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Définition du chamanisme
Le chamanisme est une tradition très ancienne dont les racines plongent très profondément dans le passé préhistorique de l’humanité. Les anthropologues estiment son âge à plus de 50 000 ans, soit l’époque d’Énoch. Les pratiques chamaniques se retrouvent dans tous les continents, sous des formes très semblables malgré les différences de cultures et de lieux. C’est ainsi que Michael Harner, célèbre anthropologue américain formé auprès de différentes tribus, eut l’idée d’enseigner, au sein de sa fondation FSS (Foundation for Shamanic Studies), ce qu’il nomme le core shamanism, c’est-à-dire le « cœur du chamanisme ». Le fond des pratiques est le même, seule la forme varie selon les régions.
Le mot « chamane » vient du mot saman de la tribu des Tungus en Sibérie. Le chamane est un homme ou une femme-médecine qui soigne, exerce des divinations, enseigne, pratique le respect de la nature et pratique des rituels. Il travaille toujours avec ses esprits tutélaires que sont ses animaux de pouvoir ainsi que ses guides ou maîtres spirituels qu’il rencontre dans le domaine spirituel de la réalité, aussi appelé « réalité non ordinaire », RNO en abrégé. Pour cela, le chamane entre dans un état de conscience modifiée, ou état de conscience chamanique (ECC), au moyen de battements de tambour à une fréquence proche de 3 hertz (entre 150 et 200 coups par minute). À ce moment-là, la vibration de ses ondes cérébrales passe de l’état ordinaire bêta (fréquences supérieures à 12 hertz) à alpha (fréquences comprises entre 8 et 12 hertz) puis thêta (fréquences comprises entre 4,5 et 8 hertz) et parfois même Delta (fréquences inférieures à 4 hertz). Il réalise alors ce qui s’appelle un « voyage chamanique ». C’est la fréquence des battements du tambour qui induit par synchronisme une baisse de fréquence de ses ondes cérébrales.
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Concernant le voyage chamanique, je n’utilise pas, pour le qualifier, le mot « transe » dont la définition du dictionnaire Larousse est : « Affres, crainte. État du médium dépersonnalisé comme si un esprit étranger s’était substitué à lui », ce qui suggère des peurs et une quelconque possession. Or, ces états ne sont pas de mise dans notre tradition, celle que Michael Harner fit connaître largement dès les années 60. Je préfère utiliser le mot « extase », ainsi défini : « État dans lequel une personne se trouve transportée hors de soi et du monde sensible. État dans lequel l’âme a le sentiment qu’elle communique avec un objet interne qui est l’être parfait, l’être infini, Dieu ». Mais, le voyage chamanique n’est pas une décorporation. Le chamane est toujours dans son corps et, comme il fait partie du Tout, comme tout le monde, il peut communiquer avec tous les esprits. L’expression « transportée hors de soi » signifie transportée hors de son ego et non pas hors de son corps physique.
En voyage chamanique, le chamane se situe sur deux niveaux de conscience simultanément et peut donc commenter son voyage tout en le faisant, ou, tout au moins,
rester conscient de la réalité ordinaire (RO), tout en étant dans la réalité non ordinaire (RNO). Il est comme un funambule en équilibre et peut passer rapidement de la RO à la RNO et vice versa. En RNO, le chamane obtient, de la part de ses esprits, de l’aide, des informations et du pouvoir pour aider d’autres personnes, vivantes ou défuntes, la planète et aussi pour son propre développement personnel.
Le chamane considère trois mondes :
– Le monde d’en bas est représenté dans les profondeurs de la Terre qui supporte notre incarnation. Nous y trouvons nos animaux totems, ou animaux de pouvoir, qui reflètent certains aspects de notre propre nature divine. Ils nous apportent du pouvoir sous forme énergétique et nous protègent. En perdre un peut entraîner une maladie physique ou émotionnelle. Ils nous aident aussi à comprendre l’interdépendance énergétique detoutes choses, animées ou non, et nous font connaître le monde en tant que manifestation du sacré – Le monde d’en haut est peuplé, entre autres, de nos guides ou maîtres spirituels. Ce sont eux qui nous inspirent, nous conseillent, nous enseignent et nous protègent aussi. Ils sont souvent de grands maîtres spirituels de toutes traditions, ou des ancêtres. – Le monde du milieu est celui dans lequel nous vivons avec tous les autres esprits, qui sont notamment les esprits des pierres, les esprits des plantes et des arbres, les esprits de la nature avec Pan, leur dieu, les esprits des lieux, du vent, des nuages, etc. Car, en effet, les chamanes considèrent que tout ce qui a une forme ou une substance a un esprit : montagnes, étoiles, maisons, voitures, machines, etc.
Voyons maintenant les différentes appellations rencontrées dans ce paysage. Voici ce que dit Marielu Lörler, dans « Guérisseurs chamanes » :
« Ce qui distingue les chamanes des sorciers ou des guérisseurs ou des hommemédecine est l’extase. Les autres ne font pas l’expérience de l’entrée du corps dans l’autre monde. Ils ont une expérience spirituelle qui est de l’ordre de l’imaginaire. Ils ont besoin pour leur travail de l’aide d’entités de l’autre monde. (Guides et animaux de pouvoir).
