.-A. Schwartz doit maintenant, assurant (et assumant) sa toge virile, pousser plus avant, plus profondément, ses investigations, sans mésuser du merveilleux privilège que lui confère sa sensibilité. Lionel Mirisch

Dominique Halévy éd., 127 p.

Si l'érotisme n'était que la joie des corps, on pourrait le considérer d'un œil henoît et dire: « Amusons-nous:t. Mais il trouve dans la souffrance, et même dans la privation, certains de ses « sommets :t. Avec la Démolition, Thomas Sourdine (quel écrivain de grand talent 1!e cache sous ce pseudonyme?) en fait le ressort d'un anéantissement. Anéantissement progressif, certes, puisqu'il faudra tout le livre pour que Julien soit prié par Thérèse, avec l'exquise politesse qui, dans sa bouche, caractérise la cruauté, de mettre fin à ses jours, mais qui fut consommé dès le premier instant de leur rencontre, dès la phrase initiale du roman :

La première fois que Julien vit Thérèse, elle était nue. Pour avoir vu nue cette femme (qui, nous dit-on, n'a après tout qu'une heauté ordinaire, mais chez qui l'esprit de destruction est l'expression unique et paroxystique de l'amour), Julien est pris dans une toile qui est l'avant-goût de sa mort. Jou e t, volontairement, d'une femme fahuleuse, il n'aura de cesse d'être démoli.

Une outrance contenue De la masturbation à l'amour en «triangle », du voyeurisme à la sodomisation, bien des formes de plaisir (ou de désespoir) « nourrissent» la destruction or· ganisée du mâle pris au piège. Ce qui fait le prix du livre de Thomas Sourdine, c'est que l'outrance y est toujours contenue, qu'un style aigu, serré, limpide, sculpte dans un marhre presque austère les figures échevelées de la jouissance et de la dérision. Il y a de la maîtrise dans cette façon de laver la houe dans un bain d'or. Si l'on termine, trouhlé, cette amoureuse D é mol it ion, c'est moins par la sensualité des scènes que par la révélation d'une heauté au.delà de celle des corps, d'une heauté à la fois morbide et mystique, qui, si elle ne les fait périr, donne aux hommes qu'elle a surpris une aveuglante raison de vivre.

L.M.


LlTT.RATURIl

Romanciers scandinaves .TRANGIRII

Per Olof Sundman

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Le 'Voyage de l'ingénieur Andrée Coll. «Le Monde entier Gallimard éd., 376 p.

Le Il juillet 1897, le ballon l'Aigle, de fabrication française, quitta l'Ile des Danois daOB l'ar· chipel du Spitzberg, avec trois Suédois à bord : Salomon August Andrée, 43 ans, ingénieur en chef de l'Office des Brevets; Nils Strindberg, 25 ans, a88istant én physique à l'université de Stock· holm et file d'un cousin du célèbre écrivain ; Knut Fraenkel, 27 aOB, ingénieur. Leur intention était de survoler le Pôle Nord. Ile ne devaient· pas Un pi. geon voyageur abattu le 15 juillet et deux bouées lâchées peu de temps après le départ, mais re· trouvées seulement en 1899 et en 1900, étaient porteurs de messa· ges optimistes - mais ce furent les derniers signes de vie que don· nèrent les trois explorateurs, dorit on ne retrouva plus trace, malgré plusieurs expéditioOB de secours. Plus de trente aOB plus tard, en août 1930, à la suite d'un été particulièrement chaud - comme l'avait été celui de 1897 - l'équi. page d'un chasseur de phoques norvégien retrouva par hasard le dernier campement d'Andrée dans l'Ile Blanche, au Nord·Est du Spitzberg. COOBervés par la glace, les trois hommes y reposaient avec leur équipement, le journal de bord et même des pellicules photographiques que l'on réussit à développer. On apprit ainsi que le ballon, appesanti par l'humi· dité et la glace, s'était échoué, après seulement une cinquantaine d'heures de vol, le 14 juillet 1897, à 7 h 30. Les trois hommes avaieni alors entrepris une marche épui. sante, le plus souvent contrariée par la dérive de la glace et au bout de deux mois ils étaient par· venus aux abords de l'Ile Blan· che, où ils avaient décidé d'hiver· ner. Ile y étaient morte l'un après l'autre, au début d'octobre. C'est cette histoire que Per Olof Sundman a choisi de racon· ter. Le monde des explorateurs l'avait déjà attiré dans l'Expédition où il s'était largement iOBpiré d'événements réels et des ouvrages de Stanley ; les personnages et les événements y étaient néanmoins entièrement imaginaires, bien que cernés par une foule de ces lA Cb!buaine

« petits faits vrais qu'aHectionne Sundman. Ici, au contraire, Sund· man récrit l'aventure de trois hommes qui ont réellement existé et porté les mêmes noms que dans son livre et, à partir de docu· ments en grande partie déjà publiés au moment de leur décou· verte, il a créé un «roman docu· mentaire dont la trame n'est plus la fiction, mais la comme il aime à le dire. Au lieu d'authentifier une histoire imagi. naire par des faits vrais, il donne vie à une histoire vraie en y introduisant un certain nombre de détaile imaginaires. V rai roman ou roman vrai, comment Sundman va·t·il noUs ra· conter son histoire? En roman· cier, en choisissant non pas le point de vue de l'auteur omni· scient, mais celui d'un des person· nages. Andrée a laissé un journal de bord, Strindberg des lettres à sa fiancée, Fraenkel n'a laissé de sa main que quelques mots météorologiques: c'est Fraenkel que Sundman a choisi comme narra· teur. On aurait pu penser qu'il utiliserait une des techniques éla· borées par le roman classique daOB un but justement de vérité ou de vraisemblance, comme le journal fictif ou, à la rigueur, le monologue intérieur. Or il s'agit - du moiOB superficiellement d'un roman d'action,_ et Sund· man semble avoir eu le sentiment que ces techniques convenaient mieux au roman psychologique. «Tours de passe·passe que cela :., a·t·il l'air de nous dire en laissant Fraenkel nous raconter lion histoire comme n'importe quel homme qui se rappelle une aventure dont il serait finalement sorti indemne. Or nous savons avant même d'ouvrir le livre que Fraenkel est mort à la fin de l'expédition et qu'il n'a jamais eu l'occasion de- parler de son aven· ture au passé. Ce mépris de la vraisemblanCe, qui ne manque pas de paraître encore plus sur· prenant dans un «roman docu· mentaire:. que daOB un roman· fiction, permet à Sundman d'obte· nir en même temps une curieuse distanciation et une forte tension dramatique, en se trouvant en même temps en dehors et à l'inté· rieur des événements. Qui est le héros de cette histoire ? - car enfin, exploit, échec, folle entreprise ou tragédie, c'est une histoire éminemment héroï·

du 1" au 15

1910

que. Ce n'est pas Fraenkel, bien qu'il soit le narrateur: toute son attention est en fait braquée sur le véritable héros, celui qui a donné Bon nom au livre, l'ingé. nieur Andrée, un homme fort qui n'est pas saOB rappeler l'impertur. bable Sir John de l'Expédition. Or ce héros, cet homme fort est l'objet d'un démontage systéma. tique. Nous le VOYOOB d'abord eri· touré de gloire et il est significatif qUe Fraenkel aille d'abord voir son image au Musée de Cire. Quand il lui rend eOBuite visite à l'Office des Brevets, Andrée l'emmène au restaurant, comman· de des plats coûteux et difficiles

à manger, s'entretient avec des personnes célèbres. Or Fraenkel devient lui aussi célèbre - en fonction de l'exploit auquel il va participer - et il n'en est pas mécontent. Il apprend à mieux con· naître Andrée, il note ses infir· mités et ses moments de fatigue, et il remarque à plusieurs reprises qu'il vieillit. Il reste cependant impressionné par son calme et sa force de caractère. Lorsque enfin le ballon s'est échoué, Fraenkel se retient quelques jours, mais com· mence eOBuite à reprocher à An· drée avec une acrimonie croissante toutes ses erreurs et c'est presque avec une joie mauvaise

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'Sundman

Axel Jensen

Epp trad. du norvégien par Carl-Ove Bergman et Marc de Gouvenain Coll. «Le Monde entier. Gallimard éd., 144 p.

Per Olof Sundman

qu'il note la fatigue et les malaises qu'Andrée s'efforce de cacher à ses compagnons. Dans cette confrontation entre le héros déchu et celni qui l'a admiré, le timide Strindberg, qui écrit des lettres que sa fiancée ne recevra jamais, n'a plus de poids. La fin du livre semble être une critique impitoyable d'Andrée. Le conflit entre Andrée et Fraenkel, lorsque ce dernier découvre que l'homme fort, l'ingénieur épris de faits précis et de certitudes mathématiques, n'était qu'un rêveur qui va en souriant vers la mort, ce conflit semble

bien refléter un conflit intérieur à l'auteur. D'ailleurs, Fraenkel ne dit-il pas à un moment qu'il y a entre lui et Andrée une ressemblance telle qu'il aurait pu être son jeune frère ? Leur confrontation est «tout le problème des rapports entre le réel et l'imaginaire:t, pourrait-on dire, et probablement Sundman pourrait-il dire d'Andrée, comme Sartre de Flaubert: «Il est l'imaginaire. Avec lui, je snis aux limites, aux frontières mêmes du rêve.:t Les options ne sont cependant pas les mêmes.

C. G. B jurstrom

L'équipe d'Andrée, près de • l'Aigle ., juste après leur atterrissage.

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Axel Jensen a été comparé à Swift. En principe, ces grands parrainages me paraissent douteux. Trop vastes. Pourtant, une querelle sur les graines oppose le narrateur à son voisin. Graines de canari! Non, graines de poisson rouge! Non, graines de canari! Puis ils en viennent au compromis: des graines. Alors le débat recommence. Qui, le premier, a dit: des graines? Cette scolastique de farce donne à la fable un bon relief. Quelle fable? Celle du petit vieux dans une communauté, ici dite la Gambolie, que nous avons à comprendre comme une province indifférenciée du Devenir. Au juste, quel petit vieux? Epp, retraité d'une fabrique de papiers peints. Un grognon, un maniaque. Un détesteur d'originalité. Un susceptible, un vas-y-cause-toujours. A noter qu'il aurait des colères énormes si ce n'était l'état de son cœur. Son activité d'atrabilaire, c'est d'écrire un «rapport sur lui-même:t. Une surcompensation. Bref, Léautaud. La différence, bien sûr, est que Léautaud vivait dans des entassements de livres, au lieu que Epp retourne à l'intelligence d'avant le langage. On a comparé aussi Epp à Bouvard. Mais Bouvard et Pécuchet mènent bel et bien une enquête. Ils parcourent des provinces, dévorent les ouvrages! Epp m'a tout l'air d'un champi.on du surplace. Passif, pris à ses souvenirs comme le fruit confit dans le sucre. Seulement, ce rabâcheur est subtil. Il pourfend le contradicteur (dans ses mémoi· res) , et file dans le même élan dialectique sa propre louange. Son papier peint lui tient lieu de passé, de présent, d'avenir - bref de vision béatifique. En somme, prise dans la toile d'araignée, une mouche de longue vie. Pour toile d'araignée, la Gambolie même, province du Devenir. Le chef d'Etat se nomme, si l'on peut dire, Mynkmynk. L'écran domiciliaire dispense les seules informations. Toute politique tient aux communiqués relatifs à

la guerre permanente. Un conflit lointain, dont on ne recueille que des échos vainqueurs. Des citoyens, toujours si on peut dire, divertis et par ainsi annulés. C'est le schème du 1984 d'Orwell. Sur ces sujets, comment l'ignorer? Comment ignorer aussi le leur des mondes? En Gambolie, des sociologues pullulent, veillant aux relations entre les' castes. Il existe un pool des talents. Parmi le menu peuple sont diffusées les consignes contre l'ennemi. La classe moyenne s'établit arithmé· tiquement dans des noms de personnes composés de trois lettres. Quatre lettres, vous avez monté un échelon. Cinq, on parle de vous. Six, un avenir lumineux vous attend. Corollairement, celui-là que voici réduit à une seule lettre figure le trublion, le toléré pur et simple. Ainsi, au vénéré nom de Mynkmynk, tranchent les sociologues. Fin, par conséquent, de la démocratie, cette prophétie perpétuelle. Mort du vœu pieux, dans l'indifférence d'ailleurs. C'est, bien sûr, dans la relation entre mouche et toile d'araignée, dans cette tension, que prend corps le sujet. Il s'agit d'une moindre tension, et là résident l'intelligence du livre, son pathétique même. La plus commune exigence de communication con· siste à s'épier. On fait la queue pour guetter à tour de rôle au judas d'un appartement. lJn révolté, c'est vrai, avant que d'être reconditionné en villégiature collective, se dresse. C'est le voisin d'Epp. Il veut creuser dans les cloisons, détruire le compartimen· tage des blocs habités. Mais Epp : atterré, Epp. Le réfractaire indi· vidualiste, Epp. Pas de folies, non mais! Toujours, donc, la moindre tension. La curiosité dorman· te, finalement, tient peut-être à la figuration d'un signe moins. On se trouve chez Jensen au plus loin d'une invention à la Wells nombreuse, irrépressible, coulée de source. Ici, des détails parcimonieux, mis en va· leur avec sobriété: à un turlupin doué, en récompense à son tra· vail on donne un moyen de locomotion aérien qui lui permet de filer entre blocs d'habitation, à la verticale, le doigt sur la couture du pantalon. Une manière d'insecte d'ancien livre d'images.


PO*SIB

Un regard exact

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Georges Godeau Les foul& prodigiewes Guy ChambeIland éd.

Axel

Néanmoins, quelles question'! on a encore l'envie de faire slIr la Gambolie (après avoir lu le livre), sur ménage, nourriture, transports! Or, c'est le fait qu'on n'y avait pas pensé (à la lecture). Ainsi, la Gambolie même, c'est le style d'Alex Jensen. Cobaye gambolien, Epp est peint par un bon romancier, et la Gambolie résulte, dans le même mouvement. Une vigueur immédiate, une drôlerie impassible, enfin la subtilité allusive montrent l'obstination bisbilleuse d'un humain demeuré, au sens double de ce dernier mot. J'en écris d'après la traduction seule. Mille compliments donc aux traducteurs. Jean Queval

ABBA EBAN MON PEUPLE Une vaste fresque de l'histoire du peuple juif depuis l'ère des patriarches (LE MONDE). Outre l'intérêt évident pour des chrétiens de lire un commentaire de l'Ancien Testament sous la plume d'un Israélien de cette dimension. il est clair que les propos de cet avocat d'Israël à l'O.N.U. ne peuvent que retenir l'attention de ceux qui cherchent à comprendre (Pasteur G. Richard-Molard. LE FIGARO). Ce n'est pas le personnage officiel. ministre des Affaires étrangères d'Israël qui parle, cette fols. Son livre est l'œuvre d'un savant (R. Chateauneu, MATCH). Par le ministre des Affaires Etrano;ères d'Israël, un ouvrage à la fols historique et philosophique, qui refiète les visions, les faits, les mythes dont sont constituées la vie et la censée du Dellule .luif (LA QUINZAINE LITTERAIRE).

