Les Refuges dans le massif des Ecrins: Entre préservation patrimoniale et besoins touristiques

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Rapport d’Etudes

Les Refuges dans le massif des Ecrins: Entre préservation patrimoniale et besoins touristiques

ESPARRON Alexis

Couverture: Photo du refuge de l’Aigle rénové, Louis Gaillot

URL: https://cdn-s-www.ledauphine.com/images/C920ECB8-22CF-4FB6-AEBC-1513ABA37329/NW_raw/le-refuge-de-l-aigle-renove-photo-louis-gaillot-1436470995.jpg

3 Avant-propos

5 Introduction

7 Cartographie du massif des Ecrins et ses refuges

9 Les refuges de la première heure : genèse et développement

De l’abris aux premiers refuges des Ecrins

Le Club Alpin Français (CAF): initiateur majeur du développement des refuges

Les refuges à l’heure des « trente glorieuses » dans le massif des Ecrins

La prise de conscience environnementale, vers de nouveaux enjeux et débats

17 Les acteurs des refuges d’aujourd’hui et leur influence

Le rôle du Parc national des Ecrins, un nouvel acteur majeur

Un équilibre fragile entre attractivité touristique et respect des Ecrins

Les refuges contemporains, leurs gardiens et leurs visiteurs, à l’origine de nombreux changements et débats

L’impact de la crise sanitaire

25 Les refuges de demain: au coeur des enjeux patrimoniaux et touristiques

Les refuges modernes: des expériences en temps réel

Un refuge modèle: la nouvelle cabane de l’Aigle

L’utilisation du site et de la pierre

L’atelier Refuge remix au refuge de Villar-d’Arêne: comment diversifier et imaginer les refuges de demain?

Sommaire
Conclusion 41 Bibliographie 2
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Avant-propos

Avant d’arriver à l’ENSACF et étudier l’architecture, j’ai longtemps hésité à poursuivre un cursus d’ingénierie étant à la base quelqu’un d’assez pragmatique et aimant la dimension « concrète » apportée par les sciences. L’architecture était pour moi un alliage parfait entre les sciences et l’art bien qu’au début je pensais l’architecture comme, avant tout, une démonstration technique de ce que l’on pouvait penser, concevoir et construire en poussant l’ingénierie dans ses retranchements à l’instar du Musée des Confluences à Lyon de Coop Himmelblau ou de la Fondation Louis Vuitton à Paris de Franck Gehry.

Musée des Confluences, Lyon

Cultured Creatures, URL: http://www.culturedcreatures.co/wp-content/uploads/2016/03/01Cover_MuseumLyon01.jpg

Thermes de Vals, Vues extérieur et intérieur

Pinterest et Modular, URL: https://i.pinimg.com/564x/9b/21/ca/9b21caeca6001bff41715d9702f59045.jpg; https://cdn.modlar.com/photos/7421/img/s_1920_x/atz_thermevals_0003_5862572e281ec.jpg

Néanmoins, en première année d’étude de l’architecture, j’ai vite pu constater que l’approche « artistique » et sensible du projet était primordiale dans sa conception. Le travail de l’ambiance, de la lumière et de la perception des espaces influence, en effet, notre manière de vivre une expérience singulière au sein d’un bâti. J’ai ainsi pu apprendre à approcher l’objet architectural comme on pourrait approcher une sculpture que l’on habite et qui nous fait ressentir des émotions, des sensations, des sentiments… La découverte de l’œuvre de Peter Zumthor avec, notamment Les thermes de Vals construits entre 1993 et 1996, et le travail effectué dans les Grands Ateliers de GAIA ont par conséquent été particulièrement marquant pour moi et cruciaux dans mon changement de vision de l’architecture. Au cours de ce dernier, elle est, en effet, devenue le sujet d’un travail sur la lumière, la matérialité et l’ambiance générale qui s’y dégage afin de nous faire vivre une expérience unique en son sein, bien loin de mes anciens a prioris purement techniques.

