Percussions et la musique est née

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Percussions Et la musique est née

Une histoire de percussions

Illustrations Gilles Scherlé

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Sommaire Préambule

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Aux origines de la musique

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Le corps pour instrument

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À travers les âges

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Dans l’Antiquité

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Au Moyen Âge

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À la Renaissance

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À la période baroque

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Le classissisme

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Le romantisme

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Percussions contemporaines

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À travers le monde

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L’Afrique

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L’Amérique

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L’Asie

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L’Océanie

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Diversification des instruments

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Percussions corporelles

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Les idiophones

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Les membranophones

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Les cordophones

290

La batterie, un cas particulier

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Conclusion

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Index

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Bibliographie

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Table des matières

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Remerciements

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Préambule Dans le monde dans lequel nous vivons, les stimuli acoustiques sont omniprésents. Qu’il s’agisse de bruits provenant d’activités humaines ou de sons provenant de la nature. À tel point que nous avons donné un nom à cet état de fait, nous parlons de « paysage sonore ». Produit par la nature, ce paysage est souvent apaisant et recherché, comme les chants d’oiseaux, le ressac de la mer ou une brise traversant des branchages. Par contre, lorsqu’il est généré par les activités humaines, en particulier dans les sociétés industrialisées, il est souvent assimilé à une forme de pollution. Agréable ou désagréable à notre oreille, nous ne pouvons y échapper. J’ai personnellement fait ma thèse sur l’acoustique sous‑marine à l’Université de Genève, et le monde immergé, que l’équipe de la Calypso présentait comme celui du silence, s’avère tout sauf silencieux. Et si nous essayons de neutraliser les stimuli acoustiques qui nous parviennent, comme dans un caisson d’isolation sensoriel, ce sont les sons émanant de notre propre corps qui s’imposent à nous et composent notre paysage sonore. Nul doute que nos ancêtres n’aient été exposés aux stimulations acoustiques de la nature les environnant. Qu’ils aient été de Flores, de Denisova ou de Néandertal, comme sapiens, ils se sont interrogés sur les sons qui en émanaient. D’autant que les bruits de la nature sont de précieuses sources d’informations qui, dans certains cas, peuvent s’avérer vitales : ils avertissent de l’approche d’un prédateur, ils trahissent la position d’une proie, les sons de la nature comme le tonnerre ne seraient‑ils pas la manifestation d’une entité céleste ou totémique ? Plus étranges encore que les bruits extérieurs sont ceux que notre corps émet spontanément, plus ou moins discrètement : gargouillis, borborygmes, éructations, flatulences, ronflements, pour sporadiques qu’ils soient, sont des productions corporelles. Ces bruits, jugés incongrus dans certaines sociétés, sont eux aussi riches d’enseignements pour l’observateur avisé. Ils 6

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renseignent sur l’état de santé, de faim, de satiété ou de digestion du sujet ou de ses pairs. Toutefois, parmi nos productions sonores, il en est une qui diffère des autres ; elle est permanente… régulière, bien que plus marquée parfois… pour devenir presque oppressante dans l’effort. Ta‑ta… Ta‑ta… C’est un rythme… C’est un battement… C’est celui du cœur. Plus mystérieux encore, et nos ancêtres l’ont constaté à n’en point douter : une fois les corps inertes, ces battements disparaissent, le corps devient silencieux… Ce battement est consubstantiel à la vie. Ce battement est la manifestation de la vie ! Il confine au mystique : le reproduire, ne serait‑ce pas un moyen d’entrer en contact avec les totems, s’approcher des dieux ? Tant bien que mal, deux mains, deux pierres, deux morceaux de bois qui s’entrechoquent, des pieds qui martèlent le sol reproduisent ce battement. La production de sons percussifs n’est d’ailleurs pas l’apanage exclusif de notre espèce. Au cœur de la forêt de Taï, en Côte d’Ivoire, des éthologues, alors chercheurs à l’Université de Zurich, relatent que des groupes de chimpanzés (Pan Troglodytes) font usage de percussions à des fins tout à fait singulières. Dans la densité de la végétation, ils observent que ces chimpanzés à l’état sauvage utilisent les contreforts des arbres comme des tambours. De l’étude et 7

