KAIZEN «Changer le monde pas à pas» Editeur SARL EKo LIBRIS au capital de 10 000 €. 95, rue du Faubourg Saint Antoine 75011 Paris www.kaizen-magazine.com Magazine bimestriel numéro 7 mars-avril 2013 Imprimé sur papier recyclé blanchi sans chlore Directeur de la publication Yvan Saint-Jours Directeur de la rédaction Cyril Dion Rédacteur en chef Pascal greboval Secrétaire de rédaction Lucile Vannier Contact contact@kaizen-magazine.fr Abonnements abonnement@kaizen-magazine.fr Comptabilité et administration administration@kaizen-magazine.fr Rédaction redaction@kaizen-magazine.fr Couverture Patrick de Wilde Maquette et mise en page Agence Saluces Avignon SIREN : 539 732 990 APE : 5814Z Commission paritaire : 0317 k 92284 Numéro ISSN : 2258-4676 Dépôt légal à parution Impression Via Schuller-graphic Corlet Roto (imprim’Vert) ZA Les Vallées 53300 Ambrières les vallées
D
epuis de nombreux mois, une part des lecteurs de Kaizen nous interpelle : « Et l’art ? Et la culture dans vos pages ? » Cet appel devenant récurrent, il nous a paru incontournable d’y répondre. D’abord pour affirmer que Kaizen est déjà un magazine culturel, au sens premier du terme. Les initiatives que nous mettons en avant sont, chacune dans leur domaine, créatrices d’une nouvelle culture, dans l’acception qu’en donne par exemple l’UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Jusqu’ici nous n’abordions pas les arts, qui sont un élément fondamental permettant à une culture de se définir et de se transformer. L’un des lieux privilégiés pour explorer un nouvel imaginaire ; de nouvelles visions du monde, susceptibles de se matérialiser en nouvelles pratiques, en nouvelles structures. Nous réparons donc cette omission avec « Créateurs de cultures », rubrique où nous entendons donner la parole à ces artistes qui nous aident, eux aussi, à changer d’ère. Nous espérons qu’elle vous plaira ainsi que l’ensemble de Kaizen 7. Bon mois de mars et bon début de printemps à tous !
édito
Cyril Dion DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
Régie de Publicité et distribution dans magasins spécialisés AlterreNat Presse, Sandrine Novarino tél. 05 63 94 15 50
Aucun texte et illustration ne peuvent être reproduits sans autorisation du magazine. Merci
© M. Leynaud
Distribution Presstalis
kaizen 7 mars avril 2013
sommaire 3
Édito
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Sommaire
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Manifeste
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ils sont Kaizen
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Actus des réseaux
Kaizen késaco ?
Kaizen est un mot japonais qui signifie littéralement «changement bon». Mais c’est également une méthode : celle du changement par les petits pas. La perspective de changer brutalement, de passer du tout au tout, réveille nos peurs et attise nos résistances. Commencer par un petit pas, prendre courage, en faire un second puis toute une multitude, chaque jour, avec régularité, peut nous conduire aux plus grandes transformations. Cela s’est déjà vu dans l’histoire et c’est ce que nous espérons, à nouveau.
10 Désenfumage : Une bonne idée peut-elle résister à la croissance ? 14 Si on le faisait : Créer un marché bio et local 18 Ensemble on va plus loin : Vigie nature 23 Dossier : Les dessous de la mode éthique 39 Portfolio : Patrick Dewilde, Face au monde 48 Portraits : Deux libraires défendent la liberté de pensée 50 Créateur de culture : Rufus Wainwright 54 Infographie : Les céréales sont essentielles 56 Roue libre : Le fleuve, la route du futur 60 Yes they can : SA VA, la mode locale 61 Idée remuante : Un revenu de base pour tous 8
Le sourire d’Yvan
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Le bon plan : Bordeaux
75 Sauvage et délicieux : Le pissenlit 82 Chronique de Pierre Rabhi : La mode, haut indice de consommation
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Une bonne idée peut-elle résister à la croissance ? Texte CYRIL DION et dessin Julie Graux
A écouter nos responsables politiques, on pourrait croire que la croissance doit être l’alpha et l’oméga des entreprises. Mais croître sans cesse est-il vraiment bon pour la santé et pour les idées ?
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L’EXEMPLE DE BODY SHOP Anita Roddick, fondatrice de Body Shop, a symbolisé pendant plusieurs années la réussite d’une entrepreneuse pionnière, inspirante, imposant dans les cosmétiques de nouvelles normes respectueuses de l’environnement. Body Shop fut l’une des premières marques à refuser les tests sur les animaux, à mettre en place des démarches de commerce équitable et à soutenir les droits des peuples premiers d’Amérique et d’Afrique (contre Shell, notamment, au Nigéria). Roddick fut, parallèlement, une formidable activiste. Mais en 2006, trente ans après l’ouverture de sa première boutique, Body Shop - qui en comptait alors 2 055 dans 55 pays était revendue à L’Oréal pour 765 millions d’euros. Stupeur parmi les plus fervents admirateurs de la marque. Pourquoi Anita Roddick avait-elle fait ce choix, elle qui avait jadis déclaré : « Je hais l’industrie de la beauté. C’est un monstre vendant des rêves inaccessibles. Qui ment, qui triche, qui exploite les femmes » ?
