Sunny Side 2021
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Au crépuscule d’une saison 20202021 marquée par les conséquences de la pandémie, mais aussi par des succès remarquables comme Nous paysans – cinq millions de téléspectateurs en prime time le 23 février pour le documentaire produit par Program33 –, Catherine Alvaresse, directrice des documentaires de France Télévisions, dresse un premier bilan et se projette sur la saison prochaine. Elle décrypte la stratégie du groupe public en matière de documentaire et évoque les grands moments de la saison 2021-2022, dont le line-up sera révélé en détail le 21 juin à l’occasion de Sunny Side 2021. Quel bilan tirez-vous de la saison qui s’achève ?
Je suis très fière du travail réalisé. Malgré les contraintes, nous avons réussi à éviter l’effet “télé confinée” en diffusant des programmes qui avaient été conçus avant la pandémie. Et nous avons connu une très belle année avec des succès comme Irak, destruction d’une nation, Chaplin, le génie de la liberté ou Bouche cousue sur la violence parentale. Et en premier lieu, bien sûr, la performance extraordinaire de Nous paysans, qui est venu récompenser trois années de travail. C’est la preuve que le travail effectué sur le temps long par l’unité documentaire est indispensable pour prendre le pouls de la société. Ce véritable phénomène sociologique a démontré l’importance de raconter notre société en dehors de l’actu : nous avons touché un public extrêmement large et rencontré une vraie demande. Plus globalement, c’est aussi la confirmation que notre choix d’aller vers une grammaire différente, en faisant parler les acteurs de leur propre histoire au-delà des “sachants”, était le bon. C’est devenu une signature pour nos films d’histoire et nous allons poursuivre dans cette voie. Ces grands documentaires historiques, dès lors qu’il s’agit d’une histoire qui n’est pas terminée comme Nous paysans ou Histoire d’une nation, ont toute leur place sur France 2. Quelles autres leçons avez-vous tirées du succès de Nous paysans ?
Que les distinctions entre documentaire et fiction viennent surtout de nous, professionnels. Quand un programme extrêmement beau à voir mélange différents types de séquences, le public ne se dit pas qu’il regarde un documentaire, mais un film. C’est cela que nous devons proposer. L’autre leçon, c’est que pour toucher un maximum de gens, il faut que l’ensemble du groupe travaille de concert, s’aligne pour proposer une offre cohérente. Nous paysans a été la figure de proue d’une opération bien plus vaste, dans laquelle un nombre incroyable de gens, aux origines très diverses, se sont reconnus. L’agriculture d’hier, comme celle de demain, fait partie des sujets
Catherine Alvaresse « Le succès de “Nous paysans” a inondé France Télévisions » sur lesquels le service public est très attendu. Nous paysans a soulevé les bonnes questions. Lorsque nous avons de telles œuvres et que l’ensemble du service public est mobilisé, alors nous pouvons créer l’événement, ce qui est justement l’une de nos forces. Le succès de Nous paysans a inondé l’ensemble de la maison France TV. L’autre leçon, à l’inverse, est qu’il est très difficile de mobiliser le public, hors fiction, sur une période étendue : on l’a vu avec Histoire d’une nation, dont la première soirée a très bien fonctionné, contrairement à la seconde, programmée une semaine plus tard. A un moment, enfin, on nous
disait qu’il était impossible de faire de l’audience en dehors du “true crime” : nous avons prouvé que ce n’était pas le cas. Sur le même modèle que Nous paysans, et avec le même format (2 x 60’ sur une seule soirée), le grand événement de la rentrée sera un nouveau numéro d’Histoire d’une nation consacré à l’histoire de l’école en France. Un sujet auquel sont très attachés les Français, comme le prouve la singularité très française qu’a constitué le maintien des écoles ouvertes pendant la pandémie. Quelles sont les autres nouveautés de votre line-up ?
16 juin 2021 / Écran total n°1333
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Nous allons poursuivre sur la voie actuelle qui a fait ses preuves, avec quelques points d’inflexion. Nous allons intensifier les récits en développant des séries documentaires, ce que nous n’avons pas fait depuis longtemps. Histoire d’une nation : l’école restera sous un format classique de 2 x 60’ comme Nous paysans, avec à la suite un débat organisé par nos collègues de l’info dans le cadre d’une grande soirée thématique autour de l’enseignement. France 2 doit refléter les histoires françaises, et France 5 l’ouverture sur le monde. La case “Infrarouge”, en deuxième partie de soirée sur France 2, doit être vraiment ancrée sur les sujets de société. Nous nous sommes rendus compte avec le succès de Bouche cousue (2,4 millions en deuxième partie de soirée), programmé après une fiction sur le même thème de la violence parentale, que les soirées cohérentes convainquent le public. Nous travaillons avec les antennes sur un nombre accru de soirées thématiques de ce type. Nous avons commencé avec Féminicides et nous allons poursuivre dans cette voie avec une mini-série de quatre heures consacrée à l’affaire Outreau (4 x 52’), plus de vingt ans après. Nous voulons intensifier le grand documentaire sur France 2 avec des séries de ce type. “Infrarouge” sera bien là une fois par semaine, mais pas forcément le mardi. Nous travaillons aussi pour une diffusion l’année prochaine sur des séries plus amples, par exemple sur la guerre d’Algérie avec C’était la guerre d’Algérie (5 x 45’). C’est une histoire difficile qui existe toujours dans la société française et il est temps que la télévision publique puisse lui consacrer cinq heures, en donnant la parole aux deux côtés de cette histoire chorale, que l’on pourrait presque qualifier d’histoire de famille. Ce sera l’un des événements majeurs de l’année prochaine, à l’occasion notamment de l’anniversaire des accords d’Evian [18 mars 1962, Ndlr]. Et pour France 5 ?
L’idée globale est d’intensifier le décryptage, ce qui est plus nécessaire que jamais dans la société actuelle. Soit via des unitaires consacrés à des grandes figures, avec notamment le portrait d’Angela Merkel ou celui de Jair Bolsonaro, comme nous avons déjà fait Carlos Ghosn ou Boris Johnson, soit à travers des séries documentaires de plus grande amplitude avec des mécaniques d’écriture très “série télé”. Nous souhaitons intensifier les séries documentaires lorsque le sujet le mérite. Nous reproduirons sur France 5 les incursions réalisées le dimanche soir avec la série Irak, destruction d’une nation ou la série sur Trump en coproduction avec la BBC. Nous allons poursuivre dans cette voie, la géopolitique trouvant encore plus sa place sur France 5 avec “Le Monde en face”, qui va se “géopolitiser” de plus en plus. Propos recueillis par Raphaël Porier