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l’analyse de ce comportement, les éthologues déduisent que les chimpanzés utilisent ces sons pour transmettre des informations sur leur position et les changements de direction dans le déplacement du groupe, (Boesch, 1991). S’agit‑il d’une forme de proto‑langage à base percussive ? Se peut‑il que cette forme de communication se soit enrichie ? Qu’elle ait évolué ? Notre propre lignée évolutive aurait‑elle communiqué à travers les percussions avant que le larynx ne migre et que le langage articulé se développe ? Il ne s’agit là que d’interrogations. Ce mode de communication n’est pas sans rappeler celui des tambours parleurs que l’on trouve sur de nombreux continents ou dans nombre de régions du monde, en Afrique en particulier. Nous comprenons que l’origine des sons est polymorphe, qu’ils peuvent être naturels, considérables, fonctionnels ou musicaux. Naturels tel le bruit d’un arbre qui tombe en forêt, considérables comme les sons produits par une activité, à l’instar du forgeron qui frappe sur une enclume, fonctionnels dès lors qu’ils transmettent un message, et musicaux quand ils sont dédiés au culte ou au plaisir. Pour avoir, nous tous, enfants, tapé sur des casseroles, nous sommes nombreux à penser connaître ce que sont les percussions ! Mais quelle définition en donnerions‑nous ? La percussion est cette famille d’instruments produisant une suite de bruits, d’effets et d’événements sonores qui sont créés en frappant, claquant, grattant, brossant, frottant ou écrasant toutes sortes d’objets. Simple de conception et de réalisation, l’hypothèse que nous défendons est que les percussions, aussi primitives soient‑elles, sont à l’origine de la musique.

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Aux origines de la musique Leurs intrications entre le chant et la musique instrumentale sont telles que nous n’essayerons pas de répondre à la question de la préséance de l’un ou l’autre, incapables que nous sommes de la résoudre. Au travers de cet ouvrage, c’est plutôt à un voyage aux origines de la musique instrumentale que nous vous convions. Un voyage qui mènera aux sources de la musique. Ces à ces sources que nous pensons que les percussions occupent un rôle aussi primordial qu’essentiel. Nombre de paléontologues situent l’origine de la musique avant l’avènement de notre espèce Homo sapiens, cette antériorité remontant a minima aux Néandertaliens. Pourtant, lorsque l’on se réfère à l’art pariétal, ce ne sont ni des sons ni des instruments qui éveillent nos esprits, mais des fresques rupestres, à l’instar de celles qui ornent les grottes de Chauvet, de Lascaux ou de Cosquer. Alors que les arts que cultivaient nos ancêtres étaient loin de se limiter à la peinture pariétale, ils s’adonnaient aussi à la musique, aux chants et à la danse. L’homme préhistorique vivait dans un univers empli d’expériences sonores. C’est l’exposition à cet environnement qui mènera nos ancêtres à l’invention d’instruments, pour reproduire les sons de la nature, honorer leurs totems, accompagner leurs danses, etc. Les fouilles archéologiques fournissent la première preuve de l’existence d’instruments préhistoriques. En évaluant leur ancienneté, gardons à l’esprit que les rares spécimens qui nous sont parvenus en font bien partie ; soit en raison de la durabilité du matériau utilisé dans leur fabrication : os, pierre, poterie ou métal, soit parce qu’ils ont été conservés dans un milieu les préservant. Il est pourtant certain que les premiers hommes disposaient d’une gamme de matériaux plus vaste à partir desquels ils ont pu créer des instruments de musique. L’homme de la Préhistoire est mû par le but de préserver sa vie et celles de son clan. Ce dernier offre une protection

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contre les animaux sauvages, une aide dans l’organisation de la chasse et la possibilité de se reproduire. Nos ancêtres étaient nomades, ce qui exclut la possession d’objets ou d’instruments lourds ou de grandes tailles. Préhistoriens, archéologues et musicologues s’efforcent de retrouver, de recréer l’instant originel où naquit la musique. Dans le Jura allemand proche de Stuttgart, l’archéologue Suzanne Münzel, dans les années quatre-vingt-dix, met au jour des fragments d’os de mammouths et d’oiseaux qui, une fois reconstitués, révèlent qu’ils sont perforés et qu’ils ressemblent à des flûtes. Ces ossements, datés de l’Aurignacien, ont plus de 35 000 ans. Forts de cette découverte, paléontologues, musicologues et acousticiens explorent désormais les sites de fouilles avec un autre « esprit », (Goblot, 2020). Des ossements perforés en guise de flûte, voici qui exige une maîtrise avancée de technologies déjà très élaborées. Cette complexité, qui nécessite à tout le moins de maîtriser la technique de la perforation, permet d’inférer qu’il ne s’agit certainement pas là du premier instrument utilisé par nos aïeux. Il doit exister des instruments faisant appel à des technologies plus primitives. Pourquoi ne retrouve‑t‑on pas d’instruments de conception plus simple et antérieurs à ces flûtes ? Comme le rhombe par exemple, constitué d’une simple pièce de bois ou d’os allongé et plat, sculpté ou peint, voire les deux, décoré d’ornements sacrés sur chacune de ses faces, que l’on fait tournoyer dans les airs au bout d’une corde. Rhombe aborigène australienne 10