Désenfumage
LECLERC, UNE TRAJECTOIRE QUI LAISSE SONGEUR Quelques années plus tôt, en 1949, un certain Edouard Leclerc ouvrait une épicerie dans un hangar à Landerneau avec une idée révolutionnaire : s’approvisionner directement auprès des fournisseurs pour faire baisser les prix et défendre ainsi le pouvoir d’achat du consommateur. Autre idée digne du XXIème siècle : permettre à n’importe qui d’utiliser son concept, sans lui verser de royalties, mais en s’engageant à mentionner son nom et à grouper ses achats avec l’épicier du Landerneau. En quelques années, le système connaît un succès fulgurant et, en 1964, la France compte 420 centres distributeurs indépendants, regroupés dans l’Association des centres distributeurs E. Leclerc. En 1959, il milite même en faveur d’une réforme fiscale valorisant les circuits commerciaux courts. Puis, au début des années 70, il part en croisade contre les monopoles de distribution afin d’intégrer progressivement dans ses magasins essence, livres, parfums, voyages, etc. A regarder froidement l’expérience, on
y retrouve beaucoup de similitudes avec ce que proposent aujourd’hui les entreprises les plus engagées socialement et écologiquement : circuits courts, coopératives, autonomie des magasins, soutien des producteurs, lutte contre les monopoles. Pourtant, 63 ans plus tard, Leclerc est la première enseigne de grande distribution en France, a participé à détruire des dizaines de milliers d’emplois sur le territoire et a recréé avec les cinq autres grandes centrales d’achat le plus grand oligopole de France sur les produits alimentaires. COMMENT EN SOMMES-NOUS ARRIVÉS LÀ ? Comme mentionné au début de l’article, le projet de toute entreprise est naturellement de croître. D’abord, pour parvenir à un premier seuil de rentabilité. Ensuite parce qu’elle est « tentée » de grossir. Pour gagner plus, pour « évangéliser » plus largement, pour augmenter sa notoriété… Et parce que le modèle en vigueur est celuici, partout. Réussir, c’est être gros,
grand, international, riche, puissant. Or, dépassé un certain seuil, la réalité de l’entreprise change. Le montant des investissements nécessaires pour maintenir l’activité à flot endette durablement la compagnie et l’entraîne dans une spirale où augmenter les bénéfices devient une nécessité impérieuse. Il est alors indispensable de s’étendre, de gagner de nouveaux marchés, de surpasser la concurrence. Jean Rouveyrol, co-fondateur de la SSII1 Sqli, en témoignait il y a quelques années : « Dès que l’on sort de son territoire, puis que l’on s’engage à l’international et pire, si l’on s’introduit en bourse, il est quasiment impossible de tenir les bonnes intentions du départ. Le marché nous entraine, mécaniquement. » Pour Body Shop, être de taille face à des mastodontes qui n’auraient pas tardé à se draper des mêmes arguments éthiques, équitables, écologiques, mais dont les produits auraient été 20% moins chers, impliquait de faire des économies d’échelles. Donc de produire d’avantage et par conséquent, de trouver de nouveaux clients. Grossir, prendre de plus en plus de risques, trouver du capital, KAIZEN | MARS — AVRIL 2013
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Le bio sur la place du marché Texte Jean Claude Mengoni Photo Eléonore Henry de Frahan
Le marché a toujours occupé une place centrale dans l’approvisionnent des familles. Et si les producteurs bio investissaient aussi la place du marché ?
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'axolotl est un animal qui conserve des caractères juvéniles à l’âge adulte. « Le bio est parfois associé à un certain rigorisme de vie, voire à une démarche élitiste. Nous voulions montrer que produire et consommer bio est synonyme de plaisir ». C’est pendant l’hiver 2011 que Florence, Nathalie et Mehdi créent Axolotl, une association dont l’objectif est d’organiser des marchés bio esti-
vaux et festifs sur la place de SainteCroix, petit village du Diois, au centre de la Drôme. Florence précise : « Notre action s’inscrit dans une volonté de mise en liens joyeuse. Nous voulions attirer une population plus large que le cercle des convaincus du bio. Nous avons sollicité des musiciens, des artisans, des circassiens, à qui nous avons expliqué notre projet, nos valeurs, notre envie de donner un air de
Nous voulions montrer que produire et consommer bio est synonyme de plaisir
Et si on le faisait ?
fête aux marchés. Ils se sont imprégnés de notre histoire et ont répondu présent ». INDISPENSABLES CONTACTS La commune donne son feu vert. L’équipe rassemble des maraîchers, boulangers, fromagers, arboriculteurs, vignerons, apiculteurs, productrices de plantes médicinales et autres transformateurs locaux, ainsi que quelques artisans des environs. Des affiches sont collées bien au-delà des frontières du village. on distribue des prospectus sur les marchés de la région. Des cuisinières s’engagent à proposer à tour de rôle un menu bio et local à prix sympa. « Pour la première, dix-neuf producteurs et sept artisans sont présents. Le bar sert des bières, du vin, de la Clairette, des jus, le tout produit en local. Céline et Solenn proposent ce jour-là soixante assiettes végétariennes. Plusieurs musiciens ont accepté de se relayer, moyennant repas et boissons. Nous sommes certains d’avoir semé les bons ingrédients » explique Nathalie. LA MAGIE Du PROJET Et de fait, ça marche. Amis, touristes, habitants du coin viennent voir de quoi il retourne, souvent en simples curieux. Ils s’arrêtent, se laissent entraîner par la musique, achètent, mangent, rient, discutent. Les enfants participent aux
ateliers, tous gratuits. « Nous avons vendu rapidement les repas, nous aurions pu en prévoir 30 de plus. Beaucoup de gens sont restés tard le soir, envoûtés par les chants et les danses » nous glisse Mehdi entre deux clients. La nouvelle de ces marchés sains et enjoués circule dans le pays dès le lendemain. La magie du projet coopératif est en route. Bientôt, des ateliers spontanés sont offerts par des ados du coin : Sophie, 17 ans, viendra gratter de la guitare, Elena et Lena mettront au point quelques numéros de voltige sur poney, les jeunes de l’espace social et culturel de Die animeront des ateliers pour enfants. Le dernier marché, fin août, servira plus de 150 repas. La plupart des professionnels ont bien vendu et tous se seront bien amusés. Ils reviendront l’an prochain, c’est sûr !
Les marchés bio Axolotl en quelques mots • En 2013 comme en 2012, tous les jeudis d’été, à partir de 17h30 et parfois jusque bien tard dans la soirée. • Déroulement sur la place du village, la mairie ne possède pas de service technique. La préparation, l’organisation du marché, le nettoyage des lieux sont confiés à l’association. • Prix du stand : 5€ /mètre linéaire,
3€ si les exposants s’engagent à être présents tous les jeudis. 19 producteurs étaient présents en 2012, 35 se sont manifestés pour 2013. • Les repas, dont les ingrédients sont en grande partie issus des producteurs présents, sont préparés par des associations ou des cuisinières professionnelles qui encaissent les recettes. A chaque repas vendu (10€), 1€ est reversé à l’association. En moyenne 100 repas ont été servis chaque jeudi en 2012. • Un bar associatif sert des boissons produites localement. Le bar a assuré une grande partie des recettes de l’association, investies dans la communication. • Les contacts préalables avec les producteurs et les artistes sont l’objet de rencontres en tête à tête. Chacun a apprécié la démarche, plus chaleureuse que de simples contacts par e-mail ou téléphone. • Les producteurs travaillant en agriculture bio mais non certifiés auprès d’un organisme (AB) sont admis sous réserve d’un aval donné suite à une visite de l’exploitation. • Les artistes, comme tous les bénévoles, reçoivent un repas et des tickets boisson. Certains d’entre eux se rémunèrent au chapeau. • toutes les initiatives artistiques sont acceptées et encouragées. • Les marchés ont attiré plusieurs milliers de personnes en 2012.
