La Quinzaine Littéraire n°107

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Dylan horna

John Cage

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UlnZalne littéraire du 1er au 15 déc. 1970


SOMMAIRE

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LE LIVRE DE LA QUINZAINE

4 5 6

Jean Ristat

Du coup d'Etat en littérature, suivi d'exemples tirés de la Bible et des auteurs anciens

par Philippe Sollers

Paul Werrie Philippe Wolff Michel Huriet Anne Hébert Jean·Louis Arnaud

La souille La flippeuse Une fille de Manchester Kamouraska Chacun sa bière

par par par par par

Philippe Jaccottet

Paysages avec figures absentes Leçons Rilke par lui-même

par Pierre Chappuis

Dylan Thomas

Œuvres

par John Montague

Entretien avec Iwaszkiewicz

Propos recueillis par C. B.

Histoire du roman américain A l'autre bout du monde

par C. B. par Jacques-Pierre Amette

Contre les idéologies de la mauvaise conscience

par Dionys Mascolo

Jacques Monod François Jacob

Le hasard et la nécessité La logique du vivant

par Jean Choay par Jean-Paul Aron

Hélène Michel-Wolfromm

Cette chose-là

par A.-M. de V.

HISTOIRE

William L. Shirer

La chute de la IIle République

par Jean Duvignaud

THEATRE

Théâtre du Soleil

1789, la Révolution doit s'arrêter à la perfection du bonheur La Mère Demain la veille

par Lucien Attoun

Boulez au T.N.P.

par Anne Rey

Camarades

par Louis Seguin

Formes et béton Galeries

par Roger Dadoun par Jean-Jacques Lévêque

ROMANS FRANÇAIS

L1TIERATURE ETRANGERE

12 13

Marc Saporta Heather Ross Miller

14 TRIBUNE 16 20 21 22

SCIENCES

Whitkiewicz Edward Bond

24 MUSIQUE 25 CINEMA 26 EXPOSITIONS

Marin Karmitz

François Erval, Maurice Nadeau. Conseiller: Joseph B.-eitbach. Comité de rédaction : Georges Balandier, Bernard Cazes, François Châtelet, Françoise Choay, Dominique Femandez, Marc Ferro, Gilles Lapouge, Gilbert Walusinski.

La Quinzaine Ilth·r.url'

Secrétariat de la réclaction et documentation Anne Sarraute. Courrier littéraire : Adelaide B!asquez. Maquette de couverture: Jacques Daniel. Rédaction, administration : 43, rue du Temple, Paris (4e ) Téléphone: 887-48·58.

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par Marcelin Pleynet

Gide au Collège de France

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Silence

John Cage

Paul Otchakowsky-Laurens Anne-Marie de Vilaine Cella Minart Anne Fabre-Luce Claude Bonnefoy

Publicité littéraire : 22, rue de Grenelle, Paris (7e ). Téléphone: 222-94·03.

p.

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Publicité générale : au journal.

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p. p. p. p.

5 D. R.

PIÛ du nO au Canada : 75 cents. Abonnements : Un an : 58 F, vingt-trois numéros. Six mois : 34 F, douze numéros. Etudiants: réduction de 20 %. Etranger: Un an : 70 F. Six mois: 40 F. Pour tout changement d'adresse envoyer 3 timbres à 0,40 F. Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : C.C.P. Paris 15 551-53. Directeur de la publication : François Emanuel. Impreuion

S.I.s.s.

Printed in France.

Crédits photographiques Le Seuil D.R. Denoël Denoël

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Gallimard

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D. R.

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Gallimard Le Seuil Le Seuil Stock Gallimard Le Seuil Gallimard Gni"sset Martine Franck

p. 11 p. 12 p. 13 p. 17 p. 19 p. 20 p. 23 p.24 p. 25 ·p.27

Bemand D. R. D. R.


I.E I.IVRE DE

Cage et la modernité 1. ... QUINZ ... INE

John Cage Silence Trad. par Monique Fong Coll. « Les Lettres Nouvelles» Denoël éd., 184 p.

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discours

et

Dans l'histoire de la musique moderne d'avant-garde, la situation de John Cage est à la fois marginale et de premier plan. Marginale dans la mesure où, systématiquement, le musicien refuse d'envisager la discipline qui est la sienne dans le champ clos des théories musicales plus ou moins contemporaines; de premier plan par l'influence qu'il a exercé et qu'il exercé sur toute une génération de jeunes musiciens comme par exemple S. Bussotti, la Monte Young, Metzger, certaines pièces de Stockhausen. Mais ces notions elles-mêmes conviennent mal pour définir la pratique de Cage dont l'activité consiste précisément à contester l'existence musicale d'un centre et d'une marge : « il s'agit évidemment de placer les choses qu'on s'était proposé de faire en rapport avec les choses alentour qu'on ne s'était pas proposées» « J'en suis venu à penser qu'on pouvait apprendre beaucoup sur la musique en se consacrant aux champignons ». (( La flore de l'amateur de musique»). On dira donc plus justement que c'est parce qu'il se veut partout et nulle part que John Cage occupe dans l'histoire de la musique d'avant-garde une situation marginale et de premier plan. De .cette attitude apparemment paradoxale, que tout au long de sa carrière John Cage n'a cessé de systématiser, le recueil de textes et essais Silence répond. C'est ce livre que nous devons interroger maintenant si nous voulons déterminer dans quelle mesure, comme dit Proust : « Les paradoxes d'hier ne sont pas devenus les préjugés d'aujourd'hui»; dans quelle mesure cette avant-garde brillante et bruyante répond de sa proposition d'hier : « Bien entendu c'est une autre école - ce point de départ zéro ». (texte sur Erik Satie, 1958). Composé de textes choisis dans l'édition .de Silence paru en 1961 au ,. M.1.T. Press de Cambridge, Massachussetts, le livre qui paraît aujourd'hui en français ne reproduit donc pas dans son intégralité

écrits par

la version américaine, et de plus se distingue de celle-ci par l'addition de trois courtes déclarations sur Marcel Duchamp, Jasper Johns et Miro. Quoiqu'il faille regretter l'absence de textes importants comme par exemple « Composition as process» (dont ne figure dans l'édition française que la troisième partie), le livre publié aujourd'hui n'en reproduit pas moins un nom· bre suffisant des essais les plus significatifs de John Cage pour être considéré comme représentatif de la complexe démarche théorique du musicien. Aussi bien dans les manifesta· tions spectaculaires que dans les écrits de ce compositeur ce qui surprend le plus, et qui est le plus fait pour surprendre, c'est le caractère joué, enjoué et quasi enfantin des propositions qui les déterminent. Attitude puérilement avant-gardis. te, gestes provocateurs qui donnent aux fragments d'une démarche peu, mal, voire tout à fait, inconnue, un aspect superficiel et incohérent. Cage sera ainsi connu comme le créateur du piano préparé, mais combien sont ceux qui ont entendu A mores (créé à New York en 1953)? Cage sera l'inspirateur du happening, du pop.art, adepte du boudhisme zen, dadaïste, mycologue, tout et rien, n'importe quoi, mais encore? Silence, pour peu qu'on s'y arrête, permet de revenir sur les divers aspects de cette activité tapageuse, dont on doit retenir une déclaration d'intention avant-gar. diste. Déclaration en somme initiale désignant plus particulièrement le champ à l'intérieur duquel le compositeur entend inscrire la somme des textes aujourd'hui réunis et leurs références culturelles. Dans l'Avant-propos de 1961, à

La QuinzaIne Uttéralre, du 1er au 15 décembl'e 1970

l'édition anglaise et française de Silence, John Cage apporte, d'autre part, une précision tout à fait éclairante quant aux déterminations de son travail de compositeur : « Si je regarde en arrière, je m'aperçois que le souci de poésie m'accompagne depuis longtemps Il. Et Cage ne veut pas seulement dire par là, qu'entre dix·huit et vingt et un ans il songea à une carrière littéraire, ou encore qu'il ne cessa en fait jamais d'écrire. Les deux tiers de l'Avant-propos du livre de ce musicien, sont délibérément conditionnés, surdéterminés, si je puis dire, par la poésie : « Quand M.C. Richards m'a demandé pourquoi je ne faisais pas un jour une causerie instructive classique, ajoutant que je ne saurais rien faire qui choque davantage, j'ai dit : « le ne fais pas ces causeries pour surprendre les gens, mais par besoin de poésie. » Finalement, c'est à la poésie que John Cage fait essentiellement référence non seulement lorsqu'il entend justifier sa « méthode », mais encore lorsqu'il entend rendre compte des divers emprunts culturels sur lesquels cette méthode s'appuie : « Selon moi, la poésie n'est pas la· prose purement et sim pIe. ment parce que la poésie est d'une manière ou d'une autre formelle. Elle n'est pas poésie du fait de son contenu ou de son ambiguïté, mais du fait qu'elle permet à des éléments musicaux (temps, son) de s'introduire dans le monde des mots. Ainsi, par tradition, l'information si lourde soit-elle (les sûtra et shastra de l'Inde par exemple) se transmettait en poésie. Il était aisé de saisir cette méthode ». John Cage précise ainsi l'importance qu'il attache et qu'il faut attacher à des textes comme « Discours sur rien», « Discours sur quelque chose », et à l'aide de quelle discipline il convient de les aborder. Quoique insuffisamment développée, la définition que donne le compositeur de ce qu'il entend par poésie, n'en est pas moins suffisamment claire, pour qu'on puisse la suivre à l'œuvre dans les textes qui nous sont présentés aujourd'hui et dans toute la pratique de Cage. Pour lui la poésie n'est pas réductible au signifié (son contenu), elle est poésie « du fait qu'elle permet à des éléments musicaux de s'introduire dans le monde des mots ». Ce caractère « musical» du signifiant (le mot pris comme suite de lettres) rattaché aux sûtra de l'Inde nous entraînerait dans la complexité

d'une analyse, que ce n'est pas le lieu de développer ici. La forme poétique qu'empruntent les sûtra indiens se développe en effet dans une culture dont l'organisation relève d'une tout autre « logique» que la nôtre (1) - qu'on voit par exemple au niveau de la mise ~n place de la langue les sûtra initiaux de la grammaire de PânINI : « Les voyelles â, ai, au, portent le nom de accroissement. Les voyelles a, e, 0, portent le nom de qualification secondaire... » etc., et on se fera une idée de la complexité ainsi mise en jeu. Au demeurant, Cage n'est certainement pas parti sur cette piste, et pour entendre ce qu'il entend donner comme définition de la poésie en citant cet exemple indien, il suffit en somme de souligner le caractère irrationnel des éléments «musi· caux» que véhicule le signifiant poétique. Mallarmé avait déjà, et ~

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INFORMATIONS

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John Cage

définitivement marqué ce point : « Son sortilège, à lui (l'art littéraire), si ce n'est llhérer, 1wrs d'une poignée de poussière ou réalité sans

l'enclore, au livre, mêm.e comme texte, la dispersion volatile soit l'es· prit, qui n'a que faire de rien outre la musicalité de tout» (2). Mais alors que Mallarmé encre cette CI musicalité» dans la matière même de son travail (dans les lettres), Cage pratique l'opération inverse, il détache la musiCalité des lettres, qui la produisent, et, si je puis dire, l'idéalise : « La musique est-elle le mot, j'entends - est-il un son ? Le mot « musique » est-il de la musique? » Communication »). Cette douhle position, parti pris d'irrationnalité poétique, mentalisation de la matière musicale, va conduire Cage à une interprétation entière· ment phénoménologique. Décrite en elle-même et pour elle-même, en dehors de toute construction conceptuelle, la musique va se trouver mé· caniquement assimilée à tout ce qui s'entend, et si, dès lors, tout est musique, c'est que tout vaut n'importe quoi on peut apprendre beaucoup sur la musique en se con· sacrant aux champignons») et que de toute façon le hasard seul détermine l'ordre. Ce qu'il y a de particulièrement important à remarquer chez John Cage c'est que c'est, d'une certaine façon, la nouveauté et la radicalité de sa dé~c~e qui l'entraînent inconsciemment sur le terrain même qu'il croit dénoncer. Sa critique du symbolique, du psychologique, de la rationalité, du sujet enfin, faute de pouvoir. s'incarner dans une science, a recours à un produit de remplacement susceptible de répondre de cette position, de l'extérieur. D'où le recours métaphysique au Bouddhisme Zen, tel que D.T. Suzuki, le maître japonais de Cage, le définit : «Une transmission spéciale en dehors des Ecritures. Au· cune dépendance à l'égard de ~ots et des lettres. Se diriger directement vers l'âme de l'homme. Contempler sa propre nature... » (3). On voit bien comment ces principes répondent de la pratique de Cage refoulant la réalité du sup-

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portmawrieletirrésistibœmente~

traîné vers ce qu'on pourrait appeler une sorte d'empirio-mysticisme. Empirisme sensible notamment avec l'emploi mécaniste qu'il fait d'un des plus vieux livres de la Chine ancienne le Yi-king ou Livre des mutations. Cage opérant à ce niveau 7 et pour cause, le même retour-

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nement, la même réduction SpJ.rltualiste que celle qu'il opère sur la matière musicale de la poésie. C'est la voie mystique qui détermine l'emploi d'un livre de signes permutables ou mutants (le Yi-king) à des fins divinatoires - fins qui ne prennent en considération que le contenu symbolique de ces signes (leur interprétation). Dès lors le champ parcouru par le compositeur, dans un système dont la complète cohérence vient réduire à sa norme spiritualiste tout ce qu'il envisage, est complet. Chaque chose est ce qu'elle est et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes : « J'ai dit, « La musique m'a plu, mais je ne suis pas d'accord avec cette note dans le programme qui dit qu'il y a trop de souffrance dans le monde »" Il m'a dit « Comment? Vous trouvez qu'il n'y' en a pas assez?» J'ai dit, « Je pense qu'il y en a juste ce qu'il faut. » (Silence, p. 50). Il nous suffit, quant à nous, pour nous y retrouver de restituer au Japon ce qui appartient au Japon (le Zen de la côte ouest), à la Chine ce qui appartient à la Chine (le Yi-King), à la poésie et à la musique ce qui leur appartient (les lettres), et enfin à l'histoire ce qui appartient à l'bistoire. Pourtant, qu'on ne s'y trompe pas, Silence, quelles que soient les réserves, et, fondamentales, qu'il faut faire à son propos, est un livre qui marque une date dans l'histoire de la modernité. Moment ultime du discours d'une certaine avant· garde, il en donne à lire tous les effets progressifs (productivité des rapports interdisciplinaires, du paradoxe, aussi bien dans son activité irrationnelle, voire de « rationalité» autre que l'occidentale) et les limites forcément régressives (la confusion idéologique; le manque de pratique scientifique). Peu de livres aujourd'hui font appel à un champ référentiel ausi vaste que celui dont se réclame le livre de Cage. Il mérite non seulement qu'on s'y arrête, mais qu'on y revienne.

Gide au Collège de France Un colloque, préparé par 'Georges Blin et présidé par Jean Delay, a réuni les 30 et 31 octobre derniers au Collège de France un certain nombre de spécialistes français et étrangers de l'œuvre d'André Gide. De ce colloque s'est dégagée une image de l'homme et de l'écrivain, fidèle en somme à la multiplicité gldlenne. Après Mme Marie-Jeanne Durry, M. Jean Delay retraça le long cheminement qui permit à Gide de parvenir à la conquête de sol et rappela l'importance du Journal qui souligne la perpétuelle osmose entre la vie de Gide et son œuvre. Sur le thème • André Gide et autrui -, Robert Mallet montra comment Gide chercha perpétuellement à s'évader de sol pour, en somme, se mieux retrouver, après des en· richissements qui le portaient aux extrêmes : • André Gide, c'est l'expérience fln ,sol de l'autre, pour soi et pour autrui -. Que Gide ait été attentif à l'image publique qu'on avait de lui, c'est ce que souligna Pierre Lafille tandis qu'à la séance suivante, animée par Georges Blin, Yvon Belaval se livra à un magistral exposé sur ce que • parler veut dire - et montra comment la recherche de la vérité se confondait pour Gide avec l'acte d'écrire : • un effort toujours recommencé pour mettre bas tous les masques -. L'attitude (ou les attitudes successives) de Gide il l'égard de l'U.R.S.S. donna lieu à un brillant commentaire d'Albert Memmi pour qui Gide avait fondé son élan sur un malentendu radical, d'où devait procéder la déception d'un homme qui avait préconisé la

Giono Des lecteurs se sont étonnés Il bon droit que, dans notre n° 105, un titre: • Giono après mal 68 - ne corresponde à aucun article sur le romancier d'Un de Baumugnes. En fait, un entretien avec Giono où celui-cI se disait indifférent aux événements ne nous a pas paru donner des garanties d'authenticité suffisante. Nous l'avons ôté alors que la page était composée avec son titre, lequel est malheureusement resté. Nous nous en excusons auprès de nos lecteurs.

Marcelin Pleynet

Guyotat \1) Voir Linnart MalI,

Une a}>proche possible du Sunyavada., Tel Quel n° 32. (2) Mallarmé Lettres •.

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La Musique et les

(3) D.T. Suzuki, c Essais sur le Bouddhisme Zen. t. I, éditions Albin Michel.

A la suite des mesures prises contre le roman de Pierre Guyotat, Eden, Eden, Eden, l'Union des Ecrivains s'élève une fois de plus contre la censure de fait visant à interdire la publication ou la vente d'un ouvrage ~ittéraire, ou à restreindre sa diffusion. La Quinzaine littéraire s'associe Il cette protestation.

libération de l'esprit et du corps. Un des ouvrages de Gide qui nous Intéresse aujourd'hui le plus, Paludes, pamphlet Ironique contre le monde confiné de la littérature, permit Il M. Georges Albony de montrer toute la modernité de cette œuvre de jeunesse où • l'écriture prend sa source dans l'écriture, vit d'elle-même et ne renvoie qu'à elle-même -. Elle établissait en même temps Gide comme écrivain. On devait entendre également, à propos de l'esthétique gidlenne, Etiemble, Dominique Noguez, François Mouret (Liverpool), tandis que Georges Mounin, pour parler des Nourritures se plaça dans la situation du lecteur qui les découvrit en leur temps. Il en profita pour donner à ce propos une leçon de structuralisme à l'assistance. Daniel Moutote, sur le plan de l'érudition, Jacques Cotnam, sur celui de l'accueil fait à André Gide au Québec, Walter Münch, à propos des influences anglaises et allemandes subies par Gi·' de, Jean Hytier (qui professe à New York) s'accordèrent pour évoquer le crédit dont a joui et continue de jouir l'auteur des Nourritures et des Faux Monnayeurs à l'étranger. Ceux qui s'attendaient à des controverses passionnées à propos d'un homo me et d'un écrivain qui ne cessa toute sa vie d'être discuté auront été surpris par l'accord entre eux des spécialistes de Gide. Lui-même n'aurait pas manqué de s'en étonner. D'après des renseignements foumis par Mme Claude Ouémar Signalons qu'une Exposition André Gide se tient actuellement à la Bibliothèque Nationale.

Prix Le Grand Prix de la Critique Littéraire 1970 a été attribué à Michel Mohrt pour son recueil d'essais : "Air du Large. Pascal Pia a obtenu le prix de l'Edition Critique (à l'unanimité) pour son Laforgue, publié dans le Livre de poche (voir la Quinzaine Littéraire n 93 et 97). André Chastel a reçu le prix des Ambassadeurs pour l'ensemble de son œuvre, à l'occasion de la parution de son ouvrage • le Mythe de la Renaissance - (voir la Quinzaine Littéraire n° 77). Of

le Grand Prix du roman de l'Académie française a été attribué Il Bertrand Poirot-Delpech pour La Folle de Lituanie (voir la Quinzaine Il" 104).

Saint Louis Dans le cadre des nombreuses manifestations organisées autour du septième centenaire de la mort de Saint Louis, une exposition intitulée • La France de Saint Louis - est actuellement présentée au public dans la Salle des gens d'armes du PaI~is de Justice.


Rêver

I~histoire

par Philippe Sollers

Jean Ristat Du coup d'Etat en littérature, suivi d'exemples tirés de la Bible et des auteurs anciens Coll. « Le Chemin » Gallimard éd., 125 p.

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« La philosophie a préparé, commencé, favorisé la Révolution, cela est incontestable; mais les écrits ne suffisent pas, il faut des actions, or à quoi devons-nous la liberté qu'aux émeutes populaires ? » (Marat)

Voici l'un des livres les plus originaux puhliés depuis longtemps. C'est-à-dire : le moins répétitif, le moins prévisible. Ou encore : celui où les gravures toujours trop vite effacées de l'inconscient dans son rêve nous parviennent découpées avec une netteté rapide, vive, ser· rée. A en croire certains, dont la célébrité n'est que l'occasion pour l'idéologie technocratique dominante de mettre une fois de plus en scène son refoulement, « l'érotisme» devrait être réglé dans un jeu tournant de stéréotypes empruntés à la commer· cialisation sexuelle, se limiter à un feuilletage visuel de magazines illustrés. La « nouveauté» serait de refuser à la sexualité toute question de base. C'est ainsi que Georges Bataille sera traité, dédaigneusement de « chrétien »; c'est ainsi que la puhlication de ses Œuvres Complètes sera finalement entourée du plus lourd silence. Par ailleurs, le livre de Guyotat l'un des grands événements de ces dernières années se voit dérisoirement frappé d'une triple interdiction par le ministère de l'Intérieur, et cela avec la complicité active de certains

journalistes gâteux et serviles (exemple: l'article - digne du professeur Claude, de Saint-Anne, dont André Breton publia la photographie dans Nadja afin, je suppose, de faire passer à la mémoire historique la trogne même de l'aliénation - de M. Bouret dans les Lettres Françaises). C'est ainsi que la répression bourgeoise, aVeC sa police, ses agents d'information, ses écrivains soi-disant modernes, mais virant, en fait, à l'académisme le plus éculé, espère maintenir par tous les moyens son pouvoir de surface ébranlé en mai 1968. Qu'on ne s'y trompe pas: empri. sonnement de militants gauchistes, privés de leurs « droits civiques et familiaux»; interdiction de textes portant en eux une connaissance du sexe : ces deux mesures sont profondément solidaires, elles sont l'envers même de la mise en place des inoffensifs « sex-shops » comme de la contre-attaque politique du capital. Elles préparent une vaste cam· pagne, incessante, de délit d'opinion. Marat : « Les princes ont grand soin de gêner la liberté de la presse. Trop timides pour l'attaquer d'abord ouvertement, ils attendent que les citoyens en fournissent un prétexte plausible : et dès qu'il s'offre, ils ne manquent jamais de le saisir. »

Un lecteur de Bataille Jean Ristat est un lecteur de Ba· taille. Est-il parti, pour écrire son Coup d'Etat en Littérature, de ce texte paru dans Mesures en 1938 et intitulé l'Obélisque? Texte où « les interprétations faites dans le sens de la politique immédiate

La Qulnza1ne Uttérafre, du 1er au 15 décembre 1970

n'ont plus de sens - où l'événement isolé n'est plus que le symbole d'un événement plus grand? » On dirait que son livre - ou plutôt la machination, la machinerie, qu'il implique - a ·pour fonction dérobée d'éclairer de l'intérieur ce phal. lus hiéroglyphique érigé sur la place ruisselante de sang de la révolution bourgeoise, celle qui castra un moment si énergiquement - mais de façon trop éphémère - les représentants du trône et de l'autel. Eclairage d'opéra bouffe, historicomystique, dont les deux figm'es centrales sont apparemment Marat et Charlotte Corday. Coup de projecteur baroque : on entre par des jardins suspendus (forme poétique « à l'italienne»), on traverse une cour d'honneur (déclaration de lecture), on pénètre enfin, par une série de couloirs-promenades (la « promenade» étant ici, comme il faut savoir la lire chez Rousseau, une métaphore transparente de la masturbation), dans la chambre la

plus reculée de l'édifice dont nous est donné, par ailleurs, le « dessin » imaginaire à ciel ouvert. Là un meurtre politique et mythique, fixé comme un spectacle de marionnette sans fin répété, a lieu : celui de Marat par Charlotte Corday. La femme au couteau frappe l'homme à la plume dans une baignoire. Ou encore : la femme-phallus perce l'homme au pénis baigné par le vagin maternel. Ou encore : la contre-révolution assassine l'ami du peuple, ce savant coupeur de têtes, vengeance de classe et de sexe sur celui qui avait osé déchirer le plus violemment le voile de l'ancien régime et, par avance, le masque, montant, du régime triomphant. « C'est pour avoir épousé la cause du peuple que je suis en' butte aux traits des méchants qui me persé. cutent, que je suis dans les liens d'un décret de prise de corps, comme un malfaiteur. Mais je n'éprouve aucun regret; ce que j'ai fait, je le ferais encore, si j'étais à

français sankin LES GENDRES

roman

Un ton qui rappelle parfois Boris Vian. Jean·FrançolsCornler.COMBAT L'originalité et la maÎtrise de François Sonkin qui est un mélange unique de sociologie et de poète. Etienne Lalou. L'EXPRESS. Un petit livre d'apparence frivole. d'écriture soignée qui en dit long sans en avoir l'air. Matthieu Galey. LE MONDE.

