JA3113 du 1er juin 2022 ACF AFRICA CEO FORUM

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ÉCONOMIE selon la Cipres, dont la secrétaire exécutive est la Camerounaise Cécile Gernique Bouba Djukam.

Adopter une vision long-termiste La création du FIA découle d’une prise de conscience de l’impasse vers laquelle nombre de fonds de retraite africains se dirigeaient ces dernières années. « Dans la zone Cipres, une grande partie des ressources à moyen terme et à long terme des établissements bancaires provient des organismes de prévoyance sociale », selon le régulateur panafricain, qui regrette qu’en dépit de ce poids les caisses de retraite « restent des acteurs passifs » dans l’utilisation de leurs fonds. Plus grave, estime l’institution, les placements réalisés par ces structures sont, pour l’essentiel, « des dépôts à terme [et] accessoirement des souscriptions d’obligations ». Au manque de diversification s’ajoutent « des taux de rentabilité peu rémunérateurs qui oscillent entre 1 % et 6 % ». Pour ne rien arranger, les « investissements lourds » réalisés par ces caisses de retraite dans le secteur immobilier « ont occasionné des déficits qui ont notablement érodé les réserves de certaines institutions ». Le FIA participe à la résolution de ce problème. Le pilotage en a été confié à l’Ivoirien Youssouf TraoréKouao, formé en économie et en assurances en France et passé par le Royaume-Uni, qui conseillait le Cipres sur ce projet depuis 2020. L’équipe de gestion sera implantée à Abidjan. L’existence même de cette structure est un signe du chemin parcouru depuis une dizaine d’années par les caisses de retraite africaines. Au début des années 2010, la plupart d’entre elles étaient gravement déficitaires dans la région – plusieurs le demeurent. Entre 2005 et 2011, la CNPS ivoirienne avait accumulé 200 milliards de F CFA de déficit, aime à rappeler Charles Kouassi, son actuel directeur général. À la suite d’une réforme du régime de pension mise en œuvre par le président Alassane Ouattara (rallongement de l’âge de départ à la retraite, hausse des taux de cotisation…), les finances de l’institution, comme celles de sa consœur dévolue au secteur public, la CGRAE, sont au beau fixe. La CNPS engendre chaque année plus de 100 milliards de

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JEUNE AFRIQUE – N° 3113 – JUIN 2022

F CFA d’excédents (cotisations supérieures aux paiements de retraite) et son portefeuille financier de plus de 500 milliards de F CFA à la fin de 2020. Fin 2021, Charles Kouassi a annoncé l’objectif de 2000 milliards de F CFA en 2030. « Avec le passage du déficit à l’excédent, le métier des caisses de retraite change », explique Denis ChemillierGendreau, dont le cabinet a conseillé plusieurs de ces institutions sur le continent. « Il faut se transformer, avoir une vision de très long terme et s’assurer que le portefeuille d’actifs permette de répondre aux besoins futurs des cotisants », complète cet expert. Selon lui, la CNPS a su adopter cet « état d’esprit différent », ren-

Le taux moyen de la population active couverte par un régime de pension est inférieur à 15 % sur le continent. forçant ses équipes, sa structure IT et surtout en adoptant « une démarche de gestion des actifs et des passifs », autrement dit un pilotage stratégique, impliquant gestion des risques et planification active et long-termiste. Aussi, la CNPS et plusieurs de ses consœurs vont-elles, chaque fois davantage, au-delà des investissements dans les titres obligataires publics. La caisse de retraite ivoirienne contrôle près de 20 % de NSIA Banque CI, de la Banque nationale d’investissement et de Bridge Bank, à Abidjan. Elle contrôle également 4,7 % du gestionnaire de services publics ouest-africains Eranove. Selon son DG, les revenus tirés de ces investissements ont atteint 26 milliards de F CFA en 2021 contre 1 milliard en 2012. Ils couvrent aujourd’hui toute la masse salariale. Cette appétence nouvelle pour l’investissement incite d’ailleurs les fonds – encouragés par certains États – àdévelopperdesrégimescomplémentaires de pensions par capitalisation. En Côte d’Ivoire, la CGRAE comme la CNPS ont lancé au cours des derniers

mois de tels régimes. La caisse de retraite privée travaille d’arrache-pied à un ambitieux programme d’enrôlement au sein d’un régime de pension des travailleurs non salariés (9 millions en Côte d’Ivoire, contre environ 800 000 affiliés à la CNPS). Une avancée nécessaire alors qu’à peine 13 % à 15 % de la population active en Afrique est couverte par un régime de pension, expliquait en avril Jaqueline Irving, économiste à IFC (branche de la Banque mondiale dévolue au secteur privé) durant un webinaire organisé par l’Africa CEO Forum*. L’experte a pointé les progrès réalisés dans certains pays comme le Kenya, où ce taux de couverture est passé de 15 % à 20 % entre 2015 et 2019, grâce au volontarisme des autorités, des régulateurs et des gestionnaires de fonds.

Pénurie de titres investissables Ce nouvel activisme et ces ambitions sont souvent limités, selon Jacqueline Irving, par le manque de produits d’investissement locaux adaptés à leurs besoins, notamment en matière de maturité. Une « pénurie de titres investissables » qui s’explique par le fait que « les gestionnaires d’actifs approchent les fonds avec des produits prêts à l’emploi », sans consultation préalable. « Sur les marchés où les fonds de pension sont engagés de manière active avec les banquiers d’affaires locaux à un stade précoce du développement des produits d’investissement, ces derniers sont susceptibles de mieux répondre aux besoins des investisseurs », a complété l’experte d’IFC. « On commence à avoir des acteurs importants dans la gestion et l’investissement dans la région », tempère Denis Chemillier-Gendreau. « Il revient aux fonds de retraite d’organiser des appels d’offres, de mettre ces acteurs en concurrence pour la gestion de ces ressources. Et de se concentrer sur leur métier pour devenir des investisseurs institutionnels », recommande le président de Finactu. Reste à savoir si ces messages seront entendus par les sociétés de gestion d’actifs, les banques d’investissements et les régulateurs africains. * L’Africa CEO Forum est affilié à Jeune Afrique Media Group.


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