Editions BUCHET/OtASTEL La Q!!buaine du le'

:lU

Ce qui règne en France, depuis une bonne dizaine d'années, en fait de jeune poésie, c'est beaucoup moins la poésie qu'une idéologie de la poésie, - si du moins on admet que l'idéologie, cela consiste à remplacer la connaissance d'un phénomène (aussi tâtonnante qu'on voudra) par l'idée a priori qu'on s'en fait, mais fortement affirmée. L'idéologie actuelle en fait de poésie est une idéologie fabricatrice, comme à toutes les époques de retombée créatrice : on se réfugie dans la croyance qu'on peut faire des poèmes à partir de l'idée d'en faire. On aboutit de la Borte à prendre des espèces d'excitations intellectuelles passagères sur le faire, pour la poésie; et des espèces de charades intellectuelles, pour des poèmes. Des gens célèbrent enfin Léo Spiuer parce que Gallimard vient de tra· duire ses Etudes de Style - mais passent juste à côté de la seule chose qui demeure chez lui, au moment où tombent les constructions philosophiques hasardeuses qu'il appelait obstinément de la linguistique : sa théorie du «dé· clic Si on n'a jamais éprouvé le dé· clic, on ne sait pas ce que c'est que la poésie, ni comme poète ni comme lecteur. Alors on en fabrique d'impeccahles répliques, que personne ne lit, sinon les aspirants fabricants. Cette actualité durera ce que durent les actualités. On perçoit déjà, vis-à-vis d'un structuralisme littéraire es· soufflé, les distances que commencent à prendre les bons journalistes, les réserves que commencent à formuler les critiques qui na· guère n'y voyaient que du feu. Mais surtout, daus les facultés, les étudiants qui ont pris Barthes, ou Todorov, ou Kristeva, ou Derrida au mot, qui les ont démontés et remontés pour voir ce que cela produirait, qui les ont éprouvés au feu de leun premières recherches, font déjà spontanément des bilans sévères. La génération qui va prendre la parole ne sera Bans doute pas tendre, et peut-être même pas juste, à l'égard du premier structuralisme littéraire, le structuralisme pressé. 15 septembn 1910

par Georges Mounln

A côté, la poesIe continue. De temps à autre, il arrive un livre frais, sans beaucoup de bruit, mais dont on voit tout de suite que l'auteur, lui, sait ce que c'est. Par exemple Georges Godeau, qui n'est pas un inconnu d'ailleurs, depuis que Gallimard a publié ses Mots Difficiles, en 1962, et qui'a des lecteurs. On le traduit même en livre de poche, au Japon (et il se pourrait bien que l'optique esthétique japonaise, que nous célébrons quand elle nous envoie des estampes ou des films, ait vu juste avant nous Bur la qualité profonde de la poésie de Georges Godeau). Sa dominante, c'est la rapidité. Chacun de ses courts poèmes dit une chose neuve, instantanément, comme la meilleure photo.. TI ne fait pas de théorie sur le regard, il a le regard qu'il faut pour re· garder notre monde. Seul le cinéma, par exemple, pourrait riva· liser avec un texte comme Minoritaire, qui n'est d'ailleurs qu'une séquence mais montée de main de maître, et surtout: vue, c'est· à·dire découverte dans la vie, avant d'être tournée. Seul JeanPierre Léaud, dirigé par le Truf· faut des 400 coups, pourrait éga. 1er l'intensité qu'il y a dans les onze lignes de f Accwé (qui ne sont pas une copie du film mais un poème-né). Avec Georges Godeau, d'ailleurs, on pense toujours aux gens dont c'est le métier de regarder bien : les caricaturistes, par exemple, pour lesquels on dirait sou· vent que Godeau écrit des légendes - de quelques lignes - et qui sont de très beaux dessins elles aussi. Mais les gens qui sont férus de caricatures (je pense souvent à celles de l'expressionnisme, de Grosz à Mittelberg, féroces et discrètes) ne les voient pas, parce qu'on ne le leur a pas dit, et que notre culture actuelle est moins plurivalente que dispersée. On pense aussi aux vrais journalistes, car Georges Godeau fait tenir en huit ou dix lignes ineflaçablesce que des analystes chevronnés de fExpreu, ou de fObsenJateur, ou du Monde, et pas toujours, qu'en trois ou quatre colonnes ; sauf les meilleurs, qu'on ne distingue pas forcément du reste, un Jean-Marc Théolleyre

quand il attrape l'air d'une salle de procès, un André Séverac (dans le Progrès de Lyon) quand il découvre un pétrolier de 100 000 tonnes: ceux qui ont le vibrato dans ce que Courtade appelait le sang·froid professionnel. Oui, Georges Godeau possède en poète ce que tout bon journaliste cherche et ne trouve pas toujours: l'impact, le point d'où il faut voir, et le point qu'il faut voir. S'il avait été grand reporter au lieu d'être ingénieur du Génie rural

Georges GodeBU

(encore un métier où il faut Bavoir regarder, un métier de chantier), il serait mondialement connu. Soljenitsyne et Picasso le com· prendraient. Malgré les apparences, ce regard d'homme du métier ne choi· sit pas, n'invente jamais, nous tend la vie à saisir sans farder quoi que ce soit. Sa seule partialité peut-être c'est que, pour re· prendre à Char un grand mot, ce qui l'Qclaire toujours c'est c la bougie qui se penche au nord du II navigue à l'aise dans c la contrée énorme où tout se tait (même lui, dont l'émotion reste si rapide qu'elle est à peine indiquée). La société de consom· mation dans Maroc-Voyages (ou Camping-Plage), le monde du tra· vail (presque partout), celui des cadres (dans fHomme moderne) aussi bien que le tombeau de Lénine (six lignes : un des quatre

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Godeau

grands· poèmes que je connais sur ce thème), la vie du couple, toute la vie quotidienne, le -stade, un saut de ski aux J eux Olympiques, tout est vu. Certains amis chicanent quelquefois Godeau parce qu'il montre le travailleur tel qu'il le voit, l'ingénieur, le comptahle et même le patron. Je les sens qui craignent qu'il n'y ait là de la mollesse vis-à·vis du «capitalisme monopoliste », une fumée de collaboration de classe, qui sait? Georges Godeau pourrait leur répondre que c'est ce qu'il voit, qu'il arrive que les hommes aiment le travail qu'ils font, même dans l'exploitation. Méchamment même, il pourrait ajouter qu'on ne fait pas changer le travail de signe, comme une valeur algébrique, en faisant une révolution; voire, que le socialisme sera peut-être construit plus par ceux qui aiment le travail ouvriers, ingénieurs, cadres, même supérieurs - que par ceux qui en parlent. Chez lui, justement, ce monde est toujours vu et connu de l'intérieur, ce n'est pas de la littérature sur la production, c'est les producteurs. L'homme qui a pu écrire Spécialiste, les Forges de lAdour, et Pour UJ'.l. jeune savant en sait probable.ment plus long, pour être capable de vivre correctement l'univers socialiste, que bien des gens qui en rêvent.

Un style capable de tout dire Pour dire tout cela, Georges Godeau s'est inventé (ou découvert) un style capable de tout dire, à l'aise aussi bien dans l'allusion presque imperceptible que dans la marque au fer rouge. Tout est fait de rien, ou presque, jusqu'aux limites supportables de l'ellipse: c'est vraiment une poésie au milligramme. Mais presque dans chacun ·de ses textes, il y a au moins une ligne-. qui n'est pas forcément la dernière :- presque invisible, la meilleure : celle qui ouvre le poème à son lecteur, celle qu'il vous reste à découvrir pour savoir que vous êtes un lecteur spitzérien. TI n'yen a presque chaque fois qu'une: comme les bons athlètes, Georges Godeau reste toujours en dedans. C'est un boxeur exact, ce n'est pas un cogneur, Georges Mounin

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Poésie du Q!!ébec René Lacôte Anne Hébert Coll. c Poètes d'aujourd'hui» Seghers, 190 p.

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Lucien Rioux Gilles Vigneault Coll. cChansons d'aujourd'hui» Seghers, 192 p.

Poèmes inédits de Saint-Denys Garneau Montréal, La Barre du jour, 80 p.

Lorsqu'on aborde aujourd'hui la littérature du Québec, plus que la situation d'une. minorité linguistique dans un pays neuf, il faut garder à l'esprit le singulier isolement culturel des Canadiens français (le terme lui-même est discuté). René Lacôte rappelle à ce propos une phrase d'Arcane 17 qu'André Breton écrivait à la fin de la Dernière Guerre mondiale : c L'église catholique, fidèle à ses méthodes crobscurcissement, use ici de sa toute-puissante influence pour prévenir la diffusion de ce qui n'est pas littérature édifiante: le théâtre classique est pratiquement réduit à Esther et à Polyeucte qui s'offrent en hautes piles dans les librairies de Québec, le dix-huitième· siècle semble ne pas avoir eu lieu, Hugo est introuvable.» La situation ne semble pas avoir vraiment évolué depuis ces lignes ; une censure bien pensante y veille. Quant à nous, notre vision du Canada n'a pas beaucoup changé non plus depuis Maria Chapdelaine - on ne dira jamais assez les ravages de ce roman, en luimême très honorable d'ailleurs, car il imposa un cliché durable jusqu'à l'intérieur de son propre pays. C'est encore par un effet du roman de Louis Hémon qu' c on nous laisse encore incroyablement vivre ici sur des imoges anciennes, folkloriques, souvent dérisoires, quoiqu'il en soit presque toujours fausses et toujours périmées, du grand pays moderne qu'est aujourcrhui le pays d'Anne Hébert », dit encore René Lacôte dont le livre est à lire comme une introduction à toute poésie canadienne française.

Il ne s'agit certes pas de rejeter toute tradition et renier ses origines:

Est-ce vous que l appelle Ou vous qui m'appelez Langage de mon père Et patois dix-septième, demande Gilles Vigneault, car même le chansonnier sait aussi que son pays n'est pas seulement un pays de cargos, de barrages qu'on construit et de ségrégations (pas seulement contre les Indiens, il y a aussi, dit Paul Chamberland, c l'infamie d'être Canadien français »). Le Canada n'est pas une lointaine province française pour autant; c'est un lieu spécifique, un lieu américain. Mais il faut l'autorité d'un écrivain comme Anne Hébert pour nous le rappeler: c la teTTe que nous habitons depuis trois cents ans est teTTe du Nord et teTTe crAmérique... Le climot et le paysage nous ont façonnés aussi bien que toutes les contingences historiques, culturelles, religieuses et linguistiques ». Lorsque l'on considère effectivement une œuvre du Québec aussi originale que le Torrent, viennent à l'esprit des œuvres comme la Lettre écarlate d'Hawthorne, peut-être lEtalon rouan de Robinson J effers, mais rien de chez nous, rien d'européen. Anne Hébert fut l'un des premiers écrivains du Québec à rejeter l'héritage d'idées reçues des Louis Fréchette et Louis Hémon. Au début des années cinquante, son Tombeau des rois jeta une note inattendue et pessimiste au milieu des productions allègrement rimées de la plupart des poètes du Canada :

Retourne sur tes pas ô mo vie Tu vois bien que la rue est fermée. Vois la barricade face aux quatre saisons Touche du doigt la fine moçonnerie de rwit dressée sur lhorizon Rentre vite chez toi Découvre la plus étanche moison La plus creuse la plus pro-

fonde...

Avant Anne Hébert, il y avait eu Alain Grandbois, mais en fait,

le premier poète à proclamer la nécessité de se libérer des contraintes sociales et culturelles était Saint-Denys Garneau (19121943) : Allez-vous enfin briser crun coup de poing le silence et parler Lâcher tous ces cris enfermés en vous et qui vous brûlent Lâcher toute cette haine et tout ce désir et toute cette contrainte Allez-vous tout à coup toutes surgir sur la teTTe hurlantes Et brandir vos cris et vos révoltes Ah! les moins! Saint-Denys Garneau était bien le précurseur des poètes québécois d'aujourd'hui. c Il nous a rendus conscients de notre difficulté crêtre et de vivre en ce coin de pays qui est le nôtre », déclare Anne Hébert dont on a dit qu'elle prolongeait l'œuvre de Saint-Denys Garneau. Et cependant, cela n'exclut pas une certaine ambiguïté dans l'hommage des collaborateurs de La BaTTe du jour (ce titre, je l'apprends de Lucien Rioux, est l'expression québécoise pour l aube). Ils reconnaissent: «ce qui sauve SaintDenys à nos yeux, c'est d'avoir été conscient »., mais tout en voulant qu'il soit reconnu, ils ne veulent pas s'en faire une idole: c aujourd'hui nous avons quitté Saint-Denys et sa place, nous la lui taillons dans l'histoire d'une littérature qui se faisait ». Voici donc Saint-Denys Garneau, et bientôt, Anne Hébert poussés dans le rayon des classique$ de la littérature du Québec. De nouvelles vagues de poètes ont té: Jean-Guy Pilon, Gaston Miron, Fernand Ouellette, P.M. Lapointe, Jacques Godbout, Paul Chamherland... et d'autres suivront dont on peut attendre beaucoup. "Serge Fauchereau Le Torrent, les Chambres de bols et les Poèmes d'Anne Hébert sont édités au Beuil; dans la collection c Poètes d'aujourd'hui. existent également un Saint-Denys Garneau et un Rina Lasnier d'Eva Kuschner, un Alain Grandbois de Jacques Brault; slgna10ns en1l.n trois anthologies: Ecrivains du Canada, numéro spécial des Lettres Nouvelles (Janv., 1967), Poètes du Québec d'Alain (8eghers, 1968), Ecrivains du Québee (Europe, 11169).


SEGHERS Douveautés 70

L'origine et Israël

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Claude Vigée La lune tE hiver Flammarion, 417 p.

De Claude Vigée, nous connaissions déjà quelques recueils de poèmes (Aurore souterraine, Seghers 1952, le Poème du Retour, Mercure de France 1962, ou Canaan tE Exil, Seghers 1962) et aussi deux ouvrages de forme originale, à la fois récit biographique, méditation sur les choses de la vie, expression poétique des formes du cosmos: c'était l'inoubliable Eté Indien, chant secret de la splendeur, et les Moissons de Canaan. Aujourd'hui, voici un ouvrage hors catégories, dans la lignée des précédents, mais sur un chemin régressif. A partir des Moissons de Canaan, qui disait l'Israël d'aujourd'hui jusqu'à la Guerre des Six Jours, la Lune d'hiver est le premier livre qui commence la remontée régressive du cours du temps: il dit, dans un journal méditatif et poétique, à structure

non-linéaire, le temps intérieur et historique qui va de la guerre de 1939 en Normandie et de l'organisation de. la résistance juive à Toulouse jusqu'à l'émigration en Israël, après le long exil américain de 42 à 62. Après ce livre est annoncé un autre ouvrage remontant plus loin encore vers l'origine, c'est-à-dire l'ènfance en Alsace :.ce sera un Panier de houblon. En première analyse, nous som· mes en présence d'un itinéraire, mais au sens le plus entier du terme. Le mouvement objectif, qui est voyage et déplacement et fuite devant la poursuite homicide des Juifs, est en même temps un mouvement progressif intérieur, métamorphose de la conscience d'un jeune étudiant juif, assuré de la vie, du bonheur de la France, en une autre conscience plus nocturne et plus amère, mêlant désormais d'une indissoluble façon le goût de la splendeur et la saveur de la mort. Cet itinéraire, ce cheminement progressif que le poète nous livre

action pOétique Je numéro: 3,90 P.

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claude adelen gabriel rebourcet mitsou ronat : trois essais de formalisation en linguistique: harris, saumjan, chomsky. paul-louis rossi : minutes de sable. maurice regnaut : notes sur "homme et l'enfant" d'arthur adamOY.

Mai 68 : Poèmes SUIVIS d'un débat - Andreï Jdanov : Discours au premier Congrès des Écrivàins soviétiques (17 août 1934) HENRI DELUT : NOTE A PROPOS DU JDANOVISME P.J. OSWALD, 14· Hoa8eur c.c.P. a - 1211 ev.

IUdlM:teur en chef :

Heari DELUY

La Q!!huabae IJttéraire, du le' au 15 septembn 1970

AnA ADMATOVA

aujourd'hui par une écriture régressive est donc à la fois transformation et révélation d'un sujet, en même temps qu'insertion dans l'histoire et combat contre l'histoire (celle de l'Amérique), Parlons d'abord du «sujet:t, porteur évident de l'acte poétique qui nous est offert ici. Pour Claude Vigée, la signification de l'expression poétique des expériences du «moi:t n'est pas lyrique au sens traditionnel du terme (même si, volontairement, l'écriture est à la fois classique et passionnée) mais métaphysique. Par l'imagination poétique (nombreuses images 801aires et lumineuses, mais aussi images d'eaux et mythes bibliques), par l'écriture poétique explicitement posée comme telle, avec se8 problèmes de création, de commencement et d'expression, l'auteur cherche à dévoiler, à mettre au jour ce qu'il appelle l'être, et qui est 80n expérience la plus profonde du moi en tant qu'il retrouve, pardelà même la 8exualité exaltée, sa substantialité véritable et, surtout, sa propre origine. Cette origine en soi-même est aussi bien l'origine en tous. A propos des «ateliers de poésie de certaines Universités américaines, dont Claude Vigée fait la critique la plus impitoyable (p. 273), lui qui est à la fois poète enseignant (jadis en Amérique et aujourd'hui à l'Université de Jérusalem) et véritable poète créateur, il peut écrire: «C'est ce je ne sais quoi de mystérieux caché au cœur de toute poésie comme f eau vive dans le rocher, que le poète enseignant pourra faire entrevoir li certains de ses étudiants. Suivant f exemple donné par Baudelaire notre maître, le poète enseignant s'efforcera de retrouver et de rendre sensible dans la trame du texte étudié, la pulsion nue, la vibration des rayons primitifs. (p. 272). Dans sa propre expérience· et dans l'expression poétique et de second degré de cette expérience, Claude Vigée voit bien par exemple que, à l'instar de l'acte poétique, l'acte chamel tient lieu de patrie, il est «semblable li f accomplissement du monde mystique, tous deux émettent la lueur de forigine ... se (mêlent) li f origine par le jeu des sens eux-mêmes, en toute jouissance de cause. Connaître celle-ci signifie aussi se fondre sciemment

le poème

sans héros Edition bilingue de Jeanne Rude

COLLECTION" L'ART DE.....

L'ABT D'ICBIBI Textes de tous temps et de tous pays réunis et présentés par

Btiemble et Je&DDiDe Btlemble

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COLLECTION "DIGrIONNAmES SEGHERS"

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CLlrsPOUR LA PSYCRA_ALYSI Catalogue et informations régulières sur simple demande.

