Quinzaine n°102

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UlnZalne littĂŠraire

du 16 au 30 sept. 1970

Avant-garde et Nouveau roman


SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

kndré Biély

Poèmes adaptés par Gabriel Arout

par Georges Nivat

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ROMANS FRANÇAIS

Jean·Marie Fonteneau Antoine Mantegna Bruno Gay-Lussac

Les champignons 7 Introduction à la vie profane En feuilletant Collège Vaserman La promenade cassée

par Marie-Claude de BrunhofI par M.C. de B. par Gilles Lapouge

Avec le best·seller N°

Propos recueillis par M.C. de B. par Michel Décaudin

5 6 7

Michel Chaillou François Coupry

8

ENTRETIEN

9

HISTOIRE LITTERAIRE

10

COLLOQUE

12

L'EDITION EN EUROPE

Félix Fénéon

Œuvres plllS que compLè.tes Où en est l'avant.garde ?

15 19

20

par Claude Bonnefoy

Gilbert GadofIre Michel Deguy Nathalie Sarraute J .M.G. Le Clézio Bernard Teyssèdre

Hongrie Angleterre Allemagne Yougoslavie

Propos recueillis par J. P. John Calder Christoph Schwerin Predrag Matvejevitch

22

PSYCHIATRIE

Maud Mannoni

Le psychiatre, son «fou» et la' psychanalyse

par Catherine Backès-Clément

24

HISTOIRE

L. Oppenheim

La Mésopotamie Portrait d'une civilisation Marx et fanarchisme Naissance de fanarchisme

par Daniel Arnaud

26

Pierre Ansart

par André Akoun

27

RELIGIONS

Antoine Faivre

Eckartshausen et la théosophie chrétienne

par Jean Roudaut

28

ECONOMIE POLITIQUE

Léon Lavallée

Pour une prospective marxiste

par Bernard Cazes

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach. Comité de rédaction: Georges Balaudier. Bernard Cazes. François Châtelet. Françoise Choay. Dominique Fernandez. Marc Ferro, Gilles Lapouge. Gilbert Walusinski.

La Quinzaine litteraire

Secrétariat de la rédaction : Anne Sarraute. Courrier littéraire : Adelaïde Blasquez. Maquette de couverture: Jacques Daniel.

Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris 7") . Téléphone : 222·94·03. Publicité générale: au journal. Prix du nO au Canada: 75 cents.

Crédits photographiques

p.

3

L'âge d'homme

p.

4

F. Boivrel

p.

5

Gallimard

p.

8

Flammarion

p.

9

Mercure de France

Abonnements: Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Six mois: 34 F, douze numéros. Etudiants: réduction de 20 %. Etranger: Un an: 70 F. Six mois: 40 F. Pour tout changement d'adresse : envoyer 3 timbres à 0,40 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris ]555]·53.

p. 24

Gallimard

Directeur de la publication:

p.26

Roger Viollet

François Emanuel.

p.27

Klincksieck éd.

Rédaction. administration:

1mprimerif': Ahexpress.

43, rue du Temple, Paris (4"). Téléphone: 887-48-58.

Impression S.LS.S. Printed in France.

p. 13

Thomas Hopker, Magnum.

p. 18

Sergio Larrain. Magnum.

p. 19

D.R.

p.23 ' Roger Viollet


I.E LIVRE DE

La blessure du soleil LA QUINZAINE

André Biély Poèmes adaptés par Gabriel Arout Gallimard, 119 p.

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jambes! De tout son corps, de sa seconde âme, avec en plus âme de son corps, et encore la vie propre et indépendante de son échine de chef t:lorchestre... :t Comme pour illustrer ce film dansant des gigues de Biély, Gabriel Arout a centré son petit recueil sur le plus long et le plus acrobatique des poèmes de Biély, ce merveilleux Premier Rendezvous qui fut écrit en 1921 à Pétrograd (et non cn 1906, comme il est dit par une regrettable erreur). Sur le rythme dansant et malicieux d'Eugène Onéguine, le vers iambique tétrapode, il s'agit d'une chronique musicale de quelques moments saillants dans la biographie revécue de Biély jeune homme, sorte de Genèse à la fois humoristique et mystique del'univers spirituel de Biély. Dans un tourbillon de calembours et de pirouettes, un maelstrom de références érudites et d'assonances ébouriffantes, Biély évoque la naissa,nce de son propre XX" siècle où s'entrecroisent les mythes anciens et la théorie atomistique moderne. Les instantanés que nous livre le poète sont comme les précipitations d'un tourbillon de mots en suspension, -et dans les cristaux recueillis, comme toujours, Biély retrouve le monogramme caché des réalités spirituelles. De tous ces tableaux «précipités:t dans le laboratoire de la mémoire, le plus brillant est celui du Concert: le chef monte au pupitre, la baguette clignote, le crâne chauve reluit, et tout commence : assaut furieux des instruments, sabbat des cuivres, vol nuptial des violons...

certes l'infidélité est patente: images disparues, images ajoutées, variations libres à partir d'un thème, tels ces quelques vers amusants qu'en vain on cherchera dans l'original:

r

Du geme protéiforme d'André Biély. poète symboliste, romancier, philosophe. théoricien de la forme littéraire, sismographe affolé des séismes du premier tiers du XXe siècle. Gabriel Arout a choisi de nous donner une des facettes. l'une des plus précieuses, celle du poète. ,

Et certes pas toute la poésie de Biély, car il y faudrait bien plu!l que ce petit recueil. Mais assez pour qu'apparaisse le chemin qui mena Biély d'une poésie mystique, nourrie de symboles religieux, à une poésie étonnamment surréaliste où le symbole n'est plus dans l'image, mais dans les profondeurs mêmes du mot, soumis à une sorte de désintégration atomique. Gabriel Arout a sans doute été dicté dans son choix par ce qui l'a personnellement fasciné: le Biély chef d'orchestre, prestigieux manieur des sons, faisant surgir le nùroitement des souvenirs ou des visions dans la vibration des assonances, des jeux de mots, et les contorsions d'un immense orchestre verbal. Tous les auditeurs de Biély nous l'ont décrit comme une sorte de chef d'orchestre oiseau, penché sur un imaginaire pupitre, commandant à un étincelant ensemble de cuivres et de bois qui lui seul entend, mais dont avec humour et virtuosité, sa baguette frénétique recrée pour nous l'imaginaire présence. Arout cite dans sa courte préface le brillant portrait de Biély que fit dans un de ses articles la poétesse Marina Tsvétaieva, dont le talent poétique était parfois si proche de celui de Biély: «Ce n'était pas qu'inspiration verbale, c'était une Danse... toujours environné du tourbillon dansant des pans de sa jaquette... antique, élégant, recherché, tel un oiseau étrange, mélange de maestro et de prestidigitateur, toujours en mout1ement sur le rythme changeant de sa danse - à deux, à trois, à quatre temps - liée au jeu mbtil des sens, des mots, des queues de pie, des jambes - que dis-je, des

Tout est en jeu, tout est promis En une offrande fatidique A u dieu joueur de la musique. Et lui dressé sur ses ergots Conduit la charge des« fagots Vers ses piqueurs qui fanfaronnent, Lance, veneur impénitent, La meute de ses chiens courants, Coupant la route des trombonnes. (traduction Arout)

La salle Syinphonique était po:ur Biély le symbole d'une autre salle, plus universelle, et d'un autre orchestre, plus élémentaire, où tourbillonnaient les grands principes de l'Univers. La moquerie avec

La Q!!buaine Littéraire, du 16 au JO septembre 1970

Et cependant je fais grand cas Du monde et de ses vains plaisirs Je flotte au souffle du zéphyr M'ébrouant comme un jeune veau Je meuble et trouble mon cerveau.

André _Biély (Dessin .de N. Vychéslavskl.)

son cortège clownesque de culbutes et de pieds-de-nez n'est qu'un paravent opposé au grand souffle de l'Originel. Car au fond de la mémoire gisent les filons de l'Universel; sous la gangue des mots gît le Sens mystérieux. Biély, dans son prologue, se compare à un gnome obstiné cassant la croûte des mots :

A coups de pic le gnome extrait La gangue fruste des consonnes. D'où ces cascades d'hyperboles fulgurantes et ces multiples concrétions de mots nouveaux, hélas ! quasi impossibles à rendre en français.

Traduction ou adaptation C'est -qu'il nous faut parler dt' ,« l'infidèle fidélité :t dont Çabriel Arout prend, dans _une courte déclaration liminaire, toute la «résponsabilité:t. L'écrivain Arout n'est pas un traducteur servile. n entend par la- recherche «d'équivalenb!'-et de transpositions:t retrouver' « l'approximation la plus serrée possible:t. Et

La méthode de l'adaptation bre est dangereuse, mais pas pour le virtuose qu'est Arout, rompu à tous les jeux de l'adaptation. Disons pourtant que la méthode restreint singulièrement son choix, puisque, de toute évidence, celuici est surtout dicté par la réussite ou l'échec de cette transposition musicale. Avant tout, Gabriel Arout veut transmettre au lecteur français le plaisir esthétique dont est gratifié le lecteur russe. C'est à ce plaisir qu'il est fidèle, c'est lui qu'il nous restitue très pleinement. Et parmi toutes les trouvailles heureuses, citons ce quatrain bondissant :

Un camarade très sceptique Dit: «N'es-tu pas épileptique ? :t Brisant, cruel, en plein élan Les ailes de mon cerf-volant. Les lecteurs de Pétersbourg reconnaîtront là èette sorte d'allégresse moqueuse et capricante qui sert de contrepoint au Biély tragique et visionnaire. C'est ce Biély capricant qu'Arout a su rendre à merveille, quitte parfois à forcer un peu la note et à insuf. fler à la poésie de Biély un je ne sais quoi de trop sensuel. D'ailleurs, tout n'est pas adaptation, et il y a aussi des traductions rigoureuses. Ainsi trouverat-on dans ce recueil la traduction intégrale de Christ est ressuscité, le poème en vingt-quatre épisodes lyriques que Biély écrivit en avril 1918 pour faire pendant aux fameux Douze d'Alexandre Blok. Ce poème est une longue Déploration de la Russie crucifiée de 1918 : le corps meurtri de la Russie est assimilé au corps du Christ, la Grotte de la Mise au Tombeau devient tout le pays ténébreux où les b r 0 w n i n g s

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ROMANS

Le déluge

Biély

FRANÇAIS

lrouent l'air de leur «rire rouge ». Mais cette Mise au Tombeau précède une Résurrection que Biély pressent de toutes ses fibres de prophète mystique. Et cette foi soutient le long cri qui se répercute et gicle au long de ces vers qui, en dessous de leur égrénement irrégulier, font entendre comme une sorte de tocsin régulier. Biély, comme Blok, avait accueilli la révolution d'Octobre, la révolution sourde et sans fanfares, avec une sorte de sombre ferveur mystique. Seule la Passion du' Christ semblait à beaucoup capable d'exprimer l'événement de la Révolution. Fût-ce dans le blasphème de certains poèmes de Maïakovski et d'Essénine... Les autres poèmes traduits semblent choisis plus arbitrairement. Tout un pan de l'œuvre poétique de Biély est absent: c'est le cycle désespéré de Cendre, dédié par Biély au poète de la Russie des gueux, Niekrassov. Le flux poétique qui portait Biély s'exprimait le plus souvent en cycles, cycles où se réfléchissaient à l'infini les obsessions de se" nuits, plus tard amplifiées dans ses romans. Donner des' extraits des fameuses Symphonies, où Pasternak, par exemple, voyait la naissance de la modernité russe, nous a paru un peu vain: ce nc sont que quelques· mequres .isolées d'une grande partiti.on. Pour clore son recueil, Gabriel Arout a choisi un poème de 1907 justement célèbre et fort heureusement traduit. C'est un de ces poèmes-aveux où Biély, à travers la cuirasse de l'ironie et du phantasme, met à nu sa blessure. Blessure d'un être trop exigeant qui voulut saisir le Cosmos, et que consuma le Soleil, devenu, COol' nle il est dit dans Pétersbourg, tarentule dévoreuse.

1

Jean-Marie Fonteneau Les Champignons Grasset éd., 185 p.

Depuis des jours, depuis des nuits, il pleut. L'eau atteint deux mètres dans les rues d'Orléans, Notre-Dame, le clocher de SaintGermain-des-Prés se reflètent dans une mer noirâtre. Toute l'Europe, les Etats-Vnis, le monde entier sont peu à peu submergés. II pleut toujours. Le gouvernement français se réfugie à Briançon. La radio ne diffuse plus que les comptes rendus de catastrophes. La terre se noie. Nous ne voyons cela que de loin, calmement, sans le moindre énervement. L'homme qui ici écrit son journal habite une belle vieille maison dans les Causses, sur une colline, encore protégée.

J'ai cru à cet éclat doré, Les flèches du soleil m'ont tué. Par' la pensée j'ai mesuré Les siècles; ma vie, je rai ratée. Georges Nivat

P.-s. : Nous regrettons que Gabriel Arout ait, pour ce recueil, adopté une autre transcription du nom de Biély que celle adoptée par les deux traducteurs du premier livre traduit, Pétersbourg, publié en 1967 à Lausanne (édition L'Age d'Homme). Bely n'est ni plus «scientifique », ni plus «français» que Biély. Alors pourquoi troubler les lecteurs et ne pas accorder aux premiers traducteurs le privilège de fixer l'usage? 4

F. Boivrel: Champignons.

II est seul. Son jeune ami Marc l'a quitté. Sa maison confortable: fourrures, acajou, cristaux, feux de bois, argenterie brillante et le pun.ch glacé rituel avant le dîner, est pour lui un Nautilus où il se claquemure avec ses souvenirs. Peintre, illustrateur, il a été fêté, aimé. Mais tous les bonheurs lui ont glissé entre les doigts comme du sable. II est seul et profondément triste. Ce qu'il voit autour de lui, les arbres déracinés qui se couchent pour mourir dans' la boue, sa ferme déchaussée par les torrents d'eau avant de s'écouler, la terre qui lui appartient entraînée par le flot dégoulinant, sont des spectacles atroces certes - il fait des rondes quotidiennes pour constater l'amplitude inexorable du désastre - mais le drame pour lui reste personnel et intérieur. L'agi-

tation, les horreurs, la peur, sont pour c Paris·Match:. et les au· tres, pas pour lui. II nous paraît être enfermé dans un cercle magi· que, hors du temps. Seuls les champignons, mons· truosités violettes, orangées, phal. liques, montant jusq'au faîte des arbres, floraisons malsaines dif· fusant une lumière visqueuse, sont les. symboles du monde extérieur en putréfaction. L'auteur se garde bien de trop les décrire. Ils sont là, ils grandissent, envahissent, mais si le récit en tjent compte c'est pour les donner en tant que repères mesurant la montée de l'inondation, non pas pOUl' exacerber l'atmosphère de ter· reur. Jean.Marie Fonteneau n'a pas cherché à écrire un roman fantas· tique, ni un roman d'anticipation métaphysique. Il déroule devant nous les pensées d'un homme dont la tristesse reste dignement or· gueilleuse. L'artiste qui écrit ce journal est un épicurien et un sage. C'est en philosophe qu'il as· sistera au dernier acte. Les personnes venues demeurer chez lui, le maire en visite, sont présents dans le récit pour donner au narrateur l'occasion de montrer le meilleur de lui·même, son stoïcisme d'homme cultivé. Comparses ajoutés pour le mettre en valeur, petite tricherie de romancier. Le pire de lui-même, 8a trop grande sensibilité d'esthète déçu, d'amant esseulé, tout cela n'a le droit d'apparaître que se· crètement, la nuit, et encore. En fait, ce déluge, cette catastrophe universelle est pour lui un don du ciel, elle lui donne l'ocasion ines· pérée de finir en beauté, de choi· sir sa mort avec élégance. Le ton est toujours pondéré. L'orgueil est plus fort que la pour· riture. Cet homme reste lui-même jusqu'à la dernière minute. C'est là sa fierté, sa gloire, et, comble de subtilité romantique dira-t-on, il n'y a que lui qui le sache. Les paysages apocalyptiques, d'une beauté surréaliste, sont aussi peints avec retenue. Si la nature sous le déluge devient échevelée, les images restent lisses et nettes. Ancien élève des Arts Décora· tifs, l'auteur est un graphiste. Ce· la explique peut.être ce parti pris d'extériorité et d'esthétisme.

Marie-Claude de Brunhol


Une liturgie du lDal

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1"

Antoine Mantegna,

Bruno Gay-LU118ac Introduction à la vie profane Gallimard éd., 180 p.

P ierre Belfond éd, 192 p.

Parmi les l1vres du deuxième rayon 11 manquait une petite lleur bleue, un roman pour dames. Et bien le voici, 11 s'appelle 7. Qui est l'auteur? Caché· sous le pseudonyme d'Antoine Mantegna, 11 excite la curiosité. Qui donc a pu garder un esprit aussi romantique en écrivant une œuvre érotique? Le style a une netteté foncièrement naïve. Les mots sont employés avec leur poids net, aucune 1l0riture ni entrechats de plume. n y a une volonté de simplicité et de calme. Le romantisme se dégage de l'héroïne seule, elle ne vit pas une aventure érotique - elle connalt tous ces jeux d'instincts. - mais une histoire d'amour, d'amour contrarié bien s1lr. Jeune orphel1ne élevée au couvent, où elle était amoureuse de saint Jean Chrysostome, elle est achetée par un couple très riche qui habite sur une ne grecque un ancien monastère. ns l'on surnommé Ombre; son nom véritable reste son secret, la seule chose qu'elle possède. Dans ce monastère à pic sur la mer, la pièce va se jouer avec sep' personnages: les deux maltres, Ombre et quatre serviteurs. Deux jumeaux muets, mais d'Une beauté identique (moulés dans leur pantalon de toile, ils sont aussi indécents de dos que de face...> et deux jumelles, petites tanagras, a veugles, identiques aussl Le décor est planté selon les principes du genre, longs couloirs sans fin, vastes pièces drapées d'étoffe selon les circonstance, phallus monumental, musique étrange; les personnages sont tous à leur place, les troiIr coups ont retenti. Scène d'1n1tiation précédée de veillée d'armes, cérémonies rituelles dans la salle capitulaire, sacr1lège dans une chapelle à deux pas d'Une nonne <véritable> en prière, punitions spectaculaireS sur le rythme lent du d'un Poète, tout cela se déroule comme prévu, mais avec un souci d'élégance, un raffinement de décorateur. En contre-champ, tout un passé est évoqué. Les maltres, VassWos et la belle Ephkaroula, sont encore magn11lques et puissants, ils ont tendance à raconter les aventures de jeunesse: ce sont des anciens combattants de l'amour. L'auteur semble avoir endossé le gilet rouge de Théophile Gautier, pourtant il cite sartre: c L'acte d'iJDa&iDation est DO acte martque. C'est une incantation destinée à faire apparaître l'objet auquel on pense, la chose qu'on désire, de façon qU'on paisse en prendre possession. • Le fervente incantation d'Antoine MaD.tegna lui a apporté des ombres dansantes. n manque à ce roman agréable à lire, certes - le feu intellectuel auquel nous étIons habitués. Au l1eu d'Un bon vieux marc, on nous offre de la llqueur de cacao, un alcool pour dames. IL-C. B.

.... Q!!inzainc Littéraire, du 16

:lU

Voici un jeune homme précoce : tout petit, il décide d'appeler 8a mère 4: A neuf ans il tue de8 chats, il déshabille 8a petite copine Monica, la barbouille de framboÏ8e8, l'aide à retirer la ,culotte d'une autre camarade, Comtance, et à l'enfermer dam une buanderie. Au collège de Saint-Watts, il séduit à demi le père abbé et prend la poudre d'escampette le jour de sa première communion. U s'in8talle avec ses parent8, peut-être en Italie du Nord, dans une maison triste. U a douze am et fait de lia gouvernante, une fraîche jeune fille aux yeux de chat, sa maîtresse. Monica, celle des framboises, vient le voir. Elle a retrouvé la foi et se perd en dévotiom, mai8 les troubles souvenirs des plaisirs interdits, l'idée du sacrilège, mettent le feu dans Monica. Elle succombe à d'atroces et délicieuses perversioDl\. Encore un déménagement. Les parents sont ruinés, ils s'établi8sent dans une ville froide, au bord de la mer. Notre jeune homme ajoute une corde à son arc. U partage des plai8irs suHureux avec son ami Simon: encore la nudité, un grand château, une salle secrète pleine d'oÏ8eaux morts, un mannequin de cire que l'on martyrise dans un cachot. Sur quoi Comtance, celle de la buanderie, réapparaît. Les deux amis la prennent en main. Elle cède à leurs ob8ession8. Ils lui font miter le château, la contraignent à tenir le rôle du mannequin de cire. Tant d'extases et tant de crimes jettent le jeune homme dan8 la maladie. Quand il guérit; il sait que 80n avenir ne sera plUl! que la reproduction de ce pa8sé de 8ilence, de pa88ion et de malheur. On voit qu'il 8'agit d'une éducation sentimentale, maÏ8 cette éducation est une destruction. Le résumé que nOU8 avom donné trahit un livre qui n'a rien d'allègre. Ce roman d'initiation austère et sérieux, taciturne, est emporté par un vent noir et dév88tateur. Il peut se lire comme une réflexion 8ur le mal: la fécondité glaciale du mal, les monotones répétitions du mal dès lors qu'il a été commÏ8 une foÏ8, sa fatalité et lion JO septembre 1970

acharnement à se multiplier, la complicité enfin qui enferme dans les territoires saturniens les créatures que le mal a touché une foÏ8 par l'interce88ion d'un être désigné ou élu, ici le narrateur. Dè8 lors, les péripéties du roman, 8a comp08ition 8'éclairent de lueur8 lointaines, et qui nOU8 reviennent de la nuit et du gel de l'enfer. Ainsi se justifie que beaucoup de scène8 80ient redoublée8, chaque rencontre avec le crime Ile produisant, après un certain temp8, comme dam un miroir brouillé. Des chaîne8 d'événements, d'images ou de situatiom courent à l'intérieur du récit, pour lui a88igner une bizarre structure en dédale. Par exemple, les oiseaux (qui sont, faut-il le dire, des oÏ8eaux de nuit ou de8 squelettes d'oÏ8eaux) tracent une ligne secrète à travers tOUl! le8 événements, relient leurs énigmes le8 unes avec le8 autre8. Autre ré8urgence: le mannequin de cire qui e8t utili8é dam le château par le narrateur et Simon, pour troubler la jeune Comtance, a déjà été aperçu au début du récit dans le grenier de la maÏ80n d'enfance où le narrateur et son amie Monica tortUraient une grande poupée de cire. On finit, peu à peu, par accepter que l'ordre du monde se range mystérieusement à l'ordre cruel que secrète le narrateur. Le8 mêmes figures Il'engendrent inl88sablement autour de lui, avec la fatalité des images de rêves. Même la mort obéit à cette loi de récurrence et de contamination. Le jeune homme ne borne pa8 son activité à envoûter les jeunes fille8 innocentes. Encore, il avance en sUl!citant la mort autour de lui: au collège de Saint-Watts, quand il s'évade, 80n frère Sébastien, le 8.eul être qui, dan8 le8 déserts où il chemine, lui porte une tendre8se vraie et partagée, 8'est ·tué ce jour-là. Plus tard, dan8 le château de Simon, une dame meurt sur la plage dans des circonstance8 énigmatique8 et le nar· rateur ne doute p88 qu'il l'a tuée, comme il ne se délivrera pas de l'idée qu'il a quelque culpabilité dan8 la mort de son frère Sébastien: Sa pré8ence attire la mort, comme une foudre. Cette histoire d'un romanti8me sombre et f88ciné sacrifie à toutes les images du genre - oÏ8eaux de nuit, valets inquiétants ou per-

vers, châteaux perdus, plages silencieuse8, odeurs de mort, de sang et d'arbre8 pourrissants, man de cire et tortures -- maÏ8 sa force naît de son écriture 110bre, précise, d'une sévérité puritaine. Le8 phrases brèves, bien découpée8, 8'ajoutent les une8 aux autres comme un 8ilence à un lIilence. Elle8 brillent dan8 le noir. On dirait d'une écriture en creux. Elle atteint à une sorte de poé8ie maigre et muette, maUl!sade, par· foi8 belle. Le titre étonne d'abord par son accent parodique. En8uite par son impénétrabilité. Et certes on pero çoit bien que cet enfant ble8sé et mauvai8 a vécu toute son enfance parmi le8 prêtres de SaintWatts, leurs cérémonies et leurs obse88ion8. Son éducation sentimentale, qui accompagne un éloignement radical de la religion, est donc éducation de la vie profane. Mais le sens du titre déborde ce thème. En vérité tOU8 les cri. me8 commis par le narrateur sont accompli8 dans la 8phère du sa. cré. Ce jeune homme est un dévot: le sang, la perversion, la mort, la cruauté, le mal enfin qui est le vrai sujet du livre, évoluent dam un VIonde sacré, non-profane. A l'éroti8me dé8infecté que de8 auteurs tels Robbe-Grillet nous prop08ent, non sam ennui, GayLus8ac opp08e un éroti8me du péché et du crime qui nOU8 renvoie, toute8 ch08e8 égales d'ailleur8, aux ob8e88ion8 de Bataille ou de Jou. ve. Si bien que l'apprenti8sage de la vie profane marque une tentative déçue de se délivrer, en même temps que de son enfance, des odeurs d'encens et de ces spectres cérémonieux que' le mal emporte avec lui. Le livre prend alors son sem: il se lit comme une liturgie du mal

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Enfeuilletan-t... o.cr-tes et Elisabeth M. Léon Petit est un bon, connaisseur d'un certain xvœ siè· cIe, et il le connaît en ·finesse. Pourquoi diable est-iJ 'àllé s'enti· cher d'une rêverie de Barres fort romanesque il 'est vrai, mais, me semble.t-il, indéfendable dèil qu'on' s'éveille du songe? Cest un beau et grand sujet, certeS'; qUe Descartes 'et la Princesse 'Eli· sabeth (Editions Nizet) ; mais le sous-titre, «roman d'ainourvécu _, le discrédite. A tort, d'ail· leurs; car si les interprétations doivent être manipulées avec pré. caution, il reste des faits, il reste surtout des textes: ces grandes gueules d'aventuriei:s énigmati. ques (y compris la folle, cruelle et fascinante reine Christine) parlent plus fort, Dieu merci, que le chuchotement feutré de Barres•• S.

