Hors-série Kaizen Pierre Rabhi

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il était une fois…

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KAIZEN « Changer le monde pas à pas » Éditeur SARL EKO LIBRIS au capital de 10 000 €. 95, rue du faubourg Saint-Antoine 75011 Paris

Maquette et mise en page Agence Saluces, Avignon

www.kaizen-magazine.com SIREN : 539 732 990 Il était une fois Pierre Rabhi est un hors-série du magazine Kaizen janvier 2013 Imprimé sur papier recyclé

APE : 5814Z Commission paritaire : 0317 k 92284 Numéro ISSN : 2258-4676 Dépôt légal à parution

blanchi sans chlore Directeur de la publication et rédacteur en chef pour l'occasion Yvan Saint-Jours

Impression Via Schuller-Graphic Corlet Roto (imprim’Vert) ZA Les Vallées

Relecteurs attentifs

53300 Ambrières-les-Vallées

Cyril Dion et Pascal Greboval Distribution dans les magasins spécialisés Retranscription d'interviews

AlterreNat Presse

et d'entretiens

Sandrine Novarino

Lucile Vannier

Tél. 05 63 94 15 50

Secrétaire de rédaction Marie Laigle Contact contact@kaizen-magazine.fr Abonnements abonnement@kaizen-magazine.fr

Distribution presse Presstalis Distribution librairie www.pollen-diffusion.com Aucun texte ni aucune illustration ne peut être reproduit sans autorisation.

Comptabilité et administration

Un grand merci à Pierre et Michèle Rabhi pour leur

administration@kaizen-magazine.fr

accueil chaleureux et leur disponibilité, à Françoise pour son incroyable carnet d'adresse, à Caroline qui, depuis

Rédaction

son bureau de Montchamp, a répondu à (presque)

redaction@kaizen-magazine.fr

toutes les questions en un temps record, à Laurent pour sa bio et à Danaé pour ses encouragements. Et

Photos de couvertures ©Patrick Lazic

une pensée douce pour Annick qui aurait tant aimé lire ce hors-série avant de nous quitter.


AVANT-PROPOS PAR YVAN SAINT-JOURS

Il était une fois Pierre Rabhi. C'est l'histoire peu commune d'un petit garçon, naufragé sans mère, l'histoire d'une adoption, véritable déchirure de culture qui va l'amener à appréhender la vie avec un double regard et à prendre le recul nécessaire à toutes choses. C'est l'histoire d'une fracture religieuse : né musulman, éduqué dans une école coranique, il décide, adolescent, de suivre la voie du Christ, engendrant un rejet de sa famille de sang. Mais c'est adulte, dans l'abandon de la recherche d'un maître à penser, qu'il trouve sa voie, guidé par les écrits des grands philosophes et surtout ceux de Krishnamurti. C'est l'histoire d'un déracinement : des sables du désert, il a tenté de se transplanter sur le sol d'Oran – alors en proie aux « événements » qui secouent l'Algérie –, puis sur le sol de Paris dans l'effervescence des Trente Glorieuses. Indigné des conditions humaines qui font cette société, ce jeune homme toujours tiré à quatre épingles choisit de s'enraciner dans le sol aride et rocailleux d'un coin d'Ardèche avec Michèle, qui devient la compagne de tous les jours. C'est au contact de la nature, dans tout ce qu'elle a de sacré, qu'il va puiser et forger sa pensée. Au contact de la terre, il va saisir les subtilités de cet élément vivant, qui, avec l'eau, permet à la vie d'exister. Être sur Terre, cet endroit singulier qu'il aborde avec respect, est un miracle pour lui qui comprend comment un grain de blé va germer, mais ne sait pas expliquer pourquoi. Et il s'émerveille de l'abondance que ce seul grain peut procurer lorsqu'il se transforme en cinq épis de quarante grains. D'un sol de cailloux, il fait une terre fertile, et comme les mots « humus » et « humain » ont la même racine, il ne les dissocie jamais. Avec une âme fertile et nourrie naît le véritable humain, et avec lui une nouvelle société. Paysan sans frontière, devenu expert de l'Onu. Faiseur de causeries dans sa ferme devenu conférencier d'amphithéâtre. Jeune agriculteur devenu portedrapeau de l'agroécologie. Enfant du désert devenu philosophe… Nourri intérieurement par l'incroyable beauté et la magie de tout ce qui vit sur terre, il est comme le grain de blé, rempli d'abondance. C'est cette histoire que nous avons décidé de vous raconter ici. Celle de l'abondance d'un être fertile, et, comme toutes les histoires, elle commence naturellement par « il était une fois »…

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Il était une fois Pierre Rabhi…

Éditorial Sommaire Biographie de Pierre Rabhi L’agroécologie Questions de sémantique

p.5 p.6 p.8 p.10 p.12

Du sable du Sahara au désert rural des Cévennes Les racines algériennes La vie ardéchoise Rencontre avec Michèle Rabhi Deux auteurs marquants : Pfeiffer et Osborn Portfolio : l’Ardèche au fil des saisons

p.16 p.18 p.20 p.22 p.24

La solution agroécologique et les premiers écrits Burkina, le retour africain Du Sahara aux Cévennes et L’Offrande au crépuscule Le monastère de Solan Discussion avec Matthieu Ricard Krishnamurti Rencontre avec Marguerite Kardos Rencontre avec Alain Chevillat Oasis en Tous Lieux À l’école de l’agroécologie : Terre & Humanisme Témoignage Jérôme Henry Témoignage Fabrice Nicolino

p.34 p.39 p.40 p.50 p.54 p.56 p.57 p.58 p.62 p.70 p.71

Actions politiques et politique de l’action Mapic Le centre des Amanins Témoignage de Tristan Lecomte Témoignage de Charles-Henry Gruyer Le Hameau des Buis et la Ferme des Enfants Entretien avec Nicolas Hulot Rencontre avec Françoise Nyssen Rencontre avec Constance de Polignac La légende du colibri en BD Le changement ? C’est maintenu ! Le mouvement Colibris Rencontre avec Zaz Pierre Rabhi aujourd’hui et demain… Entretien avec Edgar Morin La contemplation en BD Bibliographie de Pierre Rabhi La sobriété en BD Bibliographie des ouvrages cités

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p.74 p.78 p.90 p.91 p.92 p.100 p.106 p.107 p.108 p.109 p.117 p.118 p.122 p.124 p.125 p. 126 p. 127


1938 : naissance à Kenadsa en Algérie, aux portes du Sahara. 1942 : orphelin de mère, Pierre Rabhi est confié par son père à un couple de Français pour être éduqué, sans rompre avec son milieu traditionnel. Il ira à l’école coranique et à l’école française. Ses études restent élémentaires, couronnées par un simple certificat d’études. 1952 : sa famille d’adoption déménage à Oran, située à 750 km de Kenadsa. Les liens avec la famille naturelle s’estompent. Pierre Rabhi se convertit au christianisme 4 ans plus tard, ce qui l’exclut de sa communauté musulmane. 1958 : en pleine guerre d’Algérie, suite à une dissension avec son père adoptif, Pierre Rabhi est renvoyé de chez lui. Il s’installe provisoirement dans un petit appartement à Oran, il est alors employé de banque. 1959 : départ pour la France, arrivée à Paris. Pierre Rabhi trouve un emploi d’ouvrier spécialisé dans une entreprise de fabrication de machines agricoles de la région parisienne. Il découvre le quotidien d’une société tout entière au cœur des Trente Glorieuses. Sa lecture des philosophes l’amène à entamer une réflexion de fond sur la condition humaine dans ce contexte, condition humaine qu’il vit personnellement comme une aliénation. 1960 : rencontre avec Michèle qui deviendra son épouse. Ils décident ensemble de quitter la ville pour la campagne. Sur les conseils d’un ami dominicain, Pierre Rabhi écrit plusieurs lettres à l’attention de personnes vivant à la campagne, susceptibles de pouvoir les accueillir et les aider dans leur phase de transition.

Biographie de Pierre Rabhi

1961 : Ils reçoivent une réponse favorable d’un médecin de campagne en Ardèche. Ils décident de s’installer provisoirement à proximité du docteur. Après un mariage civil à Paris, le couple se marie dans la petite église romane de Thines près des Vans. Pierre Rabhi s’inscrit dans une maison familiale rurale pour y apprendre les bases de l’agriculture, et obtient son brevet d’apprentissage agricole. Enceinte de son premier enfant, Michèle reste en ville provisoirement. 1962 : naissance de Cécile, l’aînée des cinq enfants qui viendront. Michèle s’installe alors définitivement en Ardèche. Tout en travaillant comme ouvrier agricole, Pierre Rabhi recherche activement une ferme à vendre.

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© Patrick Lazic

1963 : naissance de Vianney. En ces temps d’exode rural, les fermes disponibles sont


nombreuses. Le couple découvre la ferme de Montchamp, proche de la commune de Lablachère. Le lieu est dépourvu d’électricité et d’eau courante, la maison est à restaurer entièrement et la terre est pauvre. Les banquiers refusent d’avancer des fonds pour ce qu’ils prévoient être un échec. Ce n’est que grâce à l’appui du président de la maison familiale rurale dans laquelle Pierre Rabhi a fait son apprentissage qu’ils peuvent obtenir le crédit nécessaire pour l’achat de la ferme.

1971

: naissance de David. L’adduction d’eau arrive enfin. Un troupeau de chèvres est constitué et fait suite aux aménagements effectués depuis l’installation (plantation de vergers, amorce de la restauration du bâtiment, micro-jardinage à l’échelle des maigres ressources en eau). Le troupeau constituera, quelques années plus tard, la base de l’économie familiale, complété par diverses activités artisanales. Montchamp accueille de nombreux stagiaires consécutivement aux évènements de Mai 68.

1972 : naissance de Sophie. 1973 : les stagiaires de tous âges et catégories sociales qui se succèdent à la ferme sollicitent Pierre Rabhi afin d’organiser des petites sessions d’initiation.

1975 : naissance de Gabriel. Les conditions

de vie à la ferme s’améliorent avec l’installation de l’électricité. Pierre Rabhi commence à faire parler de lui au plan local, notamment avec ses causeries, qui suscitent de plus en plus d’intérêt, et les résultats obtenus avec Michèle au sein de la ferme familiale.

1980

: le directeur du Centre de relations internationales entre agriculteurs pour le développement (CRIAD) l’invite à présenter son travail. Il intègre alors cette organisation dédiée à l’entraide et la solidarité entre les paysans du monde entier.

1981 : départ pour le Burkina Faso avec des

agriculteurs du CRIAD en qualité de « paysan sans frontière » afin de rencontrer les jeunes agriculteurs locaux. Il visite les institutions paysannes (coopératives, villages…), et est amené à parler aux cadres de l’administration des centres de formation et aux communautés paysannes.

1982 : Pierre Rabhi est désigné comme for-

mateur au sein de six établissements chargés de former les jeunes agriculteurs au Burkina Faso.

1983

: rédaction de son premier livre Du Sahara aux Cévennes, récit autobiographique qui reçoit le Cabri d’or (prix cévenol de

littérature). Les hivers qui se succèderont le ramèneront au Burkina Faso pour dispenser ses formations et poursuivre les programmes auprès des paysans.

1984 : rencontre avec Maurice Freund, créateur d’une compagnie aérienne atypique desservant des pays africains enclavés sous une forme associative et coopérative. C’est ainsi que naît, à partir d’un projet de campement hôtelier, un centre de formation à l’agroécologie situé à Gorom-Gorom au nord du Burkina Faso. Devant le succès de l’opération, le président Thomas Sankara proposera de faire de l’agroécologie une option nationale, mais son assassinat peu de temps après mettra fin à ce programme. 1988 : avec le conseil général de l’Hérault et l’appui d’Edgar Pisani, ancien ministre de l’Agriculture, Pierre Rabhi et Patrice Burger (rencontré à Gorom-Gorom) créent le Carrefour international d’échanges de pratiques appliquées au développement (CIEPAD). Cette structure valorise les ressources locales, forme des agriculteurs et met en œuvre des programmes internationaux pour développer l’agroécologie. Le CIEPAD sera dissous en 1998, mais une partie de son activité continue au sein du CARI sur le même lieu. 1989 : publication de L’Offrande au crépuscule, qui relate l’expérience au Burkina Faso, livre primé par le ministère de l’Agriculture dans la catégorie Sciences sociales. 1993 : suite aux accords d’Oslo, Pierre Rabhi intervient dans le village palestinien de Falamieh afin d’y lancer un programme de développement de l’agroécologie. Ce travail continue de se développer de nos jours à travers l’ensemble du territoire palestinien. 1994 : création de l’association Les Amis de Pierre Rabhi (qui devient Terre & Humanisme en 1999), chargée de développer les pratiques agroécologiques. Elle est aujourd’hui très active au plan local comme au plan international. Cette année marque le début d’une collaboration avec la Tunisie par la participation à un symposium sur les Oasis en tant que patrimoine mondial (organisé par l’Unesco). De cet évènement naîtra un développement des pratiques agroécologiques dans le pays, et notamment dans l’oasis de Chenini Gabès dans le cadre d’un programme de réhabilitation sous l’égide de l’Unesco.