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La science du climat près de chez vous Texte Pierre Lefèvre
Comment recueillir un maximum de données concernant les impacts du changement climatique sur les plantes et les animaux ? En proposant au grand public de participer à une vaste opération de collecte d’observations. C’est le propos d’un programme de sciences participatives, l’Observatoire des saisons.
L
es hirondelles qui arrivent plus tôt dans la saison, des arbres tardant à changer de couleur à l’automne, des fleurs précocement écloses... Le changement climatique est devenu une réalité de plus en plus sensible aujourd’hui. Chacun peut désormais l’observer depuis sa fenêtre. C’est pourquoi Isabelle Chuine, directrice du groupement de recherche sur les systèmes d’informations phénologiques pour la gestion et l’étude des changements climatiques au sein du centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE, CNRS) à Montpellier, a entrepris de collecter ces observations auprès des amateurs. En 2005 elle crée l’ODS, « Observatoire des saisons », un programme scientifique qui invite chacun d’entre nous à mesurer l’impact du changement climatique
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sur la faune et la flore. Cela s’appelle de la science collaborative, citoyenne ou participative. Peu importe le vocabulaire, l’idée est toujours la même : faire de chaque citoyen un acteur bénévole de la recherche. L’engouement pour ce type de science en France ne date réellement que d’une dizaine d’année et l’ODS fait figure de précurseur, même si le programme STOC (Suivi temporels des oiseaux communs) mis en place par le Muséum national d’Histoire Naturelle est arrivé plus tôt encore, en 1989. Les ornithologues sont déjà de vieux routiers de la science participative puisque la plupart d’entre eux consignent scrupuleusement à chacune de leurs sor-
Faire de chaque citoyen un acteur bénévole de la recherche. ties la liste des oiseaux qu’ils ont pu observer. Mais STOC n’est pas destiné au premier observateur d’hirondelles venu ! Contrairement à l’ODS, il reste réservé aux amateurs avertis. UNE ORIGINE ANGLO-SAXONNE Dans le monde anglo-saxon, la pratique des sciences participatives est plus ancienne. Le premier programme, Christmas Bird Count – encore les oiseaux – est piloté depuis 1900 par la société
© P. Greboval
Ensemble, on va plus loin
nationale Audubon aux États-Unis. Il a permis de recueillir une base de données précieuse et incomparable. Ainsi 10 000 participants ont réalisé quelque 63 millions d’observations ornithologiques ! « Aucun des projets français actuels n’atteint l’ampleur et la portée des programmes lancés dans les pays anglo-saxons » précise Daniel Mathieu de Tela Botanica, association partenaire de l’ODS, et qui assure le suivi des observations via le site Internet1. La raison de ce retard français ? « Notre pays obéit plus à des logiques de structures qu’à des logiques individuelles, répond-il. Les grandes institutions de recherche hésitent à entrer en relation avec un public qu’elles connaissent peu ou mal et de son côté le public se méfie d’institutions qu’il perçoit parfois comme trop hégémoniques ». Le pari de l’ODS de mettre en lien chercheurs et grand public est donc ambitieux. Dans ces affaires de biodiversité et de changement climatique, il est de
toute façon presque impossible de procéder autrement. Les enjeux se situent à des échelles spatiales et temporelles si vastes que la collecte de données n’est pas à la portée directe des chercheurs. « Sur ces questions, nous faisons face à l’immensité du vivant et le temps presse, alerte Isabelle Chuine. Nous ne pouvons pas attendre 50 ans de collecte de données pour apporter des réponses ». Les citoyens scientifiques bénévoles sont donc devenus indispensables au monde de la science. LA RIGUEUR SCIENTIFIQUE Encore faut-il que chacun respecte le protocole, c’est-à-dire la façon dont sont réalisées et consignées les observations. Pour être participative, cette démarche n’en demeure pas moins de la recherche, avec toute la rigueur qu’elle exige. Un point dont des chercheurs belges ont souligné la défaillance au sein d’un autre programme
Les papillons fournissent de précieux indices sur la qualité des milieux naturels, et sur la santé de nos écosystèmes.
(1) www.obs-saisons.fr
participatif, le suivi photographique des insectes pollinisateurs (SPIPOLL) lancé à l’initiative du Muséum national d’Histoire Naturelle : Ils ont dénoncé « une opération de communication déguisée d’un vernis pseudo-scientifique qui ne peut produire aucune information utile ». L’accusation est grave et, sans entrer dans les détails de la polémique, jette le doute sur les recherches participatives. Comment éviter cet écueil et faire participer utilement un grand public à qui on ne demande ni bagage universitaire ni même un quelconque savoir naturaliste préalable? Il convient d’établir un protocole à la fois très précis et très simple (voir encadré). L’ODS propose ainsi de suivre plus de quarante KAIZEN | MARS — AVRIL 2013
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Le seul magazine au cœur de la campagne. L’Esprit Village valorise les parcours, les territoires, les savoirs et savoir-faire.
Vous abonner au magazine trimestriel L’Esprit Village, c’est : • Partager les expériences de ceux qui vivent à la campagne. • Découvrir les territoires qui bougent : bio, solidaires, natures ou durables… • Retrouver les savoirs essentiels et les partager avec d’autres. • Choisir son activité. • Mettre en œuvre son idée. • Concilier vie personnelle et vie professionnelle. • S’installer en cohérence avec les potentialités et les qualités du territoire. Disponible chez votre marchand de journaux et sur www.village.tm.fr Pour tous renseignements (commande ou abonnement) : accueil.village@orange.fr ou 02 33 64 01 44
Dossier
Nos vêtements sont une seconde peau. On aimerait, avant de les porter, mieux connaître leur passé : comment produit-on les textiles dits « naturels » et lesquels sont les plus vertueux ? À l’étape suivante, celle de la transformation, les ouvriers et les couturières travaillent-ils dans de bonnes conditions sanitaires, sociales et écologiques ? Ces informations s’avèrent essentielles tant nos pratiques vestimentaires (achats, récupération etc.) reflètent nos valeurs et dépendent des rapports complexes qui relient consommation et image de soi.