J’ai aussi pu apprendre l’importance de la maquette dans la conception architecturale au-delà des plans et des coupes à l’heure où les logiciels informatiques deviennent omniprésents. En effet, la maquette permet de tester « réellement » notre projet, à savoir l’ambiance qu’il créé mais aussi les matériaux qu’il emploie, comment il peut être habiter et comment il s’intègre à son milieu. La maquette rend compte des formes, des espaces et des volumes en concrétisant des représentations en deux dimensions ou même des modélisations bien souvent insuffisantes pour visualiser le projet.

Au cours de mon cursus, j’ai de plus réalisé que le rôle de l’architecte est celui d’un touche-à-tout. Celui-ci va devoir prendre en compte une multitude de paramètres relatifs à des domaines d’études très divers allant de la philosophie à l’étude de la structure afin de concevoir le projet. Les études d’architectures sont donc plurielles et riches de cultures. Elles permettent de s’ouvrir sur une grande diversité d’approches et de points de vue. Cela m’a permis de m’enrichir grandement et de m’ouvrir sur de multiples disciplines dont j’ignorait parfois même le sens et l’importance telle que la théorie architecturale que j’affectionne tout particulièrement.

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Ainsi, j’ai pu réaliser que l’architecte avait un rôle prépondérant dans notre future et notamment dans la manière d’appréhender la ville, le construit mais aussi de les faire évoluer afin qu’ils s’adaptent à un monde prenant de plus en plus conscience des enjeux environnementaux, économiques et sociaux. En effet, par sa richesse culturelle et son rôle de concepteur/théoricien, l’architecte doit adapter ses bâtis à ces derniers en innovant et en prenant appuis sur ses connaissances et relations avec les disciplines actrices de l’habitat, l’environnement, l’Homme… C’est donc à lui que va être confiée la charge de repenser l’habitat dans une période marquée par une crise économique et environnementale qui tend à s’aggraver.

De plus, la crise sanitaire remet en question un système consumériste omniprésent en nous forçant à vivre avec l’essentiel, le nécessaire tant matériel que relationnel. Le logement y est revu comme un refuge coupé du monde extérieur où l’on s’y sent en sécurité. Il devient aussi le lieu d’activités diverses qu’on ne peut plus ou qu’on évite désormais de faire en extérieur tandis qu’il ne sert bien souvent que de lieu de repos où l’ont y mange et dors avant de retourner travailler.

Vue de mon appartement, à la fois espace de travail et de vie

Je me suis donc demandé si l’architecture et plus particulièrement le logement devait donc évoluer vers la création de bâtis plus sobres, visant une manière d’habiter simple et privilégiant un rapport direct avec le site en le mettant en valeur plutôt qu’en « l’envahissant ». De plus, je pense crucial de diriger le plus possible la construction de nouveaux projets vers l’emploies de matériaux naturels et brut au lieu du béton, largement majoritaire malgré son impact important sur l’environnement.

Le refuge des Ecrins avec vue sur la Barre des Ecrins

Uniscovered mountains, URL: https://undiscoveredmountains.com/uploads/gallery/135/Refuge-des-Ecrins-in-the-Undiscovered-Alps1-full.jpg

Me questionnant de la sorte, je me suis intéressé à ce qui, pour moi, représentait parfaitement la matérialisation de cette vision : le refuge de Montagne. En effet, ce dernier illustre, selon moi, totalement le logement réduit au nécessaire comme lieu de repos temporaire et construit en s’intégrant parfaitement dans son environnement très contraignant. Le refuge emplois ainsi bien souvent des matériaux bruts et réponds aux besoins les plus sommaires mais nécessaires au quotidien tout en offrant un confort de plus en plus important pour ses visiteurs, le tout, dans un espace minimal. On s’y rend pour se vivre une expérience unique et apprécier le milieu atypique, sauvage et remarquable qui l’entoure, en plein cœur des sommets.

