![](https://assets.isu.pub/document-structure/230616092212-c1a0149ba11f1054c66c9be1a41819fd/v1/b63093623562cb4306384f73190318d8.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
5 minute read
LE POINT COMMUN ENTRE ROGER RAVEEL ET DAVID HOCKNEY? UNE TOILE DE WAREGEM!
Une salle gigantesque, deux artisans en tenue de peintre qui s’affairent, une toile aux dimensions faramineuses… et un travail d’orfèvre. «Ils sont en train d’appliquer une deuxième couche de colle à l’aide d’un couteau, une truelle en quelque sorte. C’est très important de bien répartir la colle sur toute la toile», nous explique Thomas Huyvaert, responsable et propriétaire de l’entreprise Claessens Artists’ Canvas, tandis que nous observons de loin la scène.
La pièce dans laquelle nous sommes, et dont la hauteur des plafonds nous donne le vertige, n’est pas un atelier, mais un entrepôt peu connu du grand public, au cœur de Waregem. Peu connu, certes, mais historique: la ville de Flandre Occi- dentale n’est peut-être pas réputée pour être un centre artistique, mais elle abrite une entreprise familiale appréciée dans le monde, Claessens Artists’ Canvas. Ce e société incarne le dernier producteur de toiles de peintres en Belgique, alors que son histoire remonte à 1906.
Advertisement
Une marque mondiale
Après la Seconde Guerre Mondiale, l’arrière-grand-père de Thomas Huyvaert – à la tête de l’entreprise depuis treize ans – a repris l’entreprise d’Armand Claessens, le fils de Victor Claessens, qui a fondé la maison. En six générations, Claessens Artists’ Canvas s’est imposée comme une marque mondiale de toiles. Chaque année, la maison produit pas moins de 150.000 mètres courants de toile de peintre, ce qui représente 300.000 peintures d’un mètre sur un mètre. Mais c’est pour les formats inhabituels que les artistes et magasins d’art du monde entier viennent ici. «Je ne peux pas le prouver mais, à ma connaissance, nous sommes le seul fabricant de grandes toiles. Nous disposons de l’espace suffisant pour les produire», explique Thomas Huyvaert.
La toile de plusieurs mètres de long que nous contemplons, et sur laquelle les deux artisans appliquent minutieusement de la colle, a été commandée par un client londonien. Dans l’entrepôt, nous découvrons de grands rouleaux qui a endent d’être envoyés au Brésil, en Norvège et au Mexique. «Notre principal marché, c’est l’Europe, mais nous exportons dans tous les coins du monde. Nos plus grands marchés sont les États-Unis, le Japon, la Chine, Taïwan et l’Afrique du Sud», résume le patron. «Il s’agit d’ailleurs d’une constante dans notre histoire: dans nos premiers carnets de ventes, nous avons retrouvé des commandes d’Amsterdam et de Prague.»
Qu’il s’agisse du post-expressionniste Roger Raveel, du graphiste Joseph Willaert, du discret Raoul De Keyser ou encore, de l’Anversois Luc Tuymans, peintre de renommée mondiale, tous peignent sur des toiles issues de l’entreprise. La société est également appréciée de noms célèbres comme l’expressionniste néerlandais Karel Appel et l’artiste britannique de Pop Art, David Hockney. «Jackson Pollock a peint au moins deux œuvres sur des toiles Claessens», poursuit Thomas Huyvaert. «Nous sommes à 90% certains que Magri e a également peint sur des toiles de notre entreprise. Un membre de sa famille gérait un magasin de matériel pour artistes. Il était l’un de nos fidèles clients. Cela nous étonnerait que Magri e soit allé chercher ses toiles ailleurs», poursuit-il.
Une qualité qui se paie
Les toiles ne sont pas bon marché. Le prix moyen pour un mètre courant se chiffre à 50 euros. Pour une toile
5.000 € de trois mètres de large, le prix a eint rapidement 250 euros par mètre courant. «C’est une erreur de penser que pour une grande toile, il faut simplement multiplier le prix par deux. Si la toile ne peut être traitée par nos machines, il faut au moins deux personnes pour faire le travail à la main. Par conséquent, une toile comme celle-ci peut facilement coûter entre 4.000 et 5.000 euros», argumente Thomas Huyvaert.
Une très grande toile peut facilement coûter entre 4.000 et 5.000 euros.
Un prix qui se justifie également par le large choix offert aux clients, que ce soit en termes de dimensions ou en termes de textures. Dans sa gamme, Thomas Huyvaert possède pas moins de 15 types de lin, du très fin au très grossier. «Selon le style de leurs peintures, les artistes ont besoin de différents types de toiles. Une nature morte réaliste ou encore, un portrait, exige une toile très fine, tandis qu’une œuvre abstraite avec des couches épaisses de peinture requiert une toile plus rugueuse».