1997 : l’Onu reconnaît Pierre Rabhi en tant qu’expert en sécurité et salubrité alimentaires et lui demande d’élaborer une convention de lutte contre la désertification. Il est alors chargé de formuler des propositions concrètes pour son application. 2001 : rencontre avec Michel Valentin, industriel et homme d’affaires atypique. Le dialogue aboutit à une collaboration qui donnera naissance au centre des Amanins (Drôme), lieu agricole dédié à l’accueil du public, qui s’élargira à la création d’une école. 2002 : Pierre Rabhi est sollicité par ses amis pour présenter sa candidature aux élections présidentielles. C’est pour lui une opportunité de proposer sa vision au plan national. Il donnera une quarantaine de conférences qui imprimeront une réflexion globale sur des thématiques telles que la décroissance, la production et la consommation locale, le respect de la vie sous toutes ses formes, la place du féminin au cœur du changement, et le fait de « remettre les pieds sur terre ». 2003 : création du Mouvement « appel pour une insurrection des consciences » (Mapic) à la suite de la campagne électorale. 2005 : création de l’association Terre & Humanisme Maroc dont l’objectif est d’améliorer les conditions de vie de l’être humain dans son environnement naturel. Cette association développe actuellement, outre des actions de terrain, un centre de formation à l’agroécologie près de Marrakech. 2008 : lancement du Mouvement pour la Terre et l’Humanisme, initialement chargé de communiquer largement sur les valeurs exprimées par Pierre Rabhi et de mettre en place un véritable changement social et humain. L’association deviendra deux années plus tard l’ONG Colibris, en référence à la légende du colibri citée par Pierre Rabhi lors de ses conférences. 2010 : création de la Fondation Pierre Rabhi pour la sécurité, la salubrité et l’autonomie alimentaires des populations sous l’égide de la Fondation de France. 2012 : étude en cours pour la création du Fonds Pierre Rabhi, fonds de dotation destiné à financer des projets concrets initiés par Pierre Rabhi en remplacement de la fondation.

1995-96 : publication du Recours à la terre

et de Paroles de terre. Création en 1996 du concept des Oasis en Tous Lieux et rédaction du manifeste éponyme. Pierre Rabhi est de plus en plus sollicité pour donner des conférences, son implication publique s’intensifie.

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Texte de YVAN SAINT-JOURS

Agroécologie Depuis quelque temps, le terme « agroécologie » est passé de l’ombre à la lumière, alors qu’il L’agroécologique sort de l’ombre

était encore inconnu du grand public il y a encore

L’agroécologie semble être quelques mois. Porté par Pierre Rabhi depuis plus sortie de la sphère intime, où elle était confinée jusqu’à de 30 ans, ce mot est devenu presque indissociable présent, en l’espace de deux ans seulement. C’est ­Olivier de son travail. Un éclaircissement en guise de préDe ­Schutter, rapporteur spécial sur le droit de l’ali- ambule s’impose. mentation à l’Onu, qui ouvre le bal au printemps 2011 : son rapport présente l’agroécologie comme la tional de paysans, La Via Campesina. Mais de quoi solution aux problèmes de faim dans le monde. parle-t-on exactement ? Qu’est ce que c’est que Et plus encore : « S’appuyant sur un examen ap- cette fameuse agroécologie ? profondi des publications scientifiques qui ont vu le jour au cours des cinq dernières années, le rapport Un mot, des définitions présente l’agroécologie comme un mode de développe- Les premières traces du terme « agroécologie » ment agricole qui n’entretient pas seulement des liens remontent à la fin des années 20. Ce néologisme est conceptuels solides avec le droit à l’alimentation, tout simplement la contraction des mots « agriculmais qui a aussi produit des résultats avérés, permet- ture » et « écologie », ce dernier étant à prendre tant d’accomplir des progrès rapides dans la concré- au sens scientifique et non politique. On pourrait tisation de ce droit fondamental pour de nombreux résumer cela comme étant une forme d’agriculture groupes vulnérables, dans différents pays et environ- qui prend en compte toutes les données environnements. L’agroécologie offre, en outre, des avan- nementales du lieu où elle se pratique. tages qui peuvent compléter ceux qui découlent de L’agroécologie, telle qu’elle est développée dans méthodes conventionnelles mieux connues, comme la beaucoup de centres de recherches en agronomie, culture de variétés à haut rendements. De plus, elle est avant tout un panel d’outils pour produire locacontribue de manière importante au développement lement de la nourriture et résoudre la question de la faim dans le monde. C’est une discipline enseiéconomique dans son ensemble. » À l’automne 2011, l’agroécologie est l’héroïne du gnée à l’université de Berckley (États-Unis) par le nouveau documentaire de Marie-Monique Robin, professeur Miguel Altieri, qui en donne cette défiLes Moissons du futur. Puis, on la retrouve dans la nition : « L’agroécologie est l’antithèse de l’agriculbouche du nouveau ministre de l’Agriculture, pré- ture industrielle, parce qu’elle n’est pas basée sur des sentée comme une solution à tous nos problèmes. intrants, mais sur des processus. Elle s’appuie sur une Et, pour finir, la première rencontre mondiale sur série de principes comme l’accroissement de la biol’agroécologie s’est tenue en novembre 2012 en diversité, le recyclage, l’augmentation des matières Thaïlande, organisée par le mouvement interna- organiques du sol, l’intégration des animaux, etc. »

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L’agroécologie selon Pierre Rabhi

Pratiques agricoles vertueuses globales pour certains, associant savoir-faire ancestraux et recherches de pointe, avec vocation de développement économique, ou encore de parité pour d’autres, l’agroécologie revêt plusieurs visages. Il est vain de vouloir la cantonner à une seule approche, toutefois il est nécessaire d’en comprendre l’essence pour pouvoir appréhender l’ouvrage de Pierre Rabhi. Lorsqu’il entame sa découverte d’une agriculture différente, ce dernier puise sa matière dans la biodynamie, agriculture respectueuse du vivant inspirée par Rudolf Steiner. Dans son premier ouvrage publié en 1983, Du Sahara aux Cévennes, Pierre Rabhi ne parle pas encore d’agroécologie. Il cite l’agrobiologie ou la biodynamie, voire ses « dix-sept années de pratique de l’agriculture organique vivrière ». Il découvre le terme lors de son premier voyage au Burkina Faso et au Sahel, ravagé par la sécheresse de 1970. La théorie de l’agroécologie ressemble en tout point à ce qu’il a mis en place durant près de 20 ans sur la ferme familiale en Ardèche. Il décide de l’explorer, d’en amplifier la résonance par la pratique, et de la faire connaître et reconnaître. Aujourd’hui, difficile d’employer le terme agroécologie sans y associer le nom de Pierre Rabhi en France. Son approche globale est unique : « L’agro-

écologie est pour nous bien plus qu’une simple alternative agronomique. Elle est liée à une dimension profonde du respect de la vie et replace l’être humain dans sa responsabilité à l’égard du vivant », écritil. Bien sûr, son histoire personnelle de déchirure entre deux cultures, son approche philosophique de la vie et son expérience de terrain sont intimement liées à cette vision. Voici ainsi la définition la plus complète de l’agroécologie selon Terre & Humanisme, association initiée par Pierre Rabhi : « Il s’agit de bien plus qu’un ensemble de techniques agricoles simples, économes, respectueuses de la biodiversité, accessibles à tous et ayant fait les preuves de leur efficacité dans les conditions les plus difficiles. Sous-tendue par une pensée humaniste, faite de respect, d’équité, de solidarité et de coopération, l’agroécologie conduit à l’autonomie, privilégie l’économie de proximité et n’oublie pas pour autant de laisser une place à la beauté, à la poésie. Elle est une alternative globale pour chaque individu et pour la collectivité, basée sur le respect du vivant (…). En ces temps où nous assistons à un mouvement d’éveil des consciences, l’agroécologie est porteuse d’un véritable changement de société. » C’est de cette agroécologie-là dont il est question tout au long de ce hors-série.

© Patrick Lazic

Pour autant, d’autres, comme le mouvement La Via Campesina, voient dans l’agroécologie plus qu’une simple méthode agricole globale, mais un véritable levier pour le monde paysan pour se sortir de la pauvreté et recouvrer sa souveraineté alimentaire. Voici la définition qu’en a donnée La Via Campesina dans sa Déclaration de Surin (première rencontre mondiale de l’agroécologie) : « Pour nous, la véritable agriculture paysanne durable est basée sur le retour aux méthodes d’agriculture paysanne traditionnelles, sur le développement de nouvelles pratiques écologiques, sur le contrôle et la préservation des terres et des semences, ainsi que sur l’égalité sociale et entre les sexes (…). Il est évident, pour nous, que des terres détenues selon des principes féodaux ne peuvent pas être considérées comme agroécologiques, même si elles sont exploitées sans aucun agent chimique. Une ferme contrôlée par des hommes, sans que les femmes aient un pouvoir de décision, ou dans laquelle les femmes ont une charge de travail plus importante, n’est pas non plus agroécologique. »

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Du sable du Sahara au désert rural des Cévennes

© Abdelkhalek Labbize - www.labbize.net

Minaret de la Zaouïa (Kenadsa, 1998)


« Je suis né près de Bechar, dans une petite oasis du Sud algérien appelée Kenadsa. Une oasis qui a la particularité d’avoir été fondée au xviie siècle par Sidi M'Hammed Ben Bouziane El Khandoussi, un maître soufi qui prônait la non-violence comme vertu fondamentale de l’existence. La confrérie de Ziania en est née, qui, par le charisme du maître, s’est spécialisée dans l’accompagnement des caravanes, pour les protéger des brigands et rançonneurs. Je n’ai appris cela qu’à l’âge adulte, mais quelque chose m’avait comme imprégné. Peut-être l’ambiance de notre cité traditionnelle, organisée autour du mausolée séculaire méditatif comme gardien d’une belle conscience… » Extrait de Graines de possibles


1938 Les racines algériennes 1938-1959

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© Luc Dessault

« Mon père était forgeron, musicien et poète. Ma mère, elle, est morte alors que j’avais quatre ans. À l’époque, mon père a fait la connaissance d’un couple de Français, un ingénieur et une institutrice, venu travailler à la compagnie des Houillères, car notre sous-sol colonisé recélait du charbon. C’est avec cette matière obscure que notre système traditionnel a été complètement bouleversé et que la modernité nous est arrivée. Une population gavée de lumière allait brutalement devoir tirer sa survie de ce monde de l’obscurité. Le temps de la montre allait abolir cette sorte d’éternité cadencée par le ciel, les prières et les fêtes. Le temps allait devenir argent. »

1 : Photo d'identité de Pierre Rabhi à l'âge de 4 ans. 2 : La palmeraie. 3 : la mine de charbon de Kenadsa en 1940. 3

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© Luc Dessault

Extrait de Graines de possibles


1959 « Il était vêtu d’un costume gris, belle toile, coupe parfaite, chemise claire, cravate, souliers reluisants. Dans sa main, une paire de gants de cuir brun. L’image que me renvoient les grandes glaces des magasins ne m’étonne plus. Elle me fl atte surtout. Et, dans les rues de la ville, je n’étais pas ordinaire et le savais. » Extrait de Du Sahara aux Cévennes

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© Luc Dessault

© Sofiane Kaada

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© Sofiane Kaada

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© Luc Dessault

4 : Pierre Rabhi à Oran en 1954. 5 : Scène de vie dans une oasis proche de Kenadsa en 1940. 6 : Oran dans les années 1950. 7 : L'oasis de Kenadsa et sa palmeraie aujourd'hui.