J’ai donc choisi de traiter des refuges présents dans le Parc national des Ecrins, un lieu que je connais très bien depuis ma plus tendre enfance et dans lequel j’ai l’habitude de m’y ressourcer personnellement en m’y rendant régulièrement. Je souhaite ainsi me questionner sur leurs devenir, leurs évolutions architecturales et sociétales tout en mettant en valeur leur histoire, leurs acteurs et les débats qui leurs sont liés aujourd’hui.

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Introduction

Le massif des Ecrins se situe entre les départements de l’Isère et des Hautes-Alpes au Sud des Alpes françaises. C’est un des principaux massifs montagneux français avec notamment deux sommets à plus de 4000 mètres d’altitude : le Dôme de Neige des Ecrins à 4009 mètres et surtout la Barre des Ecrins à 4101 mètres. Cette dernière a été le point culminant de la France jusqu’en 1860 avant l’annexion de la Savoie et donc du Mont-Blanc (4809 mètres d’altitude) et a donné son nom au massif au milieu du XXe siècle (le nom le plus longtemps employé était celui de « massif de l’Oisans »). Comportant dix-neuf glaciers et constitué de sept vallées (le Briançonnais, le Champsaur, l’Embrunais, l’Oisans, le Valbonnais, le Valgaudemar et la Vallouise), il ne fut découvert, exploré et étudié que très tardivement à cause de sa taille et sa géographie particulièrement hostile rendant les expéditions complexes et dangereuses.

Plan de situation du Parc National
national
Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins-parcnational.com/files/page/922/body/carte-generale-pne-simplifiee.jpg 5
et du massif des Ecrins Parc
des

La création et le développement d’abris puis de refuges au sein de ce massif fut ainsi nécessaire et cruciale afin de mieux connaître le massif en organisant des ascensions en plusieurs avec la possibilité de s’arrêter et de se reposer à l’abris des conditions climatiques particulièrement rudes en altitude. Le massif des Ecrins a donc été l’un des premiers en France à être doté de ce type de bâtis à l’image du refuge de La Lauze, construit en 1878 afin de permettre l’ascension de la Barre des Ecrins. Le massif des Ecrins a alors peu à peu été le théâtre de la construction de nouveaux refuges de plus en plus sophistiqués et nombreux sous l’impulsion de sa popularité grandissante et Club Alpin. En effet, les Ecrins ont de tous temps été reconnus pour ses sites exceptionnels idéals pour la pratique de l’alpinisme et de l’escalade. Par ailleurs, pendant longtemps, ce fut ainsi le second centre français de l’alpinisme après le massif du MontBlanc en Haute-Savoie.

Néanmoins, ce développement des activités d’alpinisme puis, plus tard, du tourisme dans le massif a conduit à se questionner quant à la préservation de ce dernier, de son identité naturelle et culturelle. Cela a donc posé les bases de la création du Parc national des Ecrins en 1973, entité protectrice du patrimoine gérée par l’Etat. L’objectif de ce Parc fut dès lors de mettre en avant le massif afin de promouvoir son patrimoine tout en le préservant, créant donc un idéal entre tourisme et respect du site. Les refuges ont donc depuis été pensé dans cette optique en privilégiant l’emploi de ressources naturelles et renouvelables pour son fonctionnement tout en devenant des structures ouvertes à un public de plus en plus nombreux et varié dans ses profils. Les gardiens, instaurés depuis le début du XXe siècle, sont devenus les garants des valeurs du Parc national des Ecrins et de la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne (FFCAM), les deux principales structures en charge des refuges dans la région, tout en offrant des services de plus en plus poussés.

En effet, avec les avancées technologiques, le besoin grandissant de couchages et l’évolution des demandes des visiteurs les refuges sont devenus de plus en plus massifs et confortables devenant presque au fil du temps de véritables « hôtels d’altitude » pour certains. Cette progression dans les manières de penser et appréhender ces bâtis singuliers est donc paradoxale en mettant cela en perspective avec les notions de préservations patrimoniales défendues par le Parc et de nombreux locaux des Ecrins. Les débats et les réflexions se sont donc multipliées au sein des acteurs du milieu tandis que les critiques de quelques refuges et situations observables au Nord des Alpes furent formulées.