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Cet aérophone est sans aucun doute un des plus anciens instruments de musique connus, bien que les plus anciens découverts à ce jour, dans la grotte de Lalinde, en Dordogne, ou en Amazonie, ne soient datés que de 17 000 à 25 000 ans. Le rhombe se retrouve chez tous les peuples premiers : au Congo, c’est le nar’a kwei, mais on le trouve aussi en Amérique : c’est l’aige chez les Bororo d’Amazonie, ual ual chez les Apaches ou l’imillutaq des Inuits. En Océanie, c’est l’hevehe pour les Papous, le puurorohuu chez les Maori, le peer boor egah ou tjurunga pour les aborigènes (Nouvelle‑Guinée, Nouvelle‑Zélande et Australie) où il est associé à la chasse ou à des rituels. En France on appelle le rhombe diaoul en Bretagne et burrumbe en Gascogne. Le rhombe est parfois lié à des rites de passage (tribus amérindiennes) ou d’initiation (Irian Jaya). Le rhombe sert également d’épouvantail à fauves et à éléphants. Selon Barbara Glowczewski, anthropologue et ethnologue française, spécialiste des aborigènes d’Australie, le rhombe serait associé à la fertilité « dans la mythologie masculine des Pitjantjatjara (tribu aborigène qui vit aux abords de l’Ayers Rock), les héroïnes Aknarintja, femmes mythiques, conçoivent sans hommes grâce au son des rhombes qu’elles détiennent ». Là encore, l’association de bois ou d’os avec des technologies de perforation et la maîtrise du tressage pour les cordes paraissent trop complexes pour faire du rhombe l’instrument originel. Il doit exister des instruments plus rudimentaires encore. Mais où et quels sont‑ils ? Une des pistes envisagées pour expliquer ce mystère ne réside‑t‑elle pas dans le fait que nombre d’instruments, notamment des percussions, sont réalisés à partir de matériaux organiques qui ne résistent pas ou mal à l’usure du temps, à l’instar du bois, de coquilles, de fruits ou de peaux ? Ces matériaux étant vulnérables à l’usure du temps,

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la quête de ces instruments n’est‑elle pas que chimère ? À la lumière de dernières découvertes dans la connaissance des us et coutumes de nos ancêtres, ne devrions‑nous pas persévérer et reconsidérer nombre d’artefacts préhistoriques avec un regard nouveau ?

Les lithophones

Dans les collections du musée de l’Homme à Paris dormaient des pierres cylindriques polies qui avaient été trouvées le plus souvent isolées au moment de leur découverte. Ces monolithes cylindriques, au nombre de vingt‑trois, mesurant entre quatre‑vingts centimètres et un mètre de long, avaient été étudiés et répertoriés en tant que pilons à céréales subsahariens. En en reprenant l’étude, Érik Gonthier, paléomusicologue et chercheur au CNRS, pose sur eux un œil nouveau et conclut qu’il est impossible pour un individu d’utiliser ces pierres pour piler du grain. Ces supposés pilons sont beaucoup trop lourds pour être utilisés des heures durant. Sans a priori il les étudie, cherche, se passionne et trouve… Leur analyse morphologique révèle des propriétés acoustiques jusque-là insoupçonnées. Érik Gonthier les fait tinter, perçoit un son empreint d’harmoniques mais quelque peu atténué, comme assourdi. Lui vient alors l’idée de placer ces pierres sur des coussinets, comme nos ancêtres eurent pu en fabriquer en entassant des feuilles, par exemple. Et là, miracle, le tintement devient mélodieux. Érik Gonthier découvre qu’en frappant les pierres sur leur fût ou leurs extrémités, chacune produit, non pas une note, mais bien deux notes distinctes, aussi cristallines l’une que l’autre. Ces pierres originaires de Côte d’Ivoire sont rebaptisées « lithophones ». Chaque lithophone est unique, en ce sens qu’il a sa propre sonorité et ses propres notes, avec de grandes différences de tonalité. Datées d’il y a 25 000 ans, ces vingt‑trois pierres sont à ce jour les plus anciens lithophones manufacturés connus. 12

