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c. Tisser son réseau
promeuvent le réemploi des matières, l’accompagnement client avec la conception, l’économie de construction en interne, en laissant des lots à réaliser par le client et proposeront également une journée de formation. Frédérique rejoint cette approche de la séparation entre travail et matière. Elle est toujours transparente auprès de ses clients sur le coût de ses prestations. Elle m’explique comment elle organise son prévisionnel en fonction des jours travaillés et des jours non marchands, des aléas quotidiens et jours de repos nécessaires lorsqu’on travaille physiquement la matière, avec l’objectif d’un salaire fixe pour chaque mois.
A l’image de Yann Santerre avec sa matière à base de sédiments « déchets », la démarche de Guillaume, Caroline et Frédérique porte l’étiquette de la frugalité. Du côté de GRIS Bois, c’est le bois massif qui compose la majorité de leur projet, celui local des forêts vosgiennes. Pour Frédérique, c’est la terre, soit celle du terrain où elle pratique ou bien dans un rayon restreint à l’Ile de France où elle réalise principalement ses projets.
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c. Tisser son réseau
Olivier Caro, programmiste et assistant à maîtrise d’ouvrage, nous expliquait comment le réseau fait entreprise97 . Guillem Renard raconte dans son mémoire que c’est en premier lieu le réseau de l’école qui a consolidé la collaboration avec ses amis, aujourd’hui associés de l’agence Cigüe, de même que pour Caroline et Guillaume ou Adrien et Emmanuel. Activer son réseau c’est élargir ses potentiels, en termes de compétences par la transversalité en collaborant avec d’autres acteurs. Emmanuel et Adrien se sont parfois associés à des urbanistes pour répondre à des projets de revitalisation de centre bourg. Frédérique a travaillé aux côtés du collectif Bellastock, de Noé Solsona (artisan à Lyon), sur des projets plus importants d’enduits en terre, de personnes dans les domaines de la formation, d’agences d’architecture parisiennes… GRIS Bois a installé (et construit) ses bureaux au sein des locaux de CRIC un collectif d’artistes et d’artisans à Strasbourg, qui promeut la mutualisation des pratiques. L’Atelier de la Comète a également tissé un réseau en se déplaçant sur tout le territoire, de collaborateurs et d’entreprises.
La rédaction de ce mémoire m’a poussée à solliciter ce réseau et à continuer de le tisser : ce sont les amis, les connaissances, les lectures et les écoutes variées qui ont dessiné tout au long de cette recherche et rédaction ma propre carte. La carte qui suit est une synthèse des connexions créées, soit indirectement par la prise d’informations, soit dans le partage, lors d’un entretien. Elle met également en évidence la présence sur le territoire français de nouvelles pratiques, de recherches et d’expérimentations.
97 Caro O. Op.Cit.
Figure 9 Carte française du réseau sollicité dans le cadre de ce mémoire et connexions possibles (réalisation personnelle)
CONCLUSION
Quand Caroline Klein, lors de notre entretien, m’a dit que l’architecte devrait être artisan, j’ai tout d’abord été séduite. Une de mes premières réactions a été que moi aussi, je voulais faire, et surtout savoir faire. Durant l’année de formation, nous avons été régulièrement nommés par les différents intervenants, nous les architectes, comme sachant. Cependant, si souvent nous avons l’impression de ne pas savoir, impossibilité due par la complexité croissante de la profession ou de par ma jeune expérience. Comment pourrait-on en vouloir à nous autres, jeunes architectes, de souhaiter savoir faire, de faire pour pourvoir dessiner avec justesse ? D’expérimenter physiquement l’acte de bâtir pour dessiner à l’échelle humaine en prenant en compte les conditions de cet acte, de se mettre pendant quelques temps à la place de ceux qui font ce que nous pensons, de lier le penser et le faire ? Est-ce utopiste ? Peut-être mais compréhensible.
Le sociologue Jean-Louis Violeau, membre du mouvement de la Frugalité heureuse et créative, écrit dans le journal de janvier 2019 : cet horizon critique dessiné par l’Utopie nous est pourtant nécessaire (…) sinon au nom de quoi et pour quoi critiquerions-nous ce présent qui ne nous satisfait pas ? Qui ne nous satisfera jamais : le projet est un ressort vital chez l’homme. La transformation est son viatique 98 .
