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SOMMAIRE 04 06
Matthias Pintscher
Aperghis 60 Georges La parole et le labyrinthe
Calendrier 2015-2016
96 L 'acte d'écrire
Édito
Célia Houdart
Pierre Boulez, Jean-Pierre Changeux, Philippe Manoury
scènes de lanouvelles 08 Les musique
100 L 'Ensemble intercontemporain
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103 I nformations pratiques
Dossier
La saison
28 « Suivez votre propre voie ! »
Panorama de la création musicale en Chine Frank Kouwenhoven
106 E ntretien avec Émilie Satre artiste plasticienne
49 O uvrir portes et fenêtres Cahier découvertes
Après la photographe Dorothée Smith l’année dernière, Émilie Satre, plasticienne, est la nouvelle artiste associée de notre brochure de saison. Aux photographies spectrales de la première succèdent les dessins aux mille formes et couleurs de la seconde. Deux manières très différentes de « mettre » en images la musique de l’Ensemble et de rythmer les pages de ce qui prend désormais la forme d’une revue annuelle. Autour d’un dossier consacré aux « nouvelles scènes de la musique » et d’un « cahier découvertes » présentant les actions éducatives et culturelles (« Ouvrir portes et fenêtres »), textes et entretiens détaillent et commentent cette nouvelle saison.
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Édito
Depuis deux ans que les solistes de l’Ensemble intercontemporain et moi-même sommes embarqués dans cette formidable aventure musicale, je dois dire que chaque saison s’avére plus riche et excitante que la précédente ! C’est donc avec un immense plaisir que j’aborde cette nouvelle saison 2015-2016. Elle verra l’Ensemble poursuivre sa lancée, approfondir les réflexions engagées et affirmer ce renouveau qui emporte l’adhésion du public. Après une prometteuse « année zéro », cette nouvelle saison sera la première véritable de la Philharmonie de Paris. Elle marquera l’épanouissement de notre
résidence au sein de cette formidable institution. Les collaborations avec l’Orchestre de Paris (orchestre en résidence) et les Arts Florissants (ensemble associé) seront multipliées, et ce sera pour nous l’opportunité de réinvestir l’expérience si fructueuse engrangée au cours des week-ends Turbulences pour inventer tous ensemble de nouvelles manières de jouer et d’écouter la musique. Nous sommes des formations complémentaires ; chacun a son propre répertoire et la nouvelle Philharmonie nous permet de maximiser nos potentiels respectifs : en ce qui nous concerne, celui d’être un ensemble de
5 solistes. Notre formation à géométrie variable offre de multiples possibilités. Les talents individuels qui la constituent lui permettent de couvrir un large éventail d’œuvres, du solo au grand ensemble en passant par tous les effectifs de musique de chambre. C’est unique au monde ! C’est cette pluralité que nous avons à cœur de montrer cette saison encore. Elle fait notre singularité, notre richesse et nous permet de revisiter inlassablement notre répertoire tout en continuant à œuvrer sans faillir à la création. La Philharmonie de Paris est aussi le lieu idéal pour mener nos expériences pluridisciplinaires. Cette saison, elles nous entraînent vers les territoires des arts visuels et de la scène. Depuis quelques années, ces scènes artistiques se nourrissent de plus en plus des nouvelles technologies multimédia, et c’est à leur rencontre que nous irons, notamment à l’occasion de nos soirées « Turbulences Numériques » en octobre. En partenariat avec Némo, la biennale internationale des arts numériques, nous présenterons notamment l’étonnant projet No More Masterpieces pour lequel le collectif 331/3 s’empare du Concerto "Séraphin" de Wolfgang Rihm afin de s’émanciper de toutes les conventions de la représentation. L’occasion de poser un nécessaire état des lieux des productions pluridisciplinaires aujourd’hui : dans quelles conditions deux disciplines s’enrichissentelles ? Quand sont-elles redondantes ? Quand s’annulent-elles ? À ce sujet, il est à mes yeux d’une importance capitale que nous concrétisions chaque saison au moins une grande œuvre scénique et que nous développions dans ce but des collaborations avec les diverses scènes lyriques parisiennes. L’an passé, c’était Solaris de Dai Fujikura au Théâtre des ChampsÉlysées, cette année, nous aurons la chance de créer le premier opéra de Francesco Filidei, Giordano Bruno, au Théâtre de Gennevilliers, en avril. Cette saison sera également ponctuée par de grandes rencontres avec des artistes qui nous sont chers, à commencer par Olga Neuwirth, l’une des voix les plus remarquables de la scène musicale actuelle, dont nous créerons en octobre une œuvre extraordinaire dans tous les sens du terme : Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie, que je devine être l'un de ses chefs-d'œuvre, à l’instar du Prometeo de Luigi Nono qu’elle admire tant. Nous sommes également très heureux de participer au « portrait » consacré à la compositrice coréenne Unsuk Chin, en partenariat avec le Festival d’Au-
tomne à Paris. Sa musique brillante et très inventive semble taillée sur mesure pour l’Ensemble. En décembre, Georges Aperghis sera au cœur d’un « Grand soir » à la Philharmonie de Paris. C’est un grand créateur doublé d’un authentique « gentilhomme » dont nous fêterons en décembre le 70e anniversaire. Nous mettrons également à l’honneur des interprètes comme Georg Nigl, dont la performance dans notre spectacle autour du Winterreise de Schubert nous a tellement impressionnés que nous avons tenu à lui proposer un nouveau projet à sa mesure et démesure : Eight Songs for a Mad King du compositeur britannique Peter Maxwell Davies. Pour tous les solistes comme pour moi-même, la transmission est naturellement au cœur de nos vies de musiciens, et nous voulons cette année revoir de fond en comble cette dimension fondamentale de nos activités : concerts éducatifs, parcours pédagogiques, avant-concerts, etc. Elles seront le théâtre d’un renouveau pensé avec tous les intervenants : médiateurs, interprètes, compositeurs tels que François Rossé ou Patricia Alessandrini avec le parcours « Musique augmentée » qu’elle propose à la Gaîté lyrique. Quant à notre travail vers les futurs professionnels, nous renforçons encore avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris notre « partenariat naturel », comme le qualifie son directeur, Bruno Mantovani. Outre les master classes et projets communs avec les étudiants, nous expérimenterons des ateliers pour les jeunes compositeurs et les élèves de la classe de direction d’orchestre. Enfin, cette saison verra l’Ensemble voyager, pour deux tournées exceptionnelles vers deux grands pays. Dès la rentrée, nous irons en Chine. Cette initiative n’est que la première d’une série, que j’espère longue, de tournées en Asie, afin d’explorer cette scène à l’immense potentiel. Puis nous serons au États-Unis, où il m’importe que nous développions nos activités. En tant que New-yorkais d’adoption, je prends de plus en plus conscience de ma responsabilité d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, pour enrichir le dialogue et bâtir un pont virtuel entre les deux continents. À Paris, Pékin ou Washington, l’avenir de la musique se joue tous les jours ! À nous de vous donner envie de le vivre ensemble !
Matthias Pintscher, directeur musical de l'Ensemble intercontemporain
6 CALENDRIER 2015-2016
Philharmonie de Paris Œuvres de G. CRUMB, É.-M. COUTURIER / N. CROSSE, K. HENTSCHLÄGER / E. CAMPION, M. PINTSCHER, F. VIGROUX / A. SCHMITT
Samedi 15 août 20H – SALZBOURG
Lehrbauhof Pierre BOULEZ, RÉPONS Dimanche 23 août LUCERNE
A DAY FOR PIERRE BOULEZ 14H
Œuvres de P. BOULEZ, C. MASON, M. PINTSCHER 17H
Œuvres de P. BOULEZ, H. HOLLIGER, T. MACHOVER 19H30
Œuvres de P. BOULEZ, G. KURTÁG, S. MOUSSA, P. PESZAT, M. PINTSCHER, W. RIHM Vendredi 4 septembre 20H – PARIS
Philharmonie de Paris Jazz à la Villette INTERSESSION N° 17 CHEEKIES & BABIES Jeudi 10 septembre 21H – MILAN
Conservatorio di Musica « G. Verdi » di Milano Œuvres de P. BOULEZ, C. DEBUSSY Vendredi 11 septembre 21H – TURIN
Conservatorio Statale di Musica Giuseppe Verdi Même programme que le 10 septembre Dimanche 13 septembre 16H – POISSY
Villa Savoye Œuvres de G. ANTHEIL, J. CAGE P. HINDEMITH, K. HUBER, J. MAKHOLM, J. M. STAUD Du 23 au 28 septembre TOURNÉE SHANGHAI/TAIPEI Samedi 3 octobre 11H – PARIS
Philharmonie de Paris Concert participatif en famille AU ZARB, MUSICIENS ! voir p.50
Concert / tournée :
Vendredi 4 décembre 20H30 – PARIS
Vendredi 9 octobre TURBULENCES NUMÉRIQUES 20H30 – PARIS
Samedi 10 octobre 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris GRAND SOIR Œuvres de K. STOCKHAUSEN, T. MURAIL, P. JODLOWSKI, L. NONO, H. KOLGEN / P. GLASS, A. NORMAN, T. DE MEY, J. MILLS / J. PERCONTE Dimanche 18 octobre 11H – DONAUESCHINGEN
Bartók-Saal Olga NEUWIRTH LE ENCANTADAS O LE AVVENTURE NEL MARE DELLE MERAVIGLIE Mercredi 21 octobre 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Olga NEUWIRTH LE ENCANTADAS O LE AVVENTURE NEL MARE DELLE MERAVIGLIE Samedi 24 octobre 14H15 – AMSTERDAM
Het Concertgebouw Œuvres de A. BERG / R. DE LEEUW, P. CORRADO, R. WAGNER / F. COLL, M. PINTSCHER Dimanche 25 octobre 19H – ESSEN
Philharmonie Œuvres de F. BEDROSSIAN, T. MURAIL, M. PINTSCHER
Philharmonie de Paris GRAND SOIR APERGHIS Œuvres de G. APERGHIS, L. BERIO, P. BOULEZ, A. EDLER-COPES, H. LACHENMANN, J. TEJERA Dimanche 13 décembre PARIS
Gaîté lyrique MUSIQUE AUGMENTÉE 1/4 : « Vibration » voir p. 51 Mardi 15 décembre 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Œuvres de L. BERIO, P. BOULEZ, G. GRISEY, F. ROMITELLI Mercredi 6 janvier 19H30 – PARIS
Conservatoire de Paris Créations des élèves des classes de composition Jeudi 14 janvier 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris NO MORE MASTERPIECES Samedi 30 janvier 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Œuvres de J. HARVEY, K. STOCKHAUSEN, B. A. ZIMMERMANN Dimanche 31 janvier 15H – PARIS
Philharmonie de Paris Œuvres de K. STOCKHAUSEN Mardi 2 février 10H30 – PARIS
Du 6 au 15 novembre TOURNÉE ÉTATS-UNIS
Philharmonie de Paris Concert éducatif performance François ROSSÉ, ELLIPTIQUES voir p. 51
Vendredi 27 novembre 18H30 – PARIS
Mardi 9 février 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Concert-rencontre Unsuk CHIN Vendredi 27 novembre 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Œuvres de U. CHIN, S. Y. PAHG, D. SHIN
comprenant une ou plusieurs créations mondiales
Philharmonie de Paris Œuvres de S. BECKETT / I. FEDELE, F. LARA, F.-B. MÂCHE Vendredi 12 février 20H – COLOGNE
Philharmonie Œuvres de G. APERGHIS, S. BECKETT / I. FEDELE, F.-B. MÂCHE
comprenant une ou plusieurs créations françaises
Mercredi 17 février 20H – ROUEN
Dimanche 3 avril 20H – COLOGNE
Samedi 21 mai 19H – WROCLAW
Chapelle Corneille Œuvres de S. GOUBAïDOULINA, J. HARVEY, M. PINTSCHER, C. GESUALDO / G. SIMON, S. SCIARRINO, C. VIVIER
Philharmonie LE VOYAGE D'HIVER
Red Hall, National Forum of Music Œuvres de P. BOULEZ, J.-L. HERVÉ, Y. MARESZ, A. ZUBEL
Vendredi 19 février 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris GRAND SOIR - PASSIONS avec l'Orchestre de Paris Œuvres de J. S. BACH, P. MANOURY, A. SCHÖNBERG, E. VARÈSE, B. A. ZIMMERMANN, V. ŽURAJ
Philharmonie de Paris Œuvres de W. BLANK, R. SAUNDERS, A. SCHNITTKE, N. ŠENK, Y. TAÏRA Samedi 20 février PARIS
Gaîté lyrique MUSIQUE AUGMENTÉE 2/4 : « Corporel » voir p. 51 Lundi 22 février 19H30 – LONDRES
Wigmore Hall Œuvres de B. BARTÓK, G. CRUMB, A. EDLER-COPES Dimanche 6 mars 20H – ISTANBUL
CRR Concert Hall Œuvres de E. VARÈSE, P. BOULEZ, G. LIGETI, B. MANTOVANI Jeudi 17 mars 20H – BRUXELLES
Bozar G. MAHLER / G. CORTESE DAS LIED VON DER ERDE et programme de musique de chambre Samedi 19 mars 20H – CHAMPIGNY-SUR-MARNE
Centre Olivier Messiaen Concert musique et danse VORTEX TEMPORUM voir p. 51 Mercredi 23 mars 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Œuvres de H. W. HENZE, M. PINTSCHER, M. TROJAHN Mardi 29 mars 11H – PARIS
Philharmonie de Paris Concert éducatif scolaire IMPROVISER ENSEMBLE voir p. 51 Mercredi 30 mars 19H30 – LE HAVRE
Le Volcan LE VOYAGE D'HIVER
Samedi 9 avril 20H30 – PARIS
Samedi 16 avril 15H – PARIS
Philharmonie de Paris Œuvres de H. BIRTWISTLE, B. FERNEYHOUGH, H. HOLLIGER, G. LIGETI, B. MADERNA, V. ŽURAJ Mercredi 20 avril PARIS
Gaîté lyrique MUSIQUE AUGMENTÉE 3/4 : « Écoute » voir p. 51 Du 14 au 21 avril GENNEVILLIERS
T2G - Théâtre de Gennevilliers GIORDANO BRUNO (opéra) Mardi 26 avril 20H – CAEN
Théâtre de Caen GIORDANO BRUNO (opéra) Jeudi 28 avril 20H30 – BARCELONE
Palau de la Música Œuvres de P. BOULEZ, J. HARVEY, Y. MARESZ, H. PARRA Jeudi 5 mai 12H – COLOGNE
lieu à déterminer Jonathan HARVEY DEATH OF LIGHT / LIGHT OF DEATH Vendredi 6 mai 20H – COLOGNE
Philharmonie Œuvres de G. GRISEY, J. HARVEY, J. M. STAUD Du 20 au 22 mai BRUXELLES
Kaaitheater Thierry DE MEY TAXINOMIE - LA BEAUTÉ DU GESTE
Vendredi 27 mai 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Œuvres de P. MAXWELL DAVIES, D. HUDRY, M. JARRELL, W. RIHM Samedi 28 mai 11H – PARIS
Philharmonie de Paris ATELIER BAROQUE-CONTEMPORAIN avec les solistes des Arts Florissants voir p. 51 Dimanche 29 mai 20H –WATTENS
Swarovski Kristallwelten Peter MAXWELL DAVIES EIGHT SONGS FOR A MAD KING Mardi 31 mai 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Œuvres de C. P. E. BACH, C. H. GRAUN, K. HUBER, M. JARRELL, M. OHANA, A. VIVALDI avec les solistes des Arts Florissants Vendredi 3 et Samedi 4 juin 20H30 – PARIS
Centre Pompidou, Grande salle Thierry DE MEY TAXINOMIE - LA BEAUTÉ DU GESTE Dimanche 5 Juin PARIS
Gaîté lyrique MUSIQUE AUGMENTÉE 4/4 : « Vocal » voir p. 51 Vendredi 10 juin 20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Œuvres de A. CATTANEO, B. FERNEYHOUGH, B. FURRER, Y. MARESZ Samedi 11 juin 11H – PARIS
Philharmonie de Paris Concert performance ENTREZ DANS LA DANSE voir p. 51 Samedi 2 juillet 20H – PARIS
Le Centquatre Concert dans le cadre de l'académie ManiFeste-2016, festival de l’Ircam
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DOSSIER
Les nouvelles scènes de la musique
Cela fait déjà un certain temps que les compositeurs ne composent plus uniquement des sons, mais aussi des gestes, des corps, des lieux et même des images. Cette extension de la musique à ce qui était jusqu’alors considéré comme en dehors du champ du savoir-faire musical a pris, avec le développement des techniques et des arts numériques, des dimensions nouvelles et souvent imprévisibles. Les relations d’illustration ou de commentaire qui ont longtemps organisé les rapports entre image et son laissent désormais place à des interactions aux formes sans cesse renouvelées. La saison 2015-2016 se fera largement l’écho de ces expériences. Olga Neuwirth reconstituera dans la salle des concerts de la Philharmonie 2 (Cité de la musique) l’espace acoustique de l’église San Lorenzo de Venise où Luigi Nono créa son Prometeo en 1984. Le collectif 33 1/3 réalisera en contrepoint du Concerto "Séraphin" de Wolfgang Rihm une performance visuelle dont l’instrument sera un écran cinétique. Enfin, pendant deux soirées, vidéastes, artistes numériques, compositeurs et musiciens œuvreront de concert à la production d’entités audiovisuelles composites, des pièces de Thierry De Mey et Pierre Jodlowski aux performances collaboratives des duos Antoine Schmitt / Franck Vigroux et Jeff Mills / Jacques Perconte. Autant de manières de travailler la composition parallèle des sons et des images.
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Un théâtre au-delà de la représentation : les nouvelles scènes de la musique par GIORDANO FERRARI
11 DOSSIER
L’univers de la représentation musicale au xxe siècle est très diversifié, traversé d’idées et de formes qui se renouvellent sans cesse. Une situation qui est en grande partie le fruit des transformations profondes qu’a subi l’écriture musicale (dodécaphonie, polytonalité, sérialisme, musique électroacoustique, etc.), auxquelles se sont ajoutés les nombreux rapports possibles avec les autres composantes de la représentation (texte, éléments scéniques, décor, nouvelles technologies et nouveaux médias), également en grande évolution. De fait, au sein des différents mouvements artistiques, l’équilibre entre les arts intervenant sur le plateau scénique change continuellement : il est devenu presque impossible de s’appuyer sur les repères établis par une forme préfixée, comme c’était le cas du modèle de l’opéra au xixe siècle. Chaque esthétique, chaque auteur et parfois chaque œuvre, requiert une approche particulière. La définition des genres devient une affaire complexe, l’opéra en tête. L’exemple le plus flagrant est celui du livret, qui n’est plus nécessairement le moteur de la dramaturgie et peut devenir simple matériel sonore – un élément parmi d’autre de la représentation –, voire disparaître complètement. L’effacement de la dominante textuelle entraîne avec elle le déclin d’une certaine vision du rôle de la voix et de la scène traditionnelle (à « l’italienne », face au public) : les propositions de nouveaux espaces pour la représentation, de nouvelles « scènes », fleurissent. Précisons qu’il ne s’agit pas d’un phénomène circonscrit au théâtre musical, mais d’une vision de l’art de la scène qui s’affirme graduellement au cours du xxe siècle dans toutes les formes du spectacle vivant. Par exemple, la dynamique du drame – dans son sens classique, c’est-à-dire dépendante de la narration – se réalise davantage dans la télévision et le cinéma (notamment celui destiné à la grande distribution) qu’au théâtre. Ce dernier trouve sa spécificité dans le fait d’être un spectacle unique et non reproductible, offrant un rapport direct et interactif avec le public, dans sa manière d’investir et d’habiter le lieu de la représentation : le théâtre n’est plus seulement la réalisation d’un texte dramatique. La critique théâ-
Les nouvelles scènes de la musique
trale parle de théâtre « postdramatique » ou d’une poétique spécifique au « drame moderne1 ». On constate dans l’art musical une même tendance à la valorisation de ses caractéristiques propres : apparaissent de nouvelles manières de penser le rapport de la musique avec la scène, l’espace, l’expression et le geste. On trouve de plus en plus de partitions où la musique structure des parcours scéniques et/ ou narratifs indépendamment de la présence d’un texte et où le compositeur pense la scène davantage comme un espace signifiant ; mais aussi des partitions qui nécessitent d’entrer en résonance ou en confrontation avec un espace (qui n’est plus obligatoirement une scène au sens traditionnel), ou qui s’articulent avec un support vidéo. Déjà, dans les années 1950, John Cage n’avait besoin que d’un « espace » de temps prédéfini – et non d’un sujet, d’une histoire ou même d’une scène dans un théâtre – dans lequel la musique se confrontait avec les autres disciplines artistiques (danse, peinture), pour donner vie à un de ses « événements ». De la même façon et seulement quelques années plus tard (1963-1969), les idées qui traversent en filigrane Hyperion, le roman de la fin du xviiie siècle de Friedrich Hölderlin, suffiront à Bruno Maderna pour donner vie à son work-in-progress théâtral : une œuvre faite d’une série des partitions indépendantes et d’un « personnage » protagoniste – le poète – joué par un flûtiste. Du vivant de son auteur, Hyperion connaîtra trois versions scéniques (toutes différentes), diverses versions de concert, deux versions en « suite » avec comédien et une version radiophonique : c’est aux interprètes (direction musicale et dramaturgique) de créer, à chaque nouvelle production, une « scène » en contrepoint ou en résonance avec la musique. De même Luciano Berio, avec son Laborintus II (1965), commande de la radio française, conçoit avec la complicité d’Edoardo Sanguineti un « parcours » entre musique, sons électroacoustiques et paroles inspirées par l’œuvre de Dante Alighieri. Cette pièce peut être diffusée à la radio, jouée en concert ou sous forme scénique avec des mimes et de la danse. Dans toutes ces productions est présente l’idée que le geste musical
1 Voir Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre postdramatique, traduit par Philippe-Henri Ledru, Paris, L’Arche éditeur, 2002 et Jean-Pierre Sarrazac, Poétique du drame moderne, Paris, Seuil, 2012.
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et le geste en musique ont le pouvoir d’évoquer les « corps » de l’histoire de la musique comme ceux du quotidien, ou encore de restituer sa valeur théâtrale et expressive à la gestualité même de l’interprète – ce que Mauricio Kagel a appelé le « théâtre instrumental ». Plus important encore, dans toutes ces expériences il y a l’idée de libérer les coordonnées spatio-temporelles de la dramaturgie musicale : une idée qui semble traverser les nombreuses réalisations scéniques qui naissent au cœur du xxe siècle. Prenons deux cas de figure très différents : Bernd Alois Zimmermann et Luigi Nono. Zimmermann, qui croyait encore en l’opéra, choisit, pour sa grande œuvre scénique Die Soldaten (1965), un texte de Jakob Michael Reinhold Lenz. Ce qui l’enthousiasmait le plus dans le propos de Lenz, c’était sa conception de l’unité d’action intérieure si étonnamment caractéristique des Soldats : Lenz s’était détaché de la « règle des trois unités si déplorablement célèbre » (unité de temps, de lieu et d’action) pour mêler plusieurs actions en une sorte d’anticipation de la « danse des heures de la simultanéité » de Joyce 2. Zimmerman construit alors une dramaturgie qui se libère de la dynamique dramatique et surtout de sa logique spatio-temporelle, tout en composant malgré tout un opéra. Au cours des mêmes années, dans l’idée diamétralement opposée d’en finir avec l’opéra, Luigi Nono commence un chemin qui part du principe qu’il faut rompre avec « les deux dimensions de l’opéra, visuelle et sonore, réalisée dans un rapport simpliste “je vois ce que j’écoute, et j’entends ce que je vois” », mais également avec « la perspective axée autour d’un centre focal unique tant sur le plan visuel que sur le plan sonore, car on bloque toute possibilité d’utiliser le rapport espacetemps 3 ». Malgré leurs différences, Zimmermann et Nono poursuivent le même objectif : s’affranchir de l’espace-temps préétabli de la narration scénique. Au milieu des années 1980, avec son Prometeo, Nono composera une « tragédie de l’écoute », qui « suspend » le temps dramaturgique et renonce à l’aspect
visuel pour organiser l’espace autour du public : le temps musical développe sa propre articulation et la « tragédie » se présente comme un labyrinthe d’éléments poétiques et musicaux parmi lesquels l’auditeur choisit les parcours et les perspectives pas à pas. Ces tentatives ouvrent un nouveau champ et inspirent un certain nombre de compositeurs entre la fin du xxe siècle et le début du xxie. Au début des années 1990, Wolfgang Rihm, inspiré par un écrit d’Antonin Artaud, compose Séraphin. Essai de Théâtre – Instruments / Voix /… d’après Antonin Artaud sans texte (1993-1996) – suivront plusieurs versions dont Séraphin III – I am a Mistake en 2007, Concerto "Séraphin" en 2008 et Séraphin-Symphonie en 2011. Wolfgang Rihm met en œuvre un théâtre sans paroles : la musique intériorise le texte théâtral à partir duquel le metteur en scène travaille ; les parties vocales articulent des phonèmes ou des bruits ; il n’y a pas d’indications scéniques ni de prescriptions relatives aux personnages. Il s’agit d’un parcours musical qui, dans son écriture même, prend l’espace pour sujet et laisse une grande liberté d’interprétation au metteur en scène, élevé ici – comme dans Hyperion – au rang de co-auteur. Les points de suspension dans le titre, après « instruments » et « voix », laissent entendre qu’à chaque exécution cette œuvre pourra – sans que cela soit une nécessité – être complétée par des images et des actions scéniques. Le spectacle est en effet conçu comme le lieu d’une possible rencontre entre différents arts, comme une action en soi, et non comme la représentation d’une action. Il faut, si l’on veut comprendre cette perspective dramaturgique, citer Das Mädchen mit den Schwefelhölzern (Hambourg, 1997), la « Muzik mit Bildern » (musique avec images) de Helmut Lachenmann. L’œuvre se construit à partir du conte de Hans Christian Andersen, La Petite Fille aux allumettes, dans lequel sont insérés un texte de Léonard de Vinci et une lettre de prison de Gudrun Ensslin, l’activiste révolutionnaire allemande. La parole est récitée, chantée, brisée en syllabes et elle
2 Bernd Alois Zimmermann, « Les Soldats » : texte publié en allemand en 1974 et traduit en français par C. Gaspar et C. Fernandez, Contrechamps no5, Lausanne, L’Âge d’Homme, 1985. Repris dans Écrits, Genève, Contrechamps, 1994. 3 Luigi Nono, « Notes sur le théâtre musical contemporain », texte publié en italien en 1961, traduit en français par L. Feneyrou, Écrits, Paris, Christian Bourgois, 1993.
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s’associe à un univers sonore fait de symboles variés (comme celui des sons « froids », atones et aigus des cordes, au début de la représentation). La scène et les images musicales se superposent à celles, visuelles, « composées » par le metteur en scène : elles aussi sont symboliques, suggestives et réglées par le rythme narratif de la musique. Elles contribuent à créer un univers qui est en même temps complexe et lisible, capable de donner plusieurs perspectives au récit, qui n’est plus une « simple » histoire, mais un support poétique au travail des différents arts. La décision de s’appuyer sur un espace « signifiant » plutôt que sur une scène théâtrale traditionnelle est de plus en plus manifeste au début du xxie siècle. Un excellent exemple est Fama (2005) de Beat Furrer. Cette action scénique se présente comme un monologue intérieur – celui de la jeune protagoniste de Mademoiselle Else d’Arthur Schnitzler – qui prend forme grâce à une « architecture » conçue par le compositeur, « un espace dans l’espace » : la salle où se trouve le public est imbriquée dans une autre, où sont placés les musiciens. Le flux de conscience d’Else est articulé par une alternance de moments intérieurs et extérieurs à la salle où le texte – qui est lui-même un collage de fragments – est donné par bribes (distribué parmi les huit voix chantées et une comédienne) : une construction musico-textuelle qui tend vers un théâtre de l’esprit en se libérant des conventions de la représentation. Considérons enfin l’utilisation des images filmées, qui ouvrent un espace (ou des espaces) parfois complémentaire(s), parfois alternatif(s) à celui offert par le lieu du spectacle. Nombreuses sont les œuvres en ce début du xxie siècle qui s’élaborent à partir de la relation entre image vidéo projetée et musique : un rapport qui a été très expérimental dès la naissance du cinéma, mais qui, dans cette nouvelle perspective libérée des liens narratifs traditionnels, semble trouver un nouvel élan. Il suffit de rappeler Index of Metal (2003), vidéo-opéra de Fausto Romitelli avec vidéo de Paolo Pachini et Leonardo Romolo : des fragments de textes de Kenka Lèkovich
Les nouvelles scènes de la musique
– chantés par une soprano – se mélangent à la musique et aux images dans un rapport jamais descriptif (il n’y a pas d’histoire à raconter), et qui tend à créer une sorte de processus hypnotique saturé de mémoire sonore (l’œuvre s’ouvre avec le premier accord du disque Shine on You Crazy Diamond des Pink Floyd, lancé plusieurs fois avec le son d’un disque vinyle…). On pense aussi aux œuvres avec vidéo de Pierre Jodlowski, conçues dans un esprit de contrepoint entre arts différents : dans People / Time (réalisé en collaboration avec Pascal Baltazar en 2003), dates de naissances, visages d’hommes et de femmes alternent avec l’image d’une route qui rythme le temps de la vidéo, un rythme qui se greffe à la composition musicale. Citons pour finir le travail d’Olga Neuwirth qui, dans …ce qui arrive… (2005), a collaboré avec l’artiste et vidéaste Dominique Gonzalez-Foerster : le performeur qui apparaît sur l’écran apparaît aussi, en taille réelle, au milieu des musiciens. L’image vidéo « joue » avec l’espace (ou avec ses illusions) en même temps que la musique élabore des transformations électroniques et des spatialisations de la voix. Dans Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie programmée cette année par l’Ensemble intercontemporain, la même Olga Neuwirth s’inspire de l’espace acoustique de l’église de San Lorenzo à Venise, où avait été créé Prometeo 4 (cf. p. 38). De l’œuvre de Nono survivra dans celle de Neuwirth le simple contour d’un espace, mais n’était-ce pas là son véritable sujet ? La musique est un théâtre sans décor. Giordano Ferrari est maître de conférences à l’université de Paris VIII où il enseigne la dramaturgie musicale au xxe siècle. Il est responsable et coordinateur du projet de recherche « Dramaturgie musicale contemporaine en Europe » (D.M.C.E.), et du projet « Le théâtre musical de Luciano Berio » (2010-2013) en collaboration avec le Centro studi Luciano Berio de Florence et la Fondation Cini de Venise. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Les Débuts du théâtre musical d’avant-garde en Italie (L’Harmattan, 2000) et La musique et la scène ; L'écriture musicale et son expression scénique au xxe siècle (L’Harmattan, 2007). Il a dirigé quatre volumes collectifs sur la dramaturgie musicale d’aujourd’hui (L’Opéra éclaté en 2006, La Musique et son expression scénique en 2007, La Parole sur scène en 2008 et Pour scène actuelle en 2009, L’Harmattan). Il a codirigé l’ouvrage en deux volumes À Bruno Maderna (Basalte, 2007 et 2009) et a publié de nombreuses études sur la musique du xxe siècle, l’opéra et le théâtre musical.
4 Voir l’article « Les îles enchantées d’Olga Neuwirth », de Laure Gauthier, p. 18 de cette brochure
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15 DOSSIER
Les nouvelles scènes de la musique
Chercher l'équilibre : dialogues contemporains entre image et son par BENOÎT MONTIGNÉ
Sur la scène, deux artistes manipulent dans l’obscurité leurs machines respectives. L’un est plasticien, l’autre musicien. Le premier projette sur l’écran noir des essaims constitués de minuscules points blancs animés qui, tour à tour, se réunissent, se défont et se réagencent pour venir former des nuages géométriques instables et éphémères. Le second génère en temps réel des vagues de bourdonnements et de déchirures électro-acoustiques, en tension avec ces particules en perpétuelle agitation. C’est ainsi que dans Tempest d’Antoine Schmitt et de Franck Vigroux, flux visuels et flux sonores s’entremêlent dans des chorégraphies mi-préparées, mi-improvisées, sollicitant notre double perception de spectateur-auditeur. Ce type de production scénique intégrant de l’image et du son n’est pas nouveau, loin de là. Appelé communément « performance audiovisuelle », il repose sur l’arrivée dans les années 1980 de logiciels informatiques permettant de mixer et de projeter des images afin d’accompagner les performances « live » de musique électronique. Il s’est développé avec l’avènement des festivals numériques, qui ont permis le décloisonnement de ces pratiques tout en autorisant des démarches plus artistiques. Il n’en reste pas moins que l’image joue souvent un rôle ingrat : illustrer une création à dominante musicale. Inversement, pour une majorité d’œuvres s’inscrivant dans le champ des arts de l’image en
mouvement, une place restreinte est accordée à la création sonore. Ce n’est toutefois pas le cas dans les expériences proposées dans la programmation 2015-2016 de l’Ensemble intercontemporain. Tempest, d’Antoine Schmitt et de Franck Vigroux, Extension Sauvage de Jacques Perconte et de Jeff Mills, Cluster.X de Kurt Hentschläger et d’Edmund Campion (cf. p. 34), et enfin No More Masterpieces du collectif 331/3 (cf. p. 66) sont les espaces d’une recherche d’unité, voire de « synesthésie » entre l’image et le son. Au-delà du propos artistique, ces artistes cherchent également à transcender la question de la distinction traditionnelle entre musique et image en mouvement, en donnant naissance à une véritable entité composite, dont chaque « aile »1 – le visuel, le sonore – résonne avec une force égale. Dans l’histoire des arts de l’écran, un moment déterminant dans cette quête d’équilibre peut être identifié au début des années 1940 : John Whitney et son frère James réalisent cinq courts métrages d’animation appelés Five Abstract Film exercises (1943-1944). Ceux-ci sont conçus en réaction à d’autres travaux antérieurs, qui, s’ils sont tout à fait remarquables (citons en particulier les films du pionnier Oskar Fischinger), partent d’une musique préexistante sur laquelle ils viennent synchroniser des formes animées. Dans la perspective de dépasser ce procédé, les frères Whitney développent non
1 Pour reprendre l’expression du lettriste Isidore Isou dans son film Traité de bave et d’éternité (1951), dont le texte a été édité aux éditions Hors Commerce en 2000.