Collection des Lettres Nouvelles collection dirigée par Maurice Nadeau

La nouvelle pièce de Joseph Breitbach • Camarade Veygond -, vient d'être présentée pour la première fois au· Théâtre Municipal de Baden-Baden. Breitbach est un écrivain engagé et depuis la publication, en 1962, du Rapport sur Bruno, on sait avec quelle perspicacité il examine les rapports entre la politique et la morale. Dans Camarade Veygond. il traite avec une ironie cruelle l'hypocrisie du dogmatisme, la contradiction entre les actes et les paroles des maîtres de l'intolérance politique. Le jeune metteur en scène praguois Bohdan Denk a dirigé cette représentation avec beaucoup de talent. Mais l'ampleur de la pièce dépassait les possibilités de ce petit théâtre. Le succès fut pourtant grand, mais Breitbach méritait mieux.

Les éditions Galanls (127, boulevard titre d'. Ecritures -, une collection qui Haussmann, Paris-Se) lancent, sous le a pour ambition de réaliser, dans l'édition courante et pour un prix modique, ce qui était jusqu'ici l'apanage de l'édition de luxe : associer à des œuvres rares et d'une qualité d'écriture incontestée des illustrations de qualité, dues aux meilleurs artistes d'aujourd'huI. Premier titre paru : les CLXXXI Proverbes à expérimenter, de Jean Guichard-Meili, illustrés par Lapicque, dont l'édition originale, de grand luxe, retenue dans la sélection des • Cinquante livres de l'année 1966 -, est bien connue des bibliophiles. A paraître : Sentier d'Hermès, de Camille Bourniquel, illustré par Manessier; Harpe, de Guillevic. illustré par Ubac.

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Fuites

• Ristat

commencer. Hommes vils, qUl ne connaissez dans la vie que l'or, ne me <'demandez pas quel intérêt me pressait; j'ai vengé l'humanité, je laisserai un nom, et le vôtre est fait pour périr. » C'est ce qu'il comporte d'inconscient qui fait du livre de Ristat un symptôme du plus grand intérêt. Notre hypothèse est que, par tout un jeu de relais complexe, « l'auteur» s'est fait ici le porte-parole, le révélateur, d'un refoulé propre à la domination idéaliste bourgeoise. A la fois fascinée par ses origines meurtrières, mais traînant avec elle une culpabilité déformée ; à la fois fière d'avoir ·su trancher sur le vif des sujets qui s'opposaient à sa prise de pouvoir, mais craignant que le prolétariat ne suive trop bien, à son égard, son propre exemple. La machine mythologique montée en détails par Ristat pour animer cette «scène primitive» est l'exposition d'un conflit, d'une contradiction. Ce qui nous permet de comprendre « théâtralement» que l'histoire réelle passe par une « équation » sexo-politique dont chaque classe doit élaborer et imposer dans le langage la reproduction légendaire. Marat, comme un sexe nu, venimeux, attire et repousse la conscience bourgeoise : elle s'y reconnaît avec terreur, elle ne peut que désirer, sans fin, le retuer magiquement sous forme d'un crime « sacré» commis par une vierge, presque une déesse. Comme la vierge foule le serpent, la bourgeoise Corday frappe le « crapaud» Marat. Ristat, dans de belles séquences lyriques, se fait porteur de la jouissance divisée ainsi dégagée. « On danse dans les

églises. La roue désaxée du soleil frotte sur le carreau du firmament au milieu des flammes des tonnerres ». Autour de ce choc rassemblé en une seul image mortelle (le diri· geant populaire nu, écrivant; la bourgeoise parée et frappant), il convoque Isis, Osiris, Jésus, Œdipe, etc. selon la flottante mise en scène de l'époque, de type occultiste, qui formait, en fait, le « retour» obligé et mystifié de ce que le christianisme avait réprimé après l'avoir intégré.

La guillotine rejoint alors la fatalité qui tranche à la fois les cous et les fils des Parques. Charlotte Corday et Marat sont transférés dans un drame cosmique « éternel ». On connaît les coulisses idéologiquement «égyptiennes» de la révolution de 1789. Ristat, rêveur

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et promeneur éveillé, induit par son désir à retrouver sexuellement le signifiant convulsif de ce passé, se fait l'acteur interne de tous les rôles, comme si l'histoire « idéale » passait par le viol meurtrier d'une femme « pure » en réaction contre le mâle « impur », ouvrant, de façon violente, la réalité sociale. Nos livres d'histoire sont formels sur ce contre-investissement psychique : c'est bien un cri de soulagement (un orgasme non dissimulé) qu'ils expriment entre les lignes devant le « juste» crime de Charlotte Corday. Dirai-je toute la vérité? Diraije que Charlotte était une vulgaire putain conventine payée par les Girondins, autrement dit par les « centristes» d'alors? Qu'elle reste, au fond, le symbole de la bonne conscience de ceux qui fracassèrènt à bout portant et recommencent sans fin - la mâchoire de Robespierre, hantise cachée de notre république soi-disant calmée? Il est significatif qu'Eisenstein, lorsqu'il voulut condenser massivement, dans Octobre, l'échec de la révolution de 1905, ait choisi le plan d'une bourgeoise assommant à coup de parapluie un soldat bolchevik. Mais là, plus d'un siècle a passé, et la noue velle Corday n'a plus le relief som· bre de la criminelle hystérique d'une classe montante : ce n'est plus qu'une demi-mondaine sordide, excitée. L'assassinat de Marat est un des noyaux symboliques où l'accumulation inconsciente des mythes de toute une époque passe à fond perdu dans l'histoire, un « épanchement du songe dans la vie réelle », don· nant sa « profondeur» à l'événement. Artaud l'a senti : dans le Napoléon d'Abel Gance, il a voulu être le « crapaud » Marat, prendre sur lui l'énigme d'une question à peine entamée que le livre de Ristat, dans son ambivalence « poétique» repose, tout en l'entraînant dans sa dérivation sublimée. Car enfin, à travers le meurtre et le mythe, quelle force agit? Laissons le dernier mot au grand refoulé de la place de la « Concorde », à ce mort trop peu connu dont le corps prématuré est mort par procuration: « Tout

est perdu quand le peuple devient de sang-froid, et que, sans s'inquiéter de la conservation de ses droits, il ne prend plus de part aux affai. res : au lieu qu'on voit la liberté sortir sans cesse des feux de la sédition. » Philippe SoUers

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Paul Werrie La Souille Mercure de France éd., 293 p.

Un vallon. Cul-de-sac humide bordé de forêts où rôdent braconniers et francs-tireurs. Entonnoir que limite un mur étrange et symbolique, négation de tout chemin. Quelques châlets, dans l'un d'eux Yves. Yves, le collaborateur que protège à cause du service autrefois rendu un médecin énigmatique, malin aux deux pieds-bots, résistant de surcroît. En bas on fusille les amis qui n'ont pu échapper, mais ici il ne s'agit même plus de proximité, comme à la ville. Yves est au cœur du ·danger, voisin du « Commandant» qui dirige un réseau, victime des sarcasmes choisis et des silences calculés du « Docteur» qui lui fait garder ses porcs : dans la souille, une justification pour celui qui n'en a plus...

« Fuyard immobile! Un de ces fuyards qui dansent sur place comme les Impalas à l'approche des carnassiers...·" Et Yves se vautre

dans cette nouvelle manière de fuite, fuite suspendue qui maintenant le disperse entre gestes et paroles, attitudes et silences : toujours il faut aller plus vite que les autres car ceux·là certainement guettent la faille, la fistule suintante par où vous retourner comme un gant; à tout moment risquer d'en avoir trop fait et en faire effectivement trop, emporté que l'on est par les vertiges convergents de l'expiation et de la peur, du reniement et de la honte. « Le seul moyen de n'être traître à rien, c'est d'être traître à tout, non?» Et cette fuite (ce discours violemment, exagérément subjectif), cette débandade tout à la fois lucide et hallucinée mais toujours déraisonnable, par son propre

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Philippe Wolff La Flippeuse Denoël éd., 250 p.

Dans son appartement. de la résidence des Tilleuls, Porte d'Orléans, avec vide-ordures et chauffage par le sol, elle a mis des lithos de Prisunic, une chaine stéréo qui vient de la F.NA.C. et un fauteuil de chez Bobois et Roche. Pour sa fille Valérie, elle ne tolère que les couches Lotus (avec une épaisseur supplémentaire de mousse de cellulose et aussi une feuille de Polyéthylène) et la Blédine dernier cri parfumée au miel. Elle a 26 ans, elle est ravissante, elle ne manque jamais les soldes de Gudule et s'habille volontiers chez Dorothée Bis, encore qu'elle aime donner à ses robes un genre indien, style Jean Bouquin. Quand son mari, directeur artistique d'une agence de publicité, rentre du bureau, elle lui prépare des rognons sauce madère comme on lui a conseillé dans cElle» ou dans c Mille recettes >t. Comme sa fille Valérie ne

désordre suscite elle-même les impulsions qui sans cesse la réactivent. Ainsi n'y a-t-il pas dans « la Souille » de véritable progression dramatique, tout juste un démesuré et constamment relancé tournoiement dont le narrateur, centre et circonférence à la fois, s'offre le suprême luxe de n'être plus le maître. Toute réalité n'est-elle pas viciée par la mon s t rue use dissimulation? L'amour, surtout, n'est plus que gestes parodiques jamais conduits à leur terme. C'est dans la mort que réside la seule solution. Déjà Yves le pressent qui se délecte à l'agonie des bêtes, à leurs ultimes convulsions. Mais quelle (s) mort (s) ? La sienne, fictive et grotesque, puisque condamné par contumace, il sera exécuté en effigie, ne change rien, il en faut une autre. Pour se procurer un sauf-conduit, Yves assassinera Alice la résistante un moment convoitée. Alors par le crime (par le livre) la condamnation, et le condamné, se trouvent a posteriori justifiés, alors est consommée l'expiation d'un fuyard réconcilié avec lui-même, avec sa fuite qui peut enfin déboucher, hors du vallon, sur le salut, sur l'honneur, un honneur tout neuf, une vraie naissance. Héros haïssable pour un livre qui ne l'est pas moins? Sans doute, mais l'auteur justement provoque sciemment dégoût et répulsion pour ensuite les intégrer dans son développement. Nous autres lecteurs, comme les habitants du vallon, nous sommes constamment bernés mais à leur différence le savons. Ce n'est pas le moindre mérite de la Souille que de ne jamais renoncer à cette exigence expiatoire qui l'anime.

Paul Otchakovsky-Laurens

parle pas encore, elle écoute, pour se distraire, Europe 1, R.T.L., Ménie Grégoire, Michel Polnareff, les Rolling Stone et le soir, elle regarde la télé en mangeant du faux caviar avec son mari. Elle envie les sacs Vuitton et l'ensemble Saint Laurent de son amie Claude. Quand elle se sent nerveuse, (<< on ne dira jamais assez le désarroi de la jeune femme seule au foyer devant sa tranche de jambon de Paris»), elle prend du valium, mais « elle ne se trouve pas assez con pour travailler». Elle a beau assassiner en imagination un mannequin, un chanteur Pop, une productrice de la télé, une vieille dame abusive, guérir sa dépression (la dépression des grands ensembles, elle l'a lue dans la presse) en partant aux Canaries avec son mari et un copain (<< elle sait aussi, grâce à la presse que «la femme moderne a droit à deux hommes,,), elle ne tournera jamais rond. C'est toujours elle qui parle, et cela ressemble à une chanson pop échevelée, obsédante, trépidante comme la vie, la vie à Paris.

Anne-Marie de Vilaine


Entre hURlour et aRlertuRle minelle, connue seulement de la divinité ». Amère leçon! Et qui ne nécessitait même pas qu'Ann fût absolument anglaise, tant il paraît évident que les Vagney-Tissages auraient pareillement croqué une Parisienne, une Marseillaise ou une Tonkinoise.

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Michel Huriet Une fille de Manchester Gallimard éd., 240 p.

Un an après la Fête de la Dédicace, Michel Huriet publie Une Fille de Manchester, qui est en réalité antérieur au précédent et qui doit probablement au succès remporté par celui-ci le fait de se voir publié à son tour. Même si ce deuxième roman paraît moins subtil et moins accompli que le premier, il eût été dommage de ne pas le connaître. Il y a, en effet, chez Michel Huriet, un si réel bonheur de narration, que ce petit livre se rend immédiatement attachant et ce d'autant mieux qu'il est servi par une écriture aisée et rapide qui, tout en restant fidèle aux modes d'expressions traditionnels, ne craint pas de prendre le large en trouvant d'elle-même sa propre libération : collages composés avec des articles de journaux, des petits poèmes naïfs, des comptines même, ajoutent une dimension nouvelle à un texte qui, sans cela, risquait peut-être de tomber dans les demiteintes monotones de la mélancolie.

Une Anglaise dans les Vosges Aussi prend-ton beaucoup de plaisir à lire l'histoire de cette jeune Anglaise amenée de Manchester dans une petite ville des Vosges par un fils de la bonne bourgeoisie locale, qui dépose sa femme sur l'autel familial avec une fierté légi. time mais fortement mêlée d'inquiétude : comment cette greffe sera-telle acceptée du côté Vagney-Tissages? Or, c'est par Ann que les choses seront vues et commentées; non pas au moyen d'un banal « je », mais par le bil\is de ce « vous » qui fit couler tant d'encre autour de Michel Butor et dont il diffère, sans toutefois être un tutoiement à l'anglaise. Le « vous» de Michel Huriet est plutôt celui du conteur arabe, du sage, et peut-être même aussi celui de l'écrivain-miroir : « Car oui, Ann vous vous êtes décidée à acheter des pantoufles! Vous! S'il est une chose au monde que vous vous étiez juré n'acheter jamais, c'est bien celle-là. A quelle extrémité vous a donc pas réduite ce lent pourrissement, cet exü !... » Cependant, et aussi vilainement chaussés soient-ils, les pieds d'Ann n'expriment que dans une faible mesure les étapes de ce changement

Chronique maritale?

Michel Huriet

Chronique maritale? Sociologique ? Moins ambitieux, peut-être, le projet de Michel Huriet n'en est pas moins digne d'intérêt qui réussit à trouver dans cette aventure banale matière à une fable touchante, précisément, parce qu'elle ne vise pas un seul instant à changer en quoi que ce soit le cours du monde. C'est ainsi, semble-t-il dire, et voyez com· me on dépose aisément les armes lorsque l'on entre dans l'engrenage épouse-mère et comme on se résigne facilement à ramener le bonheur à une affaire que l'on exhibe devant les voisins ! Restent les Vagney-Tissages, les

Hans-Draps, les Nathan-Picard-Vê· tements de Travail, les DelassieuxLinge de Table et leurs escortes de notables, d'importants, de faiseurs de pluie et de beau temps que l'on découvre avec un émerveille· ment d'ethnographe. Ainsi, ils sont encore tous là, pleins de vigueur, de bonne santé, plus que jamais disposés à durer et à proliférer ? Estce possible -! Cela l'est tellement, qu'il y a tout lieu de croire que c'est dans un étonnement semblable que Michel Huriet a puisé la matière du livre, lui qui ne revient que rarement en France et qui y découvre toujours un même spectacle, fascinant à force d'immobilité : comme un jeu d'échecs, demeuré là d'un voyage à l'autre et dont personne, entre temps, n'aurait bougé les pions. Et voilà pourquoi son roman est fait d'un constant balancement entre humour et amertume et pourquoi aussi on ne sait pas, à le-lire, s'il faut rire ou pleurer.

Cella Minart

irréversible qui ont fait d'une Bri· tannique saine et sportive, cette bonne épouse française, soumise à sa belle-mère, supportant un mari infantile et poltron, astreignant son corps à des grossesses rapprochées et que l'on voit se plier sans rechigner aux convenances de sa province d'adoption. La chose paraît tellement énorme que, scandalisé, le lecteur est prêt à bondir pour en avertir l'Ambassade de sa Gracieuse Majesté, Scotland Yard, le Times, peut-être même Jack l'Eventreur. Mais non, il n'y a pas de quoi s'affoler ! Car si elle se laisse si facilement dissoudre par les VagneyTissages; c'est sans doute qu'Ann le voulait bien, satisfaite - pourquoi pas? d'avoir acquis une raison sociale, une fonction sociale, une adresse sociale, une mission sociale : « Vous faisiez définitivement partie de ces quelques mülions d'humains qui disposent non seulement du nécessaire mais aussi du plus-que-nécessaire, d'une ration satisfaisante de luxe et de superflu sur la pente, Ann, sur celle que seuls de mauvais esprits qualifient de qui jamais ne les satisfait... Mais vous étiez irrémédiablement dangereuse : vous commenciez à penser que les gens moins chanceux que vous étaient au fond punis pour quelque chose, que leur infortune, leur crasse, leurs ventres vides ne pouvaient que représenter le châti~ ment mérité de quelque action cri-

La Quinzaine Utta"alre, du 1er au 15 décembre 1970

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Rouge et blanc

Les bruits du monde

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Anne Hébert

Kamouraska Le Seuil éd., 250 p.

« Le cœur souterrain, l'envers de la douceur, sa doublure violente », telle est la matière secrète sur laquelle s'acharne Elizabeth d'Aulnières, l'héroïne de Kamouraska. Mais cette dernière parturition se fait pour elle sous le signe de la mort : celle de son mari qui agonise quelque part dans la maison, celle d'un amour arrêté en plein vol par le meurtre et la fuite, et enfin celle d'un monde ou bientôt la force des valeurs traditionnelles ne parvien. dra plus à étouffer la force des passions qui brûlent sous la glace des conduites victoriennes.

Le livre d'Anne Hébert est à la fois une douloureuse confession en même temps qu'il se veut une autoaccusation impitoyable en face de la lâcheté intérieure qui permet aux valeurs traditionnelles de l'emporter sur la force de la passion. L'amour fou d'Elizabeth qui a pu mener le Dr Nelson jusqu'au meurtre de son mari, échoue en fait devant des résistances plus profondes : celle de la toute-puissante bienséance, celle d'un visage à sauver à tout prix du jugement social, alors que le corps épuise ses fureurs dans le cauchemar de rêves impossibles. Il s'agit là d'une mauvaise foi exemplaire, d'un magistral échec devant sa propre vérité. Ce qui est essentiellement pitoyable chez cette femme, c'est qu'elle peut aller jusqu'au crime par amour, y entraîner une servante fascinée par les deux amants, au point de la charger du meurtre (en vain d'ailleurs), puis porter

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l'enfant de son amour en le faisant prendre pour le .fruit d'une brève soumission au mari détesté, tout cela pour aboutir à un remariage de sauvetage et donner le change pendant dix-huit ans à la société canadienne, au bras d'un nouvel époux méprisé. Ainsi se présente le triste bilan d'une vie, d'un tempérament amoureux de la transgression et de la libération des valeurs établies.

Jean-LouiS Arnaud

Chacun sa bière Pierre Horay, 320 p.

Ça parle, ça grouille, ça bouge. Plus 98 grouille, plus ça parle. Plus .ça bouge, plus les mots fusent, drus, s'entrechoquent, dérapent, se rattrapent, passent à côté (des réalités), ouvrent des horizons (inquiétants, fabuleux), explosent et brusquement retombent (sur terre, dans le mille). Dans Chacun sa bière, Jean-Louis Arnaud organise un concert de voix, nous fait entendre, à l'état brut, mais à l'intérieur d'un montage subtil et riche en contrepoints, tout ce que disent quelques Cette grande colère personnages bien choisis - pour leurs différences d'âge, de situation sociale, de tempérament, mais ausQuand le récit commence, Eliza- si pour toutes les chances qu'ils beth va enfin être libre, mais ce sera peuvent avoir de se rencontrer pour rien, et surtout trop tard puis- par une belle journée de printemps que l'amant criminel a fui depuis qui pourrait bien être le premier jour de mai 1968. longtemps hors des frontières. Il ne Jean-Louis Arnaud ne cherche pas survit que dans la rage impuissante à recréer l'histoire de cette jourqui saisit cette femme, cette grande née, à inscrire son récit, ses dialocolère qui traverse les mots. Ce gues dans une succession d'événements situés, datés, dont les pro· texte a la force d'un cri, d'une im- tagonistes sont connus. Les drapuissance longuement modulée par peaux rouges ou noirs qui apparaiscelle « qui habite la fièvre et la dé- sent dans la rue, sur les chantiers, mence» et qui voulait être pour l'effervescence qui anime la ville, les mots d'ordre de grève qui coul'autre « la vie et la mort inextrica- rent d'entreprise en entreprise, les blement mêlées ». La quête d'abso- cars de policiers qui bloquent les lu qu'elle poursuivait, réalisée briè- carrefours, les grenades qui éclavement par le crime, retombe à ja- tent, la première barricade qui brûle, le calme, le retour à l'ordre mais dans le remédiable (Elizabeth qui succède à l'affrontement, tout a été acquittée), dans l'agonie lente cela, en apparence, n'est qu'une toile de fond. Henri, Frédéric, Mide la honne conscience. Et « la chienne qui se couche chel, Véra, Léna, Just, Moto, les adultes arrivés et les jeunes gens pour hurler à la mort» ne parvient disponibles vivent l'événement, pas à réveiller le disparu. Elle est réagissent à l'atmosphère, sont encondamnée à suhir dans sa vie sa trainés dans un mouvement dont propre mort, tandis que s'épuise ils ne perçoivent ni l'origine ni le sens. En même temps, cette jourpeu à peu le souffle de son mari née a un pouvoir révélateur. Elle auprès d'elle. détraque les horaires, dérange les L'auteur a su adroitement conju- habitudes, oblige chacun à jeter le guer les temporalités différentes masque. Ainsi les intellectuels emqui d'abord sont amudans cette « vision crépusculaire» bourgeoisés sés, prêts à entrer dans le jeu, exciqui épouse de nombreux parcours. tés comme par un feu de joie deOn y voit la complaisance, la luci- vant les premières planches qui dité, la vérité et le mensonge mêler flambent sur la chaussée prennent dès qu'ils pensent à leur voileurs courants dans cette âme colé- peur ture. Michel, le publicitaire d'avantreuse et désenchantée. garde s'affole parce que son fils est Entre le rouge du sang versé et gardé à vue, Henri l'éditeur prend la blancheur secrète de la neige la fuite dans le rêve comme Mitri photographe dans l'alcool. Fréimmense qui finit par recouvrir et le déric le romancier se fait entauler neutraliser la présence des séismes par Ime petite putain. Seuls les les plus profonds, une voix sans jeunes gens trouvent le ton juste avenir, mais avide, et possédée par et traversent la journée avec bonla vision de la mort s'élève : elle heur. L'essentiel ici est la manière dont hésite tragiquement entre le droit le thème est traité, dont les voix à la vie et la prudente reconduction s'enchaînent, se chev'auchent ou se de ses fougues intérieures. Elle répondent. Jean-Louis Arnaud a effraie et inquiète tout comme ces adopté un style singulier, ramassé, étonnamment rapide où tout, même petits cyclones blancs qui tourbil- les descriptions, les indications de lonnent sans fin dans les grands mouvements, d'actions, toujours espaces neigeux où la vie est deve- brèves du reste, rappellent le langage parlé. Langage non point relânue une impossible conquête. ché, mais au contraire aiguisé, incisif, avec parfois un étrange pouAnne Fabre-Luce voir poétiq~e. Au commencement

il arrive que son langage irrite. C'est qu'il importe d'en saisir la cadence, ou plutôt les cadences, chacun des protagonistes ayant son rythme, mais aussi ses images, ses tics de vocabulaire.

Images et paro.les Si tout le récit est en dialogue, pourtant nous ne sommes pas au théâtre. ·Le cinéma, lui, n'est pas loin. Les dialogues sont mouve· ments, les commentaires qui séparent les répliques ne visent pas à expliquer mais à montrer des lieux, des comportements, des gestes. Tout est images et paroles : Jean-Louis Arnaud suit ses personnages, filme leurs déplacements, leurs rencontres, enregistre leur propos, demeu· rant toujours à une certaine distance, témoin, cameraman invisible. Comme au cinéma, encore, le montage joue un rôle important. A chaque heure du jour, l'auteur nous montre ce que chacun fait, ce qui se passe dans quatre, cinq, dix endroits, la rue, des bars, un taxi, un studio de photographie, une exposition d'urbanisme, etc., comment les personnages, qui tous, à un moment où à l'autre se croiseront, se parleront, se comprendront, s'opposeront, parlent, chantent, bougent, agissent, s'intègrent au rythme de la ville.

La ville et ses rumeurs Ce que décrit Jean-Louis Arnaud, dans ce fort brillant premier roman, c'est la ville et ses rumeurs. Certes, les voix qu'il nous fait entendre sont des voix privilégiées, celles d'Henri, de Frédéric, de Just, ·mais elles sont porteuses de ces rumeurs qu'elles ne cessent de déformer et de transformer. Surtout, ce qu'il essaye de saisir, par un savant jeu de montage, c'est, en un même instant la multiplicité des événements et la variété des interprétations d'un même événement. Par des moyens et avec un style très différents de ceux de Michel Butor, il illustre comme lui l'héritage d'Apollinaire et de la théorie simultanéiste, héri· tage qui le conduit naturellement à souligner le sens de ses montages par une disposition typographique spéciale. Bref, même s'ils sont souvent très présents, les personnages l'intéressent moins que les bruits du monde, ou plutôt ne l'intéressent que par rapport à ces bruits. Peu importe qui parle. Ce qui compte, c'est ce qui est dit, c'est, dans un même lieu, dans une même ville, à partir d'une même réalité, Ia diversité de ce qui est dit. Car si tout le monde puise au même tonneau, chacun boit sa bière, chacun vit sa vie.

