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Édito
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– par Matthias Pintscher
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– Pierre Boulez (1925-2016), Paris, 1958.
40 ans. Le destin a voulu qu’à quelques mois près,
Et le présent, ce sera cette grande soirée festive, avec son programme en quatre « livres » musicaux – un pour chaque décennie –, que les solistes de l’Ensemble ont élaborés avec une passion et une inspiration éclatantes. Le présent, voilà le grand enjeu : être dans le « maintenant », en prise avec le monde contemporain, tout en se projetant dans le futur grâce aux compositeurs à qui nous passons des commandes. Nous remercions ceux qui nous y aident comme la Fondation Meyer qui nous soutiendra, à partir de cette saison, pour commander et diffuser une œuvre par an. Il nous incombe d’élargir le champ de nos activités, d’aller toujours davantage vers les publics, de cultiver leur curiosité et leur goût pour l’art musical. Dans notre société dont les fondements sont menacés par des formes d’extrémisme et par le manque d’éducation, nous avons le devoir de nous interroger sur le sens de ce que nous faisons. Il est aujourd’hui souvent question des stratégies à déployer pour permettre à la musique dite contemporaine de trouver un nouveau public. Ma réponse à cela est qu’il suffit peut-être tout simplement d’ouvrir grand les portes et les fenêtres et de laisser les choses se produire. Notre devoir est de présenter un large panorama de la musique d’aujourd’hui, mais aussi du passé proche ou plus lointain. En tant que directeur musical de l’Ensemble, je fais tout mon possible pour maintenir les portes grandes ouvertes, que cela soit de l’intérieur, pour que nous soyons capables d’aller dans des directions très diverses, mais aussi de l’extérieur, pour permettre à davantage de spectateurs de nous suivre. L’an passé, avec « Turbulences Numériques », un tout nouveau public est venu vers nous, et certains spectateurs sont revenus ensuite voir d’autres concerts. Cette saison, la production réalisée avec le musicien américain Bryce Dessner amènera certainement de nouveaux auditeurs à s’intéresser à nos activités. Même lorsque nous présentons des concerts « exotiques » avec des œuvres peu connues et peu jouées, le public est suffisamment curieux pour venir. Depuis quarante ans, nous travaillons à l’emmener ailleurs avec des programmes conçus avec passion et exigence et il nous accorde sa confiance pour le surprendre, nous accompagnant sur les chemins de la création. C’est pour nous le plus beau des cadeaux d’anniversaire et nous espérons que cette nouvelle saison apportera à chacun une part de rêve et de joie.
la célébration de l’anniversaire de l’Ensemble coïncide avec le moment où Pierre Boulez nous a quittés. Indéniablement, sa disparition nous projette dans une nouvelle phase de notre histoire même si nous avons déjà amorcé le changement et le renouvellement que Pierre Boulez appelait de ses vœux. Son désir le plus vif a toujours été d’aller de l’avant, de faire bouger les lignes, de découvrir et d’investir dans de nouvelles opportunités. Lorsqu’il m’a demandé, il y a quelques années, de prendre la direction artistique de l’Ensemble, je me souviens de ses propos : « Surtout, ne regardez pas en arrière, soyez audacieux, utilisez au mieux les merveilleuses ressources des musiciens et proposez des choses nouvelles. » Pierre Boulez était extrêmement rigoureux dans son travail de compositeur et dans son engagement en tant qu’interprète. En même temps, il était prêt à se lancer dans des projets totalement inédits et risqués. Une des grandes leçons que j’ai apprises à ses côtés, c’est que l’on n’est jamais en sécurité : lorsqu’on passe commande à un jeune compositeur ou qu’on lance la carrière d’un jeune chef d’orchestre, on ne sait jamais ce qui va advenir, et c’est précisément ce qui rend l’aventure si nécessaire et aussi excitante. Les 40 ans sont pour nous une merveilleuse opportunité de montrer au public notre trajectoire : voilà où nous sommes maintenant, regardez d’où nous venons, notre héritage, et voyez vers où nous nous dirigeons. Pierre Boulez parlait souvent de l’architecture du musée Guggenheim à New York, où les œuvres sont accrochées dans les espaces distribués autour d’une grande rampe en spirale. Pour le visiteur, les trois dimensions du temps coexistent : à un point donné de la visite, il est dans le « présent ». Il regarde derrière lui et il peut voir le « passé ». Devant lui, il aperçoit le « futur » vers lequel il doit maintenant progresser. On retrouvera ces dimensions dans les trois concerts constituant le point culminant des 40 ans de l’Ensemble en mars 2017. L’héritage de notre histoire se manifestera dans le concert en hommage à Pierre Boulez, et dans lequel l’un de ses chefs-d’œuvre, sur Incises, dialoguera avec des œuvres de deux fondateurs de la modernité musicale, Anton Webern et Arnold Schönberg. Le futur, ce sera le projet « Genesis » pour lequel j’ai commandé à sept compositeurs une nouvelle œuvre sur l’un des sept jours de la création selon la Genèse.
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14.08.16
ARCHIPEL SONORE 14.08.16 LUCERNE
PROMS FOR BOULEZ 2.09.16 LONDRES
SOLEIL NOIR 9.09.16 BERLIN
RÉPONS X 4
16.09.16 + 17.09.16 DUISBURG
GRAND SOIR BRYCE DESSNER 24.09.16 PARIS
ÉCLATS
3.10.16 CRACOVIE
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QUATRE AMÉRICAINS À AMSTERDAM 8.10.16 AMSTERDAM
TOURNÉE EN ASIE 21.10.16 C 28.10.16 TAIPEI, HONG KONG, TONGYEONG, SÉOUL
VOIX MULTIPLES 11.11.16 ESSEN
MÉCANIQUES CÉLESTES 15.11.16 PARIS
SCINTILLATIONS 30.06.17 + 1.07.17
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17.11.16 HAMBOURG
LUDWIG VAN 19.11.16 PARIS
BEAUTÉS DU GESTE 23.11.16 LIÈGE 25.11.16 + 26.11.16 CHARLEROI
NOUVELLE GÉNÉRATION
PORTRAIT UNSUK CHIN
LES AVENTURES DE PINOCCHIO
L’INSTRUMENT ET SON DOUBLE
3.02.17 PARIS
LA PERCUSSION DANS TOUS SES ÉCLATS
8.02.17 C 10.02.17 ROUEN 5.03.17 + 6.03.17 PARIS 10.05.16 + 11.05.17 LYON CONTE MUSICAL EIC40
29.11.16 PARIS CONCERT ÉDUCATIF
GRAND CANAL MUSICAL 1.12.16 VENISE
FLEXIBLE SILENCE 23.02.17 C 26.02.17 28.02.17 C 3.03.17 PARIS
POPPE MUSIC 9.12.16 PARIS
ROTHKO CHAPEL 24.02.17 PARIS EIC40
ÉCHANGE TRANSATLANTIQUE 15.12.16 PARIS ATELIER-CONCERT
BRAHMS / LIGETI 8.03.17 PARIS
SCHUMANN / KURTÁG
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16.12.16 PARIS
À LIVRES OUVERTS 17.03.17 PARIS EIC40
DE L’ŒIL À L’OREILLE 10.01.17 COLOGNE
HOMMAGE À PIERRE BOULEZ 18.03.17 PARIS EIC40
PIERROT LUNAIRE 15.01.17 PARIS
4.05.17 COLOGNE
12.05.17 PARIS
TERRITOIRES SONORES 18.05.17 BORDEAUX
AU BOUT DE LA NUIT 21.05.17 PARIS
L’EXTASE ET L’INCISE 26.05.17 FLORENCE
ENTREZ DANS LA DANSE !
2.06.17 + 10.06.17 PARIS BAL PARTICIPATIF
LUMIÈRE DES TÉNÈBRES 3.06.17 PARIS
HERMES V 9.06.17 PARIS EIC40
GENESIS 30.03.17 PARIS EIC40
TURBULENCES VOCALES
20.01.17 + 21.01.17 PARIS EIC40
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D’UN MILLÉNAIRE À L’AUTRE
CRÉATION MANIFESTE
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QUARTIERS LATINS
17.06.17 + 18.06.17 BERLIN
ARCHITECTURES MUSICALES 23.04.17 ZAGREB
LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE
...EXPLOSANTE-FIXE...
20.06.17 LONDRES
30.06.17 + 1.07.17 PARIS
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30.01.17 PARIS
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L’ensemble. Une histoire qui a de l’avenir.
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– par Philippe Albèra
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écriture dans laquelle, comme l’affirmait Webern, « tout est thématique ». C’est une même nécessité, mais dictée aussi par les circonstances, qui conduisit Schönberg à la formation du Pierrot lunaire (1912), formation qui s’imposera ensuite comme un modèle : celle-ci devait en effet accompagner une diseuse, dans l’esprit des cabarets littéraires allemands de l’époque. Si la Symphonie de chambre, qui clôt la période tonale de l’auteur, pouvait apparaître, dans l’interaction des vents, des cuivres et des cordes, comme une réduction de l’orchestre à sa structure fondamentale, Pierrot lunaire, œuvre symbole de l’écriture librement atonale, semble davantage une extension de la musique de chambre, deux instruments à cordes et deux instruments à vent étant soutenus par le piano, l’instrument harmonique par excellence. Mais Schönberg étend le registre des instruments en ajoutant l’alto au violon, la petite clarinette et la clarinette basse à la clarinette, et le piccolo à la flûte, conférant à chacun des vingt-et-un mélodrames une sonorité qui lui est propre. Lorsqu’il assista à la création de l’œuvre à Berlin, Stravinsky fut si impressionné par cette relation entre écriture et sonorité qu’il imagina des mélodies conçues dans un même esprit (ce seront les Trois poésies de la lyrique japonaise), engageant Ravel à faire de même (ce qui donnera les Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé). L’impact du Pierrot lunaire rejaillit aussi sur Webern, qui conçut sous son influence toute une série de Lieder faisant appel à des formations réduites dans lesquelles un contrepoint encore plus radical conduit à l’élimination du piano (voir les opus 13 à 19). Il en va de même chez Hindemith dans sa phase expressionniste. Il est intéressant de noter en retour que Webern s’enthousiasma pour les mélodies de Stravinsky découvertes lors des concerts organisés par Schönberg après la Première Guerre, au cours desquels des œuvres orchestrales – notamment celles de Mahler – furent réduites pour des ensembles restreints. À quelques années de distance, en effet, Stravinsky avait évolué dans la même direction que Schönberg : après avoir écrit trois ballets qui sont trois façons différentes de traiter l’orchestre (L’Oiseau de feu,
À l’occasion des 40 ans de l’Ensemble intercontemporain, nous avons demandé à Philippe Albèra, musicologue et fondateur de la revue Contrechamps (en 1977) puis de l’Ensemble suisse du même nom (en 1980), de retracer l’histoire de la formation « d’ensemble » avant d’ouvrir une réflexion sur son actualité et son devenir.
Les ensembles sont au cœur de la création musicale depuis les années 1950. Ils se sont multipliés à partir des années 1980 pour devenir dans bien des cas des entités pérennes, subventionnées par les pouvoirs publics. L’Ensemble intercontemporain avait ouvert la voie à l’initiative de Pierre Boulez en obtenant un statut équivalent à celui des orchestres symphoniques. Le mot d’ensemble, pourtant, échappe à toute définition précise. Il signale un regroupement de musiciens dans des formations variables qui ne renvoient ni à celles, homogènes et fixes, de la musique de chambre, ni à celles, rigides et fortement hiérarchisées, des orchestres : les musiciens y sont potentiellement tous des solistes. On doit à Schönberg l’idée d’une telle configuration à une époque où les orchestres ne cessaient de grossir – que l’on songe aux orchestrations des Gurrelieder de Schönberg lui-même, à la Symphonie n°8 dite « des Mille » de Mahler, ou de La Vie d’un héros de Richard Strauss. Sa Symphonie de chambre n°1, opus 9, composée en 1906 pour un ensemble de quinze musiciens, ne relève ni d’une conception chambriste, ni d’une conception orchestrale. La diminution drastique de l’effectif – cinq cordes solistes et dix instruments à vent – répondait à une volonté de concentration dans l’écriture et dans la forme : les éléments redondants du langage sont remplacés par des éléments structurels, des condensations formelles se substituent à l’emphase et la sentimentalité fin de siècle, la richesse harmonique résultant d’un travail contrapuntique poussé. Schönberg visait ainsi une forme en adéquation avec sa propre substance ; la clarté de la sonorité, débarrassée de toute enflure, renvoyant de façon fonctionnelle à la densité d’une
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– Répons de Pierre Boulez. Philharmonie de Paris-Grande salle, juin 2015.
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– Gilles Durot interprète Badlands de Raphaël Cendo. Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 2014.
Petrouchka, Le Sacre du printemps), il buta avec Les Noces sur le choix de l’instrumentarium, oscillant entre l’idée d’un orchestre gigantesque et celle d’ensembles inédits, avant d’imaginer finalement une formation composée de quatre pianos et d’une importante percussion qui n’avait pas d’équivalent dans la littérature musicale et témoignait d’un imaginaire sonore totalement différent de celui des Viennois. Stravinsky ne recherche pas comme ces derniers la fusion ou la complémentarité des timbres, mais leur différenciation, leur tension, s’appuyant notamment sur une utilisation optimale des registres instrumentaux. Toutes les œuvres composées durant la longue gestation des Noces (de 1914 à 1923) font appel à des formations restreintes et tournent le dos à la sonorité somptueuse, élastique ou sauvage des trois ballets écrits pour Diaghilev. Renard et Histoire du soldat, mais aussi plusieurs cycles de mélodies, tels les Berceuses du chat ou Pribaoutki, sont écrits pour des ensembles à chaque fois différents. La sonorité y est liée à l’idée musicale, elle en est le révélateur. Il en va de même chez Charles Ives, dont les idées singulières n’eurent guère d’impact en leur temps : ses deux Contemplations (The Unanswered Question et Central Park in the Dark) furent composées pour des effectifs originaux placés en différents points de la salle ; écrites en 1908-1909, elles anticipent les préoccupations spatiales des compositeurs de l’après-Seconde Guerre mondiale. Dans la modernité du début du siècle, les deux traditions complémentaires qui s’étaient développées depuis la fin du XVIIIe jusqu’à la fin du XIXe siècle – celles de la musique de chambre et de la musique orchestrale – furent remises en cause au profit d’une
nouvelle structure instrumentale, intermédiaire. Il faudra toutefois attendre les années 1950 pour que celle-ci s’impose, les œuvres composées durant la période néo-classique de l’entre-deux-guerres ayant restauré, avec la tonalité et les formes qui en dérivent, les formations traditionnelles. Si l’on peut parler d’ensembles à propos de la Sérénade, opus 24 et de la Suite, opus 29 de Schönberg, ou du Concerto, opus 24 de Webern, le Kammerkonzert de Berg, comme beaucoup d’autres pièces contemporaines pour instruments à vent, fait plutôt référence aux sérénades et aux divertimentos de l’époque classique. Il en va ainsi des Kammermusiken de Hindemith, qui renvoient moins à l’idée d’ensemble qu’au modèle de l’orchestre baroque, lui aussi variable et de forme concertante. On retrouve toutefois chez le contempteur du néo-classicisme que fut Varèse l’idée de formations originales qui privilégient la combinaison des vents et de la percussion au détriment des cordes, associée à une sentimentalité de type post-romantique. Sa musique est pensée sur la base des caractéristiques acoustiques propres à l’instrumentarium. De même, un compositeur aussi indépendant que Janácˇek imagina des formations inédites comme celle du Capriccio pour piano main gauche, qui réunit une flûte, deux trompettes, trois trombones et un tuba. Lorsque Dallapiccola abandonna à la fin des années 1930 le modèle néo-classique et se tourna vers la « méthode de composition avec douze sons » des Viennois, il écrivit des œuvres vocales faisant appel à des ensembles variés, le plus original étant sans doute, à la fin de sa carrière, celui de Sicut umbra pour trois flûtes, trois clarinettes, trois instruments à cordes et trois instruments résonants.
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lui-même développera à partir d’elle un monde sonore centré sur les instruments résonants que l’on retrouve aussi dans certaines œuvres de Messiaen : c’est le cas de Pli selon pli, d’Éclats/Multiples, de Répons (où la live-electronics amplifie le jeu des résonances) ou de sur Incises. Si l’ensemble de Pli selon pli est aux limites d’une formation orchestrale, tout en étant conçu comme une musique de chambre élargie, une pièce d’orchestre comme Rituel subdivise la structure symphonique en sept ensembles indépendants éloignés dans l’espace, prolongeant l’expérience de Gruppen. Bien des œuvres, dans les années 1950 et 1960, font apparaître à travers le choix instrumental la singularité de l’idée compositionnelle, comme on peut le voir avec les Antiphonen de Zimmermann pour alto et un ensemble formé de sept violoncelles, cinq contrebasses, trois flûtes, trois trombones, six groupes de percussion et une harpe. Ces œuvres sans concession posent évidemment des problèmes pratiques, mettant en crise toute forme de standardisation des effectifs.
L’idée de l’ensemble paraît ainsi liée à une conception novatrice de la musique, par opposition à celle qui entend « remplir de vieilles outres avec du vin nouveau ». C’est donc tout naturellement que les ensembles se développèrent juste après la Seconde Guerre mondiale, parallèlement à la remise en cause des structures compositionnelles héritées. Le prototype de l’ensemble, capable de porter des idées neuves pour lesquelles la sonorité (ou le timbre) fait partie du processus d’invention, fut imaginé à Darmstadt dans un but pratique : donner à entendre les œuvres des jeunes compositeurs qui ne trouvaient pas leur place dans les structures traditionnelles. Il répondait à l’inertie de celles-ci, hostiles à des langages musicaux nouveaux. C’est ainsi que Boulez créa en 1954, avec un groupe de musiciens engagés, les concerts du Domaine musical, structure financée par des fonds privés. L’idée en fut reprise un peu partout. L’une des aventures les plus remarquables dans ces temps héroïques fut celle du London Sinfonietta, longtemps à la pointe dans l’exécution des œuvres contemporaines. L’idée d’une relation organique entre composition et sonorité, développée à travers des œuvres pour des ensembles variables, devait contaminer l’écriture pour orchestre. C’est ainsi que les jeunes compositeurs cherchèrent à en modifier la structure, comme Stockhausen dans Gruppen (1955-1957) par exemple, où trois groupes instrumentaux sont disposés autour du public. Il fut suivi en ce sens par Boulez, Nono, Berio, Zimmermann et bien d’autres. Dans la conception sérielle, le timbre acquiert une dimension structurelle : il doit être construit au même titre que l’organisation des hauteurs et des durées. Mais si Stockhausen ou Nono eurent recours, dans les années 1950, à des formations issues de la tradition occidentale, Boulez proposa avec Le Marteau sans maître (1951-1954) un effectif sans précédent, dont les sonorités inhabituelles furent qualifiées d’« exotiques », même si elles dérivent en partie de la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy, de la troisième des Pièces, opus 10 de Webern, et des Noces de Stravinsky. Des traces de cette œuvre cardinale seront plus tard perceptibles dans de nombreuses pièces d’autres compositeurs, et Boulez
La structure variable de l’ensemble est également au cœur du travail de compositeurs comme Ligeti et Kurtág, quoique dans deux directions opposées : tandis que le premier imagine des formations homogènes dans lesquelles les trames polyphoniques, colorées, exigent des voix individuelles sans doublure, le second privilégie des timbres très différenciés, voire hétérogènes, qui ne fusionnent pas ; le cymbalum, avec sa sonorité tranchante, y est souvent présent (Ligeti ne l’emploie jamais). On retrouve cette « acidité » de la sonorité et cette individualité des timbres chez une compositrice rebelle à l’intérieur du contexte soviétique : Galina Outsvolskaïa. Chacune de ses pièces est conçue pour une formation différente et sans référence historique. Dona nobis pacem, par exemple, réunit piccolo, tuba et piano dans un assemblage inédit. Cette prédilection pour des formations liées à un projet compositionnel singulier se retrouve chez les musiciens spectraux, qui créèrent leur propre ensemble, l’Itinéraire, en mêlant les instruments traditionnels aux instruments électriques. Il en découle une œuvre telle que Saturne de Dufourt
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chez le second, à travers une polyphonie d’actions qui mobilise toutes ses ressources techniques et mentales.
(1978-1979), qui comporte deux guitares électriques, deux orgues électriques et des ondes Martenot, sans compter une partie électronique. Les sons « naturels » et les sons synthétiques interagissent (on retrouve cela dans certaines œuvres de Tristan Murail). La configuration des ensembles peut aussi refléter l’évolution d’un compositeur : George Benjamin se détourna de la somptuosité sonore d’At First Light, exaltant le rendement harmonique, pour développer une écriture contrapuntique qui exige des combinaisons instrumentales spécifiques, comme c’est le cas dans Three Inventions ou Palimpsest. Contemporains du mouvement spectral, et eux aussi opposés à l’héritage sériel, les minimalistes américains ont complètement modifié les équilibres instrumentaux de la tradition occidentale et ont imaginé des ensembles originaux qui évoquent parfois ceux du jazz, et dans lesquels les percussions jouent un rôle central (les instruments y sont souvent amplifiés et des voix chantant avec un micro peuvent s’y adjoindre). Steve Reich a créé son propre groupe, attendant des musiciens moins un travail d’interprètes que d’exécutants, voire d’officiants, qui rappelle les positions de Stravinsky. Dans une démarche parallèle, un compositeur comme Romitelli a intégré certains instruments et certaines techniques provenant du rock, que l’on retrouve, différemment, chez les saturationistes. Des ensembles ont pu ainsi se créer avec pour projet une forme de transversalité – c’est le cas d’un groupe américain tel que Bang on a can – qui rappelle les projets autrefois portés par l’ensemble Musique vivante où se croisaient le jazz, la musique improvisée et la musique contemporaine.
Le jeu est ainsi lié aux différentes esthétiques compositionnelles, exigeant une grande souplesse et une grande faculté d’adaptation de la part des instrumentistes. Telle musique repose sur des sons purs, sur la précision de l’intonation et du rythme ; telle autre utilise des sons bruités ou fendus, qui réclament des techniques particulières ; telle autre encore laissera une certaine marge à travers laquelle l’instrumentiste participe à l’élaboration finale de l’œuvre. L’intégration de gestes théâtraux, les placements et les déplacements dans la salle, ou l’hybridation avec l’électronique imposent au musicien d’ensemble une certaine versatilité, de l’initiative et de l’imagination. Ce dernier participe au processus de création des œuvres à travers son dialogue avec le compositeur, auquel il apporte parfois une aide afin de trouver des solutions techniques à des problèmes inédits, ou avec lequel il travaille pour la réalisation d’une pièce. Cet engagement contraste avec la situation des musiciens d’orchestre. Comme il n’y a pas de hiérarchies préétablies au sein des ensembles, mais une égalité de principe, les instrumentistes peuvent être tour à tour dans le groupe et devant lui comme soliste, ou seul sur scène. C’est pourquoi la forme de l’ensemble correspond mieux à notre époque que celle de l’orchestre. Elle bouscule la division du travail héritée du XIXe siècle, favorisant le profil de musiciens plus créatifs, émancipés et responsables. La position même du chef s’y trouve changée, loin des attitudes égocentriques qui existent encore dans le monde symphonique. Dans sa gestique comme dans sa façon de répéter, Boulez a transposé le travail collégial développé avec les ensembles aux grands orchestres internationaux qu’il a été amené à diriger. Aussi, bien des jeunes musiciens s’engagent dans des ensembles pour vivre une aventure musicale et humaine qui échappe aux hiérarchies, aux cadres rigides et aux routines des structures conventionnelles. En son temps, les instrumentistes formés à l’Institut für neue Musik de Fribourg-en-Brisgau créèrent l’Ensemble Modern, collectif autogéré devenu l’un des ensembles les plus actifs et les plus
Face à la musique minimaliste, qui n’a pas ses racines dans la tradition occidentale, et à de tels groupes, Ferneyhough (qui n’a quasiment écrit que pour ensemble) et Rihm s’inscrivent au contraire dans une tradition qu’ils radicalisent. À l’idée d’un dépassement du moi inspiré par les musiques rituelles d’autres continents, ils opposent celle d’une surenchère expressive. Chez le premier, à partir d’un texte fondé sur des motifs, des gestes et des phrases qui s’inscrivent dans une vaste dramaturgie formelle ;
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– within his bending sickle’s compass come de David Fulmer. Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 2015.
en pointe dans la musique contemporaine. Pour le compositeur, travailler avec des ensembles garantit un engagement des musiciens qui évite les compromis souvent nécessaires avec les orchestres, en raison de leur manque d’expérience dans le répertoire moderne et du peu de temps disponible pour répéter. Carter, dans un texte de 1970, se plaignait des conditions offertes au compositeur américain qui avait la « folie » d’écrire pour orchestre ; c’est pourquoi il privilégia longtemps les ensembles dans ses propres compositions. Mais en retour, la demande croissante de nouvelles pièces de la part des ensembles pousse les compositeurs vers une certaine forme de standardisation. Le danger existe pour les ensembles eux-mêmes : leur prolifération transforme l’espace de la création en un marché où les groupes et les projets entrent en concurrence. La professionnalisation conduit à donner plus de poids aux managers au détriment des compositeurs et des musiciens, lesquels furent autrefois à l’origine d’ensembles qui se battaient pour la musique nouvelle. Tout sectarisme est aujourd’hui perçu de façon péjorative, et les ensembles ne sont plus forcément associés à des projets singuliers. Dans la mesure où il existe aujourd’hui une histoire de la musique dite « contemporaine », riche d’une multitude d’œuvres répondant à des esthétiques aussi bien variées que divergentes, la fonction des ensembles ne peut plus se limiter à servir uniquement la création à l’intérieur de circuits spécialisés, mais doit aussi aider à décanter cette histoire, à lui donner sens, et à la faire vivre auprès d’un public élargi. Il en va de même en ce qui concerne la relation de la musique contemporaine « savante » aux musiques
actuelles, de nature « populaires ». Cette fonction esthético-sociale, nulle autre structure ne peut la porter que celle des ensembles. Elle suppose une intelligence de programmation couplée au travail de médiation. Car aujourd’hui, ce n’est plus la nouveauté en soi qui fait sens, mais la dimension profonde des œuvres, qu’il s’agit de relier à un contexte plus vaste afin d’en révéler toute l’ampleur. Sur un plan pratique, l’émulation entre les ensembles et l’engagement des musiciens qui les constituent ont permis une évolution spectaculaire de l’interprétation. Si Hans Rosbaud dut faire un nombre incalculable de répétitions pour monter Le Marteau sans maître en 1955, aujourd’hui, il suffit de quelques séances avec des musiciens aguerris pour arriver à un résultat bien plus satisfaisant. Les instrumentistes qui ont participé à l’aventure de la création à travers l’activité des ensembles ont transmis un savoir ; les œuvres, à force d’être jouées, ont été assimilées, dépassées par d’autres. Les techniques instrumentales étendues, mais aussi la compréhension des langages contemporains sont désormais maîtrisées par les étudiants lors de leur apprentissage. L’aisance acquise dans le jeu transforme les lectures laborieuses d’autrefois en des interprétations réellement abouties. Les œuvres y gagnent. La fonction autrefois dévolue aux orchestres ou aux groupes de musique de chambre est ainsi remplie aujourd’hui par les ensembles : si les premiers sont devenus des sortes de musée, les seconds sont les vecteurs de la création, tout en portant un répertoire qui couvre désormais un bon siècle de musique.
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– Gruppen de Karlheinz Stockhausen avec l’Orchestre du Conservatoire de Paris. Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 2016.
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S O U V E N I R S
Olga NEUWIRTH Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie pour six groupes instrumentaux spatialisés, sons enregistrés et électronique en temps réel
DIMANCHE 14 AOÛT 11:00 LUCERNE KKL – LUZERNER SAAL LUZERN FESTIVAL
Création nationale
Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Gilbert Nouno, réalisation informatique musicale Ircam
ARCHIPEL SONORE Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie d’Olga Neuwirth propose une merveilleuse aventure de l’écoute qui nous emmène de Venise aux îles Galápagos dans le sillage du grand écrivain américain Herman Melville. Pour la compositrice « c’est surtout l’idée de la traversée incertaine d’un archipel qui est importante : vivre la perception de quelque chose qui pourrait faire partie d’un ensemble, mais qui apparaît dans le même temps comme autonome ».
Markus Noisternig, conseiller scientifique (Équipe espaces acoustiques et cognitifs Ircam - STMS) Sylvain Cadars, ingénieur du son Ircam Renseignements et réservations lucernefestival.ch
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À l’occasion des 40 ans de l’Ensemble intercontemporain, nous avons demandé à chaque soliste de nous faire part d’un souvenir marquant de création. Leurs témoignages composent un tableau vivant et contrasté des coulisses de l’Ensemble et de la création musicale. 16
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Premières
Le monde a changé
Création de Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie (2015) pour ensemble et électronique d’Olga Neuwirth, le 18 octobre 2015 à la Cité de la musique - Philharmonie de Paris.
Création de Clarinet Concerto (1996) d’Elliott Carter, le 10 janvier 1997 à la Cité de la musique (Paris).
La musique d’Elliott Carter m’a toujours impressionné et continuera sans aucun doute de le faire. Mais derrière la musique, c’est aussi l’homme qui m’a vraiment touché. C’était une personnalité formidable. Notre véritable rencontre remonte à la création de son Clarinet Concerto. Je suis allé le voir, chez lui, à New York et il m’a accueilli à bras ouverts. Nous n’avons que peu travaillé son concerto – il me faisait confiance –, et avons passé l’essentiel du temps à discuter, sur bien des sujets. C’était un grand lecteur de philosophie, et il aimait beaucoup Montaigne sur lequel il dissertait dans un français magnifique. Finalement, cédant à mon insistance, nous nous sommes penchés ensemble sur la partition – et là, le monde a changé. La façon dont il m’en parlait, la façon qu’il avait de dessiner les intervalles dans l’espace avec sa main, son exigence permanente, les encouragements qu’il me prodiguait pour aller toujours plus loin… C’était tout à fait fascinant ! Il portait un immense respect au musicien, et accordait une attention minutieuse à l’écoute. J’ai le sentiment qu’il composait pour que l’interprète soit heureux ! Elliott Carter, tout comme Boulez ou Berio, ont fait partie de ces personnalités qui vous élèvent et vous donnent l’impression d’être plus intelligent. Leur culture est si forte et ils vous la donnent avec une telle générosité…
Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie d’Olga Neuwirth est la première création que j’ai faite avec l’Ensemble intercontemporain. C’est une pièce extraordinairement complexe, avec six petits ensembles spatialisés, désaccordés et connectés par un hallucinant dispositif électronique développé par l’Ircam. Au cours des répétitions, je jouais au dernier rang du premier balcon de la Cité de la musique - Philharmonie de Paris avec quelques autres solistes. Nous étions postés là comme des soldats dans une tourelle sonore, avec un petit écran qui nous permettait de voir Matthias Pintscher et une large collection de jouets grenouilles à disposition de mes collègues. J’avais mon alto et un bloc de polystyrène qui me servait pour jouer le quatuor d’ouverture « polystyrophonique » que je formais avec Odile Auboin, Hae-Sun Kang et Diégo Tosi. Ce fut un grand plaisir de jouer cette immense œuvre conceptuelle, qui s’est avérée être une pièce de haut vol. Abstraction faite de la musique, cette création m’a aussi marqué car c’était la première fois que je jouais avec l’Ensemble au grand complet, Matthias et l’Ircam, la première fois que j’ai fait une tournée avec mes nouveaux collègues, et la première fois que j’ai dû jouer – en trouvant un son professionnel – avec un bloc de polystyrène pendant cinq minutes sans interruption !
Soliste de l’Ensemble intercontemporain dès sa création en 1976, Alain Damiens l’a quitté en avril 2016.
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VENDREDI 2 SEPTEMBRE 22:00 LONDRES ROYAL ALBERT HALL BBC PROMS
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PROMS FOR BOULEZ L’Ensemble intercontemporain fait son retour aux Proms de Londres, le plus grand festival de musique classique outre-Manche, dont la première édition remonte à 1895. Un concert largement dédié à Pierre Boulez dont on entendra une pièce soliste, Anthèmes 2, pour violon et électronique et Cummings ist der Dichter, transposition d’un poème de E.E. Cummings, pour seize voix et ensemble. Pierre Boulez découvrit le travail du poète américain grâce à John Cage, lors d’un séjour à New York en 1952. La mise en page, le rôle du signe typographique et de la ponctuation, la découpe verbale des poèmes exercèrent une impression aussi immédiate que durable sur l'imagination du compositeur.
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Temps réel Création d’Anthèmes 2 (1997) de Pierre Boulez, pour violon et électronique, le 19 octobre 1997, à Donaueschingen.
Quand Pierre Boulez a décidé que j’assurerai la création d’Anthèmes 2, j’en ai immédiatement été très heureuse, mais je ne me rendais pas compte du travail que cela représenterait ! Un travail auquel je n’étais pas du tout habituée. Que ce soit le travail sur la partition : des pages noires de notes qui me parvenaient par fax et qu’il me fallait apprendre en quelques jours seulement avant d’aller les enregistrer à l’Ircam pour que Pierre puisse ensuite s’absorber totalement dans la partie électronique. Ou le travail avec électronique en temps réel qui en était alors à ses balbutiements. Je me souviens que je n’osais ni bouger ni respirer, tout du long : le micro était si délicat qu’il captait tout, y compris les bruits de mon corps, et le système informatique était si instable que je craignais de le faire planter rien qu’en bougeant. Depuis, en seulement vingt ans, la technique a fait des progrès prodigieux, et il sera peut-être bientôt possible de jouer cette pièce seule, avec un ordinateur portable à côté, au lieu, comme ce fut le cas, d’avoir besoin d’un réalisateur en informatique musicale et d’un ingénieur du son… Ce monde de l’électronique était tout nouveau et je découvrais une autre manière de jouer. Celle-ci relevait tour à tour de la musique de chambre et de la musique avec orchestre et exigeait de nouveaux automatismes pour interagir avec le système. Je mesure chaque jour davantage la chance immense que j’ai eue de créer avec lui une pièce solo. Ce sont des moments inoubliables, une expérience unique, qui ont marqué ma vie de musicienne.
Béla BARTÓK Trois scènes de village pour voix de femmes et orchestre de chambre Pierre BOULEZ Anthèmes 2 pour violon et dispositif électronique Elliott CARTER Penthode pour cinq groupes de quatre instrumentistes Pierre BOULEZ Cummings ist der Dichter pour seize voix et orchestre Jeanne-Marie Conquer, violon BBC Singers Ensemble intercontemporain Baldur Brönnimann, direction Andrew Gerzso, réalisation informatique musicale Ircam Renseignements et réservations royalalberthall.com
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VENDREDI 9 SEPTEMBRE 20:00 BERLIN HAUS DER BERLINER FESTSPIELE BERLINER FESTSPIELE
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SOLEIL NOIR Après sa création en janvier 2016 à Paris, l’Ensemble reprend No More Masterpieces, spectacle intégrant musique live et vidéo, né de la rencontre du collectif de vidéastes et plasticiens néerlandais 33 1/3, du compositeur allemand Wolfgang Rihm et de l’univers tourmenté du poète français Antonin Artaud. sonic eclipse de Matthias Pintscher est un cycle d’inspiration astronomique en forme « d’éclipse sonore » mariant deux astres solistes : la trompette et le cor.
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Finesse et raffinement Création de la musique d’Ivan Fedele pour Words and Music de Samuel Beckett, le 9 février 2016 à la Cité de la musique Philharmonie de Paris.
Words and Music est une pièce radiophonique de Samuel Beckett, pour laquelle Ivan Fedele a proposé une nouvelle musique que nous avons créée. On y retrouve la « patte » du compositeur, mêlant finesse d’écriture et raffinement dans le choix des timbres et leurs associations – un peu à l’image de Fedele lui-même ! Son usage habile d’échantillons sonores donne de la profondeur à la pièce et aux sons « naturels » de l’Ensemble. Ivan possède de surcroît cet art si rare de donner vie aux temps de silence, ce qui est à mes yeux une des grandes réussites de cette mise en musique. La magnifique distribution et la connivence entre Ivan et l’Ensemble intercontemporain ont fait de cette commande l’un des temps forts de la saison 2015-2016.
Matthias PINTSCHER sonic eclipse : celestial object I pour trompette et ensemble celestial object II pour cor et ensemble occultation pour cor, trompette et ensemble Wolfgang RIHM / 331/3 COLLECTIVE No More Masterpieces, d'après Concerto « Séraphin » pour seize musiciens et vidéo en temps réel Clément Saunier, trompette Jean-Christophe Vervoitte, cor 331/3 Collective, création vidéo et écran/sculpture cinétique Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements et réservations berlinerfestspiele.de
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VENDREDI 16 SEPTEMBRE, 19:30 SAMEDI 17 SEPTEMBRE, 19:30 DUISBURG KRAFTZENTRALE, RUHRTRIENNALE
RÉPONS x 4 Répons, de Pierre Boulez est l’un des sommets de la musique spatialisée avec électronique en temps réel. À l’instar des grandes musiques liturgiques de Gabrieli et Monteverdi, qui mettaient à profit tous les volumes de la Basilique San Marco à Venise, Répons fait dialoguer à travers l’espace un ensemble instrumental, placé au centre, six solistes, disséminés dans la salle, et l’électronique. L’œuvre sera jouée deux fois, donnant au public l’occasion de mieux apprécier le travail de spatialisation.
Écrire la Bible sur une seule page Création de Allgebrah (1996-1997) de Brian Ferneyhough, pour hautbois solo et ensemble à cordes, le 18 janvier 1997 à la Cité de la musique (Paris).
Avant de rencontrer le compositeur, j’ai dû fournir un travail de fourmi, tant les rythmes complexes se bousculaient sur la partition. Paradoxalement, discuter avec l’auteur m’a éclairé en me donnant une vision très lyrique du but à atteindre. Un célèbre compositeur avec lequel j’avais évoqué cette œuvre, m’a un jour dit : « Je sais, il est difficile d’écrire la Bible sur une seule page ! » Le concert, sous la direction de David Robertson fut un succès. Je n’en ai pas gardé « d’archive », car je ne souhaite jamais regarder vers l’arrière. Je préfère me projeter vers l’avenir plutôt que de me complaire dans la nostalgie.
Pierre BOULEZ Répons pour six solistes, ensemble, sons électroniques et dispositif électronique en temps réel Sébastien Vichard, piano Hidéki Nagano, piano Frédérique Cambreling, harpe Luigi Gaggero, cymbalum Samuel Favre, vibraphone Gilles Durot, xylophone Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Andrew Gerzso, réalisation informatique musicale Ircam
Renseignements et réservations ruhrtriennale.de
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« Et cette fois-ci, le tempo ça allait ? » Répons (1981-1984) de Pierre Boulez, pour six solistes, ensemble, sons électroniques et dispositif électronique en temps réel.
