Association à but non lucratif, loi de 1901
N°4
´ g a M Le
Trimestriel
Septembre 2018
Édito Une très brève histoire de temps,
c’est ce que représente sans doute la conception du Mag’ à l’échelle de l’Univers. Mais rapportée à la nôtre, c’est ce même extraordinaire phénomène, chaque fois renouvelé, à l’occasion de sa sortie. Entre l’idée et la publication, l’inspiration et les doutes, une incroyable histoire de temps. Carole Vilbois Antoine Fontaine
Dans ce nouveau numéro nous avions besoin, vraiment besoin, d’aborder le sujet de la dignité. Prendre le temps de regarder le monde autour de nous et s’abîmer dans une contemplation, sans moralisme ou si peu, quelquefois avec émerveillement mais pas assez, désabusée trop souvent. L’ordre de notre Terre se caractérise désormais par les désordres des donneurs d’ordres. La dignité si elle peut renvoyer à un rang, elle nécessite alors la comparaison avilissante. Pour que je sois digne, faut-il que d’autres ne le soient pas ? Chacun porte sur la dignité, comme sans doute sur d’autres idées, un regard qui donne à voir un peu de lui. Subjective dignité et ses contours si protéiformes. Pourtant, à y regarder d’un peu plus près, un point semble rapprocher les points de vue. Sans action, la dignité ne reste qu’un mot vide de sens. Après le temps de l’indignation, doit venir celui de l’action. Ce sont nos corps agissants qui donnent à la dignité tout son relief. L’action d’abord pour soi, lorsqu’un individu recherche les conditions de sa survie. L’action ensuite, lorsque l’on se met au service de l’autre, créant un fil reliant les individus qui agissent quelque soit l’époque. Si vous avez envie de prendre le temps de feuilleter ce Mag, souhaitons qu’au coin d’une page vous puissiez y trouver quelque chose de la dignité. 2
Ce temps personnel donné par chacun au service d’une cause commune : l’Unité nationale.
Nôtre Idéal, Défendre le vôtre !
Quatriéme numéro
Mag´
Sommaire
Eddy Izzard cet Anglais aux allures d´Anglaise qui nous voulait du bien L’Archevêque de Digne héros hugolien par Claude Frisoni Dignité et responsabilité par Laura Tared Lafayette la passion de l’autre par Carole Vilbois Line Legrand une Interview Sans compromis Au pays de l’Indignité et des torts de l’Homme par Isabelle Resplendino Pourquoi la pauvreté a toujours été utile par Antoine Fontaine La liquéfaction et trois euros cinquante de bonheur cinglant par Carole Vilbois Le marché de la honte ! L ‘apartheid de la vieillesse par Martine Revol Réflexion sur l’estime de soi et sur la dignité par Jean-Marc Fortané Dignité par Koceila Chougar Kwanza Technologies Congo Interview de Pacifique Brackley Cassinga L’économie de la Blockchain pour construire Un Monde plus digne par Carlos Perez Harcèlement au travail par Houria Gouriten La dignité, l’argument des indignes par Philippe Ariño La dignité, un grand mot par Guillaume Gallet Dignité et intégration par Renaud Roche Grève SNCF à quoi bon et pourquoi ? par Thomas Raymondaud Manipulation subtile par Xavier Francisco Petites pierres à l'édifice contre les réseaux sociaux et le fascisme Livre à paraître de Houria Gouriten
Le conseil de l ´ Unité Nationale
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Eddie Izzard
en quelques chiffres. né le 7 février 1962 à Aden au Yémen . Comédien Britanque récompensé par deux Emmy Awards . Il est arrivé parmi les vingt plus grands artistes comiques de tous les temps et du monde de la comédie dans l’émission 100 Greatest Stand-ups of All Time James Joyce Award Theatre World Special Award (1998) Primetime Emmy Award pour la meilleure production individuelle en Variété ou en Musique (2000) Primetime Emmy Award du meilleur scénario pour un programme de variété, musical ou comique (2000) Drama Desk Award du meilleur acteur
e t s i v e i u t q c i A t i l o P
4 Photo © Ms Jane Campbell
Eddie, cet Anglais aux allures d´Anglaise qui nous voulait du bien Eddie, la première fois que j'ai vu son nom c'était fin 2016, «
Izzard ». Il était indiqué comme étant une des personnalités célèbres de l'haplogroupe de ma branche génétique. Célèbre… célèbre… c'était un bien grand mot m'étais-je dit… en voyant les autres célébrités dans la liste, où se bousculaient rois et reines. Il me fallait donc combler cette lacune et c´est là que j´ai vu son visage, son image, celle qu´il voulait envoyer au monde, pas forcément celle que le monde attendait de lui.
Sur ses lèvres un rouge vif, qui ne renvoyait pas à la vulgarité, des ongles longs et
parfaitement manucurés, dont l'un d'eux était aux couleurs de l´Europe, bleu avec de petites étoiles jaunes, et l´autre aux couleurs de l´Angleterre, un tailleur discret, mais cintré, des chaussures aux talons déraisonnables pour qui veut affronter des pavés. Ses cheveux blonds avaient quelque chose du Petit Prince de Saint Exupéry, et son regard bleu, franc et direct, l´étincelle de ceux qui ont une âme bien trempée.
C´était une femme, dans un corps d´homme, d´une féminité audacieuse, affichée,
revendiquée et dignement plantée dans notre siècle, comme un mât de cocagne glissant, une pente savonnée, avec en son sommet en guise d´objet de convoitise… un grand « Quoi ? » … à l´accent anglais, qui résonne encore dans mon esprit comme un de ses sketches où il utilise finement la langue de Molière.
Eddie, en trois mots c´est surtout Eddie en trois langues, souvent la même soirée,
où s´enchaînent, le français, l'allemand et l´anglais au rythme de 50 minutes de rires… bien orchestrées, avant de laisser entrer le public suivant, mais jamais sans finir par une pointe d´activisme politique… Eddie veut changer le monde, au service d´une cause fraternelle, il aime l´humanité et l´humain, sans doute bien plus que ces derniers ne lui ont jamais rendu.
A Londres, Paris ou Düsseldorf, au premier rang, je regarde le public, enchantée
d´être là, dans des salles parfois trop petites, une péniche chaloupant sur la seine face à notre Dame, dans un quartier gay où des hommes à la complicité touchante déambulent dans des costumes parfaitement coupés, et affichent des sourires que personne ne voudrait troubler. Je me lie d´amitié, en l’espace d´une soirée avec cette femme d´une petite cinquantaine, qui rêve de devenir une drag queen , même si elle sait que pour cela elle devrait être un homme, mais elle me l´assure… un jour… elle réalisera son rêve. Nous nous promettons de nous revoir.
Le public d´Eddie n´a pas de problème avec le genre, au contraire, le public d´Ed-
die, c´est un mélange de normalité, convenue, venue pour rire et de militantisme LGBT, de monsieur et madame tout le monde, et de ceux qui ont quelque chose à dire, à prouver, à échanger… de ceux qui avaient simplement une soirée de libre… et de personnes venues voir à quoi ressemble… une personne T2f1a1, comme moi.
Eddie est le premier Anglais à avoir suivi toute la trajectoire de notre groupe depuis
l’Afrique. Je réalise la chance que j'ai, sur You tube, grâce à lui et sans bouger de mon fauteuil, je peux retracer le parcours des femmes de ma lignée et cela depuis l´Afrique. Eddie est un passionné de génétique, d´Europe, mais surtout, il est un humaniste capable de dépasser ce que peut entendre la raison. 5
6 Photo Š Giuseppe Sollazzo
Il va en l´hommage des 27 ans de prison de On ne regarde pas les talons, le maquillage, le rimmel, Nelson Mandela, courir 27 marathons en 27 on ne voit que l'humain, en recherche de connexion, de compassion, de partage du rire, l'humain qui témoigne jours… pratiquement sans entraînement. qu'il ne cautionne pas les actes indignes, qui est présent Depuis il a couru plus de 90 marathons dans le lors de la célébration de la libération, et qui donne ce monde, et encourage toujours avec jovialité à faire soir-là aussi son spectacle en Allemand, en Français et en Anglais. du sport. Certains sur son passage lui diront qu´il est un La dignité humaine, c´est l'abnégation, Eddie n´est pas héros… et je dois l´avouer, il est forcément un peu le sa propre cause, Eddie n´est pas un homme qui revendique de s'habiller comme une femme, Eddie s'en fout mien. pas mal, il est lui-même chaque jour de sa vie, droit et Eddie c´est aussi un combat pour l´Europe, face au monde, sur une scène et sans mise en scène. Et lorsqu'on lui demande s’il est ainsi dans la vie de tous contre le Brexit au sein du Labour anglais. les jours… Alors même si on voit qu'il cache que cette Moins d´Europe pour l’Angleterre c´est assurément question est une évidence… il répond gentiment que « plus de partenariat avec l´Amérique, là où chez nous oui» c´est bien ainsi qu´il s'habille dans la vie de tous les sur le continent il est courant de penser que moins jours. d´Europe c´est moins de partenariat avec les Fin d´année 2016, je n´avais jamais entendu parler de États-Unis. lui. Monty Piton perdu, homme aux deux Emmy Alors lorsque Eddie arrive après on long périple Awards, ce marathonien, cet homme qui n´en est un, marathonien dans la prison de Nelson Mandela, cet qui ne voulait en être et qui incarnait d´une façon homme qui se dit lesbien, et semble pour beaucoup féminine la détermination, la force et le courage être une provocation à la raison, ne pouvant entrer d´être soi au point d´en défendre l´autre par l´intidans une des cases si chères aux esprits étroits, ce mité des langues et des langages, et des hommages frère de gènes, sans gêne, touche de ses mains qu´il rend à son frère à qui il restitue volontiers le don comme pour mieux s´imprégner de l´esprit du lieu, des langues, la traduction et la faisabilité, pour s´excuser presque d´être cette partie visible du spectacle, car ces murs, l´espace de vie d´un autre héros. dans l´ombre d´Eddie, il y a un ce lien du sang, qui reste Pour une couleur de peau, pour une dignité, pour ce une voix au micro, et forcément une femme, une mère que l´on ne peut cacher de soi, dans cette minuscule partie trop tôt, et un père pour qui Eddie a beaucoup prison, Eddie revit un instant l´impensable, son d´affection. regard se perd à tenter de matérialiser toutes ces années d´emprisonnement, il veut un instant, être Un simple jugement nous permet de retirer la dignité Nelson Mandela, prendre une part active dans cette de l´autre, comme cette jeune Française qui a lancé un douleur, son regard si présent s´éloigne… et revient jour à Eddie « C´est dégueulasse… » Et dont Eddie parle à nous chargé de l'incompréhension, et de l'incapa- dans une ITW lorsqu'il expose la perception que les cité à réaliser vraiment ce que purent être de si autres ont parfois de lui. nombreuses années de privation de liberté au nom Eddie vit debout, droit, et il n´a de compte à rendre à du soi. personne. Il fait l´un des plus beaux métiers du Le droit d´être, celui que nous sommes, pour une monde, il rend la vie des autres plus légères, il nous peau, un corps, Eddie voulait tant ressentir cela qu'il fait rire, nous retire un peu de nos soucis quotidiens. a pris le parti de souffrir dans sa chair, de se lancer ce défi physique, pour que son corps tout entier puisse Il endosse pour nous un peu de l´injustice faite à Manacter jour après jour, pas après pas, au prix de dela, répare comme il peut, l´irréparable dette humail'effort, du risque… de la chaleur insoutenable qu'il ne des peuples qui ont colonisé, et privé si longtemps souhaitât porter un peu de la souffrance de Mande- des hommes et des femmes de leur liberté, leur dignité. la, comme pour nous racheter au monde. Il nous souhaite unis et européens, égalitaires avec Lorsqu'il parle allemand, français, Eddie l'Anglais une notion sociale, Eddie c´est cet « Anglais aux alluveut acter que pour lui l'échange passe par cette res d´Anglaise qui nous voulait du bien ». connexion entre les humains.
Carole Vilbois
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Photo © Giuseppe Sollazzo
On sait trop la passion de Victor Hugo
pour les mots en général et les bons mots en particulier, pour penser que le choix du nom et du diocèse du premier héros des Misérables soit dû au hasard. Charles Myriel est devenu prêtre sous le nom de Bienvenu Myriel et ses ouailles ne l’appellent que Monseigneur Bienvenu. Il officie à Digne et va offrir à Jean Valjean les clefs du chemin de sa dignité. Premier personnage à apparaître dans le chef d’œuvre de Victor Hugo, il se plait à dire « Bienvenu… J’aime ce nom-là. Bienvenu corrige Monseigneur ». L’épisode de l’accueil du bagnard récemment libéré, par Monseigneur Bienvenu détermine tout le reste du roman. Sans Monseigneur Bienvenu, Jean Valjean serait retourné au bagne ou serait devenu un bandit de grand chemin et un criminel. Non seulement Bienvenu héberge Valjean, le nourrit et réchauffe son corps et son cœur, mais il va lui donner l’essentiel, les voies de la rédemption. Pas tant vis à vis d’une société qui a été si injuste envers lui que vis à vis de lui-même.
Claude Frisoni
Auteur Dramatique Comédien Humoraliste
Aux gendarmes qui ont arrêté le galérien avec l’argenterie qu’il lui avait dérobée, Bienvenu prétend qu’il la lui avait donnée. Et à Jean Valjean qui s’étonne qu’un homme d’église mente pour protéger un voleur ingrat, il répond qu’il n’a pas menti, qu’il lui avait bien donné l’argenterie mais que lui, le misérable, ne le savait pas encore. En ajoutant : ”N’oubliez pas, n’oubliez jamais que vous m’avez promis d’employer cet argent à devenir honnête homme. Jean Valjean, qui n’avait aucun souvenir d’avoir rien promis, resta interdit. L’évêque avait appuyé sur ces paroles en les prononçant. Il reprit avec solennité : Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète ». Toute la vie du héros de Hugo va s’en trouver changée. L’action de Bienvenu, ça n’est pas le pari de Pascal, c’est le pari de l’Homme.
Inoubliable rencontre, il y a 15 ans, Claude Frisoni recevant l’abbé Pierre. 8
En savoir plus sur Claude
Avec ce pardon “préalable”, il met Jean Valjean devant sa propre conscience, sa propre responsabilité, ses propres choix. Car l’archevêque n’est pas un naïf. Il sait qu’il vient de rendre le meilleur et le pire des services à son protégé. Il l’a rendu redevable. Redevable du bien et non plus créancier du mal. L’Arhevêque de Digne, Evêque de la Dignité… Il sait que les fautes de la société sont les meilleures excuses des faiblesses des hommes et affirme « La société est coupable de ne pas donner l'instruction gratis ; elle répond de la nuit qu'elle produit. Cette âme est pleine d'ombre, le péché s'y commet. Le coupable n'est pas celui qui fait le péché, mais celui qui fait l'ombre ». En étant l’exception à l’injustice, Bienvenu met un grain de sable dans l’engrenage. Il donne à Jean Valjean la plus terrible des libertés. Celle de choisir son camp, celui du bien. Il ne lui rend pas sa dignité, il lui donne la possibilité de la recouvrir. Car la dignité ne se donne pas, ne se transmet pas, ne s’achète évidemment pas – sauf pour les fats qui se prennent pour des dignitaires, dérisoire illusion sociale -. Elle se conquiert, se défend, se préserve ou s’abandonne. On dit que les fils d’Hugo lui ont reproché d’avoir choisi, pour fabriquant de l’âme pure de Jean Valjean, un homme d’église. Pourtant Hugo ne les estimait guère, lui qui leur interdit même le seuil de sa maison à l’heure de sa mort. Mais Monseigneur Bienvenu n’est pas pour Hugo un homme d’église, c’est un homme du cœur et de la raison. De même qu’il initie Jean Valjean à la générosité et à la solidarité il a lui-même été initié. Sa bonté et sa clairvoyance, il les a reçus d’un mourant, ancien révolutionnaire qui, s’il ne vota pas la mort du roi, exigea « la fin du tyran ». Un homme de conviction, et d’action, à mille lieux des frilosités ecclésiastiques. Car l’important n’est pas la fonction, la couleur politique ou les conventions. L’important se trouve ailleurs, dans la fraternité universelle et la volonté de vivre ensemble dans un monde épris de justice.
L’Archevêque de Digne, Héros hugolien
L’Archevêque de Digne représente ce qu’il peut y avoir de bon dans la société des hommes. La seule preuve de cette possibilité est contraignante pour Jean Valjean, qui se doit, dès après le « pardon préalable » dont il a bénéficié, d’être « à la hauteur » de cette révélation. Il y a chez Hugo à la fois la valeur de l’exemplarité et la force contagieuse du don ; la découverte qu’on peut multiplier en partageant, qu’on se grandit en suivant la voie juste qu’on s’est soi-même tracée, l’expérience que la recherche du bon n’appartient pas à une école de pensée, et n’obéit pas à un dogme, que les grands esprits sont soucieux d’éthique et les petits seulement d’étiquettes. Digne, lieu romanesque de la dignité retrouvée. Ou au moins du chemin qui mène à la dignité. Jusqu’à sa mort, Jean Valjean va s’employer à « rembourser » Monseigneur Bienvenu. Et c’est ainsi qu’il réussira sa vie et échappera à ses démons. La leçon universelle des Misérables, c’est que la dignité est un combat. Contre la misère et l’injustice, tout autant que contre soi-même. C’est ce que résume superbement une réplique de la pièce « Becket ou l’honneur de Dieu » de Jean Anouilh : « On peut tout se permettre, mais il ne faut rien se passer ». CF
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Dignité et responsabilité Laura Tared « À cela près, Paris est bon enfant. Il accepte royalement tout ; il n’est pas difficile en fait de Vénus ; sa callipyge est hottentote ; pourvu qu’il rie, il amnistie ; la laideur l’égaye, la difformité le désopile, le vice le distrait… »(1) C’est ainsi que Victor Hugo dénonçait nos nonchalances devant les indignités, autant vis-à-vis de ceux qui intentent à la dignité de l’homme que vis-à-vis de ceux qui regardent sans rien faire. La question centrale et névralgique concernant la dignité est celle, en réalité, de la responsabilité. C’est le sens du célèbre De Hominis dignitate de Pic de la Mirandol : (2) « Il nous appartient, puisque notre condition native nous permet d’être ce que nous voulons, de veiller par-dessus tout, à ce qu’on nous accuse pas d’avoir ignoré notre haute charge, pour devenir semblable aux bêtes… ». L’homme n’est pas un animal. La dignité humaine est d’abord celle du corps, vivant ou mort. Quel que soit le rang social d’une personne dans la société, riche ou pauvre, belle ou laide, à sa mort, elle a droit à une sépulture. Chacun s’incline devant sa mémoire, que l’homme ait été un vaurien ou un homme de bien. Or s’incliner devant un mort, honorer sa mémoire, c’est manifester à son égard une relation qui n’existe que d’un humain à un autre humain. Si, dans toute culture existent des devoirs à l’égard des morts, il devrait en exister, à plus forte raison, à l’égard des vivants. Pourtant, aujourd’hui comme hier, et parfois de manière scandaleuse, le corps humain fait l’objet de toutes sortes de transactions portant atteinte à son intégrité en tant que corps qui est aussi âme et sensibilité, esprit et conscience, mémoire et imagination, passion et aspiration, volonté et liberté. Les atteintes à l’intégrité du corps sont nombreuses, des esclavages aux génocides en passant par le sort réservé aux clandestins, aux réfugiés. 10
Tel ce drame des 2000 enfants échoués avec leurs parents dans cette plaine aride, battue par les vents et asséchée, jetés dans le désert de Syrie en 2006, privés d’eau, en dessous du seuil de toute humanité. Ce qui est visible dans un tel exemple, ce n’est ni l’esprit ni l’âme. C’est d’abord le corps qui montre toute sa vulnérabilité et sa fragilité. Qui a oublié le corps de ce petit enfant syrien couché sur le flanc et échoué sur une plage ? Nous apercevons d’abord des corps humains. C’est là que peut commencer toute réflexion sur la dignité humaine. Telle l’histoire de la Vénus noire évoquée par Victor Hugo. Saartjie Baartman, née l’année de la Révolution française est cette femme sud-africaine réduite en esclavage et exhibée en Europe. En 1810, un militaire britannique découvre sa morphologie hors du commun : hypertrophie des hanches et des fesses et organes génitaux proéminents et il décide de montrer cet échantillon spectaculaire dans les zoos humains en Europe (3). Il embarque avec Saartjie pour l’Angleterre. Saartjie devient un phénomène de foire. Elle est exposée dans une cage, endure l’humiliation et le toucher des spectateurs encanaillés. Une association intente un procès contre ceux qui l’exposent et violent ainsi l’acte d’abolition de l’esclavage de 1807. Mais Saartje témoigne ne pas agir sous la contrainte. La Cour conclut à un non-lieu. Devenue objet sexuel pour l’aristocratie, elle tombe dans l’alcoolisme. En 1815, le musée national d’histoire naturelle examine Saartjie. Après le public des foires, c’est devant les yeux de scientifiques, zoologues, anatomistes et de peintres qu’elle est exposée nue. Quand elle meurt de la syphilis, on récupère son cadavre que personne ne réclame alors, on dissèque son cerveau et ses organes génitaux pour les conserver dans des bocaux de formol. Jeanne Duval, la "Vénus noire" de Charles Baudelaire 11
Aujourd’hui un tel crime n’est plus possible ; l’esclavage a disparu. Sous cette forme-là. Il en est apparu d’autres, signes de notre modernité et de notre... liberté. Ainsi cette effarante affaire de lancer de nains. Dans des boîtes de nuit à Paris et en Lorraine était organisée cette attraction de lancer de nains. Des foules de curieux venaient voir les nains projetés contre des matelas. La dignité humaine est le propre de l’Homme. Peut-on alors consentir à voir sa dignité bafouée, la sienne et celle des autres ? Alors que les droits et libertés peuvent parfois être mis en balance avec d’autres droits et libertés, par exemple le droit au respect de la vie privée contre la liberté d’informer, le principe de la dignité de la personne ne peut se voir opposer aucun droit ou liberté fondamentale. La personne doit être préservée contre l’asservissement et la dégradation. L’idée est que, la dignité est indicible ou au-delà du langage bien qu’il existe le mot pour la nommer. Wittgenstein est un de ceux qui ont exploré cet au-delà du langage. (4) La dignité ne se démontre pas, elle pose la valeur infinie, non calculable de la personne humaine, ainsi que l’égale valeur de tous les êtres humains. C’est ainsi que la justice en 1995 avait décidé l’interdiction du lancer de nains pour atteinte à la dignité humaine malgré le recours à la Cour Européenne des droits de l’Homme et au comité des droits de l’Homme de l’ONU et malgré les recours du nain. Originaire de Saint-Avold, le nain parle de « 3 ans de bonheur » : « C’était un vrai spectacle, j’avais une habilleuse et un présentateur. Dignité humaine! C’est bien beau tout ça. Moi, je gagnais ma vie comme je pouvais ! » (5) On punit ainsi les actes d’indignité même sur sa propre personne. Voilà pourquoi la condamnation du lancer de nains fut unanime. Sans avoir à expliquer, sans avoir à motiver parce que la notion ne requiert pas de définition de ce qu’est un homme. Nous ne sommes plus dans la controverse de Valladolid où on cherchait à définir, pour distinguer, les Amérindiens des blancs et ces derniers des noirs. Qui est homme et qui ne l’est pas. Et l’esclave rejeté dans l’inhumain. La dignité rend compte de ce qu’il y a quelque chose qui dépasse l’homme, que demeure une transcendance, malgré la perte de sens et le déclin des valeurs, le besoin de divertissement, le rationalisme dicté par l’économie qui impose ses exigences aux hommes sans toujours leur assurer de vivre dignement. Justement. La dignité apparaît aujourd’hui comme le principe juridique premier dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne même si le concept de dignité n’est apparu sur le devant de la scène que lorsque les droits de l’homme traditionnels n’ont plus suffi. Les déclarations des droits sont en réalité faites en considération des ennemis du moment. On avait triomphé des tyrans, instauré l’égalité et imaginé la fraternité qui allait en découler. Quoi d’autre ? 12
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De plus la dignité de la personne humaine ne peut être qualifiée de droit de l’homme au sens classique du terme, car elle ne concerne non plus seulement les individus, mais l’humanité entière. “Chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition” disait Montaigne(6). Il faut par contre déterminer les interdits pour la préserver, sinon plus aucune limite ne serait posée à l’emprise et à l’empire de la technique et du marché. La soumission délibérée d’une victime à des actes de violence ne lui retire pas, non plus, son caractère pénalement répréhensible, le consentement du nain au traitement dégradant, le consentement de la Vénus, le consentement de la prostituée. On ne peut plus cautionner le comportement destructeur qui consiste à revendiquer au nom de la liberté, le droit de transgresser toutes les limites et de commettre toutes les barbaries. Quand l’homme est privé de dignité, c’est d’abord de l’intégrité du corps qu’il s’agit, corps qui a perdu tout bien, tout lien, corps souffrant, fragile, démuni, mais aussi le corps magnifié, glorifié, déifié. Individualisme, trahison, atteinte à la dignité, harcèlement moral, jugements dégradants, tout y est. Elles rêvent de trouver la célébrité Ce deuxième aspect de la dignité consiste en en se dénudant, sur un mode feuilletonnesque ; une mère féroce juge un paradoxe. Comme chez les esclaves, les les filles qui convoitent son fils, des filles soumises à la sélection drasréfugiés syriens poussés dans le désert, c’est tique du jeune apprenti macho. Et on minimise l’impact de ces un autre corps qui est devenu l’enjeu des images dégradantes au nom de la liberté de choisir son divertisseattaques contre la dignité. C’est celui des ment. Pourtant, ces stéréotypes influencent et conditionnent l’image femmes. D’aucuns justifient la prostitution, de la femme auprès des jeunes générations subjuguées par ces specla gestation pour autrui au nom de la liberté tacles navrants. individuelle comme ils justifient l’uberisation au nom de la liberté d’entreprendre. Toutes ces émissions portent sur des jeux de séduction mêlant Inaliénable pourtant, le droit à la dignité esthétisme et docilité “Bachelor le gentleman célibataire”, “Qui veut épouser mon fils ?” ou “L’amour est dans le pré” soulève bien des attaques. On lui reproche (il pourrait être ailleurs et partout !). d’être une limite à la liberté individuelle et d’être ainsi “liberticide” La dignité serait le nouvel habillage de toutes les censures. Elle La présentatrice interroge les vieux garçons des campagnes comme est l’image repoussoir du moment, une nos hommes politiques avec la même langueur indécente. limite à la liberté d’action des hommes ! La On ne sait plus qui, des hommes politiques, candidats à la plus haute liberté mérite mieux que cela ! fonction de l’État, ou les jeunes agriculteurs sont les moins dignes ! Et toujours cette caricature mutilante de la femme et ce public forcé de Elles sont 25, à la télévision, jeunes et belles, offertes à un “parfait gentleman” béer devant cette dégradation de l’image de la femme et des jeunes aimantés par ces émissions où le héros lutte contre les éléments sans ou anges, corps sculpté et vocabulaire minimaliste dans un harem de bimbos. nécessité comme dans Koh Lanta. 14