Claude Bonnefoy


Ces lieux., ces moments ...

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Philippe J accottet Paysages avec figures abentes Gallimard éd., 176 p.

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Leçons Payot, Lausanne, éd., 38 p. Rilke par lui-même Coll. Ecrivains de toujours Seuil éd., 190 p.

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Abandon à l'imagination et réflexion, mais librement déroulées, telles sont les proses de Paysages avec figures absentes, autant de promenades, de rêveries où l'auteur, aussi bien que sur les lieux auxquels il revient et toujours relativement à eux, s'interroge sur la poésie, sur le réel, sur la présence, l'être au monde. Ainsi la haute Provence où Philippe Jaccottet réside depuis de nombreuses années n'est pas un refuge (la première page du livre le précise), et l'expérience poétique, poursuivie avec ferveur et patience, n'a de valeur que parce qu'elle constitue, plus largement, une expérience de vivre. « Il semble qu'il faudrait dormir pour que les mots vinssent tout seuls. Il faudrait qu'ils fussent déjà venus, avant même d'y avoir songé. » Ecrite comme sous dictée, une parole immédiate répondant à un contact immédiat avec le réel serait seule juste. L'objet de la poésie, c'est le plus commun, le simple, le vrai. Ou plutôt : l'entièrement vrai, c'est (ce serait) l'entièrement simple, que l'image n'a pas caché, que la trouvaille n'a pas trahi. (La dénonciation du souci esthétique est sous-jacente aussi à tout le Rilke par lui-même, notamment à propos du rapprochement entre la recherche de la poésie et la recherche du divin, mais également à propos de l'idée, réaffirmée par Rilke, que le créateur n'a pas le droit de choisir, de rien refuser, même de laid, d'odieux). Cette parole naïve, cet « énoncé direct» auquel Holderlin - mais après avoir subi quels assauts? - a pu accéder (1) n'est pas ce qui nous vient d'abord parce que l'originel - ou premier - est le plus enfoui et ne cesse de se dérober : « On laisse venir, on laisse aller les images. Les premières qui se présentent à l'esprit ne sont pas nécessairement les plus simples, les plus naturelles, ni les plus justes; au contraire... » Si donc il est bon de se laisser guider d'abord par le désir, il n'est pas moins nécessaire de lui résister, d'exercer ensuite une

surveillance pour empêcher la dérive des images, la « singerie» : « Ces lieux, ces moments, quelquefois j'ai tenté de les laisser rayonner dans leur puissance immédiate, plus souvent j'ai cru devoir m'enfoncer en eux pour les comprendre; et il me semblait descendre en même temps en moi». Réalité intérieure et extérieure, dans la quête de l'essentiel, se rejoignent. De fait, le travail de Ph. Jaccottet est une intériorisation du signe, un dépouillement progressif de tout ornement par une suite d'essais, de repentirs, de négations. Ses proses apparaissent donc comme une sorte de vagabondage (se resserrant en réalité autour du centre), comme une approche du poème par la négative. Elles sont élan vers le poème, elles en communiquent le besoin, elles soulignent un manque. D'où la crainte constante d'en dire trop, de n'avoir pas trouvé le mot, dénis non seulement scrupuleux, mais inhérents au propos. Semblable démarche se distingue de celle de Ponge en même temps qu'elle s'y apparente, car, si Ponge livre notes, variantes, remarques, recherches de dictionnaire, etc. comme le seul texte réellement écrit, le seul texte possible restitué dans son devenir, Ph. J accottet, même pareillement attentif aux choses et soucieux d'exactitude, ne donne des travaux (Travaux au lieu dit l'Etang) que comme un pis-aller, dans l'attente ou l'espoir du moment où le jaillissement poétique devienne possible, la méfiance à l'endroit du langage étant enfin trompée ou endormie. Jusqu'à ces « bonds de côté », le lecteur était, si je puis dire, en différé (ce sentiment, chez Ponge, viendrait au contraire du poème achevé), soit qu'on lui ait fait un récit au passé ou qu'on ait introduit comme un écho le souvenir, ou encore (sans parler de l'écran que constitue la ré-flexion morale) que l'accent ait été mis sur le sujet, personnel ou impersonnel, par lequel passer obligatoirement : « On est entré dans un cercle de collines... On ne s'en assure qu'en s'engageant dans les fourrés de roseaux plus hauts que vous... » La phrase ellemême, me semble-t-il, concourt à donner cette impression par son ordonnance mesurée (j'y reviendrai), car il arrive, généralement à la fin du texte - et nous voici en direct - qu'elle se précipite soudain, volontiers tronquée ou exclamative, dans un mouvement rappelant les

Philippe Jacottet

Rilke

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La QuInzaIne Uttéraire," du 1er au 15 décembre 1970

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Philippe Jaccottet

courtes flammes d'Airs, comme dans ces deux images se rapportant aux cris d'Oiseaux invisibles: « Il y a une constellation, en plein jour, dans l'ouïe! Il y a de l'eau qui sourd là, et là, et là ! »

Notre vie profonde Ce ne sont là que de brèves échappées grâce auxquelles retrouver, non au-delà mais au cœur du réel, « notre vie profonde». Qu'elles soient pour nous comme un salut n'empêche pas de regretter leur sporadicité. y correspond - éclat, bribe, météorite, éjection d'un morceau de vécu hors du temps le poème bref vers lequel Ph. Jaccottet s'est senti tiré malgré lui' depuis une dizaine d'années. Mais, et c'est là le point, de tels instantanés ne sont que des lancers; ils ne peuvent pas nous satisfaire parce qu'ils ne s'inscrivent pas (et ne nous inscrivent pas) dans une durée comme le pourrait, un des textes le constate, la prose. Aussi voit-on que, par une sorte de va-et-vient, le mouvement du poète est autant d'être projeté de la prose vers le poème (ou l'image, qui est saut) que d'être rejeté du second vers la première (vers « l'énoncé direct », qui est phrase ininterrompue). D'où l'alternance de livres de poèmes et de livres de proses (2). N'est-on pas proche de Michel Leiris, oscillant aussi entre la poésie et le discours? (Je m'y réfère, lui ayant pris déjà le terme de lan~ cers, comIile à un auteur cher, assurément, peut-être autant que Ponge, à Jaccottet lui-même). Mais, par la forme et la qualité de l'écri· ture, apparaît une différence essentielle.

Déchirure sur déchirure La prose extraordinairement souple et développée de Leiris s'enroule, se love sur elle-même; elle s'interrompt rarement (peu de coupures, qu'il s'agisse des phrases, des paragraphes, de la division en chapitres), elle contribue, autant que la résurgence des thèmes, à créer ce tout, cette unité mythique qui devrait remédier, sur le plan de l'écrit, à la discontinuité de l'existence. Au contraire, et conformément à la démarche tâtonnante dont j'ai 10

parlé, les proses de Philippe Jaccottet, rarement longues, sont non pas d'une seule coulée, mais articulées; elles se présentent comme un assem· blage. Ph. Jaccottet lui-même constate que, pour ses réflexions, il doit s'en tenir à des notes, que le « discours continu» lui est interdit (p. 159). Quant à la phrase, elle est d'un dessin toujours simple. C'est que l'attachement ici n'est pas tant à l'Un qu'à l'Harmonieux. Toute distance, toute rupture n'est pas, comme pour Michel Leiris, intolérable ; elle nécessite l'accord entre les parties séparées, elle est la condition de la naissance autant que de la mort : « Déchirure sur déchirure. Comme d'une infime graine tombée en terre sort une tige, et de celle-ci des branches, et de chaque branche des feuilles, de la première énorme .distance naissaient mille distances de plus en plus courtes et subtiles, chaque pôle se formant aux extrémités de chaque intervalle comme un fruit. »

Une transparence voilée

du manque, de l'ombre - le gouffre, la mort, mais domestiqués.

L'agonie d'un être cher Tel est notre lieu, et si la joie est possible, si la plupart des textes de Paysages avec figures absentes parlent de plaisir, de fête, si, métaphoriquement, apparaissent dryades, nymphes, jeunes filles surprises à leur toilette, corps surpris dans leur sommeil - images du Désir le plus profond - si ailleurs sont faites, dans le même sens, des références à l'enfance (transport, émerveillement, indistinction entre le dedans et le dehors), ce. n'est pas sans la conscience de nêtre plus dans le Jardin (qui n'a jamais existé) et d'avoir à le recréer. Leçons retrace l'agonie d'un être cher, rongé, rui· né, devenu totalement étranger avant d'être anéanti (peu de textes, dans notre poésie, sont aussi dépouillés). Mais, en dépit de l'arra· chement, de la misère, de l'horreur, de l'ordure indicible, « Ordure non à dire ni à voir: à dévorer », en dépit de l'innommable qu'il n'est pas permis d'éluder (rappelons-nous la leçon de Rilke), la vie exige de nous plus qu'une -acceptation passive : une remontée sereine, un acte de créance, une salutation à laquelle accède la fin du poème :

Comme la prose rassemble des images que la poésie risquerait de perdre en les maintenant dans leur isolement ou comme, sur un autre plan, l'écriture fait tenir ensemble des notes sans vraiment les fondre dans un tout (des blancs séparent Je ne vois presque plus rien souvent les paragraphes), de même, que la lumière, thématiquement, l'accent porte sur les cris d'oiseaux lointains en sont les nœuds, ce qui sauve le particulier de l'éparpillement en le comprenant, mais toute la montagne du jour est allumée, sans l'y faire s'évanouir, dans le général. Ainsi, l'heure de l'éternité elle ne me surplombe plus, qui bat « dans toute l'étendue », ou elle m'enflamme. la tourterelle turque voyageant Voilà le centre vers lequel nous dans l'espace comme dans sa patrie (sans se dépayser ou s'égarer), ou sommes attirés. La vie ne peut être encore, dans le pré de mai, les her- que ce mouvement (non agité), cet bes et les fleurs aperçues « au mi- élan, cette marche vers le point lieu d'un plus vaste et vague en- « où tout s'apaise et s'arrête ». Lorsqu'il semble être atteint, toujours semble ». Ces exemples suffisent à rappeler fugitivement, en des pages où la l'importance, dans l'œuvre de phrase elle-même en prenant de la Ph. Jaccottet, de tout ce qui ména- hauteur se fait admirablement lége une transition, assure un passa- gère et ténue, ce n'est jamais l'im· ge, filtre, écluse, barrière, « buis- mobilité totale (qui équivaudrait au sons comme autant de peignes pour silence de la mort), mais un délil'air », etc. On sait aussi de quelle cieux suspens qui est attention et délicatesse, de quelle approche timi- attente, mesure, équilibre fragile. Rien d'étonnant que se retrouve de s'accompagne l'équilibre des la métaphore de la demeure - ou« contraires fondamentaux ». Notre lot n'est ni la clarté ni l'obscurité verte, lumineuse - ni que se réaf· absolues, mais la pénombre ou la . firme l'attachement à « la voix métransparence voilée, ce n'est pas la diterranéenne » (à Grignan même), plénitude, mais la place reconnue aux dieux grecs, à « la maîtrise du

Sacré » et, bien entendu, à Holderlin. Mais faire la même place aux dieux et aux nuages, aux arbres et aux nymphes, c'est poser, à l'instar de Rilke, « l'unité du ciel et de la terre ». Les dieux, les nymphes ne sont que des figures : « pour être tout à fait exact, je devrais, après avoir évoqué, l'image de la Grèce, l'effacer, et ne plus laisser présents que l'Origine, le Fond: puis écarter aussi ces mots; et enfin, revenir à l'herbe, aux pierres, à une fumée qui tourne aujourd'hui dans l'air, et demain aura disparu ». Ainsi des paysages de Cézanne « avec figures absentes», par opposition à ceux de Poussin; ainsi des derniers poèmes de Holderlin d'où les dieux se sont effacés sans que leur absence soit néant.

Culture et nature La culture, on le voit, ne contredit pas le contact immédiat avec les choses. Elle ne s'oppose pas à la nature mais elle y conduit pourvu qu'on veuille, ayant fait détour par elle, se dépouiller du savoir et se mettre en état d'ignorance. Je ne vais pas, une fois encore, mettre en question cette communication en quelque sorte absolue où toute figure, tout langage trouverait son origine et sa justification. Plutôt citer l'admirable livre de Roger Munier dans lequel le visible est défini comme la seule présence, comme la seule possibilité, pour le Seul (3) Ph. Jaccottet dirait l'Inconnu, l'Insaisissable - de se manifester en y disparaissant : « Il n'est au fond de monde que ce monde présent, qui naît et meurt avec moi, s'égale à mon passage. Dans sa pérennité, indéfiniment, innombrablement discontinu et mortel. »

Pierre Chappuis (1) Les deux derniers textes surtout sont consacrés à Holderlin et à Rilke. Faut-il rappeler que Ph. Jaccottet, traducteur de HOlderlin, a préfacé le volume de ses œuvres publié dans la Pléiade? La traduction de poèmes de Rilke, pour l'édition du Seuil, est encore inédite. (2) Paysages avec figures absentes fait ainsi suite à La Promenade sous les arbres (1957, Mermod, Lausanne), Eléments d'un songe (1961, Gallimard), La Semaison (1963, Payot, Lausanne). (3) Roger Munier : Le Seul, pré.· facé par René Char (Tchou éd., coll. le Prix des mots).


LITTERATURE

Dylan Thomas ETRANGERE

1

Dylan Thomas Œuvres. 2 tomes Le Seuil éd.

Il ne doit pas y avoir beaucoup de gens qu'intéresse la littérature et qui connaissent un peu d'anglais, à n'avoir pas entendu un disque de Dylan Thomas. Et au ~on de cette voix « comme un gong ardent sur un océan de mélasse» pour reprendre sa propre expression, même les plus rationnels ressentent jusqu'à la moelle la présence du génie, les purs accents du Barde qui, selon Blake: cc Voit le Présent, le Passé et l'Avenir/Dont les oreilles ont entendu/le Saint Verbe/Marchant sous les feuillages antiques. » Dès l'adolescence, Dylan Thomas a fait montre d'un implacable sens du destin. Il réussit à rater ses compositions dans toutes les matières, sauf en anglais, où ses notes étaient excellentes. Son père, qui aurait voulu être poète lui-même, était son maître et c'est là sans doute qu'il faut chercher la raison d'une précocité si unilatérale. Des années plus tard, dans son Manifeste Poétique, Dylan Thomas devait reconnaître sa dette : « C'est quand j'étais très jeune, tout juste entré à l'école que, dans le bureau de mon père, avant mes devoirs, que je ne faisais jamais, j'ai appris à distinguer un style de l'autre... Ma première et plus grande liberté était celle de pouvoir lire tout ce que je voulais. Je lisais n'importe quoi, les yeux pendants... Autre raison pour l'irruption de Dylan Thomas sur la scène littéraire, c'est que le pays de Galles n'avait pas encore trouvé sa voix en anglais, comme l'Irlande l'avait fait avec Yeats et Joyce, l'Ecosse avec Mac Diarmid (une élégie de ce dernier établit le parallèle). Dylan Thomas avait beau rejeter violemment son patrimoine, « la terre de mes pères, ils peuvent la garder... », il coulait dans ses veines. Autant que les pentes de Swansea, il célébrait la campagne galloise où, enfant, il avait passé ses vacan· ces, et où il retournait avec sa femme et ses enfants. Et quand il s'est livré à des expériences techniques, ou bien elles résonnent des assonnances complexes de la métrique galloise, ou bien elles affectent la

par John Montague forme de losange chère au pasteurpoète du XVIIe siècle, Georges Herbert, Gallois lui aussi. Quoi qu'il en soit, le Londres des lettres, dominé par le vers intellectuel d'Eliot et d'Auden, se trouva soudain confronté au plus pur génie lyrique depuis Keats. Ce qui était extraordinaire, chez le jeune Thomas, c'est que sa vision était déjà entière. Du début de son premier recueil, Dix Huit Poèmes : « Je vois les enfants de l'été dans leur ruine... », jusqu'à la fin de l'un de ses derniers textes: « Le temps me tenait, vert et mourant... », le' processus poétique est celui de la cla· rification et non pas d'une modification. Malgré sa vie difficile, Thomas parvint graduellement à accepter et même à chanter le pouvoir destructeur du temps, ce mariage incessant de la vie et de la mort qui l'obsédait: Le temps me tenait, vert et mourant, Mais je chantais dans mes chaînes comme la mer... Maintenant que la trajectoire est accomplie et bien documentée, on se serait attendu à ce qu'une édition aussi élaborée que celle du Seuil essaie de distinguer le poète de sa légende. Comme Vernon Watkins l'explique dans la préface à l'édition anglaise des Aventures dans le commerce des peaux, Thomas avait des priorités très claires. Ce qui comptait, il le savait, c'était la poésie; après cela, il était prêt à exploiter d'autres talents, comme son don du dialogue et du récit picaresque, pour distraire le puhlic. Car malheureusement, il faut bien vivre et il n'existe guère, pour le poète romantique, de moyen honnête de gagner son pain. Le poète contemporain le plus semblable à Thomas, George Barker, aimait à répéter là-dessus la phrase de Rilke : « Un emploi, c'est la mort, sans la dignité. » Au début, cependant pour Tho· mas, la ligne de partage entre le travail sérieux et l'autre n'était pas si nette. Ses premières nouvelles sont plutôt des poèmes en prose et j'aurais préféré que les éditeurs de ces œuvres les aient groupées avec les poèmes, afin de souligner l'ex· travagante imagination du jeune écrivain. On les a dites surréalistes, mais à part le geste d'offrir des tas· ses de ficelle bouillie aux passants, à l'Exposition Surréaliste de Londres en 1935, Thomas avait peu de liens avec la littérature française de l'époque. Chez lui, comme chez

La Q"'nu'ne Uttéra1re, du 1er au 15 décembre 1970

Faulkner, c'est le mélange de psy· chologie et de folklore et les riches cadences de la Bible de King James qui exhalent ce rare fumet de chair brûlée : Et le bébé prit feu. Les flammes s'enroulèrent autour de sa bouche et attaquèrent les gencives qui se contractèrent. Autour de son cordon rouge, les flammes léchèrent son petit ventre jusqu'à ce que la chair saignante s'affaissât parmi la bruyère. Une flamme toucha sa langue. Hüiii! cria le bébé qui brûlait et la colline illuminée répercuta son en. Le Portrait de l'Artiste comme un jeune chien montre Thomas au mieux de sa forme d'amuseur. La parodie de Joyce dans le titre donne le ton et rares sont les recueils de nouvelles aussi vivants que ces vi· gnettes de la vie à Swansea. Ou aussi pleins d'imagination verbale : sûr de son talent, Thomas y inclut un autoportrait, sous les traits du petit « Rimbaud de Cwmdonkin Drive », obsédé sexuel et fou de mots. Après cela, il y a peu de prose de qualité. Si bien qu'il est triste de voir la copieuse édition du Seuil faire la part si belle aux textes de radio de Thomas, ou pire, à ses scénarios. On trouve certes la charmante fantaisie, Moi et mon vélo, mais pourquoi le public français qu'on imagine impatient d'en connaître devantage sur un grand poè. te, devrait·il lire l'adaptation d'une nouvelle de Stevenson, auteur sur lequel Thomas n'aurait jamais travaillé s'il n'avait été payé pour le faire? La traduction d'une adaptation par Thomas de la version anglaise d'une autobiographie écrite

en gaélique occupe presque autant de place (et le fait qu'il existe déjà une traduction par Queneau du texte anglais en rend le choix encore plus absurde). On pourrait se dire que Vingt Ans de Jeunesse est un galop d'essai pour le chef-d'œuvre dramati. que de Thomas, Au Bois lacté. Mais ceci serait attribuer aux rédacteurs de cette édition un souci du génie de Thomas qu'ils n'ont manifeste· ment pas, puisque cette édition en deux volumes ne contient guère que la moitié de ses poèmes. On se trouve ainsi dans la situation paradoxale de voir dans l'essai introductif de Karl Shapiro (poète avec qui, au reste, Thomas a fort peu en commun) donner une liste des poèmes les plus certains de durer et dont la plupart ne sont pas inclus dans l'édition elle·même ! L'excuse présentée - « que leur densité avait de quoi effrayer le puhlic français » - a de quoi surprendre de la part de Denis Roche. En outre, comme je l'ai dit, l'œuvre de Thomas devenait plus claire et de nombreux documents ont été publiés, comme ses lettres à Pamela Hapsford Johnson et à son ami et compatriote Vernon Watkins, qui expliquent les poèmes, souvent en grand détail. Denis Roche cite ces pièces et les précoces Carnets dans un essai qui est finalement la seule tentative d'analyse de l'œuvre de Thomas dans l'ensemble des deux volumes. Quand un poète s'est fait une légende, c'est pour lui édifier un monument qu'il faudrait s'en servir et non pas pour l'enterrer à nouveau sous le fatras qui l'a humi· lié et épuisé. John Montague

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Entretien avec

Une histoire

Iwaszkiewicz

du roman amerlcaln

,.

Président de l'Union des Ecrivains Polonais, Directeur de la revue Tworczose (Création), romancier, essayiste, poète, également traducteur de nombreux auteurs français, de Marivaux à Rimbaud, Claudel, Valéry, Gide et Giraudoux, Jaroslaw Iwaszkiewicz, dont les éditions Stock viennent de publier • Les Amants de Marone., est surtout connu en France comme l'auteur de Mère Jeanne-des-Anges que Kawalerowlcz a remarquablement adapté au cinéma. Mais s'il est peu et pas assez traduit, il l'est depuis longtemps.

Marc Saporta

1

Histoire du roman américain

Seghers éd., 392 p.

Voici une precIeuse Histoire du roman américain. .précieuse, d'abord

J. 1. - En 1926, grâce à la mère d'un de mes amis qui était française, un de mes romans, dit-il, a été tr. duit et publié chez Rieder. En 1938, un de mes livres de nouvelles a paru au Sagittaire dans une traduction de C. zln, presque trop belle, d'une beauté f1aubertlenne. De ces premiers textes aux Amants de Marone, existe-t-il une certaine con· tlnulté? Ou bien ce roman occupe-t-il une place à part dans votre. œuvre ? J. 1. - Ce n'est pas celui de mes textes que je préfère. Je ne l'estime pas parfaitement réussi. Cependant il est très caractéristique de ce genre de la longue nouvelle ou du court roman, comme vous voudrez, que j'affection. ne. Comment se rattache-t·i1 à mes au· tres textes? Ce n'est pas à moi de Juger. Mais Rynard Prybylski a intitulé un essai sur mes premiers récits : Eros et Thanatos. Les amants de Marone se placent sous le même signe. L'amour, la mort, ce sont les choses qui composent la vie. Peut·être pour· ralt-on ajouter l'ambition, la carrière, mals je ne veux pas faire concur· rence à Balzac. Sur qui vous avez écrit une pièce, «le Mariage de Balzac". J. 1. - Vous savez que Balzac vieil· lissant (il devait mourir peu après son retour) a fait en Pologne un long sé· jour chez Madame Hanska, <<l'étran· gère., au cours duquel il l'a épousée. Mais Balzac malgré sa grande connaissance du cœur humain était souvent dérouté par les habitudes du pays, ce qui entraînait de petits conflits. Le thème de la pièce, c'est donc • un étranger en Pologne". Je connais bien la maison de Mme Hanska. J'ai même rencontré dans ma jeunesse, en 1910, un vieil homme, du nom de Moise qui y avait été employé comme domesti· que. C'était lui qui entretenait les poê· les du pavillon où habitait Balzac, mais il se souvenait surtout de lui avoir préparé d'énormes quantités de café. Pourquoi Les amants de Marone Ile sont-ils pas un de vos textes préférés? J. 1. - Ce roman me touche de trop près. Ce qui me gêne, c'est qu'il est trop authentique. Le décor, l'atmosphère, le sanatorium au bord du lac, certains personnages même ont exis. té. Si la situation de la jeune fille est complètement changée, l'histoire des deux amis est vraie. J'ai même gardé Je nom de l'un d'eux, Aristarque, mais c'est Justement ce détail authentique

qui fait peu naturel. :L'imagination vous parait donc être la première qualité du romancier? J. 1. - Qui n'est pas réaliste? Dans tout ce qu'on écrit, Il y a une part de nous-mêmes. On introduit fatalement des éléments autobiographiques. Mais au cours de l'élaboration, de l'écriture du roman, ils doivent se disposer les uns par rapport aux autres comme les cailloux dans une mosaique. Ce qui compte, ce n'est pas les cailloux, mais la mosaique.

Vous dirigez la revue Création. Quel est son rôle dans les lettres polonai· ses? J. 1. - C'est d'abord une revue de textes où s'expriment les poètes, les prosateurs, les essayistes; dans la· quelle on accueille volontiers les meil· leurs des jeunes écrivains. Ce qui me frappe actuellement, en Pologne, c'est l'apparition d'écrivains venus de la campagne, de souche paysanne, et qui pour la plupart traitent le thème de la migration vers les villes et des difficultés d'adaptation à la vie industrielle et urbaine. D'autre part, avec la publication régulière d'une « revue des revues., de l'Ouest comme de l'Est, Création fait régulièrement le point . sur les problèmes littéraires et phi· . losophiques de notre temps, le nouveau roman, le structuralisme ou Mar· cuse. Pour cette raison, la revue est très lue par la jeunesse.