US, rue de Vaugirard Paris 8e

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INFORMATIONS

Claude Vigée

Claude Vigée

en soi, comme être humain parfait et défini, couvrant pleinement ses responsabilités limitées ». L'itinéraire de Claude Vigée, qui cite souvent Baudelaire, Rilke et; plus souvent encore, Mozart, est donc celui d'un poète méta· physicien. Mais comment ce che· minement conduit-il vers Israël? C'est à travers deux médiations qu'on peut comprendre ce mouvement: d'abord la persécution antisémite en France et la négativité de l'exil américain, et ensuite la coïncidence du poète avec Israël, conçu comme peuple poè. te, réétabli en son vrai lieu. La première médiation qui est sur· tout l'Amérique comme négatif et comme hiver lunaire et ontologique, permet à Claude Vigée d'écrire ses plus belles pages de chrqnique et de critique histori· que. Certes, la description de l'exode de 40 est assez extraordinaire, et l'histoire de la résistance à Toulouse (où Claude Vi-

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gée fait la connaissance de Jean Cassou), le récit de la formation de l'Armée Juive aux côtés de l'écrivain juif russe David Knout, sont des témoignages irremplaçables. Paradoxalement, le 1 e c t e u r français contemporain sera peutêtre plus sensible à la critique de l'Amérique morne, capitaliste et technocrate. Voici comment le poète exprime ce que les sociologues diront plus tard avec des chiffres et des diagrammes: «Monde où rien n'arrive, où rien ne s'engendre ni ne s'enchaîne pour devenir davantage soi-même, où tout avance survit et où cela même qui n'est pas encore enfanté s'enlise dans son marasme à venir. (p. 145, dans le chapitre qui a donné son titre à l'ouvrage.) La vision du désert métaphysique et historique de l'Amérique des années 50 symbolisé par les paysages lunaires et hivernaux n'empêche pas mais renforce au contraire

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la critique de la société de rendement, dans une sorte de prémonition perspicace: « S'adapter, s'ajuster, veut dire en vérité: s'aplatir dans le dénuement d'être.» Il faudrait rappeler les rencontres de Claude Vigée et de Marcuse, à l'Université Brandeis, lorsque le poète écrit: «Ma défi. nition actuelle de r homme heureux : il peut déterminer remploi de sa journée» (p. 175) ou lorsqu'il dénonce l'hypocrisie sinistre et le dénuement intérieur de la «Great Affluent Society», cette devise des restaurants à self·service automatique où «les pauvresses à l'œil vide restent assises jusqu'à minuit» (p. 209). C'est dàns ces pages· qu'on saisit le mieux les qualités de portraitiste et de critique social. Finalement, l'Amérique d'exil chasse encore, par l'intérieur, le poète vers la seconde et ultime médiation de son destin: Israël. C'est qu'en Israël se trouve le peuple-poète, le peuple conscient d'être ancré sur la plus ancienne origine, soucieux, comme le poète, de la synthèse entre l'être substantiel et l'originaire. Certes, un regard plus réflexif préférerait que la littérature israélienne de langue française (dont Claude Vigée est proprement le créateur) continue de forger son langage original sans qu'elle ait besoin de puiser son matériel verbal dans les mythes bibliques. Israël a atteint son indépendance et sa maturité, et il doit pouvoir être capable de déployer une culture nationale qui intègre l'histoire et l'origine mais dans un langage non forcément biblique. C'est en réalité à l'invention de ce nouveau langage israélien que travaille Claude Vigée, lorsqu'il ne se réfère pas aux contenus traditionnels de la culture juive. C'est que le poète, s'il est responsable d'une culture et d'un peuple, ne peut pas éviter, tout en restant poète, de faire la criti· que de l'imagination de l'origine et du commencement. La conscience totale et vraie de l'origine ne consiste pas seulement dans un retour imagé sur le passé; elle implique en outre l'adhésion à soi dans la présence du bel aujourd'hui, sans nostalgie ni amertume. Il y a là une conversion à réaliser. Robert Misrahi

Lénine philosophe Aux éditions Spartacus parait ces jours-ci, sous le titre de Lénine philosophe, une des œuvres les plus significatives du socialiste hollandais Anton Pannekoek. Redécouvert aujourd'hui par les gauchistes, Anton Pannekoek (1873-1960) fut avant tout le théoricien des conseils ouvriers. A ce sujet; signalons que les éditions Grasset présentent pour octobre la réédItion d'un autre ouvrage de l'auteur: les Conseils ouvriers.

Au Livre de Poche Philippe Sollers entre au Livre de Poche, qui publie son premier roman: Une Curieuse solitude. Au Livre de Poche parait également un roman d'Alexandre Soljenitsyne: le Pavillon des cancéreux (voir le n° 58 de la Quinzaine), tandis que la Bibliothèque 10/18 reprend le premier livre du romancier russe Une Journée d'Ivan Denissovitch.

Osaka Hermann publie ce mois-ci un album consacré à l'exposition universelle qui se tient jusqu'au 13 septembre 1970 au Japon. Sous le titre d'Osaka. l'ouvrage groupe 500 photographies dues à Bruno Suter et Peter Knapp. accompagnées de légendes trilingues (japonais, anglais, français), et nous présente les aspects les plus significatifs de cette gigantesque féria du monde d'aujourd'hui.

Chez Laffont On attend beaucoup, aux éditions Robert Laffont, de deux premiers romans, l'un intitulé Voronej et dont l'auteur, Nella Bielski (Mme Michel Cournot), est un jeune femme russe habitant la France mais très profondément marquée par sa formation soviétique et par son appartenance à un pays où vivent ses parents et où elle retourne souvent, l'autre, Au Pays des Asphodèles, est l'œuvre d'un jeune Algérien, Ali Boumahdi, qui nous fait découvrir, par les yeux d'un petit garçon, les symptômes du futur drame algérien, puis l'épreuve de la guerre et enfin la naissance d'une nouvelle nation. Chez le même éditeur, on prépare pour la rentrée une nouvelle collection de jeunes littératures qui accueillera aussi bien le roman, la poésie ou l'essai littéraire. Sous la direction de Michel-Claude Jalard, cette collection qui aura pour titre • L'Ecart -, se propose, • à travers les appels conjugués de la réflexion et de l'inconscient-, de déterminer le champ d'un nouveau lyrisme. Quatre premiers titres, quatre romans sont annoncés pour septembre: la Deuxième personne, par Jean Bouvier-Cavoret; Assise devant un décor de tempête. par Didier Pemerle; la Femme éparpillée, par Laudryc: l'I\e mouvante, par Alain Gauzelin,


ARTS

A Lyon •• Jawlensky

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Alexej Jawlensky Lyon, Musée des Beaux-Arts Jusqu'au 15 septembre.

On passe à Lyon, on ne s'y arrête pas et on a tort: le Musée des Beaux-Arts vaut bien une visite, de même que les expositions qu'on y présente depuis quelques années à l'occasion du Festival Expositions sérieuses qui veulent informer avant tout et qui permettent en l'occurrence aux Lyonnais de connaître, voire d'étudier l'expressionnisme à travers ses plus fortes personnalités: Nolde l'an dernier, cette année Jawlensky et, parmi les projets, KIrchner et le sculpteur Barlach. Quatre-vingt toiles d'Alexej Jawlensky se trouvent donc réunies pour la première fois en France, qui retracent l'itinéraire très personnel de cet aristocrate russe, lointain cousin de la comtesse de Ségur, venu tardivement à la peinture. Ce n'est qu'à vingt-cinq ans, en effet, que, jeune lieutenant dans la Garde Impériale, il fréquente les cours de l'Académie des BeauxArts à Saint Pétersbourg. Sept ans plus tard, il quitte armée, famille, pays, pour rejoindre Munich où il rencontre Kandinsky qui devient l'ami, le frère. Ils y animent ensemble une turbulente avant-garde, mais leur œuvre respective. n'en suivra pas moins des chemins différents et s'il y a parfois rencontre comme dans les paysages qu'ils peignent à Murnau en 1909, c'est qu'alors ils mènent de pair leur recherche. De même faut-il se garder de voir dans l'œuvre de Jawlensky une trop grande influence de Matisse rencontré lors d'un premier séjour en France en 1905. C'est assurément une rencontre importante qui lui fait découvrir la puissance esthétique de la couleur, mais en cette même année, les peintres de la Brücke en procla· ment de leur côté la puissance expressive. Aussi ne peut-on s'étonner de ces .lignes écrites à cette époque, qui sont une sorte de manifeste personnel et à ce titre judicieusemènt placé

Solitude. 1912

en exergue au catalogue de l ' exp 0 s i t ion lyonnaise: « ... Rendre des idées qui sont présentes sans exister, les révéler aux autres en leur faisant traverser ma compréhension sympathique, en leur donnant du relief par ma passion, voilà le but de ma vie d'artiste. Les pommes, les arbres, les visages humains ne sont pour moi qu'une invitation à voir autre chose en eux: la vie de la éou· leur, conçue par un homme passionné, par un amoureux ..... On reconnaît là le souci de Matisse de transmettre l'émotion, mais il s'y ajoute une note individualiste qui conduit Jawlensky à trouver en lui-même les images d'une autre réalité. Comme le peintre de Prévert dans

L. Q!!inz.ine Uttir.ire, du l or au 15 septembre 1970

Ouai des brumes, il « peint les choses qui sont derrière les choses -. Images d'un visionnaire, en dehors de tout fantastique dont la couleur est le médium et la démarche profonde une quête de l'invisible qui aboutit au mysticisme. Expressionnisme du dedans qui mobilise plus la sensibilité que l'agressivité, qui tempère la stridence des couleurs pour dévoiler le lyrisme d'un paysage à travers l'orange, le vert et le violet (Paysage de Murnau, n° 8) ou, dans une gamme sourde de bleu et aubergine, le retrait d'un visage endormi dans le désordre de la chevelure (la Dormeuse, n° 12). Admirables paysages dont on sent la paix, la sérénité non pas acquises mais à conquérir; admirables portraits qu'exalte l'outrance

des fards et qui, peu à peu, deviendront le visage, pour se résoudre enfin en l'image mystique de l 'homme créé à la ressemblance de Dieu. Jawlensky s'est expliqué de cette évolution: « Ouelque chose en moi ne me permettait plus de peindre des tableaux colorés, sensuels et imposants. Je compris que mon âme avait changé, je compris que toutes les souffrances endurées avaient fait de moi un autre homme et qu'il fallait trouver d'autres for· mes, d'autres couleurs pour exprimer ce que je ressentais. » C'est en Suisse où il se réfugie en 1914, lorsque la guerre écla\te, que le changement s'amorce: la couleur ne précise plus les formes mais les sugg"ère dans cette série de paysages

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Jawlensky

te .. variations" qui s'étale sur six années et dont les titres se veulent seulement ail u s ifs (Froide nuit lunaire « avec lune., n° 26; Ardeur automnale, n° 31 ; Quand l'alouette chante, n° 33). On est alors au bord de l'abstraction, mais le thème du visage en préserve Jawlensky qui, parallèlement aux paysages, en commence une nouvelle et définitive approche la série des .. Têtes mystiques JI. La couleur pâlit, s'efface presque au profit du jeu coloré des lignes architecturales (Lumière Sérénissime des Saints, n° 37) mais elle revient d'une lumineuse légèreté animer en plans d'une rigueur géométrique les prodigieuses .. Têtes abstraites" à partir de 1925 (Tintement automnal, n° 51 ; Lumière Il, n° 52). A la charnière de ces deux séries, il y a l'étonnant portrait que conserve le Musée de Lyon (Méduse, n° 45), visage vert aux paupières somptueusement fardées de rouge, de jaune, de violet, d'une classique sérénité. En 1919, Jawlensky est retourné en Allemagne; dix ans après, il ressent les premières attaques de la paralysie qui l'immobilisera complètement en 1938. Entre-temps, son œuvre sera condamné par le nationalsocialisme. En cette ultime période, son évolution religieuse se fait de plus en plus profonde et le visage devient source de méditation. Les traits ne sont plus indiqués que par la ligne verticale du nez et les transversales des yeux et de la bouche; dans cette croix ainsi dessinée d'un lourd trait noir, c'est le visage du Christ qui apparaît sur un fond d'une sourde coloration de vitrail, image d'une réalité autre qui ne s'aborde que par la contemplation. Jawlensky est mort en 1941 ; il avait soixante-dix-sept ans. Marcel Billot N. B.: S'il y a lieu de se réjouir que la Ville de Lyon présente une exposition d'une aussi belle qualité, on ne peut que déplorer qu'elle autorise la destruction d'une des deux maisons des frères Lumière, celle dont le jardin fut le lieu de tournage de "Arroseur arrosé. Il y avait là la possibilité d'abriter par exemple un centre international de documentation cinématographique qui eût constitué un hommage plus digne des Lumière que l'impardonnable monument élevé à leur mémoire.

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De Reims à Ancy-Je-Franc .. L'art descend dans la rue! JI, écrit, dans l'introduction du catalogue, Monique Faux, commissaire général de l'exposition la Sculpture dans la cité. C'est vrai. Mais il descend sur la pointe des pieds, prêt à regagner son domicile habituel - l'atelier de l'artiste, le musée ou la galerie - , si aucun miracle ne se produit pour permettre aux palettes mobiles de Calder, en équilibre sur une pyramide d'acier, de continuer à tourner sous la brise champenoise, ou

tion de l'architecture, des jardins et de la sculpture, ait trouvé, même temporairement, une réalisation qui permette, sinon de la considérer comme exemplaire, du moins d'y voir, mieux que sur des maquettes, toutes les données d'un problème complexe. Le fait même qu'il existe ici un certain décalage entre les conceptions de l'architecte, encore très éloignées de ce que de'Vrait être une habitation d'aujourd'hui, même .. à loyer modéré JI, et celle des organisa-

1 A Reims: sculptures d'Etienne Martin

à la sculpture flottante de Martateurs de l'exposition (parmi lesPan de poursuivre ses lents dé- quels Maurice Allemand et René placements balancés, sur l'eau Drouin), dont le choix s'est pord'un bassin. Car, à Reims, ce té sur une trentaine des meilbeau jaillissement d'œuvres leurs sculpteurs et des plus auplus ou moins monumentales ne dacieux de notre époque, ce fait durera qu'un seul été - jusqu'à met en lumière la nécessité fonla fin septembre - et les dix damentale de tenir compte, en mille habitants de ce quartier France, du retard de plusieurs entièrement nouveau, construit décennies que l'architecture a à l'est de la ville, sur cinquante toujours eu par rapport aux arts hectares, retrouveront les espa- plastiques. Aussi le vrai proces vides, olantés d'arbres en- blème actuel n'est pas d'adapter core chétifs, ou destinés à un l'œuvre des sculpteurs .. aux futur .. engazonnement ", entre préoccupations de l'urbanisme e les îlots de leurs demeures. du siècle ", mais de faire Mais, il est déjà important en sorte que ces préoccupations que l'idée d'une étroite associa- soient accordées à celles de la

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sculpture de notre temps. Ce qui apparaît clairement à Reims comme une réussite, c'est la parfaite appropriation des sculptures à leur situation en plein air, en plein vent, c'est la diversité de leurs conceptions dans la diversité des espaces, allées, terrasses, perspectives largement ouvertes ou se refermant sur le promeneur. L'œil, partout, se plaît à se poser comme pour un instant de réflexion sur ces œuvres à l'esthétique ramassée, fruits d'un esprit de synthèse, de Cardenas, Gilioli, Ipousteguy, ou à interroger ces figures et ces signes, parfois ces .. gestes" qui se situent entre signes et figures, de Couturier, Dubuffet, Penalba, Stahly, ou encore à se laisser prendre aux jeux et aux rythmes si bien étudiés par Van Thienen pour un mobile tout linéaire, et par Hiquily pour une fontaine où l'eau est à la fois manœuvrée et manœuvrante. A Ancy-le-Franc - pour une même durée, de juillet à septembre, et avec un choix d'artistes où nous trouvons quelquesuns des mêmes sculpteurs et, en plus, des peintres - l'expérience est différente. A l'inverse de celle de la nouvelle cité rémoise, c'est dans les vieilles pierres des dépendances du château d'Ancy, c'est-à-dire dans un décor du XVII" siècle, au milieu d'un de ces harmonieux paysages de l'Yonne, que le jeune organisateur de l'exposition Chemins de la création, Louis Deledicq, a réussi, avec une obstination intelligente et désintéressée, à rassembler des œuvres de Matta, Arp, Seuphor, Tapiès, Yves Leveque, Hultberg, Cremonini, Penalba, Dodeigne, César, Hiquily, Lardera, Marfaing, Luc Peire, Stassart-Springer, etc. Groupe aux recherches divergentes mais qu'un même courant inventif semble traverser. Vues dans un cadre inhabituel, rustique plutôt que majestueux, les œuvres prennent soudain une résonance nouvelle, une importance nouvelle et une signification qui, pour se manifester, avait sans doute besoin d'un autre air que celui de Paris. C'est en tout cas une excellente exposition. Jean Selz


ENTRETIEN

Iris Clert sur les routes Elle a régné sur la plus petite galerie de Paris, exposé du vide et des poubelles, accroché un tableau géant sur la tour Eiffel, inventé une Biennale flottante. Elle porte ses longs cheveux sombres comme un étendard, ses ongles aux couleurs d'arcen-ciel comme une palette, sa vêture provoquante comme un environnement. Mais le goût de la publicité et les fantaisies daliniennes de la • personnalité bien parisienne», chérie des échotiers et des photographes, dissimule l'énergie, la générosité et la voyance de la découvreuse qui, depuis quinze ans, joue un rôle de premier plan dans la vie artistique contemporaine. Iris Clert vient d'être nommée chevalier de l'ordre des arts et lettres et d'acquérir un ca· mion géant. Ce double événement méritait bien une visite.