Dignité et indignation Étymologiquement et c’est une étrangeté, il n’y a qu’une seule étymologie pour les mots indignes et s’indigner. Peur, connivence, intérêt mesquin, intérêt d’argent de gloire et de pouvoir, les petites nonchalances, nos petits renoncements, la peur du lendemain, la peur du déclassement, la peur de l’exposition empêchent l’indignation pure contre l’indignité. Pourtant seule l’action peut rendre justice à l’humain et triompher de l’inhumain. L’indigné crée de la dignité. C’est l’indignation créatrice du discours de Vladimir Jankelevich dans l’hommage rendu à Henri Bergson en 1959. (7) Même si les valeurs héroïques ont muté elles-aussi. Dans la vie de Galilée, Bertold Brecht, le disciple Andrea, mortifié par la rétractation de son maître s’exclame : “Malheureux le pays qui n’a pas de héros !”. Ce à quoi Galilée répond : “Malheureux le pays qui a besoin de héros ! Et ce combat pour la dignité de l’homme, seul l’homme peut le conduire. C’est le sens du roman de Tanella Boni dans les nègres n’iront pas au paradis (8) « Vous pouvez mettre votre capitale là où ça vous chante, lui donner la dimension que vous voulez, vous pouvez la construire sur une falaise ou dans les marécages de Balgaza, que voulez vous que cela nous fasse, du moment que nous avons, nous, décidé de construire l’Homme- lieu exact- de l’honneur et de la dignité’ l’homme est seul le lieu de l’honneur et de la dignité, l’honneur pour lui, et la dignité pour lui-même et ses semblables. Il n’y a de héros que celui qui se bat pour la dignité dans son quotidien, sans rechercher la gloire, au-delà de la pétition de principe, pour saisir l’être auquel nous ne pouvons pas faire de mal. À ce propos, l’éducation pourrait être un rempart contre la barbarie. Celle qui apprendrait à renoncer à l’abstraction, à la sécurité qu’elle procure pour percevoir la réalité concrète de l’homme souffrant, pour compatir, pour saisir du doigt la dignité. Me promenant dans les rues de Metz, j’ai entendu un enfant s’exclamer, enjoué, devant sa mère: ‘Regarde maman, regarde un clochard !’ Au-delà de l’innocence de l’enfant, ne lui a-t-on jamais parlé de ceux qui n’ont rien, ne lui a-t-on jamais fait remarquer que c’est un homme qui gît ainsi sur le trottoir ? Conclusion En résumé, il est d’une certaine façon inquiétant qu’on n’ait jamais autant parlé de dignité, car c’est le signe que ce principe est tout à la fois contesté et bafoué . Le signe que, la dignité ne va plus de soi puisqu’elle ne va plus sans dire. Signe de notre temps aussi, ce consentement à l’indignité dans le star système. Le visage de la dignité a changé et les atteintes à la dignité humaine ont pris plusieurs visages, proxénétisme, exploitation du travail appelé pudiquement ubérisation, misère de ceux à qui on refuse l’asile, la télé-réalité, le chômage et la pauvreté. Et il y a nous-mêmes qui contemplons l’indignité sans nous indigner. Nous avons cru bêtement que, après la parenthèse diabolique de l’esclavage et du nazisme, plus rien ne pouvait nous arriver. De pire. Sans doute. Il y a paradoxalement une grande misère sociale, mais aussi la volonté d’atteindre les limites de la jouissance que l’on paie par un renoncement à notre propre dignité et à celle des autres. Nous sommes toujours et encore dans le cadre de notre responsabilité collective. Comme au temps de Victor Hugo où le peuple de Paris venait applaudir et souiller par le regard, la Vénus noire. (1) V. Hugo, Les Misérables, 1862 (2) Pic de la Mirandol, De la dignité de l’homme, l’Éclat, 1993 (3) D. Daenincks, Cannibale, Verdier, 1998 (4) Ludwig Wittgenstein, Conférence sur l’éthique, mars 2008, Gallimard, poche (5) Le Dauphiné 17/02/2014 (6) Montaigne, Essais, III, (7) V. Jankelevich, hommage rendu à Henri Bergson à La Sorbonne, 1959, internet (8) T. Boni, les nègres n’iront pas au paradis, Serpent à plumes, 2006
Laura Tared 15
Gilbert du Motier, marquis de La Fayette, dit « La Fayette » né le 6 septembre 1757 mort le 20 mai 1834 à Paris Noble , Abolitionniste Amoureux de la liberté Officier et homme politique français
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Lafayette la passion de l’autre Il est de toute émotion que d’écrire les éloges de ceux qui ne sont plus. Au début de ce 21e siècle, nous lisons si peu. Instruit de l’existence passée, que par ceux que le pouvoir nous choisit par le biais des programmes, on s’assure que nous ne quittions jamais nos carcans. Prisonnier de nos états d’âme, l’État, et l’éducation nationale, influencent nos visions, et choisissent nos héros. L’université, un temps encore, privera bien plus qu’elle ne privatisera nos esprits, lorsqu’elle sera aux mains des industries, pour nous choisir des effigies guerrières au cœur d’une histoire où avoir été l’ami de Napoléon est gage de bonnes mœurs. L’esclavage, et la lutte de ceux qui vivaient pour libérer les autres ne résonnent pas bien dans notre société où le progrès ne fut pas signe d’émancipation. Au bas de la chaîne humaine du 21e siècle, l’homme «Dit» moderne reste corvéable à souhait, et ses chaînes sont les crédits qu’on lui prête pour amputer sa vie de l’illusion du bonheur. Pourtant le cœur névralgique de la capitalisation et de la centralisation des pouvoirs économiques des siècles passés et actuels n’est dû qu’à des philanthropes, paradoxe non négligeable pour comprendre que ceux qui bâtissent le monde n’en tirent aucun profit, alors que ceux qui encaissent les bénéfices finissent heureusement toujours démasqués par l’Histoire, pour peu que l’on se penche sur elle. Ainsi l’empereur bourré de complexe, craignant ici une femme, dont il fit sa pire ennemie, priée de se tenir loin de Paris, puis en Allemagne (Mag´n° 1 – Madame Germaine de Staël), jaloux là d’un homme bien plus instruit que lui, préférant la compagnie des hommes, lui fit lâcher un «Ma femme aussi aime les fleurs» (Mag´n° 3 - Alexander Von Humboldt), nous avons décidé de vous raconter dans ce numéro l’histoire d’un homme que Napoléon citait en ses termes dans ses mémoires de Sainte-Hélène : «un niais […] un homme sans talent ni civil ni militaire ; esprit borné, caractère dissimulé, dominé par des idées vagues de liberté, mal digérées chez lui et mal conçues…» Gageons que les ennemis de l’empereur qui étaient assurément des amis de la liberté et des abolitionnistes de premier plan méritent d’être les héros d’une Nation qui trouve son inspiration ailleurs que dans l’oppression des peuples. Chateaubriand dans Mémoires d’outre-tombe dira de lui :
«Royaliste, il renversa en 1789 une royauté de huit siècles ; républicain, il créa en 1830 la royauté des barricades : il s’en est allé donnant à Philippe la couronne qu’il avait enlevée à Louis XVI […] Dans le Nouveau Monde, M. de La Fayette a contribué à la formation d’une société nouvelle ; dans le monde ancien, à la destruction d’une vieille société : La liberté l’invoque à Washington, l’anarchie à Paris». 17
Gilbert du Motier de La Fayette, dit Lafayette, est un enfant de la noblesse française né en 1757 et qui ne fera jamais de distinction entre lui et ses camarades de jeux issus de la paysannerie. Orphelin très jeune, il grandit à Chavaniac dans les forêts d’Auvergne, en liberté auprès de ses tantes, il nourrit très jeune déjà son esprit d’aventure. Au service des autres, le jeune garçon de neuf ans voudra seul partir terrasser la bête du Gévaudan. Une suite malheureuse de décès familiaux feront de lui l’un des hommes les plus riches du royaume à l’âge de 12 ans. Marié, d’abord par arrangement à l’âge de 17 ans avec la très jeune Marie Adrienne Françoise de Noailles qui est de trois ans sa cadette, leur affection mutuelle fera d’Adrienne une épouse toute dévouée à la cause de son mari, qu’elle soutiendra durant les années d’éloignement, assurant grâce à son éducation, la réputation de son jeune époux parti libérer le Nouveau Monde. Elle lira ses lettres dans les salons , et ira plus tard jusqu’à le rejoindre en prison. Une de ses filles dira de sa mère qu’elle était une sainte, ce qui en vertu, ne fut pas le cas de son épouse. Voilà donc que contre l’avis du roi, à 19 ans, alors qu’il est destiné à devenir un courtisan, ce qu’il n’envisage pas un instant, le jeune marquis qui rêve d’une carrière militaire, enclin à vivre avec son temps, au sein des grandes luttes et du romantisme, décide de s’embarquer pour l’Amérique. Un souper qui s’était tenu à Metz au cours duquel il avait entendu parler pour la première fois de la lutte des colons américains contre les Anglais, avait mis son esprit en alerte. Il comprit que l’Amérique et son combat pour la liberté seraient une chose qui ne le lâcherait plus. Ici, car plus que le récit historique qui inspire un homme, dans son enfance, il est question de la naissance de la passion de l’autre, de ce qui pousse un être à choisir son destin, qui pourrait être des plus confortables, pour risquer sa vie. Rien n’était alors plus dangereux que les voyages en haute mer, rien n’était plus incertain qu’un champ de bataille. 18
C’est donc en esquivant les espions, en passant par l’Angleterre puis Bordeaux, pour se rendre au Pays basque du côté de San Sébastian, que le jeune homme compte quitter l’Europe à bord de «La Victoire», navire que le comte de Broglie alors chef du «cabinet secret» de Louis XVI, qui souhaite aider les Insurgés contre la couronne britannique, lui fait financer. Prévenu des dangers, il remontera brusquement pour tromper ceux qui le poursuivent vers Bordeaux, La Victoire en partira le 25 mars 1777, mais sans le marquis qui feindra de se rendre à Marseille où on lui ordonne sous le coup d’une lettre de cachet de se rendre. C’est à cheval qu’il la rejoindra à Pauillac afin de semer ceux, parmi qui son beau-père le poursuivent. La Victoire reprend alors la route de Bayonne, et file vers San Sébastian, et c’est dans le port de Pasajes qu'elle finit par faire escale. Ce navire de commerce ne fait que 22 mètres de long et 8 mètres de large, possède deux canons à son bord, et c’est si parcimonieusement que le 26 avril Lafayette quitte l’Europe. La Victoire rejoindra l’Amérique le 12 juin de la même année avec une lourde cargaison d’armes et quelques hommes à son bord dont le jeune aventurier en quête de liberté. Durant le voyage il apprend l’anglais, ce qui lui donne un avantage certain à son arrivée. Il y a nombre d’hommes qui risquent tout pour la richesse et la gloire, certains penseront peut-être que Lafayette cherchait la seconde ayant déjà la première, mais l’histoire nous dira que c’est l’autre et l’affranchissement de «l’autre», son bonheur et sa liberté qui seront pour lui le plus puissant des moteurs. Durant sa longue carrière humaine et politique, il refusera des postes parmi les plus prestigieux, abandonnera des fonctions, ou quittera l’armée. Il sera un homme digne et droit, injustement sorti de sa juste place dans les livres d’histoire, et laissé pour être un acteur mineur de la création des États-Unis d’Amérique. De l’autre côté de l’Atlantique il est un citoyen d’honneur, mais sera un temps, le temps d’une vie, nommé le «Citoyen des deux mondes».
Oui, c’est une savante combinaison, entre le courageux désintéressement d’un tout jeune homme, son esprit d’aventure et de liberté, allié aux colons qui malgré les nombreuses défaites, retourneront sans cesse au combat, à la finesse de sa jeune épouse Adrienne qui lira ses lettres à la cour, puis c’est par le retournement du roi que la situation se renversa. Le cours de l’histoire tient au fil invisible qui unit ceux qui y prennent part. Le courrier que Gilbert adresse à son «Cher cœur», après ce qu’il nomme sa blessure, et qui scellera à jamais son destin et celui du Nouveau Monde, est celui d’un homme tendre, doux, et qui se dit lui-même que trop sensible. Loin des tableaux trônant dans les musées qui font de lui un général droit et rigide, on le dit proche de ses hommes, et soucieux des conditions humaines. Son engagement pour les États-Unis se fera à compte d’auteur en quelque sorte, puisque septique devant son jeune âge ce n’est que lorsqu’il dira une fois arrivé sur place, qu’il ne demande pas de solde, qu’il sera accepté au cœur de cette armée, qui lui allouera alors un rôle mineur. Politiquement Lafayette fera la différence. On peut parfois lire ou entendre qu’il avait fait bien assez de bénéfices en vendant, une fois arrivé à bon port, les armes trois fois leurs prix, pour se passer d’une solde, mais on oublie a fortiori que l’objectif du Marquis qui est déjà riche à souhaits, ne saurait être l’argent, au vu des risques encourus. Il veut être de la bataille! Son amitié avec Georges Washington, qu’il considèrera comme son père adoptif, permettra au jeune Marquis d’avoir un repère paternel qui ne sera pas de façade, puisqu’il nommera son fils comme son père spirituel. On entendra aussi, ceux qui veulent le réduire à des amitiés entendues, dire que c’est la franc-maçonnerie qui lui ouvrira bien des portes, que ses beaux idéaux ont été forgés dans ce jeune cœur par elle, dont il ne serait que l’instrument.
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Il est propre aux humains de vouloir classer leurs semblables dans des cases convenues, et bien pratiques à ceux qui ne connaissent pas l’engagement sincère que de trouver aux autres des motivations visant à masquer les élans du cœur. La dignité est ici celle que l’on souhaite rendre à l’autre, car sa vie durant Lafayette sera un fervent défenseur de la cause des esclaves, allant jusqu’à acheter une propriété en Guyane, pour y démontrer qu’un meilleur traitement et une libération sont bien plus productifs, La Fayette l’abolitionniste connaît les arguments de ceux qui prétendent que le profit fait dans les colonies dépend directement de la traite des Nègres. Avec ses amis de «la Société des Amis des Noirs», dont il sera un des premiers membres, ils n’auront de cesse que de plaider afin que cesse la traite humaine et s’impose l’abolition progressive. C’est en l’an 1785 que Lafayette fit l’acquisition de «La Belle Gabrielle» une plantation de clou de girofle et de cannelle, située dans l’actuelle Guyane française. Environ soixante-dix esclaves noirs africains âgés d’un à cinquante-neuf ans y étaient logés, payés et scolarisés, et ne recevaient ni plus ni moins de réprimandes que les blancs. Il comptait démontrer les bienfaits de l’émancipation progressive. Extrait d’un courrier adressé à l’Assemblée nationale pour l’abolition de la traite des noirs par la Société des Amis des Noirs. «Il est digne de la première assemblée libre de la France de consacrer le principe de la philanthropie qui ne fait du genre humain qu’une seule famille, de déclarer qu’elle a en horreur ce carnage annuel qui se fait sur les côtes d’Afrique, qu’elle est dans l’intention de l’abolir un jour, d’adoucir l’esclavage, qui en est le résultat, d’en rechercher, d’en préparer dès à présent les moyens. Nous vous en conjurerons au nom des colonies mêmes, qu’une pareille déclaration peut seule tranquilliser, au nom de votre gloire, au nom de la justice, au nom de l’humanité, à laquelle un mois, un jour de délais coûte de flot de sang. 20
(Illustration : Une liste d’esclaves, dont un estropié, qui avait été admis sur la plantation)
Nous vous en conjurons enfin, au nom du ciel,
qui contemple sans doute avec joie la révolution que vous avez opérée, qui la bénira, qui la protégera bien plus fortement en vous voyant employer votre pouvoir pour essuyer les larmes de ses infortunés contre lesquels la cupidité européenne conspire depuis si longtemps. Imprimé par ordre de la société 5 février 1790». Llyod S. Kramer écrivit à propos de La Fayette : « Il n’est pas de personnage qui fut mêlé plus longtemps et plus intensément à la séquence de révolutions patriotiques qui, parti d’Amérique du Nord, essaima en France, en Amérique du Sud, en Espagne et en Grèce, à nouveau en France, et en Belgique, et finalement en Pologne - sans parler d’autres mouvements nationaux en Irlande, en Suisse, en Italie, ou en Allemagne. La Fayette fit le lien entre les acteurs et les évènements ». L’autodétermination nationale, c’est sans doute ce qui poussera Lafayette après 1830 à refuser la couronne de Belgique que l’on souhaite lui tendre, si attaché qu’il est aux droits de l’homme et du citoyen, dont il sera un des instigateurs, même si la première version proposée par ses soins trop proche de la version américaine ne sera pas adoptée. Rendre la dignité aux hommes... on ne s’étonnera pas qu’il siège à l’extrême gauche de 1818 à 1830, lui dont le destin préfigurait qu’il se tint parmi les nantis.
Che Guevara au service de l'autre D´autres destins poussent des hommes
à qui il était donné de vivre à l'abri du besoin, à dépasser leurs conditions, au-delà du sang versé jusqu'à y laisser la vie. Plus connu de nos contemporains, la finalité et la tragédie freineront les ardeurs des jeunes vocations révolutionnaires. Voici l´histoire d´un beau et jeune médecin né en Argentine, issu de par son père des diasporas Basque et d'Irlande et de par sa mère l'aristocratie espagnole, rien ne le prédispose à courir dans la jungle auprès des plus pauvres afin de leur offrir la liberté. Pourtant sensibilisé très jeune lors de ses études de médecine, à cette grande pauvreté, il en est persuadé, rien ne sera possible sans passer par une révolution. Il va étudier les thèses du marxisme, puis les adopter. Comme Lafayette il sera commandant et comme lui le héros de révolutions. Les services secrets ne sont jamais loin des révolutionnaires, et si cette fois la CIA remplace les hommes au service du roi, son rôle ne sera jamais clairement établis. Les Guévara (nom du village en espagnol ou Gebara en basque) quitte le Pays Basque peut-être du même port que celui qui a vu partir le " la Victoire " de Lafayette. Celia de la Serna y Llosa, la mère du Che est descendante de José de la Serna e Hinojosa le dernier vice-roi espagnol du Pérou. Ils sont issus d´une famille aristocratique mais vivent comme des personnes de la classe moyenne. Jeune comme Lafayette son goût pour l´aventure et la liberté sera prononcé, joueur d´échec et stratège, il étudie beaucoup. Sa mère lui enseigne le Français. Lors d´une année sabbatique, il va arpenter l’Amérique du sud, c´est là en découvrant la pauvreté de certains, dont des mineurs, que son destin et son engagement pour les autres vont basculer. La suite de l´histoire vous la connaissez, sans doute, il faudrait plus d´un article pour vous raconter combien il faut d'abnégation et de renoncement pour se mettre au service des autres, de la révolution et de la liberté.
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C´est ainsi que vivent et meurent au fil du temps, des enfants qui n´ont jamais renoncé à eux-mêmes. Des années d'emprisonnement de Lafayette, à la torture, à l´assassinat du Che, comment pourrions-nous vous faire partager, frénésie, désespoir, espoir, incarcération, lien humain, amitié, et engagement ? Ernesto, rare non Cubain, faisait partie des 82 hommes partis avec Fidel Castro en novembre 1956 sur le Granma pour rejoindre les côtes de Cuba, le petit yacht en mauvais état n´est pas à l´image de « la Victoire » de Lafayette, il résiste mal à la météo. Les guérilleros essuient des tirs à peine débarqués, l'armée de Batista est en guet-apens, elle a eu vent de l'expédition. Seule une vingtaine d'hommes va survivre, parmi eux une douzaine rejoindront la Sierra, les autres seront portés disparus, tués, exécutés. La violence du combat au nom de l´autre, de la liberté, de sa dignité, s´efface au profit des noms qui n´entreront jamais dans l´histoire, d´un pays, d´une Nation. Le Che écrira qu´il avait choisi d'abandonner son sac d'équipement médical au profit d´une caisse de munitions, voilà comment il est devenu un combattant. « Ceci est l’histoire d’un échec », écrira-t-il dans son journal du Congo. Dans le village de Baraka, sur les bords du lac Tanganyika dans le sud-Kivu, Le général-major à la retraite Lwendema Dunia, 80 ans, s’est battu aux côtés des combattants cubains : « J’étais simple soldat. Quand les Cubains ont accosté. Che Guevara nous a appris comment faire une révolution. Il nous a formé militairement et nous a appris comment faire une révolution. (…) Mais quand nous avons commencé à rançonner la population et fouler au pied les idéaux de la révolution, ils sont partis. » Che Guevara écrira dans son journal : « Au cours de ces dernières heures passées au Congo, je me sentis seul, plus seul que je ne l’avais jamais été, à Cuba ou en tout autre point de mon errance à travers le monde. » 22
Che Guevara dans un village du sud-Kivu durant sa campagne congolaise en 1965. © Photo AFP
L´on oublie trop souvent que l´homme qui se bat pour tous est un homme que la solitude empoigne, comme si cette masse que l'on nomme nation, peuple ou citoyens, n´offrait de salut que pour ceux qui considèrent les individus un à un, friands d´un merci, alors que lui s´attaquant à de grands idéaux, prend trop de recul sur les choses et finit par s´en éloigner à jamais, pour ne s´en rapprocher qu´une fois que la clarté s´estompe, transcendée par la mort, telle ces astres qui brillent trop, et que le regard ne sait soutenir, sans l´ombre salutaire de l´éclipse. Puisqu'un fil conducteur existait entre la terre d'où j'écris cet article et le temps présent, il fallait revenir vers nous, et vers la dignité des hommes qui défendent non pas les autres, mais bien les leurs et leur terre. Leur langue et leur culture. La dignité de soi, face à la dignité de l'autre. Nous nous sommes interrogés sur l´autodétermination de Lafayette à celle des Basques et forcément il y a eu comme un écho, ce qui pousse les humains à l'action. Alors qu'à la sortie de ce qu'il reste du cloître de la cathédrale de Bayonne, dont on ne peut plus faire le tour (un peu comme la question de la dignité), le guide nous rappelait que sans l'éruption du Laki, un volcan qui en 1783 au sud de l'Islande créa en Europe les conditions propices aux évènement ayant provoqué la révolution Française, rien de tout ceci ne serait arrivé .
Lorsque le peuple a faim…
Filipe Bidart au nom des miens Nous sommes favorables à l’autodétermination politique et l’Unité Nationale c’est tout le monde. Les autonomistes portent également une vision politique que nous nous devons d’écouter. Si des patrimoines sont à préserver, que des craintes s’expriment ou que des disparités existent, il convient de les écouter. Les décisions qui engagent une région doivent être prises au niveau de la région lorsqu’elles engagent les territoires et les habitants de ses derniers. Qui peut se prévaloir d’une gestion en bon père de famille si loin de l’Etxe*? (*La maison… en basque) Oui la Nation, mais quelle Nation ? Oui l’Unité Nationale, mais quelle Unité? L’unité n’est possible que s’il s’agit d’unir des dissemblances et donc de reconnaître l’autre… tel qu’il est et non de le changer pour faire de lui ce que nous aimerions qu’il soit. L’enseignement de la révolution au Congo par le Che se heurta peut-être à des siècles d’art de la guerre africaine. Le Pays basque n’était pas une terre propice à la révolution, on ignore ce qui poussa au sortir du grand séminaire celui qui allait devenir cet enseignant de langue basque à rejoindre politiquement un mouvement indépendantiste. Lorsque le premier militant tomba, il n’était plus temps de comprendre que l’on pouvait mourir pour cette cause, du côté français également, il fallait envisager que la lutte ne puisse se faire sans arme. Nous ne nous sommes donc pas interdit d’écrire nos questions, et d’envoyer notre demande d’interview, bien conscients que certains qualifieront de terroriste, aux yeux des chefs d’accusation, l’homme dont nous allons parler. S’ils avaient eu gain de cause, son destin aurait fait de lui un héros de la libération, car ne nous voilons pas la face, si les Anglais avaient eu gain de cause dans le Nouveau Monde, Lafayette aurait été un terroriste français, et sans certain soutien la révolution cubaine aurait fait du Che, non pas un héros… mais peut être une des insignifiantes victimes tombée sur la plage, avec sa trousse de premiers soins.
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Je me suis rendue sur place, dans le village de Filipe Bidart, pour voir si le hasard nous permettrait de croiser nos chemins, je savais la tâche ardue aussi nous avons pris le parti d’appeler cette partie de notre article…
«Comment je n’ai pas rencontré Filipe Bidart». N’allez pas imaginer que j’ai le moindre courage, où que j’ai pris le moindre risque, son nom la première fois que je l’ai entendu c’était à Bayonne, et ses exploits, comme celui de l’évasion de la prison de Pau, c’est un Basque qui les yeux pleins d’admiration me les racontaient voilà 26 ans. Il faut garder à l’esprit que l’évasion de Pau, dont nous ne ferons pas la narration ni l’éloge, est à elle seule gage du courage d’un homme qui va tout faire pour libérer ses camarades, même si en face, nous avons la Nation et ce qu’elle représente.
Le titre du communiqué indiquait «Les restrictions à la liberté d’expression imposées à Philippe Bidart, ancien chef de l’organisation séparatiste basque Iparretarrak, dans le cadre de sa libération conditionnelle, étaient justifiées» Dans son arrêt de chambre, rendu dans l’affaire Bidart c. France (requête n o 52363/11), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : «Non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme»
Lorsque deux idées s’affrontent, dans chaque camp on protège les siens. Il serait injuste de ne pas parler de toutes les constantes de la Nation comme nous la connaissons à cette étape de notre histoire, avec ceux qui veulent en être, et ceux qui ne le souhaitent pas, car elle méprise un temps encore, des singularités et la beauté des dissemblances.
Tout nous laissait à penser qu’il pouvait le faire en nous basant sur les dates et la durée de sa liberté conditionnelle de liberté conditionnelle.
C’est donc les yeux tristes, que cet ami m’a parlé de ceux tombés au combat, des jeunes du village qu’il connaissait, de celui qui, disparu, ne reviendrait plus. Du GAL, du petit Bayonne, je ne savais rien, j’écoutais. J’écoutais comme l’on écoute lorsque l’on écoute un ami.
Le silence vous laisse toujours seul avec vos interprétations du vide.
Les risques je les avais pris voilà bien longtemps déjà, bien entendu il n’était pas question d’utiliser des passe-droits pour cette interview, on voulait la décrocher à la loyale. Pas question de balancer un nom ou deux, histoire de dire… «Fais-nous confiance». Nous savions qu’il avait été débouté de sa demande devant la Cour européenne à Strasbourg concernant l’application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, nous ignorions s’il voulait ou pouvait s’exprimer. 24
Une première approche fut faite avec mon numéro de portable luxembourgeois.
Il se disait peut-être «Qu’ils me foutent la paix», ou juste «Mais qui sont ces gens?». Nous lui avions donné une adresse mail, en ignorant si nous avions peut-être été indélicats, ou peut-être, lui avions-nous laissé le sentiment que nous comptions le visiter «Comme un site culturel incontournable», ou pire encore… Comment savoir ? Est-il absent? Ce numéro… cette adresse, la sienne, écrivions-nous directement à de gentils agents en charge du gardiennage de notre nation ? Que peut-il se passer dans la tête d’un homme qui a été craint, stratège, ambitieux, courageux, qui a passé tant d’années en prison, du remord ? On dit ici et là qu’il n’en éprouve pas. Le silence? Le droit à la paix?
Bien entendu ce n’est pas un pèlerinage à Notre-Dame de Lourdes, et nous ne voudrions pas vous faire passer un homme qui a purgé sa peine pour une blanche colombe, mais un ami m’a fait remarquer un jour très justement que la réhabilitation existe, et le droit au pardon doit être donné à chacun. C’est aussi ça la dignité humaine. Qu’en était-il réellement de sa vie, peut-on véritablement bénéficier d’une réhabilitation? Le pardon existe-t-il? Bien entendu des commentaires circulaient aussi sur les réseaux sociaux, alors qu’avec une association ils avaient tenté de racheter le château du village… «Pour le rendre au peuple». Il ne se mettait pas en avant sur les photos, mais bien présent. On pouvait lire qu’il s’agissait tout de même d’un assassin. Animés par la liberté d’expression qui caractérise notre magazine, nous voulions juste lui permettre de s’exprimer. Nous vous livrons donc les questions de cette Interview, et le silence qui l’accompagne. Questions Carole Vilbois 1— Bonjour, Filipe, quelques questions, pour ce numéro qui aborde le sujet de la dignité. Difficile de penser à la dignité sans penser à celle des peuples, de la culture et du lien intemporel qui unit sur un même territoire, des membres ayant une histoire commune.