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1980

1960

« Je venais de rencontrer Michèle — qui allait devenir ma femme — dans l’entreprise où je travaillais. Pour elle comme pour moi, il n’était pas question de vivre dans cette aliénation. Nous voulions un autre lieu, un autre espace. L’agriculture nous paraissait être l’activité la mieux à même de mettre en cohérence nos idées avec notre mode de vie et de réaliser cette utopie. C’est alors que nous avons rencontré l’admirable docteur Pierre Richard, un médecin qui s’occupait à l’époque de la création du Parc national des Cévennes. C’était un écologiste visionnaire, un des premiers à déplorer la désertifi cation des campagnes et la dégradation de nos espaces naturels. Lui qui militait pour la sauvegarde du pays nous a encouragés dans nos démarches. Et nous avons débarqué en Ardèche. Nous nous y sommes mariés, pour sceller les choses, dans une petite église perchée sur les montagnes du village de Thines. Extrait de Graines de possibles

Michèle, dans sa robe blanche de mariée, est une fl eur douce dans la rudesse du lieu. Pierre et AnneMarie Richard sont les parents que le magicien nous a destinés et leurs enfants, nos frères et soeurs. Extrait de Du Sahara aux Cévennes


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Ce petit être encore fermé sur lui-même, dans son déploiement inachevé de fl eur discrète, me comble surtout d’étonnement. Je sais par ma raison, ma pensée, ma conscience que j’en suis le co-auteur avec Michèle. Et cette jeune mère, encore tout imprégnée d’adolescence, qui occupe le lieu fondamental de moi-même, me dit la tendresse et la joie. Extrait de Du Sahara aux Cévennes

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Š Yvan Saint-Jours

entretien avec pierre rabhi


PROPOS RECUEILLIS par YVAN SAINT-JOURS

Les premiers livres inspirants Arrivé en Ardèche en 1961, Pierre Rabhi y apprend le métier d’agriculteur et découvre l’enseignement d’une agriculture basée sur la chimie de synthèse et autres intrants dits « modernes ». Pratiquant ces techniques, il en constate la nocivité, en premier lieu pour lui-même. Son ami médecin Pierre Richard est lui aussi confronté à des effets très toxiques sur ses patients, en majorité agriculteurs (décès, paralysies, etc.). Ce dernier lui offre alors un ouvrage déterminant : La Fécondité de la terre, de E. Pfeiffer, livre qui s'appuie sur les travaux de l’agriculture biodynamique, dont le fondateur, Rudolf Steiner, est aussi le père de l’anthroposophie (courant de pensée et de spiritualité), qui remit en cause l’agriculture « productiviste » dès 1924.

« Ouvrier agricole au début des années soixante, je prenais conscience que l’agriculture détruisait la terre ; ce constat m’a plongé dans un tel désespoir que j’étais prêt à changer de voie. Et puis je suis entré dans un autre espace, une vision écologique des choses. Le premier livre très décisif que j’ai eu entre les mains a été La Fécondité de la terre de Ehrenfried Pfeiffer, qui parlait de la biodynamie. J’ai découvert comment pratiquer l’agriculture sans détruire, mais au contraire en prenant soin de la terre, en la reliant au cosmos, tout cela était splendide. J’ai dévoré ce livre. À partir du moment où j’ai été assuré qu’un “autrement” était possible, j’ai exploré tout ce que j’ai pu. La Planète au pillage est venu conforter mon pressentiment qu’il était impossible d’entretenir un rapport guerrier avec la terre mère, et a confirmé mes convictions écologistes. Ce livre attire l’attention sur le fait que le comportement du genre humain ne peut persister dans cet instinct de destruction sans que cela le mène à sa propre éradication. Nos civilisations se sont organisées sur le mode de la vanité, du pillage, de la destruction généralisée. Pourtant Osborn n’a pas été entendu à la parution de son ouvrage, en 1949. De nombreux autres auteurs, des êtres sensibles, des écologistes réels, ont essayé d’attirer l’attention, je pense notamment à Gunther Schwab. Mais l’énergie humaine qui, jusqu’alors, était confrontée à la résistance de la nature est de plus en plus dominée par des outils conçus par l’Homme. On a beaucoup

évolué en matière de technologie, domaine où nous sommes devenus surdoués, mais nous sommes restés des petits Hommes au niveau mental. En reprenant l’histoire de l’ensemble de l’humanité, depuis les origines jusqu’à maintenant, La Planète au pillage fait figure de bible à mettre entre toutes les mains. Je pense aussi à Rachel Carson ou à Ivan Illitch, presque aussi peu lus que lui. On voit par là que certaines consciences, intelligentes et éveillées, ont attiré l’attention de l’humanité sur ses dérives, et qu’elles « La solution pour notre avenir n’ont pas été entendues. J’ignore ne peut venir que d’une meilleure dans quel état ont disparu ces compréhension du grand et éternel gens qui ont vainement tenté de processus des forces naturelles. Le temps est aujourd’hui fini, nous alerter. » où l’on pouvait espérer le braver impunément. » Fairfield Osborn, 1948

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pORTFOLIO Simon Bugnon

L’Ardèche au fil des saisons « Nous avons été éblouis par sa beauté, grisés par son austère diversité. Pays de la rudesse, il me remet en mémoire mes propres racines, un peu le goût du sable, un peu le goût de l’espace et toutes les subtiles sensations qui échappent au langage. » Extrait de Du Sahara aux Cévennes


La solution agroĂŠcologique et les premiers ĂŠcrits


1981 1989 « Je m’étais fixé pour mission de remettre à mes successeurs une terre meilleure que je ne l’avais reçue. J’ai une joie extraordinaire à sentir la vie de plus en plus intense dans mon sol. Cela me permet de pratiquer ce que j’appellerais l’expansion immobile. En améliorant la fertilité, j’augmente la capacité de la terre à nourrir un nombre croissant de personnes sur une surface donnée. Ce programme passionnant, qui me permet de savourer le goût de la permanence et non l’avidité dans le court terme, annule complètement pour moi la notion de travail. La joie que je ressens avec l’éveil de plus en plus intense de la vie par mon action est véritablement issue d’un acte d’amour. Cette action devient un rituel pour animer des forces assoupies. J’ignorais que ma démarche fût simplement une sorte de quête inconsciente de l’esprit originel de la terre mère pressenti par de nombreux peuples. » Extrait de Du Sahara aux Cévennes


Le président progressiste Thomas Sankara misait sur l’agroécologie comme politique agricole pour le Burkina Faso.

Pierre Rabhi lors des formations à Gorom-Gorom au Burkina Faso.

Maurice Freund et un guide local. Ce voyagiste « hors norme » a beaucoup compté dans la mise en place du premier centre de formation de Gorom-Gorom.


TEXTE NELLY PONS

Burkina, le retour africain Tourisme solidaire et formation à l’agroécologie au Burkina Faso dans les années 1980.

Nous sommes au début des années 1980. Par le biais des activités du CRIAD1, la famille Rabhi accueille L’expérience de Pierre Rabhi au Burkina Faso a marqué pour lui un sur sa ferme un stagiaire burkinabé, Saïbou Ouédraogo, issu d’un Centre tournant majeur, tant dans sa vie que dans son engagement en faveur de formation des jeunes agriculteurs de l’agroécologie. Après vingt-trois ans d’absence de son continent (CFJA) de son pays. Dans son rapport d’étude concernant diverses exploita- natal, c’est le retour en Afrique et les premiers pas dans la solidarité tions françaises, celle des Rabhi a été internationale. particulièrement mise en exergue, pour son approche différente et les résultats qu’elle permettrait d’obtenir. Pierre Rabhi séjours touristiques non conventionnels générant est alors invité par le gouvernement du Burkina des ressources profitables aux paysans, et en créant Faso pour expliquer la démarche agroécologique des campements hôteliers pour pallier l’insuffiqu’il a mise en œuvre sur sa ferme. À cette époque, sance des structures d’accueil. À Gorom-Gorom, le Sahel se relève péniblement de la « grande sé- bourg de 5 000 habitants (12 000 aujourd’hui) situé cheresse » des années 70, qui a fait des milliers à l’extrême nord-est du pays, en pleine zone sahéde victimes et provoqué de lourdes pertes sur les lienne très aride et enclavée, le Point Mulhouse récoltes de céréales. L’agroécologie suscite un vif dispose d’un campement hôtelier d’une capacité de intérêt, parce qu’elle permet, entre autres choses, 34 lits. Ce dernier traverse des difficultés d’ordre de produire une nourriture saine tout en régéné- éthique, s’étant peu à peu transformé en hôtel « de rant les sols, de lutter contre l’érosion, de valoriser luxe » en décalage par rapport au niveau de vie les eaux pluviales tout en limitant les besoins en et aux préoccupations des populations environeau, de développer l’autonomie du paysan, notam- nantes. Maurice Freund veut tout arrêter quand, ment pour ce qui est des semences. Avec l’appui du sur les conseils d’une collaboratrice, il rencontre CRIAD, Pierre Rabhi décide alors de donner quatre Pierre Rabhi. Ensemble, ils décident de supprimer mois par an de son temps à la sensibilisation et à la du campement hôtelier tout ce qui n’est pas lié au confort minimum et d’y associer le premier centre formation au Burkina Faso. de formation à l’agroécologie du Burkina Faso, à La rencontre avec Maurice Freund l’intention des acteurs du monde rural.

et le Point Mulhouse

Trois ans plus tard, la demande de formation ne cesse d’augmenter. C’est le moment où Pierre Rabhi rencontre Maurice Freund, fondateur du Point Mulhouse (devenu Point Afrique), une compagnie aérienne associative qui souhaite contribuer au désenclavement des pays pauvres en organisant des

Entre 1985 et 1988, le centre de Gorom-Gorom accueille environ quatre sessions de formation par an avec, pour chacune, entre vingt et trente stagiaires qui viennent d’organisations paysannes (groupements villageois, associations, unions coopératives, etc.), de centres de formation professionnelle ruraux ou bien qui sont des agents techniques

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1993


TEXTE NELLY PONS PHOTOS MONASTèRE DE SOLAN

Les raisins du monastère Une communauté orthodoxe met en œuvre l’agroécologie sur un domaine de 60 hectares dans le sud de la France.

Offices, temps en cellule, temps du « grand silence »… Si les matinées et soirées sont à la vie monastique, de 11 h à 17 h chaque jour, les seize moniales de sept nationalités différentes du monastère de Solan s’affairent à leur « journée de travail ». Au programme : travail de la terre, transformation, valorisation et vente des produits issus de leur domaine.