DoSSIER RÉALISÉ PAR LIONEL ASTRuC, TExTE ET PHOTO SAUF MENtIoNS CoNtRAIRES
© Laure Maud pour GREEN IS BEAUTFUL®
Les vêtements propres de la mode éthique
De la fleur au fil
Contrairement aux dérivés du pétrole, les fibres naturelles se composent de matières renouvelables. Mais cette vertu se trouve souvent noyée dans les pesticides. La production bio apporte pourtant de solides garanties. SANS IRRIGATION NI PESTICIDE
C
ertaines matières premières parviennent à séduire l’espèce humaine au point de s’immiscer dans les foyers des quatre coins du monde. C’est notamment le cas du coton, qui règne sans partage sur les autres fibres naturelles (soie, lin, chanvre, laine, ortie etc.). À la fois doux, souple et solide il reste – comme les maisons bioclimatiques – frais en été, chaud en hiver et respire quelle que soit la saison. Mais la caresse de cette fibre masque une réalité moins douce : la culture intensive du coton provoque autant de ravages écologiques que de drames humains dans les pays du Sud (voir encadré). Les méthodes culturales basées sur l’usage d’engrais et de pesticides chimiques représentent toujours 99% de la production mondiale malgré une progression importante du bio chaque année. Cette domination écrasante laisse Subhash Lohiya perplexe : « La culture biologique du coton offre le même rendement que les méthodes intensives, s’étonne ce fermier bio du Maharastra
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(Inde). Et la rotation des cultures nous permet de cultiver alternativement des produits d’alimentation sur les mêmes terres, pour notre propre consommation. Cela nous met à l’abri du besoin lorsque les conditions météo compromettent les récoltes de coton » ajoutet-il. Comme lui, les 500 autres membres de la coopérative ASSISI pratiquent une rotation des cultures sur 4 ans, plantant tour à tour du soja, des haricots mungo (deux véritables sources d’engrais qui apportent à la terre tous les micronutriments et l’azote dont elle a besoin), des légumes et du coton. Travaillé de la sorte le sol est suffisamment riche et ses besoins en eau diminuent considérablement : 75% des champs alentour ne sont absolument pas irrigués. Pour les 25% restants, la structure initiale des sols ne leur permet pas de se passer d’eau, celle-ci étant bloquée par l’absence de capillarité dans cette zone. « Quant aux pesticides, nous les fabriquons avec des végétaux » précise un fermier voisin, expliquant comment il hache une dizaine de plantes différentes (feuilles de margousier, de papaye, de datura etc.) avant de laisser le tout fermenter dans de l’urine de vache. « Le résultat constitue un concentré de pesticide naturel, qui sera dilué dans de l’eau avant d’être pulvérisé directement sur les arbustes ». Notons que la présence ou l’absence de produits chimiques dans le processus de production se répercute directement sur le produit fini. En d’autres termes, les fibres bio évitent le contact entre la peau et les produits toxiques détectés dans les vêtements conventionnels (voir page 27) qui peuvent favoriser les allergies.
Dossier
LE BIO PLUS SÛR ET RENTABLE QUE LES OGM Les fibres issues de l’agriculture biologique ne profitent pas seulement à l’environnement ou à la santé : parmi les atouts qui stimulent les producteurs, l’aspect financier figure en bonne place. Les prix pratiqués sont 30% supérieurs et, dans les pays en développement, le choix du bio affranchit également les paysans des emprunts habituellement contractés pour payer les semences hybrides (par définition à racheter chaque année) ou les intrants chimiques. Cette dépense existe aussi pour les agriculteurs qui choisissent des semences OGM : « Nous avons fait une étude comparant le revenu net d’agriculteurs qui utilisent du coton Bt (OGM) et de ceux qui pratiquent l’agriculture biologique, raconte Jonas Hulsens, chargé de campagne agriculture durable chez Greenpeace. Il apparaît que les paysans utilisent beaucoup de produits
phytosanitaires, alors que l’usage de semences OGM est censé leur permettre de s’en passer. En fin de compte ils affichent des coûts plus élevés que les agriculteurs bio » affirme-t-il. En Inde, l’association Navdanya (protection des semences paysannes) a calculé que le passage au coton OGM dans la région cotonnière du Vidarbha avait multiplié par 13 les quantités de pesticides requises par rapport aux variétés locales utilisées auparavant. Or ce surcoût ruine les paysans de régions entières au point de déclencher des vagues de suicides, c’est le cas en Inde par exemple. 250.000 fermiers se seraient donné la mort entre 1995 et 2011, selon un rapport publié aux Etats-Unis par le Centre pour les Droits de l’Homme et la Justice1. « Quel que soit le type d’agriculture qu’ils pratiquent, les producteurs de coton connaissent de bonnes et de mauvaises années, précise Jonas Hulsens. Mais les dettes contractées pour acheter des produits chimiques
ou des semences OGM aggravent beaucoup la situation les mauvaises années, au point de conduire à des drames ». Les paysans qui pratiquent l’agriculture biologique ne sont pas soumis à de tels investissements et sont donc beaucoup mieux protégés en cas d’échec, a fortiori s’ils adhèrent à un label de commerce équitable (voir article page 34). Dans ce cas pourquoi la culture biologique du coton reste-t-elle embryonnaire par rapport aux fibres conventionnelles ? C’est que les paysans subissent des pressions de toutes parts : depuis les grands semenciers qui leur offrent gratuitement quantité de graines pour amorcer leur dépendance, jusqu’aux politiques de subventions en faveur du coton OGM qui, en Inde par exemple, nuisent sciemment aux semences locales en raréfaction. Face à cette situation, les militants de la première heure seraient probablement surpris de découvrir les noms des entreprises qui font progresser l’agriculture bio : les KAIZEN | MARS — AVRIL 2013
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Portfolio
Face au monde par Patrick De Wilde
Après s’être intéressé aux religions de l’Asie puis aux espaces naturels sauvages, Patrick de Wilde s’est consacré à l'étude des croyances chamaniques et animistes. Il n'a cependant jamais cessé de réaliser des portraits, tous conçus de la même manière, avec le même fond noir figurant le mystère des origines. Ses photographies expriment aussi bien la diversité que l'unicité.
