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farine, un tonneau d’huile et deux beaux agneaux vivants. Puis il demanda à Matslia’h combien il lui devait pour les tasses. Celui-ci déclara au Gouverneur le prix qu’il avait payé augmenté de sa commission habituelle. « Comment ? C’est tout ce que tu as payé pour ces tasses si précieuses ? dit le Bey, très surpris. Tu dois savoir que le Gouverneur de Tunis ne cherche pas à marchander. Tu recevras donc le prix de leur valeur véritable ! » Tout étonné de la tournure des événements, Matslia’h quitta le palais avec une très grosse somme d’argent. Alors qu’il se rendait enfin chez lui, voilà qu’il rencontra à nouveau le Grand Rabbin ! « Maintenant, je peux doubler ma contribution à vos œuvres charitables » s’exclama-t-il tout en donnant au Rabbi une somme égale à celle qu’il lui avait offerte auparavant. « Rabbi, votre bénédiction s’est accomplie ! » dit Matslia’h tout en racontant la suite d’événements qui venait de se produire. « D.ieu merci, nous avons tous les deux connu une réussite extraordinaire, dit le Rabbi. Passe une bonne fête ! » Ce fut effectivement une très belle fête de Chavouot pour Matslia’h et sa valeureuse épouse Mazal. Ce qui les rendit le plus heureux, c’était le fait qu’ils aient pu une fois de plus célébrer le Tikoun avec encore plus de faste que d’habitude.
Le Choffar Mystérieux
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ette histoire qui fut celle d’un garçon juif de Moscou - prit place alors que la Seconde Guerre Mondiale faisait rage. L’armée allemande avait déjà conquis de vastes territoires en U.R.S.S et s’approchait rapidement de Moscou. La majorité des Juifs avaient été évacués des grandes villes de Russie et envoyés dans des conditions épouvantables dans les républiques d’Asie centrale, en particulier en Ouzbékistan et au Kazakhstan. Les rapports qu’on entendait de là-bas étaient terribles. Les Juifs qui s’y étaient réfugiés souffraient de faim, d’épidémies et de conditions d’hébergement effroyables. C’est pourquoi la famille dont nous parlons hésitait à quitter Moscou. Mais durant les Jours Redoutables (comme on appelle les jours entre les fêtes de Roch Hachana et Yom Kipour), la situation à Moscou devint aussi très dangereuse. La main pleine de sang juif de l’armée allemande se rapprochait et planait sur les têtes. Il circulait de nombreuses rumeurs et la peur augmentait chaque jour tandis que les avions allemands survolaient librement la capitale, tout en larguant des bombes mortelles.
Le Kremlin avait depuis longtemps été vidé de son « puissant et invincible » gouvernement soviétique. Tout l’appareil de
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commandement s’était replié à Kuibyshev. La main de fer de l’armée soviétique surveillait tout ce qui se passait dans la ville.
encerclée. Les armées nazies, assoiffées de sang innocent finirent par assiéger Moscou.
Mon père - que son âme repose en paix - décida alors que nous devions nous préparer à quitter la ville dès que possible. Mais le temps pressait tandis que des rapports de plus en plus alarmants nous parvenaient. Un jour, on apprit que la route vers Tachkent avait été coupée par les Allemands et le lendemain, nous avons entendu que le chemin de fer menant à Alma Ata (capitale du Kazakhstan) avait cessé de fonctionner.
Finalement, nous fûmes autorisés à quitter ce train : nous étions arrivés dans un village perdu proche de Bashkiria. Là, on nous fit monter dans de vieux camions et nous fûmes emmenés dans un autre village, à 70 km de distance.
Les possibilités d’évacuation diminuaient donc de façon dramatique. Seule une voie restait ouverte : celle qui menait de Moscou à Bashkiria en Sibérie. Nous étions particulièrement angoissés pendant Souccot et Sim’hat Torah car nous ne savions pas si, après la fête, la route vers la Sibérie serait encore ouverte. Mon père tentait de nous faire garder espoir en répétant : « Ayez confiance en D.ieu ! Il prendra soin de nous et ne nous abandonnera pas ! Nous ne devons pas perdre espoir ! ». Toute la nuit qui suivit Sim’hat Torah, nous nous sommes dépêchés de faire nos bagages et d’emballer nos modestes biens. Et, très tôt le matin, nous sommes montés dans le train qui devait nous emmener dans un long et pénible voyage vers « quelque part près de Bashkiria ». Le train n’était d’ailleurs qu’une suite de wagons à bestiaux maintenant bondé de réfugiés humains. La seule protection que nous avions contre le terrible froid était la chaleur d’un petit poêle en fer posé au milieu du wagon. Durant vingt et un jours d’un voyage épuisant, nous sommes restés dans ces wagons bondés, semblables à des prisons sur roues. Mais nous pouvions nous considérer comme chanceux car ce fut le dernier train à quitter Moscou avant que les Nazis ne bloquent la dernière route permettant de s’échapper de la capitale
C’était un village si isolé qu’on n’y avait jamais vu un Juif auparavant. Quand les habitants entendirent que, parmi les nouveaux arrivants, il y avait des Juifs, ils vinrent en courant voir ces créatures bizarres au sujet desquelles on affirmait qu’elles avaient des cornes ! Par la suite, d’autres familles juives arrivèrent dans cet endroit et cela remonta notre moral.
2. La loi était très stricte : les membres de la famille devaient passer toutes les heures du jour à travailler la terre. De toute manière, c’était pour nous le seul moyen de nous procurer un peu de nourriture et de ne pas mourir de faim. C’est ainsi que nous avons pu avoir parfois des pommes de terre et même un peu de farine. Mais elle était d’une si mauvaise qualité qu’on ne pouvait pas s’en servir pour faire du pain. On pouvait la faire cuire : on en faisait des boulettes qu’on jetait dans la soupe brûlante. Elles étaient si « élastiques » qu’elles collaient à nos mâchoires et dans notre estomac. Cette « farine » avait d’ailleurs un nom aussi spécial que son goût : « Zatérucha ». Nous avons ainsi survécu pendant un hiver difficile et un été peu agréable. Alors que les « Jours Redoutables » approchaient à nouveau, mon père commença à s’inquiéter pour un « Minyane » : où trouverait-on dix Juifs adultes pour prier comme il se doit ? Il n’était pas possible d’en réunir dans notre village mais nous avions