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seulement de manière expérimentale et originale la partie visuelle – à l’aide de pochoirs et de gélatine colorée –, mais mettent également au point un système complexe de pendules leur permettant de synchroniser le mouvement des éléments visuels abstraits avec du son optique. Cette technique alors récente permettait de générer des sons « synthétiques », et cela bien avant la musique électronique et la musique concrète. Par exemple, tandis qu’une forme abstraite s’éloigne dans l’arrière-plan, un son « venu de nulle part » 2 qui lui est associé passe progressivement de l’aigu au grave puis s’estompe. Les Whitney explorent, à travers ces petits films, un certain nombre de relations entre image et son, en veillant en permanence à ce qu’aucune des deux composantes ne prennent le pas sur l’autre. C’est, à notre sens, la première manifestation d’une œuvre réellement audio-visuelle. Les deux frères écrivaient déjà à ce propos en 1944 : « […] de réelles possibilités créatrices émergent quand la structure de l’image dicte ou “inspire” la structure sonore et vice-versa, ou quand leur conception est simultanée. Ceci évidemment est mieux réalisé quand les deux parties ont des origines créatrices communes » 3. Contrairement à son frère James qui va au fil des années abandonner ses expérimentations, John Whitney consacrera sa vie à la création. Ce dernier réalisera dans les années 1960 le premier film d’animation artistique par ordinateur, puis développera ses théories sur la complémentarité audio-visuelle 4. Il mettra celles-ci en pratique grâce à un instrument logiciel, le « Whitney-Reed RDTD », outil de composition audiovisuelle en temps réel qu’il aura lui-même imaginé. Il est donc l’une des figures pionnières de ce que l’on pourrait appeler l’« art audiovisuel » 5. Les abstractions « audiographiques » d’Antoine Schmitt et de Franck Vigroux renvoient assez directement aux expérimentations de John Whitney.
Dans Extension sauvage, de manière différente mais tout aussi intéressante, ce sont les paysages vidéo de Jacques Perconte, tournés à Madère, qui vont dialoguer avec les compositions minimalistes de Jeff Mills pour tenter d’accomplir une fusion audiovisuelle. Par un traitement complexe de l’algorithme de compression numérique, Jacques Perconte applique à l’image vidéo des pixellisations graduelles qui l’emportent dans des abstractions picturales aux couleurs surprenantes et saturées pendant que Jeff Mills, explorateur familier des rapports entre musique et image, imprime au flux de la vidéo de subtiles oscillations rythmiques et musicales. Dominique Willoughby écrivait à propos du cinéma de Len Lye – un cinéaste d’animation contemporain de John Whitney – qu’il avait « [...] sans doute créé un des meilleurs modèles du cinéma graphique musical, par le choix de ses musiques, la puissance de ses images, et par une dialectique de leurs relations, faites de jonctions et de disjonctions, de synchronisme et d’asynchronisme, ménageant les espaces nécessaires à leurs existences respectives. Le cinéma graphique et la musique ne s’illustrent pas l’un l’autre ni ne s’accompagnent mutuellement, ils se rencontrent et rentrent en résonance » 6. Cette description s’applique très bien à la rencontre entre les variations électroniques de Jeff Mills et l’art vidéo de Jacques Perconte. Une autre collaboration, Cluster.X, verra s’entrecroiser une vidéo générative de Kurt Hentschläger, l’un des membres du duo Granular-Synthesis (acteur référent de la performance audiovisuelle artistique au début des années 1990), et les compositions contemporaines d’Edmund Campion. On pourra y voir et y entendre d’évanescentes silhouettes abstraites, baignées dans une atmosphère sonore dense et énigmatique, se matérialiser progressivement dans un lent mouvement. Si le matériau visuel et sonore est en partie préparé à l’avance, il est diffusé
2 Thomas Y. Levin, « “Des sons venus de nulle part.” Rudolf Pfenninger et l’archéologie du son synthétique », dans le catalogue Sons & Lumières. Une histoire du son dans l’art du xxe siècle, Paris, Centre Pompidou, 2004, p. 51. 3 J ohn Whitney, « Musique audio-visuelle : musique couleur – cinéma abstrait », trad. Alain Alcide Sudre, dans Yann Beauvais, Musique Film, Paris, Scratch / Cinémathèque Française, 1986, p. 26. 4 John Whitney consignera ses recherches dans son ouvrage Digital Harmony : On the Complementarity of Music and Visual Art, New Hampshire, McGraw-Hill, Peterborough, 1980. 5 Le terme « audiovisual art » est plus courant en anglais et couvre l’ensemble des œuvres définies par leur rapport entre image et son. 6 Dominique Willoughby, Le Cinéma graphique : une histoire des dessins animés, des jouets d’optique au cinéma numérique, Paris, Textuel, 2009, p. 170.
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et interprété avec un certain degré d’indétermination, le compositeur pouvant notamment intervenir en temps réel sur la spatialisation en multicanal des masses sonores. Il devient d’ailleurs de plus en plus fréquent qu’autour des traitements en temps réel de l’image et du son les artistes intègrent des dispositifs visant à explorer les potentialités de la diffusion sonore, procédé dont le compositeur Karlheinz Stockhausen était l’un des pionniers dans les années 1950. Plus rares en revanche sont les manipulations directes des moyens de diffusion visuelle comme l’écran. C’est un défi que tentera de réaliser le collectif 331/3, à travers non plus une spatialisation du son, mais une « spatialisation » de l’image. Dans No More Masterpieces (d’après le Concerto "Séraphin"), la base musicale est l’interprétation d’une œuvre contemporaine du compositeur Wolfgang Rihm, inspirée par le travail d’Antonin Artaud. Les artistes ont construit à partir de documents liés à ce dernier une création vidéo qui sera projetée sur un écran « cinétique », dont les dimensions et la forme seront variables. Ce dispositif novateur s’inscrit dans les mêmes préoccupations que celles formulées par le cinéaste Serguei Eisenstein, qui, dans un discours prononcé en 1930, parlait déjà de la reconstruction nécessaire de la salle de cinéma sonore, et imaginait un dispositif d’écran constitué de surfaces verticales et horizontales : « […] cela nous apporte un nouvel agent gigantesque d'impression : l’assemblage rythmique des différentes formes d’écran, l’attaque de notre champ de perception par des impulsions émotionnelles associées aux variations géométriques et dimensionnelles qui suivent de la succession des dimensions, des proportions et des plans possibles » 7. Les œuvres ici évoquées se distinguent autant du « ciné-concert » que des projections illustratives et redondantes d’images qui viennent accompagner l’interprétation d’une composition musicale préexistante. Dans ces deux cas, il y a dès le départ 7 Serguei M. Eisenstein, Le Carré dynamique, Paris, Séguier, coll. Carré ciné, 1995, p. 44.
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un déséquilibre causé par la force de la composition originale, en particulier si l’œuvre est déjà bien connue par le public (avec l’exception de l’opéra, qui nous a accoutumés à voir différentes mises en scène d’une même composition). Les démarches et collaborations plus innovantes et s’inscrivant dans une recherche véritablement audio-visuelle demandent une attention particulière. À travers un nombre croissant de manifestations et d’expositions, on observe une véritable prise de conscience de l’importance de ces rapports entre les musiques expérimentales, électroniques, électro-acoustiques, contemporaines, les arts sonores, l’art vidéo, l’animation, ou bien encore le cinéma expérimental. Les écoles d’art et les universités commencent à offrir une place réelle à l’enseignement pratique et théorique des arts sonores. Par extension, la pédagogie et la recherche dans les domaines croisés des arts visuels et sonores doit également pouvoir se développer, au-delà des ruptures technologiques et esthétiques entre l’image optique, vidéo et numérique, ainsi qu’entre le son acoustique ou électronique. Des échanges constants et denses entre ces champs artistiques existent dans l’histoire de l’art. Ils viennent éclairer les pratiques artistiques contemporaines utilisant l’image et le son comme matériau et préfigurent les futurs environnements et dispositifs de l’art audiovisuel. Benoît Montigné est enseignant en multimédia à l'École nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (ENSAD), concepteur multimédia pour des institutions culturelles, doctorant en esthétique, sciences et technologie des arts à l'Université de Paris 8. Il est aussi fondateur du site Sonore Visuel, consacré à l'histoire et à l'actualité des arts sonores et audiovisuels.
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Les îles enchantées d’Olga Neuwirth par LAURE GAUTHIER
Le titre de la création d’Olga Neuwirth, Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie (cf. p. 38) fait explicitement référence à la nouvelle d’Herman Melville, The Encantadas or Enchanted Isles (1854), mais derrière le titre, il y a aussi une autre filiation, celle qui relie la compositrice autrichienne à Luigi Nono. En effet, le projet prend appui sur Prometeo. Una tragedia dell’ascolto dont la première représentation avait eu lieu en 1984 dans l’église San Lorenzo à Venise. C’est dans cette église déjà sécularisée, dans cette ville dont l’histoire architecturale est intimement liée à celle de la musique, que Nono avait décidé de subvertir la situation d’écoute traditionnelle. Grâce à la collaboration du compositeur avec l’architecte Renzo Piano, cette pièce tragique devenait une « tragédie de l’écoute » : le dispositif traditionnel était déconstruit, le lieu dé-théâtralisé et le public se trouvait au centre de l’espace et trois galeries étaient aménagées pour les musiciens, créant différents espaces sonores qui déjouaient les attentes acoustiques classiques. Le pari osé d’Olga Neuwirth est de reconstruire virtuellement l’espace sonore de San Lorenzo, de
déplacer virtuellement la coupole pour la réinstaller acoustiquement dans la Philharmonie de Paris. Bien sûr, cette double citation architecturale et musicale fonctionne par un processus de métaphorisation : il ne s’agit pas seulement d’intervertir, comme a pu le faire Nono, la disposition auditeurs/musiciens, mais aussi de proposer au public une architecture transparente et mouvante, un espace évolutif et pluriel : une « arche de rêve », comme le formule la compositrice, qui peut circuler « au travers de l’espace et du temps », grâce à un dispositif complexe élaboré en collaboration avec l’Ircam. Cette technologie a pour pari de plonger l’auditeur au cœur d’un système ambisonique via une sphère de haut-parleurs installés autour de la salle. En écho à l’image de la coupole, le procédé ambisonique repose sur des calculs mathématiques faisant appel à des harmoniques sphériques. Pour y parvenir, un échantillonnage de l’espace acoustique de l’église San Lorenzo a été reconstitué à l’aide de réponses impulsionnelles 3D, permettant de donner au public de la Philharmonie l’impression d’être en immersion sonore dans l’église vénitienne.
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Olga Neuwirth a une conception de la musique et de l’idée musicale non hermétique et elle avoue toujours tirer son inspiration d’un dialogue avec les autres arts, que ce soit le cinéma, la littérature ou – pour ce projet – l’architecture. L’architecture déconstructiviste, qui fixe de nouvelles règles à l’espace en déconstruisant les oppositions et en déhiérarchisant les catégories, a exercé une influence importante sur la compositrice autrichienne, notamment sur ses drames dits « fracturés » comme Bählamms Fest ou encore Lost Highway. Le texte, la vidéo et la musique y entraient en tension sans qu’une discipline ne se soumette à l’autre, créant ainsi des espaces sonores complexes et dynamiques 1. Cette fois, l’idée architecturale, celle d’une coupole d’église vénitienne, est transformée : la coupole est rendue vivante grâce à un dispositif acoustique conçu comme une sorte de parapluie, d’enveloppe sonore dont les sons viennent irradier l’espace de l’auditeur. À l’architecture fixe et verticale d’une église se substitue une enveloppe sonore virtuelle en mouvement, les sons se déplaçant le long de la sphère. Après Nono qui revisitait l’espace de San Lorenzo en bouleversant les habitudes de l’auditeur, Neuwirth déplace donc de façon plus radicale encore le centre de gravité de l’écoute : « L’église se casse, elle murmure, se fissure, hurle et chante comme un bateau sur les flots. » 2 L’image qu’elle retient, celle de cette coupole de sons en mouvement, est celle d’une arche qui vogue sur les flots. L’espace acoustique se redéfinit sans cesse, il fonctionne en rhizome. L’image marine a une source double : le Prometeo de Luigi Nono, et The Encantadas de Herman Melville. Du drame de Nono, Neuwirth retient l’idée d’un archipel d’îles entre lesquelles l’auditeur doit avancer à petits pas, de façon progressive et tourmentée afin de s’affranchir de ses habitudes d’écoute. Mais les îles sont aussi « les îles enchantées », sous-titre de la nouvelle de Melville où il est notamment question de l’archipel des Galápagos. La mer est omniprésente chez cet auteur à qui Neuwirth
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a déjà rendu un hommage musical dans The Outcast. Homage to Herman Melville (2009-2011), une installation musicale où elle célébrait l’esprit visionnaire et critique de l’écrivain et son appel à la tolérance. Cette fois, de l’auteur de Moby Dick, elle reprend le combat sur les flots, la métaphore marine et la progression horizontale. Par ailleurs, Olga Neuwirth a souhaité intégrer l’environnement maritime vénitien à la pièce. Des sons captés dans la lagune viendront ainsi se mêler à ceux de San Lorenzo. Neuwirth a toujours cherché de nouvelles formes d’organisation sonore qui abolissent les hiérarchies spatiales (haut-bas/devant-derrière, etc.) et procèdent de la prolifération ou de l’extension rhizomatique, utilisant pour cela des métaphores zoologiques, botaniques ou ici architecturales et marines. La coupole ne correspond pas à un ordre divin et vertical mais progresse horizontalement sur les flots. Cette expansion de l’espace, de l’« arche de rêve » qui évolue d’île en île, n’est pas menaçante, mais au contraire fragile, puisqu’elle se brise. Les îles sont des moments de respiration, des césures. L’espace sonore, semblable à un organisme vivant, s’étend, se rétracte, évolue, se décompose et se recompose autour du spectateur, dessinant de nouvelles architectures musicales qui sont autant de modèles alternatifs au modèle dominant, vertical et rigide. Par ailleurs ces îles, une image récurrente chez Neuwirth, composent une « maison-d’espacemusique » (Musik-Raum-Haus) ou encore, pour citer Elfriede Jelinek qui a signé plusieurs livrets pour la compositrice, des « îles de glace/de neige » 3, qui sont autant de refuges contre les violences et les limitations de l’espace-temps que nous impose la société. Laure Gauthier est auteur et enseignant chercheur. Ses recherches portent sur l’esthétique de l’opéra (xviie siècle à aujourd'hui) et l’histoire urbaine de la musique dans l'espace germanophone. Elle a publié de nombreux articles, plusieurs ouvrages collectifs (notamment Mélodies urbaines (Paris PUPS, 2008) et rédigé une monographie sur le premier opéra permanent de langue allemande (L’Opéra à Hambourg, Paris, PUPS, 2010). Auteur de textes poétiques (marie weiss rot / blanc rouge, 2013 ; La cité dolente, 2015), elle rédige également des livrets pour des œuvres vocales multimédia.
1 « Olga Neuwirth. Vigilance oblige », in : Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. 2 « The church snaps, whispers, cracks, screams and sings as a ship on the sea » in : Olga Neuwirth, Project idea to « Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie », septembre 2012. 3 Voir Elfriede Jelinek, « Musik und Furcht. (Einige Überlegungen zu Instrumental-Inseln von Olga Neuwirth) », in : Karin Hochradl, Olga Neuwirths und Elfriede Jelineks Gemeinsames Musiktheaterschaffens, Bern, Peter Lang, 2010, p. 120.
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Concevoir la musique comme un rayonnement Entretien avec THIERRY DE MEY compositeur et réalisateur de films
Votre œuvre ripple marks sera créée par trois solistes de l’Ensemble intercontemporain le 10 octobre 2015, dans le cadre des deux soirées « Turbulences numériques » à la Philharmonie de Paris (cf. p. 34). Pouvez-vous nous parler de cette œuvre en cours de réalisation ? ripple marks, littéralement « traces d’ondulation » en anglais, est une œuvre pour trois solistes et vidéo. Celle-ci évoquera sur l’écran le parcours labyrinthique des solistes sur scène, couplé à des projections d’images du flux et reflux de la mer sur les rivages de Belgique et de la baie de Somme. Progressivement, les vagues effaceront le labyrinthe tracé sur le sable. Il s’agit pour moi de réminiscences, de souvenirs de jeux d’enfant : j’étais fasciné par les traces ondulées que la mer laisse sur le sable en se retirant. Dans ripple marks, le dispositif scénique, la partie vidéo, mais aussi la partie musicale électronique sont dérivés de l’analyse des potentialités d’un phénomène encore peu exploité : les sons multiphoniques des instruments à cordes. Au cœur de l’instrumentarium, il y aura la harpe : un instrument statique. Elle interagira avec deux instruments mobiles, l’alto et la clarinette, qui seront joués par deux solistes se déplaçant sur le plateau. Les déplacements de l’alto et de la clarinette ne seront pas le fruit du hasard : ils se chercheront en suivant les chemins d’une sorte de labyrinthe virtuel : ce que les danseurs nomment un « floor pattern » pour désigner les tracés de leurs trajets dans l’espace scénique. Ce dispositif servira aussi à organiser le temps musical et l’espace harmonique. Aux allées, culde-sac, zones de danger, points de rencontre de ces « tresses-labyrinthe » seront associés des champs sonores particuliers
définis par les sons de synthèse et l’instrument statique. Les couleurs spectrales seront annoncées par les multiphoniques, ces nœuds harmoniques situés sur certaines cordes graves de la harpe. Avec la complicité de Frédérique Cambreling, nous avons en effet isolé sur la corde des endroits produisant des sons au spectre large, où plusieurs partiels se disputent la prééminence. Ces sons ont une parenté frappante avec certains résultats de la synthèse électronique. Ma pièce Kinok, pour hautbois et ensemble (1994) ainsi que Tippeke (1996), pour violoncelle, électronique et film, s’appuyaient déjà sur ces sons « en conflit interne » avec lesquels j’ai une grande affinité. Dans les années 1980, la découverte de Studie über Mehrklänge (1971) de Heinz Holliger fut pour moi une expérience fulgurante. Nous avons donc modélisé sur ordinateur une « corde » idéale pour comprendre et organiser les plus beaux spécimens sonores de notre cueillette, et c’est avec bonheur que nous constatons que le modèle informatique reproduit assez fidèlement les échantillons enregistrés empiriquement. ripple marks est donc une œuvre complexe, au carrefour de la musique spectrale, de la musique électronique, de la mise en scène et de la vidéo. Comment s’inscrit-elle dans votre parcours d’artiste complet, à la fois compositeur et vidéaste aimant frayer avec le monde de la danse ? ripple marks s’inscrit dans un projet de recherche plus vaste intitulé « Taxinomie du geste », que je poursuis depuis 2012 au centre Charleroi Danses et à l’Ircam. Ce projet tente de dresser un catalogue subjectif de gestes remarquables, un peu
comme Olivier Messiaen l’avait fait avec les chants d’oiseaux. Une fois établis et modélisés sous forme d’algorithmes, ces gestes peuvent devenir de véritables modèles d’inspiration pour les danseurs bien sûr, mais aussi pour les musiciens, les plasticiens, etc. Prenons l’exemple d’une belle expérience de physique dont la vidéo tourne actuellement sur les réseaux sociaux : celle-ci figure un ensemble de seize pendules à la longueur de corde différente lâchés au même moment. Cette expérience du mouvement est fascinante à regarder. Comme les cordes sont de longueurs différentes, il s’y produit progressivement un déphasage que l’on peut décomposer en plusieurs étapes : l’unisson ; puis une sorte de reptation-ondulation comparable au mouvement d’un serpent essayant d’évoluer en laissant la moindre surface de son corps sur un sol brûlant ; puis une forme à quatre battements ressemblant au galop d’un cheval décomposé à la fin du xixe siècle par le photographe britannique Eadweard Muybridge ; puis une sorte d’hélice d’ADN vrillant vers le haut ; à nouveau un galop ; enfin une sorte de marche à deux battements ; etc. La fascination que l’on éprouve devant ce spectacle simple s’explique, selon les adeptes des sciences cognitives, par le fonctionnement même du corps humain. Celui-ci est traversé par une série de boucles, de flux qui opèrent tous à des rythmes différents : circulation des neurotransmetteurs dans le cerveau, battements du cœur, respiration, cycles de déclenchement/inhibition… Cette série de boucles rythmiques internes au corps humain me mobilise sur le plan artistique depuis longtemps : elle est au cœur de mes premières œuvres dans les années 1980. Par exemple, la musique composée pour le ballet Rosas danst Rosas d’Anne Teresa
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De Keersmaeker en 1983 est construite de manière très brute, voire brutale, sur des superpositions de boucles de longueurs différentes afin de créer une pulsation multiple, un décalage permanent. Je ne suis bien sûr pas le seul compositeur à s’être intéressé aux superpositions rythmiques. On en retrouve un exemple célèbre dans le troisième mouvement du Concerto de chambre écrit en 1970 par György Ligeti. Plus loin de nous, les gamelans, les polyrythmies et les polyphonies pygmées – d’ailleurs chéries par Ligeti – sont caractéristiques de cette logique musicale. Et les premières compositions polyphoniques occidentales comme les organum de Pérotin (1160-1230) ou les polyphonies du xiie au xve siècle – hoquetus, canons à 36, 24 voix (Ockeghem, Josquin), palindromes, canons par augmentation – semblent être composés en manifestant une volonté de superposer des temporalités récursives et multiples. Ces gestes remarquables, ces polyrythmies, ces polyphonies... qu’ont-elles à voir avec ripple marks ? Deux choses. D’une part, permettezmoi de revenir à la description du projet « Taxinomie du geste » : une fois qu’on a établi certains gestes ou mouvements modèles et qu’on les a reproduits et synthétisés sous forme d’algorithmes, il est possible de les transformer, de les ralentir, de les accélérer, de les inverser, etc., afin, par exemple, de vaincre ou d’inverser la gravité. Alors d’autres mouvements apparaissent, comme un envol d’oiseau ou de chauve-souris, ou encore d’autres formes plus indéterminées mais elles aussi fascinantes et dont on retrouvera des traces musicales dans ripple marks.
D’autre part, j’aime concevoir l’histoire de la musique non comme un fil linéaire – fléché et mono dimensionnel plus ou moins inspiré de la dialectique hégélienne – mais plutôt comme une série d’événements advenant comme la chute d’objets à la surface d’un plan d’eau (par exemple : Mozart y serait un sérieux pavé), dont chacun émettrait un rayonnement, un ondoiement (ripple) plus ou moins intense à la manière de ces étoiles dispa-
rues mais dont la lumière nous parvient toujours. Je pense à Gérard Grisey et à son Noir de l’Étoile créé à Bruxelles en 1991 : j’y étais ! Le mouvement, soit ! multiple et trans-dimensionnel, soit !, encore ce mouvement doit-il laisser traces ; d’où le titre : ripple marks.
Propos recueillis par Benjamin Bibas
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Saison
Samedi 15 août 20H – SALZBOURG Lehrbauhof SALZBURGER FESTSPIELE Pierre BOULEZ Répons pour six solistes, ensemble, sons informatiques et électronique en temps réel Sébastien Vichard, piano Hidéki Nagano, piano Frédérique Cambreling, harpe Luigi Gaggero, cymbalum Samuel Favre, vibraphone Gilles Durot, xylophone Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Andrew Gerzso, Gilbert Nouno, réalisation informatique musicale Ircam Renseignements et réservations : salzburgerfestspiele.at
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Le festival de Lucerne s’associe aux célébrations du 90e anniversaire de Pierre Bloulez en lui consacrant une journée spéciale. On y jouera naturellement sa musique, mais aussi des œuvres de ses compositeurs de référence, et celles de la jeune génération. Les divers concerts de cette journée seront l’occasion de jouer une série de pièces en son hommage commandées par l’Ensemble ou par le Festival de Lucerne, parmi lesquelles ma création pour piano. Cette journée nous permettra surtout de remettre la personnalité et l’œuvre de Pierre Boulez dans la perspective de ce qu’il a accompli au Festival de Lucerne : regarder vers l’avenir, soutenir de jeunes musiciens, chefs d’orchestre et compositeurs. Ce souci de préparer l’avenir de la musique en mettant en avant la jeune génération est une des plus belles réalisations de Pierre. Pour lui, l’essentiel est dans la transmission et le partage des savoirs. L’une des images que je retiendrai toujours de lui est celle d’un homme ne se reposant jamais sur ses lauriers, allant toujours de l’avant, sans répit.
• Matthias Pintscher
Dimanche 23 août
19H30
LUCERNE
KKL, Concert Hall
KKL, Lucerne Hall LUZERN FESTIVAL
Wolfgang RIHM Fusées 2 pour vingt-trois instrumentistes Création mondiale Commande du Festival de Lucerne Pierre BOULEZ Notations I à IV et VII versions pour piano et pour orchestre Samy MOUSSA Nouvelle œuvre* pour ensemble Création mondiale Commande du Festival de Lucerne Piotr PESZAT Pensées étranglées** pour orchestre symphonique Création mondiale Commande de Roche Young Commissions Matthias PINTSCHER Osiris pour orchestre György KURTÁG Nouvelle œuvre Création mondiale Commande du Festival de Lucerne
A DAY FOR PIERRE BOULEZ
14H Matthias PINTSCHER Nouvelle œuvre pour piano Création mondiale Commande du Festival de Lucerne Christian MASON Open to Infinity: a Grain of Sand pour quinze instrumentistes Création mondiale Commande du Festival de Lucerne et de BBC Radio 3 Pierre BOULEZ Rituel in memoriam Bruno Maderna pour orchestre en huit groupes nn, piano Étudiants de l’Académie du Festival de Lucerne Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction
17H KKL, Lucerne Hall Tod MACHOVER Re-Structures pour deux pianos et électronique Création mondiale Commande du Festival de Lucerne Heinz HOLLIGER Nouvelle œuvre pour soprano et six instruments Création mondiale Commande du Festival de Lucerne Pierre BOULEZ sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussions-claviers nn, soprano Étudiants de l’Académie du Festival de Lucerne Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction
Orchestre de l’Académie du Festival de Lucerne Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Julien Leroy, direction* Mariano Chiacchiarini, direction** Renseignements et réservations : lucernefestival.ch
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Vendredi 4 septembre
Vendredi 11 septembre
Dimanche 13 septembre
20H – PARIS
21H – TURIN
16H – POISSY
Philharmonie de Paris Amphithéâtre Cité de la musique – Philharmonie 2
Conservatorio Statale di Musica Giuseppe Verdi FESTIVAL MITO
Villa Savoye
INTERSESSION N° 17 CHEEKIES & BABIES
Claude DEBUSSY Les Chansons de Bilitis pour récitante et cinq musiciens Pierre BOULEZ Improvisation I & II sur Mallarmé pour soprano et ensemble Pierre BOULEZ Le Marteau sans maître pour voix d'alto et six instruments
Théo Ceccaldi, violon Éric-Maria Couturier, violoncelle Nicolas Crosse, contrebasse Roberto Negro, piano Coproduction Festival Jazz à la Villette, Ensemble intercontemporain, Le Triton Dans le cadre du festival Jazz à la Villette Tarif : 10€ Réservations : 01 44 84 44 84 jazzalavillette.com
Jeudi 10 septembre 21H – MILAN Conservatorio di Musica « G. Verdi » di Milano, Sala Verdi FESTIVAL MITO Claude DEBUSSY Les Chansons de Bilitis pour récitante et cinq musiciens Pierre BOULEZ Improvisation I & II sur Mallarmé pour soprano et ensemble Pierre BOULEZ Le Marteau sans maître pour voix d'alto et six instruments Hélène Fauchère, soprano Salomé Haller, mezzo-soprano Ensemble intercontemporain Bruno Mantovani, direction Renseignements et réservations : mitosettembremusica.it
Hélène Fauchère, soprano Salomé Haller, mezzo-soprano Ensemble intercontemporain Bruno Mantovani, direction Renseignements et réservations : mitosettembremusica.it
George ANTHEIL Symphony for Five Instruments pour flûte, basson, trompette, trombone et alto John CAGE Music for... Four pour flûte, trompette, trombone et alto Paul HINDEMITH Sonate, op. 25 n° 1 (extraits) pour alto Joseph MAKHOLM Variations pour deux instruments à vent (Set #2) (extraits) pour trompette et trombone Klaus HUBER Ein Hauch von Unzeit I (extraits) pour flûte Johannes Maria STAUD Celluloid (extraits) pour basson Solistes de l’Ensemble intercontemporain Dans le cadre du festival CORB Renseignements et réservations : villa-savoye.monuments-nationaux.fr
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TOURNÉE SHANGHAI/TAIPEI Mercredi 23 septembre 19H15 – SHANGHAI Conservatoire, He Luting Concert Hall NEW MUSIC WEEK Beat FURRER linea dell'orizzonte pour ensemble Gaspra pour ensemble still pour ensemble Studie pour piano* Dimitri Vassilakis, piano* Ensemble intercontemporain Beat Furrer, direction Renseignements et réservations : shcnmw.com/en
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Jeudi 24 septembre
Vendredi 25 septembre
Lundi 28 septembre
19H15 – SHANGHAI
15H30 – SHANGHAI
19H30 –TAIPEI
Conservatoire, He Luting Concert Hall NEW MUSIC WEEK
Conservatoire, Lecture Hall NEW MUSIC WEEK
Musheng CHEN An orchid in the vacant valley pour alto, piano et percussion Deqing WEN The Sound Shining pour erhu et ensemble de chambre Ye SHEN Tone Poem - Dusk pour clarinette et quatuor à cordes Shuya XU Nouvelle œuvre pour ensemble Shirui ZHU Trois Fantaisies poétiques pour flûte, alto et harpe Gérard GRISEY Périodes pour sept instruments
Fausto ROMITELLI Domeniche alla periferia dell'impero : "prima domenica" pour quatre instruments Pierre BOULEZ Improvisé - pour le Dr. K. pour piano et quatre instruments Luciano BERIO Sequenza VIII pour violon Fausto ROMITELLI Domeniche alla periferia dell'impero : "seconda domenica" pour quatre instruments Gérard GRISEY Vortex Temporum pour piano et cinq instruments
Experimental Theatre, National Performing Arts Center National Theatre & Concert Hall 2015 INNOVATION SERIES
Yiwen Lu, erhu Ensemble intercontemporain Beat Furrer, direction Renseignements et réservations : shcnmw.com/en
Solistes de l’Ensemble intercontemporain Renseignements et réservations : shcnmw.com/en
Fausto ROMITELLI Domeniche alla periferia dell'impero : "prima domenica" pour quatre instruments Pierre BOULEZ Improvisé - pour le Dr. K. pour piano et quatre instruments Luciano BERIO Sequenza VIII pour violon Janet Jieru CHEN Life Without Stars pour flûte, clarinette, violon et violoncelle Fausto ROMITELLI Domeniche alla periferia dell'impero : "seconda domenica" pour quatre instruments Gérard GRISEY Vortex Temporum pour piano et cinq instruments Solistes de l’Ensemble intercontemporain Voir aussi l'article « Suivez votre propre voie ! » Panorama de la création musicale en Chine par Frank Kouwenhoven p. 28
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« Suivez votre propre voie ! »
Panorama de la création musicale en Chine par FRANK KOUWENHOVEN « Ne nous imitez pas. Suivez votre propre voie ! ». Ces propos adressés à la jeune génération de compositeurs chinois par Guo Wenjing, leur aîné, sont rapportés Frank Kouwenhoven, musicologue spécialiste de la création musicale en Chine. Ils illustrent la situation paradoxale des compositeurs dans la Chine continentale d’aujourd’hui, pris entre l’influence importante du modèle d’écriture occidental et la nécessité d’inventer une musique que ses auditeurs pourront reconnaître comme authentiquement chinoise. Une situation qui ne freine heureusement pas leur créativité, comme le montre ce panorama documenté d’un monde musical qu’on connaît encore trop mal.
