DESIGNER
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Boa, présenté au Salon du meuble à Milan en 2002 et élu meilleur design du salon. Humberto et Fernando sur le Boa.
Entre design industriel, techniques artisanales et expérimentation ludique, les créations des frères Campana traversent plusieurs champs. Une originalité sans concession insufflée au design brésilien.
Humour, art et virtuosité Le design des frères Campana Texte: Maroun Zahar / Photos: D.R.
Fauteuil Corallo, présenté à la dernière édition du salon du meuble de Milan. 32
ESPACES Contemporains
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Boa, présenté au Salon du meuble à Milan en 2002 et élu meilleur design du salon. Humberto et Fernando sur le Boa.
Entre design industriel, techniques artisanales et expérimentation ludique, les créations des frères Campana traversent plusieurs champs. Une originalité sans concession insufflée au design brésilien.
Humour, art et virtuosité Le design des frères Campana Texte: Maroun Zahar / Photos: D.R.
Fauteuil Corallo, présenté à la dernière édition du salon du meuble de Milan. 32
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Boa, présenté au Salon du meuble à Milan en 2002 et élu meilleur design du salon. Humberto et Fernando sur le Boa.
Entre design industriel, techniques artisanales et expérimentation ludique, les créations des frères Campana traversent plusieurs champs. Une originalité sans concession insufflée au design brésilien.
Humour, art et virtuosité Le design des frères Campana Texte: Maroun Zahar / Photos: D.R.
Fauteuil Corallo, présenté à la dernière édition du salon du meuble de Milan. 32
ESPACES Contemporains
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Vermelha, un des premiers meubles des frères Le vase Peteca. Campana à être édités par Edra.
Vitoria Regia, tabourets.
Fernando et Humberto Campana font partie de la nouvelle génération de designers qui contribue à changer notre perception du quotidien. L’esprit des vingt dernières années, marqué par le déconstructivisme, les écrits de Derrida, l’engagement social ou encore l’Arte povera, aura façonné le background intellectuel et artistique des deux Brésiliens. Le discours des frères Campana ne cultive pourtant pas de réflexions philosophiques ni d’engagement révolutionnaire. Les deux frères brésiliens se présentent simplement comme des créateurs à la recherche d’expérimentation et d’innovation. Ils se placent volontiers dans le registre «artistique», en référence au substrat culturel et esthétique de leurs objets. Leur processus de conceptualisation est souvent le fruit d’une approche subjective fondée sur l’observation du quotidien.
Retour à la matière Originaires de São Paulo, Humberto et Fernando Campana puisent leur inspiration dans cette immense métropole brésilienne. Les techniques
Favela, présenté dans le show-room Edra en 2003, est réalisé à partir des bouts de bois provenant des bidonvilles brésiliens. ESPACES Contemporains
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Sushi, un canapé composé de centaines de rondelles de tissu de différentes couleurs.
artisanales, les matériaux naturels ou récupérés ou encore le langage foisonnant et tactile de la ville sont à la racine de leurs créations. Le fauteuil Favela, une de leurs pièces maîtresses, est réalisé à partir des bouts de bois provenant des bidonvilles, collés et cloués manuellement. La collection Mixed Series associe matériaux industriels, bambous, rotins ou cartons provenant de la culture artisanale des cités brésiliennes. Fernando a fait des études d’architecture, Humberto a suivi la filiale du droit. Tous les deux ont ensuite associé leurs efforts pour produire un des designs les plus originaux de l’Amérique du Sud. Leur parcours créatif est doublé d’une intense activité dans le milieu académique: ils enseignent le design à la Fundação Armando Alvares Penteado de São Paulo et au Musée brésilien de la sculpture. Ils animent de nombreux séminaires et ateliers à travers le monde: Brésil, Italie, Etats-Unis.
avec Edra, qui associe, à leurs yeux, le sens du travail artisanal à une vision innovante du design. La maison d’édition italienne leur rend la pareille: pour l’inauguration de son nouveau show-room à Milan en 2003, elle dédie une entière exposition aux designers brésiliens.
La poétique de l’objet
Les pièces dessinées par Fernando et Humberto Campana combinent humour et virtuosité constructive. Leurs produits ont une authenticité et une originalité qui transcendent la mode et les tendances. Remettant en question les typologies des objets, ils explorent de nouveaux langages et codes esthétiques. Pour les frères Campana, le quotidien est une source inépuisable d’inspiration. Avec eux, les poupées de chiffon peuvent devenir un fauteuil, le Multidão. Tout comme pour les tuyaux d’arrosage, qui, tissés sur un châssis métallique, se transforment en un somptueux siège, le fameux Anémone. Le design des Campana cultive ce rapport high-tech/low tech du Recherche expérimentale et succès médiatique design contemporain: de nouveaux matériaux issus des hautes technologies associés à des modes constructifs artisanaux. La parfaite illustration en est le Leurs créations se sont d’abord fait connaître discrètement auprès du public canapé Boa, grand succès du Salon de Milan en 2002, où il a été consacré dans le milieu des années nonante, dans les revues spécialisées italiennes et «best in show». Boa est un tube de polyuréthane de 80 mètres de long, couvert par des manifestations à travers l’Europe. L’exposition à laquelle ils particide velours, tissé et enroulé de manièpent en 1998 au Moma, à New re à former un canapé ou une «instalYork, les propulsera ensuite sur le lation de repos», comme se plaisent à devant de la scène internationale. le nommer les deux frères. Leurs Le design des frères Campana crée canapés sont souvent des supports régulièrement l’actualité et est soupour la quête de nouveaux horizons. vent sélectionné dans le «InternaLe canapé Sushi, par exemple, est tional Design Yearbook». composé de centaines de rondelles Un moment fondamental de leur de tissus de différentes couleurs carrière a été la rencontre avec assemblées dans une forme basique Massimo Morozzi, directeur visionet fonctionnelle. Le canapé Banquete naire d’Edra, la prestigieuse vitrine est constitué de peluches d’animaux du design expérimental d’avant superposées pêle-mêle. A faire pâlir garde. Edra a commencé par éditer d’envie les enfants et les grands la chaise Vermelha; l’entreprise a rêveurs... Les frères Campana rêvent ensuite enchaîné sur une série de d’ailleurs que «le design participera un succès, comme le canapé Boa ou la jour à la transformation et à l’extencollection ZigZag. Les frères Camsion de notre mode de vie». ■ pana apprécient la collaboration Poltrona Multidão, un objet fonctionnel et poétique. 34
ESPACES Contemporains
Joe Colombo, dans le fauteuil ELDA dessiné en 1963.
PHOTO: IGNAZIA FAVATA STUDIO JOE COLOMBO
ESPACE ACTUEL
PHOTO: IGNAZIA FAVATA STUDIO JOE COLOMBO
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Central living block, de l’unité d’habitation présenté à l’exposition Visiona 1 à Cologne en 1969, produit par Bayer AG.
Joe Colombo L’utopie moderniste Le travail de Joe Colombo nous plonge tout droit au cœur des fastueuses années soixante. Son œuvre considérable est en effet concentrée dans cette décennie pendant laquelle il se consacra avec acharnement et de manière quasi obsessionnelle à la recherche de nouvelles idées. Après un cursus à la célèbre Académie des beaux-arts de Brera, à Milan, Joe Colombo se détourne très vite de la peinture pour exprimer sa vision futuriste à travers l’architecture et le design d’intérieur. Décédé prématurément en 1971 à l’âge de 41 ans, il laisse une création emblématique de son époque, avec des projets qui semblent sortir tout droit des premiers films de James Bond: téléviseurs encastrés dans le plafond ou parois avec minibar rotatif. Mais au-delà de l’aspect très mode de son œuvre Joe Colombo reste un visionnaire, d’où le titre de l’exposition. En 1952, il imagine une cité nucléaire souterraine où seuls lieux publics, habitations et écoles seraient visibles, les véhicules, les transports en commun et les usines resteraient enfouis sous terre. Total Furnishing Unit ou unité d’habitation multifonc34
ESPACES Contemporains
tionnelle est son dernier travail; conçu comme un nouveau genre d’ameublement au confort maximal, ce projet de cuisine équipée ultracompacte ou de chambre à coucher modulable anticipe le proche avenir. L’exposition réalisée par la Triennale de Milan en étroite collaboration avec le Studio Joe Colombo illustre, pour la première fois de manière aussi complète, l’œuvre du designer milanais en présentant des modèles originaux, des pièces inédites, des dessins, ainsi que l’ameublement original de son appartement. Le Vitra Design Museum est aussi partenaire de l’événement, consolidant ainsi son rapport avec la Triennale par des échanges réciproques et la réalisation de projets communs. L’exposition sera ensuite présentée au Design Museum de Londres, au Vitra Design Museum de Weil am Rhein et de Berlin. Eva Mathys Joe Colombo. Inventing the Future Du 16 septembre au 18 décembre / La Triennale / Viale Alemagna 6, Milan www.triennale.it
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Une boîte noire posée sur le bord de la route cantonale qui mène à Monthey. Réalisée par les architectes Woeffray & Bonnard, comme un prisme, elle rediffuse en couleur la lumière qui la traverse. 56
ESPACES Contemporains
Les baies vitrées affleurent à la surface des parois externes. Elles sont fixes et sans ouvrants. La ventilation et le renouvellement de l’air sont assurés mécaniquement dans cette construction ayant obtenu le label Minergie.
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Photos: Hannes Henz / Texte: Maroun Zahar
La nuit, une ambiance de road movie à l’américaine enveloppe le bâtiment. ESPACES Contemporains
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est un archétype presque élémentaire de ce qu’on appelle dans le contexte architectural contemporain «la boîte suisse». Cet objet cubique, au-delà de sa simplicité claire, cache une complexité spatiale d’une grande virtuosité. Ce volume parallélépipédique monolithique presque noir correspondrait à ce que définit le critique Martin Steinman comme la forme forte, «des corps géométriques simples, clairs, et dont la simplicité confère
C’
une grande importance à la forme, au matériau, à la couleur, et cela en dehors de toute référence à d’autres bâtiments...». La surface du volume est lisse et continue. Elle est couverte d’un même matériau, des plaques d’aluminium anodisé vert très sombre. Les immenses baies vitrées qui se découpent dans les façades affleurent à la surface et n’altèrent aucunement l’opacité du volume. Elles découpent tout juste des bouts de ciel et de paysage qui se réfléchissent dans leur surface. La nuit, elles deviennent des scènes d’intérieur
Photo haut de page: L’aménagement spatial libre et fluide, les meubles des deux architectes traduisent parfaitement leur conception et leur vision de l’espace domestique et du mode de vie contemporain.
Les espaces d’eau sont séparés de la chambre à coucher par des parois en plexiglas de couleur rose fuchsia. ESPACES Contemporains
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colorées cadrées et projetées comme un décor de cinéma drive-in pour les voitures filant sur la route cantonale.
Simplicité ambiguë Au-delà de son langage minimal réduit à l’essentiel, le volume renferme plusieurs ordres structurels qui définissent le caractère et la structure des espaces. Dans cette boîte où les sols, les murs et les plafonds sont en béton apparent, des plans en plexiglas translucide coloré superposent un deuxième ordre spatial, conférant une identité spécifique à 60
ESPACES Contemporains
chaque espace, suivant sa fonction et son orientation. A un troisième niveau, bien que les parois en béton d’une matérialité uniforme et continue constituent l’intérieur du volume, les surfaces vitrées et celles en plexiglas, par leur articulation avec les surfaces grises, démontent la volumétrie intérieure. De succession en translation de parois et de plans, elles créent une multitude de séquences spatiales et de percées visuelles qui varient suivant l’angle de vue et la lumière. Ce rapport entre simplicité et complexité représente une des carac-
La cuisine dessinée par les architectes tranche par ses surfaces brillantes et colorées, et par celles du plexiglas des rangements et de la laque du meuble central, avec la surface gris argenté et mate du béton.
Confrontation permanente entre simplicité et complexité
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téristiques des architectes Geneviève Bonnard et Denis Woeffray. Leur recherche, parfaitement inscrite dans le contexte architectural romand, revêt une originalité particulière. Leurs travaux sont toujours imprégnés d’un fort impact sensitif. La facture minimaliste et puriste qui marque la plupart de leurs réalisations s’y conjugue souvent à un ordre matériel plus personnel, presque artistique. Ainsi paradoxalement la réduction, processus minimaliste, est associée à une rhétorique plus dense, qui pourrait se rapporter à l’Arte Povera. C’est
notamment sensible dans ce projet de Monthey.
La nouvelle urbanité Les côtés du parallélépipède, posé le long de la route cantonale dans un contexte hétéroclite, sont légèrement déformés pour suivre les lignes du parcellaire et pour contribuer à l’ordre géométrique invisible de celles de ce paysage périurbain. Le volume abrite les bureaux et l’appartement des deux architectes. La juxtaposition de ces deux fonctions, l’articulation et le langage spatial, l’emplacement du parc à voitures
Les plaques de plexiglas translucides sont simplement vissées sur des cadres en aluminium naturel. Un procédé très low tech dans ce bâtiment plutôt minimaliste.
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PHOTO: PERNETTE PERRIAND-BARSAC
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Charlotte Perriand parmi les maîtres La Galerie Loft, à Yverdon-les-Bains, présente jusqu’au 24 septembre la collection éditée par Cassina des œuvres de cette créatrice française atypique et avant-gardiste. PHOTOS: TOMMASO SARTORI, CASSINA
Canapé Refolo er Bahut mural Riflesso, Cassina.
Fauteuil Ombra, Cassina. 30
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Peu connue du grand public jusqu’à ces dix dernières années, l’architectedesigner Charlotte Perriand (19031999) a récemment trouvé la place qu’elle mérite dans l’histoire du design moderne. Grâce notamment à une récente publication d’Arthur Rüegg (voir Espaces contemporains No 4/2004) qui a mis en lumière son travail de pionnière en matière de création mobilière. Mais aussi grâce au travail acharné et sans faille de sa fille, Pernette Perriand-Barsac, qui œuvre depuis plusieurs décennies à faire reconnaître la singularité des créations de sa mère. Cette récente consécration a été couronnée par l’inscription en 2004 des œuvres de Charlotte Perriand dans la collection I Maestri regroupant tous les modèles mythiques de Cassina. En effet, la designer française avait collaboré pendant trente ans et jusqu’à sa disparition avec la prestigieuse maison d’édition italienne. En 1927, à Paris, alors que les Parisiens s’entichent du style art déco, Charlotte Perriand, qui a 24 ans et qui est alors jeune diplômée des arts décoratifs, expose au salon d’automne Le Bar sous le Toit, une conception radicalement moderne du
bistro parisien. Elle fait usage de tubes en acier et de métal chromé pour couvrir les murs de son installation. La même année, Le Corbusier invite la jeune fille à rejoindre l’atelier qu’il partage avec son cousin Pierre Jeanneret. L’architecte suisse est alors à la recherche d’un nouveau style de mobilier qui pourrait se conjuguer avec son approche radicale de l’architecture. Pendant les dix années qui suivront, Charlotte Perriand sera responsable de la production de la plupart des pièces issues du studio du Corbusier. Elle réinvente les grands classiques de l’époque en confrontant de nouveaux matériaux industriels comme le métal avec des matériaux naturels, tel le cuir. Naissent ainsi le divan deux places Grand Confort (1928) ou encore la chaise longue B306, inspirée de la classique chaise à bascule Thonet. Rare figure féminine de l’architecture moderne, personnalité socialement engagée, Charlotte Perriand nous lègue une série d’icônes aujourd’hui encore indétrônables et une vision progressiste du mobilier conçu pour le plus grand nombre. sdp Galerie Loft, www.loft-design.ch.
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A la découverte du design: celui qui s’élabore et qui prend forme ici, dans notre pays. De ses origines à ses perspectives, nous tentons au fil de ces pages de parcourir son histoire, de cerner ses caractéristiques, ses questionnements. Objets d’hier devenus icônes d’aujourd’hui, créations contemporaines emblématiques ou simplement ingénieuses, rencontres avec ceux qui le font, l’enseignent, le réalisent, témoignages de ceux qui le commercialisent... Dossier réalisé par Maroun Zahar et Evelyne Malod-Dognin
Soixante ans de design helvétique 76 Design industriel à l’ECAL 82 Têtes de designers 84 Entreprises sous la loupe 90 Focus: design arena suisse 94
Le design suisse: luxe et lucidité En préambule à ce dossier, la parole est donnée à Claude Lichtenstein, professeur de design à la Hochschule für Gestaltung de Zurich et auteur de nombreuses expositions et publications sur le design au XXe siècle. Peut-on qualifier le design suisse de «typique»? Attention, cette question est insidieuse. Comment définir, tout d’abord, ce qui relève du design? Les motifs du tissu des sièges de nos moyens de transports publics sont-ils du design (oui, sans aucun doute), mais si tel est le cas, s’agit-il de design suisse (j’ignore qui les a conçus)? Et que dire des parapets en métal inoxydable qui ornent nos quais et nos ponts? Dans d’autres pays, ils sont rouillés, fissurés, recouverts de maintes couches de peinture superposées et tout bosselés. Chez nous, ils reluisent en tout temps, inspirent une confiance inaltérable et sont à tout jamais impersonnels. Mais sont-ils pour autant caractéristiques de notre pays? En partie, oui. Vous aurez noté que je n’apprécie guère l’apparente immuabilité de ce qui est conçu pour durer sans même nécessiter d’entretien. Et pourtant, voilà que je songe aux immuables affiches de nos gares, les jaunes et les blanches, qui – grâce à une impeccable typographie – nous renseignent sans la moindre ambiguïté sur les horaires de départ et d’arrivée de nos trains. Ces affiches sont exemplaires, et tout en écrivant je m’efforce de visualiser les panneaux d’information du même type que l’on trouve à l’étranger, et je n’en trouve aucun d’une qualité comparable. Oui, les stériles parapets inoxydables et ces affiches tellement utiles qui recensent les horaires des CFF ont bien un point commun: leur ostentatoire froideur, qui me révulse chez les premiers, et qui est justement ce qui donne aux secondes leur souveraine clarté. N’avez-vous pas vous-même maints exemples de ce type à citer? Il me semble bien qu’il y a là une sorte de paradoxe que l’on retrouve dans bien d’autres aspects du design suisse. Tout y est généralement mûrement réfléchi, ce qui exclut pratiquement toute improvisation. L’improvisation, considérée dans d’autres pays comme l’expression d’un art de vivre, passe en Suisse pour un signe d’impréparation; toute personne contrainte de recourir à l’improvisation est soupçonnée de surmenage. Cette manière de voir est chez nous largement partagée, que nous soyons Romands, Alémaniques ou Tessinois, et je crois que les designers – même les plus doués, et qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes – portent en eux cette structure mentale qui pour eux va de soi. Ils parviennent néanmoins toujours à produire par distillation ce que cette imprégnation culturelle offre de plus positif. Leurs projets ne sont pratiquement jamais conçus pour briller sous les impitoyables feux de la rampe, pour provoquer un choc théâtral; ils s’adressent plutôt au regard inquisiteur de consommateurs individuels qui les examinent de près en se demandant s’ils en ont l’usage et s’ils sont conformes à leur style personnel. On trouve souvent dans le design un certain systématisme teinté d’une fine ironie, voire de subversion, ainsi que toutes sortes de déclinaisons de ce qui est considéré comme typique (comme par exemple les sacoches de la marque Freitag, du moins les premiers modèles). La Suisse n’est plus le pays des machines à écrire Hermes Baby, des tourne-disques de qualité, ou des compas de précision. D’accord, elle produit encore des machines à coudre et des machines textiles, des escaliers roulants et des ascenseurs. De fait, le design s’intéresse rarement aux objets en rapport avec la survie (par exemple, les appareils de recherche utilisés en cas d’avalanche ou encore l’appareillage médical); le plus souvent, le terme de design évoque le luxe: un vélo encore mieux profilé, un foulard différent, une bibliothèque innovante, une lampe originale, ou un meuble de jardin particulièrement soigné. Il s’agit là d’objets d’un certain prix, mais également d’objets que l’on s’offre à soi-même. Dans notre culture ultrasophistiquée, les designers sont souvent les promoteurs du luxe. Faut-il le leur reprocher? Certainement, mais il ne faudrait pas perdre de vue qu’un luxe vide de sens est obscène, car il berce d’illusions. Le luxe que nous nous offrons à l’occasion en toute connaissance de cause nous rend plus attentif. En fait, voilà en quoi consiste souvent le design: il sert à nous rendre plus attentif. Et ce n’est qu’avec le temps que l’on découvre souvent que le design ne s’arrête pas à la notion de luxe, mais qu’il est bien du domaine de l’invention. Claude Lichtenstein / Propos traduits par Florence Merlin ESPACES Contemporains
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1. Horloge CFF, 1955. Hans Hifiker. 2. Scobalit Chair, 1948. Willy Guhl. Photo: Franz Xaver Jaggy © Museum für Gestaltung Zürich - Design-Sammlung 3. Landi Stuhl, 1938. Hans Coray. Photo: Franz Xaver Jaggy © Museum für Gestaltung Zürich - Design-Sammlung 4. Tablette de téléphone, 1950. Wilhelm Kienzle. Photo: Franz Xaver Jaggy © Museum für Gestaltung Zürich - Design-Sammlung 5. Fauteuil de jardin 1090, 1933. Marcel Breuer, Embru. 76
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6. Susi et Ueli Berger. 7. Poster 1958, Atelier Hablützel. 8. Système Haller USM, 1963. Paul Schärer et Fritz Haller, USM Haller. 9. Luminaire suspendu Nuage, 1970. Susi et Ueli Berger, Wohnbedarf. Photo: Franz Xaver Jaggy © Museum für Gestaltung Zürich - Design-Sammlung 10. Etagères aluminium, 1964. Andreas Christen, Lehni. 11. Dreirundtisch, 1954. Max Bill, Horgenglarus. Photo: Franz Xaver Jaggy © Museum für Gestaltung Zürich / ProLitteris - Design-Sammlung 12. Loop Chair, 1954. Willy Guhl, Eternit. Photo: Franz Xaver Jaggy © Museum für Gestaltung Zürich / ProLitteris - Design-Sammlung. 13. DS 1025, 1970. Ubald Klug, de Sede. Photo: Franz Xaver Jaggy © Museum für Gestaltung Zürich - Design-Sammlung. ESPACES Contemporains
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1. King Kong. Design Kurt Müller, Girsberger. 2. Chaise Taormina, 2005. Alfredo Häberli, Alias. 3. Portemanteau, 2004. ECAL Fabio Biancaniello, Nanoo by Faserplast. 4. Shelf SH11. Beat Huwyler, Elf Elf. 5. Vela pour Accademia, 2005. Hannes Wettstein, Victoria Design. 6. Birkies, 2004. Yves Béhar, Birkenstock. 7. MaMo, 2005. Christophe Marchand, Team by Wellis. 80
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8. Alfredo Häberli. 9. Collage pour Röthlisberger Kollektion, Alfred Hablützel, avec Alain Bucher, 2002. 10. Canapé, Algues, luminaire dessinés par les frères Bouroullec édités par Vitra. 11. Sistema Schrank, 2005. Radar. 12. DS 207, 2005. de Sede. 13. BMSystem, 2005. Andreas Bürki, Bigla. 14. Salim de la collection +plus, 2005. Alfredo Häberli, Ruckstuhl. 15. Aruba, 2004. Beatrix Bencseky, Tossa. 16. Fokus, 2004. Schwarz Späth, Belux. ESPACES Contemporains
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Cuisine,confort Dossier réalisé par Maroun Zahar et Évelyne Malod-Dognin
ELIO, DORNBRACHT Les fonctions d’Elio répondent à toutes les exigences d’un robinet, du lavage des légumes au nettoyage de l’évier, grâce à la douchette extractible.
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et hédonisme Par son espace, sa position et sa fonction, la cuisine se fait le reflet des mutations sociales, des innovations technologiques et du foisonnement des tendances. C’est ici, plus que partout ailleurs dans la maison, que se cristallisent les sentiments relatifs à l’habitat; du besoin de refuge au désir d’ouverture, de l’attachement aux traditions au goût de l’émancipation culturelle. Le voyage dans l’histoire de la cuisine au cours des cinquante dernières années et la lecture de deux ouvrages consacrés à des entreprises pionnières dans le développe ment et la production de cuisines nous incitent à considérer d’un regard serein l’état des lieux actuel et à affirmer que la “cuisine, pièce à vivre”, n’est pas une tendance, ni une mode éphémère. Elle est bel et bien l’aboutissement d’une réflexion globale, mûrie par des années de révolutions formelles, de recherches technologiques et de mutations sociales.Si l’on ne peut pas faire ressortir un style particulier ni faire surgir une image explicite qui illustreraient cette situation nouvelle hormis la sobriété de lignes très architecturées - il existe néanmoins des repères clairs, rattachés du reste à de fortes valeurs sociales et culturelles: La technologie, bien présente, se fait désormais plus discrète. Elle est plus efficace et d’une utilisation plus simple. Le confort et l’hédonisme sont sous-jacents dans le choix des matériaux, la générosité de l’espace et de la lumière, les configurations qui favorisent les plaisirs du quotidien - de la rencontre familiale au plaisir de recevoir ses amis. La flexibilité, induite par la forme, par la disposition, mais aussi par la fragmentation de ce qui peut être attribué à l’espace ou aux éléments et équipements de cuisine. Nomadisme et mobilité étant les maîtres mots de l’époque. ESPACES Contemporains
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Dans la cuisine La boucle est bouclée
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A la fin des années c’est la course à la reconstruction. L’urgence se définit par un toit pour chacun. La maison s’avère un besoin élémentaire pour la population appauvrie par de longues années de conflit. Le mot d’ordre est rationalisation des espaces et efficacité technique. Dans ce contexte, la cuisine voit ses proportions se réduire. La pièce est agencée avec des meubles de production artisanale, conçus sans profonde réflexion sur leur adéquation avec leur fonction et les dimensions de la cuisine. Le mythe de l’époque, c’est le nouveau modèle de la cuisine américaine, image de bien-être et de tranquillité sociale.
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JOE COLOMBO, TOTAL FURNISHING UNIT EXPOSÉ À VITRA
Dans les années la publicité se développe et véhicule des messages du type: «Libérez-vous de la servitude, le bonheur est accessible au plus grand nombre.» La décennie commence à pointer ce qui sera bientôt qualifié de société de consommation. La cuisine devient le lieu privilégié d’expression du rapide développement technologique; avec ses appareils électroménagers, elle s’impose comme la pièce la plus moderne de la maison, sorte d’enclave futuriste dans un foyer contrôlé par ailleurs par le bon ton petit-bourgeois. Dans ces années-là, les héros de la cuisine sont le frigidaire taille maxi, les plastiques colorés, la nourriture confectionnée et la lumière du tube fluorescent. La cuisine de la grand-mère ou celle de la campagne sont rejetées, refoulées par une société friande de nouveautés.
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ESPACES Contemporains
PHOTO DR
La première moitié du siècle annonçait de grands changements dans notre cadre de vie. Pour les intellectuels et les créateurs de l’époque, industrialisation et démocratisation allaient de pair. Le Bauhaus, les constructivistes russes, Le Corbusier et autres avant-gardistes poursuivaient les mêmes orientations rationalistes et progressistes: dans l’habitat moderne, l’espace devait se libérer, se décloisonner et s’ouvrir davantage sur la nature; les éléments architectoniques devaient répondre à une esthétique standardisée; la machine était la métaphore servant de modèle à la conceptualisation de l’espace à vivre. Il a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que ces changements deviennent réels et applicables à grande échelle.
Vient ensuite l’âge d’or du design héroïque, les années les plus fertiles en mouvements et événements de toutes sortes: révolutions sociales ou politiques, éclosions de nouvelles formes, tendances et courants. Les intellectuels, les artistes et les architectes réinventent le quotidien et laissent entrevoir la promesse d’une métamorphose du paysage domestique. Cette fois, la société de consommation est une réalité, et un vent d’optimisme souffle sur l’Europe. L’industrialisation et la standardisation véhiculent l’esthétique d’un nouvel ordre social (avant d’être désavouées dans les années quatre-vingt). Sur le plan social, l’émancipation de la femme porte un coup fatal au modèle traditionnel de la famille. Cela aura des répercussions directes sur l’utilité et le but de la cuisine. On distingue nettement la cuisine du séjour, ses proportions diminuent au profit de ce dernier. Le bloc-cuisine devient plus compact, plus sculptural, avec des profils et des surfaces linéaires. Désormais, cuisine rime avec éléments modulables, composants produits industriellement et design en série. A la fin de la décennie, le public a pleinement accepté cette idée. L’ambiance est au psychédélique, aux contrastes imprévus entre matériaux et surfaces. 112
Texte: Maroun Zahar
La cuisine est la pièce qui a connu le plus de changement au cours des dernières décennies. Survol de son histoire pour mesurer le chemin parcouru.
ELECTROLUX, ANNONCE 1950.
Cuisine,confort et hédonisme
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À partir du milieu des années cette tendance frénétique aux nouvelles formes, au design expérimental et toujours plus innovant, commence à s’essouffler. L’effusion et l’effervescence laissent place à des sentiments de frustration. La société de consommation n’offre pas le bonheur attendu, et les villes grandissantes génèrent un sentiment d’aliénation. On s’intéresse de nouveau à la nature, aux matériaux et aux nourritures naturels, on se préoccupe d’écologie. Dans la cuisine, c’est la diffusion de la culture do it yourself et du bricolage. La cuisine campagnarde revient en force. Mais au-delà du style c’est la place attribuée à la pièce qui est positivement affectée: elle revient au centre de la maison, et son design se fait plus discret, moins imposé.
DISEGNO DUE KROMOS 1983
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BULTHAUP, CUISINE 1975
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VANITY, EUROMOBIL 1994
Dans les années la crise de la modernité en marche s’affiche. L’architecture, et l’habitat en particulier, est gagnée par des scénographies improbables et éphémères. Décoration exhibitionniste et langage artificiel triomphent. La mise en scène de la cuisine et la préparation de la nourriture se ritualisent. Tout est dessiné pour apparaître comme de l’architecture plutôt que comme du mobilier. Cette crise postmoderne encourage les recherches sur l’ergonomie des agencements fixes et la fonctionnalité des espaces. Des équipements mobiles sur des chariots et des roues apparaissent. Paradoxalement, la culture design s’empare des appareils électroménagers.
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SALON DU MEUBLE DE PARIS 2006
Dans les années la crise de la modernité est vaincue, on commence à parler de société postindustrielle, de métropolisation. A la fin du siècle, vivre en ville est synonyme de pluralisme et d’ouverture. L’espace de l’habitation commence à intégrer des objets de provenance et de styles différents, reflets du métissage d’une société mobile; le nomadisme est le mot-clé de cette période. La cuisine, très agencée, s’agrandit encore. On se prend d’intérêt pour les saveurs d’ailleurs, l’exotisme comme les nourritures du terroir sont dans l’air du temps. La cuisine professionnelle fait son apparition; elle s’inspire de la cuisine industrielle. L’exhibitionnisme de la décennie précédente se mue en minimalisme. On prône le retour à la forme pure, au détail, à l’esprit du design rationaliste d’origine.
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A l’aube des années le monde est globalisé. Les médias et les nouvelles technologies sont au centre de notre vie et de notre culture. L’espace de l’habitat devient plus grand et les titres moteurs de ces années sont hédonisme, confort et plaisir. Dans le design, la mode ou d’autres domaines de la création, il n’y a plus un style mais plusieurs. Le panorama domestique présente un paysage plus éclectique. L’espace de la cuisine est plus libre, parfois fragmenté. L’ensemble modulable et assemblable prêt à être posé laisse place à plus de liberté dans l’agencement des éléments qui le composent. Le choix se fait plus personnel, dicté par le niveau d’intérêt individuel porté à la préparation de la nourriture. La notion phare de l’époque est «environnement personnalisé», et la devise: «C’est bien et c’est beau de cuisiner, de manger tous ensemble, en famille ou entre amis.» La technologie avance pour offrir des cuissons toujours plus précises et variables. Les ingrédients sont plus sélectionnés et les élaborations plus complexes. La technologie est définitivement présente mais ne cherche plus à s’exhiber. On peut réintroduire maintenant les vieux meubles ou la table de la grand-mère. Dans le laboratoire du cuisinier, tout est désormais possible. La boucle est bouclée.
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ESPACE ACTUEL
Vico Magistretti Disparition d’un maître du design Eclisse, éditée par Artemide.
Selene, éditée par Artemide d’abord, elle est actuellement éditée par Heller.
Maui, éditée par Kartell.
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ESPACES Contemporains
Le chef de file de l’Italian Style est décédé le 19 septembre dernier à l’âge de 85 ans. Il restera l’un des maîtres incontestés du design. C’est à Milan, dans la ville qui l’a vu naître en 1920 et où il a fait ses études à l’Ecole polytechnique, qu’il fonde son propre cabinet d’architecture. On connaît moins son travail d’architecte que son œuvre de designer, pourtant des immeubles d’habitation et de bureaux, des cinémas, des hôtels, des centres de loisir et même des églises figurent parmi ses réalisations, dont les plus récentes sont la Faculté de biologie et le centre de bus de Famagosta à Milan et la maison Tanimoto à Tokyo. Mais Vico Magistretti reste avant tout et restera un modèle pour les designers, en Italie comme ailleurs. Sa vision très personnelle et à l’avantgarde, son goût de la recherche et de l’expérimentation tant dans les matériaux que dans les nouvelles technologies ont fait de lui un précurseur, et son œuvre imprègne profondément l’histoire du design. Pour lui, le design doit servir le quotidien; cette approche, à laquelle il sera fidèle, transparaît dans son travail dont la cohérence se défie des modes. A la fin des
années cinquante il crée la chaise Carimate pour Cassina. Cette chaise en bois rustique avec un socle en fibres végétales le positionne d’emblée en tant que maître de la forme épurée. «La simplicité est la chose la plus difficile du monde», aimait-il à répéter. Dans les années soixante, il expérimente le plastique et il crée un siège élégant, la chaise Selene, encore fabriqué aujourd’hui. D’autres réalisations marquantes suivront, dont la plupart sont inscrites dans la mémoire collective. La lampe Eclisse (1965), le canapé Maralunga (1973), la lampe Atollo (1977), le canapé capitonné Sindbad (1981) ou encore la chaise Maui (1997). Depuis le milieu des années quatre-vingt, la patte de Magistretti imprime fortement la collection de De Padova, mais d’illustres grandes maisons ont fait appel à lui et éditent ses créations: Artemide, Cassina, B & B Italia, Fritz Hansen, Flou, Oluce et Kartell notamment. Son talent largement reconnu lui a fait remporter par trois fois le Compasso d’oro (1967, 1979 et 1995), et nombre de ses réalisations figurent dans les collections permanentes du Museum of Modern Art (Moma). emd
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ESPACE ACTUEL
Vico Magistretti Disparition d’un maître du design Eclisse, éditée par Artemide.