1. C. Ce. poids lourd culturel D, selon l'expression de Gérard Sire, offre une galerie de 6 mètres de long sur 2,50 mètres de large. Je l'ai équipé de spots (en bivoltage), de stores filtrasol, j'ai fait vitrifier le plancher en chêne. F. C. Votre camion inaugure une forme nouvelle d'architecture, mobile, légère, susceptible de s'intégrer dans des configurations sans cesse changeantes par le nombre et la disposition de leurs éléments. Saviez-vous que vous étiez aussi à l'avant-garde de l'architecture et de l'urbanisme?

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1. C. Non, Je ne l'ai pas fait exprès : des idées comme cellelà me viennent parce que Je suis

F. C. Ce fameux camion, que représente-t-il pour vous aujourd'hui? 1. C. L'aventure. La poursuite d'une aventure toujours ouverte et imprévisible depuis qu'en 1956 J'ai exposé pour la première fois Yves Klein, rue des Beaux-Arts. Personne alors ne croyait aux monochromes. Mais les foules venaient, par curiosité. Rappelez-vous les queues qui attendaient dans la rue pour l'exposition du vide. Mais l'aventure ce furent aussi les « machines à peindre» de Tinguely en 1958, les cc poubelles» d'Arman en 1960. L'aventure s'est appelée pour moi Takis, Baj, Fontana, Kriche, Pol Bury et même Soto que j'ai exposé en 1957. F. C. Aujourd'hui Klein, Tinguely et Arman, pour ne citer que les trois premiers, comptent parmi les artistes les plus appréciés sur le marché international. Est-ce que cette nécessité financière a exercé une répercussion sur votre activité? 1. C. Tout ce que je touche se transforme en or. Mais ces peintres ont quitté ma galerie. Moi, je ne suis ni une capitaliste, ni une spéculatrice. La seule chose qui m'importe, c'est de continuer de deviner l'avenir.

F. C. Que pensez-vous du public de province en matière d'avant-garde? Y comptez-vous des collectionneurs?

F. C. Que pensez-vous des derniers avatars de l'art actuel, le minimal, l'art conceptuel, les environnements?

F. C. Revenons - en au camion. Comment avez-vous eu l'idée de cette acquisition?

1. C. Chacune de mes expositions a été un environnement. Simplement, je n'avais pas trouvé le mot. A-t-on jamais vécu plus bel environnement que le vide de Klein? Si radical, si pur. L'art conceptuel vient aussi de lui qui vendait « une part de sensibilité picturale immatérielle D. La différence c'est qu'aujourd'hui la plupart de ces recherches sont inspirées par le snobisme de la spéculation.

1. C. Je mourais d'envie d'avoir des vitrines mobiles, roulantes, et de faire vraiment descendre l'art dans la rue. Et tout d'un coup, l'idée m'est venue, un matin, au réveil. diatement j'ai téléphoné chez Berliet et j'ai dit: « Je veux un camion transparent pour transporter mes expositions. Pouvezvous le construire et à quel prix?» On m'a répondu: « Le camion existe. C'est un prototype unique qui nous a servi à montrer des groupes électrogènes à travers la France. Nous vous le soldons! D C'était un strader que j'ai aussitôt baptisé Stradart.

F. C. Quels sont vos artistes' actuels? 1. C. Toujours Stevenson, bien sûr. Et puis je crois que Misrahi dont j'ai montré cette année la Chambre pour l'espace ira très loin dans la voie des environnements.

La Q!!inzaiDe Littéraire. du 1" au' 15 septembre 1970

F. C. Comment cet engin se présente-toi! ?

1. C. Les provinciaux sont beaucoup moins superficiels que les Parisiens. Ils ont le temps de réfléchir, d'apprécier. Ils ont plus de loisirs. Mais ils sont mal informés. Rien ne remplace le contact direct: même si mon unique client de province m'achète des œuvres par correspondance, sur photographies. C'est un médecin du Tarn, je ne l'ai jamais vu, j'irai lui rendre visite avec Stradart. F. C. Ne craignez-vous pas d'effaroucher ce public nouveau? 1. C. Aucunement, car il est plus pur et moins blasé que l'autre. D'ailleurs, avant de prendre une détermination, Je suis allée consulter le directeur d'une des plus célèbres galeries de Paris, un homme qui a cinquante ans d'expérience. Il m'a dit: « Renoncez à cette folie. L'art n'est destiné qu'à une éli· te. D J'ai immédiatement décidé de tenter l'aventure. Propos recueillis par Françoise Choay

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ETHNOLOGIE

La poursuite du Sacré

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Roger Bastide Le Prochain et le Lointain Editions Cujas, 302 p.

Le titre de l'ouvrage est évidemment une réminiscence du Zarathoustra: «Est-ce que je vous conseille l'amour du prochain ? Plutôt encore, je vous conseillerais la fuite du prochain et l'amour du lointain... » Il pourrait en effet porter en sous-titre: Essais sur les rencontres interculturelles. Essais : car la vingtaine de fragments rassemblés ici représentent plutôt une maïeutique qu'une systématique. Rencontres: car il s'agit d'une typologie de celles-ci. lnterculturelles: car l'interculturation est l'accolade qui couvre les modes très divers envisagés ici et qui vont de la déculturation à la transculturation en passant par les variables de l'acculturation et de la contre - acculturation. La somptueuse érudition de Bastide a été collectée lors de ses longs séjours en Amérique latine ou en Afrique noire et elle a été démontrée par ses études antérieures sur les religions africaines du Brésil, le Candomblé de Bahia, les Amériques noires, etc. Ici comme précédemment, elle est

une figure du Candomblé

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servie par sa familiarité interdisciplinaire avec plusieurs «logies» (anthropologie, psychologie, sociologie) . Trois parties: dans la première: la rencontre des hommes (p. 15-134), le lointain serait défini comme ce dont sépare une barrière de préjugés: de race, de couleur, de close, de sexe, de culture et, brochant sur le tout : de reÜgion. Leurs contenus peuvent varier: aux Etats.Unis, «tous ceux qui ont une goutte de· sang noir dans les veines sont considérés comme des Noirs; au Brésil, une goutte de sang blanc suffit à classer findividu dans le groupe des Blancs» (p. 17-18). Il peut y avoir conjugaison, compensation: «Un Noir riche est un Blanc et un Blanc pauvre est un nègre... » Les rencontres sont affectées ou hypothéquées par des dimensions ethniques, économiques, sexuelles, religieuses... et entre ces dimensions les combinaisons sont multiples selon par exemple les rites de confession dominante : «Il faut bien constater que les pays à majorité protestante com' me f Afrique du Sud ou comme les Etats-Unis tendent à la ségrégation, tandis que les pays catholiques comme les pays de coloni-

sation portugaise et espagnole et à moindre degré française tendent à la miscégénation.» (p. 43). Encore faut-il stipuler que cette dernière n'est pas sans pouvoir drainer subrepticement et cruellement des affrontements. Qu'elles opèrent dans le cadre paternaliste ou dans le cadre concurrentiel (p. 101), les relations raciales semblent présenter un défi, mystifié dans le premier cadre, explosif dans le second. Et ce défi, les religions de la fraternité n'ont guère été en mesure de le relever: «Malgré les différences de situations, certains éléments communs nous permettent de parler :.- s'il n'y a pas de racisme chrétien - d'un racisme calviniste comme d'un racisme anglican ou d'un racisme catholique... » (p. 122). «Le milieu a été plus fort que la doctrine» (p. 108) ... «La situation est plus forte que la religion.» (p. 107). La thèse de Roger Bastide est que ces piteux résultats 80nt à porter au passif d'un ethnocentrisme occidental... Et «la lutte contre le racisme doit forcément passer par la lutte contre f ethnocentrisme qui en est le dernier succédané» (p. 10) ... Et cette lutte «. doit donc s'achever par la lutte

contre cet autre racisme sournois, celui de la croyance en la supériorité de la civilisation rationaliste (et non plus organique), tech· nicienne (et non plus cosmique) sur les autres cultures. Alors, et alors seulement, nous pourrons assister à un nouveau miracle de la multiplication des pains, pour nourrir f humanité, affamée de nouveLles nourritures et de nour· ritures spirituelles» (p. 71). C'est pourquoi la deuxième partie (Rencontre des civilisations (p. 137-241) propose sur études de cas un approfondissement des mécanismes de «l'interfécondation culturelle» .sous le signe d'une anthropologie culturelle référée à Tarde (<< je considère Tarde comme le véritable fondateur de fanthropologie culturelle... f anthropologie culturelle n'a fait que repenser Tarde à travers fimmense documentation fournie par fethnographie ») (p. 201.202). Six types d'acculturation y sont traités : formelle, juridique, folklorique, culinaire, littéraire, religieuse, et dessinent ainsi les chassés· croisés des cultures et des 80ciétés: tantôt une culture passant d'une société à une autre, et tantôt une société passant d'une culture à une autre; les exportations de dieux par des missionnaires ayant pour réciproque dans la balance culturelle les importations et les nomadismes des dieux dans les coulisses des exodes forcés et des transferts de populations. Déculturation et accuJturations pren alors l'allure d'ablations ou de greffes pratiquées à l'aveugle par une chirurgie socio-culturelle qui oscille ou vacille entre une chirurgie de barbier et une chirurgie esthétique, une chirurgie 80US anesthésie, une chirurgie sans anesthésie, y compris les opérations qui se soldent par le principe de coupure entre une culture célébrée dans une mémoire collective et une société encore sous le joug des contraintes... Les syncrétismes au contraire relèveraient plutôt d'un principe de soudure. Et c'est sous 80n signe que le troisième chapitre (III. L'orage mystique, p. 245-295) propose les phénomènes de messianismes millénllires, dans une problématique comparée avec celle des Mythes et de l'Utopie. En ces phénomènes en effet, fonctiennent à un niveau incandes-


HISTOIRE

Révolutions cent les mécanismes de réinterprétation réciproque, une double rupture s'y conjuguant avec une double soùdure. Double rupture : «rupture avec la société européenne... rupture aussi et plus en· core avec la société traditionnelle» (p. 275-279). Double sou· dure: d'une part par réinterpréta· tion de la rétrospective, c'est la société, telle qu'elle était dans le passé sous sa forme tribale, qui est projetée dans l'avenir, un réel mort devenant mythe; d'autre part, réinterprétation de la prospective: de messianisme peut être considéré comme une tentative de filtrer les valeurs apportées par les Européens à travers les mythologies locales (p. 286) ... Au total, ce que les acculturations opéraient en cycle lent et en périodes urganiques, les messianismes lopéreraient en cycles brusques et en périodes critiques, «une crise peut-être, mais une crise de croissance» (p. Il). La grâce d'un tel ouvrage est à peine ridée par l'optimisme impénitent de sa générosité œcuménique, «toutes les civilisations ont un message à apporter au monde» (p. 22). Cette grâce, en particulier, est sans doute de poser à la science des problèmes de nescience à travers des problèmes de conscience. «Le savant doit rechercher la vérité ; pour ce faire, il doit se dégager de son ethnocentrisme, sortir du monde de ses valeurs. » (p. Il). Et la glose ajoutée par la préface au dossier des messianismes vaut comme invitation rituelle à une lecture cathartique de l'ouvrage: « J'aimerais que ceux qui me lisent se posent, une fois le livre refermé, la question de savoir si ce messianisme ne doit pas être repensé par eux, intériorisé en quelque sorte, revécu - dans tout son pathétique - à la fois comme une condamnation, et comme un message de vie, comme une condamnation, dans la mesure où c'est notre méconnaissance des réalités cult;urelles, qui nous a poussé, dans notre orgueil, à prêcher aux autres limitation pure et simple de notre civilisation un message de vie dans la mesure où nous aurons le courage de nous rendre compte que la poursuite du Sacré est une aventure qui nous concerne nous aussi.

H. Desroche La Q!!iJUaine

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E. J. Robsbawm L'ère des révolutions. 1789-1848 Fayard, 433 p.

L'intérêt du livre d'Eric Robsbawm est d'avoir su associer deux ordres de phénomènes que la tradition historique étudiait isolément: les caractères et les effets de la Révolution française, les données et les conséquences de la rév.olution industrielle. De fait, lorsqu'on fait l'inven· taire des mots que l'anglais et le français ont inventé pendant le demi-siècle considéré, ou encore l'inventaire des vocables qui n'ont plus changé de signification, on s'aperçoit que le demi·siècle considéré, de 1780 à 1848, est bien à la racine de tous les grands traits de notre civilisation actuelle. Ce sont des termes tels que industrie et usine, bourgeoisie, classe ouvrière et capitalisme, socialisme, aristocratie, chemin de fer, libéral et conservateur au sens politique de ces termes, nationalisé, savant et ingénieur, prolétariat, utilitaire, crise et statistique, journalisme et idéologie, paupérisme, grève et sociologie. Imaginer le monde sans ces mots, c'est mesurer la profondeur de la double révolution qui éclata en France, en Grande-Bretagne et dans les pays voisins, puis qui se propagea dans le reste du mondè. Elle marqua le triomphe d'un certain type de liberté, la liberté bourgeoise ; d'une certaine forme de l'industrie, sa version capitaliste. Elle aboutit bientôt à la conquête de la planète par deux ou trois puissances qui, à l'aide de canons, de machines à vapeur et de quelques idées, allait se perpétuer jusqu'au milieu du XX" siècle. Il est vrai que déjà l'Empire turc secrétait les idées et les techniques qui allaient permettre d'affronter triomphalement la société des bourgeois conquérants, tandis qu'en Europe même le spectre du communisme apparaissait en même temps que l'idéologie révolutionnaire des socialistes en réaction contre les «libertés» bourgeoises et le profit capitaliste. Ainsi est-ce bien l'histoire des origines de notre temps qu'Eric Hobsbawm a n a 1 y s e, sachant s'abstenir de céder à la tentation du récit continu mais montrant comment une. civilisation est pas·

du 1er au 15 seplembn 1970

1848. Drapeau toyennes.

du

corps

des

ci·

sée de l'âge de Rousseau à celui de Balzac. Nul doute, à lire Eric Robsbawm, que la volonté de briser le vieux carcan des ordres et des classes ait été la motivation essentielle du mouvement des Lumières. Il est caractéristique, à cet égard, que les deux héros de cette longue période qui s'étend jusqu'en 1848 aienl été Franklin et Bonaparte. Le premier, typographe et journaliste, inventeur et entrepreneur, homme d'Etat et homme d'affaires, symbole du citoyen de l'avenir, homme d'action, intellectuel et surtout seHmade man. En Angleterre puis en France, les hommes de ce type existent bientôt en abondance et forment ces sociétés provinciales d'où jaillit le progrès, qu'il soit scientifique, industriel ou politi. que. Tous se pressent dans les Loges de la Franc-Maçonnerie où les distinctions de classe ne comptent pas et où l'idéologie des Lumières est propagée avec désintéressement. Les Princes finissent eux-mêmes par l'adopter «comme de nos jours les gouvernements adoptent ceux de la planification. Et tout comme aujourd'hui, certains de ceux qui les adoptent en théorie ne firent guère pour les mettre en pratique, ou, s'ils firent quelque chose, ce fut moins par intérêt pour la société que pour les avantages pratiques que pouvaient réserver des méthodes phu modernes, en termes de multiplication des rel1enus, de richesse et de pouvoir:t.

Trente ans plus tard, le grand homme s'appelle Napoléon. Il n'a pas commencé son ascension en qualité de roi ou de praticien, comme Alexandre et César: c'est son talent personnel qui a fait du « petit caporal» l'égal puis le maître des Rois. Sa leçon était qu'un homme du peuple pouvait deve· nir plus grand qu'un homme qui naissait avec une couronne sur la tête. Napoléon légitimait l'ambi· tion, lui donnait un nom propre, et tout homme d'affaires pouvait espérer devenir un Napoléon de la finance ou bien de l'industrie. Même s'il avait gouverné en tyran, Napoléon symbolisait désormais ce changement essentiel dans l'his· toire de la société. Il était devenu le personnage «avec lequel tout homme qui brise avec la tradition pouvait s'identifier en rêve ». Cer· tes, à cette date, il ne pouvait s'agir que de bourgeois, et il est significatü que chaque fois que Napoléon eut à mener une lutte en forme de guérilla, identifiée aujourd'hui à la guerre révolu· tionnaire, ce fut contre des popu· lations, en Bretagne, au Tyrol ou encore en Sicile, qui s'opposaient aux conquêtes de la bourgeoisie et étaient ainsi qualifiées de réac· tionnaires. En transportant la Révolution d'un bout à l'autre du continent, Napoléon démontrait que celle-ci. n'était pas un événement c uni, que », comme le voulaient de Bo-. nald et la tradition conservatrice, mais un événement «universel:t. Le brigand-patriote grec Kolokotronès a exprimé ce sentiment: «La Révolution fraru;aise et lés exploits de Napoléon ont ouver' les yeux au monde. Jusque-là les nations ne savaient rien, pas même qu'elles existaient, et les ples pensaient que les Rois étaient des Dieux sur terre et que, quoi qu'ils fissent, il fallait dire que tout était bien fait. A vec ces gements d'aujourd'hui, il sera pllts difficile de gouverner les peuples. » Que, cent cinquante ans plus tard, on pense à la leçon des révolutions réussies du ne siècle, qu'aux rois se substituent les dirigeants et à la naissance le pouvoir, la. propriété ou le savoir, et on imagine aisément que la pres-· se, la radio, la télévision aidant, le jugement de Kolokotronès a aussi le sens d'une prophétie.