Je me souviens, pour la dernière version de l’œuvre, de notre « angoisse » en recevant, quasi à chaque répétition, des feuilles annotées d’une kyrielle de notes qu’il nous fallait apprendre très vite. Kristina, la copiste de Pierre, toujours souriante, arrivait le matin avec des valises sous les yeux après avoir travaillé toute la nuit pour nous apporter les nouvelles pages. Quand on connaît l’écriture si petite et si fine de Pierre, on imagine ce que cela représente… Je me souviens de l’inquiétude de Pierre au chiffre « 21 », inquiétude qu’il a gardée à chaque exécution, comme en témoignait sa main qui tremblait légèrement. Pourquoi ? Parce que le geste de « 21» déclenche l’entrée des solistes mais surtout celle de l’électronique. À l’époque, l’on travaillait avec une console 4X ; nous en étions au tout début de ce dialogue entre musiciens et électronique et il y avait parfois bien des ratés… voire parfois une petite explosion ou une panne de courant. Je me souviens de ces kilos de matériels à transporter lors des tournées et du temps de montage si long qu’il nous laissait libres des journées entières entre les concerts. Je me souviens d’un passage particulièrement virtuose que Pierre aimait diriger extrêmement vite, terminant chaque fois par la question : « Et cette fois-ci, le tempo ça allait ? » Peu importait notre réponse : au concert, nous savions qu’il lâcherait les chevaux. Je me souviens de l’entrée d’une employée
dans l’Espace de projection de l’Ircam, venue avec son balai pour nettoyer. Entrée aussitôt suivie par une colère de Pierre, laquelle colère fut immédiatement reprise, amplifiée et spatialisée par le dispositif électronique ! Le tout se terminant par le rire de Pierre, l’œil vif et pétillant, se joignant au nôtre. À la carrière de Boulbon, l’été 1988, je me souviens du vent et de notre bibliothécaire Nicolas, à genou à côté de Pierre pour tenir la partition pendant les quarantecinq minutes que dure la pièce, et aussi de la grosse sauterelle qui sautait sur les pages. Je me souviens de nos têtes quand on nous a annoncé que nous jouerions deux fois Répons (deux fois quarante-cinq minutes) pour permettre au public de l’entendre à deux endroits différents de la salle. Aujourd’hui, nous y sommes habitués. Mais je me souviens surtout des merveilleux concerts de Répons, pièce emblématique pour l’Ensemble, de la magie de cette fin si belle et poétique, des lieux superbes où nous l’avons jouée, de la longue tournée de 1986 aux États-Unis, de Salzbourg, du Carnegie Hall et de l’accueil enthousiaste du public et en particulier celui de nombreux jeunes à Tokyo. Tout récemment il nous a été donné de revivre une grande émotion lors du concert pour les 90 ans de Pierre Boulez : Répons à la Philharmonie de Paris dirigé par Matthias Pintscher !
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Ponts invisibles – Propos recueillis par David Sanson –
SAMEDI 24 SEPTEMBRE 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE
Charles IVES Three Places in New England pour orchestre de chambre Bryce DESSNER Raphael pour quatre guitares électriques et ensemble Création française
GRAND SOIR BRYCE DESSNER
Olga NEUWIRTH Eleanor pour chanteuse de blues, batterie et ensemble
Avant le concert, à 19h Rencontre avec Bryce Dessner
Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain et de ZaterdagMatinee
Entrée libre
Plus connu comme membre du groupe The National, le compositeur new-yorkais Bryce Dessner est un créateur hors normes. Nourrissant une insatiable curiosité pour les projets atypiques (ballets avec Benjamin Millepied, cinéma avec Alejandro González Iñárritu, arts visuels avec Matthew Ritchie), il propose les carambolages stylistiques les plus inattendus. Ce nouveau Grand soir de rentrée parisienne en sera une bonne illustration avec un programme d’œuvres, de Franck Zappa, Charles Ives, Olga Neuwirth sans oublier les propres créations de Bryce Dessner.
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Création française
Bryce DESSNER Nouvelle œuvre pour ensemble
Frank ZAPPA The Perfect Stranger pour ensemble Della Miles, chant Tyshawn Sorey, batterie Bryce Dessner, guitare Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarifs 25€/20€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
Bryce Dessner est l’hôte d’honneur d’un week-end qui s’annonce haut en couleurs et riche en créations. Jeune compositeur très en vue, révélé notamment grâce à son travail avec Steve Reich et le Kronos Quartet, ce musicien est également guitariste au sein du groupe rock The National. Nous l’avons questionné sur cette singulière double vie musicale, ainsi que sur l’œuvre qu’il prépare pour l’Ensemble intercontemporain.
à l’évidence, tellement d’influences communes ! Cette commande est avant tout l’occasion pour moi de m’immerger dans le répertoire de l’Ensemble intercontemporain – la grande musique du XXe siècle, avec par exemple certains chefs-d’œuvre de Boulez ou de Lachenmann – et d’y répondre, en quelque sorte, avec mon propre langage. Parce que j’ai travaillé directement avec Reich et Glass, on me considère souvent comme un post-minimaliste, et il est vrai que par certains aspects, ma musique s’y rattache de manière évidente, et peut évoquer un certain style américain. Mais depuis un moment, j’essaie d’explorer d’autres horizons : un compositeur comme Lutosławski, par exemple, me passionne ; sa Musique funèbre est pour moi l’une des plus belles pages orchestrales qui soient…
À quoi ressemblera la création que vous préparez pour l’Ensemble intercontemporain ? C
Matthias Pintscher, le directeur musical de l’Ensemble intercontemporain, avait envie que j’écrive pour l’effectif le plus fourni possible. A priori, la pièce devrait comprendre jusqu’à trente instrumentistes, dont je ferai également partie. Si je m’efforce de ne pas me distribuer systématiquement dans les œuvres qu’on me commande, dans le cas d’un ensemble du niveau de l’intercontemporain, j’avais vraiment envie de glisser ma guitare à l’intérieur de l’orchestre. À l’heure où je vous parle, la partition s’oriente vers une forme assez classique : c’est une sorte de symphonie de chambre en quatre brefs mouvements aux identités vraiment affirmées. En ce sens, elle tranche avec les longs développements et les formes en arche propres à beaucoup de mes pièces (et dont Raphael est un bon exemple). Elle s’intitulera probablement Invisible Bridge, en référence à ce « pont invisible » qui relie la musique française et européenne à la musique américaine : car si l’on souligne toujours combien celles-ci sont différentes, il y a aussi,
Ce « pont invisible », ce serait donc cet axe symbolique qui relie le jeune musicien américain que vous êtes à la tradition européenne ? C Une chose est sûre : je n’ai aucune envie de livrer une composition-pastiche. L’enjeu pour moi se situe plutôt en termes d’« objets trouvés » (found objects). Dans ma musique, vous pouvez par exemple avoir
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un passage qui fait penser à Reich, et l’instant d’après passer à quelque chose de totalement différent. C’est une succession de micro-moments, comme des petits mobiles. En matière de composition, les systèmes m’intéressent sans doute moins que l’orchestration, la verticalité de la musique. Sans vouloir dénigrer ni sous-estimer la polémique autour de la musique contemporaine – qui pouvait déjà opposer Cage et Boulez –, j’essaie de ne pas m’inscrire dans ces batailles idéologiques en évitant de savoir où je me situe, sans suivre telle voie plutôt que telle autre. Les compositeurs qui m’inspirent en ce moment, Lutosławski ou Berio par exemple (ou bien sûr Ives, Zappa, Neuwirth dont les œuvres seront présentées lors de notre « week-end » à la Philharmonie), ont justement toujours déployé dans leur musique une vaste palette d’intérêts différents ; ils pouvaient aussi bien composer des pièces d’avant-garde que mettre en musique des airs populaires… De même, j’essaie toujours de garder une certaine naïveté dans mon approche. L’une de mes motivations principales reste avant tout l’envie de faire de nouvelles expériences, et d’apprendre des choses. Je vis désormais à Paris, dans un environnement musical différent, et j’ai la chance de travailler avec l’EIC et Matthias Pintscher : c’est avec tout cela que je veux jouer. Ne pas me contenter de livrer une partition aux musiciens pour qu’ils l’exécutent, mais m’asseoir au milieu d’eux, et participer.
chansons : quel que soit l’intérêt d’une composition, nous ne la gardons que si elle est d’abord une bonne chanson. La musique « classique », c’est un domaine qui m’est plus personnel : plus ambitieux, et souvent plus aventureux. C’est le lieu où je me mets le plus à l’épreuve moi-même, celui qui me pousse le plus à m’éloigner de ce qui pourrait m’être naturel… Pendant longtemps, dans l’histoire de la musique, il y a eu une tradition de l’avant-garde: des compositeurs comme Stravinsky et Schönberg ont vraiment voulu (et su) créer des œuvres révolutionnaires. Puis la musique classique s’est progressivement institutionnalisée, tandis que l’avant-garde, par exemple aux États-Unis, se déplaçait de plus en plus dans les clubs de jazz et les salles de concert punk. Les musiciens de ma génération ont été immergés dans cette culture, sans perdre le goût des musiques exigeantes et ambitieuses. Depuis le milieu des années 1970, particulièrement à New York, les deux cultures se sont beaucoup rencontrées et mélangées, à tel point qu’une entraide entre artistes dépassant les clivages musicaux a pu se développer. Pour moi, cela a été un endroit très stimulant pour grandir : j’ai été initié à la nature collaborative propre au rock, et aussi à la fusion des arts, au travail avec les plasticiens, les chorégraphes… Mais quand j’ai commencé mes études musicales, on m’a dit qu’il fallait désormais que je choisisse. Pourquoi ? J’avais l’impression qu’au contraire, je n’étais pas obligé de choisir. Vivre dans ces deux univers parallèles est ce qui fait une part de ma singularité. Je ne dirais pas que c’est facile – parfois, en termes d’emploi du temps, c’est même un peu de la folie. Mais c’est aussi une dynamique d’autant plus intéressante et enrichissante que je vieillis : pour un musicien de rock, je deviens quelqu’un de vieux – tandis qu’en tant que compositeur classique, je suis encore très jeune ! Mais tout ça reste de la musique, et ce qui m’intéresse, encore une fois, ce sont la perméabilité de ces mondes, ces ponts invisibles.
C
Votre parcours est pour le moins atypique – du moins selon les normes en vigueur en France. Vous menez en effet, parallèlement à votre parcours de compositeur, une carrière de musicien de rock avec le groupe The National. Comment s’articulent ces deux facettes de votre travail de musicien ? The National, c’est comme ma famille ; quelque chose d’essentiel. Ce qui nous intéresse, ce sont les
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LUNDI 3 OCTOBRE 20:00 CRACOVIE ICE KRAKÓW SACRUM PROFANUM
SAMEDI 8 OCTOBRE 14:15 AMSTERDAM HET CONCERTGEBOUW ZATERDAGMATINEE
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Q U AT R E AMÉRICAINS À AMSTERDAM
Pour cette nouvelle édition du festival Sacrum Profanum à Cracovie, l’Ensemble propose un programme entre répertoire et création avec le « classique » sur Incises de Pierre Boulez, Concerto for Voice (moods IIIb), performance vocale de la norvégienne Maja Solveig Kjelstrup Ratjke et Double Battery de la jeune compositrice polonaise Agata Zubel, une œuvre en forme de bataille instrumentale opposant des instruments dédoublés.
Concert 100% américain au Concertgebouw d’Amsterdam. C’est avec John Adams, Charles Ives, Bryce Dessner et Frank Zappa que l’Ensemble investira le temple néerlandais de la musique. Quatre compositeurs, qui chacun à leur façon, ont bouleversé les conventions musicales.
Agata ZUBEL Double Battery pour ensemble Maja Solveig Kjelstrup RATKJE Concerto for Voice (moods IIIb) pour petit orchestre et performeuse
John ADAMS Chamber Symphony pour orchestre de chambre Charles IVES Three Places in New England pour orchestre de chambre Bryce DESSNER Raphael pour quatre guitares électriques et ensemble Frank ZAPPA The Perfect Stranger pour ensemble Bryce DESSNER Nouvelle œuvre pour ensemble
Création nationale
Pierre BOULEZ sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussions-claviers Maja Solveig Kjelstrup Ratkje, voix Ensemble intercontemporain Julien Leroy, direction
Création nationale
Renseignements et réservations sacrumprofanum.com
Bryce Dessner, guitare Ensemble intercontemporain André De Ridder, direction Renseignements et réservations concertgebouw.nl
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DIMANCHE 23 OCTOBRE 20:00 HONG KONG CITY HALL CONCERT HALL
Franco DONATONI Tema pour douze instruments Matthias PINTSCHER whirling tissue of light pour piano Bruno MANTOVANI Les Danses interrompues pour six instruments Pierre BOULEZ Mémoriale (...explosante-fixe...Originel) pour flûte et huit instruments Création nationale
György LIGETI Concerto de chambre pour treize instrumentistes Création nationale
Arnold SCHÖNBERG Symphonie de chambre n° 1, op. 9 pour quinze instruments solistes Dimitri Vassilakis, piano Emmanuelle Ophèle, flûte Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements lcsd.gov.hk/en
MERCREDI 26 OCTOBRE 20:00 SÉOUL LOTTE CONCERT HALL
TOURNÉE EN ASIE
VENDREDI 21 OCTOBRE
19:30 TAIPEI NATIONAL PERFORMING ARTS CENTER
Après Shanghai en 2015, l’Ensemble retourne en Asie avec une nouvelle tournée qui l’emmènera tout d’abord à Taipei (Taïwan), puis à Hong Kong et enfin en Corée du Sud dans le cadre de l’année de la France en Corée. Le programme des concerts exposera les multiples dimensions de la personnalité musicale de l’Ensemble qui mènera également des actions de transmission destinées aux musiciens et au jeune public : rencontres, ateliers et concert éducatif.
Franco DONATONI Tema pour douze instruments Création nationale
Matthias PINTSCHER whirling tissue of light pour piano Création nationale
Bruno MANTOVANI Les Danses interrompues pour six instruments Création nationale
Pierre BOULEZ Mémoriale (...explosante-fixe...Originel) pour flûte et huit instruments Création nationale
György LIGETI Concerto de chambre, pour treize instrumentistes Arnold SCHÖNBERG Symphonie de chambre n° 1, op. 9 pour quinze instruments solistes Dimitri Vassilakis, piano Emmanuelle Ophèle, flûte Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements npac-ntch.org/en
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Edgard VARÈSE Octandre pour huit instruments Matthias PINTSCHER mar’eh pour violon et ensemble
VENDREDI 28 OCTOBRE
11:00 TONGYEONG TONGYEONG INTERNATIONAL MUSIC FOUNDATION CONCERT ÉDUCATIF György LIGETI Concerto de chambre pour treize instrumentistes Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements timf.org/eng
VENDREDI 28 OCTOBRE
19:00 TONGYEONG TONGYEONG INTERNATIONAL MUSIC FOUNDATION György LIGETI Concerto de chambre pour treize instrumentistes Matthias PINTSCHER mar’eh pour violon et ensemble Isang YUN Konzertante Figuren pour petit orchestre Unsuk CHIN Doppelkonzert pour piano, percussion et ensemble Hae-Sun Kang, violon Dimitri Vassilakis, piano Samuel Favre, percussion Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements timf.org/eng
Création nationale
György LIGETI Concerto de chambre pour treize instrumentistes Pierre BOULEZ Mémoriale (…explosante-fixe… Originel) pour flûte et huit instruments
La tournée de l’Ensemble Intercontemporain en Asie a reçu le soutien de la Ville de Paris et de l’Institut Français
Création nationale
Pierre BOULEZ Dérive 1 pour six instruments Unsuk CHIN Doppelkonzert pour piano, percussion et ensemble
Dans le cadre de l’Année France-Corée 2015/2016
Création nationale
Hae-Sun Kang, violon Emmanuelle Ophèle, flûte Dimitri Vassilakis, piano Samuel Favre, percussion Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction
koreafranceyear. com
Avec le généreux soutien du Comité des mécènes de l’Année France-Corée
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Corps instrumental
Première(s) fois
Pression (1970) d’Helmut Lachenmann, et ?Corporel, pour un percussionniste et son corps (1985) de Vinko Globokar.
Création de Gefächerter Ort (2007) de Isabel Mundry, pour violon et ensemble, le 19 août 2007, dans le cadre du festival de Lucerne, au KKL.
J’aime la pédagogie de Lachenmann. Par sa gentillesse, il porte avec sensualité chaque note bruitée, chaque souffle, lesquels ne sont jamais maniérés, mais ressentis comme naturels. Ces gestes faits de silences et d’enchaînements sont portés à la manière d’un kata d’art martial et donnent le sentiment d’un temps qui ralentit. J’aime la dimension théâtrale et tragique de ?Corporel de Globokar. La pièce agit sur le ressenti du public en exerçant toutes sortes d’appuis sur le corps, comprimé jusqu’à ne plus pouvoir produire une voyelle. Le personnage est en quête d’une liberté absolument contrainte. C’est aussi une manière de communiquer avec ce public qui ne peut qu’observer et ressentir. À chaque fois que ces pièces sont reprises, l’investissement est totalement remis en jeu. Le moment du concert joue sur l’acquis mais pas l’entraînement. Grâce à Pierre Boulez, nous avons appris à nous confronter à nos limites pour toujours les repousser. Chaque interprétation doit tenter d’être meilleure que la précédente. Avec ce que nous apprenons tous les jours, ce que nous tenons de nos maîtres, à nous de définir un futur dans lequel l’écoute prédomine plus encore !
En musique classique comme en musique contemporaine, le musicien est très attaché à la sensation que la partition peut avoir sur lui, sur son corps et sur le ressenti instrumental. Je voudrais parler de Pression de Helmut Lachenmann, et de ?Corporel de Vinko Globokar. Si je n’en ai pas donné les premières mondiales, il y a eu, dans tous les cas, une première pour moi. J’admire ces hommes pour leurs convictions, ainsi que pour leur attachement aux maîtres qui ont marqué le XXe siècle comme Ligeti, Stockhausen ou Boulez. Lachenmann et Globokar ont su se démarquer en trouvant un langage qui aille au-delà de l’imagination. On est, encore aujourd’hui, étonné d’étudier ces partitions et de se trouver sur le seuil d’un autre monde. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de jouer et de donner des cours sur ces pièces, mais, à chaque fois que je la retravaille personnellement, je repars de zéro pour retrouver la source de l’inspiration du compositeur, l’essence du geste, cette présence forte sans exubérance, mais au contraire toute en intensité et concision.
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VENDREDI 11 NOVEMBRE 20:00 ESSEN PHILHARMONIE – ALFRIED KRUPP SAAL FESTIVAL NOW !
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V O I X M U LT I P L E S Avant le concert, à 19h30 Rencontre avec Matthias Pintscher et les solistes de l’Ensemble intercontemporain
Depuis le début du XXe siècle, de nouveaux horizons se sont ouverts pour la voix, notamment grâce à Arnold Schönberg et à son utilisation du Sprechgesang dont le Pierrot Lunaire est le premier chef-d’œuvre. Aujourd’hui encore, des compositeurs aspirent à repousser les limites de l’instrument/voix. C’est le cas de la compositrice et vocaliste polonaise Agata Zubel, dans ses Aphorismes d’après Czesław Miłosz, son compatriote et prix Nobel de littérature en 1980.
C’était ma première venue au festival de Lucerne, et ma première création avec l’Ensemble en tant que soliste. J’étais encore dans la découverte des mille facettes sonores de cet ensemble où je venais d’arriver, ce qui engendre naturellement un stress particulier. J’ai eu par la suite la chance de pouvoir rejouer Gefächerter Ort lors de la Biennale de Munich, ce qui est rare pour une création. Je l’ai retrouvée une fois encore à l’Académie de Lucerne quelques années plus tard, cette fois jouée par un étudiant : en recherchant avec lui différents modes de jeu et des nouvelles sonorités, j’ai alors retravaillé l’interprétation de cette œuvre. Ce rôle de passeur représente une part très importante et passionnante de ma mission de musicien interprète. Je partage ainsi avec d’autres jeunes instrumentistes les œuvres pour violon qui deviendront peut-être les grands concertos de demain.
Manfred TROJAHN Nocturne - Minotauromachie pour ensemble Création nationale
Agata ZUBEL Aforyzmy na Miłosza pour soprano et ensemble Création nationale
Arnold SCHÖNBERG Pierrot lunaire, op. 21 pour voix et cinq instruments Salomé Haller, mezzo-soprano Agata Zubel, soprano Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements et réservations philharmonie-essen.de
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Laboratoires de formes
vendredi : je séchais le cours de chimie, et j’allais chez lui pendant la longue pause de midi qu’il y a en Espagne, puis je retournais au lycée sans avoir déjeuné. C’est comme si j’avais été adoubé par quelqu’un que l’on considérait presque comme un héros – sans même parler du fait que sa famille avait été dépouillée par les fascistes et qu’il avait été dans un camp.
– Propos recueillis par Martin Kaltenecker –
MARDI 15 NOVEMBRE 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE
MÉCANIQUES CÉLESTES
Ramon LAZKANO Egan 3 pour ensemble Egan 4 pour ensemble Errobi 2 pour flûte basse, clarinette basse et piano Izarren Hautsa pour petit ensemble Création française
Avant le concert, à 19h Rencontre avec Ramon Lazkano, compositeur Entrée libre
Ramon Lazkano et Matthias Pintscher ont en commun d’avoir tourné leur regard vers le ciel pour cinq des œuvres au programme de ce concert. Avec Egan (Envol en basque), extrait du vaste cycle Igeltsuen Laborategiak (Les Laboratoires des craies), Ramon Lazkano invite à un envol métaphorique pour « trouver un chemin au-delà ce que l’on croît déjà connaître. » Le cycle sonic eclipse de Matthias Pintscher, est, comme l’indique le titre, inspiré du phénomène de l’éclipse. Une « éclipse sonore » dans laquelle la trompette et le cor, incarnant deux corps célestes dans la première et la deuxième partie de ce triptyque (celestial object I et II), finissent par se recouvrir et se fondre dans l’ensemble dans le dernier mouvement (occultation). 30
Matthias PINTSCHER sonic eclipse : celestial object I pour trompette et ensemble celestial object II pour cor et ensemble occultation pour cor, trompette et ensemble Création française du cycle complet
Clément Saunier, trompette Jean-Christophe Vervoitte, cor Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Festival d’Automne à Paris, Philharmonie de Paris Tarif 18€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
Inspiré par l’intertextualité, le silence et l’expérience du son, Ramon Lazkano compose une musique intense et secrète, traversée de fulgurances et d’intuitions sonores. Quatre pièces pour ensemble et une pièce de musique de chambre figurent au programme du double portrait Lazkano / Pintscher du 15 novembre, en collaboration avec le Festival d’Automne à Paris. Au cours de ce dialogue avec le musicologue Martin Kaltenecker, le compositeur basque espagnol revient sur son parcours, ses rencontres et son esthétique.
Et ensuite il y a eu Paris, plutôt que Madrid. C J’ai aussi étudié le piano avec Juan Padrosa, qui avait été, dans les années 1950, premier prix du Conservatoire national de musique dans la classe d’Yves Nat. C’est une personnalité qui m’a beaucoup marqué, et qui était associée à une fascination pour Paris. Nous étions en 1987 et mon idée de la musique contemporaine, du haut de mes dix-huit ans, se résumait à ma collection de vinyles composée de la Turangâlilâ de Messiaen, du Ligeti, Berio, Lutosławski, et de tout ce qui m’ouvrait l’appétit à l’époque. J’ai fait ensuite la classe d’Alain Bancquart au Conservatoire et celle d’orchestration avec Gérard Grisey. Il venait tout juste d’arriver au CNSM et nous étions très peu nombreux : je me souviens encore de cours, rue de Madrid, où nous étions que deux avec Brice Pauset. Grisey parlait peu, il nous faisait écouter toutes sortes de musiques, et soudain il pointait du doigt certains endroits et il disait « écoutez ! ». Il était passionné de Janáˇcek, de Claude Vivier, de Denys Bouliane, et venait régulièrement au cours avec des choses qu’il continuait à découvrir pour partager avec nous ces surprises. Un jour, il est arrivé avec la Morte di Borromini de Sciarrino, enregistrée sur une vieille cassette : c’est inoubliable.
Vous souvenez-vous de votre décision de devenir compositeur ? C
Il n’y a pas eu de décision dans mon cas. Je ne veux pas dire par là que c’était une « destinée », mais de fait, je ne me suis jamais posé la question, ou je n’ai pas eu à me la poser. Il y avait le piano à la maison, et progressivement la musique s’est incrustée dans le quotidien. Enfant, on fait du solfège, on déteste le solfège ; puis le conservatoire, qui devient le centre autour duquel gravitent le collège et le lycée – et non l’inverse, etc. Et puis à l’âge de treize ans, on m’a amené chez mon premier maître, à San Sebastian : le compositeur Francisco Escudero, né en 1912, et qui avait étudié à Paris avec Dukas et Le Flem, était une grande personnalité chez nous. On lui donnait du maestro, bien sûr. C’était quelqu’un d’imposant, mais aussi d’extrêmement généreux et d’accueillant. Il m’a tout enseigné : l’harmonie, la fugue, l’oreille qui doit se faire, et la composition, à la fois en reproduisant des modèles anciens et comme l’apprentissage d’une liberté ; il me montrait les esquisses de son second opéra dont nous discutions ensemble. Je me souviens que je le voyais chaque
Comment êtes-vous entré dans la vie de compositeur professionnel ? C Grâce à une bourse, j’ai passé un an à Montréal pour étudier avec Gilles Tremblay. Au retour, j’ai fait
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Il y a tout de même la question de « l’opus 1 ».
différentes choses sans rapport avec la musique… En 1994, j’ai été à la Real Academia de España à Rome, puis l’obtention du prix Prince-Pierre-de-Monaco m’a permis de vivre un moment. J’ai ensuite dirigé un ensemble de musique contemporaine au Pays basque, durant quatre ans, puis il y a eu la résidence à Strasbourg en 1999 et la villa Médicis en 2001-2002. Depuis, j’enseigne l’orchestration au Conservatoire Supérieur du Pays basque à San Sebastian.
C
J’ai l’impression d’avoir plutôt trouvé mon chemin par sursauts… L’acte critique sur ce qu’on a produit n’est pas atténué par la nouveauté de ce qu’on vient de faire. Comme il s’agit à chaque fois d’inventer les moyens, on peut, à chaque fois, se tromper. Ce n’est pas parallèle à la chronologie, en somme. Et pour cela, il est nécessaire de toujours se questionner. Pour moi en tout cas, il s’agit toujours d’une situation critique ; mais c’est elle aussi qui donne ce courant qui me pousse en avant dans mon travail.
Vous mentionnez souvent Helmut Lachenmann, que vous avez d’ailleurs récemment invité à San Sebastian.
Vous utilisez volontiers des effectifs classiques, liés sans doute aux ensembles qui vous commandent des œuvres, mais que l’on pourrait facilement transformer un peu.
C
Je l’ai rencontré au Conservatoire de Paris, où il faisait une masterclass. J’étais resté en retrait et comme à la fin de son intervention, j’étais le seul à ne pas avoir eu le temps de lui montrer ce que j’avais écrit, il a demandé une salle : nous nous sommes installés en tête-à-tête au piano et il m’a parlé en détail de ce travail. J’ai senti dès le début une grande affinité avec sa musique, mais elle m’a plutôt imprégné de façon souterraine : pendant presque quatorze ans, elle a progressivement déteint sur moi. Mais de toute manière, on ne peut pas faire de raccourcis : quand on veut forcer les choses, il y a une forme de chute ; il faut se plier à sa propre trajectoire. Donc cette pensée s’est inscrite très en filigrane, par traces, pour faire émerger peu à peu ce que je fais.
C
Oui, mais je ne le fais pas nécessairement. Beaucoup de compositeurs plus jeunes imaginent des dispositifs différents, ou modifient ces dispositifs par des objets quotidiens qui ne font pas partie de la technologie instrumentale traditionnelle. J’évite plutôt d’utiliser ce type d’apport extérieur. Et de toute façon, les instruments peuvent être classiques, mais leur association et leur agencement peuvent varier radicalement… Vous seriez plus proche de Ravel que de Cage en somme…
Est-ce qu’il y a un moment où on a l’impression de sortir du statut de « jeune compositeur » ?
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Ravel a dit aussi quelque part qu’orchestrer, ce n’est pas écrire une figure pour un alto et une clarinette : quand vous combinez une clarinette avec un pizzicato d’alto, c’est n’est plus ni une clarinette ni un alto, vous avez inventé autre chose. Même dans son cadre très traditionnel, c’est déjà l’idée de Lachenmann de créer un nouvel instrument avec l’effectif ou l’orchestre dont on dispose – pas seulement dans le jeu individuel, mais aussi en modifiant ce que des musiciens ont l’habitude
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Est-ce qu’on peut être jeune quand on compose ? Je n’en suis pas sûr. Je pense que le fait même de créer, le geste même de vouloir créer, porte en lui un désir, une volonté de maturité, qui nous éloigne forcément d’une jeunesse naïve. Pour construire, il faut avoir cherché des outils, et on dépasse la phase d’apprentissage. On est déjà au-delà du rite de passage.
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de faire ensemble, pour créer de l’inouï, des chocs. C’est un artifice à imaginer, une tricherie, mais à partir des « ustensiles » répandus, comme dit Lachenmann, et il y a là une idée très ravélienne de trucage, de magie qui me plaît beaucoup. Lachenmann fait également une distinction entre la musique comme texte, c’est-à-dire comme structure, et la musique comme état atmosphérique. Est-ce qu’il y a une « musique d’états » chez vous – c’est la question de la forme, ou de la narration –, et comment vous la prévoyez ? C
Je suis attaché à l’idée de la partition comme texte, comme mise en écriture de structures musicales. Il y a pourtant le fait que l’œuvre en train de se faire s’impose à nous, qu’un « texte » nous oblige à écrire certaines choses : un fil apparaît qu’il faut tirer, mais ce n’est plus moi qui tire le fil, c’est déjà le tissu qui m’oblige à le faire. Donc, depuis que j’ai cessé d’anticiper avec des plans, je ne travaille plus la forme dans un cadre imposé. La forme se découvre, elle est un labyrinthe de choix incessants, pas toujours binaires, comme le pensait Arnold Ehrenzweig, mais il y a en tout cas toujours des ramifications, et une sorte de logique s’installe malgré nous. Au départ, il y a l’allumette : allumer – poser le premier son est très compliqué –, mais après, il y a une accélération avec la combustion, et ça permet d’avancer pendant un certain temps.
à l’EIC, on a donné Concertini qui dure près de quarante-cinq minutes, précédé d’une œuvre de onze minutes – et l’impression de la longueur était exactement inverse. Mais c’est un sentiment difficile à anticiper, et on a parfois aussi des surprises avec sa propre musique ; moi en tout cas, j’ai toujours l’impression que tout dans ma musique est trop long ; je suis dans une écoute impatiente de moi-même. Savez-vous toujours comment continuer ? C
Je dis souvent qu’une sorte d’horizon doit apparaître. C’est un moment dans la fabrication de l’œuvre où, tout d’un coup, un horizon surgit qui nous fait croire qu’il y a une fin, là où il n’y en a en réalité pas. Des astrophysiciens diraient peut-être quelque chose de semblable, au sujet du trou noir et de l’horizon d’événements par exemple. Ce moment arrive donc une fois qu’on est submergé dans le temps de l’œuvre, et il nous fait avancer. Faire, fabriquer, mettre en partition, c’est fatigant, cela peut même être lassant, voire déprimant, et tout d’un coup, quand on croit voir quelque chose au bout, même si ce n’est pas un bout « réel », cela remplit d’une nouvelle énergie. L’œuvre semble se dévoiler, un paysage apparaît, trompeur sans doute parce que c’est une fausse limite, mais l’effet est extrêmement
La durée de vos œuvres de musique de chambre est plutôt courte en général. C
Disons que le gigantisme de la musique de la fin du XIXe siècle nous a peut-être un peu déréglés : pensons aux proportions des mouvements des symphonies de Mozart, par exemple. Si on regarde Ravel, pratiquement tout reste en dessous de vingt minutes. C’est une question de durée intérieure plutôt. Dans un des cycles de concerts de Lachenmann,
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JEUDI 17 NOVEMBRE 19:30 HAMBOURG KAMPNAGEL
SAMEDI 19 NOVEMBRE 14:30 ET 16:00 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DE CONFÉRENCE – PHILHARMONIE
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Pierre Boulez et Matthias Pintscher, le fondateur et l’actuel directeur musical de l’Ensemble, seront à l’honneur. Du premier, c’est le virtuose et éclatant sur Incises qui sera joué. Du second, l’Ensemble interprétera un cycle d’inspiration astronomique, sonic eclipse, « éclipse sonore » mariant deux « astres » solistes : le trompette et le cor.
satisfaisant. Ce n’est pas la double barre qu’on entrevoit, mais un seuil qui permet d’avancer.
non plus faire une collection de pièces fragmentaires, qui n’auraient été que les maquettes d’œuvres plus larges. Le Laboratoire des craies est plutôt un enclos lié à une période de ma vie qui commence en 2001, époque marquée par un questionnement sur mon travail, une autre façon d’écrire les pièces et de leur donner une forme, mais aussi par des rencontres, de nouvelles amitiés. Egan-4 marque une fin. Pour l’instant, on ferme le laboratoire, même si tous les projets prévus n’auront pas été réalisés.
Vous êtes de culture basque espagnole comme ne manquent pas de le rappeler les titres de vos œuvres. Jusqu’à quel point cela fait-il partie de votre expression artistique ? C
Déjà, il faudrait pouvoir s’entendre sur ce que veut dire « être basque », comme d’autres disent « être français, être tzigane, être afro-américain »… qui sont des accidents et qui ne s’excluent pas, voire qui peuvent se recouper. Je suppose que je suis basque parce que je possède la langue, et que cette langue et des traits culturels qui se sont incrustés en moi alors que je grandissais se versent, à travers moi et malgré moi, dans ce que je fais – comme beaucoup d’autres choses ! J’ai pu travailler occasionnellement sur des rythmes basques comme des objets à transformer, mais sans avoir le projet esthétique de réinvestir des éléments basques. Il y a aussi dans ma musique d’autres rythmes : des marches, du ternaire… De plus, dire de ces rythmes qu’ils sont basques, relève quelque part également de la construction des idéologies nationalistes de la fin du XIXe siècle ; ils se retrouvent ailleurs en Espagne, voire en Europe.
Concert suivi d’une rencontre avec les musiciens
Mauricio Kagel disait de Ludwig van que « c’était une sorte de promenade dans la tête de Beethoven ». Une œuvre inclassable, à la fois poétique et humoristique, faite de réminiscences, d’extrapolations et de réflexions philosophiques. Constituée de fragments de partitions d’œuvres de Beethoven, assemblés par collages en juxtaposition ou superposition, Ludwig van laisse la part belle aux musiciens : comme dans la majorité des œuvres de Kagel, l’interprète est au centre de la partition. C’est sa manière de lire et de s’approprier les consignes du compositeur qui détermine à la fois la durée, la densité et l’articulation de chaque événement sonore beethovénien lors de l’exécution.
Matthias PINTSCHER sonic eclipse : celestial object I pour trompette et ensemble celestial object II pour cor et ensemble occultation pour cor, trompette et ensemble Pierre BOULEZ sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussions-claviers
Mauricio KAGEL Ludwig van
Clément Saunier, trompette Jean-Christophe Vervoitte, cor Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction
Solistes de l’Ensemble intercontemporain
Renseignements et réservations greatest-hits-hamburg.de
Dans le cadre d’Orchestres en fête du 18 au 20 novembre 2016
Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif 12€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
Les deux cycles Egan et Errobi sont des sortes de « travées » du Laboratoire des craies du sculpteur Jorge Oteiza. Vous parlez à ce propos de la luminosité de la craie, qui est aussi une extension de la main. Est-ce que ces pièces veulent être une musique du tracé, de la transparence ? C
Je ne voulais pas de transposition directe. À l’origine, il y a eu la découverte du travail d’Oteiza lors de la réouverture du musée. Je me souviens avoir aperçu de loin toutes ces vitrines avec les collections de petits objets. Certains étaient en craie, d’autres en fil de fer, en bois, carton ou liège. Je ne voulais pas
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MERCREDI 23 NOVEMBRE 19:00 LIÈGE THÉÂTRE DE LIÈGE VENDREDI 25 NOVEMBRE, 20:00 SAMEDI 26 NOVEMBRE, 20:00 CHARLEROI LES ÉCURIES – CHARLEROI DANSES
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BEAUTÉS DU GESTE « C’est par le mouvement que j’aborde jusqu’aux aspects les plus strictement musicaux de mon travail : mouvement de zoom, de courbe, d’accélération… »
Thierry DE MEY SIMPLEXITY la beauté du geste pièce scénique pour cinq musiciens, cinq danseurs et électronique
Compositeur et cinéaste, Thierry De Mey se fait à présent chorégraphe avec le projet SIMPLEXITY la beauté du geste. Aboutissement de trois décennies de recherche et de création sur le geste, SIMPLEXITY fusionne, dans une forme inédite de transdisciplinarité, musique, danse et technologie numérique. Questionnant la frontière entre geste musical et geste chorégraphique, Thierry De Mey amène les musiciens et les danseurs à penser et vivre autrement leur rôle.
Danseurs Peter Juhász, Víctor Pérez Armero, Louise Tanoto, Ildikó Tóth, Sara Tan Siyin Solistes de l’Ensemble intercontemporain Jérôme Comte, clarinette Samuel Favre, percussion Victor Hanna, percussion Frédérique Cambreling, harpe John Stulz, alto Thierry De Mey, concept, musique et chorégraphie Zsuzsanna Rozsavolgyi, assistante chorégraphique Manuela Rastaldi, conseillère artistique François Deppe, collaborateur à la création musicale Stéphane Orlando, assistant musical Benoit Meudic, réalisation informatique musicale Ircam Gioia Seghers, costumes Nicolas Olivier, coordinateur technique et Lumières Xavier Meeus, Benoît Pelé, régisseurs son et capteurs François Bodeux, régisseur plateau et vidéo Ludovica Riccardi, déléguée de production Dans le cadre du Festival Ars Musica Production Charleroi Danses, Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles Coproduction Ensemble intercontemporain, Ircam / Les Spectacles vivants-Centre Pompidou, Kunstenfestivaldesarts, Théâtre de Liège, Ars Musica Thierry De Mey est artiste associé à Charleroi Danses Renseignements et réservations Théâtre de Liège theatredeliege.be / + 32 (0)4 342 00 00 Charleroi Danses charleroi-danses.be / +32(0)71 20 56 40
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Alchimie
« incrrroyable ! »
Création de SIMPLEXITY la beauté du geste (2015-2016) pour cinq musiciens et cinq danseurs de Thierry De Mey, le 20 mai 2016 au Kaaitheater de Bruxelles.
Sonata per Sei (2006) de Peter Eötvös, pour deux pianos, deux percussions et électronique, le 21 novembre 2014 à la Maison de la Radio (Paris).
L’une des créations qui m’aura le plus marquée restera la préparation de SIMPLEXITY la beauté du geste de Thierry De Mey, pour cinq musiciens et cinq danseurs. J’ai toujours rêvé de participer à un projet de cette envergure, d’être impliquée dans une fusion de diverses expressions musicales, gestuelles, chorégraphiques ; fusion dont la quintessence, résultat de cette alchimie, serait d’une grande ingéniosité et d’une extrême exigence ! Sans en faire étalage, Thierry De Mey prend le temps de connaître, d’apprécier et d’évaluer les talents des artistes qu’il a choisis. Le travail est donc très évolutif. Cette façon de faire ne m’était pas familière : dans notre métier de musiciens, nous sommes soumis, d’une part, à une pratique dirigée sur un matériau déjà abouti venant du compositeur et, d’autre part, à un timing de répétitions très, voire trop serré. Dans le cas de ce spectacle, l’aspect chorégraphique était en permanence remis en forme, au fur et à mesure de la composition musicale… contrairement au paradigme habituel qui veut que la chorégraphie s’adapte à un matériau musical déjà existant et pensé en amont. Thierry De Mey utilise également les capacités d’improvisation des danseurs comme des musiciens : cela lui permet d’associer de manière judicieuse tous les artistes qui se sentiront naturellement bien ensemble. Cette façon de procéder m’a fait perdre toute notion de temporalité, et ces séances de préparation m’ont rendue très heureuse : je n’avais « plus » le sentiment de pratiquer un métier (bien que ce soit de cela qu’il s’agit), je me sentais presque revenir à un état d’enfant qui découvre de nouveaux terrains de jeux sans être jugée, jaugée ou épiée… Je crois que la conception évolutive de ce spectacle est unique en son genre.
Ce qui me réjouit intensément, c’est d’interpréter une pièce sous la direction du compositeur. On est ainsi parfois témoin de cette touchante évidence, lorsque la musique, insaisissable, joue à surprendre celui-là même qui l’a imaginée. Ainsi de Peter Eötvös qui, lors d’une répétition de Sonata per Sei, une œuvre que nous n’avons certes pas créée, mais que nous avons travaillée sous sa direction, n’a pu réprimer « dans sa barbe » un modeste mais plein de bonheur : « Incrrroyable, c’est vraiment moi qui ai écrit ça ? » Nous étions heureux avec lui.
