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c. L’appel du concret

opinion que la qualité d’un projet vient par la main avant tout (…) ça peut sembler vieux con mais en fait, c’est presque révolutionnaire aujourd’hui, c’est de la révolution 29. La SCOP d’architecture LAO30, basée à Paris, dont, Céline Tcherkassky, une des architectes membres et également illustratrice, propose ses illustrations en tant que produits de vente, on retrouve sur leur site en exemple la collaboration avec l’agence Encore Heureux. Si le dessin sert le projet dans ses premières esquisses et son expression, il est une compétence artistique valorisable qui est également un outil de représentation et de communication architecturale.

Richard Faure, le gérant de l’agence dans laquelle je travaille, explique que pour lui, c’est à travers la matière et le volume qu’il s’exprimait : la maquette. Bien que nous n’utilisions plus ce moyen d’expression au sein de l’agence, la maquette reste un outil de recherches, de conception et aussi d’illustrations de la production architecturale auprès du public dans de nombreuses agences, telles que Dominique Coulon & Associés à Strasbourg, Studio 02 à Vannes, ou bien la vitrine parisienne de l’agence Renzo Piano.

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c. L’appel du concret

Repenser la gouvernance du projet pour plus d’horizontalité

Dans son mémoire, Eugénie Baillet interviewe plusieurs artisans, dont Patrick Le Goff, couvreur chaumier, qui pointe le manque de communication et de compréhension entre architecte et artisan, il témoigne personnellement d’un ressenti de complexe d’infériorité (…) face aux architectes 31 . Nous avons parlé précédemment de la position parfois « dominante » de l’architecte en fonction de maître d’œuvre sur les artisans / ouvriers. L’architecte établit sa place dans une dialogue triangulaire avec la maîtrise d’ouvrage et les entreprises et doit porter le projet. La volonté d’une partie des architectes à revendiquer une approche plus manuelle, sensible et humaine témoigne d’une certaine humilité partagée. En effet, l’image que l’architecte porte dans la société interroge sa place dans la culture commune, pour exemple, Emmanuel Metrard et Adrien Alanou de l’Atelier de la Comète nourrissent par leur démarche une nouvelle culture de l’architecte accessible 32 .

C’est également l’étape du chantier qui est à revaloriser. Frédérique Jonnard, architecte-artisane, est gérante de Terramano, une agence d’architecture spécialisée dans la construction terre devenue entreprise artisanale. Elle a pratiqué durant quelques années en Amérique du Sud, à Lima. Elle m’explique la différence entre la culture française et latine du chantier, là-bas, le chantier est une fête, c’est sacré, il y a la tradition de mise en œuvre33 . Si nous parlions précédemment de la place sociétale requestionnée par certains architectes, c’est aussi celle dans le processus du chantier qui est visée. Tandis qu’une nouvelle vague d’architectes est portée par la volonté de faire et de travailler de manière plus horizontale avec les autres acteurs de la construction, d’autres architectes sont en quête de légitimité quant au processus de construction de plus en plus complexes et réglementés du fait de l’industrialisation du domaine de la construction et aux savoir-faire détenus par les artisans et ouvriers.

Arthur de Bellescize, architecte et salarié de Cubeco, une entreprise générale travaillant sur la conception d’un module d’habitat éco-construit, exprime son impression que l’architecte est devenu trop spécialisé. Il travaille avec plusieurs artisans dans son entreprise, ce qu’il constate, en étant architecte de formation et moitié artisan dans la pratique, c’est le manque aujourd’hui d’harmonie entre les acteurs, ouvriers, artisans, (et) de synergie des lots34. La complexité croissante des projets amène la pratique de l’architecte à la sur-compétence, il faut s’entourer d’acteurs complémentaires pour répondre au mieux aux projets, en renforçant la transversalité des compétences.

La concrétisation versus l’abstraction

29 Olivier MARTY, architecte associé, gérant du Studio KO dans le Podcast d’Hélène Aguilar, Où est le beau, #69, Op.Cit. 30 site web : https://www.lao-scop.com/projets/diagnostic-d'usages-urbains 31 Baillet Eugénie, Op.Cit., p.11 32 Metrard, E., entretien du 24 janvier 2021, annexe 33 Jonnard, F., Op.Cit. 34 de Bellescize, A., entretien du 31 mars 2021, annexe