A travers ce rapport d’études, je reviendrai sur la genèse et le développement initiaux des refuges dans un premier temps avant de m’intéresser aux acteurs actuels des refuges et leurs influences sur ces derniers. Enfin, j’évoquerai les refuges futurs et les manières prochaines de les envisager en tant que structures publiques majeures aux cœurs des enjeux patrimoniaux et touristiques. L’objectif est ainsi de se questionner sur :

Comment allier affluence touristique et préservation des patrimoines dans la réalisation des nouveaux refuges de haute montagne, au cœur du Parc national des Ecrins ?

L’équilibre souhaité entre visiteurs et mise en valeur du patrimoine voulu par le Parc national des Ecrins passe, en effet, par l’évolution des refuges qui se placent en tant que structures majeures du tourisme estival du massif et donc en tant que levier d’actions crucial du Parc et ses divers acteurs.

Photo d’époque du refuge Cézanne (construit en 1891) avec le Glacier Blanc, 1874m Collection Lucien Tron, Parc national des Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/
ecrins-parcnational.com/files/patrimoine/10551/body/014064.jpg
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Données: Géoservices IGN, URL: https://geoservices.ign.fr/documentation/diffusion/telechargement-donnees-libres.html

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Les refuges de la première heure : genèse et développement

Refuge

Un refuge est un bâtiment dont l’accès n’est pas possible par la route contrairement au chalet, accessible, quant à lui, par la route ou un chemin forestier. Ainsi, certains bâtiments, passent du statut de chalet en été à refuge en hiver car coupé de toute voie de circulation par la neige (ex : Chalet-refuge du Pré de Madame Carle, massif des Ecrins).

I/ De l’abris aux premiers refuges des Ecrins

Durant l’Antiquité et le Moyen-Age, en altitude, les Alpes étaient inhabitées à cause des conditions climatiques particulièrement rude. Ce milieu était ainsi réservé à quelques « autochtones », des chasseurs, des bergers, des chercheurs de cristaux et des contrebandiers qui s’abritaient dans des abris sommaires en bois ou en pierre. Il faudra attendre la Renaissance pour voir apparaître les premiers hôtels et monastères sur les cols alpins majeurs mais les traversées demeuraient rares et surtout très dangereuses avant la création de premiers petits « refuges » contre les tempêtes appelées « tourmentes » au Col du Mont Cenis entre la France et l’Italie puis l’ouverture du tunnel de Fréjus en 1871. Des passeurs ou « marrons », souvent des chasseurs ou bergers, aidaient donc les voyageurs et les travailleurs saisonniers à entreprendre de tels trajets dès le XVe siècle en échange d’argent. Ils avaient pour rôle d’aller secourir les personnes perdues en haute-montagne ou bien mêmes récupérer les cadavres des plus malchanceux parfois pris dans la tempête.

Dans les Hautes-Alpes, les alpinistes jusqu’à la fin du XIXe siècle reprenaient les techniques employées par les locaux afin de s’abriter à savoir les abris de bergers, de chasseurs… Ces alpinistes étaient, dans un premier temps, des géographes à l’instar du Capitaine Adrien Durand, premier Homme à gravir le Pelvoux, sommet culminant à 3946 mètres d’altitude, en 1828. L’objectif était, à l’époque, de réaliser des relevés et des études de territoire dans des buts militaires et/ou scientifiques.

Dessin d’Edouard Whymper représentant le Pelvoux et l’Ailefroide vue de Mont-Dauphin, Passion montagne 05, URL: http://www.passionmontagne05.fr/wp-content/uploads/escalades_alpes_ whymper_1872_pelvoux_mont-dauphin.jpg