Au terme des années 1980, et après plusieurs décennies marquées par une stagnation musicale accompagnées d’une certaine virulence vis-à-vis de la culture occidentale, la Chine socialiste s’est subitement (et à sa grande surprise) retrouvée au cœur du circuit international de la musique contemporaine. Des années durant, des compositeurs tels que Tan Dun, Guo Wenjing, Chen Qigang, qui avaient grandi sous la révolution culturelle (1966-1976), durent se plier à un régime spartiate n’autorisant que la musique de propagande. Mais les portes du pays se rouvrirent à la culture étrangère dans les années 1970 et 1980 et ces compositeurs ne tardèrent pas à s’approprier la musique d’avant-garde occidentale. Le choc provoqué par le contraste avec leur propre univers musical suscita chez bon nombre d’entre eux un flot de créativité sans précédent. Lors des séjours à la campagne imposés par le régime, de nombreux artistes, en plus d’interpréter des chansons révolutionnaires, avaient découvert la musique régionale traditionnelle chinoise. Celle-ci offrait un fabuleux contrepoint à la musique occidentale et, associée aux
nouveaux idiomes venus de l’Ouest, généra de nouvelles pistes d’expérimentation. Lors du premier festival de musique contemporaine chinoise, tenu en juin 1986 à Hong Kong, les artistes de la Chine continentale captèrent pour la première fois l’attention internationale. Certains finirent par rencontrer le succès à l’étranger. Durant les années 1990, un nombre croissant de compositeurs chinois migra vers l’Occident, où leurs œuvres étaient plus susceptibles d’être jouées qu’en République populaire. Ge Ganru, Sheng Zhongliang (« Bright Sheng »), Tan Dun, Qu Xiaosong, Chen Yi, Zhou Long, notamment, s’installèrent aux États-Unis, tandis que Cong Su et Chen Xiaoyong partirent pour l’Allemagne. Chen Qigang, Xu Shuya et d’autres émigrèrent pour leur part en France. Certains en profitèrent pour étudier auprès des grands maîtres, tels que Ligeti et Messiaen. À Paris, l’École normale de musique offrit un premier abri pour les artistes chinois, qui purent ensuite intégrer le Conservatoire national supérieur de musique. Pour diverses raisons, des compositeurs tels que Taira et Malec présentaient
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des affinités avec ces nouveaux arrivants. D’autres Chinois partirent pour l’Australie, à l’image de Yu Jingjun (Julian Yu). Ces départs concordèrent avec le début du virage vers l’économie de marché entrepris par la République populaire,transition qui eut des conséquences majeures sur l’économie et la vie culturelle du pays. La musique d’avant-garde chinoise se développa progressivement jusqu’à acquérir une reconnaissance accrue au sein de l’élite musicale et intellectuelle des grands centres urbains. Accompagné d’une amélioration générale du niveau de vie en Chine, ce développement encouragea bon nombre de compositeurs à rentrer dans leur pays. Certains obtinrent un poste de professeur dans les conservatoires où ils avaient étudié dix ou vingt ans plus tôt. D’autres, à l’instar de Guo Wenjing et de He Xuntian, n’avaient pas quitté la Chine et devinrent eux aussi professeurs et, en tant qu’artistes créateurs, continuèrent à œuvrer pour un marché local en plein essor tout en donnant des concerts à l’étranger. Qu’en est-il de la situation actuelle, quelques trois décennies après le premier « grand bond en avant » de la Chine dans le domaine de la composition contemporaine ? L’essor de la nouvelle musique chinoise dans son propre pays est-il toujours perceptible ? Peut-on identifier une nouvelle génération de compositeurs qui soit parvenue à imprimer sa marque ? Répondre à ces questions s’avère relativement ardu ; les concerts et les conservatoires de la République populaire d’aujourd’hui reflètent une réalité à la fois complexe et inquiétante. De prime abord, l’avant-garde semble connaître une expansion sans précédent. Lorsqu’on les interroge, les principaux compositeurs œuvrant dans les conservatoires chinois dressent un bilan globalement positif. « La musique chinoise se porte bien dans quasiment tous les genres », affirme Guo Wenjing, directeur du département de composition au Conservatoire central de Pékin depuis 2010. « Les genres de l’opéra, de la mu-
sique symphonique, de la musique de chambre – qu’ils aient recours à des instruments traditionnels chinois seuls ou associés à des instruments occidentaux – sont prospères. L’avenir de la musique contemporaine chinoise s’annonce radieux. L’un des principaux changements survenus depuis 2000 réside dans la réticence des compositeurs à étudier et imiter la musique occidentale. Ils se concentrent davantage sur les styles et sur le public chinois et s’efforcent de nouer de bonnes relations avec la société et leurs auditeurs. » Tous les grands compositeurs chinois soulignent la progression du niveau de formation, le développement des opportunités d’études et l’amélioration de la qualité des salles de concert de leur pays depuis les années 1980. Rien que dans les deux conservatoires et les universités dotées d’un département de musique du pays de Pékin, on estime aujourd’hui à trois cents le nombre d’étudiants qui se spécialisent dans la composition contemporaine. Si des sites tels que Shanghai ou Chengdu comptent moins d’étudiants, le nombre total de Chinois qui reçoivent aujourd’hui une formation solide dans le domaine de la composition s’élève à plusieurs milliers. Leur niveau technique est supérieur – voire incomparable – à celui de leurs prédécesseurs à l’époque où ces derniers empruntaient la voie de la modernité. On remarque également une multiplication des concerts, des plateformes dédiées à la musique nouvelle et des festivals, à l’image du Beijing Modern Music Festival (depuis 2004), la New Music Week à Shanghai (depuis 2008), deux événements qui se tiennent tous les ans au mois de mai, ainsi que le Chinaasean Music Festival (chaque été depuis 2012). Les échanges internationaux n’ont jamais été aussi dynamiques, les subventions se sont accrues d’une manière inédite, et les jeunes compositeurs ont fréquemment l’occasion de voir leurs œuvres interprétées dans les concerts. La musique électronique possède son propre département au Conservatoire central de Pékin, dirigé par le compositeur Zhang Xiaofu. Si elles continuaient à se faire entendre durant les années 1990, les voix qui
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31 « Suivez votre propre voie ! » Panorama de la création musicale en Chine
s’élevaient contre l’avant-garde (ou la musique rock) en la taxant d’importation occidentale décadente, politiquement et socialement impropre, se sont désormais largement tues. Tout cela ne suffit cependant pas à masquer le fait que la musique chinoise moderne ne suscite plus autant d’enthousiasme qu’il y a vingt ou trente ans. Si l’on peut éventuellement noter un regain d’intérêt envers les « sonorités chinoises », cette affirmation constitue une marque de déférence par trop évidente envers l’insistance de l’État chinois sur « la mise en valeur de la culture autochtone ». Après une période de libéralisation culturelle et d’ouverture sur le monde extérieur, la République populaire semble se refermer à nouveau sur elle-même à mesure qu’elle érige ses trésors culturels et ses valeurs traditionnelles au rang de vérités sacrées et de modèles idéaux à prendre en exemple. La censure d’Internet s’est accrue et l’influent ministère de l’Éducation (en charge de toutes les institutions scolaires, dont font désormais partie les conservatoires de musique) interdit les manuels contribuant à « propager les valeurs occidentales ». Tous ces efforts semblent voués à réaffirmer le sentiment nationaliste. Si l’on ne saurait s’opposer à une réévaluation des traditions chinoises, le fait d’« exiger » qu’on s’intéresse aux racines du pays peut se révéler contre-productif. L’écrasante majorité des genres musicaux traditionnels chinois n’ont de sens qu’au sein de contextes régionaux et ne sauraient participer d’une campagne de promotion de la « musique nationale ». À une époque caractérisée par un contrôle des médias toujours plus strict et par des artistes télévisés principalement jugés à l’aune de leur loyauté envers le parti, les musiques rurale et urbaine ont peu de chance de profiter des politiques culturelles actuelles. De l’avis général, la dernière édition de la populaire émission du Nouvel An diffusée sur la Télévision centrale (CCTV) fut la plus ennuyeuse depuis de nombreuses années. La musique contemporaine demeure un segment relativement peu entravé ; le fait qu’elle touche un
public limité rend probablement ce genre moins sensible et les compositeurs peuvent continuer à écrire en toute liberté. Si personne n’avait jamais exhorté la première génération d’avant-gardistes à prêter attention à la tradition chinoise, ces derniers avaient perçu dans la musique traditionnelle rurale et l’opéra un esprit élémentaire et puissant qui a joyeusement contaminé bon nombre d’entre eux : les chansons des paysans des montagnes, le profond murmure et le son des cloches des moines bouddhistes, le fracas des gongs et des tambours des ensembles villageois, les rythmes complexes dissimulés sous la surface assourdissante de cette musique, les étranges colorations des dialectes du Sud, les acrobaties vocales de l’opéra du Sichuan… Autant d’éléments qui ont spontanément trouvé leur place au sein de ces nouvelles compositions uniques en leur genre en ce qu’elles associent une identité distinctement chinoise à une synthèse des techniques d’avantgarde occidentales. Tous deux couronnés de succès à l’étranger, des compositeurs tels que Guo Wenjing et Chen Qigang sont devenus des modèles pour leurs cadets qui explorent à leur tour les « sonorités chinoises ». Les inflexions brutes de l’erhu (violon chinois) ou du dizi (flûte en bambou), les doux accents du guqin (cithare), les crissements abrupts et les amples sauts de tonalité de l’opéra de Pékin ou de Kun, le claquètement des percussions chinoises – autant de traits qui constituent encore aujourd’hui des éléments constitutifs de la nouvelle musique chinoise. Les concepts musicaux orientaux, à mi-chemin entre le son et la philosophie – par exemple, le postulat selon lequel toute l’essence de la musique est incarnée par la vibration (ou le fort pincement) d’une corde et dans le long silence qui lui succède –, continuent de définir les nouvelles œuvres. Peut-être certains de ces éléments commencent-ils toutefois à présenter des signes d’essoufflement, et ces nouvelles œuvres ne sont pas à l’abri de devenir redondantes. Bon nombre de jeunes compositeurs de la Chine continentale semblent hésiter sur les nouvelles directions
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artistiques à emprunter. Leurs chances de remporter les faveurs du public national s’avèrent meilleures que celles de leurs professeurs par le passé ; ils rencontrent des auditeurs plus tolérants et mieux préparés. Il n’en demeure pas moins que l’on remarque une perte d’influence de leur musique, tandis que les circonstances se révèlent quelque peu différentes du tableau idyllique que dressent certains compositeurs de premier plan. La couverture médiatique de la musique contemporaine en Chine est toujours relativement restreinte (bien que certaines stations de métro pékinoises diffusent de temps à autre des pièces d’avant-garde pour les foules de voyageurs en route pour leur travail via la station de musique classique du Centre national des arts du spectacle). Il n’existe pas de critique d’art réellement indépendante en Chine, les ensembles spécialisés dans la musique contemporaine restent peu nombreux (même le respecté Ensemble Eclipse, fondé par Ye Xiaogang à Pékin, ne se produit qu’à l’occasion de festivals et de projets ponctuels), et les compositeurs établis doivent se tourner vers des labels étrangers tels que Schirmer, Billaudot, Ricordi ou Sikorski pour éditer et distribuer leur musique. Les conservatoires chinois possèdent leurs propres éditions, mais leurs efforts demeurent toutefois limités dans le domaine contemporain. Les répétitions de concerts en Chine sont souvent une épreuve, les musiciens de formation académique – en dépit de leur qualification et d’un niveau technique probablement bien supérieur à la génération précédente – ayant tendance à être rebutés par l’extrême complexité des rythmes, entre autres exigences posées par les partitions contemporaines. La plupart des musiciens issus des conservatoires de la RPC sont rarement exposés à la nouvelle musique, comme en témoigne le faible volume des pièces qu’ils répètent et interprètent. La grande majorité des nouvelles pièces est jouée durant des concours, la quasitotalité des compositeurs chinois reconnus organisant chacun leur propre compétition ; les conservatoires constituent les lieux de concert les plus dynamiques,
mais en dehors de ces derniers, la diffusion de la nouvelle musique demeure limitée. Il faut admettre qu’il existe à présent un public averti pour la nouvelle musique chinoise, bien que les auditeurs des années 1980 et 1990 aient généralement été plus curieux – et plus à même d’être surpris – que leurs homologues contemporains. Les concerts de xinchao (ou « nouvelle vague », comme ce genre est désigné en Chine) sont devenus une pratique respectable, dénuée des risques et de la tension – notamment politique – qui pesaient sur cette musique quinze ou vingt ans plus tôt. Même peu appréciée, une pièce extrêmement complexe, très exigeante envers l’auditeur, peut désormais recueillir des applaudissements polis. Les noms des compositeurs ont cependant cessé de marquer les mémoires : si de nombreux jeunes musiciens figurent sur les programmes des concerts, seuls quelques-uns parviennent à se façonner une carrière nationale ou internationale notable. Jia Guoping (né en 1963) et Qin Wenchen (né en 1966, d’origine coréenne) font partie de ceux-là. Ils furent parmi les premiers à suivre la voie ouverte par la génération de Tan Dun et à marquer, à travers des œuvres d’une grande recherche technique, tant le public chinois qu’étranger. Tous les deux ont étudié en Allemagne (respectivement avec Nicolaus A. Huber et Helmut Lachenmann) avant de retourner en Chine. Parmi les artistes plus jeunes, Zou Hang (né en 1975) et Du Wei (né en 1978) ont remporté des prix internationaux et ont eux aussi entamé une carrière nationale et internationale couronnée de succès. Une fois encore, d’autres jeunes talents ont jugé plus profitable de s’installer de manière permanente en Occident. Tian Leilei (né en 1971) a quitté Pékin pour poursuivre ses études en Suède et à l’Ircam de Paris. Ses œuvres tout en délicatesse sont désormais interprétées par des orchestres et des ensembles majeurs d’Europe et d’ailleurs. Wang Feinan (né en 1987, étudie actuellement à Boston) et Huang Ruo (né en 1976) figurent parmi les rares compositeurs chinois expérimentant des alliances avec la
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pop, le rock et le jazz. Ce dernier et Lei Liang (né en 1972) font partie des compositeurs qui résident en permanence aux États-Unis et dont les œuvres sophistiquées ont attiré l’attention en Occident comme en Asie. Bon nombre de ces artistes n’ont (re)découvert la culture chinoise qu’après leur départ à l’étranger, et après avoir pris un certain recul vis-à-vis de leur pays d’origine ; chacun a créé une œuvre en forme de refuge spirituel : « Je ne me sens chez moi ni en Amérique, ni en Chine », déclare Lei Liang, qui a également séjourné en Europe avant de s’installer aux États-Unis. « J’ai beaucoup aimé traverser ces trois paysages culturels – la Chine, les États-Unis et l’Europe, mais il est important de se créer son propre territoire artistique. » Issu d’un milieu intellectuel pékinois, il décide de quitter la Chine à dix-huit ans, avant tout « pour fuir le nationalisme et l’étroitesse d’esprit de son pays ». Les exigences nationalistes et les pressions pour « servir la société » figurent sans aucun doute parmi les causes de la perte de rayonnement de ce qui fut une source musicale fructueuse, bien que des pièces musicales intéressantes voient encore le jour. Le manque de talent n’est certainement pas le problème – les excellents musiciens et les jeunes créateurs ambitieux sont nombreux –, cependant le rigorisme du climat culturel et social qui règne sur le pays freine l’individualisme des artistes créatifs et les craintes de « contamination culturelle » n’apaisent en rien cet état de fait. S’il était difficile pour les artistes de la génération de Tan Dun d’échapper à ces pressions, le défi est encore plus ardu pour les jeunes compositeurs de la République populaire d’aujourd’hui, qui ont grandi dans une Chine bien différente, dominée par un capitalisme effréné et par l’indifférence du public.
pop et de world music à l’envergure internationale. Le grand compositeur Chen Xiaoyong (né en 1955), qui habite Hambourg depuis 1985, se rend fréquemment en Chine pour y donner des cours de composition et prendre part à des projets musicaux. Il remarque un « progrès croissant » dans l’art et la culture chinois tout en signalant des problèmes majeurs. La situation reste par exemple difficile pour les œuvres qui ont une fonction critique envers la société. Les artistes chinois échouent également à faire preuve d’autocritique : nombreux sont ceux qui craignent trop l’opinion d’autrui et sont trop empressés de gagner les faveurs du public. Ce symptôme est occasionnellement diagnostiqué au sein de la société chinoise. Lors d’un récent concours de composition – dont le compositeur néerlandais Joël Bons figurait parmi les jurés – Guo Wenjing, lui aussi membre du jury, a réprimandé certains finalistes : « Ne nous imitez pas ! Tracez votre propre voie ! » Certains jeunes compositeurs y parviennent – chose qui, dans les circonstances actuelles, n’est rien de moins qu’un miracle – et cessent de nécessairement s’inspirer des thèmes conventionnels tirés de la littérature et de la philosophie chinoises. Ainsi Wang Erqing (né en 1999) a-t-il récemment reçu le premier prix du cinquième River Awards Composition Competition de Shanghai pour sa pièce Paradise Drowned (2014). Interprétée en Europe par le Nieuw Ensemble, cette œuvre est une méditation sur le réchauffement climatique. Âgé de quinze ans, le compositeur l’a écrite après des vacances idylliques à Tahiti, et l’envisage comme un requiem « pour les pays qui risquent de disparaître de la surface de notre planète ». Un vent nouveau soufflerait-il à travers les feuilles de bambou ?
Ce constat est d’autant plus regrettable que les compositeurs d’avant-garde chinois figurent parmi les rares produits d’exportation de la musique chinoise réellement populaires. La Chine ne peut – à la différence de l’Afrique – se prévaloir d’un large contingent d’artistes
Frank Kouwenhoven est spécialiste de la musique contemporaine en Chine continentale,. Il est l'éditeur de la revue « CHIME » de la European Foundation of Chinese Music Research de Leiden aux Pays-Bas.
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TURBULENCES NUMÉRIQUES
Tout a commencé lorsque j’ai découvert l’artiste multimédia autrichien Kurt Hentschläger. Je me suis aussitôt pris de passion pour son travail. Voyant dans son art des passerelles potentielles avec la musique, une piste de programmation qui me tient à cœur depuis mon arrivée à la tête de l’Ensemble intercontemporain, j’ai tout de suite espéré une collaboration. Je suis allé le voir et le courant est immédiatement passé entre nous. Il se trouve qu’il était déjà en discussion avec le compositeur américain Edmund J. Campion autour d’un projet commun, et ma proposition tombait à pic pour le concrétiser. Le programme de « Turbulences » alterne des œuvres qui ne font pas intervenir nos musiciens et d’autres qui font partie du cœur de notre répertoire, des œuvres constitutives de notre identité (Stockhausen, Nono, Murail). Ces dernières ont été choisies pour leur propension à créer des images
sans les montrer réellement, avec la volonté de confronter les paysages sonores si riches de ces pièces au demeurant 100% instrumentales à ce que produisent les arts visuels. Ces deux soirées de « Turbulences Numériques », organisées en collaboration avec Némo, Biennale internationale des arts numériques - Paris / Île-de-France, sont le lieu idéal pour interroger l’interaction entre image et musique : dans quelles conditions les deux s’enrichissent-elles ? Quand s’annulentelles ? Quand sont-elles redondantes ? Je souhaite ici à la fois poser la question de la nécessité de la pluridisciplinarité et montrer où nous – les solistes de l’Ensemble intercontemporain et moi-même – en sommes de cette réflexion, en tenant compte de l’immense potentiel des nouvelles technologies.
• Matthias Pintscher
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Samedi 10 octobre
20H30 – PARIS
20H30 – PARIS
Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2
Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2
MAELSTRÖM George CRUMB Black Angels pour quatuor à cordes électrifié Éric-Maria COUTURIER / Nicolas CROSSE Improvisation pour violoncelle et contrebasse amplifiés Kurt HENTSCHLÄGER / Edmund CAMPION CLUSTER.X Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain et d’Arcadi Île-de-France Matthias PINTSCHER beyond (a system of passing) pour flûte Franck VIGROUX / Antoine SCHMITT Tempest Performance audiovisuelle Sophie Cherrier, flûte Kurt Hentschläger, composition électronique et vidéo Edmund Campion, composition instrumentale et traitement sonore en temps réel Franck Vigroux, électroniques Antoine Schmitt, vidéo live Ensemble intercontemporain Jayce Ogren, direction Coproduction Arcadi Île-de-france, Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques Paris / Île-de-France Tarif : 18€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr Cluster.X est en partie réalisée grâce au concours technique du Center for New Music and Audio Technologies avec des remerciements particuliers à Jeff Lubow. AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
GRAND SOIR PREMIÈRE PARTIE Karlheinz STOCKHAUSEN Chant des adolescents Musique électronique Tristan MURAIL Treize Couleurs du soleil couchant pour ensemble Pierre JODLOWSKI Respire pour onze instruments, vidéo et bande DEUXIÈME PARTIE Luigi NONO .....sofferte onde serene... pour piano et bande magnétique Herman KOLGEN / Philip GLASS LINK.C Performance audiovisuelle d’après le Quatuor à cordes no 2 de Philip Glass Andrew NORMAN Try pour orchestre de chambre Thierry DE MEY ripple marks Dispositif de projection interactif pour petit ensemble et électronique Création mondiale TROISIÈME PARTIE Jeff MILLS / Jacques PERCONTE Extension sauvage (Madeira) Performance audiovisuelle
Hidéki Nagano, piano Herman Kolgen, vidéo live Jacques Perconte, vidéo live Jeff Mills, électroniques Xavier Meeus, projection sonore Aliosha Van Der Avoort, images Ensemble intercontemporain Jayce Ogren, direction Coproduction Arcadi Île-de-france, Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques - Paris / Île-de-France Tarifs : 25€ / 20€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Conférence à 18h Musique live / images live : histoires de rencontres Entrée libre Voir aussi l'entretien avec E.Campion p.36
36 TURBULENCES NUMÉRIQUES
Cluster.X
Entretien avec EDMUND CAMPION compositeur et chercheur Vous dirigez actuellement le CNMAT (The Center for New Music and Audio Technologies) situé à Berkeley. Quelles sont vos activités ? Je suis professeur au sein de l’université de Californie à Berkeley. Le CNMAT a été fondé dans les années 1980, en collaboration avec l’Ircam. Nous sommes de taille beaucoup plus modeste – seulement 3 à 4 personnes travaillent à ce projet – mais nous développons des activités intégrant recherche et approche artistique. Notre cursus diplômant forme à l’utilisation de l’informatique musicale en temps réel, ainsi qu’au développement de nouveaux instruments électroacoustiques. Nous utilisons de nouveaux medias et travaillons à la composition assistée par ordinateur, notamment avec le logiciel Openmusic mis au point à l’Ircam. C’est un processus d’intégration complète qui sollicite artistes et compositeurs au plus haut niveau. Vous avez présenté vos premières créations en France lors du Festival MANCA et du Festival Présence-Radio France. Votre musique peut donner l’impression d’une relative simplicité formelle qui la rend d’emblée très accessible à l’écoute. Derrière cette accessibilité, il y a pourtant des processus beaucoup plus complexes. Au fil du temps, ma musique a évolué ; je suis devenu conscient du fait que ma musique devait s’adapter, que ce soit à un lieu ou à un contexte précis. Mes œuvres sont en effet souvent jouées devant un public non averti. Si je ne cherche pas obligatoirement à me soumettre aux exigences du public, je suis cependant intéressé par cette forme d’échange qui s’instaure avec les auditeurs. Prenez une œuvre comme Auditory Fiction par exemple. J’y développe des effets d’illusions, des phénomènes totalement imaginaires entre cinéma et cinétique.
Je ne suis pas intéressé par le spectacle musical, ou la musique de variété. Le fait de donner un concert sur scène est une situation très artificielle et je me demande toujours ce que l’on transmet véritablement à un public qui n’a pas forcément une idée précise de la manière dont une œuvre est construite. Il y a tant de façons d’aboutir à une forme d’expression artistique… J’aime par dessus tout tisser des relations avec d’autres musiciens, mais aussi des chorégraphes, des artistes qui viennent du théâtre et de l’art vidéo. Pensez-vous que l’avenir de la musique se trouve dans cette approche multidisciplinaire ? Pour une part, oui certainement. Il est nécessaire de réunir les technologies venant d’horizons différents pour parvenir à une médiation collaborative entre plusieurs formes d’expression. Quand je collabore avec des artistes vidéo, c’est pour communiquer et montrer ce dont j’ai envie. Pour cela, je dois avoir accès à toutes les ressources disponibles, ce qui n’était pas possible à une certaine époque. Dans ma carrière, j’ai toujours cherché à faire disparaître les frontières entre les formes d’art et les individus. C’est la seule condition pour générer de l’art à partir de toutes sortes de situations. Même si je respecte la musique du passé, je veux continuer à développer cette approche multidisciplinaire afin d’explorer encore de nouvelles directions. Je suis un enfant du sérialisme et il ne me viendrait jamais à l’idée de rejeter cet héritage. Cependant, l’essentiel pour moi est de savoir comment l’articuler avec d’autres formes. J’ai été l’élève de Gérard Grisey, sans que cela fasse de moi un disciple inconditionnel du spectralisme. J’adore sur Incises de Pierre Boulez, aussi bien que la musique de Talking Heads. Je ne veux pas opposer les genres musicaux
mais plutôt découvrir les qualités musicales d’œuvres a priori éloignées de moi. L’idée de savoir ce qui constitue l’art est une question capitale, et en même temps extrêmement complexe. Vous avez été fortement influencé par des œuvres comme Synchronisms de Mario Davidovsky. Quelle relation entretenezvous avec la composition assistée par ordinateur ? Ce qui m’intéresse, c’est la communication entre les univers. Voyez-vous, je suis originaire du Texas et lorsque je suis allé étudier à l’université Columbia à New York avec Davidovsky, j’ai apporté avec moi l’héritage de la musique populaire et improvisée. Avec Davidovsky, on vérifiait méticuleusement le moindre petit détail et j’ai découvert une approche très structurelle de la musique. J’ai beaucoup appris de cette combinaison entre l’univers de la musique improvisée et de la musique écrite. J’ai toujours fait confiance à mes intuitions. Par exemple, en 1989, j’ai entendu pour la première fois la musique de Gérard Grisey, à l’occasion d’une interprétation de Talea. Le lendemain, je lui ai écrit une longue lettre pour qu’il accepte de me prendre comme étudiant. J’ai ainsi vécu plusieurs années à Paris, au cours desquelles je me suis perfectionné à l’utilisation de l’informatique musicale à l’Ircam avant de rentrer, en 1996, à Berkeley. Tout au long de cette trajectoire, je ne me suis jamais senti lié à une quelconque école ou chapelle... Je me suis formé, voilà tout. Comment présenteriez-vous votre projet Cluster.X qui sera au programme de la première des deux soirées « Turbulences numériques » ? C’est un peu comme un corps enveloppé d’une double peau. Il y a tout d’abord la composante visuelle, avec le travail du
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plasticien et vidéaste Kurt Hentschläger. Il a imaginé de projeter sur grand écran une sorte d’essaim de formes enchevêtrées et mobiles, plus ou moins anthropomorphiques. Cela crée une sculpture visuelle, à laquelle j’ajoute une projection sonore en multicanaux. Ce n’est pas comme une bande son de film mais cela vise plutôt à créer une forme d’intégration totale. Les dix-sept ou dix-neuf musiciens de l’Ensemble intercontemporain sont présents sur scène, disposés de part et d’autre de l’écran, avec un chef au centre et un système de contrôle à l’arrière de la salle. Le projet s’est développé en collaboration, par étapes. On a d’abord créé à partir de la vidéo « Cluster », une sorte de dramaturgie en fonction du mouvement des images. Notre collaboration est vraiment idéale : je peux regarder les images et Kurt peut écouter ma musique ; chacun sait où se situe le travail de l’autre. Je travaille ensuite à décomposer la partie audio pour la faire correspondre le plus étroitement possible aux images qu’il m’envoie. C’est en quelque sorte comme une peau sonore qui viendrait recouvrir le corps des images. Le matériel audio est préenregistré et diffusé sur 8 canaux, dans des haut-parleurs placés tout autour du public. Une partie du son est captée et mixée en direct à la bande. Parfois, j’ai l’impression que la musique impulse le mouvement et à d’autres moments, le processus s’inverse. Mis à part quelques points de repères fixes, je travaille la plupart du temps autour de la notion de libre temporalité. Parfois je suis avec le film, parfois contre. C’est une musique très dense, dans laquelle on s’immerge totalement. J’ai développé une relation très étroite avec ces images. J’aime les regarder comme des trajectoires temporelles ou des variations de densité, des mouvements de timbres et de couleurs. Cette interaction entre des formes anthropomorphiques et cet espace lumineux virtuel produit quelque chose d’absolument unique.
Propos recueillis par David Verdier
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Dimanche 18 octobre 11H – DONAUESCHINGEN Bartók-Saal DONAUESCHINGER MUSIKTAGE Olga NEUWIRTH Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie Création mondiale Commande de Südwestrundfunk (Donaueschinger Musiktage), de l'Ensemble intercontemporain, de l'Ircam-Centre Pompidou, de Wien Modern et du Festival de Lucerne Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Gilbert Nouno, réalisation informatique musicale Ircam Markus Noisternig, conseiller scientifique (Equipe Espaces acoustiques et cognitifs Ircam) Sylvain Cadars, ingénieur du son Ircam Renseignements et réservations : swr.de/donaueschingen
Olga Neuwirth, c’est ma grande sœur, mon héroïne : je la connais et l’admire depuis si longtemps ! C’est l’une des compositrices dont je me sens le plus proche en même temps que l’une des voix les plus éloquentes de la scène musicale actuelle. Depuis quelque temps, j’avais le sentiment qu’Olga était sur le point de donner naissance à l'un de ses chefs-d'œuvre. Les compositeurs ressentent parfois cette exigence intérieure qui les pousse à un geste dramatique, une œuvre manifeste qui représente une étape essentielle dans leur cheminement esthétique. C’est cette œuvre-là, Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie, qu’elle nous fait l’immense honneur de nous confier en création ! On sait l’admiration sans borne qu’Olga voue à la musique de Luigi Nono – et l’on pourrait dire que cette création s’apparente au projet du Prometeo : une partition d’envergure, de plus d’une heure, qui synthétise toutes les expériences du compositeur et défriche les champs d’exploration à venir. Cette création est un hommage à cette figure tutélaire : Olga est même allée jusqu’à s’installer à Venise pour s’imprégner de l’aura de cette ville qui reste indéfectiblement liée à l’imaginaire musical de Nono, pour suivre sa trace dans les rues et les canaux de la ville – une forme de pèlerinage pour s’approcher plus encore de son esprit. À cette occasion, elle s’est lancée dans de vastes recherches sur l’acoustique de certaines églises vénitiennes et a élaboré, lors d’une résidence à l’Ircam, un système très sophistiqué pour simuler l’acoustique de l’église San Lorenzo. Ceci donne au public l’impression de s’y trouver – quel que soit le lieu réel où le concert est donné – et permet au son de l’Ensemble intercontemporain de lui parvenir au travers de cet espace acoustique singulier. • Matthias Pintscher
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Mercredi 21 octobre 20H30 – PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 LE ENCANTADAS Olga NEUWIRTH Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie Création française Commande de Südwestrundfunk (Donaueschinger Musiktage), de l'Ensemble intercontemporain, de l'Ircam-Centre Pompidou, de Wien Modern et du Festival de Lucerne Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Gilbert Nouno, réalisation informatique musicale Ircam Markus Noisternig, conseiller scientifique (Equipe Espaces acoustiques et cognitifs Ircam) Sylvain Cadars, ingénieur du son Ircam Coproduction Festival d’Automne à Paris, Ensemble intercontemporain, Ircam-Centre Pompidou, Philharmonie de Paris Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris Tarif : 18€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
Samedi 24 octobre 14H15 – AMSTERDAM
Dimanche 25 octobre 19H – ESSEN
Het Concertgebouw ZATERDAGMATINEE
Philharmonie, Alfried Krupp Saal NOW!
Alban BERG / Reinbert DE LEEUW Six lider de jeunesse pour voix et ensemble Pasquale CORRADO D’estasi pour grand ensemble Création mondiale Commande de NTR ZaterdagMatinee pour l’Ensemble intercontemporain Richard WAGNER / Francisco COLL Wesendonck-Lieder pour mezzo-soprano et ensemble Création mondiale de la transcription Commande de l’Ensemble intercontemporain Matthias PINTSCHER bereshit pour grand ensemble
Franck BEDROSSIAN Nouvelle œuvre pour flûte basse, clarinette, contrebasse, alto et violoncelle Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain Tristan MURAIL Désintégrations pour bande synthétisée et dix-sept instruments Matthias PINTSCHER bereshit pour grand ensemble
Petra Lang, soprano Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction
Renseignements et réservations : philharmonie-essene.de
Renseignements et réservations : radio4.nl/ntrzaterdagmatinee
Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Nicolas Berteloot, régie son
18h30 - Alfried Krupp Saal Avant-concert animé par Matthias Pintscher, avec la participation de l’Ensemble intercontemporain
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TOURNÉE ÉTATS-UNIS
Je vis à New York depuis plus de huit ans et j’enseigne à la Juilliard School depuis maintenant un an. Je développe tous les jours des relations étroites avec les diverses scènes artistiques américaines : la vie à New York est d’une telle richesse. Néanmoins, je ne pense pas que mon choix de m’y installer a eu une quelconque influence sur ma vie artistique : ma musique est autonome, indépendante du contexte de sa composition, et resterait inchangée si je vivais à Paris, Berlin ou Amsterdam. Je reste un Européen de cœur et je crois d’ailleurs que c’est ce que mes élèves à la Juilliard attendent de moi : une vision européenne. Ils sont fascinés par l’Europe et veulent savoir ce qui s’y passe ; les compositeurs, musiciens
et diffuseurs américains connaissent beaucoup mieux la scène européenne que nous la leur. Encore aujourd’hui, je constate une grande distance, voire des préjugés de la part des Européens vis-à-vis de la scène américaine. Il est de ma responsabilité d’aller contre cette tendance, d’initier le dialogue. Grâce à mes attaches de part et d’autre de l’Atlantique, je deviens un ambassadeur musical des États-Unis en Europe et vice-versa. Il m’importe ainsi que nous développions nos activités aux États-Unis. Nous y avons bien sûr déjà donné des concerts, mais de manière éparse. Nous faisons cette fois le voyage avec plusieurs programmes ; ceux-ci dessinent notre portrait, mêlant
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Vendredi 6 novembre
Samedi 7 novembre
Mardi 10 novembre
20H – BERKELEY
20H – BERKELEY
19H30 – CHAPEL HILL
Hertz Hall
Hertz Hall
Memorial Hall
Marco STROPPA gla-dya. Études sur les rayonnements jumeaux pour deux cors Franck BEDROSSIAN Nouvelle œuvre pour flûte basse, clarinette, contrebasse, alto et violoncelle Beat FURRER linea dell'orizzonte pour ensemble Kurt HENTSCHLÄGER / Edmund CAMPION CLUSTER.X
Edgard VARÈSE Octandre pour huit instruments Matthias PINTSCHER bereshit pour grand ensemble Matthias PINTSCHER beyond (a system of passing) pour flûte Pierre BOULEZ sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussions-claviers
Marco STROPPA gla-dya. Études sur les rayonnements jumeaux pour deux cors Beat FURRER linea dell'orizzonte pour ensemble Olga NEUWIRTH Torsion pour basson Kurt HENTSCHLÄGER / Edmund CAMPION CLUSTER.X
Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Kurt Hentschläger, composition électronique et vidéo Edmund Campion, composition instrumentale et traitement sonore en temps réel
Sophie Cherrier, flûte Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements et réservations : events.berkeley.edu
Renseignements et réservations : events.berkeley.edu Cluster.X est en partie réalisée grâce au concours technique du Center for New Music and Audio Technologies avec des remerciements particuliers à Jeff Lubow. notre héritage et les nouveaux chemins que nous entendons emprunter. Je suis très fier que nous ayons pu trouver les moyens de faire cette tournée et que ces diffuseurs américains nous reçoivent avec autant d’entrain. Nous avons reçu de nombreuses autres invitations que nous avons dû décliner pour des raisons budgétaires. Les budgets consacrés à la musique contemporaine aux États-Unis, même à New York, sont hélas très restreints. Mais il ne faut pas renoncer : il nous faudra du succès et une véritable persévérance pour cultiver notre relation avec ce public. C’est un work in progress… • Matthias Pintscher
Paul Riveaux, basson Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction nn, dispositif électronique Kurt Hentschläger, composition électronique et vidéo Edmund Campion, composition instrumentale et traitement sonore en temps réel Renseignements et réservations : carolinaperformingarts.org Cluster.X est en partie réalisée grâce au concours technique du Center for New Music and Audio Technologies avec des remerciements particuliers à Jeff Lubow.