Lorsque la politique et les paroles ne trouvent plus d’oreille attentive, et que la colère monte, des hommes et des femmes prennent des risques pour défendre une identité culturelle, un territoire. Ayant quitté le Pays basque où des hommes et des femmes se battaient pour financer les Ikastolas, dans lesquels vous avez vous-même été enseignant, et arrivant au Luxembourg, au cœur de l’Europe et de ses institutions où la langue luxembourgeoise jusque-là patoise, et parlée, se posait pour la première fois à l’écrit, que sa grammaire était mise au point par ceux qui voulaient préserver leurs cultures et trouvaient dans le cadre de leurs frontières le droit au protectionnisme par la langue, un profond sentiment d’injustice m’avait fait pensé que l’Europe est «deux poids, deux mesures», alors que la langue basque, la plus ancienne des langues européennes était malmenée, pensez-vous qu’elle sera massivement protégée au cœur de l’Europe un jour, car la notion même de patrimoine local devient de plein droit patrimoine européen, puisqu’elle est par antériorité la plus ancienne? 2— J’ai connu les noms en basque griffonnés sur les panneaux de signalisation, aujourd’hui c’est officiellement que les noms sont écrits en Basque et en Français, pensez-vous qu’un jour la langue basque puisse être demandée lors d’un recrutement, comme c’est le cas au Luxembourg où les entreprises demandent le «Luxembourgeois», et qu’une langue puisse devenir une seconde «langue officielle régionale», afin qu’elle devienne symbole d’intégration, de partage et que certains secteurs puissent utiliser le protectionnisme par ce biais comme c’est le cas au cœur de l’Europe? 3— Vous avez vous-même été privé du droit à la liberté d’expression, et l’Europe a confirmé la sentence en 2015, alors que vous aviez invoqué l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, pensez-vous que les droits européens de l’homme sont une utopie, l’avez-vous vécu comme une injustice, et comment ont réagi les personnes dans votre entourage?
Saint-Étienne-de-Baïgorry (en basque Baigorri) Photos©CaroleVilbois
4— J’ai vu l’évolution immobilière du Pays basque et des logements ont été construits pour que maintenant les Basques puissent vivre près des villes où ils ont grandi et proches de leurs parents, afin de préserver le lien intergénérationnel, faciliter entre autres la garde des enfants, accéder plus facilement durant la saison à leurs lieux d’activités, pensez-vous que cette évolution est suffisante, ce problème ne concernait-il que les Basques de la côte? Trouve-t-on encore des débats au sein des 25 villages sur ce sujet?
t Bidar ée e p i l i F qu ew man intervi
5— Vous avez entrepris avec vos amis de l’association Etxauzia Nafartarren Etxea de monter un projet en vue de racheter le château afin de le restituer au peuple, comme c’est indiqué sur le site, nous pouvons également lire «Nous voulons qu’Etxauzia soit ouvert et vivant. Nous souhaitons que Baigorri soit vivant et ouvert. Avec nos amis du Pays basque et du monde entier, nous ouvrirons Etxauzia et nous le ferons vivre; et c’est également avec eux que nous construirons un pays vivant et ouvert. C’est pour cela que nous développons un projet ayant pour axes l’économie, la culture et l’histoire, basées sur la participation et les initiatives collectives.» Pouvons-nous parler de petites victoires et de victoires à venir lorsque nous évoquons ce point et les points suivants ? Le village de Baigorri a trois écoles, l’école primaire privée Baigorriko Ama Ikastola qui propose un enseignement basque par immersion, l’école primaire privée Donostei et l’école primaire publique qui elles proposent un enseignement bilingue français basque à parité horaire.
2— Dans ce monde globalisé qui avance à marche forcée vers l’uniformisation des populations dans une culture de la consommation, l’attractivité touristique de fêtes comme celles de Bayonne sont-elles selon vous le signe d’une culture basque reconnue, vivante et vivace ? 3— De manière générale, la France présente sa culture comme universelle et par voie de conséquence chaque région française y participerait sans problématique inquiétante. Dans les départements d’outre-mer par exemple, c’est à coups de pianistes de Pont-à-Mousson, de marionnettes d’Alsace, de fêtes basques ou encore de Francofolies délocalisée, que cette universalité se manifeste. Le fait de s’interroger sur ces manifestations suscite souvent des réactions du type : «Comment, vous renoncez à des manifestations de la culture universelle? On vous propose Mozart, et vous criez à la déculturation?» La recherche d’identité a souvent été présentée par l’état comme une vague et métaphysique aspiration à l’«authenticité». Selon vous la dignité des personnes ou d’un territoire est-elle liée à une recherche d’identité ?
La création en 2013 d’une monnaie locale, l’Eusko, qui est disponible chez plus de 500 commerçants, et 4— Dans un documentaire retraçant l’histoire de votre portée dans un premier temps par les défenseurs de la mouvement, de nombreux protagonistes indiquent langue basque et les militants, dépasse maintenant ce qu’à une certaine époque des générations rejetaient la milieu, pour s’ouvrir à un public plus large. singularité de leur culture, voire la dénigraient pour d’autres. Sans vouloir y donner une connotation de Le Pays basque retrouve-t-il jour après jour un peu fierté particulière ou plutôt de hiérarchisation des d’autodétermination, de dignité identitaire, êtes-vous cultures, qu’en est-il aujourd’hui de l’appréciation confiant en l’avenir ? portée par les différentes générations sur cette altérité du Pays basque ? Question d’Antoine Fontaine : 1 — Si vous aviez une appréciation à porter sur la reconnaissance de la culture basque aujourd’hui par rapport aux débuts de l’engagement en faveur de sa reconnaissance, quelle serait-elle ? 2— Dans ce monde globalisé qui avance à marche forcée vers l’uniformisation des populations dans une culture de la consommation, l’attractivité touristique de fêtes comme celles de Bayonne sont-elles selon vous le signe d’une culture basque reconnue, vivante et vivace ? 26
5 – Dans les départements d’outre-mer (Martinique/Guadeloupe/Guyane/La Réunion/Mayotte), la langue régionale a longtemps été jugée comme « dangereuse» et donc interdite à l’école. Sa reconnaissance aujourd’hui dans le cadre d’enseignements dispensés par l’éducation nationale tend, selon mon point de vue, à en faire davantage une langue folklorique, tandis que le créole devient de moins en moins un outil culturel et social. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une ikastola, leur fonctionnement, leur vocation, leur place aujourd’hui dans la transmission des savoirs et dans l’enseignement scolaire ?
PAS DE NATION AU SEIN DES NATIONS Filipe Bidart devient un instituteur d’Ikastola en sortant du grand séminaire et rien ne le destinait alors à militer dans le mouvement Iparretarrak, ni à entrer dans la clandestinité le 19 mars 1982 après l’attentat ayant coûté la vie à deux policiers à Saint-Étienne-de-Baïgorry. Bien entendu il ne s’agit pas ici de définir les torts des uns et la fonction des autres, mais les trois camps qui vont s’affronter, regroupent d’un côté ceux qui luttent pour la dignité de tout un peuple, sa langue, la survie de sa culture, et son indépendance, contre ceux qui sont missionnés pour défendre contre salaire les intérêts de l’État et de la Nation, des intérêts qui vont en fonction du temps et de la pression espagnole s’accroître ou décroître. Dans le troisième camp, on trouve le terrorisme d’État, un groupuscule du nom de «GAL» Groupes antiterroristes de libération. Il s’agissait de commandos parapoliciers et paramilitaires espagnols, ayant entre 1983 et 1987 l’objectif de lutter contre l’ETA sur le territoire français qui servait alors de base arrière au mouvement basque espagnol. Le GAL entité de lutte étatique antiterroriste clandestine, frappe sur notre territoire jusqu’à l’intervention de Charles Pasqua. Ils cessèrent officiellement toute activité en 1987, lorsque la France débuta une véritable politique de collaboration avec les autorités espagnoles. Pour ne pas minimiser les actions du GAL nous publions ici la liste des victimes. 1983 · octobre 1983 : disparition des activistes José Ignacio Zabala Artano «Joxi» et José Antonio Lasa Arostegi «Joxean», rue des Tonneliers à Bayonne. · 4 décembre 1983 : enlèvement à Hendaye du français Segundo Marey. Il est libéré le 10 décembre, une fois l’erreur d’identité constatée. · 19 décembre 1983 : assassinat au bar Kaietenia de Bayonne de l’activiste Ramon Oñaederra Bergara «Kattu». 1984 · 1er janvier 1984 : Mikel Goikoetxea Elorriaga dit «Txapela» meurt des suites d’un attentat contre sa personne quatre jours plus tôt à Saint-Jean-de-Luz. · 8 février 1984 : Angel Gurmindo Lizarraga «Stein» et Bixente Perurena Telletxea «Peru» sont assassinés à Hendaye. · 25 février 1984 : Eugenio Gutierrez Salazar est assassiné à Mauléon-Licharre. · 1er mars 1984 : assassinat à Hendaye d’un jeune cheminot, citoyen français, Jean-Pierre Leiba. · 19 mars 1984 : Un mercenaire du GAL, Jean-Pierre Chérid, meurt à Biarritz dans l’explosion de la bombe qu’il manipulait. · 23 mars 1984 : assassinat à Biarritz de Xabier Perez de Arenaza. · Mars 1984 : Ramon Basanez Jauregi est blessé à Bayonne. Plusieurs voitures piégées explosent à Biarritz et Bayonne. · 3 mai 1984 : Rafaël Goikoetxea Errazkin est assassiné sur la route de Baigorri. Jésus Zugarramurdi Huitzi qui l’accompagnait est grièvement blessé. · 10 juillet 1984 : attentat au bar La Consolation à Saint-Jean-de-Luz blessant José Luis Oliva Gallastegi, Bonifacio Garcia Nuño et Juan Vicente Jauregizuria Uria. · Juillet 1984 : mitraillage du bar Etxabe, rue Pannecau à Bayonne, quatre blessés légers. · 28 juillet 1984 : Tomas Perez Revilla meurt à la suite des graves brûlures provoquées par l’attentat du 15 juin 1984 à Biarritz, dans lequel fut blessé son compagnon Roman Orbe. · 4 août 1984 : incendie à l’entreprise Urkide d’Hendaye. · 9 août 1984 : incendie à la coopérative Denek de Arrosa. · 13 août 1984 : incendie à l’entreprise Collectivité Service à Bayonne. · 2 septembre 1984 : incendie à la coopérative Alki d’Itxassou. · 18 novembre 1984 : Christian Olaskoaga, citoyen français, est assassiné à Biriatou. · 20 novembre 1984 : Santi Brouard, parlementaire de Herri Batasuna, est assassiné dans son cabinet de pédiatre de Bilbao. · 11 décembre 1984 : Juan José Iradier est blessé à la suite d’un attentat à Hendaye. 1985 · 1er février 1985 : Xabier Manterola, citoyen français, est blessé dans un attentat. · 5 février 1985 : à Bayonne le jeune Christian Casteigts est grièvement blessé par une bombe qui le laisse handicapé physique. · 4 mars 1985 : Josu Amantes et Gotzon Zabaleta sont grièvement blessés par balles à Bayonne dans un attentat au bar Lagunekin, rue Pannecau. · 13 mars 1985 : mitraillage et jets de grenade au restaurant Briketenia de Guéthary. Les propriétaires, les frères Ibarboure sont légèrement blessés. · 25 mars 1985 : Ramon Basanez est blessé dans un attentat à Ciboure. · 26 mars 1985 : deux membres du GAL tirent dans un bar à Ciboure, deux morts.
· 29 mars 1985 : attentat au café des Pyrénées, rue Pannecau à Bayonne. Benoît Pécastaing, citoyen français, est tué ; Kepa Pikabea et Jean-Marc Mutio sont blessés. Un des tueurs, Pierre Baldès, est arrêté. · 30 mars 1985 : Xabier Galdeano Arana, photographe du journal Egin en Iparralde, est assassiné à Saint-Jean-de-Luz. · 14 juin 1985 : assassinat à Ciboure, des citoyens français, Émile Weiss et Claude Doerr. · 26 juin 1985 : assassinat à Bayonne de Santos Blanco Gonzalez. · 1er juillet 1985 : Fernando Egileor Ituarte est blessé à Anglet. · 8 juillet 1985 : Juan Carlos Lezertua est blessé dans un attentat à Ciboure. · 31 août 1985 : Dominique Labeyrie, citoyen français, est blessé à Saint-Jean-de-Luz. · 2 septembre 1985 : Juan Mari Otegi Elizegi «Txato» est assassiné alors qu’il allait en voiture à Saint-Jean-Pied-de-Port. · 25 septembre 1985 : Sabin Etxaide Ibarguren, Augustin Irazustabarrena Urruzola «Legra», Inaki Asteasuinzarra Pagola «Beltza» et José Maria Etxaniz Maiztegi «Potros» sont assassinés au café «Mon bar» à Bayonne, rue Pannecau. · 4 décembre 1985 : attentat à Helette contre Fernando Biurrun qui en sort indemne. · 6 décembre 1985 : attentat à l’atelier Argilo (Hendaye). · 24 décembre 1985 : grièvement blessé à Biarritz, Robert Caplanne, citoyen français, meurt le 3 janvier. 1986 · 8 février 1986 : Frédéric Haramboure, Juan Zabaleta, José Cau, Carmen Otegi et les enfants A. Zabaleta et N. Otegi sont blessés dans un attentat au bar Batxoki de Bayonne, quai Chaho. · 13 février 1986 : Ramon Basanez est à nouveau blessé dans un attentat à Saint-Jean-de-Luz. · 17 février 1986 : assassinat à Bidarray des citoyens français Christophe Machicotte et Catherine Brion. 1987 · 24 juillet 1987 : Juan Carlos Garcia Goena est assassiné à Hendaye. · 3 octobre 1987 : Le gouvernement français organise une grande rafle policière de militants nationalistes basques : 120 perquisitions, 300 arrestations, 200 réfugiés basques livrés directement aux mains de la police espagnole selon la procédure d’urgence absolue, 50 réfugiés basques déportés par la France dans des pays tiers (Afrique et Amérique du Sud), 27 réfugiés basques et 9 Basques français incarcérés en France. · La France faisant désormais la chasse aux réfugiés basques, le GAL disparaît subitement. (source Wikipédia) ***** Parallèlement voici les membres d’Ipparetak (IK) victimes ainsi que les victimes attribuées au groupe, les deux camps se confondant parfois comme dans la tragédie qui réunit Maddi Heguy et le policier Roger Latasa qui sont tués, écrasés par un train, l’un dans l’exercice de ses fonctions et l’autre en poursuivant son idéal. · 26 mars 1980 : deux militants d’IK, Dominique «Txomin» Olhagaray et Raymond «Ramuntxo» Arruiz, sont tués par l’explosion accidentelle d’une bombe qu’ils posaient dans la voiture de la femme du sous-préfet sur le parking de l’hôpital de Bayonne. La date marque un saut qualitatif dans l’activité d’IK. · 19 mars 1982 : attentat à Baigorri, deux CRS, Jackie Bouyer et Bernard Roussarie, sont tués. La police porte ses soupçons sur IK et plus particulièrement sur Filipe Bidart, passé clandestin en 1981, après un braquage dans les Landes. IK démentira toute responsabilité dans cette action. · 7 août 1983 : à Léon (Landes), un gendarme est tué et un autre blessé lors d’une fusillade avec des militants d’IK. Disparition d’un militant d’IK, Jean-Louis Larre (dit «Popo»), après cet affrontement, personne ne peut certifier l’avoir revu. IK accuse les forces de police de l’avoir assassiné. · 1er mars 1984 : Didier Lafitte est tué par un policier lors de l’arrestation de Gabi Mouesca, militant d’IK. · 13 décembre 1986 : un commando d’IK entre dans la prison de Pau et libère deux militants incarcérés : Maddi Heguy et Gabi Mouesca. · 21 juin 1987 : au cours d’une course-poursuite entre des militants d’IK et des agents de la police des airs et des frontières, la militante Maddi Heguy et le policier Roger Latasa sont tués, écrasés par un train. · 6 juillet 1987 : mort de Christophe Istèque, par l’explosion d’une bombe qu’il allait poser ; Patrick Lembeye est grièvement blessé. Incarcération de Jean-Marc Abadie et de Philippe Lescourgues. · août 1987 : mort d’un gendarme à Biscarrosse (Landes), Filipe Bidart et Lucienne Fourcade, militants d’IK, sont en fuite. Filipe Bidart devient «ennemi public n° 1» et sa traque s’intensifie. Nouvelle arrestation de Gabi Mouesca, en compagnie d’Henri Perez, dans les Hautes-Pyrénées. 20 février 1988 : arrestation de Filipe Bidart et quatre autres militants d’IK, dont Ttotte Etxebeste, grièvement blessé par une balle de la gendarmerie, lors de son interpellation. 29 mai 1997 parmis les dernières actions nous pouvons noter l’attentat contre le Mac Donald’s de Saint-Jean-de-Luz. Le communiqué de revendication comportait notamment ce commentaire : «Si Mme Alliot-Marie pense qu’un Mac Donald’s est un exemple de développement économique, c’est que ses capacités à résoudre le chômage sont nulles. Quant au PS, s’il approuve les conditions de travail de ces établissements, qu’il le dise.» (Source Wikipédia) Comme vous l’aurez compris, tort et responsabilité restent flous, les victimes elles sont bien réelles. La cause était clairement définie. La nation, telle une cellule, ne tolère de nationalisme en son sein ou de division, l’Unité des hommes bâtit la nation autour d’un idéal commun.
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La visite en cette fin d’été 2018 organisée par la ville de Bayonne s’appelait «Entre chien et loup» et se terminait au pied de la statue du Cardinal Charles Martial Lavigerie (1825-1892). Pourrions-nous y voir le signe du destin ? Nous avions commencé ce récit, tel un voyage, à Metz avec ce souper qui fit dire à Lafayette que la liberté du Nouveau Monde serait son combat, et voilà que devant une croix de Lorraine semblable à celle de l’église de mon village d’enfance, nous finissons entre Nive et Adour au pied de l’enfant du pays, évêques de Nancy, et plus jeune évêque de France. Tout ne ramène-t-il les hommes qu’à l’Unité?
En juillet il effectue une tournée d’information en Europe. Il cherche à engendrer un mouvement d’opinion pour exercer une pression sur les gouvernements. Ne songeant qu’à leurs intérêts, ils sont fort peu disposés à s’engager dans une cause humanitaire. «Il n’est pas le premier à dénoncer le fléau, mais sa forte personnalité, sa franchise, sa force de conviction, la qualité de sa documentation, les mesures concrètes qu’il propose valent à son action un grand retentissement, et à lui-même un prestige accru (des journalistes de divers pays le verraient bien sur le trône de saint Pierre). Il organise aussi des manifestations éclatantes, dont la presse se fait l’écho »
Alors que la cause de la traite humaine avait touché À Bruxelles c’est le 18 novembre 1889 que 16 puissanLafayette, nous étions devant l’un des plus fervents ces sont représentées et que son travail est présenté. défenseurs de l’abolition de de l’esclavage. Le 2 juillet 1890, l’acte général de la conférence impose une série de mesures permettant de lutter en commun Il y a toujours un moment où le destin d’un homme contre le trafic d’esclaves. À la suite, Lavigerie préside bascule et celui qui devint le Cardinal Lavigerie ne en septembre 1890 au congrès libre anti-esclavagiste déroge pas à la règle. tenu à Paris, dans l’église Saint-Sulpice, sous le patronat du pape Léon XIII. «Je suis plus ému que je ne saurais le dire […] Je reçois de vous une force qui, je l’espère, me «Les Gouvernements de l’Allemagne, de l’Autripermettra de triompher de beaucoup d’obstacles. che-Hongrie, de la Belgique, du Danemark, de l’EspagSeul, je ne puis rien ; avec la sympathie des âmes ne de l’État indépendant du Congo, des États-Unis généreuses et avec la grâce de Dieu, je crois pou- d’Amérique, de la France, de la Grande-Bretagne, de voir tout.» l’Italie, des Pays-Bas, de la Perse, du Portugal, de la Russie, de la Suède et Norvège, de la Turquie et de ZanLe 2 janvier 1878, Lavignerie est confronté pour la zibar, ayant résolu de rechercher en commun et dans première fois au trafic des êtres humains sur le un esprit de conciliation les moyens les plus propres à continent africain. Il l’écrira dans «Mémoire secret». amener la suppression de la traite des esclaves, les Plénipotentiaires se sont réunis en Conférence» La lettre qui annonce la création des deux missions peut-on lire dès le début du protocole. est accompagnée de six exemplaires du Mémoire secret, trois pour chaque conseils de la propagation Mais, dans les dernières années, la puissance croissande la foi, et rappelle aux destinataires de ne pas le te et l’extension des opérations des esclavagistes publier, «du fait de sa haute gravité». arabes, dont, les terribles ravages ont été si puissamment dépeints par le cardinal Lavigerie et par les exploLavigerie demandera au Pape de prier d'une part les rateurs africains, ont donné une nouvelle impulsion à missionnaires de mettre tout en œuvre afin de faire ce trafic. C’est par les ports de la côte zanzibarite que libérer les esclaves, et d’autre part les gouverneles esclaves sont dirigés partiellement sur l’Arabie et le ments chrétiens à réprimer le trafic. golfe Persique, mais principalement sur Madagascar et les autres îles. Le 5 mai, le Pape Léon XIII publiera l’encyclique, où se retrouvent les suggestions du cardinal Lavigerie. Le 21 mai, avec l’autorisation du Saint-Père, il prendra la tête d’une «croisade» pour lutter contre la traite des humains.
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«Cet aperçu de l’état de la traite maritime et des marchés qu’elle approvisionne, en rendant compte des grandes difficultés que l’on éprouve à déblayer les mers de ce trafic abominable, démontre, cependant, qu’il s’exerce dans un rayon limité. La conscience éveillée de l’Europe et le changement dans la situation politique sur la côte africaine permettent d’espérer une action unie de la part des Puissances pour extirper la traite, et tout spécialement des Puissances qui sont responsables du contrôle de la côte par où se fait le commerce d’exportation et d’importation des esclaves.» «Les Congrès de Vienne et de Vérone ont enregistré des principes généraux ; la Conférence de Berlin reconnaît et applique ces principes aux territoires formant le bassin conventionnel du Congo. Les Puissances se sont ainsi formellement engagées quant aux principes, et l’objet de la Conférence actuelle, tel que le Gouvernement de la Reine le comprend, est de concerter des mesures efficaces pour mettre en pratique ces principes et pour substituer une action collective à l’action individuelle.» La question de l’Unité autour d’une cause commune au nom de la dignité humaine, voilà le vent qui souffle sur la vie du cardinal. Il aura le mérite d’être de nombreux combats, et évoluera toute sa vie sur bien des questions. Au début en 1854, il est professeur d’histoire de l’Église à la Sorbonne, bien qu’il reste 6 ans à ce poste, bientôt prit par le besoin de quitter la vie sédentaire, il se dirigera vers la vie de missionnaire. Il sera le premier à faire en sorte que de jeunes esclaves achetés par des missionnaires soient formés à la médecine à Malte, de 1881 à 1896. En 1878, Lavigerie obtient pour les Pères blancs la garde de l’église Sainte-Anne de Jérusalem. En juin, dix missionnaires s’élancent du port de Bagamoyo, en Tanzanie, sur la côte est de l’Afrique. Après trois mois et demi de marche, neuf d’entre eux arrivent à Tabora. Cinq atteignent les rives du lac Victoria. Deux arrivent en Ouganda en février 1879. En 1892 lorsque le cardinal Lavigerie meurt ce ne sont pas moins de 278 missionnaires de cinq nationalités qui sont établis dans six régions d’Afrique. Deux ans plus tard les Sœurs blanches gagnent-elles aussi l’Afrique subsaharienne. En 2015, les Pères blancs étaient au nombre de 1308 et de 36 nationalités, ils œuvrent dans 42 pays, les Sœurs blanches au nombre de 750 d’une trentaine de nationalités différentes et présentes dans 28 pays. Convaincu qu’il faille apprendre la langue et porter l’habit de l’autre chez qui on se rendait afin de se confronter aux coutumes, il était parmi les hommes qui cultivent le respect de l’autre. Il fut, hélas, un temps trop long encore question de coutume, de vanter la colonisation qui fut mise en place judicieusement, et l’Europe vit bientôt arriver des expositions humaines, de véritables zoos humains.
Lavigerie
« Entre chien et loup »
Lavigerie en Syrie
Car malgré le combat de Victor Hugo et de bien d’autres, comme celui en Allemagne d’Alexander Von Humboldt, ni la domination ni l’idée de la supériorité de l’autre, ne cessent immédiatement. Chaque petite victoire est une victoire. De 1904, jusqu’en 1958, jusqu’au mépris de nos jours, rien ne semble gagner d’avance, cet article en est la preuve, s’il en faut, que le dossier n´est pas clos.
Parfois l’illettré se voit affublé, comme sur cette carte postale, d'une lettre dont il ne comprend pas le sens. Fièrement on annonce une bonne année, sans voir la tristesse et l’incompréhension de celui sur qui on a mis de la peinture blanche, déshumanisée, posant à moitié nu… pour le plaisir des autres, dont les descendants aujourd’hui nous lancent sans complexe : je ne comprends pas bien le sens du mot dignité. Si dans cette question de dignité tout n’est pas noir ou blanc, entre Amis des Noirs, Pères blancs et Sœurs blanches… la question de la dignité des hommes traverse le temps, surpasse les races et les territoires… Tachée du sang rouge, de ceux pour qui la défendre on donnés, donne et, demain encore, donneront leurs vies. Ne sommes-nous pas tous frères? Ne suis-je pas ton frère?
Carole Vilbois
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Bonjour Line, Je me permets de te tutoyer, car on se connaît, dans mon salon il y a ce petit fauteuil ingénieux que tu as fait artisanalement. La première fois que nous nous sommes rencontrés, c’était à l’Assemblée nationale, et tu avais pris la parole, sans que personne ne te la donne, en une allocution qui restera sans doute toujours gravée dans ma mémoire. Tu avais interpellé le groupe réuni là autour d’un député, car depuis des heures nous étions en train de parler, mais tout cela ce n’était que des mots. Tu nous as rappelé que sans l’intervention de l’un de tes amis présents dans la salle, tu serais encore à la rue. Devant cette même Assemblée nationale, tu as fait une grève de la faim, qu’attendais-tu vraiment de nos députés ? Avec du recul comment vois-tu l’Assemblée et ses élus du peuple, avec l’expérience qui au final fut la tienne, celle d’être à la rue, dans un fauteuil roulant, puis de pouvoir t’adresser à ce groupe au sein même de cette institution ?
Line Legrand sans compromis C’était aussi un coup de gueule pour un remaniement du service des assistantes sociales. J’en ai vu 25 qui n’ont vraiment rien foutu pour moi ou qui certaines — très peu — voulaient faire quelque chose et n’ont pas pu, car je n’étais pas de leur secteur. Même ce système-là est sectorisé. La rue un tel appartient à telle assistante sociale, donc si tu n’es pas dans sa rue, ben rien ! J’attendais une remise en cause du 115 - le fameux 115 - qui même lui fait une politique élitiste. Lorsque tu viens de Marseille ou comme moi de Guyane et bien tu dois contacter ton 115, pour moi celui de Guyane. Tu es laissée dehors. La discrimination de certains services, notamment communaux. Donc j’attendais de l’action parce que pour moi la compassion c’est bien, mais l’action c’est mieux !
Et pour avoir fréquenté un petit peu, pas un, mais plusieurs députés, je n’ai rien vu venir. Devant l’Assemblée nationale lorsque j’ai fait Ce que j’attendais c’était une réaction et ma grève de la faim qui a duré 14 jours, j’ai rien surtout une action, que je n’ai pas vu arriver. vu venir non plus. J’attendais de l’aide pour les très démunis, en plus de l’aide pour moi-même, de l’aide pour C’était à celui qui ferme le mieux les yeux. mes compatriotes SDF, les vrais SDF. Car, il y a des SDF qui le sont le matin et puis la nuit sont Ces gens-là après ils veulent de la reconnaissance, couchés dans un lit et ceux qui réellement sont en parlant de la représentation nationale. C’est des SDF, n’ont rien, strictement rien. mon département, etc… Ils en ont strictement rien à foutre des sans-dents, des sans rien, des J’attendais une politique de reconnaissance, sans A - sans argent, sans amour, sans abri. Les non pas le mépris comme dans mon histoire politiques ne servent qu’à mettre des bâtons dans personnelle, où après avoir écrit à des maires, les roues, mettent des lois et des « délois » pour ils se passent la patate chaude, en disant que ce que le petit peuple se perde dans tous ces virages n’est pas eux, c’est machin et on nous laisse à la et pour qu’il bascule dans le vide. Le système rue. J’attendais une politique de mise à l’abri social à l’heure actuelle en France, franchement des gens. Ce qui n’existe pas, en tout cas en c’est de la merde ! Voilà. France. Une prise de conscience aussi, car beaucoup se plaignent de leur sort, alors que certains plus mal lotis eux ne se plaignent pas. Il y en a d’autres qui constatent et parfois gueulent, ce qui est mon cas. Une prise de conscience encore de la réalité des femmes parce que dans la rue la femme est très très très faible. Elles se font agresser, sans raison, parce qu’elles n’ont rien, elles se font battre, certaines violer.