La différence est que le chamane ne fait plus qu’un avec ces entités lors des séances de chamanisme, tandis que les autres appellent ou implorent ces entités qui leur font parvenir des images ou des signes leur indiquant la marche à suivre. »
Selon « Le petit Robert », le sorcier est une personne qui pratique une magie de caractère primitif, secret et illicite. Il s’agit donc de magie noire. Quand Carlos Castanéda parle de son Maître Don Juan, il le décrit comme un sorcier Yaki. Je pense qu’il y a un abus de langage ou de traduction entre l’anglais et le français. Un chamane a le pouvoir de faire le bien et le mal. C’est donc une question de convention et d’éthique. Pour moi et par la
suite, je retiendrai que le chamane ne fait que le bien, et que le sorcier fait le mal. Ce que j’ai lu sur Don Juan me fait dire qu’il était un chamane.
De nombreuses personnes parlent de guérisseurs. Pour moi, ce mot est très inapproprié car, en réalité, personne n’a le pouvoir de guérir les autres. Seul le malade a le pouvoir de se guérir lui-même, s’il le désire vraiment. Pour cela, il a besoin parfois d’être soigné que ce soit avec un soin physique ou énergétique ou spirituel. Quant aux hommes-médecine, ce sont des praticiens chamaniques qui utilisent leurs connaissances et habilités pour soigner les autres et faire des divinations.
Voilà pourquoi nous ne disons pas que nous sommes des chamanes mais des praticiens chamaniques ou des hommes-médecine. Les pratiques de métamorphose, que nous verrons page 19, sont propres à nous élever au statut de chamane durant la métamorphose. Mais un vrai chamane reste dans cet état métamorphosé, à la fois dans la RNO et dans la RO.
Dans nos sociétés modernes, il est tout à fait indiqué de pratiquer le chamanisme dans notre vie quotidienne, dans nos activités professionnelles, dans nos relations familiales ou de voisinage, dans nos voyages en réalité ordinaire, lors desquels nous pouvons contacter les esprits des villes et des lieux que nous rencontrons. Ceci permet d’intégrer pleinement notre pratique spirituelle et de vivre pleinement notre vie quotidienne.
Et enfin, dans notre tradition chamanique, il n’y a rien qui soit négatif, il n’y a pas d’esprits bons ni d’esprits malfaisants. Ceci serait du domaine de la dualité qui nous renvoie à notre ego et à notre ignorance fondamentale de notre nature spirituelle pure. Il peut y avoir des esprits qui ne soient pas à leur place et qui causent du tort à d’autres, auquel cas le chamane peut, en toute éthique, y remédier s’il en a reçu la demande.
Je n’aborderai pas le chamanisme qui utilise l’absorption de plantes hallucinogènes car je ne le pratique pas. Ceci se rencontre notamment dans des régions tropicales, très humides, comme l’Amazonie, où les membranes des tambours se détendent et ne sont pas d’un usage facile. Le contact avec les esprits passe par l’esprit des plantes (ayahuasca, datura, tabac, champignons, etc.). Ceci s’effectue avec un rituel préparatoire bien précis afin que les personnes puissent passer dans un état de conscience altérée sans compromettre gravement leur santé. C’est l’esprit de la plante qui dirige le travail chamanique et non le candidat au voyage, comme dans notre tradition. Cette forme de chamanisme, dont l’origine me semble plus expérimentale voire accidentelle, ne peut certainement pas avoir été amenée par un bouddha, car, en bouddhisme, la prise d’intoxicants (alcool, drogues et produits hallucinogènes) est déconseillée afin de garder un esprit pur et lucide. Il est déjà suffisamment voilé et illusionné par notre ego, si bien que le soumettre au contrôle d’une plante ne me paraît pas être la meilleure solution. À mon sens, ces plantes dépossèdent leurs utilisateurs de quelque chose et les rendent tributaires pour faire des voyages
chamaniques. À leur mort, ces mêmes utilisateurs n’auront pas les plantes pour les aider. À ce sujet, Mircea Eliade dit, dans son livre Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase (page 371) : « On a l’impression que l’usage des narcotiques dénote plutôt la décadence d’une technique d’extase ou son extension à des populations ou groupes sociaux inférieurs. En tout cas, cet usage de narcotiques est assez récent dans le chamanisme de l’extrême NordEst. »
D’ailleurs, selon Jeremy Narby, célèbre anthropologue, les femmes tiennent d’ordinaire compagnie aux hommes qui ont pris de l’ayahuasca et les aident à se remémorer ce qu’ils ont vu dans ce « monde parallèle ». Mais l’essentiel, c’est qu’à la différence de leurs compagnons, elles ne recourent pas à cette substancehallucinogène,n’en ayant pas besoin pour entreprendre un tel voyage spirituel. De plus, Jeremy Narby reconnaît qu’au cours des transes, les chamanes sous hallucinogènes rencontrent des esprits qui ne sont pas nécessairement des amis, animés de bonnes intentions. Carlos Castaneda, tout au long de sa formation avec Don Juan, relate aussi ses rencontres, lors de voyages chamaniques sous hallucinogènes, avec de nombreux esprits malveillants. Ma conclusion est que, sous hallucinogènes,ils expérimentent davantage la transe que l’extase ; ils sont en pleine dualité (bon/mauvais, ami/ennemi) et ceci est le propre du samsâra et n’aide pas à se rapprocher du nirvâna qui est l’objectif de toute tradition spirituelle. Je rajoute que l’usage de narcotiques est absolument inopérant pour la pratique du chamanisme dans la vie professionnelle ou dans la vie quotidienne, chose que nous pouvons faire en quelques secondes dans notre tradition, même sans tambour, lorsque nous avons un certain entraînement dans les voyages chamaniques. Alors, pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple et sans dangers ?