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Mercredi 11 novembre
Vendredi 13 novembre
Dimanche 15 novembre
19H30 – CHAPEL HILL
20H – WASHINGTON
14H – BOSTON
Memorial Hall
Library of Congress, Thomas Jefferson Building, Coolidge Auditorium
Institute of Contemporary Art
Edgard VARÈSE Octandre pour huit instruments Matthias PINTSCHER bereshit pour grand ensemble Matthias PINTSCHER beyond (a system of passing) pour flûte Pierre BOULEZ sur Incises pour trois pianos, trois harpes et trois percussions-claviers Sophie Cherrier, flûte Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements et réservations : carolinaperformingarts.org
Edgard VARÈSE Octandre pour huit instruments Matthias PINTSCHER PROFILES OF LIGHT Now I pour piano Now II pour violoncelle Création mondiale Commande du Moritzburg Festival et du Dina Koston and Roger Shapiro Fund for New Music of Library of Congress Uriel pour violoncelle et piano György LIGETI Concerto de chambre pour treize instrumentistes Alban BERG Concerto de chambre pour piano, violon et treize instruments à vent à 19h30 Hannah LASH Nouvelle œuvre pour violon et piano Création mondiale Commande du McKim Fund of Library of Congress Dimitri Vassilakis, piano Éric-Maria Couturier, violoncelle Hidéki Nagano, piano Diégo Tosi, violon Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements et réservations : loc.gov/concerts
CORRESPONDANCE(S) Concert-lecture autour de la correspondance entre Pierre Boulez et John Cage. Pierre BOULEZ Deuxième Sonate pour piano (extraits) Pierre BOULEZ Livre pour quatuor pour quatuor à cordes (extraits) Pierre BOULEZ Douze Notations pour piano (extraits) John CAGE Music of Changes pour piano (extraits) John CAGE Sonates et interludes pour piano préparé (extraits) John CAGE Six Mélodies pour violon et piano (extraits) John CAGE String Quartet in Four Parts pour quatuor à cordes (extraits) Solistes de l’Ensemble intercontemporain nn, récitant Ensemble intercontemporain Renseignements et réservations : icaboston.org
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Entretien avec FRANCK BEDROSSIAN compositeur Franck Bedrossian, voilà maintenant sept ans que vous êtes installé à Berkeley : avez-vous le sentiment que ce « dépaysement » se manifeste dans votre musique ? Je dirais plutôt que j’ai parfois été surpris de découvrir, a posteriori, un lien insoupçonné entre ma démarche et une certaine approche du son développée en Californie. On peut même parler d’une tradition du son complexe, liée à l’expérimentation : des compositeurs de la West Coast tels que John Cage, La Monte Young, Henry Cowell, James Tenney, Harry Partch – pour ne citer qu’eux –, font désormais partie de l’histoire de la musique californienne, en un sens. La présence d’une tradition de l’improvisation, du jazz le plus avant-gardiste, est également prégnante. Dans ce cadre, j’ai créé des liens avec des musiciens issus de cette scène, comme Myra Melford, ou encore George Lewis, qui est selon moi l’une des figures les plus singulières de la musique américaine. Un nombre croissant d’ensembles américains, et notamment le Eco Ensemble de Berkeley, jouent la musique de compositeurs d’Europe continentale. Si mes pièces sont entendues comme issues de cette tradition, le public perçoit toutefois également une relation évidente avec les préoccupations des musiciens free-jazz, ou de compositeurs expérimentaux travaillant justement avec des sons complexes. Sans
avoir de lien particulier avec l’improvisation, j’ai découvert assez tôt la musique de Cecil Taylor, d’Anthony Braxton, du Art Ensemble of Chicago, etc. Et il est vrai que des pièces comme It, Transmission, Digital, Swing, Charleston font par moments référence à cette musique. Mais je les ai composées bien avant de partir aux États-Unis, et l’idée qu’un certain public américain y verrait une correspondance n’était pas évidente pour moi. Vous avez été l’élève de Gérard Grisey au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris ; vous avez également rencontré à plusieurs reprises Helmut Lachenmann, mais vous avancez depuis sur un chemin esthétique bien particulier (vous parliez à l’instant d’une esthétique du son complexe) : quelle relation avez-vous aujourd’hui avec l’œuvre de vos aînés ? Encore aujourd’hui, je pense que certaines œuvres de Gérard Grisey occupent une place essentielle dans l’histoire de la musique récente. D’ailleurs, le premier séminaire de composition que j’ai tenu à Berkeley avait pour sujet : « Le mouvement spectral en France ». Mais rétrospectivement, cette approche, encore très imprégnée par la pensée structuraliste, ne me convenait pas réellement, et j’avais besoin de m’en éloigner pour dévelop-
per une autre relation au phénomène sonore, au temps musical. Par ailleurs, j’ai été évidemment intrigué et captivé par la musique de Lachenmann parce qu’elle intègre des matériaux, et confère une fonction musicale particulière à certains éléments sonores, dits « bruitistes ». La sophistication de son matériau, la force de certaines réalisations m’ont certainement encouragé à composer la musique que j’écris aujourd’hui, à explorer certains espaces par le biais de l’écriture. Malgré cela, certains choix esthétiques, et surtout formels, me sont relativement étrangers. Paradoxalement, j’ai été plus sensible, au moins dans un premier temps, à l’élaboration de la forme et de la continuité pratiquée par Ligeti, ou par les compositeurs dit spectraux. À propos d’évolution stylistique, depuis 2007, vous avez commencé à composer des œuvres avec voix : cela a-t-il eu un impact sur votre écriture ? Des inspirations extra-musicales se sont-elles également glissées dans le processus ? Est-ce le cas de cette nouvelle œuvre commandée par l’Ensemble intercontemporain ? Cette présence de la voix a effectivement modifié mon rapport à l’écriture. Alors que mes idées n’étaient auparavant que d’inspiration strictement musicale – je n’étais pas vraiment à la recherche d’un
44 Entretien avec FRANCK BEDROSSIAN
modèle littéraire, visuel, mathématique, ou autre –, la voix a influencé mon travail, même dans le cas de musique purement instrumentale. Par ailleurs, la nécessité de me situer par rapport à un texte littéraire ou une image, qui ont leur propre vie et leur trajectoire formelle indépendante, me déstabilise, au sens le plus positif du terme, en m’obligeant à trouver des solutions nouvelles. Depuis, j’envisage le rapport à la forme musicale d’une manière un peu différente. Le simple fait de se confronter à une autre logique, celle d’un texte littéraire par exemple, provoque l’imagination d’un compositeur. Mais il peut arriver également que l’influence extra-musicale soit présente sans être explicite, comme c’est le cas pour cette nouvelle pièce : l’esprit du lieu, et le désir initial d’articuler des sensations d’ordre visuel, en lien avec un espace singulier dédié aux arts plastiques, influence l’écriture instrumentale de façon presque « souterraine ». Comment envisagez-vous justement la question de la forme et de la durée ? La plupart du temps, j’ai un plan global, qui reste toujours flexible. Il est pensé en termes de dynamiques, de textures, de vitesse, de proportions, de densité polyphonique, de registres, etc. Un plan principalement graphique qui prévoit l’évolution de la matière sonore, les différentes pro-
portions. L’organisation des hauteurs se met en place dans un second temps, lorsque les différents événements sonores ont été pensés. Mais une trajectoire préétablie n’est toujours qu’une suggestion dans mon esprit et reste quelque chose de malléable. Cette manière d’envisager la forme est liée à la volonté d’élaborer une continuité qui reste potentiellement surprenante – et de pouvoir faire en sorte que chaque exception, chaque accident puisse, rétrospectivement, s’imposer à notre perception comme une nécessité. Les formes les plus vivantes sont celles que l’on ne peut résumer, ni prévoir de manière certaine. Quelle place cette création occupe-t-elle dans votre parcours ? L’histoire de ce projet s’étend en fait sur quelques années. J’avais initialement été contacté par Odile Auboin pour écrire une courte pièce de musique de chambre destinée à l’inauguration du Silo – l’espace d’exposition dédié à la création contemporaine imaginé par Françoise et JeanPhilippe Billarant. Intuitivement, mais aussi parce que j’avais en tête l’aura de ce lieu, j’avais choisi une formation incluant l’alto (joué par Odile), la flûte basse (Emmanuelle Ophèle) et la clarinette contrebasse (Alain Billard). Cette instrumentation, conçue comme une gradation de couleurs et de rayonnements
sonores situés dans le registre medium et grave, me permettait de développer une matière unifiée, projetée dans une lumière singulière. Elle est propice à la fusion des timbres, mais aussi à la création de correspondances suggestives, contrastantes et inattendues, avec de fréquentes oppositions de registres. Par la suite, j’ai eu l’envie de développer l’esprit de cette courte pièce dans une œuvre plus vaste, à laquelle viendrait s’ajouter le violoncelle d’Éric-Maria Couturier. C’est ainsi que nous sommes arrivés, avec cette œuvre finalement intitulée Accolade, à ce quatuor particulier, pour deux instruments et deux instruments à cordes, qui, avec cette combinaison instrumentale désormais dédoublée, octroie encore davantage de possibilités.
Propos recueillis par Stefan Drees
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46 Vendredi 27 novembre PARIS Philharmonie de Paris Amphithéâtre Cité de la musique - Philharmonie 2
18H30 CONCERT – RENCONTRE Rencontre en présence de la compositrice Unsuk Chin, animée par Frank Harders et Martin Kaltenecker. Unsuk CHIN Allegro ma non troppo pour percussion et bande Études n° 1, 4, 5 et 6 pour piano Solistes de l'Ensemble intercontemporain Dimitri Vassilakis, piano Victor Hanna, percussion Tarif : 9€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr
20H30 Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 Unsuk CHIN Doppelkonzert pour piano, percussion et ensemble Graffiti pour orchestre de chambre Donghoon SHIN Nouvelle œuvre Création mondiale Commande d’Unsuk Chin et du Festival d’Automne à Paris Sun Young PAHG Ich spreche Dir nach pour ensemble Sébastien Vichard, piano Samuel Favre, percussion Ensemble intercontemporain Tito Ceccherini, direction Tarif : 18€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr Coproduction Ensemble intercontemporain, Festival d’Automne à Paris, Philharmonie de Paris Dans le cadre du Festival d'Automne à Paris et de l’Année France-Corée 2015-2016
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Entretien avec UNSUK CHIN compositrice Vous êtes née en Corée du Sud et vous avez étudié la composition de 1981 à 1984 à l’Université nationale de Séoul, puis, à partir de 1982, avec Sukhi Kang. Vous êtes ensuite venue en Allemagne pour étudier avec György Ligeti entre 1985 et 1988. Qu’est-ce qui vous y a poussée ? Sukhi Kang était un excellent professeur, qui avait beaucoup à enseigner sur le côté pratique de la musique. C’était aussi un véritable puits de science et il nous faisait découvrir la musique contemporaine européenne, alors complètement inconnue en Corée, grâce à des partitions, des enregistrements et à ses propres exemples. Avant lui, mes connaissances en histoire de la musique ne dépassaient pas Stravinsky. Nous n’avions aucune occasion d’entendre de la musique plus récente en Corée, mais Sukhi Kang m’a permis de découvrir des compositeurs comme Webern, Boulez et Ligeti, et cela a été pour moi un choc et une fascination. Il était nécessaire que je parte pour l’Europe car je n’avais aucun avenir comme compositrice en Corée du Sud et je n’aurais pas pu m’y perfectionner – il n’existe en effet aucune infrastructure dans le domaine de la musique contemporaine. J’ai choisi György Ligeti, tout simplement parce sa musique était celle qui me parlait le plus. Quelle est la différence entre les œuvres de votre période coréenne, dont vous avez décidé qu’elles ne devaient plus être jouées, et celles qui sont nées en Europe ?
Mes pièces de la période coréenne étaient toutes écrites dans le style postsériel. Submergée par toutes ces impressions inédites et par le choc de cette musique nouvelle, je m’efforçais d’imiter tous les exemples étrangers et j’ai rapidement eu du succès dans les concours internationaux, avec des propositions d’éditeurs et différentes commandes. Tout cela m’apparaissait comme un rêve, mais malgré ces succès apparents, je doutais de moi et trouvais mes compositions loin de ce que j’aurais aimé écrire. Je n’ai donc pas voulu poursuivre dans cette voie stylistique et j’ai tout remis en question. La rupture stylistique s’est achevée avec mon œuvre Les Troyennes, que j’ai composée en 1986 et qui est, parmi mes premières œuvres, celle que j’accepte encore aujourd’hui, bien qu’elle me semble un peu « étrangère ». Il est vrai qu’après Les Troyennes, je n’ai rien composé durant trois ans, notamment à cause du choc culturel que j’ai ressenti en arrivant en Europe. Cette période coïncidait également avec le début de mes études avec Ligeti. Vous insistez souvent sur le fait que vous n’avez pas le sentiment d’être une compositrice coréenne, d’autant moins que vous vivez en Allemagne. Pourtant, vous vous engagez beaucoup pour la musique contemporaine dans votre pays natal. Pourquoi cela ? La Corée fait partie de mon identité et de mon histoire, mais c’est une partie qui se mêle évidemment à de très nombreuses autres identités et expériences, d’autant que je vis en Europe depuis trente ans.
Pendant deux décennies, j’ai eu assez peu de contacts avec la Corée, mais en 2005, Myung-Whun Chung, le chef d’orchestre désigné pour l’Orchestre Philharmonique de Séoul, m’a demandé si j’aimerais devenir compositrice en résidence de l’orchestre. J’ai tout de suite accepté, d’une part parce que je vénère ce chef et musicien exceptionnel, et d’autre part, parce que c’était une occasion magnifique. L’orchestre était devenu une fondation en 2005 et il avait été presque complètement reconstitué. En peu de temps, et sous la direction de Chung, cette institution médiocre qui fonctionnait tout juste s’était transformée en un magnifique instrument dont les tournées internationales et les enregistrements étaient de grands succès. Créer, avec ce nouvel orchestre, un programme de musique contemporaine tel qu’il n’en existait pas encore en Corée, était une aventure passionnante, et l’est encore aujourd’hui. Sur les trente dernières années, comment est-ce que vous décririez la différence d’évolution de la musique entre la Corée du Sud et l’Europe ? Quelle est la place de la musique contemporaine dans les concerts en Corée du Sud ? Existe-til, comme en Allemagne ou en France par exemple, des ensembles spécialisés qui se consacrent aux nouvelles œuvres ? La difficulté de la Corée, c’est que les institutions y fonctionnent rarement très bien et qu’il y a peu de continuité dans ce qui est entrepris. Depuis Isang Yun (1917-1995), il existe certes de vrais compositeurs contemporains, mais leur
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musique n’est pas jouée. Il y a eu pourtant des festivals qui nous ont donné espoir. Par exemple, Sukhi Kang a organisé les premières représentations en Corée des œuvres de Messiaen et de Cage. Mais la musique vivante manque cruellement de stabilité en Corée. Les universités possèdent évidemment leurs propres ensembles, mais leurs prestations sont plutôt ponctuelles. Le retard a été en partie rattrapé avec le Festival international de musique de Tongyeong, créé en 2002 dans la ville natale d’Isang Yun, et la formation de l’Ensemble du Festival. On a pu y entendre, entre autres, pour la première fois en Corée, des opéras d’Alban Berg. Quand on m’a proposé de créer la série de musique contemporaine de l’Orchestre philharmonique de Séoul, j’ai vite compris que le répertoire était très lacunaire, même pour l’époque classique moderne : apparemment, on n’avait jamais joué les grandes œuvres de Webern, de Stravinsky, et peut-être même jamais les Jeux de Debussy, sans parler des œuvres de compositeurs plus tardifs ! C’est pour cela que les programmes des concerts en Corée sont toujours pleins de premières et que tout est nouveau pour le public, que ce soit Dutilleux, Boulez ou Christophe Bertrand. C’est une situation étrange, d’autant qu’il y a beaucoup de musiciens coréens formidables qui font une carrière internationale. Certains des meilleurs interprètes de ma musique sont d’ailleurs coréens, comme le chef MyungWhun Chung, le pianiste Sunwook Kim ou la soprano Yeree Suh. Il existe un énorme potentiel en Corée, et c’est pour cette raison que ce pays détient selon moi l’une des clés pour se construire un avenir dans la musique classique. Cela dit, la rigidité du système éducatif est problématique car
elle laisse peu de place à la créativité, tout comme le système hiérarchique modelé sur les principes confucéens. L’Ensemble intercontemporain associe deux de vos œuvres à celles de deux compositeurs coréens : Donghoon Shin et Sun-Young Pagh. Comment décririezvous leur musique ? Sun-Young Pagh, aujourd’hui installée à Paris, a étudié en Allemagne et en France et s’est beaucoup intéressée à la musique électronique ; on peut entendre dans sa musique toutes ces influences qu’elle a transformées en un langage personnel, très fin et subtilement conçu. Donghoon Shin aime quant à lui sortir des sentiers battus pour sans cesse innover : son Concerto pour violon est très lyrique et a un très beau son, tandis que PopUp (un hommage à Led Zeppelin) est plus rugueux et iconoclaste. Ses œuvres tirent une inspiration féconde de multiples sources comme Borges, le cinéma moderne, etc. Ces deux compositeurs nous confirment qu’il se passe vraiment quelque chose avec la jeune génération. Au programme de ce concert figurent, entre autres, votre Double concerto de 2002 et la pièce pour ensemble Graffiti, créée en 2013 ; deux œuvres dont la création est séparée par plus de dix ans. Comment a évolué votre travail de composition au fil de cette décennie ? Il m’est difficile de répondre à cette question car chaque œuvre est un nouveau défi et l’approche adoptée pour une pièce n’est valable que pour celle-ci. Mais mon Double concerto, comme la pièce pour orchestre Rocaná que j’ai composée à la
même époque, est une musique très abstraite, tandis que Graffiti est plutôt « impure », très gestuelle (comme mes œuvres pour ensemble de la même époque Cosmigimmicks – Pantomime musicale et Gougalōn – Scènes d’un théâtre de rue), bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler de musique à programme. Abordez-vous aujourd’hui les nouveaux projets d’une autre façon, ou bien votre manière de travailler est-elle restée la même au fil des années ? Cela non plus, je ne peux pas le dire, car la manière de travailler est variable d’une composition à l’autre. C’est même, à vrai dire, paradoxal : je me suis « cassé les dents » pendant des mois sur une courte étude pour piano, mais je peux tout aussi bien avancer très vite sur une grande œuvre pour orchestre. C’est quelque chose que l’on ne peut pas planifier ni prévoir. Le plus difficile, quand on compose, c’est de trouver une forme pour l’œuvre. Cela peut durer très longtemps et c’est un processus qui se joue d’abord et surtout dans la tête – même si, évidemment, on ébauche aussi sur le papier. Quand l’écriture commence enfin, le plus grand obstacle est déjà, et de loin, surmonté.
Propos recueillis par Jérémie Szpirglas
49 Cahier découvertes
Ouvrir portes et fenêtres La question des actions éducatives et culturelles nécessite, aujourd’hui plus qu’hier, d’être inlassablement repensée. Mettons donc un instant de côté les termes de « pédagogie » ou d’« éducatif » pour prendre la mesure du défi. Le maîtremot, ici, c’est l’élargissement des publics : les anglophones parlent d’outreach, aller vers ce qui est « hors de portée ». C’est donc à un geste bien plus vaste que la simple « sensibilisation » qu'aspirent habituellement les « actions culturelles », un geste qui suppose de redoubler d’imagination et d’efforts pour rendre nos musiques accessibles à tous, en dépit d’un environnement économique contraignant. Ces efforts se déclinent en trois lignes de forces, étroitement liées les unes aux autres. D’abord, cette saison 2015-2016 sera l’occasion d’un renouvellement en profondeur de nos méthodes concernant la préparation des publics à l’écoute et le format des concerts, ceci afin de catalyser le dialogue entre l’ensemble et son public : outre l’augmentation des répétitions publiques (jusqu’à une dizaine), la multiplication des avant-concerts, et la poursuite de nos projets montés en collaboration avec le CRR de Paris, l’école de danse de Champigny-sur-Marne et les bibliothèques de la Ville de Paris, nous doublerons le nombre des concerts dits « éducatifs » (quatre cette année contre deux l’an
passé).Toujours en collaboration avec Clément Lebrun, musicologue et médiateur, nous revisiterons le principe même de « concert éducatif », pour l’interroger et le revoir de fond en comble : il s’agit de mettre l’accent sur la pratique – sans laquelle il n’est pas de sensibilisation efficace possible – pour faire participer le public à ce qui devient plus un atelier qu’un concert. Nous avons besoin de sortir d’un discours didactique pour renforcer l’accessibilité de nos répertoires, réfléchir à un partage d’expériences plus qu’à l’inculcation d’un savoir. De surcroît, ces concerts ne seront plus des événements isolés, mais l’aboutissement de véritables parcours participatifs et culturels réalisés en amont. Deux de ces parcours sont destinés à des élèves des écoles de Paris et de Seine-Saint-Denis. Le premier, confié au compositeur François Rossé, permettra à des jeunes élèves d’écoles primaires et de collèges de partager la scène avec nos solistes, tandis que le second, organisé dans le cadre de notre partenariat au long cours avec Le Triton (scène de musiques présentes) aux Lilas, insistera sur le concept d’improvisation. Les deux autres parcours s’adresseront plus particulièrement aux familles, petits et grands réunis : l’un sera un dialogue stimulant entre la musique iranienne magistralement jouée par les frères Chemirani et des œuvres de musique
50 OUVRIR PORTES ET FENÊTRES Cahier découvertes
contemporaine interprétées par nos solistes ; l’autre, intitulé « Entrez dans la danse », permettra à des groupes de musiciens, élèves des conservatoires d’Île-de-France, d’explorer, aux côtés des musiciens de l’Ensemble, ces musiques populaires qui ont inspiré les plus grands compositeurs, comme Luciano Berio ou György Ligeti. Le deuxième volet est en réalité une préoccupation bien plus vaste que le seul élargissement du public, puisqu’il participe d’une réflexion profonde, déjà engagée ces dernières années, sur l’avenir de notre art, ou, si l’on veut, sur l’art en devenir : le développement de la transdisciplinarité et de projets transversaux avec d’autres univers musicaux. Nous y travaillons jusque dans la programmation. C’est à cette ouverture que nous œuvrons depuis sept ans au Triton, ouvrant vers les musiques de la scène jazz improvisée. C’est cette même ouverture que notre résidence à la Philharmonie de Paris favorise grandement, en facilitant notamment les échanges et les projets avec les autres orchestres et ensembles résidents et associés. La nouvelle série d’ateliers-concerts intitulée « Musique augmentée » coréalisée avec la Gaîté lyrique est le résultat de cette même volonté d’ouverture. Avec la complicité de Clément Lebrun, la compositrice italienne Patricia Alessandrini nous invite à la suivre dans un parcours mêlant échanges, pratique musicale et écoute afin de découvrir son univers artistique. La formidable flexibilité de la Philharmonie nous permet également de nous lancer dans des projets pluridisciplinaires comme nos deux soirées de « Turbulences Numériques » (octobre 2015), en collaboration avec Nemo, biennale internationnale des arts numériques, ou No More Masterpieces (janvier 2016), spectacle vidéomusical du collectif 331/3 autour du Concerto "Seraphin" de Wolfgang Rihm. Ce type d’initiative nous permet de faire venir les aficionados des autres avant-gardes artistiques vers la nôtre. Le troisième et dernier axe de travail n’est pas le moins important, ni le moins excitant car tout est à inventer, ou presque : il s’agit de notre activité sur les médias numériques et les réseaux sociaux. Depuis plusieurs années, déjà, nous y œuvrons, échangeant ainsi avec un public différent de celui de nos abonnés : un public plus jeune, très curieux, qui n’hésite pas à réagir et à fouiller. C’est précisément pour ce public plus néophyte, mais aussi pour le public de passionnés dont la soif n’est jamais étanchée, que nous continuons à enrichir notre large documentation en ligne (sur notre site, notre webmag, notre chaîne Youtube, etc. ), en y présentant des entretiens audio et vidéos avec les compositeurs et les interprètes, des reportages sur les œuvres ou autour de thématiques, et même de petites séries de découverte d’œuvres de la musique du xxe siècle à aujourd’hui comme « Le temps de le dire » avec Clément Lebrun. Plus que des supports de communication, internet et les réseaux sociaux sont de formidables outils de transmission, que nous avons à cœur de développer plus encore. À chacun sa porte ou sa fenêtre d’entrée vers la musique contemporaine – et à nous de l’ouvrir en grand.
Hervé Boutry
Agenda Samedi 3 octobre
11H – PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 CONCERT PARTICIPATIF FAMILLE AU ZARB, MUSICIENS ! Keyvan et Bijan Chemirani sont deux musiciens très imprégnés par la culture musicale de leur pays d'origine, l’Iran. Percussionnistes, compositeurs et improvisateurs, ils dialoguent avec trois solistes de l’Ensemble intercontemporain au fil de duos improvisés entre zarb et violoncelle, oudou et piano, daf et marimba... Œuvres de Keyvan et Bijan CHEMIRANI, György LIGETI, John CAGE, Steve REICH, Luciano BERIO, Georges APERGHIS... Éric-Maria Couturier, violoncelle Samuel Favre, percussions Sébastien Vichard, piano Keyvan & Bijan Chemirani, zarb, percussions Clément Lebrun, conception, présentation Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris En famille (à partir de 7 ans) Tarifs : 8€ (enfant) / 10€ (adulte) Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Atelier de préparation au concert à 9h30 les apprentis musiciens apprennent des séquences rythmiques qui seront jouées avec les artistes pendant le concert. En famille (à partir de 7 ans) Tarifs incluant le concert : 10€ (enfant) / 12€ adulte Voir aussi l’entretien avec Keyvan et Bijan Chemirani, Clément Lebrun et Samuel Favre p. 52
51 OUVRIR PORTES ET FENÊTRES Cahier découvertes MUSIQUE AUGMENTÉE Proposée par l’Ensemble intercontemporain et la Gaîté lyrique, « Musique augmentée » est une expérience inédite, un parcours en quatre étapes, à mi-chemin entre concerts et ateliers participatifs, dans l’univers de création aux multiples dimensions de la compositrice Patricia Alessandrini. Dimanche 13 décembre
ATELIER N° 1 : « VIBRATION » Samedi 20 février
Samedi 19 mars
Samedi 28 mai
20H – CHAMPIGNY-SUR-MARNE Centre Olivier Messiaen
11H – PARIS Philharmonie de Paris Espaces éducatifs – Philharmonie 1
VORTEX TEMPORUM Un ensemble de danseurs amateurs, élèves de l’Ecole de danse de Champigny-sur-Marne, travaillera sur Vortex Temporum de Gérard Grisey dans l’objectif de produire un ballet sur l’œuvre. La présentation publique aura lieu le 19 mars 2016 sur la musique jouée en live par les six solistes de l’Ensemble.
ATELIER N° 3 : « ÉCOUTE »
Elèves danseurs de l'Ecole municipale de Danse de Champigny-sur-Marne. Solistes de l’Ensemble intercontemporain
Dimanche 5 juin
Renseignements et réservations : 01 45 16 91 07
ATELIER N° 2 : « CORPOREL » Mercredi 20 avril
ATELIER N°4 : « VOCAL » Voir le descriptif et l’agenda complet p. 54 Mardi 2 février
10H30 – PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 CONCERT ÉDUCATIF PERFORMANCE ELLIPTIQUES Une pastorale basque scandée aux bâtons donne le coup d’envoi de cette grande traversée musicale, intitulée Elliptiques. Huit solistes de l’Ensemble intercontemporain et des groupes d’enfants répartis dans la salle se partagent la scène pour interpréter l’œuvre écrite tout spécialement pour eux par François Rossé. Ce grand voyage nous conduit naturellement à naviguer aussi sur les mers de l’improvisation reliant ainsi, de manière fluide, les terres des compositeurs-compagnons de l’aventure, le Pays basque de Félix Ibarrondo (Iruki), le Japon de Susumu Yoshida (Kodama 1), le Pérou de Juan Arroyo (Dansaq), l’Occident de François Rossé (Osten). François Cotinaud, saxophone Solistes de l’Ensemble intercontemporain élèves des écoles, des collèges et des conservatoires d'île-deFrance Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif : 5,60€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr Voir aussi l’entretien avec François Rossé p. 56
Mardi 29 mars
11H – PARIS Philharmonie de Paris Amphithéâtre Cité de la musique – Philharmonie 2 CONCERT ÉDUCATIF SCOLAIRE IMPROVISER ENSEMBLE Les solistes de l’Ensemble intercontemporain et les musiciens de la scène jazz improvisé du Triton se livrent à de passionnantes aventures sur les terres de l’improvisation. Mais quelle est donc cette liberté musicale entre composition et improvisation ? Les musiciens s’intéressent à ces questions en interprétant et réinterprétant des œuvres du répertoire contemporain et du jazz. Par un mot, une idée, un prétexte, une ligne tracée, le public sera invité à provoquer ces joyeux aventuriers qui nous promettent un concert plein d’énergie et de liberté.. Théo Ceccaldi, violon Nicolas Crosse, contrebasse Éric-Maria Couturier, violoncelle Roberto Negro, piano Clément Lebrun, présentation Coproduction Ensemble intercontemporain, le Triton, Philharmonie de Paris Tarif : 5,60€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr
ATELIER BAROQUE ET CONTEMPORAIN Les musiciens et leurs instruments au fil du temps. Les rencontres initiées en 2014-2015 entre les musiciens des Arts Florissants et de l'Ensemble se poursuivent cette année avec ce nouveau rendez-vous autour de l’interprétation, des instruments et des répertoires d’hier à aujourd’hui. Un atelier musical vivant et ouvert à l’échange avec le public. Les musiciens présenteront des œuvres au programme du concert « D’un commun accord » du 31 mai 2016 à la Philharmonie de Paris (voir p.91) Dans le cadre des « Classic Lab » de la Philharmonie de Paris. Tarif : 5€ Renseignements et réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr Samedi 11 juin
11H – PARIS Philharmonie de Paris Salle de répétition – Philharmonie 1 CONCERT PERFORMANCE ENTREZ DANS LA DANSE La joie de la danse est communicative. La transe des djembés nous emporte autant que les Folks Songs de Berio nous émeuvent. Reliés à leur folklore respectif, Bartók et Xenakis pourraient nous mettre en mouvement, sans prévenir. Gageons que ce programme musical, confié la première année aux musiciens amateurs, mettra en appétit tous les danseurs qui les rejoindront la saison suivante. C’est en juin 2017, en collaboration avec le Théâtre National de Chaillot, que le chorégraphe José Montalvo conduira le bal, invitant le public à se joindre à la fête. Béla BARTÓK, Danses roumaines / Luciano BERIO, Folk Songs ; Duetti / Iannis XENAKIS, Thalleïn Ensemble intercontemporain Étudiants musiciens de conservatoires d’Île-de-France Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Entrée libre philharmoniedeparis.fr
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AU ZARB, MUSICIENS ! Le 3 octobre 2015, sur une idée originale de Sylvie Cohen, responsable des actions éducatives à l’Ensemble intercontemporain, le concert éducatif « Au zarb, musiciens » réunira les frères Keyvan et Bijan Chemirani, percussionnistes d’origine iranienne spécialistes du zarb, et trois solistes de l’Ensemble : le percussionniste Samuel Favre, le violoncelliste Éric-Maria Couturier et le pianiste Sébastien Vichard. Le concert sera animé par le musicologue et médiateur Clément Lebrun, qui s’appuiera sur cette rencontre entre deux univers musicaux a priori dissemblables pour éveiller la curiosité sonore du jeune public. Conversation avec les principaux intéressés. Keyvan et Bijan Chemirani, parlez-nous du zarb… Keyvan et Bijan Chemirani : Le zarb est un instrument de percussion digitale iranien très ancien, dont l’apparition est difficile à dater. On sait simplement que depuis près d’un millénaire, il accompagne la poésie et le chant de façon assez rudimentaire. C’est un instrument savant, lié à une forme écrite, mais c’est aussi un instrument populaire ; on trouve, encore aujourd’hui, des zarb dans de nombreux foyers iraniens. L’autre nom du zarb, tombak, dit bien, par onomatopée, les deux types de sonorités sourdes et claquantes dont cet instrument est capable. À partir des années 1950, le zarb s’est émancipé de son rôle traditionnel. Sous l’influence de Hossein Tehrani (19121974) notamment, son registre et son répertoire se sont considérablement élargis. En lien avec le violoniste Abolhasan Saba (1902-1957), Hossein Tehrani a développé la technique du zarb, sa tenue, ses doigtés, pour décupler sa palette sonore et en faire un instrument à part entière, que l’on peut jouer en solo, en ensemble ou pour accompagner rythmiquement un instrument soliste plus mélodique. Notre père, Djamchid Chemirani (né en 1942), a été l’un des principaux disciples de Hossein Tehrani. Il a poursuivi son œuvre sur le plan sonore, et il a popularisé le zarb lors de concerts diffusés par la Radio Télévision Iranienne.
Le concert éducatif « Au zarb musiciens » va mettre cet instrument aux prises avec des pièces du répertoire occidental contemporain. Est-ce la première fois qu’une telle rencontre a lieu ? Keyvan et Bijan Chemirani : Non, notre père a déjà amorcé un tel dialogue au cours de sa carrière. Dès le milieu des années 1960, celui-ci fut envoyé en France par nos grands-parents pour y poursuivre ses études de mathématiques, puis de musicologie. Mais les hasards et les désirs de l’existence font qu’il y poursuivit surtout la pratique de son instrument, acquérant progressivement une réputation qui lui permit de donner des cours au Centre d’études des musiques orientales (CEMO, université Paris-Sorbonne) et à la Maison de la Radio. Là, il fit la rencontre de grands artistes comme Peter Brook, Carolyn Carlson, Maurice Béjart… Certains compositeurs français, séduits par la virtuosité de son jeu et par les sonorités de son instrument, écrivirent alors des pièces qui incluaient le zarb dans leur instrumentarium. Ainsi naquirent, par exemple, Le Corps à corps (1979) de Georges Aperghis ou Le Jardin d’en face (1985) de JeanPierre Drouet. Samuel Favre : C’est une aventure passionnante qui méritait d’être poursuivie. J’ai pour ma part rencontré le zarb lors d’un stage de percussion avec Djamchid Chemirani et ses fils, et j’ai eu l’occasion
d’interpréter plusieurs fois en public Le Jardin d’en face de Jean-Pierre Drouet. Mais cela ne suffit pas, très loin de là, à faire de moi un spécialiste du zarb : la formation du percussionniste occidental est très focalisée sur les instruments à baguettes, au cœur du répertoire classique et contemporain, alors que des instruments digitaux comme le zarb ouvrent toute une palette de sonorités plus graves, plus suaves, plus proches de la voix, plus proches de l’humain. Pour les solistes de l’Ensemble intercontemporain, commencer à s’approprier cet instrument est donc un véritable enjeu musical, mais la réciproque est vraie : que devient le zarb quand on le confronte à des pièces de John Cage, Steve Reich ou György Ligeti qui n’ont pas été écrites pour lui ? On pourrait tout aussi bien poser la question en sens inverse : en quoi est-il pertinent d’interpréter, qui plus est devant un jeune public, des pièces occidentales contemporaines avec un zarb ? Keyvan et Bijan Chemirani : Notre père est un passionné de musique classique persane, comme l’était son maître Hossein Tehrani, mais tous deux ont senti que pour maintenir vivante la pratique du zarb, il fallait constamment élargir ses potentialités et que cela passait forcément par la rencontre avec d’autres instruments, d’autres musiques, d’autres univers culturels. Nous avons appris à jouer du zarb
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auprès de notre père par mimétisme, en l’observant et en l’écoutant jouer. Toutes ces attitudes, que nous sommes heureux de transmettre dans le cadre d’un concert éducatif, nous ont également disposés à l’écoute du jeu des autres musiciens et à l’improvisation, ce qui a facilité notre travail lorsque des artistes de jazz ou de rock ont fait appel à nous pour les accompagner sur un disque ou en tournée. En jouant avec des musiciens d’horizons divers, nous poursuivons donc l’œuvre de notre père. Clément Lebrun : Ce concert éducatif est aussi une manière d’introduire à l’univers de la musique contemporaine en dialoguant avec d’autres cultures musicales. Pour moi, les liens entre la musique contemporaine et le zarb ne manquent pas, et le premier d’entre eux est la complexité du rythme. Car c’est bien le rythme qui va être mis en scène dans ce concert. Après avoir exploré des œuvres du répertoire contemporain au son du zarb, les cinq musiciens de l’Ensemble vont aussi créer des pièces, sur le mode de l’improvisation, à partir de musiques composées par les frères Chemirani. Le jeune public sera alors appelé à interagir avec les instrumentistes : on va lui apprendre des rythmes qu’il pourra chanter, répondant aux zarbistes comme dans une sorte de dialogue ou de battle, on ne sait pas trop. La dimension ludique et chantée de ce processus permettra ainsi aux enfants d’assimiler des complexités rythmiques inexplorées. Ce qui nous intéresse dans ce concert éducatif, c’est de voir comment la rencontre entre deux univers musicaux différents peut permettre de transmettre des matériaux sonores de façon active.