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La découverte d’Érik Gonthier a permis de réévaluer et requalifier de nombreux objets préhistoriques. Des fouilles ont mis au jour d’autres types de lithophones : laminaires, ils se composent de séries de lames de tailles et d’épaisseurs distinctes, vraisemblablement disposées au gré du musicien, et composant une sorte de gamme. Si les lithophones nous mènent aux percussions, ils ne sont pas moins le fruit du travail de l’Homme. La technologie et le temps de polissage de ces pierres en font des instruments encore complexes. Ne pourrions‑nous pas nous aventurer plus loin encore dans la simplification de la manufacture d’instruments ? Nos aïeux connaissaient‑ils les propriétés sonores des phonolithes ? Ces minéraux sont composés d’une roche magmatique d’origine volcanique. De couleur sombre dans le cas des phonolithes noires du Teide (Tenerife), elles se présentent parfois sous des teintes allant du gris au verdâtre. Cette roche tire son nom du son clair qui retentit quand on la frappe. Il semble que des phonolithes aient été utilisés comme lithophones dès le Néolithique. Les propriétés de cette pierre en font un excellent conducteur sonore, elles sont d’ailleurs exploitées au Moyen Âge dans la construction d’édifices.

Lithophone 13

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Les voûtes de la salle de l’écho de l’abbaye du XIe siècle de la Chaise‑Dieu (France) sont construites en phonolithes. La propriété du conducteur acoustique de cette pierre permettait au confesseur de maintenir les lépreux à une dizaine de mètres de distance. Mais cette digression nous a fait faire un bond dans l’Histoire, revenons à nos ancêtres. Minéral rare et parcimonieusement réparti sur la planète, le phonolithe à grenats n’est présent que sur l’île d’Ua Pou, dans l’archipel des Marquises, en Polynésie française, au Brésil, en Éthiopie et en Europe dans le Massif central. Le premier instrument se devant d’être à la fois simple et universel, l’énigme de son origine ne peut ni faire appel à des techniques de fabrication élaborée ni à l’extraction ou l’échange d’un minéral rare. Ne devrions‑nous pas, tout comme les chercheurs, élargir notre horizon et trouver plus simple encore ? Et si nous commencions là où tout commence… à la maison et dans les lieux fréquentés là par nos ancêtres, leur habitat ? C’est la démarche du musicologue Iégor Reznikoff, professeur émérite de l’Université de Paris Nanterre. S’il explore et redécouvre les grottes, c’est – pour emprunter son expression – « avec les oreilles » qu’il les étudie. Les recherches de Reznikoff ont révélé les propriétés sonores insoupçonnées de plusieurs grottes, comme celles d’Isturitz et d’Oxocelhaya dans la vallée de l’Adour, Pyrénées, France. Il a réussi à démontrer qu’il existait une corrélation positive entre l’emplacement de peintures pariétales et la résonance des parois. Cette découverte ouvre la voie à une toute nouvelle exploration des sites d’habitation et de fréquentation de nos ancêtres.

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Orgue naturel

En explorant la grotte de Saint‑Cézaire près de Grasse, en France, le paléomusicologue Érik Gonthier remarque de minuscules traces d’impacts sur des stalactites. Et… ô surprise ! Comme avec des lithophones, il parvient à tirer deux notes distinctes de chaque stalactite. Soit plus d’une vingtaine de sonorités différentes. Le son produit par l’amas descendant de la voûte ressemble à celui d’un orgue naturel. Les accords dans la grotte de Saint‑Césaire sont si riches qu’Éric Leman y interpréta, lors d’une visite guidée en 2011, une mélodie dans laquelle il reconnait L’Hymne à la joie de la Symphonie n° 9 de Beethoven. Une fois encore, cette utilisation des propriétés sonores des grottes semble trop élaborée.