Marc Ferro

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Cuba et }'avenir René Dumont Cuba est-il socialiste? Coll. «Politique» Le Seuil, éd., 250 p.

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K'S' Karol Les Guérilleros au pouvoir Coll. «L'Histoire que nous vivons» Robert Laffont éd., 606 p.•

José Yglesias Dans le poing de la Révolution Coll. «Dossiers des Lettres Nouvelles » Denoël éd., 322 p.

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Le 26 juillet 1970, Cuba a fêté, dans l'allégresse, l'achè· vement de la plus vaste campagne qui ait mobilisé l'Ile: celle de la zafra des dix millions de tonnes de sucre. Le déclenchement de cette gigantesque «croisade -, qualifiée de «vitale - pour l'économie cubaine (en fait, huit millions de tonnes ont été produits, alors que l'Ile ne produit normalement que quatre à cinq millions), a coïncidé avec un revirement, non moins spectaculaire, de la politique étrangère castriste.

Déjà, depuis quelques années, certains symptômes n'avaient pas manqué d'inquiéter: le discours de Fidel approuvant l'occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du «Pacte de Varsovie », son absence de réaction et son silence prolongé après les manifestations contestataires de mai 1968 en France, ainsi que la disparition progressive, dans la presse cubaine, de toute référence à la guérilla latino-américaine. De là à supposer que les Cubains pouvaient préparer un «retour» à ·Canossa, et à faire les «premiers pas» dans la voie d'un ralliement inconditionnel à Moscou aurait de quoi surprendre. Quelles seraient les raisons d'une aussi grave décision? Seraient-elles commandées par l'évolution de la situation intérieure, sont-elles d'ordre idéologique? Trois livres récents tentent, aujourd'hui, de «faire le point» et de répondre à ces questions. Les Guérilleros au pouvoir, de K.S. Karol, et Cuba est-il socialiste? de René Dumont dressent le bilan des onze années de la gestion castriste, nous faisant revi·

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vre, année par année, étape par étape, la lente et douloureuse accession de Cuba au socialisme. Le livre de José Y glesias, Dans le poing de la Révolution, reflète également les certitudes et les préoccupations de la révolution cubaine, mais telles qu'elles se répercutent à la base, en un point précis et localisé de l'Ile. L'ouvrage de Karol, qui aborde l'étude de Cuba au moment où Castro est déjà au pouvoir, intègre hahilement les données économiques dans un vaste panorama dont l'horizon est d'abord politique. Une excellente chronologie de l'histoire de Cuba, entreprise à partir de l'année de son indépendance (1868), complète oppor· tunément cet «itinéraire politique de la révolution cubaine », en éclairant notamment la différence fondamentale qui sépare l'indépendance de la décolonisation. Le propos de Karol (dont la profonde sympathie à l'égard de «l'expérience cubaine» est constamment sensible au fil des pages) est davantage de faire parler l'événe· ment que de le discuter, et (prenant le lecteur à témoin ou le laissant libre de con c 1 ure), d'expliquer l'enchaînement des faits et non de le critiquer, même lorsque le résultat ne lui plaît visiblement pas. La démarche de René Dumont qui, rappelons-le, a déjà consacré une étude pénétrante à la révolution cuhaine (1), est différente. C'est celle d'un spécialiste de l'économie rurale, déçu de voir ignorés ou délaissés ses conseils les plus pertinents et les plus dé· sintéressés. D'où le ton plus résolument critique de son œuvre qui s'arrête presque constamment à l'aspect économique de la décolonisation cubaine. Les quatre périodes qu'il va analyser et qu'il nomme: la rebellion romantique, la socialisation bureaucratisée, annonce du communisme égalitaire..., en attendant: les dures réalités d'une société militaire, prendront, sous sa plume inflexi· ble, une couleur légèrement péjorative. Et son analyse sera d'ailleurs ponctuée, en permanence, de jugements, souvent justes, parfois péremptoires. J osé Y glesias a plus modestement pris le parti de raconter la quotidienneté de Mayari, petite ville de la province d'Oriente, telle qu'il l'a vécue durant trois

r

mois, transcrivant fidèlement conversations, propos et confidences des habitants (partisans ou adversaires du régime).

En dents de scie A travers ces trois livres, si diversement motivés, sinon orientés, se dégagent trois visages diffé· rents de Cuba. Néanmoins, rien ne peut empêcher que jouent de l'un à l'autre, ou entre les trois, certains recoupements précieux. C'est donc à de tels carrefours ou à de tels points de convergence qu'il convient de saisir la réalité, pour la fixer un instant. Il y a unanimité, notamment, pour re· connaître l'immense acquis (et le caractère positif de cet acquis) de la révolution cubaine. Il n'est, d'ailleurs, pour s'en convaincre, que de prendre en considération quelques chiffres irréfutahles et, entre autres, les taux de croissance du développement, dans le domaine de «l'éducation nationale» ou de la «santé publique ». Ces progrès, observés dans presque toutes les aires d'activité, et même dans les secteurs-clés de l'économie, sont d'autant plus remarquables qu'ils ont été obtenus à travers un bouleversement complet de la politique, de l'économie, de la mentalité traditionnelle et des habitudes, dans un pays soumis au blocus et à l'encerclement. Mais, de tels «bonds en avant» ne s'effectuent pas dans de telles conditions sans en· traîner de profonds remous. Peuton demander à un pays qui a toujours vécu dans une totale dépendance économique, de vivre du jour au lendemain en autarcie? C'est ainsi qu'ont surgi un nombre grandissant de difficultés, incontestablement multipliées par beaucoup de maladresses et d'erreurs, entraînant l'instauration d'un régime de restrictions progressives, dont les effets désastreux, en se répercutant sur le moral de la population, y ont fait naître la lassitude, cause première d'un certain relâchement de l'effort collectif. Ce sombre versant de la réalité cubaine, nul de nos trois auteurs ne songe à le nier ou à l'éluder, mais, suivant son tempérament, tente de l'éclairer, le déplore ou le condamne. Les acteurs du combat viennent parfois eux-mêmes au secours de l'auteur pour atténuer de trop

vifs contrastes. Ainsi ce personnage (une femme) qui parle à y glesias des restrictions: «Mais Fidel ne nous a jamais menti làdessus. llllQUS a dit quOà certaines époques nous n'aurions pas assez de choses et qu'à d'autres moments nous en aurions autant que nous voudrions. Non, Fidel ne nous a jamais Ce qui frappe dans cet itiné· raire de onze années, c'est 80n profil «en dents de scie»: de l'idéologie nationaliste en honneur à l'époque de la prise du pouvoir au récent revirement en faveur de Moscou, en passant par un premier ralliement au marxisme, puis par la recherche d'une voie plus «originale », presque « h é r é t i que» (aux yeux de l'U.R.S.S.), s'accompagnant de la condamnation des appareils communistes traditionnels et de l'exaltation des différentes guérillas latino-américaines. C'est le dernier avatar de la politique castriste (le ralliement à Moscou) qui semble évidemment troubler le plus K.S. Karol et René Dumont, le premier le regrettant non sans amertume, le second le minimisant, néanmoins, dans une certaine mesure. J osé Y glesias, de son côté, ne manque pas de laisser apparaître, à travers les réactions qu'il rapporte, l'incertitude et le désarroi saisissant un grand nombre de gens simples devant les brusques changements de parcours de la politique cubaine. Il est certain que l'abandon de tout ce qui a fait l'originalité du socialisme cubain serait désespérant s'il s'avérait définitif, comme est désespérante la «normalisation» en Tchécoslovaquie. Si, en revanche, on fait sienne l'analyse de Castro, la décision prise appal'aît sous un nouveau jour, et de· vient, sinon acceptable, du moins non dénuée de sens. Après le grave différend avec la Chine, à propos des exportations de sucre (rendant désormais, affectivement, toute référence au «modèle chi· nois» impossible), l'échec de la guérilla en Bolivie (s'étant soldé par la mort de «Che» Guevara), et compte tenu de l'encerclement persistant de Cuba, Fidel Castro n'a pas manqué d'opérer un rapprochement entre la situation cubaine et celle de l'Union soviétique des années 30. Karol s'inscrit en faux contre cette analyse, estimant que les situations ne 80nt


du socialisme pas les mêmes. Certes, mais pour le moins analogues. Et Castro peut fort bien, en ayant constaté l'insuccès de la révolution sur le sub-continent latino - américain, l'existence de graves problèmes intérieurs que n'ont pu entièrement résoudre les méthodes «originales », taxées d'aventuristes par Moscou, l'absence de toute aide extérieure, h 0 r mis celle de l'U.R.S.S., avoir été acculé à penser, comme jadis Staline, que le socialisme ne pouvait désormais (et provisoirement) «être édifié que dans un seul pays» et suivant des modes d'application plus sages, tels ceux qui ont déjà fait leurs preuves dans la «patrie du socialisme ». K.S. Karol persiste à croire que le «ralliement à Moscou» est une manœuvre momentanée et de caractère tactique. René Dumont laisse entendre que sa dernière entrevue avec Castro fut orageuse. Et une lettre, en annexe, l'atteste. On imagine ce qu'a été ce «dialogue de sourds» : Dumont, irrité que ses recommandations, justes en leur principe, et qui se sont même avérées, dans beaucoup de cas pra· tiques, rentables sur « le terrain », ne soient pas observées, face à Castro, prodigieusement agacé de se voir administrer des «leçons» par un homme «de passage» dans son pays, peu familiarisé avec la réalité quotidienne, et qui n'a pas, comme lui, charge de réduire, jour après jour, ces obstacles et ces difficultés qui précisément font dévier, dans l'application, l'objectif idéal que s'assigne tout schéma bien pensé et bien couçu. Quand Dumont pose sa ques· tion: Cuba est-il socialiste?, je le soupçonne fort de jauger la teneur en socialisme du :rél;;ime à la faveur de critères très person· nels. Les valeurs qu'il attribue au concept ne sont pas nécessairement celles que Castro lui reconnaît: l'expérience cubaine en se· ra-t-eHe pour autant moins s'Ocia· liste? Cela dit, je ne doute pas que la plupart des critiques for· mulées par Dumont, et qui se limitent généralement au domaine du développement rural, où son expérience et ses connaissances sont universellements reconnues, soient fondées. EHes semblent ne pas suffisamment tenir compte des «circonstances atténuantes:. que constituent la somme des dif·

ficultés, souvent indépendantes de la volonté de ceux qu'elles acculent à la défaillance ou à l'erreur. Elles sont proférées, en outre, sur un ton trop catégorique qui fait irrésistiblement songer à «1'omniscience occidentale :.. Le danger qui guette tout observateur européen ou nourri de l'esprit européen, le spécialiste en particulier, est de juger tout phénomène tiers-mondial en fonction de ses catégories mentales, sans assez te· nir compte de l'écrasant pouvoir de réfraction de la réalité locale. Il y a un autre danger, celui qui risque de corrompre le pouvoir: le refus d'entendre les vérités désagréables, le refus de discuter. Si le livre de K.S. Karol - dont la générosité et la foncière admiration pour le pari cubain sont flagrantes - a réellement été, comme on le dit, mal accueilli dans les milieux dirigeants castristes, c'est que l'approbation sans ambiguïté y est désormais devenue de rigueur, et que la moindre réticence à l'endroit des résultats obtenus y fait· l'effet d'une trahison. Ce qui est grave. Car, en marge de l'acquis fondamental, subsistent ou réapparaissent un certain nombre de «points noirs;a. que tout homme probe et courageux, au nom mê· me des objectifs élevés que s'est fixés la révolution, doit pouvoir signaler sans risquer immédiatement de se faire taxer d'impéria.

En route vers la zafra

_ _ PITITI BIBLIOTHIQUI iiPIYOT Titres récents:

B. MALINOWSKI La vie semelle des sauvages

du Nord-ouest de la Mélan6sle

Au nombre de ces « points noirs:., citons les U.M.A.P. qui, sous le nom plus sophistiqué d'Unités Militaires pour rAide à la Production, cachent une réalité moins brillante : celle des Camps de Travail. J osé Yglesias leur consacre tout un chapitre, et sou· tient que leur création avait été désapprouvée par un certain nombre de dirigeants et, notamment, par Fidel lui·même. Il est d'ailleurs question de les supprimer. Mais quand? C'est que les. moin· dres activités de la société cubaine sont aujourd'hui militarisées. Dans son dernier discours, Fidel Castro annonce l'urgence d'une réorgaJiisation politique du pays qui laisserait plus d'initiative à la base. Pour savoir quel sera l'ave· nir «socialiste:. de Cuba, il faut donc encore attendre.

Guy de Bosschère René Dumont: Cuba, socialisme et développement (Ed. du Seuil).

La Q!!inzaine Littéraire. du l· r au 15 septtl1Jbn 1910

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DO

P.L. MUBLLBB

liste.

DO

ALDOUSII1JXLEY

150 155

Essais sur les problèmes socialistes et syndicaax

B. et M. CODEVIN

••

Histoire de l'Afrique DO

NOAM CBOMSKY

Entretiens avec C.-O. Jung DO

GBOBGBS LBPBANC

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L'art de voir

DO

B1CBABD BVANS

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L'irrationalisme contemporain

158

•••

Le langage et la pensée

148 P.B. CBOMBABT Des hommes et des vUles DO 154 DBLAUWB CATIIBBINB VALABBBGUB La condition étudiante DO 149 DO

vol. simple

4,35 F 5,80 F

•• •••

••

"I,mF 8,85 F

Catalogue sur demande aux Editions Payot Service Q.L, 106, boulevard Saint-Germain, Paris 6"

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COLLECTIONS

La collection • Sup (Presses Uni· versltalres de France) s'enrichit d'une nouvelle section: • littératures anciennes -. Elle sera dirigée par Robert Flacellère et le premier volume, à paraître à l'automne, s'Intitulera: la Tragédie grecque, par Jacqueline de Romilly. Robert Laffont lance en septembre une nouvelle collection au format de poche: • Connaissance de la sexualité -, pübllée sous la direction de Mario Muchnlk. Elle se composera d'ouvrages qui couvrent tous les aspects de la sexualité, de l'Information scientifique au conseil personnel, des classiques de [a sexologie aux enquêtes Inédites, et s'efforcera avant tout de représenter un très large éventail d'opinions. Premiers titres: le C0mportement sexuel chez l'homme et l'animai, par F. C. Ford et F. A. Beach; 11nceste, par H. Malsch; les Déviations sexuelles. par A. Storr; les Ollianes génitaux, par R. S. Morton; les Hormones sexuelles, par K. D. Voigt et H. Schmidt. Les éditions Pierre Belfond préparent pour septembre une nouvelle collection Intitulée • Les cahiers du regard - et qui aura pour particularité d'être publiée simultanément en édition de grand luxe, à tirage limité, et en édition courante. Elle sera Inaugurée par le Procès en diffamation plaidé devant la conférence du stage, par Salvador Dall, Illustré d'une gravure originale en couleurs de l'auteur et de cinq gravures originales en noir de Tim. Comme tous les ouvrages de l'édition de luxe, le livre, dont le tirage est limité à 200 exemplaires, sera vendu à un prix très élevé: entre 1350 et 3000 F, tandis que l'édition courante coQtera environ 40 F. • Théâtre ouvert - est le titre d'une nouvelle collection que dirige Lucien Atoun chez Stock. Elle comportera trois séries: des pièces Inédites de Jeunes auteurs Inconnus, des • textesprogrammes - de pièces non Inédites, accompagnés de notes de mise en scène et des • essais et documents -. • Théâtre ouvert - a débuté cet été, parallèlement à l'ouverture du Festival d'Avignon, par la publication d'une pièce Inédite de Gérard Gélas, en collaboration avec la jeune troupe du Chêne noir: Opération. Cette pièce a été jouée au moment de la sortie du texte, vendu à titre de programme à un prix très modique, avec des photos, une Introduction, une transcription des discussions ayant eu lieu au cours des répétitions. En préparation pour la rentrée: le Remora, de Rezvanl, l'auteur des Ann6es-lumlère (voir le n' 59 de la Quinzalne); Amorthe d'Ottemburg, pièce Inédite de Jean-Claude Grumberg; Babel 75, de Serge Behar, également inédite. Les éditions André Balland annoncent pour septembre une nouvelle collection Intitulée • Eros Internatlonal-. Chaque volume apportera la somme des connaissances que l'on peut avoir sur les formes actuelles de l'érotisme dans un pays donné: fêtes, coutumes, prostitution, liberté des mœurs, éro-

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SCIENCES

tisme et politique, tabous, etc. Le premier titre concernera l'Allemagne; viendront ensuite la Suède, la Suisse, l'Italie, l'Espagne, etc. Armand Colin lance une nouvelle collection: • Plan et prospectlves-, qui regroupe, sur des sujets d'actualité, des études de prospective préparées dans des commissions spécialisées du Commissariat Général du Plan en we des choix qui s'offrent à long terme à notre pays. Les livres se présentent dans le format • U 2 -, mals sous couverture spéciale et comptent chacun 200 pages. Ils s'adressent à tous ceux qui sont soucieux de s'Informer des problèmes posés par l'avenir de la société et de l'économie françaises et tout spécialement aux cadres d'entreprise, aux bureaux d'études et aux responsables des collectivités locales. Les ouvrages mettent en évidence les conséquences des décisions éventuelles, soit sur l'horizon 75, soit sur le développement économique et social à plus long terme. Ils ne portent pas de nom d'auteurs, sinon celui, collectif, de Commissariat Général du Plan. Premiers titres: le Logement, les VOIes (tome 1: l'Urbanisation; tome Il : la Société urbaine). En co-éditlon avec Hachette, les éditions Tchou Inaugureront à la rentrée une nouvelle collection de dictionnaires dirigée par Henri Mltterand. Sous le titre de • Les Usuels -, ces dictionnaires s'adressent aux lycéens et aux étudiants, mais aussi à tous ceux qui, soucieux de respecter la langue française, d'en connaître mieux les nuances, en font un usage quotl· dlen. Premiers titres prévus pour septembre et pour octobre: Nouveau dictionnaire de citations françaises, par Pierre Oster, qui comprendra 16000 citations du XI' au XX' siècles, et veau dictionnaire des difficultés du français, par Jean-Paul Colin, qui présente tous les secrets du bon usage. Deux nouvelles collections chez Fayard: • Documents spirituels -, qui, sous la direction de Jacques Maaul, sera inaugurée par une suite d'essais de Thomas Merton consacrés au rôle de la contemplation dans la vie humaine et à ses sommets en ExtrêmeOrient: Zen, Tao et Nlrvâna; • Management -, d'autre part, publiée en coédition avec Mame et qui sera dirigée par Roland Claude. Six ouvrages sont prévus pour septembre dans la série • Management - : De l'organl.. scientifique du travan au management des entreprises, par Roland Claude; le Contrôle de gestion, par Henri MI· geon; les Méthodes de créativité et d'Innovation, par Abraham Moles et Roland Caude; la Suède socialiste, par Rolf Nordling; Management ou commandement? Participation et c0ntestation, par Jacques Ardolno; Stratégie et politique d'approvisionnement, par Jean Danty Lafrance. , Venise est le premier titre d'une nouvelle collection de guides, d'une conception originale, qui sera Inaugurée chez Denoël en septembre: • A lire sur place-. A.B.