Inflation
Tout comme de nombreuses entreprises, Claessens a subi l’inflation galopante. Le prix du lin, la principale matière première pour produire les toiles, a augmenté de 50%. «Puisque que tout le monde a investi dans sa maison et son jardin pendant la crise du coronavirus, la demande de lin a explosé et les filatures ne pouvaient plus suivre», explique le patron. «Auparavant, nos commandes étaient livrées immédiatement alors qu’aujourd’hui, nous devons a endre très longtemps et nous avons de nombreuses demandes qui sont en a ente. Nos propres clients doivent parfois a endre jusqu’à six mois pour recevoir leur commande. Et ils ne sont pas habitués à cela.»
Heureusement, il n’est pas évident pour les boutiques spécialisées de changer de fournisseur. En France, en Pologne et en Espagne, on trouve encore des producteurs traditionnels, mais aucun d’entre eux ne peut rivaliser avec Claessens Artists’ Canvas, qui enregistre un chiffre d’affaires annuel de trois millions d’euros. «Bien entendu, vous pouvez acheter des toiles bon marché chez Action ou dans un autre magasin de loisirs créatifs, mais ces commerces ne sont pas de réels concurrents. Nous produisons des toiles d’une très haute qualité.»
![](https://assets.isu.pub/document-structure/230616092212-c1a0149ba11f1054c66c9be1a41819fd/v1/84a0e082ac977567de9250dd4756c869.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
Une nature morte réaliste ou encore, un portrait, exige une toile très fine, tandis qu’une œuvre abstraite avec des couches épaisses de peinture requiert une toile plus rugueuse.
![](https://assets.isu.pub/document-structure/230616092212-c1a0149ba11f1054c66c9be1a41819fd/v1/a197573b205395485717aa9391beb35d.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
![](https://assets.isu.pub/document-structure/230616092212-c1a0149ba11f1054c66c9be1a41819fd/v1/5b40f10e24640c7dd1a0e4a003234289.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
Une notoriété en toile de fond
Le nom de «Claessens» n’est pourtant pas très connu. Cela s’explique notamment par le fait que, pendant des années, les toiles ne portaient pas la signature de l’entreprise. Dans les années 1930, un importateur américain a spontanément commencé à estampiller les toiles avec le nom Claessens. Aujourd’hui, chaque toile porte la mention discrète du nom du producteur. «Quoi qu’il en soit, on trouve systématiquement notre nom au dos de la toile, mais cela ne nous apporte pas une grande notoriété», explique Thomas Huyvaert. «Pour y remédier, nous avons créé un musée virtuel où chacun, qu’il soit amateur ou professionnel, peut partager ses toiles, issues de notre entreprise, sur un site internet dédié.»
Le lieu historique du centre de Waregem, où Claessens est installé depuis 1906, passe également inaperçu. Pourtant, pendant notre visite, Thomas Huyvaert nous emmène dans des zones inoccupées du hangar, qui ont survécu aux deux Guerres Mondiales. La combinaison entre les structures de maçonnerie brutes, les résidus de peinture et de colle et la lumière indirecte font de cet espace un musée en soi. «Le groupe de musique Bazart a enregistré ici un clip vidéo», raconte Thomas Huyvaert. «En fait, nous pourrions faire beaucoup plus de choses ici. Hormis les participants à un parcours artistique local qui a lieu une fois par an et des visiteurs d’expositions occasionnelles, presque personne ne vient ici», ajoute-t-il.
«Tant que nous pouvons rester dans ce bâtiment, nous le ferons. C’est ici que j’ai grandi. L’usine était mon terrain de jeu», confie Thomas Huyvaert. «Nous avons un jour pensé à déménager, mais je suis content que cela n’ait pas abouti. Si nous fabriquions nos toiles ailleurs, elles perdraient une partie de leur âme. ■
CLAESSENS ARTIST’S CANVAS
> Entreprise spécialisée dans la fabrication de toiles pour peintures à l’huile et à l’acrylique;
> Société basée à Waregem, où la production a commencé en 1906;
> Emploie onze personnes, dont cinq en production;
![](https://assets.isu.pub/document-structure/230616092212-c1a0149ba11f1054c66c9be1a41819fd/v1/3b9346764285132543e7cc3b347cb6bd.jpeg?width=720&quality=85%2C50)
> Propriétaires: Thomas Huyvaert et son père, Philippe Huyvaert.
3 millions €
Claessens Artists’ Canvas enregistre un chiff re d‘affaires annuel de trois millions d’euros.
Le nom de «Claessens» n’est pas très connu. Cela s’explique notamment par le fait que, pendant des années, les toiles ne portaient pas la signature de l’entreprise.
![](https://assets.isu.pub/document-structure/230616092212-c1a0149ba11f1054c66c9be1a41819fd/v1/88642e3a3a3eac519111434dd7fbb70f.jpeg?width=720&quality=85%2C50)