Propos recueillis par Benjamin Bibas
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MUSIQUE AUGMENTÉE à la Gaîté lyrique
L’Ensemble intercontemporain et la Gaîté lyrique, lieu pluridisciplinaire dédié aux cultures contemporaines à l'ère du numérique, vous proposent une expérience inédite : découvrir en quatre rendez-vous l’univers de création d’une compositrice d’aujourd’hui, Patricia Alessandrini. Le titre de ce parcours original, « Musique augmentée » lui va comme un gant tant cette artiste multiplie les collaborations avec des performers, plasticiens et cinéastes, et réalise des œuvres associant multimédia, installations et formes participatives. Pour elle, la musique n’est pas que son : elle est image, geste, corps, voix, mot, vibration, le tout étroitement mêlé, ou plutôt tissé dans des compositions qui transcendent frontières entre écrit et improvisé, concert et installation, tradition et révolution. À chaque étape, à mi-chemin entre concert et atelier participatif ouvert à l’échange, Patricia Alessandrini, accompagnée de nos solistes et de Clément Lebrun, médiateur, nous invitera à la suivre dans un surprenant voyage au cœur d’une œuvre et de ses multiples inspirations et ramifications. Car créer, c’est avant tout s’ouvrir à la curiosité d’autrui.
Entretien avec PATRICIA ALESSANDRINI, compositrice Qu’est-ce qui vous attire, en tant que compositrice, dans ce type de projet visant à élargir les publics ? Dans mon activité artistique, deux lignes de force cohabitent et se complètent. D’une part mon rapport à la tradition, qui trouve sa source dans ma fascination pour l’acte d’interpréter et de réinterpréter constamment le passé. D’autre part, mon désir « d’insolite », des moments durant lesquels la logique se brise. L’interprétation comme acte de répétition sert de point de départ à mes compositions : l’œuvre originelle, interprétée et réinterprétée, fait dans ce contexte place à une attention accrue portant sur les moyens d’interprétation. Comme ces moyens impliquent souvent l’emploi de technologies multimédias et interactives, ainsi qu’un déploiement dans un espace autre qu’une salle de concert, et, de plus en plus, une collaboration avec des interprètes non professionnels, ce nouveau projet coréalisé avec l’Ensemble intercontemporain participe pleinement de ma pratique actuelle. Quels sont les enjeux de ce projet, notamment artistiques et pédagogiques ?
Le respect de la tradition et l’amour du répertoire ne doivent pas nous empêcher de sortir de nos habitudes afin de créer de nouvelles formes de concerts. Bénéficiant de la très forte volonté de la Gaîté lyrique d’expérimenter de nouveaux modes de présentation, notre souci principal est de réunir des publics variés autour des œuvres et des sujets, afin de favoriser la découverte, l’exploration en commun et le partage. Pour chacun des quatre rendez-vous, la temporalité habituelle du concert sera rythmée par une exploration commune, menée par les musiciens de l’Ensemble et le public. Comment « compose-t-on » pareil concert ? Si vous deviez écrire une pièce spécifiquement destinée à ce cadre, écririez-vous différemment ? J’aime écrire spécifiquement pour certains interprètes, et pour des lieux particuliers : l’œuvre créée lors de la quatrième rencontre fera par exemple appel à une projection panoramique spécifiquement conçue pour le lieu. Il n’est, par contre, pas question pour moi de modeler une composition sur ce que je pense être les attentes
d’un public spécifique lors d’une occasion particulière. La difficulté de se confronter à une œuvre d’un genre inconnu est un problème qu’il nous faut considérer, mais la réponse ne peut pas être de créer ou de programmer des œuvres qui semblent être « familières », c’est-à-dire conformes à certaines normes stylistiques. Il s’agit plutôt d'instaurer un rapport intime avec une œuvre dans les termes qu’elle propose. Chaque événement sera organisé autour d’un thème qui dépasse les seuls aspects spécifiques à l’écriture de la musique contemporaine comme les traits stylistiques, les modes de jeu, les « courants », etc. Le corps sera le sujet d’un des ateliers, mais sera également traité comme un thème récurrent tout au long du cycle, décliné en plusieurs sujets : le rapport entre le corps de l’interprète et l’instrument, le corps comme instrument, l’instrument comme corps vibrant… dans le dernier rendez-vous, nous nous intéresserons au rapport entre la voix et le corps.
Propos recueillis par Jérémie Szpirglas
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Dimanche 13 décembre
ATELIER N°1 « VIBRATION » Où l’on constate que composer, c’est entrer en résonance avec un lieu, un instrument, une inspiration, pour en tirer l’essence, au gré des vibrations qui animent le créateur. Samedi 20 février
ATELIER N°2 « CORPOREL » Où l’on voit le son devenir geste, l’électronique prendre corps. Mercredi 20 avril
ATELIER N°3 : « ÉCOUTE » Où l’on se pose la question de l’écoute d’un compositeur, et de notre perception du temps à travers l’espace sonore. Dimanche 5 juin
ATELIER N°4 : « VOCAL » Où l’on en revient à la vibration primordiale, celle de la voix, qui nous aide à percevoir le déploiement du discours instrumental dans l’espace sonore et visuel. Patricia Alessandrini, compositrice Clément Lebrun, conception et présentation Ensemble intercontemporain Coproduction Ensemble intercontemporain, Gaîté lyrique Informations complémentaires et réservations à partir du 30 juin 2015 sur gaite-lyrique.net et ensembleinter.com
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TISSAGE ET MÉTISSAGE Entretien avec FRANÇOIS ROSSÉ compositeur
Le compositeur François Rossé se passionne depuis plus de trente ans pour les initiatives pédagogiques les plus diverses. Le 2 février 2016, il mettra sa longue expérience au service d’un concert participatif unique en son genre, réunissant sur une même scène des élèves d’école primaire et de collège et les solistes de l’Ensemble intercontemporain. Aperçu de ce projet original par son créateur. François Rossé, comment envisagez-vous le travail avec les enfants et les solistes de l’Ensemble intercontemporain ? Pour ma part, il n’y a pas de fossé entre enfant et adulte : ce sont simplement les moyens d’expression qui peuvent s’affiner avec l’expérience. Cela dit, s’agissant de réception et de mémoire, les enfants sont étonnants. Ils ne sont pas dupes et si l’on évite de les infantiliser, ils sont heureux d’être intégrés dans une démarche qui les grandit. Si l’œuvre est forte et cohérente, si les musiciens professionnels sont, comme ici, des virtuoses prenant volontiers le terme de « pédagogie » dans son sens étymologique, les enfants sont les premiers à le ressentir, et ce en raison de leur capacité intuitive peu altérée par des formations parfois en éteignoir. Sur le papier, ce projet est passionnant quoiqu’un peu stressant, puisque ce sont des enfants non musiciens dont il faut optimiser la « fonction ». Ces enfants seront encadrés sur la durée de l’atelier par des musiciens adultes : ma première tâche sera donc de clarifier avec ces adultes les points essentiels du travail à venir, tout
étant abordé essentiellement à l’oral. Le rôle des enfants participera des aspects dynamiques et rythmiques, et de formes d’énergie dans la production sonore, en référence aux sites géographiques traversés musicalement au cours du spectacle – Pays basque, Japon, Argentine. L’idée est de leur donner à faire des gestes qu’ils pourront interpréter de manière accomplie, avec un résultat d’un niveau professionnel. C’est pourquoi je veux limiter la pratique du chant : pour être efficace, cette pratique nécessiterait un minimum de formation vocale préalable, ce qui n’est pas le cas. La collaboration avec l’Ensemble intercontemporain sera plus classique : l’œuvre est conçue pour être abordée avec une certaine autonomie entre les musiciens et les enfants.
Japonais Susumu Yoshida et l’Argentin Juan Arroyo) impliquant trois régions géographiques et culturelles différentes. La question posée, délicate, est celle des métissages, du patrimoine génétique, des mémoires sous-jacentes dans l’organisme. Il m’est arrivé de concevoir un duo violon/ guitare intitulé Taïgo qui peut se résumer dans la rencontre entre une Japonaise et un Argentin : comment sera le bébé ? Non pas une somme, mais un produit. Jouer avec les mémoires, les fusionner dans une véritable synergie plutôt qu’une simple superposition donne lieu à des questions d’écriture passionnantes.
Vous mentionnez le Pays basque, le Japon, l’Argentine : quel voyage musical nous proposez-vous ?
Pour les enfants, j’espère qu’ils ressentiront la joie d’avoir accompli une action dont ils sont les héros, et qu’ils sauront prendre conscience qu’il existe d’autres types de vécus que ce que proposent les médias de masse, en développant leur esprit critique positif. Mais surtout, il
Le thème du spectacle m’a été spontanément donné par le choix des trois compositeurs (le Basque Félix Ibarrondo, le
Au-delà de la représentation elle-même du spectacle, qu’espérez-vous de ce projet, dans son ensemble – à la fois pour vous-même et pour les enfants ?
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s’agira d’un moment vécu à pleines dents et d'une conception humaniste de l’art. « La musique est une loi morale », suggérait Platon et celle-ci est essentielle à la formation du citoyen. J’espère également que, au-delà de la bonne réalisation du projet, celui-ci sera médiatisé pour faire connaître sa philosophie et encourager les institutions à aller de l’avant vers une transmission active de qualité.
Propos recueillis par Jérémie Szpirglas
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AUTRES ACTIONS ÉDUCATIVES ET CULTURELLES TOUT PUBLIC AUTOUR DES CONCERTS Les concerts donnés à Paris sont, pour la plupart, précédés d’une présentation des œuvres au programme. Elles offrent à chacun l’occasion d’être accompagné dans son expérience de la musique du XXe siècle à aujourd’hui. Certains concerts sont également suivis d’une rencontre avec les musiciens, ouverte aux questions du public sur les œuvres et leur interprétation. RÉPÉTITIONS PUBLIQUES Plusieurs répétitions à Paris et en régions sont ouvertes au public. Une autre façon de découvrir les œuvres (parfois au tout début de leur processus de création) ainsi que le travail des compositeurs et des interprètes. Ces répétitions sont pour la plupart commentées par un médiateur en collaboration avec les musiciens. Cet automne des répétitions publiques commentées seront organisées sur Périodes de Gérard Grisey, Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie d'Olga Neuwirth et le Double concerto pour percussion piano et ensemble d'Unsuk Chin SOLISTES EN BIBLIOTHÈQUES (en partenariat avec Paris bibliothèques) Ces rencontres musicales dans les bibliothèques et les médiathèques parisiennes sont conçues et animées par les solistes de l’Ensemble. Elles ont pour but de faire découvrir l’univers de la musique du XXe siècle à aujourd’hui à un large public. La variété des interventions reflète la diversité des personnalités des solistes. Elles peuvent être axées sur un thème, une période de l’histoire de
la musique, un instrument et son répertoire, un compositeur, etc. Le rapport de proximité entre le public et les solistes renforce la dimension d’échange et de partage d’expérience.
JEUNE PUBLIC Faire découvrir la musique du XXe siècle à aujourd’hui aux plus jeunes, c’est former le public de demain. Un enjeu décisif porté par des activités spécialement conçues pour le jeune public. CONCERTS ÉDUCATIFS Imaginés par les solistes de l’Ensemble ou un compositeur, en collaboration étroite avec l’équipe éducative, ces concerts présentent au jeune public, sous une forme originale et participative, des œuvres du XXe siècle à aujourd’hui. Ils sont réalisés en partenariat avec le service pédagogique de la Philharmonie, et sont, pour beaucoup d’entre eux, présentés et conçus par le musicologue et médiateur Clément Lebrun. Concerts éducatifs de la saison 2015-2016 p.51 PARCOURS SCOLAIRES Depuis de nombreuses années, l’Ensemble accueille des écoliers, des collégiens, des lycéens et leur propose un regard approfondi sur ses activités artistiques. En relation directe avec un soliste, sur la scène aux côtés des musiciens en répétition, ou dans la salle de concerts lors de répétitions commentées, les élèves ont accès aux œuvres et aux lieux de création. SÉANCES JEUNESSE EN BIBLIOTHÈQUES (en partenariat avec Paris bibliothèques ) La relation directe avec un musicien, son instrument et bien sûr avec la musique, est toujours une source d’émerveillement pour les enfants. Les solistes de l’Ensemble les plus sensibles à la transmission au jeune public proposent des séances musicales pédagogiques et ludiques qui stimulent la curiosité et encouragent l’échange. Autant d’opportunités pour les enfants (et leurs parents) de découvrir des mondes musicaux qui nourrissent l’imagination et la créativité.
PRATIQUE AVEC LES AMATEURS En 2015-2016, nous initions une relation pédagogique et artistique avec des ensembles amateurs, élèves musiciens des conservatoires d’Îlede-France, qui se produiront à la Philharmonie dans le cadre du week-end spécialement dédié aux amateurs en juin 2016. Musique et danse seront ainsi associés autour de la thématique des folklores. Le chorégraphe José Montalvo sera notre partenaire artistique au cours de ce projet, dans le cadre de sa résidence au Théâtre National de Chaillot.
MASTER CLASSES ET ATELIERS EN CONSERVATOIRES Accompagnés par les solistes de l’Ensemble, les étudiants des conservatoires nationaux, régionaux et parfois internationaux, futurs professionnels (ou amateurs), découvrent les techniques et les modes de jeu propres au répertoire contemporain. Ils se familiarisent ainsi avec des écritures musicales actuelles et les projets des compositeurs d’aujourd’hui. Au Conservatoire national de musique et de danse de Paris, des ateliers pédagogiques de haut niveau, conçus à partir d’œuvres au programme d’un concert de la saison, permettent à de jeunes musiciens en voie de professionnalisation de se perfectionner au contact de leurs aînés expérimentés de l’Ensemble. Ce travail approfondi réalisé sur une période de plusieurs semaines aboutit à un concert réunissant l’Ensemble intercontemporain et l’orchestre du Conservatoire. En 2015-2016, ce concert aura lieu le 30 janvier 2016 à la Philharmonie de Paris (cf. p. 68) Les actions initiées en 2014-2015 à destination des élèves des classes de composition et de direction d’orchestre du Conservatoire de Paris seront développées cette année.
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ACADÉMIE DU FESTIVAL DE LUCERNE Depuis sa création en 2004, les solistes de l’Ensemble intercontemporain participent aux sessions de l’académie du Festival de Lucerne. Internationalement réputés pour leur expérience pédagogique, ils contribuent au perfectionnement de la formation de jeunes musiciens de haut niveau venus du monde entier. Ce travail en profondeur se déploie sur plusieurs semaines et donne lieu à plusieurs concerts donnés dans le cadre du Festival de Lucerne. www.academy.lucernefestival.ch academy@lucernefestival.ch
ACADÉMIE DU FESTIVAL MANIFESTE L’Ensemble intercontemporain est associé à l’académie du festival ManiFeste organisé par l’Ircam, depuis sa création en 2012. Pour l’édition 2015, du 2 juin au 2 juillet, l’Ensemble interviendra dans les ateliers dédiés aux jeunes compositeurs, tant en créations dirigées que non dirigées. Ils aboutiront à un concert le 2 juillet 2016 au Centquatre à Paris (cf. p. 94)
Informations complémentaires et calendrier des activités sur ensembleinter.com
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Vendredi 4 décembre 20H30 – PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 GRAND SOIR APERGHIS PREMIÈRE PARTIE Pierre BOULEZ Sonatine pour flûte et piano Januibe TEJERA Flashforward I pour ensemble Georges APERGHIS Champ-contrechamp pour piano et ensemble DEUXIÈME PARTIE Aurélio EDLER-COPES Como el aire pour ensemble Helmut LACHENMANN Pression pour violoncelle Luciano BERIO Calmo pour mezzo-soprano et ensemble TROISIÈME PARTIE Georges APERGHIS Contretemps pour soprano et ensemble Donatienne Michel-Dansac, soprano Dimitri Vassilakis, piano Pierre Strauch, violoncelle Ensemble intercontemporain Baldur Brönnimann, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarifs : 25€ / 20€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Rencontre à 19h avec Georges Aperghis et Jérémie Szpirglas Entrée libre
Georges Aperghis fêtera son 70e anniversaire le 23 décembre 2015 et c’est pour nous l’occasion idéale de lui consacrer un « Grand soir ». Cette soirée exceptionnelle est à son image : ouverte, stimulante, enjouée et non dénuée d’ironie. On y découvre ses propres références et ses passions, sa vision de la musique et les rapports qu’il entretient avec ses aînés, ses contemporains et ses cadets. Georges Aperghis est un vrai gentleman ; j’ai envie de le dire en italien : un gentiluomo. Personnellement, je suis un grand amateur de sa musique : une musique jouissive, qui fait des étincelles. Son écriture est raffinée, et il connaît si bien le théâtre et la voix qu’il sait faire naître une dramaturgie avec une grande aisance. • Matthias Pintscher
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Georges Aperghis La parole et le labyrinthe par CÉLIA HOUDART
Théâtre(s) Dans les œuvres de Georges Aperghis, même purement instrumentales, on a toujours un peu l’impression d’être au théâtre. Un théâtre réel ou mental. Où les êtres et les objets auraient échangé leurs qualités et propriétés : les humains sont des moteurs survoltés, au bord de la rupture, ou en très basse tension ; les instruments parlent. Georges Aperghis a beaucoup composé pour la scène : opéras, musiques des spectacles d’Antoine Vitez et « théâtre musical ». Tout d’abord avec la création de l’Atelier Théâtre et Musique (ATEM) à Bagnolet jusqu’en 1991, puis au Théâtre NanterreAmandiers, structure avec laquelle il renouvelle complètement sa pratique de compositeur. Faisant appel à des musiciens (Jean-Pierre Drouet, Michel Portal...) aussi bien qu’à des comédiens (Édith Scob, Michael Lonsdale...), les spectacles de Georges Aperghis sont alors inspirés du quotidien, de faits sociaux transportés vers un monde poétique, souvent absurde et satyrique, créé au fil des répétitions. Tous les ingrédients (vocaux, instrumentaux, scéniques) sont traités également et contribuent – en dehors de tout texte préexistant – à la dramaturgie des spectacles (plus d’une vingtaine en tout, dont Conversations, 1985, Jojo, 1990 et Sextuor, 1993). Après 1997, Georges Aperghis poursuit son exploration du théâtre musical de manière plus ponctuelle. Les choses sont plus fixées, plus préméditées, même si chaque création est toujours vécue comme une réelle aventure aux côtés d’interprètes : Machinations avec Sylvie Levesque, Donatienne Michel-Dansac, Sylvie Sacoun, Geneviève Strosser (2000), Paysage sous surveillance avec Johanne
Saunier et Jos Houben d’après un texte d’Heiner Müller (2002), Luna Park avec Eva Furrer, Johanne Saunier, Richard Dubelski, et Michael Schmid (2011). Parallèlement Georges Aperghis poursuit la composition d’une grande série de pièces pour instruments ou voix solistes, initiée en 1978 avec Récitations. Celles-ci introduisent des aspects théâtraux, parfois purement gestuels, qui font le lien avec tout un pan du travail du compositeur, assez méconnu mais tout aussi fondamental : la musique de chambre et pour orchestre, vocale ou instrumentale, riche de nombreuses œuvres pour des effectifs très variés où, à la différence du théâtre musical, rien n’est à vocation proprement scénique et tout est déterminé par l’écriture. À partir des années 1990, ce répertoire devient un terrain particulièrement fertile pour Georges Aperghis – on citera notamment La Nuit en tête (2000) et Die HamletmaschineOratorio, d’après Heiner Müller (2001). Sans oublier l’opéra, qui a toujours été pour Georges Aperghis une passion et un domaine où, depuis le début – avec Pandæmonium d’après Jules Verne (1973) –, s’opère une sorte de synthèse des recherches du compositeur, avec le texte comme élément fédérateur et déterminant, et la voix, principal vecteur de l’expression : on peut notamment citer L’Écharpe rouge sur un texte d’Alain Badiou (1984), Tristes tropiques d’après Claude Lévi-Strauss (1996), Avis de tempête d’après Moby Dick de Melville (2004). Œuvres qui toutes, chacune à leur manière, remettent en jeu les questions de dramaturgie, de représentation, de mise en scène et illustrent la liberté avec laquelle Georges Aperghis se joue des classifications et des genres.
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Machines à intempéries 1 Georges Aperghis a presque toujours conçu la scénographie de ses propres spectacles. Pas de décors en dur, mais des installations mobiles et légères. Des écrans, des petites caméras, des images (Entre chien et loup, 1999, Paysage sous surveillance, 2002), une tour de contrôle et une échelle de Jacob un peu dérisoire (Avis de tempête, 2004). Des dispositifs donc, plutôt que des décors. Presque des installations, avec des machines. Depuis Commentaires (1996), Georges Aperghis fait régulièrement appel dans ses mises en scène à l’informatique et aux technologies. Sons électroniques, traitements en temps réel, caméras de surveillance, images vidéo-projetées ou rétro-projetées – la technique n’est jamais utilisée pour ellemême, ni exhibée comme un objet fascinant : « Je suis un artisan, dit le compositeur, je n’aime pas les grosses machines sophistiquées 2. » Plutôt petites et manipulées à vue, ses machines sont peu performantes et font partie intégrante de la représentation, cohabitant avec les interprètes comme des animaux familiers ou parasites. Dans Machinations (2000), aux côtés des quatre « diseuses », assises chacune à une table, bricolant avec de menus objets dont l’image est rétro-projetée, intervient un cinquième personnage, sorte de puissance occulte, qui se tient derrière un écran, et qui, à l’évidence, est là pour brouiller les choses. Avec l’ordinateur, c’est la fonction de « machiniste » de théâtre qui se trouve réinventée, réinvestie du pouvoir de tout manœuvrer en coulisses. Dans Paysage sous surveillance, tout est filmé, et l’auditeur-spectateur est mis face à un monde dédoublé, qui observe sa propre image. Tandis que dans Avis de tempête, des éléments filmés en direct par des mini caméras confiées aux interprètes, sont mixés à des images préexistantes, et
projetés sur des écrans, fenêtres sales ou embuées qui opacifient bien plus qu’elles ne révèlent. Prises dans les rets de ces machines, tantôt cernées, tantôt comme prolongées par elles : des présences. Un échantillon d’humanité drôle et inquiétant. La « polyphonie impossible » Le corps et la voix sont au centre des œuvres d’Aperghis, même lorsqu’il s’agit de pièces instrumentales sans chanteurs ou comédiens. Peut-on affirmer de sa musique qu’elle est fondamentalement vocale ? Oui, si l’on précise, comme Georges-Elie Octors, chef de l’Ensemble Ictus, qu’« il faut entendre “vocal” dans son sens le plus large. Stimulant sans cesse ce qui est au-delà des frontières de ce qui est reconnu comme expression vocale. Une sorte d’exploration, d’extrapolation, puis de sélection minutieuse de tout ce que le vocal peut, ou pourrait nous dire (parlé, chanté, murmuré, esquissé, hurlé, timbré, instrumental, jubilatoire, frustré, etc.). Nous ne savons plus très bien si ce sont les parties instrumentales qui sont vocales... ou l’inverse 3 ». On relève dans les partitions de Georges Aperghis « toute une série d’opérations musicales 4 » appliquées à la langue : élisions, répétitions, hoquets... Une langue s’invente, bredouille, se développe par essais et ratages, traversée ici et là de tonitruantes catastrophes. Dans Contretemps (2005-2006), pièce pour soprano et ensemble, on saisit, prises dans un flot (un flux), des bribes (des isolats) de mots : « Suite à quoi... on est déçus... crazy... » Les paroles s’enchaînent à un rythme étourdissant, nous sommes entraînés dans une spirale. Les instruments sont d’abord dans l’ombre de la voix. On dirait un sismographe un peu déréglé. Soudain, une sorte de fanfare tonitruante (un Kurt Weill cauchemar-
1 Nom d’une pièce de Georges Aperghis adaptée et interprétée par Jean-Pierre Drouet sur les machines musicales de Claudine Brahem. Création Festival Présences, 1995. 2 Georges Aperghis, Le Titre fait le tableau, création Festival d’Automne à Paris, 1972-1982, Paris, Messidor-Temps actuels, 1982, repris dans Machinations, textes réunis par Peter Szendy, Paris, L’Harmattan, Ircam-Centre Georges Pompidou, 2001, p. 41. 3 Georges-Elie Octors, « Textes-partitions », dans Célia Houdart, Avis de tempête. Georges Aperghis, Paris, Éditions Intervalles, coll. « Journal d’une œuvre », 2007, p. 88. 4 Georges Aperghis et Peter Szendy, « Écrire à retardement », Vacarme n°23, printemps 2003, p .66-69.
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desque ?) vient tout bousculer. Mais cela passe aussi vite qu’un nuage dans le ciel. La catastrophe est déjà loin. La contrebasse, le piano et la grosse caisse nous font descendre dans un sous-sol très sombre. Impression aussitôt contredite par une nouvelle séquence. Fausse piste. S’élève alors une comptine sans âge, simple et émouvante, comme un lointain écho aux Récitations (1978), soutenue par des traits d’instruments. La position de la voix, tantôt au milieu, tantôt au bord de l’effervescence, tantôt seule, augmente le trouble. Progressivement tout s’éteint. On entend juste les coups d’un mokubio, comme des gouttes d’eau sur une lame de bois. On l’aura compris, la musique de Georges Aperghis requiert chez ses interprètes une grande virtuosité et elle génère un type de présence très particulier : des êtres venus de nulle part, saisis dans l’instant, et en même temps vivant un peu dans leurs rêves. Ce ne sont pas des personnages, pourtant il ressort d’eux beaucoup d’humanité. L’écriture de la partition travaille avec des affects très puissants (respirations, gémissements, pleurs), créant une atmosphère très chargée. Et en même temps, c’est comme si nous pénétrions en nous-mêmes, à l’intérieur de notre propre espace mental. L’expérience est parfois déroutante, tant pour les musiciens que les auditeurs. Mais la déroute semble programmée, inscrite dans la partition comme une case sur un jeu de l’oie. Une pièce aussi foisonnante que Champ-Contrechamp pour piano et ensemble (2011) peut donner le sentiment, la première fois qu’on la découvre, qu’il vaut mieux renoncer à s’en faire une idée globale. Il y a en elle tant d’éléments disparates, de trous et d’enchaînements impossibles. Sur la page, on dirait un tissu ou un logiciel de montage. « Le titre, dit le compositeur, est emprunté au langage du cinéma (Shot-countershot) ». La ca5 Georges Aperghis, Champ-Contrechamp, note de programme.
méra montre tantôt un personnage et tantôt celui qui lui fait face. On passe sans transition de l’un à l’autre. Dans ce concerto pour piano et ensemble, on nous expose deux points de vue : celui du soliste et celui de l’ensemble. Parfois, le soliste crée un espace sonore dans lequel se fond l’ensemble et parfois l’ensemble crée un espace sonore dans lequel le soliste s’inscrit. C’est un jeu de résistances – passive et active – et de miroirs. C’est un peu la suite de Teeter-totter et Seesaw (pièces pour ensemble) (2008) dont le titre veut dire bascule et qui évoque ce jeu de va-et-vient entre des instruments « solistes et des groupes d’instruments 5 ». C’est au fil de l’écoute, parfois même après coup, que toutes ces œuvres trouvent en nous leur cohérence. Nous nous y frayons un chemin comme dans un labyrinthe. Chez Aperghis, ces petits agrégats de son et de sens, ces vertiges et catastrophes qui interrompent et dérangent une hypothétique linéarité (un récit) sont peut-être paradoxalement ce qui permet à l’auditeur de garder contact, au cœur du chaos, avec un niveau élémentaire de l’émotion. Nos émotions d’enfant ou l’enfance de nos émotions. Remerciements à Georges Aperghis, Émilie Morin, Antoine Gindt. Après des études de lettres et de philosophie et dix années dédiées à la mise en scène de théâtre expérimental, Célia Houdart se consacre à l’écriture. Depuis 2008, elle compose en duo avec Sébastien Roux des pièces diffusées sous la forme d’installations ou de parcours sonores. Elle a été lauréate de la Villa Médicis hors les murs, de la Fondation Beaumarchais-art lyrique, du prix Henri de Régnier de l’Académie française (2008) pour son premier roman Les Merveilles du monde et du prix Françoise Sagan (2012) pour Carrare. En 2015 elle publie Gil (éditions P.O.L), roman sur la vie d'un musicien hors du commun, de son enfance à la célébrité qui le consume.
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Mardi 15 décembre
Mercredi 6 janvier
20H30 – PARIS
19H – PARIS
Philharmonie de Paris Amphithéâtre Cité de la musique - Philharmonie 2
Conservatoire de Paris Salle Maurice- Fleuret
LE TOURBILLON DU TEMPS Fausto ROMITELLI Domeniche alla periferia dell’impero : "prima domenica" pour quatre instrumentistes Pierre BOULEZ Improvisé – pour le Dr. K. pour piano et quatre instruments Luciano BERIO Sequenza VIII pour violon Fausto ROMITELLI Domeniche alla periferia dell’impero : "seconda domenica" pour quatre instrumentistes Gérard GRISEY Vortex Temporum pour piano et cinq instruments Solistes de l’Ensemble intercontemporain Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de paris Tarif : 25€ Réservations : 01 44 84 44 84 www.philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
Créations des élèves des classes de composition du Conservatoire de Paris : Daniel ALVARADO BONILLA, Giovanni BERTELLI, Aurélien MAESTRACCI, Fabien TOUCHARD Solistes de l'Ensemble intercontemporain Elèves du Conservatoire de Paris Coproduction Ensemble intercontemporain, Conservatoire de Paris Entrée libre dans la limite des places disponibles Réservations : reservation@cnsmdp.fr
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Jeudi 14 janvier 20H30 – PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 NO MORE MASTERPIECES Œuvre audiovisuelle d’après Concerto "Séraphin" de Wolfgang RIHM (2006-2008) pour ensemble Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain et d’Arcadi Île-de-France Collectif 33 1/3, création vidéo et écran/sculpture cinétique Ensemble intercontemporain Julien Leroy, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Arcadi Île-de-france et Philharmonie de Paris Dans le cadre de Némo, biennale internationale des arts numériques – Paris / Île-de-France Tarif : 18€ Réservations : 01 44 84 44 84 www.philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
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Explorer en images l’héritage d’Antonin Artaud avec LE COLLECTIF 33 1/3
Vous concevez actuellement un dispositif vidéo original pour Concerto "Séraphin" (2008), une œuvre du compositeur allemand Wolfgang Rihm, inspirée par l’essai d’Antonin Artaud, Le Théâtre et son double / Le Théâtre de Séraphin. Le titre de votre projet, No More Masterpieces, est aussi une référence à cette œuvre. Est-ce que vous travaillerez à partir de ces textes ? Ou plutôt à partir de l’œuvre de Rihm, qui a cherché à composer de manière intuitive en se laissant inspirer par la vie et l’œuvre d’Artaud ? Nous travaillerons aussi bien avec les textes d’Antonin Artaud qu’avec la musique de Wolfgang Rihm. Et s’il est très intéressant de se placer à la fois sur un plan théorique, avec le texte, et sur un plan pratique avec l’interprétation de la musique, nous envisageons surtout d’intervenir sur les différentes « matières » visuelles de manière brute et physique. Et ce qu’il y a de passionnant avec ces deux approches, musicale et textuelle, c’est qu’elles nous permettent de saisir cette pièce par deux entrées différentes. C’est d’ailleurs ce qui rend cette aventure artistique très stimulante. En revanche, s’il y a bien une chose dont nous sommes certains, c’est qu’il n’y aura pas de trame narrative..
Le titre No More Masterpieces est issu du chapitre du Théâtre et son double intitulé « Pour en finir avec les chefsd’œuvre ». Pourquoi avoir opté pour ce titre ? Cela a-t-il un sens particulier pour vous ? Tout d’abord cette référence est déjà présente dans la pièce Concerto "Séraphin". Ensuite, il faut bien dire que les mots utilisés par Antonin Artaud nous ont séduits tout autant que ses actes et ses critiques émises à l’encontre de l’ordre établi de son époque. Sans omettre, surtout, sa recherche empirique d’une expression humaine radicale, sans compromis. Au sein de notre collectif, nous croyons dans les paradoxes de l’être humain et en la manière dont ils apparaissent dans l’œuvre d’Antonin Artaud. Quant au titre lui-même, aussi ambivalent qu’il puisse sonner, ce n’est pas qu’une déclaration de principe. Il tient au fait que nous avons tous déjà vu beaucoup de belles pièces classiques bien interprétées dans des salles de concert... Nous essayons donc, non pas de présenter une énième œuvre à un public déjà très cultivé – surtout à Paris –, mais au contraire d’inventer une proposition artistique. De cette façon, nous cherchons à nous adresser à un nouveau public, issu d’autres catégories socioculturelles. En somme, il nous
apparaît important de remettre l’expérience de l’art, telle qu’éprouvée par le public, au cœur de notre proposition. Vous allez réaliser une performance visuelle live. De quelle manière allez-vous intervenir ? Allez-vous manipuler des images en direct ? Nous ne sommes ni acteurs, ni musiciens, ni même techniciens. Pour nous, tout l’élan, toute l’énergie reposent dans la création elle-même. De plus, l’Ensemble intercontemporain peut parfaitement exécuter le concerto sans nous. Et comme la musique est déjà écrite, nous ne voyons aucun avantage à manipuler les images en direct. Concrètement, notre travail consistera à projeter un film sur un écran cinétique dont les dimensions et la forme pourront changer, en passant par exemple d’une surface 2D à un objet 3D. Cela faisait un certain temps que nous voulions faire quelque chose qui soit plus proche d’un film ou d’une installation cinématographique que d’une performance visuelle pour un concert – forme que nous pratiquons déjà beaucoup.
Propos recueillis par Sébastien Lecordier
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Samedi 30 janvier 20H30 – PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 GRUPPEN Jonathan HARVEY ...towards a pure land pour grand orchestre Bernd Alois ZIMMERMANN Antiphonen pour alto et petit orchestre Karlheinz STOCKHAUSEN Gruppen pour trois orchestres* Odile Auboin, alto Orchestre du Conservatoire de Paris Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Paul Fitzsimon, direction* Lucas Vis, direction* Coproduction Ensemble intercontemporain, Conservatoire de Paris, Philharmonie de Paris Tarifs : 25€ / 20€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr Dans le cadre du « Week-end Stockhausen » à la Philharmonie de Paris du 27 au 31 janvier 2016 AVANT LE CONCERT Table ronde à 18h Stockhausen, un compositeur "astronique" Avec Philippe Albèra, Laurent Feneyrou, Imke Misch et Ivanka Stoïanova Entrée libre
Gruppen de Stockhausen est une œuvre hors normes qui fait résolument partie de notre héritage. Pierre Boulez a été l’un des premiers chefs à la diriger. Je l’ai moimême dirigée à de nombreuses reprises, notamment avec le New York Philharmonic. C’est une œuvre que nous devons continuer à jouer, surtout lorsqu’elle nous permet, comme ici, de renouveler notre collaboration avec le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Sous la direction de Bruno Mantovani, le CNSMDP se développe et nous avons à cœur de multiplier les projets communs. Ceux-ci remportent en effet un grand succès, tant en termes de public que de pédagogie.