Dix·huitième siècle Après l'Année balzacienne, la Librairie Garnier a pris la responsabilité d'une nouvelle publica. tion annuelle, Dix-huitième siècle. Elle est éditée, sous le patronage de la Société fraru;aise d'étude du XVIII" siècle, que préside M. Jean Fabre. Le numéro vient de paraître. N'y cherchez ni gaillardises, ni malices, ni épanchements ; mais, dans maints domaines, ,des études extrêmement solides auxquelles devront, désor· mais recourir les travailleurs sérieux comme les compilateurs honnêtes• • S. • La mine aux mineurs. Les Editions Montchrestien, 160, rue Saint-J acques à Paris, publient, dans la Collection d'histoire sociale dirigée par Georges Bourgin et Edouard Dolléans, une 'nouvelle édition de la thèse du regretté René Garmy: La c Mine aux mineurs _ de Rancié (1789-1848) •

Théâtre et combat Notre collaborateur Gille. Sandier publie chez Stock Théâtre et combat, un easai fort excitant .ur le théâtre actuel où nos lecteurs retrouveront la lucidité et la pupacité des articles de notre brillant critique. 370 p., 29 F.

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Histoire sociale

A conserver

Jean Maitron poursuit la réali· Dans un astucieux emboîtage sation du ,Dictionnaire biographi- portant l'inscription: « Revueque du mouvement ouvrier fran- tract, à détruire », le Soleil Noir çais. La première période, de la publie une série de libelles, pamRévolution française à la Pre- phlets, affiches de métro commière Internationale, couvre les mentées, bandes dessinées et des.tomes J, II et III. La deuxième sins tout court sous le titre L'1npériode, réalisée en collaboration ternationale Hallucinex, «maniavec M. Egrot, de la Première In- festes de la génération grise et ternationale à la Commune, en invisible ». Parmi les auteurs: comportera six qui auront tous William Burroughs, Claude Péparu avant mars 1971 pour le lieu, Carl Weissner, Jean-Jacques premier centenaire de la Com- Lebel (qui conclut ainsi son texmune. Le tome VI J, de Lan à te: C:.u L'autogestion généralisée, Mor, en passant par Benoît Ma- tel est le seul moyen radical de lon, par exemple, vient de paraî- mettre fin au règne de la martre (aux Editions ouvrières). chandise et aux rapports aliénés Un ouvrage de référence indis- qu'elle implique _). Un autre lipensable à tous ceux qui savent belle (le Petit livre peau-rouge de puiser 'dans l"exemple historique, Marcel Khan) se termine sur une inspiration authentique pour cette affirmation à vérifier: «Géla' réflexion et l'action d'aujour- rard de Nerval était indien _. De quelque côté qu'on la considère, d'hui. l'entreprise est en tout cas oriPour une lecture ouvrière de la ginale. littérature, par Jean Aubéry (Les Editions syndicalistes, 1970), rassemble une série d'étùdes sur ZoSalavin la (spécialemerl-t Germinal) ; fauteur; est redescendu dans la mine Voilà tout juste un demi-siècle observée par Zola), N avel, Camus, que Duhamel a publié le premier f anarchisme au temps des symbo- de ses Salavin; le cinquième et listes, surréalisme et littérature dernier roman du cycle parut actuelle, dimension sociologique ans p/;us tard, en 1932. Léaude la littérature, critique .avante taud y trouva foccasion d'un de et lecture ouvrière. Certaines de ses c: mots _: c: Le Dostoïevsky ces études atlaient paru dans la du pauvre _. Agréablement méRévolution Prolétarienne, d'au- chant; mais trop sommaire vraitres dans des revues littéraires des ment. Un trait d'esprit est la'mort U.s.A. où fauteur enseigne la lit- d'une idée, disait Stendhal, je térature fraru;aise. crois, ou peut-être Alain. Et puis Léautaud, que connaissait-il de DostoïetJsky? En revanche, 400 Le fils d'un vétérinaire pages fort grandes sur la Psychologie de Salavin (pa';' Jacques J. Zéphyr, Editions universitaires), Si je rencontrais un vétérinaire ne serait-ce pas un pèu. beaucoup? qui écrivît comme Valéry et com- Pourtant le recours à la caracté· posât comme Bossuet, je ne lui rologie, à la psychiatrie, etc., se confierais pas ma vache. Récipro- révèle efficace à fusage. C'est quement, nous ne risquons pas de donc que le sujet de f expérience voir attribuer le grand prix de la garde aujourd'hui assez de santé critique littéraire à M. Jean- pour la supporter. Tant mieux; Charles Herry pour sa thèse de car les excès d'honneur que' nous doctorat vétérinaire, Alain fils de avons connw ne méritaient pas vétérinaire (Imprimerie Danguy, f excès d'indignité que nous conMorfa8ne). Cela étant dit, il faut naissons. - S. dire maintenant que le livre est d'un intérêt t)if et rude. Il apporte Wolfgang Paalen des connaissances concrètes. non sans doute sur Alain lui-même, L'un des peintres les plus mais sur le milieu deséletJages doués du mouvement' surréaliste, percherons dont les fortes odeurs Wolfgang Paalen, mourait tragiet les soucis rustiques ont impré- quement il y a dix ans. A l'occagné f enfance de sa pensée. - S. sion d'une rétrospective de ses

œuvres qui s'est tenue il y a quel. ques mois à Paris, notre ami José Pierre a publié un Domaine de Paalen qui, outre son propre texte, savant et sensible, contient des textes d'André Breton, de Jean Schuster, d'Octavio Paz et du peintre lui-même. Parmi les réponses de Paalen à une enquête, relevons celle-ci qui donne une idée de ce que pourrait être la moralité dans l'art: «Celui qui peut admettre de céder aux exigences du public n'est plus digne d'aucune critique. » (Editions Ga· !anis, 98 p., 26 reproductions.)

Hainteny Une lettrée malgache, Mill" Bakoly Domenichini - Rimiaralllanana, attachée à notre C.N.R.S., a retrouvé dans des archives privées de son pays, un manuscrit de 152 hainteny recueillis au temps de Ranavalona 1, vers 1835. C'est le plus ancien recueil maintenant connu d'hainteny, ceux qu'avait publiés Jean Paulhan en 1913 sous le titre Hainteny Merinas étant de date plus récente. Edition bilingue de 400 pages, publiée à Tananarive et distribuée en Franpe par la I_ibrairie du Camée, 3, rue de Valence, Paris (5 e). 30 F environ. Bouvreuil nain rasant les flots des rapides Pas une plume de mouillée à sa queue Pas un point de ses pattes touché par l'eau C'est un enfant d'homme de braise Et c'est qui se brûle le cœur qQ.i l'aura.

Change « Change» 6 s'intitule La poétique la mémoire. «Poétique dans le sens aristotélicien, repris par les formaliStes russes et grâce à quoi Jean-Pierre Faye et ses amis entendent pousser f étude « scientifique» de la poésie. Textes, évidemment, de Jakobson, Saussure (les fameux anagrammes de nouveau étudiés ici par Jean Starobinski) , Khlebnikov, mais aussi d'Octavio Paz, tel, Sanguineti, Perec. Le melÎtre d'œuvre de ce cahier est Jacque: Roubaud qui parle savamment de la «linguistique transformationnelle et de ses applications à la poésie.


Le "roman-spectacle"

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Michel Chaillou Collège Yaserman Coll. «Le Chemin:t Gallimard éd., 254 p.

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François Coupry La promelUlde caMée Coll. «Le Chemin :t Gallimard éd., 186 p.

Michel Chaillou et François Coupry viennent de publier l'un son second, l'autre son premier roman dans la collection «le Chemin :t. Cela ne suifit pas pour augùrer quelque ressemblance entre eux, puisque, .sur ce «chemin:t, on le sait, chacun va à son pas. Si l'on regarde les premières pages de Collège Yaserman où l'on retrouve la verve savante de ]OlUlthamour et celles, rapides et vives de la PromelUlde caMée, on distingue tout ce qui les sépare. Chaillou explique ou feint d'expliquer - avec tout un arsenal de démonstrations et de références, non pas l'intrigue, mais les propos et situations qu'il développera dans la suite. Coupry, loin de toute approche didactique, se lance au galop dans une histoire qui se révèle bientôt être tout en ruptures, retournements, sautes imprévues, être moins une histoire qu'une rêverie ou un jeu aux règles déconcertantes. Si l'on compare plus avant, il apparaît que ces deux auteurs ne sont pas sans affinités. Tous deux, sans doute, prennent l'écriture au sérieux, mais cela ne les empêche point de la traiter comme une complice enjouée, facétieuse et mystérieuse, et, selon les cas, de s'abandonner à ses caprices ou de la trousser gaillardement. Ils aiment pareillement les allitérations, les assonances, les glissements de sens qui pervertissent les raisonnements et font basculer le réel dans l'irréel ou, au contraire, réduisent les géants à n'être plus que moulins à vent. Mais ce qui les rapproche plus encore, c'est que leurs livres semblent appartenir à un même genre - dont ils constitueraient les pôles extrêmes - et qu'on pourrait appeler le « roman-spectacle :t. Collège Yaserman se donne pour. un . spectacle. D'entrée de jeu, nous sommes prévenus. Tout se passe ici dans le monde raffiné de l'illusion. Tout est à lire en miroir, à projeter, à contem-

pler sur un plateau imaginaire: «Le décor est un théâtre. Les œuvres présentées le sont pour lG pr.emière fois et d'URe manière définitive. :t Bref, dans ce Théâtre Vaserman, situé en pleine campagne, en plein air, en plein imaginaire, qui est à la fois lieu de représentation, musée de la scène, bibliothèque théâtrale, cours d'art dramatique, école du spectateur, tout est un spectacle. Tout ce qui entoure, annonce, commente, conteste, exalte le spectacle est intégré dans celui-ci, participe à son mouvement. Inversement, tout le spectacle est parole. La voix du narrateur, du professeur explique la tradition et la pratique dramatiques définies par la célèbre «Nomenclature Vaserman:t, décrit la salle, la scène, les déplacements et réactions des assistants, les mimiques des comédiens, provoque l'auditeur, l'informe souvent pour mieux l'égarer - et finalement se mêle aux voix des acteurs, des ouvreuses, des critiques, crée, entoure et détruit l'action. Le narrateur est à la fois témoin, protagoniste, deus ex machina. Et s'il procure quelque agacement c'est qu'il donne l'impression de se déguiser pour jouer tous les rôles. L'essentiel ici est de déconcerter. Perdre pour redécouvrir, éclairer pour obscurcir, telle semble être la règle du langage vasermanien qui est le nôtre, mais bégayé, contrefait, dévoyé. Le théâtre Vaserman, aux secrets duquel on nous initie, est le lieu où les intrigues se défont à force de s'échafauder, où le langage se désagrège à force de briller et d'éblouir. Aussi bien, les scènes qui sont de pur théâtre avec entrées, sorties, quiproquos, mines et culbutes utilisent-elles les conventions, accessoires. et personnages du répertoire baroque (Thèbes, châteaux, cachots, cavalcades, inconstance; reine, marquis, chevaliers, écuyers, Matamore, etc.). Les dialogues, en alexandrins ou vers libres mêlent le pastiche réussi, la démarcation ironique, le prosaïsme provocant, pour se dissoudre dans u,ne pirouette ou se briser sur un lieu commun. Surtout, il importe de ne pas chercher le sens, sauf à contresens ou à contrepet, car tout est jeu et surprise. Les mots ne démontrent pas, mais s'appellent les

La Q!!iDzaiDc Uttéralre du 16 au 30 septembrt· 1970

uns les autres, pour notre plaisir ou pour notre ire. Si Chaillou s'abandonne pariois à sa virtuosité jusqu'au vertige, il n'en insère pas moins celle-ci comme les spectacles délirants du théâtre Vaserman dans une démonstration qui possède plus que les apparences de la rigueur. Le jeu est toujours cerné, par la théorie qui le fonde comme la théorie est constamment minée par le jeu. Cela donne à la farce une dimension étrange et singulière. On dirait le fruit de la collaboration monstrueuse de Boileau et de Saint-Amant, ou encore de Sollers et de Boris Vian. François Coupry, lui, n'explique pas. Il fait. Il va. Le commentaire, chez lui a la rapidité d'un réflexe, la spontanéité d'une exclamation. C'est la réaction de qui bute dans une marche, de qui se trouve soudain face à face avec un gendarme, un perroquet ou une jolie fille nue. Quand par hasard Guillaume raisonne, il tourne en rond. il n'arrive plus il

enfiler son pantalon, sa chemise, il lui faut alors pour sortir du cercle fermer les yeux ou bouger ou sauter par la fenêtre ou se moquer d'avoir ses chaussettes à l'envers et du qu'en dira-t-on. S'il raïsoline trop, les pièges de Zénon se referment sur lui, le choix devient impossible entre deux portes, la promenade se casse, Musc.dia, sa belle amie, disparaît et il lui faut la chercher aux quatre coins de la ville. Dans le récit de François Coupry, tout est événement, hasard, capriee, aventure. On ne sait pas ce qu'il y a au coin de la rue, ni même s'il y a du café dans la cafetière ou si les nouilles voudront bien cuire. Il faut aller voir ou essayer. Guillaume va, avec la force désinvolte d'un héros romantique. Ce qui nous est conté, ce sont ses gestes, ses élans, ses inquiétudes, son errance quasi quichottesque à travers la ville, sa quête de l'amour fou, d'une Muscadia aimante, oubliée, disparue, retrouvée.

flammarion présente FRANÇOIS

bloc-notes

La chronique des années 1965-1967

JULES ROMAINS de l'Académie française

amitiés et rencontres Portraits, d'Einstein à Gandhi, de Freud à Picasso...

JEAN ORIEUX

talleyrand

à parattre en novembre Par l'auteur de VOLTAIRE, ta biographie magistrale d'un des personnages les plus controversés de l'histoire.

FRANÇOISE SAGAN

le piano dans l'herbe (théAtre)

à parattre prochainement

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ENTRETIEN

:Le "roman.spectacle"

Tout est mouvement, et ce mou· Tement est spectacle. La ville où Guillaume et Muscadia habitent une c grosse petite maison :t, par· mi des maisons en V et en T, penchées ou hérissées, bigarrées comme une glace/' panachée et que séparent des bouts de rue, est dé· crite comme en marge de tous les circuits, politique, administratif, judiciaire. Or cette ville est sem· blable à un théâtre, à un c opéra :t. Tout part de son cœur, tout" se rassemble en son cœur qui est la cour des papes - bien qu'il n'y ait jamais eu de papes - où l'on donne des concerts, où Guil· laume joue du triangle lTOus la di· rection d'une chefIesse. «A partir de ce cœur, la 1Jille était en tuyau d'orgue. C'est·à-dire qu'un son qui partait de cette cour était répercuté jusqu'au recoin le plus loin de tous côtés. Ainsi, quand la musique était, elle organisait toute la 1Jille.:t Celle-ci, avec ses escaliers qui c colimacent:t, ses, appartements qui communiquent, ses couloirs encombrés de démé'nageurs, est construite comme un hallucinant décor de comedia delf arte. Tout y est possible. On ne s'étonne jamais que des personna· ges, des objets insolites apparais· sent, coupent la scène, disparaissent, comme dans Helzapopin ni même qu'Ehma, gênée par la pré. sence des intimes et voisins, doivent entrer dans le cercueil de son époux pour revêtir son séduisant costume de veuve. En fait, Coupry abolit les frontières du réel et de l'imaginaire, du logique et du fantastique. {Tne écriture rapide, aux phrases courtes, hachées, chargées d'incidentes savoureuses ou percutantes, qui nous entraîne de coqs à l'âne en pirouettes, de dérapages en ef· fractions, dans un monde fantaisiste et merveilleux du côté de chez Lewis Carroll ou de chez Raymond Queneau. A ce jeu, on craint toujours de voir l'auteur funambule se rompre les os, mais avec une sûreté surprenante pOUl un romancier de vingt-trois ans, Coupry évite toutes les embûches. Sa réussite tient à ceci que, sans en avoir l'air, il signifie beaucoup. Qu'est-ce que Guillaume sinon quelqu'un qui, à traven la vaine agitation de notre monde, cherche une raison d'être et les lumières de l'amour fou?

Claude Bonnefoy

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Avec le "best-seller" américain n01

Love Story est le best-seller n° 1 aux Etats-Unis: 360000 exemplaires publiés chez Harper and Row. Quatre clubs du livre - Literary Guild, Book of the Month, Reader's Olgest, Bargaln Club - l'ont acheté. Quatre millions d'exemplaires en livre de poche (New American Library). 10 millions de lectrices du magazine Ladies Home Journal. Erich Segal dit simplement que bientôt un quart de la population des USA aura lu son livre. Love Story va être traduit dans toutes les langues; l'auteur, polyglotte, contrôle la plupart des traductions. Erich Segal (33 ans) enseigne depuis six ans les classiques et la littérature comparée à l'université de Yale après avoir été étudiant et professeur à Harvard. Il a publié Euripldes: a collection of crltlca\ essays (textes réunis par l'auteur), Roman Laughter, une étude de mœurs des Romains du IIi' siècle basée sur les comédies de Plaute, P\autu5 three comedies, 400 pa· ges en vers, traduit du latin. Son prochain livre, The death of comedy, est un essai sur la comédie, d'Aristophane à Samuel Beckett.

Scénariste, il a été le co-auteur du Yellow Submarine des Beatles. Il a bien entendu écrit le scénario du film Love Story, et quatre autres films. Il travaille à une pièce de théâtre, Still Life, pense à un prochain roman et recommence ses cours le 15 septembre. Mais Erich Segal est aussi un athlète: il court 15 kilomètres tous les matins. Ce phénomène porte son succès avec joie, il en parle avec passion et exubérance, comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre. Il joue son rôle à merveille, avec une simplicité déconcertante. L'histoire de Love Story (Flammarion, éditeur) est très banale, Erich Segal l'avoue lui-même. Deux étudiants s'aiment et se marient. Elle est pauvre, lui est riche et se brouille avec son père. Pendant trois années heureuses et studieuses, ils mangent les spaghettis gagnés par la jeune femme. Il termine brillamment ses études de droit et trouve aussitôt une situation importante. Alors, elle meurt de leucémie. Il tombe dans les bras de son père et pleure.

A quoi attribuez-vous l'énorme succès de Love Story ?

une espèce de bon sentiment. Les lecteurs ont pleuré, ils ont ressenti quelque chose et cette chose était bonne. C'est une histoire de profonde bonté humaine et ça, c'est rare.

E.S. C'est un livre honnête. Je reçois des centaines de lettres qui disent seulement: «C'est vrai. Merci.» Des télégrammes aussi : « Est-ce que la sentimentalité est un signe de vieillesse? Si cela est, alors, à 23 ans, je suis très vieux. Merci pour Love Story.• L'amour entre les jeunes est comme ça en 1970. Les sentiments entre un père et un fils ont toujours été comme ça. Ces chiffres de énormes veulent dire que la jeunesse aime Love Story.

Vouliez-vous écrire un scénario ou un roman lorsque vous avez commencé Love Story ? . E.S. J'ai commencé uniquement avec l'idée de la mort

E.S. C'est ce qui fait le livre. Autrement cela aurait été un mélo. Pourquoi tous ces clichés? E.S. Parce que la seule chose importante était l'émotion et, pour le reste, les clichés me suffisaient. Tout est cliché, absolument, mais ainsi je pouvais aller au cœur de la situation. Je fais comme l'avantgarde, je travaille dans le système. Lorsque 25 000 personnes vont à Washington avec des pancartes, Nixon regarde un match de football à la télévision... Moi je suis une vedette, je peux parIer. Je travaille comme mes étudiants pour que le sénateur de mon choix soit élu et défende mes idées. Je travaille aussi au National Advisory Council of the Peace Corps dans un comité de quatre personnes avee Neil Amstrong, l'astronaute. Un jour j'ai reçu un coup de téléphone de la Maison Blanche me demandant de participer aux Peaee Corps. J'ai répondu que j'étais démocrate, anti-guerre et que je n'avais pas voté pour Nixon. «Nous savons tout sur vous» m'a-t-on répondu. J'ai parlé avec Nixon devant des journalistes. Il est malin. Il m'a dit: « Mr Segal, what Peace Corps needs is love. » J'ai répondu: « Mr Nixon, what Love Court needs is Peace.» Mes étudiants ont été ravis. Vous êtes professeur, scénariste. romancier, athlète, polyglotte, compositeur et acteur à vos heures, êtes-vous chaque fois un homme différent?

Comment ce succès a-t-il démarré? E.S. Love Story avait déjà été choisi par la Literary Guild (club du livre très important), l'éditeur faisait déjà de nouveaux tirages après de bonnes critiques, lorsqu'on m'invita à une émission de télévision: Today Show. Le résultat fut immédiat: même les librairies étalent vidées. Les critiques ont montré leur intérêt pour un auteur qui avait tout risqué pour être bon. En écrivant je n'avais pas l'impression de risquer. Mais Je n'habite pas New York et je ne fais pas partie des cyniques « Iiterati ». J'avais créé

premlere ligne que votre héroïne est morte?

E.S. Je suis toujours le même, autrement je serais dans un asile. Quel est l'Erich Segal que vous préférez? d'une Jeune femme et j'ai écrit le livre et le scénario à la fois. J'ai recommencé 28 fois le premier chapitre. Les 28 versions sont maintenant à la Bibliothèque de Harvard. Pourquoi annoncez-vous dès la

E.S. La totalité. Je suis com· me un athlète qui fait le décathlon à qui on demanderait s'il préfère le saut à la perche ou le saut en longueur. Ma spécialité c'est la diversité. Propos recueillis par

M.-C. B


HISTOIRE

Celui qui silence I.ITTiRAIRE

Félix Fénéon Œuvres plus que complètes Textes réunis et présentés' par Joan U. Halperin Droz éd., 2 vol., LXVII, 1087 p.