Toutes vos activités, à la revue, à l'Union des Ecrivains ne freinent·elles pas votre travail personnel? J. 1. - De temps en temps, j'écris. J'ai écrit des nouvelles à Rome, au printemps. A Rome, je n'ai que ça à faire. J'habite bien à trente-clnq kilomètres de Varsovie, mais c'est devenu la banlieue, j'ai tout le temps des visites... Ah, J'oubliais. J'écris toujours des poèmes. A mon âge, ce n'est pas sérieux. Ce sont les jeunes gens qui écrivent des vers. Même libres, mes vers, ce sont des poèmes... Claude Bonnefoy

parce qu'elle manquait, précieuse aussi par la réunion de deux quali· tés qu'on trouve rarement ensem· ble dans les histoires littéraires, sa précision et son ouverture. Au dé· part, en effet, Marc Saporta savait que son lecteur français attendait de lui deux choses : un bon instru· ment de référence dont on puisse se servir à tout moment et sans difficulté, un guide permettant de mieux comprendre l'évolution et la spécificité du roman américain. Aussi aurait·il pu céder à la ten· tation soit de rédiger un diction· naire des romanciers, soit d'écrire un essai brillant où il aurait fait la part belle à ses auteurs de pré· dilection. Mais se gardant de ces facilités, il a réussi à nous donner un livre utile sans néanmoins re· noncer à ses qualités d'écrivain. D'entrée de jeu, il est évident que cette histoire est extrêmement maniable. Qui a besoin d'un renseignement le trouve à l'instant. Les pages annexes ne comportent pas seule· ment un index, ce qui va de soi et une table de concordance entre les événements historiques et littéraires ce qui est classique, mais un réper· toire biographique des écrivains de quelque importance - ou de quel· que renom. Mais ce répertoire est aussi un répertoire critique. Sapor· ta ne se borne pas ici à donner les principaux titres des œuvres. En qudques formules ramassées et dont certaines sont de petits chefs· d'œuvre d'ironie ou de justesse (Elinor Wylie « poétesse et beauté fatale", William Goyen « un sudisme innocent"), il fait le point sur la vie, les œuvres, le public et- la qualité d'un écrivain. Ce répertoire, ce petit dictionnai· re de poche est le reflet du livre. Ici comme là, on retrouve la précision, la rapidité, la sûreté du trait. En trois cents pages, en effet, Saporta dit l'essentiel sur la littérature américaine. On peut n'être pas d'accord avec lui sur certains juge· ments, estimer qu'il passe trop vite sur certains auteurs, mais il faut reconnaître qu'il n'esquive aucun problème ni ne néglige aucun genre, y compris ceux qu'oublient généra· lement les historiens de la littérature. Non seulement le roman poli· cier et le roman de science·fiction ont leur place ici, mais la bande dessinée, le roman populaire, la lit· térature de colportage qui au siècle dernier contait les légendes de l'Ouest sont sinon étudiés en profon· deur du moins signalés et leurs rap· ports avec la littérature propre· ment dite comme leur rôle dans la culture et la civilisation améri· caines sont clairement analysés. En fait, le parti pris adopté par Saporta l'obligeait à interroger aussi ces littératures marginales. Si son essai suit moins la chronologie que l'histoire des différents cou· rants littéraires dont certains sont nettement localisés (Sur la frontiè·

.

re, Le roman de l'Ouest, Le roman du Sud, le roman de la Côte Est, etc.), il s'attache surtout à montrer ce qui fait la spécificité du roman américain. Aussi bien, à travers la diversité des genres et des écoles, des influences régionales ou ethniques, ce qu'il montre, c'est la persistance plus ou moins marquée de certains thèmes qui ont leurs racines profondes dans l'Amérique des colons et la guerre d'Indépendance. L'écrivain américain, de Fenimore Cooper à Faulkner, de Melville à Hemingway, de Thoreau à Norman Mailer, retrouverait toujours soit le goût de ces aventures vécues qu'inaugurèrent sur le sol du nouveau monde pionniers et traceurs de pistes, soit le souvenir effrayé ·ou la nostalgie du puritanisme de la Nouvelle Angleterre, soit enfin ce sens de la rébellion et de l'in· surrection qui anima les fondateurs des Etats·Unis. Cette dernière tradition, celle des « Insurgents », Saporta dans sa conclusion, et après des analyses nombreuses et pertinentes, n'hésite pas à affirmer qu'« elle est omni·

présente. Et particulièrement dans le fait que tout romancier américain est en même temps un rebelle, dressé contre ce qui subsiste d'injustice dans la société américaine. Il est rare qu'il accuse, comme ail· leurs, la condition humaine. Le mal qu'il dénonce, s'il le découvre, il ne le situe pas dans le monde en géné· raI, mais s'applique à le localiser chez lui dans le cadre le plus familier, comme s'il n'existait pas en dehors des Etats·Unis ».

Ainsi tout le livre tend à dégager ce qu'il y a de spécifique dans le roman américain. Mais l'exposé, loin d'être systématique, témoigne d'une grande souplesse, indiquant aussi bien les parentés avec la littéra ture européenne que les aspects multiples d'une œuvre donnée. Le fait que Truman Capote, par exem· pIe, figure dans deux chapitres, l'un consacré au roman de l'opulence, l'autre à la littérature de recherche permet à Saporta de jeter des ponts, de montrer les interactions constan· tes entre différents thèmes. Il apparaît alors, à un lecteur attentif que son découpage regroupant sous une même rubrique des écrivains d'une même inspiration (poétique, politique, religieuse, régionale, ethnique, etc.), n'a rien de systéma· tique. Ou plutôt qu'aucun chapitre n'est clos sur lui·même. Comme dans ses romans, Saporta a procédé ici à un jeu de collage ou de montage, chacun des éléments séparés ne cessant de renvoyer aux autres et ne prenant sens que par les autres. Même s'il étudie séparément des auteurs importants - et il y a dans son essai de fort belles pages sur Melville, sur Faulkner « intrus dans sa propre maison, dans son domaine» - c'est toujours en les situant dans le devenir de la civilisation et du roman américains. C'est pourquoi son bel essai n'est pas seulement l'histt>ire du roman amé· ricain mais aussi le roman de l'Amérique.

C.B.


collection

ft

PAVILLONS"

Heather Ross Miller A l'autre bout du monde Trad. par Michel Gresset Gallimard éd., 244 p. Heather Ross Miller A l'autre bout du monde Trad. par Michel Gresset Gallimard éd., 244 p.

Née en Caroline du nord, Heather Ross Miller est connue en France par. un très beau récit, l'Orée du bois. La critique avait remarqué chez cette jeune femme un alliage réussi de tradition faulknérienne, évidemment, avec une fermeté stylistique et une sensualité des plus étranges, faisant bruisser les mots comme une forêt, levant des nuées d'images soigneusement enchâssées dans un terreau riche, très fort, étourdiSsant. La souplesse de ses phrases donnait un charme complexe, subtil à l'ensemble. Son livre avait une odeur entêtante. On retrouve dans A l'autre bout du monde cette richesse de résine et d'écorce, ce langage qui est sève, passage, métamorphose. La phrase a sa pulsation, d'ordre végétal. Mais la galopade d'un homme à pèlerine noire jette comme une note glacée au creux du livre. Ce cavalier solitaire sorti tout droit d'une gravure romantique dérange les lieux dès le premier paragraphe. C'est le docteur Tscharner. Il a quitté l'Europe avec sa jeune épouse. Il s'installe en Caroline. Nous sommes à la fin du siècle dernier. Les chevauchées de ce médecin taciturne et actif couvrent de son ombre les autres personnages. On meurt autour de lui, les saisons changent: pas lui. L'épouse disparaît, la seconde femme perd ses couleurs. Ne parlons pas des enfants. Tout peut s'écrouler. Tscharner continuera à traverser la forêt pour donner des pilules de camphre, saigner un malade au scalpel, écraser des plantes, préparer des remèdes. La forêt blanchit, verdit, s'irise à l'automne, et la vie passe ainsi au fil des chapitres, avec quelque chose de morne que rend bien la monotonie de la syntaxe. Le roman, tel quel, déconcerte. Toute vie est subordonnée à l'équilibre biologique. Le choix d'un docteur pour personnage principal est significatif. Significatif aussi cette scène où Cassandra connaît l'éphémère joie sensuelle d'un bain au soleil. Elle étend sa robe, se jette à l'eau. Les moustiques la piquent,

et la nuit suivante la fièvre des marais se déclare. C'est un même mouvement, une même force. La forêt, comme la mer, reprend tout. Il n 'y a pas de leçon à tirer. Tscharner n'en tire pas. Il prépare ses herbes, prend son cheval, soigne ses malades. Il n'a aucune illusion. La nature n'est ni protectrice ni malfaisante : elle est. Si l'humus et la feuille pourrie sont si doux, c'est qu'ils sont faits de la décomposition de nos morts. L'écriture volontairement sèche, abrupte, exprime bien ce mouvement de célébration réprimé qui vient éclairer les meilleurs passages du roman. La dureté et la beauté vont de pair. Dans ce livre la femme joue le rôle d'intercesseur entre l'homme et son milieu. Elle appartient aux deux : d'où sa fragilité. On voit bien que le livre tend à se situer au niveau mythologique. Vieille mythologie païenne qu'on retrouverait sous la trace visible de l'écriture, quelque chose d'oublié et de mystérieux. Cette touffeur de la vision donne le dessein du livre. Jacques-Pierre Amette

Alphonse Boudard dédicacera: La Méthode à Mimile

(l'argot sans peine) Editions de la Jeune parque et tous ses livres à la librairie "Au Dauphin -, 36, rue de Bourgogne. Paris .,.. le jeudi 3 décembre de 18 heures à 20 heures.

La Quhmdne UttftoaJre, dU 1er au 15 décembre 1970

LE PREMIER CERCLE VOYAGES AVEC MA TANTE LA GARDE BLANCHE JOURNAL DE LA GUERRE AU COCHON

LE

BOURREAU

AFFABLE

(Consultez le Catalogue chez votre Libraire) 13


TRIBUNE

Contre les idéologies ·par Dionys Mascolo Sous le titre. Faut-il rééduquer l'intellectuel? -, Bernard Pingaud a récemment pris position à propos de déclarations de J.-P. Sartre sur le rôle des intellectuels, ici et maintetenant. (La Quinzaine. n° 104). Dionys Mascolo donne ci· dessous son sentiment sur les positions de Sartre et de Pingaud. Sartre et Pingaud, l'un reprenant l'autre, ont récemment avancé, sur le rôle de l'intellectuel dans ses rapports avec le projet révolutionnaire avant et depuis Mai, un certain nombre de propositions qui ne me semblent pas à la hauteur de la nouveauté que nous vivons. Dans ce qu'elles ont d'incomplet surtout, elles mettent en œuvre (et même en valeur) des équivoques qui ont cons· tamment, depuis un demi-siècle, fait office de freins (depuis peut-être l'acte de décision de Lénine fondant un pouvoir révolutionnaire contre toutes les règles ?) et qui risquent aujourd'hui encore de détourner l'intellectuel de ce qu'il peut réellement.

L'intellectuel classique »

cc

L'un pour le déclarer penmé, l'autre pour affirmer qu'il a encore de beaux jours devant lui, Sartre et Pingaud s'entendent sur une définition de l'intellectuel: c'est l'intellectuel « classique ». Il se caractérise par les traits suivants 1) Comme tous les « techniciens du savoir pratique », il travaille en fait pour les privilégiés; l'universalité du savoir se trouve réduite en lui à servir le particulier. 2) Qu'il s'avise de cela, c'est alors qu'il devient à proprement parler un intellectuel et il ne peut plus vivre que dans la mauvaise conscience, laquelle le conduit à chercher une bonne conscience en dénonçant la société qui garantit ses privilèges : c'est sa contradiction. 3) Il a, enfin, un « capital idéologique » : le poids de ses œuvres le tire en arrière. Que l'intellectuel ainsi décrit doive se supprimer en tant que tel (sans trop de pathétique: c'est sup. primer l'insupportable contradiction qu'il est) et qu'en Mai la nécessité en soit apparue clairement, on ne peut qu'en tomber d'accord avec Sartre, et s'étonner que Pingaud

accepte un avenir où cet intellectuel continuerait « d'aimer son rôle». La question, pour nous, n'est pas là. Elle est en ceci que cette description a toute la généralité mais aussi toutes les limites des descriptions sociologiques. L'analyse sartrienne est donc limitée à ce que l'on nomme les intellectuels « de gauche», masse indéfinie de personnes disposant à divers titres d'une « audien· ce », n'ayant en commun que le vague commun aux divers humanismes auxquels les idéologies diverses donnent lieu (athées, socialistes, chrétiens libéraux, capitalistes éclai· rés, progressistes...) et aucun principe, créateurs ou manipulateurs de « valeurs» dont ils sont dupes, placés en effet sous le signe de la mauvaise conscience, voués d'ailleurs à fournir de réguliers contingents de « compagnons de route» aux organisations, dans l'attente où ils sont toujours de recevoir de l'extérieur leurs attributs proprement politiques. Ce dernier point est essentiel. A s'en tenir. à cette définition, il y aurait seulement une action révolutionnaire, mais pas de pensée révolutionnaire, a fortiori pas d'intellectuels révolutionnaires (le seul « intellectuel révolutionnai· re » dont l'existence soit implicitement reconnue serait en dernière analyse défini par l'âge: c'est l'étudiant, celui qui n'a pas de passé, donc pas « d'intérêt idéologique» ou - ceci est une paraphrase celui qui n'a pas encore eu le temps de faire œuvre). On voit la simpli. fication, encore assombrie d'un « trop tard» fataliste. Mais voici le plus grave. Une telle définition, fermant toutes les voies, suggère (sous-entend?) qu'il dépendrait d'une instance extérieure que la pensée théorique - puisque c'est d'elle qu'il s'agit ici de rappeler l'existence - reçoive la détermination qui ferait d'elle une pensée révolutionnaire. Cette instance extérieure, ce sont les masses, oui, en principe ; et à défaut (comme il ar· rive), ce sera l'organisation qui dit qu'elle parle au nom de masses. A l'encontre d'une telle démarche, véritable idéologie d'intimidation secrétée par l'intellectuel classique lui-même dans son ardeur autocritique, et qui lui retire à l'avance toute' perspective autre que celle de devenir le sujet, l'esclave ou le fidèle de l'Organisation, il faut affirmer qu'une telle instance extérieure n'existe pas; que la pensée révolutionnaire est sa propre instance ; qu'aucune autre autorité que la

sienne propre ne la fonde; et que c'est d'elle seule que l'organisation, et le projet révolutionnaire lui·mê· me, reçoivent toute existence et tout sens.

L'intellectuel « non classique » En serait-il différemment que la question se poserait de savoir com· ment Lénine et Trotsky, Ho Chi Minh et Mao Tsé-Toung, qui ne sont pas des travailleurs, ont cessé un jour d'être des intellectuels petits-bourgeois - et Marx, dont l'apparition deviendrait un mystère théologique. Pour n'avoir été ni dirigeants ni hommes d'organisation, et avoir apparemment parlé d'autre chose; Artaud, Breton, Bataille ne furent pas davantage cela. Il faut donc admettre que l'intelligentsia n'est pas composée seulement d'intellectuels « classiques », ou « de gauche », qu'une pensée libre existe déjà (un jeu de l'intelli· gence en quoi il n'est rien qui puisse servir les privilèges), pensée postrévolutionnaire, libérée donc de toute naïveté idéaliste comme de toute superstition de mauvaise conscience. C'est celle qui s'identifie à l'exigence communiste. C'est d'elle que l'on est en droit d'attendre aujourd'hui que la pensée participe de plein droit, et en tant que telle, au travail révolutionnaire. Ne nous en remettons pas ici à un jeu de mots. Celui dont la pensée Ùdentitie à l'exigence communiste s'est déjà, en un sens, supprimé par là comme intellectuel. Nullement parce qu'il aurait fait effort pour se « rééduTIer », s'étant mis par exemple à écrire avec des ouvriers dans un journal de masses, mais au contraire parce qu'il n'aura pas renoncé au travail théorique (critique toujours, destructeur), et qu'il aura maintenu dans ce travail la vue selon laquelle, la révolution sociale ne faisant qu'un avec la recherche du vrai (destruction du non-vrai), « il ne suffit pas que la pensée recherche la réalité, il faut aussi que la réalité recherche la pensée ». Par opposition à l'intellectuel classique, créateur de biens culturels, « ingénieur des âmes », porteur de l'idée satisfaisante, féconde, l'homme de l'exigence communiste est l'homme porteur de l'idée dépossédante, qUi n'est grosse que de refus, de négation, de dés-illusion, de dé-ception. S'identi-

. fiant à une exigence infinie, il vit le dénuement, le manque de sens, dans une abstraction égale à celle du prolétariat, et dans une pareille rupture avec l'intériorité. Loin de vivre la « vie des idées» telle qu'elle est reçue, voire honorée dans le monde (vie culturelle), l'intellectuel révolutionnaire vit avec l'idée non apprivoisée, privée de garantie, d'attaches, idée « juive », et telle qu'elle ne peut être reconnue au-dehors avant que ne soit instituée pour le moins l'égalité absolue. Vie cachée, à demi-clandestine, seulement partagée dans l'amitié, non exempte certes d'une juste et nécessaire schizophrénie, dont il n'est bien entendu pas question de guérir d'autre façon que par la révolution. Il n 'y a évidemment plus de place ici pour la mauvaise conscience. Ni même pour une conscience malheureuse. La vie objectivement malheureuse de l'idée, le malheur de l'idée, l'idée prolétaire - comment cela conduirait-il à une mauvaise conscience ? ou, sauf accident mélancolique, à intérioriser le malheur? cela conduit à chercher une libération. La mauvaise conscience est le complément malheureux des pensées triomphantes, heureuses, qui se nomment elles-mêmes « créatrices », et vivent la contradiction. Mais pas plus que la condition ouvrière, le malheur de la pensée n'est une contradiction.

Rôle de l'intellectuel Un phénomène original de révolution culturelle, rendu manifeste par mai, est en cours dans nos so· ciétés. Ce profond mouvement qui bouscule toutes les habitudes mentales a déjà fait perdre à la classe dominante une grande part de son pouvoir idéologique : les idées dominantes de l'époque ne sont plus les siennes, mais les nôtres. En ce sens nous vivons déjà sous un ancien régime, dont la législation est toujours en place, mais dont l'apparence de légalité même a disparu. Il est clair que le plus urgent (sauf imprévu) est de précipiter la défaite idéologique de la bourgeoisie. Elle n'en sera pas vaincue pour autant, mais réduite au moins à se défendre à découvert. Mieux armés qu'aucune autre couche de la société pour le faire, c'est aux intellectuels que revient la tâche d'abattre le décor, en sorte que place nette soit faite au véritable facteur historique : la


de la mauvaise conscience lutte de classes. C'est là l'œuvre de la pensée théorique. Son sens est de préparer intellectuellement à la guerre civile si la résistance de la classe qui opprime oblige à la guerre civile. Pour être en mesure de jouer ce rôle, l'intellectuel n'a pas à se chercher d'abord quelque justification extérieure ou morale que ce soit. Il Servir le peuple D, il y a encore dans cet engagement dont la noblesse est certaine un mouvement qui place à part du peuple. Il lui suffit de ne pas se nier l'oppression qu'il subit, et qui, littéralement, ne ferait-il que parler, lui dérobe sa parole. TI s'agit alors pour lui de se libérer, lui : la pensée à laquelle il s'identifie. En ce sens la révolution est l'affaire des intellectuels autant et plus que celle des travailleurs. TI y a même dans l'exigence théorique quelque chose d'irréductible qui n'appartient pas naturellement à la condition prolétarienne (voir Prague à ses débuts) : d'où vient qu'une défaillance théorique est trahison, ce que ne peut être l'inertie des masses, l'absence du peuple. Tout ouvriérisme, tout populisme sont encore des erreurs nées des fermentations de la mauvaise conscience. Et soit dit contre toute confusion: il n'y a pas d'ouvriérisme dans notre volonté d'instituer un pouvoir ouvrier. Le communisme passant par l'abolition de la division bourgeoise du travail, et quelque minoritaire que soit appelée à devenir la classe ouvrière" tant qu'il existera un travailleur manuel, c'est la classe ouvrière, c'est ce travailleur qui décidera de toute l'organisation de la société. C'est en ce sens et uniquement en ce sens (qui est aussi tout le sens du matérialisme révolutionnaire) que nous avons Il besoin des masses D. Non pour Il apprendre », mais pour nous libérer, pour que soit admis ce que nous savons déjà, ce que nous vivons en pensée. Pour conclure : l'intellectuel clas. sique doit certes se supprimer comme tel. Mais il ne peut éviter de le faire vainement, mystiquement ou servilement, et par suite révocablement, qu'en agissant à l'inverse de ce. que lui indique la mauvaise conscience : en affirmant l'autorité intellectuelle de l'exigence révolutionnaire, autorité sans pouvoir, exigence anonyme qui fait de celui qui l'a conçue l'égal du dernier des hommes, sans qu'un fi: renoncement D intellectuel y soit nécessaire.

Mai aujourd'hui Venons-en à mai 1968. Pour Sartre il n'y avait rien avant mai. Les intellectuels qui ont participé au mouvement n'ont vu - vainement - en mai qu'une occasion de réaliser des idées qu'ils avaient « avant D. Pour Pingaud, mai ne fut qu'un moment avant et après lequel les mêmes problèmes exactement se posent, et la fidélité à mai est impossible. Il est vrai que nous ne sommes pas nés en mai (sont nés en mai ceux qui étaient en âge ou en état de naître, et c'est sans importance: ce qui donne sa jeunesse à la jeunesse même, c'est la mise en doute de tout ce qui se présente comme vrai, dans tous les ordres, et il ne nous est pas donné d'en finir avec cette manière d'être). En mai, disons-le en pensant à demain, non à hier, nous sommes devenus des mi· litants et avons tenté alors, avec beaucoup d'autres, et selon nos moyens, de favoriser l'apparition de formes insurrectionnelles dans le mouvement; il s'agissait de pousser les choses le plus loin possible dans le sens de l'exemplarité. Quant à y voir l'occasion de « réaliser nos idées D, s'il n'en fut rien, c'est d'abord que nous avons presque toujours été conscients que le mouvement n'en serait pas capable. Mais surtout, il ne s'agissait vraiment pas de cela. (Et il ne s'agira sans doute jamais de cela. Dans aucune hypothèse, peut-être, ces idées ne sont de celles que l'on « réalise D, mais bien plutôt de celles que l'on peut seulement mettre en branle : un commencement... Mais cela relève d'une autre réflexion.) La fidélité à mai ne s'en impose pas moins, pour la simple raison que le travail de métamorphose alors amorcé se poursuit. Elle est donc moins fidélité que présence. « Rien n'est comme avant D et « tout est comme avant» sont deux illusions. On peut bien dire que, philosophiquement, mai n'a rien apporté de nouveau. Aucune idée, aucun concept politique inédit n'en sont sortis, notre outillage conceptuel n'a pas changé, nos « idées » sont les mêmes. Sartre a donc tort. Mais Pingaud, qui lui donne tort, infiniment plus. Car, historiquement, la nouveauté de mai est inépuisable. Ces « idées» (c'est-à-dire des rêves, des désirs, des besoins conceptualisés), l'événement est venu leur redonner une actualité, les remettre en vigueur comme jamais

La Quinzaine UttâaIre, du 1er au 15 décembre 1970

(leur redonner vigueur de besoins, de désirs ...). Cette aggravation historique des idées, heureusement constante, est ce qui tire du désespoir philosophique. Il en est ainsi : l'histoire fournit des moments où s'abolit cette patience qui faisait prendre le mal en patience (ce n'est pas que le mal n'était pas pensé comme mal avant cela). Quant à « l'échec » de mai qui serait dû à son radicalisme, à son refus de l'organisation (cf. Pingaud), il faut redire ceci : en raison même de ce radicalisme, un futur éloigné, ce qu'il ne sera question de « réaliser » à l'échelle de toute la société, que beaucoup plus tard, a été là préfiguré, en un moment post-révolutionnaire qui transforma l'idée en quelque chose de vécu, l'événement prenant valeur d'exacte prophétie. Non pas souvenir donc - et l'immense plaisir que ce fut (nous avons été réalistes, avons demandé l'impossible et l'avons obtenu) compte pour peu de chose auprès de ce qui en fut l'inappréciable importance actuelle. Mieux que n'eût pu faire aucune réflexion optimiste, mai nous a appris à quoi peuvent direc-

tement conduire les désirs latents de tous s'ils viennent à se mallÜester - au refus de toute autorité, de tout ordre moral, de toute hiérarchie, de toute délégation de pouvoir et de toute organisation en effet bref. combien la fleur libertaire qui se prépare au cœur de l'idée communiste était plus près de montrer ses couleurs que nous ne l'imaginions. Dans la lumière qui s'est faite alors s'est dissoute la puissance d'intimidation que l'Organisation prétendument dépositaire de l'idée révolutionnaire (et qui continue d'immobiliser les plus grandes masses) faisait peser sur les esprits. C'est déjà beaucoup. Il serait trop triste de voir les intellectuels pressés par les fantasmes de la mauvaise conscience perdre à nouveau de vue que la pensée théorique révolutionnaire est l'instance suprême et qu'ils en ont la charge, et réintégrer complaisamment les idéologies d'intimida· tion où ils ont été longtemps séquestrés, laissant la théorie faire sans eux son chemin de taupe aveugle dans le monde. Dionys Mascolo