Pascal Greboval : Comment est né ce besoin de réaliser des portraits? Comment choisissez-vous les peuples, les individus ? Patrick de Wilde : J’ai réalisé ces portraits en marge de mes travaux de commande, par pur désir personnel d’accéder à l’autre. Ainsi, chaque portrait, avant d’être un tirage, est une rencontre, un partage, une complicité. Ils sont nés au hasard des chemins, des milieux les plus reculés, des villages les plus inaccessibles, des endroits les moins visités. J’ai cherché à voir tous les aspects du monde. Le visage est un paysage. J’y perçois la marque d’un scintillement que certains ont nommé l’âme. En dressant les sujets devant le même drap noir, neutre, sans autre décor, j’ai voulu dépasser les attributs manifestes pour toucher aux facteurs fondamentaux. Qu’il soit guerrier Naga, pâtre grec ou chef d’état américain, l’homme répond à des pulsions communes, il est animé de mêmes émotions. Sous les signes culturels d’appartenance — qui captent d’abord notre attention 40
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par leur charge d’étrangeté — se manifeste une forme d’unité. Au delà des apparences se tient une constante, comme s’il existait un accord par lequel tout semble relié. Pascal : Vos portraits donnent un aperçu de la [bio]diversité humaine. Que révèle cette diversité? Patrick : La diversité est, d’évidence, nécessaire à l’existence. Elle ne serait jamais remise en question si l’individu n’avait pour travers de regarder le monde du haut de son clocher, de juger l’autre à l’aune de sa propre vérité. Mais l’humain éprouve autant de curiosité que de peur envers ce qui ne lui ressemble pas. C’est ainsi que la différence peut être perçue comme une richesse aussi bien que comme un risque. Ce paradoxe conditionne les rapports sociaux. La diversité sera vécue positivement si elle est comprise comme un apport, négativement si elle est ressentie comme une agression. Or nous sommes tous, depuis la nuit des temps, des métis singuliers et pluriels issus d’amours croisées. Le principe de la di-
versité suppose deux aspects : nous sommes un produit biologique, le résultat d’un croisement chromosomique entre des géniteurs particuliers, mais aussi un produit culturel, le résultat d’une éducation qui nous inscrit dans une appartenance régionale, sociale, clanique. Chacun vaut par ses différences, ou mieux par ses singularités. La diversité est aussi et peut-être essentiellement une question de regard, une posture. Si l’on nous apprend à compter, à parler, à écrire, etc., on ne nous apprend pas à voir. Et par paresse ou par peur, nous nous recroquevillons sur nos certitudes et nous retrouvons vite aveugles à l’autre. Pascal : Comment accepter ces différences ? Patrick : L’acceptation de l’autre exige une certaine remise en question de soimême. La question du vivre ensemble ne va pas de soi. Elle nécessite éducation, ouverture, dialogue, générosité, intelligence… Nous sommes ancrés dans des stéréotypes qui nous rassurent. La qualité du regard porté demande
Afrique, Ethiopie, vallée de l’Omo, Mursi
Amérique du sud, Argentine, Pampa humeda
Asie, Inde, Nagaland, Kamjong, Konyak
Asie, Vietnam, Dong Van mountains, Lolo noir
Amérique du Nord, Canada, Saskatchewan, Sioux
Asie, Japon, Kyoto, Geisha
Asie, Inde, Madhya Pradesh, Ujjain, Sâdhu
Amérique Centrale, Panama, Darien, Embera
Afrique, Ethiopie, vallée de l’Omo, Mursi
Créateur de Culture
Et vous alors, la musique ? Portrait subjectif de Rufus Wainwright Texte Cyril Dion, photos Fanny Dion
« Alors que nos vies vont de plus en plus vite et que le nombre de morceaux disponibles explose, prenons-nous encore le temps de découvrir de nouveaux horizons musicaux ? »
J
amais nous n’avons eu l’opportunité d’écouter autant de musique. Au temps de Deezer, Spotify, YouTube, MySpace, du peer to peer, des Ipod, smartphones et autres lecteurs Mp3, des centaines de milliers de morceaux de tous les styles possibles et imaginables sont accessibles gratuitement - ou presque - sur le net. Comme pour l’information, ce flot vertigineux nous permet d’élargir nos horizons à l’extrême, mais nous laisse parfois déconfits devant la profusion d’œuvres plus ou moins abouties que nous ne pourrons jamais découvrir dans leur intégralité. Comment alors identifier ce que nous ne connaissons pas encore mais qui, peut-être, bouleversera notre vie ? Noyés dans la webosphère, nous pourrions devenir enclins au zapping ou nous cantonner à la musique qui nous est familière et nous fait instinctivement vibrer, mais pas forcément à faire un effort pour découvrir des œuvres plus ardues ou plus éloignées de notre sensibilité. Car, à quoi bon passer du
temps à dépasser une première impression médiocre, si l’on peut écouter des milliers d’autres morceaux qui nous plaisent dans la minute ? C’est pourtant l’expérience inattendue que j’ai faite avec Rufus Wainwright. Récit d’une découverte musicale ébouriffante, à travers le portrait hautement subjectif d’un artiste de notre temps. DÉCOUVERTE EN DEUX TEMPS Il y a quelques années, ma femme remontait de chez le disquaire (nous avions encore ce genre d’habitude préhistorique), excitée à l’extrême par la performance d’un chanteur entendu en direct à la radio. Toute pleine d’enthousiasme, elle essaya de me convaincre que le type sur la pochette était une sorte de génie qu’il fallait à tout prix que j’écoute. J’acceptai de mauvaise grâce et y accordai une oreille sceptique. Après deux écoutes, je décrétai que je n’aimais pas (trop mièvre, trop classique, trop monocorde, pas assez rock…), remisai le CD sur les étagères et n’y prêtai plus attention, préférant me concentrer sur mes bons vieux classiques. Pourtant, quatre ans et sept concerts plus tard, je peux dire, sans exagérer, qu’il est l’un des musiciens qui m’a le plus marqué ces dix dernières années. Que s’est-il passé ? Mon second rendez-vous avec Rufus Wainwright eut lieu dans le cadre d’une carte blanche à Marianne Faithfull à la Cité de la Musique. Invité à donner un concert « seul en scène », il égrena KAIZEN | MARS — AVRIL 2013
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la place des céréales
tExtE JEAN-PAuL COLLAERT AUtEUR DE CÉRÉALES. LA PLUS GRANDE SAGA QUE LE MONDE AIT VÉCUE, ED RUE DE L’ÉChIQUIER
Les céréales sont essentielles pour notre alimentation, elles assurent le tiers de nos apports caloriques quotidiens. Les céréales occupent 690 millions d’hectares, soit 4,6 % de la surface des terres émergées. 1m2 sur 22 est occupé par des céréales.