Anarchiste et dandy, éminence grise des lettres et des arts, cruel humoriste des nouvelles en trois lignes; l'énigmatique Fénéon a sa légende, pour ne pas dire son mythe, que Jean Paulhan fixa en publiant, il y a près de vingt-cinq ans, un choix de ses écrits précédé d'une fulgurante présentation. Voici maintenant, en deux gros volumes, ses œuvres complètes, et même plus, car elles comportent, outre tout ce qu'il a signé de son nom ou d'un pseudonyme, de nombreux textes anonymes retrouvés au prix de longues et perspicaces recherches. Avouons-le, on est d'abord sur· pris. On en était à la légende, à l'image de «celui qui silence », comme le définit Jarry, d'un Teste avant la lettre qui a fait taire en lui tout ce qui n'est pa" essentiel. Et on découvre non certes la prolixité, mais une abondance troublante. On s'étonne que Fénéon le laconique se soit si souvent attardé sur des ouvrages insignifiants, fût-ce pour les exé· cuter en quelques formules cino glantes, alors qu'il prétendait être un pur amateur, non un critique de métier. On s'interroge sur la valeur de telle notice de catalo· gue, admirablement imperson' nelle. Les nouvelles en trois lignes elles·mêmes, si savoureuses en petites doses, semblent désa· morcées, à nous arriver groupées par vagues de deux pages. On en vient à se demander si cette entreprise n'est pas, dans sa réussite, une manière de trahison. Voilà imposée à Fénéon jusqu'à la moindre ligne d'une œuvre dont il ne voulait pas entendre parler. « Pourquoi me contraindre à les éditer ? écrivait·il à Jean Paulhan qui le pressait de rassembler dans un livre quelquesuns de ses textes, c si certains ont une valeur, je conteste leur Double paradoxe de ces œuvres plus que complètes

restituées malgré lui à leur auteur! Mais Joan U. Halperin a ell raison de le soutenir, au risqut' d'égratigner nos idées reçues et de trahir la rare discrétion de Fénéon. Car, chez ce diable d'homme, la réalité dépasse toujours la légende. L'anarchiste qu'il fut, nous le connaissions par quelques anec· dotes et par le procès des Trente dans lequel il fut impliqué parce qu'on avait trouvé des détona· teurs et du mercure dans son bureau au ministère de la Guerre. Il fut acquitté, mais,' on s'en doute, perdit son emploi et entra alors à La Revue blanche: c'était en 1894. Joan U. Halperin a réussi à identifier ses notes et articles politiques, publiés sans signature dans f En Dehors, où il reprit notamment la rubrique du directeur Zo d'Axa lorsque celui-ci dut pas· ser en Angleterre pour fuir les poursuites policières, et aussi dans la Revue anarchiste et la Revue libértaire. Au total, une cinquantaine de pages, d'une viru· lence impitoyable, sans commune mesure avec le simple goût de la mystification auquel certains ont parfois voulu réduire son engage· ment: Fénéon fut plus qu'un sympathisant en un temps où il ne faisait pas bon participer au mouvement libertaire. Son univers esthétique On dessine mieux aussi, à la lecture de ces deux volumes, les paysages de son univers esthétique. Par ses sympathies comme par ses refus, Fénéon appartient à l'époque de l'Impressionnisme (plus encore, du post.impression. nisme) et du Symbolisme, comme il appartient à celle de l'Anar· chie. Sans doute il a pu organiser en 1912 la première exposition futuriste parisienne, collectionner les objets d'art nègre, publier Cocteau et d'autres aux éditions de la Sirène dont il s'occupa dans les années vingt. Mais il n'a écrit ni sur le cubisme ni sur le surréa· lisme. Il est resté un homme de 1890, l'ami de Signac et de Seurat, le collaborateur de la Revue blanche, qui disparut en 1903. . C'était l'âge de l'individualisme conquérant, en révolte contre toutes les formes figées, du vers

I.a Q!!Ïnzainc Littéraire du 10 au 30 septembre 1970

vu rougir de plaisir devant un beau a dit Verhaeren). Cette remarque nous permet de saisir la signification de ces nom· breux comptes rendus d'ouvrages médiocres qui pouvaient de prime abord nous surprendre. Ils sont de la même nature que les notes des journaux anarchistes et que les nouvelles en trois lignes. C'est . toujours un regard froid et sans appel porté sur le monde, le re· gard de l'humour. On connaît le schéma des nouvelles en trois li· gnes: il se ramène à un exposé elliptique qui transforme le fait divers, avec tous ses arrière· plans de passions humaines, en une observation clinique, scanda· leuse par sa brièveté : libre contre les règles de la pro· l!odie, de la spontanéité impres. sionniste contre les conventions de l'académisme, de l'égotisme aussi bien que de l'anarchie con· tre les cadres rigides de la société. Fénéon l'a peut-être senti avec plus d'acuité que ses contemporains ; il est allé souvent plus loin qu'eux dans ses conclusions ou simplement dans la précision pero cutante de son langage: de là vient l'accent moderne qui nous séduit en lui. Dès 1883, il condamne Bouguereau qui, dit-il, est tout, sauf peintre. Il ne cesse de minimiser le rôle du sujet dans la peinture et, à ce titre, déplore la c ferveur littératurière:) où Gauguin lui semble tomber. Il approuve le mot de Pissarro à Durand·Ruel qui s'étonnait, de· vant un tableau, d'une vache c imprévue des photographes : «Mais ce n'est pas une vache, c'est un ornement. A la notion d'école du c fini il réplique (il est vrai que c'est en 1930, mais il aurait pu le dire quarante ans plus tôt): «Ce qui importe, étant vérifiable, c'est que le ta· bleau ait été c commencé c'est· à·dire que son exécution ait été motivée par un problème de for. mes et de couleur, bien net et qui lui soit propre. Une étude atten· tive de BeS critiques de poésie, de théâtre et de romans laisserait apparaître, dans les mêmes limites du goût, des percées aussi pénée trantes. Il se détermine plutôt par des condamnations féroces que par des admirations (bien que sa légendaire impassibilité dissimule un réel don d'émotion: c Je l'ai

Jugeant sa fille (19 ans) trop peu austère, f horloger stépha. nois Jallot fa tuée. Il est vrai qu'il lui reste onze autres en· fants. Voici la critique d'un roman :

Jean Raden,' Parrain Pierre - Un monsieur amoureux de sa filleule apprend qu'il a pour ri· val son frère adoptif. Le déses· poir de cet homme justifie certes fentreprise de M. Jean Ra· den. Celle d'une exposition:

Jules Machard - Sur des épaules, des bras, des gorges, M. Machard manœuvre. Un écho de la Revue anarchiste:

Un agent de police, Maurice Marullas, s'est brûlé la cervelle. Sauvons de f oubli le nom de cet honnête homme. Et même un portrait du Petit Bottin des Lettres et des Arts:

Lemaître (Jules) - Appar. tient à cette catégorie de Nor· maliens - c'est la plus dange. reuse - qui feignent de comprendre quelque chose. Prises séparément, des nota· tions de ce genre peuvent passer pour de simples rosseries, et rien de plus. Multipliées, elles consti· tuent un anti·monde qui détruit l'ordre des choses par une subversion envahissante.

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COLLOQUE

Où en est

Fénéon

Nous ne sommes paS loin du Jarry de la Chandelle "erre. L'un comme l'autre, Jarry et Fénéon mettent en évidence la bêtise et l'absurdité en 8ubstituant un mé à la psychologie ou une logique autre au raisonnement commun. L'un comme l'autre, ils ont fut de'l'hUMBour une catégorie de l'esprit, et la plus efficace (1). Certes, Fénéon n'a plllJ créé un Ubu, ni un Faustroll; mUs les c: travaux indirects. auxquels il se complut 80nt, comme les &estes et les spéculations de Jarry, autant de brûlots destructeurs. . Les juges de 1894 qui l'acquittèrent n'ont pas compris qu'ils avuent bel et bien dUre à un terroriste. Ce n'étUt cependant pu faute d'avoir été prévenus. Mallarmé l'avut déclaré à un jounialiate, le jour même de l'ar. restation de son jeune ami: c: On parle, dite8-vous, de détonateUJ'8. Certes, il n'y avait pas, pour Fénéon, de meilleurs détonateUJ'8 que ses articles. Et je ne pense pas qu'on puisse se servir d'arme plus efficace que la littérature••

Sous la présidence de M. Gilbert Gadoffre vient de se tenir à Loches un colloque réunissant un certain nombre d'écrivains (romanciers, poètes. essayistes) qui ont le plus vivement contribué ces dernières années à l'évolution des formes littéraires. Le

Avant-sarde ou troisième vasue? par Gilbert Gadoffre Les vagues et les nouvelles vagues se succèdent à un rythme si rapide que le public a ·peine à suivre, à démêler le nouveau de l'ancien, ou même à deviner ce que chaque vague dépose derrière elle. La notion d'Avant-Garde elle-même est utilisée à des fins si diverses qu'elle crée de nouvelles confusions. Combien d'arrière-gardes maquillées se font passer pour avant-gardes? Et combien d'authentiques novateurs récusent l'appartenance à l'AvantGarde par crainte des voisinages douteux ou par horreur du régiment? Convenons qu'il est düficile de s'installer soi-même dans l'Histoi· re en trUn de se faire. Comment parier sans outrecuidance que demUn sera fut de la même étoffe que n08 rêves? On peut faire mille objections à cette attitude, mais elles ne changeruent rien au fond des choses: l'Histoire est faite par ceux qui prennent

Michel Décaudin. (1) On n'a pu ftn1 de dépister toutes les manifestations de lIOn ·humour.

Oqeons qu'fi n'a jamaJs songé à 6cr1re ce roman annoncé en 1883 dans _ termes que vo1c1: La Vaselée, r0man psycboJogique. 1" partie: Eah! Ji. partie: Beas· paplDoas noIâ&reII ......t lu le mucle snematlqae cie JaetaeIJDe. Se partie: Le ut cie Paal sa. 4- partie: L'œil t.'ft da pIIte Mais quelle belle occasion de ridiculiser. par un simple titre; une tendance et une écriture romarw;ques à 1& mode 1

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thème en était: • Avantgarde et Nouveau roman •. Nous publions ci-dessous les conclusions qu'a tirées pour nous Gilbert Gadoffre d'une discussion nourrie et animée ainsi que des extraits de quelques interventions parmi les plus marquantes.

des options sur elle et qui osent le pari, même s'il ne suffit pas de parier pour gagner. C'est en 1956 que l'Institut Collégial Européen avait invité à un colloque sur «L'après-guerre estil terminé? • Nathalie Sarraute, Robbe-Grillet, Ionesco, Boris de Schlozer, Kyra Stromberg, John Weightman et Chapman Mortimer. La déstalinisation' de la Russie avut déjà commencé, celle de l'Eglise n'était prévisible que pour ceux qui suivaient ses affaires de près, mais la décolonisa· tion était déjà entamée et la décomposition de la IV· République assez visible. La littérature allaitelle continuer sur sa lancée, comme si les cartes politiques et les grands espoirs de la Libération étaient toujours là? On pouvait soulever la question. Mais bien peu se l'étaient posée. Les novateurs eux-mêmes n'accusaient aucune sensation de rupture, et Robbe-Grillet 8e prenait pour un écrivUn existentialiste. Ce n'est qu'au terme d'Une semUne d'échange d'idées, suivie de nouvelles rencontres, que la notion de Nouveau roman se fit jour. Le pari étUt fait. Quatorze ans plus tard, unautre groupe d'écrivains 8e réunit à Loches, aU88i disparate que le premier, et - à peu d'exceptions près - aussi indécis 8ur ce qui les rattache aux cénacles de leurs ainés. L'Avant-Garde qui 8'est polarisée autour du Nouveau roman au cours des années cinquante est-elle encore en phase d'activité? Et lisent-ils Tel Quel avec les mêmes yeux qu'avant 1968? Sur ces deux points, aucune réponse ne faisait l'unanimité. Mais à mesure que la discU88ion et la vie commune rap-

prochaient les esprits, d.s points de convergence apparaissaient. Une certaine impatience aux contraintes, aux contraintes des sociétés surorganisées de l'Ouest et de l'Est, à celles des technocrates de la littérature. «L'imagination et non la linguistique », s'écriait Pierre Bourgeade. Plus de carcans rationalistes, plus de déterminismes à prix unique. On trouvait aussi un désir de communication qui s'était fait rare au milieu du siècle. Non que ces jeunes écrivains sautent pardessus les obstacles entre leur public et eux, mais ils admettent l'existence d'un problème que leurs prédécesseurs éludaient, et ils sont prêts à remettre en cause le monopole du livre. Ecrire sur les murs, disait l'un, les massmedia, pourquoi pas, disait l'autre, et tout n'est pas à dédaigner dans le pop art. Ceux qui manifestaient le plus de confiance dans le livre réclamaient de nouveaux modes de lecture. Entre la littérature et ses véhicules, les re· lations semblaient changées d'une manière ou d'une autre. Et surtout chacun revendiquait la première place pour l'imagination, et c'est là qu'on voyait le mieux l'impact de mai 1968. L'imagination au pouvoir. Sur ce point-là, pas de réserves. . Tout se passe comme si une réaction anti-rationaliste se préparait pour les années 70, après trente ans de littérature universitaire. Comment s'en étonner? L'histoire de la culture est un perpétuel dialogue entre les forces de l'imagination et celles du rationalisme, avec des avantages provisoires tantôt de l'un, tantôt de l'autre. Maintenant que nous voici engagés plus loin que jamais dans la société technologique, il n'est peut-être pas mauvais que des poussées contraires maintiennent l'équilibre. L'avenir dira si elles ont réussi.

G.G.

Michel Deguy Il n'y a plus de polarisation de l'Avant-garde autour du c Nouveau Roman •• Le nouvel effet d'optique, ou mirage de rassemblement, est le structuralisme; c'est à la fois un leurre et une réalité :


l'avant-garde? 1) Un leurre, 'parce que les Intéressés fie se reconnaissent pas c structuralistes., ne savent pas ce que que le structuralisme, refusent les rapprochements imposés par les organes d'information; 2) Une réalité, parce que, plus profondément que leurs distinctions ou dissensions, l'essence de l'époque tient tous ceux qui y travaillent, et le structuralisme désigne a.<;SeZ bien la coïncidence de la démarche des «-sciences humaines,. (incl\lant la pratique et la théorie de la littérature de plus en plus) avec le creste. du règne de' la Technique entendue au sens heideggerien.

Que se passe-t-i1 ? Car que se passe-t-il ? Une forIpidable crispation de la terre pour f objectivité, à partir et en vue de fobjectivité; l'accaparement de tout à l'aune de l'objectivité scientifique: de sorte que la dubitation formidable, l'hésitation et le délitement, la dé. construction la destruction s'emparent de toutes les «diffé· rences avant que (et pour que), les engloutissant, la re-production les objective: l'objectif c'est la monotonie terrifiante de la re· structuration de tout «phénomène» selon une même unité de essentiellement tique. La dénonciation univer· selle des différences se poursuit.et s'achève et la tâche de rabattre tout dans «le tout à dimension à quoi collabo· rent à leur place les structura, lismes,. d'unifier le divers en le réduisant à la teneur essentielle· « technique »,. dit à son être-scientifiable : ascèse sacqfice' .insensé pour l'objectivité .et le .« réalis'me » ainsi entendu (<<' sans rivàge»). Que peut.il se p'asser les à venir, qu'annoncerait et précéderait quelque peu, et remarquer, l'avant-garde» ? a) Un renforcement de la «théorie., . par essence c terrible., donc, au regard du passé la c therrorie •. Une emprise toujours plus forte et décisive du (néo) séientlBmè-positivisme dans la forme de l'assignation et de la légalisation des c structures ", (Rejetant à l'insignifiant les génialités c romanesques" et. aqtres.) " b) En conjonction (ou en opposition, mais ça revient au même) avec le marxisme (léninisme) dans sa forme rénovée, .i.e. c althussérienne. et autre, avec la tentat..1ve (la c dernière carte.) de. doimer le marxisme pout la science, pour lùt extorquer les critères de la scient11lcité des sciences,. etc.

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La Q.!!inzainc IJttéraire du 16

:lU

Un assujettissement de plus en plus fort de toutes les pratlq!les Incluant les c pratiques littéraires •.(ci-devant « genres.) dans la Pratique, c'est-àdire dans une théorie générale marxiste de la pratique; à 1lnalité soelo c révolutionnaire., c'est-àdire c totalitaire. au .sens de l'un11lcation socio-politique de la c terre •. c) Les formes de résistance à ce mouvement général, sans doute irrépressible. (Mais toute c résistance :Y étant déterminée comme c réaction'. dans l'optique dominante de la etherrorie ., se trouve préjorativ1sée, infirmée a priori..) Le refus du c totalitaire.; les tentatives an-archiques, dont les meilleures' seront celles qui ne sont pas c obscurantistes., mais parfaitement avisées. de l'essence de l'époque et donc à hauteur de c connaissance scient11ique ". Une c soriie désespérée ", une tentative (multiple) de faire que le c poème. (c l'art .) ne soit pas seulement une fragile avance ou escapade par. rapport à la c théQrie. en chasse qui régularise immédiatement la situation. Autrement dit, l'invention de 'réponses enébre imprévisibles aux de Lautréamont: y a-t-il une objectivité .pOétique .qui ne puisse être confqndue avec l'objectivité scientifique? Le « par tous .. renvoie-t-il à autre chose qu'à la mass11lcatioIÎ ,et conformlsation galopante d'une unanimité «technique"; renvoie-t-il à des centres de libertés associés, plutôt qu'à des groupes de loisir programmés, etc.? Que veut dire «consoler l'humanité,.? (début des «poésies") ?

Nathalie Sarraute Le nouveau roman, cherchant à reprendre le mouvement si bril· lamment commencé dans le premier quart de ce siècle, a affirmé que le roman est up art comme les autres et que pour vivre et se développer il doit constamment sè déplacer, aller du connu à finconnu, de f exploré à. finexploré, à la recherche trun ordre de sensations neuf. Il, a.affirmé que cet ordre de sensations neuf ne pouvant être révélé que par des formes neuves, il fallait abandonner les vieilles formes, autrefois efficaces, et devenues inutiles, gênantes - telle que le personnage, fintrigue, le temps chronologique... Le nouveau roman rappelait tous ceux, si nombreux, qUl f avaient oublié, que le rQman étant un art, et.:régal des autres arts, sa substance p'ropre, le lan,· gage, en constitUe f.élément essen· tiel. Ces p,o,ints de sont qujourtr [i.ui pqr les jeunes romanciers. .Mais certains 'trentre eux veulent aller plus loin. Ils cherchent

à faire du roman une forme pure qui ne renverrait à rien trautre qu'à elle-même, le se constituant à partir du seul langage et se contentant de ses jeux. Il ne me paraît pas possible de se passer de ce qui est à mes yeux la source vive de toute 'œuvre :. des sensations neuves,. encore intactes, qui nous sont données par le monde qui nous entoure. Ces sensations, seul le langage permet au romancier de les capter, au prix trune exploration difficile et dangereuse, sans modèles, sans cadres rassurants, sans gardefous. Le langage leur, donne f existence et elles, à leur tour, lui donnent toutes ses vertus. L'expérience montrera si les seuls. jeux gratuits de f écriture peuvent réussir à créer des formes vivantes. Pour ma part, je' ne le crois pas. J'ai la conviction qlf8 r expérience commencée par le nouveau roman ·ne pourl'a se développer, à la manière de tOllt art, .que grâce à f apport continll de . formes neuves porteuses de mondes sensibles encore inconnus.

Faire le vide Peut·on échapper au mauvais infini moderne,' je veUX dire à l'indéfinie pourswte d'une limite· illimitée qui recule avec' ia préci· sion indéfiniment croissante des appareils de' la techniqùe, etc. ? Qu'est-ce que la limite, 'la figure, le spacièux, la mort, la parole? .< poésie» pourra.t:elle encore répondre? Saùra-t·elle encore faire le vide pour ce que Mal· larmé appelait le Vierge'? Travail harassanf de la limite, qui impli. que la critique des pouvoirs du langage, l'exercice· d'un 'savoir toujours trop pauvre pour ne pas désespérer, et la référence à ·l'invisible qui attire la parole. (Inutile· de mentionner,' bien sOr, des innombrables formes que l'ont encore pour deS décerinies toute sorte c d'avant-gardes., en c jouant. avec les produits et sous-produits, c'est-à-c:ijre les PQSSibilités toujours multipliées, !le tecbnlqq,e, les Fetoll?-bées lhcessantes de la technique du cÔté décoratif et ainusant"des c' àrfs ., en 'Variétés de clnétisme,;' s1tnurtè.néisme, plasticismt; etc.) JO septembre 1910

J.M.G. Le Clézio Tout trabord, je crois qu'il n'y a pas eu de ·nouveau roman à proprement parler: il a eU,simplement la mise à jour, en France, à un moment donné, trœuvres inspirées directe-,nent par la nouvelle cOnscience littéraire, issue de Jar· ry, du surréalisme, de Joyce, de Faulkner, et de beaucoup··trautres. Dans ce sens, on peut dire que, le nouveau roman français (N. Sarr/Jute, Simon) a été plutôt en retard. Maintenant, il me sem· ble que cette nouvelle conscience (nouvelle façon de voir, nouvelle façon de concevoir) n'a jamais été en rupl!Ure avec les :grands courants de la pensée occidentale moderne: elle a dOnc évolué. L'essentiel de cette' .évolution (mais c'est difficile tren parler rapidement)! a .été, il me semble, un paTC!>urs menalU, de findividu à funiversel:· je. .dire que f enquête individualiste abaolùe

des Gommes, par exemple, n'est plus suffisante aujourtrhui. Le regard de f écrivain découvrant que tout homme est un univers est en train de découvrir que tout homme est aussi un groupe tr hommes. Le premier temps était nécessaire pour tuer le réalisme extérieur, le deuxième temps pour faire éclater les prétendues limites de la: psychologie et de findividu. L'écrivain a donc quelques chances de trouver sa place entre le sujet et faction, c'est-à-dire entre findigène et ethnologue. Cela dit, je dois avouer que je n'ai aucune espèce tridée sur ce qu'on appelle f a1Jant-gardè, Ce mot me; donne, fimpression désagr.éable que les écrivains (et les intellectuels) forment une armée, et 'ont des batailles à litJTer ·et·de$1·guerres à gagner. le"ne me seris pas fâme trun soldat. Tant pis pour moi.

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HONCRIE

L'IlDITION

Comment vit un écrivain

EN

EUROPE

Au calé «New où se rencontrent traditionnellement les écrivains, et qui s'appelle actuellement «Café je bavarde avec un écrivain bongrois. Les fresques chastement érotiques, la colonnade entortillée de res, toute cette ambiance vigoureusement «art nouveau a été le témoin impassible de tous les mouvements, espoirs et déceptions littéraires et intellectuels de ce siècle - les années cinquante exceptées, quand Rlikosi a fait du café au renom fabuleux (qu'Endre Ady et sa génération ont consacré comme foyer spirituel), un magasin d'articles de sports. Après 1956, le café a retrouvé sa fonction originale et naturelle - et ses anciens clients.

A "occasion de la Foire an· nuelle du livre à Francfort, nous avons demandé à plusieurs de nos correspondants (un éditeur, deux collaborateurs de maisons d'édition, un critique littéraire) de brosser pour nos lecteurs un tableau de l'édition dans leurs pays respectifs. C'est à dessein que nous avons choisi l'Angle-

Comment débute aujourd'hui un écrivain en H ongrié ?

En écrivant dans les revues.

Devenir écrivain en Hongrie c'est à la fois facile et difficile. Ou, plus précisément: vivre de sa plume va sans grandes difficultés ; mais devenir un écrivain connu, c'est beaucoup plus difficile. Si quelqu'un a une certaine facilité d'écriture et d'invention, et l'assiduité au travail, il peut travailler beaucoup pour la radio, pour la télévision, en révisant sur le plan de l'écriture les publications techniques et autres; s'il

sait quelques langues étrangères, la traduction donne de grandes possibilités. Mais il ne devient pas écrivain aux yeux du public et de ses collègues.

Alors, comment de1Jient-on écrivain?

Combien de revues littéraires avez-t)ous ? Si on ne compte pas les suppléments de dimanche des quotidiens qui publient régulièrement et en assez grande quantité des œuvres littéraires - il est vrai souvent d'un niveau douteux - , si nous laissons de côté les ou cinq revues littéraires de province parmi lesquelles il y a de grandes différences de niveau, ce qui compte c'est deux mensuels et un hebdomadaire. Les écri·

Bernard Teyssèdre Le thème du colloque est des mieux choisis: pourquoi n'y at-U pas en France d'avant-garde littéraire? pourquoi les écrivains et leurs lecteurs ne sont-ils pas rassasiés jusqu'à la. nausée d'une écriture référentielle qui se croit tenue de préserver un récit, des personnages, des décors, ou tout au moins quelque sentiment breveté, quelque idée analysée? pourquoi les auteurs attendent-ils encore de leurs lecteurs une connivence (et une connivence par le bas), en leur proposant des textesobjets·qui font appel à leur «délectation ou leur au lieu texte-stimulus qui leur ferait violence, qui leur donnerait mauvaise conscience, qui tendrait à les modifier? En un mot, pourquoi la littérature estelle restée l'affaire de littérateurs

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?

C'est sans doute que de plU!' en plus la' France devient un pays culturellemcnt sous-développé ; où sont-ils nos Joyce, nos Pound, nOS Cummïngs, nos Burroughs? ces étrangers, qui devraient être la préhistoire de l'écriture actuelle, ou son terreau maintes fois foulé, remanié, recouvert, ils sont plutôt en avant de nos écrivains, qui (je parle des meilléurs) s'essoufflent à les rattraper! Notre «nouveau roman est resté tout aussi roman que l'ancien et Change reste Tel Quel. Encore n'est-ce pas assez dire .: la littérature française est à la traîne de la littérature, mais la littérature entière marque le pas, elle n'a 'pas encore son Pollock, son Newman, son Stockhausen,.elle n'en est même pas arrivée à Mondrian, à Wehern ou à Varèse !

terre et l'Allemagne où, à liste, en Hongrie il existait à peu l'Ouest, des changements imporprès deux douzaines d'éditeurs tants se sont poduits ces dernièqui publiaient au moins de res années, tandis qu'à l'Est la temps en temps - des œuvres litHongrie et la Yougoslavie ont téraires. La plupart ont repris apporté diverses améliorations leur activité après la libération. à l'étatisation telle qu'elle était Après la prise de pouvoir compratiquée dans l'édition aussitôt muniste, en 1949, on a introduit après la guerre. aussi sur ce terrain la copie rigide de la pratique soviétique. Avec l'étatisation des éditeurs, toute compétition a cessé, même les maisons de tradition glorieuse et de renommée bien assise ont disvains qui sont publiés par ces paru et leur place a été prise par revues avec une certaine régulade nouvelles maisons avec un rité comptent aux yeux du public, champ d'activité strictement délides collègues et d'eux-mêmes. Il est presque sûr qu'ils sont bien mité, comme je viens de le dire. La spécialisation était en même vus par les éditeurs s'ils se présentemps une garantie de monopole : tent avec un volume.. jusqu'en 1955, les Editions des Combien de maisons d'édition Belles Lettres étaient l'unique maison à laquelle un écrivain pouexistent en Hongrie? vait présenter son manuscrit, et s'il était refusé, ses possibilités de Une bonne vingtaine, mais la plupart sont spécialisés: scien- paraître ailleurs étaient minimes. A la rigueur, il pouvait faire apces, sport, vulgarisation scientifique, agriculture, beaux- pel à l'Union des Ecrivains ou au arts, techniques, ete. Et ces «spé- Parti. Après 1953, quand des cialités fixées officiellement sont vents plus frais commencèrent à rigoureusement respectées. Il y a souffler, les écrivains exigèrent de plus en plus vigoureusement un deux maisons d'édition littéraire: l'Edition des Belles-Lettres (Szépi- jugement de deuXième instance : rodalmi Kiado)' et les Editions c'est ainsi que «Le Semeur est du Semeur (Magveto). Une troi- né, et avec lui au moins le germe sième compte pour l'opinion pu- de la compétition, du jugement blique plus que les deux autres différent. Naturellement cette difprises ensemble : les Editions Eu- férence de jugement reste entre ropa. Elles publient les ouvrages des limites assez étroites, puisque <-ks littératures étrangères en lan- le patron des deux maisons -gue hongroise. Le rôle de cette comme d'ailleurs de la plupart maison a été énorme et ·très salu- des autres aussi - est le même : taire dans l'effort pour rattraper la des Editions au Mile retard causé par la dizaine nistère de la Culture. Les Edid'années' de stalinisme rigoureux tions des Belles-Lettres 'sont plusous Rlikosi. C'est cette maison tôt conservatrices, plus rigides, qui a publié Camus, Robbe-Gril- tandis que «Le Semeur est plus let, Duras, Beckett, aussi bien que versatile, plus expérimentateur, et, de ce fait, Druon ou Simenon ; Hemingway plus alerte comme Capote, Kerouac comme éveille plus d'attention et de pasKafka; Soljénitsyne comme Tvar- sions. En ce qui concerne le nomdovsky, Becher comme BoIl - et bre d'ouVrages publiés, toutes la liste pourrait être allongée si deux sont à peu près au même l'on y ajoute. les littératures : chacune sort à peu près d'Extrême-Orient. Mais cette mai- 300 titres par an, avec un léger avantage pour le «Szépirodalmi son ne fait que des traductions en général sur un niveau élevé, qui a la charge des grandes séries classiques. il est vrai. ;

Pourquoi avez-t)ous deux mal50ns littéraires? Pourquoi pas une seule - ou dix?