Selene, éditée par Artemide d’abord, elle est actuellement éditée par Heller.
Maui, éditée par Kartell.
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ESPACES Contemporains
Le chef de file de l’Italian Style est décédé le 19 septembre dernier à l’âge de 85 ans. Il restera l’un des maîtres incontestés du design. C’est à Milan, dans la ville qui l’a vu naître en 1920 et où il a fait ses études à l’Ecole polytechnique, qu’il fonde son propre cabinet d’architecture. On connaît moins son travail d’architecte que son œuvre de designer, pourtant des immeubles d’habitation et de bureaux, des cinémas, des hôtels, des centres de loisir et même des églises figurent parmi ses réalisations, dont les plus récentes sont la Faculté de biologie et le centre de bus de Famagosta à Milan et la maison Tanimoto à Tokyo. Mais Vico Magistretti reste avant tout et restera un modèle pour les designers, en Italie comme ailleurs. Sa vision très personnelle et à l’avantgarde, son goût de la recherche et de l’expérimentation tant dans les matériaux que dans les nouvelles technologies ont fait de lui un précurseur, et son œuvre imprègne profondément l’histoire du design. Pour lui, le design doit servir le quotidien; cette approche, à laquelle il sera fidèle, transparaît dans son travail dont la cohérence se défie des modes. A la fin des
années cinquante il crée la chaise Carimate pour Cassina. Cette chaise en bois rustique avec un socle en fibres végétales le positionne d’emblée en tant que maître de la forme épurée. «La simplicité est la chose la plus difficile du monde», aimait-il à répéter. Dans les années soixante, il expérimente le plastique et il crée un siège élégant, la chaise Selene, encore fabriqué aujourd’hui. D’autres réalisations marquantes suivront, dont la plupart sont inscrites dans la mémoire collective. La lampe Eclisse (1965), le canapé Maralunga (1973), la lampe Atollo (1977), le canapé capitonné Sindbad (1981) ou encore la chaise Maui (1997). Depuis le milieu des années quatre-vingt, la patte de Magistretti imprime fortement la collection de De Padova, mais d’illustres grandes maisons ont fait appel à lui et éditent ses créations: Artemide, Cassina, B & B Italia, Fritz Hansen, Flou, Oluce et Kartell notamment. Son talent largement reconnu lui a fait remporter par trois fois le Compasso d’oro (1967, 1979 et 1995), et nombre de ses réalisations figurent dans les collections permanentes du Museum of Modern Art (Moma). emd
Inspiration Grand-Nord
ESPACE TENDANCES
1. Tissu Talvimatka, Marimekko, www.marimekko.com 2. Suspension Hiippa, Doctor Design, www.doctordesign.fi 3. Horloge Sunburst, design George Nelson, Vitra, www.vitra.com 4. Coussin Small Dot, design Charles et Ray Eames, Vitra, www.vitra.com 5. Chaise longue PK24, design Poul Kjaerholm, Fritz Hansen, www.fritzhansen.com 6 et 7. Théière Melin et tasse à thé Spin, design House Stockholm, www.designhousestockholm.com 8. Table X800D, design Alvar Aalto, Artek, www.artek.fi 9. Fauteuil LCW, design Charles et Ray Eames, Vitra, www.vitra.com 10. Portemanteau Sciangai, design De Pas, d’Urbino & Lomazzi, Zanotta, www.zanotta.it
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Souffle nordique
D’hier ou d’aujourd’hui, l’esprit du Nord insuffle un vent de fraîcheur et d’authenticité au design. Par Evelyne Malod-Dognin
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A la mode des fifties 1. Tissu Hevoskastanja, Marimekko, www.marimekko.com 2. Suspension PH Zapfen, design Poul Henningsen, Louis Poulsen, www.louis-poulsen.ch 3. Fauteuil Ox-Chair, design Hans Wegner, Erik Joergensen, www.erik-joergensen.com 4. Canapé 3300, design Arne Jacobsen, Fritz Hansen, www.fritzhansen.com 5. Mug Joonas, Marimekko, www.marimekko.com 6. Table basse Flower, Swedese, www.swedese.se
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Une sculpture contemporaine Texte: Julia Hermann / Traduction: M.-L. Colombini / Photos: Francesca Giovanelli
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en pleine verdure
Agrippée au terrain pentu de 630 m2 qui descend jusqu’au nid de la rivière, la construction est orientée plein sud. A l’opposé, la vallée de la Maggia et ses montagnes composent un tableau naturel.
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La piscine s’intègre dans l’habitacle.
A l’autre extrémité du pavillon, l’escalier longe la façade est. La terrasse conçue comme une cour intérieure.
Au Tessin, cette construction cubique en béton noir entretient un lien très étroit avec la nature. 96
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La série de marches linéaires dévale la butte, presque jusqu’au point d’eau.
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La cuisine est ouverte sur le séjour. Les meubles laqués imaginés par les architectes s’accordent aux tons clairs de l’espace. L’étage du bas regroupe les espaces de repos. .
L’intérieur et l’extérieur ne font qu’un.
A l’extérieur, aucune frontière ne vient perturber l’harmonie de la nature ESPACES Contemporains
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Une sculpture contemporaine en pleine verdure
imaginé un coffrage avec des panneaux en multiplis bakélisé.» Le volume organique en béton teinté à l’oxyde de fer ressemble à une agate noire sculptée, aux lignes tendues. En opposition au noir extérieur, le logement est traité comme un abri monochrome couleur peau. Ce contraste procure un sentiment de bien-être et la simplicité chromatique autorise une spatialité complexe, composée de lignes et d’espaces fuyants. Le plâtre lissé est teinté pour s’accorder au parquet en chêne huilé. Le programme intérieur s’étend sur environ 200 m2 et se compose de pièces communes, d’un bureau, d’une chambre d’ami, d’une piscine et d’une vaste cuisine dont les meubles architecturés sont clairs et laqués. Côté déco, l’ensemble du mobilier est sobre et fonctionnel et laisse la vedette à la flore sudalpestre.
orsqu’on parle d’architecture tessinoise, on pense immédiatement aux œuvres de Mario Botta, Luigi Snozzi ou Livio Vacchini. Aujourd’hui, l’émergence de la jeune génération fait apparaître un nouvel art de construire. A Locarno, Britta Buzzi-Huppert et Francesco Buzzi font partie de cette nouvelle vague. Formés à l’Ecole polytechnique de Zurich, ils prônent une architecture puriste. Ici, ils ont judicieusement mêlé l’architecture au paysage. Insérée dans le terrain, la construction tire parti des orientations nord et sud et surgit telle une sculpture contemporaine sur fond de verdure.
L
Un paysage de carte postale Depuis les inondations de 1978, nombreux sont les autochtones de la région qui appréhendent de faire construire à proximité du lit d’une rivière. Durant dix ans, personne ne s’est donc intéressé à ce terrain sur la commune suburbaine de Tegna. Le jour où le maître de l’ouvrage et les architectes découvrent le site, l’automne est là, la forêt dorée scintille en contrebas comme une mer, les collines se découpent au lointain telles des îles. A l’arrière, des rochers majestueux assurent une solide protection. Situé en pleine nature, dans un cadre serein aux abords d’Ascona, l’endroit ressemble à une carte postale et séduit aussitôt les futurs propriétaires. Accessible par une route étroite, le terrain de 630 m2 s’étend sur une parcelle placée en bordure de la zone à bâtir et encore marquée par les dernières inondations. La maison est orientée vers le sud, là où coule la rivière Melezza. Au nord, la vue s’ouvre sur la vallée de la Maggia et sur les montagnes. Sa forme cubique est le résultat de normes de construction strictes et du souhait de marquer clairement la 102
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En osmose avec la nature Avec ses compartiments aux lignes tendues en béton noir teinté à l’oxyde de fer, le monolithe s’apparente à un onyx sculpté posé en pleine nature. pente du terrain. Les autorités compétentes ont imposé une distance de dix mètres côté forêt et l’édification de deux étages minimum. De nombreuses villas pseudoromantiques règnent sur la région du Pedemont, mais les architectes, qui n’en sont pas à leur premier défi – ils ont déjà réalisé la villa Sulla Roccia, bâtie sur un rocher – ont tenu à construire une habitation très contemporaine. «Notre projet a bien sûr pris en considération la topographie et le caractère spécifiques du lieu. La construction s’encastre dans le sol, pour profiter au maximum des deux orientations principales», explique Francesco Buzzi. Après l’explosion partielle du rocher, les architectes
implantent confortablement la nouvelle construction. Au lieu de la poser sur un socle comme le terrain le suggère, ils optent pour un soubassement mixte, à la fois naturel et artificiel, qui rappelle les abords des autoroutes. Grâce à cette «terre armée», l’objet s’intègre parfaitement à son environnement.
Onyx noir Les deux concepteurs ont créé des compartiments de forme rectangulaire au toit plat, ouverts au maximum sur le paysage. «La nature du projet repose sur l’aspect sculptural des différentes épaisseurs du matériau, assemblées entre elles. Pour que la surface apparente soit lisse et sa couleur homogène, nous avons
Ici, l’architecture fait partie de la nature. Sa générosité et sa transparence s’appliquent aux deux étages. En haut, la cuisine ouverte sur la salle à manger et le séjour forme une entité. Là où les plafonds et les murs s’arrêtent commence la végétation. Les immenses baies vitrées semblent lier l’intérieur et l’extérieur. Une passerelle relie ce volume au deuxième corps de bâtiment situé plus à l’ouest et occupé par la pièce de travail. La piscine est accessible, quant à elle, depuis une grande terrasse. L’étage du bas est dévolu au repos. Là aussi, la lumière prend possession des lieux. Toutes les chambres vitrées s’ouvrent sur une cour intérieure centrale, gravillonnée. Dans le jardin, ni haie ni repères hormis l’escalier bétonné posé à fleur de paysage qui permet de rejoindre la rivière en contrebas. Entre ciel et terre, le pavillon semble à la frontière du réel. ■
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Design, fashion & glamour à Vevey 1
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Plein succès pour le show événementiel organisé par Espaces contemporains en partenariat avec le mensuel féminin Edelweiss et l’agence de communication My Playground à l’Hôtel du Lac de Vevey durant le premier weekend de juin. L’association des univers du design et de la mode s’est révélée une formule gagnante qui a séduit un public de qualité. Clins d’œil et rétrospective. 11
Dossier réalisé par Patricia Lunghi Photos de Gilles Turin et Marino Trevisani
1. Pierre Keller, directeur de l’ECAL et Roland Durussel, éditeur d’Espaces contemporains; 2. Grégoire Jeanmonod et Augustin Scott de Martinville de Big Game design studio; 3. Damien Regamey présente Emir, la nouvelle tirelire diamant d’Article; 4. Giorgio Pesce de l’Atelier Poisson; 5. Romain Casella et Emilie Veillon de l’agence My Playground; 6. Le célèbre chasseur de tendances Yvan Rodic; 7. Fred Grimm de Teo Jakob, Genève; 8. Pierre Keller en compagnie de Hans Schärer de Wohnshop et Michele Granata d’Arcadia; 9. Virginie Biffl à la tête de l’agence My Playground; 10. Bernard Halil de Tout simple sans accoudoir, Territet-Montreux; 11. Carlotta Pisano de Arper, venue d’Italie pour l’occasion, succombe à la tentation du shopping; 12. Mathieu Winkler de Moyard à Morges; 13. Adrien Rovero devant quelques-unes de ses créations; 14. Alexis Georgacopoulos, à la tête du département de design de l’Ecal avec Tonja Bolliger de l’agence My Playground; 15. Dame Pipi avec notre photographe, Gilles Turin; 16. Florence Duarte, rédactrice mode d’Edelweiss prend des notes dans les showrooms; 17. Patricia Lunghi, responsable projet pour Espaces contemporains et Anne Niederoest, marketing manager d’Edelweiss; 18. Jeanne Graff et Anne Niederoest, marketing manager d’Edelweiss; 19. Pascal Rion d’Artemide; 20. Madame Granata de Arcadia, Genève; 21. Henrik Maasz, agent Minotti, dans la brume de la Salle Viennoise; 22. Mette Larsen et Alain Venzin devant le gâteau Montana; 23. Les stylistes du label Well Behaved; 24. Janine Goumaz du Loft à Yverdon; 25. Nicole Schärer de Wohnshop projecto sa se laisse séduire par les jeunes créateurs; 26. Julia Canonica de chez Jean-Pierre Goumaz; 27. Laurence Desbordes, rédactrice en chef d’Edelweiss avec Philippe Cramer.
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Hans-Jörg Ruch Esprit de l’Engadine Des liens profonds unissent l’architecture d’aujourd’hui aux traditions architecturales montagnardes. Exemples récents à Saint-Moritz. Texte: Philip Jodidio / Photos: Filippo Simonetti S’il est un fait que l’Engadine bénéficie d’un tourisme de haut niveau, Saint-Moritz n’était pas, du moins jusqu’à une date récente, réputée pour son architecture contemporaine. La présence de Norman Foster avec son curieux Chesa Futura (Saint-Moritz, 2000-2004) ou son actuel projet de rénovation des anciens hôtels Albana (1907) et Posthotel (1908) sous forme d’un complexe résidentiel et commercial cohérent (le Murezzan) change déjà la donne. Hans-Jörg Ruch, comme Peter Zumthor – un autre architecte suisse qui a élu domicile dans les Grisons – semble avoir le don de faire apparaître les liens profonds qui existent entre l’architecture d’aujourd’hui et les traditions architecturales de la montagne. Alors que la rénovation de structures anciennes, et à plus forte raison dans le cas des maisons médiévales de Salouf ou de Zuoz, semble être 28
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une occupation surtout réservée aux seuls tenants d’une approche historiciste, Hans-Jörg Ruch ose un esprit contemporain dans le respect du passé. Il ressent manifestement l’appel de la montagne, comme en témoigne sa Cabane de Tschierva dans la chaîne de Bernina, avec ses surfaces géométriques en bois et ses vues splendides. Mais c’est sans doute à Zuoz qu’il faut se rendre pour voir la vraie nature de son talent. Hans-Jörg Ruch ne s’aventure que rarement en dehors de l’Engadine pour son travail. Profondément enraciné dans la culture de la région où il a élu domicile - qu’elle soit ancienne ou moderne - cet architecte exceptionnel né en 1946 à Bellach, dans le canton de Soleure, traverse cependant certaines frontières bien plus facilement que d’autres. Formé à l’ETH de Zurich, puis à l’Institut polytechnique Rensselaer (Troy, New
York) – où il a écrit une thèse sur le sujet «Towards an Architecture of Tourism» – depuis qu’il s’est établi à Saint-Moritz en 1989, Hans-Jörg Ruch s’est appliqué à rénover un certain nombre d’anciennes bâtisses en Engadine. Parmi ces rénovations figure la Turmhaus de Salouf (Grisons), un bâtiment datant en partie de la fin du XIVe siècle, avec une structure en bois érigée dès 1552. Tout en conservant l’aspect extérieur de la Turmhaus, Ruch y a ajouté une nouvelle entrée, une cuisine moderne, une salle de bains et une chambre. C’est avec autant de goût et de bon sens que l’architecte a entrepris de rénover la Chesa Madalena à Zuoz, près de Saint-Moritz, aujourd’hui convertie en galerie d’art. Parmi les tours de Zuoz, construites au XIVe siècle, celle de la Chesa Madalena, mesurant dix mètres sur dix pour une hauteur de seize mètres, est la plus
grande du village médiéval. Des analyses dendro-chronologiques ont permis de dater des poutres survivantes de la structure initiale à l’année 1304. De larges traces du plâtre appliqué en rasa pietra ont été retrouvées et restaurées. La tour elle-même a été reconstruite en 1510, mais des ajouts postérieurs avaient presque complètement occulté la structure d’origine. En collaboration avec les autorités de l’Office de conservation des bâtiments historiques, Ruch a procédé à la mise à nu de la tour, rendant ainsi lisible l’architecture d’origine. Hans-Jörg Ruch laisse apparaître le vieux bois de la Chesa Madalena tout en ajoutant des sols en béton ou des portes modernes, avec un goût sûr qui donne à voir comment le patrimoine ancien d’un village comme Zuoz peut devenir très contemporain. La complexité spatiale de la galerie liée pour une
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large part au grand âge de la structure est mise à profit pour créer des espaces allant de l’ordre de l’intime à des dimensions suffisamment vastes pour recevoir de la sculpture contemporaine, par exemple. L’ossature de la maison médiévale devient visible et laisse place à un dépouillement intérieur des plus contemporains. Des vues sur le village et la montagne rappellent la situation de la Chesa Madalena, mais l’ancien coexiste avec le moderne sans contradiction. La Chesa Madalena accueille aujourd’hui des œuvres d’artistes tels que le photographe Balthasar Burkhardt ou le sculpteur Richard Long, sans aucune incongruité.* ■
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Vue de la Chesa Madalena à Zuoz, près de Saint-Moritz, aujourd’hui convertie en galerie d’art.
Hans-Jörg Ruch, architecte www.ruch-arch.ch *Galerie Tschudi, Chesa Madalena, www.galerie-tschudi.ch
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espaceobjets MODIFIÉE. Dessinée par deux grands maîtres de la modernité, une nouvelle édition de la chaise mythique dans une version à dossier allongé. Organic Chair, design Charles Eames & Eero Saarinen. Vitra, www.vitra.com
RÉÉDITIONS UNLIMITED LE DESIGN DES 60’S ET 70’S RESTE D’ACTUALITÉ. LA PREUVE EN IMAGE AVEC CES RÉÉDITIONS DES SIÈGES CULTES DES ANNÉES POP. JUBILÉ. Pour les 80 ans du designer et ses cinquante ans de carrière au service d’Artifort, le fabricant a réédité en 2007 le tissu Momentum sur le fauteuil Le Chat dessiné en 1967. Design Pierre Paulin. Artifort, www.artifort.com
BABA. Toute la collection et les tissus en réédition. Bobo de Cini Boeri, 1967. Arflex, www.arflex.it
GLOSSY. En polyuréthane expansé, revêtement au choix. Karelia, design Liisi Beckmann, 1966. Zanotta, www.zanotta.it
INTEMPOREL. Devenu si classique qu’on en oublierait ses origines pop. La Bambole, design Mario Bellini, 1972. B&B Italia, www.bbitalia.it
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HANNES WETTSTEIN LE DESIGN SUISSE A PERDU L’UNE DE SES FIGURES CONTEMPORAINES LES PLUS TALENTUEUSES
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Texte: Evelyne Malod-Dognin
Hannes Wettstein, disparu en juillet dernier, restera comme l’un des designers helvétiques les plus marquants de sa génération. La pertinence de ses analyses, son exigence sans faille, son souci de la perfection font la signature du très éclectique designer zurichois. Largement apprécié et reconnu au-delà de nos frontières, les divers prix et récompenses qui ont ponctué sa carrière ont aussi contribué à véhiculer au niveau international la qualité et la créativité du design suisse. Le dernier en date, le Good Design Award, lui a été attribué l’an dernier pour la chaise Tototo, éditée par Max Design. On y retrouve la pureté formelle caractéristique de son œuvre, alliée à une sensualité nouvelle. Révélé au monde dans les années 80 par la création du premier système d’éclairage à basse tension (Metro) réalisé avec Belux, on lui doit nombre d’objets – du vélo au stylo, de la montre au tapis, des luminaires aux équipements audio, de l’appareillage électronique aux meubles – tous produits par les marques internationales ou suisses les plus significatives. Loin des effets de mode, attaché à l’idée forte du concept comme élément déterminant de la forme, Hannes Wettstein a dessiné avec un indéniable talent des objets que l’on peut qualifier d’intemporels et dont certains sont déjà des classiques. Outre le design d’objets, le designer a réalisé des projets architecturaux d’envergure. On lui doit par exemple l’aménagement intérieur de l’hôtel Grand Hyatt de Berlin et des ambassades suisses à Téhéran et à Washington; des terminaux de l’aéroport de Francfort et plus près de nous, le Musée de la photographie de Winterthur. L’atelier Zed, qu’il a fondé dans les années 90 à Zurich, est aujourd’hui une vaste plateforme de 23 collaborateurs œuvrant tant dans le design que dans l’architecture. Pour Hannes Wettstein, le design s’entendait comme un concept global; il envisageait rarement la création d’un objet isolé; d’ailleurs, la plupart de ses éditeurs lui ont donné l’opportunité d’exprimer sa vision à travers plusieurs projets. Interviewé récemment par l’une de nos collaboratrices, il affirmait: «L’un des aspects essentiels du travail du designer, c’est la réflexion sur les attitudes comportementales».
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1. Tototo, Max Design, 2007 2. Ypsilon, Belux,1999 3. Lit Wave, Molteni, 2007
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DESIGN NORDIQUE NOUVELLE GÉNÉRATION LE CENTRE DE GRAVITÉ DE LA PLANÈTE DESIGN SE DÉPLACE VERS LE NORD DE L’EUROPE. UNE JEUNE GÉNÉRATION DE DESIGNERS – AUSSI CRÉATIFS QUE PROLIFIQUES – Y DESSINE LES CONTOURS D’UN NOUVEAU DESIGN CONTEMPORAIN. LONGTEMPS MOTEURS DE LA MODERNITÉ, LES PAYS SCANDINAVES SONT À NOUVEAU EN PREMIÈRE LIGNE. Dossier réalisé par Maroun Zahar
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arler de design scandinave peut aujourd’hui sembler décalé. En effet, le terme soulève d’emblée deux problématiques qui gravitent toutes deux autour de la question de l’identité. La délimitation géographique de courants de design est-elle encore pertinente aujourd’hui? Les designers issus de milieux et de nationalités divers convergent naturellement vers les mêmes lieux de production, se réclament des mêmes écoles de pensée et se prétendent affranchis de l’héritage de leurs maîtres et prédécesseurs. Leurs approches et références se recoupent et se rejoignent au-delà des frontières des pays et des styles. A l’unanimité ou presque, ils ne revendiquent qu’une seule et unique nation: la planète design. Cela est vrai. Mais peut-on faire abstraction des courants créatifs et générationnels que suscitent certaines écoles et certaines personnalités et dont la production véhicule des visions assez proches, des sensibilités voisines? Force est de constater que ces courants créatifs coïncident souvent avec des zones géographiques, même si les limites de ces dernières tendent à devenir de plus en plus floues. Le design scandinave est indéniablement et intimement associé à la modernité, à une certaine vision du monde. Il en a gardé les caractéristiques à travers les différentes périodes de son histoire. Or le «nouveau» design nordique, qui connaît depuis les années nonante une effervescente dynamique, ne partage pas cette même conception moderniste. Il est même très fier de s’affranchir du joug des critères et des repères de ses grands maîtres. Au-delà de ces considérations, le design scandinave actuel se révèle extrêmement intéressant. Par sa richesse et sa dynamique d’abord, mais aussi parce qu’il représente un cas particulier, une sorte d’exemple. Autour de différents pôles géographiques se développent des mouvements de jeunes créateurs qui recourent à des modes de production similaires et qui interprètent certains repères et références selon des schémas semblables.
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1. Lampe PH Snowball, design Poul Hennigsen. Rééditée en 1983. Louis Poulsen 2. Pouf Puff, design Leif Jorgensen, 2003. Hay 3. Tissu motif Kaivo, design Maija Isola and Kristina Isola.1964. Marimekko 4. Chaise Séries 7, design Arne Jacobsen, 1955. Fritz Hansen
LE DESIGN SCANDINAVE: L’HISTOIRE DE LA MODERNITÉ Le terme de design scandinave est né dans les années cinquante. Lors de l’exposition Scandinavian Design for Living en 1951 à Londres, pour la première fois des producteurs des pays nordiques unissaient leurs forces. Le terme design scandinave fut ensuite promu grâce à l’exposition Design in Scandinavia qui, de 1954 à 1957, sillonna le nord de l’Amérique, alors terre fertile du développement de la modernité.
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1. Vase Alvar Aalto, 1936. iittala 2. Bol Tapio, design Tapio Wirkkala, 1952. iittala 3. Fauteuil CH07, design Hans Wegner, 1963. Carl Hansen & Son 4. Alvar Aalto (1898-1976) 5. Hans Wegner (1915-2007) 6. Bruno Mathsson (1907-1988) avec Piet Hein le poète, intellectuel et artiste danois 7. Fauteuil «Paimio», design Alvar Aalto, 1931-32. Artek 8. Egg Chair, design Nanna Ditzel, 1959. Pierantonio Bonacina 9. Fauteuil Eva High, design Bruno Mathsson, 1941. Bruno Mathsson International 10. Waves, réalisée à l’occasion des 40 ans de la firme Erik Jorgensen. Design Anne-Mette Jensen et Morten Ernst.
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Mais les racines du design nordique remontent à bien plus longtemps. En Finlande, en Suède ou au Danemark, la modernité était inscrite dans les principaux processus créatifs depuis le début du XXe siècle. Si ces pays avaient des approches – et des politiques différentes – il n’en demeurait pas moins que leurs visions convergeaient et que la modernité constituait d’emblée une valeur placée au centre de leurs préoccupations. En Suède, le design moderne était un moyen d’établir une identité politique, sociale et culturelle. Pour le Danemark, la modernité devait s’inscrire dans la continuité. L’innovation et la tradition, la culture locale et le progrès ne devaient pas devenir des valeurs antinomiques mais rester des segments continus dans une histoire imperturbablement linéaire. Peut-être que c’est là le point de départ le plus intéressant et le plus significatif de l’histoire créative des pays du Nord. La modernité scandinave se refusait d’être utopiste, théorique. Elle préconisait une approche humaniste, inscrite dans le contexte et la continuité, très loin de la tabula rasa du Corbusier ou des avant-gardes dogmatiques européennes de cette époque. Des figures clés telles que Kaave Klint établirent les bases du modernisme danois en entreprenant la lourde tâche d’analyser – et de théoriser – le rapport entre production industrielle et culture artisanale, entre la standardisation en tant que processus et la mécanisation comme modèle productif. Dans le reste de la Scandinavie, les démarches étaient voisines. En Finlande, Alvar Aalto posait les bases d’un rationalisme «humain» et, en Suède, Bruno Mathsson dessinait architecture et meubles dans le pur souci de lier l’innovation aux langages du passé. Ces figures de la première moitié du siècle étaient souvent des architectes, et le design ne représentait pour eux que l’une des dimensions
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espacedesign LE DESIGN DÉMOCRATIQUE: UNE RÉALISATION SUÉDOISE
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1. Panton Chair, design Verner Panton, 1960. Vitra 2. Arne Jacobsen (1902-1971) 3. Poul Kjaerholm (1929-1980) 4. Louise Campbell (née en 1970) 5. Eero Aarnio (né en 1932) 6. Fauteuil Veryround, design Louise Cambell, 2006. Zanotta 7. Fauteuil Tirup, design Carl Öjerstam, 2007. Ikea 8. Etagères Lerberg, design Jon Karlsson, 2007. Ikea 9. Lampe de table AJ, design Arne Jacobsen, 1957. Louis Poulsen 10. Ball Chair, Design Eero Aarnio, 966. Adelta 11. Chaise longue PK 24, design Poul Kjaerholm, 1965. Fritz Hansen
Peut-on parler de design nordique sans évoquer Ikea? Le géant jaune et bleu est pourtant un cas à part dans le design scandinave (et le design en général). C’est aussi le cas le plus paradoxal. En effet, c’est le seul qui a tenu ses promesses de design démocratique, en fournissant des objets simples, beaux et accessibles pour tous. Ikea est aussi la seule entreprise de design qui ne cherche pas à créer des icônes mais des objets du quotidien. Avec ses 522 millions de visiteurs durant l’année 2007 et son chiffre d’affaires qui frôle les 20 milliards d’euros, le géant suédois est devenu surtout et tout simplement incomparable avec les autres fabricants. Fondé en 1943 par Ingvar Kamprad, Ikea est aujourd’hui un symbole de la globalisation: les objets sont dessinés en Suède, produits dans des usines parsemées aux quatre coins du monde et distribués à travers 231 magasins dans 24 pays. Au-delà de ces chiffres, ce qui est intéressant à relever, c’est qu’Ikea représente ce qu’il y a de plus profondément suédois: une aptitude à la simplicité – voire à la modestie – un design fonctionnel, confortable, aussi proche que possible des systèmes de production et des matériaux locaux. Avec Ikea, la question «Qu’est-ce que le design?» prend toute son ampleur. Les meubles en kit renvoient plutôt à un style pratique, pas 8 cher et moderne. Les producteurs de design éditent généralement des pièces d’auteurs – les designers – destinées à une certaine intelligentsia ayant la culture et le background nécessaires pour les apprécier, et les moyens de se les offrir! www.ikea.ch 11
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d’un nouveau cadre de vie moderne à naître. A partir des années quarante, le Danemark allait offrir des contributions considérables au design moderne grâce à Hans Wegner, Borge Mogensen ou Finn Juhl. Forts de l’héritage légué par Klint et d’autres, ils entreprirent de matérialiser ce qui deviendra le modernisme danois. Hans Wegner – qui créa plus de 500 sièges – fut l’un des alchimistes qui réussit à faire fusionner l’artisanat, les valeurs traditionnelles et la modernité en parfaite harmonie. Ce rapport entre savoir-faire à petite échelle et modernité, Kaj Franck et Timo Sarpeneva le relayèrent en Finlande. Et c’est après la Seconde Guerre mondiale que commencèrent à émerger les grandes figures comme Arne Jacobsen. L’environnement créé par les artisans de la modernité des années trente et quarante avait favorisé l’émergence de ceux qui allaient emporter le design et le mouvement moderne vers une autre ère. Arne Jacobsen, architecte avant tout, donna une stature internationale au design danois en le plaçant dans le champ de l’architecture plutôt que dans celui des arts appliqués. L’objet – tout comme l’espace – devait être le résultat du rapport entre la fonction et la rationalité du processus de fabrication. Une approche en somme identique à celle prônée par les fonctionnalistes à travers la formule: «La forme suit la fonction.» Poul Kjaerholm, quelques années plus tard, dessinera lui aussi des chefsd’œuvre, inscrits dans le même registre rationaliste et sensuel. ACTION ET RÉACTION A partir des années soixante, l’image de la modernité commence à changer. Au niveau international, le mouvement fait la promotion de l’innovation et de la rupture. La technologie, les nouvelles matières et des nouveaux modes de vie s’avèrent – peut-être paradoxalement – en porte-à-faux avec le design
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6 7 1. Canapé Alone, design Monica Förseter, 2007. Poltrona Frau 2. The Black Chair, 2007 et Babel 2008, design Frederik Mattsson. Bla Station 3. Harri Koskinen (né en 1965) 4. Monica Förster 5. Peter J. Lassen, designer et fondateur de Montana 6. Le collectif suédois Front Design 7. Les modules Montana, extrait de la palette de couleurs 8. Lampe Block, design Harri Koskinen,1996. Design House Stockholm 9. Fauteuil Glove, designers Barber et Osgerby, 2007. Swedese 10. Lampe Tree, design Front Design, 2006. Edition limitée
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SCANDINAVES OUI, MAIS PAS SEULEMENT La jeune génération, contrairement à ses aînés, ne cherche pas la continuité, encore moins l’affiliation. Nous sommes dans le monde contemporain. La vision moderniste progressiste de la société basée sur l’innovation est remplacée par une vision transversale et systémique.
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scandinave rationaliste. Si les figures de Verner Panton et plus tard d’Eero Aarnio restent fortement associées à cette époque, c’est parce qu’ils étaient en rupture avec le design ancré dans le savoir-faire artisanal, la culture de la simplicité scandinave du moment. Les références étaient à la culture pop, au monde en révolution, et les regards des designers étaient tournés vers les Etats-Unis. Et si certaines images de Marimekko et des atmosphères psychédéliques évoquent le Grand-Nord, cette mouvance n’était qu’une pointe dans un contexte global qui restait plutôt soucieux de conserver ses repères. Ce furent les dernières grandes vagues avant le grand calme, qui dura presque deux décennies, du milieu des années septante jusqu’à la fin des années quatre-vingt. A partir de cette époque, la modernité elle-même entre en crise. La vision utopiste optimiste d’une société prospère vivant en harmonie était grippée. Les pays scandinaves, eux, traversent une double crise. Celle de la relève d’abord, l’héritage des grands maîtres étant lourd à porter. Ces modèles parfaits ayant dessiné des icônes et bâti la modernité ne laissent aux jeunes que le choix du mimétisme ou la rupture. Avec, dans cette hypothèse, le risque de l’exclusion comme prix à payer pour se sentir en phase avec l’esprit du temps. L’époque est à la remise en question. La rupture n’est pas qu’un problème générationnel, c’est une déchirure idéologique. Il faut attendre les années nonante, la fin du postmodernisme et la dilution dans l’histoire de l’influence des figures imposantes des années quarante et cinquante pour avancer.