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MARDI 29 NOVEMBRE 14:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE CONCERT ÉDUCATIF
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LA PERCUSSION DANS TOUS S E S É C L AT S
Naissance du geste Création de SIMPLEXITY la beauté du geste (2015-2016) de Thierry De Mey, pour cinq musiciens et cinq danseurs, le 20 mai 2016 au Kaaitheater de Bruxelles.
Trois savants sont chargés d’inventorier des percussions entreposées dans une remise depuis de nombreuses années. Munis de lampes torches, ils dévoilent les instruments un à un; chaque découverte est alors l’occasion de se plonger dans l’histoire et le répertoire d’une famille instrumentale d’une richesse inouïe : les percussions. Un spectacle plein d’éclats pour toute la famille !
Difficile de choisir parmi toutes les créations car chacune possède quelque chose de particulier, qui reste. Ainsi, la dernière en date, SIMPLEXITY la beauté du geste de Thierry De Mey, fut pour moi une expérience des plus enrichissantes. Ce fut tout d’abord un plaisir immense de travailler en étroite collaboration avec Thierry De Mey, dont le travail, qui porte sur la naissance du geste et du rythme, m’attirait beaucoup. Mêlant musique, danse, électronique et vidéo, SIMPLEXITY la beauté du geste est, pour le coup, d’une très grande ambition. Durant la phase de création, danseurs et musiciens se côtoyaient dans les studios de répétition ainsi que sur le tapis de danse, partageant aussi bien les séances de travail corporel que les séances de rythme. Quelques années auparavant déjà, j’avais entendu Thierry dire : « Au point de rencontre entre musique et danse, le geste importe autant que le son produit. » Cette fusion transdisciplinaire représente à mes yeux la pierre angulaire de la création de demain.
Œuvres et extraits d’œuvres de Javier ÁLVAREZ, Thierry DE MEY, Gérard GRISEY, Yan MARESZ, Yoshihisa TAïRA, Toru TAKEMITSU, etc. Solistes de l’Ensemble intercontemporain : Gilles Durot, Samuel Favre, Victor Hanna, percussions et présentation Durée 1h Du CM2 à la 4ème Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif 5,60€ Réservations 01 44 84 44 84 / education@philharmoniedeparis.fr Atelier de préparation à l’écoute : 80€ par classe
JEUDI 1 E R DÉCEMBRE 19:30 VENISE TEATRINO DI PALAZZO GRASSI
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GRAND CANAL MUSICAL Surplombant majestueusement le Grand Canal, le Palazzo Grassi est le dernier grand palais vénitien construit avant l’abolition de la République de Venise en 1797 par Napoléon Bonaparte. Précieux témoin de la grandeur de la cité lacustre, il accueille aujourd’hui la riche Collection François Pinault. L’écrin parfait pour un programme tout en subtilités, où l’intimisme chambriste des effectifs rime avec fusion des timbres et hommage à la tradition de la musique vénitienne. Une tradition multiséculaire de Johann Sebastian Bach à Philippe Schœller.
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Un ensemble dans l’Ensemble Créations de Labyrinthe (1984) de Jérôme Naulais, pour septuor de cuivres, le 25 octobre 1984 au Centre Georges-Pompidou (Paris), de Re-Call (1984) de Luciano Berio, pour sept cuivres et deux marimbas, le 15 juin 1995 au Théâtre du Châtelet (Paris), et de Musique II (1986) de Philippe Manoury, pour sept cuivres et deux marimbas, le 14 septembre 1986 à Strasbourg.
Nina ŠENK Reflections pour trompette et piano Johann Sebastian BACH Sonate en trio, BWV 527 pour violon, alto et violoncelle Ivan FEDELE High pour trompette Maurice RAVEL Sonate pour violon et piano Carlo GESUALDO Canzon francese del Principe pour quatre instruments Philippe SCHŒLLER Madrigal pour quatuor avec piano
Tout a commencé en 1984, alors que Peter Eötvös était directeur musical de l’Ensemble intercontemporain. Connaissant mon activité de compositeur, en parallèle de ma carrière de soliste, Peter m’a passé commande d’une pièce : Labyrinthe, pour sept cuivres, que j’ai ensuite remaniée pour sept cuivres et deux percussionnistes. Cette pièce est surtout importante pour ce qu’elle signifie : elle marqua en effet le point de départ d’une aventure que je considère comme essentielle, à la fois dans l’histoire de l’Ensemble intercontemporain et dans ma vie à l’Ensemble. Suite à cette création, nous avons en effet eu l’idée de fonder un groupe composé de sept cuivres et de deux percussionnistes de l’Ensemble. Pendant plus de quinze ans, nous avons sillonné le monde entier avec cette formation, et nous avons inspiré quelques créations majeures. Parmi elles, je pourrais citer Re-Call de Luciano Berio, arrangement d’une de ses pièces pour quintette de cuivres qu’il a réalisé spécialement pour nous, et que nous avons créé au théâtre du Châtelet en 1984 et joué maintes fois ensuite. Il y eut aussi Musique II de Philippe Manoury, commande passée par Pierre Boulez et créée en 1986 à Strasbourg – une pièce absolument extraordinaire du point de vue de l’écriture. Ce petit ensemble dans l’ensemble n’existe plus aujourd’hui, mais il nous a tous profondément marqués.
Solistes de l’Ensemble intercontemporain Renseignements www.palazzograssi.it
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Double Je – Propos recueillis par Alan Lockwood –
VENDREDI 9 DÉCEMBRE 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE
POPPE MUSIC
Jetzt genau! et de la jeune compositrice polonaise Agata Zubel, avec la reprise d’une commande de l’Ensemble créée en mai dernier à Wrocław : Double Battery. Une œuvre qui met en scène une bataille instrumentale opposant des instruments dédoublés.
Enno POPPE Brot pour cinq instrumentistes
La collaboration de la compositrice et chanteuse polonaise Agata Zubel avec l’Ensemble intercontemporain se déploie en deux temps : après la création en mai 2016 de Double Battery au festival Musica Electronica Nova, Zubel se joindra à l’Ensemble pour la création allemande de ses Aphorisms on Miłosz – pièce qui apparaît sur le disque monographique paru en 2014 chez Kairos. La musicienne travaille actuellement à un opéra à partir du Bildbeschreibung de Heiner Müller, qui sera interprété par le Klangforum de Vienne : un opéra, ou bien « plutôt du théâtre musical : je veux que l’ensemble au complet et les voix soient présentes sur scène ». L’entretien qui suit a été réalisé par l’écrivain Alan Lockwood près de l’Académie de musique de Wrocław, où Zubel enseigne la composition musicale, profitant cette année d’un congé sabbatique.
C’est en effet une réaction assez étonnante, si l’on se souvient de votre pièce Not I, d’après le théâtre de Beckett, qui a beaucoup tourné. C J’ai interprété Not I une vingtaine de fois en deux ans, notamment il y a deux semaines à Berlin avec l’ensemble KNM.
Création française
Avant le concert, à 19h45 Clé d’écoute avec Clément Lebrun Entrée libre
Koffer pour grand ensemble Création française
« Ce qui me nourrit aujourd’hui ? La musique. J’écoute toutes les musiques. Musiques contemporaines, musiques non-européennes avec les différentes conceptions harmoniques, les ornements, les différentes articulations (…). C’est la matière de ces musiques qui m’intéresse ». Ces propos du compositeur allemand Enno Poppe caractérisent bien son univers de création. L’Ensemble s’associe au Festival d’Automne à Paris pour présenter deux de ses œuvres dont Koffer, « valise » en français. Une valise dans laquelle il « range » métaphoriquement de nombreuses idées et interrogations extraites de son opéra IQ, sans toutefois trop se soucier de les ordonner. Enno Poppe sera entouré de Pascal Dusapin, qui se joue de mots allemands et de mariages de timbres dans son concertino pour piano
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Agata ZUBEL Double Battery pour ensemble Création française
Pascal DUSAPIN Jetzt genau! pour piano et six instruments
Entre votre œuvre orchestrale IN créée pour le Staatsoper de Hanovre en 2013 et Double Battery pour l’EIC, quelles ont été vos pièces instrumentales ?
En janvier, vous avez composé pour les Seattle Chamber Players et vous vous êtes produite à Other Minds à San Francisco. Cette expérience « West Coast » a culminé avec la création de Chapter 13 pour le Los Angeles Philharmonic…
C Mon Concerto pour violon a été créé par le New Music Orchestra en 2014 en Pologne, et je suis en train d’écrire une pièce d’orchestre pour le Seattle Symphony, qui ouvrira leur prochaine saison en octobre. Concernant l’EIC, c’est un plaisir immense que de composer pour des musiciens aussi doués : on peut alors écrire vraiment tout ce que l’on a en tête. Un ensemble de chambre de ce niveau peut être considéré comme un regroupement de solistes. J’aime travailler à partir de ce très haut niveau d’exécution, construire à partir de cela.
C Sébastien Vichard, piano Ensemble intercontemporain Cornelius Meister, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Festival d’Automne à Paris, Philharmonie de Paris Tarif 18€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
Lorsque j’ai reçu la commande du Los Angeles Philharmonic d’une pièce pour voix et ensemble, j’ai pensé que c’était l’occasion idéale de travailler sur Le Petit Prince : c’est un texte que Saint-Exupéry a écrit en Californie pendant la guerre. Et c’est un texte un peu plus léger que ceux que j’ai l’habitude d’utiliser. Pendant la création, le public riait, comme à un concert de jazz ou à l’opéra.
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Double Battery est un titre intrigant et chargé de sens ; il n’évoque rien d’explicite mais stimule fortement l’imaginaire.
Comment avez-vous commencé à travailler la voix? C
Durant mes études à l’Académie, un concert de fin d’année était organisé. J’ai écrit Parlando, une pièce un peu expérimentale, pour voix et électronique, peut-être plus proche de la parole que du chant, qui joue avec les couleurs de la voix et les syllabes. J’ai ensuite cherché un étudiant de l’Académie qui puisse la chanter.
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Ce titre indique une situation double, à différents niveaux de la pièce. L’instrumentation comprend deux clarinettes basses, situées derrière le public, qui se livrent à une sorte de bataille. À d’autres moments, la bataille se déplace sur scène entre les deux percussionnistes. Il y a encore d’autres situations de dédoublement : les cordes sont divisées en deux groupes, et la flûte et le hautbois forment un duo.
exactement inverse : je suis partie du milieu moderne, d’abord en tant que percussionniste, puis comme compositrice pour aller vers une musique plus classique.
de différents poèmes ou textes en prose. J’ai suivi une démarche opposée à celle qui consiste à composer à partir du texte, lorsque c’est le texte qui détermine la structure et la forme de la composition.
Comment la composition instrumentale de Double Battery se distingue-t-elle de l’écriture pour voix et ensemble, par exemple dans Aphorisms on Miłosz ?
Donc, dans Aphorisms on Miłosz, vous vous êtes libérée de cette tutelle du texte qui détermine la structure musicale ?
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Et vous avez trouvé quelqu’un ? C
Absolument personne, et c’est pourquoi il a fallu que j’apprenne moi-même la partie de chant. Ensuite, un de mes camarades compositeurs s’est mis en tête d’écrire pour ma voix plusieurs nouvelles pièces pour des concerts et festivals. J’ai alors décidé de prendre des cours de chant classique, « normal » : Mozart, Puccini, Verdi, Rossini. Je continue encore maintenant à travailler ces œuvres : la semaine prochaine, je chante un programme complet qui commence avec les lieder sur des textes de Brecht et va jusqu’au Pierrot lunaire de Schönberg – ce programme est devenu un véritable classique de l’opéra de Cracovie. Pour la voix, comme pour n’importe quel instrument, c’est très bénéfique de varier ainsi les répertoires.
L’Ensemble intercontemporain présentera également votre œuvre vocale en novembre, avec les Aphorisms on Miłosz. Qu’avez-vous étudié en premier : la composition, ou la voix ? C
J’ai étudié la composition à l’Académie de Wrocław, où je suis née et réside toujours, mais j’ai d’abord commencé par la percussion – en Pologne, on n’étudie pas la composition avant l’université. J’en garde un amour non seulement pour la batterie, le vibraphone et le marimba, mais aussi pour tous les petits instruments aux sons les plus étranges. La constellation sonore des percussions est d’une incroyable variété et d’une subtilité qui ne peut pas être exactement traduite en notation.
Vous jouez actuellement le cycle de Paweł Szymañski sur des poèmes de Georg Trakl, les sonnets de Shakespeare par Andrzej Czajkowski, et je vous ai récemment entendue dans la distribution de l’opéra de Paweł Mykietyn, The Magic Mountain. Vous avez même enregistré des versions débridées des « Derwid Songs », chansons populaires écrites par Lutosławski pour la radio.
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C’est une dimension très importante de mon écriture et plus globalement de l’environnement musical que je développe actuellement : un univers de sons non-tempérés, où tout est susceptible de devenir un son. Si j’ai dû apprendre à écrire pour le violon ou la clarinette, j’ai très vite été sensible aux possibilités des instruments de percussion. Parfois, je me rends compte que je pense la composition comme une percussionniste, en cherchant des couleurs, en créant des éléments rythmiques forts et complexes.
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La plupart du temps, les chanteurs font de la musique moderne en plus de leur répertoire classique de formation. De mon côté, j’ai fait le chemin
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C Dans la composition instrumentale, on ne part pas de la structure donnée par un texte et donc on a la liberté de développer la structure et la forme d’une pièce. Pour Aphorisms, c’était une situation entre les deux : j’avais un texte, mais il ne déterminait en rien la structure. J’ai donc dû la créer, la composer, et en dernière instance, y introduire le texte.
Je travaille souvent à partir de textes lorsque j’écris – j’apprécie lorsque deux champs artistiques se croisent d’une façon ou d’une autre. Généralement, je réfléchis longtemps avant d’arrêter mon choix, car la pièce est en grande partie déterminée par les raisons de ce choix, même si j’évite de suivre linéairement le texte et de l’illustrer par la musique. Avec Czeslaw Miłosz, ce choix a été extrêmement difficile à faire. J’avais lu presque toute son œuvre et déjà écrit une pièce sur l’un de ses poèmes – A Song on the End of the World –, mais cette fois, je ne trouvais aucun poème qui me convienne. Lorsque Morton Feldman a demandé à Beckett un livret pour son opéra Neither, Beckett lui a demandé pourquoi il n’avait pas choisi l’une de ses pièces déjà existantes. Feldman a répondu qu’il avait lu toutes ses pièces mais qu’elles n’avaient pas besoin de sa musique.
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Chercher un texte pour une composition musicale nécessite une lecture très différente de celle qu’on expérimente lorsqu’on lit un livre ou des poèmes pour soi. Je devais avoir le sentiment que le texte avait besoin de ma musique, ou que j’avais besoin de ce texte. Pour Miłosz, j’ai travaillé dur, mais je ne parvenais pas à identifier de texte. Je recopiais sur une feuille de papier des vers et des phrases de lui que j’aimais particulièrement. Et au bout d’un moment, je me suis dit : voilà, c’est ça, le texte de ma pièce. Il y a sept parties, chacune est centrée autour d’une phrase issue
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JEUDI 15 DÉCEMBRE 20:00 PARIS CONSERVATOIRE DE PARIS – SALLE D’ORGUE ATELIER-CONCERT
VENDREDI 16 DÉCEMBRE 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DE RÉPÉTITION – PHILHARMONIE
ÉCHANGE T R A N S AT L A N TIQUE
SCHUMANN / KURTÁG Maître génial et méticuleux de la forme courte, György Kurtág entretient avec l’histoire de la musique une relation d’une grande richesse. En constante recherche d’une écriture personnelle faite d’épure et de cristallisation de l’instant, il se tourne aussi vers ses aînés. Parmi ces compositeurs dont Kurtág aime à revisiter l’œuvre, Robert Schumann occupe une place privilégiée. D’où l’idée de confronter leurs univers musicaux, le romantisme lumineux et torturé du premier hantant l’intimisme du second, dans un dialogue chambriste par-delà les siècles, en collaboration avec les musiciens de l’Orchestre de Paris.
L’Ensemble ACJW est le fruit d’une étroite collaboration entre le Carnegie Hall, la Juilliard School et le Weill Music Institute en partenariat avec le New York City Department of Education. Il rassemble, deux années durant, de jeunes musiciens talentueux venus des États-Unis et d’ailleurs autour d’un programme ambitieux. Son objectif : les accompagner à l’aube de leur carrière professionnelle en associant excellence, formation et transmission. Grâce au soutien des Fondations Edmond de Rothschild, partenaires du Carnegie Hall, une dizaine de ces jeunes musiciens suivront à Paris un parcours riche et diversifié ponctué de master classes, de rencontres et de récitals, qui leur permettra notamment de travailler à plusieurs reprises avec Jean-Christophe Vervoitte, corniste à l’Ensemble intercontemporain. Le travail se conclura par ce concert public.
Robert SCHUMANN Quatuor à cordes en la majeur, op. 41 n° 3 Märchenerzählungen, op. 132 pour clarinette, alto et piano György KURTÁG Hommage à R. Sch., op. 15d pour clarinette, alto et piano Hommage à Mihály András - Douze Microludes, op. 13 pour quatuor à cordes
Pierre BOULEZ Dérive 1 pour six instruments Michael JARRELL Assonance VI pour ensemble instrumental Philippe LEROUX AAA pour sept instruments
Musiciens de l’Orchestre de Paris Solistes de l’Ensemble intercontemporain Coproduction Ensemble intercontemporain, Orchestre de Paris, Philharmonie de Paris Tarif 20€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
Ensemble ACJW Jean-Christophe Vervoitte, direction En partenariat avec le Carnegie Hall, le Conservatoire de Paris et les Fondations Edmond de Rothschild Entrée libre dans la limite des places disponibles Réservations cmbazomo@edrfoundations.org Programme donné sous réserve de modifications.
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Jusqu’au dernier instant Játékok (1973-2010) de György Kurtág et Incises de Pierre Boulez (version de 1999 au Carnegie Hall de New York).
Deux rencontres restent pour moi inoubliables : la première s’est déroulée pendant la préparation d’un programme autour des Játékok de György Kurtág à la Cité de la musique. D’emblée, le caractère bref de ces compositions pose un problème d’assemblage pour la constitution d’un programme. De plus, l’exigence légendaire et l’insatisfaction permanente de Kurtág, aussi bien vis-à-vis de lui-même que de ses interprètes, créait une atmosphère, certes passionnante, mais tout à fait stressante pour les musiciens. L’équipe de production semblait également avoir épuisé toute son énergie et ses ressources diplomatiques afin d’obtenir de lui le programme définitif dans les délais nécessaires à des fins d’impression et de diffusion – ce qui relevait de l’impossible, le compositeur étant l’indécision personnifiée ! J’ai adoré cette exigence qui me poussait au-delà de mes limites, au-delà de ce que je croyais possible, au point de me demander si je savais vraiment jouer de mon instrument. La fameuse maxime de Socrate, « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien », prenait là tout son sens ! Mon deuxième souvenir concerne une des versions d’Incises de Pierre Boulez. L’œuvre ayant longtemps été « en devenir » – in progress, pour reprendre le terme qu’il utilisait volontiers lui-même –, j’ai eu l’honneur d’en assurer, non pas une, mais plusieurs créations ; chacune des versions étant un peu plus longue que la précédente. Avant chaque exécution, je n’étais jamais sûr de jouer la version que je connaissais car des nouvelles pages pouvaient parfois apparaître, comme par magie. Le compositeur me confiait en effet souvent qu’il avait des nouvelles idées,
des projets ; l’acte créateur authentique n’est évidemment pas prévisible. Une fois, en particulier, l’œuvre était programmée pour un concert au Carnegie Hall de New York, et je suis allé le trouver quelques jours avant pour lui jouer la dernière version reçue – laquelle n’était vraisemblablement pas définitive. Je me souviens parfaitement lui avoir fait part de ma perplexité, tant il m’apparaissait évident que la fin provisoire de la partition n’avait rien de concluant sur le plan musical. Avec le recul, je me demande comment j’ai trouvé le courage de le lui faire remarquer ! Sa réponse fut, comme souvent, lapidaire : « Tu rajoutes un point d’orgue au dernier accord ! » Trois ou quatre jours plus tard, j’arrivai, après un long voyage, à mon hôtel new-yorkais, n’ayant qu’une seule envie : me reposer le plus rapidement possible afin d’être en forme pour le concert du lendemain. Je me souviens de notre régisseur Jean Radel arriver vers moi, un sourire mystérieux aux lèvres, et me tendre une enveloppe. Celle-ci contenait une nouvelle page d’Incises (manuscrite, bien sûr !), qui tenait lieu de fin (toujours provisoire !), à jouer au concert ! Tous ceux qui ont vu des manuscrits de Boulez vous diront combien son écriture était fine (on dirait une sorte de calligraphie hiéroglyphique). La première urgence du moment fut donc de grossir chaque note afin de rendre le texte lisible, avant même d’en envisager toute exécution. Cette page est finalement restée comme la fin définitive d’Incises et je suis très honoré de l’avoir reçue en cadeau de sa part. Je ne saurai jamais si elle a été composée dans l’avion ou bien chez lui, au retour de notre séance de travail. Ce qui est certain, c’est que ma remarque n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd…
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MARDI 10 JANVIER 20:00 COLOGNE PHILHARMONIE
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L’homme aux quatre casquettes Création de within his bending sickle’s compass come (2014-2015) de David Fulmer, pour cor solo et ensemble, le 21 avril 2015, à la Cité de la musique-Philharmonie de Paris.
impossible de tourner les pages. Après réflexion, j’ai proposé d’utiliser un écran électronique, avec une pédale pour contrôler le défilement de la partition. J’ai également suggéré quatre sourdines de timbres différents, que David n’a entendues que deux jours avant la création, mais qu’il a tout de suite acceptées avec enthousiasme. Nous avons, lui et moi, passé de nombreuses heures à finaliser l’exécution de l’œuvre et, là encore, j’ai été touché par sa sensibilité musicale et le respect mutuel que nous partagions. Après avoir fait l’expérience de son talent en tant que violoniste, chef et compositeur, je n’aurais pas dû m’étonner de ses aptitudes en tant que directeur artistique lors de la session d’enregistrement que nous avons réalisée après le concert. Là encore, David n’était pas seulement compétent : ce fut en grande partie grâce à lui si nous avons pu terminer l’enregistrement en seulement quatre-vingt-dix minutes, ce qui émerveilla tout le monde. En presque quarante ans à l’Ensemble intercontemporain, ce fut l’une de mes expériences de création les plus intéressantes. J’ai rarement eu l’occasion de rencontrer un jeune compositeur aussi talentueux et aussi humble que David Fulmer, l’homme aux quatre casquettes !
La première fois que j’ai rencontré David Fulmer, c’était à la Julliard School de New York, où je dirigeais les répétitions du Triple Duo d’Elliott Carter. Son jeu de violon, dans cette partition excessivement virtuose, était impressionnant ! Quelle n’a pas été ma surprise lorsque je le recroisais quelque temps plus tard à l’Ensemble intercontemporain, candidat au poste de chef assistant ! Nous avons alors eu une longue et passionnante discussion à propos de musique, d’interprétation et de direction, avant qu’il ne rentre chez lui à Los Angeles. Nouveau choc lorsque j’ai entendu dire que l’Ensemble intercontemporain allait lui passer commande, et qu’il avait émis le vœu de composer un concerto pour cor, spécifiquement pour moi. Malgré le grand respect que j’avais pour David en tant que violoniste et chef, la composition est une toute autre affaire, et j’avoue que j’étais dubitatif. J’ai donc été abasourdi lorsque j’ai reçu la partition ; j’y ai immédiatement reconnu un intérêt musical indéniable et identifié les nombreux défis instrumentaux qu’elle soulevait. Pour ne donner qu’un exemple, il y a si peu de silence et tant de notes, qu’il m’est physiquement
Mark Rothko, Markus Lüpertz, Anselm Kiefer, Arnaldo Pomodoro : les sculptures et installations d’arts plastiques de ces artistes dans l’espace public sont à l’origine de ce concert. Rothko Chapel de Morton Feldman a spécifiquement été conçu pour la chambre de méditation octogonale de la Fondation Menil à Houston, ornée de quatorze toiles du peintre américain. C’est dans la sculpture Hommage à Mozart de Markus Lüpertz, installée au cœur de Salzbourg, que Jay Schwartz a quant à lui cherché la matière sonore de M. pour baryton et ensemble. Plusieurs compositions de Matthias Pintscher sont directement inspirées par les œuvres d’Anselm Kiefer. C’est le cas de beyond (a system of passing) qui trouve son origine dans A.E.I.O.U., une installation du plasticien allemand. Enfin, c’est dans une œuvre du sculpteur et architecte italien Arnaldo Pomodoro : Grand hommage à l’âge de la technique, un grand relief de la façade de la Volkshochschule à Cologne que le jeune compositeur et chef allemand Gregor A. Mayrhofer a trouvé le sujet de sa dernière création.
Jay SCHWARTZ M pour baryton et ensemble Création nationale
Matthias PINTSCHER beyond (a system of passing) pour flûte Gregor A. MAYRHOFER Grand hommage à l’âge de la technique, d’après l’œuvre du même nom d’Arnaldo Pomodoro pour ensemble Création mondiale Commande de la Philharmonie de Cologne
Benjamin ATTAHIR Nouvelle œuvre pour ensemble
DIMANCHE 15 JANVIER 18:00 PARIS MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE DU JUDAÏSME AUDITORIUM
PIERROT LUNAIRE Avant le concert, à 17h30 Clé d’écoute avec Clément Lebrun
On l’oublie souvent, mais le Pierrot Lunaire d’Arnold Schönberg était destiné au cabaret et non à la salle de concert. Salomé Haller, qui interprètera une nouvelle fois le Pierrot avec les solistes de l’Ensemble intercontemporain, préfère toutefois ne pas forcer ce trait de l’œuvre : « Si on s’évertue à faire ce que Schönberg demande, dit-elle, on obtient l’effet cabaret de manière détournée, presque à son insu. Pour le reste, je me contente de petits clins d’œil et de menues allusions. Il s’agit ici plus d’évocation que de démonstration. » En guise de « prélude » au révolutionnaire Pierrot, les solistes de l’Ensemble interprèteront le Trio, op.3 d’Alexander von Zemlinsky. Ami puis beau-frère d’Arnold Schönberg, Zemlinsky partageait également son admiration pour Brahms. Ce Trio, composé un an après la mort du grand maître allemand, lui rend un hommage manifeste.
Alexander von ZEMLINSKY Trio, op. 3 pour piano, clarinette et violoncelle Arnold SCHÖNBERG Pierrot lunaire, op. 21 pour voix et cinq instruments Salomé Haller, mezzo-soprano Solistes de l’Ensemble intercontemporain Dans le cadre de l’exposition Arnold Schönberg du 28 septembre 2016 au 29 janvier 2017. Coproduction Ensemble intercontemporain, Musée d’art et d’histoire du Judaïsme Tarifs 25€/20€/10€ Réservations 01 53 01 86 48 / auditorium@mahj.org
Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain
Morton FELDMAN Rothko Chapel pour soprano, contralto, chœur mixte et instruments Evan Hughes, baryton Sophie Cherrier, flûte Les Cris de Paris Geoffroy Jourdain, chef de chœur Ensemble intercontemporain Gregor A. Mayrhofer, direction Renseignements et réservations koelner-philharmonie.de
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Matthias PINTSCHER nemeton pour percussion Henry PURCELL O Solitude, my sweetest choice, Z 406 pour voix et basse continue Matthias PINTSCHER whirling tissue of light pour piano Création française
Henry PURCELL King Arthur, Z 628 : "Fairest Isle, all isles excelling" pour voix et ensemble Matthias PINTSCHER Uriel pour violoncelle et piano Maurice RAVEL Jeux d'eau pour piano Henry PURCELL / Benjamin BRITTEN Pausanias, Z 585 : "Sweeter than Roses" pour voix et piano Henry PURCELL Ground en ut mineur, Z D221 / Z T681 New Ground, Z 682 pour clavecin Henry PURCELL The Fairy Queen, Z 629 : "O let me ever, ever weep" pour voix et ensemble Matthias PINTSCHER The Garden Memento. Pour contreténor, percussion et piano Création française
TURBULENCES VOCALES
VENDREDI 20 JANVIER 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE EIC40
JARDINS DIVERS EN JANVIER, UN COLLOQUE AUTOUR DE LA CRÉATION :
Avant le concert, à 19h La création en questions n° 1/5 Rencontre avec Matthias Pintscher en compagnie de Jérémie Szpirglas sur le thème de la relation entre répertoire et création. Entrée libre
C R É AT I O N MUSICALE INTERROGER LES CONCEPTS
Ces nouvelles Turbulences ont pour thème la voix. Et pour cette première soirée, c’est une voix bien particulière que nous entendrons : celle de contreténor. Cette voix singulière est devenue depuis quelques décennies un terrain de jeu particulièrement fertile pour les compositeurs. Matthias Pintscher lui-même l’utilise dans The Garden qui répondra aux accents féériques de la musique d’Henry Purcell.
Les 12 et 13 janvier 2017, la Philharmonie de Paris organise, en partenariat avec Futurs Composés, un colloque sur le thème de la création musicale. Pendant deux jours, des artistes, des chercheurs, des responsables culturels, échangeront sur les concepts et les formes de la création aujourd’hui. Entrée libre sur réservation Renseignements sur philharmonie.fr
Yaniv D’Or, contreténor Solistes de l’Ensemble intercontemporain Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif 18€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
SAMEDI 21 JANVIER 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE EIC40
GRAND SOIR Avant le concert, à 19h La création en questions n° 2/5 Conférence de Pierre-Michel Menger, sociologue sur le thème de la relation entre le créateur et son environnement. Entrée libre
de porter en musique : le texte. On y entendra quelques comptines enfantines de Federico García Lorca mises en musique par George Crumb, le vers inspiré d’Arthur Rimbaud transfiguré par Matthias Pintscher, celui de José Ángel Valente sublimé par Beat Furrer et la poésie médiévale du chevalier-poète Ausiàs March explorée par Joan Magrané Figuera. Le texte, même non chanté, peut irriguer la musique de bien des manières comme le montre Franck Bedrossian avec We met as Sparks, inspiré du poème 958 d’Emily Dickinson.
Première partie George CRUMB Federico’s Little Songs for Children** pour soprano, flûte et harpe Matthias PINTSCHER Monumento V, in memoria di Arthur Rimbaud pour huit voix et ensemble Création française
Deuxième partie Beat FURRER lotófagos I* pour soprano et contrebasse Franck BEDROSSIAN We met as Sparks pour flûte basse, clarinette contrebasse, alto et violoncelle Création française
Vito ŽURAJ Ubuquité* pour soprano et ensemble Création mondiale de la nouvelle version Commande de l’Ensemble intercontemporain
Troisième partie Josquin DESPREZ Doleur me bat Joan MAGRANÉ FIGUERA Fragments d'Ausiàs March pour cinq voix et ensemble Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain
Josquin DESPREZ Plusieurs regretz Raquel Camarinha, soprano** Hélène Fauchère, soprano* Solistes XXI Rachid Safir, chef de chœur Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif 25€/20€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
C VOIR AUSSI L’ENTRETIEN AVEC VITO ŽURAJ PAGES 49-48
Pour ce deuxième « Grand soir » de Turbulences vocales en compagnie des Solistes XXI, primauté est rendue à ce support précieux que la voix permet
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Ubuquité
et esthétiques qui font de moi un compositeur plus critique, plus souple et plus inventif.
– Propos recueillis par Tomas Alwyn Westbrook – Vous semblez particulièrement attentif au timbre et aux possibilités techniques des différents instruments. Comment travaillez-vous avec les interprètes, et quelles en sont les répercussions dans votre musique ?
Après Insideout, joué le 9 avril 2015 dans le cadre du Grand Soir « Passions », l’Ensemble intercontemporain créera à la Philharmonie de Paris le 21 janvier 2017 une nouvelle pièce du jeune compositeur slovène Vito Žuraj. Comme son titre-valise l’indique, Ubuquité est une œuvre inspirée par la figure du roi Ubu d’Alfred Jarry, sur un livret d’Alexander Stockinger traduit par Bernard Banoun pour la version française. Dans l’entretien qui suit, réalisé par le compositeur néozélandais Alwyn Tomas Westbrooke, Žuraj revient en détail sur les modus operandi de sa pièce.
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J’ai eu la chance de travailler avec des ensembles de grande qualité et d’excellents musiciens dont j’ai pu m’inspirer. J’aime comprendre les qualités particulières des ensembles pour lesquels je compose. Si, par exemple, j’écris pour un ensemble dont les sonorités sont axées sur les cordes, j’essaye de tirer parti de la souplesse et de la précision que cela produit, tandis qu’un travail avec un ensemble qui met l’accent sur les cuivres et les bois peut se traduire par un parti pris fragmentaire et sautillant. Je m’inspire également des qualités spécifiques de certains musiciens particuliers. J’ai notamment beaucoup travaillé avec Saar Berger, le corniste de l’Ensemble Modern, en échangeant des idées avec lui ou simplement en l’écoutant improviser.
Vous avez effectué une grande partie de votre apprentissage en Allemagne, un pays où les compositeurs tendent à préférer des méthodes qui sont le reflet rigoureux d’une approche esthétique bien spécifique. Contrairement à cela, vous combinez généralement une approche créative instinctive à des calculs mathématiques et, à certaines occasions, à des éléments théâtraux. Comment êtes-vous parvenu à un mode opératoire aussi personnel ?
Une part non négligeable de vos pièces est générée par des algorithmes que vous programmez vous-même sur ordinateur. Quelle est la place de ce processus dans votre travail ?
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Nous parlons donc de sérialisme postromantique incorporant des éléments bruitistes et chaotiques ? [rires] C’est une question intéressante. Lors de mes premières années de formation, en Slovénie, l’enseignement se concentrait sur l’harmonie, le contrepoint et l’instrumentation classique. Quand j’ai commencé mes études en Allemagne, je me suis rendu compte que ces connaissances étaient insuffisantes pour façonner un langage musical réellement personnel, qui au contraire nécessite une part de folie, pour aller chercher des timbres et des motifs formels jamais entendus auparavant. L’éducation est le seul moyen d’y parvenir. J’ai tâché d’apprendre le plus possible sur les multiples perspectives esthétiques de la musique contemporaine en dialoguant avec des artistes, des interprètes, des professeurs… mais surtout, j’ai écouté énormément de musique. J’en ai retiré toute une gamme de possibilités techniques
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J’ai passé beaucoup de temps à développer un programme qui génère des hauteurs et des séquences rythmiques qui nécessiteraient beaucoup trop de travail et de révisions si je devais les créer manuellement. Je tâche cependant de ne pas surestimer l’importance de ce programme : la substance et la forme musicale restent les produits de ma propre imagination, et les algorithmes ne servent qu’à m’aider à donner corps aux sonorités que j’ai dans la tête, d’autant plus que je les manipule d’une manière extrêmement instinctive. Je joue une séquence de notes sur un clavier ou je dessine une figure à l’écran avec ma souris, en réitérant l’opération à trente, voire quarante reprises ; chaque séquence est ensuite convertie numériquement sous la forme d’un ensemble de notes et de rythmes que j’aime apparenter à des modélisations informatiques
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C Tout à fait. Dans une certaine mesure, la structure et l’approche des parties vocales sont indépendantes de celles de l’ensemble, ce qui me permet de les altérer pour les faire coller au rythme et à la cadence d’une autre langue. Le livret d’Alexander Stockinger est superbe, et je pense que l’auditeur a tout à gagner à comprendre le texte comme une composante à part entière de l’expérience musicale. Il est de circonstance qu’Ubuquité puisse être entendu en français, étant donné qu’Ubu Roi, la pièce de théâtre dont ma pièce est inspirée, est une œuvre française. C’est par ailleurs un grand honneur de travailler avec un traducteur aussi talentueux que Bernard Banoun – peu de traducteurs parviennent à maintenir un tel niveau d’excellence littéraire dans une traduction qui a pour contrainte supplémentaire l’impératif de s’accorder à une partition existante. Je suis particulièrement ravi d’avoir pu engager Bernard pour Insideout, une autre pièce qu’Alexander et moi avons réalisée ensemble. Travailler avec des talents d’un tel calibre est une chance inestimable, tout particulièrement vis-à-vis de cette collaboration avec l’Ensemble intercontemporain qui, je l’espère, sera la première d’une longue série.
élaborées par un architecte. Une fois cette étape terminée, je passe en revue mes résultats pour identifier le matériau exploitable – mon imagination musicale n’étant pas stimulée par les motifs abstraits, cette phase de comparaison et d’évaluation s’avère essentielle. Des structures bien définies peuvent produire des résultats qui auraient été impossibles à obtenir par la seule intuition, mais le processus de composition reste guidé par ma propre créativité, et non les restrictions des formules mathématiques. Dans Ubuquité, l’espace acoustique constitue un paramètre musical important, et l’ensemble est divisé en six groupes répartis dans toute la salle de concert. Quelle place cet élément spatial occupe-t-il dans votre travail ? C
L’espace acoustique est effectivement un paramètre essentiel dans Ubuquité, sans pour autant jouer un rôle aussi central que les tonalités et le rythme. Les sons circulent dans la salle : l’un des groupes joue un accord ou un mouvement, et le groupe suivant prend le relais, et ainsi de suite. Ce processus obéit à des principes simples et intuitifs, eux aussi basés sur des algorithmes, mais tout à fait compréhensibles si l’on écoute la pièce ou si on jette un œil sur la partition. Dans la version que j’ai composée spécialement pour cette occasion, les groupes seront disposés côte à côte, sur scène ; une configuration qui produit un effet fort différent. Les accords reposent sur l’harmonie spectrale : en d’autres termes, ils proviennent de fréquences naturelles, imperceptibles en temps normal mais qui jouent un grand rôle dans la manière dont nous percevons les timbres. Les fréquences que l’on entend dans Ubuquité prennent une forme tour à tour pure et déformée.
Des œuvres musicales sont citées dans Ubuquité – notamment Salomé de Richard Strauss. Bien que ce ne soit pas la première fois que vous l’employiez, cette technique demeure assez rare dans votre travail. Quel est le but, dans ce cas précis, du recours à la citation ? C La plupart des citations dans Ubuquité font allusion à la plus célèbre des œuvres musicales prenant pour thème la figure d’Ubu, Musique pour les soupers du roi Ubu de Bernd Alois Zimmermann, qui n’est elle-même rien d’autre qu’un prodigieux collage de citations d’autres œuvres. D’autre part, les citations établissent des associations comiques avec le texte – la citation légèrement déformée de Salomé que vous mentionnez, par exemple, est une parodie de la musique tapageuse accompagnant l’ultime réplique d’Hérode dans Salomé : « Tuez cette femme ! » Le texte d’Ubuquité est effectivement une parodie. Madame Ubu chante « Tuez cet homme ! », qui est aussi son ultime réplique… Enfin, presque.
Vous essayez d’obtenir des traductions de grande qualité pour les textes utilisés dans vos pièces ; les parties vocales s’en trouvent légèrement modifiées pour cadrer avec la traduction, de sorte que le public puisse entendre une version « originale » dans sa langue maternelle au lieu de lire des surtitres ou une traduction insérée dans le programme. Cela laisse à penser que les parties vocales ont un certain degré d’indépendance par rapport au reste.