Qu'est cette Direction des Editions que VOU5 venez de mentionner?

Pour faire vraiment dre cela, je devrais vous raconter rhistoire du dernier quart de siècle. Essayons de résumer. Avant la libération. à l'époque capita-

C'est l'organe de direction administrative des éditeurs. Organe de contrôle et de dotation - matériellement et· spirituellement. C'est l'instance qui approuve les


LES LETTRES NOUVELLES

dirigées par Maurice Nadeau

ÉCRIVAINS FRANÇAIS

JEAN POMMIER

Le Spectacle intérieur

plans annuels des éditeurs, qui leur assure les bases financières et matérielles - papier, imprimeur, etc. - de leur fonctionnement, qui coordonne les plans des différentes maisons. Cet organe a rempli cette tâche avec plus ou moins d'efficacité tant que la structure staliniste rigide de l'économie et de l'administration était intacte. Mais depuis deux ou trois ans, depuis l'introduction de la nouvelle et plus souple politique économique - appelée chez nous «nouveau mécanisme» - dont le but est justement d'abolir cette rigidité, d'établir des relations économiques et administratives plus compétitives, la Direction des Editions est devenue de plus en plus superflue, donc arrogante.

Un livre rare. Jacqueline Piatier, LE MONDE L'équivalent du beau livre d'Alain: Histoire de mes pensées. Claude Mauriac, LE FIGARO

Rappels

MARC BERNARD

Mayorquinas Un livre exemplaire, dense et ponctué de cette trop rare humanité qui échappe aux auteurs contemporains. Lucien Maillard, COMBAT

La Direction de f édition est donc f office de la censure ? J'explique maintenant pour la nième fois à un étranger qu'en Hongrie il n'y a pas d'office de censure. Si un écrivain ou un journaliste présente un papier à un journal, à un éditeur ou à la radio, c'est la rédaction elle-même qui décide de la publication ou du refus, et c'est elle qui assume la responsabilité de 8a décision. Cela veut évidemment dire que les responsables même les rédacteurs ou lecteurs d'une maison 80nt parfaitement «au parfum» des limites momentanées du possible et de l'impossible et c'est en relation de ces connaissances qu'ils établissent leur jugement et leur politique. Pour vous donner un exemple familier: autant que ie' me souvienne, tout l'œuvre 1'0 de Camus a été pu])iié et une bonne partie de son théâtre ; mais personne ne proposera sérieusement, je suppose, aux Editions Europa de publier fHomme révolté ou même le Mythe de Sisyphe. J'espère que vous voyez ce que je veux dire. Evidemment, il y a des cas limites où les opinions diffèrent; dans ces cas-là, l'éditeur demande l'opinion de la Direction qui ne la donnera sûrement pas sans consulter la Section Culturelle de la Centrale du Parti. Mais ceci est vraiment rare; selon ma connaissance, cela n'arrive qu'une ou deux fois par an.

Quel chemin prend alors le manlUlcrit ? I.a Q!!inzainc Littéraire, du 16

<lU

VIVIANE FORRESTER

Ainsi des exilés Le café Hungaria, à Budapest.

Si l'auteur est un débutant, il présente simplement son livre chez un éditeur. S'il a déjà publié, il est plus que probable que l'éditeur fera un contrat avec lui dès qu'il présentera le projet d'un nouveau livre et lui versera des avances si nécessaire, même en plusieurs tranches - , mais l'avance ne peut pas dépasser les 60 % de la totalité des honoraires. Quand le manuscrit est terminé, il est lu au moins par deux lecteurs, et en prenant en consi· dération leur opinion, le directeur littéraire décide de l'édition ou non. En principe il est possible, en pratique il est extrêmement rare qu'un manuscrit soit refusé par l'un des éditeurs et accepté par l'autre.

Pourquoi? Ils échangent leurs opinions entre eux? Non; autant que je 8ache, cela est même interdit. Mais, comme partout, les lecteurs forment un clan, le8 amis se racontent mutuellement ce qui les intéresse, ou p'assionne, ou intrigue dans leur travail. Mais ce n'est pas ça qui compte; plutôt le fait que si la raison du refus était politique ce qui est d'ailleurs un cas plutôt JO septembre 1970

rare - alors les mêmes normes sont valables pour les deux édi-' teurs.

Que gagne un écrivain en grie ?

Souvent l'écrivain a un second métier - par exemple il..est lecteur dans une des maisons d'édition, comme Gyula Illyés à l'Europa ou Ferenc Juhasz aux BellesLettres. Je pourrais vous citer deux cas extrêmes: J anos Pilinszky, d'une part, qui est considéré par l'opinion comme un des poètes les plus importants de notre époque. Pilinszky écrit très rarement la quarantaine passée, 80n œuvre ne dépasse pas une cinquantaine de poèmes. Son revenu d'écrivain est donc à peu prè8 nul; il vit de ce qu'il gagne dans un hebdomadaire. L'autre cas est celui d'Andras Ber k e s i, un 80USFleming au vernis communiste, dont les romans et pièces de théâtre d'espionnage 80nt très populaires. Son revenu annuel dépasse le million de florins (200 000 nou. veaux francs).

Un ton constamment juste, une sensibilité presque secrète et particulièrement attachante. Tristan Renaud, LES LETTRES FRANÇAISES

JEAN-CLAUDE HEMERY

Anamorphoses Livre de spéléologue et d'archéologue, cette suite de textes reprend, avec un tissage sur l'imaginaire, la vie du narrateur et la livre à l'expérience de l'écriture. Jacques-Pierre Amette, NOUVELLE REVUE FRANÇAISE.

GENEVIEVE SERREAU

Cher point du monde Un style haché,violent,rapide,d'une remarquable efficacité narrative. Bernard Pingaud, QUINZAINE LITTERAIRE

Comment sont payés les manlUlcrits? En pourcentage après la vente?

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Hongrie

Non; la disparition de ce système a été une des grandes conquêtes de l'étatisation. Le prix de base d'une œuvre n'est pas inlluencé par son écoulement. Entre les limites d'un éventail fixé, les ouvrages sont payés selon leur volume. Les poèmes d'après le nombre de lignes, la prose d'après les feuilles imprimées - en comptant 40 000 frappes pour une feuille. (Il y avait de mauvaises langues qui ont attribué la vogue - d'ailleurs assez courte de la technique poétique maïa· kovskyenne, brisant les unités de rythme en deux ou trois lignes, à cette méthode de calcul.) Le prix d'un vers varie entre l,50 à 4 flo· rins, une «feuille» de prose en· tre 1 200 à 2 000 1l0rins pour le nombre d'exemplaires de base qui est pour un volume de poésie 3 000 et pour un roman 5 000. Cela veut dire que même si le tirage est inférieur, l'éditeur paie ces honoraires entièrement au mo· ment de la parution. Si le livre parait à un tirage plus fort ou dans une nouvelle édition, l'auteur a droit à des honoraires supplémentaires, mais selon une échelle dégressive. Supposons que l'auteur a touché 1 600 1l0rins pour les premiers cinq mille exemplaires, mais que l'éditeur fait paraître son livre à 15 000 exemplaires : pour les trois mille suivants, il aura 1 400 1l0rins, pour les trois ou cinq mille suivants, de nouveau 1 200 1l0rins, et ainsi de suite. Au-dessus de 20.25000, l'augmentation devient de plus en plus minIme - excepté le cas extrêmement rare dans un pays de dix millions d'habi· tants, où le livre dépasse les 100 000. A ce moment, on recom· mence à zéro. Les écrivains en général vivent à un niveau moyen honnête: il n'y a ni de vrais «riches », ni de vraiment miséra· bles.

Alors, c'est un système soda'le· ment très réussi. Socialement peut-être; mais ii n'est pas sûr que ce système soit aussi réussi du point de vue de l'art. La base idéologique de tout le système d'honoraires est une conception de marxisme vulgaire qui a étendu la condamnation du c: revenu sans travail - donc de l'exploitation au travail artistique. L'abolition de l'exploi.

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tation est une chose magnüique, mais l'écrivain n'exploite personne, même s'il vivait du revenu d'un seul ouvrage pendant plusieurs années. Cette conception - et les réglementations qui en résultent - ont comme effet que l'écrivain moyen, s'il est assidu au travail, est beaucoup mieux rému· néré que celui qui produit rarement, mais des œuvres exceptionnelles. Et la situation des poètes et des auteurs de nouvelles est particulièrement désavantageuse : si le poète reprend un poème paru dans un volume antérieur dans une anthologie, en calculant les honoraires on tiendra compte des publications antérieures et il n'aura droit qu'à quelques sous ou même à rien, si disons son premier volume a paru à 1 500 exem· plaires et s'il en reprend une partie dans un autre volume qui tire également à 1 500: il était payé dès le début déjà à 3 000.

Donc r auteur n'est pas inté· ressé par une nouvelle édition? Au contraire! Même s'il ne touche pas un sou, il luttera de toutes ses forces pour la nouvelle édition: c'est l'unique mesure véritable de son succès, de sa popularité ou de son inlluence sur ses lecteurs - existe-t-il uu écrivain au monde qui ne soit pas sensible à cela? D'autre part, cette échelle dégressive, si elle n'est pas juste, n'est pas non plus catastrophique: la somme qu'un romancier touche lors d'une nouvelle édition peut être considérable. A part cela, si un de ses livres était déjà un succès de librairie, l'auteur peut espérer que son prochain livre sera «planifié» dès le début avec un tirage important. La difficulté réside plutôt dans le fait que le méca· nisme d'une nouvelle édition est extrêmement lourd. En pratique, aucun livre ne peut donner sa mesure en librairie tant que l'édi· teur doit se débattre dans les labyrinthes multiples de la planification, de l'octroi du supplément de papier, du contrat d'imprimerie et surtout de la technique hon· teusement lente et arriérée des imprimeries.

Et les libraires, qu'est-ce qu'ils font? Ils ne forcent pas les éditeurs et les imprimeries à un tra-

vail plus rapide s'ils sentent rodeur tEune bonne affaire? A l'époque capitaliste, le nom courant du libraire en hongrois était c: marchand de livres ». Actuellement et officiellement, il s'appelle colporteur ou distribu· teur de livres. Cette différence n'est pas seulement un raffine'ment sémantique. L'étatisation, en éliminant l'idéè et la pratique du profit, a en même temps éliminé la mentalité de compétition: le libraire de chez nous se sent beaucoup plus comme un fonctionnaire peu considéré et mal payé d'ailleurs _. que comme un marchand. Cet effet a été renforcé par le fait que l'étatisation n'a pas connu d'exception, chaque petite boutique y est passée et la diffusion des livres pour l'ensemble du pays a été concentrée dans une seule entreprise colossale. Aujourd'hui, nous avons déjà dépassé ce stade, la diffusion des livres se fait par trois grandes entreprises. Mais il est significatif que ces entreprises ne sont pas concurrentielles. Elles opèrent, comme des trusts capita. listes, par le partage du marché : l'un s'occupe de la vente en librairie et de l'alimentation des bibliothèques (dont le réseau est très important), l'autre des commissionnaires dans les usines et autres lieux de travail et le troisième - dont la tâche est certai· nement la plus dure de la campagne. Ceci est d'ailleurs une bonne illustration de toute notre situa· tion économique: un système économique erroné mais logique ne peut être que péniblement rafistolé par des corrections n'allant pas au fond. Un des traits caractéristiques des conceptions économiques du stalinisme était la séparation stricte de la planification, de la réalisation et de l'écoulement des produits. La projection de cette conception dans notre domaine avait une conséquence simple: l'édition, le colportage et les imprimeries, tous relevaient de différents ministères. L'entreprise de diffusion était obligée d'acheter en entier le produit de l'éditeur et de le payer au moment de la livraison; donc il était fort possible - même chose courante - que le bilan de l'éditeur montre des gains considéra· bles, tandis que le diffuseur eure·

gistrait - avec et à cause des mêmes livres - des pertes. Le «nouveau mécanisme économique exige la compétition dans ces domaines. Mais il semble que, par manque d'invention, par peur de tout ce qui est nouveau ou même par opposition politique sournoise, les cadres moyens qui avaient la tâche d'établir les mo· dalités d'exécution sur notre ter· rain, l'ont presque tourné en son contraire. Les prix complètement factices d'imprimerie - comme les prix de revient dans toute no. tre économie - ont dû être en grande partie libérés, mais puisque le prix du livre a dû rester - pour des raisons économiques aussi bien que politiques - modeste, cela a eu comme effet que les imprimeries acceptent n'importe quelle autre commande plus volontiers que les commandes d'éditeurs. Le «nouveau mécanisme va dans sa conception contre la centralisation outrée, pour l'initiative et la compétition de base; ici les mêmes directives ont pu être utilisées comme les leviers d'une centralisation renforcée.

L'édition hongroise est donc en mauvaise posture ? Non, surtout si nous comparons la situation actuelle avec celle du régime Rlikosi. Le développement est énorme, on ne peut pas comparer la richesse et la diversité de ce qui est à la portée du public actuellement avec l'offre d'avant 1956. Et la lecture, même la lecture des poèmes, est une passion chez nous. Nous nous tromperions si nous ne voyions pas cer· tains signes de crise : la vie économique plus animée offre plus de possibilités d'achat, mais en dépit du prix modeste des livres, les gens réfléchissent à deux fois avant de dépenser leur peu d'ar· gent superflu pour la littérature. A côté des signes de crise, on peut voir aussi les signes prometteurs de convalescence. Dans ce domaine aussi, on réussira à trouver la solution des problèmes selon la raison et l'efficacité, tout en sauvegardant les vrais principes du socialisme mais d'un socialisme dépouillé des dogmes et des mythes.

Propos recueillis par J.P.


ANCLETERRE

Trusts et éditeurs Beaucoup de changements ont eu lieu au cours de ces deux der· nières années dans l'édition an· glaise. C'est seulement mainte· nant qu'il est possible de tirer les premières conclusions et de pré. voir l'évolution ultérieure. L'échec récent de McGraw Hill, le géant parmi les éditeurs uni· versitaires américains qui n'a pas réussi à prendre le contrôle de Penguin Books a arrêté pour un certain temps l'invasion américai· ne dans l'édition anglaise. Mais il reste évident ques des éditeurs américains continuent à acheter des actions des maisons d'édition anglaises, cotées en bourse. La mort de Sir Alan Lane, fondateur et chef de Penguin Books, a en· traîné immédiatement une offre de McGraw Hill qui possédait dé· jà 19 % des actions, acquises à la Bourse. Des mesures prises peu de temps avant la mort de Sir Alan, avaient prévu une fusion en· tre Penguin et Longman Green, une des plus importantes maisons anglaises, contrôlée elle·même par un groupe financier. Bien que tout le monde soit content que le plus grand éditeur de livres de poche britannique, jouissant d'un grand prestige dans le monde en· tier reste anglais, il est permis de se demander si Il'exigence de la qualité qui fut d'hui le signe distinctif de Pen· guin ne cédera pas à des consi· dérations commerciales plus im· médiates. Il y a en Angleterre 1 400 édi· teurs, mais sur les 300 qui pos· sèdent une certaine importance, la plupart sont la propriété de banques, de groupes financiers, de chaînes de journaux, de compa· gnies de télévision et à un degré de plus en plus important d'édi· teurs américains. L'obligation d'obtenir des profits plus élevés a conduit aujourd'hui à une véritable panique dans le domaine de la concurrence. Chaque éditeur cherche à acheter des livres promis au succès et la compétition en· traîne des avances de plus en plus considérables pour pouvoir les acquérir. Les agents littéraires ont fort habilement réussi à aiguiser cet· te, compétition. Le premier éditeur d'un livre étranger est souvent obligé de négocier avant de con· clure définitivement le contrat avec l'éditeur de livres de poche qui risque de publier son édition La Q!!hualDe Littéraire, du 16

:lU

avant qu'il ait lui-même réUSSI a épuiser son tirage. Les prix qu'of. frent les maisons spécialisées dani! le livre de poche deviennent, du fait de la concurrence, de plus en plus importants. Leur décep. tion est du même niveau, car la vente reste dans la plupart des cas éloignée des prévisions. En fait, la Grande-Bretagne possède beaucoup moins de points de vente que bien d'autres pays. Les villes de province ont rare· ment une librairie digne de ce nom et il est difficile d'acheter des livres ailleurs. Aux Etats· Unis on peut acheter des livres partout où on vend des cigarettes, des journaux ou de l'alimentation. Le record est toujours constitué chez nous par les 3 500 000 exemplaires vendus der Amant de La· dy Chatterley, ce qui est fort peu en comparaison avec les chiffres américains. Aux Etats-Unis un li· vre de poche il succès atteint fa· cilement les dix millions d'exemplaires. La conséquence est simple : les éditeurs qui normalement de· vraient gagner de l'argent en perdent parce qu'ils ont payé dçs avances trop importantes qu'ils ne sont pas en mesure de récupérer. Il convient d'ajouter que les auteurs ne profitent pas toujours de cette situation. Ils trouvent que leurs livres ont été publiés trop hâtivement ou soldés trop vite, car l'éditeur est obligé de retrouver sa mise de' fonds pour pouvoir lancer de nouveaux livres. On croit souvent que les auteurs sont prêts à changer d'éditeur dès qu'on leur offre plus d'argent ailleurs. En fait, l'éditeur est obligé de lâcher son auteur au profit d'un éditeur qui dispose de moyens plus considérables que lui. Récemment, le premier livre d'un auteur français à succès a été acquis par un petit éditeur anglais qui a cru pouvoir payer une avance assez considérable. L'agent qui représentait cet auteur a réussi à faire monter, comme s'il s'agissait d'enchères, le second roman du même écrivain, et il a réussi à obtenir une avance infini· ment plus élevée, bien qu'il soit douteux que le nouvel éditeur, plus important que le premier, puisse jamais rentrer dans ses frais. Il me semble que l'avance finalement consentie a dépassé de trois ou quatre fois le prix rai· sonnable. Le petit éditeur, bien JO

1970

sagement, a renoncé à suivre ces enchères, mais, bien sûr, il a pero du un auteur. Bien d'autres mai· sons seraient encore indépendan. tes si elles avaient appliqué la même politique. La volonté de payer trop s'explique facilement: il est toujours mauvais pour un éditeur de perdre un auteur et la recherche perpétuelle du best·sel· 1er a eu finalement pour consé· quence qu'une industrie qui pouvait et devait être saine est au· jourd'hui en danger. D'autres conséquences découlent de cette instabilité. D'abord les trop nombreux changements de propriétaires e.t également les changements incessants du person· nel qui va d'un éditeur à l'autre lorsque les patrons sont mécon· tents de leurs collaborateurs, qui n'ont pu acquérir un nombre suf· fisant de grands succès. L'édition est une entreprise basée trop souvent sur des chiffres abstraits et un changement dans la direction transforme souvent une maison qui marche en une

maison déficitaire. L'acheteur n'est jamais très sûr de ce qu'il achète s'il n'a pas dirigé lui-même sa maison pendant un ou deux ans au moins: des auteurs peuvent le quitter et des prévisions de vente sont soumises à des erreurs considérables. Presque toutes les' acquisitions récentes ont été faites à des prix nettement trop élevées, et on entendra bientôt des lamentations. Pour les éditeurs américains, il leur coûte moins cher d'acheter, même cher, une entreprise britannique que d'en lancer une nouvelle. Et les éditeurs américains sont encouragés par les subsides du gouvernement à l'exportation, car, dit·on, «le commerce suit le livre ». La façon américaine d'écrire a tendance de plus en plus à remplacer la façon anglaise, et souvent des livres américains propagent également les attitudes politiques américaines et <<l'american way of life ». Comme «Coca·Cola ils sont des ambassadeurs d'idéaux américains.

Suite p. 18

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Cette liste. ne comprend que des ouvrages GALLIMARD d'octobre 1969 ROMANS, RÉCITS, NOUVELLES, CORRESPONDANCE Madeleine Alleins UN CHEMIN DOUTEUX Guillaume Apollinaire LETTRES A LOU Marcel Arland ATTENDEZ· L'AUBE Jacques Bens ADIEU SIDONIE

Yves Heurté LA RUCHE EN FEU Michel Huriet LA FILLE DE MANCHESTER Marcel Jouhandeau" LA Journaliers XIV DU PUR AMOUR suivi de Trois parties "inédites Violette Leduc LA FOLIE EN TÈTE

Bilou Grandmaître CARNAVALS ET CENDRES

Jean Lorbais SANS ARMURE édition définitive LES CICATRICES

Henri Bosco UN RAMEAU DE LA NU1T SYLVIUS

Pierre Mac Orlan LA MAISON DU RETOUR ECŒURANT édition définitive

Daniel Boulanger MÉMOIRE DE LA VILLE Françoise Brusson-Videau MARIE Jean Cau TROPICANAS Louis-Ferdinand Céline CASSE-PIPE suivi de CARNET DU CUIRA$SIER DESTOUCHES Jean-Pierre Chabrol LE CANON FRATERNITÉ Georges Clemenceau LETTRES A UNE AMIE (1923-1929>

Stéphane Mallarmé CORRESPONDANCE III <1885-1889> Jean Maxime LA FÈTE ENCERCLÉE Albert Memmi LE SCORPION ou La Confe.ssion imaginaire Claude Mourthé LA CAMÉRA Zoé Oldenbourg LA JOIE DES PAUVRES

Marilène Clément LA NUIT DE L'ALLELUIA

Paul deI Perugia LES DERNIERS ROIS MAGES

Albert Cohen LES VALEUREUX

Bertrand Poirot-Delpeeh LA FOLLE DE LITHUANIE

Michel Déon LES PONEYS SAUVAGES André Dhôtel UN JOUR VIENDRA Marguerite Duras ABAHN SABANA DAVID Maud Frère L'ANGE AVEUGLE Romain Gary CHIEN BLANC TULIPE, édition définitive Bruno Gay-Lussac INTRODUCTION A LA VIE PROFANE jean Giono L'IRIS DE'SUSE .Arlette Grebel CE SOIR, T ANIA...

Collection Le Point du Jour" Il

Antonin Artaud LETTRES A GENICA ATHANASIOU

Collection

Il

Le Chemin"

Matthieu Bénézet BIOGRAPHIES Jacques Borel LE RETOUR

René Daumal BHARATA. L'origine du Théatre. La poésie et la musique en Inde Jeanne Delais LES.ENFANTS DE L'AUTO Jean Grenier ENTRETIENS AVEC LOUIS FOUCHER Henri Guillemin PAS A PAS

Jean Roger Bourrec LA BRÛLURE

Philippe Jaccottet PAYSAGES AVEC FIGURES ABSENTES

Michel Chaillou COLLÈGE VASERMAN

Alain Jouffroy LA FIN DES ALTERNANCES

François Coupry LA PROMENADE CASSÉE "Henri Pierre Denis QUELQUES "NOUVELLES DE JESSICA Pierre Guyotat EDEN,EDEN,EDEN Préfaces de Michel Leiris, Roland Barthes. Philippe Sollers

J.M.G. Le Clézio LA GUERRE

ESSAIS, LITTÉRATURE Antonin Artaud " ŒUVRES COMPLÈTES Tome 1 (édition augmentée) et supplément au Tome 1

Jean Lambert LE PLAISIR DE VOIR André Malraux LE TRIANGLE NOIR: Laclos, Goya, Saint-Just Michel Mohrt L'AIR DU LARGE. Essais sur le roman étranger Henry de Montherlant de l'Académie francaise

LE TREIZIÈME CÉSAR Francis Ponge Philippe Sollers ENTRETIENS (coédition Le Seui\)

ave."

Jacques Rigaut ÉCRITS.

André Puig L'INACHEVÉ

Georges Bataille ŒUVRES COMPLÈTES 1 Premiers écrits 1922-1940 ŒUVRES COMPLÈTES II Ecrits posthumes 1922-1940

Jacques Serguine LA MORT CONFUSE

Simone de Beauvoir LA VIElLLESSE

Claude Roy MOI JE ...