GotÙob Frege Les Fondements de Arithmétique trad. de l'allemand par Claude Imbert Ed. du Seuil, 238 p.

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« Gottlob Frege se proposé la tâche de fonder les lois de l' A rit h m é t i que par des moyens logiques (u.) Il eut le mérite d'avoir reconnu exactement les propriétés essentielles du concept du nombre entier aussi bien que la signification du principe d'induction complète.• D. Hilbert, 1904.

Depuis quelques années, on voit se multiplier les travaux sur Frege. Son œuvre, extrêmement diverse, est soumise à des analyses de toutes sortes, de points de vue fort différents. Sa riche88e et la finesse de certaines notions c sémantiques expliquent l'intérêt, non dénué d'engouement, qu'on lui porte. Totalement ignorée avant les années 1900, la voici vouée aux controverses des interprètes. Son destin singulier est d'avoir été révélée au monde philosophique indirectement, et, qui plus est, à un moment où le programme de recherches établi par Frege recevait un second souffle, rien moins qu'une réorientation. Il y a soixante-dix ans en effet, B. Russell célébrait le génie de Frege, mais en même temps posait à celui-ci un problème embarrassant, qui précipita son éclipse: c'était la fameuse antinomie. Si Frege ne prit pas sa retraite aussitôt, il fut néanmoins découragé et se consacra désormais à des travaux d'une nature un peu dif· férente. Il n'était plus c dans la ne parvenait pas à travailler dans le sens des préoccupations c post-antinomiques exigées par la nouvelle étape du savoir mathématico-logique. Peu avant sa mort il notait, d'un ton sceptique et résigné, que tous ses efforts en vue de mettre en lu· mière les questions soulevées par Je mot c les termes et les expre88ions numériques, se sont soldés par un échec total. Sans renier son œuvre, il reconnaissait à la tâche une plus grande düficulté que prévue. Il est piquant de constater que

le c retrait de Frege lui permit de développer des idées (dans le domaine de la sémantique précisément) en vogue aujourd'hui et, de son temps, tout à fait négligées. Citer Hilbert en exergue, c'est rappeler la signification historique de Frege, la portée de l'œuvre pour et selon ses, contemporains. Vers les années 1900, ce qui importait avant tout, en effet, c'était d'assurer à la théorie des ensembles un fondement propre à l'immuniser contre les paradoxes; de l'axiomatiser. Ce travail considéré achevé depuis un peu plus de dix ans, ne laissait guère de place, surtout à son début, aux méditations fregéennes. Lorsque Wittgenstein et Carnap remettent en chantier certaines orientations de l'œuvre de Frege, ils ne parviennent pas à susciter assez de curiosité pour son étude directe. Une exception de taille cependant: l'école de Münster, formée autour de Scholz, s'est intéressée au système logique, en lui-même. Quant au véritable c retour à Frege, il coïncida à peu près avec la fin de la seconde phase de l'histoire de la logique et eut pour résultat la publication en Allemagne des œuvres complètes de l'auteur méconnu, y compris les posthumes dont un premier volume a paru voici quelques mois. Les Fondements de r Arithmétique (1884) se situent, au milieu de la carrière scientifique de Frege. C'est un ouvrage de lecture a88ez aisée, dont le plus difficile est c traduit par, Bourbaki en quelques phrases, et claires. Mais leur place dans l'œuvre frégéenne leur attribue un office particulier. L'ignorance organisée à laquellt s'était heu r t é e l'Idéographie (1879) , malgré les explications supplémentaires qu'en fournit l'auteur (1882-1883), le décida à intervenir dans le champ c idéologique et à développer systématiquement une critique des c obstacles dressés contre son ouvrage. Pour cette raison, la partie polémique, importante eu égard aux dimensions et à l'économie des Fondements, n'est pas seulement une critique traditionnelle des idées dominantes, mais sape jusqu'à leur assise, en mon· trant que le diable n'habite pas la volonté, puissance de juger, ni le jugement lui-même comme source du vrai et du faux, mais le langage, lieu ultime et milieu


Un grand précurseur de toute manifestation. C'est assez dire que «l'idée. n'a pas besoin de support subjectif, et que le vrai ne transparaît pas immédiatement dans le langage naturel. Néanmoins, il n'y a point d'objet que celui-ci ne révèle. L'opacité du langage est un fait dernier, mais c'est un fait qui montre que toute élaboration intellectuelle est un travail sur un matériau livré sous forme de discours. (Ceci vaut surtout pour le dernier Frege.)

Qu'est-ce qu'un nombre? En fait, sa polémique invite les philosophes à rompre leur contrat avec les psychologues, et les mathématiciens, de connivence à l'époque avec les philosophes, à être plus attentifs à la forme de « leur. propre discours. Celui-ci livre des noyaux de rationalité étrangers, opaques aux spéculations rationalistes connues en philosophie. Il fournit rindex à suivre pour révéler les «ohjets. sur lesquels porte l'activité mathématicienne (ce qui n'a rien à voir avec «l'objet. des mathématiques, point de vue auquel jamais Frege ne se place). La question «qu'est-ce qu'un nombre?» ne peut être ni posée ni résolue si l'on n'abandonne l'idée que le nombre résulte d'une promotion naturelle de l'arithmétique. Idée bizarre après tout, puisqu'on rapporte qu'Agamemnon ignorait combien il avait de pieds! Et comment répondre, en effet, au « combien » ? sans savoir ce qu'est un «nombre. !

Un concept Le paradoxe n'est donc pas du côté de Frege, mais de celui du bon sens usuel. C'est vrai au moins du bon sens contemporain des Fondements. Il faut rappeler ici qu'on se trouve à la fin d'un siècle dominé par les normes du sensualisme, pour qui rien n'est élucidé qu'on ne peut voir ni toucher. L'ensemble des préjugés s'organisait dans des réseaux de logomachie où tout se côtoyait pêle-mêle : psychologie, physiologie et logique. Il y en avait autant que d'interprétations: logique kantienne, hegelienne, etc. Ceci explique l'insistance de Frege à rappeler que le nombre n'est La

. .aJ.e

ni odeur ni saveur ; DI Jaune, ni où dominent les travaux fameux acide ; ni même concept abstrait : de Bolzano, Cauchy et Weierni somme; ni· agrégat, ni collec- strass, fut une tentative d'arithmétion. Le nombre convient à cer- tisation, c'est-à-dire de définir les tains concepts. Mais qu'est-ce notions de limite, continuité, etc., qu'attribuer un nombre à un indépendamment de toute intuiconcept? C'est, dit Frege, énon- tion physique ou géométrique. Ce cer une propriété : Vénus a zéro qu'entreprend Frege, l'épuration lune signifie qu'au concept «lune de cette même notion de nombre de Vénus. est attribuée la pro- de l'imagerie psychologique et priété de ne rien subsumer. Pour philosophique, heurte de front retrouver, à partir de là, le nom- une idée de la rigueur justifiée bre «naturel., il faudra un petit par la pratique mathématique et détour. Par analogie avec ce qui philosophiquement prestigieuse. se passe quand on définit la notion L'arithmétique représentait en géométrique de direction, Frege effet le paradigme de toute ridéfinit d'abord « l'équinuméri- . gueur. Plus que la logique ellecité» de deux concepts, grâce à même dont on avait rarement une la notion de correspondance binui- idée claire. Que l'on songe au favoque, qu'on peut bien illustrer meux «Calculemus. de Leibniz. par le procédé élémentaire de Mais plus loin encore, c compchoisir pour chaque bûchette d'un ter. est retenu par Platon compremier tas de bûchettes une bû- me paradigme de décision. Dans chette déterminée d'un second un dialogue célèbre, Socrate tas; et réciproquement. Suppo- observe qu'on pourrait sons donné, maintenant, un con- tous les dissentiments si l'on discept F: on peut toujours cons- posait de l'équivalent dans la distruire un concept dérivé G qui cussion de c c 0 m pte r., car est: «équinumérique à F •. Or à c compter. met un terme à toute G correspond univoquement un différence d'avis au sujet du nomcertain objet: son extension. bre. C'est le nombre cardinal en personne. Mais puisque notre définiArithmétiser tion a été conçue de manière assez générale pour permettre de composer des ensembles infinis, il On sait que œtte c idéologie • suffira de remarquer, pour retrou- arithmétique trouve une ébauche ver le nombre qui répond à la chez Leibniz - qui montre par question «combien? de tous exemple que certaines propriétés les jours, c'est-à-dire l'entier ena- des séries élémentaires de nomturel., qu'il est un cas particu- bres peuvent être tirées de la lier : un cardinal fini. seule considération de l'identité. Tout sera gagné lorsqu'en plus Mais c'est au XIX" qu'arithmétiser du zéro, nombre du concept c non reçoit un sens plus précis : car on identique à soi., on aura défini sait que tous les systèmes de nomla fonction «successeur. : un en- bres ne sont que des c extentier naturel quelconque sera un sions • des entiers naturels et peusuccesseur de zéro (§§ 74 à 83). vent donc s'y réduire: les entiers Ainsi, d'une part on aura enfin relatifs sont des classes des couproposé une définition vraiment ples d'entiers ordinaires définies générale du nombre : ni individu, par une certaine relation d'équini collection d'unités, mais classe valence, les rationnels des classes de familles d'ensembles - con- de couples d'entiers relatifs déficept abstrait au troisième degré. nies par une autre relation d'équiD'autre part, on pourra effective- valence, etc. L'Arithmétique poument, et sans autres ressources que vait bien ainsi apparaître comme «la logique et la rigueur des le socle dernier des mathématipre u v es., reconstruire toute ques. Dernier peut être, mais nora l'arithmétique à partir de cette « fondamental., dira Frege. définition. Frege ne pouvait ni admettre Pourquoi cette aventure logi- sans plus l'Arithmétique ni croique au bout de laquelle l'antino- re comme Kronecker qu'elle était mie guettait? C'est que la notion un présent des Dieux. Surtout du nombre est l'âme de l'Ana- après les découvertes cantorienlyse. L'idée de limite la suppose ; nes : la notion de suite infinie- acet le premier mouvement à exiger tuellement donnée entraine la la rigueur en ce domaine, celui nécessité d'établir rigoureusemen.t

du 1" au 15 septembrr 19TD

la non-contradiction du système des entiers. Ce qui ne se fait autrement qu'en exhibant, dans une logique édifiée à cette fin, un m0dèle de l'arithmétique.

Une dernière question Peut-être se poserait-on une dernière question: comment se fait-il que Frege, qui connaissait bien la première série des tra· vaux ,.qe Cantor, ne parle pas un langage ensembliste, pour nous aujourd'hui plus intelligible? Mais il faut dire que l'histoire a retenu le langage de Cantor alors qu'on eût pu bien en adopter un autre, par exemple, celui de Dedekind, différent quoique traduc· tible dans le cantorien. De plus, Frege était avant tout logicien: pour lui c système., «chose., « ensemble. sont des termes étrangers à la logique. Dans «les lois fondamentales de r Arithmétique ., il reproche précisément à Dedekind d'employer un vocabulaire ni logique, ni réductible à celui de la logique. Mais si Frege élabore une logique nouvelle à l'aide d'un vocabulaire ancien, cela ne veut pas dire qu'on doive référer celui-ci à la logique ancienne, même lorsqu'elle en éclaire parfois certains usages, pour en saisir la signification. Les Fondements de r Arithmétique sont donc une œuvre à visée essentiellement technique, et, à ce titre, riche d'inventions. Pourtant ils entrainent des conséquences philosophiques importantes. Con· tre les spéculations traditionnelles, le grand Nietzsche lui-même ne sut trouver que des contestations véhémentes ou des sarcasmes. Frege détruit le kantisme, déjoue les symétries de la fameuse table des jugements et, du même coup, celle des catégories. Il y a à peine de quoi surprendre si l'on se souvient que Frege invente la logique moderne qui tourne résolùment le dos au «transcendantal •• S'il y a dans l'histoire des sciences quelques points de rupture, c'est-à-dire des points d'accumulation d'éléments si nouveaux que l'ancien système de ,pensée s'effon· dre, alors Frege accomplit et conscient de son but, une véri. table rupture: il s'invente une tradition et au-delà de la psychologie se donne pour I!euls ancêtres Herbart et Leibniz. Allal SinacerR'

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TELEYlIION

Le nouveau l'une l'autre avec leurs propres. Derrière cette double histoire se dissimule le vrai problème: faut·il violenter le public ou suivre ses goûts les plus simples? S'agit.il de contribuer à l'illusion publique ou de construire ce Alain Bourdin qu'Edgar Morin appelle 1'« esprit Mc Luhan du temps:t ? Editions Universitaires, 142 p. Le contraire de la culture, ce n'est pas le «populaire:t. Nous revenons ici à quelques «idées reçues:t. Le dile_mme de la TV Un homme affable, souriant. n'est pas entre une représentation Ancien élève de l'E.N.A., diplo- de Phèdre plus ou moins moder· mate de carrière, chef de cabinet nisée et une émission de variétés. du ministre de l'Information de La TV n'est pas un 80us-théâtre 1962 à 1965, Jacques Thibau ap· ni un théâtre en marge. Elle ne partient à l'appareil et l'appareil saurait être non plus un succédané du music·hall. Le cinéma l'a rejeté. Sa faute est évidem· ment grave: il avait «lancé:t à ne s'est pas fait avec les idées que la télévision Zoom, Caméra' III, les producteurs se faisaient de ce Face à Face et donné son impul. qui plairait au public, mais 8ur· sion à la seconde chaîne. Après tout avec ce que les grands réali· sa chute, J. Thibau se question. sateurs ont voulu tirer de la réa· ne: sur l'instrument d'abord, sur lité qu'ils pénétraient par la ca· les formes qu'il a prises dans d'au· méra. Faute de prendre la· TV pour tres pays, sur son efficacité enfin... ce qu'elle est, les _émissio.ns fran· Jacques Thibau examine les TV çaises glissent peu à peu vers étrangères. La TV américaine dis· pose de moyens fantastiques, bras· l'ennui, même pas la futilité. Et se la publicité, la vulgarité et cela mis à part, les quelques des réussites d'exceptionnelle qua· expériences réellement fécondes lité. Mais son histoire déjà lon- dont les auteurs ont été, trop dan· gereux sans doute, vite rejetés. gue - celle d'une TV privée On a beaucoup parlé de cet correspond à un irrésistible glisinstrument. Mais là encore, on sement dans la futilité et l'inuticonfond trop souvent l'attente et lité. les préjugés culturels ou «intelliLongtemps regardée en France gents:t. La méfiance des intellec· comme un modèle, la TV britan· tuels français vis·à·vis de la télé· nique a une histoire sans doute vision est chose frappante - et plus complexe : son statut d'indé- pour les étrangers quelque peu pendance, la qualité des hommes risible. On sent bien qu'un vieux qui en prirent la responsabilité, pays de culture livresque éprouve sa variété lui ont assuré longtemps de grandes dUficultés à s'empaune efficacité réelle. Là aussi, de· rer de cet instrument nouveau. Il puis quelques années, la facilité n'est que de juger de la manière l'emporte. Dès 1954, la TV publio dont ont été accueillis en France citaire oblige la TV «protégée:t les livres de Mc Luhan pour s'en à rivaliser dans la vulgarité. convaincre. Une lente remontée pourtant L'avantage d'Alain Bourdin est se dessine. Les responsables de la évidemment d'avoir lu complète. TV britannique se font une assez ment l'œuvre anglaise et française haute idée du public et ne se de Mc Luhan et de parler d'un tiennent pas tenus de supprimer auteur qu'il connaît. Il- définit une émission parce qu'elle n'aura donc avec une grande précision que trois millions de spectateuri! . les étapes internes d'une réflexion au lieu de huit. Cela pourrait si· nouvelle et complexe. -Tout le gnifier que si deux chaînes rivales monde a répété des formules sim· aboutissent à l'uniformité et à la pIes comme celles-ci: «le mé·médiocrité pour attirer le même dium est le message et le message public aux mêmes heures, la meil· constitue un nouvel univers ». En· leure formule serait celle de la core faut·il donner à ces mots une télévision indépendante et de la assise sociologique et esthétique télévision étatisée s'affrontant précise. C'est ce que tente Alain Jacques Thibau Une télévüion pour tous les Françaü « Esprit :t Le Seuil, 286 p.