Le corps pour instrument

En plus de ses capacités vocales, le corps humain a de nombreuses propriétés acoustiques. Il est à la fois un idiophone, un membranophone et un cordophone. Ces qualités n’en feraient‑elles pas l’instrument de percussion par excellence ? Les premiers rapports des hommes à la musique se doivent d’être ni compliqués, de faire vraisemblablement appel à des instruments particuliers. Il s’agit d’un point de vue que partagent Cecil et Stanford Forsyth : « Le premier et le plus simple type de musique est purement rythmique. Pour autant que nous puissions le dire d’après les archives et l’étude d’ethnies sauvages, elle sous‑tend et précède toute autre sorte de musique. Notre ancêtre n’a pas besoin d’instruments autres que de ses mains ou ses pieds pour battre un carré de la Terre mère. » Notons à ce sujet que nous sommes à l’égard du rythme prisonniers de deux comportements, la phase ou 15

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l’opposition de phase ; tous les rythmes intermédiaires étant extrêmement difficiles à conserver. J’en veux pour exemple les applaudissements d’un public désorganisés au départ se synchronisant après quelques secondes. Le corps permet de produire une grande variété de sons, naturels comme artificiels, rendant la pratique des percussions corporelles universelle. Nos ancêtres produisent ces premiers sons et rythmes en frappant leur torse, leurs cuisses ou leurs mains l’une contre l’autre, en martelant le sol avec leurs pieds. Ces précursseurs de la musique ont découvert les premières variations sonores en fonction de l’énergie mise dans ces mouvements. Ils ont appris à moduler les sons produits selon que leurs mains sont creuses ou à plat, que leurs pieds martèlent le sol de la plante des pieds, des talons ou des orteils, ou qu’ils frappent les parties charnues ou osseuses de leur corps. Ce type de modulation est pratiqué de nos jours dans certaines danses traditionnelles du centre de l’Europe et se retrouve également au Brésil dans des danses cérémonielles comme le tupinamba (danse du feu) ou modernes comme le gumboot dancing, ou encore percussives d’origine africaine. Mentionnons le cas particulier des Vedda, de Ceylan, qui constituent peut‑être le seul groupe ethnique à ne posséder aucun instrument de musique mais qui accompagne ses chants de « percussions corporelles » en frappant leurs corps de leurs mains, (Blades, 1970). C’est ce type de percussions, qui ne nécessite aucune technologie et ne fait appel à aucun instrument particulier hormis le corps qui est à l’origine de la musique. Plus tard seulement s’entrechoqueront des branchages, des os ou des pierres réservés à cet usage, plus tard encore ces rythmes s’organiseront. À cet égard, dans son ouvrage, Sachs cite von Bülow : « Au commencement était le rythme. 16

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L’organisation du rythme est venue bien après que les hommes – comme les oiseaux – ont donné une forme mélodique à la gaieté et au deuil. » La musique, comme les percussions qui en sont une des expressions la plus naturelle, est née au cœur de la nature. Dans la pénombre de grottes servant à la fois d’abris et de lieux cultuels. Omniprésente chez nos ancêtres depuis l’Homme de Néandertal au moins, comme elle l’est aujourd’hui encore. La musique aidait nos ancêtres dans des cérémonies animistes à apprivoiser la nature, à dialoguer avec les animaux et aller à la rencontre des totems claniques. En observant nos ancêtres par ce prisme, qu’ils soient Homo sapiens, de Néandertal ou plus anciens encore, on constate que leurs cérémonies deviennent de véritables spectacles de sons et de lumières. Nous pouvons les imaginer dans le confort rudimentaire d’un abri sous roche ou au cœur de grottes ornées, à la manière d’un théâtre, où s’associeraient, en hommage aux divinités tutélaires, les Arts de la musique, du chant, de la danse comme de la peinture rupestre. L’étude des percussions nous invite à ce fascinant voyage : que l’on soit anthropologue, paléomusicologue, musicologue… ou simple amateur, ce voyage mène à la découverte d’une époque où se fondaient le sacré et le profane en un même creuset, celui de la naissance de la musique… C’est au travers de ce prisme des percussions que nous aborderons cet ouvrage.

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Agogô Afrique

D’origine africaine, l’agogô ou gongué est un instrument constitué d’une ou de plusieurs cloches, en bois ou en métal, qui sont reliées entre elles et ne possèdent pas de battant. Son nom : akokô, désigne l’horloge ou le temps, en langue nagô, et il sert à marquer le tempo. On retrouve l’akokô partout où la traite négrière déporta les Africains, notamment au Brésil. Fabriqué en métal, il est utilisé dans la plupart des formes musicales percussives latines, comme la samba, le maracatu ou le candomblé. On le trouve fréquemment parmi les accessoires de la batterie moderne. Grâce à son timbre très sonore, qui domine et « dirige » aisément les autres instruments de musique, l’akokô offre un point de repère facilement reconnaissable. Pour en jouer, le percussionniste le frappe au moyen d’une baguette.