André StH QUI

Emmanuel Berl A CONTRETEMPS

Simone MON NOUVEAU TESTAMENT

Miëhel LE ROI pE8 AULNES

Maurice Blanchot L'ENTRETIEN INFINI

'Elsa Triolet LE ROSSIGNOL. SE TAIT A L',AUBE

Roger Caillois CASES D'UN ÉCHIQUIER

Jean Tardieu LES PORTES DE TOILE

Jean Charbonneau LE JARDIN DE BABYLONE

Alexis de Tocqueville ŒUVRES COMPLÈTES Tome XI : Correspondance d'Alexis de Tocqueville avec Royer-CoHard et avec Jean-Jacques" Ampère

Préface de" Jean-Paul Sartre

r

"Georges Thinès LES EFFIGIES Deny. Viat LE CŒUR EN BANDOULIÈRE

Michel Contat Michel Rybalka LES ÉCRITS DE SARTRE

Jean Rostand de l'Académie française

LE COURRIER D'UN BIOLOGISTE

Jean Su1ïvan MIROIR BRISÉ


inédits de langue française publiés à septeTIlbre 1970 GALLIMARD Marguerite Yourcenar PRÉSENTATION CRITIQUE D'HORTENSE FLEXNER, suivi d'un choix de Poèmes Edition bilingue

Collection

Il

Le Chemin"

Jacques Brosse COCTEAU

Collection

Il

idées"

Maurice Nadeau LE ROMAN FRANÇAIS DEPUIS LA GUERRE 1945-1970. Nouvelle édition revue ct Augmentée.

Jean-Pierre Attal L'IMAGE MÉTAPHYSIQUE ET AUTRES ESSAIS Olga Bernai LANGAGE ET FICTION DANS LE ROMAN DE BECKETT Noël Burch PRAXIS DU CINÉMA Michel Butor LA ROSE DES VENTS 32 rhumbs pour Charles Fourier Henri Meschonnic POUR LA POÈTIQUE

Collection Le Point du Jour"

Il

Henri Michaux FAÇONS D'ENDORMI FAÇONS D'ÉVEILLÉ

Collection Iles Essais" Jacques Berque L'ORIENT SECOND Pierre Guiraud LE TESTAMENT DE VILLON ou Le Gai Savoir de la basoche Robert Lafont RENAISSANCE DU SUD Essai sur la littérature occitane au temps de Henri IV Alain Rey LITTRÉ. L'Humaniste et les mots

Pour une bibliothèque idéale Philippe Audoin BRETON Jean-Claude Brisville CAMUS Nouvelle édition revue et corrigée

Sade JOURNAL INÉDIT

Cahiers

CAHIER JEAN COCTEAU 1 CAHIER ANDRÉ GIDE 1

Bibliothèque de la Pléiade Paul Claudel JOURNAL TQM:E II - 1933-1935

THÉATRE

Philippe Hériat THÊATRE III : VOLTIGE BALZAC - LES HAUTS DE HURLE-VENT Félicien Marceau LE BABOUR Michel Mohrt UN JEU D'ENFER Jean Tardieu Poèmes à jouer. Nouvelle édition revue et augmentée

Jean Vauthier LE SANG

Collection Le Manteau d'Arlequin" Il

Michel Boldoduc LES REMONTOIRS Pierre Bourgeade LES IMMORTELLES François Boyer DIEU ABOIE-T-IL ? Jean-Claude BrisviIle LE RÔDEUR - NORA LE RÉCITAL Ionesco JEUX DE MASSACRE René Kalisky TROTSKY, Etc... Eduardo Manet LES NONNES Georges Michel ARBALÈTES ET VIEILLES RAPIÉRES Nathalie Sarraute ISMA suivi de LE SILENCE et de LE MENSONGE Jean Thenevin OCTOBRE A ANGOULÈME Jean-Jacques Varoujean LA CAVERNE D'ADULLAM LA VILLE EN HAUT DE LA COLLINE

POÉSIE

Jacques Audiberti L'EMPIRE ET LA TRAPPE

Alain Bosquet 100 NOTES POUR UNE SOLITUDE Louis Brauquier FEUX D'ÉPAVES Jacques Dupin L'EMBRASURE André Frénaud DEPUIS TOUJOURS DÉJA Edmond Jabès ELYA Henri Meschonnic LES CINQ ROULEAUX <Traduit de l'hébreu)

Pierre Oster LES DIEUX <1963-1968) Jean Pérol RUPTURES

Collection

Il

Le Chemin"

Jacques Réda RÉCITATIF

Collection Trente Journées qui ont fait la France" Il

José Cabanis LE SACRE DE NAPOLÉON, 2 décembre 1804 Marcel Reinhard LA CHUTE DE LA ROYAUTÉ, 10 août 1792

Collection

Il

Idées"

Jean-Marie Benoist MARX EST MORT Emmanuel Berl EUROPE ET ASIE Jean Cazeneuve LES POUVOIRS DE LA TÉLÉVISION Roger Garaudy LE GRAND TOURNANT DU SOCIALISME

Jude Stefan LIBÈRES

SCIENCES HUMAINES, PHILOSOPHIE, HISTOIRE, DOCUMENTS Maurice Merleau-Ponty LA PROSE DU MONDE

Bibliothèque des Sciences Humaines Robert Klein LA FORME ET L'INTELLIGIBLE. Ecrits sur la Renaissance et l'art moderne

Henri Lefebvre LE MANIFESTE DIFFÉRENTIALISTE LA RÉVOLUTION URBAINE François Perroux ALIÉNATION ET SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE

Collection

Il

Témoins"

Vinoent Auriol MON SEPTENNAT '1947-1954. Notes de jqurnal presentees par Pierre Nora et Jacques O<ouf

-Hors série

Bibliothèque de Philosophie

Lucien Bodard

Gérard Granel L'ÉQUIVOQUE ONTOLOGIQUE DE LA PENSÉE KANTIENNE

LE MASSACRE DES INDIENS

Bibliothèque des Idées Manuel de Dieguez SCIENCE ET NESCIENCE

Collection Il Connaissance de l'Inconscient" Guy Rosolato ESSAIS LE SYMBOLIQUE Louis Wolfson LE SCHIZO ET LES LANGUES

Collection

Il

Leurs Figures"

André Billy JOUBERT. énigmatique et délicieux Henri Guillemin JEANNE' DITE .. JEANNE D'ARC"

MAO

Mohamed Lebjaoui VÉRITÉS SUR LA RÉVOLUTION ALGÉRIENNE

BEAUX-ARTS Massin LA LETTRE ET L'IMAGE. Préface de Raymond Queneau

L'Univers des Formes Jean Charbonneaux Roland Martin François Villard GRÈCE CLASSIQUE

Encyclopédie de la Pléiade sous la direction de Bernard Dorival. HISTOIRE DE L'ART, tome IV, Du réalisme à nos jours.


AnsJeten-e

L'édition anglaise se divise actuellement en deux sections net· tement séparées. D'une part, on trouve les entreprises britanniques traditionnelles, contrôlées soit par une famille, soit par une institution (Collins, Oxford University Press, etc.) De l'autre, nous trouvons les groupes importants, où de jeunes hommes amlfitieux et dynamiques luttent pour les premières places. Beaucoup parmi eux ne sont pas particulière. ment intéressés par des livres et n'en lisent jamais. Ce qui les intéresse est le chiffre d'affaires et le profit. S'ils échouent, comme nous l'avons parfois vu ces derniers temps, ils quittent la profession, alors que d'autres qui ont réussi, obtiennent des postes de plus en plus importants. Récem- réuni les employés de banque et ment encore il était suffisant des sociétés d'assurances. Il tend'avoir le don de trouver de bons te maintenant la même opération livres afin de constituer un cata- dans le domaine de l'édition, et logue intéressant, pour acquérir son succès semble certain. Cette des responsabilités et un prestige augmentation, ainsi que celle des accrus. Aujourd'hui une liste de prix d'imprimerie entraînera nétitres brillants n'est plus néces- cessairement une augmentation du sairement un signe de profit. prix des livres, donc une diminuLorsqu'un groupe financier ac- tion des Ventes. Le marché le plus sûr de l'édiquiert une nouvelle maison, il promet une liberté littéraire totale teur anglais était constitué par les à ses collaborateurs. Cette promes- librairies publiques. La plupart se ne tient pas longtemps devant des maisoils prévoient que plus un chiffre d'affaires décevant. La de la moitié de leur vente s'écouplus inquiétante conséquence de lera dans les municet état de fait est le conformis- cipales. Mais bibliothécaires et me qui s'installe dans le domaine éditeurs commencent à être inde l'édition. On publie de plus quiets, car ces bibliothèques deen plus de livres qui se ressem· vront bientôt assumer un rôle blent de plus en plus, car cha- nouveau én fournissant la noucun copie les succès des autres. velle université de la -télévision. Les romans se vendent mal, sauf Cette «Open University» a été les quelques rares best-sellers, créée par Jennie Lee - la veuve mais qui n'atteignent quand même d'Aneurin Bevan - , ministre de pas les espérances exagérées qu'ils la Culture du dernier gouverne· ont _suscitées avant leur publica. ment travailliste. 25 000 étudiants tion. Il s'ensuit que les roman- seulement avaient été acceptés, ciers ont de plus en plus de dif· mais chacun d'eux devra suivre <le ficultés pour trouver des éditeurs. dix à vingt cours, nécessitant <les Le grand «boom:t de traductions mapuels et d'autres livres. Or, auétrangères, facilité par la Foire cun nouveau crédit n'a été prévu de Francfort et d'autres foires du et ces étudiants devront ou ache· livre est en voie de recul et, dans ter eux-mêmes ces livres ou ils le climat actuel, il est à craindre tenteront de les emprunter dans qu'à l'avenir moins de romans les bibliothèques municipales. Les français soient présentés au pu- municipalités refusent d'augmen. blic anglais. Mais d'autres dan- ter les crédits et dans un moment gers encore l'édition où les prix des livres va en augmentant, les bibliothécaires se· anglaise. Certains éditeurs devraient ront obligés de choisir une voie -bientôt augmenter les salaires de plus sélective dans leurs achats, tout en devant faire face à une leurs collaborateurs. Un syndicat vient d'être formé, dirigé demande nouvelle, avec des né· par Clive J enkins, un syndicaliste cessités éducatives qu'ils ne pourdur et efficace qui a récemment _ront négliger. La cOQSéquence est

18

des hommes d'affaires qui ne sont pas intéressés par des livres, s'occupent des maisons d'édition qu'ils considèrent comme des compléments utiles à leurs chaînes de journaux, d'agences de publicité ou de diffusion. La tendance va vers la diminution du nombre des maisons qui seront de plus en plus grandes, d'un niveau intellectuel inférieur et de managers qui seront de moins en moins des intellectuels et de plus en plus d'habiles hommes d'affaires. De nombreux gouvernements ont essayé de ralentir la pénétration de l'économie américaine en Grande-Bretagne. Il est dommage qu'ils n'aient pas songé à aider en priorité les exportations du livre anglais ou à introduire un droit prévisible: les romans, poème@, versé à chaque éditeur pour le les livres de culture -générale, ain- prêt d'un de ses livres dans une si que des livres pour la simple bibliothèque municipale, ou à ai· distraction vont diminuer sinon der la publication de certaines disparaître de la liste d'achats des catégories de livres. bibliothèques. Les éditeurs qui Il est également dommage que publient des manuels vont évidem- les éditeurs anglais n'aient pas ment bénéficier de cette nouvelle songé à s'entraider. Il n'y a pas situation, elle profitera avant tout de raison qu'il n'existe aucune aux plus grands. entente entre éditeurs pour emIl ne faut pas non plus oublier pêcher les agents d'augmenter que le nombre des bons libraires artificiellement les avances et va en diminuant en Angleterre qu'il n'existe dans ce domaine et les journaux, même parmi les même pas le commencement d'une meilleurs et qui s'adressent essen- coopération amicale, comme c'est tiellement à un public littéraire, le cas en France. En vérité, la réduisent la place réservée à la plupart des éditeurs anglais se recritique des livres. On parle aussi gardent avec envie ou antipathie, beaucoup des cassettes de télé- et l'échec d'un collègue provoque vision qui risquent de réduire le plus souvent la joie que le regret. temps consacré à la lecture. Nous Il est à craindre que cette situatrouvons dans l'édition anglaise tion malsaine s'aggrave. Vers beaucoup de gens compétents, en- 1980, il n'existera plus probablethousiates, d'un haut niveau intel- ment que trois ou quatre grands lectuel, mais la distance qui les groupes d'éditeurs, à côté de sépare de la direction risque de quelques éditeurs indépendants freiner leurs initiatives et, un jour, - y compris, j'espère, moi-même ils pourront être remplacés par - et qui continueront à remplir fIes machines. il exis· leur rôle. Nous pouvons également te actuellement en Grande-Breta- espérer que l'Etat se chargera de un nombre plus considérable quelques entreprises éditoriales d'éditeurs compétents qu'à aucun pour des motifs culturels, mais moment depuis la guerre. Et ce les dangers d'une édition d'Etat nombre va certainement encore sont évidents. Je regrette qu'au moment où les éditeurs du monde Certains petits éditeurs vont entier se préparent à assister à la survivre, et il est possible que nuit de Walpurgis annuelle de la nous assistions, dans les années à Foire du Livre de Francfort, je venir, à l'éclosion de petites mai- sois obligé de tracer un tableau sons qui publieront, pour une mi- aussi pessimiste de l'édition d'un norité de lecteurs, des éditions- des pays les plus importants dans très restreintes grâce aux nouvel· le domaine intellectuel, mais aules techniques d'imprimerie (ma- cune éclaircie n'est visible, même chines électriques, etc.) pour les plus optimistes. Ce que nous voyons actuelle· ment en Angleterre est simple: John Calder


ALLEMAGNE

L'édition et les clu·bs Les temps sont passés où les maisons d'éditions étaient des lieux vénérables qui faisaient peur à un jeune auteur, et les temp!! ne sont plus où le livre acheté cher était un refuge spirituel devant les horreurs du monde réel. L'édition en Allemagne est devenue une industrie avec un important chiffre d'affaires qui, en plein essor de l'économie allemande de l'après-guerre, représentait le plus grand taux d'accroissement. Le livre est devenu un article de consommation courante, et sa vente est soumise aux lois du marché comme tous les autres articles de consommation. Mais il reste malgré tout une différence capitale, bien que difficile à définir, qui trouve son ori· gine dans le caractère individuel du livre comme marchandise et de son producteur, l'écrivain. L'éditeur voit les conséquences de cet état de fait par le grand risque que comporte son entreprise. On a l'impression qu'il cherche à équilibrer ce risque en arrêtant un programme, vaste, souvent trop vaste. Il en résulte que les physionomies littéraire!! des grandes maisons d'éditions allemandes se ressemblent de plus en plus, et personne ne sait plus les distinguer les unes des autres, sauf les professionnels, les libraires et les critiques. La situation dans la R.D.A. n'est pas très différente. La plupart des éditions sont socialisées, bien qu'elles portent assez souvent les mêmes noms que celles de leurs partenaires de l'Ouest. Partenaires au sens double du mot: elles publient et elles impriment beaucoup de livres en· semble, et synchronisent même souvent leurs programmes. Il n'y avait jusqu'ici aucun domaine économique dans l'Allemagne di· visée où la coopération directe par le commerce interzone était si intense que dans celui de l'édition. Il va sans dire que les tendances de nivellement sont dans la R.D.A. la conséquence de la contrainte de l'Etat comme celles de l'Ouest sont dictées par les lois de la consommation. Des formes d'expressions individuelles sont mal vues à l'Est et des opinions politiques non conI;ormistes sont réprouvées : le parti tient les êcrivains en lisière et des talents ne se développer. Les auto-

rités préfèrent même q1le les livres importants soient publiés par des éditeurs de la République fédérale. Si l'on a la possibilité d'aller voir les stands des maisons estallemandes à la Foire de Leipzig, un pendant de la Foire du Livre à Francfort, on remarque que la spécificité d'une maison d'édition allemande d'outre-Elbe se manifeste dans les programmes nonpolitiques et hors de toute actualité artistique. Des livres d'art ancien, de musique, des livres scientifiques ainsi' que des éditions d'œuvres classiques sont souvent remarquablement édités. On peut parler pour une fois d'une conti. nuité dans la tradition de l'édi· tion allemande: à l'époque des nazis, c'était pareil. Rowohlt Verlag, près de Hambourg. Le développement économique des éditions dans la R.F.A. a son soigneusement relié, mais il est rive maintenant assez souvent origine dans les clubs du livre devenu un article qu'on achetait qu'un éditeur acquiert les droits et dans le succès du livre de poche. Les clubs du livre ont déjà dans les kiosques de gare, comme d'un titre, qui a paru d'abord comme livre de poche, pour l'édiexisté avant la guerre, c'est vrai, un magazine. Petit à petit, on sut mieux ter ensemble avec un club comme mais personne ne pouvait prévoir cette énorme industrie de distri- s'orienter vers les besoins de lec- livre relié après son succès en bution, munie d'ordinateurs, com- ture de la jeunesse. On publiait format de poche. des livres de science populaire, et Il est compréhensible que les me nous la connaissons aujourd'hui, avec des membres dont le plus tard des é t u des d'un concentrations et fusions fréquennombre dépasse les six millions. haut niveau intellectuel. On re- tes qui ont eu lieu au cours de C'est grâce aux clubs du livre que marquait que la vente de ces ti· ces. dernières années dans l'édil'éditeur allemand est capable tres était plus assurée que celle .tion allemande aient provoqué de des réimpressions littéraires. la part des lecteurs et aussi des maintenant de payer des avances Après un certain temps, il n'exis- auteurs des demandes de cogesd'honoraires avec des chiffres à cinq zéros (en dollars). On com· tait plus assez de titres valables tion. Ils désirent participer aussi prend. que les clubs puissent im- pour les livres de poche à grand bien aux décisions financières poser, et imposent en fait, par tirage. et on commençait à publier qu'aux décisions littéraires. Cette leur influence un goût littéraire les éditions originales qu'on com- demande paraît d'autant plus urdont ils pensent qu'il est le goût . mandait aux auteurs: sujets gente que les maisons d'éditions encyclopédies en allemandes changent de plus en de la masse de lecteurs. le e;oût plusieurs volumes, des titres sur- plus leurs propriétaires sans du jour. . Le triomphe du pocketbook a tout, qui n'avaient que peu de qu'employés et auteurs soient mêcommencé très tôt en Allema- chance comme livres chers. Il ar- me informés. Les fusions de grangne. Le grand éditeur Ernst Ro wohlt a fait de nécessité vertu au cours de l'immédiat après-guerre. Il publiait des textes littéraires comme des journaux, Shakespeare aussi bien qu'Hemingway. Il s'agissait là de!! précurseurs des littéraire premiers livres de poche de l'an 1950 chez Rowohlt, également imprimés sur rotative. Au début, les éditeurs ne voyaient dans les éditions de poche qu'un moyen de rééditer des livres, des romans à succès pour une autre couche d'acheteurs, surtout pour la jeunesse. La révolution venait du comportement inattendu des lecteurs: le livre de poche n'était plus une acquisition de luxe comme le livre cher et

La Q!!inzaine Littéraire du 16 au JO septembre 1970

La Quinzaine

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Limites de

Allemagne

des maisons d'édition au cours de ces dernières années se sont faites presque toujours au profit de deux grands clubs du livre de tendance conservatrice. Un certain nombre d'auteurs, d'employés d'éditions et de jeunes libraires se sont organisés pour défendre leurs intérêts, hors de syndicats officiels qui sont, en Allemagne, presque toujours prêts à un compromis. C'est vrai que le droit de cogestion est moralement reconnu maintenant, surtout après les troubles à la Foire de Francfort en 1968 et 1969, mais les possibilités de réalisation ne sont pas encore trouvées. Quelques lecteurs et auteurs ne sont plus prêts à mettre leur travail à la disposition d'un c: konzern d'édition. Ils quittent leur ancienne maison pour fonder une nouvelle édition coopérative. Il s'agit évidemment de petites maisons d'édition, et ces tentatives ont prouvé qu'une telle expérience ne peut réussir que 80US la direction d'une forte personnalité, dont l'autorité est reconnue par tous les collaborateurs. On comprend bien que pour quelques auteurs un modèle socialiste de l'édition soit désirable, mais dans le système économique où nous vivons une telle maison sans capitaux est condamnée à rester trop petite pour pouvoir garantir aux auteurs un succès d'une certaine importance économique. Voici le trait marquant de l'évolution actuelle de l'édition allemande: ni les auteurs ni les lecteurs ne se laissent plus tenir en tutelle, et les éditeurs ne peuvent plus ignorer cette discussion qui tend à une cogestion sur le modèle du c: Monde Tout porte à croire que la décision du plus grand club du livre allemand, la maison Bertelsmann, de payer une pension de vieille88e à ses auteurs, financée sur ses bénéfices, résulte de cette discussion. On a l'impression que ce qui parai88ait il y a deux ans une révolution manquée, débouche actuellement dans une réforme concrète qui déplace les positions démodées de l'auteur et de son éditeur. Je pense souhaitable que cette dÎ8cu88ion allemande soit prise en considération par les éditeurs et auteurs d'autres pays à l'occasion de la prochaine Foire de Francfort.

Chmtoph Schwerin 20

Le visiteur de la Foire du Livre qui se tient annuellement, au mois de septembre. à Belgrade. s'il se laisse séduire par un nombre assez surprenant de titres - iu)tamment de traductions étrangères - et une présentation souvent luxueuse des ouvrages édités. risque de ne juger l'édition yougoslave que sur ses apparences. En réalité. depuis plusieurs années déjà. sévit une • crise. assez profonde qui, en dernière analyse, ne concerne pas uniquement l'édition proprement dite. L'une des premIeres explications que l'on donne de cette c: crise» fait généralement ressortir un rythme de publication très ou trop poussé, notamment dans le domaine de la traduction - où la Yougoslavie, d'après le recensement de l'UNESCO, connai88ait récemment une très enviable deuxième place dans le monde ! - rythme difficilement compatible avec '\Jn marèhé pratiquement sans exportation, que se partagent en outre les trois langues littéraires du pays avec leurs deux écritures - la cyrillique ct la latine. Le nombre des maiRons d'édition semble assez élevé pour un pays d'environ vingt millions d'habitants. Si l'on s'aventure dans une librairie, à Belgrade, à Zagreb ou à Ljubljana, on ne tardera pas à constater que les livres y coûtent assez - à la différence de ce qu'on attend et de ce qu'on est habitué a voir, par exemple, en Union li>oviétique ou dans d'autres pays de l'Est et même parIois plus cher que dans bon nombre tle pays occidentaux (le prix d'un roman entre 300 et 400 pages"'élève facilement à l'équivalent de 15 à 25 NF français, ce qui, vu le pouvoir d'achat du c: consommateur» yougoslave, représente souvent un sacrifice). C'est un lieu commun de la pre88e littéraire yougoslave et de la presse tout court que de dénoncer c: r aliénation de la culture» par l'abai88ement des biens culturels au niveau de la c: marchandÏ-$e pure et simple» et aux exigences du marché... D'autre part, certaines propositions visant à concentrer

l'édition autour des maisons les plus importantes - afin de réduire le coût de leur gestion et d'augmenter en même temps les droits d'auteur - n'ont pu être réalisées en raison de l'opposition d'une intelligentzia qui craint qu'une édition ainsi concentrée retombe sous la tutelle ou la mainmise administratives ! Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la Yougoslavie avec une population décimée et une économie presque complètement détruite - ne pouvait, évidemment, s'offrir le luxe d'une édition exemplaire. Toutefois, un . effort de redressement culturel permit de mettre sur pied, entre autres, plusieurs maisons d'édition, nationalisées au même titre que les autres entreprises. Ces éditeurs nouveaux-nés durent imiter le modèle soviétique : a88umer un rôle didactique et politique bien déterminé, cadrant fidèlement avec les objectifs de la politique du jour. L'Etat créait bien plus selon ses besoins que selon les exigences Ilpontanées de la littérature et de la culture les maili>ons d'édition spécialisées et chargeait Iles fonctionnaires de les diriger et de remplir leurs programmes. La gestion financière ne posait aucun problème: un mécénat puisant dans les ressources du budget national, assurait généreusement leur fonctionnement à la seule condition qu'elles impriment les ouvrages que les censeurs c: bien pensants» trouvaient utiles et publiables... Un coup d'œil rapide sur les titres édités avant 1948 (année de la rupture du P.C. yougoslave avec Staline) et immédiatement après cette date montre que les traductions de cette époque étaient presque exclusivement celles d'ouvrages cla88iques datant au moins d'une cinquantaine d'années et de livres c: réalÏ-$tes sociaIÏ-$tes» traduits surtout du ru88e. Une partie considérable du tirage était vendue d'office aux différentes entreprises et institutions: maisons de culture, organisations syndicales, salles de lecture, bibliothèques, etc. Au cours des années cinquante - au fur et à mesure que Il'accentuait le c: dégel» politique - un. nouvelle c: ligne» ne tarda pas à marquer la littérature et, par conséquent, l'édition. De nombreux anteurs, précédemment mis à l'in-

dex et qualifiés de «décadents» ou c: petits bourgeoÏ-$ », commencèrent peu à peu à être traduits. Le tournant majeur en ce sens fut marqué par la publication de Kafka. Parallèlement à l'abandon progre88if par les auteurs yougoslaves des poncifs «réalistes socialistes» (qui seront bientôt appelés «technique en noir et blanc»), le rythme des traductions allait s'accélérant: Sartre, Camus, Malraux, Gide (frappé d'interdit après son Retour d'U.R.S.s.), suivis de Mauriac, Joyce, T.S. Eliot, Faulkner et tout ce qu'il y avait de meilleur dans le roman américain. Auxquels il faut ajouter Pasternak, Beckett, Ionesco, sans oublier presque tous les tenants du nouveau roman français. Il faut toutefois signaler que les ouvrages ayant une visée idéologique ou philosophique éloignée de l'optique marxiste (au sens très étroit du mot) devaient attendre plus longtemps que les poètes ou les romanciers également éloignés de la perspective communiste... Quoi qu'il en soit, on finira par lire au cours de cette période les traductions de penseurs non marxistes tels que Nietzsche, Freud, Heidegger, Jaspers, Russell, Witgenstein, Jung, Merleau-Ponty, Lévi-Strauss et maints autres... Tout en acquérant de plus en plus d'autonomie, l'édition ne cessait pas pour autant de concorder sur plus d'un point avec les lignes générales de la politique de l'Etat yougoslave sam qu'on puisse parler d'une édition c: étatisée» : c'est ainsi, par exemple, qu'après l'amélioration des rapports entre l'Etat et l'Eglise (notamment catholique), la pre88e religieuse obtint, au cours des années soixante, droit de cité et put être vendue dans les kiosques. La Bible et le Coran, dont la réédition avait été interdite pendant toute l'après-guerre, devinrent de véritables best-sellers ! Cet élargissement, presque inattendu, ne pouvait se produire sans un changement des structures, aussi bien de l'édition que des phénomènes culturels et sociaux en général, changement dû essentiellement à la mise en place de l'autogestion. C'est ainsi qu'une étape importante dans l'évolution de l'édition fut ouverte par l'institution des c: conseils ,rédition », formés, au sein des maisons d'édi-