Le choix de l’agroécologie

Le jour n’est pas encore levé. Dans ce silence si singulier, annonciateur de l’aube, le ruisseau coule lentement, sereinement ; la genette et la pipistrelle se préparent au repos ; la brume, diaphane, caresse les affleurements rocheux et s’apprête à pénétrer dans la forêt. Une voix s’élève. La lecture des saintes Écritures rompt le silence. Ce sont les matines, début de journée au monastère de Solan…

Nous sommes au début des années 90, à proximité d’Uzès, dans le sud de la France. À l’arrivée de la communauté à Solan, seuls douze hectares étaient cultivés en monocultures. Le reste des terres était abandonné, et les bois, devenus impénétrables. À l’heure où les petites exploitations fermaient, le domaine, mis à mal par des années de culture conventionnelle, était lui aussi voué à disparaître. Côté bâtiments, ce n’était guère mieux : il fallait en refaire les toits, transformer les dépendances en pièces d’habitation, restaurer la chapelle, installer un système de chauffage, d’assainissement, etc. La rencontre avec Pierre Rabhi fut déterminante. Alors que certains de leurs amis leur conseillaient

d’arracher toutes les cultures et de choisir une activité plus rentable, les moniales ont fait le pari de la terre et choisi la voie de l’agroécologie. « Nous avons connu beaucoup de difficultés, notamment techniques et phytosanitaires, liées au fait que nous ne connaissions pas le métier et que les terres étaient en très mauvais état. Il nous a fallu du temps pour nous intégrer dans le milieu de l’agroécologie et rencontrer les bonnes personnes », se souvient sœur Jossifia, une des moniales de la communauté. Devant ce vaste chantier, la toute première étape a été la réalisation d’un inventaire des ressources du domaine. Comprendre ses problèmes, dénicher ses richesses, étudier les sols, l’eau… Partir de l’existant et s’allier à la recherche scientifique ;

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© D.R.

entretien avec Matthieu Ricard

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TEXTE PASCAL GREBOVAL

Religion, spiritualité et philosophie de vie Pierre Rabhi, l’Algérien ardéchois et Matthieu Ricard, le Français tibétain, deux déracinés? Pierre Rabhi : Pour ma part, je me suis longtemps senti exilé. Exclu de l’Islam comme de ma famille européenne, je me suis retrouvé sans lieu, dans une longue errance. Devenu apatride, j’ai dû reconstruire ma propre patrie. Et c’est en achetant ce bout de terrain rocailleux en Ardèche que je me suis enfin senti « chez moi ». C’est un lopin infime à l’échelle planétaire, mais cette terre que j’ai aimée m’a donné des racines. Matthieu Ricard : Mon expérience est différente, je ne me suis jamais senti déraciné ; au contraire, je possède mes propres racines. Je n’ai ni maison ni terrain, je vis dans un ermitage qui ne m’appartient pas et où je finirai mes jours. Si j’y suis chez moi, c’est parce qu’en ce lieu je me retrouve au cœur de mes préoccupations, mais mes véritables racines sont mes maîtres spirituels, ils m’accompagnent partout. C’est un autre choix de vie, ni meilleur ni moins bon, il est simplement différent. J’ai décidé de ne pas laisser de trace.

Deux démarches différentes, des points de convergences Pierre : Nous sommes des frères de conscience. Nous devons transcender nos appartenances, qui

Lors du Colloque « Se changer soi, changer le monde », organisé par Émergences à Bruxelles en septembre dernier, Matthieu Ricard et Pierre Rabhi ont eu l’occasion d’échanger sur leur approche de la vie. Nous avons fait ici une sélection et une remise en forme des meilleurs moments de cette rencontre unique. Vous pourrez retrouver des images de ce colloque dans un documentaire de la collection « Empreintes » consacré à Pierre Rabhi, qui sera diffusé sur France 5 au premier semestre 2013. finalement nous divisent, et développer une sociologie des consciences plus qu’une sociologie de nos provenances. Matthieu : Ce qui nous unit, c’est notre humanité commune. Le Dalaï-lama rappelle que, comme ses semblables, il est d’abord fondamentalement un être humain. Il est ensuite tibétain, puis moine bouddhiste, et, seulement au quatrième niveau, il est le Dalaï-lama, ce qui, somme toute, a peu d’importance. Nous nous exprimons de façon différente, mais nous partageons, enfin je crois, les mêmes ressentis. Ce qui compte, c’est de servir, partager des idées. L’avenir, c’est la coopération des altruistes. Si nos démarches similaires permettent de créer une masse critique, à un moment donné, il peut y avoir un point de bascule qui fera changer la culture dans la société.

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Š Yvan Saint-Jours

entretien avec pierre rabhi


PROPOS RECUEILLIS PAR YVAN SAINT-JOURS

Krishnamurti libère-toi toi-même Si Pfeiffer et Osborn (lire p.23) ont conforté Pierre Rabhi dans sa volonté de prendre soin de la terre, c’est un tout autre auteur qui va l’inviter à opérer un changement intérieur en profondeur. Au tournant de ses 40 ans, Pierre Rabhi se trouve face une crise existentielle profonde. C’est dans les écrits de Jiddu Krishnamurti, philosophe d’origine indienne qui prône un changement par la libération de toute forme d’autorité, qu'il trouve des réponses. L’éducation étant centrale dans sa démarche, il fonda plusieurs écoles pour qu’enseignants et enseignés puissent « explorer le monde du savoir, mais aussi celui de leurs propres pensées ainsi que de leur comportement ».

« Il y a eu Krishnamurti, qui m’a beaucoup marqué dans mon itinéraire spirituel. Je suis né musulman, entre un Islam de simple observance et le christianisme. J’ai vécu simultanément dans des milieux aux idéologies contradictoires, entre lesquelles je me suis trouvé psychologiquement écartelé. Lorsque j’ai étudié le christianisme et que, séduit par les paroles de Jésus Christ, j’ai demandé le baptême, je me suis vu expulsé de ma famille musulmane. Puis un conflit m’oppose à mon père d’adoption, chrétien, qui m’exclut à son tour. C’est dans cette solitude, au moment où je connaissais une crise existentielle profonde, que j’ai lu mon premier livre de Krishnamurti. Celui-ci dit qu’il faut se libérer totalement de toute croyance ou religion qui ne font que fragmenter et diviser, empêchant l’humanité de se rassembler en une et même espèce, ce qu’elle est au demeurant. Krishnamurti exprime ceci dans une dialectique très élaborée, extrêmement fine en matière de connaissance de l’humain. Comme Socrate, il prône le “Connais-toi toi-même”, l’indépendance et l’examen approfondi de notre intériorité. Il analyse de façon très subtile les mécanismes qui déterminent le comportement

de l’être humain, et condamne la pétrification de l’Homme dans son passé, dans des postures sclérosées qui engendrent le conflit et la peur. Dans sa pensée, on peut aborder le réel de mille façons, dès l’instant qu’on est un être humain libéré de tout conditionnement. Ses idées m’ont aidé à me libérer à mon tour, à me réhabiliter dans ma propre responsabilité vis-à-vis de moi-même. C’est pour ces raisons qu’aujourd’hui je ne me reconnais dans aucun parti politique, je ne veux m’emprisonner dans rien. La nature m’offre suffisamment d’ouverture et de liberté pour penser. » « Si nous perdons le contact avec la nature dont nous faisons partie, alors nous perdons la relation avec l’humanité, avec les autres. » Krishnamurti

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TEXTE NELLY PONS ET YVAN SAINT-JOURS

© Pascal Greboval

1996

Recréer de nouveaux lieux de vie Des groupes d’habitations en lien avec la terre nourricière : les Oasis en Tous Lieux.

basés sur le lien à la terre nourricière. Un concept explicité dans un manifeste paru en 1996 (voir l’extrait p. 61), fruit d’un travail collectif animé par Pierre Rabhi. Il met en exergue une des alternatives possibles aujourd’hui en termes d’habitat partagé et en décline les fondements, liés à ce courant de pensée. Pour Jean-Philippe Fabre, adminisAu début des années 90 est apparu un trateur des Oasis en Tous Lieux, la force mouvement sur la question de l’habitat du Manifeste tient selon lui « dans le fait groupé écologique. Le réseau français des que toutes les composantes des alternaHabitat groupé, écohabitat, tives qui cherchent à émerger — habitat, Écovillages s’est constitué, rattaché au énergie, eau, agriculture, vivre ensemble, écohameau, écovillage, écoquartier… Chacun de ces Global Ecovillage Network (GEN). De nom- etc. — convergent dans cette démarche. Les termes possède une défi- breuses personnes se disaient désireuses de Oasis sont de véritables petits laboratoires nition assez souple suivant « vivre autrement ». C’est dans ce contexte d’expérimentation d’un autre modèle, les personnes qui portent dont le champ d’action, très large, offre un qu’a été rédigé le Manifeste des Oasis en fort potentiel. » le projet. L’idée demeure pourtant la même : avoir la Tous Lieux, qui pousse la démarche de la Dans les années qui ont suivi la parution possibilité de choisir ses façon la plus holistique qui soit. du manifeste, de nombreuses rencontres voisins et vivre dans une ont eu lieu, réunissant plusieurs centaines démarche de partage. Reste à définir ce que l’on partage, et les de personnes qui avaient le désir de vivre cette expérience. 370 projets recensés en France sont tous différents. En 2000, l’association loi 1901 du même nom est créée, sous Les Oasis en Tous Lieux, quant à elles, proposent la mise en l’impulsion de près de deux mille personnes. Aujourd’hui, place de lieux d’habitat partagés, écologiques et solidaires, on dénombre quinze sites Oasis sur le territoire français.

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Une réponse en évolution

Si le manifeste du mouvement présente les grandes intentions et donne des pistes d’orientation exigeantes, le conseil d’administration des Oasis en Tous Lieux souhaite aujourd’hui expliciter la déclinaison concrète de ce que pourrait être une Oasis. Pour ce faire, il travaille actuellement à l’élaboration d’un cahier des charges qui donnerait plus de visibilité au concept, définirait davantage les contours d’un site et détaillerait différentes possibilités en matière d’agriculture, de gouvernance, d’écologie, d’habitat, d’énergie…, ainsi que dans les domaines juridique, financier, opérationnel, etc. « Sans les élus, on ne fait pas grand-chose…, partage Jean-Philippe. Les gens qui souhaitent créer une Oasis butent la plupart du temps sur la question de l’accès au foncier. Dès lors, le rôle des collectivités territoriales est fondamental, et c’est la raison pour laquelle nous souhaitons solliciter leur adhésion à la réflexion sociétale et à l’idée d’habitats solidaires et écologiques. Par l’information et la sensibilisation des collectivités, nous espérons que l’accès

© D.R.

Selon Jean-Philippe Fabre, « tous les sites sont nés d’initiatives privées, émanant de particuliers qui ont souhaité faire émerger un lieu d’activité et/ou de vie qui corresponde au manifeste, avec les moyens et les contraintes qui leur sont propres ». Le panel est alors très éclectique, et aucune de ces réalisations ne colle complètement au concept. On trouve entre autres : trois foyers autour de vergers en biodynamie (Oasis Terre de Vergers en Saône-et-Loire) ; des expériences alternatives sur l’habitat léger temporaire, avec projet final d’écohameau « en dur » (Terre de Vie du Cinoble dans l’Aude) ; la réhabilitation d’une ferme par un projet qui associe permaculture et art (Oasis de Lentiourel en Aveyron), etc. La forme la plus aboutie est à ce jour le Hameau des Buis (lire p. 92), qui intègre l’éducation, l’intergénérationnel, la gouvernance, l’écologie relationnelle, ainsi que l’habitat groupé sobre en énergie. Toutefois, il ne sera vraiment représentatif d’un exemple d’Oasis tel que décrit dans le Manifeste que lorsque le volet agricole sera achevé. Depuis sa création, l’association s’est donc principalement employée à prodiguer du conseil à l’amorce de projets, de l’information sur l’habitat groupé, à favoriser la mise en réseau, le lien entre les personnes qui cherchaient, et celles qui proposaient.

au foncier soit facilité pour des projets identifiés et structurés. »

Une ouverture sur l’Europe avec le Global Ecovillage Network (GEN Europe) Un lien avec le réseau européen des Écovillages s’est matérialisé de manière forte avec Sieben Linden (les Sept Saules), « l’un des écovillages les plus rodés d’Allemagne, selon Jean-Philippe. En 15 ans d’existence, ils ont construit un modèle très efficace, un bel exemple très inspirant. » En juillet 2012, les Oasis en Tous Lieux ont organisé un séjour dans cet écovillage allemand, afin de permettre aux personnes intéressées d’en expérimenter le fonctionnement. Face au succès de cette démarche, une deuxième édition est prévue en août 2013. Ces échanges se déroulent en lien avec l’Union européenne qui finance, au travers de la bourse Grundtvig (formation d’adultes), les frais inhérents au séjour. L’inscription est ouverte, avis aux amateurs. « C’est le début d’une coopération que l’on espère plus large par la suite, conclut Jean-Philippe. Eva, cofondatrice et animatrice du lieu, est partante pour partager son expérience avec des porteurs de projets d’écovillage. De nombreuses pistes et solutions sont envisageables ! »

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Oasis de Bellecombe dans la Drôme.



TEXTE NELLY PONS PHOTOS PATRICK LAZIC

À l’école de l’agroécologie L’association Terre & Humanisme, pour le déploiement de l’agroécologie en France et à l’international.