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SAMEDI 28 JANVIER 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS GRANDE SALLE – PHILHARMONIE
LUNDI 30 JANVIER 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS AMPHITHÉÂTRE – CITÉ DE LA MUSIQUE
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QUARTIERS L AT I N S
Avant le concert, à 19h45 Clé d’écoute avec Clément Lebrun Entrée libre
Ce concert propose un dialogue musical entre deux cultures voisines, presque deux « quartiers » partageant une même origine latine : l’Italie et la France. Côté italien, on repousse les limites de la virtuosité, à la flûte (Berio) ou à l’alto (Maderna) ; côté français, on revisite les grandes formes classiques, rhapsodie (Debussy), sonate (Ravel) ou madrigal (Schœller). Perché sur les hauteurs de la Meije, Olivier Messiaen arbitre les échanges avec son Merle Noir, tandis que Matteo Franceschini, jeune compositeur italien formé en partie en France, livre sa première création pour les solistes de l’Ensemble intercontemporain.
Ce concert est un événement à plusieurs titres. D’abord parce qu’il réunit une nouvelle fois l’Orchestre du Conservatoire de Paris et l’Ensemble intercontemporain. Ensuite pour son programme intégralement hongrois qui présente des œuvres de Béla Bartók, György Ligeti et György Kurtág. Point d’orgue de la soirée : Le Château de Barbe-Bleue, unique incursion de Béla Bartók dans le domaine de l’opéra. Le livret de Béla Balázs s’inspire d’Ariane et Barbe-Bleue, poème de Maurice Maeterlinck, trouvant sa source dans le conte de Charles Perrault, La Barbe bleue. Bartók ne garde de ce conte cruel que sa quintessence, revisitant son imagerie sous un angle symboliste et psychanalytique.
Claude DEBUSSY Première Rhapsodie pour clarinette et piano Bruno MADERNA Viola pour alto Olivier MESSIAEN Le Merle noir pour flûte et piano Philippe SCHŒLLER Madrigal pour quatuor avec piano Luciano BERIO Sequenza I pour flûte Maurice RAVEL Sonate pour violon et violoncelle Matteo FRANCESCHINI Les Excentriques. Traité physionomique à l’usage des curieux pour six musiciens
György LIGETI San Francisco Polyphony pour orchestre György KURTÁG Stèle, op. 33 pour orchestre Béla BARTÓK Le Château de Barbe-Bleue, op. 11 Michelle DeYoung, mezzo-soprano John Relyea, baryton Orchestre du Conservatoire de Paris Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Conservatoire de Paris, Philharmonie de Paris Tarifs 30€/26€/22€/17€/13€/10€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain et du Wigmore Hall, avec le soutien d’André Hoffmann - Une fondation suisse de mécénat.
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VENDREDI 3 FÉVRIER 19:00 PARIS CONSERVATOIRE DE PARIS – SALLE MAURICE FLEURET
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NOUVELLE G É N É R AT I O N Place aux jeunes compositeurs avec ce concert de créations au Conservatoire de Paris qui conclut un travail pédagogique original mené avec les solistes de l’Ensemble. Cette année encore, les élèves des classes de composition du Conservatoire de Paris auront ainsi l’opportunité d’entendre une de leurs œuvres jouée dans des conditions optimales. Pour le public, ce sera l’occasion de découvrir de nouvelles voix de la création musicale.
Une création, c’est toujours une émotion Création de Hypermusic Prologue, a Projective Opera in Seven Planes (2009), opéra de chambre avec électronique d’Hèctor Parra, le 14 juin 2009, dans le cadre du festival Agora sous la direction de Clement Power.
Une création, c’est toujours une émotion : le compositeur vous offre son travail, parfois son intimité. Vous devenez cet élément essentiel qui va transmettre l’œuvre au public, le plus fidèlement possible, qu’elle vous plaise ou non… C’est en mai 2009 que nous avons découvert la musique d’Hèctor Parra, jeune compositeur espagnol. Nous étions huit instrumentistes réunis autour de la préparation de son opéra de chambre Hypermusic Prologue, sur un livret de la physicienne Lisa Randall. Une soprano et un baryton nous ont rejoint un peu plus tard, ainsi que de l’électronique en temps réel. Je me souviens avec émotion des premières répétitions, durant lesquelles chacun apprivoisait ce nouveau langage musical, un langage très personnel débordant d’une grande expressivité. Hèctor nous proposait une musique d’une grande précision, rythmiquement et musicalement complexe, et un phrasé très varié ponctué de nuances extrêmes, dont le son était animé par un souffle tout à fait particulier, bien différent du simple vibrato. Nous étions éblouis.
Créations des élèves des classes de composition du Conservatoire de Paris. Solistes de l’Ensemble intercontemporain Élèves du Conservatoire de Paris Coproduction Ensemble intercontemporain, Conservatoire de Paris Entrée libre dans la limite des places disponibles Réservations reservation@cnsmdp.fr
Solistes de l’Ensemble intercontemporain Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif 32€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
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Les Aventures de Pinocchio
du lecteur et du compositeur. Si les deux pièces sont portées par la même dramaturgie, celles-ci sont musicalement très différentes : Pinocchio, una storia parallela est une œuvre purement lyrique, caractérisée par la vocalité tandis que Les Aventures de Pinocchio est une pièce de théâtre musical. L’écriture du livret à partir du texte de Collodi mais aussi l’interprétation répondent pour chacune à des critères totalement différents.
– Propos recueillis par Anouck Avisse –
ROUEN MERCREDI 8 FÉVRIER, 20:00 JEUDI 9 FÉVRIER, 10:00 ET 14:00 VENDREDI 10 FÉVRIER, 14:00 CHAPELLE CORNEILLE Dans le cadre de la programmation
CONTE MUSICAL EIC40
de l’Opéra de Rouen Normandie Renseignements et réservations operaderouen.fr
PARIS DIMANCHE 5 MARS, 11:00 ET 15:00 LUNDI 6 MARS, 11:00 ET 14:30* PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DE RÉPÉTITION – PHILHARMONIE Tarifs 8€ (enfant) / 10€ (adulte) Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr Avant le concert Ateliers de préparation à 9h30 et à 13h30 Une découverte interactive du conte musical mêlant jeux de sons, jeux de voix et jeux de mots. En famille (à partir de 6 ans) Tarifs incluant le concert 10€ (enfant) / 12€ (adulte)
LYON MERCREDI 10 MAI, 14:00 JEUDI 11 MAI, 11:00 AUDITORIUM
LES AVENTURES DE PINOCCHIO Lucia Ronchetti, compositrice, et Matthieu Roy, metteur en espace, ont imaginé un conte musical d’après le chef-d’œuvre universel de la littérature pour enfant : Pinocchio de Carlo Collodi. Un véritable théâtre en musique pour toute la famille qui permettra au jeune public de participer instrumentalement ou vocalement, avec la complicité des solistes de l’Ensemble.
Lucia Ronchetti, musique Matthieu Roy, mise en espace Juliette Allen, soprano Solistes de l’Ensemble intercontemporain
Renseignements et réservations auditorium-lyon.com * Concert scolaire. Tarif 5,60€ par personne. Atelier de préparation à l’écoute :80€ par classe
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Coproduction Ensemble intercontemporain, Opéra de Rouen Normandie, Philharmonie de Paris
L’œuvre de la compositrice italienne Lucia Ronchetti est marquée par la théâtralité, que ce soit dans ses pièces instrumentales ou dans ses œuvres vocales. En 2016, son opéra choral Inedia prodigiosa est créé au Teatro Massimo de Palerme, tandis que le Theaterhaus de Stuttgart présente son « concert-action » lascia ch’io pianga. Elle présente ici sa prochaine création avec l’Ensemble intercontemporain, Les Aventures de Pinocchio, un conte musical pour toute la famille, inspiré par l’œuvre célèbre de Carlo Collodi, qui sera créé en février 2017.
Vous avez déjà écrit pour le jeune public : comment appréhendez-vous ce travail de composition ? Éprouvez-vous le besoin de simplifier ou d’ajuster votre langage musical ? C Ma longue collaboration avec l’écrivain et artiste Toti Scialoja, peintre matiériste italien, a été déterminante. Il est l’auteur ingénieux de poèmes pour enfants, des poèmes riches en non-sense, qui peuvent rappeler un Edward Lear. Par leur architecture textuelle, ces poèmes sont des chefs-d’œuvre sonores, des condensés de théâtralité. À travers mes différentes collaborations avec lui (notamment pour L’Ape apatica, l’abeille apathique, opéra avec et pour enfants), j’ai appris à écouter attentivement le son et la mécanique rythmique interne à chaque mot pour les transférer dans ma partition. Je cherche à saisir l’étonnement que les enfants ressentent face aux mots et à leur sonorité pour transcrire leur poids acoustique dans ma musique. Pinocchio est l’un des livres les plus lus au monde et les enfants connaissent la fable sous une forme ou une autre : ce terreau fertile a l’avantage de faciliter la compréhension et autorise une grande liberté et complexité dans l’interprétation et la composition. J’ai cherché à tisser une relation entre les instrumentistes qui interprètent les différents personnages et le public des enfants qui est invité à intervenir spontanément, que ce soit vocalement ou instrumentalement. L’écriture en elle-même est très complexe parce qu’elle s’organise en différentes strates sonores
Après Pinocchio, una storia parallela (Pinocchio, une histoire parallèle), dramaturgie pour quatre voix d’hommes que vous avez composée en 2005 à partir du texte de Giorgio Manganelli, vous revenez au personnage avec Les Aventures de Pinocchio. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette fable et comment avez-vous abordé ces deux pièces inspirées du même conte ? C
Pinocchio est un roman de formation : le personnage a vocation à se métamorphoser, tout à la fois humain, animal, végétal et supraterrestre. Son parcours lui fait traverser les profondeurs marines et les forêts obscures et insondables. Giorgio Manganelli écrit, dans sa brillante analyse : « Dans Pinocchio tout est anthropomorphique, rien n’est humain. » Le langage de Collodi est en revanche incroyablement simple, sculptural et rythmique, conçu pour un public d’enfants : les mots frappent comme des coups, bruit sourds et déferlements, et déploient leur réalité acoustique pour laisser libre cours à l’imagination
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et interprétatives, mais les signaux compositionnels et les scènes sonores sont directs et clairs. Vous avez intégré à votre partition des interventions du public ? C
La partition prévoit que les enfants, à certains moments précis, interviennent avec les instruments qui leur sont distribués (sifflets, maracas, clochettes, etc.) dans la texture sonore établie par les musiciens. La chanteuse et le percussionniste doivent parvenir à impliquer, à libérer les enfants. Dans certains passages, celui du cirque par exemple, j’ai besoin du public des enfants pour recréer l’univers sonore de la scène. Les sons qu’ils produisent ajoutent des effets acoustiques que les cinq interprètes seuls ne pourraient créer. C’est pour moi une ressource musicale très intéressante. La partition présente donc une écriture figée pour les solistes et une écriture très ouverte pour les enfants qui auront la liberté d’intervenir ou non.
au séquençage : je n’allonge jamais un épisode à des fins purement ornementales, sans motivation. Chaque moment doit être nécessaire, c’est du théâtre en temps réel et les événements s’enchaînent sans pause ni attente.
instrumentales. Le metteur en scène doit partir de ces indications, mais il a toute liberté pour les interpréter.
Vous évoquez la nécessité de l’œuvre et revendiquez l’économie des moyens théâtraux ; à ce sujet, vous dites aussi que la partition et le livret sont vos préoccupations fondamentales, à contre-courant de la tendance à la spectacularisation de l’opéra. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’écriture du livret et sur les indications gestuelles qui figurent dans la partition ?
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J’ai voulu que Les Aventures de Pinocchio soit du théâtre de rue, qui ne nécessite ni scène ni costumes, et dont la dramaturgie et la théâtralité soient intrinsèquement musicales ; cela a été une expérience de liberté compositionnelle totale. Le livret est intimement lié à la musique et je l’ai remanié au fur et à mesure de l’écriture de la partition : j’ai coupé les passages qui ne pouvaient s’adapter à l’effectif ou au style musical que je cherchais tout en veillant à préserver l’intégrité de l’histoire ; j’ai gardé les épisodes qui me permettaient de créer un kaléidoscope musical composé de moments très clairs et différenciés ; j’ai transcrit en musique ce que les musiciens doivent virtuellement dire ; face aux séquences instrumentales qui prennent en charge les paroles, j’ai laissé le texte correspondant dans la version de travail du livret. Cela ne signifie pas pour autant que les instruments miment ou imitent le texte mais j’ai cherché des idées et des styles instrumentaux qui correspondaient à ce que disent les personnages. Par ailleurs, il était important pour moi de définir une régie instrumentale. Certains mouvements et actions génèrent en effet des sons qui font pleinement partie de la pièce : la partition intègre donc des indications de mise en scène, des didascalies
Selon Georges Aperghis, écrire pour les enfants donne plus de responsabilités, qu’en pensez-vous ? C
Dans le champ du théâtre musical, et en particulier dans l’établissement d’une communication entre les musiciens et le jeune public, Aperghis est pour moi un référent essentiel. Son Petit chaperon rouge embarque les enfants dans une fantastique aventure sonore. J’ai assisté à une représentation au Staatsoper de Berlin où les enfants de 3-4 ans étaient incroyablement attentifs : prêts à s’immerger dans l’action, ils se montraient capables de comprendre et de suivre les intentions du compositeur. La responsabilité du compositeur consiste pour moi en la précision de l’intention, la clarté du geste et surtout l’économie et la transparence des moyens théâtraux. L’œuvre doit devenir nécessaire en quelque sorte, ce qui est un véritable défi. Pour ma part, j’ai été très attentive
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Vous vous appuyez souvent sur des musiques préexistantes : qu’en est-t-il pour ce Pinocchio ? Les musiciens interagissent avec la voix qui interprète Pinocchio : leurs identités acoustiques doivent répondre à l’imaginaire des enfants en incarnant les personnages : la baleine, Geppetto, Mangefeu, Lucignolo, etc. ; chacun déploie un univers sonore singulier et identifiable. Pour créer ces textures acoustiques distinctes, je me suis appuyée sur des références à des compositions connues qui aident le public à identifier les personnages et les lieux dépeints par Collodi. La course sans fin de Pinocchio pour échapper à ses différents poursuivants est inspirée des textures rythmiques de Petrouchka d’Igor Stravinsky. L’apparition de Mangefeu est introduite par une version spectrale de La Marche pour la cérémonie des Turcs de Jean-Baptiste Lully. Pour interpréter la baleine qui avale Pinocchio, le contrebassiste Nicolas Crosse donne une version sauvage et virtuose de One of These Days des Pink Floyd.
L’Ensemble intercontemporain est un ensemble de solistes virtuoses, composé de personnalités fortes : chaque interprète maîtrise parfaitement les potentialités expressives propres à son instrument. Je cherche dans mon travail à distinguer au maximum les individualités des solistes, et, à travers l’incarnation des différents personnages, à créer un langage théâtral instrumental, une voix instrumentale qui ne passe pas par la vocalité. Vous jouez souvent sur les potentialités théâtrales et performatives du percussionniste. Est-ce le cas dans Pinocchio ?
Comment s’est opéré le choix de l’instrumentarium, assez peu canonique, avec voix, violoncelle, violon, cor et percussions ? Avez-vous pris en compte la personnalité des interprètes ?
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Oui, c’est le seul musicien, si l’on exclut la chanteuse, qui est mobile sur scène. C’est un personnage-clown dont tous les accessoires – les bracelets par exemple – sont sonores. C’est aussi lui qui, tel un régisseur, choisit et distribue les percussions aux enfants et aux autres solistes. Les autres musiciens sont aussi des personnages, mais ils ne sont pas mobiles. Ils représentent la forêt, la maison de la Fée : ils sont en scène, ils sont la scène.
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D’habitude, je choisis moi-même les interprètes. Pour cette pièce, le choix de l’instrumentarium s’est fait en discussion avec l’Ensemble intercontemporain, selon les potentialités des instruments et les personnalités des interprètes. C’est un effectif proche de celui de L’Histoire du Soldat, qui devait pouvoir camper toute la galerie des personnages singuliers que croise Pinocchio ; il rassemble donc des instruments assez incompatibles les uns avec les autres, un effectif étrange, presque clownesque.
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La création et ses aléas Création de ripple marks (2015) de Thierry De Mey, pour harpe, alto et clarinette, le 10 octobre 2015 à la Cité de la musique-Philharmonie de Paris.
Un souvenir de création ? Il y en a tant après dix années passées à l’Ensemble intercontemporain ! En général, cela se passe plutôt bien même si l’électronique se montre parfois capricieuse, comme par exemple ces séquences préenregistrées qui, quand elles partent, ne partent pas toujours au bon endroit… Mon dernier souvenir marquant en date est un trio pour harpe, alto et clarinette, l’une des parties de ripple marks de Thierry De Mey créé en octobre 2015. Les circonstances de cette création étaient particulières puisque nous étions en tournée en Chine quand nous avons reçu les partitions finales. Il nous était donc impossible de travailler, n’étant pas tous les trois au même endroit. Lorsque j’ai découvert la partition, mon impression fut mitigée : à première vue, je la trouvais assez simple à mettre en place en trio, et, dans le même temps, les parties séparées étaient extrêmement difficiles. En cause : des rythmes complexes et un système harmonique en quarts de ton. C’est donc fraîchement débarqués de Chine, en plein décalage horaire, que nous nous sommes attelés à cette aventure… audacieuse ! Le soir du concert, après une semaine de travail, nous entrons sur la scène obscure de la Cité de la musique, peu confiants. La tension est palpable. Nous nous installons dans le noir, et attendons que les lumières s’allument pour commencer. Nous attendons, attendons, et attendons encore, mais rien ne vient. Les minutes commencent à être longues et le stress augmente. Finalement, les techniciens finissent par entrer sur scène pour régler le problème, et nous avons pu commencer. C’est aussi ça, la création et ses aléas !
Saburo TESHIGAWARA, chorégraphie, décor, lumières et costumes
FLEXIBLE SILENCE
JEUDI 23 FÉVRIER, 19:30 VENDREDI 24 FÉVRIER, 20:30 SAMEDI 25 FÉVRIER, 20:30 DIMANCHE 26 FÉVRIER, 15:30 MARDI 28 FÉVRIER, 20:30 MERCREDI 1 MARS, 20:30 JEUDI 2 MARS, 19:30 VENDREDI 3 MARS, 20:30 PARIS THÉÂTRE NATIONAL DE CHAILLOT SALLE JEAN VILAR
Après l’opéra Solaris dont il avait conçu le livret, la mise en scène et la chorégraphie, sur une création musicale de Dai Fujikura, Saburo Teshigawara retrouve les solistes de l’Ensemble intercontemporain pour une nouvelle production chorégraphique sur des musiques de Toru Takemitsu et d’Olivier Messiaen. C’est dans le métissage entre musique japonaise et musique européenne que Toru Takemitsu a trouvé son esthétique si épurée et lumineuse. Une pureté à laquelle aspire également Teshigawara, dans son travail du geste, de la respiration et de la scénographie. Formé au mime et à la danse classique, le chorégraphe japonais a révolutionné la danse contemporaine en portant sur l’expression corporelle une attention extrême au détail. Dans la plus pure tradition des arts japonais.
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Musique Toru TAKEMITSU Air pour flûte Toward the Sea pour flûte en sol et guitare And then I knew it was wind pour flûte, alto et harpe Rain Spell pour flûte, clarinette, harpe, piano et vibraphone Les Yeux clos II pour piano For away pour piano Olivier MESSIAEN Fête des belles eaux pour sextuor d’ondes Martenot Rika Kato, Rihoko Sato, Saburo Teshigawara, Eri Wanikawa, danseurs Solistes de l’Ensemble intercontemporain Sextuor d’ondes Martenot du Conservatoire de Paris Rihoko Sato, assistante artistique Sergio Pessanha, coordination technique, assistant lumières Production et coordination Richard Castelli – Epidemic Coproduction Théâtre National de Chaillot, Ensemble intercontemporain, Conservatoire de Paris Tarifs 35€/27€/13€/11€ Réservations 01 53 65 30 00 / theatre-chaillot.fr
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Une quête de l’intensité – Propos recueillis par Pierre-Yves Macé – Jeune chef d’orchestre, Gregor A. Mayrhofer mène également une carrière de compositeur, avec un catalogue déjà riche de plusieurs pièces pour orchestre, voix, ensemble et électronique. Fasciné par les effets de la technologie sur les modes de vie de nos sociétés, il prépare une nouvelle œuvre qui sera créée le 10 janvier 2017 : Grand hommage à l’âge de la technique, d’après une sculpture d’Arnaldo Pomodoro. VENDREDI 24 FÉVRIER 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE EIC40
ROTHKO CHAPEL Avant le concert, à 19h La création en questions n° 3/5 Conférence de Jean-Luc Nancy, philosophe, sur le thème de la création « ex nihilo » Entrée libre
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Mark Rothko, Markus Lüpertz, Anselm Kiefer, Arnaldo Pomodoro : les sculptures et installations d’arts plastiques dans l’espace public de ces artistessont à l’origine de ce concert. Rothko Chapel de Morton Feldman a spécifiquement été conçu pour la chambre de méditation octogonale de la Fondation Menil à Houston, ornée de quatorze toiles du peintre américain. C’est dans la sculpture Hommage à Mozart de Markus Lüpertz, installée au cœur de Salzbourg, que Jay Schwartz a quant à lui cherché la matière sonore de M. pour baryton et ensemble. Plusieurs compositions de Matthias Pintscher sont directement inspirées par les œuvres d’Anselm Kiefer. C’est le cas de beyond (a system of passing) qui trouve son origine dans A.E.I.O.U., une installation du plasticien allemand. Enfin, c’est dans une œuvre du sculpteur et architecte italien Arnaldo Pomodoro : Grand hommage à l’âge de la technique, un grand relief de la façade de la Volkshochschule à Cologne, que le jeune compositeur et chef allemand Gregor Mayrhofer a trouvé le sujet de sa dernière création.
Pour commencer, pourriez-vous résumer brièvement votre parcours ? Quel a été votre premier contact avec la musique ? Quelles ont été les rencontres ou les événements déterminants qui vous ont amené à devenir compositeur ?
Jay SCHWARTZ M pour baryton et ensemble Création française
C Mes parents sont tous les deux musiciens, de sorte que mon premier contact avec la musique date littéralement d’avant ma naissance, lorsque j’étais encore dans le ventre de ma mère. Par la suite, j’ai commencé très tôt à improviser au piano, avant même de recevoir mes premières leçons « officielles ». J’avais alors beaucoup plus de plaisir à chercher ma propre musique qu’à m’entraîner sur d’autres morceaux. L’improvisation est peu à peu devenue composition, et la composition direction d’orchestre. J'ai toujours été intéressé par les différents aspects de la création du «moment musical», par la façon de le communiquer et de le percevoir. Ce qui explique aussi ma fascination durable pour le jazz. Après mes études de composition et de formation sonore à Munich, j’ai été très marqué par le travail plus intensif sur l’acoustique et la musique électronique live que j’ai pu faire au CNSMDP de Paris.
Matthias PINTSCHER beyond (a system of passing) pour flûte Gregor A. MAYRHOFER Grand hommage à l’âge de la technique, d’après l’œuvre du même nom d’Arnaldo Pomodoro pour ensemble Création française
Benjamin ATTAHIR Nouvelle œuvre pour ensemble Création française
Morton FELDMAN Rothko Chapel pour soprano, contralto, chœur mixte et instruments Evan Hughes, baryton Sophie Cherrier, flûte Les Cris de Paris Geoffroy Jourdain, chef de chœur Ensemble intercontemporain Gregor A. Mayrhofer, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif 18€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
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Vos pièces (je pense notamment à l’œuvre pour grand orchestre Doch heimlich dürsten wir..., d’après un poème de Hermann Hesse), sont animées d’un souffle et d’une sonorité très ronde et généreuse, assez rares dans la musique d’aujourd’hui… On pense presque à Bruckner. Parler de romantisme vous paraît-il pertinent pour évoquer votre musique ?
Vous êtes aujourd’hui chef d’orchestre et compositeur. Comment ces deux activités viennent-elles se compléter ? C
J’ai toujours voulu découvrir comment la musique fonctionne et ce qu’elle est vraiment. Pour cela, il ne me suffisait pas de simplement « penser » la musique, je voulais aussi savoir ce que l’on ressent à la « faire », c’est pourquoi j’ai aussi interprété moi-même beaucoup de mes pièces. Quant à la direction d’orchestre, c’est un rôle intermédiaire fantastique : on ne produit pas directement de son, mais on a une vue sur l’ensemble et il faut essayer de comprendre et de pénétrer une œuvre au plus profond de son être pour lui donner ensuite forme collectivement. Par ailleurs, chaque formation donne aussi à observer de multiples aspects psychologiques, sociaux et de dynamique de groupe, c’est passionnant. Par rapport à la composition, la direction d’orchestre est souvent un travail assez simple : malgré une liste interminable de choses qu’il faut apprendre et savoir, et qui exigent souvent beaucoup d’application et de discipline, l’objectif est toujours parfaitement clair. Dans la composition en revanche, je trouve que les grandes questions du « pourquoi ? » et du « comment ? » sont beaucoup plus complexes et demandent plus d’efforts : la musique doit-elle distraire ? Doit-elle plaire, et à qui doit-elle plaire ? Ou alors n’est-elle « bonne à rien » et juste là au titre de « l’art pour l’art » ? Le chef d’orchestre doit être communicatif et tirer le meilleur parti des structures existantes, tandis que le compositeur ne souhaite parfois que s’éloigner de toute société et se dresser contre toute forme établie afin de pouvoir développer une pensée nouvelle. Enfin, là où les choses deviennent passionnantes c’est lorsque tous – le chef d’orchestre et les interprètes – deviennent « compositeurs du moment », lorsqu’ils se mettent ensemble en quête de ces moments mystérieux et inexplicables qui voient naître l’art véritable.
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Non, dans le sens où le concept de «romantisme » implique à mes yeux un retour à cette période. Or, je ne veux pas reculer, mais avancer ; le temps lui aussi va uniquement vers l’avant. Je crois que nous vivons une génération passionnante, nous les jeunes compositeurs, car les positions les plus extrêmes font déjà partie du passé : les tentatives de créer une musique purement intellectuelle ou la plus émotionnelle possible, de donner une forme musicale au pire chaos, à l’organisation la plus parfaite ou au néant ont déjà eu lieu. Même les différentes «réorientations» du néoclassicisme, du néoromantisme, de ce qu’on a appelé la « nouvelle simplicité », voire de la polystylistique sont tous des courants qui ont vu le jour bien avant ma naissance. Nous vivons à une époque où nous pouvons en permanence disposer, le plus souvent pour presque rien, de toute l’histoire de la musique dans notre poche, sur notre téléphone portable ; c’est aussi pour cette raison qu’il n’est à mes yeux pas important qu’une musique actuelle ressemble à une autre d’il y a dix ou deux cents ans. Ce qui m’intéresse en revanche, c’est la question de l’intensité. Comment elle naît et les moyens extrêmement divers d’y parvenir : sentiments, formation sonore complexe des cinquante dernières années, improvisation effrénée de jazz, prise de conscience du contexte sociopolitique ou exploration passionnante de possibilités sonores électroniques nouvelles. Concernant cette recherche de l’intensité, aucune autre forme d’art ne m’a paru posséder un potentiel aussi important que la musique.
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Vos pièces semblent souvent naître d’une « stimulation » extramusicale : la littérature notamment (Kafka, Hesse) semble y tenir une grande part. C
Lorsque je compose, je n’ai pendant longtemps qu’un « sentiment » très vague ou une vision intérieure très floue de ce que sera la prochaine pièce. D’autres mouvements artistiques m’aident alors parfois à concrétiser mon idée. Plutôt que d’affirmer que mes idées musicales sont tirées de la littérature, on peut dire que les textes, les images ou les nouvelles connaissances scientifiques ont souvent un effet catalyseur et permettent, par le détour d’un « autre langage artistique », de donner une forme musicale concrète à quelque chose qui était déjà présent intérieurement. C’est l’élément déclencheur extérieur qui permet tout d’un coup de formuler.
frappé par son ambiguïté. Je ne sais pas dans quelle mesure il reflète la fascination sincère de Pomodoro pour la technique (que je partage absolument) ni si une connotation équivoque et sceptique à l’époque (que je partage aussi) était déjà présente. Aujourd’hui, ce nom prend naturellement une certaine dimension critique, voire ironique. J’y perçois bon nombre de thèmes actuels comme la surveillance permanente par les satellites et leur observation de la planète, sans compter ce que nous-mêmes fabriquons: des puces électroniques à l’échelle microscopique, d’immenses usines et des paysages industrialisés à l’échelle macroscopique. En même temps, on peut justement voir dans cet hommage ambivalent une référence à la puissance des nouveaux et invisibles « dieux de la technique » qui règnent sur notre temps et déterminent nos pensées. « Internet » dans son ensemble, aujourd’hui si présent et si important, basé sur ce même développement des micro-puces, n’est cependant pas un lieu, mais uniquement un tissu d’une infinie complexité composé de ce que nous pensons et savons, et de la manière dont nous communiquons. Comme Internet, la musique n’est rien de concret, mais un réseau de communications tout aussi abstrait et complexe entre le compositeur, le chef d’orchestre, les interprètes et le public. Et comme Internet aussi, elle n’est par nature ni bonne ni mauvaise, elle éclaire simplement différemment la manière dont nous réussissons ou ne réussissons pas à communiquer entre nous, les humains.
Pouvez-vous présenter votre nouvelle œuvre qui sera jouée le 10 janvier 2017 dans le cadre d’un concert dédié aux relations entre la musique et les arts plastiques ? Le titre, en particulier, est très intrigant : Grand hommage à l’âge de la technique… C
Le titre fait référence à une œuvre précoce du sculpteur Arnaldo Pomodoro, un grand relief de façade à Cologne. Là aussi, ma création ne sera pas une «mise en musique » de cette œuvre ; cette dernière a cependant cristallisé en moi quelques idées et réflexions. Deux choses m’ont fasciné dans cette œuvre d’art : d’abord, j’y ai immédiatement vu une image flottant entre puces d’ordinateur et images de Google Maps. Or, elle date de 1964, une époque où les photos satellites, et même les développements de l’informatique, n’en étaient qu’à leurs débuts. Consciemment ou inconsciemment, Pomodoro a créé quelque chose qui, des années plus tard, est devenu brusquement encore plus actuel et plus réel qu’il n’aurait pu l’imaginer au moment de sa création. En second lieu, ce titre m’a
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MERCREDI 8 MARS 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DE RÉPÉTITION – PHILHARMONIE
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BRAHMS / LIGETI Lorsqu’il compose son Trio pour violon, cor et piano en 1982, György Ligeti le conçoit « comme un hommage à Brahms, dont le Trio avec cor flotte dans les cieux musicaux comme un incomparable exemple. Cependant, il n’y a dans ma pièce aucune citation et aucune influence de la musique de Brahms ; mon Trio a été écrit vers la fin du XXe siècle, et il est, par sa construction et par son expression, une musique de notre temps.» Dans ce dialogue musical qu’ont imaginé conjointement les solistes de l’Ensemble intercontemporain et les musiciens de l’Orchestre de Paris, on découvrira les préoccupations communes des deux hommes, notamment pour les musiques folkloriques hongroises, leurs rythmes polymétriques et leurs formes si contrastées.
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Une énergie folle Création d’Asymétriade (2014) de Yann Robin, pour contrebasse et ensemble de quinze instrumentistes, le 29 novembre 2014 à l’Opéra de Nice.
Ce jour-là, j’ai enchaîné la création d’Asymétriade pour contrebasse et ensemble et Symétriade pour contrebasse et électronique, deuxième volet du diptyque de Yann Robin. C’était une expérience extrêmement éprouvante – à la fois physiquement et mentalement –, une véritable performance, qui relève autant de celle du musicien que de celle du sportif ou du plasticien sonore – tant j’ai le sentiment que Yann est un architecte sonore ! Hormis l’œuvre de Yann, que j’aime beaucoup, j’ai souvenir de cette énergie folle qui animait l’Ensemble au moment d’entrer en scène. Avant même de commencer sous la direction de Bruno Mantovani, je sentais tous les copains derrière moi, toute leur attention, toutes leurs forces dirigées vers moi pour mieux me porter. Comme disait Pierre Boulez, on se sentait « dans la famille »…
Johannes BRAHMS Trio en mi bémol majeur, op. 40 pour violon, cor et piano György LIGETI Trio pour violon, cor et piano György LIGETI Études pour piano : premier livre, n° 1, « Désordre » Johannes BRAHMS Fantasien, op. 116 : IV. « Intermezzo (Adagio) » pour piano Musiciens de l’Orchestre de Paris Solistes de l’Ensemble intercontemporain Coproduction Ensemble intercontemporain, Orchestre de Paris, Philharmonie de Paris Tarif 20€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
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40 ANS. UN BEL ÂGE POUR FAIRE LE POINT ET SE PROJETER VERS DE NOUVEAUX HORIZONS. CES TROIS CONCERTS ANNIVERSAIRE METTENT CHACUN EN VALEUR LES FORCES D’UNE HISTOIRE QUI N’A PAS FINI D’ÊTRE ÉCRITE : UN RÉPERTOIRE VASTE E T V A R I É , L’ H É R I T A G E SOLIDE DE SON FONDATEUR, PIERRE BOULEZ, ET UN SOUFFLE CRÉATIF INEXTINGUIBLE.
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3 CONCERTS POUR FÊTER L’ E N S E M B L E I N T E R C O N T E M P O R A I N MAINTENANT À LIVRES OUVERTS_17.03.17 HOMMAGE À PIERRE BOULEZ_18.03.17 GENESIS_30.03.17
– Pierre Boulez, 1966.
VENDREDI 17 MARS 19:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE
Livre 1 (1977-1987) Œuvres et extraits d’œuvres de Luciano Berio, Pierre Boulez, Franco Donatoni, Gérard Grisey, György Kurtág, György Ligeti et Iannis Xenakis. Livre 2 (1987-1997) Œuvres et extraits d’œuvres de George Benjamin, Harrison Birtwistle, Elliott Carter, Marc-André Dalbavie, Pascal Dusapin, Ivan Fedele et Wolfgang Rihm.
À LIVRES OUVERTS Pour cette première grande soirée anniversaire, les solistes de l’Ensemble ouvriront quatre « livres musicaux », un pour chaque décennie passée. Au fil des pages de ces livres, on entendra des œuvres qui sont au cœur du répertoire de l’Ensemble (Concerto de chambre de Ligeti, Rebonds de Xenakis, Five Distances de Birtwistle), ainsi que quelques-unes de ces multiples créations qui ont jalonné son histoire (Modulations de Grisey, Tema de Donatoni, Entrelacs de Maresz, Fragments pour un portrait de Manoury). Mais une fête ne serait pas une fête sans son lot de surprises et de rencontres inattendues. Une manière de dire que l’Ensemble, jeune quarantenaire, garde intact son enthousiasme et son désir de partage.
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Livre 3 (1997-2007) Œuvres et extraits d’œuvres de Jonathan Harvey, Unsuk Chin, Philippe Hurel, Philippe Manoury et Yan Maresz. Livre 4 (2007-2017) Œuvres et extraits d’œuvres de Peter Eötvös, Michael Jarrell, Bruno Mantovani, Matthias Pintscher et Yann Robin. Programme complet sur ensembleinter.com Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarifs 25€/20€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
SAMEDI 18 MARS 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS GRANDE SALLE – PHILHARMONIE
Arnold SCHÖNBERG Symphonie de chambre n° 1, op. 9 pour quinze instruments solistes
HOMMAGE À PIERRE BOULEZ Avant le concert, à 19h45 Clé d’écoute avec Clément Lebrun Entrée libre
Tous ceux qui l’ont croisé peuvent en témoigner : Pierre Boulez allait toujours de l’avant. Depuis sa création, l’Ensemble intercontemporain tourne lui aussi inlassablement son regard vers l’avenir, conscient de son histoire. Ce concert se veut un hommage à son fondateur, mais un hommage qui replace l’homme, son œuvre et son action dans une perspective historique en plongeant dans ses racines, représentées ici par Arnold Schönberg et Anton Webern.
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Anton WEBERN Cinq Pièces, op. 10 pour orchestre Trois Textes populaires, op. 17 pour voix, violon, clarinette et clarinette basse Cinq Canons sur des textes latins, op. 16 pour soprano, clarinette et clarinette basse Concerto, op. 24 pour neuf instruments Trois Lieder, op. 18 pour soprano, petite clarinette et guitare Cinq Lieder spirituels, op. 15 pour soprano et ensemble Trois Lieder orchestrés, op. posthume pour voix et orchestre Deux Lieder, op. 8 pour soprano et ensemble Pierre BOULEZ sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussions-claviers Yeree Suh, soprano Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarifs 30€/26€/22€/17€/13€/10€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
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Au plus près des créateurs
Spectral et théâtral
Création de Mit Ausdruck (2003) de Bruno Mantovani, pour clarinette basse et orchestre le 8 octobre 2003 à Bamberg et du triptyque Art of Metal (2006-2008) de Yann Robin le 7 juin 2008, au Centre Pompidou (Paris).
Création de Modulations (1976) de Gérard Grisey le 9 mars 1978, au Théâtre de la Ville à Paris.
Modulations, c’est l’une des toutes premières commandes et créations de l’Ensemble intercontemporain au grand complet. Pour moi, ce fut surtout ma première rencontre avec la musique spectrale, et avec l’œuvre de cet immense compositeur qu’était Gérard Grisey. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai découvert le cycle des Espaces acoustiques, dont Modulations est le quatrième volet, et que nous avons joué par deux fois dans son intégralité avec des étudiants du Conservatoire : le cycle s’ouvre sur une pièce soliste et l’effectif s’enrichit jusqu’à atteindre cent musiciens pour la dernière partie. J’ai tout de suite aimé cette pièce, non seulement parce qu’elle fait office de manifeste pour la musique spectrale – ce processus acoustique qui renouait avec le son pur et ses composantes et dont je pouvais déjà entrevoir tout le potentiel –, mais aussi pour son petit clin d’œil à la théâtralité. Je dus toutefois attendre quatre ans pour rencontrer Gérard Grisey : en 1982, j’ai eu la chance de travailler directement avec lui et Michel Arrignon à la création de Solo pour deux, pour clarinette et trombone.
Ce sont des collaborations avec plusieurs compositeurs qui m’ont le plus ouvert les yeux sur la création et ses mécanismes. Parmi elles, les relations amicales et professionnelles que j’entretiens avec Bruno Mantovani et Yann Robin. J’ai créé avec le premier Mit Ausdruck en 2003, en dehors de l’Ensemble intercontemporain – car c’est aussi ça être soliste de l’ensemble : transmettre aux autres ensembles et orchestres cet amour pour les créations – et le triptyque Art of Metal entre 2006 et 2008 avec le second. Ces deux rencontres sont sans doute celles qui ont le plus marqué les vingt ans que j’ai passés à l’Ensemble intercontemporain. Pourquoi ? Parce que, au-delà de leurs qualités compositionnelles propres, ce sont deux musiciens à l’identité remarquable, deux personnalités jeunes, remplies d’espoir pour les talents à venir. Ce sont aussi, au sein de leur génération, deux avant-gardistes animés par la volonté d’être au plus près des musiciens pour lesquels ils écrivent. Nous ne nous lassons pas de remettre, le plus souvent possible, leurs partitions sur le pupitre, pour le plus grand plaisir de nos oreilles. Tous deux ont de surcroît une grande affection pour notre ensemble, ce qui aide au rayonnement de l’école française de création et contribue à faire de nous un chaînon essentiel de l’histoire de la musique, comme Pierre Boulez l’a toujours souhaité.
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JEUDI 30 MARS 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE
Créations mondiales de sept œuvres pour ensemble sur les sept jours de la création selon la Genèse.
Chaya CZERNOWIN premier jour Marko NIKODIJEVIC deuxième jour Franck BEDROSSIAN troisième jour Anna THORVALDSDOTTIR quatrième jour Joan MAGRANÉ FIGUERA cinquième jour Stefano GERVASONI sixième jour Mark ANDRE septième jour
GENESIS Avant le concert, à 19h La création en questions n° 4/5 Rencontre avec les compositeurs du projet « Genesis » Entrée libre
« Genesis » est un manifeste de l’une des missions essentielles de l’Ensemble depuis sa fondation : la création. Matthias Pintscher, directeur musical de l’Ensemble intercontemporain, a eu l’idée de proposer à sept compositeurs de créer chacun une œuvre à partir de l’un des sept jours de la création selon le récit biblique de la Genèse. Un thème original, et peut-être un peu intimidant, qui leur permet en outre de donner leur vision propre du processus créatif : création ex nihilo, renouvellement ou extrapolation de matériau déjà existant, etc.