COLLECTIONS

l'étatisation tion, auprès des comités de rédaction professionnels qui les dirigent. Composés de personnalités notoires et ne faisant pas partie du personnel de la maison,. ces 4: conseils :t déchargeaient les éditeurs d'une partie de leur responsabilité face aux instances politiques. De cette façon se produisirent des «écarts inimaginables au début de l'après-guerre et naquit un état de perméabilité de plus en plus sensible... La marge d'autonomie de l'édition devait s'accroître et gagner en efficacité, pour aboutir après la proclamation de la «réforme économique en 1965 - à une de l'ancien système de subventions. Une nouvelle étape, .marquée .de nombreux paradoxes, s'inscrivit dans l'activité éditrice yougoslave. Sans soutien «budgétaire et sans protection administrative, l'édition se trouv·a obligée d'être «rentable :t. Elle dut se mettre à publier ce qui peut se vendre, c'est-à-dire - hélas! - beaucoup d'infralittérature. Les livres d'une audience plus restreinte se verront presque automatiquement repoussés au second plan. Diverses autres difficultés surgirent inopinément (1). Certains éditeurs firent tout simplement faillite du fait qu'ils ne purent s'adapter à ce nouveau régime. ·C'est alor!\ que, plus d'un regretta le «bon vieux temps des subventions étatiques... Si, autrefois, de nombreuses initiatives ne purent voir le jour à cause du mécénat, actuellement bon nombre d'entreprises n'arrivent pas à terme, faute de mécènes! Ainsi l'ancienne richesse dans la contrainte ressemble-t-elle par plus d'un trait à la présente liberté dans l'indigence. Les à la fois du système ()ccidental et de celui des pays de l'Est 8'y traduisent de façon particulièrement 8ignificative, et ceci ne touche pas seulement l'édition: toute la littérature et la culture sont pratiquement en jeu... Dans une situation, les éditeurs ressemblent souvent à des joueurs qui espèrent faire ou refaire leurs fortunes grâce à un coup de dés décisif. Ils accusent d'une part les banques de traiter le livre comme un 8imple «produit :t. et de ne leur accorder que des crédits à trop brève échéance, ce qui les oblige à éditer des ou-

vrages l!ouvent de valeur ,douteuse et à écarter des livres dont la vente exige un lap8 de plus long. Ils protestent d'autre part auprès des institutions culturelles qui n'encouragent guère activité, même quand il s'agit des projets utiles indispensable8 au développement la culture nationale. On constate, par e,xemple, que Jes bibliothèques n'achètent que 4 % des tirages globaux. Sans être désastreuse, la situation n'en est pas moins alar Elle l'est d'autant plus que les autorités du «secteur culturel :t, privées elles aussi des subsides d'autrefois, ne semblent pas être en mesure d'apporter des solutions auires que palliatives : les moyens les plus substantiels sont, en effet, absorbés par la «réforme économique» visant à rendre l'industrie du pays -eompétitive sur le plan international. Dans l'alternative: subventionner une édition ou donner du travail à un nombre de chômeurs croissant, on prend, évidemment, ce dernier parti... Aussi se résigne-t-on à négliger «pour quelque temps la culture en général... Le Ministère de la pauvreté dont parlait certain ministre n'est pas - on le voit - exclusivement français ... Et les problèmes que nous évoquons ici cessent d'être uniquement yougoslaves. Notre époque doit affronter - et ceci dans une perspective bien plus vaste que celle qu,e l'on adoptait jusqu'à présent les rapports essentiels entre la culture et de la société. Ces rapports seront probablement plus déterminanl/l que jamais dans l"histoire à venir.

predrag Mat'Veje'Viteh (1) Il faut noter que les, éditeurs étaient très souvent gênés par les restrictions du contingent de devises pour les droits des auteurs étrangers. Par moments, la place qu'avaient traditionnellement en Yougoslavie certaines littératures occidentales pouvait être compromise par le fait que certains éditeurs étrangers, poussés par les intérêts bassement mercantiles du moment ou incapables d'envisager la mission culturelle jôinte à leur activité, refusèrent d'accorder plus d'une traduction payable dans la monnaie du pays. Heureusement, quelques éditeurs éclairés et plus conscients de leur fonction - telle, en France, la maison Gallimard acceptèrent généreusement les droits non transférables et permirent ainsi d'assurer la continuité de leurs littératures nationales en Yougoslavie.

La Q!!inzaine Littéraire. du 16 au JO septembre 1970

Terre humaine (Plon) Dans l'ile déserte, quels livres emporterez-vous? Grand sujet d'embarras. Dans l'ile non déSerte, aucun problème: la collection • Terre humaine -, bien sûr. «Nul homme n'est une Isle complète en soy-mesme; tout homme est un morceau de continent, une part du tout. - Au porche de • Terre humaine -, on pourrait ins· crire ces mots de John Donne. Le Grand Navigateur ici ne l'est pas seulement . par métaphore: chef d'une des gares centrales de l'intelligence ethnographique, Jean Malaurie, qui fonda la collection en 1955, ne $6 borne pas à envoyer des auteurs • sur le terrain -, à leur demander au retour des livres, à susciter chez les écrivains la réflexion, la somme méditée ou le départ au loin. Directeur du Centre d'Etudes Arctiques à l'Ecole des Hautes Etudes, Jean Malaurie n'est pas un savant de cabinet. Ses Derniers rois de Thulé est un livre né parmi les Esquimaux dont le directeur de • Terre humaine - a longuement observé la rencontre avec l'âge atomique. Jean Malaurie peut s'enorgueillir de quelques résurrections es'sentielles (il a ramené vers nous ce beau poème ethnographique de Victor Segalen sur Tahiti, les Immémoriaux), de quelques • importations - capitales (comme la désormais classiq!Je autobiographie d'un Indien de l'Arizona, Soleil Hopi, ou le célèbre Mœurs et sexualité en Océanie de la grande enthropologue américaine Margaret Mead). Il a fait mieux 'encore: il a fait naître des • livres à venir -, dont ce chef-d'amvre, les. Tristes tropiqu8J de Claude Levi-Strauss: quand il a suggéré au maître de l'anthropologie structuraliste d'écrire ce film d'une vie de voyages, de travaux et de pensée, Il savait qu'il s'adressait à .un savant déjà reconnu; mais nous lui devons la révélation (et à son auteur luimême peut-être) d'un écrivain complet. • Terre· humaine -, c'est le lieu privilégié et multiple où les plus, savants des hommes parlent à l'honnête homme de partout. A la première perSonne des mille et une clartés de la condition humaine, comme dans ces autobiographies qui vous font entrer dans la peau d'ùne femme musulmane du Nigetla (Baba de Karo, par Mary Smith), des. derniers Indiens Yana de Californie (lshl, par Theodora Kroeber), d'un Hopi (Soleil Hopi, par Don C. Talayesva), d'une femme blanche enlevée enfant par les Indie'ns de l'Amazone et élevée par eux (Yanoama, par Ettore Biocca). «C'est ainsi que les hommes vi. vent -, chante le poète. «C'est ainsi que les hommes vivent -, lui répondent les auteurs de • Terre humaine _, qui nous font partager la vie d'un oetit village turc (Ul) Village anatolien, par Mahmout Makal) ou d'un village du Vietnam central (l'Exotique est quotidien, de. Georges Condamlnas). Parfois la monographie à la première de • l'indigène -, le récit d enquête ou d'exploration de l'Oècldental (comme ce beau livre sur la mort telle -que la vivent les hommes

du peuple Sara au Tchad: la Mort de Sara, par Robert Jaulin), cèdent la place 'à la grande synthèse d'une expérience et d'une réflexion. Tristes tropiques en est un exemple éblouissant, qui fut suivi par des livres aussi passionnants et différents que l'Afrique ambiguë, où Georges Balandier a ramassé la somme d'une vie consacrée à l'Afrique, ou bien lee Cuatre soleils de Jacques Soustelle, où le célèbre américaniste a condensé quarante ans d'études sur le terrain, de lectures et de méditations sur le Mexique. Ou encore cette sorte de «premier testament - d'un des plus fameux agronomes, sociologues et voyageurs de la planète, les Terres vivantes de René Dumont. Ou (mals pas enfin, la liste n'est pas close) ces Aimables sauvages de Francis Huxley où le plus jeune savant de la célèbre lignée Huxley étudie en voyageur, en penseur et en poète, la genèse du sentiment religieux universel à travers la métaphysique primitive d'un peuple d'Indiens d'Amérique du Sud. Le commun dénominateur de cette moderne • Bibliothèque de géographie universelle et humaine - ? Ce n'est pas la quête des « ailleurs -, de l'exotisme pour l'exotisme (Jean Malaurle annonce le Joui'nal d'un capitaine de pêche de. Fécamp; un livre du fondateur de la sociologie religieuse, Gabriel Le Bras, sur l'Eglise et le village en France). Ce n'est pas ('ethnographie au sens limitatif, considérée comme une rébarbative entomologie des « papillons humains -. Ce n'est pas le pur et simple « récit de voyage -, pas plus que la • tranche de vie - anthropologique servie crue et sans sel. Jean Malaurie évite avec rigueur le· double écueil de l'ouvrage technique - pour des - techniciens et de la vulgarisation vulgaire des Tartarins de Paraguay ou de Samoa qui reviennent de loin pour jeter aux yeux des auditeurs de Pleyel une poudre de perlimpinpin épicée de couleur locale qui, elle, ne va pas loin. Ce qui le passionne, c't:jst de faire de chacun des livres qu'II publie la rencontre d'un homme avec des hommes; ce qu'II lui Importe d'obtenir, c'est que ses auteurs aient autant de talent que leurs personnagds. • La vie qui s'en va : celle des Indiens du Nord ou' d'Amérique latine, des Esquimaux de Thulé les sociétés que la • civilisation - passe déjà au rouleau çompresseur, de l'Afrique arablque.à l'Océanie; les races en vole d'extinction par répression ou oppression (la collection annonce la Chronique de la mort lente dans la Réserve indienne des Pieds-Noirs, par Richard Lancaster) - • Terre humaine - est, en partie, le musée vivant des sociétés qui s'engloutissent sous nos yeux. Mals elle veut être aussi le témoin de celles qui naissent ou renaissent: ce sera, par exemple, Fanshen, vie révolutionnaire dans un village chi· nols, de William Hlnton, ou la création d'un village mexicain nor,·lndlen avec la Chronique rurale d'un certain Mexique, par le grand historien mexicain Luis Gonzalez. «Terre humaine -. Rarement collection aura mérité si bien son titre. Adélald. Slsaquez

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PS YCHIATRIIl

Histoires de fous Maud Mannoni Le Psychiatre, son «fou:. et la Psychanalyse Seuil, éd., 269 p.

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«Alors, parce qU'Oll est un interné, on vous sonne, on vous amène! Je vous raconte des histoires.de fous. Que vouleZ-tlOUS que je vous raconte cr autre ? :. Laurent, interné: Cité par Maud .Mannoni, page 17.

Dès son titre, le dernier livre de Maud MaiJDoni s'impose' comme une mise en cause des insti· tutions de la folie. Le Psychiatre, son «fou» et la Psychanalyse: le possessif, qui fait du fou l'objet, la propriété exclusive du psychiatre, tout autant que les guillemets qui le désignent, «fou », comme son propre surnom, tout cela indique j'angle d'attaque... . Comment on peut" soigner institutionnellement sans exclure, sans -que la maladie mentale soit fixée en psychose, voilà ce que Maud Mannoni pose à l'horizon de ses recherches. Les implications en sont massives, et le livre fait impression. Disons au préalable que l'impression produite tient pour une grande' part à la tenue théorique dU. livre, mais aussi au choix et à la description ·des exemples «cliniques ». On est frappé par la vérité· qui parle dans les discours des malades relatés par Maud Mannoni; il s'y agit moins de maladies individuelles que de situation collective de "maladie, dans laquelle le soigné a toujours les symptômes de l'Autre. (Mentionnons parmi les pages les plus frappantes le récit de l'histOIre' de Sidonie, anorexique de 17 (page 139-162) et celui de Georges, Martiniquais de 30 'ans, interné depuis dix ans ; ce dérnier exemple est représentatif du livre: le discours de Georges y est analysé comme produit de sa famille, et le contexte hospitalier forme le' troisième langage par lequel un individu se déclare fou pour les autres.) Certains mots ne peuvent plus se faire Qublier : t.el malade rendant compte de sa folie: «Ma mère disait: je vais devenir folle. Un jour, i ai fait le VŒU de devenir fou ci sa place» (page 43) .. Tel enfant de la parole maternelle dans son 22

corps à lui: j'ai mal à la tête, dit l'enfant. «Où? Montre-moi où tu as mal ci la tête? Question qui ne lui avait jamais été posée. - Là (montrant aa cuisse près de laine). - Et liJ, c'est la tête à qui? - A maman.:. (page 20) L'enfant avait réussi à devenir le symptôme de sa mère migraineuse. De la juste articulation entre cette pratique et la théorie analytique, dépend la solidité du livre de Maud Mannoni. Ce livre, en fait, est aussi le produit d'une rencontre dont il faut bien comprendre l'histoire pour en mesurer l'importance. Son point de départ en est le mouvement d'antipsychiatrie: essentiellement anglo-saxon,. et conduit par des psychiatres nonanalystes, il conteste la ségrégation hospitalière et les procédés par lesquels la psychiatrie forme et déforme en les isolant les malades. Au contraire de la: psychiatrie, Laing et Cooper ont çhoisi de laisser délibérément le 'malade en crise, abondant dans son sens, libre de sa foJ,ie, jusqu'à ce que la crise disparaisse d'elle-même. Cette expérience, tentée sur les formes de la maladie mentale, suppose d'une part que le milieu extérieur conditionne la déraison, et d'autre part que des soins rigides, qu'ils soient somatiques ou psychiques, fixent en «folie» ce qui est un accès passager et nécessaire. Une telle hypothèse rejoint, par sa nouveauté' en psychiatrie, des recherches déjà anciennes en ethnologie et en histoire : recherches sur le shamanisme, qui procède de la même symbiose entre le soignant et le soigné, recherches historiques sur les formes sociales prises par la folie. C'est ici que se joue la rencontre : car Maud Mannoni, psychanalyste de l'Ecole Freudienne de Paris, est armée pour comprendre théoriquement et transformer l'empirisme des travaux de Laing et Cooper. Ceux-ci, par exemple, appellent métanoia la pratique qu'ils mettent en œuvre; métanoia, terme extrait de l'Evangile, a le sens de repentir .et de conversion spirituelle (1) ; Maud Mannoni y supplée par le concept de régression, moins connoté idéologiquement; la pensée de Jacques Lacan et

son armature théorique permettent de faire apparaître les conséquences de la psychanalyse en matière d'institutions: problème politique par exCellence, que Maud Mannoni a le mérite de poser avec évidence, de telle sorte qu'il ne .puisse être éludé. L'antipsychiatrie, l'inBuence de Jacques Lacan, et le' «structuralisme » anthropologique en tant qu'il décrit les formes sociales de l'aliénation, se rejoignent pour donner au témoignage psychanalytique de Maud Mannoni sa validité théorique et pratique. Ses implications sont doubles : sur le terrain spécifique de la psychanalyse, la notion d'institution fait l'objet d'une intervention théorique, liée à la difficile question de l'enseignement de la psychanalyse: quel est le statut du psychanalyste dans une société qui «soigne» par exclusion, et donc comment le former? Or, parler de psychanalyse emporte des conséquences anthropologiques : le rapport entre l'individu et les formes institutionnelles, le collectif et ses pouvoirs' spécinques ; son rapport au politique et les transformations réciproques qui les meuvent sont concernés par la mise en cause des processus d'exclusion de la folie. La psycha met à jour les modalités par lesquelles l'individu se défend contre les mécanismes d'intégration - assimilation ou exclusion - de l'idéologie dominante; mais, dans sa pratique tout au moins, elle ne tire pas les conséquences de ce qu'elle donne à voir. Le: livre de Maud Mannoni pose avec rigueur les prémisses d'un' tournant que souhaitait déjà Michel Foucault: «Le médecin, en tant que figr.tre aliénante, reste la clef de la psychanalyse. C'est peutêtre parce qu'elle n'a pas supprimé cette structure ultime, et qu'elle y a ramené toutes les autres, que la psychanalyse ne peut pas, ne pourra pas entendre les voix de la déraison, Iii dJchiffrer pour eux-mêmes les. signes de linsensé. La psychanalyse peut dénouer quelques-unes des formes la folie; elle demeufe étrangère au travail souverain de la déraison. Elle ne peut ni libérer ni transcrire, ci plus forte raison expliquer ce qu'û y a d'essentiel dans ce labeur. » (2) Si cette voie, gagne en importance, le jugement de" Foucault

risque de demander à être modifié, tout comme son objet, l'histoire de la folie. Reprenons cette double implication, et précisons les convergences entre le livre de Maud Mannoni et l'anthropologie. Maud Mannoni pose elle-même le problème en rapprochant le psychiatre et l'ethnographe: «Le psychiatre comme l ethnographe est aux prises dans son champ étude avec un ordre signifiant, que ce soit celui du père, de la mort, du tonnerre ou des miracles; quelque chose s'ordonne selon des rapports antinomiques qui viennent comme autant de lois du langage. Ce qui importe à l ethnographe (et au psychiatre), c'est de pouvoir mettre au jour ce qui a été opérant dans la structure logigue du mythe (mythe individuel du névrosé ou mythe collectif) (3). En opérant un déplacement de termes, et en remplaçant le psychiatre par le shaman, on se souviendra des analyses que Lévi-Strauss fait au sujet des guérisons shamanistiques dans l'A nthropologie Structurale: le shaman y gilérit une patiente, en proie à un accouchement difficile, en réintégrant les symptômes anormaux - douleurs violentes dans l'ordre du mythe; en étant lui-même partie intégrante du mythe naturel, et en transformant. la fèmme souffrante en morceau du mythe: son èorps devieni le lieu où se joue le mythe. Là, «quelque chose s'ordonne effectivement, qui ressem.hle à ce qui s'ordonné en 'psychiatrie; Maud Mannoni en déduit avec justesse que le psychiatre joue le rôle qùe la société lui assigne: celui de l'ordonnancement, auquel il faut pour guérir, que le malade s'identifie; l'ordre social 'contre le désordre de la folie, telle est la dialectique de la psychiatrie. Lévi-Strauss titre ce chapitre de son anthropologie : lEfficacité Symliolique. C'est cette expression que Maud Mannoni illustre complètement, comme si elle voulait donner raison par des travaux pratiques tout ensemble à Lacan, Lévi-Strauss et Foucault. Car c'est par l'efficacité de l'ordre. symbolique que la folie se désigne d'elle-même: soi.-clisant foJ.ie. C'est la du symbolique, sa force de loi,: qui permet de comprendre' que la folie des

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fous est une maladie d'exclusion; Lévi-Strauss, dans Tristes Tropiques, classe les sociétés en sociétés anthropoémiques et en sociétés· authropohagiques: les premières se défendent des éléments atypiques qu'elles contiennent en les « vomissant» dans des lieux d'exclusion: prisons, asiles, maisons institutionnelles variées; les secondes se défendent au contraire en assimilant les corps étrangers. Or, le shamanisme fait plutôt partie des secondes que des premières, et on pourrait dire que l'effort de {antipsychiatrie consiste à vouloir transformer une société anthropoémique en société anthropophagique, à traiter la folie comme partie intégrante du corps social, au lieu de l'en exclure. Entre psychiatre et shaman, le rapport alors devient plus clair : le psychiatre comme le shaman sont les opérateurs pour le traitement de l'étrange; l'un dans une société anthropoémique, l'autre dans une société anthropophagique. Il reste que l'antipsychiatrie tend à convertir la psychiatrie en shamanisme: Laing et Cooper suivent le délire du malade, comme le shaman, sans en briser l'ordonnance, et participent à la folie, comme le shaman, lui-même toujours caractérisé par son anomalie. Maud Mannoni a senti la difficulté de cette question, qui, sans être résolue par la seule psychanalyse, ne peut cependant pas se poser sans son aide. Car c'est elle qui permet de comprendre l'aspect transférentiel de la situation de maladie mentale, et d'en analyser les mécanismes projectifs. En ce point de rencontre de la psychiatrie, du shamanisme et de la psychanalyse, le problème du politique se pose, d'évidence; si la modification institutionnelle doit s'effectuer, elle supp08e d'une part une réorganisation du symbolique, et d'autre part les transformations sociales attenant à une telle mutation idéologique. Une analyse plus précise du savoir en jeu dans la psychiatrie - comme dans le shamanisme met en lumière ses fonctions idéologiques. Foucault nous avait déjà rendu attentifs à l'évolution du savoir médical; dans le livre de Maud Mannoni, les exemples sont légion de sa fonction de méconnaiB8ance: ainsi, une étudiante témoigne: «Au début, ça me faisait quelque chose, cette parole

D'après Breughel: Enlèvement de la pierre de folie.

folle qui dit vrai. J'en rêvais. Maintenant j'ai fait des progrès, ça ne me fait ptus rien. Quand un aliéné parle, j'arrive rapidement à le classer dans telle catégorie nosographique. Le savoir sur la maladie, ça vous protège.» (4) Rejoignant l'étude d'O. Mannoni sur l'expérience d'Itard, médecin au savoir condillacien, aveugle sur ce que le «sauvage de l'Aveyron» avait à lui dire, et rendu aveugle par ce savoir même, Maud Mannoni écrit: «Le «soigné» sert souvent d:écran à ce que le soignant ne veut ni savoir ni entendre... », et encore: «Une certaine de savoir objectivé a laissé dans {ombre tout ce qui, dans le psychiatre (et le pédagogue) se dérobe aux effets produits en lui par la présence de la folie.» (5) Ce savoir médical fait partie des rapports médecin-malade: car le malade se dit tel selon des repères médicaux; il s'objective dans des critères diagnostiques, et pose la question de son identité, non plus sous la forme «Qui suis-je? », mais «Que suis-je ? ». C'est ainsi qu'apparaissent les aspects rusés de la maladie: la maladie est une stratégie dans laquelle le malade se trouve, reconnu comme «paranoïaque» ou « schizophrène»: «Les fous sont les êtres les plus recherchés du monde », dit l'un d'eux, ayant fait ce que Maud Mannoni appelle une carrière asilaire. A ce savoir protecteur, Maud Mannoni oppose l'attitude psychanalytique quand il s'agit de psychose: non plus

La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au JO septembre 1970

l'oblitération de la vérité qui parle à travers les signifiants d'un délire, mais la réception de ce délire. Suivant Jacques Lacan, Maud Mannoni décrit la psychose comme une défense du sujet contre une parole étrangère, qu'il ne comprend pas; qui lui vient, comme tout langage, de l'Autre, et qu'il tente d'intégrer en constituant tout un système qui, dès lors qu'il est fixé par une écoute sociale; prend le nom de folie, irrémédiable. Il suffit d'accéder à l'écoute que demande le psychotique pour que les formes de ce système ne soient pas figées:· « Cette psychose n'a pas tant besoin· d:être « soignée» (dans le sens d:un arrêt) que d:être reçue. Ce que cherche le patient, c'est un témoin, et un support à cette parole étrangère qui s'impose à lui.» (6). Ce témoignage, les malades de Laing et Cooper le trouvent dans ce qui ne s'appelle plus ni asile ni hôpital, mais lieu d:accueil pour le dire de la folie ; à travers une mythologie de la «rédemption» et du «voyage », qui demande à être dépouillée de ses connotations romantiques, voire religieuses, il y a là une tentative qui engage non seulement la psychiatrie, mais la société tout entière. C'est pour cette raison que le livre de Maud s'achève sur une sorte d'inipasse : psychanalyste, elle ne peut éluder la question du rôle de l'analyste. Elle constate alors ·qu'en France, comme aux Etats-Unis, la psycha-

nalyse a tendance à être asservie à des besognes mi-soignantes, mipolicières; instrument de rééducation de l'ego, ou inefficace sur les masses, elle ne peut survivre sans une réflexion qui mette en cause son rapport au collectif et ses implications politiques. Maud Mannoni dénonce un danger qu'on ne nous avait pas habitué à craindre, bien au contraire : la psychothérapie d'enfant, généralisée, systématisée,. devient une forme normative d'éducation, et entre dans ce qu'une mère d'enfant analysé, plus consciente que d'autres, appelle «une complicité de flics:t (7). Et voici l'impasse: je cite les deux dernières phrases du livre : « Dès qu'une .société songe à mettre en place une organisation de « soins », elle fonde cette organisation sur un système de protection qui est avant tout rejet de la folie. D'une façon paradoxale, « {ordre soignant:t promeut ainsi la «violence:t au nom de {adaptation.:t C'est à un autre discours de prendre le relais, capable d'articuler le psychanalytique 'et politique. Catherine Backès-Clément (1) On lira avec intérêt le numéro

de Recherches : Spécial Enfance Aliénée, qui contient un texte de Laing : Met&noïa, some experience at Klncsley Hall, London. (Décembre 1968). (2) Michel Foucault, mstolre de la Folie, page 612. (3) Maud Mannoni, page 28. (4) Ibid., page 27. (5) O. Mannoni: Clefs pour l'lmarinalre, Maud Mannoni, page U. (6) Ibid., page 195. ('7) Ibid, J)aie 232.