Dimanche 31 janvier
En réponse à Gruppen, on entendra Antiphonen de Zimmermann, qui occupe une place de choix dans mon Panthéon des compositeurs. Antiphonen est en outre une pièce hautement atypique, que son étrange instrumentarium rend difficile à programmer. C’est pourtant l’une des œuvres les plus fortes de Zimmermann ; une œuvre magnifique, d’une grande spiritualité, que j’ai toute ma vie rêvé de diriger.
Tarif : 25€ Réservations : 01 44 84 44 84 www.philharmoniedeparis.fr
En outre, j’aspire ici à une « réconciliation post-mortem » de Zimmermann et Stockhausen, qui étaient de leurs vivants les plus farouches rivaux. L’immense popularité de Stockhausen pendant les années 1950 et 1960 n’a rien arrangé, d’autant plus que Zimmermann avait beaucoup de mal à se faire entendre et en nourrissait une réelle frustration. • Matthias Pintscher
15H – PARIS Philharmonie de Paris Salle de répétition – Philharmonie 1 TOKYO 1966 Karlheinz STOCKHAUSEN Solo pour flûte et réinjection Telemusik Musique électronique Solo pour trombone et réinjection Adieu pour quintette à vent Solistes de l’Ensemble intercontemporain Technique Ensemble intercontemporain Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris
Dans le cadre du « Week-end Stockhausen » à la Philharmonie de Paris du 27 au 31 janvier 2016
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Un partenariat naturel
Entretien avec BRUNO MANTOVANI Directeur du Conservatoire de Paris Depuis son arrivée à la tête du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris en 2010, Bruno Mantovani s’est particulièrement investi dans la promotion de l’enseignement de la musique contemporaine. Une volonté qui s’affirme notamment dans le renforcement des synergies entre le Conservatoire et l’Ensemble intercontemporain. Il nous parle de ce partenariat en plein développement. Bruno Mantovani, en tant que directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, que représente pour vous le partenariat avec l’Ensemble intercontemporain ? C’est un partenariat parfaitement naturel, à plusieurs titres. D’abord, la musique contemporaine a toujours été présente au Conservatoire de Paris – c’est une école de création depuis 1795. Or, la création musicale en France est aujourd’hui indissociable des activités de l’Ensemble intercontemporain, qui en est un des fers de lance. Cette collaboration s’inscrit de surcroît dans la logique du site de la porte de Pantin, logique qui s’est encore accentuée en début d’année avec l’ouverture de la Philharmonie de Paris. D’autre part, les relations du Conservatoire de Paris avec l’Ensemble ne sont pas qu’institutionnelles, mais aussi plus informelles. Par exemple nombreux sont les solistes de l’Ensemble (anciens ou actuels) qui enseignent ou ont enseigné ici, en tant que professeur ou assistant. Au risque d’en oublier, je pourrais citer pêle-mêle : Sophie Cherrier, László Hadady, Jérôme Comte, Odile Auboin, Hae-Sun Kang, Frédéric Stochl, PierreLaurent Aimard, Jean-Guihen Queyras, Jean Sulem. Excellents pédagogues, ils sont très appréciés par les élèves. À l’origine, notre partenariat se limitait à une coproduction annuelle de concert réunissant étudiants et solistes de l’Ensemble. Depuis mon arrivée, nous avons souhaité l’étendre à des activités qui touchent notamment à la composition et à la direction d’orchestre.
Comment avez-vous mis en œuvre ce souhait ? Nous avons tout d’abord créé un troisième cycle d’interprétation de la musique contemporaine, ouvert aux élèves titulaires d’un master d’instrument. L’enseignement principal est d’ailleurs dispensé par Hae-Sun Kang, violoniste de l’Ensemble. Ce troisième cycle s’organise principalement autour de collaborations extérieures, telles qu’avec le Festival Messiaen de la Meije, ou l’Ensemble intercontemporain dans le cadre de sa saison de concerts. Cette année, nous jouerons tous ensemble des œuvres de Jonathan Harvey, Bernd Alois Zimmermann, sans oublier Gruppen de Karlheinz Stockhausen. Déjà initiés l’an dernier, deux autres projets seront approfondis cette année. Le premier concerne les classes de composition et la collaboration avec les professeurs et les solistes : les effectifs de l’Ensemble intercontemporain ont été divisés en une demi-douzaine de petits ensembles de chambre, avec lesquels les élèves de composition travaillent. Ce sont des ateliers d’expérimentations, au cours desquels ils peuvent se confronter à la réalité musicale de leurs idées compositionnelles, avoir un retour sur leur travail et éventuellement procéder à des réajustements. Ce travail s’effectue très en amont du concert de fin d’année et intervient, sur la durée, pendant la genèse de l’œuvre et toute la période d’écriture, pour que les élèves puissent réellement progresser. Le deuxième projet est une série d’ateliers, qui, sans donner lieu à un concert, n’est pas dénué d’intérêt. L’idée est de
mettre les élèves de direction d’orchestre dans une situation dont ils feront fréquemment l’expérience au cours de leur vie professionnelle : arriver devant un orchestre que l’on découvre. S’agissant du répertoire contemporain, ce sont les musiciens de l’Ensemble qui se prêtent à l’exercice. La particularité de ces ateliers, cependant, est d’être menés, non pas par un professeur de direction, mais par les musiciens eux-mêmes, qui prodiguent leurs conseils. Une forme d’atelier de direction coaché de manière collégiale par les membres de l’Ensemble intercontemporain… Quels sont à votre avis les enjeux de l’enseignement de la musique contemporaine aujourd’hui ? Une erreur serait de trop la singulariser. Cet enseignement doit au contraire être en constante relation avec le reste du corpus. L’important est de cultiver tous les aspects du métier au sein de la formation, pour éviter de faire apparaître des « chapelles ». L’autre problématique concerne le répertoire : les enseignants doivent connaître celui-ci pour pouvoir proposer des œuvres aux élèves, ce dont ils sont très demandeurs. À ce titre, notre département préparant les étudiants au certificat d’aptitude aux fonctions de professeur de musique fonctionne assez bien : les futurs professeurs ont totalement intégré le fait que la musique contemporaine doit faire partie de leur enseignement, notamment grâce, dans leur cursus, à une Unité de Valeur spécifique portant sur le sujet.
Propos recueillis par Jérémie Szpirglas
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Mardi 9 février 20H30 – PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 TRAÎTRES MOTS Felipe LARA Fringes Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain François-Bernard MÂCHE Kassandra pour ensemble instrumental et sons enregistrés Samuel BECKETT Words and Music Musique d’Ivan FEDELE Création mondiale de la partie musicale Commande de l’Ensemble intercontemporain Fulvio Cauteruccio, Words Giancarlo Cauteruccio, Croak Ensemble intercontemporain Ilan Volkov, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif : 18€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
Music and Words Entretien avec IVAN FEDELE compositeur
Passionné par le théâtre de Samuel Beckett et ses « investigations dans les plis cachés de l’âme », le compositeur italien Ivan Fedele créera le 9 février 2016 une nouvelle partition pour la pièce radiophonique Words and Music (1962) mettant en scène trois figures : Words (allégorie des paroles), Music (allégorie de la musique) et Croak (littéralement le « croassement », c’est-àdire le personnage intermédiaire entre son et sens). Il nous parle de cette pièce en cours d’écriture.
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Le texte de Beckett met en scène une allégorie de la musique et soumet au compositeur, par les didascalies, un certain nombre de « suggestions » : une musiquevisage, une musique d’amour, une musique-présent. Savez-vous comment vous allez traiter ces indications ? Samuel Beckett suivait attentivement le traitement de ses pièces théâtrales : leur mise en scène, bien sûr, mais aussi la façon dont les indications seraient utilisées par le metteur en scène ou les acteurs. Lorsqu’on travaille sur ses textes, on se doit de rester fidèle à ce qui est écrit. Cependant, il y a des marges d’interprétation. Par exemple, que peut bien vouloir dire l’indication « musique de vieillesse » ? Je peux choisir de la représenter par un glissando de l’aigu vers le grave à l’intérieur du groupe des cordes, ou bien par un accord, très sombre, qui se répète sans cesse dans le grave. Et de même, que signifie « musique d’amour » ? Cela peut être un élément assez rhétorique, qui fait référence à un texte ou à une musique déjà connue, ou bien une idée tout à fait nouvelle et même paradoxale, dont on n’imaginerait jamais qu’elle correspondrait à la notion d’amour. Il y a donc une grande marge de liberté pour le compositeur et il en existe d’ailleurs plusieurs versions. La première a été mise en musique par le cousin de Beckett (John Beckett), puis l’auteur a commandé une nouvelle partition à Humphrey Searle, et enfin il y a eu la composition de Morton Feldman. Ces trois versions, qui sont considérablement différentes, soulignent déjà que la marge d’interprétation pour le personnage de Music est immense. En réalité, Beckett n’a nullement la prétention de donner des indications esthétiques à la musique. On pourrait même dire que, pour la première fois – chose extraordinaire –, il renonce à écrire un personnage. Ses indications contribuent essentiellement à établir l’arc formel de la pièce. Globalement, cette pièce comprend beaucoup d’éléments musicaux, tant au niveau du texte qui est dit par les acteurs, qu’au niveau des indications pour la musique : il y a des reprises, des variations, des redon-
dances… Donc, lorsque je compose cette pièce, je me considère moi-même comme le personnage de Music. Music, ça ne peut être que moi. Music, c’est à la fois l’écriture musicale et la façon dont je perçois le texte, cette histoire qui présente des caractéristiques typiques de Beckett : le rapport entre patron et servant (et ici, il y a deux servants), la difficulté de mettre en relation les différents éléments de l’esprit créatif – Music et Words ne vont pas très bien ensemble. Précisément, comment allez-vous envisager ce clivage ? Cherchez-vous à l’accentuer ? Ou bien travaillez-vous à un espace commun, où la parole se mettrait à chanter, et la musique à parler ? Oui, il y aura cet espace commun, mais les deux auront sans doute du mal à s’exprimer avec les phonèmes et le langage de l’autre. Music aura peut-être des difficultés à chuchoter, n’arrivera peut-être pas à s’exprimer comme elle le voudrait et Words n’arrivera pas à s’exprimer par le chant comme il le voudrait. Je suis actuellement dans un moment important de la composition et je dois prendre une décision définitive par rapport au passage vocal – situé au milieu de la pièce –, au cours duquel Words tente de chanter. J’ai deux options : soit je choisis une référence musicale populaire très forte, soit je me tourne vers quelque chose d’abstrait mais de très simple, voire même de primordial – une ligne ou un profil qui sera facile à chanter par quelqu’un qui n’est pas chanteur professionnel. En réalité, dans la pièce, Words ne chante pas, il essaie de chanter ; c’est très différent. Quant à Music, il essaie de lui montrer le chemin, de lui donner le support à partir duquel chanter. Il y a toujours un effort. Dans le texte, c’est cela qui m’a frappé : les trois personnages font un grand effort pour se comprendre. Du moins, cet effort est sensible entre Music et Words et entre Croak et Words. Il me semble que Croak et Music s’entendent mieux, peut-être parce que Croak ne dit jamais rien à Music, ne lui reproche jamais de n’avoir pas été à la hauteur de ses demandes. Croak me paraît
plus sévère avec Words qu’avec Music, et cela me facilite énormément le travail. Votre pièce comprendra également des interventions électroniques diffusées depuis un clavier numérique. S’agira-t-il de sonorités figuratives, extra-musicales ? Non, il s’agira essentiellement de sons de synthèse – dont la fonction est d’« arrondir » et de diversifier le timbre de l’ensemble instrumental –, ainsi que de sons de voix. Dans le texte de Beckett, il n’y a pas seulement des mots, des phrases, il y a également des grondements, des gémissements (énoncés par Croak), que je vais élaborer, traiter et déclencher par le clavier numérique. Grâce à l’électronique, je voudrais arriver à une extension, une augmentation du potentiel musical de ces sonorités. Le paysage électronique a-t-il pour fonction de fluidifier le rapport musique/paroles ? Interviendra-t-il au moment des silences ? Non, il y aura de véritables silences dans la pièce. À plusieurs moments, Beckett indique une « Pause » dans le dialogue que je peux traduire à l’orchestre, soit par un véritable silence – une absence de son –, soit par un silence « sémantique » : un accord tenu, une résonance ; c’est-à-dire une situation où le discours n’évolue pas. Le silence est la ponctuation de cette pièce, et je l’utiliserai en tant que tel. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, cette pièce a été écrite pour la radio. Un silence à la radio est quelque chose d’incroyablement puissant. Sur scène, lorsqu’il y a un silence, nous voyons un musicien produire ce silence : la vision remplit ce « vide ». Mais un silence à la radio n’est comblé par rien. Et je ne crois pas que Beckett ait pu écrire dans son texte l’indication « Pause » sans penser à l’effet que cette pause produirait sur l’auditeur de ce drame radiophonique.
Propos recueillis par Pierre-Yves Macé
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Vendredi 12 février
Mercredi 17 février
Vendredi 19 février
20H – COLOGNE
20H – ROUEN
20H30 – PARIS
Philharmonie
Chapelle Corneille Dans le cadre de la programmation de l’Opéra de Rouen Normandie
Philharmonie de Paris Amphithéâtre Cité de la musique – Philharmonie 2
Matthias PINTSCHER nemeton pour percussion Salvatore SCIARRINO Melencolia I. Estrapolazione del nucleo iniziale di Vanitas pour violoncelle et piano Jonathan HARVEY Dialogue & Song pour violoncelle et piano Sofia GOUBAïDOULINA Quasi hoquetus Carlo GESUALDO / Grégoire SIMON Canzon francese del Principe Transcription pour quatre instruments Claude VIVIER Et je reverrai cette ville étrange pour ensemble de chambre
TIMBRES EN FUSION
Solistes de l’Ensemble intercontemporain
Solistes de l’Ensemble intercontemporain
Renseignements et réservations : operaderouen.fr
Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris
Georges APERGHIS Champ-contrechamp pour piano et ensemble François-Bernard MÂCHE Kassandra pour ensemble instrumental et sons enregistrés Samuel BECKETT Words and Music Musique d’Ivan FEDELE Dimitri Vassilakis, piano Fulvio Cauteruccio, Words Giancarlo Cauteruccio, Croak Ensemble intercontemporain Ilan Volkov, direction Technique Ensemble intercontemporain Renseignements et réservations : koelner-philharmonie.de
Alfred SCHNITTKE Hymn pour violoncelle, harpe et timbales Nina ŠENK Reflections pour trompette et piano Yoshihisa TAÏRA Monodrame IV pour vibraphone Rebecca SAUNDERS Behind the Velvet Curtains pour piano, trompette, harpe et violoncelle William BLANK Flow pour trompette, hautbois, harpe, violon et violoncelle
Tarif : 32€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
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Lundi 22 février
Dimanche 6 mars
Jeudi 17 mars
19H30 – LONDRES
20H – ISTANBUL
20H – BRUXELLES
Wigmore Hall
CRR Concert Hall
George CRUMB Music for a Summer Evening (Makrokosmos III) pour deux pianos amplifiés et deux percussions Aurélio EDLER-COPES Nouvelle œuvre pour deux pianos et deux percussions Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain et du Wigmore Hall avec le soutien d’André Hoffmann, président de la Fondation Hoffmann, une fondation suisse de mécénat Béla BARTÓK Sonate pour deux pianos et deux percussions
Edgard VARÈSE Octandre pour huit instruments Pierre BOULEZ Douze Notations pour piano Pierre BOULEZ Anthèmes 1 pour violon György LIGETI Six Bagatelles pour quintette à vent Pierre BOULEZ Dérive 1 pour six instruments Bruno MANTOVANI Streets pour ensemble D'un rêve parti pour six instruments
Bozar Salle Henry Le Bœuf et espaces du musée KLARA Festival
Solistes de l’Ensemble intercontemporain Renseignements et réservations : wigmore-hall.org.uk
Jeanne-Marie Conquer, violon Ensemble intercontemporain Bruno Mantovani, direction Renseignements et réservations : crrkonsersalonu.org
PREMIÈRE PARTIE Parcours musique de chambre (programme à déterminer) DEUXIÈME PARTIE Gustav MAHLER / Glen CORTESE Das Lied von der Erde Une symphonie pour ténor, alto et orchestre de chambre Lilli Paasikivi, alto Steve Davislim, ténor Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Renseignements et réservations : klarafestival.be
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Mercredi 23 mars 20H30 – PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 LE MIRACLE DE LA ROSE Manfred TROJAHN Nocturne – Minotauromachia pour ensemble Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain Matthias PINTSCHER Mar’eh pour violon et ensemble Création mondiale de la version pour ensemble Commande de l’Ensemble intercontemporain Hans Werner HENZE Le Miracle de la rose Musique pour un clarinettiste et treize musiciens Hae-Sun Kang, violon Jérôme Comte, clarinette Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif : 18€ Réservations : 01 44 84 44 84 www.philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
J’ai toujours rêvé de faire entendre un programme « allemand » à Paris avec l’Ensemble. La musique allemande m’a bercé durant toute mon enfance et mon adolescence. Si je ne me considère plus aujourd’hui réellement « allemand », m’étant si pleinement immergé dans la culture française et étant installé à New York, c’est quand même en Allemagne que sont mes racines musicales. Manfred Trojahn, Hans Werner Henze et Helmut Lachenmann ont joué un tel rôle dans mon éducation musicale que je peux sans hésitation les appeler mes « maîtres ». Alors que je n’avais que 20 ans, Hans Werner Henze m’a passé commande d’un quatuor à cordes et d’un solo de violon et m’a invité à Montepulciano pour y travailler. J’y ai passé plusieurs semaines à ses côtés et en présence de tous les musiciens incroyables dont il savait s’entourer. C’est à cette occasion que j’ai réellement compris ma vocation de compositeur, qui va de pair avec un goût pour la vie, l’amitié et le Chianti ! C’était un compositeur inépuisable, qui a toujours su produire une musique magnifique, en même temps qu’un personnage haut en couleurs, d’une générosité sans pareille, toujours prêt à donner de lui-même. Il n’était pas de ces compositeurs qui se cloîtrent dans un studio, effrayés du moindre contact avec le public. C’était au contraire l’un de ces si rares humanistes qui savent fédérer les bonnes volontés. Il est encore une grande source d’inspiration pour moi, et pas seulement en tant que compositeur. Je suis heureux d’avoir compté parmi ses amis jusqu’à la fin. À mes débuts, j’ai été très fortement influencé par sa musique, au moins autant que par les nouvelles sonorités de Lachenmann : ces deux visions apparemment antinomiques ont nourri la mienne. Si je n’ai jamais été officiellement un élève de Henze ou Lachenmann, je l’ai été de Trojahn : il a été mon dernier professeur – celui avec lequel j’ai obtenu mon diplôme. Travailler avec Trojahn m’a surtout aidé à comprendre l’opéra et à donner à ma musique une dimension dramaturgique, sans m’égarer dans la quête d’un son singulier : chaque son doit être en lien avec le narratif, quand bien même serait-il non formulé, souterrain ou abstrait. Nous parlions de tout et de rien, de musique et de littérature. Il n’était pas rare que nous allions au cinéma ou au théâtre ensemble. Il m’a ouvert aux autres disciplines artistiques et m’a aidé à comprendre que ce que l’on note sur la partition n’est pas uniquement musical, mais touche à bien d’autres aspects de la vie et de notre société. Ce n’est qu’ainsi qu’on devient un musicien complet au xxie siècle. • Matthias Pintscher
Voir aussi l'entretien avec Matthias Pintscher p.76
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Mar’eh
Entretien avec MATTHIAS PINTSCHER compositeur Mar’eh fait partie d’une série d’œuvres aux titres hébreux, série débutée en 2008 avec She-Cholat Ahavah Ani, dans laquelle on trouve aussi bereshit (2012). Je suis juif, mais je n’ai pas reçu, à proprement parler, une éducation juive. Même si enfant, j’ai fréquenté une école hébraïque, cette expérience fut si détestable que je me suis empressé de tout oublier. Ce n’est qu’autour de la trentaine que cette culture, cette langue ont resurgi dans ma vie. J’avais déménagé à New York et m’étais fait de nombreux amis juifs ou israéliens. Je m’y suis donc à nouveau plongé : j’ai réappris la langue et passé beaucoup de temps à étudier la Torah, la Mishna, le Talmud et la Kabbale. Le judaïsme n’a cessé de se réinventer : la Torah, qui n’est pourtant qu’un texte assez court, mais d’une grande densité, a été interprétée et commentée en tout sens pendant des millénaires. Non pratiquant, mais habité par le spirituel, ces textes magnifiques m’ont grandement inspiré. À 35 ans, le Cantique des Cantiques représentait ce que Rimbaud avait été pour moi à 20 ans ! Comment choisissez-vous les titres, dans ces cas-là ? En général, je tombe sur un mot, et la musique naît : « Au commencement était le verbe » ! C’est ainsi depuis que j’ai 15 ou 16 ans : deux mots suffisent pour m’ouvrir tout un monde de musique.
Que signifie « Mar’eh » ? « Mar’eh » signifie « vision ». C’est un mot biblique qui désigne non seulement les traits du visage, mais peut aussi évoquer la beauté de ce visage, la beauté d’un regard ou d’un moment, d’un état extraordinaire, surnaturel. L’hébreu est une langue fascinante car saturée de riches polysémies. Un mot n’est jamais univoque mais a toujours des significations multiples. Les traductions de l’hébreu en allemand, en anglais, et surtout en français, nécessitent souvent près de quatre ou cinq fois plus de mots que dans le texte original ! C’est aussi une qualité à laquelle j’aspire au sein de mon écriture. Chaque mot serait comme un prisme… Exactement. Dans Mar’eh, le violon est ce prisme sonore. Il véhicule toutes ces images qu’il peut propager et faire briller dans toutes les directions en même temps. Dans sa version originale, pour violon et orchestre, l’œuvre est écrite pour Julia Fischer. Pour moi, Julia est Mar’eh. L’œuvre lui est naturellement destinée, en raison de son exigence et de sa rigueur, et aussi pour cette beauté sereine, cette lumière intérieure, qu’elle dégage lorsqu’elle joue. Julia et moi-même sommes des amis de longue date et j’ai toujours été un grand
admirateur : c’est l’une des rares solistes dont la pâte sonore change radicalement selon les œuvres interprétées. Le violon de Julia se moule dans la musique qu’elle joue, son approche du jeu instrumental et de la production sonore évoluant d’un compositeur à l’autre. Quand on l’écoute, on n’entend pas « Julia Fischer jouant » Mendelssohn, Brahms, Bach ou Pintscher. On entend d’abord et avant tout Mendelssohn, Brahms, Bach et Pintscher par une soliste incroyable. Un autre aspect de son jeu me fascine : on n’entend jamais ses changements de coup d’archet. Si l’on peut voir son archet monter et descendre, la ligne musicale est comme ininterrompue. Jusque-là, ma musique avait un caractère quelque peu fragmenté, passant d’une situation musicale à la suivante. Avec Mar’eh, je me suis lancé le défi de composer un chant, une ligne. Pour la première fois, j’ai voulu d’un chemin, qui commence en un point A pour aller vers un point B. Sans détour frénétique, sans explosion éruptive, sans tremblement, sans rupture : un plainchant qui se déroule et se déploie, comme la trajectoire du soleil de son lever à son coucher. Dit comme ça, on peut penser au Concerto pour violon de Mendelssohn. C’est une très bonne remarque : Mendelssohn a été une grande inspiration pour Mar’eh. La musique circule, elle n’est jamais statique. Même lorsque tout semble s’arrêter, on a le sentiment qu’une nouvelle vague de fond est sur le point d’émerger. Le discours se tisse de dizaines de couches sonores sédimentées – comme la croûte terrestre, continuellement en mouvement, même de manière imperceptible. Et l’énergie dégagée est grandiose.
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Pourquoi en faire une nouvelle version, pour violon et ensemble ? Avec les solistes de l’Ensemble, nous avons souvent joué bereshit et les musiciens m’ont demandé une autre pièce qui deviendrait à son tour notre carte de visite. C’est Hae-Sun Kang qui m’a suggéré de faire cette nouvelle version de Mar’eh pour violon et ensemble. Il se trouve qu’elle et moi l’avons déjà interprétée à Berlin, voilà quelques années, et qu’elle la porte merveilleusement bien. J’y ai réfléchi et je suis arrivé à la conclusion que son idée était excellente. Malgré l’influence du Concerto de Sibelius, en cela qu’il s’agit d’une symphonie avec violon, Mar’eh est en réalité un anti-Sibelius : c’est une pièce très transparente, dont l’écriture orchestrale est quasi chambriste – à l’instar de Das Lied von der Erde de Mahler, par exemple. Cette nouvelle version est donc une œuvre à part entière.
Propos recueillis par Jérémie Szpirglas
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Mercredi 30 mars 19H30 – LE HAVRE Le Volcan LE VOYAGE D’HIVER Franz SCHUBERT Winterreise, D 911 pour voix et piano Mark ANDRE AZ pour ensemble Johan Simons, mise en scène Michaël Borremans, décors Jan Vandenhouwe, dramaturgie Marcello Buscaino, collaboration à la mise en scène Georg Nigl, baryton Andreas Staier, piano Ensemble intercontemporain Julien Leroy, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Muziektheater Transparant Renseignements et réservations : levolcan.com
Dimanche 3 avril 20H – COLOGNE Philharmonie Même programme que le 30 mars Renseignements et réservations : koelner-philharmonie.de
Entretien avec GEORG NIGL, baryton Vous reprenez avec l’Ensemble intercontemporain Le Voyage d’hiver mis en scène par Johan Simons avec les interventions musicales de Mark Andre. Ce travail inédit autour du Winterreise de Franz Schubert est-il représentatif de votre volonté de réunir répertoire classique et création contemporaine ? Franz Schubert est LA figure incontournable pour tous les chanteurs. Son catalogue compte plus de sept cents lieder et ce genre musical a fait un véritable bond technique et artistique grâce à lui. Cette musique est essentielle mais malheureusement, elle s’est progressivement transformée en pièce de musée. Aujourd’hui, l’une des raisons pour lesquelles je chante des œuvres contemporaines réside dans mon désir d’aller de l’avant. Je considère en effet qu’il est tout aussi nécessaire de s’intéresser à l’interprétation de compositeurs comme Monteverdi, Bach ou Mozart que d’explorer le répertoire contemporain avec des personnalités aussi diverses qu’Olga Neuwirth, Pascal Dusapin ou Wolfgang Rihm. J’estime que Schubert est un socle sur lequel je veux construire quelque chose. C’est un compositeur qui approfondit le sens de ses textes, et j’ai le souci de ne pas chanter des chansons mais de chanter un texte. L’interprétation signifie littéralement traduction ; je veux traduire la musique auprès du public. En découvrant le projet de Johan Simons et Mark Andre, je n’ai d’abord pas bien saisi ce qu’allait apporter une mise en scène de ce cycle de lieder. J’ai très vite compris qu’il s’agissait de réfléchir à ce que disait l’œuvre et que cette scénogra-
phie faisait apparaître un angle nouveau. La musique de Mark Andre cherche à dépasser le matériel et à le transformer pour se l’approprier en créant des échos et des transitions. Vous aimez vous investir totalement dans vos interprétations. Quel intérêt ressentez-vous en allant vers des situations extrêmes, que ce soit au niveau du jeu ou du chant ? Selon moi, il est difficile, dans la musique, de distinguer ce qui relève du beau et du laid, du pur et de l’impur. Je ne sépare pas la pensée de la sensation mais cherche à mêler les deux. Je me suis longtemps demandé : « Pourquoi chante-t-on ? » Nous pourrions nous contenter de parler. C’est en réalité une question d’équilibre intérieur. Je suis en paix avec moi-même, même dans des situations théâtrales aussi extrêmes que celles des Eight Songs for a Mad King de Maxwell Davies ou de Jakob Lenz de Rihm. Je suis peut-être physiquement fatigué à la fin de la représentation mais je ne détruis pas ma voix. Ma professeure de chant Hilde Zadek m’a appris que nous devons projeter nos phrases sur un écran, et cet écran c’est le public. Nous devons toucher les auditeurs à condition de maîtriser absolument ce que nous leur transmettons. Sort-on toujours psychologiquement indemne de partitions aussi exigeantes que ces Eight Songs for a Mad King ? Il ne faut jamais oublier que ces situations extrêmes sont des situations théâtrales.
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J’ai à ma disposition une sorte de palette expressive : des rôles de meurtriers, de psychopathes ou de schizophrènes… Dans Penthesilea de Dusapin par exemple, je chantais Achille en proie à des pulsions sexuelles. Je pense que la comédie légère est au contraire une chose beaucoup plus difficile à interpréter. Le but suprême est que ce qui se passe sur scène soit le plus proche possible de la réalité. Mais j’essaie néanmoins de toujours garder une distance avec ce que je fais, car si l’on est soimême touché, on court un grand risque. Au cours de la saison vous allez mettre en scène ce « Mad King » (cf. p. 88) Je n’ai pas envie de faire quelque chose de trop complexe. J’ai découvert dans l’Histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault la mention du cas de George III. Celui-ci régnait du temps de la guerre d’indépendance lorsqu’il a sombré dans la folie, et la perte du pouvoir a accompagné la perte de ses moyens intellectuels. Nous parlons d’une époque où les traitements psychiatriques n’existaient pas. C’est un homme qui, à certains moments, ne savait plus qui il était. Sur scène, il se retrouve à clamer qu’il est roi alors qu’il ne l’est plus. J’ai été d’emblée très intéressé par cette exceptionnelle solitude – celle qui peut s’exprimer également dans des personnages comme Lenz, Wozzeck, ou le prisonnier de Dallapiccola. Mon projet est de mettre en scène cette souffrance solitaire. J’ai imaginé un espace vide afin de sentir le public respirer avec moi ; c’est la beauté et la magie de la scène. Au fond, cette partition de Maxwell Davies implique la même chose que le « Possente spirito » de L’Orfeo de Monteverdi. On se retrouve seul à chanter sur une scène dénudée ; c’est tout. L’opéra est une chose invraisemblable : les gens chantent, dansent et jouent sur une scène… Contrairement au cinéma, l’opéra c’est la vie.
D’où vient votre goût pour la scène ? En quittant les petits chanteurs de Vienne, je suis entré au Burgtheater de Vienne, l’équivalent de la Comédie-Française. En tant que chanteur, j’ai été marqué par quelqu’un comme Andrea Breth, mais j’ai ensuite perfectionné mon jeu en travaillant sur le tas avec des chefs comme René Jacobs ou Nikolaus Harnoncourt ; c’est la meilleure école. Récemment, j’ai lu tous les écrits de Constantin Stanislavski. Je connaissais déjà un certain nombre de ses idées, mais j’y ai trouvé un espace de liberté et des centaines de possibilités nouvelles pour l’interprétation. En tant que
professeur de chant à Stuttgart, j’essaie de trouver avec mes élèves les moyens de s’exprimer au mieux sur scène. Un véritable travail de metteur en scène est aussi difficile qu’un travail de compositeur. Vous avez besoin d’un ensemble. Mettre en scène, ce n’est pas seulement superviser un travail, c’est mettre en mouvement une équipe pour interpréter une vision. Et aujourd’hui, je ne suis sûr que d’une chose : je ne deviendrai jamais compositeur (rires) !
Propos recueillis par Pierre-Yves Macé
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Ce concert qui s’inscrit dans le « Week-end Passions » de la Philharmonie est important, à bien des égards. D’abord, il marque notre première collaboration avec l’Orchestre de Paris, avec lequel nous cohabitons, en résidence, à la Philharmonie de Paris. Cette association se reproduira désormais régulièrement, notamment dans le cadre d’un « mini-festival » qui réunira chaque année nos deux formations. Nous saisirons cette opportunité pour inventer ensemble de nouveaux formats de concert et de nouvelles manières de jouer et d’écouter la musique. La Philharmonie nous permet de collaborer et de maximiser nos potentiels respectifs, en étant créatifs ensemble. Le thème de ceWeek-end est donc les passions humaines : nous déroulerons ce fil rouge qui nous mènera de Johann Sebastian Bach à la Turangalîla-Symphonie d’Olivier Messiaen, en passant par Erwartung de Schöenberg. • Matthias Pintscher
Samedi 9 avril
Samedi 16 avril
20H30 – PARIS
15H – PARIS
Philharmonie de Paris Grande salle - Philharmonie 1
Philharmonie de Paris Amphithéâtre Cité de la musique - Philharmonie 2
GRAND SOIR - PASSIONS PREMIÈRE PARTIE Philippe MANOURY In situ pour groupe de solistes, orchestre à cordes et huit groupes d'orchestre spatialisés DEUXIÈME PARTIE Arnold SCHÖNBERG Erwartung Monodrame en un acte pour soprano et orchestre* TROISIÈME PARTIE Johann Sebastian BACH Cantate « O holder Tag, erwünschte Zeit », BWV 210 (extraits) Passion selon saint Matthieu, BWV 244 : récitatif et air « Am Abend, da es kühle war » Vito ŽURAJ Insideout Épisode pour soprano, baryton et ensemble Edgard VARÈSE Offrandes pour soprano et ensemble Bernd Alois ZIMMERMANN Stille und Umkehr Esquisses symphoniques Solveig Kringelborn, soprano* Yeree Suh, soprano Georg Nigl, baryton Orchestre de Paris Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Coproduction Ensemble intercontemporain, Orchestre de Paris, Philharmonie de Paris Tarifs : 30€ / 26€ / 22€ / 17€ / 13€ / 10€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr Dans le cadre du « Week-end Passions » à la Philharmonie de Paris du 9 au 10 avril 2016.