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Commandes de l’Ensemble intercontemporain
Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif 18€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
C VOIR AUSSI LES ENTRETIENS AVEC LES SEPT COMPOSITEURS DU PROJET GENESIS PAGES 68-71
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Les sept compositeurs du projet « Genesis » présentent chacun leur création et s’expriment plus largement sur leur activité de créateur. Nous leur avons posé les deux questions suivantes :
1/ Comment décririez-vous votre création et sa relation particulière
1/ Je ne me sens nullement contraint, mais plutôt inspiré par le texte, par sa signification et sa substance poétique, à un niveau symbolique comme pictural. L’idée et l’image des eaux qui se séparent en paradis (en haut) et océans (en bas) sont hautement musicales. Ma pièce consistera en un processus simple, unique et irréversible ; ce sera, au sens large, une sorte de peinture de sons (tone painting).
au texte de la Genèse, qui en est le point de départ ?
2/ Comment vous définiriez-vous en tant que créateur ? Et comment décririez-vous ce qui vous amène à créer une œuvre musicale ?
PREMIER JOUR PA R C H AYA CZERNOWIN Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre était un chaos, elle était vide ; il y avait des ténèbres au-dessus de l’abîme, et le souffle de Dieu tournoyait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Qu’il y ait de la lumière ! » Et il y eut de la lumière. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière « jour », et il appela les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour.
1/ Afin de pouvoir composer, j’ai besoin de trouver un point de connexion au texte, quelque chose qui illumine mon imagination. Dans le texte du premier jour de la Genèse, ce fut la phrase suivante : « La terre était un chaos, elle était vide ; il y avait des ténèbres au-dessus de l’abîme, et le souffle de Dieu tournoyait
au-dessus des eaux ». Comment peuvent sonner l’informe, le vide de la terre et l’« abîme » ? Le texte nous dit également que ce « vide » était contemplé : « … le souffle de Dieu tournoyait au-dessus des eaux ». Je trouve très frappant l’écart entre le chaos, le vide et l’abîme, et cette présence divine qui est simplement là, à observer d’en haut. Ce ne sont là que des métaphores, mais elles exposent pour moi déjà clairement des problématiques musicales. Je sais d’ores et déjà que je vais devoir traiter la question du vide, avec une trame temporelle informe. La présence qui « survole » prendra forme plus tard, et elle permettra sans doute de clarifier tout ce qui relève des ténèbres, de l’informe, de l’instable et de l’invisible.
2/ Chacune de mes compositions prend place au sein de mon œuvre. J’ai à mon actif un assez large catalogue de pièces qui est comparable à une créature. Celle-ci a sa façon de fonctionner, 70
de penser : elle développe une forme de conscience d’elle-même et elle sait à quel endroit elle doit changer, progresser, se développer. Ainsi, je ne peux pas dire que je crée « ex nihilo », ce serait pour moi délirant ; je dirais plutôt que j’ai élaboré un « organisme de pensée ». Cet organisme, j’éprouve le besoin constant de le mettre au défi, de l’élargir et de le questionner, de manière à ce qu’il puisse se développer plus avant en tant qu’interprète fidèle de ma relation au monde.
2/ Mon approche varie selon la pièce que je compose. Parfois, je pars de rien, imaginant une procédure compositionnelle ou un système strict qui évoluerait ensuite vers un matériau musical (auto-)développé. Il m’arrive sinon de reprendre un fragment de mes esquisses antérieures, ou de partir d’un échantillon d’un autre compositeur (Gesualdo est pour moi une source intarissable). C’est un mélange de calcul et d’intuition, de processus rigoureux et de résultats inattendus – comme s’il s’agissait de trouver un chemin dans un labyrinthe : parfois, on se perd, parfois on trouve tout de suite la sortie, et occasionnellement, on découvre un chemin dont on ne soupçonnait pas l’existence.
DEUXIÈME JOUR PAR MARKO NIKODIJEVIC
TROISIÈME JOUR PAR FRANCK BEDROSSIAN
Dieu dit : « Qu’il y ait une voûte au milieu des eaux pour séparer les eaux des eaux ! » Dieu fit la voûte ; il sépara les eaux qui sont au-dessous de la voûte et les eaux qui sont au-dessus de la voûte.
Dieu dit : « Que les eaux qui sont au-dessous du ciel s’amassent en un seul lieu, et que la terre ferme apparaisse ! » Il en fut ainsi. Dieu appela la terre ferme « terre », et il appela la masse des eaux « mer ». Dieu vit que cela était bon. Dieu dit : « Que la terre donne de
la verdure, de l’herbe porteuse de semence, des arbres fruitiers qui portent sur la terre du fruit selon leurs espèces et qui ont en eux leur semence ! » Il en fut ainsi.
1/ Si l’on s’en tient à la description du troisième jour dans le texte biblique, l’on peut constater qu’elle est déjà riche de possibilités. Elle suggère notamment formes, morphologies et mouvements – et, par extension, ce que certains plasticiens pourraient appeler le « rendu matiérique » : contrastes entre l’eau et le sec de la terre ferme, apparition de nouvelles espèces, dynamismes opposés. Les deux étapes distinctes de ce troisième jour (séparation de l’eau et de la terre ; création de la végétation) induisent également une forme de diptyque, un ensemble de causalités, de divisions, un mouvement anthropique lié à l’apparition de la végétation en plusieurs espèces. Autrement dit, la dimension dynamique et contrastante de ce troisième jour, sa « dramaturgie sans personnages » me parle, sans pour autant me contraindre. Je prends ces éléments comme autant de possibles, tout en sachant que l’écriture et le temps de la composition révéleront d’autres voies que celles envisagées dans un premier temps.
2/ À l’origine, ce ne sont pas les processus qui me conduisent à créer une œuvre musicale, ce sont les affects. Justement, il semble que ces affects, ces émotions, cherchent leur forme et que pour cette raison, un certain nombre de processus et de techniques spécifiques seront mis en œuvre. Mais je ne réduirais pas pour autant la composition à la 71
mise en forme d’une émotion, ou même d’un concept quel qu’il soit. Je crois davantage à la beauté des collisions : notamment celle de l’affect et de la dimension technique, se modelant l’un l’autre à la faveur d’une chimie complexe organisée par le compositeur lors du processus de création. Quant à la question de la matière… c’est, en ce qui me concerne, le son lui-même qui en est le centre de gravité, pris dans sa dimension physique, historique et musicale. La possibilité d’une apparition « ex nihilo », si elle fait sens dans le cadre de ce projet autour de la Genèse, m’est étrangère, car j’ai bien conscience de composer cette fois-ci pour des instruments qui sont pour la plupart issus de la tradition symphonique. Ils ont chacun leur histoire, et le rapport à la tradition est donc posé a priori. Toutefois notre approche du monde instrumental symphonique a été profondément modifiée par les nouvelles technologies. L’expérience et les pratiques liées à l’électronique m’ont permis – et c’est le cas pour beaucoup de compositeurs – d’écouter le monde instrumental bien différemment, et elles ont influencé mon écriture. Outre le fait de découvrir de nouveaux matériaux et de s’y confronter, le défi du compositeur consiste également à proposer une nouvelle écoute, des fonctions et situations musicales inédites. Tout cela implique non pas d’ignorer le passé mais d’avoir acquis une conscience lucide et créative de l’histoire pour finalement aboutir à une perception renouvelée, tournée vers le futur.
Q U AT R I È M E J O U R PAR ANNA THORVALDSDOTTIR Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires dans la voûte céleste pour séparer le jour et la nuit ! Qu’ils servent de signes pour marquer les rencontres festives, les jours et les années, qu’ils servent de luminaires dans la voûte céleste pour éclairer la terre ! » Il en fut ainsi. (…)
ne prenne jamais en charge le processus créatif. C’est-à-dire que si j’estime que le système que j’ai élaboré ne génère pas le résultat souhaité, alors je l’abandonne et j’en trouve un autre. Je travaille rarement avec du matériau préexistant ; je préfère que les structures, les sons et les harmonies que je convoque soient chaque fois le fruit de l’approche intérieure et intuitive.
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Je travaille en m’inspirant de la lumière et de l’obscurité, des contrastes entre les deux, et des différents degrés de « lumière imposante » et de « lumière moindre », tels qu’ils sont décrits dans la création au quatrième jour. Je m’inspire aussi de la structure des saisons et des relations entre le soleil, la lune et les étoiles. Je me laisse intuitivement influencer par ces idées qui ont pour moi de très fortes résonances et connexions musicales.
2/ Mon rapport à la composition est très intuitif : au départ, lorsque je commence à travailler sur une nouvelle pièce, je prends tout le temps dont j’ai besoin pour rêver de la musique et écouter intérieurement les sons et la structure de la pièce. En ce sens, donc, je suis une compositrice plutôt introvertie. Lorsque j’ai trouvé les idées initiales pour une œuvre, j’écris des esquisses pour les fixer et garder une mémoire de la musique. Puis, quand j’ai une vue claire de ce à quoi ressemblera l’œuvre, alors je commence à l’écrire sur papier. À ce stade, je mobilise différents systèmes et techniques pour créer la musique, mais je fais en sorte que le système
CINQUIÈME JOUR PAR JOAN MAGRANÉ FIGUERA Dieu dit : « Que les eaux grouillent de petites bêtes, d’êtres vivants, et que des oiseaux volent au-dessus de la terre, face à la voûte céleste ! » Dieu créa les grands monstres marins et tous les êtres vivants qui fourmillent, dont les eaux se mirent à grouiller, selon leurs espèces, ainsi que tout oiseau selon ses espèces.
1/ Le contenu textuel de la Genèse – la succession des sept jours et chaque jour en soi – présente lui-même la forme et la construction claire d’une composition musicale. Le Créateur nomme ses créatures, les multiplie et les développe dans toutes les formes possibles : on ne se trouve pas très loin du processus de travail du compositeur. Dans ma pièce, je compte me servir des chiffres 5 et 7 (références respectives au cinquième jour et au nombre total de jours de la création) pour l’élaboration de la structure formelle, du matériel intervallique et des combinaisons instrumentales. Les trois 72
percussionnistes – saisis comme une unité – formeront avec la harpe et le piano une sorte de basso continuo. La durée de la pièce, dix minutes, sera structurée par deux proportions temporelles : 5:5 et 7:3.
2/ Cela fait déjà un certain temps que ma façon de penser la musique et la création s’est éloignée de la pure abstraction structurelle. Les sources dont je me sers comme impulsion sont multiples et diverses. Mon processus créatif – pas du tout systématique, il change et s’adapte selon le projet en question – est plus ou moins toujours le même : entamer d’abord un long chemin de réflexion et de mise en relation de tout ce qui forme l’impulsion de la pièce (les sources d’inspiration, les interprètes qui la joueront), pour ensuite, à partir de croquis et schémas, aller chercher le détail. Je cherche toujours à canaliser les idées dans cette direction qu’il faut imposer à la volonté expressive pour lui donner un sens, une forme, et trouver l’indispensable équilibre entre la passion brute et l’exigence de rigueur. Au niveau logistique, mes outils sont toujours les mêmes – hormis les oreilles – : le crayon et le papier.
SIXIÈME JOUR PAR STEFANO GERVASONI Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leurs espèces : bétail, bestioles, animaux sauvages, chacun selon ses espèces ! » Il en fut ainsi. Dieu dit : « Faisons les humains à notre image, selon notre ressemblance, pour qu’ils
dominent sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur toutes les bestioles qui fourmillent sur la terre. » Dieu créa les humains à son image : il les créa à l’image de Dieu ; homme et femme il les créa. Dieu les bénit ; Dieu leur dit : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. » (…)
1/ Dans toute la Genèse, on assiste à un double processus de séparation et de raffinement. Le Créateur distingue au sein d’une matière chaotique des entités qu’il nomme, et qui nomment à leur tour d’autres entités, etc. Pour ma pièce, j’aimerais développer cette idée de séparation en créant au sein du tutti deux groupes instrumentaux, deux organismes distincts, qui à leur tour vont créer d’autres regroupements. Mais ce geste de séparation garde une sorte de « nostalgie » de la fusion originelle, qui n’est jamais oubliée. Ma journée est celle des hommes et des animaux, deux entités à la fois séparées et unies : chez l’homme, il y a une part d’animalité, tandis que chez les animaux, il y a une composante humaine. Si l’on transpose cela en musique, la composante animale serait ce qui relève de la nature, l’acoustique, tandis que la partie humaine serait les données linguistiques (harmonie, contrepoint, rythme) par lesquelles on essaie de dompter cette matière : l’« homme qui nomme » décrypte les lois de l’univers sonore, maîtrise et paramètre ses aspects pour s’en servir de façon expressive. Cette question de la part animale
est particulièrement vive dans la musique d’aujourd’hui, cette « musique du son » – musique « sonique » ou « sonale » – qui fait suite aux musiques modale et tonale. Toute la question, dans cette évolution, c’est d’arriver à regarder ce que l’on laisse derrière soi, de parvenir à intégrer de nouvelles modalités expressives sans oublier les précédentes.
2/ On pourrait dire, pour schématiser, qu’il y a des compositeurs qui ont tendance à penser l’histoire de la musique comme un phénomène rectiligne, purement évolutif, d’autres qui se sont toujours demandés comment revenir en arrière, réélaborer une matière déjà reçue, et d’autres encore qui peuvent parcourir l’histoire et le présent dans les deux sens, comme un va-et-vient permanent, un court-circuit qui active sans cesse la création. Imaginer que l’on écrit quelque chose de nouveau est fondamental ; sans cela, on n’écrirait pas. Mais pour moi, il est important d’entretenir un rapport vigilant avec l’histoire, d’avoir conscience que ce que l’on écrit peut très bien avoir été déjà écrit par d’autres. Pour composer, mes points de départ sont multiples : un morceau tiré d’une pièce du passé, un fragment de soundscape enregistré n’importe où, un geste instrumental, un rythme, ou bien une parole… L’important est que je puisse avoir la sensation profonde d’avancer, de me renouveler à chaque nouvelle œuvre, quitte à dérouter mon auditoire. Emprunter un chemin déterminé et dire au public, « voici le chemin, suivez-moi », c’est une démarche qui ne me ressemble pas. Je préfère que 73
l’auditeur fasse l’effort de retrouver les lignes de force souterraines qui peuvent relier des situations expressives opposées.
SEPTIÈME JOUR PAR MARK ANDRE Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et toute leur armée. Le septième jour, Dieu avait achevé tout le travail qu'il avait fait; le septième jour, il se reposa de tout le travail qu’il avait fait. Dieu bénit le septième jour et en fit un jour consacré, car en ce jour Dieu se reposa de tout le travail qu’il avait fait en créant (…)
1/ Ma pièce traitant du septième jour de la Création selon la Genèse se nomme riss 1 (fissure) : elle est en lien avec la biographie de Jésus de Nazareth, baptisé dans le Jourdain, fleuve coulant dans la vallée la plus basse du monde. Durant la Passion, le ciel se fissure. Ainsi, des interstices entre des familles de temps et de sons marqueront la respiration de la pièce.
Source : textes des chapitres 1 et 2 du livre de la Genèse, extraits de la Nouvelle Bible Segond.
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Maïeutique acoustique
Un laboratoire de composition
Création d’…explosante-fixe… (1991-1993) de Pierre Boulez, pour flûte solo, deux flûtes, ensemble et électronique, le 24 janvier 1994 au Théâtre du Châtelet.
Création de sur Incises (1996-1998) de Pierre Boulez, le 30 août 1998 à Edimbourg. Création partielle le 27 avril 1996 à Bâle.
sur Incises est la première œuvre de Pierre Boulez que j’ai jouée au sein de l’Ensemble, et sous sa direction. Nous étions en 1996, et il s’agissait de la création de la première version qu’il avait écrite à l’occasion des 90 ans de Paul Sacher. J’étais un peu tendu, d’autant que la partition est arrivée très tard, trois jours avant la répétition. À l’époque, Pierre Boulez n’en avait composé que cinq minutes, au milieu desquelles il avait inséré la Toccata (partie rapide) originale d’Incises, comme une cadence de concerto pour piano – la partie soliste étant interprétée par Dimitri Vassilakis. Deux ans plus tard, à l’été 1998, nous avons enfin découvert une première version longue, avec David Robertson à Edimbourg. À nouveau, la partition d’une trentaine de pages nous était arrivée sur le tard, pendant nos vacances. L’œuvre avait totalement changé, décuplant quasiment sa durée. Ce qui m’a le plus impressionné, c’est ce sentiment que, alors qu’il dirigeait la pièce ou assistait à une répétition, Boulez semblait absorbé dans ses recherches musicales – comme si celles-ci l’occupaient en continu. Chaque exécution, chaque répétition était l’occasion pour lui de changer, de modifier, d’améliorer. Le processus était fascinant : l’œuvre était toujours en devenir. Il a ainsi testé toutes les vitesses possibles, les tempi les plus impossibles à tenir, jusqu’à trouver enfin un équilibre. Nous étions son laboratoire de composition. Nous l’assistions dans ses expériences.
Ce qui était le plus fascinant, c’était de trouver au matin sur le pupitre une musique qui avait certainement été écrite dans les semaines, voire les jours précédents. La copiste d’Universal Edition était là avec les partitions à peine collées, tout juste éditées. C’était comme si nous les découvrions en temps réel, à mesure qu’elles étaient composées. Même si l’importance d’une œuvre comme celle-ci n’apparaît qu’a posteriori, jouer pour la première fois une musique de cette envergure est toujours émouvant. Sur le moment, cela paraît tellement naturel ! Et pourtant, c’est l’histoire de la musique en train de s’écrire. Ce qui était encore plus remarquable – et perceptible –, c’est que Pierre Boulez lui-même était manifestement très anxieux d’entendre sa musique pour la première fois. Aujourd’hui, les compositeurs disposent de toutes sortes de logiciels qui leur permettent de se faire une idée plus ou moins juste de ce qu’ils écrivent. Ce n’était pas le cas à l’époque. Ces premières répétitions représentaient donc autant un avènement pour le compositeur qu’une création pour les interprètes. Bien que très expérimenté dans le domaine, Pierre n’en assistait pas moins à la naissance acoustique de son œuvre – et nous en étions les sages-femmes.
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DIMANCHE 23 AVRIL 20:00 ZAGREB ZAGREB YOUTH THEATRE – ISTRIA HALL 29 T H MUSIC BIENNALE ZAGREB
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ARCHITECTURES MUSICALES L’une des grandes surprises du voyageur lorsqu’il découvre la capitale croate est sans doute la cohabitation d’architectures de styles et de périodes très variés. Bien que totalement français, le programme de ce concert reflète à sa façon cette variété architecturale. Dans L’Asie d’après Tiepolo, Hugues Dufourt s’inspire de la voûte peinte par l’artiste vénitien dans la Résidence de Würzburg et dessinée par Balthasar Neumann, représentation allégorique de l’Asie remplie de marqueurs architecturaux. Dans Streets, Bruno Mantovani évoque pour nous la formidable « jungle » architecturale de New York. Quant à Pierre Boulez, on sait combien l’architecture nourrissait son imaginaire…
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SAMEDI 29 AVRIL 20:00 BRUXELLES ÉGLISE NOTRE-DAME DE LA CHAPELLE
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Dépassement et transcendance Création de la version définitive de Dérive 2 de Pierre Boulez, dans le cadre du festival d’Aixen-Provence, le 13 juillet 2006.
Dérive 2 est la seule pièce de Pierre Boulez que j’ai jouée à sa création, et ce fait seul suffit à la rendre unique à mes yeux. C’est, encore une fois dans le cas de Pierre, une œuvre écrite et développée en plusieurs versions successives, un work in progress. Lorsque je l’ai jouée pour la première fois, en 2002, elle durait une vingtaine de minutes. En 2006, une cinquantaine. Je me souviens encore de ce mois de juillet à Aix-en-Provence, de la chaleur étouffante, de la coupe du monde de football, de l’exposition Cézanne, et du travail acharné autour de Dérive 2. La pièce avait désormais une ampleur difficile à appréhender, et Pierre n’avait de cesse de chercher le meilleur moyen de rendre justice à sa propre écriture. Il avait beau en être le compositeur, il la dirigeait en véritable interprète, pragmatique, impétueux, astucieux. Je me souviens m’être dit : « C’est une musique de dément ! » Je savais qu’il me faudrait encore bien du travail et bien des exécutions pour parvenir à me l’approprier. Encore aujourd’hui, je repense à cette sensation de dépassement et de transcendance que j’avais ressentie alors.
Hugues DUFOURT L'Asie d'après Tiepolo pour ensemble Création nationale
Bruno MANTOVANI Streets pour ensemble Création nationale
Pierre BOULEZ Dérive 2 pour onze instruments Berislav ŠIPUŠ Nouvelle œuvre pour ensemble Création mondiale Commande Croatian Composers’ Society Music Biennale Zagreb
Ensemble intercontemporain David Fulmer, direction Renseignements www.mbz.hr
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D’UN MILLÉNAIRE À L’ A U T R E
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Comme un messager
Lorsqu’on visite un musée, il n’est pas rare que le simple seuil d’une porte nous fasse faire des bonds à travers les siècles. Pour ce concert dans le cadre de l’Église Notre-Dame de la Chapelle à Bruxelles, l’Ensemble et les Solistes XXI nous feront voyager eux aussi du Moyen Âge à aujourd’hui, avec un programme faisant dialoguer des œuvres modernes et contemporaines d’Edgard Varèse, György Ligeti, et Joan Magrané Figuera avec celles, médiévales, de Guillaume Dufay, Johannes Ciconia et Guillaume de Machaut.
Création de Sequenza XII (1995) de Luciano Berio, pour basson, le 15 juin 1995 au théâtre du Châtelet.
Avec la Sequenza XII, Luciano Berio a marqué le répertoire pour basson de son empreinte. Je dirai même qu’il a transcendé l’instrument ! Et j’ai eu la chance de l’assister en cela. Cette Sequenza XII est en effet l’aboutissement d’un long travail commun que nous avons commencé en 1987, et qui s’est prolongé, même après la création de l’œuvre en 1995 et sa publication en 1998, jusqu’à la mort de Berio, en 2003. En plus d’être une pièce fondamentale pour le basson, celle-ci m’a également permis de travailler conjointement avec Berio et Pierre Boulez ! À la même période, je travaillais en effet avec Pierre sur une version pour basson de Dialogue de l’ombre double – qui, comme Berio aimait à me le rappeler, était un cadeau que lui avait fait Pierre pour son soixantième anniversaire. J’allais ainsi de l’un à l’autre, parlant à chacun des recherches et des évolutions de la pièce pour basson de son ami : j’étais comme un messager. Souvent le public pense que les grands compositeurs gardent une certaine distance vis-à-vis des interprètes. C’est tout le contraire. Et je ne parle pas uniquement des rapports humains, mais aussi de ce respect immense qu’ils nourrissent pour le travail du technicien qu’est l’instrumentiste. Boulez comme Berio étaient de très grands orchestrateurs, et c’est sans aucun doute grâce à cette curiosité et à ce sens aigu de l’observation et de l’écoute des instrumentistes.
Edgard VARÈSE Octandre pour huit instruments Guillaume de MACHAUT Messe de Nostre Dame : « Kyrie » et « Gloria » Johannes CICONIA O rosa bella Guillaume DUFAY Lamentatio sanctae matris ecclesiae constantinopolitanae Salve flos Tuscae gentis/Vos nunc, Etruscorum iubar, salvete puellae ! György LIGETI Concerto de chambre pour treize instrumentistes Josquin DESPREZ Doleur me bat Joan MAGRANÉ FIGUERA Fragments d’Ausiàs March pour cinq voix et ensemble Création nationale
Josquin DESPREZ Plusieurs regretz Solistes XXI Rachid Safir, chef de chœur Ensemble intercontemporain Bruno Mantovani, direction Dans le cadre de Early Visions Week-end, produit par BOZAR Renseignements et réservations bozar.be
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JEUDI 4 MAI 20:00 COLOGNE PHILHARMONIE ACHTBRÜCKEN
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PORTRAIT UNSUK CHIN Acht Brücken (littéralement : « Huit ponts ») est un rendez-vous majeur de la création musicale à Cologne. Créé en 2011, le festival en est aujourd’hui à sa septième édition, et l’Ensemble s’y produit régulièrement. Il y propose cette fois un concert-portrait de la compositrice coréenne Unsuk Chin, déclinant musique d’ensemble (Gougalo ¯n, qui ressuscite les spectacles de rue de Séoul dans les années 1960 où a grandi la compositrice), musique concertante (le Double Concerto pour piano et percussion, œuvre archétypique de son inimitable génie de marieuse de timbres), musique de chambre (cosmigimmicks, savoureuse pantomime) et musique pour percussions (Allegro ma non troppo, dont le titre délibérément ironique et historicisant cache une œuvre d’une grande théâtralité).
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En territoire musical vierge Création de Vulcano (2009-2010), pour grand ensemble, de Yann Robin, le 8 octobre 2010, dans le cadre du Festival Musica, à la Cité de la musique et de la danse de Strasbourg.
Avant même de découvrir la partition, Vulcano ne m’était pas inconnue. Yann Robin est un ami dont je suis le parcours de compositeur depuis nos années passées ensemble au CNSMD. Il m’avait parlé de l’œuvre et je connaissais toute la réflexion qui l’étayait – mes attentes étaient d’autant plus importantes quant au résultat sonore. Je me souviens de cette première répétition sous la baguette de Susanna Mälkki. D’emblée, nous avons filé l’œuvre en entier. Cela faisait bien deux bonnes années que j’appartenais à l’Ensemble intercontemporain, mais c’est ce jour-là que j’ai compris, pour la première fois, l’immense privilège d’être aux premières loges pour écouter le rendu musical d’une partition jamais entendue jusque-là. J’ai été pris d’une émotion extrêmement forte. Peut-être toutes nos conversations au sujet de la pièce m’avaient-elles conditionné, mais je me suis véritablement senti immergé dans un volcan ! Je me souviens aussi de la surprise, voire de la déception de certains de mes collègues, même parmi les très proches de Yann. C’était une écriture âpre et difficile, notamment pour les cordes qui n’avaient quasiment jamais une « vraie » note à jouer. Toutefois, passé le choc de la première lecture, j’ai senti au sein de l’Ensemble une adhésion progressive. Chacun son tour, les solistes se sont totalement impliqués dans la pièce, jusqu’à ce que l’enthousiasme l’emporte lors de la création. Et ainsi jusqu’à l’enregistrement.
Unsuk CHIN cosmigimmicks. Pantomime musicale pour sept instrumentistes Doppelkonzert pour piano, percussion et ensemble Allegro ma non troppo pour percussion et bande Gougalo ¯n. scènes de théâtre de rue pour ensemble Victor Hanna, percussion Samuel Favre, percussion Dimitri Vassilakis, piano Ensemble intercontemporain Bruno Mantovani, direction Renseignements et réservations achtbrucken.de
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VENDREDI 12 MAI 19:00 CONCERT 20:30 CINÉ CONCERT PARIS CENTRE POMPIDOU – GRANDE SALLE
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L’ I N S T R U M E N T ET SON DOUBLE
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Discipline, confiance et disponibilité
L’Ensemble intercontemporain et l’Ircam : deux institutions nées il y a quarante ans par la volonté d’un même fondateur, Pierre Boulez. Depuis, elles cheminent côte à côte sur les sentiers de la création. Ce concert en témoigne avec un programme, qui en plus de faire la part belle aux solistes de l’Ensemble, montrera toute l’étendue de l’interaction entre musique instrumentale et électronique. Deux créations marqueront plus particulièrement la soirée : Anthèmes 2 de Pierre Boulez qui sera créée dans une version pour alto et électronique et une nouvelle œuvre musicale de Pierre Jodlowski composée pour le film Daïnah la métisse, réalisé en 1931 par le cinéaste français Jean Grémillon (1901-1959).
Création de la version pour alto d’Anthèmes, de Pierre Boulez, le 16 juillet 2006 dans le cadre du festival d’Avignon.
Jusque-là, les rencontres entre Pierre Boulez et l’alto avaient été très riches – en témoignent Le Marteau sans maître ou Éclat/Multiples –, mais n’avaient jamais donné naissance à une pièce solo. À la demande du festival d’Avignon, il avait accepté de présenter Anthèmes en version pour alto. Pour moi, c’était une grande joie, mais j’appréhendais le gigantesque défi que cela représentait. C’était un mois d’été très chaud à Aix-enProvence et nous avons fait ensemble d’intensives séances de travail, au cours desquelles j’ai retrouvé toutes ses qualités de pédagogue subtil et sa profonde humanité. Quand j’y repense, trois mots me viennent à l’esprit. D’abord, la discipline : il avait une grande exigence de précision et il recherchait en permanence la perfection au service du texte. Ensuite, la confiance : il était parfaitement conscient de la haute virtuosité de la pièce, mais faisait pleinement confiance au musicien pour résoudre ces difficultés. Il donnait des clefs, puis laissait faire. La disponibilité, enfin : il a passé beaucoup de temps à m’expliquer les figures musicales les plus caractéristiques de la pièce. Il me parlait de diverses émotions (colère, indifférence…), et m’expliquait comment me les approprier en musique pour les interpréter et les transmettre au public. Il lui avait également été demandé de faire un atelier de présentation de la pièce avant le concert, ce qui a fait l’objet d’une préparation minutieuse de sa part. Rien n’avait été laissé au hasard. Il avait noté toutes les explications et nous avions travaillé ensemble des extraits musicaux illustratifs. Au cours de l’atelier, j’ai senti à quel point il était capable de se mettre à la portée du public, n’importe quel public. Du néophyte au plus averti, chacun y trouvait son compte ! Un grand moment, qui m’a donné des ailes.
Concert 19:00 Pierre BOULEZ Anthèmes 2 pour alto et électronique Création mondiale
Roque RIVAS Conical intersection pour basson et électronique Francesca VERUNELLI #3987 Magic Mauve pour percussion et électronique* Ciné concert 20:30 La journée d’une paire de jambes (Anonyme, 1909) Daïnah la métisse (1931) de Jean GRÉMILLON Musique de Pierre JODLOWSKI** pour percussions et électronique Création mondiale Commande de l’Ircam-Centre Pompidou
Solistes de l’Ensemble intercontemporain : Odile Auboin, alto Paul Riveaux, basson *Samuel Favre, **Victor Hanna, percussions Roque Rivas, Andrew Gerzso, réalisation informatique musicale Ircam Pierre Jodlowski, réalisation informatique musicale Ircam et électronique Coproduction Ensemble intercontemporain, Ircam/Les Cinémas-Centre Pompidou Tarifs 14€/10€/5€ Réservations 01 44 78 12 40 / billetterie@ircam.fr
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« Faire quelque chose » ou la face cachée du grand art
une troisième propose une longue réflexion sur la cohorte lancinante des échecs révolutionnaires, une quatrième porte sur le passage de la destruction à la dévastation à partir d’un texte de Martin Heidegger. Kataster soulève de manière critique la question du rapport entre représentation et réalité. Autrement dit : est-il concrètement possible de représenter le monde dans son intégralité ? Le concept de représentation a une longue histoire en musique, passionnante et problématique. On s’interroge toujours sur sa capacité à représenter les choses ou le monde. Dans Kataster, je mets en place une concomitance entre l’ensemble et l’orchestre : chacun a la possibilité de représenter l’autre à tour de rôle mais ces « représentations » sont rendues complexes par les dispositifs dramaturgiques dans lesquels ils sont pris – un temps qui peut être très resserré, des changements brusques de structure sonore, etc. Il y a notamment des moments où l’on s’aperçoit que la musique interprétée par les solistes est incomplète, que celle-ci ne va pas jusqu’à l’expression pleine et entière des matériaux mis en jeu. Une musique dont la représentation, en quelque sorte, excèderait l’expression.
– Propos recueillis par Bastien Gallet – Né en 1965 à Besançon, pianiste et claveciniste, Brice Pauset est l’auteur d’une œuvre déjà considérable, qui explore une grande variété de genres et d’effectifs instrumentaux. Compositeur de la « conscience historique », il ne cesse de confronter la modernité à son passé, aux formes et aux instruments qu’elle a oubliés ou refoulés, dans des œuvres qui révèlent et travaillent les strates sédimentées de l’histoire musicale. Professeur de composition à la Haute école de musique de Fribourg-en-Brisgau, il est aussi, depuis 2012, directeur artistique de l’ensemble Contrechamps.
JEUDI 18 MAI 20:00 BORDEAUX AUDITORIUM
TERRITOIRES SONORES Le mot allemand « Kataster » désigne le « cadastre » : un concept d’une grande richesse, dans ses acceptions autant territoriales qu’historiques, dont Brice Pauset s’est emparé pour cette création pour ensemble et orchestre, sa première du genre. Dans cette nouvelle œuvre qui fait partie d’un grand cycle en cours de réalisation, le compositeur entreprend de soulever « la question du rapport entre réalité et représentation ». Autrement dit : est-il concrètement possible de représenter le monde dans son intégralité ?. Écrit en 1970, le Concerto de chambre de György Ligeti pousse au maximum l’idée de « micropolyphonie ». Un concerto paradoxal dans lequel la virtuosité devient une « affaire » collective : le concerto comme concertation.
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Brice PAUSET Kataster pour ensemble et orchestre Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain et de l’Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine
György LIGETI Concerto de chambre pour treize instrumentistes Igor STRAVINSKY Symphonie en trois mouvements pour orchestre Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine Ensemble intercontemporain Paul Daniel, direction Renseignements et réservations opera-bordeaux.com
Kataster (« cadastre » en français) est votre première œuvre pour ensemble et orchestre. Elle vient quelque temps après un cycle de trois symphonies (les Symphonies IV, V et VI) dont le sujet central était la confrontation de la musique avec sa propre représentation. Quelle question a sous-tendu la composition de Kataster ?
Un des aspects les plus originaux de votre écriture pour orchestre est votre manière de composer les lieux, de penser l’espace du concert et notamment la disposition des instruments les uns par rapport aux autres et par rapport au public. Comment avez-vous pensé et composé les relations, tant spatiales que sonores, entre l’ensemble et l’orchestre dans Kataster ?
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Cette œuvre pour ensemble et orchestre prend place dans un cycle de six œuvres, également composé d’un opéra, de deux pièces pour ensemble et de deux pièces pour orchestre. La durée de l’ensemble, quand je l’aurai terminé, devrait approcher les cinq heures. L’idée générale qui sous-tend ce cycle est celle d’un portrait du XXe siècle au travers d’un certain nombre de grands axes, perçus comme autant de manières de faire la généalogie de problèmes plus contemporains. Une pièce pense la relation entre psychanalyse et cinéma, une autre la question du codage,
C Le problème de l’orchestre est son horizontalité et les promesses que celle-ci semble délivrer au compositeur : promesses de profondeur et d’amplitude qui sont souvent synonymes d’un matériau musical amorphe. Avec Kataster, l’un de mes principaux soucis est l’articulation du matériau. Composer pour orchestre ne veut pas dire renoncer au discours pour
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Vous avez toujours pensé la composition comme un acte critique, qui interroge notamment l’historicité des notations, des modes de jeu et des techniques de composition. Composer, en ce sens, revient à mettre au jour les strates sédimentées de la musique, qu’elles soient formelles ou institutionnelles. Cette dimension archéologique est-elle présente dans Kataster ?
le beau son. En même temps, j’aimerais renouer avec une certaine idée du grand art, adopter une position affirmationniste. Alain Badiou a publié il y a quelques années un manifeste de l’affirmationnisme en art1 qui m’a beaucoup plu. J’entends par là une attitude non pas philosophique mais esthétique, qui consiste à ne pas avoir peur de ce que peut et permet un orchestre sans pour autant régurgiter ce qui a déjà été accompli et réussi. Écrire pour orchestre, c’est composer avec un horizon d’attente. Le public qui voit un orchestre sur scène s’attend à un certain nombre de choses, notamment qu’on le fasse sonner. La question que je me suis posée est la suivante : Comment travailler cet horizon ? Comment affirmer les potentialités de l’orchestre sans être capturé par cette attente ? Dans Kataster, j’ai pensé l’ensemble des quatorze solistes comme un réseau de quatre trios et d’un duo. L’orchestre est disposé exactement comme celui de la Neuvième Symphonie d’Anton Bruckner : les violons de part et d’autre de la scène ; les solistes sont vers l’avant mais dispersés ; les deux trios avec pianos sur les côtés, le duo percussion-contrebasse devant les vents et les deux trios à cordes respectivement devant les premiers et les seconds violons. Le mode de spatialisation des solistes vient donc perturber l’orchestre qui est censé l’accompagner. Mais l’ensemble est loin d’occuper une position victorieuse ou solistique dans la mesure où il est toujours potentiellement en situation de faiblesse par rapport à la masse orchestrale. Le pupitre de cuivres qui est, historiquement, la particularité de cet orchestre est en effet capable d’engloutir totalement l’ensemble : je dispose, en plus des cors, trombones, trompettes et tubas, de quatre tubas Wagner. Les mises en perspective que me permet cette masse instrumentale vont bien au-delà du seul accompagnement.
C Il y a dans Kataster une tension entre des champs sonores sans histoire – par exemple les percussionnistes font usage à certains moments de perceuses électriques –, et des groupes d’instruments ou des sonorités très marqués historiquement. Ainsi, je n’ai pas voulu renoncer à inclure un timbalier, en plus du percussionniste de l’ensemble et de ceux de l’orchestre. Dans les manuscrits de Bruckner, notamment celui de la Huitième Symphonie, on remarque que la manière de placer les cuivres ne correspond pas du tout à ce qu’on observe dans les partitions imprimées : les trompettes et les timbales y forment un groupe à part entière, comme aux époques baroque et classique. Même si celle-ci n’est jamais explicite, il y a également une archéologie des fonctions de l’orchestre dans Kataster. C’est la part critique de l’affirmation : mettre au jour la face cachée du grand art.
paraissent prima facie, et illusoirement, séparés les uns des autres. C’est produire une réflexion actuelle et nouvelle sur le monde, sur un aspect ou un moment de notre environnement historique. Évidemment sans ignorer que la musique est une discipline artistique qui possède un mode de socialisation très particulier : elle a besoin d’interprètes. Faire quelque chose veut dire par exemple réduire les distances qui sont présentes entre des corps de métier, des manières de penser et de travailler. Composer implique que l’on synchronise des désirs individuels les uns avec les autres : ceux des interprètes bien sûr, mais aussi, parfois, ceux des auditeurs. Ce qui ne veut pas dire qu’ils partageront tous le même désir, mais cela signifie que, sans eux réunis, la musique n’adviendrait pas.
1. « Il s’agit que l’art, sous toutes ses formes, reprenne en charge, au rebours de son actuelle déclinaison vers la multiplicité inconsistante, la puissance immorale, sans retenue, et – si elle réussit – foncièrement inhumaine, de l’affirmation. Oui ! Il s’agit des droits artistiques, sur l’humanité, de l’inhumaine vérité. Il s’agit que nous acceptions à nouveau d’être transis par une vérité (ou une beauté : c’est la même chose), plutôt que de gouverner au plus juste les modes mineurs de notre expression. Il s’agit d’affirmer. Et c’est pourquoi cette esquisse est celle d’un manifeste de l’Affirmationnisme. » Alain Badiou, « Troisième esquisse d’un manifeste de l’affirmationnisme », in Circonstances 2, Paris, Léo Scheer, Lignes, 2004.