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espacedesign STOCKHOLM FURNITURE FAIR
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4 1. Lampe Caravagio, design Cecilie Manz, 2005-2006. Light Years 2. Exposition d’Alexander Lervik présentée à l’édition de cette année au Stockholm Furniture fair 3. Cecilie Manz 4. «Le Lounge» conçu par Giulio Cappellini, pour l’édition de cette année au Stockholm Furniture Fair 5. Tables basses Icicle, design Thomas Pedersen, 2008. Fredericia Furniture 6. Fauteuil Attitude, design Morten Voss, 2006. Fritz Hansen
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La foire de Stockholm est devenue le rendez-vous annuel incontournable du design scandinave. Cette manifestation qui regroupe la majorité des acteurs du design des pays nordiques et les grandes marques du design en général a attiré lors de sa dernière édition plus de 40 000 visiteurs. Accompagné de manifestations dans la capitale suédoise, cet événement est surtout intéressant par sa fraîcheur et son dynamisme. En effet, la jeunesse des sociétés qui y participent et des designers présents lui donne une dimension progressiste et alternative. On sent qu’on est là pour parler design autant que marché. Si à Stockholm les petites pièces et les séries limitées avoisinent des éditeurs transmués en multinationales, la proximité, la démarche simple et l’ouverture des uns et des autres lui procurent un plus qui valorise l’ensemble des protagonistes du secteur. Comme chaque année, les organisateurs invitent une personnalité du monde du design pour créer un hall d’accueil susceptible de donner le ton. Pour cette édition, c’est à Giulio Cappellini qu’est revenu l’honneur de cette installation. Le directeur artistique de Cappellini a conçu un espace associant des formes et des meubles verts, un peu pour leur dimension plastique et psychédélique, mais surtout en allusion au design vert, à l’écologie et aux préoccupations environnementales. Stephen Burks, quant à lui, avec les Readymade Projects, avait mis en place le Craft Café, le café de l’artisanat, qui présentait des pièces dessinées par le designer américain lors de ses voyages en faveur des artisans. En automne 2007, il avait participé à la campagne suédoise Saving the Planet in Style et il avait dirigé un atelier au College of Arts, Crafts and Design. Le résultat de cette collaboration a été présenté dans le cadre de la foire. www.stockholmfurniturefair.com
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Les jeunes créateurs s’enhardissent par des démarches éclectiques, en mixant des systèmes productifs complexes. Ils bousculent les codes et les frontières entre les différents domaines. Le design scandinave créé par et autour d’architectes comme Arne Jacobsen ou Bruno Mathsson, ou d’artisans comme Kaj Franck, n’a rien à voir avec celui qui flirte aujourd’hui avec le décoratif, l’art contemporain ou la haute technologie. La Danoise Louise Campbell joue des codes décoratifs avec des procédés hightech. Monica Förster, la Suédoise, manie aussi bien l’humour décalé que les lignes classiques contemporaines. Le collectif Front Design se positionne entre art contemporain et design. Dans ce monde globalisé, entre l’influence hollandaise d’une part et les éditeurs italiens – qui ont instauré des sortes de paradigmes du mode de fonctionnement du marché du design – d’autre part, ces jeunes designers dynamiques et créatifs ont désormais une place taillée pour eux. Mais ils ne se contentent pas d’être à nouveau sollicités! Doublés de jeunes entrepreneurs, ils se lancent eux-mêmes à l’assaut du marché, avec de petites séries. Des petites sociétés comme Swedese, Bla Station ou Hay – qui vont très vite grandir – profitent des nouveaux modes de production et d’information. Les facteurs sont très favorables à l’éclosion d’un design jeune. A l’heure de la communication et d’internet, le mobilier et l’objet design sont l’esthétique de référence. On veut des objets qui renvoient à un monde cosmopolite heureux et presque onirique. Le nouveau design scandinave est sexy et ludique, il suscite un engouement réel. Cette jeune génération remet au goût du jour le terme design scandinave. Si le design qu’elle invente ne se veut pas et ne s’inscrit pas dans la continuité de leurs aînés, il poursuit pourtant en quelque sorte leur travail, celui de s’accorder avec un monde en mouvement. Comme quoi une terre fertile donne toujours de beaux fruits. ■
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LE DESIGN ITALIEN OU LA LIBERTÉ DE LA PENSÉE CRÉATIVE En se penchant sur l’histoire du design italien, on se rend compte qu’elle est moins fondée sur des objets et des styles qu’il n’y paraît et qu’elle est avant toute chose une fascinante histoire d’hommes, d’idées et d’idéologies. Né dans l’après-guerre en dehors des institutions et des politiques, qui n’ont jamais soutenu l’essor de cette discipline, le design italien s’est développé dans un contexte hostile et a élaboré un modèle original de fonctionnement en choisissant comme interlocuteur la petite et moyenne entreprise et ses extraordinaires capacités d’expérimentation. Sachant continuellement se renouveler et évoluer dans des directions parfois inattendues, le design italien ne se laisse pas cataloguer et encore moins réduire à un style spécifique ou à un mouvement unique. Cette richesse et une manière de fonctionner propre lui ont valu un leadership international dès les années soixante et pendant vingt ans, établissant aujourd’hui le design italien comme un modèle reconnu. Andrea Branzi*, dans son ouvrage «Il design italiano», souligne que le design italien s’est affirmé comme une sorte d’«opposition militante» à travers des objets et des idées. On ne peut donc se satisfaire de la théorie d’un design, simple produit industriel. La revendication de fondements culturels, voire même politiques, est la base du design italien. Parcours et analyse d’un phénomène vaste et complexe. Dossier réalisé par Patricia Lunghi *Andrea Branzi est architecte, designer, écrivain, membre fondateur du mouvement radical des années soixante Archizoom et auteur de nombreux livres sur l’histoire du design, parmi lesquels l’œuvre importante «Il design italiano», Ed. Electa (pas de traduction française jusqu’ici), qui vient de s’enrichir d’une récente mise à jour et qui s’étend dès lors de 1964 à 2000. 1. Valentine, Ettore Sottsass, Olivetti, 1968 2. Kar-a-sutra, Mario Bellini, Cassina, 1972 3. Franco Albini 4. Téléphone Grillo, Marco Zanuso et Richard Sapper, Sit-Siemens, 1967 5. Joe Colombo 6. Bloomy, Patricia Urquiola, Moroso, 2004 7. Andrea Branzi 8. Carlo Mollino sur son Bisiluro 9. Michele De Lucchi 10. Universale chair, Joe Colombo, Kartell, 1965-67 11. Ettore Sottsass 12. L’appartement de Joe Colombo, Milano, 1970 13. Margherita, Franco Albini, Vittorio Bonacina, 1951 14. Marco Zanuso 15. I Feltri, Gaetano Pesce, Cassina, 1987 16. Sella, Achille et Pier Giacomo Castiglioni, Zanotta, 1957 19. Bella Rifatta, William Sawaya, Sawaya et Moroni, 2008 17. Bague, Patricia Urquiola et Eliana Gerotto, Foscarini 2003 18. Pratone, Ceretti-Derossi-Rosso, Gufram, 1968 20. Ciprea, Afra et Tobia Scarpa, Cassina, 1968 1 21. Capitello, Studio 65, Heller, 197 22. Etude pour lunettes asymétriques, Gaetano Pesce
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Au lendemain des conflits mondiaux, la reconstruction en Italie se fait de manière sauvage. Entre 1950 et 1970, presque quatre millions d’habitations sont construites, de manière élémentaire et sans projets architecturaux, pour aller plus vite. Selon Andrea Branzi, le design italien est le fils naturel des espoirs déçus des architectes qui ont déplacé leurs idéologies vers le champ du design industriel, plus ouvert à la recherche et à l’innovation. C’est une des raisons pour lesquelles, dans les années soixante, la plupart des designers sont des architectes. Dans plusieurs villes italiennes naissent à cette époque des groupes d’avant-garde, composés de jeunes architectes et d’intellectuels: Superstudio, Archizoom, Gufram, Ettore Sottsass, Umberto Eco, Joe Colombo et bien d’autres essaient d’introduire de manière critique le design dans la civilisation du mass market. Ces mouvements extrêmes, à la recherche d’une nouvelle architecture, veulent abattre tout résidu de tradition et redéfinir la métropole par ses objets. Si, en architecture, cette quête ne dépassera pas le stade de l’utopie, l’industrie de l’ameublement quant à elle est prête à mettre en pratique ces expérimentations radicales et provocatrices. Certains des objets révolutionnaires surgis de cette époque sont encore aujourd’hui en production, comme le Sacco de Zanotta, le Cactus ou le Pratone de Gufram. Le plastique, utopie des années soixante Dans les années trente, Pirelli avait déjà mis au point une matière dérivée du latex, et Marco Zanuso sera l’un des premiers architectes à expérimenter son utilisation dans l’ameublement sur divers projets de sièges avec rembourrages spéciaux, comme les fauteuils Lady ou Martingala. Néanmoins, jusqu’en 1963, la majeure partie du mobilier reste en bois et en métal, avec des rembourrages traditionnels, fruit de techniques de travail artisanales. Mais la croissance des exportations requiert une augmentation de la productivité et le passage à la dimension industrielle. Par ailleurs, on expérimente de nouvelles matières et de nouvelles formes; l’avènement du plastique et des mousses élastiques modifie les habitudes et le panorama visuel. Les freins technologiques disparaissant, les groupes radicaux passent de la théorie à la pratique et les éditeurs se lancent dans de nouvelles techniques de production. Avec un seul jet de mousse en polyuréthane dans un moule en bois très éco-
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1. Téléviseur Algol, Marco Zanuso et Richard Sapper, Brionvega, 1964 (ici nouvelle édition 2008) 2. Lampe Falkland, Bruno Munari, Danese, 1964 3. Livraison de chaises Superleggera, Gio Ponti, Archivio Cassina, 1957 4. Montre, Ettore Sottsass 5. Arco, Achille et Pier Giacomo Castiglioni, Flos, 1962 6. Boby, Joe Colombo, Bieffeplast, 1970 7. Sel et poivre, Ettore Sottsass, Alessi, 8. Mario Bellini 9. Proust, Alessandro Mendini, Studio Alchimia/Cappellini, 1978 10. Eclisse, Vico Magistretti, Artemide, 1965 11. UP, Gaetano Pesce, B&B Italia, 1969 12. La Conica, Aldo Rossi, Alessi, 1984
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7 nomique, Gaetano Pesce conçoit la mythique assise UP. Cini Boeri crée Serpentone (1971), canapé monobloc modulable à l’infini sans aucune structure interne. Les matières artificielles, les fibres chimiques et autres polymères véhiculent pour l’homme moderne un fort message démocratique. Cependant, le choc pétrolier du début des années septante engendrera la crise de tous les produits dérivés et signera le rapide déclin du plastique et de son utopie égalitaire. Design et industrie En Italie, plus que partout ailleurs, on se plonge dans la rénovation et l’invention pour effacer les années de fascisme et tracer les perspectives d’un projet social et démocratique. La revue «Domus» se fait l’écho des projets les plus avant-gardistes, et les jeunes designers font preuve d’une liberté inégalée lors des Triennales de Milan. Mais, pour rendre justice à ce phénomène naissant, il faut souligner le rôle fondamental des entrepreneurs éclairés qui osent prendre des risques et transformer les propositions, même les plus expérimentales, en réalité. Le rapport étroit entre le designer et le producteur est une des clés du design italien. On ne peut ignorer l’intuition exceptionnelle dont font alors preuve des personnalités telles qu’Aurelio Zanotta, grâce à qui la bizarre assise Mezzadro (1955), siège de tracteur monté sur arbalète, le fauteuil gonflable Blow (1967) ou la table Quaderna (1971) voient le jour. Les liens établis entre les designers et les éditeurs sont basés sur la confiance, et les nouvelles idées se griffonnent sur un coin de table autour d’un verre de vin. Ces relations privilégiées fondées sur l’échange constant d’idées entre l’unité créative et productive sont le cœur même du fonctionnement du système italien. La confiance réciproque engendrée sur le long terme a abouti très souvent à des collaborations capitales et durables, comme celles des frères Cesare et Umberto Cassina avec Gio Ponti et Gaetano Pesce, Maddalena De Padova avec Vico Magistretti, Aurelio Zanotta avec Castiglioni, Ettore Sottsass et Adriano Olivetti. L’âge d’or du design italien correspond à l’époque où Marco Zanuso crée avec Arflex ses pièces maîtresses et où Bruno Danese tisse le lien historique avec Enzo Mari et Bruno Munari.
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1. Patricia Urquiola 2. Le team de Nucleo Design 3. Tropicalia, Patricia Urquiola, Moroso, 2008 4. sq3, Alessandra Bettolo et Betty Sperandeo, SpHaus, 2005 5. Fat-fat Lady Fat, tables basses, Patricia Urquiola, B&B Italia, 2002 6. Org, Fabio Novembre, Cappellini, 2001
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Années quatre-vingt, le nouveau design italien Le cas Danese est un exemple très important dans l’histoire du design italien de la décennie soixante-septante. Il représente l’exemple type de la petite industrie dotée d’une très forte image et qui applique une politique culturelle entre art et design comme le feront successivement le mouvement Memphis d’Ettore Sottsass et le groupe Alchimia d’Alessandro Mendini. Ces laboratoires d’expérimentation produisant des petites séries ou des pièces uniques aboutissent à la création d’objets originaux qui influencent fortement le design en série. En 1980, Memphis va révolutionner la culture visuelles de la décennie à venir et faire connaître de nouveaux designers, comme Michele De Lucchi ou Denis Santachiara. Selon Andrea Branzi, ces expériences cataloguées sous l’appellation Nuovo Design italiano descendent directement des mouvements radicaux des années soixante, qui voulaient rompre avec la tradition rationaliste précédente. Dans ce cas précis, Alchimia, Memphis ou Zabro, label fondé en 1985 par Aurelio Zanotta pour produire des pièces limitées et uniques, se rapprochent d’un langage plutôt artistique, par leurs références littéraires, symboliques et poétiques. D’un point de vue pragmatique, les besoins primaires étant satisfaits, le marché commence à saturer durant les années quatre-vingt. Il se diversifie et se fragmente. C’est à cette époque que naissent en Italie les premières études de marché sur l’évolution des styles de vie et des tendances. Le marketing gagne de l’importance. Epilogue Fidèle miroir du rapport difficile entre culture, industrie et société en Italie, le design a su se transformer en économie, tout comme la mode, mais contrairement à elle, il peine aujourd’hui à s’imposer face à l’essor de nouvelles terres de design qui, soutenues par leurs politiques et institutions, utilisent les grands moyens pour s’affirmer sur la scène internationale. Si, comme le disait Ettore Sottsass, la modernité réside dans la liberté de la pensée créative, l’Italie doit réagir avec ses capacités et sa culture reconnue dans le monde entier. En se transformant en économie de marché, le design italien perd son souffle subversif et son autonomie créative vis-à-vis de la logique industrielle dont il est dépendant. Cette même industrie, qui s’est ouverte aux designers du monde entier, fonde sa seule stratégie sur les stars confirmées du design globalisé, et les jeunes designers italiens ont du mal à s’affirmer dans leur pays. Si, du point de vue productif, l’Italie reste le leader incontesté, comme le prouve la pléthore d’entreprises du secteur, qu’en est-il des jeunes designers maintenant que les grands maîtres sont presque tous morts?
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L’ACIER UNE FINESSE REMARQUABLE
Baignoire Skyline, Schmidlin. En acier émaillé, www.schmidlin.ch
Ses propriétés sont antinomiques. L’acier est à la fois synonyme de légèreté et de résistance, de finesse et de force. Et grâce à l’alliance de ces grandes qualités, il trouve une place tout à fait légitime dans la salle de bains. En tête des ventes, l’acier inoxydable, l’inox, - qui se distingue du fer par un taux de carbone supérieur et l’ajout d’une couche de chrome - est le matériau préféré des robinets et des accessoires de salles de bains. Sa grande flexibilité résiste parfaitement à la chaleur et à l’humidité. A ses côtés, une autre forme d’acier tend à gagner nos salle de bains. « L’acier émaillé », parfois aussi nommé « acier vitrifié » démontre lui aussi des propriétés exceptionnelles lorsqu’il est utilisé en vasque. A tel point qu’il s’affirme -avec l’acrylique- le matériau privilégié des baignoires, et est fréquemment utilisé pour les lavabos et des bacs à douche. Ce matériau - dont la surface est en général blanche- résulte du dépôt de plusieurs couches de poudre à base de verre sur des vasques en acier, qui sont ensuite cuites au four. Au final, la fusion du verre et de l’acier donne naissance à un produit inerte et durable; il combine la force et la souplesse de l’acier à la résistance à la corrosion du verre. Mais ce ne sont pas là ses seuls atouts. Côté esthétique, l’acier émaillé procure la précision et la planéité nécessaire à la réalisation d’une géométrie exacte, et notamment à la création d’angles droits parfaits. Il permet la création de vasques extrêmement fines, d’où son succès auprès des architectes. Plan vasque WT, Alape. En acier émaillé. www.alape.com
Lavabo Eterno, diffusion Sanitas Troesch, en acier émaillé, www.sanitastroesch.ch
Baignoire Ellipso duo oval, Kaldewei. En acier émaillé, www.kaldewei.com
Lavabo X-treme, Rapsel. En inox, www.rapsel.it
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SALLES DE BAINS ENTRÉE EN MATIÈRES
Baignoire Geo 180, Kos. En acrylique, www.kositalia.com
L’ACRYLIQUE UNE TECHNICITÉ MAÎTRISÉE
Baignoire Facette, Koralle. En acrylique, www.koralle.ch
Siège rabattable BA 20VC29, Bodenschatz. En laiton chromé et PVC plein, www.bodenschatz.ch
Il ne faut pas s’y tromper. Malgré son prix raisonnable, l’acrylique est un plastique de très grande qualité qui trouve de nombreuses applications pointues, notamment dans la fabrication d’objectifs de caméra. Son utilisation dans la production de baignoires et de bacs à douche remonte aux années septante. Plus léger que la plupart des matériaux, l’acrylique séduit alors par son aspect lisse, doux, agréable au corps et presque chaud. Il peut adopter facilement des formes arrondies, utiles pour des raisons esthétiques mais aussi de sécurité. Brillant, et de plus, teinté dans la masse, son aspect et sa couleur restent stables au fil du temps. Aussi l’acrylique n’a-t-il eu de cesse de se diffuser et a remplacé aujourd’hui grand nombre de baignoires en fonte. Son emploi est plus limité pour les lavabos, pour lesquels il semble moins bien adapté. On a longtemps reproché à l’acrylique d’être sensible aux rayures et prompt aux déformations. Mais les fabricants haut de gamme ont aujourd’hui résolu ce problème. Ils pallient désormais ces défauts en procédant, par exemple, à l’ajout de fibres de verre. L’acrylique est maintenant également proposé dans des versions anti-bactériennes (Cf l’Acrylic Care de Hoesch) et des finitions ultra brillantes. A cet égard, le Parapan est un matériau haut de gamme particulièrement luisant, réalisé 100% en acrylique. Aujourd’hui, cette résine ne cesse de se moderniser et redore du même coup son blason, car certains produits en acrylique se révèlent entièrement recyclables.
Concept Singlebath, Hoesch. Baignoire en acrylique et lavabo en Supracryl (= résine minérale). www.hoesch-design.com
Lavabo et sous meuble Infinity, Rapsel. En parapan, www.rapsel.it
Baignoire Starck X, Duravit. En acrylique, www.duravit.com
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SALLES DE BAINS ENTRÉE EN MATIÈRES
Baignoire Bella, Antonio Lupi. En Cristalplant, www.antoniolupi.it
Lavabo PHWS, Boffi. En Corian, www.boffi.com
LA RÉSINE MINÉRALE MATÉRIAU DES TEMPS MODERNES Ses propriétés étaient si inédites, qu’il fallut créer une nouvelle catégorie de matière pour le décrire. Lorsque la société DuPont Corian inventa le matériau Corian en 1967, elle le décrivit comme une «Solid Surface» afin de le distinguer de la catégorie des pierres reconstituées. Comme ces dernières, le Corian est composé principalement de minéraux, auxquels on ajoute de la résine et des pigments colorants. Il peut être coupé, taillé, poli, sculpté, gravé, poncé et même réparé par un artisan. Mais si les pierres reconstituées ont un aspect et un comportement comparables à ceux des roches, le Corian lui est bien différent. Très compact, il est homogène sur toute l’épaisseur. Il est aussi thermo formable et se prête donc par moulage à une variété infinie de formes. Non poreuse, sa surface quant à elle s’avère très hygiénique. De sorte, qu’en termes d’atout, les propriétés du Corian ne sont pas sans rappeler celles des matériaux 100% acrylique ! Son aspect est légèrement mat, velouté au toucher, mais il se décline aussi aujourd’hui en version brillante ou translucide. Son application en salles de bain s’adapte aux baignoires, aux lavabos, parois et bacs de douche, plans de toilette, voire revêtements muraux. L’immense avantage de ce matériau moderne, c’est qu’il permet de réaliser de grandes surfaces, en se pliant à tous les tracés ou presque, sans joints apparents. Des avantages indéniables, qui sont de plus en plus recherchés par une clientèle exigeante et aisée. Car le Corian – et c’est là son inconvénient – est un matériau de luxe, qui se situe dans une gamme de prix élevée. Mais son coût est d’autant mieux accepté par les amateurs de produits exclusifs que le Corian possède une carte supplémentaire dans son jeu: composé principalement d’hydroxyde d’alumine (minerai dont on extrait l’aluminium) il s’avère aussi robuste que l’acier. Projet de la maison Missoni pour DuPont Corian. Lavabo, baignoire, tapis en Corian, www.dupont.com (c) Leo Torri
Lavabo Atelier, Keuco. En fonte minérale, www.keuco.com
Lavabo Pear, Agape. En Exmar, www.agapedesign.it
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SALLES DE BAINS ENTRÉE EN MATIÈRES LA RÉSINE MINÉRALE
Baignoire Stone, Aquamass. En Cristalplant, www.aquamass.com
Lavabo Orcade, Mobalpa. En Mineralite, www.mobalpa.com
Le succès du Corian est tel que bon nombre de fabricants proposent aujourd’hui des matériaux voisins, également à base de minéraux, de polymères acryliques et de colorants. Au cours des dix dernières années, on a assisté à une profusion de matériaux minéraux thermo formables et de nouvelles appellations apparaissent sans cesse sur le marché (Supracryl, LG Hi-macs, Cristalplant, Nikron, Mineralite, Exmar, Pietraluce...). Certains de ces nouveaux produits se présentent simplement comme des fontes minérales, d’autres s’affichent ouvertement comme des Solid Surfaces telles que le Cristalplant ou le LG Hi-macs. Tous ont permis la création d’objets aux formes cintrées multidimensionnelles et aux découpes précises. Bien sûr le Corian, précurseur en la matière, affirme toujours sa qualité de matériau unique. De nombreuses étapes de sa fabrication ont été brevetées par la société Dupont Corian qui en a l’exclusivité; d’autres procédés sont complètement tenus secrets, notamment ceux relatifs aux dernières innovations apportées. Mais certains des brevets du Corian sont arrivés à expiration, d’où l’apparition d’une profusion de matériaux aux nouvelles appellations. Dans ce contexte, chacun revendique ses petites spécificités. Comme le LG Hi-macs dont la particularité est de procéder à une étape de polymérisation supplémentaire, de façon à proposer une garantie plus longue. Un concurrent qui semble déterminé à emboîter le pas à son indétrônable prédécesseur en surfant lui aussi sur la carte de l’exclusivité et du design. Corian<® est une marque déposée DuPont Baignoire, lavabo, tablette et étagère en LG Hi-macs, LG Chem Europe, www.lghimacs.eu
Douche de la maison Missoni pour DuPont Corian. En Corian, www.dupont.com, Leo Torri.
Lavabo Lab collection, Kos. En Pietraluce, www.kositalia.com
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POINT DE VUE
ACCROCHÉE À LA PENTE DE LA RIVIERA VAUDOISE, CETTE MAISON, EN FORME DE MONOLITHE ENTAILLÉ, OFFRE UN PANORAMA UNIQUE SUR LE LAC LÉMAN. Texte: Katia Freda / Photos : Milo Keller
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Le solarium et la piscine sont accessibles depuis la terrasse du séjour. Ils sont aménagée en paliers contenus par des murs, comme le vignoble alentour cultivé en terrasses.
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La terrasse couverte des chambres donne accès au jardin clos. Elle est conçue comme un espace de transition entre l’intérieur et l’extérieur.
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Plan niveau 0: le garage, l’accès et les locaux de service
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Plan niveau 1: les espaces de nuits
Plan niveau 2: les espaces de jour
Coupe perpendiculaire à la pente
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Le balcon prolonge le séjour vers l’extérieur et offre une vue unique sur le paysage lémanique.
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La villa offre plusieurs espaces de vie originaux, agrémentées d’immenses baies vitrées.
Le couloir des chambres, au premier étage, est revêtu d’une résine industrielle et meublé d’une série d’armoires encastrées en bois. fond, on devine l’espace de bains privé avec son revêtement de faïences gris dégradé.
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POINT DE VUE
La façade arrière de la maison avec, au fond, l’accès de service de la cuisine.
A
l’origine du projet se trouvait une hoirie, propriétaire d’un terrain en pente sur la Riviera vaudoise. Le mandat initial confié au bureau Nomad architectes consistait à scinder la parcelle en deux dans le but d’en vendre une partie. En concevant une maison exclusive, qui tire parti de la vue privilégiée sur le lac Léman, les architectes ont réussi à valoriser un terrain à la topographie ardue. En l’absence de maître d’ouvrage, les architectes ont dû concevoir cette maison sans programme prédéfini. Le défi consistait donc à imaginer un projet de qualité et attractif qui facilite la vente du terrain. L’écrin audacieux créé pour cette habitation familiale a d’ailleurs aussitôt séduit un acquéreur privé. Libéré de la procédure administrative liée à l’obtention du permis de construire, le nouveau propriétaire a pu se concentrer sur les ambiances de sa future maison, en étendant les prestations d’architectes au conseil en ameublement pour tous les espaces intérieurs. Un mandat total qui a permis à la fois au maître d’ouvrage de matérialiser ses rêves et aux architectes de contrôler le concept architectural initial jusque dans les détails.
UN MONOLITHE ENTAILLÉ L’implantation et la forme de la maison (environ 150 m2 au sol), sur un terrain en pente dominant le lac, ont été dictées par les courbes de niveau et les limites de la parcelle. Un volume compact présentant deux orientations principales au sud et à l’ouest a été ancré dans ce site d’exception telle une tour de garde. Ce sont les terrasses couvertes, entaillant subtilement sur deux côtés la maison, qui donnent du caractère à ce projet. Ce découpage maîtrisé dynamise et allège la forme monolithique, a priori massive. Ainsi creusé, le prisme dégage d’intéressantes perspectives sur toutes ses faces et devient quasi aérien. Trois zones extérieures de jardin ont été aménagées sur la parcelle. Contre la pente à l’arrière, accessible depuis le niveau haut de la maison, se trouve une aire de sous-bois bordée par des arbres centenaires et un mur rocailleux. Au sud, en relation directe avec l’espace de séjour, le solarium et la piscine, aménagés en paliers, rappellent le vignoble en terrasses avoisinant. Enfin, orienté à l’ouest au niveau des chambres, le jardin clos constitue l’unique surface plane du terrain.
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UNE ORGANISATION CLAIRE Les pièces sont réparties en plan selon leurs fonctions. Le niveau bas, en relation directe avec le garage, accueille le hall d’entrée et un studio ainsi que les locaux de service dans le terre-plein. Au premier étage, sont réunis les espaces de nuit : une chambre principale avec salle de bains et dressing privés ainsi que trois chambres avec bains et WC communs. Le niveau supérieur, bénéficiant de la vue sur le lac, est quant à lui dédié aux espaces de jour: une grande salle de séjour avec cuisine ouverte ainsi qu’un bureau bibliothèque. La circulation verticale se fait par un escalier continu suivant la pente, qui se retourne en fin de parcours. Un ascenseur relie également les trois étages. La villa offre plusieurs espaces de vie originaux. Les deux terrasses couvertes (orientées sud et ouest), agrémentées d’immenses baies vitrées, sont conçues comme de véritables «chambres» qui assurent la transition entre l’intérieur et l’extérieur. Une cuisine d’été, accessible depuis le balcon du séjour, s’ouvre sur la zone de détente extérieure; une piscine à déversement s’insère dans le jeu des murs de soutènement qui définissent le solarium. UNE MATÉRIALISATION CONTRASTÉE Pour exprimer une continuité de matériaux sur toutes les façades, les architectes ont choisi un revêtement de bardage vertical métallique (alliage de cuivre et de zinc, similaire au laiton). Ce matériau spécial évolue en vieillissant. La patine qu’il arbore alors lui confère une apparence irrégulière et vivante, déclinant une palette de tons chatoyants, de l’orange au doré en passant par le caramel. En contraste avec cette expression extérieure dure de la maison, les revêtements mous choisis pour les terrasses (tartan artificiel pour le sol et plafond luminescent tendu) annoncent la douceur voulue pour les espaces intérieurs. Les baies vitrées sont habillées de rideaux ocre doré. Les sols sont en résine industrielle, le parquet du séjour et l’escalier en bois de noyer. Les meubles se parent de couleurs chaudes (armoires encastrées en bois, chaises bordeaux, canapé vert jaune, paroi de cuisine jaune citron, notamment). Enfin, chaque fenêtre, fixe et dépourvue de rideau, met en valeur la situation exceptionnelle de la maison en offrant un cadrage précis sur le paysage environnant. Le Dezaley, le lac ou les Alpes figurent ainsi de grands tableaux décorant les pièces. I Architectes: www.nomadarchitectes.ch, Marie Gétaz et Lucien Barras Direction des travaux: www.quartal.ch
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Kusto, projet de Damien Ummel et Thierry Didot pour l’Ecal. De jour, l’applique capte la lumière sur la vitre, et le soir elle devient lumière. Ses facettes s’enroulent pour se transformer en abat-jour. Horn, projet de Guillian Graves pour l’ENSCI. Enceinte autonome qui diffuse des sources musicales informatiques.
SUNNY MEMORIES VERS UN NOUVEAU DESIGN SOLAIRE COLORÉES, TRANSLUCIDES ET FLEXIBLES, DES CELLULES SOLAIRES NOUVELLE GÉNÉRATION ONT VU LE JOUR DANS LES
LABORATOIRES DE L’ECOLE POLYTECHNIQUE FÉDÉRALE DE LAUSANNE. EN S’INSPIRANT DE LA PHOTOSYNTHÈSE DES PLANTES, LE PROFESSEUR GRAETZEL A UTILISÉ DES MOLÉCULES DE COLORANTS POUR TRANSFORMER LES RAYONS DU SOLEIL EN ÉLECTRICITÉ. Patricia Lunghi / Photo: Tonatiuh Ambrosetti et Daniela Droz.
Si les cellules à colorant ne peuvent encore rivaliser avec leurs concurrentes en silicium, elles s’avèrent plus efficaces sous un ciel nuageux et représentent un formidable potentiel d’innovation dans le domaine des énergies durables. De nombreux développements technologiques se poursuivent, mais plusieurs fabricants commercialisent déjà cette technologie peu onéreuse. Afin de tirer le meilleur parti d’une telle découverte, l’Epfl+Ecal Lab, institution née d’une approche interdisciplinaire entre design et technologie, a mis cette invention dans les mains des designers. Sous l’égide de son directeur Nicolas
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Henchoz, l’institution a invité quatre grandes écoles de design: CCA/California College of the Arts, RCA/Royal College of Art, Ecal/Ecole cantonale d’art de Lausanne et ENSCI/Ecole nationale supérieure de création industrielle pour un workshop international baptisé Sunny Memories (mémoires solaires). Plus de 80 étudiants en design se sont confrontés à cette technologie inédite pour lui donner une forme et une fonction. Un vrai défi, d’autant que des consignes de faisabilité étaient posées: il leur fallait donc présenter des propositions bien réelles et proches d’une réalisation concrète, s’inscrivant dans une des trois catégories déterminées. Soit des travaux réalisables et fonctionnels aujourd’hui, d’autres d’ici à deux ou trois ans et d’autres encore d’ici à dix ans – selon des projections technologiques. Nombre d’idées offrant des perspectives réelles de production immédiate sont apparues, comme le réfrigérateur portable et autonome ou le chargeur pour les SDF (sans domicile fixe). Autre question à résoudre pour les designers: comment accumuler l’énergie avant de la restituer? Parmi les réponses possibles figure le Solar Balloon, qui s’élève dans le ciel pendant la journée pour capter le rayonnement et qui redescend le soir sur sa base en se transformant en lanterne géante. Autre hypothèse, déjà prête pour une production immédiate, Kusto. Ce prototype fonctionnel se déploie comme un éventail pour capter l’énergie avant de s’enrouler en abat-jour. Tour à tour créatives, surprenantes, parfois déroutantes, en outre, les différentes propositions surgies constituent parfois de réelles réussites formelles et esthétiques, comme l’enceinte Horn de Guillian Graves. Au final, 29 projets ont été sélectionnés pour l’exposition itinérante qui fait étape dans chacune des écoles ayant participé au workshop. L’exposition Sunny Memories sera aux Designers Days de Paris, espace d’exposition de l’ENSCI, dès le 12 juin, puis au London Design Festival, espace d’exposition du Royal College of Art, dès le 24 septembre. www.epfl-ecal-lab.ch
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Gold Moon, Catellani & Smith.
RÉVOLUTION LUMINEUSE
Tekno Moon, Catellani & Smith.
Magali Prugnard
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UNE FIN PROGRAMMÉE
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Dans de nombreux pays, ce sont les lois de protection de l’environnement qui précipitent la mort des ampoules gourmandes en énergie. Sont concernées notamment par ces mesures l’ampoule à la forme arrondie d’Edison, mais aussi celle en forme de tube allongé (linolite à incandescence). Leurs classes d’efficacité énergétique affichent en général un médiocre D, car elles produisent moins de lumière que de chaleur. En Suisse, dès septembre 2010, les restrictions valables dans l’Union européenne seront appliquées. Dès l’an prochain, les ampoules consommant 75 watts devront obtenir un C au niveau de la classe énergétique. En 2011, la même note sera exigée pour celles de 60 watts, et en 2012 c’est l’ensemble des produits éclairants incandescents qui seront concernés. En 2016, l’exigence sera portée à B. Les directives sont encore plus strictes pour les ampoules en verre dépoli: dès l’année prochaine, elles devront être aux normes de la classe énergétique A. A noter que certaines sources produisant de la lumière colorée sont exemptes de cette réglementation.
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1. Plafonnier Matrix Otto, Lumina. Ampoules à incandescence spéciales Lumina. 2. Lampadina, design Achille Castiglioni en 1972, Flos. Ampoule à incandescence spéciale. 3. Lum, Kaia Licht, Incandescence adaptable à d’autres sources. 4. Lia Wall Lamp, Kaia Licht. Incandescence. 5. Miconos, Artemide. Le globe peut être ouvert pour changer l’ampoule. Incandescence, adaptable à d’autres sources. 6. Cosy, Muuto. Incandescence, adaptable à d’autres sources.
Ses jours sont comptés. A l’âge de 130 ans, l’ampoule à incandescence déserte par étapes le vocabulaire du présent pour rejoindre celui du passé. Avec elle, c’est une technologie qui s’efface: le transit de l’électricité dans des filaments de carbone ou de tungstène pour qu’ils chauffent jusqu’à répandre de la lumière. C’est aussi la disparition d’une forme manifeste de la clarté: un bulbe totalement transparent, ramassé sur lui-même et rebondi, laissant voir ses brins scintillants. Un objet certes banal mais qui a pourtant fasciné des générations de designers. Des pionniers de la modernité qui ont, grâce à elle, dessiné les premières lampes à éclairage artificiel aux designers contemporains qui en ont fait la complice de leurs créations aux reflets graphiques. Loin de la dissimuler sous des abat-jour, certains l’ont d’ailleurs laissée nue. Hommage symbolique à la fée électricité ou amour de ses galbes, surgis à l’origine pour des raisons techniques. Achille Castiglioni dans les années septante, Ingo Maurer dans les années nonante, Mattias Stahlbom il y a peu, et de nombreux autres ont ponctué le design des luminaires de leurs œuvres glorifiant l’ampoule d’Edison.
