CHRISTIAN BAJON-ARNAL : LA LIGNE ET LA COULEUR : L’ART DE L’ESSENCE
Du 27-01 au 14-02-16 l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35 à 1050 Bruxelles) vous propose la découverte de l’œuvre du peintre français CHRISTIAN BAJON-ARNAL, intitulée BUTTERFLY PALETTE. Parler, voire décoder l’œuvre de CHRISTIAN BAJON-ARNAL, peut sembler simple à première vue. Mais à y regarder de près, il n’est rien de plus complexe que de souligner les variations de l’écriture picturale de cet artiste. Une question peut laisser le visiteur médusé, à savoir : peut-on parler de « styles » en ce qui le concerne ? Oui et non. On peut, en effet, parler de « styles » si l’on se laisse emporter par la variété des sujets techniquement abordés. À titre d’exemple, BENDOR CHRISTO (80 x 130 cm - cônes d’huile au pinceau sur toile)
et VENISE YIN ET YANG (60 x 80 cm - huile sur Arches encadré bois),
n’ont d’un point de vue technique rien de commun. Néanmoins, malgré ces différences, le dénominateur qui les réunit demeure la ligne de laquelle émerge la couleur. Mieux ! La ligne devient l’assise de la couleur. Et cette ligne, laquelle s’affirme dans deux directions opposées dont nous parlerons plus loin, s’organise dans le trait conçu dans ÉCHAFAUDAGE EMBOUTEILLAGE (80 x 100 cm - huile sur toile),
c'est-à-dire, dans une succession de droites et d’horizontales, lesquelles structurent la forme vers un véritable processus géométrique. Remarquons, notamment, en haut sur la gauche du tableau, cette série de rouleaux à dominante bleue, lesquels sont enserrés à l’intérieur d’une suite d’espaces carrés, renforçant la dynamique de la composition. Tout à l’intérieur de cette œuvre semble « ficelé », provoquant ainsi une atmosphère assez étouffante. Les deux personnages, en bas, aux extrémités de la toile, n’existent qu’en tant que référents dimensionnels à l’univers géométrique. L’artiste s’est complu dans l’élaboration d’une ligne essentiellement rigide, évoquant l’aspect du monde moderne, à la limite du camp concentrationnaire. Tandis que dans la direction étirée des gondoles de VENISE YIN ET YANG (cité plus haut), dont la superposition des proues laisse deviner le rythme de l’eau, la ligne adopte un autre langage, totalement délié, permettant à la couleur, vive, d’exister à l’intérieur du support linéaire. Tout dans cette œuvre est une question de strates chromatiques. Il s’agit d’une ligne ondulée, évoquant ce même monde mais dans une vision romantique de l’esprit. Nous retrouvons cette ligne ondulée, c'est-à-dire de paix, également dans COCO AND COCO (80 x 100 cm - huile sur toile),
où l’arbre souligne sa sensualité dans une suite ordonnée, menant vers un point de fuite plongeant, aboutissant vers la mer, comprise dans un cadrage étroit, englobant le ciel, à partir d’une ligne d’horizon très basse.
Cette même sensualité de la ligne se retrouve, notamment, dans FEMME BLEUE (80 x 60 cm - huile gravée sur bois),
où la ligne ondule sur elle-même. Comme dans toute création, la mythologie – qu’elle soit personnelle à l’artiste ou celle véhiculée par la culture – se retrouve cachée derrière le symbole, non directement révélée à la conscience du visiteur. Le titre de ce tableau peut induire en erreur, en ce sens que le bleu ne sert que de support à l’allégorie de la Femme. À la question : « le bleu est-il pour vous la couleur de la Femme ? », l’artiste répond par un « non ! » catégorique. Car pour lui, le bleu reste une couleur trop « froide » pour être associée au langage de la passion incarné par la Femme. Par contre, à l’analyse des lignes ondulantes incarnant la sensualité féminine, quelque chose interpelle le regard. Entre les lignes s’insinuent des stylisations géométriques. Cela est dû au fait que l’artiste a beaucoup voyagé. Lors de ses périples, il a côtoyé l’art des Aborigènes d’Australie. L’art millénaire australien a, depuis ses origines, parlé du « Temps des rêves », époque idéalisée que nous retrouvons, d’ailleurs, dans toutes les cultures, sous la forme de l’« Âge d’or », mettant en exergue l’« âge cosmologique » où régnait le terrain fertile des origines, proche d‘une perfection primitive. Les Aborigènes australiens ont exprimé cette époque mythique, notamment, dans l’art pariétal, en illustrant le monde des esprits « Mimis », monde duquel s’est inspiré l’artiste. Les stylisations blanches que l’on retrouve à l’intérieur des lignes ondulées épousent l’arrière-plan de la toile, lequel présente, à son tour, des ondulations de tailles différentes, dominées par le bleu, en dégradés, alternant avec des notes noires et vertes.
