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Débéissance et ambition
DESOBÉISSANCE ET AMBITION
1
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Qu’un individu décide de construire une chose quelconque ,
une coque de téléphone portable, un logiciel de traitement de texte, un véhicule motorisé ou encore, sa propre habitation, semble être à première vue une action relativement bénigne.
En revanche, prenant place au sein d’une communauté évoluant
dans un environnement conforme approvisionné continuellement
par une production délocalisée 2 , cette même action semble tout à
coup revêtirune signification plus politique. Présente à la racine du
mouvement Maker, cette approche dissidente semble s’être incarnée
depuis plusieurs décénies dans un domaine particulier, celui du hacking 3 .
1 "Radio Caroline", photo par MV Ross Revenge.
2 "L'éloignement des territoires d'approvisionnement", Jean-Baptiste Bahers, L'économie autrement 1/4, Entandez-vous l'éco ?, France Culture, 2017.
L’exemple des "radios pirates", décrites par l’écrivain
Michel Lallement dans son livre "l’Âge du Faire 1 ", nous paraît être une
illustration pertinente de ce caractère subversif.
Initiées dans la seconde moitié du XXème siècle en Europe du
Nord, il s’agissait de stations informelles, diffusant des programmes
musicaux ainsi que des émissions diverses, animées par des individus
disposant d’un matériel de transmission tout à fait ordinaire. Cependant,
la radiodiffusion se trouvant à cette époque sous le contrôle strict de
l’état dans plusieurs pays de cette région, notamment le Royaume-Uni,
les Pays-Bas, ainsi que la France, il s’agissait d’activités clandestines
dont l’exercice nécessitait le recours à certains stratagèmes. L’exemple
de l’installation offshore de "Radio Caroline" en Angleterre, ou des
différentes radios nomades en France dans les années 1960 en sont de
parfaites démonstrations.
Bravant les embargos mis en place par leurs gouvernements, ces
groupes proposaient néanmoins des espaces d’une liberté d’expression
encore démesurée et par-dessus tout, accessibles à tous, à l'unique
condition de posséder un poste radio 2 .
1 Michel Lallement, "l'Âge du Faire", Seuil, 2015.
C'est dans cette démarche visant à contourner un système par
l'appropriation de ses composants dans le but de le modifier selon ses
envies que réside l'essence du mouvement Hacker 3 .
Appliqués aux domaines de la fabrication, ces principes s’accordent
avec cette volonté de retrouver une relation riche avec les objets qui nous
entourent, passant par une implication directe dans leur élaboration.
Remettre en question des principes établis 4 , réviser nos habitudes de
consommation 5 , repenser notre relation au travail 6 … De nombreux
auteurs se sont attelés à l’étude de ces préceptes et à la proposition de projets encouragent leur propagation. Déjà à l’échelle de l’informatique, le recours à l’open source est désormais largement rependu dans le développement des programmes récents. Court-circuitant une conception devenue confidentielle, comme en témoigne le recours permanent aux brevets, plusieurs entreprises préfèrent maintenant s’appuyer sur une communauté externe pour le perfectionnement de leurs produits.
3 Ce dernier peut alors être détourné, amélioré, détérioré ou tout simplement étudié.
4
5 Michel Lallement, op.cit., page 86.
Chris Anderson, op.cit., page 52.
En parallèle, ce mouvement de démocratisation de l'informatique
ayant acquis une certaine maturité, les innovations qu’il a engendrées ces
dernières années ont maintenant fait leurs preuves. En d’autres termes,
là où, à leur lancement, des doutes étaient possibles quant à la parfaite
exécution d’un programme libre, ou encore sur son équivalence face à un
programme propriétaire, leur efficacité est maintenant établie 1 .
Ayant acquis le statut de véritables alternatives à une vision
commerciale et intéressée de l’informatique, où des individus considérés
comme non-sachants, sont contraints d’utiliser des machines "d’une
seule et unique manière , celle des développeurs 2 ". Passant du logiciel
au moteur de recherche, jusqu’au système d’exploitation complet, il est
dorénavant possible pour notre génération, d’une part de se procurer
aisément ces outils, et d’autre part, d’accéder aux connaissances
nécessaires à leur prise en main 3 .