Vue du Chalet-refuge du
Pré de Madame Carle
Chalet refuge du pré de madame Carle, URL: https://th.bing.com/th/id/Rbc715f2cede25ca7f6f98ab95c3df021?rik=DG0O%2fiWgUCPmAg&riu=http%3a%2f%2fwww.pre-madame-carle. fr%2fwp-content%2fuploads%2f2019%2f06%2fbanniere-chalet-refuge.jpg&ehk=bOt2NKFeBPH8RNBiMm8VOE6Srw9JMGx8woCFKl%2bsH%2fk%3d&risl=&pid=ImgRaw
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Napoléon Ier fut le premier à pousser à l’implantation de six refuges reliant la France à l’Italie. Ils ont, ensuite, été réalisés entre 1856 à 1860 par l’administration départementale des Hautes-Alpes, en haut des cols les plus stratégiques : l’Agnel, l’Izoard, le Lacroix, le Manse, le Noyer et le Vars. Aujourd’hui, il n’en demeure cependant que quatre puisque les refuges des Cols Lacroix et Agnel disparurent sous les effets du climat hostile. Ces refuges s’apparentaient, cependant, à des postes de contrôles et de passages aux frontières. Leurs architectures se rapprochaient ainsi plus de l’auberge que du vrai refuge alpin avec une structure en maçonnerie et en pierre, une surface importante avec étage et un assez bon confort afin d’accueillir les marchands et les voyageurs.

Les premiers « vrais » refuges de haute-montagne rapportés étaient, quant à eux, des abris à même la roche, les balmes, à peine aménagés avec un ou deux murs venant fermer le tout. Dans ces cas-là, ils adoptaient des matériaux trouvables sur place ou apportés à pied et à dos d’ânes en fonction de s’ils étaient construits en pierre ou en bois. Particulièrement frugaux dans leur constitution, les refuges n’étaient donc constitués que d’une seule pièce qui fut changée en pièce commune pour accueillir les premiers alpinistes au cours de leurs ascension. Les plus connus d’entre eux étaient alors les abris « Puiseux » et « Tuckett » respectivement décris en 1848 sur le sentier de l’ascension du Pelvoux pour l’un et en 1862 sur le sentier de l’ascension de la Barre des Ecrins, sommet gravis pour la première fois en 1864 par l’anglais Edouard Whymper. Ces « refuges-grottes », utilisés dans un premier temps en plus des simples cabanes d’alpages, ne perdurèrent cependant pas à cause des problèmes d’humidités et d’insalubrité occasionnés par les parois naturelles nonétanches. Ce fut la seule typologie de « cabane » dépourvue de toute parois naturelles qui sera donc retenue au fil du temps par le Club Alpin Français, association qui mènera la construction et l’évolution de la grande majorité des refuges en France, et ce, jusqu’à aujourd’hui.

II/ Le Club Alpin Français (CAF) : initiateur majeur du développement des refuges

Fondé en 1874 par « un groupe d’intellectuels aux préoccupations patriotiques, sportives et morales », le Club Alpin se distingue des autres associations sportives par son domaine d’application à savoir la Montagne en général et non un sport spécifiquement. L’objectif est ainsi « d’encourager et favoriser la connaissance de la montagne et sa fréquentation individuelle ou collective en toutes saisons » et notamment « la construction, l’amélioration et l’entretien de refuges, chalets, abris et sentiers » (Louis Chiorino, Histoire de refuges en Vallouise, 2002). Les refuges sont, effectivement, vus comme essentiels à la pratique de la Montagne et au développement du tourisme et de l’alpinisme. Le Club Alpin va alors mettre en place la Commission des travaux en montagne et des partenariats avec d’autres associations privées telle que la Société des Touristes du Dauphiné, fondée en 1875, pour initier et financer la construction des premiers refuges dans les Alpes. Des Sections locales (qui deviendront par la suite des Clubs Alpins locaux) sont créées dans le but de gérer ces nouveaux refuges de leurs travaux initiaux à leur fonctionnement quotidien. Les Sections s’engagent dès lors à construire les refuges le long des sentiers qu’elles tracent grâce aux dons puis aux aides de l’Etat français à partir de 1922. Ces sentiers, sensés guidés les promeneurs et assurer un certain cadre sécuritaire, commencent à être tracé à partir de 1876 par les Sections, d’où l’essor des premiers refuges à partir de l’année suivante. La Section de Briançon, en charge des refuges situés dans les Ecrins, sera par ailleurs l’une des plus actives.