VENTS NOUVEAUX György LIGETI Dix Pièces pour quintette à vent Vito ŽURAJ Contour pour quintette à vent Bruno MADERNA Dialodia pour deux instruments Heinz HOLLIGER „h“ pour quintette à vent Brian FERNEYHOUGH Time and Motion Study I pour clarinette basse Harrison BIRTWISTLE Five Distances pour quintette à vent Solistes de l’Ensemble intercontemporain Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif : 25€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr
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82 Du 14 au 21 avril GENNEVILLIERS T2G - Théâtre de Gennevilliers GIORDANO BRUNO Opéra en deux parties et douze scènes Francesco Filidei, musique Stefano Busellato, livret Antoine Gindt, mise en scène Elise Capdenat, scénographie Daniel Levy, lumières Fanny Brouste, costumes Léo Warynski , Assistant à la direction musicale Élodie Brémaud, collaboration à la mise en scène Lionel Peintre, baryton : Giordano Bruno Jeff Martin, ténor : l’Inquisiteur 1 Ivan Ludlow, basse : l’Inquisiteur 2 Guilhem Terrail, contreténor : Pape Clément VIII Douze voix solistes Raquel Camarinha, Eléonore Lemaire, soprano Eva Zaïcik, Lorraine Tisserant, mezzo Alice Habellion, Camille Merckx, alto Benjamin Aguirre Zubiri, Fabien Hyon, ténor René Ramos Premier, Julien Clément, baryton Antoine Kessel, Pierre Bessière, basse Ensemble intercontemporain Peter Rundel, direction Commande T&M-Paris, Casa da Música, financée par la Ernst von Siemens Music Foundation. Avec le soutien du Réseau Varèse Tarifs : 24/18/15/13/9/7€ Renseignements et réservations : www.theatre2gennevilliers.com Coproduction T&M-Paris, Casa da Música, Festival Musica, Théâtre de Gennevilliers/CDNCC, Théâtre de Caen, Fondazione I Teatri di Reggio Emilia Avec le soutien du Fonds de Création Lyrique/SACD, Arcadi Île-de-France/ Dispositif d'accompagnements Coréalisation au T2G : T&M-Paris, Ensemble intercontemporain Jeudi 14 avril, 19h30 Vendredi 15 avril, 20h30 Lundi 18 avril, 20h30 Mardi 19 avril, 19h30 Jeudi 21 avril, 19h30
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Giordano Bruno, la chair et les cendres
Entretien avec FRANCESCO FILIDEI compositeur Né en 1973 à Pise, organiste accompli et auteur de plus de cinquante œuvres pour des formations variées, Francesco Filidei créera en septembre 2015 à Porto son premier opéra, Giordano Bruno. Cette œuvre dont la construction très élaborée s’inspire des « palais de mémoire » du grand penseur italien retrace les deux procès qui le menèrent au bûcher. Un opéra philosophique plein de bruit et de fureur. Pourquoi consacrer aujourd’hui un opéra à Giordano Bruno ? Giordano Bruno est une figure fascinante, ce qu’on appelle en italien un bastian contrario [nda : quelqu’un qui a l’esprit de contradiction] : il prenait la société à rebrousse-poil et particulièrement l’Église. Cela faisait quelques années que je songeais à faire le portrait en creux de cette puissance aveugle, encore très présente et influente en Italie. Giordano Bruno fut en un sens un provocateur, mais tout ce qu’il fit au fond fut d’éprouver les limites de sa liberté morale et intellectuelle. L’œuvre articule de manière très serrée la philosophie de Giordano Bruno et le récit de ses deux procès. Comment avezvous composé cette double ambition ?
Mon projet était d’écrire un opéra, mais une fois la partition achevée, j’y ai vu beaucoup de similitudes avec celle d’un oratorio. La structure d’ensemble est précise et très formelle et l’œuvre est tout entière organisée autour des douze notes de la gamme chromatique : à chaque scène correspond une note, et donc une couleur harmonique spécifique. Le prologue et la dernière scène sont en fa#, et entre les deux, toutes les notes de la gamme sont parcourues. L’œuvre est composée sur une alternance de deux types de scènes : celles des deux procès dont Giordano Bruno a été l’objet à Venise puis à Rome, et les scènes philosophiques qui ont été composées à partir de ses écrits. Le principe est celui d’un double mouvement ascendant et descendant le long de l’échelle chromatique :
de fa# à do# pour les procès et de sol à do pour la philosophie. L’avant-dernière scène, celle du bûcher, traverse en sens inverse toutes les notes parcourues depuis le prologue et l’opéra se clôt sur une dernière scène en fa#, celle du sommet de la philosophie – « le bien absolu ». Cette structure reprend le principe qui présidait à l’élaboration des palais de mémoire, ces architectures mnémoniques que les rhéteurs édifiaient pour se souvenir des moments de leur discours en y associant un lieu, chaque partie de l’allocution étant associée à une pièce particulière de l’édifice mémoriel. Giordano Bruno a consacré beaucoup de pages à ces palais de mémoire auxquels il attribuait des pouvoirs magiques. Ils jouent un rôle central dans sa philosophie. Dans l’opéra, les pièces sont devenues des notes que
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l’auditeur traverse. Chacune a sa couleur et son allure propre. J’ai tendance, comme de nombreux compositeurs, à personnifier les notes de la gamme, à les associer à des couleurs et des émotions spécifiques : pour moi, le sol est rouge, le fa est vert, etc. C’est quelque chose de très spontané qui trouve ici une raison plus profonde. Imaginez un peintre qui travaille uniquement avec deux couleurs, le blanc et le noir, puis qui se met progressivement à peindre des monochromes avec les différentes couleurs du spectre lumineux. Un jour, il a l’idée de les mettre les uns à côté des autres sur un même mur. C’est exactement comme ça que j’ai procédé Pourriez-vous décrire l’écriture musicale que vous avez développée dans cet opéra ? Diffère-t-elle de celle de vos pièces instrumentales ? L’écriture de cet opéra est très madrigalesque. Il arrive souvent à l’orchestre de figurer avec ses moyens l’humeur des personnages, ce qu’ils se disent et même ce qui se passe au cours de la scène. Par exemple, les mouvements coordonnés des corps célestes dans la deuxième scène – Filosofia I – sont figurés par une superposition de différents motifs rythmiques qui viennent de temps à autre se rejoindre. De la même manière, chaque élément (eau, air, terre, feu) a son motif spécifique. Mais cela ne veut pas dire que mon écriture aurait changé radicalement avec cette œuvre. Dans mes pièces pour ensemble ou pour orchestre, les instruments sont tout aussi bavards ; la différence est peut-être que l’on comprend moins ce qu’ils disent.
L’avant-dernière scène de l’opéra est celle du bûcher. Elle concentre à elle seule la plupart des traits caractéristiques de l’œuvre. Quel est l’enjeu de cette scène ? Il s’agit sans doute de la scène la plus complexe de l’œuvre. Giordano Bruno vient de chanter son dernier air. La scène commence en do# et franchit en un temps assez bref toutes les notes qui la sépare de fa#, la note du prologue à laquelle on revient. Mais plutôt que de les faire se succéder comme dans le reste de l’opéra, je les additionne, reconstituant peu à peu le spectre harmonique de la fondamentale, do. Chaque note est comme une flamme qui s’ajoute au bûcher, envahissant l’espace physique et harmonique. Giordano Bruno ne peut ni chanter ni parler. Il s’exprime par interjections, suites de phonèmes inarticulés qui composent cependant, si on les écoute bien, des bribes d’injures et de blasphèmes dirigés contre le pape et les inquisiteurs. Votre précédente grande œuvre scénique, N.N. pour six voix et six percussions (2007-2009), reposait sur un principe de composition qu’on pourrait qualifier d’intégral. Ce n’est plus le cas de Giordano Bruno. Pourquoi cette différence ? Dans N.N., tous les déplacements et les gestes des interprètes, les chanteurs comme les percussionnistes, étaient écrits. Rien de ce qui se passait sur scène n’était étranger à la musique. Il y avait deux longues tables en bois qui servaient autant d’éléments de décor que d’instruments :
les interprètes s’y confrontaient de toutes sortes de manières, les frappaient, les frottaient, les caressaient, etc. Je constate rétrospectivement que dans la grande pièce pour orchestre et violoncelle que j’ai composée en 2009, Ogni Gesto d’Amore, le geste musical devient plus métaphorique que physique. Et c’est encore plus manifeste dans l’opéra. Le rapport entre le vivant et l’objet que figurait dans N.N. le geste de toucher la table avec ses mains, donnant vie à l’inanimé, devient ici la fusion dans le bûcher de la chair de Giordano Bruno et du bois de la croix. On retrouve les mêmes enjeux mais à un autre niveau, plus symbolique. Le problème devient : comment retrouver le vivant et la vie, quand l’inanimé, la mort, l’a emporté ? C’est ce qu’on entend à la fin de la scène du bûcher. Le spectre harmonique que je construis dans cette scène se transforme en bruit. Mais je ne pouvais évidemment pas terminer l’opéra ainsi et la musique devait revenir ; il fallait trouver un moyen de la faire revenir malgré tout. C’est pourquoi je conserve au cœur même du bruit une minuscule ligne de vie qui sera, quand le feu se sera éteint, le reste à partir duquel la musique renaîtra dans la dernière scène.
Propos recueillis par Bastien Gallet
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Mardi 26 avril
Jeudi 28 avril
Jeudi 5 mai
20H – CAEN
20H30 – BARCELONE
12H – COLOGNE
Théâtre de Caen
Palau de la Música
GIORDANO BRUNO Opéra en deux parties et douze scènes
Hèctor PARRA Sirrt die Sekunde pour ensemble Jonathan HARVEY Death of Light / Light of Death pour ensemble de chambre Pierre BOULEZ Dérive 1 pour six instruments Yan MARESZ Éclipse pour clarinette et quatorze instruments Hèctor PARRA Moins qu'un souffle, à peine un mouvement de l'air pour flûte et ensemble
lieu à déterminer ACHT BRÜCKEN lunch
(cf. p. 82) Renseignements et réservations : theatre.caen.fr
Sophie Cherrier, flûte Jérôme Comte, clarinette Ensemble intercontemporain Pablo Rus Broseta, direction Renseignements et réservations : palaumusica.cat
Jonathan HARVEY Death of Light / Light of Death pour ensemble de chambre Solistes de l’Ensemble intercontemporain Renseignements et réservations : achtbruecken.de
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Vendredi 6 mai
Du 20 au 22 mai
Samedi 21 mai
20H – COLOGNE
BRUXELLES
19H – WROCLAW
Philharmonie ACHT BRÜCKEN
Kaaitheater Horaires à déterminer
Red Hall, National Forum of Music 6th Musica Electronica Nova Festival
Johannes Maria STAUD Par ici ! Musique pour ensemble Johannes Maria STAUD Par là ! Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain Jonathan HARVEY Death of Light / Light of Death pour ensemble de chambre Gérard GRISEY Quatre Chants pour franchir le Seuil pour voix de soprano et quinze musiciens
Thierry DE MEY Taxinomie – La beauté du geste Pièce pour cinq danseurs et cinq musiciens solistes Création mondiale Commande de l'État français et de Charleroi Danses
Jean-Luc HERVÉ Germination Concert-installation, pour ensemble et électronique puis dispositif sonore et végétal Pierre BOULEZ Dérive 1 pour six instruments Yan MARESZ Tutti pour ensemble et dispositif électronique Agata ZUBEL Double Battery pour ensemble et électronique Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain et du Musica Electronica Nova Festival
Mélody Louledjian, soprano Ensemble intercontemporain Tito Ceccherini, direction Robin Meier, Réalisation information musicale Renseignements et réservations : achtbruecken.de
Solistes de l'Ensemble intercontemporain Danseurs Peter Juhász Víctor Pérez Armero Louise Tanoto Ildikó Tóth Sara Tan Siyin François Deppe, collaborateur musical Benoit Meudic, réalisateur en Informatique Musicale Ircam Equipe technique Charleroi Danses Coproduction Charleroi Danses - Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Ensemble intercontemporain, Ircam, Kunstenfestivaldesarts, Théâtre de Liège (Festival Pays de Danses) Dans le cadre de Kunstenfestivaldesarts Renseignements et réservations : kfda.be
Ensemble intercontemporain Guillaume Bourgogne, direction Renseignements et réservations : musicaelectronicanova.pl
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Vendredi 27 mai 20H30 – PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 SCÈNE POUR UN ROI FOU Michael JARRELL Adtende, ubi albescit veritas pour baryton et orchestre David HUDRY The Forgotten City pour ensemble Création mondiale Commande de l’Ensemble intercontemporain Wolfgang RIHM Die Stücke des Sängers pour harpe et ensemble Peter MAXWELL DAVIES Eight Songs for a Mad King pour baryton et ensemble Georg Nigl, baryton, mise en espace Frédérique Cambreling, harpe Ensemble intercontemporain Pablo Heras-Casado, direction Laurent Schneegans, lumières Coproduction Ensemble intercontemporain, Philharmonie de Paris Tarif : 18€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr Dans le cadre du « Week-end Fantastique » à la Philharmonie de Paris du 27 au 29 mai 2016. AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
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La performance de Georg Nigl dans notre spectacle autour du Winterreise de Schubert nous a tellement impressionnés, que nous avons aussitôt voulu renouveler l’expérience avec Eight Songs for a Mad King, une œuvre entre théâtre et musique. Quand on fait ainsi confiance à un artiste, interprète ou compositeur, quand on lui donne une totale liberté, je suis toujours très curieux des surprises qu’il nous réserve : cela ouvre nos horizons. Georg ne m’a pas déçu : quand je lui ai demandé ce qu’il avait envie de faire avec nous, le projet le plus fou et le plus fort qu’il
pourrait imaginer, il m’a parlé des Eight Songs for a Mad King de Peter Maxwell Davies, en me disant qu’il serait très heureux de s’y mettre en scène. Elles ne sont pas spécifiquement écrites pour la scène mais, quand on les écoute, on en aurait presque le sentiment… Je connaissais bien sûr ces Eight Songs depuis longtemps, mais je n’aurais jamais imaginé les jouer avec l’Ensemble. Elles ne sont pas tout à fait le cœur de notre répertoire mais nous aurons un grand plaisir à les interpréter. • Matthias Pintscher
The Forgotten City
Entretien avec DAVID HUDRY compositeur Le 27 mai 2016, l’Ensemble intercontemporain interprétera une création de David Hudry pour 27 instruments, The Forgotten City, premier volet d’une série de pièces autour des villes industrielles en déshérence. Le jeune compositeur nous parle de sa formation, de ses influences et de l’évolution de son écriture. David Hudry, pouvez-vous dire à quel moment est né votre désir de devenir compositeur ? J’ai commencé la musique avec l’étude d’un instrument dont je parle assez rarement : l’accordéon. Après plusieurs années passées à explorer les différentes facettes du répertoire usuel de cet instrument, j’étais las et j’ai donc intuitivement commencé à l’utiliser pour chercher des idées musicales que je transcrivais sur papier. Puis, dans le cadre de mon cursus de musicologie à l’université de Montpellier, j’ai découvert tout le répertoire de la musique du xxe siècle, depuis le sérialisme
jusqu’à la musique concrète et électroacoustique. Parallèlement, je suis entré au Conservatoire de Montpellier dans la classe de composition de Christophe de Coudenhove, avant de déménager à Paris et d’intégrer la classe de composition d’Emmanuel Nunes au CNSMDP. À côté de cet enseignement, j’ai formé ma technique en me plongeant dans la lecture de partitions et d’écrits théoriques de compositeurs. J’ai beaucoup lu les écrits de Carter – j’étais notamment fasciné par ses modulations métriques –, Ferneyhough, Nunes, bien sûr, mais aussi Berio, Ligeti... Les écrits de Boulez m’ont également frappé par leur capacité à créer de fortes
connexions entre le musical et l’extra-musical. Je me suis ainsi rendu compte que la peinture exerçait un fort pouvoir sur mon imagination et que j’avais un rapport visuel à la musique : je me suis alors plongé dans la lecture des écrits théoriques de Klee et Kandinsky – notamment Point et ligne sur plan. Que vous ont apporté ces lectures théoriques relatives à l’art visuel ? Elles m’ont permis d’envisager une forme d’abstraction à laquelle je n’aurais pu accéder si j’étais resté uniquement en contact avec la musique. Les archétypes
90 The Forgotten City Entretien avec David Hudry
que l’on en dégage peuvent être exploités de mille et une façons différentes. Je peux, par exemple, prendre une ligne mélodique comme point de départ, la superposer à elle-même pour obtenir ce que Boulez nomme une hétérophonie ; ou bien agrémenter cette même ligne de diverses formes géométriques (points, lignes, surfaces) qui sont autant d’objets ou gestes musicaux caractérisés. Du coup, la perception que l’on a de cette ligne change selon qu’on l’écoute « nue » ou « habillée » de son contrepoint. Votre musique semble également obéir à un modèle dramaturgique. Vous parlez volontiers de « personnage musical ». Quand la ligne devient-elle personnage ? La notion de « personnage musical » a émergé avec ma pièce pour basson et électronique Impromptu pour un monodrame (2007), une dramaturgie au cours de laquelle cinq « personnages musicaux » s’expriment à travers des couleurs et des écritures différentes bien qu’interprétées par le même instrument – en jouant donc sur les différences de registre, les modes de jeu et de traitement du son. Pour moi, le « personnage musical » naît d’une écriture orientée en fonction des particularités techniques et expressives d’un instrument. J’emploie le terme de personnage car l’instrument a une valeur quasi humaine dans son mode d’expression : c’est la voix de l’alto ou du basson. J’imagine par exemple l’alto comme un personnage romantique, un voyageur errant et solitaire à la Schubert qui parcourt plusieurs de mes pièces. Lorsqu’il n’existe pas cette intimité étroite entre une écriture et un instrument, je préfère parler d’« objet musical » pour désigner des gestes caractéristiques ou des morphologies plus neutres, plus fonctionnelles, qui peuvent s’appliquer indifféremment à divers instruments ou groupes instrumentaux.
Ces objets et personnages musicaux circulent à travers votre œuvre… Oui. Pour moi, composer revient à accompagner un organisme vivant dans son processus complexe d’évolution. Les différentes pièces sont un peu comme des cellules vivantes différenciées qui assurent des rôles spécifiques tout en se répondant mutuellement. Je suis par ailleurs très attaché à l’idée de recontextualiser mes idées antérieures afin de les voir exister autrement dans de nouvelles pièces. Inversement, certaines idées développées dans des anciens projets ne me disent plus rien du tout, elles ne me parlent plus. Je les laisse alors de côté et me dis que peut-être, dans cinq ou dix ans, elles s’imposeront à nouveau d’elles-mêmes. Ce processus se fait très intuitivement. Ma façon de composer a beaucoup évolué à cet égard. Dans mes premières œuvres, j’avais tendance à vouloir tout planifier et à contrôler rigoureusement mon écriture ; une façon pour moi, peut-être, de me rassurer et de donner une certaine consistance à mon travail. J’étais obsédé par les relations « génétiques » entre les éléments au sein d’une œuvre. Peu à peu, je me suis rendu compte qu’il y a des relations qui s’entendent directement, et d’autres purement théoriques qui permettent simplement de donner une cohérence à l’édifice musical. Aujourd’hui, avec un peu de recul sur mon métier, je préfère laisser parler mes intuitions, simplement, et chercher l’expression la plus juste à chacune de mes idées musicales. C’est à mon avis ce qu’il y a de plus difficile à faire dans la composition... Votre création pour l’Ensemble intercontemporain porte le titre The Forgotten City. À quoi renvoie-t-il ? Je nourris depuis plusieurs années un intérêt pour le monde industriel. Dans ma pièce Passage pour 5 instruments et
dispositif électronique, je m’étais inspiré d’un poème d’Émile Verhaeren, « Les usines ». J’ai eu l’idée de The Forgotten City en visitant la ville de Buffalo aux États-Unis, ville qui faisait partie de cette fameuse Manufacturing Belt, aujourd’hui en déshérence. J’y ai vu les ravages de la désindustrialisation : bâtiments entièrement vides, usines désaffectées, maisons de style édouardien laissées à l’abandon… The Forgotten City est une vision métaphorique de cette ville-fantôme. Ce n’est pas de la musique à programme, mais plutôt une interprétation de ce que j’ai pu ressentir, impressions avec lesquelles j’essaie de créer un univers sonore spécifique. J’ai collecté des sons industriels que j’ai analysés grâce aux outils informatiques pour en extraire des informations objectives que je peux utiliser comme point de départ et modifier à ma guise. Ce projet m’amène également à travailler davantage sur le rythme, paramètre qui était parfois un peu banalisé dans mes compositions précédentes. J’y explore notamment le découpage de la pulsation et les différentes façons de scander le temps… The Forgotten City est le point d’ancrage d’un nouveau cycle qui se prolongera avec Machina Humana, une pièce pour 15 instruments et dispositif électronique dans laquelle le son instrumental se mêlera à l’âpreté des sons concrets industriels.
Propos recueillis par Pierre-Yves Macé
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Dimanche 29 mai
Mardi 31 mai
20H – WATTENS
20H30 – PARIS
Swarovski Kristallwelten MUSIK IM RIESEN
Philharmonie de Paris Amphithéâtre Cité de la musique - Philharmonie 2
Peter MAXWELL DAVIES Eight Songs for a Mad King Complément de programme à déterminer Georg Nigl, baryton Ensemble intercontemporain Pablo Heras-Casado, direction
D’UN COMMUN ACCORD Michael JARRELL Assonance IVb pour cor Klaus HUBER Noctes intelligibilis lucis pour hautbois et clavecin Maurice OHANA Sacral d’Ilx pour hautbois, cor et clavecin Carl Philipp Emanuel BACH Sonate en sol mineur, Wq 135 pour hautbois et continuo Carl Heinrich GRAUN Concerto en mi majeur pour cor, hautbois d’amour et continuo Antonio VIVALDI Sonate en sol mineur, RV 81 pour deux hautbois et continuo Carl Heinrich GRAUN Concerto en mi bémol majeur pour cor, deux hautbois et continuo Solistes de l’Ensemble intercontemporain Solistes des Arts Florissants Coproduction Ensemble intercontemporain, Les Arts Florissants, Philharmonie de Paris Tarif : 32€ Réservations : 01 44 84 44 84 philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
Vendredi 3 juin Samedi 4 juin 20H30 – PARIS Centre Pompidou, Grande salle Thierry DE MEY Taxinomie – La beauté du geste Pièce pour cinq danseurs et cinq musiciens solistes Création française Commande de l'État français et de Charleroi Danses Solistes de l'Ensemble intercontemporain Danseurs Peter Juhász Víctor Pérez Armero Louise Tanoto Ildikó Tóth Sara Tan Siyin François Deppe, collaborateur musical Benoit Meudic, réalisateur en informatique musicale Ircam Equipe technique Charleroi Danses Coproduction Charleroi Danses - Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Ensemble intercontemporain, Ircam-Centre Pompidou, Kunstenfestivaldesarts, Théâtre de Liège (Festival Pays de Danses) Dans le cadre de ManiFeste-2016, festival de l'Ircam Tarifs : 18/14/10€ Renseignements et réservations : Tél : 01 44 78 12 40 billetterie@ircam.fr
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Vendredi 10 juin 20H30 - PARIS Philharmonie de Paris Salle des concerts Cité de la musique – Philharmonie 2 TEMPS RÉEL Aureliano CATTANEO Nouvelle œuvre pour piano et électronique Création mondiale Commande de l’Ircam-Centre Pompidou Brian FERNEYHOUGH Inconjunctions pour ensemble Création française Beat FURRER linea dell’orizzonte pour ensemble Yan MARESZ Tutti pour ensemble et dispositif électronique Sébastien Vichard, piano Ensemble intercontemporain Matthias Pintscher, direction Thomas Goepfer, réalisation informatique musicale Ircam Coproduction Ensemble intercontemporain, Ircam-Centre Pompidou et Philharmonie de Paris dans le cadre de ManiFeste-2016, festival de l’Ircam Tarif : 18€ Réservations : 01 44 84 44 84 www.philharmoniedeparis.fr AVANT LE CONCERT Clé d'écoute à 19h45 Présentation des œuvres au programme du concert par Clément Lebrun Entrée libre
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Entretien avec YAN MARESZ compositeur Vous écrivez une musique qu’on peut qualifier de « complexe », même si cette complexité n’est pas toujours apparente… La complexité est inhérente à toute écriture. À partir du moment où la structure est solide, je ne m’intéresse qu’à la « communicabilité » de la musique, à ce qu’elle porte en elle. Ce n’est pas un retour nostalgique vers l’expressivité, mais c’est ma façon d’écouter la musique. J’ai parfois réalisé des travaux de recherche qui n’ont pas forcément abouti dans une œuvre ; et inversement, je peux élaborer des systèmes qui deviennent de la musique. Mais pour devenir une œuvre, il faut un supplément d’âme. C’est parfois le fait d’accident, de reniements, mais ce n’est pas réductible à une technique. C’est la complexité de la personnalité de celui qui écrit. Révéler la complexité à l’écoute n’est intéressant que si cela relève du projet artistique. Dans Tutti, vous travaillez la notion de ripieno et la notion de bloc instrumental. Quels sont les principes fonctionnels de cette pièce ? L’idée de départ, c’est la problématique de l’écriture de l’ensemble avec électronique. Avec un petit ensemble, la place de l’électronique se fait aisément mais plus l’effectif est grand, plus le rôle de l’électronique est difficile à situer et à justifier après coup. Je me suis souvent posé cette question en écoutant des pièces mixtes dans lesquelles l’électronique n’avait pas une place si importante que ça. Ces pièces pouvaient s’écouter avec ou sans électronique, sans que cela fasse une différence. Les pièces avec électronique sont « surécrites » pour l’électronique. Dans Tutti, j’ai cherché quel était le meilleur moyen de travailler ce rapport. Ma première solution était de considérer l’ensemble comme un seul et même instrument – un tutti –, polychrome certes, mais avec de multiples possibilités individuelles par-
ticipant néanmoins à l’idée d’un tout. L’électronique est ainsi le complément de ce que ne font pas les instruments. Les instruments ne pourraient-ils pas restituer les effets rendus par l’électronique ? Ils pourraient tout à fait les réaliser mais au lieu de surcharger la partition de détails, d’ornementations, de modes de jeu, j’ai préféré une écriture instrumentale plus simple et plus aérée, de telle sorte que l’électronique vienne se placer dans les espaces complémentaires. Par exemple, au lieu d’écrire un tremolo sur une note sul ponticello, je joue simplement une note et j’ai un système électronique qui vient faire quelque chose dans l’espace des notes. Cela produira quelque chose de différent d’un tremolo ponticello mais c’est là tout l’intérêt. On entend cet effet car il y a un espace prévu pour le placer… ce qui est rarement le cas dans les œuvres mixtes. On ne peut pas entendre Tutti sans électronique, ça n’a aucun sens. Ça pose d’ailleurs un problème lors des répétitions car il y a très peu de matière instrumentale. C’est uniquement le rapport entre l’électronique et l’ensemble qui fait qu’on entend quelque chose d’extrêmement complet et complexe. Ce « tout » est analysé par l’ordinateur qui fabrique un complément sous forme de processus en temps réel. Il y a un suivi de tempo continu (et de déclenchement) qui est assuré par le clavier dans l’orchestre. Parfois le clavier suit le chef, parfois il envoie des instructions. Les processus eux-mêmes sont écrits. Ils ont parfois une certaine dose de liberté (certains processus peuvent changer d’une lecture à l’autre), mais ça reste dans un cadre statistique des chaînes de Markov par exemple. L’écriture de la dramaturgie est intimement liée à la notion d’espace. Je me demandais comment justifier la présence du son dans des haut-parleurs audessus de la tête alors qu’on est focalisés sur ce qui se passe sur la scène. La plu-
part du temps, on entend le son acoustique et on ne sait pas pourquoi le son voyage autour de soi. Dans l’acousmatique, le problème ne se pose pas, mais avec des instruments acoustiques, c’est plus délicat. Il est difficile de justifier que ce n’est pas un effet. J’ai donc voulu fabriquer un dispositif électronique qui permette de ne pas percevoir la différence entre acoustique et électronique. On perçoit un ensemble « augmenté », sans pouvoir localiser où sont les sons électroniques et instrumentaux. C’est une mixture continuelle ; à certains moments la musique électronique s’autonomise et se perçoit comme musique acousmatique puis elle retourne dans l’orchestre. C’est une forme de porosité entre le structurel et la sensation. Mais je dois reconnaître qu’il n’y a aucune autre raison à ces mouvements spatiaux que la dramaturgie. De votre point de vue, quels territoires technologiques restent encore à explorer ? Certainement, de rechercher toujours plus d’interactions avec les machines. Personnellement, je m’intéresse davantage au domaine acoustique. D’où mon implication dans l’orchestration et la perception psychoacoustique, autour du développement d’un logiciel destiné à l’orchestration. Ce travail se pose comme une rétroaction de toutes les technologies qui sont développées à l’Ircam et ailleurs. Envisagez-vous la disparition de l’instrument ? Non, je ne suis pas attiré par la musique acousmatique. Je l’enseigne, mais ça ne m’attire pas. J’ai vraiment besoin de la beauté du geste instrumental, du rayonnement, de la présence sonore d’une source vivante. L’accompagner, la rendre ambiguë, oui. Envisager sa disparition, non.
Propos recueillis par David Verdier
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Samedi 2 juillet 20H – PARIS Le Centquatre Œuvres des étudiants ayant participé aux ateliers de composition pour ensemble de l'Académie ManiFeste-2016, festival de l’Ircam Ensemble intercontemporain Julien Leroy, direction Coproduction Ircam-Centre Pompidou, Ensemble intercontemporain, ensemble associé de l’académie. Renseignements et réservations : Tél : 01 44 78 12 40 billetterie@ircam.fr
Ce concert fait partie de l'édition 2016 de l'académie ManiFeste. Je suis très heureux que nous soyons chaque année un acteur central de ce festival organisé par l’Ircam. À l’instar de l’académie du Festival de Lucerne, ManiFeste est l’une des expériences les plus gratifiantes qui soient, en cela qu’il permet de travailler avec les jeunes musiciens pour les aider à trouver leur identité. Il ne suffit pas de concevoir des programmes parfaits, d’inventer de nouveaux formats ou de penser à la billetterie, il faut aussi et surtout investir l’avenir. C’est tout l’enjeu de ce projet. Je n’ai jamais participé à une telle académie étant jeune. La seule expérience qui pourrait s’en approcher est cette chance que j’ai eue, à 20 ans, d’être invité par Hans Werner Henze à Montepulciano. Je n’ai jamais échangé qu’avec mes aînés – Henze, Lachenmann, Rihm et Ferneyhough – et si ces discussions étaient passionnantes, je crois que j’aurais pu aussi beaucoup apprendre de mes pairs. D’où ma volonté redoublée de faire profiter les jeunes compositeurs et chefs d’orchestre de toute cette animation parisienne, de ce terreau fertile, et de leur faire rencontrer d’autres artistes en devenir, comme eux. • Matthias Pintscher
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L'acte d'écrire
Extrait de « Les Neurones enchantés - le cerveau et la musique » PIERRE BOULEZ, JEAN-PIERRE CHANGEUX, PHILIPPE MANOURY Éditions Odile Jacob, 2014 JEAN-PIERRE CHANGEUX : Le travail de composition, « l’invention de l’inattendu », n’est pas seulement une cogitation mentale par laquelle l’artiste conçoit des assemblages de sons. Tôt ou tard, celui-ci retranscrit les images sonores qu’il a en tête sous la forme d’une notation écrite sur le papier ou enregistrée. Cela soulève pour nous plusieurs problèmes. Le premier est celui de la chaîne d’événements neuro-
naux allant de la représentation mentale à la représentation motrice qui crée les mouvements adéquats de la main et du doigt tenant le stylo, le pinceau ou tapant sur le clavier de l’ordinateur. Il s’agit du problème très général de la commande motrice, à propos duquel nous possédons une information considérable1. Le second, qui nous est plus spécifique, est celui de la représentation graphique d’événements
sonores musicaux conscients, entendus par notre « oreille intérieure », et de leurs éventuels effets sur le travail de composition. PIERRE BOULEZ : En effet, je ne conçois pas la composition musicale sans papier. Sans aller jusqu’à invoquer le concept de « musique de papier », de Papiermusik, qu’ont forgé et discuté certains théori-
1 Jeannerod M., Motor Cognition : What Actions Tell the Self, Oxford University Press, 2006 ; Berthoz A., Le Sens du mouvement, Paris, Odile Jacob, 1997 ; Berthoz A., La Décision, Paris, Odile Jacob, 2003.
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ciens, mais aussi certains compositeurs de la Nouvelle Musique dans son temps2, il est certain cependant que l’écriture de la musique a aussi engendré une écriture à lire autant qu’à entendre, et quelquefois même plus à lire qu’à entendre. J’ai déjà évoqué la virtuosité de l’écriture de Bach dans L’Art de la fugue, celle des motets isorythmiques ; on peut y associer les techniques d’écriture liées à la série de douze sons. PHILIPPE MANOURY : Comment voyez- vous votre propre évolution dans le domaine de l’écriture, Pierre Boulez ? Car si l’on pense à la complexité de l’écriture rythmique de votre Deuxième Sonate pour piano, on voit que vous vous êtes par la suite tourné vers, non pas une simplification, mais plutôt vers une rationalisation de l’écriture, pour la mettre plus en accord avec ce que vous vouliez entendre, et donner à entendre. P. B. : Je me suis libéré de la sainteté de l’écriture, qui me paraissait ne mener à rien. Je ne suis pas pour dissimuler les choses. En dissimulant, on révèle davantage que lorsqu’on étale explicitement. Pour moi, l’écriture est quelque chose d’abstrait, mais que l’on doit tout de même entendre. La musique doit être entendue. Mais qu’entend-on exactement ? Je me pose moi-même quelquefois la question. Dans une œuvre classique que je connais, mais que je n’ai pas entendue depuis longtemps, je me perds parfois. Ou plus exactement, je me dis : « Tiens, cela devrait aller dans telle direction ; mais non, cela va dans une autre ! » Je viens de réécouter Le Sacre du printemps dans la chorégraphie de Pina Bausch. Et j’ai découvert
des détails qu’auparavant je négligeais parce que c’était plutôt la grande forme qui m’intéressait. P. M. : Ce n’est pourtant pas une forme très complexe… P. B. : Non, en effet, c’est une succession de panneaux. Stravinsky m’a dit – et il a bien fait de le dire – que Le Sacre du printemps a été très vite assimilable parce que sa forme était extrêmement simple et extrêmement divisée. P. M. : Selon vous, l’écriture est donc là pour faire évoluer le matériau, et non pour être cultivée en soi. P. B. : L’écriture n’est pas un but en soi. C’est un moyen au service de l’expression : elle est là pour exprimer un contenu, même abstrait. Quand j’entends une œuvre de Schönberg, comme Pierrot lunaire ou la Serenade, je ne m’interroge pas chaque fois sur ce qu’il voulait exprimer. Mais je sens, surtout dans la Serenade, que ce qu’il exprime est parfaitement adéquat à son langage. J.-P. C. : Les sons musicaux sont en général continus et suivent des rythmes qui peuvent varier dans le temps, eux aussi de manière continue. L’enjeu consiste à découper ces phénomènes sonores en notes et à représenter graphiquement leur hauteur et leur durée. Ne peut- on pas redouter une sorte d’« enfermement réducteur » dans ce processus de transcription des objets mentaux en signes écrits ? Chacun connaît la portée de cinq lignes, avec des notes de forme circulaire pleines ou vides, munies d’une hampe plus ou moins char-
gée pour signifier hauteurs et valeurs. Ce système de notation graphique auquel notre œil est habitué suffit-il pour transcrire votre écoute intérieure à l’heure de l’ordinateur et de la musique électroacoustique ? P. B. : La notation traditionnelle ne suffit absolument plus. Il faut des schémas d’action, une programmation, et des transcriptions graphiques dans la durée pour pouvoir suivre. P. M. : Si la notation traditionnelle ne suffit plus, imaginez-vous, ne fût-ce que vaguement, ce que pourrait être une nouvelle partition susceptible de prendre en charge des phénomènes sonores propres à la musique électronique ? P. B. : Plus on recherche la précision dans la notation, plus elle fuit. Les objets électroniques sont si peu standardisés, tellement complexes, changeants, et tellement soumis à la perception individuelle, que l’entreprise est difficile. C’est un peu la même chose avec les modes de jeu non conventionnels pour les instruments. Dans ce cas, je pense surtout à des notations d’actions. J.-P. C. : À quoi exactement correspond ce que vous appelez la notation d’actions ? P. B. : La notation d’actions indique la manière dont le musicien doit jouer, un doigté particulier par exemple, et diffère en cela de la notation de partition qui est une notation de résultats. P. M. : La partition d’actions rejoint alors les anciennes tablatures, comme
2 Par exemple, Carl Dahlhaus, Earle Brown, Roman Haubenstock- Ramati ou, partiellement, Theodor Adorno et György Ligeti dans les années 1950 et au début des années 1960, à propos des partitions graphiques destinées à la vue plus qu’à une interprétation « fidèle », censées ainsi libérer la musique et les interprètes du poids de l’héritage du passé.