Une autre mythologie, personnelle celle-là, nous donne la clé nous dévoilant l’accès à VENISE YIN ET YANG (mentionné plus haut). Cette œuvre se lit dans le sens rotatoire, à savoir de droite à gauche. L’Homme, en bas à droite, est représenté par le seul attribut qui l’associe à Venise : son chapeau de gondolier, lequel est centré à l’intérieur d’une forme rappelant celle du cœur. La Femme est située en haut vers la gauche, dans un symbole circulaire associant l’image d’un ventre fécond. Chemin faisant, le regard atteint en haut, vers la droite, une gondole vide que seul l’imaginaire du visiteur peut associer au véhicule que prendront les amants. Tout est conté de façon non dite, en laissant à l’imaginaire la tâche de compléter l’histoire. Les couleurs, joyeuses et vives à l’avant-plan, que l’on retrouve dans la conception chromatique des proues : rouge vif, bleu intense, violet, jaune vif, contrastent avec celles de l’arrière-plan : noir intense et reprise, en dégradés, des couleurs de l’avant-plan, confinées dans de petites zones. La gondole (vide) répond à une composition bi-chromée, associant le gris et le noir : deux couleurs volontairement « neutres » permettant à l’imaginaire de la peindre aux couleurs d’un romantisme personnel. L’accès par le biais du périple rotatoire, associé à la symbolique des couleurs et des instants, participe de la mystique orientale du yin et du yang, en ce sens que tout est dans tout. Ligne et couleur définissent l’écriture de cet artiste. Ligne et couleur avec pour dénominateur commun la révélation de la matière. Cette dernière est primordiale dans son œuvre, car elle lui assure l’autonomie nécessaire à la prise de conscience par le biais du regard. QUIÉTUDE D’AUTOMNE (60 x 50 cm - huile au couteau sur bois).
Le cadrage « impressionniste » de ce tableau est un savant mélange de couleur traitée au couteau dans sa partie supérieure. Tandis que la spatule a servi pour le « balayage » de la diffusion chromatique dans sa partie inférieure.
Il s’agit d’un travail énorme sur la matière. Le visiteur ne manquera pas de remarquer la correspondance admirable entre la forme des arbres, débordants de matière, étalée au couteau et leur frêle reflet dans l’eau, légèrement souligné par une spatule au diapason de l’ensemble harmonique. La terre ferme est conçue de la même manière que les arbres : en agglutinant la matière en petits tas, au couteau. Si le cadrage est de conception « impressionniste », l’atmosphère est on ne peut plus « fauve » : vert, rouge, jaune et orange, vifs, se déclament en dégradés sur la surface de l’espace. L’artiste nous invite aussi à une réflexion sur l’idée même de la notion de l’« abstrait » par une composition intitulée OU VA LA VAGUE MAMAN II (100 x 73 cm - huile sur toile).
Le choc que procure cette œuvre réside dans le fait de se demander si elle est le pur produit de l’esprit de l’artiste ou si d’une vue prise dans la réalité, elle a été composée dans un langage abstrait.