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Bourdin qui écrit ainsi la seule introduction valable à un domaine d'analyse tout à fait étranger à nos directions de pensée mais indiscutablement novateur (1). On apprend donc ici que la TV n'est pas seulement un instrument de domination, pas seulement un moyen d'information ou de loisir, une distraction pour concierges, qu'elle compose avant tout un univers, un système d'images et de formes qui est en passe de détrôner l'écriture dans son privilège exclusif. et impérialiste. La TV, 'c'est bien plus qu'un petit écran... Car le problème est là - celui que posait Edgar Morin dans l'Esprit du temps (2), Alain Bourdin dans Mc Luhan, Cazeneuve dans ses essais la télévision n'est pas le reflet d'un monde, elle -est un moyen d'intervention dans cet univers, soit qu'elle en représente le double, soit qu'elle en découvre des aspects neufs. Son royaume est celui de cette vie quotidienne dont Hegel disait qu'elle était la chose la plus proche de nous et, partant, la plus obscure, celle qu'il convient d'expérimenter par cet instru· ment d'analyse qu'est la caméra de TV. La force de ce que devrait être la TV est justement inscrite dans notre existence collective que nous connaissons en somme plus mal que nous ne connaissons la vie des Bororos ou des Dogons ! Qui oserait tirer de la caméra de TV ce qu'elle peut donner? Qui -oserait restituer la «vérité, l'âpre vérité:t, non construite comme le croient les «réalistes », mais souterraine et masquée par leI! apparencCll et nos préjugés? Utopie? Certes. La télévision appartient au domaine du lende· main. Aucune chaîne privée, au· cune chaîne étatisée n'admettrait que la vie, la vie brute et complèxe, 1'« infiniment complexe ri· chesse dialectique de l'homme» serve à la fois d'objet et de sujet (l'un et l'autre indissolublement mêlés dans une puissance systéma· tique de la communication) pour les créations multiples et répétécs de la télévision. Jean Duvignaud (1) Mises à part les analyses que l'on trouve dans les livres de Jean Cazeneuve et dans la revue Communlca· tions. (2) Grasset, éditeur.

Jean Cazeneuve Les pouvoirs de la télévision Coll. Idées Gallimard éd., 382 p.

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On s'accorde pour reconnaître l'action exercée par les mass media; du philosophe contestataire au sociologue, en passant par le journaliste, l'accord se fait sur le thème de la mise en condition. Marcuse y voit une ruse de la société de consommation pour intégrer ses sujets; Magnus Enzensberger (Culture ou - mise en condition) (1) leur prête pour mission de perpétuer les rapports de force existants et d'inculquer une certaine façon de penser; pour Lazarsfeld et Merton, les mass-media maintiennent le statu quo économique et social en le faisant paraître naturel, en renforçant les normes et les croyances de la société globale. Au contraire, on pourrait, à première vue, soupçonner dans le livre de Jean Cazeneuve le partipris de minimiser les pouvoirs de la télévision. Arrachant ce problème à sa zone d'attraction politique, l'auteur le situc sur le plan scientifique de la recherche sociologique pour dégager un certain nombre de facteurs qui limitent l'action des mass-media. C'est tout d'abord une certaine conception de la masse: celle-ci n'est pas un ensemble indistinct et inorganisé dont l'absence de structuration donnerait 8es chances à toutes les manipulations; des études concrètes ont révélé les cheminements des effets des mass-media; c'est le grand mérite des enquêtes de Lazarsfeld et de ses collaborateurs d'avoir fait découvrir que l'action des media sur leur public se fait sentir par l'intermédiaire de certaines personnes jouant dans ce processus un rôle d'incitateurs et de relais. Ces «guides d'opinion» sont des gens qui écoutent la radio, regardent la télévision, en retiennent des argumentations qu'ils diffusent à leur tour dans le circuit complexe mais efficace de la rumeur et du bouche-à-oreille, introduisant ainsi dans la «masse» un jeu subtil d'influences interperson. nelles. Le deuxième facteur limitatif est constitué par les lois générales qui régissent le domaine de l'opinion; celles-ci, aussi simples que banales, révèlent qu'on nc


pOUVOIr peut pas hien convaincre en attaquant de front une opinion enracinée, mais qu'inversement, on a plus de facilité à emporter l'adhésion des gens qui n'ont aucune conviction arrêtée sur le sujet en question; de toute manière, la persuasion s'exerce plus aisément dans le sens du renforcement des opinions préalahles ou de la créa· tion de convictions nouvelles que dans celui d'un renversement des croyances, d'une conversion pure et simple. Le troisième élément de protection naturelle est la capacité de réagir des individus soumis aux mass-media. Cazeneuve ne croit pas à la passivité des auditeurs ou téléspectateurs. Les études comparatiyes entre groupes d'enfants soumis et soustraits à la télévision permettent de conclure que les premiers sont plus entreprenants et plus portés à participer à des compétitions. Cazeneuve peut donc soutenir que la diffusion collective n'est pas, par es· sence ou par vocation, génératrice de passivité. Enfin, nous entrom dans un deuxième âge de la télévision où celle-ci rencontre un public qui a déjà surmonté la première confrontation avec ce mode de diffusion; après une période d'acceptation se dessine un infléchissement des attitudes vers le refus de toute soumission aveugle ; les sondages américains révèlent l'existence d'une catégorie de spectateurs cultivés faisant preuve à l'égard de la télévision d'une sorte de parti-pris hypercritique. «Ainsi toutes les spéculations sur le pré.tendu conditionnement automatique de fopinion par les moyens modernes de communication n'étaient que des extrapolations à partir d'un passé déjà révolu, ou plus exactement une abusive systématisation de mécanismes empruntés à une phase technique dans laquelle ces moyens ne produisaient par leurs effets propres. » Pour toutes ces raisons, le «viol des foules », selon les analyses de Tchakotine, n'est donc, selon Cazeneuve, plus possihle aujourd'hui, du moins dans une démocratie lihérale. Les opinions ne se vendent pas comme des produits de marque ; les mécanismes psychiques sont fort différents lorsqu'il s'agit de réclame commerciale ou de persuasion portant sur des convictions; la La Cb!fDzafDe

propagande et la puhlicité ne se confondent pas.

Puissance des massmedia Cette conception sociologique et limitative des pouvoirs de la télévision met en lumière, paradoxalement, la puissance des mass-media et leur signification. Toute la première partie du livre est consacrée à légitimer une recherche qui se situerait entre le domaine de la positivité scientifique et la spéculation philosophique suscitée par les sciences sociales. Entre la connaissance des processus sociaux et la métasociologie existe une zone moyenne où ]a synthèse des acquisitions scientifiques, sans déhorder encore dans la pure spéculation, permet d'atteindre certaines généralisations et de faire des extrapolations judicieuses. Ce n'est pas une simple vision utopique de la société idéale, mais un ensemhle de théories générales, fondées sur une synthèse des données proprement sociologiques concernant divers types de société du passé ou du présent et dégageant l'image prospective de la société future.

Ainsi, Cazeneuve se place à deux niveaux pour étudier l'influence de la télévision : en utilisant les ressources de la sociologie empirique, il montre que l'influence immédiate du petit écran est en définitive modeste et trop complexe pour agir dans un sens unilatéral, dans la mesure où elle ne se situe pas dans un contexte ahsolument totalitaire. Mais dans le nouvel éclairage que projettent les théories de révolu-

tion humaine et llociale, un pouvoir infiniment plus grand est accordé aux communications de masse, celui de créer à la longue dans l'opinion publique des attitudes, des habitudes, des manières d'être nouvelles. C'est une raison suffisante pour poser le problème, politique celui-là, du statut de la télévision. Louis Ârenüla (1) Dossiers des lettres Nouvelles. Julliard.

Une nouvelle vie sociale Sans faire un relevé exhaustif de toutes les théories évolutives, Cazeneuve fait apparaître à travers les tentatives de Tonnies, de Riesman et surtout de Mac Luhan, un découpage tripartite de l'histoire humaine. La première étape serait celle de la civilisation archaïque, celle de la vie trihale et de la communication orale; la seconde serait marquée par la civilisation de l'écriture et se traduirait par le développement de l'individualisme, de la vie sociétaire fondée sur le calcul des intérêts ; enfin l'avènement des maS6media coïnciderait avec l'éclosion d'une nouvelle vie sociale qui replongerait l'individu dans le groupe et le rendrait omniprésent au monde. Les media électroniques, et tout particulièrement la télévision, permettent à la fois l'élargissement des relations aux dimensions planétaires et le retour à une immédiateté artificielle, certes, mais qui se suhstitue aux communications médiatisées du monde de l'écriture.

du 10 ' au 15 septembn 1910

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Un inédit de Le metteur en scèn"e polonais Jerzy Grotowski, que les Parisiens ont eu l'occasion de découvrir avec le Prince Constant au Théâtre des Nations en 1966 et avec Akropolis, au Théâtre de l'Epée de Bois en octobre 1968, a donné à New York en décembre dernier une série de conférences sur ses conceptions théâtrales. Nous publions la dernière de ces conférences,prononcée en français à la Brooklin Academy. Jerzy Grotowski a tenu à ce que le texte soit rigoureusement conforme aux paroles dites, en dépit, parfois, d'un maniement malaisé de notre langue. Nous déférons à son désir. Nous nous sommes seulement permis d'ajouter des intertitres.

phant qui s'appelle Ganesha. Ils ont cru que le diable avait préparé ces images et ces mythes pour créer une sorte de piège dans lequel le christianisme devait tomber. Maintenant je les comprends. car mon attitude émotive est très semblable. Je me sens comme celui qui a lutté pour quelque chose. Et puis il observe que cette chose a été dégradée jusqu'au bout. Je ne crois pas que le problème que nous allons analyser aujourd'hui puisse être analysé dans le sens scientifique, très exact, très précis. car au fond si vous allez me demander: comment, définir la pornographie, l'obscénité, je ne trouverai pas de définition exacte. Je peux seulement sentir qu'il y a un phénomène qui fonctionne en tant qu'obscénité. Cela fonctionne ainsi car le spectateur Pas acteur, est invité pour une chose dite fils de l'homme drastique qui agit par soi-même et donne des avantages du Le thème de la conférence point de vue commercial. On d'aujourd'hui a été imposé par peut répondre que dans le cas les participants. Les questions d'une œuvre qui est sans aucun qu'ils m'ont posées se formu- doute une œuvre, le même phélent dans la phrase: « la valeur nomène' peut fonctionner. Et ou l'obscénité de la nudité dans exactement, quand j'étais très le théâtre -. Mais le titre de jeune, un de mes collègues m'a dit qu'il' voulait me montrer un ma réponse est différent. Un de mes amis a remarqué album d'images pornographique dans le livre Vers le Théâtre ques. C'était des reproductions pauvre, le mot dépouillement se de sculptures et de peintures répète souvent dans la termino- de différentes périodes qu'il logie. Ce mot, on peut le com- avait collectionnées. Sans douprendre différemment: abandon- te de grandes créations artistiner tout ce qui nous défend, re- ques. Pour lui, ça fonctionnait en tant que pornographie. Alors noncer à tout ce qui nous voile: c'est-à-dire le contraire de se peut-être il y a une certaine atticacher. Ça se comprend d'être tude dans le spectateur qui dénu et plus que nu, et cela dans cide. Mais dans le théâtre, il le 'sens littéral, alors aussi cor- existe plus qu'ailleurs une phaporel. Sans doute quand j'ai uti- se publique de travail. Si la nulisé ce mot j'ai voulu garder la dité et le sexe ne fonctionnent possibilité de toutes les inter- pas comme une porte vers la prétations, car la chose dont totalité de l'être humain, dans j'ai parlé est totale. Après, cer- ce cas nous sommes en face tains parmi les metteurs en du phénomène de pornograscène se sont référés à moi phie. Cela dépend du spectaquand ils ont fait des specta- teur, mais qu'a fait le théâtre cles «nus -. Quelle est mon pour éviter cette attitude du impression? On dit que, quand spectateur? Par exemple, vous les premiers missionnaires sont m'avez demandé pourquoi le venus aux Indes, ils ont été Prince Constant n'a pas renoncé choqués par les sculptures qui à son pagne. Pour éviter une aumontrent Maïa, et la naissance tre signification des choses de Bouddha, qui faisait penser dans le spectateur. Si je dis que je peux seuleà la Madone. D'autre part, ils ont été choqués par la Sainte ment exprimer certaines impresFamille, c'est-à-dire Shiva, Par- sions et une attitude psychique, vathi et l'enfant à tête d'elé- cela reste en relation avec la

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notion du sexe, qui fonctionne sans doute pour moi comme un aspect sacré de la vie. Il n'y a pas d'arguments rationnels pour dire pourquoi. Je peux trouver ces arguments, mais cela serait uniquement une rationalisation. Je crois enfin que ce qui est intime, pour l'être humain, est vraiment l'ultime bastion de ce qu'on doit respecter, qu'on ne doit ni dévaluer, ni dégrader. Car si nous allons dégrader aussi cet aspect de la vie, aucune relation authentique entre les êtres humains ne sera plus possible. Mais si la création est l'acte de sincérité humain, cela englobe par soi-même le dévoilement d'intimité. Une énorme différence Je crois que dans votre société on peut observer certains phénomènes qui sont comme un message, comme une lettre qu'on doit déchiffrer et comprendre. D'un côté, c'est un certain refus de la civilisation trop évoluée du point de vue des artifices, c'est-à-dire le phénomène des enfants fleuris ou, plus précisément, les jeunes de Woodstock. D'un autre côté, il y a tout. le phénomène de dégradation de l'intimité humaine qui est maintenant des plus visibles dans les théâtres. C'est bien connu que pour certains parmi ces jeunes, leur nudité ne signifie pas seulement la nudité de peau, mais quelque chose de plus. Ils veUlent aussi traiter le sexe sans le faux héritage de notre tradition, sans la notion que le sexe soit en relation avec le mal. Ils trouvent qu'on doit traiter le sexe comme une partie de la vie qui est naturelle, un côté de la vie qui est fascinant et même sacré. L'approche ouverte du sexuel existe aussi dans les spectacles que j'ai vus à New York. Quand même, la- différence est énorme. C'est la différence entre vérité et dégradation de vérité. Les jeunes dans le théâtre « nu • sont exploités par les aînés. Celui qui est d'accord pour être manipulé est responsable lui-même, mais du point de vue social ce sont, on peut dire, les mœurs d'une autre mentalité

qui agissent. Il suffit d'aller voir par exemple Oh ! Calcutta! et d'observer la salle de spectateurs. J'ai vu deux fois le spectacle qui s'appelle Stomp. La première fois, tout de suite après la première, à New York. j'étais pris. J'ai trouvé cela pur, innocent, un phénomène humain authentique, j'ai ressenti de l'estime pour ces jeunes gens, j'ai senti que ce qU'ils font, ils le font en accord profond avec eUx-mêmes. J'ai pensé que, peut-être, c'est un phénomène de ce jour, car chaque jour ils improvisent un peu. Peut-être que ce jour-là, ça a été une improvisation en état de grâce. Alors, la première fois que j'ai vu Stomp, j'y ai observé une utilisation de la nudité qui ne peut absolument pas agir dans le sens commercial. Qui était humaine, modeste, dans ces conditions, naturelle, au fond innocente. Cela a été comme une réaction d'abandonner toutes les choses artificielles, une manière d'exprimer sa propre confiance, d'aller vers son propre désarmement. Puis j'y suis retourné à peu près dix spectacles plus tard. Et j'ai vu un autre spectacle, encore avec certain germe d'authenticité, mais beaucoup plus contracté, pressé, beaucoup plus pour le public dans le sens des effets pour garder "attention du public. Alors j'ai demandé pourquoi ils avaient changé. On m'a dit que la critique y avait trouvé trop peu de nudité et de politique dans la production. Ce que je trouve lamentable n'est pas l'attitude des critiques, mais le fait que ces jeunes gens sont déjà dépendants de certaines opinions, Ils sont déjà entre les maim; de ceux qui vont les manipuler. Au lieu de refuser et de reste d'accord avec leur propre vie, ils veulent quand même être acceptés et ils commencent à fonctionner comme des objets. Ils ne font pas encore du théâtre commercial, mais ils ont déjà fait le premier pas, et je trouve cela très significatif. Cette différence entre la nudité dans le premier et le deuxième spectacles que j'ai vus, c'est la diffé· rence entre la nudité qui a gardé