En écho à l’un des grands thèmes de la saison de l’Ensemble intercontemporain, nous avons souhaité interroger un certain nombre de compositeurs sur la question de la création. La composition musicale relève-t-elle pour vous de la création, d’un acte créatif ? C
Tant par mes origines familiales que vis-à-vis de mon parcours personnel – la lecture de Marx a été pour moi fondamentale –, les termes de création et d’acte créatif me posent problème. Je leur préfère le verbe « faire ». Faire quelque chose, c’est ce qui me permet de mettre en tension des domaines qui
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DIMANCHE 21 MAI 16:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DE RÉPÉTITION – PHILHARMONIE
VENDREDI 26 MAI 20:00 FLORENCE OPERA DI FIRENZE MAGGIO MUSICALE FIORENTINO
AU BOUT DE LA NUIT
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Pour cette dernière rencontre des solistes de l’Ensemble intercontemporain avec les musiciens de l’Orchestre de Paris, nous voyagerons jusqu’au bout de la nuit. Sommet du postromantisme expressionniste, La Nuit transfigurée de Schönberg est une ode à une forme d’amour absolu. Il s’inspire d’un poème de son ami Richard Dehmel dans lequel une femme avoue à son amant qu’elle attend l’enfant d’un autre — et l’amant de répondre avec ferveur qu’il le fera sien. Point de support programmatique pour Ainsi la nuit d’Henri Dutilleux. De son unique quatuor, le compositeur dira : « Tout se transforme insensiblement en une sorte de vision nocturne, cela se présente, en somme, comme une suite d’états avec un coté un peu impressionniste. »
Ce concert proposé dans le cadre du festival Maggio Musicale Fiorentino propose un programme tout en « extase » esthétique. D’Estasi (« extase » en français), de l’italien Pasquale Corrado, est né de la contemplation de L’Extase de sainte Cécile de Raphaël : une toile de 1514, représentant sainte Cécile, patronne des musiciens, entourée de quatre saints et d’instruments de musique. À cette extase religieuse et picturale répond une autre extase, des rythmes et des timbres : celle, entre fulgurances et stases, de sur Incises de Pierre Boulez.
Pasquale CORRADO D’Estasi pour grand ensemble Création nationale
Pierre BOULEZ sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussions-claviers Franco DONATONI Tema pour douze instrumentistes
Arnold SCHÖNBERG La Nuit transfigurée, op. 4 pour sextuor à cordes Henri DUTILLEUX Ainsi la nuit pour quatuor à cordes Solistes de l’Ensemble intercontemporain Musiciens de l’Orchestre de Paris
Ensemble intercontemporain NN, direction
Coproduction Ensemble intercontemporain, Orchestre de Paris, Philharmonie de Paris Tarif 20€ Réservations 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis.fr
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Renseignements et réservations operadifirenze.it
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Elvis et moi
L’art du détournement
Création française de Dead Elvis (1993) de Michael Daugherty, pour basson et ensemble, le 22 décembre 1996 à la Cité de la musique.
Création de à plume éperdue (2015) de Heinz Holliger, pour soprano, flûte, cor anglais et violoncelle, le 23 août 2015 au KKL, lors du festival de Lucerne.
Dans sa notice, Michael Daugherty écrit : « Le bassoniste se tiendra debout devant l’ensemble instrumental. En option : lunettes de soleil à la Elvis et/ou veste dans le style de l’Elvis de Las Vegas dans les années 1970. » À l’époque où j’ai su que j’allais jouer cette pièce, Elvis et les stars du rock en général me semblaient appartenir à une autre planète pour laquelle je n’avais aucune attirance. Je trouvais même plutôt ridicule et pitoyable le comportement des fans face à leurs idoles. C’est donc plutôt à contrecœur que je me mis au travail, bien décidé à me contenter d’interpréter la partie de basson, certes de mon mieux, mais sans aller au-delà. Pourtant, au cours des deux ou trois mois de préparation, j’ai glissé progressivement vers la fascination, voire l’adoration… Après avoir écouté et visionné la quasitotalité des enregistrements et vidéos que je pouvais trouver, j’ai finalement poussé plus loin encore que ne le suggérait le compositeur, l’aspect scénique de cette pièce attrayante et surprenante : micro-cravate, poursuite lumineuse braquée sur « Elvis » dès son entrée en scène, gestes et déplacements, et même un lent effondrement du « King » pour accompagner une longue descente chromatique – la descente aux enfers de la star –, sans parler de toute la panoplie vestimentaire, coiffure comprise ! Un souvenir très fort, avec des collègues brillants et complices et un Jonathan Nott aussi précis que pétillant de plaisir !
Nous étions au cœur de ce que j’aime : une création d’une œuvre de musique de chambre, commandée par le festival de Lucerne pour une journée hommage à Pierre Boulez dans le cadre de l’Académie du festival (créée justement par Boulez). Une œuvre, qui plus est, de Heinz Holliger, compositeur de premier plan et l’un des plus grands virtuoses que le hautbois ait connu. Nous avons travaillé l’œuvre avec Holliger en personne – une perspective pour le moins intimidante pour le hautboïste que je suis. Au début, je n’en menais pas large, mais l’ambiance s’est très vite détendue et nous avons ri comme rarement. C’est un homme hors du commun, et je crois qu’il a été très heureux du résultat. Cette rencontre est restée pour moi un moment privilégié. En tant que hautboïste, j’ai pu admirer l’art de Holliger pour détourner l’instrument, avec des effets et des bruitages dont je ne soupçonnais pas l’existence : sons gutturaux, slaps sans anches, résonances étranges… Parfois, ne sachant pas comment réaliser certains sons, je lui posais la question. Il répondait invariablement « C’est facile ! », puis prenait le cor anglais et produisait un son complètement détonant, déclenchant un éclat de rire collectif. Il a tellement travaillé l’instrument qu’il en possède une maîtrise proprement vertigineuse.
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Un désir de rencontre avant tout
avec le chorégraphe José Montalvo et le Théâtre National de Chaillot. Pourquoi un bal ?
– Propos recueillis par Jérémie Szpirglas –
VENDREDI 2 JUIN 19:00 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE SAMEDI 10 JUIN 15:00 PARIS THÉÂTRE NATIONAL DE CHAILLOT BAL PARTICIPATIF
ENTREZ DANS LA DANSE ! Avant le concert, 6 ateliers de préparation Au Théâtre National de Chaillot, les samedis 14 janvier et 11 et 18 mars, de 14h à 16h. À la Philharmonie de Paris, le 22 avril de 9h30 à 12h30 et les 14 et 20 mai de 14h à 17h. Sous la conduite de José Montalvo, chorégraphe permanent au Théâtre National de Chaillot, les participants forment la troupe des 150 danseurs ambassadeurs qui accompagne le public dans ce bal participatif. Ils prennent également part au bal qui aura lieu le samedi 10 juin 2017 à 15h au Théâtre National de Chaillot. En famille (à partir de 8 ans) Entrée libre sur réservation
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« Tout le monde peut danser sur toutes les musiques ! Jusqu’aux musiques contemporaines qui, au premier abord, semblent le moins s’y prêter. » Ces propos du chorégraphe José Montalvo sont à l’origine de ce « bal participatif » proposé dans le cadre du « week-end amateurs » à la Philharmonie de Paris. Il s’agit du bouquet final d’une expérience originale de deux ans, dans laquelle se sont investis près de trois cents amateurs, musiciens ou danseurs. Parmi les musiciens, on trouve des élèves de conservatoires et d’harmonies de région parisienne ainsi qu’un ensemble de djembés. Encadrés par des musiciens professionnels, ils ont préparé un programme musical stimulant avec pour fil conducteur les folklores. Les cent cinquante danseurs impliqués dans le projet ont imaginé une chorégraphie sur des musiques de Iannis Xenakis, Béla Bartók et Luciano Berio, encadrés et entraînés par José Montalvo, au Théâtre National de Chaillot. Au cours du bal, ces danseurs entraîneront à leur tour le public pour partager avec eux la joie communicative de la danse. José Montalvo, chorégraphie Ensemble intercontemporain Élèves de conservatoires d’Île-de-France 150 danseurs amateurs Coproduction Ensemble intercontemporain, Théâtre National de Chaillot, Philharmonie de Paris. En famille (à partir de 8 ans) Entrée libre
C Ce n’est pas la première fois que nous faisons un projet en parallèle avec la danse. Parce que musique et danse sont étroitement liées et que la seconde est idéale pour sensibiliser à la première : une manière de faire passer le message que nos musiques sont accessibles à tous, qu’elles sont sensuelles, mobilisent le corps, et le mettent en résonance. Le thème de la soirée a d’ailleurs été choisi en conséquence : Jens McManama et Emmanuelle Ophèle, les solistes de l’Ensemble qui parrainent le projet, ont proposé celui des folklores. Un thème large, susceptible de s’adresser à tous, et qui, de surcroît, implique traditionnellement un mouvement, une transmission, un impact corporel, tout en abordant une question essentielle : que font les compositeurs contemporains des traditions ? C’est ainsi que les orchestres des conservatoires d’Antony et Bourg-la-Reine, du Conservatoire du Centre (Paris), du CRR de Boulogne-Billancourt, joueront des œuvres de Bartók, Berio ou Xenakis. Se sont également greffés l’Harmonie du CRD d’Aulnay-sous-Bois, ainsi que l’Ensemble de Djembés du Conservatoire de Chelles – qui ne jouent pas précisément le répertoire dit « contemporain », mais qui n’en sont pas moins les bienvenus. Nous n’avons pas de domaine réservé, ne distinguons nulle hiérarchie : ces esthétiques peuvent coexister. Au reste, ces musiciens ont déjà commencé à travailler : au printemps 2016, ils ont interprété les œuvres du programme à la Philharmonie. Ce concert a été enregistré, et la bande servira aux cent cinquante danseurs amateurs impliqués pour développer leur chorégraphie avec José Montalvo et ses quatre partenaires professionnels. Puis les cent cinquante danseurs seront à leur tour des « ambassadeurs », ou des « contamineurs »
Depuis sa création, il y a quarante ans, l’Ensemble intercontemporain mène un travail de transmission considérable touchant des publics variés et de tous âges. Cette saison sera plus particulièrement marquée par deux nouveaux projets originaux : la création des Aventures de Pinocchio, un conte musical pour toute la famille, imaginé par la compositrice italienne Lucia Ronchetti d’après le conte de Carlo Collodi, et « Entrez dans la danse ! », un « bal participatif » avec le chorégraphe José Montalvo. Sylvie Cohen, responsable des actions éducatives de l’Ensemble intercontemporain, présente ces deux rendez-vous ainsi que les grands axes des actions de transmission.
L’un des rendez-vous les plus originaux de la saison 2016-2017 sera, le 2 juin à la Cité de la musique puis le 10 juin au théâtre de Chaillot, un grand bal participatif : qu’est-ce qu’un bal participatif, et d’où est venue l’idée ? C
Un bal participatif, c’est exactement ce que son nom indique : une soirée au cours de laquelle le public tout entier est invité à danser ! L’occasion de découvrir qu’on peut danser, même sur les musiques les plus inattendues, comme celles qui constituent le répertoire de l’Ensemble intercontemporain – et qui seront ici interprétées par des amateurs, étudiants venus de toute l’Île-de-France. C’est d’ailleurs dans le cadre du « week-end amateurs » organisé par la Philharmonie de Paris, que nous avons développé ce projet sur deux ans. Il apparaît en effet évident que la musique contemporaine a sa place dans cette grande fête des pratiques amateurs, et nous avons imaginé ce bal un peu particulier en partenariat
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SAMEDI 3 JUIN 20:00 PARIS CENTRE POMPIDOU – GRANDE SALLE
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LUMIÈRE DES TÉNÈBRES L’Office des Ténèbres est le nom donné aux matines et aux laudes des trois derniers jours de la Semaine sainte. L’office porte le nom de ténèbres car il est chanté très tôt le matin dans l’obscurité plus ou moins complète. Il a donné naissance à l’une des plus riches traditions de la musique sacrée qui disparaîtra au cours du XVIII e siècle après avoir offert des pages de toute beauté, parmi lesquelles les dix-huit Motets A Cappella de Tomás Luis de Vittoria (1548-1611). Fasciné par le genre, le compositeur espagnol Alberto Posadas l’a revisité en 2012 en ayant recours aux moyens de l’informatique musicale Ircam. Ce sont ces Tenebrae, qui incorporent à la trame latine de la liturgie catholique des vers de Novalis, Stefan George et Rainer Maria Rilke, qui répondront par-delà les siècles à celles de son illustre aîné.
Une utopie gestuelle et mentale
du grand public, au cours du bal pour inclure tout le monde dans le mouvement.
concerne avant tout le temps personnel, subjectif. Elle doit donc s’inscrire sur le long terme, dans une relation que l’on ne peut pas entièrement contrôler. Il me plaît de penser que le processus de transmission se fait parfois à l’insu des personnes.
Nous avons donc deux, voire trois niveaux de participation… C
Nous fêtons cette saison les quarante ans de l’Ensemble intercontemporain : quels enseignements pouvons-nous tirer de toutes les expériences de transmission menées jusqu’ici ?
Pour qu’une action éducative ait une quelconque chance d’être efficace, il est important que le public ne reste jamais passif : on doit toujours le mettre au moins en situation d’écoute active. Tous nos concerts, spectacles, répétitions publiques, tous les ateliers que nous organisons en rapport avec la transmission sont interactifs – à des degrés divers, naturellement. Même pour un spectacle comme Les Aventures de Pinocchio, le conte musical pour un public familial ou scolaire de Lucia Ronchetti que nous produisons cette année, une forme d’interactivité est prévue. C’est un spectacle mis en scène, au cours duquel les solistes de l’Ensemble « incarneront » certains personnages au moyen de leurs instruments – ce qui permettra en amont d’organiser des rencontres avec le metteur en scène ou des ateliers avec les musiciens, pour montrer que l’on peut exprimer bien des choses, autrement que par la parole.
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La principale leçon, c’est que nous avons raison de continuer : il faut persévérer. Certes, au-delà des chiffres de fréquentation, il est difficile de savoir ce qui se passe réellement dans la tête de ces nouveaux publics. Mais les retours que nous recevons nous invitent à faire confiance au temps. Au reste, c’est notre mission : on sait à quel point un contenu pédagogique véritable, en profondeur, doit se distiller, se métaboliser et s’intégrer sur la durée. Avec le temps, les tabous tombent et en multipliant les actions où l’on se montre accessibles, disponibles, où les compositeurs se prêtent au jeu de parler au public, de donner d’eux-mêmes et de répondre aux questions, on ne pourra qu’avancer. L’autre leçon, essentielle, c’est que tout part de la rencontre humaine. Je suis ainsi partisane des actions incarnées. Bien sûr, les divers travaux que nous réalisons sur les outils numériques facilitent grandement l’accès aux contenus, mais je suis convaincue que l’étincelle première est dans le rapport humain. Une « bonne » rencontre peut défaire bien des préjugés.
Selon vous, toute action pédagogique doit-elle faire l’objet d’un travail de longue haleine ou d’un accompagnement ? C
Les opinions sont partagées au sein de l’Ensemble intercontemporain : certains pensent qu’un spectacle doit parler de lui-même, sans avoir besoin d’un commentaire. D’autres pensent que c’est mieux si on l’accompagne : avec des présentations préparatoires, des vidéos, ou même une mallette pédagogique pour sensibiliser parents et enseignants. Au fil des ans, nous avons pu constater à quel point ces derniers sont essentiels pour relayer toute démarche – sans eux, nos actions seraient certainement moins efficaces. Plus encore, s’agissant de cette relation au temps, je pense que la transmission
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Création française de Time and Motion Study II (1973-1976) de Brian Ferneyhough pour violoncelle et électronique en 1981.
La pièce avait déjà été jouée quatre ans auparavant. J’en ai assuré la création française à Paris, et cette expérience a changé à jamais le regard que je porte, autant sur l’activité instrumentale que sur la production musicale : cela a totalement remis en cause ma connaissance et ma perception de mon instrument, en même temps que ma relation mentale avec le texte musical. Time and Motion Study II est une pièce très polyphonique, avec de nombreuses superpositions d’événements et des entrechocs entre les différentes structures qui animent le tissu compositionnel. La lecture de la partition elle-même est compliquée et le violoncelliste doit gérer cette multiplicité à la manière d’un chef d’orchestre. Du point de vue du violoncelle, c’est un éclatement, certes contrôlé, mais manifeste de la technique traditionnelle : Ferneyhough a inventé dans cette pièce des gestes qui furent ensuite reproduits par de nombreux compositeurs, à commencer par ces mouvements des deux bras sans aucun rapport entre eux, mais réalisés de manière simultanée. Avec Time and Motion Study II, on sort du paradigme traditionnel de la production sonore, pour entrer dans une dimension paradoxale. De tous les points de vue, cette pièce est une utopie gestuelle et mentale qui vous fait perdre votre innocence.
Alberto POSADAS Tenebrae pour six voix, ensemble et électronique La Lumière du noir pour ensemble Création française
Tomás LUIS DE VITTORIA Tenebrae Responsories (extraits) Ensemble vocal EXAUDI Ensemble intercontemporain Duncan Ward, direction Thomas Goepfer, réalisation informatique musicale Ircam Coproduction Ensemble intercontemporain, Ircam/Les Spectacles vivants-Centre Pompidou Dans le cadre de ManiFeste-2017, festival de l’Ircam Tarifs 18€/14€/10€ Réservations 01 44 78 12 40 / billetterie@ircam.fr
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VENDREDI 9 JUIN 20:30 PARIS PHILHARMONIE DE PARIS SALLE DES CONCERTS – CITÉ DE LA MUSIQUE EIC40
HERMES V Avant le concert, à 19h La création en questions n° 5/5 Rencontre avec Julia Blondeau et Gilbert Nouno sur le thème de l’informatique musicale dans la création. Entrée libre
Pour son nouveau grand cycle autour de la figure mythologique d’Hermès, Philippe Schœller a décidé de commencer par… la fin en composant d’abord le cinquième et dernier volet, synthèse du cycle et mise en forme de toutes ses dimensions polyphoniques. À la fois messager des dieux et dieu des voyageurs et du commerce, gardien des routes et des carrefours, Hermès incarne ici le croisement entre l’intelligence sensible, l’entendement et l’intuition. Œuvre clef dans le parcours esthétique de Philippe Schœller, Hermès V sera entourée d’une création avec électronique réalisée à l’Ircam de la jeune compositrice française Julia Blondeau et des Trois airs pour un opéra imaginaire de Claude Vivier. 90
Julia BLONDEAU Namenlosen pour quatre solistes, ensemble et électronique Création mondiale Commande de Françoise et Jean-Philippe Billarant
Claude VIVIER Trois airs pour un opéra imaginaire pour soprano et ensemble Philippe SCHŒLLER Hermès V pour ensemble instrumental de vingt-neuf musiciens Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain avec le soutien de la Fondation Meyer
Nadja Michael, soprano Emmanuelle Ophèle, flûte Philippe Grauvogel, hautbois Clément Saunier, trompette John Stulz, alto Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Julia Blondeau, Gilbert Nouno, réalisation informatique musicale Ircam José Echeveste, conseiller scientifique Ircam (équipe Mutant/Représentations Musicales) Coproduction Ensemble intercontemporain, Ircam-Centre Pompidou, Philharmonie de Paris Dans le cadre de ManiFeste-2017, festival de l’Ircam Tarif 18€ Réservation 01 44 84 44 84 / philharmoniedeparis. fr
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Cristalliser le chaos
L’œuvre d’art vise-t-elle la stabilisation du chaos ?
– Propos recueillis par Pierre Rigaudière –
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La stabilisation, c’est la patience dans l’urgence de l’écriture. À l’origine d’une œuvre à construire, il y a comme le disait Boulez en citant André Breton « un noyau infracassable de nuit ». La nuit est soit le néant mallarméen, soit le peut-être, mais, de fait, tout sauf l’absence de soleil. Car elle est un accès à l’infinitude des soleils lointains, myriades d’étoiles, un territoire à conquérir bien plus vaste que celui de la certitude du rationnel. L’art s’intéresse selon moi à la force vitale que développe un corps, donc une âme. Le chaos, de ce point de vue, demeure simplement un écheveau d’ordre, à dévoiler.
Le 17 juin, l’Ensemble intercontemporain créera Hermès V de Philippe Schœller, cinquième volet d’un cycle de pièces inspirées par la figure mythologique d’Hermès, le messager des Dieux. Significativement, le compositeur a choisi de commencer l’écriture de ce cycle par le dernier volet, qui en est le « cœur », l’organe vital. À travers cette pièce, il nous parle d’un art dont l’enjeu serait, selon l’expression de Deleuze et Guattari, de « tirer des plans sur le chaos ».
En quoi la figure mythologique d’Hermès vous inspire-t-elle ?
Philippe Schœller, vous décrivez volontiers le monde contemporain comme un chaos. Est-ce que l’un des buts de la création artistique serait une tentative d’en extraire un sens ?
C Hermès est une figure divine inventée par l’imagination des hommes. Le polythéisme est une chose passionnante pour qui s’intéresse à l’art. Ces dieux sont comme des figures métaphoriques de l’espace des passions, de l’espace sensible ; ce sont des continents d’une terre qui est notre corps sensible. Un corps est affecté de mille façons, comme le panthéon est constellé de mille dieux. Ce dieu Hermès est extraordinaire, comme carrefour de tout ce qu’il gouverne. Dans Caractères, le philosophe Théophraste dit « Hermès est à tout le monde », ce qui me plaît beaucoup, notamment par rapport à la musique dite « contemporaine » et qui serait encore, à en croire l’idéologie actuelle, élitiste et exclusive. S’il y a un désir de partager, ce dieu-là l’incarne parfaitement. En même temps, je ne suis pas dupe : si l’œuvre – même épaulée par ses garde-fous et ses échafaudages discursifs – trouve une justification, ce sera uniquement dans la réussite d’une essentielle « synthèse émotionnelle » dont chaque auditeur fera l’expérience sensible. La musique est un faisceau vivant non pas de sens mais de significations que chacun construit, selon son désir et sa nécessité,
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Le chaos serait, tel que le définissaient l’art et la science au XVIIIe siècle, un territoire du non-sens, de l’absurde, du désordre. L’intuition créatrice, la fulgurance, l’imagination m’apparaissent davantage comme une usine vivante amenant de l’ordre au sein du chaos. Dans ma propre expérience cognitive, ce chaos est vécu de façon permanente, notamment comme une inflation de perception. Une ville est un enfer de perception et simultanément une œuvre d’art universelle ; un corps. Car un corps humain est d’une telle complexité que sa chimie moléculaire pourrait nous faire croire, pour peu que l’on soit nihiliste, qu’il est absurde. Il n’en est rien. Il est un infini du sensible. Une œuvre d’art, production singulière dans un monde industriel qui vise le zéro défaut, nous fait renouer avec l’émerveillement que l’on peut ressentir face au chaos du monde, comme devant l’infinie complexité du vivant.
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l’électronique ; je souhaite me mettre en péril pour laisser entendre ce que j’entrevois de l’électronique dans l’avenir. J’ai beaucoup travaillé avec la synthèse numérique, et son feedback sur l’écriture instrumentale est fondamental. La tradition de l’écriture symphonique est la source de la conquête de nouveaux instruments dont l’électronique fait partie. Sans racines, un arbre meurt. Dans cette œuvre, il y a la question de l’énergie – donc de la virtuosité –, qu’elle soit de couleurs, de notes mais aussi de silence, de textures immatérielles. J’aimerais pouvoir trouver des systèmes d’écriture aux limites du jeu instrumental tel qu’il a été créé par l’école de Scelsi, Sciarrino mais aussi Lachenmann, et célébrer la joie, l’énergie, la splendeur subtile et sauvage du jeu d’un musicien. La virtuosité, en tant que telle, m’intéresse si et seulement si elle registre l’infini nuancier des énergies d’un corps.
au moment même où l’écoute fait, littéralement, vivre la musique. Pour moi, ce titre est cependant important parce qu’il me permet de cristalliser mon imaginaire, mon chaos. Hermès V sera le cœur d’un cycle. Le cœur est un organe clé pour vous. C
Oui, comme les Égyptiens me l’ont appris, le cœur est le siège de l’intelligence. Au lieu précis de la dualité entre le sensible et l’esprit, il y a justement le cœur, qui est au centre du corps, entre le sexe et le cerveau. C’est une instance de distribution, d’organisation, d’échange, de partage, de coordination de choses qui passent par lui mais qui ne s’y arrêtent pas. Je commence en effet le cycle Hermès, constitué de cinq œuvres, par Hermès V qui en est la synthèse, la mise en forme de toutes ses dimensions polyphoniques : croisement entre l’intelligence sensible, l’entendement clair et précis, et l’intuition exacte du chaos. Le projet que j’aimerais construire à terme aura en son centre la question essentielle de la voix humaine, donc du lyrisme. Dans Hermès V il n’y a, à proprement parler, pas de voix ; il y a un enchantement possible, qu’il me revient de construire. Il y a une évocation, une voix qui court, métaphorisée, volcanique et désertique. L’œuvre comprend à terme tous les carrefours qui préludent à l’expression vocale réelle de ces cinq pièces. J’entends la « voix », donc l’axe lyrique, comme symbole exact du souffle, du flux, du fleuve de l’énergie vitale.
C’est Matthias Pintscher qui dirigera l’Ensemble intercontemporain pour la création d’Hermès V. Il y a entre vous une assez grande proximité musicale. C
J’admire autant le chef que le compositeur et j’ai en effet beaucoup d’affinité avec son rapport au matériau. Nous avons un héritage et nous devons en faire quelque chose, et j’ai décelé chez Matthias les mêmes préoccupations. J’ai senti qu’il avait entendu chez Grisey quelque chose qui m’avait aussi passionné. Il n’y a pas beaucoup de compositeurs qui ressentent l’amour de choses aussi disparates : on pourrait dire que les Espaces acoustiques et Le Marteau sans maître sont deux mondes incommunicables ; mais peut-être ne le sont-ils pas du tout, finalement.
Pour quel effectif est écrite la pièce Hermès V ? C
Vingt-neuf instruments, avec vents, harpe, piano plus célesta, trois percussions, et cordes. J’écris spécifiquement pour les musiciens de l’Ensemble intercontemporain, qui sont aguerris à toute forme de jeu instrumental, et avec lesquels je suis extrêmement honoré de collaborer à nouveau. Il y a aussi avec Hermès V l’intuition de dépasser l’électronique sans
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Quel est votre rapport au matériau ? C Le propre de ma génération, c’est de trouver pardelà le hasard – c’est-à-dire l’infini des possibles – et par-delà l’expérimentation, l’intuition de quelque chose qui fasse sens sur le plan émotionnel: le nécessaire, plus que le possible, et qui parle aussi bien à la mémoire de la musique qu’à son futur. C’est cette question qui est en jeu dans Hermès : cette œuvre s’impose comme la synthèse de tous ces questionnements qui se posent à ma génération ; ces interrogations m’ont aussi ouvert des territoires de pure invention et de recherche, offerts par les nouvelles technologies qui sont finalement des instruments de musique si l’on sait s’en saisir. Je suis à la croisée de deux générations : le sérialisme – la note, la structure –, et la pensée spectrale, la pensée du sensible, de l’univers infini, du sonore comme monde-musique. Mais je me méfie des discours d’intention. Il faut de la volonté, il faut savoir exprimer son monde, savoir formaliser, mais j’aime à penser qu’en aucun cas la technique, cette conscience autoréflexive, valide le processus d’élaboration. Si l’on est convaincu par son imagination, on a la joie infinie de la transmettre par cet outil fantastique qu’est l’écriture, et si la réalisation, l’action, est à la hauteur, si le musicien est convaincu, si le chef qui coordonne est convaincu, alors l’auditeur aura le loisir de goûter au mieux l’expérience sensible qu’on lui propose. C’est cela l’exigence que m’a transmis l’héritage de Pierre Boulez. Dépasse-toi, organise-toi, creuse ta folie. Amour du musicien, du métier, courage, compétence, patience, et advienne que pourra !
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MARDI 20 JUIN 19:30 LONDRES WIGMORE HALL
SAMEDI 17 JUIN, 18:30 DIMANCHE 18 JUIN, 11:00 BERLIN PIERRE BOULEZ SAAL
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…EXPLOSANTEFIXE… Conçue par l’architecte américain Frank Gehry, la Pierre Boulez Saal à Berlin est la salle de concert de l’Académie Barenboim-Said. Gageons que ce concert de l’Ensemble fondé par Pierre Boulez il y a quarante ans dans ce nouveau lieu dédié à la transmission, lui aurait fait grand plaisir. On y entendra notamment résonner l’un de ses chefs-d’œuvre, …explosante-fixe…
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Les « quartiers latins » du concert parisien du 30 janvier s’exportent à Londres, au Wigmore Hall, pour y faire entendre à nouveau ce dialogue musical entre la France et l’Italie, deux « quartiers » d’une même origine culturelle latine.
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Création nationale
Philippe SCHŒLLER Hermès V pour ensemble instrumental de vingt-neuf musiciens
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Luciano BERIO Sequenza I pour flûte Maurice RAVEL Sonate pour violon et piano Matteo FRANCESCHINI Les Excentriques Traité physionomique à l’usage des curieux pour six musiciens
Création nationale
Pierre BOULEZ …explosante-fixe… pour flûte MIDI solo, deux flûtes, ensemble et électronique Diégo Tosi, violon Sophie Cherrier, flûte MIDI Emmanuelle Ophèle, flûte Matteo Cesari, flûte Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Andrew Gerzso, réalisation informatique musicale Ircam
Création nationale
Solistes de l’Ensemble intercontemporain Renseignements et réservations wigmore-hall.org.uk
Renseignements et réservations boulezsaal.com
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C R É AT I O N MANIFESTE
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Claude DEBUSSY Première Rhapsodie pour clarinette et piano Bruno MADERNA Viola pour alto Olivier MESSIAEN Le Merle noir pour flûte et piano Philippe SCHŒLLER Madrigal pour quatuor avec piano
Matthias PINTSCHER mar’eh pour violon et ensemble
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Organisée par l’Ircam, l’académie ManiFeste offre chaque année à de jeunes compositeurs venus du monde entier l’opportunité de travailler avec l’Ensemble intercontemporain, ensemble associé de l’académie. Animés par une vocation pédagogique qui va de paire avec leur engagement envers la création, les solistes de l’Ensemble mettent leur expérience au service des jeunes compositeurs sélectionnés, mais aussi des jeunes musiciens venus se former à l’interprétation des musiques d’aujourd’hui. L’académie se conclut par deux concerts présentant de nouvelles œuvres de musique de chambre et pour ensemble.
La création est un continuum Création d’…explosante-fixe… (1991-1993) de Pierre Boulez, pour flûte solo, deux flûtes, ensemble et électronique, le 24 janvier 1994 au Théâtre du Châtelet.
Lors de sa création dans une première version inachevée, …explosante-fixe… durait sept minutes. Quand Pierre Boulez l’a terminée, c’était une œuvre de trente-six minutes. C’est aussi à partir d’un petit noyau de sept notes tirées d’…explosante-fixe… qu’il a ensuite écrit Anthèmes pour violon et Anthèmes II pour violon et électronique, qui font partie des grandes pages pour violon seul du XXIe siècle. Quand j’ai participé à la création de cette première partie de la pièce, je n’étais pas en mesure d’imaginer quelle allait être la consistance de l’œuvre achevée. J’étais loin d’appréhender le processus créatif, mais c’est aussi de cette manière que j’ai pu aborder l’œuvre et comprendre que l’écriture ne participe pas d’une inspiration romantique mais résulte d’un travail structuré. Un labeur quotidien à l’image des gammes et des arpèges de l’interprète. Pierre Boulez était confronté à un choix de vie, contraint de hiérarchiser ses priorités dans le temps. Il ne lui était certainement pas facile, entre les multiples aspects de son activité (chef d’orchestre, directeur de l’Ircam et de l’Ensemble intercontemporain, ardent promoteur de la Philharmonie de Paris, etc.) de consacrer à la composition tout le temps qu’il aurait souhaité. Or le temps est un facteur nécessaire pour mûrir une œuvre, pour l’interprète comme pour le compositeur, une nécessité pour l’habiter de l’intérieur. La création est un continuum qui appartient au créateur, tout en restant magique aux yeux de l’interprète et de l’auditeur. C’est ainsi que je l’ai vécu avec Pierre Boulez.
VENDREDI 30 JUIN 20:00 PARIS LE CENTQUATRE-PARIS Œuvres de musique de chambre des compositeurs stagiaires de l’académie ManiFeste-2017 Solistes de l’Ensemble intercontemporain Coproduction Ircam-Centre Pompidou, Ensemble intercontemporain, ensemble associé de l’académie Renseignements et réservations 01 44 78 12 40 / billetterie@ircam.fr
SAMEDI 1 E R JUILLET 20:00 PARIS LE CENTQUATRE-PARIS Œuvres dirigées des compositeurs stagiaires de l’académie ManiFeste ManiFeste-2017 Ensemble intercontemporain Pierre-André Valade, direction Coproduction Ircam-Centre Pompidou, Ensemble intercontemporain, ensemble associé de l’académie Renseignements et réservations 01 44 78 12 40 / billetterie@ircam.fr
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TRANSMETTRE
A C T I O N S É D U C AT I V E S E T C U LT U R E L L E S
JEUNE P UBLIC Faire découvrir la musique du XXe siècle à aujourd’hui aux plus jeunes, c’est former le public de demain. Un enjeu décisif porté par des activités spécialement conçues pour le jeune public.
C O N C E R T S É D U C AT I F S
TOUT PUBLIC AUTOUR DES CONCERTS
RÉPÉTITIONS PUBLIQUES
Les concerts donnés à Paris sont, pour la plupart, précédés d’une présentation des œuvres au programme. Elles offrent à chacun l’occasion d’être accompagné dans son expérience de la musique du XXe siècle à aujourd’hui. Certains concerts sont également suivis d’une rencontre avec les musiciens, ouverte aux questions du public sur les œuvres et leur interprétation.
Chaque année environ dix répétitions à Paris et en régions sont ouvertes au public. Une autre façon de découvrir les œuvres (parfois au tout début de leur processus de création) ainsi que le travail des compositeurs et des interprètes. Ces répétitions sont le plus souvent commentées par un médiateur en collaboration avec les musiciens. Cet automne des répétitions publiques commentées seront organisées sur :
Cet automne, le concert Ludwig van du 19 novembre à la Philharmonie de Paris sera suivi d’une rencontre avec les solistes de l’Ensemble (voir p.33).
The Perfect Stranger de Frank Zappa autour du Grand soir Bryce Dessner le 24 septembre 2016
SOLISTES EN BIBLIOTHÈQUE Ces rencontres musicales ont pour but de faire découvrir l’univers de la musique du XXe siècle à aujourd’hui à un large public. La variété des interventions reflète la diversité des personnalités des solistes qui les animent. Le rapport de proximité entre le public et les solistes renforce la dimension d’échange et de partage.
Egan 3, 4 de Ramon Lazkano autour du concert Mécaniques célestes le 15 octobre 2016
Koffer d’Enno Poppe, dans le cadre du concert Poppe Music le 9 décembre 2016 Les dates et les horaires de ces répétitions seront précisés début septembre sur le site ensembleinter.com
en partenariat avec Paris bibliothèques
Imaginés par les solistes de l’Ensemble ou un compositeur, en collaboration étroite avec des médiateurs et les équipes éducatives, ces concerts présentent au jeune public, sous une forme originale et participative, des œuvres du XXe siècle à aujourd’hui. En 2016-2017 deux spectacles sont proposés : Le conte musical Les Aventures de Pinocchio en février à Rouen, en mars à Paris et en mai à Lyon (voir p.52).
Le concert éducatif (sur temps scolaire) : La Percussion dans tous ses éclats le mardi 29 novembre 2016 à la Cité de la musique - Philharmonie de Paris (voir p.36).
SÉANCES JEUNESSE EN BIBLIOTHÈQUES La relation directe avec un musicien, son instrument et bien sûr avec la musique, est toujours une source d’émerveillement pour les enfants. Les solistes de l’Ensemble proposent des séances musicales pédagogiques et ludiques qui stimulent la curiosité et encouragent l’échange. Autant d’opportunités pour les enfants (et leurs parents) de découvrir des univers musicaux qui nourrissent l’imagination et la créativité. en partenariat avec Paris bibliothèques
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P R AT I Q U E AVEC LES A M AT E U R S ENTREZ DANS LA DANSE ! « Tout le monde peut danser sur toutes les musiques ! Jusqu’aux musiques contemporaines qui, au premier abord, semblent le moins s’y prêter. » Ces propos du chorégraphe José Montalvo sont à l’origine du projet « Entrez dans la danse ! » initié en 2015-2016. Il se conclura cette année avec un grand « bal participatif » proposé dans le cadre du « week-end amateurs ». le 2 juin 2017 à la Philharmonie de Paris puis le 10 juin 2017 au Théâtre National de Chaillot (voir p.84).
Ce sera le « bouquet final » d’une expérience pédagogique et artistique originale de deux ans, dans laquelle se seront investis près de trois cents amateurs, musiciens ou danseurs. Les cent cinquante danseurs impliqués dans le projet présenteront une chorégraphie sur des musiques de Xenakis, Bartók et Berio, encadrés et entraînés par José Montalvo, au Théâtre National de Chaillot. Au cours du bal, ces danseurs entraîneront à leur tour le public pour partager avec eux la joie communicative de la danse.
MASTER ACADÉMIE C L A S S E S E T D U F E S T I VA L AT E L I E R S DE LUCERNE E N C O N S E R - Depuis sa création en 2004, les solistes de l’Ensemble intercontemporain participent VAT O I R E aux sessions de l’Académie Accompagnés par les solistes de l’Ensemble, les étudiants des conservatoires nationaux, régionaux et parfois internationaux, futurs professionnels (ou amateurs), découvrent les techniques et les modes de jeu propres au répertoire contemporain. Ils se familiarisent ainsi avec des écritures musicales actuelles et les projets des compositeurs d’aujourd’hui. Au Conservatoire national de musique et de danse de Paris, des ateliers pédagogiques de haut niveau, conçus à partir d’œuvres au programme d’un concert de la saison, permettent à de jeunes musiciens en voie de professionnalisation de se perfectionner au contact de leurs aînés expérimentés de l’Ensemble. Ce travail approfondi réalisé sur une période de plusieurs semaines aboutit à un concert réunissant l’Ensemble intercontemporain et l’orchestre du Conservatoire. Cette saison, ce concert aura lieu le 28 janvier 2017 à la Philharmonie de Paris – Grande Salle (voir p.50).
Depuis plusieurs années l’Ensemble intercontemporain et le Conservatoire de Paris mènent également un travail original à destination des élèves des classes de direction d’orchestre et de composition. Les ateliers autour de nouvelles œuvres de ces jeunes compositeurs donneront lieu à un concert de créations le 3 février 2017 au Conservatoire de Paris (voir p.51). Un autre atelier-concert est organisé le 15 décembre 2016, toujours au Conservatoire de Paris, mais avec l’Ensemble ACJW (fondé par Carnegie Hall et la Juilliard School) dirigé par Jean-Christophe Vervoitte (voir p.42).
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du festival de Lucerne. Internationalement réputés pour leur expérience pédagogique, ils contribuent au perfectionnement de la formation de jeunes musiciens de haut niveau venus du monde entier. Ce travail en profondeur se déploie sur plusieurs semaines et donne lieu à plusieurs concerts donnés dans le cadre du festival de Lucerne. www.academy.lucernefestival.ch academy@lucernefestival.ch
ACADÉMIE MANIFESTE L’Ensemble intercontemporain est associé à l’Académie ManiFeste, festival de l’Ircam, depuis sa création en 2012. Pour cette nouvelle édition les solistes de l’Ensemble interviendront dans les ateliers dédiés aux jeunes compositeurs, tant en créations dirigées que non dirigées. Ces ateliers aboutiront à un concert le 1er juillet 2017 au Centquatre à Paris (voir p.93). Informations complémentaires et calendrier des activités sur ensembleinter.com
La création est inscrite dans l’ADN de l’Ensemble intercontemporain depuis sa fondation, il y a quarante ans cette saison. C’est pourquoi nous avons souhaité ouvrir une réflexion libre et transdisciplinaire sur le concept et l’acte de création, dans différents domaines de la connaissance et de l’art. Le philosophe et théologien Paul Clavier propose ainsi de questionner la notion de création ex nihilo. La géographe Nathalie Blanc et le musicologue David Christoffel posent quant à eux, dans leur texte à quatre mains, l’hypothèse de la création non plus ex mais post nihilo, en prise avec un « néant déjà très rempli ». Les propos d’un artiste, le cinéaste documentariste suisse, Jean-Stéphane Bron, nous offrent ensuite un exemple de création de materia, où le réel accède à la représentation par un travail de composition et de mise en forme. Que se passe-t-il dans le cerveau d’un créateur ? C’est l’une des questions que se pose Guillaume Dumas, chercheur en neurosciences, qui analyse les processus cognitifs d’émergence et d’interaction en jeu dans l’acte créatif, notamment en situation collective. Ce caractère « interpersonnel » de la création, « même lorsque [le créateur] est seul », trouve son expression fictionnelle dans un texte de l’écrivain Claro, écrit spécialement pour ouvrir ces pages : « Comme un moteur ».
