CHRISTINE BRY : CAVALCADES AU CŒUR DE L’ACTE CRÉATEUR
Du 07 au 30-12-16 l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35 à 1050 Bruxelles) termine l’année 2016 en vous présentant CAVALCADES, une exposition basée sur l’œuvre de Madame CHRISTINE BRY, une artiste peintre française dont le travail ne manquera pas de vous interpeller. Qu’est-ce qui incite certains artistes d’aujourd’hui à se tourner vers l’Art pariétal préhistorique ? Est-ce le besoin de s’immerger dans la technique primitive de l’Art ? Est-ce pour créer une œuvre personnelle à partir d’une technique primitive à son origine ? Les artistes du Paléolithique se sont exprimés en extériorisant leur puissance d’Être face au mystère de l’existence. C’est au tour, e à présent, aux artistes du 21 siècle de reprendre, pour ainsi dire, le flambeau pour recréer un imaginaire immergé dans la couleur des origines. Enfin, direz-vous, la Préhistoire est à l’honneur, après que le surréalisme et l’art métaphysique aient trempé leurs pinceaux, notamment, dans la Renaissance et le classicisme antique, pour exprimer une autre vision du Sacré, à partir de l’acte quotidien sublimé. Enfin, la Préhistoire sort définitivement de la sphère essentiellement scientifique pour atteindre le discours artistique dans sa continuité contemporaine ! Il y a dans l’œuvre de CHRISTINE BRY une recherche manifeste (pour ne pas dire une science) de la distribution des couleurs sur la toile. Et, à ce stade, force est de constater qu’ici la toile disparaît, pour faire face à la matérialité recréée par la paroi des origines. On le constate par la disposition de la forme « ondulant », en quelque sorte, sur la toile, laquelle épouse les contorsions de la pierre originelle. À partir du chromatisme standard appartenant à la technologie primitive (rouge-ocre, brun clair et noir), l’artiste se plonge dans un univers magico-religieux, à l’intérieur duquel le bestiaire est, à la fois, émanation de la nature, dans l’apparition de créatures fantastiques issues du monde des esprits, ainsi que de l’expression d’un produit économique assurant la survie du groupe dans la représentation d’un bestiaire destiné à la domestication et à la consommation. Le traitement des animaux (principalement des équidés et des cervidés) respecte parfaitement la morphologie animale esquissée par la précision du trait : corps très larges se déployant sur les côtés – museaux relativement petits et ramassés – modelés des animaux repris dans le rythme du galop, réintroduisant par le biais de la patte intérieure sortante, une volonté de produire la deuxième dimension. Ce qui lui permet d’insister sur le fait que les artistes du Paléolithique étaient également d’habiles techniciens car le trait procède avant tout de la technique. Mais, à côté de cette vérité respectée, l’artiste s’expose en appliquant sur la toile des ersatz de chromatisme, tels que le bleu et le rouge, encore inexistants il y a quelque vingt-mille ans : CAVALCADE 3 (83 x 104 cm - huile sur toile).
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GRANDE MIGRATION (93 x 134 cm - huile sur toile).
Le rythme entre l’animal et la paroi fictive se ressent dans cette cavalcade tout en descente que nous offre CAVALCADE 3. Le volume des animaux est assuré par un trait reprenant, en une fois, l’ensemble du corps. Comme dans l’art pariétal du Paléolithique, la crinière des chevaux est rendue par une fine toison en brosse, posée sur le haut du crâne des équidés. Un discret mais solide travail au couteau suggère la matière constituant la paroi pour qu’émane de celle-ci la preuve matérielle du temps. Le titre de cette exposition - CAVALCADES - porte en lui-même la philosophie de la démarche de l’artiste. Ces « cavalcades » assurent le passage vers les migrations, c'est-à-dire, vers une écriture essentiellement personnelle et vitale, par laquelle elle se concède des libertés par l’apport d’un chromatisme inexistant au cours du Paléolithique, comme le rouge, l’orange, le blanc et le bleu (en dégradés), ainsi qu’une conception picturale du bestiaire, également personnelle, montrant, notamment, des cervidés privés du chromatisme propre et se fondant dans les couleurs de la nature, à l’arrière-plan. Il y a dans le rapport entre la toile lisse et la paroi accidentée originelle, la volonté de traduire l’existence d’un espace lui permettant d’engendrer la forme, par le fond, considérée comme la matrice. Cette écriture l’amène vers une autre conception de la représentation spatiale, à savoir celle du cercle à l’intérieur duquel évolue le bestiaire, faisant partie intégrante de la nature : les bois d’un cervidé dont on ne distingue pas le corps surgissent de la partie gauche de la toile, à partir d’une nature sauvage et farouche, mise en relief par des explosions de lumière issues des différentes touches de blanc associées aux couleurs ocre, rouge et bleu. Avec CAVALCADE 2 (77 x 104 cm - huile sur toile)
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et CAVALCADE 3 (83 x 104 cm - huile sur toile), l’apport personnel est encore timide, malgré les points bleus qui s’étalent sur la surface. Ce n’est qu’à partir de GRANDE MIGRATION (93 x 134 cm - huile sur toile),