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SCIENCES

Jacques Monod: par Jean Choay des séquences nucléotidiques aux sétoujours fortuite car imprévisible, quences peptidiques a nécessité la et parfaitement nécessaire car elle création d'un nombre important de est la conséquence du second prinnotions relatives soit à la structure cipe de la thermodynamique. La même du materiel génétique (gène nécessité physico-chimique est donc régulateur, segment opérateur, segla grande loi du règne vivant que ment promoteur, opéron, codon) des coups de dés en nombre infini Le hasard et la nécessité, essai sur soit à la régulation de la transmiscréent de façon continue. la philosophie naturelle de la biolo- sion (répresseur), soit à la traducgie moderne, est, en fait, l'histoire tion elle-même (messager, code géde deux révolutions : l'une aiguë nétique). Cette machinerie se reUne réponse et décisive, dans le domaine de la trouve, monotone, dans toutes les affirmative biologie, l'autre plus indécise, au cellules de tous les vivants et l'on peut constater l'identité de leur « Royaume» des idées. La première révolution dont J ac- type de molécules informationnelles, Le système de la biologie molécuques Monod fut l'un des principaux l'universalité. du code génétique laire a été construit à partir de artisans, et dont il décrit superbe- comme ]a siniilitude de leurs granl'étude de la structure et du foncment les conquêtes, les principes et des voies métaboliques. tionnement des organismes, partiCes résultats n'ont pas manqué culièrement des plus simples d'entre les objectifs, a transformé la biologie en une science constituée, déjà de soulever de profondes dificultés eux, les virus et les bactéries. Ces en partie théorique, à laquelle la d'interprétation; pour les lever concepts, articulations et règles sontqualification de moléculaire peut Jacques Monod, ainsi que d'autres ils extensibles à l'ensemble des phélégitimement être attribuée. Mais biologistes moléculaires proposent nomènes de la biosphère, l'évolution cette qualification montre aussi à deux principes fondamentaux, véri- des espèces et l'émergence du cerquel point l'autonomi~, peut-être tables règles du système, on peut les veau humain en particulier? J acmême l'existence de la biologie est énoncer de la façon suivante : les ques Monod répond de façon absolumenacée par les sciences de la molé- phénomènes biologiques sont réduc- ment affirmative à cette question : tibles aux lois de la physico-chimie, l'évolution est causée par des modicule, la physique et la chimie. donc régis par leur nécessité, ils ne fications chimiques du génome, ces sont cependant pas déductibles de modifications sont fortuites et elles ces lois car seul le hasard les a sont la conséquence de l'instabilité L'événement initial créés. Ainsi l'apparition des vivants thermodynamique moléculaire. dans l'univers, loin d'être nécessaiPour parvenir à une théorie de L'événement initial fut la décou- re, est fortuite, fortuite également l'évolution, il doit introduire une verte, par Mendel, de la nature de leur constitution chimique et leurs nouvelle règle : c'est la sélection l'invariant biologique, le matériel propriétés. On peut penser que naturelle qui choisit parmi les génétique. Le système de la biologie d'autres molécules informationnel- structures apparues. En effet les moléculaire s'est formé en analy- les, d'autres systèmes énergétiques modifications du matériel génétisant le fonctionnement cellulaire à ou d'autres - codes génétiques au- que provoquent des changements de partir des caractéristiques physico- raient pu exister. On peut imaginer performance ou de téléonomie ; sont des « vies» à nombre de molécules seules retenues les performances chimiques de cet invariant. Rappelons-les brièvement. Chimi- essentielles plus bas ou plus élevé. les plus efficaces face au monde quement, il est composé d'une ma- Mais l'imagination ne doit pas se physique et biologique. Jacques Mocromolécule, l'acide désoxyribonu- débrider car tout système créé par nod réalise la fusion de la biologie cléique, constitué par une séquence le hasard ne peut fonctionner que moléculaire et de la théorie darwide nucléotides dont les résidus de s'il en est physico-chimiquement nienne ; on assiste à la naissance de base sont de quatre types. Physique- capable. La nécessité reprend ses la théorie darwinienne moléculaire ment, deux de ces séquences com- droits imprescriptibles. de l'évolution. plémentaires sont associées en un Dans cette théorie toute téléonocomplexe bi-hélicoïdal non covalent; mie préétablie est exclue ; on conssouvent dénommé double hélice. tate naturellement au cours de l'évoLa propriété Biochimiquement cette double sélution une amélioration des perforla plus spectaculaire quence est hautement signifiante, mances et l'apparition de formes de puisque l'ordre de succession des réplus en plus complexes et autonoLa propriété la plus spectaculaire mes, toutefois ce « progrès» n'est sidus nucléotidiques est le support de l'information génétique. Elle est des organismes vivants, leur fina- qu'une conséquence de mutations capable; lors de la division cellulai- lité, nommée par Jacques Monod fortuites sélectionnées. L'émergence re . de se reproduire, identique à téléonomie afin d'échapper à la des structures est toujours préalaelle-même: c'est le phénomène dé- connotation liée à cette notion, ne ble à leur téléonomie. Ainsi l'évolunommé réolication. Par ailleurs elle constitue bien entendu pas une ex- tion des espèces, loin de constituer programme l'ensemble des réactions ception à cette règle, on en trouve une exception au principe de Clauchimiques de la cellule; elle est déjà la trace au niveau moléculaire. sius en devient une manifestation donc capable de transmettre, sous La téléonomie de l'organisme est la puisque l'instabilité de l'invariant forme d'ordres, certaines des infor- résultante de tous les systèmes parti- est à l'origine des organismes que mations qu'elle détient : c'est le culiers qui le constituent, comme leurs performances destinent à la phénomène dénoIIimé traduction. eux elle est la fille du hasard et de sélection. L'étude de cette traduction, en réa- la nécessité. L'instable stabilité du L'apparition de la structure la lité transmission, de l'information matériel génétique est ~galement plus complexe de la biosphère, le Jacques Monod Le hasard et la nécessité Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne Le Seuil éd., 224 p.

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cerveau humain, n'échappe pas à ce mécanisme. Sa performance majeure est la simulation, c'est-à·dire le déploiement rationnel de l'imaginaire. Sa dimension propre est l'expérience langagière dont les travaux actuels des linguistes ont également montré le caractère fortuit. Le langage a créé le monde humain en permettant une autre évolution, idéelle cette fois. Jacques Monod suggère d'ailleurs l'intérêt qu'aurait l'application de règles de sélection à l'histoire des idées. L'apparition des concepts et des énoncés de la biologie moléculaire était déjà d'un grand intérêt. Leur insertion dans une théorie générale darwinienne moléculaire est un événement épistémologique de première grandeur. La fin de la biologie se doit d'engendrer de profondes hypothèses. François Jacob a démontré avec une extrême précision les mécanismes de recherche qui ont abouti à un tel événement. La lecture de l'histoire de la biologie par Jacques Monod met en évidence trois grandes coupures : Mendel découvre le véritable invariant biologique, l'hérédité; Darwin, le véritable fondement de l'évolution, la sélection naturelle ; Avery, Watson et Crick donnent à la biologie moléculaire son essor décisif.

D'un très grand intérêt La théorie proposée par Jacques Monod est d'un très grand intérêt car sa force de synthèse et sa violence polémique sont telles qu'elle ne peut qu'être génératrice d'expériences destinées à l'infirmer ou à la confirmer, en particulier dans un domaine où le savoir biochimique est encore insuffisamment avancé, la connaissance même du matériel génétique. Si paradoxal que ce puisse être la structure de ses enchaînements nucléotidiques est peu élucidée, faute de méthode appropriée. La cartographie comparée des enchaînements peptidiques d'espèces voisines est loin d'être suffisante. Par ailleurs des enzymes aux curieuses propriétés, capables de remonter l'information génétique d'un acide ribonucléique à un acide désoxyribonucléique semblent avoir été détectées. Peut-être permettrontils d'éclairer le mécanisme de certains changements de génome. Tout un univers de fusion, de fragmentation, de délétion, s'ouvre, et cette


n'est qu'un accident il n'est plus inséré dans un réseau de déterminations qui rendait sa présence déductible ; non seulement il est inutile, mais plus grave encore il n'est qu'un accident. De plus cet accident n'est pas contraire aux lois de la physique et de la chimie. Cette révolution suppose l'éradi· cation d'une illusion fondamentale, que nous appellerions volontiers anthropotélique, et qui consiste à fai-

tulat d'objectivité, cette éthique permettant seule l'accès au «Royaume » des idées. Son «Essai» provoquera maintes polémiques, certaines inutiles : les chrétiens ont toujours un « quia absurdum » possible. Les marxistes ont la possibilité de « lire » Jacques Monod et d'y découvrir un matérialisme qui, pour être mécaniste, n'en est pas moins rigoureux. Ils pour-

Jacques Monod nous rappelle que l'homme est enfoui dans deux systèmes d'information, le matériel génétique et le langage. Cette présence du langage empêche de ressentir l'effroi de la solitude.

re de l'homme et de son esprit la fin de l'univers. Elle témoigne d'une incapacité à assumer la disparition du géocentrisme. Depuis le XIX· siècle cette illusion accapare la notion d'évolution pour tenter de retrouver la quiétude de l'état précopernicien.

Une proie facile

théorie oblige les chercheurs à s'y précipiter. Divers niveaux expérimentaux sont envisageables : com· prendre la chimie de l'évolution, la reconstruire par simulation, enfin si cela est concevable la réaliser artificiellement. Les travaux à venir parviendront peut-être à déterminer la probabilité de l'improbable. Mais que l'on ne s'y trompe pas, tout retour en arrière est désormais impossible. Ce nouveau système a exorcisé les ombres qui planaient séculairement sur la théorie biologique. En effet, les notions de force vitale, entéléchie, orthogénèse, dépassement, venues de tous les secteurs idéologiques, religieux ou progressistes, ont toujours supposé une organisation latente préalable à l'émergence des structures. En les éliIillnant et en mettant en question

la diffuse notion de « vie » la biologie moléculaire a transformé la biologie en une science comme les autres. Mais le coût de cette transformation est élevé car, la biologie concerne tous les vivants, donc également l'homme lui-même. De plus nombre de nos idées politiques, religieuses, philosophiques, sont pénétrées d'éléments mal contrôlés provenant d'idées vitalistes pré-scientifiques. L'avènement d'une nouvelle biologie, évanescente et pure, a pOur J. Monod, un corollaire nécessaire, l'avènement d'une philosophie naturelle, origine d'une véritable révolution intellectuelle. En effet le temps est venu de mettre radicalement en question la place de l'hoDllJle dans l'univers. L'homme non seulement n'est plus le centre du monde, mais

La Quinzaine littéraire, du 1er: au 15 décembre 1970

Les religions sont bien entendu une proie facile pour la « nouvelle critique» de J. Monod. Les croyants devront se convaincre qu'il est inutile et vain de chercher la trace de Dieu dans les brins de la double hélice. Les systèmes post-hégéliens de Marx et de Engels ne sont pas da· vantage épargnés. Leur projet n'était pourtant pas de lier l'homme à de vieux rites ou d'anciennes paroles. Il visait au contraire à le libérer, des contraintes qui ont rejeté une partie de l'humanité hors du monde humain. Mais ce projet, par la médiation de la dialectique de la nature, n'a pas résisté à faire de l'homme la finalité de l'univers. Les conséquences de ce glissement sont lourdes, et le refus par Lyssenko de l'invariant génétique est riche de connotations galiléennes. Nous ajouterions que le renouveau d'intérêt pour le Engels de la dialectique de la nature est significatif. Pour assumer cette nouvelle conception, philosophique et naturelle, de l'homme dans l'univers, Jacques Monod propose une éthique de la connaissance basée sur le pos-

ront ensuite dénoncer une nouvelle philosophie non dialectique. Au-delà de ces propos il faut admirer sans réServe cette réussite particulière de Jacques Monod; sa philosophie naturelle, aussi darwi· nienne soit-elle, ne l'a pas conduit à la nécessité d'un discours opératoire, voire performant, il nous rappelle très justement que l'homme est enfoui dans deux systèmes d'information, le matériel génétique et le langage.

Présence du langage Toutefois cette présence du langage et au langage empêche certai· nement de ressentir l'effroi de la solitude. Les hommes sont dans le discours et cherchent le vrai discours. Penser avec Jacques Monod que cette.recherche doit partir d'un postulat n'est-ce pas, au mieux rétablir le point fixe que durant tout un beau livre il a essayé d'écarter, au minimum rétablir une tonalité opératoire qu'il avait paru éviter. La science pour la science qu'il nous présente est-elle déductible ou inductible d'une philosophie naturelie? L'auteur laisse cette interrogation sans réponse. Ce n'est pas par hasard, mais par nécessité que le titre de son livre est tiré des présocratiques, c'est-à-dire du monde des commencements.

Jean C/way

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F. Jacob et la "logique.,., par Jean-Paul Aron

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François Jacob

La logique du vivant Bibl" des sc. humaines Gallimard éd., 354 p.

C'est une leçon d'histoire, et pas .seulement des sciences, que nous donne François Jacob dans la plus éclatante et la plus érudite vue d'ensemble jamais prise sur l'évolution de la biologie. D'emblée, la modernité de sa méthode s'affirme: à la vieille glose idéaliste des progrès de la conscience, il substitue la représentation des étapes du savoir, des accents qui marquent pour chaque époque sa problématique originale, des vérités comme des erreurs qui cernent son profil épistémologique. Il n'est pas question de parcourir à rebours le cheminement de la raison vers son triomphe ultime. Il s'agit de s'installer dans une longue durée, d'y voir converger des concepts apparemment hétérogènes, de définir le système de leurs interactions. Surtout, il importe de mettre en évidence la discontinuité de ces conjonctures, de montrer l'émergence de nouveaux systèmes où d'autres rapports se nouent entre les secteurs particuliers de la scien-ce globale.

Structures d'accueil La découverte en biologie est, telle quelle, toujours précaire. Spallanzani, dès 1785, révèle le rôle de la liqueur séminale du mâle dans la fécondation de l'œuf de grenouille. En 1824, Prévost et Dumas affinent l'expérience de Spallanzani et démontrent une fois pour toutes la fonction des « animalcules », des « zoospermes» de la fécondation. Il faut pourtant attendre 1875 pour que celle-ci soit, par Richard Hertwig, analysée dans sa contexture proprement scientifique. Ce n'est pas seulement l'usage inédit d'un matériel commode (l'œuf d'oursin) ou l'élucidation de phénomènes inconnus (la fusion des deux noyaux parentaux) qui constituent i'apport d'Hertwig à la biologie cellulaire, mais sa relation spécifique à- une pensée ambiante, à un réseau d'écoutes et d'échos. Sans doute la part du créateur, pour autant, n'estelle pas négligeable : Bütshli et

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Auerbach avaient, les années précédentes, décrit des faits très proches sans en percevoir le sens. Toutefois l'œuvre d'Hertwig n'est rendue possible que par son temps, seul

sible, au XVI~ siècle enchevêtrée avec le monde inanimé, avec la nature et les chimères, en un système qui enveloppe innocemment le fantasme et le réel : « Le médecin, dit

L'apparition d'organisations supérieures intègre dans la nature vivante des composantes que la génétique des bactéries n'explique pas: avec le sexe, avec la naissance et la mort, la vie a fait des bonds dont aucune fl logique ft n'est parvenue jusqu'ici à rendre compte. Avec l'homme et son histoire, il s'agit d'une autre affaire encore.

armé pour prendre en charge des données qui s'étaient déployées sans horizon autour de Prévost et Dumas. C'est que le temps d'Hertwig est aussi celui de Flemming, de Boveri, de Van Beneden qui, de 1879 à 1887, expliquèrent la division chromatique, dans les cellules somatiques et dans les cellules germinales ; c'est qu'il succède à peine à celui de Claude Bernard par qui l'expérimentation s'est imposée en biologie non pas telle une technique, au demeurant connue de longue date, mais comme une modalité de la recherche, une démarche inhérente à son objet et indissoluble des concepts.

Poupées russes Suivons à présent dans StiS rythmes h<lurtés l'aventure de l'hérédité. De la Renaissance à nos jours, on la voit changer de dimension, de formes, de perspective. A chaque tranche historique correspond une figure du savoir : un espace qui, de proche en proche, se creuse, s'approfondit, du visible au moins visible, jusqu'aux régions d'abord construites par la pensée, faute d'apparaître" aussitôt à l'expérience sensible. Si bien que l'histoire de la biologie ressemble à un jeu de poupées russes emboîtées les unes dans les autres. Derrière chaque organisation s'en dissimule une autre : « Au-delà de chaque structure accessible à l'analyse finit par se

révéler une nouvelle structure, d'ordre supérieur qui intègre la première et lui confère ses propriétés. » Première figure, la structure vi-

Paracelse, doit savoir ce qui est utile et nuisible aux créatures insensibles, aux monstres marins et aux poissons, ce qu'aiment et ce que détestent les animaux privés de raison, ce qui leur est sain et maLsain. V oici sa culture concernant la nature. Et encore? Les pouvoirs des formules magiques, leur origine et leur source, leur nature : qui est Mélusine, qui est Sirène... » L'âge classique commence à mettre de l'ordre dans ce visible, débarrassant les vivants de leur chape d'analogies et de similitudes afin de les résoudre dans leurs lignes et leurs surfaces apparentes. D'où plusieurs avenues de la science de la vie, parfois opposées et cependant convergentes dans la constitution du système : au XVIIe siècle, le mécanisme, la machinerie des poulies, des leviers, des essieus qui composent l'économie vitale; au XVIIIe, l'animisme, son contraire, l'activité mlelligente et bienveillante, impalpable et inssaisissable, ne se révélant à l'œil nu que par ses productions merveilleuses : la ruche des abeilles, la géométrie de ses alvéoles... Ce système se donne les matériaux de sa cohérence : une classification, des espèces aux \raits ·bien saillants permettant d'inventorier la vie sans rien laisser au hasard ou à l'ignorance; une « embryologie D qui va chercher dans l'infiniment petit, dans l'invisible absolu la certitude d'une visibilité future : c'est la préformation, la théorie du germe, miniaturisation de la forme accomplie, portant en soi les germes de sa descendance. Miniatures de miniatures, quelle taille avaient donc les germes du premier homme

et de la première femme ? Quel est le véhicule de cette filiation fabuleuse? L'œuf? La semence du mâle ? Il y a des ovistes et des animalculistes, il y a ceux qui croient que les germes sont disséminés primitivement dans l'univers et ceux qui tranchent pour leur emboîte-ment à l'intérieur des corps vivants. Mais ces disputes ne concernent que l'accessoire. Le principe est irrécusable; il répond à l'exigence fondamentale du système : le décryptage de la vie. Or voici qu'au milieu du XVIIIe siècle, quand on n'a pas fini encore de s'invectiver sur l'origine des germes, des ombres se glissent sous cette belle ordonnance. Des questions filtrent qui bientôt se transforment en problème et modifient l'espace de la connaissance : on va lui conférer une épaisseur et découvrir derrière le visible les processus de la vie. C'est la seconde figure : l'organisation.

Le savoir à présent procède d'une double impatience: d'atteindre les structures fines des corps vivants : le tissu, puis la cellule ; de trouver à cette unité morcelée un principe d'unité. Le vitalisme, souligne Jacob, se pose de ce fait contre l'animisme. Celui-ci venait relayer le mécanisme en lui empruntant ses sous-entendus ; celui-là marque l'irréductibilité du vivant à la matière. Il vient par conséquent appuyer l'analyse qui accède aux profondeurs de l'organisation, non pour l'identifier à la nature inorganique mais pour lui arracher ses secrets spécifiques.

Dès avant 1830, l'organisation, unité du multiple, éclate dans sa définition statique. L'espace ne saurait plus suffire à en exprimer l'authentique complexité. Celle-ci, indique Lamarck, se réalise à travers le temps. La géologie du XIXe siècle apporte à la biologie une contribution décisive : la terre a ses âges propres recoupant ceux de la vie. A Darwin il appartenait, souverainement, de débrider le temps biologique, de le livrer à son impulsion irrésistible, d'abolir toute limite à son pouvoir de transformation. Cette mutation de paramètre était nécessaire à l'instauration de la troisième figure du savoir : le gène, ambigu, facteur de la stabilité héréditaire et de la variation. La pensée


. du vivant ~

fait ici un saut périlleux : le rapport n'est plus du caché au visible, car ce qui est caché n'est que provisoirement ou artificiellement dérobé à l'observation directe. La structure génétique, de Mendel à Morgan, est hétérogène à tout système apparent. Certes, on peut, sur les chromosomes du noyau, repérer des éléments correspondants au gène. Néanmoins, celui-ci, plus qu'une organisation spatialement définie, est une unité de fonctionnement. Réelle, à travers ses effets. Au cœur même de la structure du gène se construit depuis deux décennies la biologie moléculaire : quatrième figure. En investissant l'espace de la configuration génétique, elle éclaire son fonctionnement. Et l'intégration de cette physiologie et de cette cytologie s'effectue par l'intermédiaire de la physique et de la chimie. Le gène est un long polymère d'acide désoxyribonucléique (A.D.N.) formé de deux chaînes enroulées en hélice, comme l'a montré Watson, l'une autour de l'autre. Cette molécule géante contient le programme de l'hérédité : elle le transmet par des messagers chimiques à des unités protéiques logées dans le cytoplasme : 20 acides aminés qui vont constituer les agents (protéines-enzymes) de toutes les réactions biologiques requises par le programme génétique. Pour instruire ces unités, la structure nucléique utilise un véritable code. Chacune des séquences d'A.D.N. se compose de sous-éléments, les nucléotides qui ne peuvent être que de quatre sortes différentes. Ils s'organisent trois par trois en triplets (ou codons) d'information. Les messagers sont de trois espèces : un messager transcripteur, portant les informations de l'unité nucléique aux granules cytoplasmiques à partir desquels sont fabriqués les protéines-enzymes. De ce texte transcrit, un messager traducteur, chargé à la fois de l'alphabet de l'A.D.N. et de celui des protéines, va collecter les acides aminés : il y a un messager traducteur pour chaque acide aminé. Enfin un messager fabricateur qui adresse aux granules cytoplasmiques le plan de synthèse des protéines. La cellule est une usine de montage où s'édifient, de la bactérie à l'homme, l'ensemble des appareillages produisant, contrôlant et ajustant, à quelque degré de complexité que ce soit, les régulations des organismes vivants.

Constellations épistémologiques L'originalité de l'entreprise de Jacob consiste dans la mise en place, face à chaque figure, de véritables constellations épistémologiques où se rencontrent des problèmes, des recherches, souvent fort éloignés à l'intérieur de la biologie, mais aussi d'autres sciences, d'autres techniques qui ont, directement ou indirectement, influé sur ses développements. Sans doute ces ensembles s'enrichissent-ils au XIX' siècle, après que la biologie se fut constituée en science autonome. Mais déjà, à l'âge classique, les références à la géométrie cartésienne, à la mécanique newtonienne situent la biologie dans une configuration qui la déborde de tous côtés. Vers le milieu du XIX' siècle, cette synthèse interdisciplinaire occupe une part imposante de l'ouvrage : les passages consacrés à la géologie de Lyell, à la chimie de Liebig, à l'analyse statistique de Boltzmann et de Gibbs, et au XX, siècle, à la cybernétique, à l'informatique, à la chimie ou à la physique des polymères font éclater toutes les frontières et rompent définitivement l'isolement de la biologie. Une question se pose alors: où fixer les limites d'une telle constellation? Il s'agissait évidemment pour Jacob d'utiliser ceux des concepts « étrangers» qui étaient intel'Yenus plus ou moins explicitement dans la problématique des êtres vivants. Cependant, au XIX' siècle, les liens de la biologie avec l'économie, la sociologie, la démographie sont évidents et opératoires. Faut·il rappeler, d'autre part, que l'endocrinologie sexuelle qui tint, pendant plus de cinquante ans, une place capitale dans la physiologie générale n'institua son domaine qu'après que Freud eut publié ses premiers travaux sur l'instinct sexuel ? Enfin, à l'ère de la sémiologie, et lors même qu'on n'hésite plus à formuler en termes de linguistique la structure du code génétique, doit-on se taire sur cette relation privilégiée ? Il est à souhaiter que dans le sillage de Jacob le champ de l'histoire des sciences s'ouvre toujours plus largement et qu'elle renonce du même coup à ses dernières pudeurs, au sentiment d'une indiscrétion de l'histoire sociale ou culturelle à son égard. Comment disjoindre l'œuvre de Cuvier,

La Qghmdne UtUnlre, du 1er au 15 décembre 1970

à laquelle F. Jacob attache une signification privilégiée au· début du XIX' siècle, de la création du Museum d'histoire naturelle? La biologie, à l'instar des sciences humaines, est inséparable des institutions peut-être parce qu'il y a entre ces divers visages de l'organisation un peu plus qu'une identité lexicologique.