4
1 Du grain à moudre, "Que reste-t-il du logiciel libre ?", France Culture, 2018
2 Richard Stallman, "Logiciels libres et éducation. Liberté, égalité, Fraternité", 2012.
3 Moteur de recherche "Mozilla Firefox" depuis 2003 ; Système d'exploitation "Linux"dont la première version date de 1991.
Liberté 0. La liberté de faire fonctionner le programme comme vous le voulez, pour n'importe quel usage.
Liberté 1. La liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu'il effectue vos tâches informatiques comme vous le souhaitez ; l'accès au code source est une condition nécessaire.
Liberté 2. La liberté de redistribuer des copies, donc d'aider les autres.
Liberté 3. La liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées, en faisant cela, vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de vos changements.
Du point de vue matériel, c’est l’intégralité du système de
production industrielle qui est contournée. Des innovations en plein essor,
comme les imprimantes 3D, semblent en capacité de concurrencer les
chaînes d’assemblage des usines.
Déjà, par la réduction croissante de son prix d’acquisition rendant
progressivement sa domestication généralisée envisageable : devenue
accessible au même titre que n’importe quel appareil d’électroménager,
il serait alors possible pour chaque foyer de disposer d’une usine de
production locale, abolissant du même coup, les flux internationaux
induits par certaines marchandises.
De plus, par la pondération des coûts de fabrication : une
imprimante étant une machine automatisée traduisant un ordre
numérique, les seules différences intervenant dans l’exécution d’une
tâche plus ou moins complexe se trouveront dans la quantité de matière
utilisée et le temps de travail nécessaire. Ces deux variables ayant un
prix de revient quasi nul, la personnalisation ainsi que la complexité
deviennent aussitôt admises dans la conception 1 .
Enfin, certains de ces outils possèdent également la capacité de
se construire d’eux-même à l’identique 2 , du moins encore partiellement. 3
1 Chris Anderson, op.cit., page 52.
Garantissant au pire, des possibilités de maintenances et au mieux, une reproductibilité infinie. Cette aptitude, encore imparfaite, constitue un solide argument à son développement.
3
Au-delà des espoirs portés par ces nouveaux outils numériques,
les processus de fabrication sont également revisités. Renversant le
triptyque classique : Produire, Consommer, Jeter", les principes de
l’économie circulaire proposent de refermer cette chaîne linéaire. Ce qui
autrefois était considéré comme un "déchet" est maintenant perçu
comme une ressource au sein d’un milieu pouvant être quantifiée et
stockée 1 . Ainsi ce modèle de fabrication invite les concepteurs à mobiliser
en priorité ces matériaux déjà disponibles plutôt qu’a s’intéresser à une
matière première encore inexploité à fortiori plus difficilement accessible.
Mis en place sur des circuits courts, ce dispositif propose l’avantage
double d’éviter le gaspillage tout en limitant l’extraction des ressources 2 .
Après les enjeux d’approvisionnement, ce schéma économique encourage une circulation généralisée des différents outils et moyens de transformation. L’usure d’une machine étant négligeable en comparaison aux possibilités de création qu’elle permet, cette mise en commun aurait pour premier effet une utilisation de ces biens de manière optimale. Plusieurs études démontrent en effet qu’une majorité d’individus possède aujourd’hui une quantité d’appareils qu’ils n’utilisent que de
1 Camille Bosqué, "Fais le toi-même", Arte, 2016.
manière ponctuelle, emprisonnant alors une certaine quantité d’énergie,
nécessaire à leur production, alors figée et inexploitée 3 . Deuxièmement,
ces objets étant maintenant mutualisés, elle induit indirectement une diminution de leur fabrication. Enfin elle assure l’apparition d’une coopération entre des individus voire, l’apparition de communauté, pouvant ainsi assurer l’organisation du partage de ces outils, jusqu’à la prise en charge de leur maintenance.
A l’échelle macroscopique, l’assimilation de ces principes par les
infrastructures industrielles existantes semble cependant problématique.
L’un des premiers obstacles rencontrés fut celui de l’irrégularité de ces
nouvelles "briques" de déchets, incompatible avec le fonctionnement
exclusif des filiaires actuelles. Plusieurs actions ont alors été menées,
passant d’initiatives de tri en amont des usines au développement de
nouveaux matériaux biosourcés, chacune d’entre elles encouragent cette
transition vers une écologie industrielle. 4
3 Jean-Baptiste Bahers, L'économie autrement 1/4, France Culture, 2017.
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