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a. L’importance de l’apprentissage et de la transmission

2. L’APPRENTISSAGE PAR LE FAIRE

Richard Sennett dans son livre Ce que sait la main, met en avant l’animal laborans et le place en guide de l’homo faber41. Il développe le fait que les gens peuvent s’instruire d’eux-mêmes à travers les choses qu’ils font42 . Dans cette seconde partie, l’apprentissage d’architectes par le faire : sur le chantier, par l’expérimentation… illustre la mise en action (physique) d’une génération, qui s’inspire des pratiques artisanales de transmission, de partage et d’échanges de savoir-faire et qu’ils réincorporent à leur exercice architectural. Comme l’écrit Alexandra Bidet dans son compte-rendu sur l’œuvre de Richard Sennett, le travail comme action a une portée éthique et politique43, la formation des architectes est remise en question autour de la reconnexion entre la théorie et la pratique. Cependant, pratiquer de manière hybride rencontre de nombreuses limites, économique, d’éthique, physique, temporelle…

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a. L’importance de l’apprentissage et de la transmission

L’apprentissage du chantier

Guillem Renard raconte les débuts de Cigüe. A l’école d’architecture, ils étaient une bande d’amis qui s’essayaient à faire et à fabriquer à l’échelle un en atelier. Lorsqu’ils décident de lancer leur entreprise de menuiserie, il explique comment il se sont formés de manière autodidacte à travers différents petits chantiers44 et comment ils se sont initiés aux principes de la construction, en les éprouvant physiquement45. Ils ont ainsi découvert le processus du chantier, sa gestion, l’approvisionnement en matières premières, et se sont vite confrontés à leurs limites physiques et de connaissances.

Le parcours de Caroline Klein et Guillaume Colinmaire est similaire. Caroline raconte leur apprentissage durant le premier confinement de mars 2020 lors d’un chantier participatif de deux mois. Ils ont appris, durant ce temps de partage autant que d’apprentissage, le savoir de mise en œuvre du bois, en rénovant une ferme dans les Vosges avec du bois local. Caroline explique que c’est par ce premier long chantier, où ils étaient en immersion totale, qu’elle a appris à appréhender le bois. Et elle continue à se nourrir de pratiques communes, dans leur production au sein de Gris Bois, ils travaillent uniquement avec des essences locales de la région. Elle raconte son questionnement lorsqu’un ami dans le Jura, qui montait un bardage en épicéa non traité sur sa maison, une essence de bois peu appropriée pour l’extérieur, lui expliquait que pour lui, ce bardage aurait plusieurs « vies » et qu’il s’en servirait dans un second temps comme bois de chauffage. Cet exemple anecdotique est significatif pour Caroline, les architectes n’ont pas toutes les réponses46, il faut savoir observer et s’inspirer de ce qui fait la culture locale, cela compose également l’apprentissage.

Son premier rapport à la terre, Frédérique Jonnard l’a eu sur un chantier dans le quartier de Barranco à Lima, où elle a vécu plusieurs années. Elle habitait une maison faite en adobe, c’est auprès de l’artisan qui la rénovait qu’elle a découvert son attirance pour la terre. Après l’entrée de la terre dans sa vie, elle a toujours cherché à apprendre autant qu’à transmettre ces savoir-faire au travers de formation telle que CRAterre à Grenoble. Sur leur page de présentation, CRAterre développe leur innovation en termes de « culture constructive » par la mis(e) au point de nouveaux modes pédagogiques allant de la manipulation de la matière jusqu'au chantier formation 47 . La pratique du chantier devient un outil d’apprentissage. Frédérique organise des chantiers d’été participatifs du réseau Twiza, son atelier à Paris illustre son hybridité, il y cohabite des outils de conception architecturale avec mélangeurs, réserves d’argiles, sable et autres bases à la confection d’enduits en terre.

Dans leur « plaidoyer » construisant une réflexion collective sur les enjeux de demain, promu par Le Pavillon de l’Arsenal, Et demain : on fait quoi ?, le collectif Nuée48 écrit le savoir est pluriel, le savoir-faire se transmet. Dès

41 « animal laborans : pour qui le travail est une fin en soi » et «homo faber : fait et juge de sa pratique » (Bidet, A, Op.Cit) 42 Bidet, A., Op. Cit. 43 Ibid. 44 Renard, G., Op. Cit., p.9 45 Ibid. 46 Klein, C., 20 janvier 2021,entretien téléphonique 47 http://craterre.org/presentation/ 48 Nuée est une plateforme coopérative et pluridisciplinaire

lors qu’il n’est plus partagé, la connaissance reste accessible à un nombre restreint de personnes puis finit par s'éteindre 49 .

La transmission de savoir-faire

Précédemment, il était question de l’apprentissage à d’autres formes de pratiques et plus largement à des connaissances par le faire, le chantier, en référence au processus d’apprentissage et de transmission de savoir-faire traditionnellement rattaché à l’artisanat. A présent, il est intéressant de retrouver ce procédé de transmission dans la consolidation de pratiques architecturales plus manuelles.

Frédérique Jonnard porte plusieurs casquettes, maîtrise d’œuvre en tant qu’architecte établie avec son agence Terramano durant plusieurs années puis artisane aujourd’hui dans l’entreprise du même nom, elle s’est très vite placée en tant que formatrice et encadrante technique. En 2019, en collaboration avec Eugénie N’Diaye, fondatrice du collectif « les bâtisseuses », elles ont mis en place une formation Enduits et peintures écologiques, certifiée ECVET 50 à Montrouge, en partenariat avec le Palais de la femme, l’Armée du Salut et l’association ADAGE. La formation était destinée aux migrants dans le but de leur donner une qualification et de les insérer ensuite en tant qu’ouvrier spécialisé de la construction. L’été 2019, lors d’un chantier de rénovation intérieure de logements sociaux pour Paris Habitat avec enduits en terre crue, elle a fait participer plusieurs jeunes du quartier (Convention, Paris) à la pratique des enduits. Les étés, elle organise et participe à des chantiers participatifs et multiculturels, avec la participation de professionnels de tout horizon. Elle est régulièrement invitée dans des conférences et assure aujourd’hui un atelier à l’ENSA de Paris la Villette.

Caroline et Guillaume, de Gris Bois, ont embauché depuis peu un jeune charpentier issu des compagnons du devoir. A travers lui, ils perfectionnent leur apprentissage du savoir-faire.

Figure 5 Caroline Klein et Guillaumne Colinmaire en train de construire leur atelier dans l’espace collaboratif « la virgule » dans les anciens ateliers de la COOP à Strasbourg © DNA / Thomas Thoussaint

49 Collectif Nuée (30 Juin 2020) Se (dé)construire - Et demain, on fait quoi ? – Pavillon de l’Arsenal 50 ECVET Construire en Terre est « une matrice d’unités d’acquis d’apprentissage conçues pour la construction, la rénovation et la décoration avec des matériaux dont le liant est l’argile non cuit » et permettant aux artisans de suivre des formations dans toute l’Europe.

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