GRANDE MIGRATION (détail de œuvre ) que l’artiste se libère des conventions stylistiques paléolithiques, pour se projeter définitivement dans la communion unissant l’imaginaire magico-religieux préhistorique avec la sensibilité du sien. La symbolique de cette œuvre s’accroît dans la conjonction entre le cercle à l’intérieur du carré. Le cercle ou, pour mieux dire, la sphère, est à la fois une image de la Terre ainsi que celle du ventre de la Femme en gestation. Par conséquent, il s’agit d’une image de la Vie, à l’intérieur de laquelle la nature se déploie. Tandis que le carré est une image de la rationalité. Est-ce là le produit de l’inconscient de l’artiste ? Peut-être. Néanmoins, ne perdons jamais de vue que l’image de la « rationalité » ne naît pas avec les « grecques » de l’Art classique mais bien avec la disposition de la forme épousant le contour naturel de la paroi, permettant à l’image de se greffer dans l’espace en le colonisant de façon proportionnelle. Les petits formats sont tout aussi intéressants car ils témoignent d’une liberté intérieure, dépassant parfois, dans leur intensité, les compositions de grand format. ORIGINE 5 (29 x 29 cm - huile sur toile)
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et ORIGINE 6 (29 x 29 cm - huile sur toile),
sont une invitation vers une possibilité d’abstraction, au-delà de la sphère magico-religieuse. Ils témoignent, chez l’artiste, de la volonté d’accorder la possibilité d’une passerelle entre le langage primitif et l’univers pulsionnel, tous deux unis dans l’acte créateur. L’œuvre de CHRISTINE BRY est-elle une actualisation de l’art pariétal préhistorique ? Certainement, dans la mesure où, comme nous le précisions plus haut, il était grand temps que l’art contemporain s’intéressât à cette vision de la nature avec, en filigrane, une vision de la société, à la fois préhistorique et contemporaine. Mais, à ce stade, soulignons un détail qui a son importance, à savoir une relecture anthropologique de la définition même de la « Préhistoire ». Depuis des années, le monde scientifique conteste cette notion selon laquelle cette définition se détermine sur l’invention de l’écriture comme ligne de démarcation entre la « Pré » et l’« Histoire ». La démarche artistique peut servir de déclencheur en vue d’une disparition définitive de cette dichotomie absurde. En ce sens que l’art pariétal, mis en valeur par l’écriture picturale contemporaine, peut définir le trait sur la paroi comme le « signe » animé d’une écriture à venir. Une « proto-écriture » universelle, à la base de l’identité de l’Homme et de son devenir, indissocié du Monde. C'est-à-dire un produit agissant de l’Histoire. Par l’espace abstrait retrouvé, elle pose une interrogation à l’Homme contemporain par le biais d’une vision du Monde afin de retrouver l’Homme conceptuel élémentaire. Il y a approximativement vingt ans, l’artiste fut saisie par une émotion irrépressible à la vue des peintures pariétales de Lascaux. Elle éprouva le sentiment de se trouver dans un lieu saint qu’elle compara au sentiment d’être confrontée aux fresques de la Sixtine. Est-ce une coïncidence ? Néanmoins, bien des historiens de l’Art ont comparé par le passé les œuvres de Lascaux à celles de la Sixtine. Il s’agit, avant tout d’un sentiment d’envahissement. D’une sensation, à la limite physique, d’être à la place d’un néophyte du Paléolithique sur le point d’entrer en contact avec l’indicible pour l’exprimer avec ses moyens humains. Ce qui émut l’artiste au plus haut point fut cette harmonie d’ensemble, consubstantielle à la structure naturelle de la grotte, interprétée comme une architecture.
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Sa formation, elle la suivit alors qu’elle était encore aux études. Elle prit des cours de dessin tout en terminant son Mémoire de Philosophie à Lyon. Peignant essentiellement à l’huile, elle se considère comme une autodidacte. En 2008, elle participa à une exposition dont le thème était celui de Lascaux. C’est ainsi que toute l’émotion passée resurgit à la surface, jusqu’à lui faire sentir que, dorénavant, elle allait fonder son œuvre sur cette esthétique.
CAVALCADES traduit l’esprit d’une dynamique essentielle. Néanmoins, une question nous taraude, à savoir, y aurait-il dans cette démarche artistique la volonté d’associer, outre le bestiaire en mouvement, la présence de la figure humaine libérée de sa raideur squelettique (en l’occurrence, celle que l’on retrouve dans les silhouettes de Lascaux), pour atteindre la plasticité mobile que seuls possèdent les chevaux et les cervidés ? En d’autres termes, l’artiste, si tant est qu’elle relèverait ce défi, accepterait-elle de façonner l’Homme autrement que dans une raideur dictée par le contraste avec la réception du Sacré, le rapprochant ainsi de la nature dans l’expression ressentie de sa matérialité, à la fois physique et historique ? Ou bien alors, le cantonnerait-elle dans la sphère d’une abstraction fondée sur le seul chromatisme fauve d’une nature inquiétante et sauvage ? À l’analyse des œuvres, l’on se rend compte que l’artiste est une personne très cultivée, en ce sens qu’elle connaît parfaitement son objet de recherche dans ses moindres détails, tout en le transcendant, par le besoin de le redimensionner à la mesure, jamais atteinte, de la condition humaine.
CHRISTINE BRY s’accapare le thème (pour ainsi dire le mythe) fondateur de la préhistoire, tout en l’actualisant pour l’introduire dans l’intemporalité absolue du geste créateur.
François L. Speranza.
Arts
Lettres
Collection "Belles signatures" (© 2016, Robert Paul)
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CHRISTINE BRY et FRANÇOIS SPERANZA : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires des deux derniers siècles. (7 décembre 2016 - Photo Robert Paul)
Photo de l’exposition à l’Espace Art Gallery
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