Cap sur Lablachère, en Ardèche méridionale, à quelques kilomètres de la ferme familiale des Rabhi, où toute l’aventure a commencé. Terre de garrigue érodée, aussi dure que la roche mère qui pointe à quelques centimètres sous la surface du sol, anciennes vignes abandonnées, exode rural… un bout de terre dans lequel personne ne croyait plus. Tel est le lieu que Pierre Rabhi et ses proches ont choisi pour expérimenter et transmettre l’agroécologie à la fin des années 1990.

L’association est installée sur un terrain de près de 1 hectare, abordé comme un écosystème varié, constitué de nombreux écosystèmes particuliers : les divers potagers, les composts, les arbres, les haies, le rucher, les zones sauvages, les abris écologiques... Il comprend également des bâtiments, un bloc sanitaire, des bassins de phytoépuration, un campement pour accueillir les bénévoles, deux bassins de stockage d’eau d’irrigation, ainsi qu’une serre et un tunnel plastique. À vocation nourricière, pédagogique et expérimentale, les jardins empruntent des techniques et des pratiques à la biodynamie, à la permaculture, et à d’autres sources d’inspiration potagère. Le sol médiocre, soumis à l’érosion, subit un climat sec ponctué de grosses pluies, souvent violentes. Malgré ces conditions particulières, les jardiniers de Terre & Humanisme cultivent principalement des légumes, des petits fruits et des fruitiers, démontrant ainsi qu’avec des méthodes naturelles et peu d’eau… c’est possible. Pour Érik Jansegers, jardinier de l’association : « Les résultats obtenus sont largement satisfaisants, compte tenu des conditions pédoclimatiques difficiles et du fait que ce sont des mains débutantes, bénévoles et stagiaires, qui réalisent la majorité des opérations dans les jardins. » La production moyenne annuelle de

légumes dépasse la tonne (1 200 kg en 2011), produite sur une surface agricole utile (SAU) de 850 m2, soit environ 13 tonnes à l’hectare. Dans le vergerpotager, le rendement ainsi calculé est de l’ordre de 16 tonnes à l’hectare ; et il est de 29 tonnes à l’hectare dans le tunnel. En 2011 les fruitiers ont produit environ 300 kg, en constante augmentation depuis leur plantation en 2007.

Un chemin d’avant-garde

Pour Pierre Mante, président de l’association, « dès la genèse de son histoire, le projet de Terre & Humanisme a été une aventure collective avec la création, en 1994, des Amis de Pierre Rabhi 1 ». L’achat du mas de Beaulieu cette même année par une Société civile immobilière de 400 personnes (500 en 2012) a été un acte symboliquement très fort. À cette époque, Pierre Rabhi était encore peu connu et l’association

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Actions politiques et politique de l’action

« Au-delà des clivages politiques et de tout ce qui fragmente notre réalité commune, c’est à

l’insurrection et la fédération des consciences que l’on fait appel. C’est-à-dire à ce lieu intime où chaque être humain peut mesurer sa pleine responsabilité et définir les engagements que lui inspire une véritable éthique de vie pour lui-même, pour ses semblables et pour les

© Patrick Lazic

générations à venir. »


©FANNY DION

20022006


Texte Nelly Pons

2002 © Fanny Dion

Des présidentielles 2002 à l’insurrection des consciences

La pensée et les valeurs de Pierre Rabhi ont commencé à être de plus en plus son message d’urgence écologique et humaine. Un connus et reconnus. Guidé par ses pied de nez à l’indifférence des politiques à l’égard convictions, le paysan sans frontière de ces enjeux majeurs. C’est le début d’une avennouvelle et la naissance du Mapic (Mouvement est devenu homme public. Son mes- ture pour l’appel à l’insurrection des consciences). sage écologiste et humaniste a suscité échéances électorales de 2002 de plus en plus d’écoute, jusqu’à être Les En deux mois et demi, 184 signatures d’élus ont été porté dans le débat citoyen et largement collectées, 96 comités créés dans toutes la France, relayé par les médias. des milliers d’adhésions suscitées. Cette forte moNous sommes en 2002. Pierre Rabhi affirme inlassablement que le monde insatisfaisant que nous avons édifié peut être autre si nous le voulons bien et que « la pire des choses serait de s’installer dans la fatalité, en oubliant toutes les énergies constructives abondantes dans la réalité d’aujourd’hui » 1. Ses amis le poussent alors à engager les démarches pour être candidat aux élections présidentielles du moment. C’est l’occasion rêvée de tenter de mettre à profit l’écoute existante lors du débat national sur les questions de société pour faire entendre

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bilisation a permis de financer la campagne uniquement par le don individuel. 23 conférences ont alors été organisées sur des thèmes de société chers à Pierre Rabhi et son entourage : l’éducation des enfants, le féminin au cœur du changement, le changement individuel pour un changement collectif, la relocalisation de l’économie, la croissance économique comme problème et non comme solution, le respect de toute forme de vie, etc. L’expérience a montré que ces exigences, qui ne figurent pas dans le registre politique conventionnel, étaient partagées par un nombre important de personnes.


Même sans les 500 signatures nécessaires pour accéder à la grande tribune nationale, la campagne de 2002 a été l’occasion d’un ensemencement loin d’être négligeable, interpellant les consciences sur leur responsabilité d’êtres humains, au regard de la société à laquelle elles participent. Pierre Rabhi a de nouveau été fortement sollicité pour réitérer sa candidature en 2007, puis en 2012. Ne souhaitant pas réduire l’enjeu écologique et humain à un parti ou un verdict électoral, il a préféré poursuivre son engagement en dehors de la politique conventionnelle. Il a alors lancé le Mouvement pour la Terre et l’humanisme, devenu Colibris (lire p.112), avec l’idée que chaque action individuelle en faveur du changement de société est une politique en actes. Le Mapic a également poursuivi son chemin en se proposant de questionner le « pourquoi du comment », d’aiguiser la conscience des citoyens sur les enjeux de société. Plus de dix ans d’engagement ont permis au Mapic d’apporter une certaine continuité, du recul, ainsi qu’un espace d’approfondissement de cet engagement.

Le Mapic pour une politique autrement Entre 2005 et 2007, le Mapic perd un nombre important de membres, qui espéraient une nouvelle candidature de Pierre Rabhi à l’élection présidentielle. C’est un nouveau tournant dans la vie de l’association, marqué par le passage de « parti politique » à « acteur de la société civile ». Pour Thomas Marshall, membre du conseil fédéral du Mapic : « Les difficultés que nous avons rencontrées sur notre chemin sont révélatrices de la situation de la citoyenneté. Le contexte préélectoral de 2002 a donné forme à une expression publique nouvelle, dans laquelle toute une population minoritaire et dispersée s’est reconnue. Il y a eu un fort souffle d’espoir. Les gens prenaient conscience qu’ils n’étaient pas seuls à penser de la même façon. Mais c’était là une expression “culturelle”, et non pas un programme pour exercer des responsabilités politiques. » En 2007, les membres du Mapic ont engagé une réflexion sur le rôle de la société civile dans une transformation sociétale 2, inspirée notamment des travaux du sociologue philippin Nicanor Perlas 3 et de ceux de Rudolf Steiner. Leur mode d’organisation est désormais basé sur des groupes

© Pascal Greboval

L’après-campagne

locaux autonomes et un conseil fédéral, organe de réflexion et de mise en commun. « Il n’a jamais été question de présenter des candidats à des élections locales sous l’étiquette du Mapic, explique Thomas. La forme du parti politique n’était pas adaptée, ce n’était que le fruit des circonstances. » La priorité est alors donnée à ce qui peut être créé localement : intégrer des exigences éthiques et sociétales dans le tissu social au quotidien, par et dans chaque acte, attitude, comportement et discours. Les espaces communs de mutualisation se créent ensuite au fur et à mesure que les besoins s’expriment. « À titre personnel, je le vis comme une école de responsabilité : vis-à-vis de la Terre, des humains, de soi. L’implication en tant que citoyen conduit à prêter attention à la qualité des liens que nous développons, entre nous, entre associations », nous confie Thomas pour qui « le processus de l’insurrection des consciences amène à l’humilité. Nous n’aurons jamais fini de prendre conscience des modèles qui nous ont formatés. Penser autrement le monde actuel et pouvoir, avec lucidité, construire les bases d’un autre avenir est un chemin de vie. Un chemin où l’action collective et la transformation personnelle sont deux faces de la même médaille ».

Source : Éloge du génie créateur de la société civile, Actes Sud, 2011. www.appel-consciences.info/IMG/pdf/Dossier_pedagogique.pdf 3 La société civile : le 3e pouvoir, Éd. Yves Michel, 2003. 1

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2003


TEXTE NELLY PONS PHOTOS PATRICK LAZIC

Le centre des Amanins

Un domaine de 55 hectares dédié à l’accueil et la transmission

Un écrin de nature qui résonne avec le vent quasi permanent, énergique, vivant, stimulant. Un panorama grandiose sur le Grand Veymont, la Tour de Crest, les Trois Becs et ses chamois… 55 hectares de champs, prairies et forêts, qui font écho à deux questions fondamentales : quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? Et quels enfants laisserons-nous à la planète ?

À l’origine, une rencontre entre deux hommes : Pierre Rabhi et Michel Valentin (lire encadré p.83). Ce sont ensuite une femme, Isabelle Peloux, et toute une équipe, qui répondent à ces deux questions par la création d’un centre qui concilie production agricole, accueil, pédagogie et expérimentation. Situés entre la Drôme provençale et les portes du Vercors, les Amanins se sont donné pour vocation de rapprocher la nature et les humains, de chercher l’équilibre dans les pratiques. Une démarche par essence en perpétuelle évolution, qui nécessite une adaptation permanente. Un projet qui a aujourd’hui quasiment atteint son but : l’autonomie alimentaire, énergétique et financière. Après quelques années de chantier solidaire et participatif, le centre a ouvert ses portes en mai 2008. Classes découvertes, familles, citoyens, scolaires, associations, artisans, entreprises… Peu à peu, il est devenu un lieu d’expériences croisées, un carrefour d’échanges autour de l’écologie pratique et quotidienne. Les Amanins accueillent aujourd’hui quelque 5 000 personnes par an pour des séjours, ateliers, conférences, forums, stages ou formations, basés sur les savoir-faire acquis lors de la mise en place du lieu : agroécologie, écoconstruction, pédagogie, montage de projet, coopération, entreprenariat social, etc. Pour Houari Belmostefa, membre de la Scop 1 des Amanins : « Notre programmation est de plus en plus dense et riche et nous sentons un intérêt croissant pour les valeurs que nous tâchons d’incarner : l’envie du changement dans et par l’action. Ça encourage. Ça donne des ailes de se sentir portés ! »

L’équilibre dans les pratiques

Depuis l’achat de la ferme en avril 2005, le domaine s’est considérablement transformé : mise en place de cultures pour l’autonomie alimentaire, éco- et autoconstruction, installation d’équipements fournisseurs d’énergies renouvelables, recyclage des déchets, etc. L’ancienne bergerie a été entièrement rénovée avec, au rez-de-chaussée, une salle voûtée de 200 m2 pour le réfectoire et, à l’étage, une salle de conférence pouvant accueillir près de 200 personnes. Des bâtiments neufs offrent une capacité d’accueil annuelle de 36 couchages, les cabanes en bois et le camping permettent de passer à 80 couchages au printemps et en été. Conçus en botte de paille avec une ossature bois, leurs cloisons sont en briques de terre crue, les enduits extérieurs à la chaux et intérieurs en terre, pour une très haute performance thermique et acoustique. Toutes les techniques de construction ont été choisies en fonction des matériaux disponibles sur place : la terre du site pour les briques, brune ou rouge, argileuse de 0 à 40 % selon les endroits, et de la paille produite sur place. Si le prix de telles constructions

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2004


TEXTE NELLY PONS PHOTOS PATRICK LAZIC

Le hameau dans la colline Lorsque l’on demande à Laurent Bouquet, cofondateur du Hameau des Buis avec Sophie Rabhi, de présenter rapidement le projet, il répond : « Résumer le Hameau des Buis est une gageure ! C’est quelque chose comme un laboratoire, une expérimentation éducative, humaine, sociale, bioclimatique, coopérative, relationnelle, agricole, juridique et financière. » Une réalisation aux multiples facettes qui veut transmettre une autre façon de vivre ensemble. Concrètement, le Hameau des Buis est un lieu de vie et d’accueil, animé par une cinquantaine d’habitants de 3 à 82 ans. La vingtaine de logements écologiques et bioclimatiques (du T1 au T4) est construite autour d’une école composée de 65 élèves de 3 à 15 ans (de la maternelle au collège) et d’une ferme comprenant un petit élevage (chèvres, poules, cochons, poney, ânes), un verger et 3 hectares de serres et de potagers maraîchers cultivés en agroécologie. Chaque bâtiment, très soigneusement isolé, bénéficie du chauffage solaire direct, de l’eau chaude sanitaire solaire, de la récupération des eaux pluviales, de toilettes sèches, etc. Un certain nombre de biens communs, lieux de vie et équipements sont mutualisés : terres, jardins, locaux techniques et ateliers, bâtiments de la ferme, bloc sanitaire, phytoépuration, salle à manger et bibliothèque, lave-linge, voitures, etc. Pendant des années, la construction du Hameau des Buis a fait l’objet d’une forte contribution militante des centaines de bénévoles qui se sont succédé pour rendre ce lieu de vie possible.