Ordre et savoir Dans l'introduction, puis à la fin du livre, Jacob éclaire le sens profond du titre : La logique du vivant. C'est une combinatoire, la cohérence des éléments dans un système dont ia grammaire génétique est actuellement le modèle le plus accompli. Mais c'est toute forme d'agencements déchiffrables, quand Jacob écrit que « toute une série de structures biologiques, les polymères, les membranes, les organites répartis dans la cellule ont aussi leur. logique interne» (p. 325). C'est sans doute le principe de tout système, comme « celui qui régit des programmes complexes, le dé· veloppement d'un mammifère par exemple», et qu'on ignore encore (p. 334). C'est donc à l'instauration de telles logiques que tend la vie, et à la reconstitution de leur avènement que s'essaie à son tour l'histoire de la biologie qui s'est élevée,

d'intégrations en intégrations, jusqu'à la biologie moléculai~e, prologue à d'autres intégrations. Ici on ne peut se défendre d'une légère suspicion: Jacob n'introduit-il pas subrepticement une finalité de la raison, ne lui prête-t-il pas une·nouvelle fonction transcendantale : la régulation d'une complexité qu'elle s'est efforcée, dans son évolution, à contrôler et à systématiser peu à peu?

Le sexe et la mort Pourtant, l'omniprésence dans l'univers de systèmes codifiables ne préjuge pas de leur contenu spécifique. L'apparition d'organisations supérieures intègre dans la nature vivante des composantes que la génétique des bactéries n'explique pas : avec le sexe, avec la naissance et la mort, la vie a fait des bonds dont aucuné « logique» n'est parvenue jusqu'ici à rendre compte. Avec l'homme et son histoire, il s'agit d'une autre affaire encore. Jacob n'exclut pas que les systèmes ainsi échafaudés ne soient déchiffrables en d'autres langues mais la lecture biologique en est impossible car le texte du code n'est pas, en l'homme, réductible aux textes déjà décryptés. C'est sur cette constatation, et j'avoue m'en réjouir, que se ferme ce livre majeur.

lean-Paul Aron

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Hélène WoIfromm et l·a sexualité féminine

1

Hélène Michel W olfromm

Cette chose-là

Grasset éd., 392 p.

Parce qu'elle était genereuse de son temps, débordante de vie, et s'in· téressait passionnément aux gens, le Docteur Hélène Michel-Wolfromm ne s'est pas contentée de soigner ses clientes, elle a voulu les comprendre, ce qui lui a permis souvent de les guérir... Morte à cinquante-cinq ans en avril 1969, d'un cancer du poumon, Hélène W 01· fromm laisse un des meilleurs livres qui ait été écrit en France sur la sexualité féminine. Elle a créé en médecine une nouvelle spécialité : la gynécologie psychosomatique, qu'elle a enseignée à de nombreux élèves. Elle a été, avec le Dr Lagroua WeiH-Hallé, une des pionnières du planning familial. Ses malades l'adoraient, et son bureau était tapissé de photos de bébés que lui envoyaient les femmes qu'elle avait guéries de leur stérilité. Ses nombreux amis, écrivains, médecins, psychanalystes gardent d'elle le souvenir d'une personnalité exceptionnelle. Très douée pour les études, travailleuse, Hélène passa facilement l'externat et fut interne à vingttrois ans. Elle aurait pu faire une carrière officielle. A cette époque elle rencontra François Michel, beaucoup plus âgé qu'elle, banquier, riche, intelligent, plein d'esprit. Rompant avec sa famille et son éducation puritaine, Hélène épousa François Michel qui fut, jusqu'à la fin de sa vie, son grand amour... Son mari ne voulait pas d'une femme dévorée par son métier, elle ne se présenta pas à l'oral du concours d'assistanat des hôpitaux. François Michel, Israélite, dut se réfugier en zone libre en 1940 et gagna l'Algérie. Hélène le suivit à Alger où elle s'engagea comme médecin sous-lieutenant de l'Armée de l'Air et des Forces combattantes. Après la guerre, elle revint à Paris, et commença à exercer. Est-ce sa rencontre avec Jacques Lacan pendant les années 50, ou cet élan chaleureux qui toujours l'avait portée vers autrui? Très vite Hélène Michel·W olfromm choisit de pratiquer 'une médecine que l'on appelle maintenant psychosomatique. « Mais à cette époque », explique "son frère, René Wolfromm, Professeur à la Faculté de Médecine, « la

médecine française classique était

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contre la psychanalyse. Elle a pris un chemin très novateur. Les milieux officiels lui étaient hostiles ou bien ne la prenaient pas au séneux. » Amie et collaboratrice d'Hélène Wolfromm depuis 1955, le Dr Gilberte Steg, qui assistait à toutes ses consultations à l'hôpital Broca, raconte : « Elle disait qu'elle servait

de « poubelle ». Les médecins lui envoyaient toutes les femmes qui ne guérissaient pas ou ne voulaient pas guérir. Elle les examinait très sérieusement, son temps n'était pas limité. Elle les laissait parler jusqu'à ce que leur problème apparût. Elle les revoyait plusieurs fois. Elle était toujours disponible. Elle s'est intéressée tout de suite à la personnalité totale des malades. Elle a démontré que les gens qui venaient consulter pour une maladie, venaient pour autre chose. La maladie n'était qu'un prétexte, un appel au secours. Elle faisait du Balint avant l'heure. Elle a d'ailleurs connu Balint par la suite et ils se sont beaucoup appréciés... » « Hélène Wolfromm avait une vitalité et une puissance de travail considérables, et elle savait aussi jouir de l'existence et de tout ce qu'elle pouvait apporter », dit d'elle son amie Marianne Basch, gynécologue. François-Régis Bastide qui la connaissait bien la décrit amsi : « C'est une Sagittaire, fantastique-

ment passionnée, ardente, détestant les demi-mesures et l'éau tiède. Elle ne passait pas une seconde à rêver, et travaillait tout le temps. Dans son moulin à Tachainville, près de Chartres, où elle passait tous ses week-ends avec son mari et des amis, elle entraînait tout le monde dans d'incessantes activités. Le matin, elle jouait au tennis, ensuite

elle tapait un chapitre de son livre à la machine, puis on jouait au portrait chinois, à la charade, ou on se baignait dans l'eau glacée de l'Eure. C'était un personnage fiévreux, jamais détendu, à moteur. Elle avait une énergie incroyable, un courage énorme... » Elle fumait beaucoup, buvait beaucoup, parlait beaucoup. Elle donnait beaucoup aux autres et leur prenait beaucoup. C'était un personnage excessif. Pourtant, elle savait écouter ses malades pendant des heures, même si elle ne résistait pas, ensuite, à l'envie de leur parler d'elle. « C'était une psychothérapie efficace en fin de compte. Elle avait l'air de dire : « finalement on est toutes pareilles. » Les femmes qu'elle soignait ne voulaient pas aller voir un psychanalyste. Elles avaient besoin d'une explication et d'un modèle... Elle savait écouter et d'autre part se proposer. Sur le plan de la psychothérapie médicale quotidienne, elle apportait quelque chose de positif. Le fait d'être trop excitée, trop bavarde, de s'exposer trop avait quelque chose d'utile, son agitation rassurait beaucoup de gens » dit le Docteur Serge Lebovici, psychanalyste. Ayant constaté que les deux tiers de ses patientes venaient consulter pour frigidité, Hélène W olfromm s'étonne de « l'inaptitude au plaisir de notre civilisation », et tente de définir dans son livre, ce « nouveau mal du siècle» en se basant sur l'observation de 1 656 cas. Selon elle, les femmes frigides appartiennent le plus souvent à la pe. tite bourgeoisie. Une sur quatre travaille dans :un bureau. Elles renoncent à leur métier plus souvent que' les autres. La plupart ont une légère tendance à l'homosexualité et semblent plus attachées à leur mère qu'à leur père. Leurs partenaires sont en majorité des techniciens. Elles ont eu une éducation sexuelle désastreuse ou nulle. Ignorantes de leur anatomie, habitées par la peur et l'angoisse, « neuf femmes frigides sur dix ont reçu une éducation sexuelle déplorable » affirme Hélène W olfromm. Il y a les pères qui imposent des interdits très stricts, mais susurrent à leurs filles des conseils libertins très détaillés ; il y a les parents exhibitionnistes qui se promènent nus devant leurs enfants; il Y a les mères bien intentionnées qui croient tout résoudre en faisant à leur fille un petit cours de sexologie poétique... Hélène W olfromm raconte

comment la mère de Béatrice, lui a tout expliqué lorsqu'elle eut douze ans : « Tu as dans le ventre une oran-

ge creuse qui contiendra un jour un enfant. C'est l'utérus. Il est attaché aux deux ovaires par deux canaux, deux espèces de macaronis terminés par une main. Ce sont les trompes. L'ovaire est une amande qui chaque mois pond une perle. Quand la femme embrasse un homme de très près, la perle rencontre un petit têtard et ça fait un enfant. » Plus qu'une véritable éducation sexuelle, Hélène W olfromm propose aux parents de créer un climat favorisant la sexualité : « Entourer les enfants d'une tendresse sensuelle, leur inspirer le goût des baisers, des caresses, du contact de .la peau, me paraît la seule pédagogie effi· cace » écrit-elle. Bien qu'elle se soit insurgée très tôt contre la loi de 1920 « qui confond avortement et contraception », et qu'elle ait aidé ses malades à prendre des mesures contraceptives, dix ans avant la fondation du Planning familial, Hélène W 01fromm pense qu'il faudra plusieurs générations pour que les femmes acceptent d'être libérées par la contraception. « L'espacement des naissances

n'est qu'une mesure d'hygiène. Trop rationnelle, elle ressemble à la diététique : la contraception est à l'amour ce que le régime est à l'art culinaire. La contraceptio11l est une politique à trop long terme. Elle aggrave les troubles sexuels autant qu'elle les améliore. Exercer une bonne contraception n'est pas signe d'équilibre psychique comme je le croyais autrefois. D'affreuses obsédées apportent des courbes de tem· pérature impeccables, n'oublient jamais diaphragmes ni pilules. De charmantes filles, brillantes de fantaisie, commettent hélas! quelques négligences. Mais le contrôle des naissances permet aux femmes une prise de conscience de leur réel désir de maternité », écrit-elle. Contraception, éducation sexuel· le, plaisir, amour, mariage. Tous ces mots recouvrent une réalité complexe. Le grand mérite du livre d'Hélène Michel-Wolfromm est de nous révéler comment ces notions maniées si souvent de façon abstraite par les législateurs, les moralistes, les médecins et les « spécialistes », sont vécues de l'intérieur par les femmes.

Anne-Marie de Vilaine


HISTOIRE

Mort de la 1

William L. Shirer La chute de la Ille République Stock éd., 1 047 p.

«V oyons, mes enfants, il y a des canons, du matériel, reprenez la lutte! - Mon colonel, on veut rentrer chez nous pour reprendre notre petit boulot. Ce n'est pas la peine d'essayer: il n'y a rien à faire! On est perdu! On est trahi! »... Quand le « brave colonel Costal » reçoit cette réponse de ses « enfants », non loin de Sedan, le 14 mai 1940, les blindés nazis franchissent la Meuse sans rencontrer de résistance. On attendait l'ennemi à l'Ouest (comme en 1914), mais Guderian lance ses chars vers la Manche par les Ardennes : il redoute une contre-attaque. La plus forte armée du monde s'effondre comme un château de cartes. Quand une armée s'effondre de cette sorte, c'est qu'un régime politique et social se disloque avec lui. Clausewitz l'a dit voici bien des années. William Shirer entreprend donc en-deçà de l'histoire de la défaite de 1940 l'analyse de la Ille République. Shirer est un journaliste améri· cain venu très jeune en France, comme ces autres intellectuels américains qui s'appelaient Herningay, Miller, ses aînés. Le pays le touche, il y reste vingt ans. Peu de temps avant la guerre, il part com· me correspondant, pour Berlin. De près il suivra l'évolution du Reich hitlérien, accèdera aux archives après la défaite et tirera de son expérience un livre devenu classique (du moins pour quelques années) : l'Ascension et la chute du Ille Reich (1). Retenons ces titres : Chute du Ille Reich, Chute de la Ille République. Optique profondément enracinée depuis la guerre dans le « nouveau monde 1) : les grands empires s'effondrent (ajoutons-y le Japon) et les U.S.A. prennent en charge le destin moral de l'humanité. Shïrer n'est pas un moraliste. Il dédaigne l'impérialisme. Il constate simplement - et tente de compren· dre comment la Ille République qui a pu gagner la guerre de 1914 glisse lentement vers la désagrégation de 1940. Son analyse n'a pas toujours la vigueur qu'on trouvait dans son étu· de sur le Reich hitlérien. L'apparition de Hitler, l'effondrement des (lIasses «libérales» et des partis

révolutionnaires était ici limités dans le temps, gangrène ou pustule sur l'histoire de l'Allemagne; l'effondrement français remonte plus avant et il met en cause la vie sociale de ce pays depuis le Second Empire. On serait tenté de dire que ce régime ne s'est jamais relevé de l'écrasement de la Commune, qu'il paie en 40 les crimes de M. Thiers, que sa vie apparemment ordonnée n'a été qu'une succession de compromis. La vie de la République relève ici davantage de la sociologie que de l'histoire. La première partie de son .livre est la moins fmte : on y évoque l'affaire Dreyfus, le scandale de Panama, les contractions d'énergie de 14 mais ce sont des événements, des anecdotes : la réalité est ailleurs, dans les profondeurs non analysées de la société d'un pays qui a man· qué déjà une révolution et s'est enlisée dans le confort et l'oubli du temps. Les historiens professionnels (pas tous, il est vrai !) n'aiment pas les journalistes qui écrivent l'histoire récente. Ils préfèrent, pour leur part, reconstruire un passé avec lequel nous n'avons plus d'attaches. Shirer n'échappe pas à cette hargne. N'a-t-il pas le front d'utiliser les documents dont l'effet de choc n'a pas diminué sur nos contemporains? Cette histoire directe et vécue porte un accent puissant : elle déborde le cadre de l'histoire, apporte à l'analyse sociale et plus généralement humaine un accent et une force insoupçonnée. S'ordonnent alors les souvenirs, les angoisses, les égarements. En ce sens, Trotsky disait, en parlant de la Révolution soviétique, qu'il est impossible d'échapper aux « affirmations implicitement normatives ». Qui, d'ailleurs y échappe, sauf à sortir de notre « culture » ? Le récit que fait Shïrer de la guerre de 1940 est saisissant. C'est ]a meilleure partie du livre. Il connaît la réalité française non seulement par sa présence à Paris, de temps à autre, mais surtout, de l'autre côté de ]a barricade, par les témoignages allemands et les attitudes ou croyances de l'ennemi. Et ce qu'il sait ne passe pas toujours directement. Il lui faut, par courtoisie sans doute, sinon ruser, du moins biaiser. Ainsi, il lui faut faire entendre que la presse française d'avant 1940 dans sa presque totalité était une presse corrompue ou du moins pero

La Qufimalne Uttéralre, du les: au 15 décembre 1970

me

vertie, que les généraux et les techniciens militaires, mis à part des exceptions détestées et connues (plus connues ensuite d'ailleurs!) s'étaient enfermés dans un crétinisme bureaucratique, mortel pour l'existence du pays, que nombre de politiciens cédaient aux tentations de l'ennemi, pour ne pas dire plus.. Son analyse ou sa relation constitue donc un réquisitoire et apporte nombre de pièces au procès déjà entendq. dans la plupart des esprits : le petit soldat qui à Sedan assurait que l'Armée était trahie ne se trom· pait pas. Il se trompait seulement en pensant qu'il allait retrouver son « petit boulot » - et la France « des coteaux modérés ») ... Le passé est fait de chances perdues, on le sait. Il faut en prendre son parti. Après coup, ce qui a été nous apparaît sous la couleur de ce qui aurait dû être : si le général Hunziger avait contre-attaqué dans les Ardennes au lieu de faire démanteler les fortifications et de ter· giverser bassement, si Gamelin avait su prendre une décision au lieu de s'enfermer dans une schizophrénie autoritaire et endormie, si Blanchard avait pu contre-attaquer de Belgique... Avant ces « si ) tardifs, d'autres « si») apparaissent : l'intervention dans la Ruhr réoccupée, la défense de l'Autriche, de la Tchécoslovaquie, l'acceptation des conditions soviétiques avant le pacte, tout cela aurait pu freiner l'invasion nazie. Shïrer le sait bien qui a décrit dans son précédent livre les hésitations et les angoisses de Hitler et de ses généraux. Examinant le comportement des hommes politiques et des techni· ciens militaires, Shïrer paraît obser·

ver des animaux enfermés danS un zoo, prisonniers de barreaux symboliques qui sont autant d'institutions, de croyances figées, de peur. L'opposition entre la France et l'Allemagne en 1940 n'est pas seulement' celle de deux régimes : elle est celle d'un pays où l'industrialisation en· traîne la violence et une paranoïa rationnelle de la puissance, et d'un autre qui ne parvient pas à entrer dans la vie moderne. S'agit-il de chances perdues ? On dirait plutôt que l'Europe s'effondre dans l'opposition de deux nations qui affron· tent le XXe siècle à reculons ! La description de Shïrer, après d'autres mais avec une lucidité et une documentation supérieures, re· late un effondrement, une rupture dans l'écoulement historique: avec l'armée les structures sociales s'ef· fondrent en 1940, dans la dérision et la trilhison. La destruction des régimes (régime tzariste, régime Tchang Kai-chek en Chine) ne se fait pas autrement. Le problème est moins historique que social : comment se fait-il que le régime de Pétain, celui de la IVe République et celui de la Ve aient prolongé une société apparemment détruite? Comment se fait-il que la société française ait secrété les bacilles d'une survie ou d'un prolongement? On comprend mieux la crainte toujours renouvelée des spécialistes du maintien de l'ordre en France : ils pressentent que le plancher de la barque .n'est pas sûr et que l'en· semble de l'édifice repose depuis 1940 sur du vide. Jean Duvignaud (1) Stock, éd.

D

EF FLAMMARION 21


THilATRE

"1789~~, 1789, la Révolution doit s'arrêter à la perfection du bonheur Piccolo Teatro, Milan. (Théâtre du Soleil)

1 I 1

Witkiewicz La Mère Théâtre Récamier

Edward Bond Demain la veille T.N.P.

Un praticable rectangulaire ouvert à deux angles opposés, cinq aires de jeu principales signalées par des toiles de fond amovibles, deux fausses coulisses apparentes avec leurs patères et tréteaux supportant une centaine de costumes, des marionnettes et des accessoires divers, l'ensemble délimitant un parterre dans lequel les spectateurs sont invités à se déplacer librement au gré de leur envie et des péripéties d'une action jouée, durant deux heures trente, par vingt-sept comédiens et musiciens, tandis que ceux qui souhaitent plus de confort peuvent s'asseoir sur les gradins aménagés à l'extérieur du lieu scénique, c'est d'abord une fausse représentation théâtrale, autrement dit, un vrai jeu théâtral, avec ce que cela comporte de naïf, de démesuré, de tendre, de simple, de poétique et de violent à la fois, c'est 1789, cc la Révolution doit s'arrêter à la

perfection du Bonheur ». Pourquoi, en sous-titre, cette citation de Saint-Just? Parce que le 17 jui Il et 1791, avec la fusillade du Champ de Mars, • la Révolution est finie D, malgré une dernière tentative inconsciente de jouer à jouer par • l'aristocratie des riches qui a remplacé l'aristocratie des nobles D. Le jeu théâtral est terminé: déjà Marat annonce l'inévitable guerre civile, déjà Ba· beuf en appelle à la révolution du peuple pour le peuple. Et les lumières s'éteignent à moitié au Palais des Sports de Milan, où, à l'invitation de Paolo Grassi, directeur du Piccolo Teatro, le Théâtre du Soleil vient de créer triomphalement, devant un public jeune et étonnamment attentif, 1789. C'est, dans la perspective historique choisie par les comédiens de la Compagnie, qui ont conçu cette création collective à partir de citations intégrées à leur dialogue, le commencement de la fin d'un vieux monde qui vient de tisser son linceul. Et c'est aussi pour les « sans-culottes manipulés par des révolutionnaires en perruques, le commencement de la prise de conscience, le réveil d'un long sommeil, qui est le pain de toute révolution, et qui le mènera, à travers leurs héritiers spirituels, à 1848 et à la Commune de Paris. Dans un raccourci idyllique, chacun l'a appris à l'école, en 1789 le peuple s'est révolté et lO,

Il. Ael..-

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La Quinzaine U"....I "

43 rue du ·fempl.,', ParÙl 4. C.c.P. 15.SH.53 Pari!

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Mère~~

a pris la Bastille.• Mais; disent les comédiens, c'était une façon de raconter l'Histoire. Nous en avons choisi une autre. D Toutefois, dans 1789, l'Histoire n'est qu'un prétexte parce qu'elle est la matière dans laquelle l'homme essaie de s'inventer son chemin. Et l'homme, qui suit aussi vite qu'il le peut le cheminement de l'Histoire en marche, ne peut tout au plus que s'arrêter de temps à autre. pour se confronter à son passé. Une révolution qui réussit est une révolution manquée : elle frustrera un grand nombre d'espérances confusément entretenues dans un difficile mais nécessaire et permanent dépassement. Le Théâtre du Soleil, par une série d'actions présentées selon des formes, des esthétiques et des techniques différentes, qui vont de la parodie débridée à la stylisation efficace, raconte la Révolution de 1789 depuis la convocation des Etats Généraux, avec une fidélité réelle mais en ne manquant jamais de donner, en contre-point, la position de la Compagnie face à l'événement brut, ce qui permet aux spectateurs de rejoindre l'Histoire d'aujourd'hui. La participation active et saine des spectateurs, qui n'est rien d'autre qu'un regard lucide et attentif, constitue la condition première de la réussite de 1789 admirablement mis en scène par Ariane Mnouchkine. Si les comédiens du Théâtre du Soleil, tous remarquables, qui imaginent des bateleurs de foire, des acteurs populaires jouant à chaud la Révolution, avec toutes les ficelles du métier, pour un public supposé concerné par l'Histoire qu'il vit au jour le jour, ne parvenaient pas à établir le dialogue avec leurs spectateurs, nous retomberions dans la représentation théâtrale avec tout ce qu'elle peut avoir de figé pour une telle forme de spectacle. Et les spectateurs, éblouis par tant de vie, d'humour, de dérision insolente, happés par un rythme rapide, conçu autour d'un montage cinématographique nerveux, où les séquences courtes succèdent à de plus longues dédoublées sur plusieurs aires de jeu, sont contraints de participer 1ibrement ou de quitter les lieux. Mais comment partir quand le Théâtre du Soleil réussit à par-

1er au cœur et à l'esprit, à concilier divertissement et réflexion sans que jamais l'un ne gêne le plaisir de l'autre? Hélas! vous ne verrez peutêtre pas 1789 : après Milan, la difficulté de trouver un lieu adéquat, tout sauf un Théâtre, et aussi la peur du risque de quelques directeurs, habituellement « concernés par ce genre de spectacles, fait que pour l'instant le Théâtre du Soleil n'est assuré que de six contrats en France! Eh quoi, la Cuisine, le Songe d'une Nuit d'Eté, les Clowns, qui ont constitué les étapes nécessaires à l'élaboration et à la réussite de 1789, seraient déjà oubliés? Spectateurs, avec 1789, vous pourriez de nouveau avoir la parole. Profitez-en ! Sinon vous manqueriez, et ça serait dommage pour vous, un très grand spectacle! lO

cc

La Mère))

C'est une vue autrement pessimiste de l'Histoire que nous propose Witkiewicz avec la Mère, première pièce jouée en France de cet auteur polonais qui s'est suicidé en 1939 pour protester contre l'invasion allemande (1). Comme avec son compatriote Gombrowicz, autre poète de l'âme exilée, découvert lui aussi tardivement, il y a chez ce Slave impénitent l'obsession de l'Histoire dérisoire qui écrase sous son monument immense l'homme, fragile insecte à la mémoire d'éléphant. Et comme dans le théâtre de Gombrowicz, la trame de la Mère sembe assez simple. Un fils de vingt-sept ans qui n'en finit pas de mal grandir, et dont l'ambition première est de donner au monde une nouvelle théorie humaniste, ne parvient pas à se détacher de sa mère qui lui voue un amour passionné et destructeur. Entre sa mère qui tricote pour lui jusqu'à l'aveuglement et sa femme, dont il fait une prostituée consentante, il ne perçoit qu'une issue tragique. Mais Witkiewicz tout en projetant ses fantasmes et son drame personnel dépasse l'anecdote pour rejoindre "universel. Il apparaît aujourd'hui non pas comme un précurseur mais comme un novateur génial. "a Mère a été écrite, il faut le souligner,