Surfaces des terres émergentes 29,4 %
Partie du globe occupée par les océans 70,6%
Terres concernées par l’agriculture 33 % Terres non cultivables 67 %
Céréales Prairies 39 % et autres cultures 61 %
Orge 133 - 152 Sorgho 58 - 66 Mil 30 - 35 La récolte mondiale de grains dépasse 2,3 milliards de tonnes. La surface agricole utile mondiale est estimée à près de 5 milliards d’hectares, soit un tiers des surfaces émergées dont 1,5 milliards d’hectares de terres arables.
Blé 610 - 680 Riz 660 - 690
© P. greboval
Maïs 710 - 813 (en million de tonnes)
Infographie
Un commerce stratégique Les céréales constituent le premier poste parmi les échanges de produits agricoles et alimentaires dans le monde. Le transit international représente 285 millions de tonnes, pour une valeur de 75 millions de dollars, bien plus que le soja (62), la viande (57) ou le vin et les boissons alcoolisées (50). En France, la meunerie et la boulangerie emploient 180 000 personnes et engendrent un chiffre d’affaires de 15 milliards d’euros, supérieur à la production des céréales ellesmêmes, estimée à 12 milliards d’euros.
Un potentiel pour l’avenir D’ici 2050, il faudra alimenter une population mondiale croissante tout en faisant face au réchauffement climatique. Les experts préconisent : • d’opter pour des cultures plus variées, ce qui réduit les risques de maladies et d’épuisement du sol ; • de favoriser les légumineuses, plantes qui apportent de l’azote gratuit en allant le puiser dans l’air ; • de mieux associer l’élevage et les cultures. Ces techniques, regroupées dans l’agroécologie, devraient permettre une croissance des rendements dans les pays en forte demande, comme l’Asie du Sud-Est et l’Afrique Subsaharienne. En Europe, le souci sera différent : produire à peine plus mais mieux, en économisant l’énergie fossile des carburants et des engrais et en réduisant l’impact des cultures sur l’environnement.
Le fleuve, la route du futur ? Texte Pascal Greboval photos Anne-Lore MESNAGE
Détrôné par la route dans les années 70, le transport fluvial renaît aujourd’hui de ses cendres : ses vertus écologiques et son faible coût attirent de nouveaux clients.
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e mémoire de parisien, il faut remonter au Moyen Age pour voir les produits alimentaires arriver au cœur de Lutèce par la Seine. Quelle mouche a donc bien pu piquer un groupe comme Casino (12 000 magasins dans le monde) et son enseigne Franprix pour qu’ils remettent au goût du jour des pratiques moyenâgeuses ? Comme le concède un acteur du transport fluvial en France, « ce n'est pas par philanthropie ». Il faut remonter au début des années 2000 pour comprendre ce qui a poussé cette entreprise de grande distribution à acheminer une partie de ses marchandises par voie fluviale. L’enseigne parisienne constate à cette époque que l’approvi-
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sionnement des magasins en centreville pose de plus en plus problèmes : des temps de livraison aléatoires en raison des embouteillages, une flambée des coûts et, accessoirement, un bilan carbone loin d'être satisfaisant. Or, le volume de marchandises acheminé en Ile-de-France ne cesse de croître, et rien ne laisse prévoir une inversion de tendance dans le domaine… Il faut trouver des solutions. Une idée émerge : Pourquoi ne pas suivre la piste de la Seine ? « Nous avons été invités à une réunion où siégeaient les différents acteurs publics et privés concernés : le groupe Casino, le port de Paris, l’Ademe, la région Ile-de-France et les Voies Navigables de France (VNF), se souvient Jean-Yves Marie-Rose, chargé du secteur transport et mobilité à l’Ademe Ile-de-France. Une étude portant sur les avantages envisageables du transport fluvial, à laquelle participait l'Ademe, a démontré la pertinence d’un tel choix ». Courant 2012 le projet devient réalité. Les marchandises sont acheminées par containers sur une barge affrétée par Franprix depuis le
Roue libre
port de Bonneuil-sur-Marne (Val-deMarne) jusqu’au pied de la tour Eiffel, au port parisien de La Bourdonnais, vingt kilomètres plus loin. Labellisés Norme Euro 5, les camions peu polluants de Norbert Dentressangle, partenaire de l’opération, approvisionnent ensuite une centaine de magasins dans neuf arrondissements parisiens. « Certes, cette initiative ne concerne que le transport aval, atteste Jean-Yves Marie-Rose, mais si un groupe d’une telle envergure adopte cette stratégie dans la gestion de sa chaine logistique, cela incitera d’autres entreprises à considérer les vertus du transport fluvial ». LA FRANCE, ATOUT FLEUVES Selon Philip Maugé, directeur développement de VNF, « la France a des atouts pour reconsidérer le transport fluvial : c’est le pays d’Europe qui dispose du plus grand nombre de voies navigables (8500 kilomètres), devant l’Allemagne (7500 km) et les Pays-Bas (6000 km). Outre cet avantage naturel, le transport fluvial présente bien d’autres attraits : il
est écologique, économique (voir encadré) et c’est un mode de transport très fiable en termes de délais ». Les progrès administratifs et techniques réalisés depuis quelques années, tels que la possibilité d’embarquer des containers directement depuis les cargos ou le dédouanement sur les péniches, rationnalisent les temps d’acheminement et plaident en faveur du transport fluvial. Mais pour qu’il se développe vraiment, « il faut une vraie concertation entre les collectivités territoriales, les transporteurs et les professionnels de la logistique. Pour être réellement compétitif le transport fluvial doit acheminer ou retirer les marchandises au plus près des centres-villes », souligne François Bouriot, membre du Comité des Armateurs Fluviaux.
de mettre en place un dispositif exemplaire. Dans un sens, une barge chargée de papiers à recycler provenant des centres de tri du Sytcom1 de l’agglomération parisienne navigue vers la papeterie d’UPM Chapelle Darblay à Rouen, qui fabrique du papier 100% recyclé. Toujours sur barge, les bobines de papier neuf transitent en sens inverse vers Paris, prêtes à être utilisées par les imprimeries franciliennes. Ce système a supprimé 4 500 poids lourds par an depuis 2008 entre Paris et Rouen.