À l’origine, une école à la ferme

En tant que fille de Pierre et Michèle, Sophie Rabhi a participé à l’aventure familiale depuis sa naissance, avec ses trois frères et sa sœur aînée : « De fait, nous avons expérimenté une vie de pionniers, un chantier permanent, la vie de la ferme, la présence de la nature et les constants débats suscités par les engagements de mon père. J’ai ainsi été, en quelque sorte, à l’université Pierre Rabhi. Et cela m’a passionnée ! » Jeune adulte, elle s’est ensuite engagée à ses côtés dans le cadre associatif, avant de mettre en œuvre des projets plus personnels, mais qui, pour elle, « restent dans la filiation directe de l’enseignement que j’ai reçu, à travers mon expérience de vie auprès de mes parents ». C’est ainsi qu’en août 2001, Sophie créa l’association la Ferme des Enfants et mit en place une école à la ferme, favorisant une éducation respectueuse de l’enfant et de ses besoins (lire encadré p.97). Aujourd’hui, l’école a trois niveaux : maternelle, primaire et collège, avec des rythmes adaptés à chaque âge. Le temps scolaire est partagé entre les apprentissages académiques (maths, français, histoire-géo, sciences…), des apprentissages non conventionnels à travers des ateliers pratiques ou de projets (cuisine, jardinage, élevage, écoconstruction, théâtre, couture…) et une vie sociale axée sur la connaissance de soi et de l’autre. Deux ans après la création de l’école, Sophie, alors jeune maman,

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entretien avec NICOLAS HULOT


TEXTE ET PHOTOS PASCAL GREBOVAL

Réinvestir des espaces démocratiques réels Quelques semaines avant son entrée dans le gouvernement en tant qu'envoyé spécial pour la protection de le planète, Nicolas Hulot faisait le point sur sa vision de l'écologie politique et sa rencontre avec Pierre Rabhi.

Pierre Rabhi fait partie des rencontres essentielles dans mon propre itinéraire, des rencontres comme on en fait peu. Il est de ces hommes et femmes qui vous permettent de vous structurer, comme le fut également Théodore Monod pour moi. Bien que nous suivions des modalités d’action différentes, il m’a conforté dans mes idées. Il fait partie de ces humanistes absolus, cohérents, radicaux, mais tolérants, qui définissent les beaux esprits et mériteraient d’être connus au-delà d’un cercle aujourd’hui trop restreint.

Pascal Greboval : Comment avezvous rencontré Pierre Rabhi ?

Nicolas Hulot : J’avais lu plusieurs de ses livres sur les conseils de mes proches. Après avoir découvert Paroles de Terre, j’ai eu envie de le rencontrer. Je lui ai téléphoné, il n’a pas eu l’air surpris par mon appel ; dès le lendemain, je traversai le pays pour me rendre chez lui. Je suis resté une journée en sa compagnie, nous avons échangé nos points de vue, nos idées, nos espoirs, sans voir le temps passer. J’ai trouvé chez lui une écoute attentive, beaucoup de clairvoyance, mais aussi une grande expérience. Pierre n’est pas seulement un théoricien : il connaît ce dont il parle. Il avait tout pour séduire. Le simple fait qu’il accepte de passer outre un certain nombre d’a priori me concernant, de partager

avec moi ses convictions et son sentiment, témoignait de son ouverture d’esprit. J’ai toujours lutté contre les gens qui mijotent leurs préjugés comme si nous avions l’éternité devant nous. Il sait ouvrir des chemins, créer des passerelles vers l’autre, sans pour autant se départir de ses exigences, incarnant l’anti-préjugé par excellence. En 2005, deux ans après notre rencontre, nous avons réalisé un livre d’entretiens croisés, Graines de possibles 1, à partir de conversations enregistrées chez moi. Ces entretiens lui ont valu de se voir presque excommunié par une partie des adeptes de la décroissance, qui ont considéré le simple fait de discuter avec moi comme un sacrilège. En homme sensible, il en a été profondément affecté ; mais il a eu le courage d’assumer sa démarche, sans accepter la moindre concession sur ses valeurs. Voilà ce que j’aime chez ces gens d’obédiences, de cultures et de formations différentes qui font mon univers : leur capacité à tisser des liens.

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Pascal : Pierre Rabhi a fait le choix de s’éloigner de l’écologie politique, vous avez fait le choix inverse, comment l’abordez-vous aujourd’hui ?

à savoir si cela implique qu’il faut les abandonner ou bien persister et, comme le dit Pierre Rabhi, faire ce qu’on peut avec ce qu’on a, apporter chacun sa « petite part »…

Dans le cadre des ONG, je considère que nos acNicolas : L’écologie politique au sens convenu, tions ont eu une portée non négligeable, même si, c’est-à-dire celle qui s’inscrit dans le cadre d’un à elles seules, elles ne pourront résoudre le proparti, est un mode d’action louable et légitime, blème. Il nous faudrait du temps, mais les phémais force est de constater qu’elle n’a pas réussi à nomènes de la Terre sont bien plus rapides que convertir la société. Elle n’a pas permis de faire la la prise de conscience de l’homme. Si l’on choisit jonction entre les idées humanistes qu’elle défend de refuser le dialogue avec le système politique en et la majorité des citoyens. Au contraire, ce mou- place, arguant que c’est précisément ce système vement a généré une forme de ghettoïsation de qui s’avère défectueux, on fait preuve d’une inl’écologie, qui devrait représenter un enjeu supratransigeance qui ne nous permettra pas d’avancer politique. Il n’est pas temps aujourd’hui de juger, et les autorités ne se remettront jamais en quesmais bien d’acter. On constate en France une certion. Est-ce souhaitable ? C’est un vrai débat, qui taine irritation vis-à-vis de l’écologie politique alors qu’elle devrait naturellement faire consen- soulève des doutes. Il m’arrive aussi, sur ce point, sus, au moins dans ses analyses — dans les moda- de douter. Mais je fais partie de ceux qui ont opté lités, on pourrait en discuter des heures. À ce jour, pour un échange avec ces partis, tout en conservant elle n’a pas connu le succès que la situation laissait ma liberté de parole et mes idées. J’ai conscience pourtant augurer dans la mesure où des faits pro- que cela ne peut suffire, mais je fais ma part. bants auraient dû rendre son combat incontournable. Paradoxalement, elle n’occupe qu’une place Pascal : Si cela ne suffit pas, très restreinte, une petite formation dans l’évenselon vous, que faire ? tail de la classe politique, alors qu’elle concerne Nicolas : Honnêtement, aujourd’hui, je ne sais la planète entière. Cette situation révèle un réel pas. Si nous étions porteurs d’un enjeu idéolodysfonctionnement, un vrai oxymore. Si les forgique, ou partisan, je pourrais comprendre que mations politiques historiques s’étaient emparées les gens s’en désintéressent. Mais il s’agit là d’un de ce sujet, s’étaient efforcées de comprendre les enjeu humaniste, qui concerne toutes les facettes origines de la crise écologique, ses causes strucde l’humanité, toute sa diversité. Les faits sont turelles et avaient tenté d’en atténuer les effets, là, la science a tranché, les événements sonnent alors un parti écologique n’aurait pas de raison l’alarme en permanence, que faut-il de plus pour d’être. Seulement voilà, on fait preuve d’indigence que la société se réveille, prenne conscience que le et d’irresponsabilité en continuant à considérer système sur lequel elle repose n’est pas tenable ? le sujet comme optionnel, exogène. Le parti écoIl faudrait trouver un chemin de transition vers logiste s’est plutôt ancré à gauche dans l’échiquier un autre modèle, socialement acceptable, écopolitique, ce qui a empêché tous ceux relevant nomiquement viable, un modèle qui pour l’insd’une autre mouvance d’analyser les faits avec tant n’existe pas. Or on n’a même pas esquissé objectivité. Là résident les limites de l’action poliun premier pas vers cette simple transition ; on tique, au sens classique du terme. Mais il en existe panse les plaies, on traite quelques symptômes, d’autres formes, qui ont pour but d’influencer la et on refuse de voir les causes. Si nous nous monsociété et pour lesquelles je me suis engagé comme trons trop catastrophistes, on nous rétorque que le d’autres l’ont fait avant moi et le feront après moi. désespoir n’est pas mobilisateur ; si nous optons Il y a eu d’abord le Pacte écologique, puis son copour le pragmatisme, on nous traite de vendus. rollaire le Grenelle de l’environnement, et toute la Aujourd’hui comme disent mes enfants, je donne dynamique non quantifiable qu’ils ont engendrée ma langue au chat… dans la société française. Cependant, bien qu’elles ne soient pas insignifiantes (réglementation ther- Deux choses cependant demeurent fondamenmique des logements par exemple), en regard de tales : tout d’abord ne pas céder au fatalisme, afproblèmes tels que la raréfaction des ressources, fronter la question. On ne peut pas se réjouir du les changements climatiques et la diminution de la malheur des autres qu’ils soient responsables ou biodiversité, ces mesures sont insuffisantes. Reste victimes. Ensuite il faut mobiliser les intelligences,

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Š Patrick Lazic



TEXTE Nelly Pons PHOTOS PATRICK LAZIC

Le changement ? C’est maintenu ! Colibris, vers un nouveau projet de société

Nombreuses sont les personnes qui veulent changer les choses, sentant poindre la fin d’un modèle, et aspirant à une société plus écologique, plus humaine. Nombreuses sont les personnes qui entreprennent, construisent, expérimentent, créent… Mais alors, que manque-t-il pour y arriver ? Où se situe le point de bascule, cette fameuse masse critique qui fera que « nombreux », deviendra « suffisamment nombreux » ? C’est ce qu’explore l’ONG Colibris. C’est le parti pris de Colibris : penser qu’inspirer, relier et soutenir ceux qui veulent participer à une transformation écologique et humaine de la société permettra d’atteindre ce subtil, presque imperceptible instant où… cela suffira. Qu’une fois 10, 15, 20 % de la population réunie, consciente de sa force, elle constituera la masse critique capable de


faire basculer notre société vers un autre équilibre. Colibris c’est aussi, selon la légende amérindienne, la croyance que la réussite d’une entreprise collective est liée à la convergence de tous les actes individuels. Que le changement commence par chacun d’entre nous : dans nos actes, dans notre intime, dans notre capacité à transcender nos peurs, nos limites. C’est enfin la conviction selon laquelle chaque action individuelle ou collective qui s’inscrit dans cette dynamique est une forme d’action politique, en actes. Tel le petit colibri qui s’affaire, sans relâche, aux yeux de tous et avec une conviction inébranlable, à éteindre le feu de forêt, chaque citoyen détiendrait entre ses mains un petit bout du destin collectif. Colibris serait alors une caisse de résonnance de ce foisonnement, de cette multitude de personnes qui participent à construire cet « autrement ».