Nicolas Duverger, architecte au CAUE 29, nous interpellait lors de son intervention, dans le cadre de la formation HMONP, sur les alternatives qu’il serait nécessaire de développer dans notre pratique. Il parlait de mise en mouvement du projet , d’expression alternative du projet et de l’émergence de microarchitectures faites main35. Il illustrait son propos par un exemple de revitalisation de centre-bourg breton conçu et partiellement réalisé par le collectif de paysagistes Bivouac. Si l’on en appelle aux mains et à la volonté de faire, la comparaison voire l’inspiration du métier d’artisan nourrit l’envie de changements des architectes que j’ai rencontrés. Caroline Klein, de l’agence Gris Bois, me précise que pour elle l’architecte devrait être artisan, pourquoi certains architectes pensent-ils ainsi ? Ont-ils la volonté d’être actif (physiquement) dans le processus de fabrication ? Le souhait de savoir faire ? Ou se placent-ils dans une posture en révolte face à la société, en écho aux mots de M.B.Crawford le savoir-faire artisanal suppose qu’on apprenne à faire une chose vraiment bien, alors que l’idéal de la nouvelle économie (célèbre) les potentialités plutôt que les réalisations concrètes36 . Pour Cigüe, faire leur permet d’expérimenter, de se tromper, de recommencer en se confrontant au concret.

Frédérique Jonnard explique son rapport à l’artisanat, nourri par l’envie de faire le projet de bout à bout 37. Le concret qu’évoque Frédérique, et celui partagé par Cigüe ou encore Gris Bois, c’est la volonté de maîtriser un processus du début à la fin : concevoir, fabriquer, commercialiser… Frédérique m’explique que son envie de devenir artisan, de faire, lui a paru évidente lorsqu’elle était sur chantier et qu’elle ne pouvait pas participer à ce qu’elle avait dessiné sur papier, pour elle, faire c’est rendre concret le projet. Le concret, Eugénie Baillet s’y est intéressée dans son mémoire, elle y expose la fuite de l’abstraction38 par une génération de travailleurs, dont les architectes font partie, en révolution contre un système abstrait du travail.

Rapport sensible et humain

L’artisan choisit sa spécialité en relation avec une matière spécifique tandis que l’architecte compose avec différentes matières. Néanmoins, tous deux entretiennent un rapport sensible à la matière, voire émotionnel. Une sensation qui se transmet en partie par le toucher, là où la main de nouveau reparaît. Frédérique Jonnard parle de l’entrée de la terre dans sa vie avec émotion la terre est universelle, elle est partout, elle peut se ramasser (…) en tant que personne tu peux la transformer pour en faire un espace, ton chez toi si tu souhaites. Pour elle, l’emploi d’une matière disponible et locale permet d’aller de la matière première à la matière bâtie, et dans certaines mesures de supprimer les intermédiaires. Frédérique parle d’affinité avec la matière, il y a une différence entre ceux qui travaillent la terre et ceux qui travaillent le bois : ce n’est pas la même approche39 .

Cette sensibilité peut également porter une dimension environnementale. Yann Santerre est architecte et ingénieur, originaire de Bretagne, il travaille une matière innovante à partir des sédiments marins en excès dans les ports et abords fluviaux. Ses premières réalisations avec son entreprise Gwilen, prouvent son pari de transformer une matière « déchet » en une matière « noble », esthétique et exploitable. Aujourd’hui, il a développé une gamme de mobiliers et parements. Dans le podcast qui lui est dédié Où est le beau #96 d’Hélène Aguilar, Gwilen, une révolution grâce aux sédiments marins40 s’ancre clairement dans une perspective d’avenir et de renouvellement des potentiels existants. Pour Yann, mettre à profit le réemploi des excédents générés par l’homme est une solution d’avenir pour la construction.

Si Frédérique Jonnard se place aux côtés des artisans dans le désir commun de bâtir, l’Atelier de la Comète développe avec leur nomadisme de chantier en chantier, un rapport aussi fort avec les ouvriers qu’avec les clients. Emmanuel m’explique que leur présence régulière sur place leur a permis d’entretenir des relations presque « intimes » au-delà du cadre habituel architecte-client, où l’architecte devient « disponible ». Quant à Caroline et Guillaume de Gris Bois, ils sont auprès de leurs clients dans la compréhension des besoins. Suite à la conception et la fabrication, ils viennent eux-mêmes poser et monter le projet, de la même manière que les débuts de Cigüe racontés par Guillem Renard. Ils se construisent avec la volonté d’être physiquement impliqués au processus de conception/fabrication du projet et humainement proches des acteurs.

Après avoir établi les origines de ce retour à la fabrication et de la remise en question au sein de la profession, la seconde partie s’intéresse à l’intérêt du faire dans la pratique et son apport dans le processus de conception.

35 Duverger Nicolas, propos recueillis lors de l’intervention du 18 janvier 2021dans le cadre de la formation HMONP, ENSA de Bretagne 36 Crawford, Op Cit, p. 27 37 Jonnard, F. Op Cit 38 Baillet E. ,Op Cit., p.71 39 Jonnard, F., Op.cit 40 Aguilar H, Janvier 2021, Où est le beau #96 Gwilen, une révolution grâce aux sédiments marins, interview de Yann Santerre

Figure 4 Frédérique Jonnard dans l’atelier de Saint Simon (02) © Alain Moïse Arbib

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