Ce système a supprimé 4 500 poids lourds par an
C’est ce type de collaboration qui a permis à la papeterie UPM à Rouen
TOUTES LES VOIES… L’évacuation de matériaux à recycler se prête parfaitement au transport fluvial, en particulier les déchets de chantiers, qui avec 30 millions de tonnes par an pèsent plus lourd encore dans la balance que les ordures ménagères (26 millions de tonnes). l’Ademe a donc
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Pour re-faire société : un revenu de base PAR MARC DE BASQuIAT, DESSIN LE CIL VERT
Depuis des années, l’état providence distribue sous diverses formes des « aides » qui ont pour objectif de gommer les inégalités. Le résultat est mitigé. Et si chacun percevait un revenu de base sans condition ?
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Idée remuante
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osez la question à l’homme de la rue : « Est-il normal que dans un pays comme la France, des gens soient obligés de mendier pour survivre, ou n’aient pas de toit ? ». Les réponses sont sans équivoque, signifiant une incompréhension massive devant cette détresse humaine, particulièrement choquante dans une société capable de produire tant de richesses. L’éradication de la misère est un souci largement partagé. Etudions comment atteindre cet objectif, au prix d’une remise en question de nos conditionnements sociologiques. Dès sa naissance, l’enfant ne doit sa survie qu’aux soins que lui apportent ses parents. Une fois adulte, la situation est-elle si différente ? Combien d’entre nous vivent réellement « de leur travail » ? La vie en autarcie est le fait de quelques individus, subvenant à leurs besoins élémentaires grâce au soin qu’ils apportent à un jardin ou à un petit élevage. Mais cette forme de production pour emploi final propre est négligeable pour la comptabilité nationale. En règle générale, l’adulte comme le bébé consomment ce qui est produit par d’autres. Et pour l’adulte, l’accès à
ces produits nécessite un revenu. Cela s’apparente à une banalité, mais en réalité c’est fondamental : c’est bien la perception d’un revenu qui permet la survie, pas l’exercice d’un travail. A l’inverse, tout travail est-il rémunérateur ? Non, nous rappelle l’INSEE qui évalue à 38 milliards le nombre d’heures de travail rémunérées en France pour l’année 2010, chiffre nettement inférieur à la fourchette des 42 à 77 milliards d’heures de travail domestique. Allons plus loin : tout revenu estil la contrepartie d’un travail ? Pas davantage. Les revenus de remplacement (retraite, chômage), les prestations sociales et familiales, les revenus fonciers et financiers constituent environ 40% des revenus disponibles des ménages. Le lien entre revenu et travail est donc très distendu.
ductif. tout revenu non produit par la sueur est suspect. Un RSA modique versé à une personne en difficulté suscite parfois des interrogations quant à la réalité des « efforts » qu’elle manifeste pour s’insérer. A l’inverse, les revenus extravagants de certains artistes et sportifs paraissent légitimes, du fait qu’ils ont souvent travaillé dur pour les « mériter ». Disons-le tout net : quelle que soit la richesse de notre pays, nous ne mettrons pas fin à la misère tant que nous n’aurons pas opéré une dissociation mentale entre les processus de production (où le libéralisme économique excelle à optimiser la productivité du facteur travail) et les processus de distribution du revenu (où la dynamique du marché mène naturellement à l’accumulation chez certains et au manque chez d’autres). Une première étape dans cette thérapie consiste à inverser la proposition « je travaille pour gagner un revenu ». Il serait plus exact de dire que « je travaille parce que je perçois un revenu », car s’il
« je travaille parce que je perçois un revenu »
PENSONS AuTREMENT Pourtant, l’imaginaire collectif nous porte à considérer le revenu comme la « juste » contrepartie d’un effort pro-
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PAR YVAN SAINT-JOURS
© B. Saint-Jours
Libérez la roue !
le sourire d'Yvan
J
’adore la rubrique Roue libre de Kaizen ! Vous savez, cette rubrique qui depuis un an nous a emmenés découvrir d’autres façons d’appréhender les transports doux : le dernier kilomètre, les slow-vélo vacances, la remorque pour personnes en fauteuil tractée par un âne, le bus gratuit, ou encore les cadres à vélo. Dans le précédent numéro cette chouette rubrique avait disparu. Dans le présent numéro, elle est consacrée au transport fluvial (page 56). C’est sympa, mais je vois pas bien où est la roue dans tout ça ?! Roue libre, on avait dit ! « Un système mécanique peut fonctionner en roue libre s’il est capable d’interrompre momentanément l’entraînement en rotation d’un organe entraîné qui peut néanmoins continuer de tourner librement », nous explique Wikipédia - l’encyclopédie libre dont le logo est une sphère, autrement dit une roue en 3D (j’étais très fort en géométrie spatiale au collège). Roue libre, c’est l’association du mot roue et de l’adjectif libre. La roue, la plus belle invention de l’humain (avec le matelas en latex naturel issu de petites plantations familiales d’hévéas) qui a changé la face du monde il y a plus de 5000 ans en Mésopotamie. Libre quant à lui est l’un de nos plus beaux adjec-
tifs. Indépendant, autonome, disponible, gratuit (ça ce sont des synonymes), voilà ce qu’évoque l’adjectif libre. L’Assemblée révolutionnaire de 1790 l’avait d’ailleurs mis en pole position de notre devise républicaine : Liberté, égalité, fraternité ! Et aujourd’hui je proclame : « Roue libre, roue égale, roue fraternelle ! ». Oui la rubrique Roue libre doit revenir dans Kaizen sous sa forme initiale, et si comme moi vous êtes indignés par sa disparition, n’hésitez pas à créer une pétition en ligne sur Avaaz.org, formidable mouvement mondial qui compte déjà plus de 20 millions de membres. Ou plus simplement, vous pouvez aussi écrire à la rédaction qui transmettra. Pour compenser l’absence de cette indispensable rubrique je vais donc profiter de cette page que m’octroie avec largesse Pascal, rédacteur en chef de Kaizen, originaire de Rouen (tiens d’ailleurs dans Rouen il y a roue…) pour vous parler du train.