Au commencement, des amis

L’aventure a démarré en 2006, impulsée par Pierre Rabhi, qui souhaitait initier un mouvement politique non politicien, qui s’appuie sur les citoyens, sur les consciences, pour amorcer

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un profond changement de société. Les objectifs étaient multiples : créer une caisse de résonnance à son message, aux solutions agroécologiques qu’il a expérimentées ; montrer que nous sommes nombreux à vouloir un profond changement de société ; et montrer que de nombreuses solutions incarnent déjà ce changement. « Pour ce faire, il a réuni quelques proches, amis de confiance dont l’activité et les convictions étaient en phase avec ces objectifs », se souvient Isabelle Desplats, cofondatrice de Colibris. Concrètement, l’association travaille aujourd’hui sur deux axes. Premièrement, montrer des solutions, proposer une nouvelle vision de ce que la société pourrait être. Pour cela, elle développe des films, des livres, des magazines, des médias en ligne, des conférences, des interventions dans les écoles. Deuxièmement elle travaille à réunir les acteurs des territoires (citoyens, entrepreneurs, élus) pour qu’ils s’approprient ces solutions et les mettent en œuvre. À cette fin, elle utilise divers types d’animations (rencontres Colibris, forums ouverts, etc.) et propose des outils ressources, utiles à la réalisation de projets (annuaires, fiches pratiques, réseau social, etc.).


À la rencontre du terrain

« Aller à l’écoute des gens, créer des relations de qualité… C’est le cœur de notre dynamique », affirme Alain Aubry, responsable réseau chez Colibris. « Récemment, nous avons beaucoup utilisé la méthode des forums ouverts, continue-t-il. Cet outil d’intelligence collective est un processus surprenant, une expérience humaine unique qui permet d’organiser des réunions créatives, de 5 à 2 000 personnes. Chacun peut y être force de proposition, s’agréger à un groupe qui porte les mêmes aspirations et être coresponsable des réflexions, recommandations, plans actions qui y sont produits. Un vrai foyer de transformation personnelle ! » Aujourd’hui, la communauté des Colibris réunit près de 10 000 membres et plus de 60 000 sympathisants actifs. Plus qu’une structure au service d’un projet monolithique, Colibris est devenu, chemin faisant, le révélateur d’une profonde dynamique de société, qui repose sur une multitude de personnes, d’initiatives, d’expérimentations…

Un foisonnement d’activités

Ces dernières années Colibris a, entre autres, coproduit le film Solutions locales pour un désordre

global de Coline Serreau, mis en place une carte recensant plus de 6 000 acteurs alternatifs et plus de 400 projets, créé une collection de livres « Domaine du possible », en partenariat avec Actes Sud, pour mettre en lumière des initiatives originales et innovantes pour une transformation en profondeur notre société… 8 livres y ont été publiés à ce jour. 2012 a été une année intense pour Colibris, notamment marquée par la naissance du magazine Kaizen, en association avec Yvan Saint-Jours (fondateur du magazine La Maison écologique) et Pascal Greboval (journaliste et photographe). Oui, oui… Celui-là même que vous tenez en cet instant entre vos mains ! 2012 a aussi été l’année du grand rendez-vous électoral français, l’occasion pour Colibris d’initier la campagne parallèle aux présidentielles : « Tous candidats », pour que chacun commence à poser, à petite et grande échelle, les fondements d’une société nouvelle. Alors que près de 27 000 personnes participaient à la campagne et se déclaraient candidates au changement, Colibris a organisé vingt-cinq forums citoyens partout en France, réunissant 2 000 personnes et

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RENCONTRE

PROPOS RECUEILLIS PAR YVAN SAINT-JOURS

Zaz Zaz, Isabelle Geffroy de son vrai nom, est une chanteuse trentenaire qui a connu un succès fulgurant à la sortie de son album éponyme en mai 2010. Aujourd’hui Disque de diamant, elle a reçu la Victoire de la musique pour la meilleure chanson originale « Je veux » en 2011, et lors de la cérémonie en a profi té pour adresser « un gros bisou à Pierre Rabhi »…

© Fanny Dion

Toute petite déjà, j’avais en moi l’envie de changer le monde, de le rendre plus joyeux. J’avais aussi à l’esprit, bien avant d’être médiatisée, que, le jour où je serai connue, je pourrai mettre ma notoriété à profi t pour m’investir dans une cause que je considère comme juste. Et il y en a énormément de causes justes à défendre ! Si chanter est ma passion, je considère que, si je ne fais rien avec, alors cela n’a pas de sens. Aujourd’hui, je gagne de l’argent, et je ne trouve pas que ce soit un « mal », l’important étant ce que je fais avec cet argent et qui peut réellement participer à un changement dans la société. J’ai aperçu Pierre Rabhi dans un reportage, et, tout de suite, je me suis dit : « Je veux rencontrer cet homme ! » Ma mère m’en avait parlé en 2002, lorsqu’il avait présenté sa candidature aux élections présidentielles, et elle m’en avait déjà dit beaucoup de bien. On s’est rencontré dans un café, suite à une conférence en 2010. C’était une période très agitée pour moi, j’étais en plein boum avec mon premier album. Je l’ai vu arriver de loin, avec ses sandales. Je me suis retrouvée con, il était d’un calme incroyable, et moi, surexcitée. Pour autant je me suis sentie accueillie, acceptée telle que je suis et c’est tout. Ça m’a fait un bien fou. C’est un homme qui vit ce qu’il dit,

et surtout qui dit clairement les choses, lorsque beaucoup d’autres ont des messages brouillés dans lesquels on fi nit par ne plus rien comprendre. Il m’a parlé des différentes associations dans lesquelles il était impliqué, notamment de Colibris. Je me suis alors investie dans la campagne Tous candidats 2012. Mon activité de chanteuse m’a pris énormément de temps à cette époque et je regrette de ne pas avoir plus mis d’énergie dans cette campagne. Mais très bientôt, je serai plus active, surtout via mon nouveau site Internet. Pour moi, c’est tellement important de fédérer, de se retrouver ensemble, de rire et de jouer. J’ai l’intime conviction que la révolution — je n’aime pas trop ce mot qui peut avoir tellement de sens — se passe à l’intérieur de chacun. Je n’ai aucune prétention à éduquer ou à donner des leçons avec mes chansons, j’ai seulement pris conscience de certaines choses au fi l des dernières années, durant lesquelles j’ai fait la paix avec moi-même. Je parle beaucoup de cœur dans mon prochain album, car c’est le point central. Lorsque l’on a le cœur fermé, on voit la vie à travers son mental, on devient envieux, agressif, jaloux… Et comme, pour pouvoir aimer inconditionnellement, il faut pouvoir s’aimer soi-même sans condition, alors j’ai décidé de m’accepter telle que je suis pleinement.

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TEXTE PIERRE RABHI PHOTOS PATRICK LAZIC

Pierre Rabhi aujourd’hui ?

A la fin 2012, Pierre Rabhi s’est assis une fois de plus dans un petit café de Joyeuse, village voisin, où il a pour coutume d’écrire en regardant la vie qui passe. Il a rédigé ce texte en réponse aux questions qui lui sont souvent posées aujourd’hui, et pour faire le point à l’aube de ses 75 ans.

« Comment vas-tu ? » « Où en es-tu ? ». Ces questions me sont souvent adressées par des amis, des personnes attentionnées et bienveillantes. Toutes et tous sont au fait de mes engagements de vie, même si parfois ceux-ci ne sont pas clairs dans leur esprit, peut-être pour n’avoir pas été suffisamment explicites. Ils savent cependant mon implication dans la société et, en totale modestie, dans le monde. Cette société ne va pas vraiment comme des consciences de plus en plus nombreuses souhaiteraient qu’elle aille. Sommes-nous pour autant condamnés à faire de cette planète un lieu de destruction et de souffrance ? De cette magnifique et hospitalière oasis, au sein d’un désert astral et sidéral dont la démesure nous révèle notre insignifiance, nous avons fait un gisement de ressources à sacrifier à la vulgarité de l’avidité, à une tragique insatiabilité, source de la plupart de nos maux. Ainsi nous sommes-nous condamnés à ne jamais goûter à la pleine satisfaction, génératrice d’un bonheur tranquille. Comment être satisfait quand une idéologie sans intelligence prône inlassablement la croissance sans limites et donne au superflu plus d’importance qu’à l’indispensable ? Le triomphe d’une raison dévoyée et piégée par une pseudo-rationalité ne cesse de ressasser sa croyance en une modernité dont l’échec est évident pour toute conscience réellement éveillée. C’est ainsi que, par la force du non-sens, la planète a été ravalée à un champ de bataille où l’homme, contre l’humain et contre toutes les autres formes de vie, a créé un hypermarché où

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l’avidité et la compétitivité anéantissent l’équité, où la terre nourricière, l’eau sont empoisonnées, l’air, chargé de tous les miasmes toxiques. C’est ainsi que l’injonction d’une pseudo-économie, fondée sur le « toujours-plus », sape les piliers sur lesquels repose tout l’édifice auquel nous devons notre propre pérennité. C’est pour et par cette économie que l’on détruit les forêts, écume les mers et les océans, etc. Toutes ces exactions, les doctes économistes, imbus de leurs colonnes chiffrées, les font valider par des citoyens endoctrinés souscrivant à la logique de la spoliation programmée. Pour ne pas me répéter et ressasser, j’arrête là le réquisitoire et les imprécations qui se résument en une protestation plus douloureuse que coléreuse contre l’ordre des choses, indigne de l’intelligence généreuse dont le monde a un besoin vital. Il faut reconnaître également qu’au cœur du marasme une pensée nouvelle est en train d’éclore. Tandis que la politique au sens conventionnel s’acharne à maintenir un modèle incompatible avec les critères de la vie et de la survie, la société civile devient graduellement un vaste laboratoire d’innovations et

d’expérimentations d’alternatives indispensables au futur. Nos propositions ont transcendé le champ où des concepts stériles ne cessent de proliférer par la parole et l’image, et surchargent les rayons des bibliothèques de doctes considérations sans effets très apparents. Nous avons, quant à nous, toujours autant que nous le pouvons, à exprimer nos propositions par des réalisations concrètes. Des structures, au nord comme au sud, ont été édifiées comme outils d’une pédagogie fondée sur l’exemplarité, des sortes de prototypes suffisamment convaincants et par conséquent reproductibles. Notre modèle de société, dans sa grande complexité et sa force apparente, dépend en fait d’un système particulièrement fragile, d’un système pris en otage par les outils censés le servir, qui, à l’évidence, ne cessent de l’asservir et produisent de l’impuissance à agir. Toutes ces dérives et déconvenues plaident pour un retour aux sources de la pérennité de la vie, déterminées par la nature. Cela implique un réalisme absolu ; et le plus décisif serait déjà de reconnaître que la nature est aussi chacun de nous. Nous en sommes l’expression la plus élaborée dans

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© Patrick Lazic

La poésie de la vie d’Edgar Morin Edgar Morin, de son vrai nom Edgar Nahoum, est un sociologue et philosophe né à Paris en 1921. Résistant dans les Forces françaises combattantes en 1942, il prend alors le pseudonyme de Morin. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages, dont La Méthode considérée comme une œuvre encyclopédique. Pierre Rabhi… Je cherche un mot pour le désigner : Mage? Sage? Prophète? Frère? Il est une combinaison de tout cela, mais je préfère l’appeler frère, parce que je sens et sais que mes aspirations sont

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les siennes, que nos chemins convergent. Pour moi, à l’origine, il est d’abord le pionnier de l’agroécologie, cette pratique qui dépasse le simple traitement bio de la terre, des végétaux et des animaux pour s’inscrire dans la création ou la recréation du système où nous vivons en respectant son organisation éco-systémique complexe, manifestation spontanée de la biodiversité. Face à la destruction de cette biodiversité complexe par une agriculture et un élevage intensifs, l’œuvre terrienne de Pierre Rabhi s’inscrit dans une pensée écologique (laquelle manque terriblement aujourd’hui aux représentants