HISTOIRE

Super flumina...

I

L, Oppenheim La Mésopotamie Portrait d'une civilisation. Coll. «La 8uite de8 temp8 Gallimard éd., 456 p.

De la pencope célèbre qui aurait décidé de la vocation de Lawrence d'Arabie, l'a88yriologue américain L. Oppenheim nous ofIre une 80rte de commentaire dans son livre, publié originellement en anglais, dans une langue difficile, et dont on nous propose une traduction française, qui n'est d'ailleurs pa8 exempte de maladre8ses et qui frôle par instants le contrelIen8. Pou8sé par des 8crupules tout à fait honorables de spécialiste, L. Oppenheim a donné pour limite8 temporelle8 à 80n ouvrage celle8 que lui imp08ait 8a connaissance directe des sources: ausai bien ne trouvera-t-on aucun développement sur le monde et la culture des Sumériens dont l'apport· dans la constitution de la civilisation mésopotamienne fut .important et peut-être déci8if, même après leur disparition à la fin du troisième millénaire comme entité politique et ethnique. Pour prendre un exemple grossier mais éclairant : le bilinguisme de fait des scribe8 - assyro-babylonien, langue vivante au moins jusqu'au VII" siècle et 8umérien, langue de la religion et pour une part des techniques - s'est maintenu jusqu'aux Arsacides. Cette décision d'Oppenheim le conduit à fixer le terminus a quo de 80n ouvrage vers 2300. Il choisit, d'autre part, d'arrêter son exposé à l'entrée des Per8es à Babylone. On peut le déplorer un peu car tout indique que, de même que l'empire dit néo-babylonien (612-555) fut l'héritier authentique, largement légitime et pour une part conscient de l'empire a8syrien qu'il contribua, faiblement d'ailleurs, à détruire, de même l'évolution de la civilisation mésopotamienne, qu'on peut dès lors appeler traditionnelle, pour l'opposer au monde achéménide, hellénistique puis parthe qui l'entoure, après le milieu du VI" 8iècle, ne ressentit que faiblement les ruptures 'politiques. Avant Xerxès, il n'en est pas de fondamentales: Cyru8 8'est posé en succeS8eur des rois précédent8 'et ce n'est pas là désir de

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penheim ne s'intéresse, par principe, qu'à l'espace mésopotamien propre et il exclut le reste du Proche-Orient, même si celui-ci, ainsi la Syrie 'ou l'Elam, a utilisé l'assyro-babylonien .comme langue de culture. L. Oppenheim fait, d'ailleurs, justement remarquer que des poèmes, comme l'épopée de Galgamesh ou le mythe du roi Etana, qui nous semblent être les chefs-d'œuvre babyloniens par excellence, sont surtout attestés dans les bibliothèques hors de Mésopotamie, 8ur la côte méditerranéenne, en pays hittite et en Egypte. A$sournazvlpa/.

vainqueur habile ou magnanime, 80utenu par une propagande efficace dont nous restent quelques textes: la Mésopotamie, et surtout désormais la Babylonie car l'ancienne Assyrie ne s'était pas encore remise des ravages scythes, mèdes et babyloniens, est liée par une union personnelle au reste de l'Empire. La «prise de la main de Mardouk, le dieu national, pendant les fêtes du Nouvel An, permettait au 80uverain perse, «roi de8 de devenir aussi «roi de Babylone ». Xerxè8, excédé par les révoltes de prétendants nationalistes, rendit impossible cette politique en ravageant le sanctuaire de Mardouk et en détruisant sa statue.

La Mésopotamie seule Désormais la Babylonie assumait le destin des autres satrapie8, mais la culture traditionnelle qui s'exprimait toujours par le cunéiforme sur tablette d'argile, continuait dans la capitale comme en province, à Uruk en particulier, et même 8e renouvelait: l'auteur, comme on peut s'en rendre compte en lisant ses notes bibliographiques très importantes, utilise souvent ces textes tardifs qui se trouvent souvent être les meilleurs ou les 8euls témoins de grandes œuvres littéraires, religieuses ou majs il ne traite pas, comme tel, on peut le cegretter, de ce dernier 'et très brillant éclat du monde mésopotamien qui s'achève, comme il avait eommencé: autour des temples. Comme l'indique le titre, .

Une mosaïque La Mésopotamie est composée d'une succession de· tableaux, 8ix chapitres en tout (dont certains avaient déjà paru comme articles indépendants) chacun d'entre eux faits de quelques paragraphes, sans prétention à l'exhaustivité, livre qui est donc, plus qu'un « por 8elon le mot de l'auteur, ou même une description 8ynthétique, plutôt une mosaïque laissée volontairement inachevée pour ne pas. préjuger des découvertes futures. Si' certains développements peuvent apparaître banals aux yeux des 8pécialistes, ils apprendront beaucoup au public cultivé car ils chassent les 8cories que charrient, avec complaisance, trop d'ouvrages généraux après les avoir emprunté8 à des ouvrages caducs depuis des décennies. Insistons au passage, car de nonspécialistes n'y peut-être pas sensibles, sur l'importance de la chronologie qui fait autorité, et sur la valeur scientifique des cartes de tous les sites, qu'on ne trouve que là. Un vent salubre A cet égard, 8i la Mésopotamie ne faisait que l'état des questions, elle serait déjà la bienvenue, mais il y souffie aussi un vent salubre de critique, il s'y manifeste un goût allègre pour marquer les limites de nos connaissances actuelles ; et le refus de la complai pour des idées toutes faites qui s'adrésscn:t, par leur ton polémique, à la myopie intellectuelle de certains assyriologues, devient même du pessiinîsP1e et confine au découragement;' Ces deUx sen-

timents sont injustifiés: la documentation, quoique mal répartie dans le temps et l'espace, est considérable: 500 000. tablettes peut-être à ce jour et des originaux d'une fraîcheur et d'une humanité auxquelles on ne peut rester insensible, sauf un certain nombre de textes dit «de la tradition » inlassablement réédités et quelques inscriptions historiques anciennes, recopiés par des érudits néo-babyloniens. Un des intérêts de l'ouvrage réside enfin dans les idiosyncrasies de l'auteur qui prend parti, quitte à agacer ou à étonner : il dépré. cie, par exemple, la médecine babylonienne, sur le témoignage tardif, et suspect, d'Hérodote. On est frappé, au contraire, de l'attitude moderne des praticiens mésopotamiens dont les manuels manifestent les deux qualités scientifiques d'acribie dans le diagnostic et de modestie prudente dans le prognostic, bien que nous soyons bien incapables aujourd'hui de juger des résultats ; encore est-il frappant que la magie soit tenue à l'écart. Certaines affirmations ont même des conséquences inattendues: L. Oppenheim évoque, sans justification, le rôle des chiens de bergers mais, s'ils avaient existé, et des preuves indirectes convergentes indiquent le contraire, 'on ne comprendrait plus comment se serait développé le thème du Bon Pasteur, qui abandonne quatre--vingt-dix-neuf brebis pour partir, lui-même, à la recherche de la centième, thème passé de Mésopotamie en Palestine et de là, par les Evangiles, dans l'iconographie occidentale, image édifiante du berger portant l'égarée sur ses épaules; Le chien était en réalité le symbole de la bête méprisable et inutile, exception faite pour les noblesses qui gardaient les sanctuaires.

Etaient-ils heureux? Les Mésopotamiens étaient-ils heureux? Oppenheim, qui ne pose pas directement la question, fournit toutefois des éléments de réponse : de ses pages montent à la campagne l'alalû, le chant rythmé des moissonneurs, et, à la ville, les rires des buveurs de bière au cabaret.

Daniel Arnaud


('.4 IIIERS

WOLFGANG ABENDROTH HANS HEINZ HOLZ LEOKOFLER THEOPINKUS Entretiens avec Georg Lukacs

JEAN DAUBIER Histoire de la révolution culturelle prolétarienne en Chine Vue, vécue et expliquée de l'intérieur par un témoin militant. 18.10F

L.·l f) EC'O l t ,!:'R Tl:.'

Hormis lean-Paul Sartre, François Maspero ne publie que des auteurs étrangers" (Carrefour) . H

G. CHARACHIDZE Le Système religieux en Géorgie paienne 60F

60F

COLETTE JANIAUD LUST Nikos Kazantzaki 60 F

MONIQUE JUTRIN Panait Istrati, un chardon déraciné

Les Murs de l'asile

Palestine, année 0

VASSILIS VASSILIKOS Hors les murs "Ce que l'on retrouve dans le présent volume c'est le Vassilikos de Z, avec son don assez extraordinaire de donner vie, de restituer l'existence dans son mouvement et ses détails". (Jean Gaugeard, Lettres Françaises). 14.80 F

PAUL LIDSKY

Les Ecrivains contre la Commune " Avec une probité parfaite, l'auteur n'avance rien qui ne soit étayé par des textes... Livre à lire et à méditer". (Martin Fort, La Quinzaine Littéraire). 14.80F

P.M.SWEEZY ET CH. BETTELHEIM Lettres sur quelques problèmes actuels du socialisme CHINE - U.R.S.S. - CUBA TCHECOSLOVAQUIE. 5.90F

MARIA ANTONIETTA MACCIOCCHI Lettres de l'intérieur du Parti

" Reportage d'une vie et d'une justesse remarquables, réflexion politique sur les rapports du P.e. et des masses sous prolétarisées..... (Le Monde). 23.70 F

Batasuna, la répression au Pays Basque Un livre noir, précis, atroce et accablant sur la terreur franquiste aujourd'hui. 11.80 F

23.70 F

François Maspero 1 place Paul-Painlevé

Paris se

15 F

LENINE - ZINOVIEV Contre le courant 2 vol. - chaque: 15 F

1

ECOSO.\IIE ET SOC'!.·lljS\/E

BIBI_ID TIII?Ql 'E A.EMMANUEL L'iEchange inégal SOC '!.·l LISTE GEORGES HAUPT ET JEAN-JACQUES MARIE Les Bolcheviks par eux-mêmes "Le, commerçant permanent de la Révolution, l'éditeur François Maspero, vient de publier - le fait mérite d'être souligné - un ouvrage important". (Jeune Révolutionnaire). 23.70 F

BERNSTEIN Auguste Blanqui

" ...Cette biographie est aussi celle de tout le 19" siècle, et l'on participe avec passion à la deScente de Bernstein dans le dédale des sociétés secrètes qui grouillent sous les monarchies, l'Empire et la République" (Le Monde). 23.70 F

A.NEUBERG L'Insûrrection arniée

KARELKOSIK La Dialectique du concret

15 F

14.80 F

de Deligny, qui pressent depuis longtemps où est la racine du mal .. (Lettres Françaises). 14.80 F

BERNARD GRANOTIER Les Travailleurs immigrés en France " Mais cela dit, dans l'état actuel des choses, le livre de Bernard Granotier reste cependant l'une des meilleures sources de renseignements dont nous disposons, et il constitue à ce titre, malgré ses limites, un outil de travail précieux". (Lutte ouvrière, François Duburg). 18.10 F

WLODZIMIERZ BRUS D.D. KOSAMBI ' , , Pro blemes generaux . .. . du fonctionnement de Culture et CIVIlisation l'économie socialiste dans l'Inde ancienne 20.80 F

RtEnITIO.\S ES r·lC-SI.\/ILl.: SAMUEL KARL KAUSTSKY La Question Agraire

..... Mais il est sans doute suffisant que le lecteur referme le livre avec la' conviction que personne n'est innocent, même si certains sont beaucoup plus coupables que d'autres". (P. Vidal-Naquet, Le Monde). 18.10 F

CH. MINGUET Alexandre FERNAND DELIGNY de Humboldt, historien Les Vagabonds et géographe de efficaces l'Amérique espagnole ..... 11 est salutaire de lire l'ouvrage

UNION GENERALE DES TRAVAILLEURS SENEGALAIS EN FRANCE Le Livre des travailleurs africains en France

" Les œuvres des nouveaux maîtres à penser de la gauche allemande Marcuse, Adorno, Walter Benjamin, Habermas - auraient-elles été possibles sans l'ébranlement que Lukacs a donné au marxisme, à l'esthétique, à la philosophie ? Jamais il n'a été aussi vivant". (Jean Michel Palmier, Le Monde). " Je crois que tout le monde doit 11.80 F lire ce livre, parce que l'on doit se rendre compte par des faits, et non par des théories, uniquement ROGER par des faits du mécanisme de surexploitation: et que nous avons GENTIS réellement nos colonies à l'intérieur, comme les Américains..... (Jean-Paul Sartre, TricontinentaI). " ... Mais si les sourds n'entendent 14.80 F pas cet appel, c'est à désespérer de la parole de feu. Celle de R. Gentis l'est. Pas l,me parole LORAND GASPAR polie, "technique". Plutôt un discours furieux (mais réfléchi des années), un mouvement irrésistible (mais étayé par une expérience Un dialogue israélo-arabe. méditée)". (Michèle Kespi, Le 8.60 F Nouvel Observateur). 8.60 F

P.de CORMARMOND ET C. DUCHET Racisme et société

Introduction et remarques théoriques de Charles Bettelheim. 23.70 F

CHARLES BETTELHEIM Calcul économique et formes de propriété 14.80 F

CHRISTIAN PALLOIX Problèmes de la croissance en économie ouverte 18.10 F

TI:'" \' fI,'S .ll.'.·lPPll CH. BLANCHE BENVENISTE ET A. CHERVEL L'Orthographe

23.70 F

BARRIGTON MOORE Les origines sociales de la dictature et de la démocratie .....C'est un ouvrage de base à retenir, dont la lecture est à conseiller à qui veut essayer de comprendre notre époque". (Bulletin critique du Livre Français). 26,70 F

C. WRIGHT MILLS L'Elite du pouvoir .. Mills, le célèbre sociologue américain dénonce le mécanisme du pouvoir dans la société et l'Etat américain, avec ce non-conformisme qui ne sort pas des limites du conformisme américain, pour qui la lutte des classes n'existe pas". (La Nouvelle Critique). 23.70 F

A.S. NEI(,L Libres enfants de Summerhill

.. Pourquoi une expérience aussi positive, aussi nécessaire à une époque où tout le système de l'enseignement, de la maternelle à l'Université, se révèle en faillite, "Un essai qui me semble bien être est - elle si rare?" ( L'Express, une bombe". (Lettres Françaises) Madeleine Chapsal). !il 18.10 F 23.70F


Naissance de l'anarchisme

1

Pierre Ansart Marx et (anarchisme P.U.F. éd., 556 p.

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Naissance de (anarchisme P.U.F. éd., 261 p.

Les deux ouvrages de Pierre Ansart que viennent de publier les Presses Universitaires de France: Marx et (anarchisme et Nais· sance de (anarchisme, ne 80nt pas, malgré leur titre, une étude de l'anarchisme comme doctrine sociale et mouvement politique. Ce qui intéresse l'auteur ce sont ces penseurs de la société indus· trielle commençante que l'ombre de Max:x a plongés pour un long temps dans la nuit ou que la classification somaire d'Engels. entre «socialisme scientifique:. (celui de Marx) et «socialismes utopiques:. (les autres) a rejeté du côté des rêveurs .ou des moralistes. Etudiant Saint·Simon et Proudhon, Ansart veut montrer que leur œuvre, non seulement s'inscrit dans le même temps et le même questionnement que celle

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de Marx, mais encore que leur modernité et leur ouverture à nos difficultés d'aujourd'hui sont aussi grandes. Thèses universitaires, ces deux ouvrages ont les grandes qualités qu'exige le genre: le sérieux dans la documentation et l'opiniâtre· dans la démonstration, mais ils en ont aussi les défauts agaçants. Notons en particulier la complaisance de certaines références et surtout la prise en trop grande considération d'affirmations qui n'avaient pour elles que d'être celles du directeur de thèse - en l'occurrence G. Gurvitch. C'est l'œuvre touffus de Proudhon qui retient surtout Pierre Ansart. A elle il consacre une bonne partie du premier ouvrage et la totalité du second. Déjà, l'an pa88é, il avait fait' paraître une Sociologie de Proudhon (P.U.F.). TI s'inscrit ainsi au tout premier rang de ceux qui veulent réhabiliter la pensée de celui dont Marx disait : « N>ayant jamais compris la dialectique scientifique il ne parvient qu'au sophisme. Le petit.bour-

geois... dit toujours: d'un côté, de (autre côté. Deux courants oposés. contradictoires. dominent ses intérêts matérieLS. et par conséquent, ses vues religieuses, scientifiques et artistiques. sa m0rale. enfin son être tout entier. Il est la contradiction vivante. Sil est, de plus, comme Proudhon un homme d'esprit. il saura bientôt jongler avec ses propres contradictions et les élaborer, selon les circonstances, en paradoxes frappants. tapageurs. parfois brillants. Charlatanisme scientifique et accommodements politiques sont inséparables d'un pareil point de vue.» Ansart organise son étude autour d'une question qui, il faut le souligner, est dans la tradition marxiste. Il recherche les homologies structurales possibles entre les ensembles intellectuels qu'j} découpe dans l'œuvre de Proudhon et des structures sociales de son époque, cela dans le but d'in· tégrer dans une même totalité le discours proudhonnien et 80n monde réel. On a souvent imputé aux marxistes un schématisme qui résulte· rait de la fonction productrice di· recte et· unilatérale qu'ils accor' dent à l'économique. Le reproche, s'il est fondé pour nombre de travaux contemporains, l'est moins quand on lit Marx et qu'on découvre son perpétuel souci de tenir compte de tout ce que le réel présente comme complications et contradictions. Ansart, à qui on ne saurait faire le reproche de schématisme, répudie la relation de causalité au profit d'un marxisme très proche de celui de L. Goldman: chaque niveau social (politique, culturel, juridique, etc.) n'est en correspondance avec les autres que dans la mesure où il exprime dans sa forme et selon ses lois structurales propres - la totalité sociale. Et si l'économique reste bien le déterminant «en dernière instance », dont parle Marx, son effectuation est si loin· taine, si réfractée par la complexi. té des articulations, qu'on peut - presque '-- la mettre entre pa· renthèses. L'auteur veut aller plus loin et c'est son originalité. TI veut nous faire connaître en quelque 80rte la génèse inconsciente-consciente de la pensée de Proudhon. Nous voyons ainsi Proudhon prendre

pour modèle, dans le réel de son temps, le secteur artisano-manu· facturier et l'extrapoler à la totalité de la société. Au niveau artisano-manufacturier, le rapport de l'homme à 80n 8emblable n'est pas «médié. par des institutions bureaucratiques. Il s'agira donc de préserver ce caractère essentiel lorsqu'on passera du petit groupe de producteurs à la totalité d'une société. La chose est possible, affirme Proudhon. Elle exige que soit répudiée toute organisation macro-centralisatrice qui permet à l'Etat de manifester sa puissance oppressive, et que soit inventé un mode d'articulation qui laisse les petits groupes développer leur spontanéité. Ainsi se constitue un espace social hUe main dans lequel la décision reste sous la dépendance de ceux qui ont à la supporter et n'apparaît pas entourée du mystère de sa source et de la toute-puissance de son impérium. Le thème du mutualisme qui cristallise le principal du proud. honisme permet à Ansart de se questionner sur l'actualité de Proudhon, sur la valeur de ses intuitions et utopies dans la société d'aujourd'hui, ce qui est une façon de confronter notre société à ses origines et de conclure à l'in· térêt de connaître Proudhon pour penser notre époque et ses problèmes. C'est le privilège du XIX· siècle, ce temps où naît la société industrielle dans un bouillonnement riche et confus d'idées et de rêves, que d'y voir recensées toutes les formes de pensées possibles explicatives du phénomène naissant. Aussi n'est-il pas une seule théorie, pas une seule utopie qui ne puisse, un jour ou l'autre, et selon les avatars de l'histoire et les aspects de la conjoncture, être qualifiée d'intuition géniale; pas un seul penseur des débuts du XIX· siècle qui n'ait sa chance de se voir érigé en penseur de notre devenir. Ansart nous montre - et il a raison - qu'aujourd'hui la question est posée d'une demande libertaire contre les oppressions bu· reaucratiques. Il nous révèle l'actualité de Proudhon, cette actualité qu'il avait annoncée avant que mai 1968, dans le fracas, ne semble lui accorder le satisfecit de l'histoire. André Akoun


Une nouvelle collection internationale.-d'histoire

RELIGIONS

Eckartshau'sen le titre est aussi kafkaïen que le thème : des punaises dévorent les yeux d'un enfant, et cet enfant est un bâtard. Comme il est un fils sans père officiel, Eckartshausen est un théosophe sans maître; ce qui est grave quand on sait l'importance primordiale dans l'initiation de la tradition, de la continuité, de la filiation spiri. tuelle. Sont-ce ces raisons qui le rendr.ont d'une fidélité absolue à l'égard du Prince Karl.Theodor, et des Jésuites, dont à Ingolstadt il a été l'élève ? Quand, en 1784, Eckartshausen parle De rintolérance littéraire de notre siècle, il évoque celle qui s'exerce contre la religion et con· Antoine Faivre tre la Les fonctions et de Conseiller aulique, puis de la. chrétienne Conseiller secret, l'amènent à 18 planches approcher les' prisonniers et à Klincksieck, éd., 790 p. s'intéresser à eux. Bien que le Ce 1ivre est une thèse; il contenu de son discours Sur la en a le poids et les qualités. nécessité des connaissances phy, L'étendue de l'information, la siologiques en matière criminelle sûreté de la bibliographie (p. 98) soit pas précisé, on font d'une.. simple monogra- peut l'inférer du tableau que phie, si je suis qualifier de dresse A. Faivre des quatre tem· simple monographie un livre péraments (sanguin, flegmatique, colérique, mélancolique), et des de cette ampleur. un volume qui les lient de consultation, d'autant plus utile que l'œuvre et la per- (p. 307). Le rapport' d'un système sonne d'Eckartshausen de- ancien et de l'expérience peJ;" meuraient mystérieuses en sonnelle intrigue; en soulignant dépit de citations fréquentes que l'espace où se meut Eckarts· de son nom par Gœthe. Schil- hausen est essentiellement reli· gieux, symbolique et mythique' ler. Herder. Gogol. Tolstoï. (p. 216), Antoine Faivre dissocie S'il exprime sa morale par la la biographie d'un être situé et contingent de l'exposé d'une pen· voie du théâtre, s'il emprunte facilement son vocabulaire à l'al- sée pérennielle. Ce qui, en ce cas précis, donne raison à Faivre, chimie (Faivre publie, en appendice, une étude inédite de Canse- . 'c'est que la vie et l'œuvre n'obéis· liet) , Eckartshausen demeure es- sent pas au même rythme: sentiellement théosophe, et se pensée d'Eckartshausen lui est dès l'origine entièrement donnée; situe dans la tradition initiaque de Boehme, Swedenborg, Saint- elle ne variera pas. L'œuvre est traversée et soute· Martin. Eckartshausen naît en 1752. nue par une méditation sur les Fils de Karl von Haimhausen et nombres qui prend son aspect doc· de la fille de son intendant, Maria trinal dans deux ouvrages: la Anna Eckart, il portera un nom Science des "ombres (1794), la de fabrication composé de celui de Probaséologie' (1795), et qui l'exsa mère (à l'orthographe incertai- prime d'une ,maniàe figurée dans ne) et des dernières syllabes de une série de dix.sept rêves symbocelui de son père: Eckart-hausen. liques (1792). Certes, ces rêves Cette naissance que l'on dit illé- témoignent d'une conscience éveil· gitime pèse assez lourdement sur lée singuJièrement attentive aux lui pour que, de 1778 à 1786, dix· allégories, mais Antoine Faivre a sept ans avant sa mort; il coqsa· raison de remarquer que, dans cre quatre ouvrages à la bâtardise. ces calculs arithmosophiques, il Bien qu'Antoine Faivre n'en ca· entre une bonne part d'intuition che pas.la faiblesse littéraire, je (p. 448). Les nombres qui appa· regrette qu'il ne cite pas quelques raissent à différents niveaux de pages du Journal d'un juge, dont la méditation, occupent toujours

1

La Q.!!inzaine Littéraire, du 16

IlU

JO septembre 1970

une place déterminante dans le déroulement de la pensée.. Un IIYs· tème théosophique, .comme une pensée poétique, est centré sur l'idée de correspondance, et se développe en répétitions harmoniques. Pour Eckartshausen, il n'y a pas de solution de continuité entre noumène et phénomène; la création constitue une chaîne ininterrompue. Les nombres sont comme les images d'une unité primordiale, d'une harmonie fondamentale (p. 244). Ils ne sont pas les instruments d'une énumération du monde, mais de sa coordination ; ce sont les enveloppes invi· sibles des choses. Si les significations individuelles des nombres relèvent assez directement de la kabbale chrétienne,. le .plus inté· ressant est la loi qui les relie. Tous les nombres de l'unité, si bien que pour.compren· dre un nombre, il faut compren· dre les nombres qui le précèdent, remonter à travers eux jusqu'à l'unité. Leur progression ne cor· respond pas à une dégradation, au passage de l'unité à la pluralité par la division; on ne s'enfonce pas d'autant plus dans la matière s'éloigne du Principe. Les mathématiques ne s'appli. quent pas seulement au monde sensible, 'mais à tous les domai· nes de la pensée. Ils sont le fondement de la connaissance, étant celui de l'organisation du monde. Ils sont d'une aide efficace pour l'explication de la mythologie, pour celle des rapports de Dieu et du Christ, du Christ et de l'homme, de l'homme et de la 'nature. L'amour est le premier nombre ; le mal est un désordre, il naît dans le temps, mais le temps n'est pas le mal en soi; il est le lien entre la cause et la conséquence ; il est une forme de la progression de l'unité et peut s'ordonner en grande heure, en grand jour, en grande année. Pour qui même n'est pas théosophe, la lecture du livre d'An· toine Faivre est éclairante. Les problèmes étudiés concernent di· rectement le romantisme alle· mand, mais aussi toute une part de la littérature française. Senan· cour a pu connaître Eckartshau· sen, mais les pages qu'il consacre aux nombres dans Oberman sont ironiques; en revanche, Neival et Balzac aliraient pu être par cette construction. Jean Roudaut

L'AVENTURE DES CIVILISATIONS Une collection audacieuse. insolite, sti· mulante qui renouvelle le cadre tradi· tionnel du document d'histoire et ré . pond, à travers l'expérience du passé, aux interrogations les plus brOlantes de notre temps.

déjà parus:

SIR CECIL MAURICE BOWRA

L'Expérience grecque du IX" au IV· siècle av. J.-C.