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Comme un moteur Claro à PDLG
Ailleurs c’est là qu’ils voulaient être, par amour et sans relâche, à croire qu’ils n’avaient pas le choix, et l’auraient-ils eu qu’ils se seraient tous déracinés pour ne plus être ici, au seuil d’un monde qui était solution et pas davantage. Ils avaient creusé un trou dans le présent par lequel ils s’étaient précipités sans même se retourner pour voir si derrière eux le terrier se refermait – ce qu’il a sûrement fait, car les cloaques se referment toujours (quelques exemples, en vrac : l’obturateur sur l’image, le collet autour du cou, la bague sur la patte), or ils ne voulaient pas tomber dans la facilité et la lâcheté qui consistent à dire après coup qu’on n’a pas su saisir l’occasion. L’occasion, du coup, ils l’ont bricolée, à l’insu de tous, au mépris de la réalité. N’étant pas encore (et pourtant déjà plus) ce qu’on appelle des artistes, ils ont tenu à tout recommencer, systématiquement. Au début, ils étaient quatre, lui, lui, lui et elle, à la fin sûrement plus que ça, personne n’a pris la peine de faire l’appel, ce qu’ils savaient et se répétaient c’est qu’il était temps de réinventer l’inventaire du nouveau ! Une seconde d’hésitation, et l’art les aurait annexés, pays planètes potirons passions et plus si affinités ! puis la vie aurait fait le reste, aurait fait d’eux des restes et des états d’âme, et ça pas question. Quant aux ambitions, ils les ont tassées avec la paume de l’imagination et dessus ont planté une croix portant l’inscription : CI-GÎT CE QUE NOUS NE SERONS PAS, puisque les lauriers, ce nid foireux jamais fini sur la tête souvent creuse, qu’en faire sinon rien ou en rire ? Dans le pluriel, joyeusement, ils se sont enfuis, afin de mieux élaborer l’espace et ses règles. Certes, ils ont un peu tarabusté les idées et les formes, prolongé comme il se doit les déviations, pris juste ce qu’il fallait d’avance et de liberté sur les choses, bref ça s’est fait naturellement, dans la joie et l’instinct, et quant aux conséquences, ils leur ont réservé un sort qui vaut ce qu’il vaut, l’important était que tout s’enchaîne, qu’ils ne sachent plus quelle ficelle soulevait quel poids. L’histoire a tranché et l’imagination fait le reste, le décor, lui, reste
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à l’appréciation du rêveur. À force de fièvre – car ils fêtaient beaucoup, avec une agilité à choir qui était sans fin –, un verre à la main, plutôt que d’attendre un matin qui, ils le savaient, ne ferait qu’éterniser la nuit, ils ont pieusement cabossé le néant. Ils s’étaient donné un nom : FeuPrésent, mais très vite cela devint un sceau : celui de l’existence telle qu’ils – lui, lui, lui et elle – la concevaient désormais. Au début, ils formaient comme un moteur, qui braille en fanfare, ça faisait beaucoup de bruit, ça tremblait par à-coups, ça pulsait des jets de vapeur, et bien sûr ils calaient pour un rien, en rade dès le midi. Chacun secondait chacun, un piston plus un plus un, mais les idées n’engendraient que des idées, sans jamais parvenir à dresser les formes contre elles-mêmes, l’harmonie était l’ennemi et ils ne savaient pas encore faire danser les différends. Enfin ça a pris. Le collectif a pris et FeuPrésent s’est mis alors à produire comme si mille marées motrices avaient pris le pouvoir et les pulsaient du dedans. Ils ont trouvé leurs marques, l’un se levant pour que l’autre se couche, se croisant sans même se saluer, juste le frottement d’une paume comme on passe un relais, chacun s’ébrouant dans la confiance de leurs différences. Qui ne les connaissait pas se fût cru dans l’antichambre d’un enfer jamais advenu, tant leurs ombres s’échappaient, leurs empreintes sur le matelas aussitôt occupé par l’autre qui s’y étaient à peine assoupi, et leurs nuits, ainsi, saisissaient le jour, leurs gestes repris en canon dans une improbable continuation, l’un forgeant des métaux que son voisin d’insomnie se hâtaient de tremper dans une eau dont elle avait au préalable choisi la nuance, y faisant pleuvoir des pigments que celui qui ne l’avait pas encore contredit osait délayer, et chaque heure était un lendemain qu’il considérait comme un fabuleux hier dont ils n’étaient pas encore les parrains. Quand ils avaient des idées, c’est-à-dire des formes infusées d’immobile attente, alors l’un d’eux les broyait lentement, comme on change la pâte en chair, déliquesçant le moindre golem en effigie, puis le réveil d’untel sonnait, il se précipitait à la machine à café, à côté de laquelle tiédissait encore un reste
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d’hydromel, et fumait son clope en contemplant d’un œil déjà furieux les spectres assoupis qui, ils le voyaient aux vastes panneaux peints et aux céramiques polies, avaient œuvré en son absence-aval.
aux tiroirs obtus qu’il fallait brusquer pour récupérer un crayon ou une gomme, des chaises d’école dont le contreplaqué cloquait au gré des saisons, et un réchaud pour cuire ce qu’ils laissaient de toute façon refroidir : pas de quoi affoler les huissiers, et bien assez d’espace pour mettre en branle leurs projets de dingues. Eux trois, plus elle, et bien sûr des flopées d’éphémères, parasites ou bienveillants, qui restaient un, deux, trois jours, parfois plusieurs semaines, apportant idées et matériaux, packs de bière et causes de dissension, des fugueurs parfois, des dérangés, des providentiels et des incertains, et impossible de se rappeler vraiment leurs noms, trop nombreux, trop disparates, mais tous animés, tous venus ici pour essayer, tenter, traverser, qui muni d’un pistolet à peinture, qui d’une clé à molette, tous techniciens du hasard, compagnons exemptés de promesse, parce qu’ici on bossait, même quand on dormait on bossait, toujours l’un ou l’autre, toujours l’une et quelques-uns, et d’autres réquisitionnés, afin qu’en permanence il y ait des mains occupées à des choses, et des choses changées par les mains, que les regards modelaient, que la voix critiquait et forçait à changer, l’aimantation des intentions conspirant à la frénésie des formes, comme autrefois dans le repli des chapelles des cœurs veillaient à ce que la foi ne reste pas enfermée dans le bois. Un soir, il rentra avec un vieux châssis de Peugeot, qu’il offrit aux patiences de la rouille après l’avoir verticalement abandonné dans un coin de l’atelier, au milieu des pots où ne poussait pas grand-chose hormis un vague cresson bleu, un châssis qui devint à l’insu de tous totem, et qu’elle s’attribua alors sans prendre la peine de le consulter, deux semaines plus tard, l’attifant d’une sorte de dentelle hideuse sur laquelle, dès qu’elle s’en désintéressa, un autre greffa d’inquiétants appendices rapportés soi-disant des Pays-Bas, puis la chose resta là encore quelque temps, en apparence inerte mais s’accroissant, ingurgitant ses devenirs, et quand le premier s’y remettait, à coups de marteau, le quatrième intervenait, comme si une cloche
* Ils se levaient tous à des heures différentes – vite, des œufs ! que se passe-t-il, on n’entend rien, m’as mord’u quoi arr- ils livrent dans Reviens j’ai besoindet- pas là c’est lui qui c’est ça ? de la gouach de la Non pas mainten Enfile ça tu verr on est le quJ’ai rêvé d’ pas possible il est déjà d’ Ah d’acc écout il était là quand on a J’ Hein ? va voir si tu Prends ce tr Quoi ce tru Merdçacram ! pas gravOn va Et si on Qui ? n’en fais quand même pas tout’Et pourquoi pas ? tu crois qu’Arrête un peu il est Fousmoi l’Après quand t’auras vu ce qu’il Faut pas y toucher pas tout de suite Et donc ? Et rien ! Si c’est pas sec c’est Rappelle-le on lui doit – mais très vite l’atelier devenait serre, des plants abstraits poussaient, et un système d’irrigation spontané permettait à d’encore vagues intuitions de monter en graine, l’un installait un châssis, l’autre travaillait déjà une matière opaque tandis que le troisième opérait des reports sur un cadre métallique et qu’elle, encore en slip jaune et débardeur blanc, lisait, ciseaux à la main, sa Dunhill hoquetant au rythme d’un mambo intérieur. Impossible de savoir comment ils s’étaient rencontrés, impossible ou trop complexe, ou ne relevant d’aucune évidence, ou sujet à des hasards si prompts à signifier que les répertorier n’avait guère d’attraits. Le fait est qu’ils étaient là, dans ce local plus ou moins loué, à peine repeint, sorte de hangar d’où aucun avion jamais ne décollerait si ce n’est le fragile aéroplane de leur amitié, une ancienne cartonnerie dont la charpente, longtemps et soigneusement entretenue dans la peur des incendies, soutenait une verrière aux multiples plans et aux carreaux dépolis que le soleil faisait trembler et la pluie rissoler. Des matelas de toile à larges bandes beiges et blanches, quelques tables
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l’avait convoqué, imposant des directions, et voilà qu’elle revenait à l’assaut, les bras chargés d’ampoules, mais il était quatre heures du matin, on avait faim, quelqu’un se rappelait-il s’il restait du saucisson ? et deux heures plus tard, grâce aux Kabyles qu’ils hébergeaient depuis deux ou dix jours, comment savoir, un festin improvisé diffusait ses parfums et la semoule collait aux barbes, ça trinquait à tout va, les mains gercées réchauffaient les épaules nouées, qui aurait le courage d’aller récupérer demain les poulies que ce type nous a promis de mettre de côté au cas où Oh non pas maintenant Mais si Allez quoi C’est toi qui distribue alors Pourq Hein On ferait mieux d’Attends m’en reste des Là juste à côté du roul’Quelqu’un peut m’Gaffe aux stér’C’est lourd la vache on devrait leTon pied trempe dJ’ai plus faim – elle sortait sans rien dire la guitare et il laissait fondre sa voix à même les accords, un chant d’insectes sous les draps, le crépitement ténu des maïs sous la pluie, de fières écorchures flamenco, la mesure indocile, une main montait en colombe et palpait, dans la fumée des joints, un fruit sonore et invisible, deux cuillers assemblées taquinaient une tôle (imaginez ce claquement, et ce qu’il signifie, ce qu’il valide et sacre), la gamine de l’un ou de l’autre s’évadait de son somme et titubait des romances perdues, cheveux sales et yeux clairs, des doigts secouaient l’ourlet d’une jupe, le sol en béton réclamait la savane, le dernier arrivé déversait quelques récits au pied de l’âtre et la semaine recommençait d’elle-même, à force d’intransigeantes et tendres simplicités. Ils ne lâchaient rien, collectif collectif.
Né en 1962, Claro est l’auteur d’une vingtaine de fictions (dont Crash-test, publié en 2015 chez Actes Sud) et d’une centaine de traductions de l’anglais (Vollmann, Gass, Gaddis, Danielewski). Membre du collectif Inculte et co-directeur de la collection « Lot 49 » aux éditions du Cherche-midi, il tient également un blog littéraire, « Le Clavier Cannibale ».
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Démythologiser la création Paul Clavier
inévitable le scénario d’une mise en ordre progressive d’un Chaos originel au moyen de diverses opérations : discrimination, séparation, centrifugation d’éléments, criblage, etc. La création est alors une simple mise en ordre (les Grecs parlaient de diakosmèsis, c’est-à-dire de « mise en cosmos »). Dans les Métamorphoses, Ovide présente les origines du monde comme l’apaisement d’un conflit. Cette opération de mise en ordre bénéficie d’une analogie solide avec les productions de l’industrie humaine. Lorsque Gustav Mahler compare l’écriture d’une symphonie à la création d’un monde, il n’omet pas de rappeler que le compositeur dispose de moyens techniques et de matériau sonore. La possibilité même d’une création suppose que le matériau chaotique préexistant à l’activité démiurgique se prête de bonne grâce aux plans du ou des démiurges. C’est pourquoi l’idée de création ex materia, à première vue plus intuitive, va perdre du terrain au profit de la notion de création ex nihilo. On peut remarquer que ces exigences narratives qui contraignent la mythologie ont leur équivalent dans l’enquête scientifique : « Qui irait se proposer, demande Peter van Inwagen dans sa Métaphysique, de montrer comment un état de choses dans lequel n’existe aucune espèce de réalité se transforme en un état de choses dans lequel il y a des réalités ? » James Clerk Maxwell avait anticipé cette remarque dans sa conférence de Bradford (1873) intitulée Les Molécules : « La science est incompétente pour raisonner sur une création de la matière à partir de rien ». Sage séparation des registres que reprend Stephen Jay Gould : « La science ne peut tout simplement pas (pour des raisons de légitimité méthodologique) se prononcer sur la question d’une possible superintendance divine par rapport à la nature. » Pour le dire avec Étienne Klein, il ne faut pas confondre la question : « D’où vient l’univers ? » avec cette autre question : « D’où vient qu’il y a un univers ? » La première question est une question de traçabilité physique. Elle suppose
Le concept métaphysique de création est souvent considéré comme le reliquat d’un âge pré-scientifique de l’humanité. Il souffre par ailleurs d’une analogie fallacieuse avec les modes de production humains, y compris ceux de la composition musicale. Pour restituer la teneur proprement métaphysique du concept de création ex nihilo, je propose de le débarrasser de sa gangue mythique.
1. Représenter la création La plupart des récits mythologiques concernant l’origine du monde ont à remplir le cahier des charges du genre narratif épique : un décor, un calendrier, des agents, des adjuvants, des opposants. Les tentatives musicales d’évoquer une origine absolue n’échappent pas à la règle. La Création de Joseph Haydn commence par un célèbre Prélude (Représentation du Chaos) qui plante le décor obscur d’un fouillis originel. On peut songer aussi au ténébreux adagio qui ouvre la symphonie en si bémol de Beethoven, aux premières mesures de L’Or du Rhin de Wagner ou au moderato de la Symphonie n°3 de Schnittke… Les textes sacrés de l’ancienne Égypte traduisaient déjà la difficulté qu’il y a à narrer un surgissement premier de toutes choses, une existence antérieure à toute existence et productrice de toutes : « Le Maître de l’Univers dit : “Lorsque je vins à l’existence, alors l’existence se manifesta. Je vins à l’existence sous la forme de Khepri [Dieu-scarabée, soleil de l’aube], venu ainsi à l’existence pour la Première Fois. C’est ainsi que l’existence se manifesta, car j’étais antérieur aux dieux antérieurs, dont j’assumai la création.” » On peut juger ici de l’embarras qu’il y a à décrire un commencement absolu dans le registre narratif épique où le dieu-héros n’est jamais qu’un intervenant qui doit trancher, vaincre, conquérir dans un contexte déjà donné. Ces contraintes d’exposition rendent
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des données observationnelles, des conjectures théoriques, des lois d’évolution ou des diagrammes d’interaction, des extrapolations… La seconde est une question métaphysique. Elle interroge une éventuelle explication ultime de l’existence même de tout ce qu’il y a.
il est certain qu’elle sera naturellement docile à son action 5 – Conclusion : il est bien plus probable que le démiurge ait créé la matière qu’il a mise en ordre, plutôt qu’il ait arrangé une matière dont la constitution et les propriétés pouvaient échapper à son contrôle. Ce raisonnement ne rend pas la création plus familière : nous n’expérimentons jamais une production à partir de rien, comme le Benvenuto Cellini de Berlioz l’illustre à merveille. Même nos actes libres ne procèdent pas de rien : nous les posons sur la base de décisions motivées par des observations et des expériences passées. Contre cette argumentation générale, on peut faire valoir des objections. On peut refuser la prémisse 1 en disant, à la suite de Lucrèce ou de Jacques Monod, que l’apparence d’ordre et de régularité des édifices atomiques n’est que l’exception qui confirme la règle. On peut encore suggérer que, même en admettant la validité du principe de raison suffisante, son application à l’ensemble de la réalité pourrait nous obliger à remonter à autant de causes premières qu’il y a d’éléments ultimes de la réalité, et non pas à un unique Dieu créateur. C’est le sophisme de la composition que Hume critiquait : « tout homme a une mère » n’implique pas « il y a une mère de tous les hommes ».
2. Une conception irrationnelle ? L’idée de création a souvent été soupçonnée d’irrationalité, au motif qu’elle enfreindrait le principe rationnel : rien ne naît de rien. Mais la création ex nihilo ne signifie pas que le rien, le nihil, serait le matériau dont Dieu fait quelque chose. Ex nihilo signifie au contraire : ce n’est pas à partir de quelque chose que Dieu fait exister quoi que ce soit. Le principe selon lequel rien ne naît de rien vaut à l’intérieur de l’univers physique. Toute la question est de savoir si l’univers lui-même peut tenir son existence d’autre chose que de lui-même. Ce qu’Épicure et Lucrèce contestent : « Rien n’a jamais été engendré à partir de rien par la divinité. » Il existe toute une tradition qui prétend justifier par voie d’argument la création ex nihilo. L’argument développe une suggestion ironique de Platon, qui se demande comment le « démiurge » (« l’artisan et père de l’univers ») a bien pu introduire nombres, figures et proportions géométriques dans une matière rebelle à l’ordre et à l’harmonie, et seulement soumise à une nécessité aveugle. Comment se montrer persuasif ? À moins que, contrairement à la représentation anthropomorphique, il n’ait pas été limité par une matière préexistante (argument repris par toute une tradition, de Philon d’Alexandrie à Bacon, Voltaire, et même Kant ou Brentano). En voici le schéma : 1 – Le monde est ordonné sous l’action du démiurge 2 – La mise en ordre du monde suppose la docilité de la matière 3 – Si la matière existe indépendamment du démiurge, il n’y a aucune raison qu’elle se prête docilement à son action 4 – Si l’existence de la matière dépend du démiurge,
3. Question de timing ou de self-existence ? Un autre problème est celui de la temporalité de la création. Sous l’influence du paradigme narratif, on se représente plus aisément l’existence créée comme succédant chronologiquement à l’opération créatrice. Mais le concept rationnel de création ex nihilo n’implique pas cette scénarisation. Platon suggère que « le temps est né avec le monde », de sorte que si production du monde il y a, celle-ci ne peut être décrite comme un processus temporel. Chalcidius, traducteur et commentateur du Timée de Platon, proclame avec force : « L’origine du monde
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est causale, non temporelle. Ainsi il se peut que le monde sensible, même s’il est corporel, soit éternel, et cependant qu’il soit fait et ordonné par Dieu. » C’est le concept rationnel de création que reprendront Augustin, Avicenne, Averroès, Maïmonide. Thomas d’Aquin affirmera que rationnellement c’est « la priorité de Dieu sur le monde en nature seulement » et non « selon la durée » qui peut être prouvée (cette dernière fait l’objet de la révélation). Leibniz fera encore état, sur le ton d’une évidence bien connue, de la possibilité d’un monde éternel qui cependant dépend inévitablement d’une raison dernière des choses, elle-même extra-mondaine, à savoir Dieu. Tel est bien le concept de création : celui d’une relation de dépendance de ce qui existe par rapport à un principe créateur, non celui d’une production dans le temps. Plus proche de nous, Sertillanges dénonçait avec verve « l’effroyable imagerie d’Épinal » d’une temporalité de l’acte créateur. Si en outre, comme on le murmure avec certains physiciens (Julian Barbour, Carlo Rovelli), la dimension temps n’est pas plus essentielle à la réalité physique que, par exemple, l’orientation du haut et du bas (toujours relative à un champ gravitationnel), alors la conception de la création comme événement de transition a vraiment du plomb dans l’aile. Si le temps, au lieu d’être un cadre métaphysique absolument indépendant, est une dimension propre à certaines interactions se produisant dans l’univers existant, alors ce n’est pas dans le temps que Dieu crée le monde. La question « D’où vient qu’il y a un univers ? » (ou un multivers…) n’est plus une question d’histoire. Georges Lemaître, fondateur de la théorie du Big Bang, n’a cessé de récuser les tentatives de récupération apologétique plus ou moins créationnistes de sa théorie. Affirmer scientifiquement une création surnaturelle, ce serait, outre un bizarre mélange des genres, être en mesure de dire : il n’y a rien avant le monde. Mais si « avant » n’a pas de sens, nous ne sommes plus en mesure d’affirmer ni l’existence ni l’inexistence de quoi que ce soit en-deçà
des débuts de l’univers observable. L’hypothèse cosmogonique physique du Big Bang ne préjuge pas de l’issue du débat métaphysique : « Une telle théorie reste entièrement en dehors de toute question métaphysique ou religieuse. Elle laisse le matérialiste libre de nier tout être transcendant. » (juin 1958, congrès Solvay) « Le problème de la création, dira encore Lemaître, garderait tout son sens métaphysique, dans le sens de la dépendance de tout être, de nousmêmes. […] Ce problème serait totalement dégagé de la cosmogonie. » (15 avril 1966) Imaginons une œuvre musicale qui aurait toujours commencé, et dont la durée a parte ante serait illimitée. Il faudrait bien qu’on se résigne à lui attribuer un créateur, à moins de supposer qu’elle existe par elle-même. Je laisse les experts de la SACEM décider si le cas s’est déjà produit… La question de la création n’est pas une question de timing, mais une question d’auteur.
Paul Clavier est philosophe et professeur de philosophie à l’École normale supérieure. Auteur de nombreux articles et livres dont Ex Nihilo (Paris, Éditions Hermann, 2011, 2 volumes)
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L’hypothèse post nihilo Nathalie Blanc et David Christoffel
Toute œuvre part de quelque chose, il n’y a pas de création ex nihilo. Ce qui participe à l’idée que toute œuvre nous dit quelque chose de l’état du monde. Dès lors qu’on acte que l’état du monde est dans une rupture d’équilibre, qu’est-ce qui doit changer dans notre conception de l’acte créateur ? Imaginer une œuvre qui ne soit que silence. Dans le contexte actuel, elle sera interprétée forcément comme étant : on ne peut plus rien dire tellement le drame est grand.
En réécrivant leur dialogue élaboré à partir de l’écoute de Luigi Nono et Olga Neuwirth, Nathalie Blanc, géographe et David Christoffel, musicologue, se sont interrogés sur l’évolution de l’expérience esthétique. Leur dialogue constitue une exploration de « l’hypothèse post nihilo » : au lieu de penser la création comme « ex nihilo », sortie du rien, ils reconnaissent que le créateur n’est pas toujours résolu à faire œuvre et pourrait prolonger un néant déjà très rempli. Cela suppose de prendre en charge une approche plus pragmatiste de l’expérience musicale et de s’intéresser au point de vue de la réception, aux ressentis de l’auditeur. Cette attention nouvelle apportée aux effets d'une œuvre sur le public étant un des apports importants de l’esthétique environnementale. Apparue dans les années 1980, cette discipline réfléchit l'art dans ses dimensions écologiques.
Olga Neuwirth fait une œuvre à partir de Prometeo en 20151. N’est-elle pas en train de reconstruire une acoustique ? Si la composition musicale passe par la reconstruction d’une acoustique, elle devient une préoccupation « anté-formelle », qui remonte avant l’intention de composer, avant la volonté de forme. Il pourrait alors s’agir de ne pas faire de musique, même s’il y a une insistance à en faire quand même. Il y a une affirmation, que ce soit dans le fait de faire ou de ne pas vouloir faire, comme si le créateur était condamné à créer, son faire étant œuvre par défaut… Tout un chacun, nous produisons des formes, nous nous accordons sur des formes. Mais pour faire œuvre, il faut que ces formes ou cette forme ait une dimension d’émergence. Il faut qu’elle ait une dimension propre, singulière. Si on ne fait que broyer du reste, on ne fait pas œuvre.
« Tragédie de l’écoute » de Luigi Nono avec le sous-titre de Prometeo place l’auditeur en situation inconfortable et conduit à entendre son défaut de plaisir comme une tragédie. Mais si la musique est portée à la limite de l’audible, c’est que le créateur est lui-même à la limite de savoir s’il peut vraiment tenir son rôle. D’où l’hypothèse post nihilo. La perspective post nihilo revient à penser qu’on est surchargé de tout ce qui s’est passé : en vérité rien ne surgit jamais de rien. Un créateur part toujours de quelque chose dont il s’empare pour faire son œuvre. Mais dans la musique de Nono, il semble que le silence n’est ni ce rien, ni ce trop-plein. Il est possiblement partie constituante de l’œuvre, instance de révélation ou d’apparition. Il y a eu une première extrapolation à thématiser l’inconfort de l’écoute dans une dimension tellement existentielle, jusqu’à l’imaginer comme une tragédie.
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À propos de La Mosaïque des philosophes de Torre Annunziata (du Ier siècle avant Jésus-Christ), Peter Sloterdijk a cette phrase : « Ils ont devant une sphère qui convoque l’observateur avec deux impératifs inconditionnels : allez pense-moi et dissous-toi en moi. » À peine a-t-on donné un outil à la représentation du monde qu’il a été pris pour étalon de la pensée. Aujourd’hui, le globe est devenu l’étalon de l’habitation, c’est l’ultime forme. Il en va d’une vision du monde. Au temps de son invention, une mappemonde était forcément très utile pour changer la vision du monde. De même que
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l’apparition de l’orgue a introduit la science des intervalles musicaux. Produire le globe a été un geste très significatif : on peut imaginer toutes les autres formes qui auraient pu être produites et qui n’auraient pas été le globe. Maintenant, la terre est vue du ciel, le globe terrestre est naturalisé, grâce aux images satellite. Gaia 2 fait apparaître le monde d’une certaine manière, qui formate notre représentation. Mais toutes les formes qui sont produites ne font pas rupture. Qu’est-ce qui peut motiver d’aller aux limites de la forme ainsi que le fait la compositrice Olga Neuwirth ? Aller aux limites antérieures, en l’occurrence, dialoguer avec l’acoustique. De se contenter d’émettre des quasi-formes mais qui ne sont pas trop formalisées justement pour être… Cependant Olga Neuwirth ne travaille que des restes : ces restes font-ils forme ?
chose de complexe. C’est plutôt un objet de mythe qu’une question qui peut se poser. Qu’est-ce qu’une œuvre qui n’a aucun auditeur, aucun locuteur, aucun lecteur ? C’est une question que l’on peut se poser au sujet de Bartleby : à partir de quoi fait-il œuvre ? Pourquoi l’assertion « je préfèrerais ne pas » a-t-elle fait œuvre ? Parce qu’elle s’inscrit dans le monde de façon spécifique ? Avec une suspension de l’intention, on peut marquer un positionnement qui résiste à l’assignation du positionnement justement positif, qui dit où il va, qui dit ce qu’il fait, qui dit sa préférence de façon positive. De fait, même par défaut. Et c’est le problème. C’est aussi la logique de marché. On n’a pas le choix d’échapper au choix. Même quand on en échappe, on est assigné au fait qu’on en échappe. C’est pour ça qu’on finit par préférer mourir. Mais pourquoi penser l’origine créatrice dans l’histoire de la musique, soit l’hypothèse ex nihilo ? C’est le Big Bang, une forme de jouissance ou la jouissance sous toutes ses formes : la création étant liée au plaisir ou au déplaisir, elle est esthétique. Créer des associations par plaisir, pour intensifier le plaisir, pour en éprouver plus facilement toutes les facettes. Il y a quand même suspension du désir (et du plaisir) dans la tragédie de l’écoute ou… À la fin, on se dit que c’était du plaisir mais, sur le moment, on ne sait pas exactement ce qui arrive. Et quand on est en situation totale d’inconnu, effectivement, on est déstabilisé, on ne se reconnaît pas, en dépit d’une certaine culture… Par exemple, mon plaisir est de guetter l’heure où ça va m’emmener à enrichir mon vocabulaire esthétique, c’est-à-dire la possibilité que je vais avoir de jouir sous une forme inédite. Probablement parce que je suis comme ça, de tempérament à aimer le risque. Ce qui voudrait dire qu’il faut être « comme ça » pour arriver à quelque chose devant ce type d’œuvre. C’est parce que je suis « comme ça » ou, de façon plus collective, c’est parce que nous en sommes là.
Une œuvre n’est pas seulement l’intention. C’est aussi la manière dont elle est reçue, ce qu’elle produit. Neuwirth fait une œuvre monumentale, et cependant dépouillée malgré le nombre de musiciens qu’elle mobilise, et la quantité de préalables techniques qu’elle requiert. C’est peut-être son rapport au reste qui pose un problème. C’est la sous-formalisation des restes. Du point de vue de mon expérience esthétique, une œuvre commence à partir du moment où j’arrive à reconnaître quelque chose qui a à voir avec mon état affectif. Mais quand on dit « reconnaître », ça veut dire qu’on a besoin que ce qui est envoyé réponde à mes codes ou que, du moins, ça provoque en moi quelque chose qui fasse reconnaissance. Et même si je ne reconnais pas, je fais de la logique inductive, des associations, de la métaphore… Où commence l’esthétique ? L’expérience esthétique, c’est quelque chose qui me transforme, quelque chose que je vis. C’est moi qui deviens forme. C’est pour ça que je dois me reconnaître, que la réception est l’objet du débat, que l’œuvre que personne ne connaît est quelque
On est en crise, ou en perte d’équilibre, la seule manière dont on arrivera à se guider vers ce monde nouveau, ça sera esthétiquement. Le procédé pour se reconnaître dans un monde nouveau ne peut être qu’esthétique. Vu que toute rationalité scientifique nous a menés dans le mur et qu’aujourd’hui cette rationalité n’arrive même pas à recomposer les termes d’un monde nouveau, ni d’un point de vue scientifique, ni même politique. De nouvelles formes vont surgir. Comment faire à partir de là ?
le vert ait été choisi est, par exemple, esthétiquement significatif. Les américains ont interdit le mot « vert » dans les marques qui ne donnent pas suffisamment de garanties. En français on a traduit « greenwashing » par « écoblanchiment ». On a mis une couleur qui ne produit pas l’effet de halo pour traduire un concept qui repose directement là-dessus. Alors que l’écoblanchiment peut renvoyer au champ de la drogue. On pense à la poudre, et on se dit : en fait, on dissout en poudre toute l’écologie. Et cela veut aussi dire qu’on dissout en poudre tout notre questionnement.
Le globe arrive, et c’est déjà une forme. Ce qui ne dit rien de sa valeur : certaines formes ne valent rien. La forme implique reconnaissance et expérience et du temps ! En esthétique environnementale, il y a deux écoles. Ceux qui disent que, quand on regarde un paysage, certaines composantes de notre plaisir ou de notre admiration esthétique sont notamment les connaissances scientifiques. Il y a une espèce de rationalisation du plaisir éprouvé face à un paysage. Mais les enquêtes en termes de réception du paysage montrent qu’il y a peu de rationalisation – sinon a posteriori – et ces éléments de savoir n’interviennent pas de façon décisive dans la manière d’apprécier les choses. C’est la deuxième école.
1. Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie (2015). 2. James Lovelock a développé l’idée que la Terre est vivante comme un arbre et non, comme le croyaient les Anciens, comme une divinité, l’autorégulation de ce « super-organisme » résultant de la sélection naturelle et non d’une intentionnalité. L’hypothèse Gaïa est une alternative à l’idée d’une « planète-machine », la nature ne peut être traitée comme telle par l’homme, alors qu’il n’est qu’un participant de ce système (N. Charlton, 2002, Guidetophilosophyandtheenvironment).
Comment faire quand on est seul face à des œuvres, face à des environnements totalement nouveaux, sans aucun repère, face à des situations où la question morale n’est plus du tout de l’ordre de celle que l’on connaît ? En tant que sceptique, on est amené à douter de tout, même si on sait qu’on ne pourra pas avancer sans prendre appui sur quelque chose. Faire œuvre, c’est prendre appui. Les œuvres dont on parle prennent appui sur les restes, et non pas sur quelque chose d’écrit positivement. À partir de là, on configure ou reconfigure des formes qui font intervenir d’autres choses. On passe son temps à ça. La dimension esthétique des questions écologiques est prédominante. Même si on préfère l’oublier, le fait que
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Cinéma du réel Entretien avec Jean-Stéphane Bron – Propos recueillis par Célia Houdart –
– cette forme extrêmement libre – qui influence de manière déterminante la grammaire et les signes de la fiction contemporaine. Et ceci, pas seulement au cinéma, mais aussi en photographie, en littérature. Que serait l’œuvre d’Emmanuel Carrère sans ce rapport singulier qu’il entretient au réel, aux faits, au document, et qui en fait pourtant un des très grands auteurs de fiction aujourd’hui ?
Parfois, créer c’est travailler à partir d’une matière préexistante : Leos Janácek prenant en dictée les paroles quotidiennes de son entourage, Olivier Messiaen retranscrivant le chant des oiseaux, Mauricio Kagel reprenant des fragments de la musique de Beethoven, ou certains DJs expérimentaux (Christian Marclay, Philip Jeck) recyclant des vieux disques abandonnés… S’il est un art qui ne peut se passer de ce rapport primordial au réel, c’est bien le cinéma ; en particulier le cinéma dit « documentaire ». C’est pourquoi nous avons souhaité faire figurer ici la parole d’un cinéaste, le documentariste suisse Jean-Stéphane Bron, que l’on connaît en France surtout grâce à deux films. Le premier, Cleveland contre Wall Street (2010), est une mise en scène d’un procès qui aurait dû avoir lieu, entre une ville du Midwest des États-Unis, Cleveland, et les vingt-et-une banques de Wall Street impliquées dans sa ruine. Le deuxième, L’Expérience Blocher (2013), est le portrait de l'homme politique suisse Christoph Blocher, chef de l'UDC, le parti de la droite populiste.
Vous parlez du documentaire comme d’une « forme libre ». Comment mesurez-vous la marge d’« intervention » de votre part dans le réel que vous filmez ? À quel moment risque-t-on de basculer dans le faux ? En documentaire on ne suit pas un scénario mais son intuition, celle-ci ne cessant d’anticiper ce qui pourrait advenir selon un dispositif, un choix de protagonistes, de lieux, de langage, tout ceci définissant les contours du film à venir, sa grammaire. Cela dit, il faut relativiser cette spécificité du geste documentaire. Certains cinéastes de fiction suivent ces principes : pas de scénario, pas de dialogues écrits, mais une idée générale de l’histoire et des personnages, où l’imprévu, les accidents, le hasard, font partie du processus. La vraie singularité du documentaire se place au niveau de l’acteur. En documentaire, il n’y a pas un acteur qui interprète un rôle, mais des protagonistes qui performent ce qu’ils sont. C’est autour de cette notion de performance que la marge d’intervention est grande, et même sans limite. Faire refaire quelque chose à quelqu’un par exemple : le mettre en scène dans un lieu précis, en faisant attention à la lumière, à la composition du cadre, etc. Remettre en scène une situation observée pour marquer, souligner, épurer un geste, une parole, afin de lui conférer une authenticité plus grande encore que ce qu’on aurait pu saisir sans intervention, c’est là où je vois la liberté du documentariste, qui est infinie. C’est ce que les Anglo-Saxons appellent le reenactment. Un principe aussi vieux que les débuts
Dans Cleveland contre Wall Street et L’Expérience Blocher, les protagonistes ne sont pas des acteurs. Et pourtant l’impression que nous laissent ces œuvres est proche de celle que pourrait produire une fiction. Documentaire(s), fiction(s) ? À quel(s) genre(s) rattacheriez-vous ces deux films ? Au documentaire, très certainement, même si la distinction entre documentaire et fiction n’est plus très pertinente aujourd’hui. Ce qui m’intéresse, c’est d’explorer un territoire où ces catégories n’opèrent plus. Il existe une idée toute faite qui veut que le documentaire soit du côté de l’information, de l’acte politique, et la fiction du côté de la fantaisie, de l’invention, de l’art. C’est pourtant le documentaire
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du cinéma : on sait bien que derrière le cinématographe des frères Lumière, des opérateurs accordaient le monde à leurs désirs, même s’ils donnaient le sentiment de filmer la réalité, le monde « tel qu’il est ». Il y a eu par exemple sept prises pour saisir La Sortie de l’usine Lumière à Lyon : les ouvrières y portent des robes et des chapeaux et non leurs habits de travail, et cette sortie est ordonnée selon une hiérarchie précise… La limite, c’est quand le protagoniste du film documentaire bascule du côté de l’acteur. Qu’il performe un autre. Quels principes de tournage adoptez-vous ? Faites-vous répéter les interprètes ? Pour chaque film, mettez-vous au point un dispositif filmique particulier ? Une sorte de Dogma bien à vous ? Cleveland contre Wall Street est un vrai film de studio ! Entre la mise en scène, la technique, les figurants, la régie, une centaine de personnes s’affairaient dans la salle du tribunal de Cleveland pour fabriquer le film… Et pourtant, ce qui se jouait devant la caméra était extrêmement fragile, puisqu’il s’agissait de mettre en scène la parole de sept témoins qui n’étaient pas des acteurs, mais les représentants d’une « chaîne de responsabilités » qui allait des familles expulsées de leur maison à l’un des pères de la dérégulation financière sous Ronald Reagan. Mon travail consistait à aider chacun à se faire entendre le mieux possible. D’où le besoin de les diriger, de leur donner des indications de jeu, d’insister sur une émotion, etc. pour les aider à performer devant la caméra. Afin que les gens aient envie de faire semblant « pour de vrai », il est nécessaire d’instaurer une relation de confiance. J’étais en cela aidé par le fait qu’ils témoignaient tous devant un (vrai !) juge qui leur demandait de jurer, de dire toute la vérité devant Dieu. Aux États-Unis, on ne plaisante pas avec cette injonction, même sur un plateau de cinéma.
Les protagonistes de Cleveland contre Wall Street n’hésitent à aucun moment. Les silences de Blocher sont eux aussi impressionnants. Tous ont une présence incroyable, comme de grands acteurs en somme. Comment expliquez-vous cela ?
ce sont ces formes hybrides – où la mise en scène est présente – qui permettent de révéler un certain « état du monde », d’extraire des formes, une pensée, du magma d’images prétendument « brutes » qui nous entourent.
Comme la réalité n’est pas une fin en soi, mais un point de départ, j’essaie toujours de tirer la personne du côté du personnage, en essayant de donner accès à son intériorité, à sa part invisible, secrète. Les lois de la physique quantique s’appliquent aussi au cinéma documentaire : le simple fait d’observer une chose modifie cette chose… Qu’une seule personne s’offre au regard de dix documentaristes, et vous aurez la sensation de voir dix personnes différentes. La Reine d’Angleterre, peinte par Lucian Freud, n’est pas la même personne que celle représentée sur les murs du Palais de Buckingham par les peintres officiels de la Cour. Le documentaire est toujours du côté de la subjectivité. Contrairement au reportage, qui prétend rendre compte du monde « tel qu’il est », objectivement ; ce qui est une illusion.
Selon vous, le cinéma est-il voué aujourd’hui à être un cinéma du réel ? Un art qui prendrait le relais d’une réalité omniprésente, surmédiatisée, captée en flux continu, mais qui, en fait, se dérobe?