"Demain la

veille~~

en 1924, elle annonce à la fois le fameux cc l'enfer, c'est les au· tres ", de Sartre, et le théâtre dit de l'absurde. Et précisément, Claude Régy a composé une mise en scène subtile qui déroutera quelques-uns. Tout en restant fidèle à un théâtre de chuchotement, entrecoupé de silences martelés à pas feutrés, il a voulu se renouveler et s'éprouver. Par un éclatement incontrôlé, le spectacle se déroulant partout dans la salle et jusqu'au foyer même du Théâtre Récamier, il reconstitue, avec la campi icité du décorateur Jacques Le Marquet, la cérémonie rituelle pour la remettre en miettes : Claude Régy nous rappelle constamment que nous sommes au Théâtre. Par les maquillages crayeux, les costumes noirs et les taches blanches, par le jeu des acteurs, fait de ruptures brusques, il nous donne à voir une manière de rétrospective du théâtre expressionniste des années 25 et de l'un de ses enfants naturels, le théâtre du tragique des années 50. En mettant en scène Witkiewicz, Claude Régy ne pouvait oublier Samuel Beckett. Tous les acteurs sont excellents même quand ils n'ont qu'un petit rôle. Mais il faut bien détacher trois d'entre eux, Juliette Brac, dans un rôle de femme-prostituée, d'une vulgarité naïve, évite tous les pièges, et dessine, par fines touches, une femme évanescente 'et délicate. Michel Lonsdale, le fils dénaturé, est un Hamlet moderne, dont le physique et la voix complètent un jeu où le silence alterne avec le cri, le tout constituant un mélange fort et inquiétant. Il apporte un contrepoint indispensable, et inversement du reste, à la performance de Maleine Renaud. Ceux qui l'ont vue récemment dans Oh, les Beaux Jours, l'Amante an· glaise, la trouveront méconnaissable. Et c'est vrai: elle est toujours aussi admirable; mais cette fois, elle est autre. Jusqu'où peut-elle encore aller dans son renouvellement? Un spectacle à ne pas manquer. Décidément, l'Histoire semble, cette quinzaine, la grande affaire des gens de théâtre : après Mnouchkine, Régy, Georges Wilson nous propose au T.N.P., Demain la veille (1), dé-

Une scène de cc

«

1789 »

Early Morning»

jà présentée sous un autre titre, Early Morning, au dernier Festi· val d'Avignon. Cette fois, je crois que la pièce d'Edward Bond apparaîtra dans toute sa nouveauté et témoignera du talent d'un auteur, connu déjà à l'étranger, mais qui a quelque difficulté à s'imposer en France. Les références à la vie anglaise y sont plus universelles que, par exemple, dans la Route étroite vers le grand Nord, montée par Guy Lauzun à Nice. Ici, c'est la reine Victoria, plongée de temps à autre, par des anachronismes savoureux, dans notre époque, qui, entre son mari, le prince Albert, ses fils siamois, George et Arthur, symbole peut-être facile, mais aux vertus comiques certaines, des contradictions que tout pouvoir porte en lui, et « son. peuple, tente de 'naviguer comme elle peut : l'important est de durer.. Early Morning est une grande fr~sque historique amusée, sans queue ni tête, vue depuis la cuisine de la politique, mais où domine un esprit caustique impitoyable qui dénonce tout à la fois le pouvoir, toujours ambitieux, égoïste et sour-

La QuInzaIne Uttéralre, du 1er au 15 décembre 1970

nais, la passivité de ceux qui laissent faire, soit parce qU'ils veulent ménager leur place, soit parce qu'exclus, ils se sentent « petits» et gouvernés. Contrairement. à Witkiewicz, Bond, s'il démolit lui aussi avec bonne humeur les statues en place - imagine-t-on, en France, Jeanne d'Arc peinte sous les traits repoussants d'une femme cupide, dévoreuse d'hommes et homosexuelle, comme l'est devenue sous la plume de Bond la puritaine Victoria? a néanmoins quelque tendresse pour le peuple, versatile, par ce qu'ignorant. Ce peuple sent confusément qu'il peut « faire un bout de chemin. avec le prince Arthur, qui, rejeté par le pouvoir, le rejette à son tour. Mais l'entreprise échoue : Arthur n'est qu'un révolté individualiste et n'a pour le peuple qu'une sympathie octroyée, comme Goetz, dans le Diable et le Bon Dieu. Dès lors, tandis que dans un paradis de folle opérette, notre terre qui n'est pas au ciel, les uns et les autres se mangent entre eux, il n'y a d'autre issue, dans un hypothétique dialogue avec l'éternité faite homme, que celle que cha· cun porte au fond de lui-même. En définitive, Ariane Mnouchkine, Witkiewicz et Bond nous

disent, par des voies différentes, la même chose : à chacun de bien choisir son rôle dans un monde que nous construisons. Comme on le voit, la tâche de Georges Wilson n'était pas aisée : la pièce de Bond est trop foisonnante. Mais depuis Avignon, les choses ont bien changé. Sur l'immense plateau du Palais de Chaillot, habilement resserré par un praticable discret, le rythme accéléré, et nécessaire au déroulement du spectacle, s'est imposé, à tel point qu'on pourrait imaginer, mais la surface à couvrir est encore trop grande pour les acteurs, une accélération plus forte. Early Morning doit s'avaler comme un antidote amer, mais bénéfique, qu'avec leur talent Georges Wilson et ses comédiens font passer agréablement. Puisse le public du T.N.P. ne pas s'y méprendre! Lucien Attoun (1) La traduction de Koukou Chanska et François Marié est publiée aux Editions Gallimard (collection Théâtre du Monde Entier) alors que. Marguerite Duras a apporté sa collaboration à la version jouee. Dans la même collection, Demain la veille (ou Early Mor· ning) d'Edward Bond, dans l'adaptatiol'! française d'Eric Kahane.

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MUSIQUE

Boulez au T.N.P.

la venue de Boulez au T.N.P. est un phénomène de basse fréquence (mai 69 - novembre 70) qui, un peu après et longtemps avant son apparition, accélère le pouls du public parisien. Afin d' • en être - au moins une fois, l'on s'arrachait cette année, pour vingt-sept francs, les dernières places libres dans la grande salle du Palais de Chaillot et seul un miracle pouvait, le lendemain, vous ouvrir les portes de la petite Salle Gémier, affichant complet de longue date et pleine, en effet, comme un œuf (ce qui faisait paraître dérisoire un prix des places relativement abordable). Ainsi transformé, par la force des choses, en manifestation • underground., ce second concert montrait trop les limites, en France, d'une consommation musicale dite • de masse - et rappelait (comme· l'a fort bien dit Boulez luimême) qu' • une hirondelle ne fait pas le printemps -. l'essentiel reste, cependant, l'extraordinaire courant d'émotion et de sympathie que suscite chez • so.n - public, et en dépit

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des ruptures officielles, ce • petit homme chauve et napoléonien - (comme le caractérise un journal anglais), ce chef aux mains nues, épandues comme des ailes, incisives ou tranchantes, avec qui l'écoute musicale devient une passion d'apprendre et un besoin de découvrir. Premier expérimentateur, en quelque sorte, d'une • nouvelle critique - musicale, Bou 1e z rompt en effet, avec la tradition sensualiste de l'interprétation: Sur les quelques auteurs qu'épargnent tant son obédience sérielle que ses principes iconoclastes (Debussy, Strawinski, Bartok et les trois Viennois), il pose, comme un filtre ou comme un projecteur, sa propre appréhension théorique des phénomènes musicaux en vue d'une • analyse structurale -, par ailleurs consciente de la dimension historique de chaque œuvre. le résultat: ses exécutions profondément renouvelées et déjà célèbres de Jeux et de Pelléas (dont l'enregistrement vient de paraître), du Sacre, de Wozzeck et, l'autre soir, à la grande salle

du T.N.P., de la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartok et des Pièces op. 6 de Berg. Grâce à la précision coloriste, à la plasticité et aux réserves sonores d'un orchestre aussi subtil que le B.B.C. Symphony Orchestra (dont Boulez est le chef permanent), le chef-d'œuvre de Bartok y prit un caractère épuré, au-delà de la violence (3 e mouvement), de l'angoisse (mouvement lent n° 2) et du lyrisme (final), prolongeant, dans la prédominance des articulations et des contrastes rythmiques, l'esprit même de la fugue initiale. • Dans les Pièces opus 6 de Berg - nous dit Boulez, .. la densité sonore arrive au point de saturation par l'accumulation et la superposition de toutes les catégories de timbres. On n'a plus affaire, dans ce cas, à une densité illusoire, due à de simples redoublements, mais à une accumulation de parties réelles, ce qui ne va pas quelquefois sans une mécompréhension des divers dessins attribués à des groupes instrumentaux différents D. Conjurant le risque d' • opacité. sonore, dû à l'énormité de l'orchestre, à cette écriture par masses grouillantes et à la complexité d'un climat expressif où s'imbriquent fusées lyriques et marches militaires, Boulez parvient à démultiplier notre écoute de chaque pièce et à en ordonner les couches successives. Cette technique de • sérialisation. des plans orchestraux doit évidemment beaucoup aux recherches du Boulez compositeur dont on découvrait au même concert une amplification d'Eclat pour grand ensemble instrumental, créé en 1965 et intitulé dans sa plus récente version Eclat-Multiples. Pour l'instant • en devenir. comme le fut longtemps Pli se-· Ion Pli (entre autres), Eclat-Multiples 1970 frappe tout autant par la cohérence de son plan d'ensemble en trois parties que par le caractère apparemment hétérogène des timbres qui s'y entrechoquent et dont 1 e s • éclats - seuls s'allient (célesta, harpe et cymbalum, guitare, mandoline, flûte, deux pianos dont l'un • préparé -, etc.). D'abord dispersées dans l'espa-

ce et prises dans une durée très lente, de fines particules sonores s'organisent peu à peu autour d'un noyau plus dense et semblent tournoyer rapidement autour de ce centre en fusion. Puis, sur de longues pédales, tout se pétrifie par étapes, dans une conclusion plus contemplative, où l'on retrouve le monde glacé du début. A la tête de l'ensemble Musi· que Vivante, Boulez dirigeait le lendemain la première audition française de ses Domaines, œuvre autant à voir qu'à entendre et dans laquelle la disposition scénique traditionnelle de la SalIe Gémier ne nous permettait guère d'entrer physiquement, comme il le faudrait. Disposées, en effet, autour du chef, six petites formations de un à quatre musiciens reçoivent tour à tour (selon un ordre établi avant chaque exécution) la • visite - d'un clarinettiste qui, s'approchant d'eux, vient introdUire et comme susciter par un court solo la séquence qui leur est confiée. Après qu'en a été exploré de cette façon le sixième • domaine., la musique semble pivoter sur son axe et le clarinettiste refait alors le même parcours inversé, répondant cette fois aux petits groupes d'instrumentistes dont les parties sont, par rapport à leurs symétriques, écrites en • miroir -. Comment cette œuvre, malgré son déterminisme proprement numérique, parvient-elle à recréer l'atmosphère d'une séance de musique de chambre improvisée entre amis? Comment la vie circule-t-elle dans des for· mes aussi manifestement éta· blies ? Il y a là une sorte d'illusionnisme dont Boulez a le se· cret et auquel participaient largement, ce soir-là, l'espèce d'humour à froid du clarinettiste Michel Portal, la verve truculente et inspirée avec laquelle il semblait improviser sa partie. Ainsi se trouve illustré le projet de Boulez qui est de Il concilier ce qui est proclamé inconciliable par tant de gens superficiels : la netteté et la logique des formes et des structures avec l'essor de l'imagination, de la fantaisie, de l'improvisation. Car il y a à l'intérieur de toute écriture un libre jeu.• Anne Rey


CIN'IIA

" Camarades! " Marin Karmitz Camarades Luxembourg 1 Studio Médicis Studio République

i

Devant un film tel que le Camarades, de Marin Karmitz, le véritable, sinon le seul, problème critique est la question, que soulevait brièvement Paul-Louis Thirard, dans le numéro 119 de Positif, de savoir s'il toucherait un public, quel public et de quelle manière. Karmitz n'est pas le seul à avoir voulu faire de la classe ouvrière l'héroïne de son récit. Même si l'on met de côté le cinéma des pays socialistes, assez pauvres d'ailleurs en la matière, on trouve en France des exemples aussi classiques, voire rabâchés, Que la Belle Equipe et le Point· de Jour ou, dans l'Allemagne des années vingt, les admirables et méconnus Unser Taglisches Brot et Mutter Krause de Phil Jutzi; mais Camarades est vraisemblablement le premier à se vouloir délibérément politique, à abandonner le mélodrame populiste pour mieux insister, précis et didactique, sur le sens de l'histoire qu'il trace. Une telle prétention ne doit se justifier, ou non, que dans une pratique et, plus que jamais, la critique écrite ne peut y être qu'un relais. Elle permet seulement un défrichement des approximations, jouant le rôle intermédiaire, et provisoire, de l'hypothèse. Le premier souci est un souci de clarté. Tandis que beaucoup de ses confrères ne peuvent concevoir la portée révolutionnaire du fond sans une subversion préalable de la forme, l'ambition de Karmitz est plus modérée si elle n'est pas fondamentalement différente. Il veut se reporter aux Interventions dE: Venan et se plaît à les résumer, en les interprétant de façon significative. Il déclare, dans Les Lettres Françaises : .. un contenu juste sur une forme académique a aussi peu d'efficacité qu'une forme brillante et nouvelle sur un contenu erroné., cependant que Mao insistait surtout sur le second point (CI mie trait commun à la littérature et à l'art de toutes les classes exploiteuses sur leur déclin, c'est la contradiction entre le contenu

politique réactionnaire et la forme politique des œuvres »), se bornant, pour le premier, à condamner les excès du schématisme (.. contre la tendance à produire des œuvres au • style de slogan et d'affiche - qui expriment des vues politiques justes mais sont dépourvues de force d'expression sur le plan artistique ..). Cette lecture, par sa différence même, est caractéristique du désir de rompre commun au jeune cinéma gauchiste qui assimile, peut-être un peu hâtivement, l'académisme, voire la tradition, avec un style de la classe au pouvoir, alors qu'ils sont moins et davantage, et bien qu'ils ne se recoupent pas exactement. Dans Camarades, fort heureusement, le produit dépasse le propos et, visant à la simplicité des moyens et de la langue, rejoint Venan par un autre chemin. Karmitz, en fait, lutte contre la quantité par la qualité et, soucieux avant tout d'être lisible, veut • apprendre consciemment le langage des masses -. Camarades trace le récit très linéaire d'une prise de conscience. Un jeune chômeur monte de Saint-Nazaire à Paris pour y trouver un emploi de bureau. Il finit par travailler en usine et assiste à l'éclosion de sa pensée politique. La chronologie et la mise en scène obéissent à une· même rectitude. La qualité même de la photographie - il faut souligner le très beau travail de Pierre-William Glenn - cède moins à la tentation de séduire

La Quinzaine UttéraJre, du 1f!r au 15 décembre 1970

qu'au désir de maintenir l'attention et de donner au sujet les marques extérieures d'un certain respect. A partir de là, trois procédés veulent permettre un premier recul et, en conséquence, une première possibilité

IAvecAIR

d'analyse, de discussion et de jugement. Le premier est un emploi très brechtien de la chanson. Le second est l'insertion d'une longue séquence de l'Heure· des Brasiers de Fernando Solanas. Le troisième est la citation de quelques phrases de Lénine, extraites des Thèses de principe contre la guerre, d'après l'anthologie des Editions du Peuple reprise par la Librairie Gît-LeCœur, à l'orientation marxiste-léniniste, donc, parfaitement définie, et aussi de trois paragraphes du Manifeste dont le dernier, qui sert de conclusion au film. La valeur de ces enrichissements et leur possibilité de réflexion sont inégales. Autant les chansons permettent l'accès d'une ironie fertile, autant l'extrait de Sotanas facilite l'intelligence de l'internationalisme, autant les réflexions écrites paraissent plus discutables, trop abondantes et, la dernière exceptée, assez gratuites. Elles relèvent d'une superstition à la~

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AIR IIl.eIlR••

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EXPOSITIONS

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Camarades !

quelle nul «gauchiste» (et je plaide coupable, même pour l'avenir) n'échappe tout à fait. Elles restent, bien entendu, « justes» mais prennent aussi trop facilement la relève d'une analyse, d'une description ou de conclusions plus concrètes et, partant, plus profitables. L'histoire elle-même est, en bonne dialectique, la relation d'un parcours circulaire. Elle est construite autour d'un héros, Yan (et le comédien, et co-scénariste, s'identifie, ancien ouvrier de Citroën, dans une certaine mesure avec le personnage), et va d'une première expérience ouvrière, aux chantiers de l'Atlantique, à l'entrée définitive, à Paris, dans une usine d'automobiles. Elle se partage en deux parts de durées presque égales. Dans la première le jeune homme, fils de p.etits commerçants à demi-ruinés, se trouve comme englué dans les pièges de sa classe, entre une famille qui lui fait bien sentir sa dépendance, une petite amie vendeuse, des copains enchaînés par la fiction des loisirs. Il va d'un travail sans issue, de manœuvre à qui est refusée toute formation professionnelle, à une vague occupation d'enquêteur qui permet un tableau sommaire mais habile de quelques fétichismes marchands. Lorsqu'il vient à Paris, à l'invitation d'un ami, il poursuit la même existence marginale, divaguant d'une embauche à l'autre, apprenant, à l'occasion la psychologie de l'acheteur vu par le placier (<< tous des cons»), jusqu'au jour où il se voit forcé au travail en usine, obligé de vendre sa force de travail de la façon la plus directe. A partir de là il passe par trois étapes, révolte contre la maîtrise, information générale du Comité d'Action et lutte au Comité de Base. Camarades ne vise pas à l'originalité ni à une nouveauté de système mais, partant d'un postulat individualiste et très au fait de ses propres limites, à une proposition simple. Le fait qu'ainsi le héros n'appartienne pas, au départ, de par sesorigines familiales, à la classe ouvrière apporte à son aventure, et au récit, une certaine innocence qui n'est pas sans efficacité. Le travail d'usine; présenté comme une chute dans l'inhu-

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main, voire, lors d'une scène de visite médicale qui est l'un des points forts du film, dans le sordide, se voit dépouillé de toute auréole traditionnelle comme de toute poésie populiste. Seule demeure la réal ité brutale de l'exploitation. La haine du chef, l'isolement systématique des travailleurs, l'accélération des cadences et la mécanique répressive des licenciements sont découverts avec une naïveté qui leur donne un poids tout nouveau, une âpreté point encore polie par les frottements de l'habitude. De même pour la pratique de la lutte. Les journalistes officiels du P.C.F. et les critiques qui, aujourd'hui, font assaut de bonne volonté pour bien se placer dans la ligne de M. Marchais, reprochent à Karmitz d'avoir complètement négligé la voie habituelle de la stratégie ouvrière, autrement dit de n'avoir soufflé mot des syndicats. L'accusation est certes d'une mauvaise foi tout à fait naturelle, car le réformisme syndical est dénoncé avec précision et insistance en trois endroits au moins de Camarades, mais il est évident que le chemin suivi par Yan ne suit pas la direction normale de la C.G.T. ou de la C.F.D.T. et le conduit directement au mode d'action pratiqué par les Comités de Base. L'expérience de Yan est caractéristique d'une attitude nouvelle, commune à une large partie de la jeunesse ouvrière. Bien entendu il eût été plus probant, et sans doute plus efficace, d'insister davantage et de décrire au'" trement que par le dialogue les conditions et les limites du réformisme, de même qu'il eût été

plus fécond de présenter les comités de base sous un jour moins arbitraire, mais l'on bute ici sur une limite de Camarades, dont les auteurs, Karmitz aussi bien que les travailleurs auprès desquels il a mené toute une en· quête préliminaire, sont parfaitement conscients. Cette limite est la barrière des moyens, l'impossibilité de tourner en usine plus de quelques plans, grâce à des subterfuges que trop d'insistance aurait vite éventés, et qui ont en dé.finitive imposé jusqu'à la forme du récit, qui tourne et médite autour de l'aventure plus qu'il ne la décrit. Le cinéma politique, aujourd'hui, est à créer mais les expériences ne manquent pas, ni les erreurs. Ayant reproché quelques replis derrière la citation, il va de soi que j'ose à peine évoquer ce que disaient, précisément, de l'erreur, Engels ou Rosa Luxembourg. Mieux vaut noter que depuis quelques années, des efforts importants ont été menés pour assurer cette création, en Amérique Latine, en Italie, à Cuba voire au Japon. Nous connaissons en France, depuis 1968 et le travail malheureusement hasardeux et fragmentaire des Etats Généraux (mais pouvait-il, dans le contexte politique, en être autrement ?), un effort, également, dans ce sens. De ce point de vue le travail de Karmitz, ne seraitce que parce qu'il se cherche un public prolétarien et parce qu'il veut lui proposer un discours directement politique, et non plus intégré et édulcoré comme dans les films de Costa Gravas, est exemplaire. Louis Seguin

LES NOUVEAUX CAHIERS CHARLES PEGUY ET BLANCHE RAPHAEL: Rabi Claude Ranel LA BARRICADE ISRAELIENNE: André Elbaz IMAGES OU STEREOTYPES? : E. Assor-Elmaleh STRUCTURE DE LA METAMORPHOSE: LE QUATRIEME MYTHE: David Jassine AVOUEZ! : Joseph Berger Gérard Israël LES ARABES HUMILIES?: L'INTEGRATION DES JUIFS NORD-AFRICAINSDoris BensimonEN FRANCE: Donath Eve Dessarre CES JUIFS DU SUD-EST ASIATIQUE: Des

textes

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Sylvie

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Après avoir montré comment des «rythmes et animations modulaires en plâtre. pouvaient donner du mouvement, de la profondeur, de la grâce, aux murs, aux plafonds, à n'importe quelle surface (1), le Centre d'Art et de Recherche Plastique Architecturale, en présentant aujourd'hui les recherches de quatre sculpteurs - Paul Cheriau, Michel Gérard, Danièle Obled, Pierre Szekely - groupées sous la rubrique «Formes et Béton» (2), pose en termes originaux non seulement le traditionnel problème de la relation architecture-sculpture, mais encore et surtout celui de l'intervention de l'artiste à la source même de la construction et de la fabrication industrielle. Michel Gérard en est vivement conscient. «J'ai réalisé, précise-t-il, plusieurs programmes de sculpture intégrée à l'architecture, en employant le béton ou le plastique - matériaux choisis pour leur prix de revient peu élevé et leur très grande souplesse de mise en forme." (II s'agit, en particulier, de vastes reliefs en béton don· nant une vie insolite à des murs de banque, et d'un jardin-sculpture de 200 m2 pour le patio des laboratoires Beytout à Saint-Mandé, avec partie en polyester de 20 m2 destinée à éclairel le hall inférieur.) Programmes réalisés grâce à une étroite collaboration - une véritable symbiose - avec une équipe d'architectes (Rémy. de Sèze, Jacques Dulieu, Michel Maure!) avides euxmêmes de poursuivre de telles expé· riences.

D'audacieuses perspectives Les recherches actuelles de Gérard constituent une nouvelle étape : .. Il ne s'agit pas de trouver des solutions décoratives de revêtement, il est nécessaire de passer maintenant dans la construction et, en travaillant dès le départ en équipe avec le maître d'œuvre, de modifier l'aspect de "œuvre bâtie... D'où l'expérience entreprise chez un préfabricant industriel, et menée selon trois directions : traces, signes, empreintes sur sable de fonderie, imprimés tels quels en béton; travail manuel avec un matériau industriel, polystirène expansé en fond de moule travaillé avec chalumeau, etc.; et moules en plastique calés dans le fond de sable. S'il n'est pas certain que la mise en œuvre de ces procédés aboutisse encore à un «style~, au moins une problématique claire estelle proposée. Les perspectives ainsi ouvertes sont audacieuses, car il ne s'agit de rien moins que d'opérer une transformation radicale du milieu urbain, de ce « cadre de vie. - murs, espace, chambres, objets ... - auquel enfin une centrale syndicale, la C.F.D.T., consent à s'inté· resser. Ces projets et ces recherches, si elles témoignent d'un climat nouveau, se heurtent toujours à ce qu'on peut appeler ici, sans jeu de mots, le «mur d'argent. : la sainte trinité de la construction composée des politiciens de l'. enrichissez-vous!., d'architectes-mandarins exploitant dans leurs agences cent à deux cents • nègres., et des promoteurs-<:onstruc-


Formes et béton Goldstein Rythmes élancés, enveloppements sensuels, la sculpture de Peggy Goldstein (Galerie Lambert) n'est pas encore arrêtée à une formulation, définie à l'intérieur d'un vocabulaire. Elle a la richesse de la quête, le foisonnement de l'inquiétude, mais la chaleur humaine d'une grande générosité.

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(1) Cf. la revue Recherche et Architecture, no 4. 1970. (2) Centre ARPA, 24, rue du Pont LouisPhilippe, Paris.

Dans les Maleries Dessins Ils sont trois, qui n'ont, de commun, ici, que la technique utilisée. Encore que Titus-Carmel situe le dessin comme une démonstration visuelle d'un énoncé verbal. Segui, lui, en use avec une maîtrise diabolique, pour plaquer des scènes qui sont perçues avec l'œil d'un photographe. Gian Franco Ferroni y cherche un cadre logique pour l'intensité de ce qu'il a à dire. C'est ce dernier qu'il faudra retenir (les deux autres étant mieux connus du public français). Voici une œuvre touffue, désordonnée, d'une acuité exceptionnelle, et d'une intensité rare. On sent, sous le trait, battre le pouls de la vie, sourdre le cri (Galerie du Dragon) .