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Il y a un peu plus d’un mois se déroulait la première édition de Design Days Genève. Près de 14 000 personnes ont apprécié la qualité des expositions mode, art contemporain et design qui ont transformé durant quatre jours la Cité de Calvin en capitale de la création contemporaine. Avec un programme dense, varié et festif permettant à de jeunes designers et stylistes suisses de côtoyer les enseignes confirmées du design et de la mode dans les quatre espaces du quartier des Bains et 52 lieux partenaires, dont 18 galeries d’art, 15 boutiques de mode et 18 showrooms de mobilier – sans oublier les conférences organisées à la Head – le parcours genevois du design a capté l’attention des professionnels et du grand public. Organisateur de la manifestation en partenariat avec le magazine «Edelweiss», Espaces contemporains prévoit d’ores et déjà une suite à cette manifestation. Retour en images sur l’édition 09. Texte: Patricia Lunghi / Photo: Rovero Studio et David Papo, Events-Gallery.ch
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GENÈVE FLASH-BACK SUR L’ÉVÉNEMENT DE LA RENTRÉE
Inner landscape, point marquant de cette première édition de Design Days, prenait la forme d’une installation poétique et envoûtante – signée Joëlle Cabane, architecte d’intérieur et artiste – et organisée par le spécialiste genevois de l’aménagement de bureaux bj-office. Tous les éléments constitutifs d’un «bench» de Knoll Systems, grande table de bureau modulable, étaient décomposés et suspendus dans l’espace. www.bj-office.ch
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1. Les luminaires Aquacreations aux Freestudios. 2. Marco Scheidegger et ses Buttoneyes. 3. De gauche à droite, Michèle Freiburghaus, responsable du Fonds municipal d’art contemporain de Genève, Edward Mitterrand, directeur de la Galerie Mitterrand+Cramer et membre de l’Association du quartier des Bains, Patricia Lunghi, d’Espaces contemporains, Anne Niederoest, d’Edelweiss et Patrice Mugny, magistrat de la Ville de Genève en charge de la culture. 4. Le tuk-tuk créé par Moyard dans la cour du Mamco. 5. Jean-Pierre Greff, directeur de la Head, Maarten Baas et Maroun Zahar, rédacteur en chef d’Espaces contemporains. 6. L’entrée customisée des Freestudios. 7. Une création de la styliste Nina Gander, de la Head. 8. Fiat 500, Courtesy Car de Design Days. 9. Les luminaires de So Watt au Flux Laboratory. 10. Le designer hollandais Maarten Baas, invité spécial de Design Days, signe un autographe à une étudiante de la Head. 11. L’entrée de l’Auditorium Arditi. 12. Les fontaines à eau Edelvia. 13. Maison Nicolas Musin et Crea-tiff Bijoux au showroom Edelweiss. 14. Carlo Parmigiani de la Head, Desislava Martin et Veronica Saxer, d’Arcadia. 15. Le tuk-tuk de Moyard devant l’entrée de l’Auditorium Arditi.
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DESIGN DAYS HIGHLIGHTS
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L’un des points forts de Design Days Genève fut l’exposition Radostar Airbags, conçue spécialement pour la manifestation par l’entreprise horlogère Rado en collaboration avec Espaces contemporains. C’est dans le creuset dynamique de la plate-forme internationale d’échanges entre créatifs et professionnels instaurée sur le site web www.radostar.com qu’ont été cueillis les lauréats de l’exposition. Au total, onze designers venus de toute l’Europe étaient présents pour inaugurer l’exposition dans l’espace exceptionnel de l’Auditorium Arditi. Conçue comme un véritable show, la mise en scène était assurée par le designer lausannois Adrien Rovero. www.radostar.com
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1. Vue de l’exposition Radostar Airbags. 2. Smit Roland Pieter avec sa chaise Layers of Time constituée de journaux compressés. 3. Heykoop Pepe avec sa Brick Chair en Lego. 4. Le staff de Radostar Airbags au complet. 5. Harold Bouvard devant une de ses créations. 6. Les designers Real-Made et leur table en carton Gruff.
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L’un des points forts de Design Days Genève fut l’exposition Radostar Airbags, conçue spécialement pour la manifestation par l’entreprise horlogère Rado en collaboration avec Espaces contemporains. C’est dans le creuset dynamique de la plate-forme internationale d’échanges entre créatifs et professionnels instaurée sur le site web www.radostar.com qu’ont été cueillis les lauréats de l’exposition. Au total, onze designers venus de toute l’Europe étaient présents pour inaugurer l’exposition dans l’espace exceptionnel de l’Auditorium Arditi. Conçue comme un véritable show, la mise en scène était assurée par le designer lausannois Adrien Rovero. www.radostar.com
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1. Vue de l’exposition Radostar Airbags. 2. Smit Roland Pieter avec sa chaise Layers of Time constituée de journaux compressés. 3. Heykoop Pepe avec sa Brick Chair en Lego. 4. Le staff de Radostar Airbags au complet. 5. Harold Bouvard devant une de ses créations. 6. Les designers Real-Made et leur table en carton Gruff.
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LES DU DESIGN 2009-2010 Sélection: Espaces contemporains et agence mc2, www.mc-2.ch / Réalisation: Maxime Pégatoquet
Depuis six ans, nous nous attachons à promouvoir le design en général et le design helvétique en particulier. Pour la première fois, et nous récidiverons chaque année, nous vous proposons notre propre sélection, piochée dans le design suisse de l’année écoulée. La sélection des «espAces» du design ne se veut pas un énième prix du design. Elle ne cherche pas non plus à se positionner comme concurrent des prix institutionnels déjà existants. Notre objectif est de valoriser des produits séduisant par leur approche, démontrant la vivacité de la culture créative et du savoir-faire helvétiques en la matière, et de mettre en exergue un design percutant et personnel, qui constitue le levier d’une culture contemporaine transversale. Les critères retenus sont ceux du «bon» design, mais avec l’appréciation particulière d’une certaine sensualité et force émotionnelle et dont le langage, la forte potentialité évocatrice contribuent à promouvoir le design en tant que vecteur culturel. En second lieu, mais avec tout autant d’importance, il s’agit de regarder d’une part la correspondance des œuvres à des critères d’innovation et de fonctionnalité et, d’autre part, les réponses apportées aux besoins du moment. Nous avons choisi des produits représentatifs d’une Suisse jeune et innovante, capables de séduire autant un public averti qu’un amateur éclairé. De Genève à Zurich, voici donc les «espAces» de la saison 2009-2010. Maroun Zahar
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LES DU DESIGN 2009-2010
MILO KELLER
MEILLEUR OBJET DE RITUEL AMOUREUX
Pot Thermos par Jörg Boner. Autant dire que dans le registre du thermos, un domaine déjà bien encombré par quelques marques qui ont fait leurs preuves (Sigg, Klean Kanteen, Thermos...), Jörg Boner n’avait pas la partie facile. Et pourtant! L’objet qu’il a imaginé pour la firme georgeclooneysque a tout du produit doudou, qu’on emmène partout, et notamment sur la route (capacité de 0,5 litre), tant il est ingénieux et véhicule des émotions (façon Seat, cela donne «café emoçion»). Limite si on n’a pas les yeux de Chimène pour lui tant ses rondeurs douces sont une invitation à la contemplation passive, ce qui peut néanmoins vite se révéler dangereux. Reprenant la forme archétypale du pot à café, Boner l’a agrémenté de deux tasses qui peuvent être solidarisées à l’aide d’une lanière élastique et fermer du même coup le contenant. Libérée, la lanière se transforme en une anse aussi rigide qu’esthétique (la bleue a notre préférence). Evidemment, c’est là un accessoire indispensable pour tout couple qui a dans l’idée de pique-niquer en tête à tête. www.joergboner.ch et www.nescafe.ch
DESIGN: HEAD - GENÈVE / VINCENT SCHERTENLEIB & SERGIO STREUN
MEILLEUR ÉLÉMENT DE MOBILIER URBAIN
Projet Urban Mob New par 366 cm, Vincent Schertenleib et Sergio Streun. La ville peut-elle devenir un espace d’expérimentation où le designer utilise le territoire urbain comme s’il s’agissait d’un immense playground pour piéton/badaud/passant? Elle gagnerait en tous les cas à s’humaniser. Dans cette optique, on apprécie particulièrement cette réalisation qui, tout en respectant la fonction première de la fontaine ainsi que l’esthétique du robinet gargouille déversant l’eau dans les rues de Genève, propose des fonctionnalités subsidiaires tels le banc public pour une halte bienvenue ou la tablette pour déposer son sac à main le temps de se désaltérer. En plus, la couleur permet d’identifier rapidement le point d’eau, une option intéressante en cas de canicule plombante. www.366cm.com et http://head.hesge.ch
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TONATIUH AMBROSETTI
MEILLEUR SET DE RANGEMENT DE BUREAU
Set Postino par Alexis Georgacopoulos. Un éditeur parisien de bandes dessinées a un jour imprimé une carte postale sur laquelle il était écrit que «l’ordre, c’est presque le succès». Si vous accréditez le teneur générale de cette formule, cette série d’éléments de bureau, imaginée par Alexis Georgacopoulos, est alors faite pour vous. Jouant sur les formats universels du papier (A4, A5...) et sur les reliefs encombrant les tables (crayons, cartes de visite...), son ensemble apporte une sérénité bienvenue et un sentiment de maîtrise absolue sur son espace de travail. Toujours empreint d’une rare élégance quant à la tonalité finale de ses produits, le designer écalausannois s’est servi d’une feuille d’aluminium pliée afin de simplifier son propos à l’extrême et de rappeler, sans clin d’œil trop appuyé, la relation entre contenu et contenant. www.georgacopoulos.com et www.pallucco.com
MEILLEUR LAMPE BALADEUSE
Lampe 9.81 par David Bernet Attention, ceci n’est pas une lampe! Enfin si, évidemment, mais pas seulement. Elle est une idée lumineuse baptisée 9.81, car elle se joue de la gravité, même si cela ne saute pas aux yeux au premier regard. Si elle séduit d’abord par une économie de matériaux réduits au strict minimum et une ligne d’une simplissime beauté, elle recèle de multiples surprises. Plantée dans son socle, elle est une lampe presque banale remplissant sa fonction éclairante. Désolidarisée de celui-là, on peut la promener de la cave (façon lampe-torche) au bureau, voire à la table du jardin où il est possible de l’installer en bord de celle-là et d’en varier la hauteur grâce à un astucieux système de contrepoids. Son faisceau est constitué d’un trio de leds, ce qui permet de la déplacer où on veut quand on veut grâce à une poignée quasi imperceptible, et les volets de son capuchon sont réglables en fonction de la luminosité désirée. Où est-ce qu’on passe la commande? www.d-ber.net
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MEILLEUR TABLE À COMPLICATIONS
Table Ara par B29 Architectes. Mobilier fractal à l’esthétique industrielle malgré son multipli de bouleau finlandais, construction qui semble à moitié finie, comme si la résolution mathématique de l’objet n’avait pu être finalisée avant sa sortie finale, la table des B29 est avant tout une recherche numérique, une toile d’araignée assistée par ordinateur. Il y est question de lignes de force et de transmission de l’effort; l’armature de chaque pied vient augmenter la rigidité du plateau, et les plus malins pourront glisser dans cet enchevêtrement de «poutrelles» de bois un mini-Spiderman de plastique. L’usinage numérique permet une livraison rapide de l’objet, et on devrait voir la famille s’agrandir d’ici peu, car la technique se prête à de nombreuses déclinaisons. http://b29.ch
ZOE JOBIN
MEILLEUR CANAPÉ DE BUREAU
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Canapé Flip par Adrien Rovero. On ne sait pas si Rovero a pensé à ses années d’étudiant quand il a imaginé cet élément à double fonction, mais il est certain que son Flip offre nombre de perspectives à tous ceux qui squattent de petites surfaces. D’un côté, on a le canapé, esthétique mi-suédoise mi-Le Corbusier. On doit pouvoir s’y serrer à trois et bières et cacahuètes trouvent leur place sur les dessertes de côté. De l’autre, c’est back to la réalité avec un plan de travail bien dégagé pour de longues nuits à plancher. Dans l’entre-deux, il faut juste prendre le temps de nettoyer la place de l’ordi et des blocs-notes pour que tout ce beau matos ne vole pas au moment du... flip. Mais, mis à part la rocambolesque rocade à effectuer (attention aux dégâts collatéraux!), voici un meuble qui pourrait presque donner envie de repartir sur les bancs de l’Uni. www.adrienrovero.com et www.campeggisrl.it
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ARTISANAL OU EXPÉRIMENTAL? Si le design est né il y a un siècle et demi, la question de son rapport à
l’artisanat et à l’art est loin d’être élucidée. Faut-il distinguer les disciplines ou appartiennent-elles à un champ créatif unique doté de langages et d’objectifs différents? Ces questions maintes fois posées restent ouvertes. Un débat ravivé aujourd’hui par toute une nouvelle génération de créateurs qui s’organisent autour d’écoles et de mouvements, à suivre absolument! Par Patricia Lunghi et Magali Prugnard 1
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1. Cobogo, design les frères Campana. Une table réalisée avec des briques couramment utilisées dans les maisons brésiliennes traditionnelles. 2. Gomitolo, Diamantini & Domeniconi. Une horloge dont la housse fait un usage inhabituel du tricot traditionnel. 3. Flirtant souvent avec le monde des séries limitées, le jeune designer Maarten Baas fut élu Designer de l'année par le Design Miami en 2009. 4. Un luminaire signé Kiki van Eijk et édité en série limité par la galerie Secondome. 5. Hans J. Wegner. Défenseur des valeurs artisanales, ce designer danois a marqué l'histoire par la simplicité de son mobilier durant la seconde moitié du XXe siècle. 6. Connu pour ses expérimentations sur les matériaux, le designer Jerszy Seymour a conçu ici des chaises à partir de jus de patates. Prototype, exposition musée Vitra 2007. 7. Les Ear-chairs font partie des nombreux projets dessinés par Jurgen Bey, un designer contemporain qui fuit le monde de la fabrication industrielle. 8. Série d'objets en porcelaine inspirée des arts décoratifs traditionnelle. Delft blue, design Marcel Wanders pour Moooi. 9. Extrait du projet artistique «100 jours pour 100 chaises» du jeune designer Martino Gamper. 10. Couverte de cuire, cette table nommé QOW est signée du jeune designer Peter Marigold.
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ARTISANAL OU EXPÉRIMENTAL? Si le design est né il y a un siècle et demi, la question de son rapport à
l’artisanat et à l’art est loin d’être élucidée. Faut-il distinguer les disciplines ou appartiennent-elles à un champ créatif unique doté de langages et d’objectifs différents? Ces questions maintes fois posées restent ouvertes. Un débat ravivé aujourd’hui par toute une nouvelle génération de créateurs qui s’organisent autour d’écoles et de mouvements, à suivre absolument! Par Patricia Lunghi et Magali Prugnard 1
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1. Cobogo, design les frères Campana. Une table réalisée avec des briques couramment utilisées dans les maisons brésiliennes traditionnelles. 2. Gomitolo, Diamantini & Domeniconi. Une horloge dont la housse fait un usage inhabituel du tricot traditionnel. 3. Flirtant souvent avec le monde des séries limitées, le jeune designer Maarten Baas fut élu Designer de l'année par le Design Miami en 2009. 4. Un luminaire signé Kiki van Eijk et édité en série limité par la galerie Secondome. 5. Hans J. Wegner. Défenseur des valeurs artisanales, ce designer danois a marqué l'histoire par la simplicité de son mobilier durant la seconde moitié du XXe siècle. 6. Connu pour ses expérimentations sur les matériaux, le designer Jerszy Seymour a conçu ici des chaises à partir de jus de patates. Prototype, exposition musée Vitra 2007. 7. Les Ear-chairs font partie des nombreux projets dessinés par Jurgen Bey, un designer contemporain qui fuit le monde de la fabrication industrielle. 8. Série d'objets en porcelaine inspirée des arts décoratifs traditionnelle. Delft blue, design Marcel Wanders pour Moooi. 9. Extrait du projet artistique «100 jours pour 100 chaises» du jeune designer Martino Gamper. 10. Couverte de cuire, cette table nommé QOW est signée du jeune designer Peter Marigold.
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Le design en tant que discipline spécifique n’apparaît véritablement qu’au milieu du XIXe siècle. Il qualifie le travail de celui qui invente des formes sans les produire, de celui qui dessine «à dessein», sens premier du mot «design». Ce sont les progrès de la mécanique qui vont établir une distinction claire entre conception et réalisation. Une distinction qu’illustre en 1859 l’ébéniste Michael Thonet en dessinant sa célèbre chaise de bistrot Numéro 14. Après avoir inventé un procédé de cintrage industriel du bois massif, il réussit à déléguer la fabrication de son siège aux machines. Son rôle se limite ainsi à l’imagination de l’objet et à l’élaboration du projet tout en tenant compte des contraintes techniques, des attentes de l’utilisateur et des ambitions stratégiques de son entreprise. Si le métier de designer s’est développé surtout dans l’univers industriel, il ne s’est pas limité à ce champ d’application, et sa pratique n’a jamais été réservée à la fabrication en grande série ni aux immenses marchés économiques. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, et alors que les premières usines de meubles crachent leurs fumées, divers stylistes confient la représentation de leurs idées à d’habiles travailleurs manuels. Ce rôle de guide de la production humaine sera incarné par de multiples designers internationaux jusqu’au début du XXIe siècle. En parallèle, le métier de l’artisan se spécialise progressivement. Celui-là devient un technicien talentueux, qui réalise manuellement les projets conçus par d’autres que lui. Il perd son rôle ancestral de créateur des objets de la vie quotidienne. Les ébénistes, les céramistes ou les souffleurs de verre qui participent au processus de conceptualisation se font de plus en plus rares. Ils sont dès lors qualifiés d’«artisans designers». VERS UN DESIGN «ARTISANAL»? Historiquement, le design «artisanal», c’est-àdire la production d’objets à valeur artistique, fabriqués manuellement sans aide automatisée, est apparu en réaction aux produits issus de la production industrielle. C’est ainsi qu’est né le premier collectif de designers qui s’est intéressé à la production manuelle. Face au déferlement de produits manufacturés de mauvaise qualité, consterné par les conséquences sur la nature des usines à charbon, le mouvement Arts & Crafts inauguré autour des années 1860 prône un retour à l’artisanat de qualité. Son esthétique stigmatise une forme de simplicité enracinée dans le terroir et porte les marques rustiques du
Moyen Age. Elle véhicule une vocation utopique. Toutes ces créations ascétiques sont envisagées comme des antidotes aux excès ambiants, des moyens d’accéder à une existence plus pure. Diffusées principalement par l’entreprise Morris & Co., elles passeront de mode autour des années 1910. Cependant, elles trouveront sans cesse de nouveaux échos auprès de designers remarquables. La même quête de simplicité et d’authenticité se retrouve chez Nakashima et Hans J.Wegner dans les années cinquante, Sam Maloof dans les années nonante, voire – dans un certain sens – chez Tom Dixon ou Piet Hein Eek aujourd’hui. C’est aussi grâce à d’autres grands créateurs que le design «artisanal» acquiert progressivement ses lettres de noblesse, en démontrant la capacité irremplaçable du travail manuel à exprimer la pensée humaine. Il suffit de songer aux meubles en bois conçus par Wharton Esherick, Finn Juhl, Carlo Mollino, Sergio Rodrigues ou John Makepeace pour s’en convaincre. Des3 sinés à différents mo-ments du XXe siècle, leurs meubles arborent des lignes sensuelles, expressives ou sculpturales sur lesquelles se devine le travail de la main. Ces créations renouent avec une certaine idée de la perfection ornementale issue de la tradition des arts décoratifs sans, pour autant, négliger la fonction pratique du mobilier. UNE AFFAIRE DE PATRIMOINE CULTUREL Le design artisanal a toujours défendu la même idéologie: ré-concilier tradition et modernité. Cette démarche trouve aujourd’hui de nombreux échos, que ce soit chez des partisans du tout manuel ou chez les adeptes du semi-industriel. Actuellement, en Italie, la plupart des fabricants de mobilier haut de gamme se targuent d’allier technologies de pointe et savoir-faire ancestraux.
1. 1860'. L'architecte et dessinateur britannique William Morris fut une des figures majeures du mouvement Art & Craft. 2. 1870’. Exemplaire de la simplicité rurale recherchée par le mouvement Arts & Crafts, cette table fut dessinée par Philip Webb pour la manufacture Morris & Co. Une œuvre redécouverte par la Galerie H. Blairman & Sons, www.blairman.co.uk 3 et 4. 1950’. George Nakashima fut l’un des apôtres de la simplicité authentique véhiculée par le mouvement Arts & Crafts à travers le XXe siècle. Son fauteuil New Chair est toujours édité, www.nakashimawoodworker.com 5. 1970’. Cette table nommée Royal Soc of Arts présente de remarquables formes expressives et sculpturales. Son auteur, John Makepeace, continue de travailler, www.johnmakepeacefurniture.com
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1. 1980’. Avec son allure de building, le secrétaire Frankfurt Skyscraper offre une belle illustration de la manière dont les mouvements postmodernes ont exploité l’artisanat. Il fut dessiné par Norbert Berghof, Michael Landes et Wolfgang Rang et édité en série limitée par la société allemande Draenert, www.draenert.de 2. 2000-10. Simon Hasan est un jeune designer passé maître dans l’expérimentation des matériaux. En investiguant les techniques de travail du cuir au Moyen Age, il propose ici une table aux pieds plissés, www.simonhasan.com 3. 1980'. Michele de Lucchi, célèbre figure du mouvement post-moderne 4. 2000-10. Nouvelle exploration des langages de l’artisanat populaire, dont le tricot, Pouf Sweet, design Paola Navone, Gervasoni, www.gervasoni1882.it 5. 2000-10. Digression autour de figurines traditionnelles. Plat animalier, design Hella Jongerius, Nymphengurg, www.nymphenburg.com 6. 2000-10. Les frères Campana réinterprètent aujourd’hui les techniques artisanales traditionnelles
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A leurs côtés, de vieilles maisons travaillant avec les métiers d’art rajeunissent leur image en faisant appel à des designers. Ainsi Baccarat, Swarovski et Hermès affichent leur collaboration avec des créateurs externes comme Philippe Starck, Marcel Wanders ou Jaime Hayon. Cette soif de réconciliation entre tradition et modernité s’observe de manière plus surprenante chez de grands spécialistes de la production industrielle, comme Ikea, par exemple, qui arbore aussi des étiquettes «fait main». Sans oublier les nombreux objets réalisés en petite série dans des ateliers artisanaux, tel celui du grand designer Michele de Lucchi ou ceux de plus jeunes créateurs. Le tournant des années 2000 marque l’émergence d’une grande tendance, une approche qui explore l’héritage de l’artisanat populaire et du «décoratif» en général. Dans ce contexte, les designers réinterprètent des formes autrefois produites par la main. Ils ne font pas qu’utiliser d’anciennes techniques de production, ils vont au-delà et s’inspirent des objets issus des usages coutumiers. Citons par exemple les créations en fils tricotés ou crochetés, qui passionnent aujourd’hui une quantité impressionnante de designers*. La technique du tressage est aussi réexplorée par des stars comme Patricia Urquiola, Tord Bontje ou les frères Campana. Dans cette grande aventure aux accents folkloriques, si les codes décoratifs qui étaient autrefois répandus sont remis à l’honneur, ils sont ici déconstruits puis reconstruits. Aux Pays-Bas, les designers actuels se sont fait une réputation internationale grâce à cette assimilation des langages du passé. A l’image d’Hella Jongerius, qui
a notamment redessiné des petites figurines animalières pour la manufacture de porcelaine de Nymphenbourg. VALORISER LES GESTES EXPÉRIMENTAUX Motivé par l’aspiration à dépasser les contraintes industrielles, dynamisé par l’envie d’explorer les techniques ou les langages traditionnels, le design s’est trouvé encore une autre vocation. Depuis les années 2000, nombre de créateurs se servent de la fabrication manuelle pour se saisir de gestes d’exécution créatifs, une méthodologie totalement à contre-courant de celle appliquée couramment dans la profession. D’ordinaire, ce sont les idées et les concepts qui sont à l’origine du processus de création du designer. Avant d’élaborer la représentation d’un objet, il puise dans l’environnement ce qui fait sens pour lui, émet des scénarios sur nos pratiques quotidiennes, ensuite – et surtout – il dessine. Il guide la création de manière active et consciente, comme le disait Gilles Deleuze. La démarche du design dit «expérimental» se rapproche davantage des méthodes d’invention des artistes et des artisans d’antan, qui passent d’abord par le contact avec la matière. En façonnant le matériau, puis en observant les résultats, et en procédant ensuite à une série de corrections. Cela jusqu’à ce que l’objet prenne un sens pour lui et devienne la représentation de ce qu’il aime. Martino Gamper, par exemple, a pris l’habitude d’assembler directement les formes, sans dessin préalable. De même, Peter Marigold applique aujourd’hui des principes de répétitions géométriques sans avoir calculé précisément à quoi ressemblera son objet au final. Ce type d’approche est d’autant plus intéressant qu’il permet parfois de révéler la dimension insoupçonnée de matériaux. Ainsi, Jerszy Seymour, Peter Traag, Max Lamb, Simon Hasan et tant d’autres mettent littéralement la main à la pâte pour explorer toutes les possibilités de la matière. Et c’est peut être bien à partir de ces travaux que naîtront les objets quotidiens de demain... Magali Prugnard
* Paola Navone, Pudelskern, Llotllov, Carlo Tamborini, Alejandro Bona, Annette Bugansky, Rosana Contadini, Kwangho Lee, Kenneth Conbompue se sont notamment intéressés aux technique du tricot, du crochet et du tressage.
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Dossier et interviews réalisés par Maxime Pégatoquet
Matthieu Gafsou, série «Alpes», 2010.
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David Favrod, Sans titre, de la série Gaijin, 2009.
Depuis l’apparition des touristes anglais dans les montagnes helvètes au XIXe siècle, l’intérêt pour la photographie ne s’est jamais démentie. Au contraire. Grâce aux écoles, festivals et musées, cet art est en passe de devenir le véritable étendard de la création romande. La Suisse romande est-elle bien lotie en matière de photographies? On peut le dire. D’une année sur l’autre, le panorama dévolu au 8e art est somme toute assez impressionnant. Des festivals qui jouent des coudes, l’un du côté de Bienne avec ses Journées photographiques, modestement dites Jouph, l’autre prenant place à Vevey, autoproclamée ville d’Images, quand un troisième pointe le bout de son nez à Rossinière (lire encadré), fief du peintre Balthus. Des musées dont la réputation n’est plus à démontrer, comme celui de l’Elysée à Lausanne, le PhotoforumPasquArt de Bienne, encore, ou le Centre de la photographie à Genève. Une revue virtuelle baptisée «Next», qui fête son 30e numéro sans s’essouffler, bien au contraire. Ses dernières livraisons flirtent avec les 250 pages, les portfolios proposés sont toujours d’aussi bonne qualité, les révélations constantes (on adore dernièrement Elise Larvego); l’impression générale est que si une bonne partie de l’actualité photographique romande est couverte, il reste encore tout un pan à explorer. La faute aux marges, aux rivalités cantonales, aux rétifs aux nouvelles technologies ou au manque d’information... malgré tout. UNE BELLE IMAGE N’EST PAS FORCÉMENT UNE BONNE IMAGE Mais dans cette profusion d’images et de pourvoyeurs photographiques, qui va surnager, sachant qu’une bonne cinquantaine de nouveaux talents sortent chaque année des différentes écoles romandes (Ecal, Ecav, Head, Cepv*)? Nos différents interlocuteurs s’accordent au même violon, dureront ceux qui trouveront leur langage propre et qui arriveront à tirer le fil de la cohérence de leur réflexion. Sam Stourdzé, directeur du Musée de l’Elysée: «Dans les écoles, les jeunes photographes sont à un poste d’observation privilégié, mais où l’on peut retrouver malgré tout un certain formatage. Ce qu’on va appeler la patte d’une école. Ce qui va se révéler intéressant, c’est ce qui va se passer ensuite, comment ces jeunes photographes aborderont une phase dite de déconstruction où, d’une manière générale, ils seront fortement encouragés à définir avec force leurs projets.» Trouver la raison d’être d’une série, ne pas shooter pour shooter, une image en annulant une autre dans une société absolument encombrée par le trop-plein de visuels (ce qu’avait joliment dénoncé
Élisa Larvego, George Parrish and his cat in front of his house, Triple A, Colorado (USA), 2010.
Mathieu Bernard-Reymond dans sa série TV). Nathalie Herschdorfer, curatrice et historienne de l’art: «Quand Mathieu Bernard-Reymond a remporté le Prix HSBC en 2003, avec sa série Vous êtes ici, il faisait œuvre de précurseur dans la manipulation numérique des images.» Huit ans plus tard, certains ne sortent même plus de leur studio et réussissent à produire des images de même qualité. Comment faire alors pour se démarquer, qu’est-ce qui fait la valeur d’une bonne image? «C’est la grande question», répondent trois de nos interlocuteurs (voir interviews de Nassim Daghighian, Nathalie Herschdorfer et Sam Stourdzé). LA GRANDE QUESTION Nassim Daghighian, historienne de l’art et fondatrice de Near, association de promotion de la photographie contemporaine: «Dans le cadre d’interviews publiées dans «Next», j’ai interrogé à ce sujet plusieurs personnalités de la photographie en Suisse (notamment Urs Stahel, directeur du Fotomuseum Winterthour; William A. Ewing, anciennement directeur au
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Mathieu Bernard-Reymond, Healing I, de la série Elements, 2010-2011.
Musée de l’Elysée; Stefano Stoll, directeur du Festival Images à Vevey; Joerg Bader, directeur du CPG; Daniel Mueller, directeur du PhotoforumPasquArt à Bienne). Personne ne peut véritablement prédire le futur de la photographie contemporaine, mais les réflexions sur l’évolution du statut de l’image dans notre société sont incontournables et les hypothèses innombrables...» On pensait que l’objectivité liée à l’école de Düsseldorf (Becher, Andreas Gursky, Thomas Ruff...) avait fait son temps, déployant ses limites et attendant un nouveau souffle, un nouveau courant. Mais il est indéniable que cela reste une valeur sûre quand il s’agit de ranger, catégoriser, archiver un sujet, quitte à le déshumaniser complètement. «La répétition est un effet qui fonctionne toujours, assure un galeriste désireux de rester discret, c’est ce qui peut même permettre à un sujet de trouver sa cohérence», une image venant s’appuyer contre une autre, chacune trouvant sa dynamique dans leur résonance. Ainsi de l’étonnante série des Bunkers de Leo Fabrizio où la dimension esthétique était appuyée par une seconde lecture beaucoup plus historico-politique, des cabanes calaisiennes de Jean Revillard qui révèlent grandeur des petits et misère des grands de ce monde, des bouts de forêt captés à la nuit tombée en lumière naturelle par Yann Mingard ou encore de la série Il y a toujours une ombre sous la lampe de Steeve Iuncker, qui en vient à s’interroger sur la triste possibilité d’une finalité/fatalité de l’humanité à travers des séquences d’une cruelle banalité. Le sens. C’est ce qui fait qu’au final des images sortent du lot, portées par la vision de leur auteur. Des images qui n’ont pas de prix.
Anne Golaz, La jeune fille au miroir, 2007, de la série Scènes rurales, 2007-2008.
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ENCOURAGER LA CRÉATION, C’EST AUSSI LA FINANCER Mais combien ça coûte une photo de photographe romand? Pas cher, diront les uns. Trop cher, diront les autres. Mais encore? Le même galeriste: «Aujourd’hui, les acheteurs sont devenus assez frileux. Ils investissent sur ce qu’ils connaissent ou sur les artistes dont ils ont déjà entendu
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POUR PLUS D’INFOS FESTIVALS: www.images.ch www.jouph.ch www.plus1000.ch GALERIES: www.imaginaid.org www.krisal.com http://quai1.blogspot.com INSTITUTIONS: www.elysee.ch www.photoforumpasquart.ch www.centrephotogeneve.ch PHOTOGRAPHES: www.gafsou.ch www.germinalroaux.com www.iuncker.ch www.leofabrizio.com www.monsieurmathieu.com www.rezo.ch www.yannmingard.ch
Yann Mingard, série «The Yellow Leaves», 2010
parler. Des achats raisonnés, en somme. Ils laissent rarement la place à de véritables coups de cœur, détachés du prix de l’œuvre ou du nom qui y est accolé.» Même s’il est toujours aussi délicat de parler argent comptant, la fourchette se situe entre 2000 francs pour un tout jeune photographe et 5000 à 7000 francs pour quelqu’un de plus confirmé. Ainsi de Leo Fabrizio, représenté par la Galerie Triple V à Paris, ou de Yann Mingard dont les tirages sont de belles pièces d’orfèvrerie. A Genève, la Galerie Imaginaid propose actuellement des tirages du Lausannois Germinal Roaux pour 2200 francs le tirage. Dans un autre coin de la ville, la Galerie Krisal vend les séries du Genevois Jean Revillard, auréolé de deux World Press - les Oscars du genre - autour de 3500 francs. Ce qu’on peut dire, c’est que cela reste un très bon investissement, pour parler en termes autant économiques qu’esthétiques. Car ce sont des images à forte valeur ajoutée, de qualité irréprochable, d’un savoir-photographier indéniable. Mais la portée symbolique ou politique de ces images va évidemment bien plus loin que le simple accrochage paysager qui fait l’ordinaire des salons feutrés. UN FLORILÈGE D’ÉVÉNEMENTS Cet été, cet automne, les possibilités de se confronter à la photo romande sont légion. Et s’il ne fallait en retenir qu’un, sans mouiller personne, on citerait volontiers le travail de Matthieu Gafsou. Un bosseur pour certains, une personnalité attachante pour d’autres. En tout cas, un photographe qui affine son point de vue d’un boulot à l’autre et qui, comme par enchantement, se retrouve sélectionné dans la quasi-totalité des lieux ou événements précités. A la rentrée prochaine, il exposera en sus l’un de ses derniers travaux, Terres compromises, à la Galerie Imaginaid. Un tirage vaut 3500 francs. En conclusion, si vous voulez vous en mettre plein les yeux, profitez des expositions. Et si vous voulez en avoir pour votre argent, n’attendez pas que certains crèvent les plafonds des salles de vente pour vous faire plaisir.