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Nous avons quelques points communs, tu m’as beaucoup émue dans un reportage tu dis avoir des mains faites pour travailler, tu as aussi fait de l’électricité et de la maçonnerie, en tant que femme et électricienne forcément ça me touche, nous avons également le même âge, tu étais venue en France pour te faire soigner, suite à une agression et un enchaînement de circonstances. La dignité humaine ce n’est jamais toi qui l’as perdue, lorsqu’on te connaît on le sait tu es une vraie battante, avec un moral d’acier, mais que dire de la dignité des personnes qui elles en face se comportent avec désinvolture, désintérêt et parfois il faut oser le dire, un certain mépris ? Que penses-tu toi de cette notion de dignité humaine ? Rires _ Y a les réponses dans tes questions. Il y a plus de dignité humaine, il n’y a que la dignité de l’argent. C’est comme ceux qui jouent à avoir la plus grosse, c’est celui qui a le porte-monnaie le plus fourni. Il n’y a aucune dignité humaine dans tout ce que ce soit. De toute façon tout est corrompu et tout est corruptible. Si t’as pas un député ou un bonhomme bien placé qui te fait un courrier pour pouvoir avancer, t’es dans le caca quoi ! Tu n’avances pas. Ma dignité à moi, c’est de ne pas avoir accepté leur dictature administrative, c’est de ne pas avoir accepté leur bout de pain… et si je n’ai pas à manger et ben je ne mange pas. Mieux vaut que j’aille faire la charité ou demander la mendicité pour pouvoir avoir quelque chose. Pour les autres c’est de la dignité machin, mais pour moi non, c’est moi c’est tout. Et puis je n’ai jamais fait et je le dis là, ni une pipe ni un cunnilingus à qui que ce soit depuis le jour de ma naissance, pour avoir quoi que ce soit. Maintenant depuis mes quinze ans, je faisais des petits jobs d’été comme on dit. À dix-huit ans, j’ai décidé de ne plus aller à l’école, mais de bosser. Ce n’est pas à 44 ans, 45 ans, 43 ans que je suis dans la rue, parce qu´en face de moi il y avait un élevage de cons, que je vais changer ou pleurnicher pour quoi que ce soit. « Réler » chez moi, ça veut dire crier à la mort comme les loups ou comme les chiens ! Je ne me suis jamais sentie chien, même quand j’étais plus bas que les chiens, parce que les chiens moi j’ai vu ça à la Bastille en 2015, ils avaient des défenseurs, la SPA, que moi je n’ai jamais vu de défenseurs.
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egrand Line L ec ses av posant Paris sà n créatio
Line est malvoyante
Line utilise des matériaux recyclés
Alors est-ce que c’est de la résistance ou de la dignité de ne pas se soumettre aux dictatures administratives qui soi-disant sont là pour vous aider. En fin de compte ils ne font que de la publicité. Comme le 115 par exemple où j’ai vu un certain nombre de personnes qui soi-disant étaient là pour m’aider et qui n’ont pas hésité dès le départ à me laisser dehors. Donc c’est quoi ça ? C’est de la dignité ? Ça veut dire quoi la dignité ?
Pour moi non, pour moi c’est la vie. Donc je ne suis pas plus digne qu’un autre, simplement je me comporte comme je me suis toujours comportée, quelle que soit la situation, quelle que soit ma situation personnelle. Je refusais et je refuse cette corruption administrative ou cette dictature-là, ils veulent que j’obéisse comme si j’étais un simple petit soldat. On m’a laissé risquer ma vie quand même plus de trois ans, d’ailleurs j’en ai perdu une jambe. J’ai perdu des doigts de pied aussi, il ne m’en reste plus que deux sur dix. Alors chez nous — en Guyane — on se plaint de l’hôpital et de l’incompétence de certains, mais en France on a un putain d’élevage, un foutu élevage non seulement d’incompétents, mais aussi de cons. Alors on aime beaucoup les gens qui pleurnichent ici. Malheureusement pour moi, je ne suis pas quelqu’un qui pleurniche.
Et si ne pas pleurnicher c’est rester digne, alors oui je l’accepte je suis digne. Et pour dire la vérité dans ma résistance, j’emmerde les autres. Alors certains m’appellent foutu caractère, si être foutu caractère c’est de ne pas vendre son cul, je préfère avoir un foutu caractère.
On mettra mon corps en cage, mais pas mon cerveau en cage. Et ça aussi c’est une forme de dignité ! Donc, je suis pour moi sans compromis, même avec moi-même je suis sans compromis - Rires. Certains trouvent que je suis exigeante machin, etc… Mais, je le suis encore plus avec moi-même. Je m’engueule moi-même, je me donne des coups de fouet moi-même, c’est métaphorique hein ! Je me bouge le cul. Même si je suis assise je me bouge le cul. Je ne supporte pas les pleurnichards, je ne supporte pas les…- enfin je ne vais pas le dire… si je vais le dire : « les faibles », qui se foutent une balle eux-mêmes dans le pied c’est tout. Je foutrais plutôt une balle à l’autre que je me foutrais une balle à moi-même.
Tes combats, tes prises de position, ta fougue, tu es toujours debout comme ces guerriers qui ont pris trop de coups, mais qui restent malgré tout debout, car c’est la dignité des hommes, d’être. Dans un de tes slams tu objectais cette couleur noire, et les hommes ont des préférences colorimétriques, tu rappelais aussi que dans ta famille humaine on s’est beaucoup battu et courageusement pour nous, née si loin de ta Guyane. Blanc, noir, c’est toute une vie, entre le jour et la nuit, Donc, de ce point de vue là je suis le colibri qui a besoin entre ici et là-bas, des différences que certains ne man- pour vivre de voler et de bouger. Mais, la force du quent pas de te rappeler au fil de l’eau. Pour avoir été en colibri c’est qu’il fait des vols stationnaires, il prend le Afrique, je sais qu’on ne cache pas une couleur, que l’on temps pour choisir et pour manger. Bon, je suis n’efface jamais ce que nous sommes ou ce que les capable de temps en temps de faire des vols autres pensent que nous sommes, que les préjugés ont stationnaires, ce qui est le cas à l’heure actuelle, mais la vie dure, que l’on se retrouve autour d’une identité, le colibri aura toujours besoin de bouger, sinon il d’un territoire, et que l’autre est à jamais celui qui ne meurt. Donc je suis un colibri dans le sens où me vient pas de cette petite zone, de ce petit coin de rue. mettre en cage, c’est mourir. Et pour l’instant je n’acEntre les oiseaux et les arbres, entre les racines et les cepterais pas d’être en cage dans un système… un ailes, entre le voyageur et l’autochtone, tu défends à la système dont tout le monde se rend compte qu’il est fois un territoire, et tu en es si éloignée, Line es-tu bancal, foutu, mais par compromission on dit : « ah oiseau, ou arbre ? Comment prendre ses racines avec c’est bon ». Eh ben non ce n’est pas bon, c’est tout, soi ? Ton oiseau m’as-tu un jour avoué c’est le colibri, un point barre. oiseau stationnaire… tout un symbole… entre le mouvement et l’inertie… es-tu une forme humaine de com- Qu’un bureaucrate me dise : « ah ben, pour pouvoir avoir mon Pass Navigo Améthyste, il faut faire une promis ou sans compromis ? fausse attestation d’hébergement » — je parle de la conseillère de Paris du 12° arrondissement — c’est · J’ose espérer que je suis sans compromis. négatif ! Qu’une élue vous dise de vous faire faire une · L’Unité : Tu n’en es pas sûre ? · Rires - Euh ben, je suis sûre que je suis sans compromis - fausse attestation d’hébergement, pour avoir un titre Rires. Quand je dis j’ose espérer que je suis sans compris de transport ? Non ! On va où là ? c’est par rapport à votre repère de colibri. Le colibri tu ne peux pas le mettre en cage. Il meurt ! Quelle que soit Voilà, donc ça fait partie de ma dignité. La dignité c’est l’alimentation que tu vas lui donner, il meurt ! Parce qu’il a tous les p’tits trucs qu’on fait non pas pour respecter besoin du mouvement pour son métabolisme. Et person- les lois ; mais pour respecter sa loi. Je ne suis pas plus nellement, alors peut-être c’est une métaphore, mais que les autres, mais je suis moi. Je suis moi, avec tous personnellement moi tu peux me mettre en cage mes défauts certes, mais toutes les qualités qu’on m’a physiquement, mais tu ne pourras pas me mettre en cage enseignées, tout mon passé, où je n’ai pas supporté psychologiquement. Intellectuellement parlant, parce certaines choses pour les autres. Pourquoi je ferais que pour rester vivant, mon corps peut se nourrir, c’est ce qui se passe à l’heure actuelle, mon corps ne supporte plus rien. Mes mains dès qu’il fait dix degrés elles sont tétanisées, je ne marche plus correctement, je ne vais pas courir faire un sprint… Mais, mon cerveau camarade, il fonctionne ! Qui peut attraper mon cerveau ? Personne !
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Il y a plus d’un an la population guyanaise dans une forme d’unité assez rare, à tout le moins suivant une certaine perception médiatique, était dans la rue pour demander au gouvernement des moyens financiers supplémentaires pour un hôpital décent, des écoles et une justice digne de la République et plus de force sécurité. Selon toi, la dignité d’un territoire commence-t-elle au fond avec le nombre de médecins, de juges d’instituteurs ou de policiers ? Tu vois à chaque fois, vous utilisez le mot dignité. Ça n’est pas de la dignité. On est français ou on n’est pas. Ça fait plus de 40, 50 ans que nous accueillons tout. Euh moi j’ai 50 ans, j’ai été à l’école avec des Chinois, avec des Libanais, ce qu’on appelle des Syriens, des Haïtiens, etc... La population croît à vitesse exponentielle maintenant. Pour 250 000 habitants, on a quoi ? Une centaine de médecins. Avant euh… j’ai l’impression qu’on disait toujours que la France est en retard de 20 ans par rapport aux États-Unis. La Guyane, elle, est en avance de 30 ans — Rires — par rapport aux merdes qui arrivent en France maintenant. Nous n’avons pas suffisamment de médecins. Nous n’avons pas de spécialistes, cardiologues corrects qui savent faire… ou des cancérologues… On a des cardiologues, mais, qui ne font pas par exemple… la cardiopédiatrie, pour les enfants. J’ai eu le problème avec mon neveu, on a été obligé de lui faire une évacuation sanitaire en Martinique. On n’a pas de cancérologues, où quand on en a un, qui daigne venir en Guyane, qu’est-ce qui se passe ? On lui promet monts et merveilles, on lui promet du matériel, et il n’en voit pas la couleur. Qu’est-ce qu’il fait ? Il fait demi-tour, il rentre en France, c’est son pays ! On a quelques jeunes étudiants maintenant qui commencent à venir parce qu’on a mis à l’université, la première et la deuxième année de médecine. Mais, souvent ces années de médecine qu’on fait chez nous ne sont pas reconnues par certaines universités françaises. C’est une aberration puisque les cours viennent de France. Nous avons une population officiellement qui oscille hein, entre 250 000 et 300 000 habitants. Donc 70 % de cette population, je ne te parle même pas des «cachés sous le tapis ». 70 % de la population en Guyane, n’a pas de papiers, n’est pas né en Guyane. Ça fait beaucoup pour un ti’ département qui n’a pas d’industries, à part quelques yaourts, le bois un ti’ peu, le CSG (centre spatial guyanais) : Kourou, comme tout le monde aime dire. Donc, il y a des manques qui sont là, récurrents depuis plus de 40 ans. En 1996, pour des tables, des ordinateurs et des… comment, pas le chauffage, mais l’inverse là, les climatiseurs, au lycée de Cayenne il y a eu des heurts avec les gendarmes et la préfecture a chargé des jeunes, des lycéens et des collégiens, mais grâce à ce combat-là, nous nous avons eu un rectorat. 34
Bancal certes, mai un rectorat. Parce que nous étions sous la coupe du rectorat, Martinique-Guadeloupe et toutes les décisions se prenaient en Martinique. Certains ont dit sur des radios, des télévisions, que ce sont des émeutes. Non ! Quand tu parles avec ta maman, tu demandes gentiment. Tu demandes une deuxième fois gentiment. Tu vas voir ton papa, tu dis papa bon, est-ce que je pourrais machin… On t’envoie chier à chaque fois, qu’est-ce que tu fais ? Tu prends ton indépendance, tu prends ta liberté, soit tu vas voler, ou soit tu te démerdes autrement. À ben la Guyane c’est ça ! Nous avons un taux de natalité avant l’introduction de Mayotte qui était le plus fort de France. Le plus fort de la France et de Navarre. Nous avons le taux d’immigration, le plus élevé ; alors que les mahorais, leur immigration s’arrête aux Comores, d’accord. Mais, nous nous sommes la Terre promise de toute l’Amérique du Sud. Et maintenant nous avons des Syriens, des Africains en plus des gens de toute l’Amérique du Sud. Et nous n’avons aucune évolution.
Ces enfants-là, puisque… ils font des enfants, notamment pour les allocations familiales, il faut leur construire au minimum des écoles… Et il ne faudrait pas réclamer ? Donc on fait quoi avec la France ? Quelle est l’ambition de la France pour nous ? Quand ils tendent la main, on dit papa, maman donne-moi un t-shirt ? Non ! Les Guyanais, ce n’est pas la première fois qu’ils font des mouvements, sauf que maintenant, il y a internet, whatsapp, machin, etc… Dans les années 70, on réclamait déjà la même chose. On reçoit des médecins qui viennent passer des vacances, ils sont plus dans les bois ou sur le fleuve qu’à soigner les gens. Oui la semaine ils soignent, ils vont en week-end... Tu vas me dire qu’ils ont le droit, mais ils viennent pour deux mois, trois mois, ils font le salaire, des salaires mirobolants, ils ont le logement, ils ont la prime de chaleur, ils ont tout ! Et le ti’ Guyanais qui est là il va regarder la gueule ouverte. On n’a pas demandé pour s’acheter des chaussures vernies ou des bijoux pour aller au bal. On a demandé ce qu’on nous devait. L’analyse a été faite, pas par des trous du cul, par des économistes. L’école, le lycée, etc… l’université… pour la santé, les routes, je ne te parle pas de l’état des routes. Mais, tout ça les Français s’en foutent. Parce qu’on fait que parler à la télé des trous après l’hiver, de l’état des routes après l’hiver. On fait que parler de… l’état des hôpitaux publics en France, nous ça fait plus de 30 ans, 40 ans qu’on le vit.
Bon à l’heure actuelle je crois que sur 1 milliard, il n’y a que 40 % qui ont été versés. Parce que pour l’autre partie, entre-temps Macron a été élu, ce n’est pas lui qui leur donnera.
Alors, ils ont aussi distribué la terre aux Indiens effectivement… ça, c’était une réclamation des autochtones. Donc les autochtones se sont retirés. Les patrons, pendant le mouvement même, il se sont tous retirés. Je parle des gros patrons, ceux qui en ont bénéficié. Et puis voilà c’est comme ça que ça c’est éteint. La France a plus de 400 ans de pratique. Tu sais pour qu’une terre puisse être prospère il faut qu’elle brûle. Donc, t’entends parler de la forêt française tant qu’il n’y a pas les feux d’été ? C’est la même chose à notre niveau. La France ne connaît que l’épreuve de force. Qui sait que la Guyane est le plus grand département de France, à part la terre Adélie ? Qui sait que la première forêt d’Europe, c’est la Guyane avec plus d’un million d’hectares ? Qui sait qu’on fait des forages de pétrole off shore qui rapporteront que dalle à la Guyane ?
Ils n’ont pas réclamé plus que ce qu’on ne leur doit. Ils On parle de la montagne d’or, je sais plus combien demandent déjà qu’on régularise la facture et ensuite d’hectares, des milliers d’hectares, alors la biodiverqu’on avance. Voilà le mot d’ordre. sité, la faune… qui va mourir bien sûr de ce côté là… Combien rapporte un kilo d’or à La Guyane? 2 %! Un Le gouvernement avait alors annoncé, en pleine cam- kilo d’or c’est à peu près entre 30 et 40 000 euros. pagne des présidentielles, débloquer exceptionnelle- Mais, même à 30 000 euros, le kilo d’or, 2 % ça veut ment sur plusieurs années 1 à 2 milliards d’euros. À la dire 600 euros. Si je ne me trompe pas dans mes suite de cet élan populaire qu’en est-il aujourd’hui de calculs. Ça rapporte 600 euros à la Guyane. Alors, il y la situation, puisque nous n’en entendons plus parler ? a plus de 10 à 14 000 personnes au RSA chez nous, ça veut dire que 10 000 kilos… Une tonne d’or pour Ils se sont fait entuber comme d’habitude. (Rires) Alors, payer les gens du RSA, puisqu’un kilo c’est 600 l’ancien gouvernement avait signé un protocole d’un euros, le RSA c’est à peu près 600, 700 euros ? C’est milliard sept ou un milliard huit, pas les trois milliards. un kilo d’or par personne voilà. Et on nous promet du Parce qu’ils avaient demandé trois milliards, ce qui n’est boulot, mais à qui ? Le pti’ guyanais qui va aller en pas suffisant pour grand-chose, ne serait-ce que le rattra- pleine forêt machin, etc… Y’en aura quelques-uns, page bien sûr. Si t’as pas réparé ta maison depuis vingt mais ça sera les Surinamiens puisque c’est du côté ans, elle a continué à se dégrader n’est-ce pas ? du Surinam, et les Brésiliens. 35
En plus, ils vont toucher des subventions pour fermer quand ils auront fini d’exploiter c'est-à-dire quand il y aura plus rien. Aucune plante, aucun arbre ne repoussera, puisqu’ils vont utiliser du cyanure. La catastrophe écologique.
egrand Line L idente rés est la p ssadom d´Amba
ntoine avec A e n Fontai e tag tracque s à Pari
Line est une millitante et une activiste
Alors, il ne faut pas polluer la France, mais ils viennent chez nous. On fait soi-disant de la biodiversité, mais j’appelle ça du bio-pillage. Qui est au courant que dans la forêt guyanaise toutes les représentations scientifiques y sont ? CNRS, IRD, INRA, etc… les machins à papillons, les machins à grenouille, voilà. Toutes ces sociétés allemandes, anglaises, italiennes, américaines y sont. Toutes ces institutions y sont. Ça fait plus de 50 ans qu’ils y sont chez nous, pour donner quoi ? Des brevets sur nos médicaments traditionnels. Ce qu’on appelle «le Couachi» (NB : nom scientifique Quassia Amara, appelée aussi quinine de Cayenne), utilisé traditionnellement depuis des siècles contre le palu. Alors, ils te disent qu’ils n’ont pas breveté la plante, ils ont breveté le principe actif. Mais, putain ! On nous prend encore pour des petits macaques qui ne sont pas descendus de leur « pié bwa ». S’il n’y avait pas la plante, y’aurait pas de principe actif. Faut qu’on arrête à moment. C’est ça la France. Sous les termes de développement, ils ne font que de la spoliation. Voilà la différence. Comment veux-tu que quelqu’un qui a un tant soit peu de conscience — je ne parle pas de conscience politique avec la droite, la gauche, etc, mais quelqu’un qui connaît un petit peu son pays a la conscience de son pays — ne devienne pas un enragé ? Un guérillero enragé. Le Guyanais ne connaît pas son pays. Il ne connaît pas son pays. Pourquoi ? Parce que la réserve de L’Inini depuis… si ce n’est Louis XIV, au moins depuis Napoléon, est interdite. Elle est interdite. Maintenant partout où il faudrait passer c’est interdit. Alors que tu as des chercheurs, des scientifiques qui ont le droit d’y aller. Le mont Tumuc-Humac est interdit à la population. Comment peux-tu aimer un pays que tu ne connais pas ? Tu ne connais que la banlieue…enfin tu ne connais que les quartiers de ton village quoi, les barres HLM de ton village. Bon et bien il y a des jeunes qui ont pris conscience du dysfonctionnement ou de cet enfumage ou de cet en-tubage, qui aiment la terre, qui aiment leur pays et qui se sont révoltés. Voilà, ils ont tout à fait raison.
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Or, minerais, pétrole, forêt équatoriale avec nombreuses plantes médicinales utilisées par les savoirs amérindiens, façade maritime, etc… la Guyane est riche en ressources naturelles et en savoir-faire, pourtant elle est aussi parmi les territoires les plus pauvres de France. D’où vient ce paradoxe ? Rires- mauvaise gouvernance, pas de volonté… Écoute c’est très simple, la Guyane n’a pas besoin de la France ni des allocations françaises, quelles qu’elles soient. Tu veux manger, t’es pas feignant, tu manges. Voilà ! La culture inculquée, depuis même ma génération, c’est qu’il faut être fonctionnaire, c’est qu’il ne faut pas se lever trop tôt le matin pour aller bosser la terre, j’entends beaucoup ça. Et puis rien n’est fait… Alors, je me souviens plus très bien de la citation, mais je crois que c’est Colbert qui disait « Jamais rien ne sortira des colonies, pas même un clou », un truc comme ça. Les anciens ils connaissent très bien cette parole-là ; je l’ai souvent entendue dans ma jeunesse.
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Line réalise à la main des objets facile à vivre
Line est une artiste elle écrit des S lams
Et c’est vrai, la seule chose qui a été développée puisque maintenant ils ont six postes de lancement, c’est le CSG. La Guyane a été colonisée par la France pour faire concurrence au Portugal avec le Brésil. Et puis après on connaît tout le reste, l’esclavage, etc… Il n’a jamais été dans l’intention française, royaliste ou pseudo républicaine, de vouloir développer La Guyane. Elle est la réserve de la France. Maintenant, avec les minerais, etc, parce qu’il n’y a pas que ça, y’a pas que de l’or. Il y a de la platine. On a de la bauxite, on a du fer. Bon ça ce sont des utopies qu’on ne développera jamais. Pour ça il faut beaucoup d’énergie ; c’est-à-dire beaucoup d’électricité. Or on n’arrive pas à mettre un courant continu pour deux pelés, trois tondus. Donc on prend les minerais les plus importants, les plus bénéficiaires pour l’exportation. Et puis nous sommes qu’un kleenex. Plus que la Réunion, la Martinique, la Guadeloupe, Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon, et les potentats français… Wallis, etc… Nous sommes le pays qui a le plus de potentiel effectivement. Tu vois quoi ? Deux pelés, trois tondus sur la côte, deux pelés trois tondus dans les bois, c’est tout. Et puis on va développer quoi ? Pour qui ? En 2009 je crois, en allocation familiale, je parle du RSA, ça s’appelait RMI avant, le budget du conseil général était de 400 et quelques millions. Dans les 400 millions, il y avait 309 millions pour le RSA. Franchement… il passe où cet argent franchement ? Tant que nous n’aurons pas une monnaie guano-Guyanaise comme ce fût le cas dans le temps, puisque nous avions bien avant la France, la banque de Guyane, rien ne se passera. La banque de Guyane a été pillée par la France pendant la guerre. Paraîtrait-il que … l’or de la banque de Guyane a été ramené dans un premier temps dans le Sud de la France, pour être mis à l’abri, sauf qu’il n’est jamais revenu. Alors, c’est comme quand une maman qui n’en peut plus avec ses enfants, il faut passer la main ! Bon, je suis moins utopiste pour dire que nous allons être indépendants, mais que nous décidions au moins nous-mêmes pour nous-mêmes. Et surtout, que tous les corrompus Français dégagent de chez nous. Alors, dans les corrompus Français, je ne parle pas seulement de la préfecture - on connaît leur travail, et on sait pourquoi ils sont là, pour que la Guyane n’avance pas ! Mais, les corrompus de chez nous, natifs, qui sont à la botte de la France. Et que nous ayons le pouvoir de changer ces gens-là. Parce que ces gens-là, et je vais même dire mieux, la plupart sinon tous, font partie de la loge franc-maçonnique, ou des loges adjacentes, et ils sont commandés par un establishment de loge, c’est ceci, c’est cela, mais ce n’est pas mon pays. Ces gens-là, demain matin il y a un problème, ils ont déjà leur planque.
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Regarde comment se sont tous barrés de Saint-Martin après le dernier ouragan. Nous, on n’aura nous nulle part où aller. Non la Guyane ne sera jamais développée, c’est une volonté politique. Et le vice français c’est de faire croire aux imbéciles que c’est eux qui prennent la décision. Ça s’est passé ainsi sous Sarko, ça s’est passé sous Chirac, ça s’est passé sous Mitterrand. Je te parle du parc naturel des Tumuc-Humac, ça a été décidé par Mitterrand à un sommet sur l’environnement. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque le dictateur brésilien Cardoso, je crois, de la junte militaire, a décidé contre 38 milliards de dollars de pseudo prêts, venant des Américains, de mettre sous cloche l’Amazone, c'est-à-dire en échange de la non-déforestation, parce que l’Amazone c’est le poumon de la terre, c’est ce qu’on disait ; en échange de non-déforestation, ils ont décidé de créer le parc naturel amazonien au Brésil. Qu’est ce que Mitterrand a fait ? Tout de suite en contrepartie, il a dit bon nous aussi on va créer un parc naturel en Guyane, et comme nous avons une frontière naturelle avec le Brésil, donc les monts Tumuc-Humac, nous allons créer un parc naturel dans cette même zone, ce qui va relier la Guyane au Brésil, au nord-est du Brésil, c’est le parc naturel Tumuc-Humac. Les Brésiliens ont eu leur 38 milliards de dollars, mais qu’a eu la Guyane ? On parle d’écologie biodiversité, où est la transmission avec les jeunes aujourd’hui? Si ma grand-mère ne m’avait pas appris certaines choses sur les plantes, sur les animaux, ce n’est pas à l’école que je les aurais apprises.
L’éducation ? Alors, par contre on connaît ce qu’est un sapin ! Autre chose, on a des bios ceci, des bios cela, des jeunes guyanais qui font des études, qui sont chercheurs au Canada, qui sont bio ceci, bio cela… qui ne peuvent pas rentrer dans leur pays ! Pourquoi ? Parce que les places sont prises, par des pseudos chercheurs des mercenaires chez nous. Alors, les Guyanais vont dans les mêmes universités, font les mêmes études, mais ils n’ont pas le niveau. Pourtant ils ont les diplômes. C’est comme ça pour tout. Donc, la contestation, la révolte intellectuelle je vais dire de certains jeunes, ça va se reproduire. Parce qu’il n’y a aucune amélioration… Et ça sera de pire en pire, pourquoi ? Parce que les jeunes de maintenant… Nous nous sommes des vieux révolutionnaires, on se démerde avec ce qu’on a, mais maintenant ils ont internet, ils ont tous les moyens de s’instruire et bien souvent du mauvais sens et de diffuser… et de diffuser.
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Et ils ont une rage, que certains de nos anciens ont su tempérer pour notre époque. Mais quel est l’ancien qui va aller tenir ces jeunes-là ?