Refuge Napoléon du Col de l’Izoard, 2388m Cartaples.fr, URL: http://www.cartalpes.fr/client/cache/produit/1000_______101-izoard-francou_2444.jpg
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L’abri sous roche Tuckett aujourd’hui Christian Baïsset, Parc national des Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ ecrins-parcnational.com/files/patrimoine/10551/body/000979.jpg

En effet, cette Section pousse très rapidement à la construction de premiers refuges alpins afin de remplacer les abris existant peu adaptés mais aussi pour densifier les Ecrins en refuges et rendre leur parcours plus simple. Après un premier bâti pensé en pierre (le refuge Cézanne envisagé dès 1876 au pied de la Barre des Ecrins, dans l’actuel pré de Madame Carles vers 1900 mètres d’altitudes), l’idée de refuges en bois préfabriqués selon une technique novatrice élaborée par l’ingénieur Ledeuil est adoptée par la Section. Inaugurée en 1878 avec le refuge de La Lauze puis en 1891 avec le refuge Lemercier, ces « cabanes » en bois « goudronné » afin de résister à l’humidité étaient construites en pièces détachées dans un atelier de Paris. Les panneaux préfabriqués étaient ensuite ramenés par voie ferrée grâce aux gares de Briançon et de l’Argentière-la-Bessée, avant d’être acheminés à dos d’ânes sur le site prévu. Plus légers (quatre tonnes seulement) et résistant à l’hiver, de nombreux refuges furent ainsi construits de cette manière à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle dans les Ecrins.

Construction du refuge modèle Lemercier, 1891-1894

Parc national des Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins-parcnational.com/files/ patrimoine/10551/body/000976.jpg

Intérieur d’un refuge en bois en 1906

Centre Fédéral de Documentation Lucien Devies, Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne (FFCAM), URL: https://centrefederaldedocumentation.ffcam.fr/csx/scripts/ resizer.php?filename=T004%2Fimg1%2Fb2%2F28%2F59t3nm2ciahz&mime=image%252Fjpeg&originalname=int%C3%A9rieur.jpg&geometry=1024x%3E&t=.jpg

Les refuges en bois construits de cette manière étaient en mélèze ou en pin, bois fortement présent dans les Ecrins. Spartiates et prônant la simplicité, ils étaient de forme rectangulaire et ne mesuraient que 7 mètres de long pour 5 mètres de large environ. Ces dimensions contenues et uniformes sur l’ensemble des refuges alpins ainsi fabriqués ne leur permettent alors d’être composé que d’une seule pièce rassemblant toutes les fonctions nécessaires aux visiteurs. On y retrouvait un équipement de cuisine, des couchages avec paillasses et couvertures et un poêle central alimenté au bois puis au pétrole. L’eau était captée sur place et définissait ainsi l’emplacement du bâti en plus des relevés pris à l’époques. On vérifiait notamment l’absence de couloirs d’avalanches ou de chutes de pierres et, bien évidemment, la présence d’un itinéraire tracé proche. Malgré tout, ces constructions en bois étaient aussi sujettes aux incendies et aux intempéries. De nombreux refuges en pierre, plus « classiques » furent donc construits à côté, ne donnant pas la prédominance du bois malgré sa facilité accrue de mise en place.

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Les avènements combinés des chemins de fer dans la région du Club Alpin Français vont, à cette époque, permettre de populariser le massif des Ecrins auprès des touristes. Les Compagnies de chemins de fer, présentent depuis 1884 à Briançon avec la création de sa gare, aident, en effet, financièrement et techniquement le Club Alpin. Au même moment, des services de diligences, des voies routières et des hôtels sont ouverts démocratisant les Alpes du Sud. En conséquence, un système de gardiennage des refuges est mis en place en été. En effet, avant cela, les refuges étaient soit libres d’accès soit en demandant leur clef auprès des autorités en charge du refuge souhaité. Malheureusement, l’augmentation des affluences et des pillages menèrent à cette décision. Cependant, cela permis aussi d’offrir un service de restauration et d’informations.