La genèse de ce mémoire est née de la pensée utopique que les architectes pourraient concevoir et construire en apprenant auprès d’autres acteurs du processus de fabrication tels que les artisans et ouvriers de tous corps de métiers. Qu’ils pourraient prendre à leurs côtés les outils de la matière et mettre les mains à l’ouvrage. Confrontée à cet idéal de prise de possession physique de l’acte de bâtir, l’écriture de ce mémoire m’a permis de déconstruire, au travers des rencontres de praticiens divers, amis ou connaissances, ces premières pensées. C’est de fait en corrélant l’histoire du métier d’architecte et la remise en question contemporaine de celui-ci que la volonté de certains architectes à développer de nouvelles pratiques du métier se clarifie. Ces praticiens ont eux-mêmes été nourris en premier lieu par la volonté de faire, et ont chacun et chacune, de manière solitaire ou à plusieurs, développé un autre exercice. Ce n’est pas un retour aux origines du métier mais une définition alternative qui pousse les limites de la pratique d’architecte.
L’archigraphie 202099 publié le 8 décembre dernier par le CNOA est un observatoire intéressant sur la réalité de l’état de la profession. Malgré la difficulté d’une profession en crise, on constate depuis la crise économique mondiale de 2008 la baisse des honoraires et la précarisation croissante, que les entrées comme les sorties des architectes inscrits à l’OA depuis 2009 sont restées stables. Ce qui peut cependant être observé, c’est le changement du modèle de structure, en mutation depuis un exercice libéral de l’architecture au profit de l’associatif100, qui est une alternative pour lutter contre les difficultés d’une profession qui se paupérise (concentration des bénéfices les plus importants pour un faible pourcentage des inscrits à l’ordre, une niche). Il est également noté l’augmentation de la part de pluriactivité chez les jeunes architectes101, peut-être en réponse aux difficultés économiques de la profession par la proposition de prestations variées, complémentaires et la multi-compétence. Cependant, la pluriactivité peut également être source d’un renouveau du métier et vient surtout questionner les limites de la pratique.
Si précédemment, nous parlions de temporalités du travail, je pense qu’il serait pertinent d’intégrer dès le début de la mise en place d’une pratique des temps de recherches, des temps de pause productifs et collégiaux afin de nourrir la réflexion et de se permettre d’expérimenter. Ce temps en amont du projet, à l’image de l’agence Cigüe ou bien de Frédérique Jonnard dans son atelier, c’est se donner le droit à l’erreur et à la recherche autant conceptuelle que matérielle et technique. L’intégrer dès le début, c’est être sûr qu’il fasse partie du processus et ne reste pas qu’un concept.
L’hybridité n’a pas d’échelle. Pour ma part, le dessin m’a en partie amené à l’architecture avec d’autres bagages et c’est un souhait profond que de lui redonner une place dans ma pratique. Le réintroduire, c’est le développer comme moyen de recherches et de nourriture à la créativité, mais également tel un support de communication avec les clients, voire peut-être commercialisable.
98 Violeau, J.-L. (Janvier 2019) LES SIGNATAIRES PRENNENT LA PAROLE, Manifeste de la frugalité heureuse & créative. Association Frugalité Heureuse , p.9 99 Gossard, E et al., 2020, Archigraphie 2020, 100 Ibid, p.36 101 Ibid, p.69
Avant mes études d’architecture, j’ai participé adolescente à plusieurs chantiers bénévoles de réhabilitation de lieux (passerelles en bois dans la Manche et bergeries sur le Mont Ventoux). J’y ai découvert mes premières techniques de construction. Les études d’architecture nous ouvrent sur le champ des possibles de l’espace et comment le faire, ou plutôt le dessiner. L’échelle urbaine m’a alors particulièrement intéressée, suite à mon diplôme en 2017, j’ai plongé dans la réalité de la pratique de notre métier, complexe et loin du cadre utopique des études. J’ai travaillé dans un premier temps dans une agence d’urbanisme à Paris. Par volonté de revenir à une échelle de projet plus humaine et riche de cet apprentissage, je travaille depuis deux ans chez Richard Faure Architectes, une agence d’architecture située à Vannes. Ce parcours est circulaire, démarre par les mains dans la matière, les études, l’urbanisme et l’architecture et questionne de nouveau la place des mains.
