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FAIRE DU NEUF AVEC DU VIEUX
PIERRE- ALEXANDRE BONIN Responsable de la Sélection CJ chez Communication-Jeunesse
Le conte réinventé est l’équivalent de la sauce à spaghetti de notre mère. On part toustes de la même base, mais le résultat varie selon les ingrédients qu’on y ajoute ou qu’on omet. Voici par conséquent un tour d’horizon de ce phénomène de réécriture qui ne date pas d’hier !
D’emblée, il faut rappeler que le conte dit « traditionnel », qui met en scène des personnages faisant partie de la culture commune (le Petit Chaperon rouge, Cendrillon, le grand méchant loup, les trois petits cochons, Blanche- neige, etc.) est le fruit de nombreuses « réécritures ». En effet, le conte est issu de la tradition orale, ce qui signifie qu’il varie selon l’endroit où il est transmis, tout comme la personne qui le raconte. Il faut aussi tenir compte du fait que lorsque certain·e·s auteur·rice·s’attellent à retranscrire les contes par écrit, là aussi, un travail d’adaptation et de réécriture se réalise. Par exemple, Charles Perrault, en France, a été le premier à adoucir au XVII e siècle des contes nés de la tradition orale, initialement beaucoup plus violents parce qu’ils étaient destinés à un public… d’adultes !
EXPANSION ET RÉINVENTION DU CONTE JEUNESSE
À partir du IXI e siècle, le conte est désormais largement considéré comme un genre qui s’adresse aux enfants. Et puisqu’il est issu de la tradition orale, il n’a pas de paternité (ou de maternité) définitive, à quelques exceptions près. Ce qui veut donc dire que n’importe qui peut écrire une version des contes, que les recueils se multiplient chez différents éditeurs avec une composition sans cesse changeante.
C’est cependant à la fin du XX e siècle seulement que le conte réinventé se taille une place dans la littérature jeunesse. On assiste alors à de véritables réécritures des contes classiques, où les auteur·e·s changent les péripéties, donnent un autre rôle aux personnages ou font carrément intervenir des éléments d’un autre conte. Habituellement, l’humour est au rendez- vous, mais parfois, le conte est aussi utilisé pour aborder une problématique plus sensible. C’est le cas, par exemple, de Le grand méchant loup dans ma maison, de Valérie Fontaine et Nathalie Dion (Éditions Les 400 coups), où le conte du Petit Chaperon rouge est détourné pour aborder la question de la violence familiale. Ou encore, du Petit Loup et le Grand Chaperon rouge, de Jeanie Franz Ranson et Jennifer Zivoin (Dominique et compagnie), où les rôles sont inversés pour parler d’intimidation.
UNE HISTOIRE, MILLE INTERPRÉTATIONS
La popularité du conte réinventé vient en partie du fait que les enfants apprécient le fait d’être capables de reconnaître des personnages familiers, même s’ils sont placés dans un contexte différent. C’est le cas de l’album Les vacances du Petit Chaperon rouge, de Johanne Gagné et Rogé (Éditions Les 400 coups), à l’intérieur duquel le Petit Chaperon rouge explore son propre conte tandis que « son » enfant est parti en vacances, abandonnant les personnages qui se retrouvent alors sans lecteur·rice.
Certain·e·s peuvent aussi s’amuser à subvertir les contes pour mettre de l’avant leurs contradictions ou les éléments qui ne sont pas logiques. C’est exactement ce que fait Maxime, le personnage d’une série signée par Daniel Laverdure et Jean Morin chez Soulières éditeur. Dans chacune de ses aventures, Maxime est projeté dans un conte différent où il tente, tant bien que mal et parfois malgré le désaccord des personnages eux- mêmes, de modifier le déroulement de l’histoire, que ce soit pour s’assurer d’une fin heureuse ou tout simplement pour chambouler le conte et sa structure.
Le personnage qui a été le plus affecté par la réinvention des contes est sans contredit le grand méchant loup. De figure effrayante et méchante, il a peu à peu été adouci, jusqu’à être tourné en ridicule par les autres personnages de contes. Où est ma culotte ?, de Julie Royer et Laurence Dechassey (Éditions Michel Quintin), L’histoire du loup et du Petit Chaperon rouge aussi !, de Seblight (Alice jeunesse), ou encore Le loup, le canard et la souris, de Mac Barnett et Jon Klassen (Éditions Scholastic) sont des exemples de contes réinventés où notre ancien grand méchant loup n’a plus rien de terrifiant.
CONTES ET PÉDAGOGIE
Le conte réinventé peut également être un outil d’écriture très efficace en classe, parce qu’il permet d’avoir une structure de base, connue de tout le monde ou alors facile à expliquer avec la lecture de quelques contes traditionnels. On se retrouve donc avec une situation d’écriture où les élèves peuvent piger dans une banque de personnages qui sont déjà bien définis, avec des caractéristiques physiques, psychologiques, ainsi qu’un rôle spécifique. Selon l’âge des élèves, on peut donc simplement substituer un personnage à un autre, ou carrément modifier la structure du conte pour raconter une tout autre histoire.
Bref, le conte réinventé est aussi versatile que la sauce à spaghetti, probablement tout aussi appréciée que lui, et d’une facilité d’approche déconcertante. Et comme les versions des contes se multiplient au gré des envies et de l’imagination des auteur·rice·s, nul doute que les jeunes lecteur·rice·s en seront alimenté·e·s bien des années encore !