sière » écrivait Victor Hugo dans Les Misérables Péniches (œuvre méconnue du grand public). Il parlait ici de ce train qui évoluait jadis avec lenteur dans nos belles campagnes avant que ne s’abatte le fléau du TGV qui, avec ses 320 km/h de moyenne, nous projette une France en accéléré derrière des fenêtres étriquées. Certes il est grisant de pouvoir rejoindre Marseille depuis Paris en 3 heures, on peut désormais envisager de passer un week-end éclair au soleil. Mais quel est le sens de cette vie à toute allure ? Encore heureux que certains pays résistent aux sirènes de ces trains à grande vitesse, comme les Etats-Unis d’Amérique. Eux qui ont pourtant tous les trucs les plus gros et les plus rapides du monde : voitures, avions, sous-marins, moissonneuses-batteuses, dronestueurs, rollersblade… Aussi incroyable que cela puisse paraître leurs trains ne roulent qu’à 127 km/h en moyenne. Ils ont choisi la décroissance du train. Aux Etats-Unis, quand on veut traverser le pays, on se la joue pépère, on met 76 heures pour faire New-York San-Francisco ! « Yes We Can Roll Slowly » disait Barack Obama lors d’une conférence sur le train méconnue du grand public. Pourquoi aller vite quand on peut aller lentement ? Une fois n’est pas coutume, inspirons-nous donc de nos cousins d’Amérique pour retrouver la douceur de vivre d’un moyen de transport qui est la quintessence de la roue libre. ◗
J’adore le train. Le train c’est comme une péniche mais avec des roues (je dois toutefois avouer que le train flotte moins bien). Au lieu de suivre les voies d’eau, le train suit des rails, « Et au lointain, wagons, ô fiers chevaux de fer, vos roues libres dansaient dans la pâle pousKAIZEN | MARS — AVRIL 2013
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Le pissenlit Texte et photo Linda Louis
Son nom, propice à un jeu de mots amusant, nous renvoie à l’une de ses vertus thérapeutiques : diurétique, le pissenlit permet de faire une vraie cure détox de printemps, tout en nous régalant ! Au début du printemps dans la campagne, la nature offre l’un des plus beaux spectacles qu’il nous soit donné de contempler : celui des vertes prairies constellées de milliers de fleurs de pissenlit. Au-delà de cette connotation féérique, la plante comporte bien des avantages. Facile à reconnaître, abondante, présente sur une grande période de l’année (de mars à novembre), sur tout notre territoire, elle fait partie des sauvageonnes les plus réputées. Ses multiples noms vernaculaires nous aiguillent sur ses caractéristiques botaniques. Dent-de-lion (ou liondent) fait allusion à ses feuilles profondément divisées et dentées ; couronne de moine évoque la petite tête blanche et « rasée » qui reste une fois les graines envolées ; chandelle renvoie justement à la boule plumeuse sur laquelle on souffle, comme une bougie. 74
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Il est également intéressant de se pencher sur le nom latin du pissenlit, taraxacum, venant du grec « tarachê » (trouble) et « akôs » (remède). On peut ainsi le traduire littéralement par « remède au(x) trouble(s) ». Comme l’ortie, le pissenlit est une plante qui agit sur une multitude de maux et joue un rôle de régulateur pour notre organisme. Depuis des lustres, on consomme ses jeunes feuilles en salade, avec des croûtons et une vinaigrette bien relevée, ou cuites comme des épinards. Avec ses fleurs jaune d’or, on réalise une délicieuse confiture, la cramaillotte, dont la texture et la couleur rappellent celles du miel d’acacia. Elles décorent également les pâtisseries et donnent aux biscuits un délicieux goût de pollen (à déconseiller aux personnes allergiques au pollen de pissenlit). Ses boutons floraux, situés à la base de la rosette de feuilles, forment des petites « câpres » tendres et aromatiques que l’on prépare avec du vinaigre et du sel. Enfin, ses racines, récoltées à l’automne, sont surtout utilisées à des fins thérapeutiques, sous forme de décoction. Et l’amertume ? Comment l’apprivoiser ? Il suffit de cueillir spécifiquement les jeunes feuilles, avant que le bouton floral n’ait éclos (principe valable pour toutes les plantes), et de les accompagner de sauce à base de vinaigre balsamique ou de les faire cuire avec un soupçon de sucre. De toute façon, l’amertume est aussi un goût à découvrir et à apprécier… comme nous l’apprennent les Japonais qui raffolent de la racine de pissenlit à la sauce soja !
sauvage & délicieux ? Reconnaître, récolter et cuisiner les cadeaux de la nature
IDENTIFICATION DE TARAXACUM
(sect. Ruderalia) (Astéracées) • Plante herbacée, de 5 à 40 cm de haut, vivant en colonie dans les prairies ou les bords de chemins. • Feuilles disposées en rosettes basales, lisses, vert franc, longues et profondément divisées, formant des segments triangulaires lancéolés. • Tige longue, lisse, creuse, exsudant du latex à la coupe et portant une fleur unique. • Fleurs réunies en un capitule plus ou moins gros, chargé de pollen, jaune d’or. • Graines en forme d’aigrettes, qui se dispersent facilement au gré du vent. • Récolte des feuilles avant la floraison pour limiter l’amertume, puis des boutons floraux, des fleurs une fois épanouies (de mars à octobre) et des racines en automne. Attention ! Il est déconseillé de cueillir les pissenlits dans les prés occupés par des moutons. Certains d’entre eux peuvent être porteurs de parasites redoutables tels que la douve du foie. Malgré un lavage abondant, les feuilles peuvent être encore contaminées.
Vertus et usages thérapeutiques Riche en vitamines A, B1, B2, C, en fer et en manganèse, le pissenlit est un légume sauvage dynamisant. Il joue surtout un rôle d’agent nettoyant dans tout notre organisme. Il est apéritif (stimule l’appétit), diurétique (fait éliminer les excédents d’eau dans l’organisme), dépuratif (débarrasse des toxines), hypoglycémiant (fait baisser la glycémie chez les diabétiques), cholagogue (stimule le foie) et cholérétique (stimule la bile). Autrefois, les médecins de campagne prescrivaient du pissenlit contre la jaunisse. • Baisse de tonus, digestion lente ou difficile : cure régulière de feuilles de pissenlit sous forme de salade (crue de préférence). Aucun risque de toxicité ou d’allergie, on peut donc en consommer très souvent. • Manque d’appétit, anorexie : décoction de racines, en cure de 3 semaines, 1 tasse de 150 ml, 15 minutes avant chaque repas. • Cellulite, œdème : salade ou décoction de racines, en cure de 3 semaines, 1 bonne poignée de feuilles ou 2 tasses par jour. • Acné, dermatoses liées à une allergie alimentaire : même traitement que ci-dessus, jusqu’à disparition des symptômes.
• Crise de foie, douleurs biliaires : même traitement que ci-dessus, jusqu’à disparition des symptômes. Décoction de racines de pissenlit Faites bouillir 30 g de racines fraîches et hachées dans un litre d’eau pendant 2 minutes, couvrez et laissez infuser pendant 10 minutes. Filtrez et conservez au réfrigérateur (3 jours maximum).
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