PROPOS RECUEILLIS PAR LUCILE VANNIER ET PASCAL GREBOVAL

« écolos » en politique) et dans sa réalisation concrète. Sa réflexion se hisse au niveau d’une critique de notre civilisation, elle en propose une métamorphose dans une politique globale de l’humanité faite d’idées et de gestes, faite de vie. Ce travail de Pierre n’est autre que l’alliance de l’écologie, du social et de l’anthropologie : la transformation du monde et notre propre transformation individuelle sont liées. Cet homme est inspiré par ce qui n’a pas de nom, ce qui est mystère, mais qui est la source de toute vie. Il annonce la possibilité de temps nouveaux mais dépendants de notre conscience, de notre volonté, de notre solidarité. Pour ma part c’est en 1969 que je suis entré en contact avec des scientifiques de l’écologie. Quarante ans plus tard, je ne peux que constater la lenteur et le caractère fragmentaire de la prise de conscience qu’auraient dû entrainer les désastres écologiques de ces dernières années. Les mouvements écologistes en politique n’ont jamais intégré la connaissance des écosystèmes ni les fondements biologiques de l’écologie, pas plus qu’ils n’ont réfléchi aux relations entre les sociétés humaines et la nature et à la corrélation de leurs dysfonctionnements. Aujourd’hui l’espérance réside dans trois grands principes que j’ai développés dans le livre L’An I de l’ère écologique : l’improbable, les potentiels humains inexploités et les possibilités de métamorphose. De petits groupes d’hommes et de femmes, à travers des initiatives concrètes comme celles que mène Pierre Rabhi, font avancer l’écologie dans le bon sens. Eux seuls pourront faire apparaitre au grand jour que l’on a atteint un seuil critique, inverser la tendance et montrer en quoi la désintoxication de notre surconsommation ne peut qu’apporter un mieux-vivre. Nous devons, à plus grande échelle, nous rassembler et recréer les conditions de ce mieux-vivre. L’amélioration de la qualité de nos vies passera par l’amélioration des liens qui nous unissent. Je songe au grand penseur de l’écologie qu’a été Ivan Illich. Au début des années 1970, il a véhiculé deux messages fondamentaux : tout d’abord, en dégradant la nature, c’est nous-mêmes que nous dégradons, nous qui émanons d’elle. Puis il a évoqué notre propre nature humaine, avilie par les civilisations consuméristes et capitalistes, que seul un retour à la convivialité pourrait rassembler. Il nous revient en

effet de décloisonner là où l’industrie et le monde du travail ne font que fractionner, de nous relier les uns aux autres. En guise d’illustration de ce concept, j’aime utiliser le terme de « reliance », mot inventé par le sociologue belge Marcel Bolle de Bal pour désigner cette nécessité de nous relier, de nous retrouver. Ainsi nous pourrions éprouver réellement notre destin commun, le sens de la responsabilité personnelle, de l’engagement pour toute l’humanité dont nous sommes chacun une petite fraction, un petit colibri… « Tout homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition », disait Montaigne ; en portant l’humanité en lui, chaque être en est responsable à sa mesure. Aujourd’hui, plus que par les mille moyens de communication qui nous tiennent en contact permanent, c’est par notre communauté de destin que l’on peut véritablement s’unir. Nos temps actuels, faits de fanatismes, d’armes de destruction massive et d’une économie où le peuple est contrôlé par l’Etat, ont besoin de notre prise de conscience – disons plutôt, pour ne pas utiliser cette expression que Pierre entend un peu comme une prise électrique, qu’il est temps que la conscience nous prenne. Il est évident que les grandes structures telles que l’Onu, le FMI et bien d’autres sont dépassées par la guerre, la faim dans le monde et les crises économiques, elles ne sont pas à même de traiter des problèmes vitaux. Que se passe-t-il alors, lorsque des civilisations perdent pied ? Ou bien elles sombrent complètement, ou bien elles se relèvent et parviennent à extraire d’elles-mêmes une conscience, une énergie, une forme de créativité qui leur permettent de se transformer, d’adopter ce comportement de métamorphose propre à la nature où l’on voit la chenille capable de devenir papillon. Une société ne peutelle pas faire de même ? Changer le monde ou se changer soi-même, comme Gide on se demande par où commencer ; or ces deux mouvements vont ensemble et c’est le bonheur qui peut en permettre l’impulsion, le bonheur de l’instant ou celui, plus durable, qui unit les êtres dans une condition de paix globale entre eux et avec eux-mêmes. Telle est pour moi la « poésie de la vie ».

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© Yvan Saint-Jours

Bibliographie de Pierre Rabhi Du Sahara aux Cévennes, ou la reconquête du songe, Éditions Albin Michel, Paris, 1983. Prix du Cabri d’or, à Alès en 1984. Le Gardien du feu, Éditions de Candide, Lavilledieu, 1986, Éditions Albin Michel, Paris, 2003. L’Offrande au crépuscule, Éditions L’Harmattan, 1989 (préface de Georgina Dufoix). Prix des Sciences sociales agricoles du ministère de l’Agriculture en 1989. Le Recours à la terre (recueil d’articles), Éditions Terre du Ciel, Lyon, 1995.

Parole de terre : une initiation africaine, Éditions Albin Michel, Paris, 1996 (préface de Yehudi Menuhin).

La Part du colibri, l’espèce humaine face à son devenir, Éditions de l’Aube, 2006.

Manifeste pour des Oasis en tous lieux, ouvrage collectif sous la direction de Pierre Rabhi, 1997.

Terre-mère, homicide volontaire, entretiens avec Jacques-Olivier Durand, Le Navire en pleine ville, 2007.

Pierre Rabhi, le chant de la Terre, Rachel et Jean-Pierre Cartier, Éditions de la Table Ronde, Paris 2002. Revu et augmenté par Anne-Sophie Novel en 2012.

Manifeste pour la terre et l’humanisme, Éditions Actes Sud, Arles, 2008 (préface de Nicolas Hulot).

Graines de possibles, regards croisés sur l’écologie avec Nicolas Hulot, propos recueillis par Weronika Zarachowicz, Éditions Calmann-Lévy, Paris, 2005. Conscience et environnement, Éditions du Relié, Gordes, 2006.

Vers la sobriété heureuse, Éditions Actes Sud, Arles, 2010. Éloge du génie créateur de la société civile, Éditions Actes Sud, Arles, 2011. Le blog de Pierre Rabhi www.pierrerabhi.org



Œuvres citées ou d’auteurs interviewés p.10 Les Moissons du futur, Marie-Monique Robin, 2012. p.23 La Fécondité de la terre, Ehrenfried Pfeiffer, Éditions Triades, 1972. La Planète au pillage, Fairfield Osborn, Éditions Actes Sud, Babel, 2008 (réédition de l’ouvrage paru en 1949). Printemps silencieux, Rachel Carson, Éditions Houghton Mifflin, 1962 (réédité en 2009 par Wildproject). Némésis médicale, Ivan Illich, Éditions Seuil, 1973. p.24 L’Ardèche sauvage, Simon Bugnon, Septéditions, 2009. p.40 Le Monastère de Solan, une aventure agroécologique, Thierry Delahaye, Éditions Actes Sud 2011. p.50 Psychologie positive: le bonheur dans tous ses états, Matthieu Ricard, Éditions Jouvence, 2011. p.54 Pieds nus sur la terre sacrée, textes rassemblés par T. C. McLuhan. Photographies de Edward S. Curtis, Éditions Denoël, réédité en 2011.

p.55 L’Éveil de l’intelligence, Jiddu Krishnamurti, Éditions Stock, 1975.

p.111 Solutions locales pour un désordre global, de Coline Serreau, 2010.

p.57 Réconcilier sagesse et société : charte de l’Europe des consciences, Alain Chevillat ; préface de Marguerite Kardos, Éditions Jouvence, Bruailles, «Terre du ciel», 2006.

p.114 (R)évolutions pour une politique en actes, collection « Domaine du possible », Éditions Actes Sud, 2012.

p.62 Manuel des jardins agroécologiques, Terre & Humanisme, Éditions Actes Sud, 2012. p.66 Famines au Sud, mal-bouffe au Nord, Marc Dufumier, NiL éditions, 2012. p.70 L’Économie humaine, mode d’emploi. Des idées pour travailler solidaire et responsable, Jérôme Henry, Éditions d’Organisation, 2011. p.71 Qui a tué l’écologie ? Fabrice Nicolino, Éditions LLL, 2011. p.84 DVD L’École du Colibri, Réalisé par Anne Barth, produit par Michel Valentin, 2011. p.91 La Femme feuille, Charles Hervé-Gruyer, Éditions Albin Michel, 2007. p.97 La Ferme des Enfants, Sophie Rabhi, collection « Domaine du possible », Éditions Actes Sud, 2011 p.101 Pour un pacte écologique, Nicolas Hulot, Éditions Calmann-Lévy, 2006.

p.117 Zaz, Zaz, label Play On, 2010. p.120 Pierre Rabhi le Fertile (livre accompagné d’un CD), Serge Orru, Éditions Textuel, 2012. p.124 L’An I de l’ère écologique, Edgar Morin, Éditions Tallandier, 2007.

Sites internet Le monastère de Solan www.monasteredesolan.com L’association Oasis en Tous Lieux www.oasisentouslieux.org Terre & Humanisme www.terre-humanisme.org Le Mapic www.appel-consciences.info Les Amanins www.lesamanins.com Le Hameau des Buis et la Ferme des Enfants www.la-ferme-des-enfants.com Le mouvement Colibris www.colibris-lemouvement.org

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Manifeste pour un changement du monde PAS À pas L

’humanité se trouve aujourd’hui face à un ultimatum, qui nous oblige à changer pour ne pas disparaître. La logique du progrès, qui aspirait à libérer l’être humain et à améliorer sa condition, est à l’évidence en train de l’incarcérer encore d’avantage. Dans un monde où l’indigence côtoie un superflu sans limite, et où toute puissance est donnée à l’argent, les déflagrations sociales ne peuvent que s’amplifier et convulser l’ensemble de la société. L’ère de la technologie fondée sur les combustions énergétiques a relégué la nature, pourtant seule garante de notre survie, à un simple gisement de ressources à piller indéfiniment. Ce faisant, elle lui inflige des dommages considérables.

Face à cet implacable constat nous aurions toutes les raisons de désespérer et pourtant, silencieusement, un nouveau monde est en marche. Tandis que la politique exerce une sorte d’acharnement thérapeutique sur un modèle obsolète, la société civile fait preuve d’un génie extraordinaire. Aux quatre coins du monde, des femmes et des hommes inventent une agriculture abondante, sans pétrole, fondée sur la diversité et l’interdépendance des espèces ; des modèles énergétiques utilisant les forces inépuisables de l’eau, du soleil et du vent ; des bâtiments ultraéconomes, faits de matériaux sains et locaux, produisant plus d’énergie qu’ils n’en consomment ; des économies locales qui organisent une répartition équitable de nos richesses et encouragent l’autonomie du plus grand nombre ; des modèles industriels zéro déchet, utilisant les rebuts pour créer des produits nouveaux ; des lieux où chaque enfant peut s’épanouir et découvrir qui il est… Ces initiatives sont la preuve de vitalité de la vie qui veut vivre.

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KAIZEN | HORS-SéRIE 1

C’est à ce monde que nous choisissons de donner la parole aujourd’hui, à ces personnes qui portent les (r)évolutions que nous attendons, à ces initiatives pionnières qui, par leur simplicité et leur bon sens, nous offrent de nouveaux horizons, de véritables raisons de croire en l’avenir. Pourtant, il ne s’agit pas de proposer ici un énième catalogue de solutions. Les initiatives, pour elles-mêmes, nous intéressent moins que l’esprit qui les porte. Car au-delà de remplacer les énergies fossiles par les renouvelables ou l’agriculture chimique par la bio, c’est à l’âme humaine que nous nous intéressons. Au sens que nous donnons à nos vies, à nos capacités d’empathie et d’émerveillement, à notre profond désir d’être libres. Plus que tout, nous croyons qu’il ne peut y avoir de réelle métamorphose de nos sociétés sans un profond changement de ceux qui la composent : chacune et chacun d’entre nous. Avec créativité, humour, légèreté et rigueur, nous nous engageons, au fil des pages de Kaizen, à inventer un nouveau rêve, et à le concrétiser en même temps. Plus que jamais, nous avons soif d’inspiration et de reliance, pour construire dès à présent ce monde nouveau, dans lequel vivront demain nos enfants, leurs enfants et les enfants de leurs enfants… Le temps est venu de placer l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations, et de nous appuyer sur la puissance de la modération pour un vivre ensemble apaisé et heureux. L’argent peut acheter beaucoup de choses, mais pas la joie à laquelle chacune et chacun d’entre nous aspire de tout son être.


CHANGER LE MONDE PAS À PAS

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