Tonatiuh Ambrosetti, Série Memento, ROCS, Suisse, 2007-2008.
*Ecal: Ecole Cantonale d’Art de Lausanne Ecav: Ecole Cantonale d’Art du Valais Head: Haute Ecole d’Art et de Design, Genève CEPV Centre d’enseignement professionnel de Vevey
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UNE HABITATION RÉDUITE À L’ESSENTIEL Dans le respect du patrimoine, l’ancien mayen valaisan s’est converti en résidence de vacances minimaliste et contemporaine. TEXTE: MARY-LUCE BOAND-COLOMBINI / PHOTOS: THOMAS JANTSCHER
Au pied du versant abrupt, la petite maison de vacances réinterprète le mayen traditionnel propre au Valais.
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Les planches de mélèze sont disposées en quinconce et alternées. Elles évoquent les vieux madriers.
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En porte à faux, la toiture à deux pans s’incline légèrement en direction de l’est, créant ainsi un espace extérieur protégé pour les habitants.
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L’ancien fourneau en pierre ollaire se combine à un modèle récent à pellets pour assurer le chauffage de la maison.
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Les chambres de l’étage sont disposées sur un sol en mélèze lamellé-collé.
Les marches en bois sont soutenues par un bloc composé d’ardoise noire.
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UNE HABITATION RÉDUITE À L’ESSENTIEL
Un tiers de la grange est d’origine. Les pièces de madrier ont été démontées et numérotées avant d’être remontées.
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raîchement transformée, cette ancienne grange-écurie située dans un hameau du val d'Arolla réinterprète la figure du mayen en madrier traditionnel qui abritait autrefois le bétail, au printemps et en automne. Elle exprime l'héritage culturel de la région et peut procurer en même temps un logement ergonomique et fonctionnel, adapté aux modes de vie actuels. «Dans le contexte d'un espace rural en mutation, ce type de construction hors zone à bâtir peut changer d'affectation, si le projet respecte le caractère initial de l'objet. Nous sommes ouverts à un changement pour autant que la transformation préserve son identité patrimoniale», souligne Benoît Coppey, responsable de la section Patrimoine du canton du Valais. La minuscule parcelle de 166 m2 est bordée de mayens et de maisons d'habitation qui constituent le hameau. Elle descend en pente douce de nord en sud, faisant face à un décor rigoureux fait de roches abruptes et planté de sapins qui évoluent à près de 2000 mètres d'altitude. Destinée à une famille comptant quatre enfants, la maison devait comprendre un séjour, une cuisine, quatre chambres à coucher et une salle de bains unique. Pour mettre en évidence le patrimoine du site, les propriétaires ont tenu à conserver le madrier d'origine et à utiliser du bois naturel sans traitement pour l'ensemble des travaux. Ainsi, l'ancien mayen composé de pièces de madrier de 50 à 60 cm de section en excellent état préserve son identité. Parallèlement, il conserve sa surface au sol originelle. La construction d'origine comprenait un niveau avec une cave. Les architectes ont surélevé le bâtiment. Le rez-de-chaussée se développe maintenant en trois parties, reprenant le gabarit existant. «Notre intervention tire parti du passé sans faire de copier-coller; nous nous en servons pour le faire évoluer», explicite Claude Anne-Marie Matter Galletti.
AUTHENTICITÉ ET CONTEMPORANÉITÉ
La partie sud a conservé le madrier d'origine équarri, joint sans intervalle. Ces pièces ont été dans un premier temps démontées, minutieusement numérotées, puis remontées telles quelles. «Témoignage qu'il est possible de construire en bois massif sans faux-semblants», poursuit l'architecte. Outre la surélévation, la partie du milieu et la partie au nord ont, quant à elles, pris un «coup de jeune». Le bois neuf reprend, comme référence dimensionnelle, la hauteur des madriers de section inférieure. Des planches en mélèze massif d'environ 60 cm de longueur et 27 mm d'épaisseur ont été disposées en quinconce et alternées. Le volume a pris forme comme si on l'avait emboîté à
la main en jouant. Sa matérialisation procure une variation visuelle très intéressante, agréable à l'œil. Derrière ces façades ventilées, les architectes ont conçu une nouvelle ossature préfabriquée, isolée entre poteaux avec des panneaux OSB pour le contreventement, avec une isolation et un bardage. Le pare-vent est vissé sur le châssis. «Nous avons porté une attention particulière sur l'impact des avant-toits et leur avons façonné des traits tout en finesse. Par ailleurs, nous avons conçu de petites fenêtres qui dialoguent avec les façades, tout naturellement et délicatement», précise le chef de projet, Raphaël Dessimoz. La toiture à deux pans se constitue d'un chevronnage non jointif et d'un bardage en pierre naturelle de type Luzerna. La pierre et le lambrissage sont posés en décalage. Le pan côté est, en porte à faux, forme la terrasse principale. Une autre aire extérieure s'ouvre au sud, en continuité de la cuisine. CONFORT ET USAGE
Selon la volonté des maîtres d'ouvrage, confort et usage sont de rigueur dans la maisonnette de 89 m2 habitables. Au rez-de-chaussée, le séjour, la desserte, la chambre à coucher, la cuisine et la salle de bains dictent la vie intérieure tandis qu'à l'étage trois chambres à coucher et un appentis ont pris possession des lieux. Renforcée avec de la pierre et du béton, une petite cave en sous-sol permet quelques rangements, tandis que côté nord de la terre de remblai vient combler le trou. Les architectes se sont joués des compositions classiques pour faire entrer le contemporain dans la maison. La partie du milieu dessert l'étage. Un bloc minéral habillé de petites ardoises noires, dont les joints blancs sont légèrement décalés, soutient l'escalier avec une expression de légèreté. La cage d'escalier et ses marches «échelle de meunier» sont en mélèze et émergent du sol en ardoise. Une ouverture en verre dans la paroi permet l'intégration de lumière led. «La dalle entre les étages est en bois de mélèze lamellé-collé, sans couche d'isolation, ni isolation phonique ni couches d'usure inutiles», ajoute Claude Anne-Marie Matter Galletti. Profitant de s'appuyer sur une des parois en ardoise du bloc de circulation, un fourneau en pierre ollaire complété d'un fourneau à pellets animent le séjour et réchauffent la maisonnée. Madrier, bois naturel et ardoise évoquent le passé, tandis que la main des architectes a judicieusement dessiné et créé un lieu ergonomique et moderne. Un héritage culturel structuré en finesse qui accompagnera la génération future. n
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Les maîtres d’ouvrage ont aménagé les pièces en toute simplicité, en mettant en évidence la nature du bois.
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My DAY WITH
Chez Marc
Chez Marc, il y a des meubles et des objets partout. Et des piles! Des piles de livres, de magazines, de courrier, de vêtements… Pas de doute, Marc affectionne aussi les piles. Au fil des ans, sa curiosité et sa passion pour le mobilier vintage ont pris la forme d’une véritable collection. C’est ce qui donne cet esprit inimitable à son spacieux loft, situé dans une ancienne fabrique de bonbons du quartier de Sébeillon. Cerise sur le gâteau, une petite cour privative située juste à côté de l’entrée donne accès à une belle terrasse sur le toit, qui, elle, est commune à tous les habitants de l’immeuble. En me baladant dans le vaste espace, accompagnée dans mes explorations par «Betty», la chatte, je passe d’une découverte à l’autre. Sentiment de grande satisfaction pour la chineuse que je suis aussi. Le loft de 250 m2 se divise en plusieurs zones. En entrant, le regard embrasse d’abord une longue pièce. Elle sert de coin lecture et de bibliothèque à Marc, qui est enseignant. Sur ma gauche, la cuisine, puis le salon; le poêle qui ronronne semble une invitation à se prélasser dans le grand canapé de Sede. Le salon franchi, je découvre une grande table de notable, puis le bureau et le coin cinéma où Marc visionne ses films préférés. Au fond, dans la partie la plus sombre du loft, se trouvent la chambre à coucher et l’atelier de bricolage. Il règne partout une relative pénombre. Marc adore jouer de la lumière pour créer des ambiances différentes. C’est pourquoi il y a ici un nombre incroyable de lampes… de toutes tailles et de toutes formes.
Avant l’installation de Marc, le loft était dépourvu de cuisine. Le meuble vert et le plan de travail en inox ont été faits sur mesure. Marc aime lire, assis à une table.
Photos et texte: Catherine Gailloud Création concept: Catherine Gailloud et Christiane Nill / www.mydaywith.ch
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De haut en bas
La lampe Pantone trône sur une table de Marcel Breuer. Le canapé – peu confortable! – date du début du XXe siècle. Les gens qui n’avaient pas beaucoup de moyens achetaient alors des meubles recouverts de moleskine, un matériau imitant le cuir. Au fond, on voit le bureau-cabinet, un meuble un peu mystérieux, qui se referme complètement. Une fois replié comme une boîte, il se transporte assez facilement. Clin d’œil à l’enfance, aux dessins animés de Walt Disney, qu’il adorait regarder. Le côté gag et l’humour sont des aspects importants de la personnalité de Marc.
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My DAY WITH
Chez Marc
De haut en bas
Au milieu des piles de livres trône le toréador. Même s’il n’apprécie pas la tauromachie, Marc aime l’atmosphère qui se dégage de ce tableau: le costume, le regard concentré sur l’arène, le combat, l’allure fière, le côté un peu kitsch, les couleurs. Il a trouvé ce cadre dans une brocante du sud-ouest de la France il y a vingt ans. Une horloge achetée chez Habitat, posée sur un meuble d’atelier.
La bibliothèque a été réalisée à partir d’un meuble d’atelier transformé avec de simples planches en bois. L’ours en peluche de Marc, qui le suit depuis son enfance. Les boîtes en métal sont des coffres de sûreté qui viennent d’une banque. La chatte «Betty».
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Au fil du temps Depuis combien de temps vis-tu ici?
Je suis tombé sur le panneau «à vendre» en automne 1997 et j’ai emménagé en 1998 après environ une année de travaux. Pourquoi as-tu choisi cet appartement?
Ça faisait vingt-cinq ans que je vivais dans un petit 2-pièces. J’étais allé à New York, j’aimais les lofts et je rêvais souvent d’une vie dans un grand lieu ouvert. De transformer un espace industriel en conservant son âme, son état brut. Quel genre de travaux as-tu fait?
Une paroi vitrée a été abattue, avec des planches de chantier j’ai ajouté des parquets là où il n’y en avait pas, et j’ai fait installer une cuisine. Toutes les fenêtres ont été changées, mais les poignées ont été conservées et un ébéniste a recréé les fenêtres originales pour garder l’esprit du lieu. Comment as-tu procédé pour aménager ton appartement?
Quand je suis arrivé avec le mobilier de mon minuscule 2-pièces dans ce grand loft, tous les meubles étaient trop petits! Alors, tout s’est fait lentement, pièce par pièce, objet par objet, au fil de mes trouvailles. Ici, chaque chose a un vécu, une histoire. Je suis d’abord séduit par le matériau et la forme. Et j’aime bien détourner la fonction première des meubles ou des objets. L’appartement est en
évolution permanente, il y a des choses qui disparaissent, d’autres sont remplacées. Comment as-tu choisi les couleurs des murs?
Pour la chambre à coucher je voulais une ambiance Mille et Une Nuits, quelque chose de sensuel; le rouge s’est imposé. Dans les autres pièces, j’ai préféré des couleurs plus neutres et claires.
Le bureau Borsani, trouvé dans une brocante. La lampe goutte à l’arrière-plan est la première lampe design achetée par Marc, à Paris, sur les quais.
Le coin projection, c’était un incontournable pour toi?
C’est plutôt un concours de circonstances. La place le permettait, et j’adore les films des années 50-60. Quel endroit préfères-tu chez toi?
La table de ma cuisine, c’est notre quartier général à «Betty» et à moi. Je l’ai achetée chez une dame qui vit à la campagne, et ça a été une belle rencontre. Elle est en bois clair et le plateau en bois massif laminé, elle est attribuée à Kurt Thut, une grande figure du design suisse. Un objet auquel tu tiens particulièrement?
Le grand bouddha dans l’atelier, il me suit depuis tellement longtemps. Je l’ai acheté lors de mon premier voyage en Thaïlande en 1988. Bien que je ne sois pas pratiquant, le bouddhisme et sa philosophie me plaisent: la voie du juste milieu, l’équilibre… un travail de tous les jours! Où chines-tu?
Dans les dépôts-ventes, les brocantes, les videgreniers, les puces. Partout! espaces contemporains I 87
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Chez Marc
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Vue depuis le hall d’entrée sur la petite cour intérieure ou Marc passe beaucoup de temps. En été, il y installe un parasol, des chaises longues, y fait la sieste, lit, boit son thé et s’occupe de ses nombreuses plantes. Une affichette du film «La scoumoune» et un 45 tours de Juliette Gréco (la photo a été prise avant qu’elle se fasse refaire le nez!). Le tourne-disque fonctionne encore, autre clin d’œil à l’adolescence de Marc, qui l’emportait pour se rendre à des boums. La table, attribuée à Kurt Thut. La photo lumineuse de John Wayne dans son cadre doré est un objet typiquement américain. Dans les années 50, tous les cinémas utilisaient ce genre de cadre pour créer des points lumineux à l’entrée ou le long des allées. La table basse vintage est d’un designer suisse inconnu, également une de ses toutes premières acquisitions.
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Chez Marc
De haut en bas
La méridienne de style oriental qu’il a trouvée chez un ami brocanteur. Il l’appelle son cabinet de curiosités. Il est composé d’objets ramenés de voyages, essentiellement d’Asie. Et encore des petits ours et des «bambis» qui lui rappellent son enfance. Lampes d’usine et bureau de notable Borsani, en chêne. Des lampes achetées parce qu’elles procurent un éclairage très agréable.
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I I
espaces portrait
Tomas Kral Le design tactile
Né en 1979 en Slovaquie, Tomas Kral s’inscrit à l’Ecal en 2004. Après son diplôme en design industriel, suivi d’un master en design for luxury and craftsmanship en 2009, il enseigne dans le même département. En 2008, il inaugure son studio de design et obtient en 2010 le prix des Bourses fédérales. Récemment, son travail a été honoré du prix Leitz Innovation & Design en Allemagne. En 2012 et 2013, il a conduit des workshops d’été au Boisbuchet avec des designers internationaux. Patricia Lunghi
«Les objets doivent donner envie de toucher, de jouer avec eux… pas juste de les regarder».
Après un début d’études techniques à Bratislava, Tomas Kral débarque à Lausanne en 2004 pour s’inscrire à l’Ecal où il obtient son diplôme en design industriel suivi d’un master, puis d’un poste de professeur. Parallèlement, il développe des projets personnels dans son studio de design situé au nord de Lausanne. Caché au fond d’un chemin, son petit espace de création quasi spartiate concentre sur des étagères quelques prototypes, des tests et des objets en carton bien rangés. Au mur, des outils, et sur une table quelques petites machines, un ordinateur, une imprimante et une multitude de feuilles blanches couvertes de dessins au milieu desquels le jeune designer effectue ses recherches orientées vers les matériaux et les processus de production. Verre, liège ou céramique sont ses matières de prédilection. Ce fils d’architecte travaille délibérément à une échelle réduite par rapport à son père et opte souvent pour de petits objets, luminaires et accessoires, très structurés et bien pensés, inspirés de la tradition. Celle du verre notamment, en raison de ses origines slovaques, haut lieu de création et de production du verre soufflé. C’est d’ailleurs avec un projet sur le verre que Tomas Kral gagne en 2010 le prix des Bourses fédérales de design. Upgrade s’inspire d’anciennes techniques décoratives sur cristal appliquées sur des bouteilles industrielles de lait ou de sauce tomate qu’il détourne à travers des découpes, de la gravure et des dorures qui transforment l’objet commun
en pièce unique et précieuse. Ce lien avec la tradition est encore présent dans le projet Terracotta produit par l’entreprise espagnole PCM. Sa série de lampes réussit l’équilibre parfait entre tradition et design en apportant un souffle nouveau au savoir-faire artisanal de la région de Talavera. Céramique encore pour le projet Grid, cette magnifique série de plateaux à fruits que chacun rêverait d’avoir chez soi tant la simplicité confine ici à la perfection. Un jet minimal de traits graphiques qui jouent avec les pleins et les vides, à combler en plaçant les fruits entre les lignes. Depuis quelque temps, le designer s’intéresse aux matières souples, comme le caoutchouc et le silicone. Ainsi est né Flex, set de boîtes pour le bureau ou la maison qui intègre dans son concept même le principe de flexibilité, propriété spécifique du matériau qui permet ainsi aux boîtes de se refermer d’elles-mêmes. Dans la démarche de Tomas Kral, il est un élément caractéristique qui joue un rôle important bien qu’invisible, et auquel peu de designers accordent de l’importance. C’est l’aspect tactile. En effet, les surfaces des objets du designer slovaque sont toujours très soignées et agréables à caresser, à palper, à tripoter. Céramiques lisses, bouteilles incisées, bouchons en liège, table en bois poli… qu’il s’agisse de matières, de surfaces ou de reliefs, tout constitue une invitation au toucher. Son design sensuel s’exprime à travers une perception multisensorielle. Il s’apprécie aussi et surtout avec les mains. www.tomaskral.ch
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Photo crédits: Tomas KraL
Genta
photo: Jara Varela
olas photo: Nic
FLEX, 2012 Famille de petites boîtes en caoutchouc, agréables au toucher, dessinées pour la jeune maison d’édition Praxis de Hongkong. Conçus en deux tailles différentes, ces contenants reposent sur le principe de la flexibilité, principale propriété de ce matériau. Ressemblant à de petits animaux, les couvercles souples peuvent être ouverts facilement et se referment toujours, de sorte que l’objet ne reste jamais ouvert quand il n’est pas utilisé.
man photo: Martin Haldi
Exposition du lancement officiel de la marque PCM et de la première collection dessinée pour elle par Tomas Kral. Madrid, juin 2011.
GRID, 2013 Des plateaux à fruits dont la fonction a simplement été créée par le jeu minimal et géométrique entre le vide et le plein. Petit ou grand, le fruit trouve donc facilement sa place entre les lignes. Produits par le céramiste Peter Fink dans son atelier de Fribourg et édités en série limitée par la Galerie Kissthedesign.
TERRACOTTA, 2011 Série de lampes en terre rouge et noire basée sur un jeu autour du pied central, formellement adapté pour recevoir un ou plusieurs abat-jour. Le câble qui alimente les lampes crée un élément graphique en reliant d’une manière apparente le pied et l’abat-jour. Le choix de ce matériau, à texture très tactile, souligne l’élégance et la simplicité de l’objet. Daté de 2011, le projet a été récemment relancé par la jeune entreprise madrilène PCM.
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I I
espaces talent
BIG-GAME 10 années bien remplies
En 2004, trois jeunes étudiants de l’ECAL fondaient à Lausanne le collectif de design Big-Game. Dix ans plus tard, les camarades francophones, Augustin Scott de Martinville (France), Grégoire Jeanmonod (Suisse) et Elric Petit (Belgique) continuent à enseigner à l’ECAL et leur activité de designer est plus foisonnante que jamais. Patricia Lunghi
De gauche à droite: Augustin Scott de Martinville, Grégoire Jeanmonod et Elric Petit, fondateurs du studio de design industriel Big-Game.
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Inscrit dès ses débuts sur la scène internationale, le studio collabore avec des partenaires suisses tels que Nespresso ou Logitech, mais surtout avec des entreprises à l’étranger: Alessi en Italie, Amorim au Portugal, Hay au Danemark, Lexon, Moustache et la Galerie Kreo en France ou Praxis à Hongkong. En plus de tous ces pays, Big-Game entretient un lien particulier avec le Japon. Depuis 2009, une relation fructueuse et productive s’est tissée avec Karimoku, premier fabricant de meubles en bois de l’archipel pour qui Big-Game dessine la famille de mobilier Castor, qui compte déjà tables, tabourets et étagères. Dans cette même collection, leur élégante chaise en bois aux lignes essentielles vient de recevoir le Swiss Design Award, le iF Design Award allemand ainsi que le prestigieux Good Design Award japonais. Actuellement, le trio développe un projet de céramique dans la région d’Arita, au sud du Japon, berceau historique de la production de porcelaine. La collection sera présentée à Milan en 2016 pour fêter les 400 ans de l’arrivée de la porcelaine au Japon. D’ici là, de nouveaux projets sont sur le feu, des luminaires pour Habitat et la montre Strap dont le réglage du bracelet en nylon est inspiré des bretelles de sac à dos et qui vient d’être présentée à Maison & Objet. Le succès de Big-Game relève de son esprit rationaliste et fonctionnel caractérisé par des formes géométriques simples souvent soulignées par l’usage de couleurs. Un design foncièrement optimiste et qui fait du bien, exprimé dans un langage radical mais soft.
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Trajectoire en 10 repères
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2004 Création du studio Big-Game. 2005 Présentation de la collection Heritage in Progress à Milan. Leur célèbre tête de cerf en bois à épingler au mur les fait connaître et donne le nom à leur bureau (Big-Game signifie gros gibier en anglais). Photo 2. 2006 Premier Swiss Design Award pour la collection Heritage in Progress. 2007 Création d’une autre pièce iconique, la chaise Bold, conçue à l’origine comme un tube habillé d’une chaussette. Elle fait partie de la collection permanente du MoMA de New York. Photo 3. 2008 Millésime faste pour le trio qui inaugure un exposition personnelle au Grand Hornu en Belgique, accompagnée d’une monographie retraçant leur parcours. Photo 6. 2009 Début de la collaboration avec l’entreprise Karimoku, premier fabricant de meubles en bois au Japon. Photo 4. 2010 Deuxième Swiss Design Award pour le système d’étagères modulairFloors, léger et sans vis. 2012 Projet en collaboration avec l’EPFL + ECAL Labqui aboutit à la réalisation de poignées de porte en bois densifié. Photo 5. 2013 Montre analogique quartz Scout pour Lexon. Photo 7. 2014 Troisième Swiss Design Award qui récompense leurs travaux récents, dont la série de meubles Castor. Photo 1
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tendances 2014
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Terre
Besoin de retrouver le contact avec la matière, d’apprécier son épaisseur, sa consistance, sa douceur et sa fragilité. Renouer avec le naturel. Percevoir la trace de l’humain derrière l’objet, sentir. Ressentir. Oser l’empathie.
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1. Lampe w103, design Inga Sempé, Wästberg,
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www.wastberg.com
2. Lampe Terracotta, design Tomas Kral, PCM Design,
www.pcmdesign.es
3. Etagère Eur, Magis, www.magisdesign.com 4. Canapé Aero, design Norbert Beck, Rolf Benz,
www.rolf-benz.com
5. Chaise Elephant, design Neuland, Kristalia,
www.kristalia.it
6-7. Pourer Pot et Rotating Pot, design Benjamin
Hubert, Menu, www.menu.as
8. Tapis Oona, Normann Copenhagen,
www.normann-copenhagen.com
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Cosmos
Et si la vie future était dans l’ailleurs? L’univers galactique inspire des créations avant-gardistes aux accents futuristes. Le bleu nuit, l’émeraude, le gris métallique et le noir se fondent et se confondent pour faire surgir mystère et profondeur. 1. Luminaire Flow, Wonderglass,
www.wonder-glass.com
2. Canapé Oyster, design Jörg Boner, Wittmann,
www.wittmann.at
3. Horloge Eclipse, design Constance Guisset, Petite
Friture, www.petitefriture.com
4. Table Atollo Twin, Cattelan Italia,
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www.cattelanitalia.com
5. Tapis Dibbets Rainbow Boreal, Minotti,
www.minotti.com
6. Méridienne Andersen, design Rodolfo Dordoni,
Minotti, www.minotti.com
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I I
espaces design
L’écran lumineux «Demain est un autre jour» de Mathieu Lehanneur est présenté dans l’exposition «Form follows information» consacrée aux objets qui matérialisent l’invisible. Les images qu’il renvoie ont été conçues à partir d’informations météorologiques recueillies en temps réel sur internet. Cet objet, véritable invitation à méditer sur la permanence et l’impermanence des choses, séduit par sa beauté poétique.
Le «beau» dans tous ses états La 9 e édition de la Biennale internationale de design de Saint-Etienne se déroule jusqu’au 12 avril. Parmi la pléthore d’expositions présentées, celles qui traitent du «beau» ont particulièrement retenu notre attention. Avec cette interrogation en filigrane: que signifie encore ce mot pour nous aujourd’hui? Magali Prugnard
92 I espaces contemporains
Ces deux objets figurent dans l’exposition «No randomness» consacrée à la beauté qui réside dans l’intelligence des objets. Sur la photo du haut, un œuf en barre. Il est le fruit d’un procédé de cuisson astucieux. Le designer est intervenu sur cet aliment pour proposer une solution simple à un problème économique (réduction du gaspillage) et esthétique (tranches uniformes) en altérant peu le goût du produit. Pourtant, malgré tous ces atouts, cet aliment est loin de nous séduire. Nous le trouvons laid et il nous repousse. Qu’est-ce qui en lui nous dérange? Ci-contre on voit la couleur Pantone 152 dite aussi «orange de sécurité». Il s’agit de la couleur qui ressort le plus dans l’environneCes objets montrés dans l’exposition NoSon Randomness mentdeux naturel caront elleété y est pratiquement inexistante. élaboration consacrée à lad’un beauté des objets. Sur a été le fruit coupqui de réside génie. dans On lal’intelligence trouve aujourd’hui fréquemla photo haut, un enpistolet, barre. Illaest le fruit procédé de ment sur du l’embout duoeuf jouet veste desd’un prisonniers, cuisson astucieux. Le designer est intervenu sur cet aliment pour les rubans de sécurité et les cônes de circulation. proposer une solution simple à un problème économique (réduction du gaspillage) et esthétique (tranches uniformes) en altérant peu le goût du produit. Pourtant malgré tous ces atouts, cet aliment est loin de nous séduire. Nous le trouvons laid et il nous repousse. Mais qu’est-ce qui en lui nous dérange ? Sur la photo du bas se voit la couleur Pantone 152 dit aussi « orange de sécurité ». Il s’agit de la couleur qui ressort le plus dans l’environnement naturel car elle y est pratiquement inexistante. Son élaboration a été le fruit d’un coup de génie. On la trouve aujourd’hui fréquemment : sur l’embout du jouet pistolet, la veste des prisonniers, les rubans de sécurité et les cônes de circulation.
I I
espaces design
Sam Hecht et Kim Colin sont les commissaires de l’exposition «Beauty is unfinished business», dans laquelle la beauté est envisagée comme une capacité de suggestion.
Demetra. Design Naoto Fukasawa, Artemide. Cette lampe de bureau se compose de formes géométriques simples, abstraites, face auxquelles on ressent un sentiment d’équilibre. Le disque plat recèle une diode électroluminescente.
Saphirkeramic, design Konstantin Grcic, Laufen. L’usage d’un matériau céramique particulier permet ici de réaliser des formes beaucoup plus fines qu’avec de la céramique traditionnelle. On obtient ainsi un produit qui s’éloigne de ce qu’on a l’habitude de voir dans le domaine de l’équipement sanitaire pour se rapprocher davantage de l’esthétique des arts de la table.
94 I espaces contemporains
C’est peu dire que le terme «beau» est galvaudé. Beaux sont les fruits et les légumes de nos étals, les produits packagés, les corps remodelés par la chirurgie et le sport, les visages maquillés, les vêtements à la mode, les paysages qui nous entourent, les véhicules que nous utilisons… Le mot est lié aux ornements en tout genre, à tel point que les designers préfèrent souvent parler d’objets «justes» pour évoquer leur création. Et il a tellement été revendiqué par les Beaux-Arts que de nombreuses têtes pensantes de l’art contemporain assument aujourd’hui de ne plus chercher a production de la beauté. Toutefois, pour sa 9e édition, la très sérieuse Biennale internationale de design de Saint-Etienne consacre quatre expositions à cette thématique. Un parcours qui montre que, loin d’être un piège ou une prison, le «beau» constitue un idéal stimulant pour de nombreux designers. Il y apparaît comme un vecteur d’expériences esthétiques fluides et multiples. Ici, pas de référence à la place du «beau» dans l’histoire de l’art et des Arts décoratifs. La manifestation nous plonge directement dans le monde contemporain. Pour ceux qui l’ignoreraient, aujourd’hui nous sommes tous spontanément kantiens! Nous pensons que la beauté est une qualité subjective: une chose est belle parce qu’elle nous plaît. Une qualité toute relative car nous admettons aisément que l’autre ne l’attribue pas aux mêmes objets que ceux que nous apprécions. En poussant un peu plus loin la réflexion, nous admettons tous assez facilement que le plaisir esthétique est un mélange entre des sensations empiriques et des sentiments qui relèvent de l’imagination et de l’entendement. Mais voilà les seuls points qui nous mettront sans doute d’accord, car le mot «beau» peut renvoyer à un nombre considérable de critères plastiques, de valeurs et de plaisirs différents. Le «beau» comme potentiel immatériel
«La beauté est dans l’œil de celui qui regarde» est une citation généralement attribuée à Margaret Wolfe Hungerford, qui colle parfaitement à la vision de Sam Hecht et Kim Colin. Mandatés pour monter l’exposition «Beauty is unfinished business», les deux designers présentent le «beau» comme une chose immatérielle qui dépasse l’objet et ses qualités physiques propres. A l’origine de leur démarche figure ce constat: «La chaise Branca que nous avons dessinée pour Mattiazzi est «belle» aux dires de nombreux observateurs qui font glisser les paumes de leurs mains sur ses bras et ses pieds en s’extasiant sur la douce homogénéité du bois. Pourtant, pour déterminer le diamètre et la forme du bois, nous avons tout simplement utilisé un balai qui se trouvait dans notre atelier. Voit-on souvent quelqu’un caresser un balai en bois et se sentir touché par tant de beauté?» Certainement pas. La beauté émane de la manière dont on perçoit l’objet dans un contexte spatial donné. Ce n’est ni une chose, ni une couleur, ni une forme, ni un mouvement, ni une vision particulière. C’est une potentialité qui cherche à voir le jour, une capacité de suggestion liée à un environnement. Il serait illusoire de penser que la beauté réside dans le résultat final. Le designer doit prendre en compte que son œuvre n’est ni finie ni statique mais que c’est une expérience ouverte, incomplète, qui génère d’autres expériences. La beauté qu’il injecte dans l’objet vient d’un supplément de personnalité qui peut faire mouche, d’un détail qui laisse s’imprimer un contexte dans le regard du spectateur. L’exposition «Beauty is unfinished business» regorge ainsi d’exemples qui vont dans ce sens, de la chaise produite en série où se note des détails manufacturiers aux vases qui rappellent un paysage en passant par des accessoires qui évoquent un style de vie que l’on envie.
L’exposition «Vous avez dit bizarre?» fait un véritable pied de nez à la notion de beauté. Les codes esthétiques du grotesque sont là pour défier les valeurs de bon goût et de beauté. Ils renvoient au caractère de ce qui est ridicule et absurde, obscène et outrancier, à ce qui bouscule les hiérarchies et les repères visuels. Côté émotion, le grotesque entraîne répulsion, étouffement, malaise… mais pas seulement. La mise en scène de cette exposition se révèle si réussie que le grotesque vient aussi nous toucher et nous plaire. Son langage opère comme un sas de liberté et de fantaisie. Sur la photo, le luminaire vert et le fauteuil bleu s’avèrent signés de la designer Silva Lovasova. La télévision dorée est de Bo Reudler Studio. Le tissu en latex qui enveloppe les colonnes à la manière d’une grotte artificielle est une idée de Bart Hess.
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espaces design
VERSION 1
Sebastian Herkner figure parmi les nombreux designers présents dans l’exposition «Serial Beauty». Pour lui, «la beauté est toujours liée aux matériaux, à la fabrication, voire à la technologie utilisée. La beauté ne se trouve pas uniquement dans la surface externe d’un produit, mais également dans l’histoire qui sous-tend la fabrication du produit. L’utilisation de techniques locales et spécifiques ou la collaboration avec une entreprise traditionnelle représentent une histoire et confèrent une valeur particulière au produit et à son apparence.» Ici le luminaire Oda conçu pour Pulpo Products.
Le «beau» comme intelligence des formes
Une approche beaucoup moins subjective est celle du designer français Oscar Lhermitte, commissaire de l’exposition «No Randomness» (pas d’aléatoire, en français). Pour lui, le «beau» dépend de certaines caractéristiques de l’objet. Il se fonde sur des critères réalistes et pas seulement sur des sentiments relatifs. Le secret de la beauté réside dans l’intelligence de formes en cohérence avec la fonction et le contexte de l’objet. Il partage ainsi son expérience: «J’aime comprendre la raison de tel ou tel détail. Voir qu’il n’a pas été choisi par hasard ou uniquement par goût, découvrir par exemple que la courbe d’un objet lambda, que j’utilise au quotidien sans jamais y prêter attention, est en réalité un facteur déterminant pour sa bonne fonctionnalité. Elle était là cette courbe, sous mes yeux pendant tout ce temps, si calme et pourtant si belle.» Loin d’être évidente, la beauté qu’évoque Oscar Lhermitte se fait souvent discrète. Elle se cache dans des objets banals qui témoignent d’un design intelligent comme la veste du pêcheur des Cornouailles ou la bouche d’égout. Et il faut se pencher sur chaque détail pour qu’il se révèle. Le «beau» comme pratique sensible
La beauté, ça se contemple mais ça se pratique aussi, nous rappellent les deux dernières expositions de la biennale consacrée aux thèmes «Les sens du beau» et «Serial beauty». Si la première présente les objets conçus par des étudiants européens, la seconde se concentre sur les créations de vingt designers reconnus à l’international. Il ressort de ces parcours, qui questionnent la manière dont chaque créateur génère des idées, que le design n’est pas un lieu de production de modèles esthétiques rigides, même dans le cas de fabrication en série. C’est au contraire un domaine où peuvent s’exprimer toutes les formes de sensibilité vis-à-vis de la beauté. Tant celle-ci sait autant se cacher dans les petites choses qui glorifient l’ordinaire que dans le chaos ou l’équilibre; et surgir dans le raffinement d’une exécution ou l’apparition accidentelle de l’empreinte du processus de production.