La France pourra donner son indépendance à la Réunion, à Mayotte tout, Saint-Pierre et Miquelon tout… Jamais à la Guyane. Jamais ! L’or de la Guyane qui est sur les Invalides, à l’intérieur de palais Bourbon, Tu crois qu’elle va le gratter pour nous le redonner ? Donc comme on dit chez moi, prenons notre «kamza » — carré de tissu pour les femmes attaché à une ceinture, pour le travail de la terre dans lequel mettre des fruits ou danser — autour des reins tu vois. Vous affirmez justement être une indépendantiste, qu’est-ce que cela signifie dans un territoire comme la Guyane, où tout comme dans les autres départements d’outre-mer, le sujet de l’autonomie dans toutes ses acceptations possibles est lui-même un impensé ? Pour te répondre, je suis indépendantiste pourquoi ? Y’a plu de trente ans, j’ai compris, parce que je connaissais un peu l’histoire de mon pays, l’histoire antérieure par la transmission, alors ça se faisait oralement par la transmission de ma grand-mère surtout, j’ai pris conscience. Il y a à peu près quarante ans que j’ai pris conscience et ensuite avec les expériences que j’ai connues notamment du racisme, du mépris, parce que ça fait plus de trente ans que je suis venue… à peu près quarante ans, j’avais onze, douze ans. Y’a à peu près quarante ans que j’ai compris que mes ancêtres n’étaient pas des Gaulois, bien que j’ai des Gaulois dans mon patrimoine, mais que l’égalité n’existait pas, que la fraternité galvaudée sur les frontons des mairies françaises n’existait pas. J’ai compris la discrimination, on peut même dire une sorte de ségrégation. Je la place sur la partie coloris, mais je le place aussi sur la partie sexuée parce que je suis une femme. La ségrégation entre les genres masculin ou féminin, j’ai compris ça. Et en avançant dans la transmission lorsqu’on te raconte ton histoire pendant qu’on te coiffe, puisque c’était ma grand-mère qui me coiffait, franchement on vivait dans une bulle. Pendant longtemps, toutes mes amies avaient au moins quarante, cinquante ans de plus que moi, donc la transmission intergénérationnelle que j’ai découverts par l’intermédiaire de ma grand-mère, des anciens parce que chez nous, fut un temps, tout le monde, tous les vieux étaient responsables de l’éducation des enfants. J’ai compris que français ce n’était qu’un mot, notamment quand je suis venue ici en 97. J’ai fait une formation de technicien des eaux qui était complètement bidon. J’ai postulé pour des postes où j’avais le meilleur profil, mais je ne l’ai pas eu.
J’ai donc appris à faire le chocolat, voilà, j’ai eu de la canne à sucre, ma grand-mère faisait du gros sirop. Tu fais, même pas cinq kilomètres tu as du poisson. Dans la cour de ma grand-mère sur treize mètres carrés, tu plantes, de la banane, de la dachine (songe/tarot), des ananas, du cacao avant chez nous, les boulangeries ce n’était pas comme des lapins dans tous les coins de rue, on ne mangeait pas tellement de pain que ça. Mais on savait faire le pain à la maison, on mangeait du « kouak », on ne mangeait pas de pomme de terre. Donc l’éducation que j’ai eue, plus l’acquisition de mes connaissances, m’ont prouvé que les politiques ne travaillaient pas au développement économique durable du pays. Les mouvements populaires qu’il y a eu, moi depuis 82’ je suis dans la rue, je suis dans la rue avec le peuple. La conscience politique de certains d’entre nous des anciens et après ceux des jeunes et ceux de ma génération, nous a prouvé que la France ne nous veut pas du bien, je suis désolée. Elle nous fout à poil, elle nous pollue avec… par exemple sa fusée, les retombées atmosphériques des fusées. On voit de la poudre blanche qui se dépose sur les arbres à chaque lancement, n’est-ce pas dangereux ? Le développement des cancers dans la zone de Sinamari qui est la première commune à côté de Kourou ce n’est pas dangereux ? On est pillé en mer, sur terre. Donc on fait quoi… on reste comme les ânes et les chevaux avec les ornières qui nous couvrent les yeux, et on avance grâce à la mouche du coche ? Ben non. Maintenant, je ne suis pas en état, je suis rentière de la France maintenant, je suis rentière de la France, j’étais trop active, maintenant je suis passive. Mais, je n’ai pas besoin qu’un bonhomme vienne m’apprendre le glyphosate, le round-up. Depuis que je suis toute petite, je plante sans produit ou engrais chimique. Ma grand-mère elle mettait des viscères de poissons quand elle plantait quelque chose. Nos anciens n’étaient pas tellement des cons. On avait des poules et un cochon, comme moi je suis… à ma connaissance, en plein centre-ville sur quoi 14, 15 20 mètres carrés au maximum. Chez ma mère y’avait des plants de maracuja, y’avait des goyaviers, y’avait du fruit à pain, on n’allait pas acheter… enfin je ne dis pas qu’on n’achetait pas, on avait des manguiers, on a pas besoin de la France. Et même si on n’avait pas d’argent, on n’avait pas besoin de l’allocation. Ma mère a élevée cinq enfants, avec ma grand-mère aucune alloc. Je suis la seule qui en a bénéficié parce que je suis la dernière 80 francs par trimestre d’allocations familiales. J’ai été à l’école des bonnes sœurs et ce n’était pas 80 francs par mois. Je n’ai jamais appartenu à un parti politique, mais je les ai beaucoup fréquentés. Mon analyse m’a mené à me dire, on n’a pas besoin de la France. 39
Charles Aznavour chantait que la misère serait moins pénible au soleil, que pourriez-vous lui slamer en réponse ? Vous avez des drôles de pensées vous… En fait je ne pense pas vraiment que la misère est moins pénible au soleil, ce n’est pas vrai. Ça serait bien, mais ce n’est pas vrai, quel que soit l’endroit où tu es, la merde reste la merde et elle a la même odeur. Je n’avais pas de maison puisque j’avais le cul dans la rue, j’ai fait le nécessaire pour être dans une maison, mais quand j’étais dans la rue, je n’étais pas plus malheureuse que ça, j’étais enragée, ça c’est autre chose. J’étais enragée parce que la stupidité c’est sur ça c’est plus que la misère. C’est beaucoup plus que la misère. La stupidité humaine m’a emmené dans cette péripétie et m’a foutu dans cette merde. La stupidité des toubibs, la stupidité de certaines associations notamment le 115 qui m’a laissé dehors alors qu’ils savaient que j’étais malade, qui m’ont refusé des hébergements, qui m’ont refusé des prises en charge, ils ont téléphonés jusqu’en Guyane pour savoir si la Guyane me prenait en charge parce que je venais de Guyane. La stupidité des toubibs qui m’ont envoyé de Guyane en évacuation sanitaire sans aucune préparation, sans chercher… alors qu’ils savaient que je n’avais personne ici, un centre de réadaptation… un centre de repos après mes interventions chirurgicales puisque j’étais presque aveugle et j’en ai subie quatre en France… et avant quatre en Guyane. La stupidité des mairies, madame Barrati Elbaz, qui me refuse des hébergements, qui refuse de me prendre en compte pour mon titre de transport ou pour quoi que ce soit. La stupidité de la CAF qui prend plus d’un an à me verser une pension alors que je suis déclarée adulte handicapée et qui me réclame des sous aujourd’hui. En fait j’ai beaucoup droit sur le papier, mais j’ai les pires problèmes pour avoir quoi que ce soit. Stupide élevage de cons ! Parce que c’est vraiment un élevage ici… de cons à qui j’ai eu à faire. Parce qu’ils ne tolèrent pas que je dise les choses à ma façon. Et jusqu'à la date d’aujourd’hui, personne ne m’a prouvé le contraire de ce que je disais. Personne n’a eu l’intelligence d’être un interlocuteur assez sérieux en face de moi, alors que je ne réclamais rien d’autre que mes droits, tu vois. Il ne faut pas être résigné, mais il faut lutter pour ses droits, « stand up for your rights ». Et moi j’ai toujours été ainsi, alors là ça ne date pas d’aujourd’hui, ça date depuis le jour de ma naissance je pense, « stand up for my right ». 40 40
Interview réalisée d´aprés les Questions d´Antoine Fontaine et de Carole Vilbois Restranscription de l´enregistrement audio G.L.
Au pays de l’Indignité et des torts de l’Homme Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 1948 Les Droits de l’Homme sont la reconnaissance de la dignité inaliénable de la personne humaine. Sans discrimination, sans inégalité, sans distinction quelle qu’elle soit, la dignité de l’Être Humain est universelle, égalitaire et inaliénable. Convention relative aux Droits des personnes handicapées, 2006.
Isabelle Resplendino
La dignité se retrouve dans plusieurs articles : le préambule, l’article 1 (l’objet de la convention), l’article 3 (ses principes généraux), l’article 8 (la sensibilisation), l’article 16 (droit de ne pas être soumis à l’exploitation, à la violence et à la maltraitance), l’article 24 (l’éducation), l’article 25 (la santé). Le thème de la dignité revient aussi souvent dans le Convention relative aux Droits de l’enfant, notamment dans l’article 23 qui a pour objet le handicap. Comment peut-on parler de dignité dans une société qui exclut les personnes handicapées ou âgées, qui les force à vivre en communauté ? La première étape dans la marche vers la dignité est d’avoir le choix de vivre sa vie.
Comment parler de dignité quand on refuse de scolariser un enfant, d’employer un adulte en raison de son handicap, qu’on le renvoie, qu’on le harcèle, qu’on le maltraite, qu’on en abuse ?
Comment parler de dignité quand circulent des pétitions signées par les enfants « ordinaires » pour exclure de l’école d’un enfant alors que d’autres pays y sont parvenus ? Comment parler de dignité quand la majorité de la population méprise les personnes handicapées ou âgées, parce qu’elle ne les connaît pas, parce qu’elle en a peur, peur de le devenir un jour peut-être ?
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Au pays de l’Indignité et des torts de l’Homme
Comment parler de dignité quand le grand public n’est pas sensibilisé et, pire, la plupart des professionnels n’est pas formée au handicap, ne le détecte pas, ne le prend pas en compte, et met les symptômes sur le compte d’une mauvaise éducation, voire d’une maltraitance parentale, avec toutes les conséquences que cette confusion peut entraîner ? Comment peut-on parler de dignité quand des enfants, des adultes handicapés se retrouvent placés à l’isolement, attachés, parfois en camisole de force, avec un grabat, un seau hygiénique ou des langes changés irrégulièrement, gavés de barbituriques puis de laxatifs pour contrer l’effet secondaire des premiers, pendant des mois, des années ? Sans moyen de communication s’ils ne sont pas verbaux, sans éducation, sans moyens de compenser leur handicap ? Combien de ces personnes se retrouvent en unité pour les malades difficiles (UMD), avec des tueurs en série ? Comment peut-on parler de dignité quand on enroule des enfants autistes nus dans des draps et des couvertures trempées et glacées pendant de longues dizaines de minutes plusieurs fois par semaine, méthode dite du packing, censée soigner leurs troubles du comportement ? Comment parler de dignité quand on exile à l’étranger les enfants et adultes les plus handicapés, ceux dont on ne veut pas en France ? Comment peut-on parler de dignité quand des personnes ont travaillé et cotisé toute leur vie pour finir leurs jours dans des mouroirs puant l’urine, l’excrément, où les personnels deviennent maltraitants car on leur impose un rythme démentiel ? Comment parler de dignité quand les hôpitaux psychiatriques n’ont plus les moyens de soigner, mais seulement de garder les personnes malades ?
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Comment la France peut-elle parler de dignité quand vous avez au téléphone un ingénieur des pays de l’Est venu travailler en France avec sa femme médecin vous dire sa surprise en constatant que la France est encore au moyen-âge en ce qui concerne l’autisme et qu’il cherche une école en Belgique pour son fils ? C’est en se fondant sur la Déclaration des Droits de l'homme et du Citoyen (France, 1789) qu’a été rédigé le texte de la Déclaration universelle de 1948. La France a beaucoup contribué à cette rédaction. Hélas, elle est très loin d’appliquer les conventions qu’elle a signées et ratifiées depuis…
Isabelle Resplendino
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Antoine Fontaine Co-Président
De « un pognon de dingue » à « je traverse la rue, je vous en trouve [du travail] », les propos tenus par le président de la République ces derniers mois ne sont sans doute pas la manifestation d’un mépris, mais simplement l’expression d’une authentique nature. Non pas celle d’un homme mais plutôt d’un système dont l’utopie, que théorisa notamment un certain Adam Smith, consistait à penser que l’humanité serait d’abord et avant tout portée selon une propension naturelle à « troquer et échanger une chose par une autre »[1]. Les bases philosophiques du capitalisme étaient ainsi posées, largement anticipées en France, il faut le rappeler, par l’école dite des physiocrates [2]. Les mots du président sont dans cette continuité et au fond à l’image de cette fable dans laquelle la grenouille accepte de transporter un scorpion sur son dos pour lui faire traverser une rivière et où, en plein milieu elle se fait piquer. Dans son dernier souffle, la grenouille murmure « pourquoi ? ». Ce à quoi le scorpion, juste avant de couler, répond : « C’est dans ma nature, je n’ai pas pu faire autrement ». Ce n’est pas que le scorpion fût « méchant », mais tout simplement le fait qu’il n’était pas équipé pour penser et agir différemment. 44
Pourquoi la pauvreté a toujours été utile Toutes ces paroles publiques, vouées au buzz médiatique ne sont pas autre chose que l’exacte expression de l’utilitarisme de cette utopie conceptualisée voilà plus de deux cents ans, visant à penser que le genre humain se réduit à un « homo economicus »[3] calculateur, mû dans son existence par les seules règles du marché, en vue de son expansion mondiale. Dans cette pensée, pour reprendre les termes d’Etienne Mayet dans son « Mémoire sur les manufactures de Lyon » écrit en 1786 : « Pour assurer et maintenir la prospérité de nos manufactures, il est nécessaire que l’ouvrier ne s’enrichisse jamais ». Ainsi, pour les tenants de cet ordre « naturel » annonciateur de notre époque, et en des temps prérévolutionnaires où l'on promeut l’égalité politique, l’inégalité des possessions est quant à elle justifiée par le fait que la richesse des uns est la condition de l’emploi des autres. Dès le début du XVIII siècle, des auteurs comme Bernard Mandeville [4] avaient déjà posé les jalons. Dans sa « Fable des abeilles» qui inspira complétement Adam Smith, la morale est limpide : les inégalités sont la condition de l’opulence et, si ces inégalités disparaissent, la société est appauvrie ou détruite. À cette époque où la pauvreté et les inégalités restent encore dans le champ de la morale, de la philosophie politique, de l’ordre public, de la charité, nous devons à Adam Smith d’en avoir fait un sujet relevant exclusivement de la toute jeune science économique. Dans son ouvrage la « Théorie des sentiments moraux » Smith ne dit pas autre chose [5]. Il poussera même l’argument jusqu’à établir que l’inégalité des fortunes est moralement admissible, car selon lui: « Une main invisible semble les forcer [les riches] à concourir à la même distribution des choses nécessaires à la vie qui aurait eu lieu si la terre eût été donnée en égale portion à chacun de ses habitants ; et ainsi, sans en avoir l’intention, sans même le savoir, le riche sert l’intérêt social et la multiplication de l’espèce humaine ». 45
L’inégalité serait donc corrigée par l’action redistributive d’une main invisible. Sans jamais clairement en expliquer le processus, pour Smith le résultat de l’action de cette main invisible serait en tout point identique à celle « qui aurait eu lieu si la terre eût été donnée en égale portion à chacun de ses habitants ». Devant l’évidente incongruité du propos, Smith déplace alors sa réflexion sur les inégalités économiques du champ de sa science vers une appréciation sur ce qui fait le bonheur d’un individu. Il conclut par un argument sans rapport avec l’économie. Dans son raisonnement, il indique que :
« La Providence, en partageant la terre entre un petit nombre d’hommes riches, n’a pas abandonné ceux à qui elle paraît avoir oublié d’assigner un lot, et ils ont leur part de tout ce qu’elle produit. Pour tout ce qui constitue le véritable bonheur, ils ne sont en rien inférieurs à ceux qui paraissent placés au-dessus d’eux. Tous les rangs de la société sont au même niveau, quant au bien-être du corps et à la sérénité de l’âme, et le mendiant qui se chauffe au soleil le long d’une haie, possède ordinairement cette paix et cette tranquillité de l’âme que les rois poursuivent toujours ». Surprenante nature et science que constitue l’économie, où dès son fondement, la fin semble justifier les moyens. Dans cette Histoire, où nous sommes à la fois le produit des périodes qui nous précèdent et des inventeurs pour l’avenir, d’autres personnages que notre système éducatif actuel n’oublie jamais de promouvoir, apporteront leur petite pierre à l’édifice. Ils tenteront chacun selon leur sensibilité d’influencer ces chemins menant à une seule et même destination : la société capitaliste parfaite. 46
L’un de ces influenceurs méritant l’attention, car il est l’inspirateur du capitalisme vert à l’œuvre à notre époque, est Thomas Malthus. Pour lui et pour le dire schématiquement, la pauvreté résultant des inégalités n’est jamais abordée tel un fondement du système, mais perçue comme une conséquence dont les ressorts sont à trouver du côté de la responsabilité individuelle des personnes pauvres : « Le peuple doit s’envisager comme étant lui-même la cause principale de ses souffrances […] Si nous négligeons de donner attention à nos premiers intérêts, c’est le comble de la folie et de la déraison d’attendre que le gouvernement en prendra soin […] En Angleterre, les lois sur les pauvres ont été incontestablement établies dans des vues pleines de bienveillance. Mais il est évident qu’elles n’ont point atteint leur but […] Les lois sur les pauvres tendent manifestement à accroître la population sans rien ajouter aux moyens de subsistance […] Ainsi les lois y créent les pauvres qu’elles assistent… Ce que je propose, c’est l’abolition graduelle des lois sur les pauvres, assez graduelle pour n’affecter aucun individu qui soit actuellement vivant, ou qui doivent naître dans les deux années prochaines… »[6] Le stéréotype du mauvais pauvre était né, auquel son avatar moderne de l’assistanat emprunte tout, plus de deux cents ans après. Cette prophétie auto-réalisatrice mêle aujourd’hui dans un même groupe social deux types de populations stigmatisées. Il s’agit d’une part de l’homme-voyou, dont la présence menace l’ordre social et l’intégrité physique et matérielle de ses représentants. Ici aussi, on perçoit bien que la notion
contemporaine d’insécurité y est en germe. D’autre part, nous avons la femme-pondeuse, se vautrant allégrement dans les allocations sociales ou les maternités, constitutive d'une menace envers les valeurs sociales du système, centrées bien entendu autour du travail et de l’effort. Responsabilité individuelle nous disait Malthus, dont la pensée aura donc favorisé l’étude ordinaire de la pauvreté soit par le biais des difficultés qu’elle provoque, des coûts qu’elle génère, des politiques publiques ou privées qui la causent, soit sous l’angle des conséquences qu’elle produit sur les populations concernées et l’ordre social en général. C’est Karl Marx, bien meilleur théoricien du capitalisme que du communisme contrairement à ce que la pensée dominante peut laisser croire, qui remettra sur le devant la fonction utile qu’a toujours représenté l’existence de ces classes paupérisées. Dans son œuvre majeure intitulée, "Le Capital", il nous rappellera que la pauvreté constitue un des fondements indispensables à l'existence de la société capitaliste : « La condamnation d’une partie de la classe salariée à l’oisiveté forcée non seulement impose à l’autre [les salariés] un excès de travail qui enrichit des capitalistes individuels, mais du même coup, et au bénéfice de la classe capitaliste, elle maintient l’armée industrielle de réserve en équilibre avec le progrès de l’accumulation ». 47
Plus récemment, Herbert Gans [7], un sociologue d’origine allemande lui aussi, ira plus loin dans l’analyse en cherchant à identifier l’intérêt qu’ont certains acteurs au maintien ou à l’extension de la pauvreté. Au lieu de pointer les problèmes issus de la pauvreté, il en recherche les avantages. Si elle survit aux politiques publiques, c’est que la pauvreté profite selon lui à certains groupes sociaux. Il dénombre dans son article pas moins de quinze fonctions positives à la pauvreté. L'article de Gans a ceci d'intéressant, en autres qualités, qu'il reprend pour son analyse sur la pauvreté, une méthode développée pour l'analyse du clientélisme dans le fonctionnement du système électoral. De nos jours, sous l’effet de la robotisation et de la dématérialisation des choses grâce aux sciences, alors que le travail concret tend à disparaitre et que peu de travail effectif est nécessaire dans la production, ces actifs inoccupés (« armée industrielle de réserve [8]») contribuent toujours à comprimer les salaires de ceux qui détiennent encore un travail. L'analyse de Marx permet toujours de comprendre le fonctionnement de notre société capitaliste version 2018. L’homme trouvera son juste prix sur le marché et peu importe si ce sera celui de l’indigence. C’est dans la nature de ce système. Dans ce dernier et à bien regarder l’Histoire, puisque Malthus évoque le gouvernement, il convient aussi de considérer le rôle joué par les Etats nations dans la mise en œuvre du capitalisme. Il est tout en paradoxe, telles les deux faces opposées d’une seule et même pièce. D’un côté, l’Etat est prié de ne pas intervenir dans l’économie afin de permettre à la main invisible d’accomplir son « œuvre égalitaire », tandis que de l’autre l’intervention publique est sollicitée comme la brassière du système, pour dérèglementer le travail, la terre et faire régner l’ordre par l’administration continue de la misère, nécessaire à la perpétuation de la société marchande. Et si depuis le XVIII siècle, à la faveur des crises du capitalisme, débouchant parfois sur des révolutions populaires ou autres guerres, quelques victoires ont été remportées permettant un peu plus d’entraide afin de renouer le lien social[9], l’apparente « modernité » de notre époque et le balai des petites phrases politiques savamment distillées dans les médias par l’ensemble des présidents qu’ait connu la France depuis la Ve République, ne seraient-ils pas au fond uniquement l’expression de cette volonté obstinée de revenir sur ces acquis-là et réhabiliter cette utopie du XVIII siècle, dont la réalisation a tant de fois disloqué nos sociétés ? Le sujet des retraites, entre autres exemples, peut conduire à s'interroger de la sorte. Aucun politique en exercice n'osera dire : « Dans notre modèle économique actuel, il nous est iimpossible de continuer à dépenser des ressources, forcément limitées, pour des éléments parasitaires qui ne sont même plus productifs ». Prononcez une telle phrase aboutirait sans doute à une levée de bouclier sur les réseaux sociaux ou pire à une pétition en ligne. Au contraire, il faut afficher sa volonté de sauver le système de retraite par répartition, mais pour cela il convient d’en durcir les conditions d’accès.
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C’est le principe de la conditionnalité des droits, les rendant plus difficiles à faire valoir pour une partie de la population… tout en restant un droit. S’agissant de la retraite, on peut ainsi allonger le temps de cotisation obligatoire ou fixer un âge plus lointain de départ. Dans le contexte actuel du monde du travail et au regard des conditions possiblement dégradées de son évolution pour nombre de générations, ce droit à la retraite n’est en fait plus accessible. Cela s’applique à de nombreux autres droits tels le logement, la santé, l’éducation…. Ainsi, faute de politique réelle adaptée aux besoins et aux moyens de la population, de nombreux droits ne sont plus que virtuels. C’est une tendance qui a le vent en poupe. L’heure n’est-elle pas à la dématérialisation ? En fait, nous avons quand même le choix - le choix c'est synonyme de liberté n'est-ce pas?- : celui de payer pour continuer à jouir de ces droits élémentaires. Un droit qui s’achète, est-ce toujours un droit ou un produit ? Il ne faut donc pas chercher bien loin pour établir une filiation entre « La Providence, en partageant la terre entre un petit nombre d’hommes riches, n’a pas abandonné ceux à qui elle paraît avoir oublié d’assigner un lot » écrite en 1776 par un Adam Smith et les « pognon de dingue » ou « je traverse la rue », prononcés en 2018 par le président Macron. C’est simple, c’est juste dans leur nature ! C’est pourquoi il faudrait aujourd’hui d’emblée se poser la question franchement : que voulons-nous ?
Antoine Fontaine [1] Adam Smith « De la Richesse des nations » (1776) [2] Les physiocrates est une école de pensée née en France et visant à forger la conception moderne de l’économie et de la politique dans un cadre de réflexion et d’action autonome à part entière, comme si elles étaient de vraies sciences. [3] L’expression serait employée dès le XIX siècle par John Stuart Mill, mais la notion est généralement attribuée à Vilfredo Pareto en 1906 [4] Bernard Mandville La Fable des abeilles, 1714 [5] « L’estomac du riche n’est pas en proportion avec ses désirs, et il ne contient pas plus que celui du villageois grossier. Il est forcé de distribuer ce qu’il ne consomme pas [à ceux qui travaillent pour lui] ; et tous ceux qui satisfont à ses plaisirs et à son luxe, tirent de lui cette portion des choses nécessaires à la vie, qu’ils auraient en vain attendu de son humanité ou de sa justice. […] Ils [les riches] ne consomment guère plus que le pauvre ; et en dépit de leur avidité et de leur égoïsme (quoiqu’ils ne cherchent que leur intérêt, quoiqu’ils ne songent qu’à satisfaire leurs vains et insatiables désirs en employant des milliers de bras), ils partagent avec le dernier manœuvre le produit des travaux qu’ils font faire » (Adam Smith, La Théorie des sentiments Moraux, 1759, p. 211-212) [6] Thomas Malthus, Essai sur le principe de population, 1803 [7] The Positive Functions of Poverty,American Journal of Sociology 78, no. 2 (Sep., 1972) [8] L’armée industrielle de réserve est un concept développé par Karl Marx dans Le Capital [9] Les crises du capitalisme des années 1870 et 1930 aboutirent, après les guerres mondiales du 20 siècle, à la réglementation le contrat de travail, instauration de lois de protection de l’enfance, de règles sanitaires et de la protection sociale, au contrôle du prix des denrées de base, à l’orientation d’ investissements dans l’économie distributive, ou à la maîtrise de la monnaie en la soustrayant du marché.
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« 3,5 euros… voilà tout ce que le cuisinier a de budget par jour pour les nourrir, alors certains jours ils n’ont pas de fruit et parfois ils mangent les mêmes saucisses toute la semaine, et le soir, une tartine ». Le jeune père de famille démissionnaire qui se tient devant moi dans cette maison de retraite d’un groupe français me dit cela, car il vient de comprendre que je ne veux pas du poste, voilà une heure que nous faisons le tour d’un établissement fantôme, où j’ai croisé avant 13H00 un unique cuisinier, terminant et pour cause son service et une plongeuse originaire de l’immigration . « Ils sont couchés toute la journée et regardent le plafond », je comprends vite que la malnutrition, l’absence de sortie a raison de la santé de ses résidents, qui ne sont pas malades, mais juste trop vieux et dépendants. Le silence et le vide des couloirs des cuisines et des salons mis à disposition font froid dans le dos. On remplace rapidement la nourriture solide par de la nutrition médicale, remboursée, elle, par la sécurité sociale, il n’y a pas de petits profits pour un groupe côté au CAC, et dont le bénéfice dépend amplement de chaque petit effort. On me l’assure, ils ont tous le wifi, mais on m’avoue que personne ne l’utilise, on me rassure encore sur la taille des ficelles dans les douches qui servent d’alarme si on a le malheur de tomber au sol dans la douche. Une directive européenne indique qu’elles doivent, au plus, être à 10 centimètres du sol… alors « on a rallongé ces petits bouts de ficelle rouge dans les douches ! » Pas de banc, ni au dehors ni sur la terrasse de toit, je m’inquiète de la faible hauteur du garde-corps, mais là encore on me rassure, personne ne connaît l’existence de cette terrasse, ils ne quittent pas le quart d’étage où se trouve leurs chambres. Alors qu’un coup de fil interrompra notre entrevue, à la question de savoir ce que l’on peut servir aux résidents durant la projection organisée par une association de bénévoles, la directrice répondra : une simple eau gazeuse. Et me demandant une approbation elle lance à mon attention « N’est-ce pas ? ». Après une enquête concernant les chiffres du groupe, la masse salariale et le nombre de résidents, le tout en parfaite impartialité, il faut avouer que sur le papier la chose semble presque morale et bien ficelée. Avec environ 300 euros de bénéfices par résident et par mois, une fois les salaires acquittés, nous sommes presque sur le concept de la charité humaine. Hélas avec à peine un peu plus de 100 euros de budget par résident et par mois pour les repas, comment voulez-vous doubler ce budget sans faire perdre au groupe un tiers de ses revenus ? 50
La liquéfaction et trois euros cinquante de bonheur cinglant Où se cache donc le véritable bénéfice ? Le groupe est
locataire, et donc cette maison que je visite est un immeuble flambant neuf. Les loyers sont la partie la plus opaque de cette mécanique, et le propriétaire ? Un groupe ?