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celles que l’on utilisait pour les luths à la Renaissance. P. B. : Il faut en effet une tablature. Dans la pratique, pour des pièces très précises, s’il n’y a pas de notation d’actions – sur le hautbois, le basson, etc. –, on n’est jamais sûr de ce que l’on exécute. Il faut donc marquer le doigté, mais quelquefois aussi le résultat, car si l’on joue en pressant l’anche plus ou moins fort, le son diffère, malgré le même doigté. P. M. : Ce qui manque encore à la musique électronique, c’est une notation symbolique capable de représenter certains états sonores, des sons inharmoniques par exemple, des sons bruités ou différents sons non encore répertoriés. P. B. : C’est selon moi impossible à réaliser parce que, plus on avance dans la complexité sonore, moins un symbole peut convenir pour y renvoyer, comme si l’on voulait inventer une notation symbolique commune pour le danois, le flamand et le vietnamien. Vous souhaiteriez ainsi en appeler à une espèce d’espéranto ? P. M. : Ce n’est pas exactement cela. Il s’agit non pas de créer une écriture qui rassemblerait tous les possibles, mais d’en inventer une qui permettrait de faire des transformations beaucoup plus organiques. Car, pour l’instant, les sons restent trop souvent enfermés dans une représentation numérique. Or la représentation numérique, si elle peut être pratique, n’est pas du tout intuitive pour un musicien. P. B. : Je comprends mais simplement je suis sceptique sur les possibilités réelles d’une telle notation. Car plus on s’approche du phénomène sonore lui-même, plus on a besoin d’un symbole complexe.
Je crains qu’une telle écriture symbolique ne soit finalement si complexe qu’elle en devienne non maîtrisable – surtout dans l’immédiat. P. M. : Dans ce rêve de disposer enfin d’une notation symbolique, peut-être y a-t-il un brin de ressemblance avec la démarche du géographe d’une nouvelle de Borges qui s’efforce de dresser la carte d’un territoire aussi précise que l’est le territoire lui-même. J.-P. C. : Cette capacité d’écrire et de lire est une disposition propre au cerveau de l’homme, qui n’a évidemment pas été sélectionnée à cette fin au cours de l’évolution des ancêtres d’Homo sapiens. L’apprentissage de l’écoute chez un enfant exploite la plasticité exceptionnelle du cerveau en développement par une sélection synaptique organisée, stabilisant de manière privilégiée les circuits de l’écriture propres à la culture dans laquelle l’enfant est élevé. Ces circuits mettent en relation fonctionnelle l’activité neuronale évoquée par la lecture des lettres du mot écrit avec les objets de sens stockés dans la mémoire à long terme. L’analyse de ces circuits, connus depuis le début du xxe siècle avec les travaux de Dejerine, révèle une contribution importante – cela vous surprendra peut-être – des voies de l’audition3. Effectivement, lorsque nous lisons ou écrivons un mot, nous le prononçons tacitement. Nous l’entendons avec notre « oreille intérieure ». En d’autres termes, nous y avons un accès conscient sous une forme auditive. L’imagerie cérébrale le confirme4. Cela suggère que des voies semblables interviennent dans l’écriture et la lecture de la musique, bien qu’il faille s’attendre à ce qu’elles diffèrent dans le détail de celles intervenant dans la lecture
du langage, au même titre que des différences existent dans les circuits engagés dans la lecture du kanji et de l’écriture alphabétique. La plasticité du cerveau de l’enfant et, dans une moindre mesure, celle du cerveau adulte sont telles qu’on peut imaginer l’invention de nouveaux systèmes d’écriture musicale plus universels, de nouveaux circuits à stabiliser ! P. B. : Pour la musique électronique, sans doute un nouveau système d’écriture ou, plutôt, un système de représentation symbolique finira-t-il par être inventé un jour. Sera-t-il d’emblée universel ou faudra-t-il passer par une période plus ou moins longue de coexistence de plusieurs systèmes provisoires ? Qui sait ? Mais pour la musique acoustique, instrumentale ou vocale, le système d’écriture dont nous disposons me semble suffisamment complexe, à la fois précis et abstrait, et je vois mal quel autre système pourrait venir utilement le remplacer. L’imaginaire musical du compositeur occidental repose d’ailleurs très directement sur ce système d’écriture là, et sur aucun autre. Pour composer, il est indispensable de pouvoir imaginer le résultat sonore sans aucun intermédiaire instrumental, au moyen de l’écoute intérieure, qui s’appuie sur l’écriture. Mais plus qu’imaginer, il faut entendre. Cette capacité d’écoute intérieure permet au compositeur de projeter des objets sonores complexes – avec leurs hauteurs, leurs durées, leurs vitesses superposées, les densités, etc. – qui se configurent hors de toute réalité concrète dans son imaginaire. Il lui permet aussi de leur affecter une représentation graphique adéquate. P. M. : On n’a encore rien trouvé de mieux que le solfège traditionnel pour relier l’écriture avec la réalité sonore.
3 Dejerine J., Anatomie des centres nerveux, Paris, Rueffet Cie, 1895, vol. 1. 4 Dehaene S., Pegado F., Braga L. W., Ventura P., Nunes Filho G., Jobert A., Dehaene- Lambertz G., Kolinsky R., Morais J., Cohen L., « How learning to read changes the cortical networks for vision and language », Science, 2010, 330, p. 1359-1364.
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J.-P. C. : Les compositions musicales existent sous forme de partitions écrites. Dans le cerveau du compositeur de multiples opérations mentales précèdent l’acte d’écrire. P. B. : S’il s’agit, par exemple, des pouvoirs expressifs de la résonance, mon désir va d’abord tenter, d’une façon vague, de comparer des résonances, de les juxtaposer, de les superposer, de les traiter, au sens où je peux les laisser se prolonger ou, au contraire, les interrompre de façon plus ou moins abrupte. Ce n’est pas encore de l’écriture, et c’est pourtant déjà de l’écriture. J.-P. C. : Cette combinatoire mentale imaginée doit être incarnée en termes de registres, intervalles, timbres, dynamiques temporelles, etc. L’écriture effective, sur le papier, aide-t-elle à cette transcription de l’idée ? Et réciproquement, le fait de vous exprimer par écrit influence-t-il votre travail mental d’invention ? P. B. : Absolument. L’écriture est indispensable non seulement pour pouvoir reproduire l’idée originale et lui donner le maximum d’efficacité, mais aussi pour la développer. Si elle a le loisir ou le désir de s’approfondir, elle peut mener vers d’autres territoires, comme les contrastes entre temps lisse et temps strié, la disposition verticale d’un bloc sonore, l’organisation des profils dynamiques, etc.
P. B. : Cela se fait généralement en deux temps : je réalise d’abord une « version réduite » – ce que les Allemands appellent der Particell – qui consiste à simplement noter les lignes principales ; ensuite, intervient une phase d’instrumentation avec multiplication de plans, de perspectives, d’hétérophonies, d’ornementations, etc. L’instrumentation est une part capitale de l’invention. On peut aussi élaborer des schémas qui, par des balises disposées de loin en loin, donnent une idée encore passablement intuitive de la durée. Le plus difficile est de veiller au bon équilibre entre la succession des totalités partielles qui s’agglomèrent en une totalité définitive. J.-P. C. : Vous mentionnez que, « quelles que soient les trajectoires et les sources d’invention, c’est toujours l’écriture que nous trouvons comme ferment de l’invention5 ». Qu’entendez-vous par là ? P. B. : L’écriture musicale, c’est « le combat avec l’ange » ; elle oblige à trouver, à inventer. Elle décompose un matériau et, par là même, incite au développement et à la transformation. Klee en a donné de magnifiques exemples dans ses cours au Bauhaus. L’écriture pose des problèmes, et l’on est obligé de trouver des solutions.
J.-P. C. : Une partition d’orchestre est tellement complexe – elle couvre des dizaines de portées verticales et se développe horizontalement sur des dizaines de minutes, voire plus ! Comment s’effectue cette réalisation des objets mentaux musicaux que vous imaginez ?
5 Boulez P., Leçons de musique, Paris, Christian Bourgois, coll. « Musique passé présent », 2005.
Extrait : Chapitre 5 « Conscient et non-conscient dans l’invention musicale ; L'acte d'écrire » p. 168 à 175 Avec l'aimable autorisation des Editions Odile Jacob
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L’ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN Ensemble résident à la Philharmonie de Paris Créé par Pierre Boulez en 1976 avec l’appui de Michel Guy (alors secrétaire d’État à la Culture) et la collaboration de Nicholas Snowman, l’Ensemble intercontemporain réunit 31 solistes partageant une même passion pour la musique du XXe siècle à aujourd’hui. Constitués en groupe permanent, ils participent aux missions de diffusion, de transmission et de création fixées dans les statuts de l’Ensemble. Placés sous la direction musicale du compositeur et chef d’orchestre Matthias Pintscher ils collaborent, au côté des compositeurs, à l’exploration des techniques instrumentales ainsi qu’à des projets associant musique, danse, théâtre, cinéma, vidéo et arts plastiques. Chaque année, l’Ensemble commande et joue de nouvelles œuvres qui viennent enrichir son répertoire. En collaboration avec l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/ Musique (Ircam), l’Ensemble intercontemporain participe à des projets incluant des nouvelles technologies de production sonore.
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Les spectacles musicaux pour le jeune public, les activités de formation des jeunes instrumentistes, chefs d’orchestre et compositeurs ainsi que les nombreuses actions de sensibilisation des publics, traduisent un engagement profond et internationalement reconnu au service de la transmission et de l’éducation musicale. Depuis 2004, les solistes de l’Ensemble participent en tant que tuteurs à la Lucerne Festival Academy, session annuelle de formation de plusieurs semaines pour des jeunes instrumentistes, chefs d’orchestre et compositeurs du monde entier. En résidence à la Philharmonie de Paris depuis son ouverture en janvier 2015 (après avoir été résident de la Cité de la musique de 1995 à décembre 2014), l’Ensemble se produit et enregistre en France et à l’étranger où il est invité par de grands festivals internationaux. Financé par le ministère de la Culture et de la Communication, l’Ensemble reçoit également le soutien de la Ville de Paris.
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Matthias Pintscher DIRECTEUR MUSICAL Composition et direction d’orchestre : dans l’esprit de Matthias Pintscher, ces deux domaines d’activité sont totalement complémentaires. « Ma réflexion de chef d’orchestre est enrichie par mon propre processus d’écriture, et vice versa », explique-t-il. Créateur d’œuvres majeures pour des orchestres de premier plan, sa sensibilité de compositeur lui apporte une compréhension de la partition « de l’intérieur » qu’il partage avec les musiciens. Matthias Pintscher entretient ainsi d’étroites collaborations avec de grands interprètes (Gil Shaham, Julia Fischer, Frank Peter Zimmermann, Truls Mørk, Emmanuel Pahud, Tabea Zimmermann, Antoine Tamestit, Jean-Yves Thibaudet, etc.) et des chefs du monde entier tels que Simon Rattle, Pierre Boulez, Claudio Abbado, Valery Gergiev, Christoph von Dohnányi, Kent Nagano, Christoph Eschenbach, Franz Welser-Möst ou Daniel Harding. Artiste associé du BBC Scottish Symphony Orchestra depuis la saison 2010-2011, il est aussi artiste en résidence de l’Orchestre de la Radio danoise depuis mai 2014. Il dirige aujourd’hui régulièrement en Europe, aux États-Unis, en Australie de grandes formations internationales parmi lesquelles l’orchestre philharmonique de New York, orchestres symphoniques de Milwaukee et de l’Utah, orchestres symphoniques de la BBC, de la RAI, de Sydney et de Melbourne, orchestres du Théâtre Mariinsky, de l’Opéra de Paris, de la Staatskapelle de Berlin, de la Bayerische Rundfunk, de la NDR Hambourg et Leipzig, de la Tonhalle de Zürich, Mahler Chamber Orchestra, Philharmonia de Londres, etc. En 2015-2016 il retrouvera notamment l’orchestre philharmonique de Berlin, l’orchestre de la Radio de Francfort, les orchestres symphoniques de la NDR et de la WDR, l’orchestre philharmonique d’Helsinki, l’orchestre symphonique de l’Utah, le Scharoun Ensemble. Il dirigera pour la première fois l’orchestre de la Suisse Romande, l’orchestre symphonique de Toronto, l’orchestre de chambre de Los Angeles. En février 2016, il créera son nouveau concerto pour violoncelle interprété par Alisa Weilerstein et l’orchestre National du Danemark. Cette saison sera également marquée par la tournée de l’Ensemble intercontemporain aux États-Unis en novembre 2015. Engagé dans la diffusion du répertoire contemporain, Matthias Pintscher devient directeur musical de l'Ensemble intercontemporain en septembre 2013. Il collabore aussi avec de nombreux ensembles tels que l’Ensemble Modern, le Klangforum Wien, l’Ensemble Contrechamps, l’Ensemble Avanti (Helsinki), le Remix Ensemble (Porto) et le Scharoun Ensemble du Philharmonique de Berlin. Matthias Pintscher est également directeur artistique de l’Académie du festival de Printemps de Heidelberg, dédiée aux jeunes compositeurs. Sa passion pour la pédagogie trouve un nouveau développement à la Juilliard School de New York où il est nommé professeur de composition en septembre 2014.
En 2012, il est sélectionné par la Commission Roche pour sa création Chute d’Étoiles dont la première a lieu au Festival de Lucerne en août de cette même année, avec l’orchestre de Cleveland sous la direction de Franz Welser-Möst. L’œuvre est ensuite reprise au Severance Hall de Cleveland et au Carnegie Hall en novembre 2012. Matthias Pintscher suit une formation musicale dès son plus jeune âge (piano, violon, percussion). À 15 ans, il dirige l’orchestre symphonique des jeunes de la ville de Marl en Allemagne. Il commence à composer quelques années plus tard parallèlement à sa formation en direction d’orchestre, notamment auprès de Peter Eötvös en 1994 à Vienne. Depuis, il partage ses activités entre la composition et la direction d’orchestre. Ses créations se distinguent par la délicatesse de leur univers sonore, le raffinement de leur construction et leur précision d’expression. Elles sont interprétées par des grands orchestres philharmoniques et symphoniques (parmi lesquels ceux de Berlin, New York, Cleveland, Chicago, Londres et Paris) et des ensembles spécialisés cités pus haut. Matthias Pintscher est l’auteur de deux opéras (dont L’Espace dernier, créé à l’Opéra national de Paris-Bastille en 2004), de nombreuses œuvres orchestrales, de concertos (dont Mar’eh, concerto pour violon créé en 2011 par Julia Fischer et l’orchestre philharmonique de Londres, le cycle en trois parties Sonic Eclipse, Bereshit créé en 2013, idyl créé en octobre 2014 par l’orchestre de Cleveland dirigé par Franz WelserMöst), et d’œuvres de musique de chambre (dont Uriel pour violoncelle et piano créé en 2013). L'ensemble de ses œuvres sont toutes publiées aux éditions Bärenreiter. Matthias Pintscher a enregistré plus de vingt disques pour de nombreux labels : Kairos, EMI, ECM, Teldec, Wergo, Winter &Winter, etc. Il réside aujourd’hui à New York après avoir vécu à Paris, deux villes, deux cultures qu’il a choisies pour leur caractère complémentaire.
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ÉQUIPE ARTISTIQUE
ÉQUIPE ADMINISTRATIVE ET TECHNIQUE
CONSEIL DE L’ENSEMBLE
Directeur musical Matthias Pintscher
Directeur général Hervé Boutry Directrice administrative et financière Sophie Quéré Responsable coordination artistique Alix Sabatier Responsable production et diffusion Marine Gaudry Responsable comptable Christelle Coquille Régisseur général Jean Radel Régisseur son/plateau Nicolas Berteloot Régisseur plateau Samuel Ferrand Bibliothécaire Damien Degraeve Adjointe régie/bibliothèque Caroline Barillon Chargée des actions éducatives Sylvie Cohen Responsable communication Luc Hossepied Chargée de communication et mécénat Émilie Roffi
Président d’honneur Pierre Boulez Président Henri Loyrette Membre d'honneur Jack Ralite
Flûtes Sophie Cherrier, Emmanuelle Ophèle Hautbois Philippe Grauvogel, Didier Pateau Clarinettes Jérôme Comte, Alain Damiens Clarinette basse Alain Billard Bassons Pascal Gallois, Paul Riveaux Cors Jens McManama, Jean-Christophe Vervoitte Trompettes Clément Saunier, nn Trombones Jérôme Naulais, Benny Sluchin Tuba - nn Percussions Gilles Durot, Samuel Favre, Victor Hanna Pianos/claviers Hidéki Nagano, Dimitri Vassilakis, Sébastien Vichard Harpe Frédérique Cambreling Violons Jeanne-Marie Conquer, Hae-Sun Kang, Diégo Tosi Altos Odile Auboin, nn Violoncelles Éric-Maria Couturier, Pierre Strauch Contrebasse Nicolas Crosse
MEMBRES DE DROIT Fleur Pellerin, Ministre de la Culture et de la Communication, représentée par Michel Orier, Directeur général de la création artistique Anne Hidalgo, Maire de Paris représentée par Bruno Juillard, Premier adjoint au Maire, chargé de la culture Pascale Henrot, Directrice de l'Office National de Diffusion Artistique Anne Tallineau, Directrice générale déléguée de l’Institut Français Jean-Pierre Tronche, Inspecteur de la création et des ensembles français artistiques, désigné par le Ministre de la Culture et de la Communication
PERSONNALITÉS QUALIFIÉES Nicholas Snowman, vice-président Jean-Philippe Billarant, trésorier Pascal Dusapin Karine Gloanec Maurin Brigitte Lefèvre Suzanne Pagé
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INFORMATIONS PRATIQUES RÉSERVATIONS
LA GAÎTÉ LYRIQUE
VILLA SAVOYE
Toutes les réservations et les souscriptions aux différentes formules d’abonnement se font directement auprès des salles accueillant l’Ensemble intercontemporain. Coordonnées des salles et organisateurs parisiens et franciliens ci-dessous. Pour les coordonnées en régions et à l’étranger voir directement les pages de ces concerts sur : ensembleinter.com
3 bis rue Papin 75003 Paris gaite-lyrique.net Réservations : Tél. 01 53 01 51 51 En ligne : gaite-lyrique.net/billetterie
82 rue de Villiers 78300 Poissy villa-savoye.monuments-nationaux.fr Réservations : Tél. 01 39 65 01 06
CENTRE POMPIDOU Grande Salle/niveau-1 Place Georges-Pompidou 75004 Paris centrepompidou.fr Réservations : Aux caisses du Centre Pompidou (de 11h à 20h, sauf le mardi) En ligne : centrepompidou.fr/billetterie
CENTRE OLIVIER MESSIAEN 4 rue Proudhon 94500 Champigny-sur-Marne Tél. 01 45 16 91 07
CONSERVATOIRE NATIONAL SUPÉRIEUR DE MUSIQUE ET DE DANSE DE PARIS 209 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris Tél. 01 40 40 45 45 conservatoiredeparis.fr reservation@cnsmdp.fr
LE CENTQUATRE 5 rue Curial 75019 Paris Réservations : Tél. 01 53 35 50 00 En ligne : 104.fr
IRCAM
ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN
1 place Igor-Stravinsky 75004 Paris Tél : 01 44 78 12 40 ircam.fr
Association loi 1901 Licence d’entrepreneur de spectacles N° 2-1063215
PHILHARMONIE DE PARIS 221 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris philharmoniedeparis.fr Réservations : Tél. 01 44 84 44 84 En ligne : philharmoniedeparis.fr
T2G-THÉÂTRE DE GENNEVILLIERS Centre Dramatique National de Création Contemporaine 1 avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers theatre2gennevilliers.com Réservations : Tél. 01 41 32 26 26 (du mardi au samedi de 13h à 19h) theatre2gennevilliers.com
LE TRITON 11 bis rue du Coq Français 93260 Les Lillas Réservations : Tél. 01 49 72 83 13 letriton.com
CRÉDITS PHOTOS p.49, 59, 100, 104 (photo centre et droite) © Luc Hossepied pour l'Ensemble intercontemporain / p.53, 55, 57, 102, 106 © Frank Ferville / p.101 © Matthias Baus / p.104 (gauche) : Franck Vigroux/ Antoine Schmitt, Tempest © Caroline Hayeur © EMILIE SATRE p.4 Sans titre, 2014 - encre acrylique sur papier, 23x30,5 cm / p.8 Sans titre, 2010 - gouache sur papier, 21x14,8 cm / p.10 The Healer, 2013 - gouache sur papier, 21x30 cm / p.14 Sans titre, 2010 - tempera sur papier, 24x32 cm / p.18 Sans titre, 2008 - gouache sur papier, 30x42cm / p.21 Sans titre, 2014 - encre acrylique sur papier, 24x32 cm / p.22 Contournements, 2008 - gouache sur papier, 111x142 cm / p.24 unfold, 2014 encre et gouache sur papier 56x76 cm / p.26 Entrelas, 2010 - tempera sur papier, 140x200 cm / p.30 Ornament, 2014 - gouache sur papier, 140x140 cm / p.34 Slid, 2009 - gouache sur papier, 24x32 cm / p.36 Through, 2014 - encre acrylique sur papier, 57x75 cm / p.38 Sans titre, 2002 - aquarelle
sur papier, 28,5x37 cm / p.40 Sans titre, 2014 - encre acrylique sur papier, 18x24 cm / p.45 Sans titre, 2003 - gouache sur papier, 24x32 cm / p.46 kopf 3, 2009 - gouache sur papier, 21x30 cm / p.60 Sans titre, 2010 - tempera sur papier, 30x40 cm / p.65 Sans titre, 2011 gouache sur papier, 21x29,7 cm / p.66 Sans titre, 2011 - huile sur bois, 32x42 cm / p.70 Blow, 2013 - huile sur papier, 21x30 cm / p.72 Sans titre, 2015 - encre acrylique sur papier, 30x40 cm / p.74 Sans titre, 2010 - gouache sur papier, 13x20 cm / p.77 Sans titre, 2002 aquarelle sur papier, 28,5x30 cm / p.79 Sans titre, 2002 - aquarelle sur papier, 28,5x30 cm / p.81 Sans titre, 2014 - encre acrylique sur papier, 23x30,5 cm / p.82 Kopf 2, 2009 - gouache sur papier, 21x30 7 cm / p.84 Sans titre, 2003 - gouache sur papier, 25x32 cm / p.86 Sans titre, 2015 - encre acrylique sur papier, 30x40 cm / p.88 Sans titre, 2011 - tempera sur papier, 21x29,7 cm / p.92 Sans titre, 2012 - gouache sur papier, 18x24 cm / p.94 Block, 2009 - gouache sur papier, 57x76 cm / p.96 Sans titre, 2012 - gouache sur papier, 21x30 cm / Couverture : Void, 2015 - encre acrylique sur papier, 30x40 cm
Président d’honneur, Pierre Boulez Président, Henri Loyrette Hervé Boutry, directeur général Matthias Pintscher, directeur musical Sophie Quéré, directrice administrative et financière
NOUS CONTACTER Ensemble intercontemporain 223 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris Tél : 01 44 84 44 50 contact@ensembleinter.com ensembleinter.com
RELATIONS PRESSE Image Musique – Valérie Weill Tél : 01 47 63 26 08 valerie.weill@imagemusique.com
CONTENUS RÉDACTIONNELS Ont participé à la réalisation des contenus rédactionnels de cette brochure : Benjamin Bibas, Hervé Boutry, Stefan Drees, Giordano Ferrari, Bastien Gallet, Laure Gauthier, Célia Houdart, Frank Kouwenhoven Sébastien Lecordier, Pierre-Yves Macé, Benoît Montigné, Matthias Pintscher, Jérémie Szpirglas, David Verdier. La reproduction même partielle d’un article de cette brochure est soumise à l’autorisation du comité éditorial : Hervé Boutry, Bastien Gallet, Luc Hossepied Artwork is fake.fr Fabrication : Fabrikant Imprimé dans l’UE Programmes et informations donnés sous réserve de modifications. Exemplaire gratuit Ne pas jeter sur la voie publique © Ensemble intercontemporain
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FAITES UN DON !
PARTICIPEZ À L’AVENTURE MUSICALE DE L’ENSEMBLE INTERCONTEMPORAIN
— Entre Bach et Lachenmann, qui est le compositeur d’hier et qui est celui d’aujourd’hui ? — C’est pareil, Madame ! Voilà ce que m’avaient répondu des collégiens à qui je venais de jouer des pièces de ces deux compositeurs. En échangeant avec eux, je me suis rendu compte que pour ces jeunes, la musique de Lachenmann n’appartenait pas aux musiques d’aujourd’hui, mais à celle d’un autre temps. Si nous n’avons pas tous les mêmes moyens d’accès à la culture musicale, nous avons tous la même oreille. Enrichir, développer cette oreille, c’est peut-être cela transmettre, partager… et recevoir aussi. Un proverbe chinois ne dit-il pas « le professeur ouvre la porte, l’élève doit y entrer par lui-même » ? Nous avons besoin de vous, les jeunes générations ont besoin de vous pour s’aventurer au large de nouveaux mondes acoustiques.
S’impliquer dans une création, c’est prendre des risques, innover, tisser des liens avec d’autres arts, continuer à surprendre … toujours ! C’est aussi développer une relation privilégiée entre mécène et compositeur. Car faire un don, c’est propulser l’œuvre sur scène... C’est oser l’inconnu et accompagner le projet artistique d’un ensemble fondé par Pierre Boulez il y a près de quarante ans. Aidez-nous à aller encore plus loin, à faire toujours mieux dans nos missions de création et de transmission, et à provoquer encore davantage d’émotions et de beauté ! Jeanne-Marie Conquer, violoniste à l’Ensemble intercontemporain
LE SAVIEZ-VOUS ? PARTICULIER, vous bénéficiez d’une réduction d’impôt égale à 66% du montant de votre don, dans la limite de 20% du revenu imposable. - Un don de 300 € coûte 102 € après réduction d’impôt.
ENTREPRISE MÉCÈNE, vous bénéficiez d’une réduction d’impôt égale à 60 % du montant du don, dans la limite de 0,5% de votre chiffre d’affaire. - Un don de 5 000 € coûte 2 000 € après réduction d’impôt.
Vous pouvez nous adresser votre don par chèque, libellé au nom de l’Ensemble intercontemporain, à cette adresse : Ensemble intercontemporain Service mécénat 223 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris
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LES PROJETS DE LA SAISON 2015-2016
CHOISISSEZ DE SOUTENIR UN OU PLUSIEURS PROJETS PARMI CEUX DE LA NOUVELLE SAISON !
CRÉATION
TRANSMISSION
TURBULENCES NUMÉRIQUES
MUSIQUE AUGMENTÉE
Comment la musique contemporaine entre-t-elle en résonance avec la création numérique d’aujourd’hui ? Tel est l’enjeu de ces deux soirées de concert organisées dans le cadre de Némo, Biennale internationale des arts numériques - Paris / Île-de-France, qui mettent en présence le répertoire de l’Ensemble, la fine fleur des scènes électroniques et des performances live Audio-Vidéo. Au programme, Cluster.X, une création du vidéaste Kurt Hentschläger et du compositeur Edmund J. Campion, une chorégraphie d’images du plasticien Herman Kolgen autour du Quatuor no.2 de Philip Glass et une performance de Jeff Mills, pionnier de la musique électronique, qui viendront dialoguer avec des œuvres purement musicales.
L’Ensemble s’associe à la Gaîté lyrique pour proposer un parcours original de 4 ateliers-concerts, nous invitant à découvrir le processus de création d’une œuvre de la compositrice Patricia Alessandrini. Présentés par Clément Lebrun, en présence des musiciens de l’Ensemble et de la compositrice, ces ateliers interactifs intègreront des dispositifs sonores et la présentation d’instruments sur lesquels le public sera invité à jouer. Des intervenants (vidéastes, musiciens, un ingénieur du son de l’Ircam, une soprano, etc.) seront présents à chaque atelier pour aller un peu plus loin dans la découverte de l’univers sonore de la compositrice.
COMMANDES DE NOUVELLES ŒUVRES
ELLIPTIQUES, tissage & métissage musical
La création est inscrite dans les gènes de l’Ensemble depuis sa fondation, il y a près de 40 ans. Conçu comme un instrument au service de l’innovation musicale, l’Ensemble intercontemporain commande et crée chaque année de nouvelles œuvres à des compositeurs reconnus ou émergents. Ces pièces sont créées par l’Ensemble et intégrées à son répertoire. Pour la saison 2015-2016, l’Ensemble a passé commande à des compositeurs d’horizons différents tels que Lucia Ronchetti, Manfred Trojahn, David Hudry, Patricia Alessandrini, Ivan Fedele, Agata Zubel, Aurélio Edler-Copes, Olga Neuwirth etc. En finançant tout ou partie de la commande, vous contribuez à enrichir le répertoire contemporain.
Présenté en février 2016 à la Philharmonie, Elliptiques est un projet de concert éducatif hautement participatif ! De septembre 2015 à janvier 2016, une centaine d’élèves d’écoles primaires et d’un conservatoire se prépareront avec des musiciens intervenants à partager la scène avec les solistes de l’Ensemble pour interpréter une œuvre écrite tout spécialement pour eux par le compositeur François Rossé. Cette pièce, qui permettra aux enfants de réaliser un travail rythmique, corporel et chanté, dialoguera avec des œuvres issues d’autres espaces musicaux contemporains et des moments d’improvisation.
VOS AVANTAGES PARTICULIERS DONATEUR : 50 € 1 album de la collection Sirènes BIENFAITEUR : 150 € 1 album de la collection Sirènes 1 invitation par saison à un concert de l'Ensemble MÉCÈNE : 300 € ET PLUS 1 album de la collection Sirènes 2 invitations par saison à une répétition générale 1 invitation par saison à un concert de l'Ensemble
AMI : 500 € ET PLUS 1 album de la collection Sirènes 2 invitations par saison à une répétition générale 2 invitations par saison à un concert de l'Ensemble ENTREPRISES Entreprise mécène, vous bénéficiez d'avantages sur mesure, à définir en fonction du projet soutenu
Pour plus d’informations Contact : Emilie Roffi, Chargée de communication et mécénat +33(0)1 44 84 44 53 e.roffi@ensembleinter.com
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Entretien avec ÉMILIE SATRE artiste plasticienne Existe-t-il des rapports entre dessin et musique, et plus spécifiquement entre vos dessins et des musiques ? On peut effectivement trouver des liens entre la musique et le langage plastique. Certaines problématiques formelles peuvent trouver écho dans l’une ou l’autre des deux pratiques : nous manipulons des gammes, des tonalités, des amplitudes, des textures, des transparences ou des recouvrements. Il est souvent question de motifs, de rythmes, de répétitions, de symétries, d’échos, de ruptures, d’harmonies et de dissonances, de vides ou de silences, de saturations. Dans le champ de la musique comme de la peinture, il y a aussi des pièces intimistes, des pièces narratives ou abstraites, des pièces construites, des pièces polyphoniques, des formes courtes, des formes longues. Certaines musiques ont fortement transformé ma pratique, que ce soit dans ce que leur expérience en concert m’a permis d’entrevoir ou lors de leur écoute dans le contexte de l’atelier. Le premier choc a eu lieu lors de soirées sur les minimalistes américains organisées à l’Opéra de Rouen. J’étais alors étudiante et j’ai découvert en même temps Steve Reich, Philip Glass, John Cage et Terry Riley. Le disque de ce dernier, "A Rainbow in
Curved Air", faisait partie de la collection de vinyles de mes parents, et avait été, dès ma première écoute, toute jeune, une énigme et une étrange découverte (il fait maintenant partie de mes disques préférés). La relation très particulière de cette musique au temps et à la perception m’a permis de découvrir et d’apprécier la musique indienne, les musiques de gens comme Morton Feldman ou Luigi Nono mais aussi la scène électronique dans laquelle j’ai été baignée durant mes années passées à Berlin. J’ai ainsi pu clairement faire des liens entre l’abstraction en musique et en art plastique et envisager le motif et sa déclinaison comme une source inépuisable de renouvellement, la variation comme une mise aux abois de l’attention et de la perception et considérer l’importance des vides et des intervalles. Mon travail a perdu son aspect narratif et a pris une dimension plus abstraite, plus physique aussi.
au final. Ce n’est pas là que je cherche. Je ne cherche pas à atteindre une image précise. Je me donne par contre des outils ou des modes d’emploi pour avancer, des règles du jeu. Des principes formels qui me permettent de découvrir des formes, d’arriver sur de nouveaux terrains. Je décide par exemple d’un type de formes ou de mode d’action, d’une gamme de couleur, ou encore d’un instrument. Ensuite, je suis un chemin en déployant ces principes de manière plus ou moins libre. La règle est plus un point de départ, quelque chose qui me permet de lancer le processus. J’estime qu’un dessin est achevé non pas lorsqu’il correspond à une image préconçue (sinon le chemin ne vaudrait pas la peine d’être parcouru), mais lorsqu'il trouve un point d’équilibre ; ce point d’équilibre ne devant pas être trop statique pour que des questions restent en suspens et que le dessin soit ouvert sur un prochain qui poursuivra la route.
Comment commence un dessin ? Comment se finit-il ?
Diplômée de l’École des beaux-arts de Rouen, trois ans berlinoise (de 2002 à 2005), Émilie Satre expose à Paris, Genève, Londres, Berlin et Montreuil, où elle vit et travaille.
Un dessin commence toujours avec une idée assez vague, une direction, une intuition. Je sais rarement ce que je vais trouver
Propos recueillis par Bastien Gallet
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