Sam Hecht et Kim Colin sont les auteurs de nombreux produits, comme la chaise Radice pour Mattiazzi. La beauté de ce siège repose sur la simplicité de sa structure: les pieds ressemblent à ceux d’un tabouret, le dossier est petit et rassurant. Les teintures proposées pour le bois s’inspirent des différentes couleurs des feuilles d’automne.
Le «beau» comme accident de parcours
Cela peut sembler surprenant mais la recherche du «beau» n’est pas toujours une notion motrice dans le processus créatif du designer. Illustration avec ce commentaire de Matali Crasset: «La beauté, cela ne m’intéresse pas en soi, car c’est une notion trop subjective qui dépend trop de la culture de la personne qui la regarde. La forme dans mes projets n’est que le résultat de mes intentions, elle n’est pas le moteur.» La beauté arrive ici sans qu’on la cherche, comme une sorte d’excroissance ou d’accident. Un peu comme dans la démarche de Francisco Gomez Paz pour qui elle reste cependant un idéal: «Mon point de départ est toujours une idée: grande ou petite, c’est elle qui me guide pour découvrir la forme définitive de l’objet. La beauté n’est que l’issue des meilleures décisions prises en cours de chemin. Si la beauté est absente de l’objet final, c’est que quelque chose est allé de travers à un moment ou à un autre.» La notion du «beau» de Francisco Gomez Paz n’est pas seulement dans la surface des choses. Elle est dans la capacité à exprimer une idée dans la matérialité des choses. Et c’est d’ailleurs cette définition très pertinente que l’on retrouve chez bien d’autres designers tel Mathieu Lehanneur. «La forme c’est le fond qui remonte à la surface», explique-t-il en citant Victor Hugo. «La beauté n’est pas une notion cosmétique, elle n’est pas le vernis aguicheur d’un fond médiocre. C’est sans doute là une différence notable entre le «beau» et le «joli». Dans le joli le fond et la forme sont indépendants, autonomes, la forme ne se préoccupe pas de ce qu’elle habille. Dans la beauté il n’y a qu’un tout. Fond et forme ne sont qu’un. Cohérent. Implacable. Irrésistible.»
Elevated Vase, Muuto. Ce vase surélevé est construit en plusieurs couches comme un paysage: le socle évoque la terre, la cloche en verre l’atmosphère. Sa beauté vient de son pouvoir de suggestion.
Vue de l’exposition L’essence du Beau. L’installation Fukubi de Takafumi Nemoto, diplômé de l’Ecal, met en scène la laine dans un dispositif de projection onirique.
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Le goût du design
Espaces contemporains et l’association Design Days présentent la 6e sélection des EspAces du design, qui cette année se dédouble pour être présente sur deux fronts communs. D’une part, intégrée au programme des activités de la Présence vaudoise à l’Expo universelle de Milan, elle sera présentée à l’Institut culturel suisse de Milan pendant tout le mois de septembre. Pour cette occasion, les EspAces du design proposent une sélection d’objets dont le dénominateur commun est celui de l’alimentation, thématique centrale de l’expo. Une cinquantaine de produits industriels ou en développement, du packaging ainsi que des imprimés, tous brillant par leur fonctionnalité, leur esthétisme tout helvétique et leur créativité, seront exposés dans une scénographie d’Adrien Rovero. D’autre part, les EspAces du design feront halte à Genève dans le cadre des Design Days et offriront la même sélection, mais légèrement resserrée. Baptisée Le Goût du Design, cette édition spéciale va mettre en éveil toutes les papilles. En allant aux sources du plaisir et au-delà des frontières.Maxime Pegatoquet
Le Goût du Design, édition spéciale Les EspAces du design, du 3 au 30 septembre Istituto Svizzero, Sede di Milano, Via Vecchio Politecnico 3 Et du 17 au 20 septembre, Design Days, Pavillon Sicli, route des Acacias 45, Genève
Stand présent dans le cadre de l’exposition au Centre culturel suisse à Milan. Conçu dans le cadre du workshop Terroir avec les étudiants de l’ECAL. Il a été conçus lors d’un workshop dirigé par Adrien Rovero en partenariat avec des étudiants de la HEAD Genève.
espaces contemporains I 67
Meilleur élément de rangement tip top en ordre – à l’équerre En Suisse comme en Italie, pour citer deux pays où il fait bon se noyer dans les productions locales, le vin est une affaire sacrée pour qui aime faire circuler le nectar des dieux dans l’antre gustatif et papillonnant de sa grotte buccale. Le conditionnement desdites bouteilles n’en est pas moins une affaire des plus sérieuses pour tout amateur éclairé. Surtout que la soif vient en mangeant et que l’époque est à la culture du vin nature, à savoir qu’on boit peut-être moins mais mieux! Avec les modules dessinés par le duo Thing Design, on avance rationné. Dix bouteilles par casier, de manière à ne pas trop mélanger cépages et vignerons, et une capacité d’empilement qui ferait sourire de plaisir un maçon, puisque le ciment est ici le contenant et non plus le liant. Les plus versatiles pourront s’en servir pour stocker leur bois ou leurs linges de toilette. Range-bouteilles Cheers, Thing Design pour Swisspearl by Eternit. Plus d’infos sur www.thing-design.com et www.swisspearl.ch
Les espaces du design édition spéciale
Planches Choentag, de Christian Pauchon et Bucolique de Golden Biscotti
Meilleures découpes de planches en bois Aujourd’hui plus qu’hier le design doit se frotter à un marché plus concurrentiel qu’essentiel, plus esthétique que réellement pratique, où l’artisanal vient à nouveau le disputer à l’industriel. Ainsi de cette vague de planches à pain qu’on voit déferler indifféremment de tous les pays, de toutes les maisons d’édition. Faciles à produire, inscrites dans une certaine idée de développement durable, d’upcycling ou de slow living, ce sont des objets qui semblent devoir marquer l’époque par leur caractère passe-partout, juste destinés à rehausser le centre d’une table. Issues de productions certifiées FSC ou de planches de chantier récupérées, ces planches constituent une famille d’essences où chacune avance ses propres différences: brute et murale pour le label Choentag, empilable façon cairn montagneux chez Postfossil qui en propose quatre à utiliser en fonction des saisons; bucolique pour Golden Biscotti dont les produits, aux formes arboricoles, renvoient directement à l’envoyeur. Plus d’infos sur www.choentag.ch, www.postfossil.ch, goldenbiscotti.ch
Meilleure série de presse-citrons vintage Pour que le monde continue à tourner, il y a des coutumes dont il est bon de préserver les rituels et le savoir-faire. Ainsi de la cérémonie du thé au Japon, de la confection de «la pasta» en Italie… ou de la citronnade faite maison et remise au goût du jour par Loris & Livia, duo de Suissesses installées à Londres, ce qui peut expliquer cela. Pour repenser la fraise traditionnelle permettant d’extraire le jus des agrumes, elles se sont associées avec de facétieux sculpteurs sur bois; afin de transformer d’anciens pieds de rampes d’escalier en centrifugeuses manuelles, qui semblent tout droit sorties d’un épisode de «Game of Thrones». Chaque morceau est bien évidemment unique car taillé à la main et réalisé en fonction des pièces brutes récupérées, en hêtre, acajou, frêne ou chêne anglais. Lemontoys 18 à 24, Loris & Livia, chaque exemplaire est unique. Plus d’infos sur lorisetlivia.bigcartel.com 70 I espaces contemporains
Les espaces du design édition spéciale
Planches Choentag, de Christian Pauchon et Bucolique de Golden Biscotti
Meilleures découpes de planches en bois Aujourd’hui plus qu’hier le design doit se frotter à un marché plus concurrentiel qu’essentiel, plus esthétique que réellement pratique, où l’artisanal vient à nouveau le disputer à l’industriel. Ainsi de cette vague de planches à pain qu’on voit déferler indifféremment de tous les pays, de toutes les maisons d’édition. Faciles à produire, inscrites dans une certaine idée de développement durable, d’upcycling ou de slow living, ce sont des objets qui semblent devoir marquer l’époque par leur caractère passe-partout, juste destinés à rehausser le centre d’une table. Issues de productions certifiées FSC ou de planches de chantier récupérées, ces planches constituent une famille d’essences où chacune avance ses propres différences: brute et murale pour le label Choentag, empilable façon cairn montagneux chez Postfossil qui en propose quatre à utiliser en fonction des saisons; bucolique pour Golden Biscotti dont les produits, aux formes arboricoles, renvoient directement à l’envoyeur. Plus d’infos sur www.choentag.ch, www.postfossil.ch, goldenbiscotti.ch
Meilleure série de presse-citrons vintage Pour que le monde continue à tourner, il y a des coutumes dont il est bon de préserver les rituels et le savoir-faire. Ainsi de la cérémonie du thé au Japon, de la confection de «la pasta» en Italie… ou de la citronnade faite maison et remise au goût du jour par Loris & Livia, duo de Suissesses installées à Londres, ce qui peut expliquer cela. Pour repenser la fraise traditionnelle permettant d’extraire le jus des agrumes, elles se sont associées avec de facétieux sculpteurs sur bois; afin de transformer d’anciens pieds de rampes d’escalier en centrifugeuses manuelles, qui semblent tout droit sorties d’un épisode de «Game of Thrones». Chaque morceau est bien évidemment unique car taillé à la main et réalisé en fonction des pièces brutes récupérées, en hêtre, acajou, frêne ou chêne anglais. Lemontoys 18 à 24, Loris & Livia, chaque exemplaire est unique. Plus d’infos sur lorisetlivia.bigcartel.com 70 I espaces contemporains
La marque USM vient de commercialiser les Privacy Panels, des modules permettant de créer des îlots feutrés au milieu d’un open space.
design
Dessiner le silence Face à la tendance des espaces décloisonnés, les designers recréent des espaces d’intimité. À coups de lampes, de fauteuils et de panneaux acoustiques. Maxime Pégatoquet
nous envahit. Partout, tout le temps, au point qu’il devient une source de nuisance majeure. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Conseil fédéral a adopté une ordonnance pour l’assainissement phonique des routes. Selon le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, on estime qu’en Suisse environ 80 personnes meurent chaque année d’un infarctus dû au bruit du trafic routier. Le bruit, ennemi public n°1 Ne haussez pas les sourcils, le silence devient bel et bien un enjeu de société. C’est ainsi que tout récemment, d’après le magazine Télérama, les îles éoliennes Salina et Stromboli ont décidé de miser sur un « tourisme du silence », ceci afin d’assurer à leurs visiteurs le repos des oreilles et de l’esprit et de « préserver, notamment à travers les véhicules électriques, l’environnement acoustique ». Dans un registre plus festif, notons que l’association genevoise Sonopack a lancé des Silent Party pour faire la fête et danser en toute quiétude. Si vous préférez néanmoins faire l’autruche face à ce phénomène qui concerne directement notre bien-être immédiat, vous pouvez toujours vous réfugier dans le produit imaginé par le studio lausannois Banana Things : un coussin où enfoncer la tête et les mains, histoire d’oublier les tracasseries ambiantes le temps d’un repos temporaire. Dans le même ordre d’idées, et cela peut être une excellente manière de signaler à votre interlocuteur votre rasle-bol ambiant, chapeautez-vous du casque en liège imaginé par le Belge Pierre-Emmanuel Vandeputte.
Photo : André Huber
Le bruit
Dès qu’elle décèle le dépassement du niveau sonore acceptable dans une pièce, la boule dB de Mathieu Lehanneur se déplace Pour une pour émettre ce qu’on appelle un « bruit blanc ». sieste express, faites l’autruche avec les coussins du studio Banana Things.
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Le Lausannois Luciano Dell’Orefice a imaginé des oreilles géantes comme protections acoustiques et Pour ceux qui cherchent le silence sur visuelles. un coup de tête, Pierre-Emmanuel Vandeputte a imaginé un casque amovible en liège pour se couper momentanément du monde. Les éléments Hexagon créés par les Danois Form Us With Love permettent d’estomper les sons d’une pièce.
Keep Calm and Carry On Au rayon design, le calme est le nouvel eldorado, la quête ultime de l’Homo numericus. Mathieu Lehanneur, designer de soft technologie, a imaginé dB, une boule de 20 cm de diamètre qui neutralise les nuisances de nos habitations en se déplaçant toute seule vers les sons agressifs. C’est le robot BB-8 du récent Star Wars, mais reconfiguré pour un usage préventif. Le pied ! Ou plutôt, les oreilles ! De son côté, le Lausannois Luciano Dell’Orefice a créé les Pincettes pour l’éditeur italien True Design ; des modules destinés à valoriser les rituels de pause. Ces sortes de grandes oreilles sur pied permettent de s’abstraire du bruit au lieu d’en subir les décibels. Pour Luceplan, Monica Armani a dessiné la lampe Silenzio qui n’a guère besoin d’explications. Tous ces modérateurs phoniques ont peu ou prou la même fonction que les variateurs de lumière. Mais là où ces derniers permettent de tamiser une ambiance, les précédents viennent estomper des mots plus hauts que d’autres, des bruits indésirables situés en dehors de la zone tampon. Demain, ils seront un enjeu majeur de notre bien-être domestique et professionnel. Comme le soulignait l’écrivain William Hazlitt, « le silence est l’une des formes les plus perfectionnées de l’art de la conversation ». Et à une époque où nous semblons englués dans le chaos organisé de vies urbaines encombrées à tous points de vue, le « silent working » a de beaux jours devant lui. Boulot, boulot, boulot Ils se nichent entre le marteau et l’enclume et ont comme slogan « Un luxe pour les oreilles ». Signés de la marque Ohropax, ces bouchons en mousse sont le rempart au bruit résiduel circulant dans les « open space ». Qui plus est, aujourd’hui,
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ESPACES CONTEMPORAINS
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ces bouchons ont le bon goût de se décliner en plusieurs couleurs, signe d’une « funitude » consommée, et semblent correspondre à une aspiration de plus en plus recherchée dans l’univers du travail : le silence. D’autant plus avec l’avènement des espaces ouverts, des bureaux multi-partagés, des communications instantanées qui ont pour corollaires – outre la perte d’intimité et le manque d’espace personnel – la gêne causée par les bruits intempestifs. Ça doit être pour cela que depuis quelques années maintenant les designers ont pris le problème à bras le corps. Ou à bras l’oreille dans ce cas précis.
La lampe Silenzio de Monica Armani pour Luceplan adoucit les Pour Ruckstuhl, Atelier Oï conversations lors d’un repas. a dessiné des cartables volants baptisés Silento qui viennent Pour Vitra, les couper les nuisances sonores d’une pièce. frères Bouroullec ont dessiné les Workbays, des parois isolantes recréant le mythique cubicule américain.
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Dès 2006, les frères Bouroullec ont remis au goût du jour pour Vitra le cubicule cher aux entreprises américaines. Le projet s’intitule Alcôve. Il s’agit d’un fauteuil surmonté d’une paroi venant briser les indiscrétions phoniques et visuelles, qu’on retrouve aujourd’hui jusque dans la moindre succursale Raiffeisen. « Un système de “ murs ” conçu comme un moyen de créer le confort d’une chambre à murs capitonnés dans une pièce pourtant ouverte sur l’extérieur… » Cette création a entraîné une déferlante, dans le milieu du design, de fauteuils aux grandes oreilles, de canapés aux dossiers grimpants, de panneaux phono-absorbants. Dans leur cas précis, les Bouroullec parlent de « segmenter un lieu sans l’enfermer ». Et les projets à vocation simili monastique de faire florès dans leur sillage. Ainsi des Workbays, toujours pour Vitra, signés des mêmes frères bretons ou Kivo, du designer Alexander Lorenz pour Herman Miller, qui « transforme l’espace de travail en un quadrillage flexible, adaptable et évolutif ». Citons aussi les alvéoles en pure laine de Hey-Sign ; Silento, un séparateur d’espace au look de cartable d’écolier, imaginé par Atelier Oï pour Ruckstuhl afin de redéfinir des frontières dans l’espace commun ; ou encore les récents panneaux Privacy Panel d’USM. Également nés dans l’atelier de La Neuveville, il s’agit ici d’« éléments modulables de séparation, d’organisation, de protection visuelle et d’insonorisation » dont la fonction première est de recréer des pièces sacrifiées en leur temps. On peut y voir la preuve d’un monde qui marche sur la tête, mais c’est la réalité d’une société en perpétuel mouvement, en constante mutation. Où l’humain ne peut que brandir des para-sons pour faire face à la « bruitisation » globale. Pour garder les yeux ouverts, protégeons donc nos oreilles !
REPORTAGE
Esprit pagode De béton & de verre
Photos Francesca Giovanelli conception Kay von Losoncz texte français Florence Merlin
À Genève, une maison de location pas comme les autres conçue par le bureau d’architecture Lacroix Chessex.
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ESPACES CONTEMPORAINS
Dans cette propriété, la « cabane du fond du jardin » est une construction contemporaine de béton, bois et verre.
REPORTAGE
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ESPACES CONTEMPORAINS
REPORTAGE
la voie publique – une petite route de campagne bien tranquille – on ne voit qu’une de ces imposantes demeures aux façades en meulière et aux pignons pointus chères aux esprits romanesques. Mais en poursuivant son chemin, on découvre que le parc de la propriété recèle aussi une maison des années trente, qu’habite le propriétaire, ainsi qu’une discrète habitation en béton, verre et bois on ne peut plus contemporaine. Implantée à l’angle du parc et entourée d’arbres, cette construction au toit plat curieusement retroussé n’obstrue nullement la vue des autres habitants de la propriété tout en offrant à ses occupants un large panorama sur la nature environnante – des arbres magnifiques, des champs à perte de vue et le Salève.
Depuis
Un environnement privilégié Il s’agit de la maison de location que le maître des lieux a récemment fait ériger par le bureau d’architectes genevois Lacroix Chessex sur son ultime parcelle constructible. Bien que l’objet fût destiné à la location, il ne voulait surtout pas d’un style passe-partout. Antiquaire et collectionneur d’art asiatique, il s’était contenté d’indiquer aux architectes qu’il imaginait « quelque chose du genre pagode traditionnelle ». Les règles d’urbanisme applicables étaient contraignantes. Par ailleurs, il n’était pas question de toucher aux pins sylvestres, chênes et autres arbres à haute tige occupant le terrain, en particulier au châtaignier que le propriétaire avait planté là à la naissance de son fils. S’inspirant de Le Corbusier, mais aussi de Mies van der Rohe
La maison offre une vue imprenable sur les champs et sur la paroi Le toit se compose de rocheuse emblématique du Salève. deux pans se redressant en pente douce vers l’extérieur depuis une noue centrale qui se prolonge au nord par une gouttière.
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REPORTAGE
La maison est enfouie au fond du parc richement arboré d’une grande propriété implantée en bordure La pièce à vivre se prolonge côté ouest par une terrasse. Les deux pins d’une zone agricole. sylvestres ombrageant le jardin ont plus de 30 mètres de haut. Sur la table basse, chandelier Kubus de Lassen. Au fond, table de salle à manger Lehni (1977), chaises Tecno (1962), chandeliers corail Driade, coupes en porcelaine Rina Menardi.
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REPORTAGE
« Sobriété et discrétion caractérisent cette cabane d’un nouveau genre » et de sa fameuse Farnsworth House de 1951, les architectes élaborèrent un projet discrètement sculptural qui emporta l’adhésion du maître d’ouvrage. Cette structure habitable se compose d’un empilement de trois « tables » en béton armé disposées en porte-à-faux sur les façades est et ouest, les plus étroites. « La table, explique l’architecte Simon Chessex, a une haute valeur symbolique. Elle confère notamment un sentiment de sécurité, celui que recherchent justement les enfants en allant jouer sous la table du bureau ou de la salle à manger. » Ces socles en saillie d’épaisseur variable protègent les étages inférieurs tout en élargissant l’espace visuel des pièces qu’ils prolongent. Les murs en béton armé soutenant ces tables sont eux aussi de dimensions variables. Leurs emplacements respectifs sont dictés par les volumes intérieurs. Vus depuis l’extérieur, ces éléments de béton horizontaux et verticaux occupent une surface équivalente ; ils se conjuguent pour dessiner des motifs en forme de T stylisé sur les façades composées par ailleurs de bois et de verre. Côté rue, un garage du même style protège la maison des regards indiscrets.
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Une architecture stylisée La solution imaginée par les architectes pour donner à la maison la touche asiatique souhaitée a consisté à la couvrir d’un toit plat brisé en son centre. Les deux pans inversés prenant naissance au niveau de la noue s’élèvent en pente très douce vers l’extérieur – particularité qui rappelle les bords retroussés des toitures asiatiques traditionnelles. Détail supplémentaire évoquant les jardins japonais, la noue est prolongée côté nord par une gouttière façon gargouille déversant les eaux de pluie dans un bassin semi-enterré dans la pelouse. La création de ce toit à deux pans, donc de combles, a permis par ailleurs de gagner légalement 50% de surface habitable à l’étage – avantage non négligeable dont les architectes ont tiré profit. Le plateau intermédiaire sépare les espaces nocturnes aménagés à l’étage de l’espace diurne décloisonné du rez-de-chaussée. Émergeant du sol d’une cinquantaine de centimètres, le plateau inférieur forme quant à lui un socle surélevé laissant passer la lumière naturelle au sous-sol. Il transforme aussi le rez-de-chaussée en un promontoire offrant une appréciable vue plongeante sur la nature environnante. Équipée de triples vitrages et isolée par l’intérieur, la construction bénéficie du label Minergie. Les diverses astuces architecturales mises en œuvre ont permis de dégager une surface utile globale de 150 m2. À l’usage, du fait qu’elle est largement ouverte sur l’extérieur, l’habitation apparaît en fait beaucoup plus spacieuse.
REPORTAGE
Le bloc cuisine a été conçu par les architectes. Plans de travail en acier chromé. Les panneaux et les volets coulissants sont en L’intérieur de la maison est d’une grande sobriété. mélèze. Sièges Kiki d’Artek, petits coussins Svenskt Tenn, plaid E15, masque signé Yarisal & Kublitz, tableau de Joe Bradley. Vase en La terrasse prolongeant le salon porcelaine Rina Menardi. à l’ouest, et le coin repas du jardin. Le garage que l’on aperçoit au fond protège des regards indiscrets.
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Une vie sans entraves Le rez-de-chaussée prolongé par deux terrasses surplombe légèrement le jardin. Disposant de baies vitrées de tous côtés, il est très lumineux. Il se compose d‘une pièce à vivre décloisonnée s’articulant autour d’un noyau en béton de section rectangulaire intégrant les escaliers. Sur les faces lambrissées de mélèze de cet élément structurel excentré se répartissent des rangements, des toilettes, une cheminée de salon et les éléments de la cuisine. On circule donc sans entraves de l’entrée au salon, au coin repas et à la cuisine, ou inversement. L’aménagement des lieux est du reste tout à fait flexible. À l’étage sont réparties la suite parentale ainsi que les deux chambres d’enfants et leur salle de bains. Chacune des deux salles de bains bénéficie d’un éclairage
« Un objet sculptural enfoui dans la végétation »
Orientée sud-ouest, la chambre des parents offre une vue imprenable sur la campagne et sur le Salève. On remarque à Les architectes Simon peine la légère pente du plafond. Chessex (à gauche) et Hiéronyme Lacroix, assis sur la terrasse située juste à la bonne hauteur pour servir de banc. Les marches constituent une structure indépendante.
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zénithal, de même que le palier déjà largement éclairé par une paroi vitrée. Outre les locaux techniques, le sous-sol abrite aussi un studio éclairé par une grande fenêtre orientée est face à une large excavation du sol. À l’intérieur, hormis les cages d’escalier tout béton, murs et plafonds sont uniformément blancs. Lambris, encadrements des baies vitrées et volets sont en mélèze dont la teinte naturelle contraste avec le brun du parquet de chêne recouvrant l’ensemble des sols. L’ameublement choisi par les locataires – un jeune couple de galeristes enchantés par leur nouvelle maison – est tout aussi sobre : sièges et tables au piètement fin, pas de tapis, peu d’ornements, palette de couleurs étroite – bleu roi, noir et blanc, ivoire et gris clair dans les chambres. Depuis sa fenêtre, le maître d’ouvrage entrevoit cette cabane d’un nouveau genre enfouie dans la végétation au fond du parc de sa propriété. Discrète, originale, agréable à vivre et intensément liée à la nature environnante, elle est telle qu’il l’avait imaginée. Il voit en elle une nouvelle source de vie.
Tendances
24 heures dans la vie d’un coucou. C’est dans le quartier de Ventura Lambrate, fief des écoles de design et des marques alternatives, que l’exposition de la HEAD - Genève s’était posée, dans une toute nouvelle scénographie, après avoir fait le tour du monde ou presque. « 24 Hours in the Life of a Swiss Cuckoo Clock » est l’apogée d’un projet qui a réuni des étudiants venant de diverses formations bachelor et master de la HEAD. Aux côtés de ces jeunes créateurs figurent aussi des professeurs et des designers tels que James Auger, Marco Borracino, Claudio Colucci, Matali Crasset, Nitzan Cohen et Camille Scherrer. Pilotés par Claudio Colucci, les étudiant ont été invités à réinventer l’icône de l’horlogerie helvétique sur un mode contemporain. Cela en suivant deux principes fondamentaux : respecter les exigences élevées de production du coucou traditionnel et raconter une histoire en égrenant les heures avec un chant régulier. Résultat : des idées radicales, novatrices, non dénuées d’humour, et des projets d’avant-garde qui rivalisent d’ingéniosité. EMD head-geneve.ch
Vue de l’exposition à la Ventura Lambrate
Juillet - Août 75
S’il démontre une certaine parenté esthétique avec des modèles du Bauhaus, le fauteuil Moser se distingue par sa qualité pratique, en effet sa conception originale permet une assise réglable. L’architecte suisse Werner Max Moser a dessiné, dans les années 30, une gamme complète de tables et fauteuils modernistes pour Embru, devenus aujourd’hui des classiques du design.
Photographie : © Embru, photo Roland Bernath, Fotografie Architektur Zürich
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Zoom sur le design suisse Les Design Days rendent hommage aux acteurs actuels et historiques du design helvétique. Portrait des dix éditeurs participant au premier Swiss Corner de la manifestation. Corine Stübi
design suisse occupe aujourd’hui une place de choix sur le plan international. Nos designers, à l’instar d’Alfredo Häberli, Atelier Oï, Jorg Boner ou Big-Game, multiplient les collaborations et sont demandés par des éditeurs du monde entier. Les fabricants helvétiques jouissent d’une aura de qualité inégalée et les créations des diplômés des écoles telles que l’Écal ou la Head sont activement relayées dans les design week internationales et par la presse spécialisée.
Une longue tradition À l’origine artisanal, le mobilier suisse est entré dans la production en série dès les années 1920. Son inventivité se traduit alors dans des systèmes modulaires aux lignes épurées. Dans les années 1940, Willy Guhl dessine l’une des premières armoires en kit. Hans Bellman entreprend simultanément des recherches similaires à celles du couple Eames sur la production de masse. Et, au travers du concours « Die gute Form », Max Bill caresse l’utopie d’uniformiser la production suisse selon une certaine éthique mathématique, pragmatique et utilitaire. Loin de l’aspect décoratif des créations italiennes ou françaises voire même scandinaves, le design suisse épure et expérimente, notamment avec des matériaux tels que le béton fibré (Eternit) et l’aluminium (Lehni, etc.). La sobriété intelligente devient rapidement sa marque de fabrique et contribue à son essor. L’innovation des designers est portée par le savoir-faire d’un réseau de fabricants et d’éditeurs. Dans les années 1970 l’ascèse et l’ingéniosité de la bonne forme se poursuit, notamment grâce à USM. Elle provoque par ailleurs des réactions contradictoires avec le design pop et ludique de Trix et Robert Haussmann.
La création contemporaine Aujourd’hui le design Swiss made conserve cette image de qualité et de sobriété de bon goût, mais aussi le dynamisme créatif, parfois irrévérencieux, qui le caractérise depuis le début du XXe siècle. Toujours à la pointe des développements techniques, il se distingue désormais sur le terrain des nouvelles technologies avec des solutions novatrices pour le bureau et la maison (Lista, Mox, Ruckstuhl, etc.) et dans le secteur de la domotique. Les grandes marques suisses, Vitra, Embru, Horgenglarus, Eternit, De Sede, Thut, Wohnbedarf, Woog ou Ruckstuhl entre autres,
Photographie : © wb form
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Le tabouret Ulm a été conçu en 1954 par Max Bill, en collaboration avec Hans Gugelot, pour les étudiants de la fameuse école d’art d’Ulm dont il était alors recteur. Le Ulmer Hocker sert à la fois de table, de tabouret ou encore de rangement. Il est réédité depuis 2011 par wb form.
occupent toujours le terrain avec souvent des positions de leader dans leur domaine. Bien que, suite aux crises qui ont secoué le marché, les éditeurs historiques tendent à se rassurer avec un catalogue de patrimoine moderne, ils ne renoncent pas pour autant à innover. Si la promotion du jeune design passe d’abord par les écoles renommées et d’importants concours nationaux – dont le Design Preis Schweiz et le Swiss Design Award – les marques ne leur ont cependant pas abandonné le terrain. Elles soutiennent événements et initiatives et intègrent la nouvelle génération à des projets ponctuels. On pense par exemple aux collaborations avec l’Écal (USM, Punkt, etc.) ou au projet zurichois Take a Seat, soutenu par Horgenglarus, où de jeunes designers ont été invités à revisiter les classiques du fabriquant. Désormais, des maisons d’édition plus récentes revendiquent la « swissness », à l’image de Inch Furniture, Mox, Arber, Seledue, Tossa ou Xilobis.
Et demain ? Le design évolue entre production locale ou artisanale et délocalisation. Le design suisse s’est ainsi adapté aux impératifs d’une économie mondialisée et répond aux paradigmes sociaux actuels avec des démarches multiples. Il n’en a pas pour autant perdu son identité : d’un côté l’ingénieuse sobriété et de l’autre la touche humoristique et ludique. Peut-être est-ce là le secret d’un succès durable. Le prochain défi à court terme sera sans doute d’évoluer avec les nouveaux modes de consommation, notamment les mutations induites par le E-commerce, mais certains, à l’image de Vitra, qui était en lice pour le rachat de hem au début de l’année, s’y préparent déjà. septembre-octobre
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design
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Mox Le jeune label zurichois, fondé en 1995 par Andreas Weber et Jürg Ehrensperger, propose des solutions simples et intelligentes au style épuré et parfaitement fonctionnel. En 2010, Mox lance l’étagère Pool qui s’est rapidement imposée comme un classique et le best-seller de la marque. Le système ingénieux s’appuie simplement contre le mur sans fixation ; plus les étagères sont remplies plus elles sont stables. Le principe de base a depuis été décliné en plusieurs modèles, chacun personnalisable avec un choix important de finitions. Mox est considéré comme un pionnier dans ce domaine. www.mox.ch
Étagère Pool, André Zingg, Mox, 1996.
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ESPACES CONTEMPORAINS
design
Thut Möbel Adepte du kilomètre 0, Thut valorise sa région et la production locale. L’ébénisterie fondée en 1929 par Walter Thut a radicalement changé quand Kurt Thut en a repris la direction dans les années 1950. Depuis, la marque s’est illustrée dans la fabrication de meubles sobres à l’esthétique moderne et se trouve à la pointe de l’innovation technique et formelle. Les systèmes sont modulables et intègrent des matériaux originaux, tels que le polyester plissé ou le film plastique. Le lit « Scheren Bett » par exemple peut se plier à la taille désirée. Le designer Benjamin Thut gère aujourd’hui l’entreprise familiale et poursuit le travail de son père.
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www.thut.ch
Enfilade Faltvorhang 883, Kurt Thut, Thut Möbel, 1993/2012.
Table ess.tee.tisch t-6500, Jürg Bally, 1951, Daniel Hunziker, 2014, horgenglarus
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Horgenglarus La plus ancienne fabrique de chaises et de tables du pays combine tradition, artisanat spécialisé et techniques de pointe. Parfaitement intemporels, certains modèles sont aujourd’hui cultes, à l’image de la chaise Classic dessinée en 1918, devenue depuis l’archétype de la chaise de bistro en Suisse. Fondée en 1880 à Horgen et active à Glaris depuis 1903, Horgenglarus a exercé une influence majeure dans l’essor du design en Suisse. Ses collaborations avec des designers et des architectes tels que Max Bill, Hans Bellmann ou Werner Max Moser entre autres, ont contribué à modeler la modernité helvétique et son savoir-faire. Horgenglarus privilégie aujourd’hui encore cette tradition de créativité face aux tendances de production de masse et de délocalisation des unités de production. www.horgenglarus.ch
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design
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Seledue Depuis 1993, Seledue est un facteur d’innovation dans le paysage suisse du design. La marque produit du mobilier contemporain haut de gamme signé par des designers suisses tels que Stefan Zwicky, Kurt Thut ou son fils Benjamin. Les pièces de sa collection présentent les caractéristiques capables d’en faire de véritables classiques. En effet, la conception est fonctionnelle, simple et intemporelle. Les matériaux sont sélectionnés avec soin et le design est bien pensé. Le fabricant, amateur de modernité, réédite également la chaise en aluminium dessinée en 1953 par Hans Coray. www.seledue.ch
Chaise Alu de Hans Coray, 1953, et table Alu3 de Kurt Thut, 1997, Seledue.
Lista Office Premier fournisseur d’équipement de bureau en Suisse, Lista Office propose des solutions sur mesure. La marque réfléchit à l’espace de travail de demain, adaptable selon les différents besoins des employés. Ce sont ainsi des tables à multiples hauteurs, des cabines de réunions cocooning et des rangements extensibles selon les prévisions d’extension de l’entreprise. Par ailleurs, le spécialiste offre, avec son programme Flow Work, un service complet de la planification à l’agencement en passant par l’éclairage et l’acoustique, pour accroître les performances grâce à un environnement de travail agréable et fonctionnel.
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Aménagement de bureaux par Lista Office
www.lista-office.com
Table Continuo, Designstudio blohmgumm, chaise Tim, Fabian Schwärzler.