Raynaud Au risque de passer pour rétrograde il faut dénoncer l'absurdité de l'insertion d'une œuvre qui ne se justifie que par sa charge révolutionnaire chez lolas, dans le contexte le plus mondain, le plus rassurant, le plus • in -. Une œuvre qui a cette retenue dans le cri, cette pudeur dans la douleur, cette densité dans les moyens cette densité dans les moyens mis en œuvre, au point de passer pour limitée, demande d'autres lieux et, certainement, un autre public que celui qui vient aussi bien voir des Léonor Fini et des Max Ernst.

force ramassée qui donne à l'image l'impact direct du signe. Moins qu'un style, l'Ecole de Paris impose une certaine élégance du discours plastique qui. constitue d'ailleurs, aux yeux de certains, une faiblesse de plus en plus inadmissible devant l'urgence du • dire -. Cette élégance-là ne gommant jamais les spécificités respectives de ceux qui composent le groupement le plus fluctuant, le plus r·elatif. Zao Wou Ki, Chinois de 1"Ecole de Paris, a une double raison d'illustrer cette qualité par quoi l'art, souvent, acquiert sa dimension d'éternité. Au raffinement parisien, il ajoute celui de son pays, qui réside dans la rapidité de la touche, sa légèreté, la promptitude des rythmes, la science des mises en page. Ses tableaux récents (Galerie de France) allient toutes ces qualités. La force n'est point exclue dans les trouées subites sur le vide, les chutes de la lumière dans les suggestions végétales, certains frissons, justement retenus là, dans l'ampleur de l'aube et le silence des étendues de nulle part.

Maryan

Plus de nature ici, ni d'espace; d'ailleurs, dans quel lieu se situent ces monstres? Maryan qui, dans sa peinture, • mettait en scène -, a renoncé dans ses aquarelles (Galerie Claude Bernard) à toute localisation. De ces méandres inquiets, surgissent, parfoi.s, des silhouettes, au cœur des ces Laocoon bigarrés, des figures de proue s'élèvent, se distinguent, éructent, postillonnent. Plus proche du geste, Livrets l'aquarelle conserve les sursaûts de la main, son inquiétude épidermique, les Aux • CLXXXI Proverbes à expéripulsations du sang. C'est une radiomenter -, que nous propose Jean Guigraphie assez terrible d'un mal intéchard-Melli, Lapicque offre le contrepoint de 9 dessins, au pinceau, d'une rieur.

La QuInzaIne Uttéralre, du 1er au 15 décembre 1970

ORLEANS. - La Maison de la Culture expose, en décembre, les photographies de Lucien CLERGUE. Josette HERARD-MARLIN présentait en novembre, au Centre Culturel de PORT - VILA (Nouvelles-Hébrides) ses œuvres récentes. La galerie Athanor, place du Marché au Vésinet montre la symphonie végétale et les dessins de THERON Grand Prix des Beaux-Arts de la Ville de Paris. C'est Jean F,RELAUT qui succède à J.-J. RIGAL aux cimaises de la galerie des Peintres-Graveurs Boulevard du Montparnasse.

ART PILOTE

comportant la reproduction de 16 lithographies des ~rands représentants des figuratifs et non figuratifs.

Jean-Luc GODARD était le dimanche 15 novembre l'hôte de la Maison de la Culture d'Orléans (dir. Olivier Katian) où il présentait son film • Lutte en Ital ie -.

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La galerie M. Bénézit (93, bd Haussmann) expose les peintures récentes d'ADLEN jusqu'au 5 décembre.

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Les minéraux, proposés par Raymond Favre (naturels ou polis) sont à la galerie Cambacérès Irue ta Boétie.

· · .. QU2.1

Pierre RISCH a obtenu cet été le' 1er prix de la Jeune Peinture au Grand Prix International de Genève (en permanence galerie Vallombreuse à Biarritz). .

GALERIE SAINT·PLACIDE 41, rue Saint-Placide Tél.: 548-59-58 ANDRE EVEN du 3 au 26 décembre 1970

La 'librairie lardanchet expose les gravures de ·Dunoyer de Segonzac jusqu'au 20 décembre.

GALERIE SUZANNE DE CONINCK 3, rue de Beaune - Vile TSARAS .~

Pierre G. LANGLOIS qui fut lauréat du Prix Emile Bernard présente Galerie Vendôme, rue de la Paix, en décembre, ses œuvres récentes.

du 10 au 31 décembre 1970

C'est LEFEVRE-DELESTANG qui succède à B.Y. à la galerie Bruno Bassano, avec de belles aquarelles.

(Communiqué)

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ROMANS FRANÇAIS Jean Basile Grasset, 236 p., 18 F L'acide La chronique d'une jeunesse aux prises ,avec la drogue. Jean-Louis Baudry La • Création • Premier état : l'année Coll. • Tel Quel Seuil, 224 p., 25 F. Un livre d'une facture très nouvelle sur l'origine cyclique de la signification et de la linguistique. G.E. Clancler Les Incertains R. laffont, 312 p., 18 F. Réédition, revue et modifiée, d'un roman paru en 1965 chez Seghers.

e Pierre Herbart Histoires confidentielles Grasset, 232 p., 15 F. Recueil de nouve'lIes poétiques, par l'auteur d' & Alcyon - et de & Souvenirs imaginaires -.

Rafael Pividal Plus de quartier pour Paris Seuil, 192 p., 18 F Par l'auteur d' & Une paix bien intéressante(Prix Hermès 1964) et de & Tentative de visite à une base étrangère (voir le n° 85 de la Quinzaine) .

Boris Vian Le loup-garou Ch. Bourgois, 240 p., 20,90 F Treize nouvelles inédites qui ont pour dénominateur commun un humour à la fois cruel et tendre.

ROMANS ETRANGERS

Quinzaine) • Gisela Elsner La génération montante Trad. de l'allemand par Lily Jumel Gallimard, 200 p., 18 F Un procès sans pitié, plein de verve et de démesure, des relations dites & humaines -.

Anatoli Babi lar Trad. du russe par M. Menant Julliard, 608 p., 31,30 F L'histoire de l'occupation de l'Ukraine eSlawomir Mrozek par les Hitlériens, vue Une souris dans par un enfant. l'armoire Trad. du polonais par Thérèse Douchy Miguel Angel Asturias A. Michel, 224 p., 19 F. Trad. de l'espagnol Six nouvelles où l'on Le larron qui ne croyait retrçlUve l'Jronie, le pas au ciel comique poussé jusqu'à par Claude Couffon l'absurde, de l'auteur Un ,nouveau roman du de • Tango. Prix Nobel de Littérature (voirie n° 23 de la 1967 (voir les nO' 4, 9 et Quinzaine) • 43 de la Quinzaine). Laurence Durrell Nunquam Trad, de l'anglais par Roger Giroux Gallimard, 336 p., 26 F (Voir le n° 105 de la

Iris Murdoch Les demi-justes Trad. de l'anglais par Lola Tranec Gallimard, 384 p., 26 F Par J'auteur de & La

gouvernante italienne -. Leo Perutz ,Le Marquis de Boliber Trad. de l'allemand par O.N. Château A. Michel, 320 p., 16,50 F Réédition de ce roman fantastique publié en France avant la guerre Susan Sontag Derniers recours Trad. de l'américain par A. Minkowski Seuil, 336 p., 30 F Par l'auteur de « L'œuvre parle. un livre dont le héros, confronté à sa propre mort, épuise jusqu'à leurs limites extrêmes les ambiguïtés de 'la condition humaine. S. Zalyguine Au bord de l'Irtych Trad. du russe par Annie Meynieux Gallimard, 184 p., 17 F

Au lendemain de la Révolution, les réactions, des paysans sibériens devant les problèmes de la collectivisation. Patrick White Le mystérieux Mandala Trad. de l'anglais par Andrée R. Picard Gallimard, 368 p., 27,50 F Un nouveau roman du grand romancier australien, sur le problème du & Double et de la recherche de l'identité.

POESIE Gaston Bonheur Chemin privé Poèmes et chansons réunis par H. Parisot Flammarion, 160 p., 12 F L'ensemble des poèmes de Jeunesse et des chansons écrites en marge d'une carrière, par un grand journaliste.

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Arno Breker Paris, Hitler et mol Presses de la Cité, 300 p., 22 F Par ·le sculpteur officiel du Ille Reich, ami d'Hitler et d'Abetz. E. de La Rochefoucauld Courts métrages Grasset, 216 p., 15 F Un recueil de souvenirs sur des contemporains illustres.

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touise Weiss Mémoires d'une Européenne· Tome III : 1934-1939 Payot, 272 p., 32,70 F (Voir le n° 66 de la Quinzaine) •

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de conscience à l'expression Gallimard, 816 et 1176 p., 55 F et 75 F Une thèse admirablement documentée et qui utilise avec beaucoup de doigté et d'originalité les méthodes de pointe des sciences humaines. Eliane Bickert Anna Akhmatova SHence à plusieurs volx Resma, 128 p., 12,40 F L'itinéraire intérieur de l'un des plus grands poètes russes de notre • siècle. Richard Bolster Stendhal, Balzac

et le féminisme romantique 1 planche Lettres modernes Minard, 228 p., 38 F • Bibliothèque de littérature et d'histoire -. E.D. Cancalon Technique et personnages dans les récits d'André Gicle Minard 96 p., 11 F Série • Archives André Gide-.

La mort de Godot attente et évanescence au théâtre Ouvrage collectif sous la direction de Pierre Brunei ,Lettres Modernes Minard, 194 p., 22 F Albee, Beckett, Betti, Duras, Hazaz, lorca, Tchékhov. Etudes sur Montesquieu Ouvrage collectif Lettres Modernes Minard, 104 p., 12 F • Archives des Lettres Modernes -. Jean Richer Nerval par les témoins de sa vie 5 planches Lettres Modernes Minard, 413 p., 48 F • Nouvelle Bibliothèque Nervalienne -.

SOCIOLOGIE PSYCHOLOGIE G. BoulangerBalleyguier La recherche en sciences humaines Ed. Universitaires, 158 p., 25,90 F Les grandes étapes par lesquelles doit passer la recherche dans le domaine des sciences humaines.

Scientifique Flammarion, 224 p., 20 F Un important ouvrage 'Sur la problématique de la psychanalyse par le Président de l'Association Psychanalytique de France.

ESSAIS Ernst Jünger Essai sur l'homma et le temps Traduit de l'allemand par H. Piard Ch. Bourgois, 592 p., 20,90 F Rééditkm d'un ouvrage paru autrefois aux éditions du Rocher et dont le thème est au cœur même de 'Ia pensée de l'auteur : la liberté. François Mauriac Le nouveau BlocNotes· IV (1965-1967) Flammarion, 480 p., 38 F Denis de Rougemont Le cheminement des esprits Ed. de la Baconnière, 250 p., 20,80 F Pour une unité de l'Europe fondée en premier lieu sur une communauté culturelle Pierre Schaeffer Machines à communiquer 1 - Genèse des simulacres Seuil, 320 p., 30 F Le premier tome d'une trilogie consacrée à l'étude des mass-media et de leur genèse.

SCIENCES François Biraud Jean-Claude Ribes Le dossier des civilisations extraterrestres Fayard, 256 p., 24 F Les manifestations de caractère scientifique des réalités astronomiques du monde extraterrestre.

Dr Brussel Psychanalyse du crime Dr Bensoussan Trad. de l'américain Préface du par Benoit Braun Tchou, 250 p., 25 F Six enquêtes policières et médicales menées par. François Jacob un psychiatre La log!que du vivant new-yorkllis. ~':re'd~:"re de Jean Laplanche Vie et mort en psychanalyse • Nouvelle bibliothèque

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Jacques Georgel Le franquisme Histoire et bilan 1939-1969 Seuil, 400 p., 30 F L'évolution, les mécanismes internes du régime franquiste et les chances futures d'un changement de politique en Espagne. H.G. Kœnigsberger G.l. Mosse L'Europe au siècle Trad. de l'anglais par S. Chassagne Ed. Sirey, 400 p., 46 F Une contribution originale à l'étude de cette période de notre histoire, due à deux universitaires américains.

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Jacques Chastenet • Nestor Makhno De Pétain à de Gaulle La Révolution russe (11 juillet 1940 • en Ukraine 25 aoOt 1944) (1918-1921) Fayard, 272 p., 28 F Avant-propos de Une mise au point Daniel Guérin remarquablement Coll.• Changer la documentée et d'une vLe rare objectivité sur ces Belfond, 240 p., 18 F quatre années crucl·ales Par un des premiers pour la France. • guerilleros - littéraires de l'histoire • Maurice Choury contemporaine, Le Paris communard mort à Paris en 1935.

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Michel Mollat Genèse médiévale de la France moderne XIV' et XV' siècles 182 photos Arthaud, 248 p., 50 F La vie quotidienne en France pendant la guerre de Cent ans, d'après les témoignages de l'époque. Bruno Tavernier Les grandes routes 400 documents inédits LaffQnt, 288 p., 79 F L'histoire des grands itinéraires de la navigation mondiale de tous les temps.

POLITIQUE ECONOMIQUE Dictionnaire du capitalisme Ouvrage collectif sous la direction de Gilbert Mathieu, Ed. Universitaires, 564 p., 49,90 F Un livre de référence qui propose une image fidèle de ceux qui font ou qui ont fait le capitalisme moderne Celso Furtado L'Amérique Latine Trad. du portugais par E. Bailby Ed. Sirey, 300 p., 44 F Un ouvrage de synthèse sur le développement économique des pays d'Amérique Latine. Bernard Krief Le marketing en action - Concepts et stratégie Coll. • Management. Fayard, 408 p., 38 F Une étude de synthèse sur la méthodologie du marketing et ses applications pratiques. Marie Lavigne Les économies socialistes soviétiques et européennes A Colin, 512 p., 43 F Une vision globale et objective du système économique socialiste tel qu'il est pratiqué en U.R.S.S. et dans l'Europe de l'Est. • •

Marx Engels Ecrits militaires Traduits et présentés par Roger Dangeville Coll. • Théorie et Stratégie. L'Herne, 664 p., 56 F Un ensemble de textes fondamentaux pour la compréhension profonde de la théorie marxiste.

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Jacques Minot L'entreprise Education Nationale A. Colin, 432 p., 43 F Une contribution originale à l'œuvre de rénovation administrative dans un secteur clé. R. Nitsche L'argent Coll. • International Library • Flammarion, 128 p., 19,50 F L'évolution de la monnaie depuis sa forme la plus primitive jusqu'à son rôle dans l'économie moderne.

première et décisive brèche dans le système stalinien. Raymond Dronne La Libération de Paris Presses de la Cité, 348 p., 26,90 F Un document de première main puisque son auteur fut le premier à pénétrer dans Paris sur son char en août 1944. Jean Freire Les maquis au combat Julliard, 224 p., 14,30 F Un document à la fois vivant et très complet sur l'implantation et l'organisation des maquis.

Jacques Nobécourt L'Italie à vif Seui·l, 368 p., 30 F Par le correspondant à . . Rome du • Monde " un Henri Jé!nnès bilan sur l'Italie actuelle, Le d~~sler secret les forces politiques du telep~one en jeu, les perspectives F!ammarlon, 192 p., 16 F d'avenir. L.au~e~r .de ce requlsltolre assure la présidence de Robert Townsend l'association des usagers Au-delà du de télécommunications. management Trad. de l'américain François Nourissier Arthaud, 216 p., 20 F Henri Cartier-Bresson Une mise en pièces Vive la France aussi féroce que tonique 265 documents inédits des mythes du dont 17 en management. quadrichromie Laffont, 288 p., 75 F Un étonnant portrait de la France et des DOCUMENTS Français d'aujourd'hui Michel Bodiguel Corsaires et négriers 5 illustrations Editions Maritimes et d'Outremer, 244 p., 18 F Les aventures des corsaires et négriers d'après les journaux de bord de l'époque.

Radioscopie de l'Europe Préface de M. Piatler Vilo, 212 p., 250 F Une enquête très complète sur l'économie européenne.

Christian Brincourt Michel Leblanc Les reporters Préface de J. Kessel 16 p. d'illustrations R. Laffont, 384 p., 24 F Un portrait sur le vif du métier de reporter, à travers les confessions de cent journalistes.

THEATRE CINEMA

Vladimir Dedijer Le défi de Tito Staline et la Yougoslavie Trad de l'anglais par M. Paz Préface de K.S. Karol Gallimard, 368 p., 32 F Un document de première main sur l'affaire yougoslave et une analyse rétrospective de la

Gérard Gozlan Jean-Louis Pays Gatti aujourd'hui Seuil, 256 p., 18 F Une étude critique et biographique qui éclaire d'un jour nouveau l'homme et l'œuvre. Georges Pillement Le théâtre d'aujourd'hui De Jean-Paul Sartre à Arrabal Ed. Le Bélier Prisma, 528 p., 30,20 F Une anthologie largement commentée, qui groupe la plupart des auteurs dramatiques des dernières années.

Rezvani Théâtre Ch. Bourgois, 272 p., 20,90 F Trois pièces inédites, par l'auteur des • Années-Lula· : • L'immobile., • Le cerveau. et • Body •. Boris Vian Théâtre inédit Textes établis par Noël Arnaud Ch. Bourgois, 384 p., 23,70 F Ce recueil réunit trois pièces de Boris Vian : Tête de méduse - Série blême - Le Chasseur français. Peter Weiss Trotsky en exil Trad. de l'allemand par P. Ivernel Seuil, 176 p., 16 F Une tragédie historique, résolument optimiste et révolutionnaire, par l'auteur de • L'Instruction. (voir le n° 4 de la Ouinzaine). Kateb Yacine L'homme aux sandales de caoutchouc Seuil, 288 p., 20 F Une pièce inédite du grand auteur dramatique algérien, qui a pour toile de fond la guerre du Vietnam et les ·Iuttes du Tiers-Monde.

RELIGIONS

André Martin Les croyants en U.R.S.S. (L'Eglise officielle contestée - Procès et persécutions) Fayard, 272 p., 24 F Une analyse, fondée sur des documents authentiques, des aspects les plus cachés et les plus significatifs de l'évolution religieuse en U.R.S.S. René Nelli Journal spirituel d'un Cathare d'aujourd'hui Resma, 216 p., 14,55 F L'actualité d'une doctrine dont l'auteur retrouve ·Ia problématique sous des formes spécifiquement modernes. Sagesse éternelle de la Chine Choix et présentation par Marcel Hertsens Centurion, 288 p., 38,70 F Les grands textes du confusianisme et du taoïsme. Paul Tillich Aux frontières de la religion et de la science Traduction de F. Chapey Préface d'A. Barthel, postface de M. Eliade Centurion. 208 p., 14,95 F La religion face aux grands courants de pensée nouveaux et à l'évolution du monde moderne.

Friedrich Gogarten Destin et espoir ARTS du monde moderne URBANISME Trad. de l'allemand Casterman, 208 p., 18 F Une étude du phénomène moderne de • Yves Bonnefoy la sécularisation, par Rome 1630 un théologien protestant. Coll. • Les balances du temps. Flammarion, 204 p., 60 F Eloi Leclerc Le premier ouvrage de Le cantique des cette nouvelle collection créatures qui se propose de ou les symboles présenter quelques-uns de l'union des instants décisifs de Fayard, 280 p., 24 F l'histoire de la peinture. Une exégèse du fameux • Cantique des créatures " qui aboutit Christoph Czwiklitzer à une véritable Affiches de psychanalyse de Picasso François d'Assise. Préface de J. Adhémar 345 affiches, 314 ill. 140 pl. dont 70 en coul. Jacques Loew Trinckvel, 362 p., 300 F. Ce Jésus qu'on appelle Christ (Retraite au Vatican Otto Demus 1970) La peinture murale Fayard, 314 p., 20 F romane Vingt-deux entretiens, Photographies de rédigés à l'intention de Max Hirmer Paul VI et de ses 250 pl. en noir et familiers. 102 h.-t. couleurs

Flammarion, 590 p. Les grands ensembles de la peinture murale romane, étudiés par régions artistiques. William Gaunt Cités flamandes Bruges, Gand, Anvers, Bruxelles Coll .• Cités d'art. 98 ill. noir et couleurs A. Michel, 160 p., 63,30 F Quatre cités célèbres dans le monde entier présentées à leur apogée, c'est-à-dire du XIV' au XVIII' siècle. A. Mazahéri Les trésors de l'Iran 125 ill. dont 87 en couleurs 17 dessins in texte Skira, 300 p., 175 F La singularité et la permanence d'une civilisation dont sera fêté l'année prochaine le vingt-cinquième centenaire.

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ESSAIS Raymond Aron La philosophie critique de 11alstoire Seuil/Points. André Breton· Les vases communicants Gallimard/Idées René Guénon Le règne de la quantité et les signes des temps Gallimard/Idées. Allen Dulles Les secrets d'une

reddition

Daniel Joski Artaud Ed. Universitaires/ Classiques du XX· siècle La portée· révolutionnaire de l'œuvre d'Antonin Artaud. Emmanuel Renault Thérèse d'Avila et l'expérience mystique Seuil/Maîtres spirituels La vie et l'expérience de Sainte Thérèse d'Avila et leur signification pour les chrétiens d'aujourd'hui.

Livre de Poche. Roman Jakobson Essais de linguistique générale Seuil/Points. Lénine Textes sur les syncIcats Editions de Moscou

M.-e. Ropars-WuiUeumier De la littérature au cinéma : genèse d'une écriture A. Colin/U2 Une initiation à l'esthétique cinématographique.

La QuIma"'e UttâaIre. du le: au 15 décembre 1970

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Charles de Gaulle Jacques Monod Erich Segal John Galsworthy

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5 Yves Courrlère Michel Déon 7 . Anne Hébert 8 Philippe Alexandre 9 Gilbert Cesbron 10 Michel Tournier

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Mémoires d'espoir (Plon) Le hasard et la n6ce...lté (41 Seuil) Love Story (Flammarion) La dynastie des Forsyte . (Calmann-Lévy) L1aeure des colonels (Fayard) Les poneys sauvages (Gallimard) Kamouraska (Le Seuil) Le duel de Gaulle-Pompldou (Grasset) Ce que Je crois (Grasset) Le roi des aulnes (Gallimard)

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Liste établie d'après les renseignements donnés par les libraires suivants: Biarritz, la Presse. - Brest, la Cité. - Dijon, l'Université. issoudun Cherrier. - Lille, le Furet du Nord. - Lyon, la Proue. Montpellier, Sauramps. - Paris, les AIIscans, Aude, au Charlot d'or, Fontaine, la Hune, Poitiers, Julien-Cornic, Marceau, Présence du Temps, Variété, Weil. l'Université. - Rennes, les Nourritures terrestres. - Royan, Magellan, Strasbourg-Esplanade, les 1Id6es et les arts. - Vichy, Royale.

LA QUINZAINE LITTERAIIIE VOlJS RECOMl\tIAN[lE UTTERATURE

Thomas Browne Max Ernst Jacques Prévert Paul Ritchlo. Jean Rlstat Ramon Sender

AubierAnthologie de la poésie russe La renaissance du )(Xe siècle Flammarion Hydrlotaphla ou Discours sur les umesGallimard funéraires Ecritures Gallimard Imaginaires . Skira Le protagoniste Denoël LN Du coup d'Etat en littérature Gallimard Le bourreau affable Laffont

ESSAIS Hélène Deutsch Erich Fromm Jacques Georgel François Jacob Karl Liebknecht Claude Mauriac Michel Random ~ Jean-François Revel Marc Saporta William Shirer

La psychanalyse des névrosas Espoir et révolution Le franquisme La logique du vivant Militarisme, guerre, révolution Une amitié contrariée Le Grand Jeu (2 voL) NI Marx ni Jésus Histoire du roman américain La chute de la Ille République

Payot Stock Seuil Gallimard Maspero Grasset Denoël Laffont Seghers Stock

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Réclamé par les spécialistes, attendu par tous les lecteurs cultivés, voici enfin le premier DICTIONNAIRE D'HISTOIRE UNIVERSELLE paru depuis cent ans. L'Histoire depuis cette époque, a pris de nouvelles dimensions. : économiques, sociales, idéologiques, dont le nouvel ouvrage se devait de tenir compte. Si tous les événements, tous les personnages de l'Histoire, de tous les peuples dans tous les pays y sont traités, une part importante n'en est pas moins réservée aux Etats les plus récents d'Asie ou d'Afrique. Plus de 1 000 synthèses sur les sujets majeurs, 29 000 définitions claires et précises, 4 000 articles divers, 18 000 personnages, 6 000 villes ou lieux historiques cités, traitent aussi bien des personnalités qui ont marqué leur époque - qu'il s'agisse d'Alexandre Le Grand, de Juliette Gréco, d'Einstein ou de Hemingway... que des doctrines économiques, de l'Histoire politique des partis, de l'évolution sociale et culturelle des Etats. Truffé de faits, de dates, d'informations, le DICTIONNAIRE D'HISTOIRE UNIVERSELLE, l'est aussi d'anecdotes amusantes ou tragiques. Il est fait de toutes les histoires qui ont fait l'Histoire: telle celle de Jeanne 1re , Reine de Naples, qui eut quatre maris et, pour se faire absoudre du meurtre présumé de l'un d'eux, vendit Avignon 80 000 florins au Pape Clément VI. On y lit aussi bien la description des" fourches patibulaires" ce que fut la "cabale des Importants" que l'Histoire complète des Etats-Unis, du communisme ou même

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