Le jeune démissionnaire m’explique que des gens sont venus de Paris, qu’ils n’étaient pas enclins à de grands compliments découvrant que trop de surface avait été allouée aux locaux techniques, la prochaine construction devra compter bien moins de surface inutile d’après eux. On devine facilement le ratio mètre carré par résident. Ainsi, qui ira reprocher aux groupes de se prévaloir d’être en train de faire si peu de bénéfices sur ce qu’ils nomment sans aucune pudeur « l’or gris ». Quid du montant du loyer ? Du bailleur ? De la plus-value immobilière une fois les années baby-boom passées ? Qui regardera jusque-là puisque personne ne regarde cette trop difficile chose en face ? Qui souhaite voir la fin de vie ? Moi-même qui écris cet article confortablement installé dans ce wagon de train reliant le Luxembourg et l’Allemagne n’ai-je pas mieux à faire ? Mieux à vivre ? A Paris, on me conseilla de laisser tranquille un jeune homme que je souhaitais informer. Je cherchais à le sensibiliser à la question de la liquéfaction. Lui, il faisait fièrement état de sa fonction d’assistant de chaire. – Laisse-le, regarde n’est-il pas heureux ainsi… ? Ne sommes-nous pas heureux ainsi ? 51
Est-ce une inadaptation au bonheur que de vouloir celui des autres ? Après tout lorsque ce sera notre tour de regarder durant de longues années le plafond, le regard dans le vide, entre notre poche d’urine et notre sonde gastrique, il sera toujours temps dans notre immobilisme de nous poser la question. Bien entendu les plus riches ne sont pas concernés. Ils ne sont jamais concernés par les lois et les décisions qu’ils prennent pour le peuple, pudiquement, et individualisme oblige, appelé « Citoyen», ceux-là mêmes que l’on tente de rassembler, de coopter, de fédérer, de bouger, de mettre en marche, autour des idéaux politiques de tout cru. Notre avenir sera liquide, l’alimentation le sera, nos biens le deviendront et nos larmes suivront. Bien entendu ce n’est pas grand-chose me direz-vous un million deux cent mille personnes dépendantes aujourd’hui, mais le marché est prometteur nous assure-t-on ! Demain au lieu de passer 7 années en moyenne dans cet état, les experts nous promettent 14 années, d’immobilisme, enfin en dehors de nos fonds, de notre capital durement amassé, car il faudra rendre à la société ce que nous lui devons ! Le profit n’est pas pour les petites gens, et si d’aventure vous pensiez pouvoir avoir un bas de laine, rassurez-vous, où que vous placiez votre argent, il ne fait que passer entre vos mains, il est le leur. Partout on vous parle d’économie circulaire, sans vous parlez de pompe à fric, celle qui fait circuler votre monnaie. On vous parle de votre épargne sans vous expliquer que c’est vos épargnes qui nourrissent leurs investissements. On pourrait prendre le parti des grosses entreprises dont il est question, ou tirer à boulets rouges sur l’enseignement des ressources humaines, qui fait de vous une personne désirable entre 27 et 35 ans. Soit 8 petites années… pas même 10 % de votre espérance de vie. Ensuite, vous voilà déjà sénior en entreprise, trop cher, non corvéable à souhait, parfois trop imbu de vos expériences passées. Il vous reste alors 15 ans pour exister, pour faire carrière, pour acheter cette maison ou cet appartement dont vous rêvez, pour vos enfants, pour vos vieux jours… pour ce bonheur auquel vous aspirez entre les courses, la télé, internet, deux crédits et trois pics de stress, vous le savez bien ce petit bonheur, lorsque vous êtes là avec deux trois amis, à boire tranquillement un verre, et à rire des choses simples de la vie.
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C’est là, alors que la France en liesse apprend que nous irons en finale de coupe du monde, les épaules chargées du lourd poids des informations cumulées durant deux jours auprès de ceux qui savent, alors que le peuple, le citoyen, celui qui pense que d’autres vont changer le monde pour lui, faire cette politique qui parfois nous empoigne les tripes, sans salaire, à nos frais, qu’il lâche sans sourcilier, lui l’abstentionniste « La politique… tous des ordures, je préfère regarder le foot ». Bien entendu il ne sait rien de nous, il ignore la horde de l’ombre, la horde des partisans, des conseillers de tous bords, des petites mains de la nation, surveillée et surveillant, entre gardiens et réformateurs de la Nation, entre ombres et lumières. Parfois un nom, celui de l’un d’entre nous qui s’est approché trop près de la source du pouvoir, celle où nous refusons de nous brûler les ailes. Ceux dont c’est le métier, et ceux dont c’est la vocation. Barrière fragile d’empathie, de craintes partagées, car au bout, tout au bout de ce fil rouge, nous avons tous des amis, des familles, nous ne sommes pas des Nantis. Si vous lisez cet article, sachez qu’il a été écrit pour vous. Nous ne défendons ici aucune cause plus fortement que celle de nos dénominateurs communs, de nos ressemblances. En face, ils ont des projets pour l’avenir des vôtres, des objectifs, et les acteurs sont déjà dans les starting-blocks… En tête, les banques et les produits adaptés, ayant parfois un petit quart des établissements où vous placez ces parents dont personne ne peut s’occuper, il faut bien gagner sa vie, et la vivre. Lorsque vous vous adressez à votre gentil conseiller, il vous offre des produits afin d’assurer votre retraite, en toute amitié des produits dérivés de l’or gris… On vous rend un peu de l’héritage qu’on vous arrache de l’autre côté de la chaîne, mais comment pourriez-vous le savoir ? … Même lui là assis devant vous ne sait rien, il en a peut-être aussi lui, du produit humain, dont il flatte le rendement, de la « Silver économy »… ça passe toujours mieux en anglais, surtout si ça passe par la City. Que sait-il des 3,5 euros de budget pour les repas ? De l’Eau minérale du goûter et de la tartine du soir pour la modique somme de… ha ben de toute votre retraite, moins les 10 % qu’on n’a pas le droit de vous prendre, plus l’argent de la sécurité sociale, et enfin de l’hypothèque du bien familial que l’on ponctionne mensuellement a donné presque envie que « Papy il meurt vite… avant qu’il ne reste plus de sous ! ». En outsider juste derrière le banquier qui se frotte les mains se tient l’assureur. Si vous voulez garder un peu de confiance en l’humanité, nous vous invitons à cesser de lire cet article. 53
Nous allons maintenant passer aux choses sérieuses, car ils sont très sérieux ces gens-là, surtout lorsqu’il s’agit de votre argent, enfin surtout de celui des plus pauvres. Leurs cibles sont clairement identifiées, celles dont le patrimoine immobilier sont constituées à 80 % de leurs biens. L’ennemi des temps modernes, c’est le sénior, que pouvions-nous attendre de plus lorsque la génération de « l’enfant roi » arrive au pouvoir et couronne l’un des siens en Prince ? Ha ! Ce n’est pas le modeste Petit Prince de Saint Exupéry, qui se contente de trois volcans, d’une rose, deux baobabs, et d’un mouton avec une muselière. Non, c’est un prince qui a autant de muselières qu’on trouve de leader d’opinion, et qui n’a certes qu’une rose, mais celle-ci n’a pas que quelques épines, elle a toute une armée à ses pieds pour se défendre.
L’ennemi est donc l’improductif sexagénaire qui soutire la moitié du patrimoine immobilier, et pour liquéfier l’ensemble de son bien, ceux qui ne sont pas concernés ont eu une idée extraordinaire. Ils n’ont même pas eu honte du terme utilisé… puisqu’on veut du liquide, appelons cela « La liquéfaction » . Et ils l’appelèrent « La liquéfaction » ! D’abord, pour y parvenir l’argument des assureurs sera l’assurance dépendance, risque majeur pour la société, elle sera à charge du contribuable pour qu’il soit candidat à la liquéfaction. On va lui proposer de devenir le locataire de son propre bien, oui, on ne le met pas dehors, ce serait cruel, mais son bien sera racheté avec une décote, il faut bien compenser les années où on ne pourra pas faire de plus-values sur ce bien, qui va se dégrader. Qui sera l’acteur ? La famille ? Un privé… Ha non une institution ! Que va donc faire avec cette manne d’argent directement imputé d’une somme non négligeable pour droit à l’usage de son propre bien ? D’abord il faudra que notre sénior en garde une partie pour payer son loyer… oui, lui qui se croyait à l’abri dans sa maison. Celle pour laquelle il a travaillé toute sa vie, en plus de la décote, il faudra remettre la main au porte-monnaie, c’est autant d’argent qui n’ira pas aider les petits enfants. Alors, pour rendre cela possible les documents remis le 9 juillet 2018 par la Caisse des Dépôts et consignations, durant le symposium « Vieillissement, incertitudes, croissance, bien-être » font état d´un engagement conforme à la loi, qui prévoit le paiement d´un loyer pendant une période de 2 fois 6 ans qui peut être prolongée encore une fois 8 années. 54
Le rachat se fera avec une décote, et là dans le document on nous assure qu’il y a tout de même un risque que « l’importance de la décote » «… puisse se heurter à des obstacles psychologiques (sentiment de brader le patrimoine familial). » Concernant la loi nous sommes en droit de nous demander si ce document est une anticipation ou si le projet de loi existe bel et bien sous une forme provisoire. Les risques ne sont présentés que du point de vue de l’investisseur, sans même tenir compte du fait que le « client à la liquéfaction » puisse avoir envie de vendre à un privé. Ici, on nous explique pudiquement que la vente se fera au profit d’une institution… On nous parle de transfert intergénérationnel, car voici le bien composé en quatre parties, une première une décote liée à la non-possibilité pour l’institution (Banque privée ? Étatique ?) de jouir du bien immédiatement, la seconde partie dont on extrait ici le montant doit couvrir au plus 20 ans de loyer, et la troisième partie doit permettre de couvrir par une assurance privée la dépendance, dont on nous a assuré lors du symposium que la durée sera dans les années à venir de 15 ans en moyenne, et enfin pour faire glisser le tout, entre les lignes, on nous parle de transmission d’une part de la liquidité à la génération 2, donc une façon pudique de déshériter la génération 1, en offrant aux hypothétiques petits-enfants le coup de pouce nécessaire de l’État défaillant incapable de fournir les conditions à l’emploi des jeunes générations. Si nous savons à qui profite le crime, le dos du document remis ne manque pas de mettre en avant les sponsors, ou on trouve banques et assurances. Les sommes en jeu représentent la moitié du patrimoine immobilier qui se compose d’après le document de 7 000 milliards d’Euros et dont les séniors détiennent 3 500 milliards. (Ici on remarque que l’échelle du Billion n’est pas retenue et que l’on reste en milliard, mais il s’agit bien de respectivement 7 billions et 3, 5 billions) On nous assure que 74 % des séniors sont propriétaires et qu’enfin le souci est l’âge moyen auquel on accède à la succession, 59 ans, voilà le problème. Le patrimoine ainsi liquéfié, dans un premier temps, représenterait 70 milliards et un flux annuel de 14 milliards qui serait directement injecté dans notre l’économie.
On nous parle « D’hypothèse d’un choc de liquéfaction ». 55
On nous donne également un exemple concret, avec une décote du bien de 17,5 % pour un bien d’une valeur de 550 000 €. (Décote de 138 000 €) Ce bien serait repris pour la somme de 412 000 € par une institution On parle de laisser au sénior 132 500 € sur l’ensemble de son bien. Une épargne liquide de 285 500 € donc la destination est floue, des chiffres qui ne parlent pas, il faut bien comprendre que les zones d’ombre, telles que le montant du loyer à venir ou tout simplement le montant de l’assurance dépendance devant permettre de couvrir les nombreuses années de dépendances, restent des inconnues. Tant d’année à regarder le plafond dans la chambre d’un groupe côté au CAC 40. On nous explique que c’est pour venir en aide aux jeunes générations, mais que l’on ne s’y trompa pas, si le but était réellement la génération future, la mesure ne proposerait pas de passer de la propriété éternelle à la propriété à vie dans les grandes villes, comme Paris entre autres. Cette fois le principe est inverse. On considère que la précarité de l’emploi ne permet plus de faire des investissements au long cours et pour y remédier toujours... on propose en contrepartie la propriété à vie. On nous parle d’accessibilité dans les bassins de l’emploi. On parle de contrat d’acquisition à vie. Les acteurs des présentes études ne se cachent pas, il s’agit de la Chaire des associés en finance et de l’institut de l’épargne immobilière et foncière. On nous parle de renoncer à la transmission. Le but très ego centré serait d’acheter moins cher, mais là encore qui peut garantir les prix du marché si ce marché tombe dans la main des banquiers ? Ainsi, l’homme en capacité est favorisé par rapport à celui qui ne l’est plus. Celui qui participe au monde tel que nous le voyons est un temps, celui de la productivité au cœur du monde moderne, est choyé… mais gare à la chute.
Est-ce cela que l’accès des enfants-rois aux postes à responsabilités nous préfigure ? Prêts à prendre à leurs parents, toit et dignité. Prêts à entrer dans la vie à crédit, juste le temps d’être poussés au-dehors par des plus jeunes qu’eux. Un contrat précaire, un logement précaire, plus encore à la botte des créanciers. Tout cet argent liquide allant directement enrichir ceux qui ont eu l’idée de bâtir leur richesse sur le bien d’autrui.
Faut-il rappeler que toute cette existence se résumera au silence d’une chambre, sa solitude, la froideur d’un plafond blanc, et que vos derniers repas vous feront regretter la cantine et les petits poids de votre enfance ? 56
Carole Vilbois co-présidente Maintenu en vie, entre « Auschwitz et Matrix », ce scénario n’est pas une anticipation catastrophique, il est une réalité pour des hommes et des femmes qui en Allemagne, ou en France, livrées à des groupes privés, par des enfants qui ne peuvent faire face. L’Euthanasie a le goût d’une douceur, que le monde de la finance n’accorde pas lorsqu’elle abuse de la faiblesse des citoyens les plus fragiles en vue de se nourrir sur des cadavres encore chauds, mais un temps seulement. Car nos charognards anticipent déjà l’euthanasie, et proposent de ne plus nous offrir l’accès à la propriété éternelle, « Dieu reconnaîtra les siens » semble-t-il ricaner. Faut-il donner sa vie pour défendre cette cause ou donner sa vie pour la cause des autres ? Nous sommes loin du richissime philanthrope Andrew Carnegie qui disait « Celui qui meurt riche meurt déshonoré ». Si nous parlons ici de ceux qui bafouent la dignité humaine, créant un trou noir qui compresse leur sens de l’honneur, dans de quantiques calculs, les cantiques eux ne seront jamais assez nombreux pour racheter des âmes entachées d’autant de détachement humain. La tourmente, et l’avenir incertain sont le fruit gâté dont se sustentera le peuple, alors qu’ici nous voulons que la politique vienne avant tout répondre à la question des besoins primaires.
Un toit pour tous et un repas chaque jour. Afin que chaque enfant qui vient au monde dans notre pays développé et riche s’entende dire par ses parents : « Tu ne manqueras jamais de rien mon fils, vis et épanouis-toi ». Nous avons les moyens de nos ambitions communes. Qu’est-ce que la dignité sans l’honnêteté ? L’article premier de la constitution allemande engage la démocratie, permettant ainsi à chacun d’atteindre les conditions propices au maintien de sa dignité humaine. Notre Nation si elle se dit humaniste a le devoir de s’engager en ce sens, car la dignité est humaine ou elle n’est pas. Avant que ne vienne le règne des machines, de l’intelligence artificielle, nous avons le devoir de poser l’intelligence du cœur, pas d’unité, sans la reconnaissance de l’autre, pas d’avenir sans avenir commun. Si l’État œuvre dans son impartiale posture au service des chiffres, plus qu’au service des hommes, il se trouvera un jour où il n’y aura plus respect pour l’État, et c’était hier.
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Improductif à charge
29 ans
65 ans
En France, l'âge moyen pour l'obtention du premier CDI est aujourd'hui à 29 ans
38 ans
Propriétaire d´un crédit
Locataire
Début 2017, la moyenne d'âge des accédants à la propriété est de 38 ans
Salarié
Emprunteur Productif
Durée moyenne de cotisation retraite en 2012 Hommes-femmes 36 ans 58
59 Ans Héritier âge moyen
Locataire Durée Maximun du bail 20 ans 2X6 ans + 8 ans
Retraité Propriétaire Candidat à la Liquéfaction
Période de 0 à 28 ans
85 ans
Junior stagiaire
Locataire
En maison de soin
l'âge moyen d'entrée est de 84.3 ans
Argent de la pension Aide de la sécurité sociale Assurance Hypothéque du bien ou Liquéfaction
En maison de soin Candidat Liquéfié sans patrimoine
Période d´éligibilité optimale pour l´emploi 28-38 ans soit 10 ans Période d´éligibilité optimale pour un prêt immobillier 33-45 ans soit 12 ans ©Carole Vilbois pour l´Unité Nationalee
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2018 Stop à l’usine à fric, alerte rouge ! L’or gris comme disent les financiers « pudiquement ».
Toute humanité a disparu
dans les établissements pour personnes âgées. Deux médias viennent de mettre en lumière et en images ce qui se passe depuis longtemps dans les groupes privés Orpéa et Korian, dont les capitaux sont détenus par des fonds de pension américains. Élise Lucet, avec son émission « Envoyé Spécial » du 20 septembre 2018 et Télérama qui lui met en lumière, tout ce que le groupe Orpéa a fait comme pressions inouïes pour empêcher l’émission.
Nous ne pouvons absolument plus continuer comme ça. La condition des âgés institutionnalisés demande une réaction immédiate de tous les élus, un référendum, et une consultation nationale, avec des commissions indépendantes de tous les représentants concernés. Des personnes de 60 à 80 ans non élues, des familles, des institutions sans but lucratif, et les instances chargées des agréments. Et l’état en minorité. L’humain doit être majoritaire, et au centre de son devenir c’est urgent.
Nous reconnaissons le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses personnes âgées. Le libéralisme économique a réussi à rendre toute chose, et tout être « objet de marketing », personne qui doit « rapporter ». Il est impossible d’ouvrir son email, sans recevoir des propositions alléchantes et soi-disant rentables d’investissements dans les résidences pour les séniors. Nous pourrions citer les plus grandes sociétés qui se rendent coupable de ce marché qu’elles osent présenter comme juteux et dont la prise en charge aurait dû rester « sans but lucratif ». En réalité c’est le marché de la honte. Le citron pressé de la vieillesse est un citron de sang ! L’état et ses hauts représentants sont aussi en cause, dans l’attribution des possibilités de personnel. Toujours pour des raisons budgétaires, mais la santé est-elle monnayable ? Le constat ou l’état des lieux Cela nécessite la mise en place d’un audit indépendant important. De quoi a besoin une personne âgée ? De la même chose qu’une personne jeune, sauf que ses possibilités physiques, et parfois intellectuelles sont réduites et qu’il faut en tenir compte. Une personne âgée a besoin d’amour, de présence, de respect dans ses choix, de soins, de chaleur et de réconfort. 60
Le marchÊ de la honte ! L’apartheid de la vieillesse
Martine Revol 61
La sécurité est toujours invoquée par beaucoup de gens, concernant la vieillesse. La vieillesse n’est pas une maladie, la vieillesse est un état qui commence dès la naissance, et personne n’y échappe. Comme me disait mon professeur de sociologie, Monsieur Souerys : « Nous sommes tous, le vieux de quelqu’un, d’un an, d’une décennie, ou d’un demi-siècle ». C’est cependant un état naturel, qui doit être pris en compte et préparé tout au long de sa vie. Nous ne sommes pas tous égaux devant la vieillesse, et un grand nombre d’entre nous ne connaîtra jamais ces institutions. Seuls 8 % des personnes âgées sont institutionnalisées. C’est hélas encore et toujours, les plus démunis, qui sont aussi les plus maltraités, les moins bien lotis. Non seulement la sécurité et la présence ne sont plus assurées correctement en institution, mais c’est un leurre. Aujourd’hui, si nous divisions les ETP (équivalents temps plein) présents en temps réel chaque jour, par le nombre de personnes âgées, nous nous mettrions à pleurer, c’est de l’ordre de quelques minutes seulement par jour et par personne… (Moins de 14 minutes en comptant du jardinier à la direction). Nous pouvons faire beaucoup mieux à domicile, pour beaucoup moins cher, et sans enrichir les multinationales qui en font un marché scandaleux, et créer ainsi beaucoup d’emplois plus locaux, plus sains et surtout plus dignes. Messieurs les élus, tout ce que vous laissez faire, vous l’utiliserez ! L’historique de la prise en charge, à domicile, et en institution. Quand une personne âgée a des moyens importants, elle peut payer à domicile, tout ce qui est utile au maintien de son autonomie maximale. Services à domicile poussés, repas, ménage, sorties, compagnie, culture, aménagements. En ce qui concerne les plus démunis, dans les années 1980/1990, les personnes atteintes de handicaps bénéficiaient d’aides, quelque soit leur âgé (même les plus de 60 ans), c’était la COTOREP qui prenait en charge. Elle était basée sur une grille de handicaps. Ainsi, on ne différenciait pas une personne de 59 ans, d’une personne de 65 ans, et tout degré de handicap était pris en compte, afin de mettre en place ce qui était nécessaire en moyens humains et financiers, pour maintenir un niveau de qualité de vie décente et cela ne prenait pas vraiment en compte les moyens des gens, mais leurs besoins réels.
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Monsieur Michel Mercier alors président du conseil général du Rhône a décidé que les personnes âgées coûtaient trop cher. Et il a initié une loi avec un changement radical de prise en charge. Après 60 ans, fini la prise en charge des handicapés, nous sommes passés à la PSD, et cette aide tenait compte des réserves des personnes âgées. De l’aveu même de l’auteur, il fallait vider les livrets des personnes âgées qui ne devaient plus coûter aux départements. C’était surtout les effets pervers de la loi de Gaston Defferre sur la décentralisation du financement de la vieillesse, en partie vers les départements.
Pendant une quinzaine d’années (1979-1994), les multiples rapports et tentatives législatives se sont succédés sans résultat. Mettant un terme à cette non-décision exemplaire, le gouvernement initiait en 1994 une expérimentation législative, appelée prestation expérimentale dépendance (PED). C’est finalement une réforme transitoire et a minima qui se voyait consacrée lors du vote de la prestation spécifique dépendance, PSD, (1997-2001). Elle fut remplacée, à partir du 1er janvier 2002, par l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Bien qu’elle fût conçue comme une réforme pérenne, l’APA était amendée dès le printemps 2003 (décrets et proposition de loi sénatoriale de loi) avant d’être attribuée, à l’automne suivant, à la nouvelle Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), conséquence indirecte de l’épisode caniculaire d’août 2003 et de la surmortalité des personnes âgées. Depuis, la stabilité dans laquelle le dispositif APA évolue n’est acquise qu’au prix de reports successifs de la réforme, à l’image de la consultation nationale sur la dépendance organisée au premier semestre 2011, finalement restée sans suite en raison de contraintes économiques jugées trop fortes. L’un des faits les plus marquants de cette réforme est qu’elle a fini par s’affranchir de l’alternative initiale opposant de manière lisible le scénario d’une gestion de type sécurité sociale, que véhiculent l’expression « 5ième risque » et celui d’une gestion de type aide sociale confiée au département.
photo©Martine Revol
Le résultat de toutes ces manipulations, toujours dans le sens de l’économie pour les départements, et l’état, c’est un effroyable désastre humain, et nous pourrions même opposer un refus constitutionnel de fond. Une personne âgée de plus de 60 ans, n’a-t-elle plus le droit d’être considérée comme une handicapée du fait de son âge. À l’époque, tout le monde a laissé faire, mais c’était déjà le début de la fin, à domicile, et en institution pour les foyers à revenus modestes et moyens. Et le début de la marchandisation de la vieillesse, il faut bien le dire ! Les financiers se sont enfoncés dans la brèche qui ne cesse de s’élargir avec les années. Certains groupes ont une prise en charge, qui mériterait la prison, si nous restions humains, et si les décideurs financiers n’étaient pas si puissants. Cependant l’état, dans un souci d’économies de plus en plus grand est loin d’être innocent dans les restrictions en personnel, au profit des normes immobilières, alors que la partie publique de la prise en charge est de plus en plus désastreuse. 63
Quelques témoignages… Une aide-soignante, dans un hôpital gériatrique de Haute-Loire, de nuit. Seule pour 40 personnes, parfois pour 80 personnes. Il faut les soigner, les changer, les tourner, les surveiller. Il n’est pas possible de répondre aux besoins immédiats des personnes, qui sont donc toutes équipées de protections urinaires, plutôt que de les conduire aux toilettes… le personnel hésite à signaler de gros problèmes de santé, car la direction fait sentir que c’est mal considéré. Le médecin fait les ordonnances sans voir les gens. Par exemple, une gangrène gazeuse a demandé deux signalements, avant d’être prise en compte, alors que c’est mortel. Non seulement pour les soins de nursing il n’y a pas assez de personnel, mais les soins vitaux ne sont pas plus assurés. Les personnes âgées non surveillées par la famille sont vraiment en danger. Dans un autre établissement, commercial celui-là, le manque de personnel nécessite la contrainte physique sur les lits, outre la contrainte chimique. Bien sûr on emmène plus les gens aux toilettes, et ils sont rendus automatiquement incontinents, malgré leurs demandes pour se rendre aux toilettes. La contrainte dans les lits nécessite aussi beaucoup de temps en mobilisation, et les gens ne sont plus emmenés à la salle à manger, et sont nourris pour la plupart avec des sondes, et des berlingots vitaminés (remboursés par la sécurité sociale). L’établissement, qui demande pourtant une pension mensuelle très élevée consacre 3,50 euros par jour pour les repas, afin de dégager 350 euros par mois de bénéfices par personne âgée. Consacrer un peu plus, reviendrait à priver les actionnaires de leurs intérêts. C’est l’apartheid de la vieillesse ! Je précise qu’il s’agit d’une chaîne d’établissements fort connue. Un jeune médecin dans un CHU a vu, la rage au ventre, un confrère plus âgé traiter une personne âgée, comme si elle n’existait pas. La banalisation du traitement des personnes âgées est un réel problème. La question posée, dans le respect de la personne humaine, une personne âgée, est-elle encore considérée comme un humain dans l’esprit de beaucoup d’institutions et de gens ? Une personne âgée a-t-elle droit aux mêmes soins dans les hôpitaux publics que les personnes jeunes ? Ce jeune médecin a hâte de finir dans le service public, pour s’installer dans un cabinet généraliste, afin d’appliquer le serment d’Hippocrate à la lettre, et non le serment d’hypocrite de l’état. Une AMP dans une petite maison de retraite semi-publique, associative sans but lucratif, craque (l’absentéisme est de plus en plus important dans ce domaine à juste titre). Elle doit réveiller à 5 heures du matin, les personnes âgées afin de commencer les toilettes, pour rentabiliser les postes de nuit. Ici c’est l’état, le responsable de la limitation de plus en plus grande du personnel. Enfin le CVS ou conseil de la vie sociale d’une petite maison de retraite publique écrit ceci, au directeur :
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« Monsieur le directeur, Nous les familles, nous avons constaté un manque de personnel tellement important ces dernières semaines que les personnes âgées non surveillées par leur famille ne peuvent plus manger correctement, ni obtenir des soins de nursing décents.»