Tossa
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ESPACES CONTEMPORAINS
Tossa est une marque suisse spécialisée dans la confection artisanale de mobilier en bois massif pour la maison et la cuisine. Fondé en 1994 par Sonia Loosli et Beat Hübscher, puis confié vingt ans plus tard à Ralf Geckeler, Tossa traduit un attachement particulier à la région dont il porte le nom. L’entreprise met en avant une production locale où la matière première est d’origine suisse ou européenne. La qualité de Tossa réside dans le soin apporté au travail du bois, un matériau vivant et naturel. www.tossa.ch
design
Chaise Kreuzzargen de Max Bill, 1952 et table 1010 de Ulrich P. Wieser, 1958, wb form
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Wb Form La maison zurichoise Wohnbedarf a édité du mobilier dès l’ouverture de son premier magasin en 1931. Elle a largement contribué au développement du design moderne en Suisse, notamment avec des productions signées des plus grands architectes et designers de l’époque : Alvar Aalto, Max Bill, Marcel Breuer et Le Corbusier. Désormais, l’enseigne et le fabricant sont deux entités indépendantes, bien que dirigées par la même famille, mais les valeurs de durabilité, qualité et design sont restées communes. Wb Form produit et distribue des créations contemporaines ainsi que des rééditions d’icônes du XXe siècle comme le tabouret Ulm et la chaise Kreuzzargen de Max Bill, ou encore la lampe nuage de Susi & Ueli Berger. La collection est produite en Suisse, en Allemagne et en Italie. wbform.com
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Arber L’agence Arber, fondée en 2002, se développe autour des activités parallèles de fabricant et de distributeur. Le spécialiste du luminaire s’entoure de designers suisses, jeunes ou reconnus, tels que Andreas Bechtiger ou l’architecte et professeur Arthur Rüegg, pour sa propre collection contemporaine. Arber réédite également des lampes de Hans Eichenberger et Alfred Hablützel. Mais l’activité principale de l’éditeur s’adresse aux professionnels, ingénieurs et architectes pour l’éclairage sur mesure de restaurants, hôtels, institutions et autres. www.arber.li
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Lampe HE, Hans Eichenberger, 1954, Arber.
Bibliothèque en aluminium, Andreas Christen, Lehni, 1964/1990.
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Lehni Lehni fabrique du mobilier en métal pour la maison et le bureau depuis plus de cinquante ans. L’éditeur conserve ses classiques, comme la fameuse étagère en aluminium d’Andreas Christen, tout en continuant d’enrichir son catalogue de nouveautés. La collection est synonyme de précision et de qualité de fabrication made in Switzerland. L’entreprise réédite également la série de 15 meubles en 15 couleurs qu’elle inspira à l’artiste minimaliste américain Donald Judd dans les années 1980. Lehni, dont le succès s’est concrétisé avec des systèmes d’étagères révolutionnaires, offre aujourd’hui de quoi aménager toute la maison. www.lehni.ch
Fondée en 1904 à Rüti (Zurich) sous le nom de « Eisen- und Metall-Bettenfabrik Rueti » (fabrique de lits en acier et en métal), Embru est aujourd’hui encore synonyme de tradition et de qualité suisse. La marque est notamment un prestataire leader de mobilier scolaire et hospitalier. Dans les années 1930, elle commence une longue collaboration avec des architectes d’avant-garde tels que Werner Max Moser, Alfred Roth et Marcel Breuer. C’est ainsi que sont nés les grands classiques qui appartiennent aujourd’hui aux incontournables de l’histoire du design suisse. www.embru.ch
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ESPACES CONTEMPORAINS
Chaise lounge Altorfer avec repose-pied, Embru, 2013.
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Photographie : © Embru, photo Simone Vogel, Zürich
Embru
Vue de l’exposition des Espaces du Design 2016.
retrospective
DESIGN DAYS Retour sur Photos : William Gammuto et Ricardo Rodrigues Cunha
l’édition 2016
Avec cette huitième édition qui s’est déroulée fin septembre à Renens, la manifestation a franchi un nouveau cap. accueillant pour la première fois de nombreuses entreprises alémaniques, la manifestation romande de design et de création contemporaine – organisée par Espaces contemporains et l’association Design Days – a marqué une nette progression au niveau national. Une avancée qui témoigne du rayonnement de cet événement unique en son genre en Romandie qui s’affirme au fil des ans comme une plateforme reconnue à l’échelle de notre pays. Autre point positif à relever, la richesse de son offre, et ce malgré un marché difficile. Avec quelque 70 labels, showrooms, éditeurs, jeunes designers et stylistes, les Design Days ont présenté un assortiment plus vaste que jamais à travers un échantillonnage représentatif du marché du design. En réunissant l’ensemble des acteurs de la branche afin de donner la vision la plus complète possible au visiteur, l’événement a donc atteint l’un de ses principaux objectifs.
En
Outre la découverte des espaces dédiés au design, le public a pu également apprécier les projets sélectionnés pour la première édition du prix Piguet Galland ainsi qu’une belle exposition d’estampes contemporaines d’artistes suisses. Sans oublier, bien sûr, la possibilité de suivre le parcours du développement d’objets industriels et de se projeter dans la réalité virtuelle d’objets connectés. L’occasion lui était également offerte d’acheter des créations originales directement à leurs auteurs et de soutenir ainsi activement les jeunes designers et stylistes. L’une des nouveautés de cette édition a été la présence de la mode. Un secteur qui a ajouté une note glamour à l’événement grâce à la participation du Swiss Fashion Point et de 27 labels de mode, bijoux et accessoires. Et comme à l’accoutumée le programme a fait la part belle aux conférences, workshops et tables rondes gratuites. À retenir comme la cerise sur le gâteau de cette huitième édition, l’annonce faite en avant-première d’un nouveau prix dédié au design : le USM Design Grant. Il récompensera en alternance un étudiant de la HEAD et un étudiant de l’ECAL qui se verront remettre la coquette somme de 25’000 francs. Le prix sera décerné lors des prochaines éditions des Design Days, alternativement à Genève et à Renens. Quatre jours pour fêter le design et pour promouvoir la pluralité de ses champs d’expression, telle est – et restera – l’ambition des Design Days. Rendez-vous à Genève en 2017 ! DécEMBRE 2016 - FévRIER 2017 111
retrospective
112 ESPACES CONTEMPORAINS
architecture
Imprime-moi une maison Qui commencera l’impression en 3D de maisons entières ? La course est bel et bien lancée. Trois cas récents démontrent les possibilités d’une technologie nouvelle qui bouleverse les possibilités de l’architecture. Philip Jodidio Photographie : ©Sophia van den Hoek
implications multiples et variées de l’utilisation des imprimantes 3D en architecture n’en sont qu’à leurs débuts. L’idée d’avoir une palette de formes illimitée, comme on a pu le voir il n’y a pas longtemps lors de l’exposition « Imprimer le monde » au Centre Pompidou à Paris, bouleverse tout simplement la créativité mais aussi ce qu’on peut appeler l’écologie de l’architecture. Les Suisses Michael Hansmeyer et Benjamin Dillenburger avec leur œuvre Grotto II semblent s’inspirer de l’univers de H.R. Giger, alors qu’une équipe de l’Université de Tokyo menée par Kengo Kuma invente un stylo imprimant en 3D qui se sert d’une « bio-matière » issue de restes de nourriture pour créer des structures d’une légèreté presque absolue. Le fabricant chinois Winsun espère faire bientôt des maisons, voire des immeubles de cinq étages, en recourant au procédé d’impression en trois dimensions dirigé par ordinateur, qui consiste à fabriquer des éléments en volume par ajout ou agglomération de matière. Le contour crafting (CC) et les systèmes automatisés permettent en effet une gestion additive, formative ou soustractive de la matière et offrent en réalité dès à présent une nouvelle dimension à l’architecture. Le fabriquant slovène BetAbram propose déjà l’impression d’une maison de deux étages d’une dimension de 12 mètres sur 8. L’équipe WASP de Rieti en Italie donne la possibilité de faire imprimer des logements d’urgence en n’utilisant rien que de la terre et de la boue. L’avantage étonnant de l’impression 3D c’est effectivement de pouvoir, selon les machines, utiliser tout type de matériau, depuis la boue jusqu’aux tissus vivants, pour imprimer des objets, des immeubles ou, pourquoi pas, des cœurs artificiels. Les architectes présentés ici, DUS, SOM et SHoP, sont certainement à l’avant-garde d’un changement profond en architecture, mais il y a d’ores et déjà derrière eux tout un univers de créativité en formation.
Les
Totalement recyclable L’une des toutes premières maisons imprimées au monde est l’œuvre des architectes néerlandais DUS. Leur 3D Printed Cabin n’offre que 8 m2 d’espace mais peut accueillir un lit pour deux – et même une baignoire en annexe – et possède une terrasse et une façade ornementée. Imprimée avec une matière noire d’origine
biologique, la structure, visible pour le public dans une ancienne zone industrielle d’Amsterdam, est entièrement recyclable. Il suffit de déchiqueter la structure afin de rendre à nouveau utilisable la matière première, qui peut servir alors à imprimer une maison entièrement différente.
ESPACES CONTEMPORAINS
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Photographie : ©Sophia van den Hoek
architecture
Photographie : ©SOM, Oak Ridge National Laboratory
Photographie : ©SOM, Oak Ridge National Laboratory
architecture
58 ESPACES CONTEMPORAINS
Mobile et énergétique L’une des plus grandes agences d’architecture aux USA, Skidmore Owings & Merrill (SOM) vient de créer, en collaboration avec le Laboratoire national de Oak Ridge (ORNL), un véhicule entièrement imprimé en 3D sous le nom sympathique d’AMIE (additive manufacturing integrated energy). Conçue pour produire plus d’électricité qu’elle n’en consomme, cette maison mobile offre 19,5 m2 d’espace. Isolée avec des panneaux haute-performance, la structure consiste en une série de formes en C imprimées en matière plastique ABS renforcée de fibre de verre. Les formes sont reliées entre elles sur une longueur de 11,6 m et une largeur de 3,9 m. Des panneaux photovoltaïques flexibles posés sur le toit, un générateur fonctionnant au gaz naturel et une minicuisine spécialement conçue par GE font partie du projet.
Photographie : ©Spirit of Space
Photographie : ©Robin Hill
architecture
D’origine biologique SHoP Architects est une autre grande agence new-yorkaise qui participe à la recherche et à la mise en œuvre des structures imprimées. Ses deux pavillons, Flotsam & Jetsam (littéralement les déchets flottants), ont servi de porte d’entrée lors de la dernière édition de Design Miami en 2016. Tout comme SOM, ils ont fait usage de polymères et de composites d’origine biologique développés par Oak Ridge grâce à des logiciels de Dassault Systèmes pour réaliser une impression en 3D en lien direct avec la conception sur ordinateur. Philip Jodidio publiera à l’automne un livre sur les petites maisons innovantes chez Rizzoli International (NY).
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ENDA NCES 2018 Dossier réalisé par Clara Jannet, Évelyne Malod-Dognin, Magali Prugnard avec la collaboration de Françoise Faure
d’ère. Nous sommes à l’heure de l’open source déco. Les tendances se font et se défont sur les réseaux. Au rythme des expérimentations et représentations – aussi diverses qu’éphémères – qui les traversent. L’espace de la maison est désormais le théâtre de la vie intime. La déco, sa mise en scène. Qui s’édite et se post. Dans ce flux d’inspirations et d’images, tout se croise et s’entremêle. Se combine sans complexe. Se détourne, avec plus ou moins d’humour, de maladresse ou de sérieux. Certes, les frontières entre les époques et les styles sont devenues perméables depuis plusieurs années. Mais le mélange des genres est aujourd’hui la principale caractéristique. Ce qui reflète l’esprit de la déco, ce qui frappe même, ce sont les oxymores – autrement dit les postures contradictoires –, les paradoxes. Comme la tendance « wabi sabi » qui se traduit par la perfection de l’imparfait ou l’art de l’imperfection ; la tendance « boho » qui exalte le style bohème, le chic en plus ; le « neo-vintage » qui réinterprète l’ancien pour en faire du « nouveau vieux ». Le désir d’authenticité et de nature qui se doit d’être « instagrammable ». Le « revival » 1970 ou 80 qui fait la une, même si par ailleurs on n’en finit pas de revisiter le modernisme des années 1940 ou 50. Une multiplicité d’influences. La déco « génération C » en somme. Celle de la « communicationcollaboration-connexion-créativité ». Dans ce flux – et ce flot de contradictions – se dégagent tout de même quelques courants dominants : L’attitude « retour aux sources » fondée sur l’envie d’un mode
Changement
de vie plus sain et moins consumériste. Dérivée, entre autres, du mouvement hipster, elle réintègre des manières de faire plus vertueuses. Les matériaux sont respectueux de la nature, la matière porte l’empreinte imparfaite de la main de l’homme, les formes traduisent une forme de pureté brute. La ou plutôt les tendance(s) revival, car elles émanent de différentes « tribus » ou communautés d’esprit ; elles entrelacent de diverses manières les codes des styles et langages du XXe siècle. D’un côté, les puristes, qui épousent les causes et le langage moderniste de l’après-guerre. De l’autre, les pop addict ; ils ont troqué le « psychédélique » pour un style plus funky et disco et – pour les plus radicaux – focalisés sur les eighties, ce qui s’est passé avant relevant quasiment de la préhistoire. Le style « bobo boho » qui a fait son chemin dans l’univers de la mode avant de gagner celui de la déco et de se répandre sur les blogs. Il puise dans les cultures traditionnelles et les valeurs, parfois fantasmées, qu’elles semblent véhiculer ; il mixe symboles archaïques, accessoires hippies, mobilier vintage et de récup’. Avec une touche ethnique et des plantes à profusion. D’une apparente liberté, il ne laisse rien au hasard. Matières et matériaux sont filtrés selon leur qualité, meubles et objets selon leur signature ou leur vécu. Une déco éclectique, plébiscitée par les instagrammeurs, qui n’en finit pas de se décomposer et recomposer en sous-styles. Pages suivantes, découvrez notre déclinaison des tendances repérées au fil de nos pérégrinations à Paris Deco Off et Maison & Objet à Paris, Heimtextil à Francfort, au salon du meuble Imm à Cologne et à la Design Week de Stockholm.
Table basse, Pastille, design Thierry Lemaire, Fendi Casa. fendi.com Assiette, Kintsugi, design Tissu faux-uni de soie Vanity de Rubelli Venezia, rubelli.com Marcanotnio, Seletti. seletti.it
Tendances
100 ESPACES CONTEMPORAINS
Tendances
Néo-graphismes Une alliance de formes géométriques simples, de lignes nettes, d’aplats et de blocs de couleur qui compose un style graphique inspiré des années 80. Une réinterprétation tout en finesse et légèreté mâtinée de teintes douces et de touches d’humour.
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1. Pantone 14-1316 TCX 2. Pantone 18-1629 TCX 3. Pantone 19-4010 TCX 4. Pantone 19-3952 TCX 5. Tapis Valencia, Rug’Society. rugsociety.eu 6. Lampadaire Wink, collaboration avec Masquespacio, Houtique. houtique.es 7. Vase en céramique, collection Animalita, design Jaime Hayon, Bosa. bosatrade.com 8. À la fois tabouret et guéridon Spatial, De Intuïtiefabriek, deintuitiefabriek.nl 9. Canapé Nakki, design Mika Tolvanen, Woud. woud.dk 10. Tissu Loopy Link, Kirkby design, kirkbydesign.com 11. Papier peint Jetlag, design Lisa Laubreaux, Petite Friture. petitefriture.com 12. Miroir-valet, Geoffrey, design Alain Gilles, Ligne Roset. ligne-roset.ch 13. Fauteuil Lounge Chair, design Emil Thorup, Handvärk. handvark.com 14. Lampe de table Dali Divina, design Thomas Dariel, Maison Dada. maisondada.com 15. Table de nuit Vic, design Roberto Lazzeroni, Lema. lemamobili.com 16. Tête de lit Diamant, Treca Paris. treca-interiors-paris.com
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DESTINATION
es hôtels sur mesure Le voyage est un retour à l’essentiel. Nul besoin d’aller à mille lieues de chez soi, il suffit souvent d’un week-end pour partir à la découverte d’autres paysages, s’offrir une bouffée de détente ou de dépaysement. À condition de bien choisir son point de chute. Pages suivantes, une sélection d’hôtels qui nous ont séduits par leur design et leur architecture. En famille ou seul, avec des collègues ou en amoureux, à vous de déterminer le lieu qui correspond le mieux à votre profil, vos goûts, votre budget, vos besoins et… vos envies du moment. Clara Jannet et Magali Prugnard
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ESPACES CONTEMPORAINS
DESTINATION Casas Na Areia, Comporta, Portugal.
Pour le fêtard trendy L’hôtel Barceló se situe dans un lieu emblématique de la capitale espagnole, la Torre de Madrid qui fut jusqu’en 1982 le plus haut building du pays. On retrouve à l’intérieur l’univers fantaisiste et facétieux du designer espagnol Jaime Hayon qui a réalisé cet aménagement en puisant dans les collections de meubles qu’il a dessinés pour les marques Seletti, Cassina, BD Barcelona, And Tradition ou Fritz Hansen. Une colonne de bar dorée de 6 mètres de haut, des « tables-singes », des fauteuils de toutes les couleurs côtoient les photos d’art du studio Klunderbie représentant des hommes et des femmes en costumes traditionnels. L’hôtel propose des guides madrilènes pointus pour faire du shopping, aller écouter de la musique classique ou se rendre dans les meilleures fêtes de la capitale. Barceló Torre de Madrid, Espagne Projet architectural : Jaime Hayon Adresse : Barceló Torre de Madrid, Plaza de España 18, 28 008 Madrid, barcelo.com
ESPACES CONTEMPORAINS
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Photographie : Richard Haughton
Photographie : Richard Haughton
Dans une ancienne scierie À Zurich, le designer Fabrice Aeberhard et sa famille ont aménagé une scierie du 19e en lieu de vie et de création. texte et photo : Catherine Gailloud
Étroit et raide, l’escalier en bois est d’origine, du temps où la maison était une scierie. Fauteuil Cité, design Jean Prouvé pour Vitra, table d’appoint Soeder. Sur le sol, les céramiques Atlas du Studio Isabell Gatzen.
Derrière la petite table en bois de Soeder, des œuvres de divers artistes. Fauteuil d’Andreas Bechtiger, Saint-Gall.
Le bureau est partagé par le couple. Au premier plan, chaise Pretzel de George Nelson, édition Vitra. Autour de la table Riva de Conmoto, deux chaises Horgenglarus Classic, édition limitée. Sur le mur, une grande photographie de Sandra, sur le sol, un tapis de la marque Woodnotes.
Une atmosphère qui respire la simplicité et le goût des objets de créateurs.
Sur les étagères modulables blanches, system M de S+ Systemmöbel, une jolie collection de livres d’art et de petits objets ramenés de voyage. Table Riviera éditée par Dadadum.
ESPACES CONTEMPORAINS
REPORTAGE
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La bâtisse a gardé les défauts et les qualités de ses origines, ce qui fait son âme et son histoire.
L’entrée principale de la maison ouvre directement sur le salon. Au fond Fabrice est plongé dans son travail pour sa compagnie VIU (shopviu.com). Chaise en bois dessinée par Marc Newson pour Cappellini.
Sur une console en marbre quelques objets dénichés à l’étranger, que le couple affectionne particulièrement. «Nous craquons facilement quand nous voyageons. Lors d’un séjour en Italie nous avons fait réaliser sur place des coussins dans un tissu en soie que nous adorions!»
Simplement posées sur le sol, les sublimes céramiques Atlas du Studio Isabell Gatzen à Zurich.
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REPORTAGE ESPACES CONTEMPORAINS
La chaise en bois de Marc Newson répond à la simplicité de la table Riviera dessinée par Alfredo Häberli pour Dadadum.
Le «petit» salon de l’étage réunit souvent la famille et les amis. Tabouret Artek fait sur mesure avec une assise en marbre. Meuble en MDF réalisé par Fabrice; dessus, deux vases de Linck Keramik, des prototypes acquis directement à la fabrique. Lampe Ace Furniture Lausanne.
Le quartier de Wipkingen à Zurich était autrefois une commune à part entière et il conserve un peu de ce souffle villageois ; le marché envahit les rues deux fois par semaine, les habitants se connaissent et se saluent. Fabrice Aeberhard, fondateur et directeur de création de la marque de lunettes VIU, s’y est installé avec sa famille dans une ancienne scierie de la fin du 19e siècle, transformée en lieu d’habitation. « Voilà une année que nous souhaitions déménager, nous étions à la recherche d’un espace où donner libre court à notre créativité et qui nous permette aussi de travailler ; quand nous avons découvert cet univers aux allures d’atelier, le coup de cœur a été immédiat. » Fabrice et Sandra Kennel, sa compagne photographe, ont posé leurs valises dans ce lieu atypique il y a deux ans. ESPACES CONTEMPORAINS
REPORTAGE
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↑ La famille au complet. Sur le mur, des photographies de Sandra (sandrakennel.com). Sofa de Zanotta, table du Studio Isabell Gatzen à Zurich. ↗ La chambre lumineuse de Joël d’où il peut apercevoir le train! Étagère de Nicolas Le Moigne, éditée par Dadadum. Tabouret d’appoint Cork Stool de Jasper Morrison pour Vitra. Tabouret Excelsior en céramique de The Chairman.
GARDER L’ÂME D’ORIGINE Quelques travaux, principalement au rez-de-chaussée, se sont révélés nécessaires : « Sandra et moi avons une passion pour le futur, mais aussi un grand respect pour le passé. Nous ne souhaitions en aucun cas dénaturer l’âme de ce lieu un peu magique en le transformant en loft contemporain et branché. » Créer un bureau faisait partie des priorités. Ce dernier a trouvé sa place en enfilade du grand salon-lounge situé au sous-sol. En effet, une vaste zone inutilisée a pu être entièrement réaménagée ; le sol nivelé et les murs isolés, il accueille aujourd’hui un joli lieu de travail pour le couple. Le plancher d’origine du salon a aussi été très soigneusement rénové, poncé, puis blanchi à la chaux – cela entièrement à la main – pour conserver toutes les traces historiques. C’est par cette vaste pièce que l’on pénètre dans la maison, en franchissant de grandes portes vitrées qui peuvent disparaître derrière des rideaux de lin blanc.
DESIGN ET DÉCONTRACTION Le couple a volontairement opté pour une décoration aux teintes épurées et claires. Derrière un style un peu bohème se révèlent des meubles et objets au design sobre mais très pointu. Amateurs d’achat d’art dans des galeries, se laissant parfois inspirer par l’instant, Fabrice et Sandra apprécient tout particulièrement l’acquisition d’œuvres d’artistes qu’ils connaissent : « J’ai l’immense privilège d’avoir beaucoup d’amis dans le monde du design, il m’arrive de pouvoir acheter des prototypes directement aux designers qui les ont réalisés. Je suis heureux quand l’objet peut être associé avec un ami, et encore plus content s’il s’agit d’un prototype ! » Également amoureux des grands classiques, Fabrice a attendu douze ans pour s’offrir le fauteuil de Marc Newson dont il rêvait. Ce dernier trône telle une sculpture aux côtés de la table Riviera d’Alfredo Häberli, éditée par Dadadum.
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UN ÉTAGE TRÈS VIVANT L’accès à l’étage supérieur se fait par le biais d’un escalier en bois, très raide et étroit. Joël, le jeune fils du couple, a rapidement apprivoisé les marches qui relient les trois niveaux de la bâtisse, façonnée tout en hauteur. Pour sécuriser les cages d’escalier sans main courante, une structure légère, en fines lames de bois, a été conçue : « Cette structure apporte un élément graphique très esthétique et de la sécurité, mais ces escaliers restent un point délicat dans la maison ; quand nos amis débarquent avec de petits enfants nous sommes un peu nerveux ! » Les marches franchies, on découvre un coin très agréable avec poêle et banquette ; c’est devenu l’endroit préféré de Joël. « Il s’y installe naturellement pour boire son lait ! Le poêle chauffe la maison et égaye l’atmosphère, on s’en sert souvent et en toute saison. » La cuisine qui se trouve également à ce niveau accueille régulièrement de grandes tablées. Le couple adore recevoir ses amis, en toute simplicité, et l’espace s’y prête à merveille : « La cuisine est le cœur de la maison. Il y a presque toujours de la musique, on mange, on travaille autour de la table… La proximité de la cuisine me plaît, je peux grignoter et boire quand bon me semble ! C’est le lieu où tout le monde se retrouve. » Chaque cage d’escalier peut s’obturer par une trappe en bois, ce qui permet de privatiser un étage entier. L’espace de nuit peut ainsi être préservé du bruit quand une fête se prolonge. Il se présente comme une grande pièce sans porte. La chambre de Sandra et Fabrice est séparée par une paroi en forme de L : « Nous nous sommes accrochés à la belle poutre d’origine pour créer cette paroi ; elle a de multiples fonctions, dressing d’un côté pour nous et de l’autre, le lit de Joël sous la forme d’une niche. »
UN HAVRE DE PAIX Dans cet univers intime, Fabrice trouve l’espace pour se ressourcer : « VIU m’apporte énormément de liberté pour créer chaque jour de nouveaux produits avec passion. Je découvre des pays, des villes que je ne connaissais pas et je crée des contacts aux quatre coins du monde. Si les connexions avec les créatifs et entrepreneurs sont incroyablement enrichissantes, j’investis beaucoup de moi-même… Me retrouver dans cette maison avec ma famille, c’est une bouffée d’air frais ! »
REPORTAGE ESPACES CONTEMPORAINS
cahier bien-être
S’il est un terme aujourd’hui galvaudé c’est bien celui de bien-être. Mis à toutes les sauces dans notre vie au nom du développement personnel. À grand renfort de théories, de stages, de livres, de recettes, de publications diverses et variées qui nous promettent le bonheur et la sérénité. L’univers de la maison n’échappe pas à ce courant. On nous dit souvent que la maison doit être fonctionnelle, avec une place pour chaque chose et une circulation aisée. Qu’elle doit être saine, conçue et aménagée avec des matériaux qui contribuent à la qualité de l’air et à notre santé. Qu’elle doit modeler un environnement flatteur pour nos sens. Tout cela suffit-il vraiment à définir l’état de « bien être chez soi » ? Comment trouver l’apaisement dans ces lieux qui nous appartiennent ? Comment y raconter notre histoire ?
Une chose est sûre : la maison idéale n’est pas la même pour tous. Il n’y a pas de recette toute prête, de règles de calcul hédonistes. Dans ce cahier, nous semons des graines qui vont souvent au-delà du simple confort physique. À vous de faire germer celles qui vous permettront de trouver votre cap en explorant ce qui vous parle le plus. Notamment en termes de bien-être de l’esprit. La sérénité peut par exemple se trouver en construisant un rapport intime à son milieu. C’est une inscription dans le monde, une façon de tendre vers tout ce qui, autour de nous, est bénéfique à notre vie ou à la vie en général. Cela passe parfois par le contact avec la nature qui peut régénérer, calmer, voire panser les blessures. On peut le favoriser en construisant des maisons ouvertes sur leur environnement, ou en cultivant un jardin, ou encore en contemplant les arbres. L’architecture, elle aussi, posséderait cette capacité à modifier les pensées et les émotions. Croire dans le pouvoir de l’architecture, c’est croire que nous sommes différents dans un environnement dif-
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férent. C’est penser que l’agencement de l’espace, l’orientation des murs, la quantité et la qualité des objets décoratifs influencent notre état d’esprit et peuvent nous transformer. Bien des théories explorent aujourd’hui cet effet magique de l’aménagement intérieur. Par exemple, les analyses de l’origine psychologique du goût abordent quant à elles la question sous l’angle du langage et de la dimension symbolique que prennent le style et les formes de notre habitat. D’autres auteurs, comme la spécialiste du désencombrement intérieur Marie Kondo, explorent le pouvoir émotionnel de l’architecture à la loupe de notre rapport aux objets. La géobiologie représente encore une autre approche. Elle s’intéresse à la manière dont les énergies et les phénomènes invisibles issus de la terre peuvent influencer notre ressenti. Si la pratique peut parfois sembler un brin ésotérique, elle est néanmoins suivie aujourd’hui par différents architectes. Elle mérite pour cela notre attention. Magali Prugnard
← ← Slow collection, Tine K Home ↑ Collection Wellbeing, pour Nani Marquina
Se sentir bien chez soi
Formes, lumière, couleurs… notre maison a-t-elle le pouvoir de nous reconnecter à nous-mêmes ? Voire de nous rendre plus heureux ? Magali Prugnard
La maison n’est jamais neutre, anodine. Elle suscite une multitude d’émotions. Maîtriser le langage de la décoration permet de choisir en toute conscience ce qui résonne le mieux en nous. Dans notre imaginaire, par exemple, les formes carrées et les rectangles de l’architecture et du mobilier se comportent comme les êtres stables et rigoureux. Les courbes, elles, évoquent plutôt la douceur, la plénitude et la désinvolture. En aménagement intérieur – dans la mesure où le ratio entre les éléments qui cohabitent et entre les éléments et la pièce est bon – la proportion des objets provoque un sentiment de cohérence. Cela passe par le choix de grands meubles dans les grandes pièces et de petits meubles dans les petites pièces. Quant aux effets de symétrie dans l’organisation de l’espace, ils sont synonymes d’équilibre. La lumière joue aussi un rôle essentiel, au-delà de sa valeur fonctionnelle relative au confort visuel. Un éclairage diffus, filtré à travers un matériau translucide comme le papier ou le verre opalin, ou un éclairage indirect procure une impression de douceur et de convivialité. La pénombre instaurée dans l’angle d’une pièce par un éclairage de faible intensité ou la flamme mouvante d’une bougie génèrent une touche de mystère. Quant aux couleurs, elles sont capables d’influencer notre état d’esprit de multiples façons. Pour rester succinct, le blanc est généralement associé à la pureté, le noir au mystère. Le bleu porte en lui la confiance et sait se faire consensuel. La couleur préférée des Suisses est le vert, évocateur de la nature, de la vie, de l’harmonie. Le violet est symbole de spiritualité et de créativité. Les couleurs dites « chaudes » sont plus intimes et accueillantes. L’orgueilleux rouge manie la force et la passion. Le jaune –pourtant mal à l’aise dans son statut d’hypocrite - évoque la lumière et la joie. Le rose est tendre, le brun humble, l’orange insolemment optimiste… Ce pouvoir d’évocation des couleurs est en réalité si riche et leurs nuances si variées qu’il est pratiquement impossible de les enfermer dans des catégories. Leur symbolique est aussi souvent liée à notre histoire personnelle et certains décorateurs conseillent de choisir les couleurs de notre intérieur en souvenir d’un voyage, d’un lieu ou d’une ville qui nous inspire. Sachant qu’afin que leur charge émotionnelle s’exprime pleinement de nombreux facteurs interviennent. Notamment les relations des couleurs entre elles, la quantité et la nature des pigments qui composent la peinture, le type de lumière qui s’y réfléchit, etc. LA MAISON GARDIENNE DE NOTRE IDENTITÉ La maison peut symboliser l’avenir ou nous relier au passé. Etre le point d’ancrage de l’exubérance d’une vie familiale - certains grands-parents
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aiment retrouver des jouets éparpillés dans leurs affaires afin de conserver dans leur intérieur les traces de leurs petits-enfants partis au loin. Ou, pour tous ceux qui aiment l’ordre, incarner l’idée d’un sanctuaire d’une grande tranquillité. Elle illustre aussi comment on envisage la limite entre soi et le monde, soi et la nature, soi et les autres, en fonction de la manière dont l’architecture s’ouvre sur l’extérieur et dont la décoration s’inspire de l’environnement. Car, en réalité, la maison parle du genre d’existence qui peut se dérouler en elle et autour d’elle. Elle exprime les qualités et les valeurs selon lesquelles nous voulons vivre, quelles qu’elles soient. Elle est peuplée d’objets qui évoquent des idéaux de reconnaissance social ou d’ordre, de clarté, de dignité, de gravité, d’originalité, de mystère, de spontanéité, de jovialité, de patience... Dans son livre L’Architecture du Bonheur, le philosophe Alain de Botton établit le constat suivant : « Nous attendons de notre environnement qu’il incarne et nous rappelle des sentiments et des idées que nous respectons, de nos bâtiments qu’ils nous maintiennent comme une sorte de moule psychologique de nous-mêmes. Nous nous entourons de formes matérielles qui nous rappellent ce dont nous avons besoin spirituellement ». Pour le philosophe, l’architecture et la décoration sont des moyens de retrouver des parties de nous-même que les exigences pratiques du quotidien nous obligent à occulter. « Ce que nous appelons « chez soi » est simplement tout lieu qui parvient à nous rappeler plus sûrement et constamment les vérités importantes que le monde extérieur néglige, ou que notre moi distrait et irrésolu a tendance à oublier ». Un discours qui nous rappelle celui de Stendhal pour qui il existait aussi un lien intime entre le goût visuel et les valeurs. « La beauté n’est que la promesse du bonheur » écrivait-il dans un célèbre aphorisme. Elle est ce qui parle de ce dont nous avons besoin pour devenir des êtres accomplis. Alors, « être bien chez soi », c’est peut-être tout simplement ça: vivre dans un décor qui nous plait car il nous renvoie au sens de notre vie. ↗ Des murs noirs comme du
→ Dans ce petit raccard la
caoutchouc dAmazonie, un sol en résine au ton brique comme au Sénégal… Cette maison évoque mains souvenirs à ces propriétaires Patricia Moroso et Abdu Salam Gaye. Architectes: Patricia Urquiola et Martino Berghinz
taille du mobilier répond avec cohérence au volume de la pièce. Les lignes et formes évoquent la rigueur et la stabilité. Architectes: Vincent Rapin et Maria Saiz.
→ → Un aménagement qui mise sur les matériaux nobles aux tons neutres et le dépouillement. Un hommage à la simplicité et à la clarté. Slow Collection, Tine K Home.