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Ahoco

Côte d’Ivoire L’ahoco est un racloir traditionnel des Baoulés de Côte d’Ivoire. Il se compose d’une coquille de noix aplatie et évidée faisant office d’amplificateur et d’un bâton strié que l’on frotte à l’aide d’un autre fruit sec évidé, en guise de racloir. Surnommée la « Reine de l’ahoco », la chanteuse ivoirienne Antoinette Konan a fait beaucoup pour populariser cet instrument. 80

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Angklung Indonésie

Le mot angklung a une double signification puisqu’il désigne un instrument et un ensemble de musiciens l’utilisant. L’instrument est un hochet en bambou originaire d’Indonésie et populaire dans toute l’Asie du Sud‑Est. L’angklung se compose de deux ou trois résonateurs en bambou, attachés et maintenus par un ensemble d’autres petites sections de bambou plus fines, elles‑mêmes reliées à un cadre faisant office de portique. L’angklung mesure une cinquantaine de centimètres mais il en existe de toutes tailles, allant de vingt centimètres à plus d’un mètre. Pour en extraire un son, l’instrumentiste secoue l’angklung, ce qui fait claquer les résonateurs sur les montants. Chaque instrument ne produisant que deux ou trois notes, quelques modèles sont souvent disposés en série ; le musicien peut en manipuler jusqu’à plusieurs dizaines simultanément. Généralement, trois percussionnistes ‑  ou davantage ‑ tiennent un angklung de manière à pouvoir interpréter une mélodie pentatonique complète. Dans un ensemble musical, l’anklung est souvent associé à d’autres instruments tels que le kulintang.

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Asatayak Kazakhstan

L’asatayak est un instrument de percussion qui permet aux chamans kazakhs de communiquer avec les esprits lors de cérémonies de guérison, tout comme le dangyra, un instrument proche du tambourin. L’asatayak est une sorte de sceptre sur lequel sont fixés des cercles métalliques d’où pendent des anneaux et des plaques métalliques. 82

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Asson

Afrique de l’Ouest, Haïti L’asson ou açon est un instrument haïtien, une sorte de hochet comme le chekeré, qu’il suffit de secouer en rythme pour en jouer. L’asson est une calebasse piriforme évidée et trouée dans sa partie la plus fine, qui sert de manche à l’instrument. La partie sphérique de la calebasse, qui sert de résonateur à l’asson, est recouverte d’un filet sur lequel sont fixés de petits éléments percutants comme des perles, des coquillages, des noyaux de fruits sauvages ou des graines. Pour en jouer, on saisit l’asson par le manche afin que perles et gourde s’entrechoquent. On en joue pour battre la mesure. L’asson est notamment utilisé dans les cérémonies vaudoues. L’ancêtre de l’asson serait originaire de l’ouest africain ; il s’agit du yabara ou djabara. Ses inventeurs seraient les Kôrêdugaw, une société secrète dont les initiés assuraient le rôle de bouffons rituels lors de cérémonies des communautés bambara, malinké, sénoufos et samogo du Mali.

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Axatse

Ghana, Togo L’axatse est un hochet que l’on retrouve accompagnant le kaganu et l’agogô dans les orchestres des Éwé de la région de la Volta, à l’est du Ghana et du Togo. Il est fabriqué à partir d’une variété de calebasse, qui est séchée et trouée à sa base. Un filet dont les mailles sont garnies de graines de dattes, de coquillages ou de perles, est posé par-dessus. L’axatse est traditionnellement percuté entre les mains et le haut de la jambe. Il est apparenté à d’autres hochets‑calebasses que l’on rencontre en Afrique de l’Ouest, comme l’açon, le chekeré ou le yubara, bien qu’il soit généralement fabriqué à partir d’une calebasse plus petite. Il est différent des maracas qui contiennent des graines à l’intérieur.

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EXTRAIT d'un livre paru aux Éditions Favre.

Tous droits réservés pour tous les pays. Toute reproduction, même partielle, par tous procédés, y compris la photocopie, est interdite. Éditions Favre SA Siège social 29, rue de Bourg CH – 1002 Lausanne Tél. : +41 (0)21 312 17 17 lausanne@editionsfavre.com www.editionsfavre.com


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