FRIEDRICH HEER de l'Université de Vienne

L'Univers du moyen âge •

ERIC HOBSBAWM de l'Université de Londres

L'Ere des révolutions 1789-1848

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Prospective marxiste POLITIQUE

I

Léon Lavallée une prospective 11UJrxiste Coll. «Problèmes:. Editions sociales, 190 p.

Si l'on convient de définir la prospective comme l'élaboration systématique d'images d'un avenir éloigné à l'usage des décideurs présents, il faut reconnaître que, d'une part cette activité s'est développée dans les pays de l'Ouest d'une manière assez indépendante des milieux intellectuels marxistes, et d'autre part que les pays de l'Est «font:. de la prospective même s'ils l'appellent d'un autre nom (par exemple «prognose»). Le livre de Léon Lavallée a ainsi pour obje de situer le travail de conjecture par rapport à une démarche intellectuelle de type marxiste. Très naturellement. il commence par dégager les raisons les plus générales pour lesquelles le recours à la prévision à long terme devient de plus en plus néces· saire. Cette nécessité tient d'abord à la combinaison d'un niveau éle· vé des forces productives et d'un taux d'accroissement rapide de ces mêmes forces et en second lieu à la compétition qui règne entre ré· gimes économiques rivaux (notons que ce raisonnement vaut égale. ment à fintérieur d'un régime économique ou d'un Etat·nation : supprimez toute concurrence, et la prévision devient à peu près sans

INFORMATIONS

Dossiers des Lettres nouvelles Dans la collection des «Dossiers des Lettres Nouvelles. paraît, sous le titre de Silence, un Important ouvrage qui regroupe une vingtaine de confé· rences et d'articles où le compositeur John Cage expose ses conceptions en matière de musique expérimentale. Le public français pourra ainsi faire connaissance avec ce chercheur infatigable, fortement marqué par les in· f1uences des maîtres Zen, et dont les happenings musicaux, les écrits et les conférences ·ne manquent Jamais de susciter aux Etats-Unis ·ou l'exaspération ou l'admiration la plus enthou· !llaste (DenoëJ) . Dans la même collection, on pourra lire un choix d'essais d'Ernst Fischer, communiste autrichien récemment

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objet puisque l'erreur ne serait plus sanctionnée...). Prenant ensuite le Manifeste du parti Communiste comme prototype d'une réflexion prospective, l'auteur en déduit que tout exercice de ,prévision à long terme doit s'appuyer sur les relations de dépendance qui existent entre les variables caractéristiques d'un système social, en commençant évidemment par les variables explicatives - en l'occurrence les forces productives - ce qui est cohérent avec sa définition de la prospective comme un repérage des «caractéristiques les plus générales du développement de la société à long terme:. (p. 59). Or ces forces évoluent selon un sché· ma que l'on peut en di· sant que depuis le siècle, la relation causale production.tech. nologie.science tend à s;inverser, et à faire de la science l'élément dominant: dès lors «le passage de la science à la première place dans le processus de production (...) impose que toute prévision complexe parte de la prévision dans ce secteur» (p. 48). Quelles sont alors les variables « expliquées:. (ou dépendantes) ? Si l'on se réfère à l'exemple des travaux soviétiques sur l'avenir à long terme, on voit se dessiner la hiérarchie suivante: sciences et techniques, développement économique et social, superstructure politique (y compris la défense nationale), et enfin l'espace «géocosmique », que l'auteur semblé

expulsé de son parti à cause des posi tions qu'il fut amené à prendre à la suite de l'affaire tchécoslovaque. L'ou· vrage, qui a pour titre général Art et coexistence, réunira deux volu· mes: le premier, intitulé A la recherche de la vérité et groupant une série d'études critiques sur la littérature et l'art (notamment sur Beckett, Soljénitsyne, Goya), le second se présen· tant comme une sorte d'autobiographie politique de l'auteur ayant pour titre Souvenirs et réflexions.

Bibliothèque des idées Dans la «Bibliothèque des Idées. (Gallimard), est annoncée pour septembre la célèbre étude de Mlckhail Bakhtine sur Rabelais, dont notre col· laborateur, Ray Ortall, avait rendu compte dans le n° 69 de la Quinzaine. Chez le même éditeur, Philippe Jaccottet nous propose un ensemble de textes sur la campagne et de mé-

tenir pour quantité négligeable, alors que sous le nom d'« environ· nement:. il est en train de prendre une importance qui n'est pas seulement de l'ordre du mythe

(1).

Après une description rapide des méthodes de prévision utilisées, le livre s'achève par une partie intitulée «Essais d'appli. cation >, qui m'a paru très inégalement convaincante. On y trouve des vues prospectives, au meilleur sens du terme, sur l'avenir du système d'enseignement supérieur que Léon Lavallée envisage com· me pleinement intégré au système de production, de façon à ce que se multiplient les chances de fécondation réciproque. Par con· tre, il est difficile de suivre l'auteur lorsqu'il affirme (pp. 140141) que « seule l'analyse prospective pernianente :. peut permettre de dégager les priorités à inscrire dans le plan national, et que la science économique, « avec ses catégories de rentabilité, de développement proportionné, etc. », ne peut apporter aucune réponse. Cette proposition est partiellement vraie, en ce sens que le calcul économique (qui n'a· d'ailleurs rien à voir avec le développement proportionné, c'est-à-dire avec la cohérence), n'apporte qu'un critère parmi d'autres. Mais elle ne l'est que partiellement, car si l'estimation des tendances lourdes procurée par une bonne prospective pero met de mieux percevoir les con·

ditations sur le travail du poète, sur sa condition d'homme cfémunl et incer· tain: Paysages avec figures absentes.

Divers essais Avec Diderot, de l'athéisme au colonialisme (Maspero), Y. Bénot nous donne de l'œuvre de l'auteur de Jac· ques le fataliste une analyse nouvelle, qui la replace dans son contexte historique et met avant tout l'accent sur ses contradictions et sur son idéologie de base, c'est-à-dire l'athéisme. Proviseur du lycée de Nîmes, Robert Brechon s'appuie sur une longue expérience de l'enseignement pour nous donner, dans la Fin des lycées (Grasset), le témoignage direct de quelqu'un du métier sur la vie· actuelle dans les lycées et sur les problèmes que pose aujourd'hui l'enseignement secon· daire en France. Après la Sexualité et sa répression dans les sociétés primitives et Trois

traintes que toute décision doit respecter sous peine d'irréalisme, elle ne dispense pas de choisir entre voies de développement également plausibles au regard de ces contraintes, et ne fournit en tout cas aucune indication du genre : il faut développer l'industrie spatiale plutôt que celle des trans· ports terrestres (ou l'inverSe). En bref, dans un univers en changement rapide, il est sage d'être attentif aux formes possibles et probables du développe. ment scientifique et technique, mais on aurait singulièrement tort d'en conclure que l'évolution des mentalités nous est donnée du même coup: en moins de vingt ans, la comparaison des taux de croissance russe et américain, à laquelle Léon Lavallée attache beaucoup de prix (et en tant qu'économiste je ne puis que l'approuver) a cessé aux yeux de l'opinion éclairée d'être un élémentclé de la concurrence des régimes économiques, alors que le progrès scientifique et technique continue apparemment de jouer le même rôle moteur. Marxiste ou pas, la prospective ne devra-t-elle pas tôt ou tard tirer la leçon de ce changement d'optique, et se débarrasser d'une conception un peu trop étroitement mécaniste de la dynamique sociale ?

Bernard Cazes Voir le livre récemment paru professeur Jean Dorst, Avant que nature meure <Editions du Beuil). (1)

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essais sur la vie sociale des primitifs (voir le n° 50 de la Quinzaine), les éditions Payot publient un ouvrage posthume du grand ethnologue britannique Bronislaw Malinowski (dont Maspero nous a proposé récemment un essai intitulé une Théorie scientifique de la culture, repris au format de poche dans la collection « Points. du Seuil) : les Dynamiques de l'évolution culturelle, étuoe consacrée au problème du contact culturel - dans le cas précis des Blancs et des Noirs en Afrl· que. Chez le même éditeur, paraît une étude sur le «terrain. dans la perspective de Reich, par un jeune psychosociologue: Erotisme afrlc:ain (le c0mportement sexuel des adolescents guinéens) de Pierre Hanry, tandis que sous le titre de la Peur des femmes, Wolfgang Lederer publie un ouvrage sur le thème de la peur de la castration li travers les mythes, les légendes et les religions, de la préhistoire li nos jours.


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La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au 30 septembre 1970

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LES REVUES

Jean-Pierre Meylan: lB Revue de Genève, miroir des lettres 1920-1930, librairie Droz éd., 626 p., Genève.

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On peut se demander, cinquante ans après sa naissance, ce que représente cette Revue de Genève dont l'existence fut liée en partie à l'institution de la Société des -Nations. Pendant ses dix années de parution de Juillet 1920 à décembre 1930 - , à une époque particulièrement abondante en œuvres fortes et en courants nouveaux, la Revue de Genève, portée par l'esprit de la S.D.N., apparaît à la fois comme un organe littéraire et comme une tribune de débats internationaux. Les prospectus de souscription portent: • Internationale, sans être internationaliste. et • intersociale, sans être socialiste •. Les devises sont moins ambiguës pour nous sans doute que pour les lecteurs de 1920. Robert de Traz (1884-1951) tout imprégné de barréslsme au moment où il prit la direc· tlon de lB Revue de Genève ne fit pas de celle-ci une tribune • libre ., mals un lieu de rencontre marqué d'un libéralisme plus net en littérature qu'en politique ... M. Meylan, dans le gros ouvrage qu'il vient de consacrer à lB Revue de Genève, analyse sereinement toutes les composantes qui

INFORMATIONS Quatre nouveaux titres dans la collection • R • de Balland (voir le n° 94 de la· Quinzaine) : les Gnostiques, par Jacques Lacarrière, essai dans lequel l'auteur se livre à une réflexion sur ce thème mystique jusqu'à l'époque contemporaine; les Ecrivains en prie son, où, de Saint Jean de la Croix à Jean Genet, la romancière Françoise d'Eaubonne évoque les écrivains qui, en tous temps et en tous pays, eurent des démêlés avec la justice; les Cangacelros, par Christina Matta Machado, traduit du brésilien par Gilles La· pouge; les Dandys, évocation du thème du dandysme à travers les âges, des formes antiques aux formes les plus actuelles, par Emilien Carasslls.

Réponse des savants Il y a trois ans, Jacques Monod, Prix Nobel de Médecine 1965, prononçait au Collège de France une leçon inaugurale qui fit grand bruit (et qui servit de point de départ à P.H. Simon pour sa Lettre aux savants publiée aux éditions du Seuil en 1969). Reprenant les thèmes de cette leçon, précisant et développant très largement les Idées provocantes qu'elle formulait. Jac:aues Monod donne aujourd'huI liasard et la nécessité le point de vue d'un biologiste sur tout un ensemble de problèmes philosophiques qui concernent de façon cruciale l'homme actuel (Seuil).

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en firent une revue Intéressante, utile mais aussi fragile. Dix ans, c'est pourtant une durée appréciable. Universelle dans sa diffusion - elle eut, à un certain moment, autant d'abonnés au Brésil qu'à Genève - , lB Revue de Genève ac· complit dans le domaine littéraire ce qui, en politique, aurait pu être la. tâche de la S.D.N., apparaissant comme une • forme anticipée de l'UNESCO., en contribuant au mouvement d'échanges littéraires internationaux de l'après-guerre, s'efforçant par ailleurs de révéler des auteurs Inconnus ou peu connus de tous les pays.• Sa mystique, dit M. Meylan, imprégnée de l'Esprit de Genève que Robert de Traz a revalorisé, a préconisé cet humanisme qui fut invoqué lors des Rencontres internationales de Genève après la Seconde Gerre mondiale.• On saura gré à l'auteur d'avoir élargi son étude en s'attachant à la fortune littéraire des principaux collaborateurs de la revue, opérant, en quel· que sorte, une coupe synchronique de l'époque. Ainsi les pages qu'il consacre à Robert de Traz lui-même qui, outre sa participation active à lB Voile latine (avec Ramuz et Cingria), fonda les Feuillets au sous-titre· significatif de • revue mensuelle de culture suisse •. Doté d'une conscience européenne, c'est tout naturellement mais non sans mal que Robert de Traz se lan· ça dans la bataille pour une Europe unie, ne voulant pas bâtir une • ca-

C'est un bilan pessimiste de notre époque, un véritable réquisitoire con· tre tous les fondements de la société actuelle que dresse Alain Gourdon dans le Temps des obsèques (Fayard), tandis que dans ses Réflexions au bord du gouffre (Laffont), G. Picht tente, de montrer que les savants du monde entier doivent faire un effort pour sauver le monde de demain mis en péril par les hommes d'aujourd'hui.

De Joukov à l'Algérie Autres titres: le tome Il des Mémoires du Maréchal Joukov, qui commence à la veille de la bataille de Stalingrad et s'achève un an après l'installation du gouvernement militaire soviétique en Allemagne orientale; l'Egypte éternelle, par Pierre Montet, panorama de la civilisation égyptienne depuis les origines jusqu'à la con· quête du pays par Alexandre le Grand; l'Heure des colonels, troisième volume de la Guerre d'Algérie, par Yves Courrière (ces trois titres sont à paraître chez Fayard); les Révolutions du xx· siècle, étude historique, sociologique et politique du phénomène révolutionnaire contemporain sous tous les climats, par Pierre Lepape (Denoël); les Loups dans la cité (titre provisoire), par Paul Henissart, Journaliste américain qui fut correspondant à AI· ger et qui nous propose ici une vision fort Inattendue et une documentation très riche sur la dernière année de "Algérie française (Grasset).

thédrale. mais une simple • chambre 'de compensation. susceptible de regrouper les opinions d'hommes différents • afin qu'ils s'expliquent ., souhaitant • des accords raisonnables conclus par des hommes lucides., donnant aux composants d'une Europe morcelée l'exemple de la Confédération helvétique, où des ethnies hétérogènes cohabitent. il y aurait beaucoup à dire sur Robert de Traz, et, par exemple, sur sa campagne contre • l'Ere de l'Irrationnel., où il mêle dans ses condamnations Gracq, Paulhan, Blanchot, Néldeau et Klossowski (Revue de PBris, mars et juillet 1948), tout en plaidant confusément en faveur de Barrès, de Loti et d'Anatole France. . Mais la Revue de Genève n'aurait probablement pas occupé la place qu'on lui reconnaît si elle n'avait eu comme collaborateurs Albert Thibaudet (on sait qu'il fut professeur à l'Université de Genève), Valery Larbaud, Charles du Bos, et tant d'autres, de Denis de Rougemont à Daniel Halévy et Franz Hellens. En janvier 1926, Jacques Chenevière en devient le codirecteur; son influence sera capitale: c'est par lui que viennent à la revue les représentants de ce que M. Meylan appelle • un nouveau romantisme., animé principalement par les membres du • Brambilla Club., Jean Cassou en tête qui, prospecteur et traducteur, amena les publications d'œuvres de Unamuno, Eugenio d'Ors,

De Gaulle Chez Fayard où, dans la collection des • Grandes études historiques., Ferdinand Lot publie avec la Naissance de la France, une étude consacrée à l'histoire de notre pays jusqu'à l'avènement d'Hugues Capet qui fait suite à son précédent ouvrage, la Gaule, Pierre Viansson-Ponté nous donne le premier tome de l'Histoire de la république gaullienne, embrassant la période qui va du 13 mai 1958 à Alger jusqu'à la fin de juillet 1962, après la paix et l'indépendance de l'Algérie: la Fin d'une époque (collection des • Grandes études contemporaines.). De Gaulle et l'Histoire de France. Trente ans éclairés par vingt siècles est le titre d'un ouvrage à paraître aux éditions Albin Michel et où l'historien Edmond Pognon s'interroge sur les postulats autour desquels Charles de Gaulle devait ordonner les lignes de force de sa politique.

Freud, Lacan, etc. Signalons également, aux Editions de Minuit, dans la collection • Le sens commun ., un livre paru en Angleterre il y a près de dix ans et qui fit couler beaucoup d'encre chez nos voisins d'Outre-Manche: la Culture des pauvres, par Rie ilard Hoggart; chez Gallimard, par l'auteur de Vers la société sans pères, Alexander Mitscherlich (voir le n° 81 de la Quinzaine), un essai consacré li un nouvel aspect de

Pedro Salinas, Blasco-Ibaiiez, donnant également à la revue des notes de voyage et un roman: le PBYS qui n'est à personne. Au fil des mois et des 126 sommaires riches d'environ 600 collaborateurs, on trouve Barrès (/e Génie du Rhin), Montherlant, Mauriac, Proust, Gide (réponse à une enquête sur l'Avenir de l'Europe, 1922), ainsi que nombre d'auteurs étrangers: Rilke, Hofmannsthal, Gorki, D'Annunzio, Pirandello, Joyce, Ortega y Gasset, Kierkegaard, Freud ... Il n'est pas possible d'énumérer tous les collaborateurs, ni certes de les considérer tous d'un même œil. Robert de Traz ne publia-t-i1 pas (peut-être par quelque souci d'information...) un discours d'Hitler (en juin 1923 il est vrai) et un texte de Mussolini sur Machiavel (septembre 1924) ? La Revue de Genève disparaît après décembre 1930: Robert de Traz la saborda • dans un accès de pessimisme légitime, alors que l'Europe était aux prises avec les fascismes et que les puissances boudaient la S.D.N.• Ainsi s'achève la vie d'une revue aux aspects multiples, voire contradictoires, que l'intelligente et scupuleuse analyse de M. Meylan nous perment de situer dans l'histoire littéraire sinon dans l'histoire tout court. Michel Bourgeois

la responsabilité politique et sociale du psychanalyste en matière d'urbanisme et d'environnement: Psychanalyse et urbanisme (Réponse aux planificateurs) et, dans la • Bibliothèque des Sciences Humaines., un recueil d'articles où Georges Devereux présente le bilan de ses recherches dans le domaine de l'ethnopsychiatrie: Essais d'ethnopsychiatrie générale, ainsi qu'un ouvrage de critique sociale paru en 1899 mais qui, ainsi que s'en expli· que Raymond Aron dans la préface qu'il lui consacre, • a vieilli sans se rider.: Théorie de la classe de 101· sir, par Thorstein Veblen; aux éditions E.S.F., le Rêve éveillé dirigé, où le Dr Myriam Fusini Doddoli expose tous les aspects de cette méthode. les problèmes qu'elle pose et son utilisation et, par A. Hesnard, une étude intitulée de Freud à Lacan et où l'auteur s'efforce, au-delà d'un aperçu historique du mouvement psychanalytique français, de délimiter le véritable horizon de la psychanalyse comme anthropologie; chez Stock, Espoir et révolution, tentative d'analyse originale du monde actuel et des réactions. d'hostilité des jeunes, par le célèbre psychanalyste américain Eric Fromm; chez Hachette, deux ouvrages consa· crés à l'agressivité collective: l'Infanticide différé, par le créateur de la • Polémologie., Gaston Bouthoul, et l'Homme furieux, par Fausto Antonlnl, chez Grasset, un document écrit avant sa mort par une grande gynécologue psycho-somaticienne, Hélène MichelWolfromm: Cette chose-Ià (Les problèmes sexuels de la femme française).


Livres publiés du 20 aotit au ; sept. aOMANS ..aANçAIS Camille Bourniquel Selinonte ou la chambre impériale Seuil, 256 p., 20 F. Par l'auteur du • Lac " un roman ambitieux et foisonnant, plein de voyages et de jeunesse. Didier Decoin Elisabeth ou Dieu seul le salt Seuil, 208 p., 16 F. Par l'auteur de • Laurence ", un roman qui a pour thème la • remise en question" qui déchire l'Eglise aujourd'hui. Mohammed Dib Dieu en barbarie Seuil, 222 p., 19,50 F. Un roman poétique et imagé sur l'Algérie au lendemain de son Indépendance.

Anne Hébert Kamouraska Seuil, 256 p., 20 F. Un roman passionné et violent, qui a pour cadre la province du Québec à l'aube du XIX' siècle. Jacques Teboul L'amour réduit il merci Seuil, 224 p., 19,50 F. Par l'auteur du • Pharaon", paru dans la collection. Ecrire ", un second roman qui semble prolonger les pérégrinations nocturnes de Restif de la Bretonne.

POESIE Mohammed Dib Formulaires Seuil, 112 p., 15 F. 'ar l'auteur de • La . )anse du roi" (voir le n° 49 de la Quinzaine.)

BIOGRAPHIES Robert Speaight La vie de Pierre Teilhard de Chardin Seuil, 368 p., 24 F. La vie, l'œuvre et la pensée du Père Teilhard

CRITIQUE

SO CIOLOGIE

)ean-Claude Renard fIIotes sur la poésie Seuil, 160 p., 18 F. Un recueil d'essais qui a obtenu l'Aigle d'Or de la Poésie lors du dernier Festival Internationl du .Livre il Nice.

• •LIGION

Louise Vax L'empirisme logique P.U.F., 128 p., 7 F.

J. Benoît, J.-D. Boucher, H. Deligny, D. Dubreuil, J.-C. Guillebaud, M. Manceaux, M. Planchais, G. Sitbon et Ch. Vanhecke Les provinciaux ou la France sans. Paris Présentation par Jean Planchais Seuil, 192 p., 18 F. Une vision inattendue des provinces françaises, celle d'une France régionale en pleine expansion, telle que nous la livre l'enquête d'une équipe de journalistes.

Un courant philosophique dont les trois manifestations principales sont l'atomisme logique, en Grande-Bretagne, le positivisme logique issu du Cercle de Vienne et la philosophie logique contemporaine.

Francis Qppenheim L'école du profit Seuil, 156 p., 18 F. Une réflexion très actuelle sur les problèmes qui se il l'entreprise dans une France qui cherche à atteindre l'âge industriel.

Robert Jaulin La paix blanche Seuil, 432 p., 29 F. Partant de son expérience sur le terrain, un ethnologue français fait le procès de I·ethnoclde.

La poétique,

la mémoire Collection • Change. Seuil, 288 p., 24 F. La poétique, source de la linguistique scientifique: un important choix d'essais éclairés par des textes d'Invention poétique.

. ECONOMIE

PHILOSOPHIE

Société Injuste et Révolution Textes du Colloque de Venise 1968 Seuil, 192 p., 18 F. Une analyse des structures du monde actuel qui, créatrices d'injustice et d'oppression, suscitent les mouvements révolutionnaires.

POCHE ES'SAIS Guy Rocher Introduction il la sociologie générale 1. - L'action sociale Il. - L'organisation sociale III. - Le changement' social Seuil jPoints.

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