Aujourd’hui, la question qui m’est de plus en plus forte est celle de l’acte de bâtir. C’est une posture en partie environnementale, que ce soit dans le choix des matières, des techniques employées, du contexte du projet et de ses potentiels existants (matériaux sur site). Ces éléments composent, de mon point de vue, une partie essentielle de la réflexion initiale d’un projet et nous amènent à penser « comment agir » ? Pour quoi, pour qui et avec qui ? Cette question amène également à celle de l’échelle du projet, les exemples cités dans ce mémoire se rejoignent pour l’ensemble dans une approche architecturale à petite échelle. Celle-ci permet une meilleure maîtrise de l’économie du projet et aussi une approche empirique par la fabrication et l’expérimentation d’éléments du projet. Les temporalités du processus de conception et de la réalisation sont également mieux maîtrisables. Répondre à petite échelle permet de cibler l’acte (de bâtir), les petits gestes architecturaux ne sont pas insignifiants mais contextuels.
Récemment, sur un des projets sur lequel je travaille, l’économiste en rédigeant le CCTP m’a alerté concernant la peinture prévue au niveau des pilotis situés au milieu du soubassement du plancher bas, et qu’il serait très inconfortable pour les ouvriers d’aller peindre ces pilotis. Je n’avais pas imaginé cette situation. Était-il indispensable pour le projet de peindre les pilotis en second plan ? Non, et pour le confort des ouvriers, cela ne l’était surement pas. Si le travail en agence est un premier rapport concret à notre métier et un apprentissage quotidien, j’aspire aujourd’hui à me confronter en parallèle au faire. Faire du chantier non pas une pratique mais un enseignement : se confronter physiquement pour aborder avec expérience et différemment le dessin du projet architectural.
Durant notre formation, Nicolas Duverger nous interpellait sur les crises qui nous arrivent (et) nous appellent à inventer de nouvelles manières d'exercer, de nouveaux marchés102 . Trouver l’équilibre dans le contexte réglementaire français d’une pratique hybride est un exercice, et cela sollicite les apprentissages délivrés par la formation HMONP. L’ambiguïté d’une pratique hybride a été expliquée précédemment. Elle se place à la limite des règles déontologiques du métier : il faut réfléchir et penser sous quelle forme se structurer, afin de rentrer dans l’ordre. Cependant, malgré les difficultés à s’établir ainsi, l’émergence de ces activités hybrides sont multiples et l’attractivité de nouveaux modèles de penser et de faire grandit peu à peu. L’année de formation et le travail personnel de ce mémoire m’ont amené à activer le réseau. Celui-ci a mis en évidence un certain nombre de potentiels et de possibilités professionnelles. Cela m’a surtout convaincue dans ma volonté de travailler à plusieurs. L’architecture n’est pas un acte solitaire. En premier, je m’intéresse à une structuration plus horizontale que pyramidale de l’agence que l’on pourrait qualifier de traditionnelle, ainsi qu’à la richesse de l’échange collégial nécessaire à la conception, à l’image d’une forme de démocratie du projet. Secondement, et en miroir de la formation HMONP, c’est la réalité administrative de l’entreprenariat en France, de l’économie du projet et de sa complexification, ainsi que la nécessaire rentabilité d’une structure qui amènent également à l’association. La réalité d’un macro système où le poids des assurances, les diverses cotisations, le coût de fonctionnement (matériels informatiques et logiciels de plus en plus chers) et les responsabilités qui incombent à l’architecte sont autant d’aspects desquels nous nous dédouanons en tant que salariés. Alors il est compréhensible de souhaiter endosser cette responsabilité administrative et économique à plusieurs face à un contexte économique et réglementaire de plus en plus difficile, et surtout, afin d’assurer peut être mieux la pérennisation de l’entreprise.
102 Duverger, N. janvier 2021, Op.Cit.