Un hôpital gériatrique parisien enfin a fait la une des journaux cet été, avec une toilette complète, en pleine chaleur pour les personnes âgées, une fois toutes les trois semaines, faute de personnels. La direction affirme que la toilette est faite au lit. Le personnel assure avoir deux minutes réelles à consacrer pour chaque personne pour la toilette, et demande l’embauche immédiate d’un grand nombre de personnes. Les directions des hôpitaux publics obéissent aux directives de l’état, et des contraintes budgétaires. Dans une maison de retraite religieuse de la Drôme en 2005 l’ex-directrice, mère supérieure, résidence, en indemnité de « reposante », et toujours membre du conseil d’administration, faisait régner la terreur parmi les religieuses retraitées, et les résidents, par des privations de nourriture, de télévision, de vêtements décents pour les religieuses. Et malgré différents courriers au préfet de l’époque, personne n’a bougé, ni l’ARS, ni la préfecture, pourtant les faits étaient très graves. Une personne âgée religieuse, sœur Hélène n’a été nourrie qu’avec des carottes durant des mois et des mois, sur la décision de cette femme, et le personnel devait se cacher pour la nourrir. Les faits ont été rapportés par la directrice et le personnel. La directrice a été licenciée par le conseil d’administration.
photo©Martine Revol
Alors, pour résumer : alimentation dépourvue de vitamines, parfois encore congelée à l’intérieur, laisse réapparaître des cas de scorbut en France à notre époque ; alimentation par sonde, faute de suffisamment de personnel, pour les transferts en salle à manger, et pour faire manger les gens; contraintes physiques sur les lits, forçant à l’incontinence; limitation des toilettes rendant les conditions pires que carcérales. Nous sommes bien loin des bons repas servis à la cantine des députés, pourtant souvent âgés de plus de 60 ans. Réveil aux aurores pour des gens qui n’ont rien à faire de la journée, pour rentabiliser le personnel de nuit. Personnes âgées implorantes, prêtes à payer pour avoir un verre d’eau, et qu’on s’occupe d’elles, à travers leurs handicaps et leurs désorientations. Personnels en sous-effectif dangereux et excédés, dépassés par le travail et le nombre de résidents. Manque de personnels, personnes âgées qui passent une demi-journée sur les toilettes, ou la nuit sur un fauteuil, parfois par terre, dans leurs excréments. Économies de protections urinaires drastiques et conditions concentrationnaires.
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Nous sommes dans la maltraitance qui n’est plus ordinaire, mais « condamnable ». Les propositions positives. Après les constats multiples qui pourraient donner lieu à des pétitions avec des témoignages en images, en film afin de mettre l’état devant ses obligations minimales de bientraitance. 1. Fin de la réduction du personnel dans les établissements privés et publics, et à domicile, en heures d’APA. 2. Multiplication des autorisations de petites structures à taille humaine, dans les éco-villages, des éco-structures de personnes âgées elles-mêmes réunies en maison ou appartement collectif, avec du personnel qualifié, et choisi par les personnes elles-mêmes ou bien leurs familles. Limitation des normes à celle d’une maison d’habitation normale, pour des structures inférieures à 10 personnes âgées. Possibilité de percevoir les aides dans des appartements collectifs, gérés par les personnes âgées elles-mêmes, sans application des normes d’agrément des maisons de retraite. 3. Rétablissement du droit aux vacances, comme prévu dans la loi de 1975. En effet, il est nécessaire que l’entrée en institution ne soit plus associée à l’idée de prison. Les personnes âgées n’ont rien fait, et elles doivent avoir beaucoup de sorties d’organisées. 4. Financement : prélèvement de 1 % sur toutes les transactions boursières afin de financer le vieillissement de la population et de ses handicaps de façon décente. Fonds gérés par une commission nommée pour un an, par les représentants des personnes âgées et des familles. 5. Rétablissement d’un fonctionnent humain avec des jardins, des vergers, des poulaillers comme dans les hospices d’autrefois et fin du gaspillage. Cuisine impérativement faite sur place avec des produits frais, sains et bio avec les mêmes menus qu’à l’Assemblée nationale, et le même budget, afin de limiter le financement de médicaments inutiles et très chers. Il a été remarqué chez les députés, qui font la sieste sur les bancs de l’assemblée, après un bon repas à la cantine locale, une étonnante longévité qu’il serait bon de reproduire sur l’ensemble de la population. Participation légère des résidents, à l’établissement et la confection des repas, quand cela est possible. 6. Obligation d’une personne présente pour 8 personnes âgées, à toute heure de la journée, pour les soins de nursing et d’une pour 25 personnes la nuit. Interdiction de lever les personnes âgées avant leur réveil, respect de la vie, et du rythme de chaque personne. 66
Il est possible de bien prendre en charge la vieillesse, en écartant toute notion mercantiliste de rentabilité. Peut-on imaginer que les personnes soient traitées, comme le bétail dans les fermes de 1000 vaches, alors qu’elles paient des mensualités dans le privé de 3 500 jusqu’à 10 000 euros, et qu’on ose, leur compter la nourriture, et les protections ?
Je pose la question à tous les élus, en leur âme et conscience, ont-ils réellement souhaité une telle société ?
Martine Revol
photo©Martine Revol
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Toute société a besoin de règles pour fonctionner et chaque individu devrait y faire sa part pour en assurer un bon fonctionnement. Concernant des individus qui y vivraient, volontairement ou par mise à l’écart, comme des parasites, nous pourrions nous demander : quelle estime d’eux-mêmes et quelle dignité pourraient-ils avoir. Nous pourrions aussi nous interroger sur la viabilité d’une société qui aurait de moins en moins d’individus travaillant pour subvenir aux besoins de la collectivité. Eh bien c’est la situation de la France. Alors ne serait-il pas intéressant de débattre sur l’intérêt d’une pleine activité pour envisager l’avenir avec sérénité ? La proposition suivante, extraite du programme de La Double Chance, est accessible sur le site http://cerfan.fr I. Constats L’idée d’un chômage de masse se profile par le développement de la robotisation qui entraîne essentiellement la perte de travail pour de nombreux ouvriers. Mais, que vont-ils devenir ? Nos dirigeants vont sans doute leur distribuer quelques aides financières pour les aider à survivre et leur proposer de nombreuses formations sans débouchés pour les occuper ; mais comment vivront tous ceux qui se sentiront atteints dans leur dignité d’être humain ? Combien de temps la paix sociale pourra-t-elle être achetée et maintenue de la sorte ? Les grands groupes financiers qui délocalisent et qui intensifient la robotisation vont s’enrichir de plus en plus, car, après s’être exonérés d’une grande partie des impôts sur les sociétés grâce aux combines et aux paradis fiscaux, ils rêvent de ne plus financer de nombreux salaires et les cotisations sociales qui y sont attachées. D’autre part, les machines ne font pas grève et elles sont faciles à réparer ou à remplacer quand elles tombent en panne. Avec toutes ces baisses de rentrées financières pour l’État, l’argent manque pour maintenir tous les systèmes de solidarité mis en place (chômage maladie, retraites…). 68
D’autre part, il n’est pas raisonnable de continuer à recourir aux emprunts d’État, car nos dirigeants ont déjà endetté chaque français à hauteur d’environ 30 000 euros sans lui demander son avis. 2. Que se passerait — il si nous connaissions le plein emploi ? Les patrons peu scrupuleux ne pourraient plus faire pression sur leurs salariés, car ces derniers n’hésiteraient plus à quitter leur emploi pour trouver de meilleures conditions de travail ailleurs. La forme actuelle des syndicats serait remise totalement en question. Le Pôle Emploi regorgerait d’offres. 3. Alors, comment y parvenir ? Le principe est d’assurer à tout citoyen un revenu minimal suffisant pour couvrir ses besoins fondamentaux en contrepartie d’un emploi en entreprise ou d’actions participatives d’intérêt général. La solidarité nationale garantirait un tel revenu seulement en cas d’incapacité à assurer de tels actes ou après un certain âge. On peut constater que des millions de petits patrons sont prêts à recruter si les contraintes sociales, fiscales et administratives sont simplifiées. Le manque de personnes formées à leurs besoins ou le manque de motivation de nombreux chômeurs pour exercer certains emplois est aussi un frein à l’embauche. Le recours à des travailleurs étrangers et le renoncement au développement de l’entreprise deviennent alors les seules alternatives.
Réflexion sur l’estime de soi et sur la dignité D’autre part, une petite entreprise sur deux ne trouve pas de repreneur et disparaît au profit de structures plus grosses, qui finissent par former des multinationales toutes puissantes imposant leurs lois, non seulement à leurs employés, mais aussi aux dirigeants politiques.
. Pas d’engagement : en cas de mésentente, il lui est donné la possibilité de quitter son emploi facilement et de bénéficier d’un autre contrat, mais, une seule autre fois dans ces conditions.
. L’emploi est local et non délocalisable. Intérêt pour l’employeur : . Coût nul provisoire en échange de la dispensation d’une 1. Couplage emploi/formation : une double formation adaptée à son entreprise. chance 1.1. Travail en entreprise Modalités : . Chaque entreprise peut embaucher un ou plusieurs chômeurs, dans des conditions définies, sans frais pendant un an en contrepartie de leur dispenser une formation de qualité. . Après quelques mois de travail en entreprise, le patron a la possibilité d’envoyer la nouvelle recrue en centre de formation spécialisée et de lui verser une somme d’argent défiscalisée. . Dès qu’un CDI est signé, l’employeur peut renouveler l’opération. Intérêt pour le chômeur : . Choix du travail et d’une formation pratique. . Rémunération nette minimale d’au moins 1000 €.
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Jean-Marc Fortané acteur des mouvements citoyens Photo©CaroleVilbois
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. Possibilité de rémunérer un supplément à moindre coût pour encourager et fidéliser la nouvelle recrue. . Pas d’engagement : en cas de mésentente, le contrat peut être rompu très facilement, mais la possibilité de le renouveler dans ces conditions n’est que d’une seule autre fois. . Le développement et la transmission des entreprises sont facilités pour les bons patrons. 1.2. Heures de solidarité Après avoir eu deux expériences non concluantes en entreprise, des emplois en collectivités publiques ou associatives sont proposés aux sans-emplois dans des domaines d’activités qui ne concurrencent pas déloyalement des entreprises locales. Par exemple, peuvent être organisées ainsi des actions de nettoyage, de ramassage de déchets verts, d’embellissement de clôtures, de débroussaillage, de restauration du patrimoine (chemins, murets, bâtisses…), en maisons de retraite, de soutien aux personnes malades, handicapées, âgées ou jeunes… 2. Développement de l’esprit d’entrepreneuriat . Développement des formations à la création d’entreprise . Mise en place d’un organisme de gestion national des stages en entreprises . Instauration dans les lycées d’un concours de création d’entreprise dont les prix seraient des stages en petites entreprises dans le monde entier pour lesquels des expatriés français volontaires pourraient être sollicités. 3. Revalorisation des métiers peu demandés À l’instar des éboueurs il y a une trentaine d’années, par la création d’un fonds de valorisation de ces métiers. 4. Encouragement de l’emploi local En sensibilisant les consommateurs à acheter local en priorité. En imposant des normes minimales de logement pour les ouvriers saisonniers non locaux et en imposant le paiement de charges sociales en France, au moins dans un premier temps vers une caisse spéciale. Toute fraude serait sanctionnée très sévèrement pour réduire très fortement la concurrence déloyale entre les entreprises respectueuses des droits sociaux et celles qui font appel à des travailleurs sans-papiers ou des travailleurs détachés. 5. Création de structures et d’assurance spéciale de gestion des litiges 6. Financement Une caisse est constituée par les cotisations chômage ainsi que par les montants de diverses aides qui ne trouvent plus de justification avec le plein emploi. D’autres économies sont envisageables sur les budgets formation, santé et prévention de la délinquance entre autres. Une contribution financière de citoyens est apportée dans certains cas : récolte de déchets verts, embellissement de clôtures… 70
Jean-Marc Fortané
En savoir plus
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La dignité, dignitas ou honneur, est une des valeurs précises liées à l’Homme. Celle-ci inclut les hommes dans un droit presque divin à exister en tant qu’individu et personne. Son humanité et ses droits sont ainsi reconnus. Qu’en est-il de leur application ? Plusieurs minorités ou espèces n’ont joui de cette dignité qu’assez tardivement.
lequel évoluer. Que se passe-t-il exactement quand une de ces valeurs naît ? D’où est-elle, comment se reproduit-elle ou mute-t-elle ? Les idéologies et les connaissances, aspirées par les hommes, forgent les corps sociaux et les actions sociales. Elles peuvent passer du concept à l’incarnation.
Parce que pour être accepté dans ce cercle restreint, il Quel est leur sens existentiel et pour quoi nous parasiter ou nous aider ? faut prouver son humanité et appartenir au club. Être digne, c’est avoir un profond sentiment de bienveil- Il est vrai que ces connaissances ont permis à l’homme lance et de compassion envers autrui et l’Homme. d’évoluer avec un mental bien plus puissant et fort, lui donnant un avantage concurrentiel sur les autres Respecter l’Homme pour être humain. espèces. Reprenons le concept de valeur. Une valeur évolue dans un écosystème imaginaire et conceptuel rencontrant Il nous permet d’imaginer, créer et modifier le réel. d’autres valeurs complémentaires ou rivales. Nous ne serions que des supports qui permettraient à ces éner- Nous sommes des robots, de puissantes machines à créer et co-créer. Mise en corrélation et en groupe, ces gies « valeurs » de prospérer. valeurs vivent en meute pour former des idéologies, des Ces valeurs existent grâce à nos psychés, nos cerveaux, corpus de connaissances. notre conscience, notre énergie et nos formes pensées. En ce qui concerne la vie de notre chère Dignité, celle-ci Sans pensée, ces concepts n’auraient aucun substrat sur 72
Koceila Chougar
DIGNITÉ
a pour rôle de rendre l’humain plus humain et de rendre La dignité commence à rencontrer très vite des limites les autres espèces non humaines, assez humaines pour quand il s’agit de surexploitation, esclavagisme, pollution souvent liés à une surproduction et une surconse faire accepter dans le cercle restreint des humains. sommation pour l’enrichissement de certains. Son but ADN est simple, stabiliser l’humain dans son Comment en sommes-nous arrivés là ? propre concept et changer ce qui ne l’est pas en le Pourquoi l’homme se met-il à mépriser ses confrères et au nom de quoi ? rendant plus respectueux de l’humain ! Pour illustrer nos propos, « Dignité » et « Respect » Nous sommes sortis d’une période florissante qui a peuvent être deux valeurs complémentaires si leur rôle permis à plusieurs droits humains de prendre de l’ampleur et de prospérer. est de protéger ce qui est humain. Parallèlement, des croyances destructrices de Dignité lui La dignité est la valeur garante de la grande Humanité. font la guerre. En 2018, l’égoïsme de certains peut passer avant la Sans elle, l’humain ne serait qu’un simple animal. dignité. N’oublions pas que la Dignité peut avoir des valeurs anta- Cela fait-il de nos chers confrères prédateurs financiers gonistes. En effet, s’il s’agit de ne plus respecter l’humain de moins bons humains ou des êtres inhumains ? et vivre de façon violente et inhumaine, la Dignité peut Certaines valeurs peuvent être proche du bien, d’autres, plus neutres, et d’autres enfin proches du mal. vite devenir un frein à cette bestialité. Nous pouvons constater que les valeurs vertueuses font Qu’en est-il de la dignité en 2018 ? la guerre aux valeurs vicieuses à l’image des anges serviLa dignité, à la rencontre de plusieurs autres concepts teurs et des anges déchus. porteurs tels que l’écologie, l’humanisme, l’environne- Le concept de bien serait donc opposé au mal absolu du ment, se développe et prend forme à travers des actions point de vue de la dignité et du respect de l’humain et sa militantes et permet aux sociétés une meilleure justesse nature. Libre à chacun d’y trouver son bonheur. et justice. 73
Kwanza Technologies Monsieur Pacifique Brackley Cassinga, vous êtes le C.E.O, à Kwanza Technologies et vous avez effectué en Chine vos études d´ingénieur en Électricité et science de l´informatique à l´Université Three Gorges de Yichang dans la province d’Hubei, qu'est-ce qui détermine un jeune homme à entreprendre des études techniques ? Qu´avez-vous pensé de la Chine ? À votre retour au Congo aviez-vous une idée précise de ce que vous comptiez faire ? Avant d'aller en Chine pour des études, je savais exactement ce que je voulais faire. J'ai commencé à jouer avec l'électronique à 12 ans. On peut dire que j'étais vraiment motivé pour étudier la technologie à l'université parce que ce n'était pas quelque chose qui me demandait beaucoup d'efforts à faire, mais je pense que je suis né pour le faire parce que ça vient naturellement pour moi.
J'ai découvert plus tard que c'était une bonne idée, mais cela nécessitait un grand bug, car nous n'avions aucun outil pour faciliter nos tâches, pas d'ordinateurs pour tout le monde et pas d'imprimante 3D. Quand j'ai commencé Kwanzatechnologies, la vision de Kwanzatechnologies était de construire une industrie locale qui construirait des appareils électriques bon marché pour la communauté. Nous voulions vraiment aider les gens à résoudre leurs besoins énergétiques.
Vous êtes une start-up et vous faites preuve de beaucoup d´ingéniosité, dans le courant de cette nouvelle vague de jeunes africains talentueux vous avez imaginé Kibidon, un produit qui a déjà fait parler de vous dans les médias locaux. Votre objectif, permettre aux familles d’avoir une fois la nuit tombée de l´électricité. Entre l’idée et la réalisation quelles sont les La Chine est comme un rêve devenu réalité pour tous les difficultés que vous avez rencontrées, quel conseil amateurs de technologie, il est plus un paradis pour nous donneriez-vous à des jeunes pour passer de l´idée à ingénieurs, parce que vous voyez le monde dans beaucoup la réalisation ? de dimensions, ce qui fait que vous tombiez dans le passé et on se pose beaucoup des questions, comment nous on y est En essayant de démarrer Kibidon, nous avons eu beaupas parvenus pendant tout ce temps. Je me disais toujours coup de problèmes, mais j'avais une équipe solide avec que cela pourrait être l'Afrique dans cinq ans, voir les gens laquelle je travaillais donc ça ne marchait pas vite, mais faire leur travail efficacement en utilisant la technologie. nous ne pouvions faire que ce que nous pouvions. Nous étions vraiment inquiets à propos de la conception, car J'ai vraiment appris non seulement sur mes études, mais nous n'avions pas le design extérieur de l'appareil. Tout aussi sur la façon dont les gens interagissent avec la ce que je peux dire aux autres est de ne pas désespérer technologie et le monde lui-même. et de commencer avec ce que vous avez et le reste viendra naturellement ... Vous devez juste commencer. De retour au Congo, je voulais ramener la technologie à mon peuple et en Afrique comme une vision globale. Je suis Vous m´avez parlé de votre équipe, pouvez-vous nous revenu en 2014 en février, et la même année j'ai démarré une en dire un peu plus, je crois que vous avez aussi un plateforme technologique où les gens qui aiment la techno- spécialiste du recyclage parmi vous ? logie pouvaient se rencontrer sur une solution technique. 74
Pacifique Brackley Cassinga
Startupper
Nous avons 5 personnes à plein temps à Kwanza en ce moment : Innocent Lenz Rumanya, Francesco, Kataliko et Yves Mapatano qui est le responsable du recyclage, il est ingénieur chimiste et moi. Lorsque nous sommes entrés en contact, un terrible incendie venait de frapper Bukavu où vous vivez, 200 maisons sont parties en fumée, la normalisation des installations électriques, la formation et la prévention sont-elles une priorité pour les autorités ? Vous savez que nous vivons dans un pays où il y a beaucoup de problèmes sociaux, au moment où les fonctionnaires du gouvernement essaient de mettre en place des règles d'installation électrique, mais nous ne savons pas exactement s'ils vont pouvoir travailler, parce que même les maisons brûlées n’étaient pas construites aux bons endroits. L’écart se creuse sans cesse entre le nord et le sud, au nord tout le monde ne parle que de l’ère du numérique, et maintenant du digital et de l´intelligence artificielle. Nous avons posé la question en France à une chercheuse du CNRS concernant sa vision pour le Sud, sur la question de l´intelligence artificielle. Elle a eu bien du mal à répondre, tant nos chercheurs n’ont pas de vision sur la question et semblent peu se soucier du fait que certains pays n’aient même pas accès à l’énergie, que pensez-vous de l´intelligence artificielle ?
CONGO 75
L’intelligence artificielle est une technologie dont nous avons vraiment besoin en Afrique, mais nous ne pouvons pas la mettre en œuvre tant que nous avons encore des problèmes d’énergie. Je pense qu’en premier lieu nous devons d’abord résoudre le problème énergie pour commencer avec l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle c’est le futur de la technologie, parce que ça modernise la robotique. Au début d´un reportage, nous voyons votre équipe d’ingénieur fraîchement sortie de l´université dans une décharge, afin de recueillir au milieu des déchets les composants pour créer vos lampes à grande autonomie. À la fin les objectifs sont clairs, vous voulez devenir une grande entreprise locale, on voit les conditions difficiles dans lesquelles vous travaillez. Avec seulement a1/6e mensuel d´un pourdu rôlesalaire de rendre l’humain plusingénieur humain et de rendre Européen, vous avez démarrélesvotre activité, véritableassez exploit. autres espècesc´est non un humaines, humaines pour Quels sont vos objectifs sur lesecourt terme ? faire accepter dans le cercle restreint des humains.
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Pour l’instant nous voulons avoir un but fab-lab base dans son Son ADNavec estquelques simple, machines stabiliser de l’humain comme une imprimante 3D pourpropre des boîtiers, une CNC machine,ceMilling machiconcept et changer qui ne l’est pas en le ne pour le circuit électronique etrendant des kits plus pourrespectueux labo électronique. À court! terme de l’humain c’est tout ce que nous pouvons désirer. Pour illustrer nos propos, « Dignité » et « Respect » peuvent être deux valeurs complémentaires si leur rôle L´Unité Nationale vous remercie, vous le savez un est de humain. nos pôles travaille est de protéger ce qui actuellement sur les batteries au magnésium, avec pour objectif d’aider les territoires qui n’ont pas accèsLa à l’énergie, rapidement écologiquedignité estle laplus valeur garante de la grande Humanité. ment possible à l’énergie. NousSans sommes heureux de savoir que sur le terrain elle, l’humain ne serait qu’un simple animal. en Afrique de jeunes ingénieurs font le choix de développer chez eux des solutions innovantes et qu´en parfaite autonomie ilsDignité puissent demain N’oublions pas que la peut avoirdevedes valeurs antanir des relais en matière de savoirs et de compétences, gageons qu’avec gonistes. En effet, s’il s’agit de ne plus respecter l’humain l´ensemble des énergies individuelles, des professionnels du secteur des et vivre de façon violente et inhumaine, la Dignité peut solutions humaines puissent vite êtredevenir rapidement trouvés, et que le Congo un frein à cette bestialité. puisse un jour devenir l’un desQu’en leadersest-il africains, sur ce secteur, à des de la dignité en 2018grâce ? jeunes gens talentueux et motivés. La dignité, à la rencontre de plusieurs autres concepts porteurs tels que l’écologie, l’humanisme, l’environnement, se développe et prend forme à travers des actions militantes et permet aux sociétés une meilleure justesse et justice.
Merci
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Carlos Perez
L’économie de La Blockchain pour construire Un Monde Plus digne En 2008, la technologie de la blockchain a été lancée dans le monde par un inconnu. Cette technologie commence à changer la façon dont les gens pensent à notre système financier actuel. Les gens commencent à se rendre compte que peut-être il y a une meilleure façon de construire un secteur financier plus inclusif et plus juste où l'humain est au cœur de celui-ci. Un nouveau venu que personne n'a remarqué En 2008, Satochi Nakamoto a publié un article expliquant un nouveau concept permettant aux gens d'effectuer des transactions financières en ligne sans l'intervention d'un quelconque acteur financier tel que les banques. À cette époque, cet article et la technologie sous-jacente étaient perçus davantage comme une curiosité technique que comme quelque chose pouvant changer nos vies pour toujours et pour le mieux. Dix ans plus tard, il n’y a pas un seul jour où les médias ou les personnes dans la rue ne parlent de "bitcoin", "blockchain", "crypto-currency" ou "crypto-economy". En fait, cette curiosité technique devient un tsunami pour le secteur financier, avec de réelles promesses pour construire un nouveau système financier dans lequel les personnes et des valeurs communes sont en son cœur. Votre argent n'est pas le vôtre et il n'est pas pour tout le monde Depuis plus d'un siècle, les banques sont au centre de la gestion de notre argent. Elles nous ont dicté ce que nous pouvons faire et ne pouvons pas faire avec. Elles nous ont dit si nous méritions d'avoir un compte bancaire, un crédit et les limites d'utilisation et d'accès à notre argent durement gagné. Nous avons créé des acteurs financiers au service de leurs propres intérêts plutôt que ceux du public qui les nourrissent avec leur argent. Au cours des dernières années, cette industrie est devenue sauvage, plus gourmande, totalement incontrôlée et elle concentre plus de pouvoirs que les États eux-mêmes. Mais à la fin du jeu, quand les choses tournent vraiment mal, personne n'est responsable. Personne n'est responsable des crises financières, mais les citoyens et les États doivent payer la facture et ses lourdes conséquences économiques et sociales. Vous voulez des preuves, jetez un coup d'œil à la crise en Grèce, en Espagne et au Portugal pour en savoir plus. Nous avons construit et nourri un monstre qui, en tant que mauvais garçon, agresse ses propres parents. Y a-t-il une meilleure façon?
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Une meilleure façon: l'internet de l'argent est là Tant que le système financier est conduit par des intérêts personnels plutôt que publics, le secteur va rester injuste. La blockchain est une solution pour résoudre le problème de la construction d'un système financier plus juste. Un système financier dont l'intérêt principal est de servir en premier lieu les intérêts publics. Cela est possible en supprimant les humains comme intermédiaires dans la plupart des transactions. Elle comporte aussi des responsabilités, il faut que les gens deviennent plus actifs et s’engagent à gérer leur argent. Depuis ces trois dernières années, l'écosystème autour de la blockchain est en plein essor avec de nouvelles alternatives aux services financiers traditionnels. De nouveaux services allant du paiement numérique jusqu’aux hypothèques et les assurances apparaissent chaque jour sur Internet. C’est la preuve qu’une meilleure solution est possible et qu’il n’y a pas de raison particulière pour que cette tendance s’évanouisse dans les années à venir. En fait, à mesure que les gens se méfient de plus en plus des acteurs financiers, ils sont plus enclins à adopter des services basés sur la blockchain, créant ainsi un cercle vertueux. Au fur et à mesure que cette technologie deviendra grand public, nous créerons une société plus inclusive et plus digne. De cette manière les personnes, quels que soient leurs origines, leur pays, leur race, leur religion et leur situation financière, auront accès à des services financiers appropriés. Plus qu'une belle technologie Nous disposons d'une technologie capable de faire une réelle différence sociale. Depuis les premiers jours de l'internet avec des acteurs utiles comme Google, Amazon et Apple et un tas de moins importants, nous n'avons jamais vu de "technologies sociétales". J'appelle les technologies sociétales les technologies qui peuvent réellement faire la différence dans la société en augmentant le pouvoir de la «foule». Certains mouvements intéressants n'ont pas réussi à s'imposer et à avoir un impact au cours des dernières années, comme par exemple le financement participatif et le crowdsourcing. Maintenant les choses sont différentes. Ceci grâce à de nouveaux facteurs et tendances : les gens perdent confiance dans le système financier, l’internet et les smartphones sont partout et les gens sont plus conscients de l'importance de la société et des valeurs communes. Tous les ingrédients clés sont sur la table, voyons si nous pouvons en faire une excellente sauce.