JerzyGrotowski la valeur d'intimité personnelle de racteur, et la nudité fabriquée pour être acceptée par le public. Ici commence la marchandise. Quelque chose d'artificiel J'ai l'impression que certaines productions théâtrales ici et le phénomène des jeunes de Woodstock sont comme les deux côtés du même message; ce qu'on peut étudier, lire dans le phénomène de Woodstock est inversé et montré dans le phénomène théâtral. C'est la même chose, mais ça fonctionne à rebours. Pendant les derniers mois, j'ai noté mes impressions à propos du phénomène que nous allons discuter, à cause de différentes circonstances, mais surtout parce que j'ai entendu dire beaucoup de fois que les manipulations publiques avec la nudité s'orientent vers une libération. laissons de côté le problème de Stomp. Dans aucun autre spectacle ici, je n'ai observé le phénomène d'authenticité là où il y a les scènes principales «nues... J'ai eu plutôt l'impression de quelque chose d'artificiel qui ne révèle pas l'acteur mais qui fonctionne au contraire comme une autre sorte de masque. Il est nu au lieu d'être sincère. Et non pas: il est sincère, alors nu. Cette peau nue fonctionnait comme une sorte de costume et bloquait les impulsions authentiques, ce que déjà je peux analyser avec sang-froid comme metteur en scène. Sans aucun doute, le processus était bloqué. Seules les réactions au niveau mécanique et gymnastique étaient vivantes. Mais il n'y avait aucune réaction vraiment intime. Au lieu d'une révélation de vie sexuelle, j'ai observé les stéréotypes grossiers et insincères de mouvements sexuels, quelque chose de puéril, une sorte de cliché qui voudrait être plus sexuel que le sexe. Beaucoup de gens qui participent à ces entreprises. réagissent comme ceux qui prennent plaisir dans le narcissisme, mais les autres agissent comme des Madonnas de la révolution. « Voilà. Contre vous." Et ce «contre La Qphuabae

du

vous .. n'est pas justifié, car les spectateurs sont enchantés. Alors c'est toute la situation qui est fausse. l'acte de l'acteur peut être public s'il évoque plutôt quand les spectateurs sont là son dépouillement, sa confession nue. C'est plutôt l'appel, la preuve de son désarmement. Il appelle, et il prouve ce qui n'est pas possible dans les condi· tions de la place publique, et qui demande alors dans le travail d'autres conditions et un autre vis-à-vis. Quand j'ai fait mes notes, j'ai voulu comprendre dans le phénomène de Woodstock quel est l'aspect de la nudité dans ce mouvement. là il Y a, je crois, une signification humaine: la recherche d'être dés a r m é, d'abandonner tous les artifices, d'être confiant, c'est - à - dire d'être pur. On peut dire que c'est une pureté ou un besoin de pureté, de confiance, d'être tel que nous sommes, qui se dévoile, qui se fait possible, qui se justifie, qui demande même à s'extérioriser. Rien à cacher. Je crois que ce mot désarmement que j'ai utilisé pendant beaucoup d'années à propos de l'art de l'acteur et dans le sens analogue, on peut ici peut-être l'appl iquer. Les valeurs et leurs ombres C'est le germe du processus, mais pas le processus. Et celuici peut et doit nous conduire beaucoup plus loin, jusqu'à la transcendance ou à un acte de dépassement je veux dire. Et les ombres existent toujours là où il existe des valeurs. Chez les enfants fleuris surtout j'observe deux ombres: d'abord, les valeurs d'existence pour le groupe, pas dans le groupe mais pour le groupe, au fond être semblable aux autres membres du groupe, c'est-à-dire refuser le conformisme vis-à-vis du monde de la consommation et le remplacer par le conformisme vis-à-vis de son propre milieu. le deuxième aspect est une sorte de revanche de la jeunesse et de la forme contre la vieillesse et la faiblesse corporelle. Si la jeunesse par elle-

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même fonctionne comme une valeur, il y a en cela quelque chose qui est profondément suspect. Et ça va produire du côté ombre certains phénomènes qui sont proches des phénomènes psychiques du fascisme. Et ce n'est pas par hasard qu'il existe dans la même génération des groupes tels que les blousons noirs et les anges noirs. Mais c'est l'ombre d'une valeur, je le répète. Tout cela porte aussi le besoin de vie sincère, donc vraie, dans le monde qui est étrange et sale, le besoin de se retrouver, d'éviter ce qui est faux ou artificiel, de retourner vers l'existence qui ne se cache pas, vers ce qui est solide, vrai, authentique, qui n'est pas synthétique, donc fabriqué, qui nous rend la possibilité d'un contact humain qui est vrai. Seulement il y a en cela aussi une certaine confusion, c'est-àdire les valeurs du contact ou de la communication qui sont imposées, qui sont conscientes. le contact authentique existe là où il n'y a pas nécessité de penser ou de chercher le contact· (soit il est comme l'air, comme la respiration, soit il n'existe pas du tout). Cela émerge de nous si nous ne nous cachons pas. En principe, dans les spectacles où j'ai vu les recherches de dévoilement corporel, cela n'a pas fonctionné comme un acte intime, mais comme un acte public, c'est-à-dire pour le public, pour gagner le public. Parmi les acteurs que j'ai observés, j'ai remarqué une sorte de confusion entre le dévoilement pour ne pas cacher soi-même et entre le simple fait de se déshabiller, justifié parfois par des arguments pris soit à la psycho·analyse, soit à différentes écoles de thérapie de groupe. Mais chez d'autres, j'ai observé plutôt cette revanche de jeunesse qui a fonctionné comme justification. Vous êtes vieux, je suis jeune, vous êtes sale, Je suis propre parce que je suis jeune. Vous êtes habillé, je suis nu. Il y a une sorte de nécessité en cela d'être fâché et furieux pour justifier la marchandise de son corps. Et ce qui est gênant, c'est exactement le fait que c'est dépendant des spectateurs: alors, mar-

chandise. Arrivé à ce point, ce que j'ai traité comme une méta-· phore: l'acteur-putain, commen· ce à fonctionner dans le sens littéral. le metteur en scène que j'ai nommé le metteur en scènesouteneur commence à fonctionner littéralement. la dégradation commence souvent avec un manque de persévérance dans le théâtre et dans la vie. On veut avoir tout de suite ce qu'on peut trouver seulement par une longue route et en payant avec toute sa vie. On veut avoir le résultat déjà, le succès déjà, la gloire déjà, tout de suite. Alors on n'a pas le temps de chercher ce qui est j'essentiel, car on cherche plutôt les conséquences publiques de cela, comment être accepté et connu. Pas comment être sincère, mais comment être accepté et connu en tant que sincère. Au lieu d'être sincère jusqu'à la nudité, le désarmement, on invite des spectateurs et on se déshabille. Ici, depuis plus ou moins deux ans, mon nom a servi pour ce type de recherches comme une sorte d'alibi. Sans doute une nudité est possible qui est plus que la nudité et qui est une révélation de l'être humain. Dans certains moments d'amour par exemple. Est-ce possible dans notre travail ? Si notre travail n'est pas seulement ce qui est esthétique, public, etc., mais si c'est le territoire où nous allons nous con· fronter avec notre propre vérité, notre propre dévoilement, avec je suis tel que je suis. alors c'est possible plus que dans la vie quotidienne. Mais dans ce cas, ce n'est pas seulement la nudité de peau qui est le but, mais la nudité de tout l'homme, de l'être humain. Refus de tout uniforme, de tout étui, se dévoiler de tout, presque de sa propre peau. là il existe quelque chose qui demande un don total de soimême. Si nous sommes,armés, nous ne pouvons pas être sincères, car celui qui est armé se cache derrière les armes. Si nous voulons être désarmés,· il est inévitable d'abandonner tout ce qui n'est pas essentiellement lié à notre propre nature. C'est dans ce sens que j'ai prononcé ce mot dépouillement. Sans désarmement, sans dépouillement,

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Jerzy Grotowski

Tout ce qui est le plus pro- dégradant. Tout ce qui est posche du germe créateur ne doit sible maintenant ou sera possijamais être trop manipulé; tout ble dans l'avenir en ce domaine court, ne doit pas être mani· dépend seulement de normes pulé. Ça doit être approché, juridiques. On peut faire maroui, mais avec tremendum et chandise avec le charme, c'estfascinosum. La notion des sourà-dire le charme sexuel, au nices de la vie dans notre civili- ,', veau du théâtre de boulevard sation a été longtemps défor- du XIX· siècle, et on peut le mée. C'est à cause du christia- faire au niveau de la nudité punisme. Pas seulement, mais blique; et ça sera possible enaussi à cause du christianisme. core dans l'avenir au niveau de Il a toujours existé une notion coïtus physiologiquement acsouterraine des sources de la compli et applaudi par les specvie, c'est-à·dire du sexe, et en tateurs. Mais ce sont seuleconséquence aussi du corps et ment des normes juridiques difde la nudité, une notion néga- férentes, car le phénomène restive où cette zone fonctionne te le même. Il porte en soi les comme suspecte, impure, sale. mêmes symptômes qui domiUn puritain a une notion néga- nent l'homme dans sa vie quotitive des sources de la vie. Il dienne, c'est-à-dire être divisé, peut alors vouloir les bloquer être un homme qui dirige la ma· ou les cacher comme ce qui rionnette corporelle. Un homme doit être souterrain. Ce sont qui man i p u 1e sa présence seulement les interdits qu'on sexuelle (ou s'on corps) est dédoit y apPliquer, et aussi les jà divisé en lui-même en objet plaisanteries basses. Et le mê- et sujet. La nudité et le sexe me manque de respect existe dans ce genre de théâtre ne si - comme dans certains grou- sont pas véritables. Ils sont pes à New York - dans l'entraÎ- coupés, décollés de l'être hunement des acteurs - on opère main, et ils imitent seulement ou manipule « de manière technudité et sexe, ce qui est le plus nique» dans la nudité et le sexe. étonnant. Il n'y a pas en cela réOn peut analyser aussi le ponse au défi (un défi qui dephénomène du «théâtre nu· manderait l'abandon complet du comme le prolongement du théâthéâtre comme marchandise des tre de boulevard et, dans une corps), c'est seulement une maperspective plus large, comme nière de fournir plus de marla conséquence du théâtre en chandise. Il y a aussi, du point tànt que marchand de charmes, de vue théorique, la confusion ce qui est très ancien. Dans entre la nudité et le sexe comcette perspective, on a longme masques (ce qui existe dans temps fait marchandise des ce type de spectacle), et nudité charmes et de l'intimité humaiet sexe comme abandon des ne dans le théâtre, ce qui est masques. C'est une sorte d'esquive. Au lieu de désarmement, il y a armement. M. Un des participants aujourM..d'hui a parlé de Jean qui court pendant la scène amoureuse en'vw. tre Marie-Madeleine et l'innoDa" cent dans Apocalypsis cum Fi· guris. Pour lui, cela fonctionne lOU!!Crit un abon_t comme un phénomène érotique d'un an 58 F 1 Etranger 70 F et sexuel, ce que je nommerai o de six mois 34 F 1 Etranger 40 F phénomène de sources de la vie. règlement joint par Il a 'dit que là, comme chez le o mandat postal 0 chèque postal Prince Constant, il a ressenti chèque bancaire une nudité intense, à un niveau intense, et sans aucun aspect Renvoyez carte il de nudisme. Je peux seulement dire qu'on cherche ce que j'apLa Quinzaine u,........ pelle fils du genre humain, et 43 rue du 'rempl'_'. Paria •. c'est un témoignage, l'acte de C.c.P. 15.:>51.53 Paris prouver le processus du fils de l'homme, c'est-à·dire le processus de nudité. On ne peut pas

la sincérité n'est pas absolue. Et si je dis dépouillement, c'est dans tous les sens de ce mot. Aussi corporel, c'est à prendre en totalité. Sur cette route de désarmement, 'd'abandon de tous les paravents et de tous les voiles et de tous les masques, l'acteur ira très loin dans le sens total et dans tous les aspects. C'est la base, et c'tst pur. Dans ce cas, il peut retrouver ce qui est son processus de sincérité, ce qui est ce flux incontrôlable au fond des impulsions si petites que presque invisibles, qui se dévoile dans le monient où il n'y a déjà même plus le problème de ne pas mentir parce qu'on est tel qu'on est. Ces impulsions révèlent les côtés les plus inconnus et les plus étonnants de la nature de l'acteur en tant que lui-même comme personnalité, ou individu comme je préfère dire, et en tant que fils de son genre. Fils du genre humain. Je ne trouve pas d'autre expression pour définir cela au niveau de notre expérience humaine pas religieux en son aspect chrétien ou autre - mais exactement fils du genre humain, fils d.e l'homme. Le fils du genre humain va prouver cette condition d'être le fils du genre humain. Le fils de l'homme va prouver la nudité, la sexualité, le désarmement, la sincérité alors, l'intégrité de l'être humain. Nu jusqu'au bout, même si dans l'exercice public de son acte il est voilé par le costume.

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définir dans les détails la route qui conduit vers cela. Dans une certaine mesure, on peut définir, mais pas dans les mots, seulement en pratique. La sincérité dans son moment le plus dévoilé, dans le sens total, alors corporel aussi, alors psychique aussi, alors sexuel aussi, est possible. Ça dépend toujours de la nature des gens qui vont créer, de leur approche pure et bénévole qui, individuellement, définit les rencontres dans le travail. Je ne crois pas qu'un metteur en scène, qui a été metteur en scène· souteneur, puisse être pour l'acteur son vis-à-vis et son appel, dans ce genre de route. Toutes les choses détaillées que j'ai exprimées peuvent fonctionner seulement comme des exemples parmi d'autres. Toutes les formules, du point de vue intellectuel, ne sont pas très précises, et répéter ces formules ou les trouver importantes serait une erreur. Tout ce qu'on peut mettre en système de ce que j'ai dit n'est pas valable, Le système paralysera dans le même sens que tous les autres systèmes. Si, dans ce que j'ai dit, il Y a eu quelque chose qu'un participant a pu comprendre comme le message purement personnel. seulement pour lui et pas pour tous les autres, ça a été la chose que j'ai voulu exprimer. Tout ce qui a été une sorte de formule générale pour chacun est déjà manqué, c'est une machine à créer de nouveaux slogans, et à faire croire que ce sont les nouvelles vérités, Il reste ce qui existe seulement au niveau d'appel pour un participant concret dans le contexte de sa vie et de son expérience. Pour un autre participant, c'est déjà différent. Cela seulement n'est pas falsifié. Alors je vais terminer, en vous priant de me pardonner toutes les confusions que j'ai créées dans le passé et toutes les confusions que je suis en train de créer de nouveau. Peut-être qu'on doit créer plus de confusions pour créer aussi une compréhension individuelle qui dépasse le niveau des mots. Jerzy Grotowski Copyright Jerzy GrotowskI. (Toute reproduction, même partielle, est interdite.)


Livres publiés du 20 juillet au 20 ao6t III. de Jacques Hérold Soleil Noir, 96 p., 12 F. Publié en 1953, un ouvrage devenu introuvable.

philosophies basée. sur l'empirisme logique et de leurs rapports avec lei autres écoles philosophique•.

Grecs jusqu'à nos jours.

• Charles de Gaulle soixantaine d'édifices DiScours et messages berrichons par l'érudit Tome IV: Pour l'effort conservateur des Plon, 488 p., 35,70 F. André Ducasse musées de Bourges. La guerre des Du référendum du 28 octobre 1962 Camlaerds • Guillaume Apollinaire • Icônes sur verre à l'élection Hachette, 256 p., 20 F. Les exploita d'un de Roumanie présidentielle de 1965. La résistance jeune don Juan 149 reprod. en couleurs REEDITIONS Préface de Louis Lelan huguenote sous Hazan, 200 p., 60 F. CLASSIQUES Louis XIV. Jean Parent L'Or du Temps, .S8A18 140 p., 24,50 F. Le modèle au6dols • Ipoustéguy Calmann-Lévy, 312 p., • Robert Fossler Colette Leaders et 22 F. Histoire sociale • Claude Mourthé Mltaou Jacques Durandeaux enfants nus Le défi suédois de l'occident m6dléval La caméra Le blé en herbe Le cercle du charme 18 p. d'illustrations par rapport aux Gallimard, 184 p., A. Colin, 384 p., 35 F. Flammarion, Desclée de Brouwer, Soleil Noir, 160 p., 18 F. problèmes économiques 13,75 F. 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