Les documentaires de Johan van der Keuken, Agnès Varda ou Frederick Wiseman sont-ils des références pour vous ? Vous sentez-vous redevables envers certains artistes en particulier ? Wiseman est un monstre sacré mais je me sens plus proche de Van der Keuken ou d’Agnès Varda qui pensent le documentaire comme un territoire sans limite, où toutes les inventions formelles sont possibles. Je m’intéresse aux artistes qui vont dans cette direction, là où le réel a clairement son mot à dire dans la fiction, et inversement, comme Joël Pommerat le fait au théâtre ou Philip-Lorca diCorcia en photographie, mêlant tradition documentaire et mise en scène ; une démarche sur laquelle se fonde la photographie contemporaine. Il me semble que
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nous en rapprochent. Le flux d’images auquel nous sommes aujourd’hui soumis nous éloigne du monde, parce qu’il nous pétrifie. Je suis intriguée par la musique et plus généralement la bande-son de vos films. Dans L’Expérience Blocher, dès la scène d'ouverture, elle nous plonge dans une ambiance de thriller, tirant la narration vers la fiction. Quel rôle occupe la musique dans ce film ? Et dans Cleveland contre Wall Street ?
J’ai l’impression que la force des images documentaires s’est dissoute dans YouTube et sur tous les écrans qui nous entourent. Le monde est de plus en plus filmé, de moins en moins regardé. C’est notamment très frappant sur les photos qui montrent un événement où des dizaines de personnes ont sorti leur téléphone portable : personne ne regarde ce qu’il filme, ce qui se joue dans le cadre, et personne ne regarde vraiment ce qui se passe non plus. La légende veut que la mort de Kadhafi ait été filmée par dix-sept caméras et téléphones portables différents, sous dixsept angles différents donc, et on ne sait toujours pas ce qui s’est passé ! Face à cette décomposition du réel, il me semble que le documentaire d’auteur, qui soumet le monde à une pensée et à un regard, a une place centrale à jouer dans la production des images contemporaines. J’ai vu récemment un film extraordinaire, peut-être un des plus beaux film de ces dernières années, Homeland : Irak, année zéro, d’Abbas Fahdel, qui filme sa propre famille, dans le contexte de la guerre. Il y a dans ce film un pouvoir d’identification très fort, qui vient du regard porté sur les protagonistes : on a le sentiment d’être avec eux, de vivre avec eux, de partager leur histoire. Que va-t-il arriver à ces personnages qui deviennent en quelques minutes mes amis, mes frères ? C’est toute la force de ce cinéma qui transcende les genres. Il y a des images qui nous éloignent du monde, d’autres qui
Pour Blocher, je suis vraiment allé puiser dans les films de vampires. Je trouve que le populisme, c’est ça : une manière de vampiriser la démocratie. Donc on a vraiment travaillé sur des B.O de films d’horreur, des choses vraiment très underground jusqu’aux productions du maître absolu, Dario Argento. Pour Cleveland, c’est autre chose : j’ai cherché du côté du folk et de cette tradition contestataire qui vient de Woody Guthrie, des protest songs. J’ai trouvé chez Bruce Springsteen le morceau « Pay me my money down ! », et j’ai pensé que c’était assez approprié pour terminer un film faisant le procès des dérives du capitalisme. Aujourd’hui, je me trouve, pour la première fois de ma vie, immergé dans la musique. C’est vraiment nouveau et merveilleux. La musique est l’actrice principale de mon prochain film consacré à l’Opéra de Paris : c’est elle qui conduit le récit, donne le tempo aux séquences, détermine leur durée, le ton, etc. J’espère que ce film tourné à la manière d’un opéra-documentaire – un nouveau genre – plaira aux amateurs.
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La création entre intelligence et vie artificielle Entretien avec Guillaume Dumas – Propos recueillis par Bastien Gallet –
couplage, relations interpersonnelles. On parlera de vie artificielle plutôt que d’intelligence artificielle. Mais c’est sans aucun doute la raison algorithmique qui l’a emporté. L’algorithme n’est qu’une forme particulièrement évoluée de computation. La machine fait séquentiellement ce que son programme lui dicte. On a l’impression que les algorithmes de Google sont capables de jouer en temps réel à des jeux complexes, mais il s’agit là d’une illusion médiatiquement bien orchestrée. Jouer, c’est aussi être capable de générer de l’imprévisible, d’improviser, de sortir du cadre. Or, même les intelligences artificielles les plus avancées nécessitent qu’on leur donne initialement un cadre général d’interprétation du monde. Il y a donc toute une panoplie de présupposés humains que la machine n’aura jamais appris. Une autre dimension importante est l’engagement du système tout entier dans l’acte de jouer. C’est en ce sens que l’on parle de cognition incarnée : tout le système nerveux est sollicité et opère de manière distribué ; à travers les boucles continues de perception et d’action, il affecte le monde tout autant que le monde l’affecte.
On oppose généralement deux grandes théories de la cognition. L’une est computationnelle : elle considère que l’intelligence est susceptible d’être réduite à un calcul, à une manipulation de signes discrets. C’est elle qui est à l’origine de l’Intelligence Artificielle et de la pensée algorithmique. L’autre considère que toute intelligence est en devenir : située et incarnée, elle interagit avec d’autres intelligences au moins autant qu’avec son environnement, bref elle évolue et construit du sens. La première produit des intelligences complètes, l’autre leur laisse le temps de devenir telle, le temps d’apprendre. Cette opposition n’est plus aujourd’hui aussi nette qu’elle a pu l’être. Elle continue cependant à structurer le champ des neurosciences.
Cette scission est très ancienne. Elle est à la racine même des sciences cognitives. On la voit apparaître dès les célèbres conférences Macy qui ont réuni, entre 1941 et 1960, l’élite des chercheurs qui travaillaient sur ces questions. Un certain nombre d’entre eux, Norbert Wiener, John von Neumann, Gregory Bateson, Heinz von Foerster, etc. – les fondateurs de ce qu’on appelait la cybernétique – s’opposaient au paradigme cognitif. Ils ne pensaient pas l’intelligence comme une capacité à manipuler des symboles discrets mais comme un système évolutif. Il s’agit d’une vision intégrative de l’intelligence. Au lieu de partir d’un ensemble de facultés séparées, on suppose un réseau d’éléments en interaction capable d’évoluer et d’inventer de nouvelles règles. C’est un peu comme si deux métaphores s’opposaient : celle du cerveauordinateur et celle du cerveau-réseau. Pour la seconde, il est impossible de définir des modules strictement séparés : le langage, la vision, les émotions, etc. Ici, ce qui importe c’est moins la faculté que le processus par lequel elle émerge et qui suppose coordination,
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Dans cette conception, la relation entre les neurones a au moins autant, sinon plus d’importance, que les neurones eux-mêmes. C’est en se connectant qu’ils forment peu à peu des ensembles organisés, des systèmes de plus en plus complexes. On pourrait facilement imaginer une intelligence se constituant ainsi, par agencement de systèmes neuraux. Il y a là une voie alternative au programme classique de l’Intelligence Artificielle. C’est une approche qu’il est désormais impossible d’ignorer mais qui est très difficile à rendre opératoire. Il est en effet beaucoup plus facile d’identifier une zone ou un gène responsable que de prédire ce qui va émerger
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et pourquoi. Alpha GO, le programme de Google Deep Mind, est très représentatif de cette tendance nouvelle. L’entité apprend à jouer au go par essais et erreurs. Le joueur qu’elle a récemment battu – le Coréen Lee Sedol, considéré comme le meilleur joueur du monde – a dit de manière significative qu’Alpha GO jouait comme un humain. Tout le contraire de Deep Blue, le programme qui avait battu Garry Kasparov en 1997. Le problème est qu’on ne sait plus nécessairement comment le système fait et pourquoi cela fonctionne. On se retrouve un peu dans la même situation que le neuroscientifique devant un cerveau réel. On ne fait au fond que reproduire quelque chose qu’on ne comprend pas et dont on ne peut expliquer le fonctionnement. Le succès est spectaculaire mais ça ne nous apprend pas grand-chose. Je pense qu’il est plus que jamais nécessaire de croiser les deux approches : celle du réseau et celle de l’algorithme. La simulation est essentielle mais il faut l’utiliser à une échelle où il est possible de la comprendre. Je crois beaucoup au dialogue entre biologie et ingénierie.
situations nouvelles et sont absolument démunies lorsqu’elles doivent improviser. C’est l’image de l’échiquier qu’a proposée Ludwig Wittgenstein : les machines sont prisonnières des règles qu’on leur a données et qu’il leur est impossible de transgresser. J’ai essayé il y a quelques années de programmer une entité artificielle de manière à ce qu’elle sorte du programme, qu’elle se comporte de manière imprévisible. J’ai eu la très forte impression d’être face à quelque chose de vivant. Dès qu’on quitte la stricte logique algorithmique, une altérité se dessine. Ce qui n’a pas empêché les tenants de l’Intelligence Artificielle d’essayer d’émuler la création, ou du moins une de ses formes. La création y est alors pensée comme une combinaison élaborée de choses déjà connues. L’algorithme permet à la machine d’interpoler des existants. On rentre une très grande variété d’œuvres connues dans le programme et on lui demande d’en opérer des synthèses dont on sélectionnera les plus originales. On retrouve également au niveau des neurosciences sociales l’opposition qu’on observait au début entre sciences cognitives et connexionnisme.
On devine tout l’intérêt qu’une étude des processus artistiques pourrait avoir dans ce domaine. La création s’y présente en quelque sorte à nu. La grande question serait : est-il possible de programmer l’acte créatif ?
Il y a en effet deux grandes conceptions de la cognition sociale. Une dite de haut niveau : c’est la représentation que l’on se fait de l’autre en son absence. L’autre dite de bas niveau : c’est le couplage que l’on opère avec autrui avant même de pouvoir se le représenter. C’est ce que l’on observe chez le nourrisson : la relation qu’il entretient avec sa mère ne repose sur aucune représentation. Il s’agit d’un couplage sensori-moteur. C’est sur celle-ci que l’autre, la conception représentationnelle, se fonde. Ces approches se sont toujours opposées alors qu’elles sont complémentaires.
Il faut commencer par questionner ce qui constitue le processus créatif en tant que tel. Ne suppose-t-il pas, toujours, une interrelation ? Quelque chose d’interpersonnel, même lorsqu’on est seul ? Certains neurobiologistes ont ainsi fait l’hypothèse qu’on avait développé le sens d’autrui avant le sens de soi. Prévoir ce que l’autre va faire présente un avantage certain en termes d’évolution. Il s’agit là, typiquement, d’une chose que l’Intelligence Artificielle est incapable de penser : la relation à autrui, l’intersubjectivité. À la fin de sa vie, Francisco J. Varela a posé les bases du programme de recherche de la neurophénoménologie1. Il y a une dimension intrinsèquement intersubjective dans l’intelligence. Et c’est ce qu’il y a de plus difficile à programmer. Les machines ont beaucoup de mal à réagir à des
A-t-on observé et étudié les cerveaux de personnes en interaction ? Qu’en est-il de l’interaction créative, celle que l’on trouve dans la danse ou la musique improvisée ? Existe-t-il des différences entre le cerveau d’un musicien interprétant une partition et celui d’un musicien en train d’improviser ?
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C’est la question que je soulevais dans ma thèse et que je continue à explorer en tant que chercheur. Les expériences mises en place par les neurosciences cognitives consistaient à enregistrer des personnes seules en train d’observer des interactions sociales projetées sur un écran. Afin d’étudier le cerveau en situation d’interaction réelle, et non seulement représentée, il m’a fallu introduire ces interactions dans le laboratoire. Cela m’a permis de montrer que le fonctionnement et la dynamique du cerveau sont très différents quand la personne est seule et quand elle interagit avec d’autres. J’ai également montré que les contextes d’interaction jouent un rôle essentiel : on observe d’importantes différences entre une situation où l’on demande aux sujets de s’imiter les uns les autres et une situation où ils doivent parler ensemble tout en co-régulant les tours de parole. Des IRM2 ont montré que des structures neuronales impliquées dans la récompense (le plaisir qui vient « récompenser » certains actes) étaient nettement plus impliquées dans ce dernier cas. J’ai récemment travaillé avec des spécialistes en science de l’éducation sur l’apprentissage collaboratif et par échanges spontanés et nous nous sommes rendus compte qu’il existe un fondement neurobiologique à ces théories de l’éducation : il y a une récompense intrinsèque au fait d’apprendre en interagissant spontanément avec d’autres. Autrement dit, apprendre collectivement et collaborativement procure du plaisir.
Les interactionnistes font évidemment l’hypothèse contraire : quelque chose de nouveau émerge de la dynamique interpersonnelle. La danse et la musique sont des terrains formidables pour mettre ces hypothèses à l’épreuve. Des musiciens qui jouent ensemble suivent en même temps une ligne individuelle et collective ; ils mettent en œuvre de manière spontanée un couplage entre monde commun et monde personnel, comme s’ils se dotaient presque immédiatement d’une nouvelle faculté qui leur permet d’être actif simultanément sur les deux plans. Il se produit là quelque chose qui rappelle les phénomènes de résonance et de transition de phase comme on l’observe en physique lorsque la matière passe d’un état à un autre (par exemple, la cristallisation ou le ferromagnétisme). Est-il possible de considérer, au moins analogiquement, un orchestre comme un cerveau ? On observe des phénomènes de synchronisation entre les cerveaux de personne en interaction. Ils se mettent en phase, forment pendant un temps donné un système autonome. Ce qui est vrai des interactions spontanées en laboratoire l’est a fortiori d’un orchestre en train de jouer ou, mieux encore, d’un ensemble de musique de chambre se dirigeant lui-même. Pour être « comme » un cerveau, il ne manque à ces entités collectives que la clôture opérationnelle, autrement dit une membrane. Nous ne formons des touts que symboliquement. Mais cette enveloppe a beau ne pas être physique, elle n’en est pas moins réelle.
Un des concepts les plus importants ici est celui d’émergence. Pourriez-vous l’expliciter ? Il faut distinguer émergence faible et émergence forte. La première dit seulement qu’il faut des parties hétérogènes pour constituer un tout. La seconde que le tout est plus que les parties. Autrement dit, le tout possède des propriétés qui n’auraient pu être prédites par la simple connaissance de toutes ses parties. Les tenants des sciences cognitives, partisans de l’émergence faible, expliquent que l’interaction sociale ne produit aucune propriété nouvelle, seulement la participation d’une zone jusque-là inactive du cerveau de chaque individu.
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Voir « Steps to a Science of Inter-being », dans The Psychology of Awakening, Red Wheel, 2000. 2 Images par résonance magnétique.
Guillaume Dumas est ingénieur de l’École centrale Paris et docteur en neurosciences cognitives à l’Université Paris 6. Il est chargé de recherche à l’Institut Pasteur où il étudie les bases biologiques de la cognition sociale et ses troubles, plus particulièrement ceux du spectre autistique. Plus d’information sur sa page personnelle www.extrospection.eu
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L’Ensemble intercontemporain Résident à la Cité de la musique – Philharmonie de Paris
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– L’Ensemble intercontemporain (2015).
Créé par Pierre Boulez en 1976 avec l’appui de Michel Guy (alors secrétaire d’État à la Culture) et la collaboration de Nicholas Snowman, l’Ensemble intercontemporain réunit 31 solistes partageant une même passion pour la musique du XXe siècle à aujourd’hui. Constitués en groupe permanent, ils participent aux missions de diffusion, de transmission et de création fixées dans les statuts de l’Ensemble. Placés sous la direction musicale du compositeur et chef d’orchestre Matthias Pintscher ils collaborent, au côté des compositeurs, à l’exploration des techniques instrumentales ainsi qu’à des projets associant musique, danse, théâtre, cinéma, vidéo et arts plastiques. Chaque année, l’Ensemble commande et joue de nouvelles œuvres, qui viennent enrichir son répertoire. En collaboration avec l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM), l’Ensemble intercontemporain participe à des projets incluant des nouvelles technologies de production sonore. Les spectacles musicaux pour le jeune public,
les activités de formation des jeunes instrumentistes, chefs d’orchestre et compositeurs ainsi que les nombreuses actions de sensibilisation des publics, traduisent un engagement profond et internationalement reconnu au service de la transmission et de l’éducation musicale. Depuis 2004, les solistes de l’Ensemble participent en tant que tuteurs à la Lucerne Festival Academy, session annuelle de formation de plusieurs semaines pour des jeunes instrumentistes, chefs d’orchestre et compositeurs du monde entier. En résidence à la Philharmonie de Paris depuis son ouverture en janvier 2015 (après avoir été résident de la Cité de la musique de 1995 à décembre 2014), l’Ensemble se produit et enregistre en France et à l’étranger où il est invité par de grands festivals internationaux. Financé par le ministère de la Culture et de la Communication, l’Ensemble reçoit également le soutien de la Ville de Paris. Retrouvez-nous sur ensembleinter.com
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Matthias Pintscher Directeur musical de l’Ensemble intercontemporain
l’ensemble Avanti (Helsinki), le Remix Ensemble (Porto) et le Scharoun Ensemble. Depuis 2007, il est directeur artistique de l’Académie du festival de Printemps de Heidelberg, aujourd’hui renommée l’Académie des Jeunes Compositeurs d’Heidelberg. Depuis 2011, il est également en charge du volet musical du festival Impuls Romantik de Francfort. Il est nommé professeur de composition à la Juilliard School de New York en septembre 2014. Depuis octobre 2010 il est « Artiste associé » du BBC Scottish Symphony Orchestra. Également « Artiste en résidence » à l’Orchestre Symphonique National du Danemark, il y créa la saison passée un nouveau concerto pour violoncelle pour Alisa Weilerstein qui fût l’un des temps forts de l’année. Il sera le nouveau chef principal de l’Orchestre de l’Académie du festival de Lucerne à partir de la saison 2016-2017, succédant ainsi à Pierre Boulez. Matthias Pintscher a été nommé « Compositeur en résidence et artiste associé » de la nouvelle Elbphilharmonie Hamburg qui ouvrira ses portes à l’automne 2016.
« Ma réflexion de chef d’orchestre est enrichie par mon propre processus d’écriture et vice-versa. »
Après une formation musicale (piano, violon, percussion), Matthias Pintscher débute ses études de direction d’orchestre avec Peter Eötvös ; âgé d’une vingtaine d’années, il s’oriente d’abord vers la composition avant de trouver un équilibre entre ces deux activités, qu’il juge totalement complémentaires. Auteur d’œuvres majeures pour les meilleurs orchestres, son regard de compositeur sur la partition nourrit en retour son expérience d’interprète. Rapidement remarqué pour son interprétation de la musique contemporaine, il développe également une affinité pour le répertoire de la fin du XIXe et du XXe siècle – Bruckner, les maîtres du romantisme français, Beethoven, Berlioz, Ravel, Debussy, Stravinsky et la Seconde École de Vienne.
Chef d’orchestre reconnu internationalement, Matthias Pintscher dirige régulièrement de grands orchestres en Europe, aux États-Unis et en Australie. Il a ainsi dirigé le Cleveland Orchestra, le New York Philharmonic, le Los Angeles Philharmonic, le National Symphony Orchestra de Washington, l’Orchestre Philharmonique de Berlin, la Staatskapelle de Berlin, le DSO Berlin, l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich, le Mahler Chamber Orchestra, l’Orchestre de l’Opéra de Paris, l’Orchestre Philharmonique de Radio France, l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI, l’Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, le BBC Symphony Orchestra, l’Orchestre de la Suisse Romande ainsi que les orchestres symphoniques de Melbourne et de Sydney. En 2016-2017, Matthias Pintscher dirigera notamment le Cleveland Orchestra, le National Arts Centre Orchestra (Ottawa), le Cincinnati Symphony, Dallas Symphony et Indianapolis Symphony,
Matthias Pintscher est nommé directeur musical de l’Ensemble intercontemporain en juin 2012. Il prend ses fonctions en septembre 2013. Il collabore également avec les meilleurs ensembles de musique contemporaine parmi lesquels l’Ensemble Modern, le Klangforum Wien, l’Ensemble Contrechamps,
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l’Orchestre de la Bayerische Rundfunk et celui de la Radio Symphonie Orchestre Wien. Il dirigera également des concerts aux Proms de Londres et durant le Festival international d’Edimbourg avec le BBC Scottish Symphony Orchestra. En mars 2017, il célébrera l’anniversaire des 40 ans de l’Ensemble intercontemporain, qu’il emmènera également cet automne en tournée en Asie.
par l’Orchestre Symphonique de la Radio de Francfort, Songs from Solomon’s garden, pour baryton et orchestre de chambre. En avril 2013, les Wiener Philharmoniker ont donné Hérodiade-Fragmente au Musikverein de Vienne. La même année, la première composition pour piano solo de Pintscher, Whirling tissue of light, a été créée au Wigmore Hall de Londres par Inon Barnatan, et toujours en 2013, Uriel, pour violoncelle et piano, a été créé par Alisa Weilerstein et Inon Barnatan à l’Alte Oper de Francfort. Pintscher a également composé un concerto pour violon, mar’eh, créé à l’automne 2011 par Julia Fischer et le London Philharmonic Orchestra. Son ouvrage en trois parties, sonic eclipse : celestial object I, II and III, a été donné par des ensembles dans le monde entier. Idyll, la dernière pièce orchestrale de Matthias Pintscher, a été créée en octobre 2014 par le Cleveland Orchestra sous la direction de Franz Welser-Möst, avant d’être reprise par la Radio Bavaroise et le Melbourne Symphony Orchestra. Au cours de l’été 2015, ses ouvrages Now I pour piano solo et Now II pour violoncelle solo ont été respectivement créés au festival de Lucerne et au festival de Moritzburg, tandis que Gemini calls – fanfare pour deux trompettes – fut présenté au festival de Grafenegg, commanditaire de la pièce. C’est également en août 2012, que le Cleveland Orchestra a créé au festival de Lucerne Chute d’Étoiles : Hommage à Anselm Kiefer pour deux trompettes et orchestre, commande du projet Roche Commissions. La pièce a ensuite été reprise au Severance Hall de Cleveland et au Carnegie Hall de New York. En 2016-2017, Matthias Pintscher présentera un nouveau concerto pour violoncelle qui sera interprété par Alisa Weilerstein et le Boston Symphony Orchestra, et une nouvelle oeuvre commandée par le NDR Sinfonieorchester d’Hambourg. Matthias Pintscher réside à New York. Ses œuvres sont publiées chez Bärenreiter-Verlag et les enregistrements de celles-ci sont disponibles chez Kairos, EMI, ECM, Teldec, Wergo et Winter & Winter.
Matthias Pintscher est l’un des compositeurs les plus recherchés de sa génération. Ses créations se distinguent par la délicatesse de leur univers sonore, le raffinement de leur construction et leur précision d’expression. Ses œuvres, interprétées par les meilleurs artistes, orchestres et chefs d’aujourd’hui sont régulièrement présentées à travers le monde. Il est l’auteur de nombreuses créations pour les formations les plus diverses, de la musique pour instrument solo à l’opéra. Parmi les pièces de son abondant catalogue on peut citer : son premier opéra, Thomas Chatterton (1998), commande du Semperoper de Dresde ; Fünf Orchesterstücke (1997) pour le Philharmonia Orchestra et Kent Nagano ; Herodiade Fragmente (1999) pour Claudio Abbado et les Berliner Philharmoniker ; son premier concerto pour violon, En sourdine (2002), pour Frank Peter Zimmermann et les Berliner Philharmoniker ; L’Espace dernier, son deuxième opéra créé à l’Opéra Bastille en 2004 et son concerto pour violoncelle pour Truls Mørk, Reflections on Narcissus, créé à Paris en 2006 avec Christoph Eschenbach et l’Orchestre de Paris. L’année 2006 comptait également la première d’une pièce créée pour le flûtiste Emmanuel Pahud et le Mahler Chamber Orchestra, Transir, donnée au festival de Lucerne où Pintscher était alors compositeur en résidence. Commande conjointe du Chicago Symphony Orchestra, du London Symphony Orchestra et du Carnegie Hall, la composition d’envergure Osiris a été créée sous la direction de Pierre Boulez en 2008. Deux ans plus tard, au printemps 2010, Towards Osiris a été créée aux États-Unis par le New York Philharmonic sous la baguette d’Eschenbach. Ce même printemps, le New York Philharmonic avait créé une pièce commandée conjointement
matthiaspintscher.com
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conseil de l’Ensemble
équipes
Équipe artistique Directeur musical Matthias Pintscher Flûtes Sophie Cherrier, Emmanuelle Ophèle
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Équipe administrative et technique
– Directeur général Hervé Boutry
Membre d'honneur Jack Ralite
– Directrice administrative et financière Sophie Quéré
Hautbois Philippe Grauvogel, Didier Pateau
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Clarinettes Jérôme Comte, nn
Responsable production et diffusion Marine Gaudry
– Clarinette basse Alain Billard
– Bassons Pascal Gallois, Paul Riveaux
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Président Henri Loyrette
Responsable coordination artistique Alix Sabatier
Membres de droit Audrey Azoulay Ministre de la Culture et de la Communication, représentée par Régine Hatchondo Directrice générale de la création artistique
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Responsable comptable Christelle Coquille
Anne Hidalgo Maire de Paris représentée par Bruno Juillard Premier adjoint au Maire, chargé de la culture
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Régisseur général Jean Radel
Pascale Henrot Directrice de l'Office National de Diffusion Artistique
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Cors Jens McManama, Jean-Christophe Vervoitte
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Trompettes Clément Saunier, nn
Régisseur plateau Samuel Ferrand
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Trombones Jérôme Naulais, Benny Sluchin
Bibliothécaire Damien Degraeve
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Tuba nn
Adjointe régie/bibliothèque Caroline Barillon
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Percussions Gilles Durot, Samuel Favre, Victor Hanna
Chargée des actions éducatives Sylvie Cohen
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Responsable communication Luc Hossepied
Nicholas Snowman Vice-président
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Chargée de communication et mécénat Émilie Roffi
Catherine Tasca Vice-présidente
Pianos/claviers Hidéki Nagano, Dimitri Vassilakis, Sébastien Vichard
– Harpe Frédérique Cambreling
Régisseur son/plateau Nicolas Berteloot
– Anne Tallineau Directrice générale déléguée de l’Institut Français
– Jean-Pierre Tronche Inspecteur de la création et des ensembles français artistiques, désigné par le Ministre de la Culture et de la Communication
Personnalités qualifiées
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– Jean-Philippe Billarant Trésorier
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Violons Jeanne-Marie Conquer, Hae-Sun Kang, Diégo Tosi
Pascal Dusapin Camélia Jordana Brigitte Lefèvre
– Altos Odile Auboin, John Stulz
– Violoncelles Éric-Maria Couturier, Pierre Strauch
– Contrebasse Nicolas Crosse
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FAITES UN DON !
LES PROJETS DE LA SAISON 2016-2017
À ceux pour qui la création artistique doit être préservée et stimulée, l’Ensemble intercontemporain offre un terrain de jeu musical à la croisée des univers artistiques de chaque compositeur et interprète. Au fil des saisons, les solistes développent des projets nourris d’innovations et de rencontres avec d’autres formes d’art pour proposer au public des concerts toujours plus créatifs.
SI M PLEXI TY l a beaut é du gest e
LES AVENTURES DE PI NOCCHI O
Compositeur et cinéaste, Thierry de Mey devient chorégraphe avec SIMPLEXITY, pièce pour cinq musiciens de l’Ensemble intercontemporain et cinq danseurs de Charleroi Danses. Ce projet, qui fusionne musique, danse et technologie numérique, est l’aboutissement de trois décennies d’innovation et de création. Questionnant la frontière entre geste musical et geste chorégraphique, Thierry de Mey amène les musiciens et les danseurs à considérer autrement leur rôle de passeurs de sons et de mouvements. Un travail de longue haleine passant par de nombreuses étapes de recherche musicale, chorégraphique et technologique. Créé le 20 mai 2016 à Bruxelles, SIMPLEXITY sera repris cette saison à Liège et Bruxelles. C Votre soutien permettra d’assurer la diffusion de ce projet en France et à l’étranger.
Créé en mars 2017 à la Chapelle Corneille de Rouen, Les Aventures de Pinocchio est le premier conte musical de l’histoire de l’Ensemble destiné au jeune public ! Commande de l’Ensemble à la compositrice italienne Lucia Ronchetti d’après Pinocchio de Carlo Collodi, ce conte pour une voix et cinq instruments, mis en espace par Matthieu Roy, narre l’étonnant voyage de Pinocchio qui va le faire passer du monde des pantins à celui des humains. Pinocchio – interprété par une jeune soprano – encouragera le jeune public à le suivre dans son univers à travers des moments d’interaction permis par la partition. Une exploration participative et collective pour petits et grands ! C Votre soutien contribuera à développer un kit pédagogique pour préparer les enfants à l’écoute de ce conte.
P A R T I C I P E Z À L’ A V E N T U R E M U S I C A L E D E L’ E N S E M B L E I N T E R C O N T E M P O R A I N
Cette volonté de transmettre une expérience, de cultiver la curiosité du spectateur se manifeste également à travers des projets et ateliers qui offrent à un public de tout âge la possibilité de faire partie intégrante du concert aux côtés des solistes. Ces missions de création et de transmission sont au cœur du projet artistique défendu par l’Ensemble et son directeur musical Matthias Pintscher. Plus que jamais, l’Ensemble a besoin de vous pour aller plus loin et continuer à susciter des rencontres entre les créateurs de notre temps et les jeunes générations !
P A R O L E
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C H O I S I S S E Z D ’ A C C O M P A G N E R L’ E N S E M B L E EN SOUTENANT LE PROJET QUI CORRESPOND LE MIEUX À VOTRE ENGAGEMENT
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« Devenir mécène de l’Ensemble intercontemporain est un acte essentiel : c’est s’engager pour la création, et soutenir les compositeurs, agir pour la culture, résister à l’uniformisation et permettre à la modernité d’avancer. Devenir mécène de l’Ensemble intercontemporain, c’est contribuer à la naissance de la musique de demain et à la construction d’un patrimoine vivant et partagé. »
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LE SAVIEZ-VOUS ? Particulier Vous bénéficiez d’une réduction d’impôt égale à 66 % du montant de votre don, dans la limite de 20 % du revenu imposable. Un don de 300€ coûte 102€ après réduction d’impôt.
Surprendre et émerveiller : ces deux mots résument le programme que Pierre Boulez a assigné à l’Ensemble intercontemporain lors de sa fondation il y a quarante ans. Un projet que la Fondation Meyer s’est engagée à soutenir, en finançant dès 2016/2017 la création et la diffusion dans plusieurs grandes villes européennes d’une œuvre musicale commandée chaque saison et jusqu’en 2018/2019 à trois compositeurs différents : Philippe Schœller, Bruno Mantovani et Magnus Lindberg.
Entreprise mécène Vous bénéficiez d’une réduction d’impôt égale à 60 % du montant du don, dans la limite de 0,5 % de votre chiffre d’affaire. Un don de 5 000€ coûte 2 000€ après réduction d’impôt.
Vous pouvez nous adresser votre don par chèque libellé au nom de l’Ensemble intercontemporain, à l’adresse suivante : Ensemble intercontemporain Service mécénat 223, avenue Jean-Jaurès 75 019 Paris
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GENESI S – SEPT COM POSI TEURS, SEPT CRÉATI ONS Genesis est un projet manifeste, mettant l’accent sur l’une des missions essentielles de l’Ensemble depuis sa fondation : la création. Pour ce projet inédit, l’Ensemble a passé commande à sept compositeurs de toutes générations confondues : Chaya Czernowin, Marko Nikodijevic, Franck Bedrossian, Anna Thorvaldsdottir, Joan Magrané Figuera, Stefano Gervasoni et Mark Andre. Un jour de la Genèse a été assigné à chacun afin qu’ils puissent donner leur propre vision du processus créatif : renouvellement ou extrapolation de matériau déjà existant, table rase radicale… l’éventail est large et les nuances infinies ! Cette créationévénement sera créée le 30 mars 2017 à la Cité de la musique - Philharmonie de Paris sous la direction de Matthias Pintscher. C Votre soutien permettra de financer une des commandes passées aux sept compositeurs choisis pour cette nouvelle œuvre.
K VOS AVANTAGES Particulier 50€ Donateur 1 disque de l’Ensemble
150€ Bienfaiteur 1 album de la collection Sirènes + 1 invitation par saison au concert de votre choix
300€ et plus Mécène
ENTREZ DANS LA DANSE ! En 2016, l’Ensemble s’est associé à certains conservatoires d’Île-de-France pour proposer au public un programme musical réunissant musiciens amateurs et professionnels autour des œuvres de Bartók et Xenakis. La transe des djembés mêlée aux Folk Songs de Berio avaient permis à tous de partager une exploration musicale lors d’un concert performance à la Philharmonie de Paris en juin 2016. En juin 2017, l’Ensemble et les musiciens amateurs invitent le public à suivre des danseurs amateurs formés sur la saison lors d’un grand bal mené par le chorégraphe José Montalvo ! C Votre soutien permettra de financer ce projet de bal participatif !
1 disque de l’Ensemble + 2 invitations par saison à une répétition générale + 1 invitation par saison au concert de votre choix
500€ et plus Ami 1 disque de l’Ensemble + 2 invitations par saison à une répétition générale + 2 invitations par saison au concert de votre choix
Entreprise mécène Vous bénéficiez d’avantages sur mesure, à définir en fonction du projet soutenu.
Pour plus d’informations : Emilie Roffi, Chargée de communication & mécénat + 33 (0)1 44 84 44 53 e.roffi@ensembleinter.com
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AOÛT D IM 14 11: 00 SEPTEMBRE V EN 2 22: 00 V EN 9 20: 00 V EN 16 19: 30 SAM 17 19: 30 SAM 24 20: 30 OCTOBRE LUN 3 20: 00 SAM 8 14: 15
réservations Toutes les réservations et les souscriptions aux différentes formules d’abonnement se font directement auprès des salles accueillant l’Ensemble intercontemporain. Coordonnées des salles et organisateurs parisiens et franciliens ci-dessous. Pour les coordonnées en régions et à l’étranger voir directement les pages de ces concerts sur ensembleinter.com
Centre Pompidou Grande Salle/niveau-1 Place Georges-Pompidou 75004 Paris centrepompidou.fr Réservations Aux caisses du Centre Pompidou (de 11h à 20h, sauf le mardi) centrepompidou.fr/billetterie
Cité de la musique Philharmonie de Paris 221, avenue Jean-Jaurès 75019 Paris Réservations 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr
Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris 209, avenue Jean-Jaurès 75019 Paris conservatoiredeparis.fr Réservations 01 40 40 45 45 reservation@cnsmdp.fr
Le Centquatre 5, rue Curial 75019 Paris Réservations 01 53 35 50 00 104.fr
Ircam 1, place Igor-Stravinsky 75004 Paris Réservations 01 44 78 12 40 ircam.fr billetterie@ircam.fr
Musée d’art et d’histoire du Judaïsme Hôtel de Saint-Aignan 71, rue du Temple 75003 Paris mahj.org Réservations 01 53 01 86 48 (du lundi au vendredi de 14h30 à 17h30) auditorium@mhj.org Sur place, à la billeterie du musée
Théâtre National de Chaillot 1, place du Trocadéro 75116 Paris Réservations À la billetterie du théâtre du lundi au vendredi, de 11h à 18h et le samedi de 14h30 à 18h 01 53 65 30 00 theatre-chaillot.fr
Une nouvelle série discographique avec Alpha Classics
V EN 21G 28 NOVEMBRE V EN 11 20: 00 MAR 15 20: 30 J EU 17 19: 30 SAM 19 14: 30 16: 00 MER 23 19: 00 V EN 25 20: 00 SAM 26 20: 00 MAR 29 14: 30 DÉCEMBRE E R J EU 1 19: 30 V EN 9 20: 30 J EU 15 20: 00 V EN 16 20: 30 JANVIER MAR 10 20: 00 D IM 15 18: 00 V EN 20 20: 30 SAM 21 20: 30 SAM 28 20: 30 L U N 30 20: 30 FÉVRIER V EN 3 19: 00 MER 8 20: 00 J EU 9 10: 00 14: 00 V EN 10 14: 00 J EU 23 19: 30 V EN 24 20: 30 V EN 24 20: 30 SAM 25 20: 30 D IM 26 15: 30 MAR 28 20: 30 MARS MER 1 20: 30 J EU 2 19: 30 V EN 3 20: 30 D IM 5 11: 00 15: 00 LUN 6 11: 00 14: 30 MER 8 20: 30 V EN 17 19: 30 SAM 18 20: 30 J EU 30 20: 30 AVRIL D IM 23 20: 00 SAM 29
En 2015, l’Ensemble intercontemporain et le label Alpha Classics se sont associés pour lancer une nouvelle série discographique. Thématiques ou monographiques, ces enregistrements studio de haute qualité rassemblent des « classiques » du XXe siècle, des œuvres majeures de grands compositeurs contemporains mais aussi celles, plus méconnues, d’une nouvelle génération de créateurs. Chaque album a également pour ambition de décliner les dimensions individuelles et collectives de l’identité musicale de l’Ensemble : de la musique soliste à celle pour grand effectif. Le premier double album Bartók/Ligeti sorti en octobre 2015 en témoigne remarquablement bien avec trois concertos de György Ligeti (Concerto pour piano, Concerto pour violoncelle et Concerto pour violon) et un chef-d’œuvre de Béla Bartók, la Sonate pour deux pianos et percussion. Le prochain disque, à paraître à la fin de l’année 2016, présentera trois œuvres majeures de Matthias Pintscher. De l’intimité de la musique de chambre à l’éclat du grand ensemble, ces pièces dresseront un portrait musical tout en nuances du compositeur et directeur musical de l’Ensemble intercontemporain.
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Ensemble intercontemporain Association loi 1901 Licence d’entrepreneur de spectacles N° 2-1063215 Président Henri Loyrette Directeur général Hervé Boutry Directeur musical Matthias Pintscher Directrice administrative et financière Sophie Quéré
Nous contacter Ensemble intercontemporain 223, avenue Jean-Jaurès 75 019 Paris Tél : 01 44 84 44 50 contact@ensembleinter.com ensembleinter.com
Contenus rédactionnels Ont participé à la réalisation des contenus rédactionnels de cette brochure : Philippe Albèra Anouck Avisse Nathalie Blanc Jean-Stéphane Bron Claro Paul Clavier David Christoffel Guillaume Dumas Elie During Bastien Gallet Célia Houdart Martin Kaltenecker Alan Lockwood Pierre-Yves Macé Matthias Pintscher Pierre Rigaudière Alexis de Saint Ours David Sanson Jérémie Szpirglas Alwin Thomas Westbrook La reproduction même partielle d’un article de cette brochure est soumise à l’autorisation de l’Ensemble intercontemporain. © Ensemble intercontemporain
Relations presse Opus 64 Valérie Samuel Pablo Ruiz & Margaux Sulmon Tél : 01 40 26 77 94 p.ruiz@opus64.com m.sulmon@opus64.com
Conception graphique BelleVille Impression Vincent Programmes et informations donnés sous réserve de modifications. Exemplaire gratuit Ne pas jeter sur la voie publique
Crédits photos Visuels de saison Tendance Floue En couverture, p.14, 20, 28, 38, 46, 52, 56, 58, 67, 78, 88 De finibus terrae © Alain Willaume p.24 © Bertrand Meunier p.84 © Philippe Lopparelli –– p.2 © Ingi Paris / akg-images p.7, 8, 11, 12 © Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain p.21 – Bryce Dessner © Bryce Shervin p.31 – Ramon Lazkano © Franck Ferville p.39 – Agata Zubel © Tadeusz Pozniak p.55 – Lucia Ronchetti © Franck Ferville p.61 – Gregor A.Mayrhofer © Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain p.65 © akg-images p.81 – Brice Pauset © Philippe Gontier p.91 – Philippe Schœller © Franck Ferville p.94 – © Ensemble intercontemporain p.98 à 114 – Minerais © Christophe Urbain p.119 – Ensemble intercontemporain (2015) © Franck Ferville p.120 – Matthias Matthias Pintscher © Franck Ferville p.123, 124 © Luc Hossepied pour l’Ensemble intercontemporain
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