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Harcèlement au travail
Houria Gouriten
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Finies sont les époques dignes où nous étions gardés dans le monde du travail par le respect et la bienveillance, ils ont été relégués à ce que des économistes nomment un meilleur rendement.Le souci de productivité qui réclame des salariés, des polyvalences sont équivoques à des ambivalences qui rendent leur situation sur leur lieu de travail de plus en plus complexe. Celles et ceux qui travaillent sont appelés de plus en plus à un système de la vie économique dans lequel seule la production est donnée comme objectif premier. Système économique dans lequel est contrôlé et sous pression une part essentielle de leur vie. Le pire étant que ces méthodes de travail, que commet le harcèlement , finissent dans un temps long à résigner leurs victimes comme étant des coupables de masse qui à force d'être contraints ne se définissent plus que par leur silence. Ils finissent par tout perdre, car ils ne se font plus en confiance. Que nous enseigne l'omerta? Que cette société contemporaine associe les violences subies au travail en règle générale à des airs de violence devenus quasi incontournables dans lesquels une grande part des rapports entre patronat et salariés sont régis et fondés que par des pressions qui s'exercent et mutilent. Tenir le difficile rôle du harcelé au travail sans s'en plaindre et se défendre sous-tend et induit que l'inadmissible devient permissible. Il est intolérable de rendre des douleurs muettes, et de laisser massacrer des idéaux inhérents à la liberté pour lesquels, d'autres , vaillamment se sont battus auparavant. Ce qui revient à dire que les harcelés qui s'enferment dans le mutisme tendent à devenir consumériste de leur mode de travail difficile, car qui dit
consumériste dit action concertée, et qui ne dit rien consent, tel que l'adage et que les croyances populaires le disent. Tandis que la plupart d'entre eux souffrent en silence. Leurs mots éteints se métamorphosent en des maux qui se mettent à souffrir d'indétermination, car ce ne sont que des effets récessifs dus à des pressions accrues qui viennent d'évaluer la qualité des argumentaires du harcelé. Pourquoi est-on en droit de se le demander? Car il vit une sorte de réorganisation au travail dans laquelle, il n'est plus un producteur de tâches ou d'idées, mais un sujet soumis et appauvri intellectuellement de telle sorte qu'il ne sait plus ce qu'est le lot de clarification. Le harcelé qui ne se défend pas rentre alors dans la quadrature d'un cercle non vertueux qu'est celui de la servitude volontaire. Car une théorie qui consisterait à considérer l'augmentation du harcèlement au travail par plus de productivité serait un précepte qui définirait les vies des salariés harcelés comme étant des biens liés aux bénéfices économiques. Raisons pour lesquelles il faut sortir du silence et briser les chaînes, qu'elles soient de prédéterminisme social ou pas, car c'est à tous les niveaux que le harcèlement sévit, par la placardisation, les mesures vexatoires, les tâches dévalorisantes, le déclassement, les brimades, l'agressivité. Alors, de grâce plaignez-vous auprès des organismes chargés de vous défendre, et auprès de votre hiérarchie, même si vous croyez que votre action finira par vous retomber dessus, soyez sûrs que c'est le fait de vous taire qui vous met en danger.
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La dignité, l’argument des indignes Aujourd’hui, la dignité est communément entendue comme « le respect que mérite chaque être humain. » Mais à bien y réfléchir, la dignité comme dû et comme loi (et non plus comme don attribué par Dieu au jour du Jugement), n’est-ce pas la pire chose qu’ait faite l’être humain ? N’est-ce pas la création humaine la plus inhumaine ? Par définition, l’Amour, pour rester libre, vrai et gratuit, n’obéit ni au mérite, ni au rang ni au droit. Il n’est pas une question de classement, de barème ! Par exemple, quand on s’adresse à Jésus, qui est l’Amour même, s’il y a bien une chose à laquelle on renonce, c’est à la dignité, donc au mérite : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir. » (phrase avant la Communion) : « Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. » (le centurion dans Mt 8, 8) ; « Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. » (Jean-Baptiste dans Lc 3, 16) ; etc. La dignité, dans la Bible, est toujours un terme intégré dans des phrases négatives et ne devient positive qu’une fois associée au jugement ou au don de Dieu, à la réception d’une épreuve vécue au nom de Jésus et dans l’obéissance. Réclamer la dignité, c’est le blasphème suprême : c’est se prendre pour Dieu. La
dignité appartient à Dieu, est Dieu et n’est bonne qu’administrée et gérée par Dieu en don qui dépasse les logiques et les classifications (rangs, lignées, récompenses, honneurs, conditions, mérites) bassement humaines.
Dans le livre de l’Apocalypse, il est écrit qu’à la Fin des Temps, « un livre scellé de sept sceaux » sera ouvert, et que « personne dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre ne fut trouvé digne d’ouvrir le livre » (Apo 5). 82
Note de la rédaction : Les auteurs du Mag´ expriment une opinion libre qui a le mérite d´exister même si elle n´est pas partagée.
Philippe Ariño Crédit photo ©Zou montage©Vilbois
Que ce soient les anges, les archanges, les séraphins ou les vingt-quatre vieillards, aucun n’a le droit de le regarder ! Sachez-le. La dignité, la vraie, elle fait même grincer des dents ! « Je pleurais beaucoup, parce que personne n’avait été trouvé digne d’ouvrir le Livre et de regarder. » (Apo 5, 4) Non seulement elle ne doit pas être réclamée comme un droit, mais en plus, si les Hommes savaient vraiment ce qu’elle est, ils la redouteraient, éviteraient de la demander, et chercheraient même à la fuir ! Dans la Bible, si on est jugé digne de quelque chose, c’est uniquement de la permission divine de recevoir au nom de celle-ci des persécutions, le martyre, une humiliation. « Les apôtres se retirèrent de devant le Sanhédrin, joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom de Jésus. » (Actes 5, 41). La bonne dignité n’est associée qu’à la Croix, qu’au consentement à vivre fièrement mais pudiquement pour Dieu des épreuves humiliantes comme un honneur et un couronnement. « Je vous exhorte, moi, le prisonnier dans le Seigneur, à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur. » (Éph 4, 1-3) La dignité n’est pas bonne en soi : elle est neutre. Tout dépend qui elle sert, et surtout de qui elle est reçue et du comment elle est reconnue comme reçue et comme humainement humiliante. Avec tout ça, je peux vous dire qu’on est bien loin de la conception capricieuse actuelle de la dignité, qui consiste à se victimiser et à réclamer des droits individualistes pour son confort à soi et pour sacraliser tous ses petits désirs maquillés d’humanistes ! Désormais, le mot « dignité » – dans son sens païen et légaliste – signifie que ce qui en est revêtu a une valeur absolue et non relative. Donc depuis que la « dignité » s’est faite loi humaine inscrite sur la pierre, droit inaliénable, elle a pris un caractère immuable possiblement totalitaire et désastreux. Elle est devenue vérité indiscutable (exemples : lesdits « Droits de l’Homme », qui incarnent
parfaitement la dignité dans son sens despotique et universel), loi autorisant de manière mondiale l’injustifiable à partir du moment où ce dernier présente une apparence hypocritement humaniste, solidaire, libératrice et respectueuse. L’exemple parfait pour illustrer cela, c’est l’euthanasie (interruption volontaire de la vie d’une personne malade, désespérée ou âgée), présentée par ses promoteurs – je cite – comme un « droit à mourir dans la dignité ». Dans ce cas précis, on voit bien tout le mépris misérabiliste et la part de fantasmes, de projection, que recouvre le terme fleuri de « dignité » : car qui dit qu’une personne agonisante ou pauvre ou trisomique ou intra-utérine ou dans le coma ou dépourvue de parole, est « malheureuse », vit une situation « indigne » qui doit très vite être abrégée, n’est pas libre et ne veut pas se battre ? La « dignité » ou son supposé « droit à être traité dignement » ?? Nous marchons sur la tête. Si la souffrance et la violence – faisant partie de la vie – sont jugées « indignes » et que la « dignité » est érigée en valeur absolue de justice d’un pays ou du monde, n’est-on pas en train de donner tout pouvoir à ceux qui prétendent les éradiquer à tout prix, à commencer par les dictateurs les plus funestement célèbres ?? Dire que la dignité humaine doit être défendue (je vois bien l’idée humaniste séduisante et généreuse derrière), c’est soutenir que toute vie humaine, même celle qui est méprisable, a du poids et de l’importance. Mais que faire quand même les mauvaises actions (viol, meurtre, divorce, inceste, eugénisme, clonage, PMA, GPA, manipulation d’embryons, prostitution, homosexualité, etc.) s’habillent d’humanité à respecter et prennent formes humaines ? La dignité devient alors l’alibi du tout et n’importe quoi, l’instrument des dictatures humanistes qui tuent l’Homme au nom de leur idée de l’Homme. Au nom de la « dignité », en somme. Au fond, il en est, je crois, de la dignité comme de l’humilité. Seuls ceux qui en ont ou en sont, et qui seraient en droit d’en parler, n’en parlent quasiment jamais. En général, il n’y a pas plus arrogants que ceux qui affichent leur « humilité », pas plus indignes que ceux qui s’avancent au nom de la « dignité ». En savoir plus sur Philippe www.araigneedudesert.fr
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La dignité, un grand mot
Guillaume Gallet La dignité, un grand mot qui pour certains ne signifie pas grand-chose et pour d'autres beaucoup. La dignité doit être le respect dû à une personne, une chose, le sentiment de sa propre valeur. Mais voilà ! Est-ce qu'à l'heure actuelle cela est vrai? Prenons juste un sujet qui concerne tout le monde: "L'environnement de notre planète". Regardons l'effet des déchets de notre consommation et par la négligence de certains qui ont perdu une partie de leur dignité. Qui de nous n'a jamais constaté le nombre de mégots le long des trottoirs, les canettes et bouteilles plastiques aux bords des routes, les sacs plastiques dans les broussailles, les divers déchets aux bords des plages et sans compter les décharges sauvages que l'on peut voir et la liste est longue... ? Certains ont perdu le respect des autres, des choses et surtout d'eux-mêmes; ils ont perdu leur dignité car ils se disent : " Pourquoi devrais-je faire un effort si les autres s'en fichent ? Et puis cela finira par disparaître ". Non ! Ce n'est pas une raison et encore moins un argument. L'environnement de notre planète n'est pas une poubelle à ciel ouvert. Nous lui devons le respect au quotidien. Pour cela, nous devons être tous unis dans un même but, celui de faire prendre conscience à ceux qui agissent ainsi que notre avenir est commun. Que: " grandeur, honneur, honorabilité, respectabilité, fierté, honnêteté, amour-propre" s'appelle la Dignité.
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Dignité et intégration
Renaud Roche
La vie en communauté s’est toujours réalisée, au fil du temps, avec un facteur essentiel qu’est le travail partagé. C’est dans cette optique que nous considérons que tel ou tel problème a du mal à trouver une solution, quand il n’est pas traité d’une manière globale. Comment transformer les difficultés dues à la diversité, en atout pour une croissance économique ? L’origine de beaucoup de problèmes réside dans le fait que beaucoup de personnes confondent : Intégration et Assimilation. Nous devons créer les facteurs d’intégration et non d’assimilation que nous laisserons de côté afin de ne pas perdre de temps avec l’affectif et le culturel. Trouver une synergie pour notre économie par la multiplicité de nos origines. Après avoir déterminé un bassin de vie, il est intéressant de recenser toutes les origines de nos habitants. L’idée serait de créer un groupe composé de deux ou trois personnes par nationalité. Recrutés sur la base de leur volonté, de leur fibre commerciale et de leur capacité, il leur sera délivré une formation à vocation commerciale. Ce groupe a vocation à devenir des ambassadeurs de leur terrain de vie, une réelle interface pour les échanges commerciaux possibles, entre notre lieu et leur pays d’origine. Une réelle opportunité pour nos entreprises de faire connaître leurs savoir-faire en dehors de nos frontières et conquérir de nouveaux marchés. 85
Pourquoi cette grève à la SNCF ? Pourquoi cette (bien trop) longue prise d’otages des « usagers » de la compagnie nationale ferroviaire ? Pourquoi parfois, le « minimum syndical » n’est-il même pas assuré (aucun train par exemple sur la Ligne R du Transilien certains jours depuis le début de cet inadmissible et incompréhensible mouvement, or cette ligne n’est [fort loin de là] pas la plus courte des lignes du réseau Transilien) ? La réponse est simple et tient en une phrase : le gouvernement a décidé de toucher au sacro-saint « Statut du Cheminot » ! Et ça, on n’y touche pas pour les syndicats. C’est un casus belli. Pourtant, ce «statut » mérite d’être a minima dépoussiéré, car il n’a pas évolué depuis en gros un siècle, bref depuis qu’il a été créé !
GRÈVE SNCF : À QUOI BON ET SURTOUT POURQUOI ?
Thomas Raymondaud Les choses ont évolué depuis lors, non ? Apparemment pas pour les syndicats de l’ÉPIC SNCF qui prétendent (surtout chez les contestataires) qu’il n’y a pas lieu de le toucher et même qu’il faudrait le préserver EN TANT QUE TEL !!! Alors que toute personne intelligente qui se pose raisonnablement les bonnes questions sait qu’il faut faire quelque chose, sinon, c’en sera fini de notre service public ferroviaire à la française. Lors de l’ouverture à la concurrence en effet, les futurs acteurs (privés et non publics) du ferroviaire en France se ficheront pas mal d’un certain nombre d’acquis des personnes bénéficiant du fameux « Statut de Cheminot » en France, soit la quasi-totalité des salariés des ÉPIC SNCF (ÉPIC pour établissement public à caractère industriel et commercial, qui comprend trois ÉPIC que sont SNCF Réseau [l’ex-RFF Réseau Ferré de France] et SNCF Mobilités [l’ancienne SNCF que tout le monde a connue jusqu’à la création dudit ÉPIC] et SNCF qui est en fait la direction du groupe [KEOLIS est une filiale de la SNCF, mais de droit privé donc aucun de ses salariés n’a ce fameux « Statut »]). Sans pour autant chercher la rentabilité à tout prix, ils demanderont de la polyvalence à leurs salariés. TRANSDEV, qui gère une ligne de train en Bretagne, le fait d’ores et déjà, en proposant de mieux payer les salariés en échange d’une polyvalence [exemple, les conducteurs ont été également formés à la maintenance entre autres]. Ces derniers ont… accepté et jouent fort bien le jeu. Alors pourquoi pas à la SNCF ? Si cela marche très bien quelque part, pourquoi ne pas le tenter ailleurs ? Parce que les syndicats font du corporatisme, ni plus ni moins. 86
Les syndicats en fait ne veulent pas entendre parler de réforme pour ce qui est des contestataires. Sauf qu’ils sont complètement déconnectés de la réalité et ne le voient pas, ou plutôt, refusent de le voir en pratiquant la politique de l’autruche. Notre système ferroviaire public est le plus cher de toute l’Union européenne et même au-delà. Alors, on continue comme ça et on laisse les choses empirer ou on agit en prenant le taureau par les cornes? Le Gouvernement a dit qu’il entendait prendre le taureau par les cornes, et c’est heureux. « Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie » pour faire un clin d’œil au «Cid» de Pierre CORNEILLE. Les syndicats contestataires ne l’avaient pas vu venir, d’autant plus que ce n’était pas dans le programme de « Jupiter ». Déjà que ce programme était un casus belli pour eux, alors imaginez, si on en rajoute une couche et que ladite couche concerne le domaine professionnel desdits syndicats (ici ceux du monde ferroviaire) ? Vous avez alors un conflit social assuré, et dur naturellement. Avant même de savoir ce que contiendrait la réforme, les syndicats ont immédiatement appelé à faire grève (par épisodes pour la majorité d’entre eux, alors que SUD voulait une grève reconductible sur la même période de trois mois voire même plus loin si le gouvernement en maintenait ne serait-ce que la moindre ligne [on croit rêver !]). Alors que contient la réforme tant décriée ? La transformation du groupe SNCF (l’ÉPIC évoqué plus haut) en société anonyme [S.A.] à capitaux publics, lesquels seront 100% INCESSIBLES (donc scellant et gravant dans le marbre le fait que les ÉPIC SNCF ne POURRONT PAS être privatisés), et la fin de l’embauche au « Statut » pour les nouveaux arrivants à compter de 2020, date confirmée par les sénateurs lors de leur débat sur ladite réforme actuellement en cours au Sénat à l’heure où ces lignes sont écrites. Notons que les actuels salariés ne perdront PAS leur fameux « Statut », ce qui de toute façon est IMPOSSIBLE, car leur supprimer leur « Statut » reviendrait à changer la nature de leur contrat de travail de manière unilatérale, or c’est rigoureusement interdit par le Code du travail et les divers règlements européens !
Il y a également la question de la reprise de la dette. Les réformistes que sont l’UNSA et la CFDT demandent une reprise plus rapide de la dette que ce initialement annoncé. Nul besoin de détailler ici ce que souhaitent les contestataires puisque cela tient en un mot : RETRAIT [de la réforme sous-entendue]. In fine, sur les près de 50 milliards de dettes cumulées de l’ÉPIC SNCF global, le gouvernement annonce la reprise dès le départ de 35 milliards de ladite dette et le reste étalé dans le temps (c’est in fine le contribuable qui payera, mais sans « Impôt SNCF » ou « Taxe SNCF »). Il était normal de reprendre la dette, car elle est essentiellement due aux investissements dans la construction et le développement du Réseau LGV (ligne à grande vitesse). Or ce n’est pas l’ÉPIC SNCF Mobilités qui les a décidés, mais les « pouvoirs publics » comprendre les gouvernements successifs. C’est donc justice que de voir l’État reprendre la dette qui lui était imputable alors que ledit ÉPIC n’en est absolument pas responsable pour le coup. Et c’était d’ailleurs l’une des « revendications » des réformistes (CFDT et UNSA) sinon LA « revendication » de ces derniers. Et ils ont finalement plutôt obtenu gain de cause. On ne TOUCHERA PAS au « Statut » pour les personnes qui l’ont déjà. La réforme est donc en fait une réformette parce qu’elle ne touchera finalement pas à quelque chose de pourtant utile (et plus que vital) pour l’avenir : régler une bonne fois pour toutes le problème du coût de notre système ferroviaire, l’un des plus chers au monde pour un service qui n’est loin de là pas ou plus le meilleur du monde ! Si le Gouvernement avait voulu y aller, il se serait mis encore plus à dos les contestataires. Et au (Pôle) SUD (Solidaires, unitaires et démocrates, on aurait immédiatement jeté aux figures d’Élisabeth BORNE et Édouard PHILIPPE ainsi qu’à celle de Jupiter les documents de ladite réforme.
Billet d´Humeur de Thomas 87
Manipulation subtile
Xavier Francisco
Récemment une amie m’a demandé de réfléchir à propos de la dignité ! Vaste sujet. Immédiatement est revenu à mon esprit ce que Leo ferré chantait dans sa chanson les conditionnels de variété : "Que l’humiliation devrait pourtant s’arrêter devant ces femmes des industries chimiques avec les doigts bouffés par les acides et les poumons en rade !"
Le mot axiome n’est pas réservé aux mathématiques car il est utilisé en philosophie. Il s’agit d’une notion qui rend compte d’une identité de structure propre à la constitution de l’esprit humain. “L’axiome exprime une proposition évidente de soi, échappant à toute démonstration et s’imposant par un principe d’évidence” selon le Littré.
Voilà une définition de l’indignité. Selon le Larousse la dignité du latin dignitas peut avoir globalement 3 significations : 1 : Le respect que mérite une personne : ces sévices sont une atteinte à la dignité d’un être humain 2 : la retenue la gravité dans les manières : refuser par dignité de répondre à des insultes par des insultes 3 : fonction éminente, distinction honorifique : il a été élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur L’origine grecque de ce mot est instructive puisque l’équivalent du mot dignité est axios (Ce qui signifie ce qui est convenable, ce qui vaut, ce qui mérite), qui a donné également le mot axiome . 88
Aujourd’hui nous souhaitons nous intéresser plus particulièrement à la première définition de la dignité qui touche la personne humaine. En droit, la dignité de la personne humaine est souvent entendue comme renvoyant aux champs sémantiques de la morale, des valeurs, voire de la religion, toutes choses qui sont marquées du sceau de la sphère privée. Alors la notion de dignité humaine serait variable avec le temps et la conception que nous avons de l’Homme debout ? Récemment un patient m’expliquait que sur internet prolifère une myriade d’escroqueries notamment celles aux sentiments. Étonné je lui demande de m’expliquer un peu plus
Alors voici son histoire : Une jeune et jolie femme prend contact avec lui via les réseaux sociaux en éveillant son intérêt par sa plastique parfaite (dieu que l’homme est faible !). Lui forcément naïf, vivant dans une certaine misère sexuelle et sentimentale liée à l’âge et à la routine dans son couple voit l’espoir d’avoir une capacité de séduction toujours d’actualité et se trouve embarqué dans une tourmente “indigne”. La jeune fille faisant semblant d’être à son écoute, passionnément amoureuse de cet homme va finir par lui expliquer qu’elle a eu une vie misérable, elle a perdu sa mère lors d’un accouchement, perdue son père d’un AVC et que seule orpheline c’est sa grand-mère unique qui s’occupait d’elle dans son enfance, mais qu’actuellement elle est très malade et surtout ne peut payer ses frais de santé. “La proie” est fortement encouragée à aider financièrement cette grand-mère souffrante misérable. Cela permettrait à la belle jeune fille de venir voir son prince charmant lui brutalement propulsé du jour au lendemain comme l’homme de sa vie etc. ! Alors la victime se dit qu’elle peut, peut-être, faire un effort financier et cherche à aider sa nouvelle amie virtuelle et commence une longue traque aux coupons, soit Trans cash soit PCS pour venir aider sa belle. Mais sa belle qui soi-disant l’aime plus que tout au monde devient de plus en plus exigeante elle ne veut plus 150, 500 ou 1000 euros, mais bientôt 2000 voire même 4000 euros et là le doute s’installe !
En plus la jeune fille a eu l’excellente idée de lui envoyer une photo d’elle à côté d’une Rolls Royce et une facture de frais hospitaliers qui concernait un chien, puis d’une personne habitant à Neuilly sur seine ! Mon patient après avoir envoyé à je ne sais qui 2000 euros se rend alors à la gendarmerie pour savoir si ceux-ci peuvent l’aider. Les gendarmes lui expliquent en rigolant : “Mais c’est évident monsieur votre belle n’existe pas !” vous avez été victime d’une arnaque au sentiment ! La personne ne vous a pas obligé à acheter ces coupons ? Le pauvre homme honteux baisse la tête et répond que non. Alors votre plainte ne peut être recevable ! Et là cet homme qui a espéré l’espace d’un instant retrouver sa jeunesse se rend compte que cette jeunesse obsédée par l’appât du gain était prête à lui faire croire n’importe quoi pourvu qu’il y ait de l’argent. La tristesse absolue devoir payer pour s’entendre dire que l’on est aimable. Voilà cette histoire me semble définir une atteinte à la dignité humaine en altérant gravement la notion d’empathie, la notion d’entraide et surtout la notion d’amour. Comment mépriser les hommes à ce point, pourquoi jouer avec les sentiments sans se soucier des conséquences psychologiques ? Comment un être humain normalement constitué peut-il se retrouver dans une situation aussi indigne ?
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Petites pierres à l'édifice contre les réseaux sociaux et le fascisme Livre à paraître de Houria Gouriten
En plein milieu de ces guerres de religions, des dieux et de l’économie, bon nombre de Français se jetaient de plus en plus dans les bras du Front National. Laura quant à elle, au-delà de tous ses malheurs de captive de la toile complètement droguée par cet outil qui avait fait d’elle un être numérique, s’était convertie à la religion de la consommation de galettes de riz à l’épeautre, à l’avoine et au son, vu qu’elle faisait partie de celles et de ceux que l’on prenait régulièrement pour des ânes. Eu grand égard pour ces ânes qui ne cessaient d’affluer dans les rangs d’un parti abstentionniste de toutes ces réformes qui visaient à détruire les appareils de protection sociale pour lesquels les Français avaient cotisé. Le 1er parti de France : celui de l’indifférence notoire vis-à-vis des élites. Les destructions étaient prônées par une troïka sans légitimité qui contraignait nos représentants à les faire adopter, usant de toutes les formes qui procéderaient aux abâtardissements de ces mêmes appareils. Au milieu de ce capharnaüm, suite à des analyses tangibles de la terre, celle-ci a quand même prouvé qu’elle pouvait parfois modifier son testament et reconnaître que la dictature du numérique avait supplanté toutes les autres formes de pouvoir. 90
Fortes de cette réflexion cruciale partagée, elles raccrochèrent et allèrent retrouver leur vie qui n’avait pas les moyens d’être nouvelle. Au bout du fil étaient restées suspendues, les grandes oreilles des services secrets qui n’en revenaient pas de voir ces deux femmes mobiliser des millions d’abonnés sur internet sans avoir adhéré à aucun parti. Bien que ne l’ignorant pas, les deux humaines de compagnie de la toile continuaient à s’aventurer dans le flux de leurs pensées, qu’elles n’admettaient pas devoir voiler ou censurer pour autant. Avec elles, la bonne humeur avait une fois de plus fait sa difficile, et l’optimisme la fine bouche. Elles retournèrent chacune à leur étrange quotidien, sous l’œil sourcilleux, et le joug implacable de Ben Laden, le chien de Fatima. Elles atteignaient Laura et elle-même le sommet de tous les succès pour leur animation involontaire qui célébrait, elle le sommet de la crétinisation. Elles en étaient les chevilles ouvrières, et ce, pieds et poings liés. Victimes de leur succès sur les réseaux qui, tant les accaparaient. Pour autant, malgré leurs chaînes invisibles d’esclaves, ces deux-là étaient restées profondément attachées à un Etat en premier : celui de la liberté. Et puis à un autre celui de l’égalité, et en troisième celui de la fraternité. Laura bien que surveillée en permanence dès sa moindre apparition sur la toile par les nombreux anti-souverainistes qui la suivaient, avait bonne conscience, même sans le contrôle d’une puce en allant rejoindre son groupe virtuel ; elle y créerait un peu plus d’émancipation populaire contre l’oligarchie que tendait à devenir son pays. Elle savait y déployer l’énergie d’un vilain soleil que feraient des vents mauvais, y faisant s’enorgueillir une foule en manque de rébellion. Rouets et paniers de laines aux mains, ils y filaient et tissaient ensemble les fébriles ouvrages cotonneux d’une future et juste révolution qu’ils auraient voulue en filigranes.
Elle n’entendait pas suivre le cours des marchés Laura, contre l’Euro et sa cherté, bien qu’il ait baissé, elle n’avait de cesse, contre lui de se battre. Pour la souverainiste qu’elle était, battre monnaie lui semblait être une affaire de collectivités locales. Elle n’entendait pas non plus Laura, suivre les plans de carrière de Young leader qu’on lui avait fomenté sur quelques échauffourées, pour qu’elle devienne le symbole français sous contrôle, qui lutterait contre les plans d’austérité. Elle ne se hissait pas que sur des échafaudages virtuels, elle savait entraîner avec elle et à ses côtés les mouvements d’indignés notoires, qui n’habitaient plus dans aucun rêve; si ce n’est dans celui de revenir en arrière. Les passéistes. Ensemble ils s’écroulaient sous les propositions peu avantageuses que leur réservait la mondialisation accueillie par une inhospitalité assez marquée en France. Aussi se débattait-elle Laura, faisant mordre la poussière aux murs des réseaux sociaux, son groupe n’y essuyant aucun plâtre, et l’aidant à faire se décomposer les anti souverainistes. Ceux-ci regrettaient jour après jour d’avoir misé, sur pareil cheval. Antisouverainistes qui par ailleurs traitaient décidément très mal, leur humain de compagnie, Laura, car à leurs yeux elle occultait tous ses devoirs. Ils allaient jusqu’à ignorer la plus minime des obligations qui aurait dû consister à vermifuger Laura. Quand elle y pensait, elle ne pouvait s’empêcher de réaliser qu’elle coûtait moins cher aux réseaux sociaux dans lesquels elle passait sa vie, qu’en croquettes pour son propre chien. Pour autant, toutes griffes dehors, elle luttait Laura. Bien qu’on lui ait ôté toutes formes de postures qui feraient s’inscrire un humain dans les registres de la dignité. 91
Pas d'avenir évolutif à attendre pour l'homme en dehors de son association avec tous les autres hommes. Pierre Teilhard de Chardin Le phénomène humain
Éditeur L´Unité Nationale Association loi de 1901
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Date du dépôt légal Septembre 2018
Co-Directeur de publication Co-Rédacteur en chef Antoine Fontaine & Carole Vilbois
Relecteur Antoine Fontaine Vanessa Delbergue Direction Artistique Carole Vilbois
L´Unité le Mag´ N°4 Gratuit Numéro ISSN 2605-8898 ( En ligne ) Numéro ISSN 2608-2381 ( Imprimé)