De plus, il est possible de l’accrocher aux cimaises, soit de façon horizontale soit verticale, sans que cela n’altère la perception du choc. Il s’agit, en fait, d’une vision issue de la réalité, retranscrite dans un langage abstrait. Néanmoins, si on l’ignore, il est parfaitement licite de se poser la question de son origine sémantique. D’un point de vue technique, cette œuvre est d’une maîtrise sans ég ale. Trois zones structurent le tableau, lequel, observé verticalement, présente une zone bleue, à droite, symbolisant la mer. Une zone blanche, en dégradés, au centre, soulignant la formation de l’écume, relâchée par la vague en mutation. Une troisième zone noire, à gauche, symbolise le rivage. Le mouvement se crée à partir du moment où l’écume se métamorphose en son centre. En s’infiltrant progressivement à l’intérieur de la zone bleue, l’artiste a abandonné le pinceau conventionnel pour utiliser une série de pinceaux de petite taille et affirmer ainsi les nervures de l’écume, permettant au regard de pénétrer à l’intérieur des nombreux contrastes et s’imprégner, de ce fait, du mouvement de la vague. BENDOR CHRISTO (mentionné plus haut) nous offre une technique qui tranche littéralement avec tout ce qui a été montré : les cônes d’huile au pinceau sur toile. Il s’agit d’un mélange d’huile avec un medium sélectionné. L’artiste installe la toile en aplat et pose la pointe du pinceau sur un point précis de l’espace pictural pour la retirer aussitôt. Le titre de cette œuvre est un hommage à l’artiste CHRISTO qui a (notamment) recouvert de plastique de couleur rose l’île de Bendor. Malgré le changement de la technique, le style, en tant que tel, demeure le même. L’on y retrouve la ligne ondulée séparant l’espace en plusieurs zones. Malgré cette différence, l’artiste rend également hommage à SEURAT, en concevant par l’intermédiaire de la matérialité des cônes, un « pointillisme » surprenant. De même, il met en exergue, que ce soit au centre ou en haut à droite, des rappels de notes rouges, bleues et blanches pour rendre hommage à PIET MONDRIAN, dont ces trois couleurs trônent dans sa série des VICTORY BOOGIE WOOGIE. Il s’agit de l’évocation de moments de bonheur vécus. Une fois encore, la ligne en est la preuve : elle est ondulée, comme dans FEMME BLEUE, COCO AND COCO ou VENISE YIN ET YANG (mentionnés plus haut). Associée à la couleur vive, elle exprime la vie, le soleil et la joie de vivre.
CHRISTIAN BAJON-ARNAL a pour le trait, à l’origine de la ligne, une passion particulière, en ce sens que celui-ci représente une forme de rationalité, étant donné que l’artiste a une formation scientifique, axée sur les mathématiques et qu’il a toujours voulu s’exprimer à travers l’architecture. Par la suite, il s’est dirigé vers la peinture en s’attaquant d’abord aux figures à deux dimensions pour aller enfin à la recherche de la troisième. Lorsque, en guise de présentation, nous disions que la ligne est dans sa peinture l’assise de la couleur, à travers laquelle celle-ci se développe, l’artiste affirme devant l’Éternel que « peindre, c’est avant tout utiliser la couleur ! » et qu’entre la ligne et cette même couleur, « aucune ne prend le dessus sur l’autre ! ». Si d’aucuns se demandent comment s’est effectué le passage d’une écriture vers une autre, l’artiste répond qu’il est guidé par le tableau. Que celui-ci lui impose sa propre écriture. Que d’expressions du mythe dans l’œuvre de CHRISTIAN BAJON-ARNAL ! C’est au visiteur à présent de se confronter à son univers pour le découvrir et y retrouver sa propre essence.
François L. Speranza.
Arts
Lettres
Collection "Belles signatures" (© 2016, Robert Paul)
CHRISTIAN BAJON-ARNAL et FRANÇOIS SPERANZA : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires des deux derniers siècles. (27 janvier 2016 - Photo Robert Paul)
Photo de l’exposition à l’Espace Art Gallery