« La beauté n’est que la promesse du bonheur »
©Lionel Henriod/MC2
©Alessandra Ianniello
Stendhal
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POURQUOI DÉSENCOMBREMENT ET BIEN-ÊTRE SONT-ILS SOUVENT ASSOCIÉS ? Le désencombrement permet de replacer l’être humain au centre de l’habitat. On vit dans une société qui s’est recouverte d’objets, dans des intérieurs encombrés d’affaires qui sont là parce qu’on les a achetées ou qu’on les a acceptées sans grande intention. Mais il est possible de changer de perspectives, de faire de nos objets de réels alliés de notre vie et de choisir la beauté. Cette nouvelle perspective donne un sentiment de délivrance et de clarté immédiat. Ranger chez soi revient à ranger en soi ! QUOI LA MÉTHODE DE MARIE À KONDO NOUS ENGAGE-T-ELLE ? Le travail de désencombrement n’est pas un but en soi mais un outil pour vivre nos vies
©motherstories
©Nicole Hertel
C’est d’abord pour des raisons personnelles qu’Eliette et Marieke Staub ont adopté la philosophie du désencombrement : besoin de mener une vie moins stressante, de dégager du temps pour soi et nécessité de déménager souvent… Pour les jumelles, la méthode proposée par la Japonaise Marie Kondo* est le déclic qui va changer leur vie. En 2016, elles fondent la société Clarity Home Detox spécialisée dans son application.
comme nous le souhaitons. Il demande au départ beaucoup de temps et d’énergie. Pour le mener à bien, il faut un objectif de vie clair et intentionnel. C’est pourquoi une des premières questions que l’on pose à nos clients est : « Qu’est-ce que vous voulez faire une fois que cette maison sera rangée ? ». UN TRI EXHAUSTIF DE SES AFFAIRES EST À LA BASE DE CETTE DÉMARCHE. POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE DAVANTAGE ? Une des mauvaises interprétations consiste à penser que la méthode aide à jeter en choisissant ce qu’on ne veut pas garder. En réalité, elle nous aide à choisir en pleine conscience ce que nous désirons conserver. Cet écart d’esprit est fondamental. Cela consiste à faire l’inventaire d’absolument tout ce que nous possédons et à examiner chaque objet sous la loupe de la joie pour faire le tri. Elle permet ainsi de faire une place chez nous et en nous pour ce qui est réellement important aujourd’hui. ONC LE PRINCIPE N’IMPLIQUE D PAS FORCÉMENT DE VIVRE AVEC PEU DE CHOSES ? Marie Kondo ne dit pas que « moins c’est plus ». Elle dit que « juste est plus, juste est mieux ». Elle n’émet pas un jugement sur la quantité d’objets qu’il faut avoir chez soi
mais sur leur qualité. Et cette qualité n’est pas définie par des normes sociétales mais par la personne qui utilise l’espace. La méthode permet à chacun de réaliser qu’il a une capacité limitée à prendre soin des choses. Elle aide à déterminer sa propre limite, à l’accepter et à l’honorer afin que le bazar ne revienne pas et que l’on puisse se libérer du temps pour ce qui est réellement important pour soi. COMMENT LES « HOME ORGANIZERS » OU « PROFESSIONAL ORGANIZERS » PEUVENT-ILS TRANSFORMER LA CORVÉE DU RANGEMENT ? Certains professionnels de la Swiss Association of Professional Organizers (Swiss APO), dont nous faisons partie, proposent de mettre en ordre une pièce de votre maison à votre place. Chez Clarity Home Detox nous ne rangeons pas sans les personnes concernées. Notre métier est d’organiser la maison tout en redéfinissant la relation que les gens ont avec leurs objets et avec leur intérieur, de transformer leur vie. C’est pourquoi nous préférons nous présenter comme des « consultantes Marie Kondo ». * La Japonaise Marie Kondo est l’auteure d’ouvrages à succès sur le rangement et le développement personnel dont notamment La magie du rangement, Ed.Pocket.
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Marieke et Eliette Staub
Désencombrement intérieur Trier ses affaires et ordonner son intérieur peut contribuer au bonheur. Le pourquoi du comment du « home detox ». © Nicole Hertel
Magali Prugnard
Des boutiques qui valent le détour
Marre des enseignes globalisées et de l’achat en ligne ? Près de chez nous, des boutiques indépendantes défendent la création et l’entreprenariat local. Toutes proposent des objets cool et bien pensés. Voici des lieux qui misent sur l’originalité et la convivialité et offrent le plaisir de la découverte tout en consommant sans culpabilité. Suivez le guide ! Patricia Lunghi et Clara Jannet
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JSBG STORE
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Dans l’objectif de faire connaître la création suisse indépendante, l’espace fraîchement inauguré offre une grande variété de produits pour toutes les bourses. Mode et accessoires, livres, maroquinerie, bijoux, design, beauté, papeterie ou parfums. Le concept store lausannois est un lieu accueillant, idéal pour découvrir les talents locaux dont la sélection change régulièrement. Rue des Deux-Marchés 13, Lausanne
L’une des dernières enseignes historiques indépendantes de Lausanne vient de faire peau neuve. Une transformation réussie qui marie le contemporain à l’âme d’antan. La restauration de la chocolaterie artisanale a soigneusement préservé le cachet d’époque et les chocolats sont toujours produits dans le laboratoire de l’arrière-boutique qui a été lui aussi entièrement modernisé. Rue de Bourg 5, Lausanne
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BOUTIQUE ESPACES CONTEMPORAINS
© Sébastien Agnetti
BLONDEL
COLLECTION 66 L’atelier-boutique d’Agnès Boudry déménage et s’installe dans une nouvelle arcade du centre-ville. Un écrin très cosy où robes, jupes, chemisiers et manteaux se déclinent en imprimés féminins et chatoyants au style rétro-contemporain ou seventy. Les collections sont conçues dans l’atelier à l’entresol. Nouveauté : l’eau de parfum de la maison, intitulée Rosamour. Place Benjamin-Constant 2, Lausanne
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GEORGE CONCEPT STORE Ouvert en septembre, le lieu propose notamment des bijoux, des objets de décoration et des accessoires. L’idée étant de présenter une sélection éclectique venue d’un peu partout : objets vintage, bijoux bobo issus d’ateliers parisiens, accessoires tendance de créateurs émergents, linge de maison et art de table, sacs en coton recyclé, coussins, tabliers de cuisine et bougies 100% naturelles. Rue Verdaine 9,Genève
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Bien connue sur la scène genevoise, l’enseigne des Enfants Terribles a été fraîchement rénovée avec de nouvelles scénographies et une reconfiguration de l’espace. Et l’offre s’est élargie à de nouvelles marques comme Fredericia, Ercol, &tradition, Woud, Muuto, String System, Fermliving avec en sus quelques exclusivités telles que les suédois Stolab et les finlandais Nikari.
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Rue Prévost-Martin 24, Genève
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DESIGNMALIN L’art de vivre nordique plaît toujours autant. C’est justement ce que propose DesignMalin qui vient d’emménager dans une nouvelle arcade. L’enseigne propose un joyeux mélange d’objets et d’accessoires pour la maison et le bien-être, un grand choix de tapis et de rideaux ainsi que des chaussons en laine avec semelle en cuir, le nec ! Et une nouveauté : la collection de montres du designer Piet Hein Eek. Rue du Nant 7, Genève
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BOUTIQUE ESPACES CONTEMPORAINS
© Aurelien Bergot
LES ENFANTS TERRIBLES
VICEVERSA Pour ses 20 ans, la galerie de bijoux contemporains déménage. Elle a désormais pignon sur rue et s’est offerte un écrin très stylé signé Giorgio et Virginia Pesce. Une belle harmonie de lignes et de couleurs qui valorise la sélection pointue où l’on trouve les pièces tout en finesse du designer suisse Kiko Gianocca, les bagues expressives de Karl Fritsch, l’univers poétique de Terhi Tolvanen et la marque Niessing.
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© Gabrielle Besenval
© Gabrielle Besenval
Rue Mercerie 3, Lausanne
MAISON CHARLIE Dans le centre de Lausanne, dans sa boutique au style bohème chic, la décoratrice Charlie Clerc met l’accent sur les tons neutres et les matières naturelles : vases en terre cuite, photophores en verre soufflé, coussins, plaids aux douces textures, art de la table scandinave, miroirs, luminaires, tableaux et mobilier… Elle représente entre autres les marques Maison de Vacances, Gervasoni et Meridiani. Rue Marterey 36, Lausanne
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BLK & YLW SHOP Sous la houlette du designer Eliran Ashraf, l’endroit est le nid de la création locale, plus de 30 designers et entrepreneurs de la région genevoise y sont représentés, avec un choix de produits originaux, authentiques et écoresponsables. Des vêtements, des bijoux, des cosmétiques naturels, des objets d’intérieur et bien d’autres choses. Un lieu vivant avec des expositions, des ateliers créatifs et des événements. Rue Verdaine 15, Geneve.
© Jeremy Spierer
9 LA CHOSE LA PLUS NATURELLE DU MONDE – DEPUIS 1852.
Aucun autre meuble ne vous permet de faire une connexion plus intense qu‘avec votre lit. Dans un lit Hästens, vous ne serez embrassé que par des matériaux naturels hypoallergéniques. Vous pouvez dormir d‘autant plus sereinement qu‘aucun plastique ou aucune mousse superfl ue ne pollue l‘environnement et votre santé. Nous nous y sommes engagés à long terme - depuis 1852.
BE AWAKE FOR THE FIRST TIME IN YOUR LIFE ® | HASTENS.COM
BASEL | BERN | GENÈVE | GSTAAD-SAANEN WINTERTHUR | ZÜRICH
cahier 20 tendances pour 2020
Comprendre les tendances de la décoration passe par une réflexion sur les modes de consommation, les valeurs de la société et les variables démographiques. Les agences de marketing et les entreprises s’intéressent de près depuis quelques années aux millennials et à leurs aspirations. Nés après 1980, ils occupent aujourd’hui le marché en tant que consommateurs, travailleurs, producteurs, créatifs. Ce sont aussi des citoyens porteurs de messages forts. Ils bousculent une certaine façon de vivre et remettent en question les modes de consommation avec des attentes contradictoires : shopping et souci de l’écologie, hyperconnection et digital detox, superficialité et antimatérialisme, égocentrisme et engagement, insouciance et éthique, universalisme et localité, défiance vis-à-vis de l’avenir et attitude positive…
Un comportement paradoxal que les sociologues tentent aujourd’hui de cartographier et qui transforme les schémas classiques du commerce. Pourtant, il n’y a pas de rupture – ou de fracture générationnelle – entre les millennials et les générations qui les précédent ou les suivent (générations Z et alpha). Leurs aspirations sont une forme d’approfondissement ou de vision augmentée de valeurs collectives. Leurs désirs globalement les mêmes que ceux du reste de la société. Aujourd’hui, on prête plus attention au bien-être individuel, mais on donne aussi de l’importance au collectif. L’écologie et la protection des ressources naturelles sont plus qu’une volonté de bien faire, elles sont une exigence. On adopte de nouveaux réflexes de consommation en s’informant davantage, en choisissant des produits qui reflètent notre vision du monde. Tout en allant par moments vers une consommation plus rapide et facile.
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Ces changements modifient notre rapport à la maison. Celle-ci n’est plus seulement le cocon rassurant et douillet où toute la famille se réfugie pour se protéger des tumultes extérieurs. Elle est davantage vécue comme un espace de développement, voire d’émancipation personnelle et collective. Une approche qui se répand aussi dans les hôtels, les restaurants ou les lieux de loisirs. Comment se traduisent ces évolutions dans l’aménagement intérieur et la déco ? À cette question nous avons choisi de répondre par des mots clés, qui témoignent de leurs répercussions dans nos lieux de vie. Clara Jannet et Magali Prugnard Photo d’ouverture Le designer français Samuel Tomatis réinvestit les algues polluantes pour en fabriquer des objets divers. La coque de la chaise Alga (2016) est un alliage d’algues et d’un liant naturel, elle repose sur un piétement en bois. 75 Designers pour un monde durable, Geneviève Gallot, Ed. de la Martinière.
20 TENDANCES ESPACES CONTEMPORAINS
EXTRA Après des années de retenue, la décoration réinjecte du merveilleux dans le quotidien. On ose faire le grand écart entre les époques, marier minimalisme et envie d’excès. Les matières sensuelles, les motifs, les textures épaisses, les imperfections et les couleurs viennent doper nos intérieurs. Une tendance de fond qui gagne tous les styles décoratifs. Même les codes bourgeois du bon goût s’assouplissent pour mieux sortir de l’ordinaire.
Tables basses ou d’appoint Mira, Tapis Japanese Abstractions n°7, Maison Dada, maisondada.com
HOME LUDENS L’expression home ludens signifie « jouer à la maison ». Aujourd’hui, le foyer devient le lieu où l’on développe de multiples activités récréatives et culturelles. Un terrain de jeu stimulant pour le corps et l’esprit. Avec les nouvelles technologies et plateformes de partage, plus besoin de sortir. On peut regarder le film qu’on veut quand on veut, apprendre à l’aide de tutos sur Youtube. Des programmes de fitness online ou des miroirs connectés diffusent des cours de gym et de yoga (Mirror.co) pour rester en forme. Bon nombre d’activités collectives de loisir se déroulent également dans nos murs. On se retrouve entre amis autour d’un jeu vidéo, d’un babyfoot ou d’une table de ping-pong en attendant l’arrivée de notre Uber Eats.
Une table de ping-pong qui sert aussi de table de repas pour l’intérieur ou l’extérieur, You and Me 180, design Antoni Pallejà Office, RS Barcelona, rs-barcelona.com
BIOSOURCÉ Les designers explorent de nouvelles ressources en faisant appel à des matières biologiques qui font naître d’autres formes d’expression. Cet élan prospectif vise à dépasser les choix évidents du cuir ou du plastique dans l’aménagement intérieur. L’année dernière, Philippe Starck présentait un prototype de canapé recouvert d’Apple Ten Tork – un cuir conçu à base de pommes – pour la marque Cassina. Par ailleurs, de jeunes designers comme Samuel Tomatis et le studio Eric Klarenbeek & Maartje Dros, multiplient les recherches pour fabriquer des objets du quotidien à base d’algues. Si ces produits restent encore confidentiels, de grands éditeurs comme Kartell, Muuto, Alki ou Guzzini ont déjà lancé sur le marché des chaises et des accessoires en bioplastique. Provenant de ressources végétales et renouvelables, ces polymères sont réalisés à partir d’amidon de maïs et de bagasse de canne à sucre. Au chapitre des biomatériaux, citons aussi la marque Mogu qui commercialise des panneaux acoustiques à base de mycelium de champignons.
Panneaux acoustiques réalisés en mycelium, mogu.bio
CAPSULE Le prix des loyers, la densification urbaine et la vie en solo conduisent à construire plus petit. Si les « hôtels capsules » à la japonaise gagnent la planète, y compris jusqu’à Lucerne, c’est surtout du côté des logements que s’observe cette réduction des surfaces habitables. Dans ce contexte, l’aménagement intérieur passe par une exploitation efficace de l’espace disponible. En se tournant vers du mobilier plus petit par exemple, et en désencombrant les sols avec des rangements au niveau des murs, des mezzanines et des escaliers. Il faut aussi offrir de la flexibilité à ces espaces réduits. Des séparations coulissantes transforment les pièces de vie en espaces de couchage. Les meubles et les accessoires deviennent modulaires, évolutifs : ils peuvent s’agrandir, rétrécir ou disparaître complètement. Ou jouent la polyvalence avec des lits qui servent de canapés, des chaises qui font office de tables, etc. Réfrigérateurs modulables et empilables, Cube Compact Refrigerator Series, Samsung, samsung.com
CONTRÔLE Maîtrise de notre image par des posts bien choisis sur les réseaux sociaux, gestion de notre capital santé grâce aux montres connectées, surveillance de la qualité nutritionnelle de nos aliments via des applications mobiles comme Yuka, demande de traçabilité des produits consommés... l’heure est à l’hypervigilance. Les technologies d’automatisation des bâtiments et les supports de communication mobiles permettent de placer la maison aussi sous contrôle. Aujourd’hui, on peut gérer à distance sa consommation énergétique, maîtriser la température et le taux de pollution intérieure, enregistrer les allées et venues, ouvrir les portes et fenêtres à distance ou encore déclencher l’arrosage et la tonte du gazon.
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HOME CARE
Battoirs à tapis Perigot, perigot.fr
À l’heure où beaucoup de choses nous échappent, prendre soin de notre espace de vie et des objets qui nous entourent permet d’agir sur notre univers. On redécouvre les vertus du ménage et du rangement qui procurent un sentiment de clarté. D’où le succès des « cleanfluencers » qui répandent sur la toile toutes sortes de conseils pour garder sa maison en parfait état. Si l’on ne saurait encore parler de passion collective, force est de constater que les corvées domestiques se délestent de leur charge négative. Au point de faire partie de l’art de vivre. Résultat : les accessoires de nettoyage et les produits d’entretien soignent leur look, adoptent les codes esthétiques des produits haut de gamme et sortent du placard !
20 TENDANCES ESPACES CONTEMPORAINS
CULTIVER Pour se nourrir plus sainement, vivre de manière plus responsable et respectueuse de l’environnement, apparaissent sur le marché des accessoires pour recycler ses déchets ou cultiver des produits alimentaires à la maison. Grâce à des mini-serres (comme celle des designers Douma/Guittet ou d’Ikea), des armoires de culture verticale intégrées dans le mobilier de cuisine (Plantcube de Miele) ou des bacs à compost esthétiques (Wormup), faire pousser des légumes chez soi et composter ses déchets organiques est un jeu d’enfant.
Une serre pour abriter les jeunes pousses d’herbes, d’aromates et de fleurs. La Serre, design Douma/Guittet, douma-guittet.com
Les créateurs de mode suisses Nina et Jeroen adorent collectionner les objets. Chez eux, l’espace regorge de trésors mis en scène comme dans une vitrine.
STORYLIVING
© Catherine Gailloud
Avec les blogs et les réseaux sociaux, la maison est devenue le cadre d’une communication décomplexée. Un théâtre où l’on se raconte de manière plus instantanée et plus intime que jamais. Dans ce contexte, la décoration sert à exprimer et partager des goûts ou des expériences de vie. Devenu directeur artistique de son intérieur, on crée des natures mortes à l’aide de plantes, de vases et de pots en céramique pour les publier sur les réseaux sociaux. On s’équipe de pegboards pour mettre en scène ses coups de cœur et dans les bibliothèques les compositions d’objets remplacent les livres.
La jeune marque française Tiptoe propose des pieds modulables pour réaliser des meubles personnalisés et évolutifs. Bureau, table ou banc s’adaptent aux besoins et à l’espace intérieur. tiptoe.fr
PERSONNALISATION À la maison comme ailleurs, la consommation de masse cède la place à un désir accru de personnalisation. Le consommateur veut pouvoir maîtriser le rendu fini de ce qu’il achète. Et pour qu’il puisse mettre un peu de ses goûts et de ses besoins personnels dans un produit, les fabricants proposent de nombreuses options de configuration des objets et une large palette de finitions et de couleurs au choix. Certains produits sont même conçus pour être customisés. De simple marchandise, l’objet devient ainsi un moyen d’exprimer notre individualité. Il est ce qui montre notre singularité.
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20 TENDANCES ESPACES CONTEMPORAINS
Alexis Tourron et Stefano Panterotto, co-fondateurs du studio de design Panter&Tourron
NOMADE Les jeunes générations travaillent partout, vivent partout, se déplacent facilement partout, ce qui implique de nouveaux prérequis dans la conception des meubles. On les veut transportables, transformables, mobiles et légers. À l’image de la collection de meubles Tense du duo de designers Panter&Tourron qui explore l’évolution de l’habitat à l’ère de la fluidité et de la mobilité globale. Tense se compose de tous les éléments traditionnels du salon : un fauteuil, un paravent, une table basse et deux luminaires. Chaque objet repose sur le principe constructif de la tension. Ni vis ni colle. Ils se montent et se démontent en peu de temps et sans outils. Les cinq produits pèsent ensemble moins de 20 kg. « La tendance est au nomadisme. Que ce soit grâce au travail, à l’amour ou aux études, nous sommes de plus en plus en déplacement. Il est donc de plus en plus difficile d’investir dans des objets lourds et volumineux. »
Collection Tense, Panter&Tourron. pantertourron.com
Ethno-gogues Les toilettes sont un indétrônable lieu de l’intime. Alors que leur fonction première est commune à l’humanité tout entière, il n’en va pas de même de leur forme ! Petit tour socioculturel des lieux d’aisance. Estelle Daval
© Melinda Chan
← Origine, les très organiques toilettes du restaurant La Felicità à Paris réalisées par Trone. trone.paris
↑ Fontaine composée d’une multitude de cuvettes, Foshan, Chine.
Du simple trou creusé dans le sol aux WC japonais les plus hightech, en passant par les latrines, les vespasiennes ou l’invention de la chasse d’eau, l’humanité n’a jamais été à court d’innovations pour améliorer l’hygiène et le confort des toilettes. Normal, quand on sait que le temps qu’on y passe équivaut, grosso modo, à 3 ans d’une vie ! Ça reste pourtant un sujet de gêne dont on parle à mots couverts, voire un tabou dans certaines cultures. Preuve en est la richesse des euphémismes et le nombre d’expressions plus ou moins fleuries permettant d’en édulcorer la réalité : le p’tit coin, les commodités, les sanitaires, les lieux d’aisance, les cabinets, les sanisettes, les gogues, le petit endroit, les waters, le trône… Et en matière de pudibonderie, mictions et excrétions sont un sujet d’embarras qui dépasse de loin celui du sexe. « On peut coucher le premier soir, mais, à ma connaissance, personne ne laisse la porte des toilettes ouverte le premier soir », comme le souligne la chroniqueuse Maïa Mazaurette. Cependant, outre leur fonction excrétoire, les toilettes sont un des derniers havres de paix et d’indisponibilité où l’on peut se retirer pour méditer, lire ou encore pleurer. Un lieu de repli stratégique où, paradoxalement, personne n’ose venir nous faire ch… Alors que l’exhibition à outrance tend aujourd’hui à s’imposer comme un mode d’expression incontournable d’identité sociale, les WC sont un des rares espaces
Dans toutes les civilisations, l’intimité, aussi subjective soit-elle, est une condition indispensable au bon fonctionnement de la vie en société. Mais en matière de « ouatères », cultures, modes, éducation, morale et niveau de développement soulèvent d’importantes différences pouvant donner lieu à d’épiques expériences. Pour n’en citer que quelques-unes : les cuvettes allemandes à fond plat qui, si elles permettent une instructive inspection des selles, s’avèrent être un vrai casse-tête lorsqu’il s’agit d’uriner debout, la coutume du morning job en Inde (où la défécation en plein air est une pratique tellement ancrée qu’elle perdure malgré l’installation de sanitaires), l’inversion du sens d’utilisation dans les WC à la turque asiatiques qui réservent bien des surprises à l’usager occidental ayant pour habitude de s’installer face à la porte… Les tourments sensoriels qu’occasionne l’émission de nos besoins naturels sont également une affaire de culture. En Occident, les odeurs que l’on s’évertue à masquer à coup de désodorisants en tout genre arrivent en haut du palmarès, tandis que les Japonais font la chasse aux émissions sonores par la diffusion de bruitage ou de musique. Qu’elles nous inspirent du dégoût ou de l’amusement, il n’en reste pas moins que les toilettes sont un enjeu international majeur en matière d’hygiène et de dignité car aujourd’hui 4,2 milliards de personnes vivent encore sans installations sanitaires. Une priorité du développement
domestiques que les accros du selfie, blogueurs et autres instaddict ne nous infligent pas à longueur de post.
mondial qui, depuis 2013, fait l’objet d’une Journée internationale de l’ONU, tous les 19 novembre, avec pour objectif d’aborder la question de l’assainissement sous tous ses aspects. worldtoiletday.info
ESPACES CONTEMPORAINS lieux intimes
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oilettes publiques à T Beijing, Chine.
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ur les bords du lac salé de S Chott el-Djerid, Tunisie. ne ancienne cuvette couverte U de végétation.
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© Keystone
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Toilettes au milieu des bois.
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n panneau perdu dans U le désert Siloli en Bolivie.
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Cabane en bois abritant des WC, Europe de l’Est.
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C publics dans un parc W à Bucarest.
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L’Arborloo, toilettes à compost permettant la culture d’un arbre planté à proximité, Cap Haïtien.
©Karen Hermann
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© Hans Georg Eiben / Getty Images
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© Cristi Croitoru
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© Alamy
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oilettes chimiques mobiles T à Athènes.
10 WC aux couleurs helvétiques de la cabane Segantini en Haute-Engadine. 11 Toilettes dans un township d’Afrique du Sud. 12 Une des 435 sanisettes parisiennes.
© Haugen/Zohar Architects
© Marianne Casamance
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© Tony Rowell
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© rmeeba
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© illmagore
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13 L es toilettes Ureddplassen offrent une vue imprenable sur la mer de Norvège. 14 D ’antiques latrines à Vaison-la-Romaine. 15 L es WC siglés Louis Vuitton de l’artiste Illma Gore. Courtesy of Illma Gore
16 U n trône en plein air au Mont Whitney, Californie. 17 Des toilettes à la signalétique XXL. 18 Une gamme de toilettes à la japonaise, bourrée de technologie. kohlercompany.com
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© Gabrielle Besenval
L’art de la métamorphose
MAISON SQUARE, LAUSANNE Réalisée pour la Fondation Maisons pour étudiants Lausanne (FMEL), l’intervention visait à créer un lieu favorisant les rencontres et la détente. Elle s’insère dans l’atrium central d’un bâtiment composé de chambres et de studios pour des étudiants lausannois. Le mobilier, créé sur mesure, se compose d’une déclinaison formelle de banquettes et de tables aux proportions multiples. Il s’associe à une estrade dont les emmarchements se dilatent afin d’offrir une liberté d’utilisation. Une fresque géométrique réalisée par les artistes anglais George et Raphael Greaves parachève la nouvelle atmosphère de l’atrium. Les notions de flexibilité, d’appropriation et de diversité d’utilisation ont abouti à la réalisation d’un aménagement ludique et modulable.
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© Anne-Laure Lechat
« Beau ne veut rien dire, affirme Julia Christ. Le beau est subjectif, donc sans importance. Le succès d’un lieu n’est pas lié uniquement à l’esthétique mais se trouve dans la définition initiale des objectifs. Ce qui fait la réussite c’est la cohérence du projet, fondé sur la compréhension de ce que les gens ont envie de voir et de ressentir. C’est un ensemble qui fait un tout. » Clara Jannet
Architecte d’intérieur d’origine brésilienne, Julia Christ est spécialisée dans les lieux de collectivité. Connue pour sa capacité à transformer des espaces basiques en lieux tendance, son usage original des matériaux et motifs, son mélange harmonieux de meubles chinés et de mobilier de marque et la place qu’elle accorde aux couleurs font recette. C’est à partir du point de vue de l’utilisateur final qu’elle élabore des concepts durables et uniques où chaque détail compte. Très prisée en Romandie, à 40 ans elle est la tête pensante de nombre de cafés, restaurants et boutiques de l’Arc lémanique. Et son studio fondé en 2019 à Lutry ne cesse de croître. Jonglant avec sept à dix projets en même temps, hyperactive, précise et ambitieuse – c’est ainsi qu’elle se définit – elle travaille à la fois dans le domaine de l’architecture, du concept design et du branding. Son intérêt pour les espaces collectifs lui vient de sa ville natale, São Paulo. Dans cette métropole de plus de 12 millions d’habitants, on vit dehors et on habite pleinement l’espace public. Tout est toujours ouvert, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Étudiante Erasmus à Lausanne durant un an, elle est surprise de l’utilisation qui est faite ici des espaces publics et par la quasi-absence de vie collective qui y règne. Son job dans le service pour un pub lausannois très fréquenté la met en contact avec les acteurs de la scène de la restauration lausannoise. Les amis de cette époque deviendront par la suite ses premiers clients. Après l’obtention de son bachelor en sciences biologiques au Brésil, elle devient assistante du designer et architecte brésilien Muti Randolph, très investi dans l’aménagement de lieux de collectivité.
Il subsiste chez Julia des rémanences de son passé scientifique. Elle aime savoir comment les choses fonctionnent, elle attache de l’importance aux détails du processus qui conduit un projet de A à Z. Par ailleurs, ses études lui ont apporté une connaissance de l’humain, de ses besoins et de ses mouvements, qui contribue à nourrir sa démarche. Installée définitivement en Suisse en 2008, elle suit un cursus en architecture d’intérieur à la HEAD-Genève. Toujours en quête d’apprendre pour encore mieux appréhender son métier, elle prépare actuellement un master en marketing hôtelier. Au-delà de l’esthétique, l’approche du Studio Julia Christ englobe la totalité de l’activité d’un lieu. Cela va, dans le cas d’un restaurant, de la disposition des tables aux uniformes du personnel, de la mise en place de la cuisine et du bar au menu, du logo de l’établissement à la fluidité des espaces… C’est la condition du succès. La force de Julia Christ réside sans doute dans sa capacité à combiner la logique d’une entreprise avec un univers esthétique qui plaît. Amatrice d’art et de cinéma, Julia approche chaque projet comme une toile blanche et puise son inspiration dans les matériaux et chez les artisans qu’elle rencontre. Elle reste délibérément loin des modes et privilégie les styles singuliers et intemporels. « J’ai envie de créer des lieux où on se sent bien. Je travaille le plus possible avec des matériaux naturels et avec des artisans et des artistes. » Pour les muraux de la Cité Uni et pour la Maison Square, elle a collaboré avec des artistes locaux et internationaux afin de créer des œuvres uniques qui subliment les espaces. Parmi ses projets en cours figurent des restaurants à Lausanne, à Morges et à Genève, mais aussi une boîte de nuit, deux stations de métro et un théâtre. Ouvrez l’œil !
Ce poste lui donne envie d’entamer une nouvelle formation en architecture.
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© Gabrielle Besenval
2 Cité universitaire, Genève Il s’agissait ici de moderniser et d’équiper les espaces communs mis à disposition des résidents – incluant une salle de jeux, un lieu de réunion, un corner café et une zone de travail. Chaque espace a été conçu et meublé pour une utilisation fonctionnelle par les étudiants. La gamme de teintes vives choisie se retrouve dans chaque zone dans les tons des meubles. Le mobilier modulaire a été conçu sur mesure pour permettre d’interchanger les espaces et les usages. Les fresques murales rappelant le paysage genevois ont été créées en collaboration avec l’artiste locale Anaïs Coulon. Cet univers ludique et accueillant propose un lieu convivial et productif aux résidents de la Cité universitaire.
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© Gabrielle Besenval
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SARDINE, LAUSANNE
L’ancien Bellini – restaurant réputé déjà conçu par Julia Christ il y a dix ans – est aujourd’hui un nouveau resto-bar rebaptisé Sardine. Le lieu incarne ce que le design apporte à la convivialité, avec une certaine simplicité et authenticité et un petit côté décalé élégant. Le décor, une fresque créée sur mesure par le Studio Julia Christ, inspirée des récits et illustrations de John Reeves, lui procure un langage tropical vivifiant aux tonalités colorées et naturelles. Au mur, des œuvres d’art dont des photographies de Lee Jeffries et Ressia Romina provenant d’une collection privée – ajoutent une note contemporaine sophistiquée à l’atmosphère visuelle. Au travers des différents espaces, c’est une invitation au voyage, comme une parenthèse estivale, qui est offerte aux Lausannois.
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© Christophe Voisin
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Auberge de beaulieu, Lausanne Inspirées du modernisme brésilien et des vacances balnéaires, l’architecture d’intérieur et l’identité visuelle de l’auberge ont été pensées pour une clientèle variée, d’âges et d’horizons différents. L’architecture originale du bâtiment a été sublimée par un choix minutieux de couleurs et de textures, en utilisant des matériaux et des techniques traditionnels. Ainsi, le design des mosaïques du sol est inspiré par le travail de l’architecte paysagiste Burle Marx.
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Viva frida, Lausanne
© Christophe Voisin
Dans la nouvelle boutique Viva Frida, un délicat mélange de teintes sablées invite l’été à se prolonger toute l’année. S’inspirant d’une dolce vita aux notes bohème, les matières naturelles et les textures douces se complètent harmonieusement pour habiller les lignes épurées de l’intérieur, sublimant ainsi la sélection haute en couleur de la propriétaire des lieux. Choisis avec soin, les meubles à l’allure moderniste sont réchauffés par la douceur des textiles et des détails stylisés qui confèrent à l’endroit une atmosphère accueillante.
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PAVILLON BAR & KITCHEN, LAUSANNE Construit dans les années 80, à l’origine le Pavillon était un glacier. Le bâtiment inspiré du nombre d’or se trouve sur le parking de la Riponne. Malgré son design original, au cours de ces trente dernières années il fut exploité pour divers types d’activités, chacune modifiant son intérieur. Le défi consistait à récupérer certaines caractéristiques originales et à adapter les espaces circulaires pour générer une atmosphère ouverte, séparée du parking adjacent. L’intérieur du Pavillon valorise le travail artisanal par le recours à des matériaux naturels et la création d’éléments fabriqués sur mesure, comme les tables en chêne, faites à la main, le marbre blanc et le ciel de bar en laiton. Ils reflètent l’esprit du lieu et ses propositions d’aliments traditionnels de bonne qualité.
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5 Hôtels en montagne Que l’on soit en quête de calme ou d’air pur, que l’on préfère chausser des raquettes, dévaler la poudreuse ou prendre du temps pour soi en s’adonnant au cocooning, ces lieux de villégiature donnent accès à tous les plaisirs. Situés dans cinq régions différentes, voici cinq hôtels qui permettent de cocher toutes les cases, avec le charme du décor en prime. Texte et photos : Catherine Gailloud
Hôtel Carina Zermatt Repris en 2020 par une équipe de copains qui l’ont complètement relooké, l’Hôtel Carina est situé dans un quartier calme de Zermatt, proche de la gare. Avec une déco soignée et très axée sur le design, un fabuleux lounge et une offre d’hébergement hyper flexible, qui va de la chambre individuelle à la chambre double avec balcon et du dortoir collectif au penthouse ; des appartements de rêve équipés, entre autres, des légendaires canapés Togo de Ligne Roset et des suspensions Formakami de &Tradition. Le penthouse Matterhorn offre une vue à couper le souffle sur le célèbre sommet. Gaïa, la jeune cheffe italienne régale les papilles de sa cuisine aux accents siciliens, sourire et bonne humeur en prime. Le spa parfaitement équipé est un lieu de détente idéal après une journée passée à dévaler les pentes du Gornergrat. carinazermatt.ch
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Experimental Chalet Verbier
4 Repris par l’Experimental Group, cet hôtel en plein centre de Verbier attire une clientèle variée. Les skieurs avides côtoient une jeunesse branchée attirée par le look glamour années 1970 des lieux. L’architecte Fabrizio Casiraghi a orchestré la rénovation des zones publiques et de l’ensemble des 39 chambres, dont 2 suites, en osant un style décalé qui contraste avec la signature traditionnelle des hôtels de montagne. Au restaurant du Chalet, Gregory Marchand, chef en vogue à Paris, ajoute une touche contemporaine à la gastronomie de montagne qui s’accorde ainsi au design moderne de l’hôtel. On se réfugie au bar pour les drinks d’après-ski, l’apéritif d’avant dîner ou en prélude à la fête qui se prolonge tard dans la nuit au Farm Club ; dans l’incontournable night-club de l’hôtel se retrouvent clients de l’Experimental, locaux et célébrités. Pour son tout premier spa, le groupe s’est associé à la marque de soins française Biologique Recherche. experimentalchalet.com
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