Au début du XXe siècle, le Club Alpin et le tourisme au sein des Ecrins poursuit son développement avec l’essor de nombreux projets d’aménagements et notamment la création de l’Office national du tourisme en 1910. Le Club Alpin se diversifie aussi en se consacrant au tourisme général de Montagne et donc, par extension, au ski qui se démocratise et se popularise en particulier au cours des années 1920s. « La pratique hivernale de la montagne bouleverse le refuge, imposant son adaptation à la neige : entrées surélevées et protégées, local pour les skis, isolation thermique, chauffage » (Jean-François Lyon-Caen, « Un laboratoire architectural », L’Alpe n°88, 2020). Le ski alpin devient petit à petit une attraction très importante qui attire les populations au cœur des Alpes faisant de la Montagne la première destination touristiques hivernale des Français. L’Etat se met ainsi à financer partiellement la construction des refuges en 1922, jusqu’alors possibles que grâce aux dons, ce qui aidera grandement à leur rénovation et leur développement. Les premiers refuges tendent, en effet, à se détériorer voir se détruire à cause du manque d’entretien et de main d’œuvre.

III/ Les refuges à l’heure des « trente glorieuses » dans le massif des Ecrins

La seconde mondiale avec l’occupation allemande, les combats et les directives du gouvernement Pétain ont mis à mal les refuges alpins qui ne purent être développés et entretenus correctement. Bon nombre de ces derniers ont donc été détruits ou pillés tandis que le Club Alpin Français a frôlé la dissolution. Par conséquent, il mettra en place, grâce à l’aide de Lucien Devies, président du Club, une stratégie et une politique au long terme s’étendant de 1947 à 1974 afin de reconstruire et de développer les refuges en France. L’Etat puis les collectivités locales se mettent à financer largement le Club Alpin et tout particulièrement sa politique de développement. Les refuges augmentèrent alors en popularité et les randonneurs et autres alpinistes se multiplièrent au sein du massif.

Grâce à cette nouvelle subvention, le Club Alpin a pu agrandir et reconstruire les vieux refuges, transformant les simples cabanes originelles en des édifices pouvant accueillir jusqu’à plus d’une centaine de couchages à l’instar du refuge du Glacier Blanc, pensé dès 1941 et inauguré en 1948, qui en comporte 131. Ce refuge est alors réalisé à 2542 mètres d’altitude en maçonnerie et en pierre, plus résistant au bois et permettant la création d’un bâti constitué de deux étages. Certains des anciens refuges sont ainsi réaménagés en refuges d’hiver, plus compactes et simples, ne nécessitant pas de gardien. Les nouveaux refuges, plus imposant, sont longs à construire et les chantiers sont « bridés » par le temps d’acheminement des matériaux qui se déroule toujours à pied voir par câbles comme pour le refuge de la Pilatte au Sud des Ecrins, ouvert en 1954 à une altitude de 2577 mètres.

Le refuge du Glacier Blanc avec le glacier Jonathan Dupieux, le 26/09/2019, URL: https://alpesphotographies.com/wp-content/gallery/blog-le-glacierblanc/cache/26092019-0P7A5272.jpg-nggid03660-ngg0dyn-1620x1080x100-00f0w010c010r110f110r010t010.jpg
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Le refuge de la Pilatte Refuge de la Pilatte, URL: http://refugedelapilatte.com/wp-content/uploads/2016/06/refuge_de_la_pilatte.jpg

L’utilisation de l’hélicoptère, employé pour la première fois en 1957 pour les constructions des refuges du Soreiller et du Châtelleret au cœur des Ecrins, afin de monter les différents matériaux sur le site d’implantation a permis de radicalement raccourcir les temps de construction des refuges de même que leurs fabrications à proprement parlé. En effet, les hélicoptères ne pouvaient soulever des masses trop importantes. Les matériaux et les éléments emmenés sur le site de cette manière devaient donc être pensés à l’avance pour que leur taille et leurs poids ne contraignent pas trop leur transport par les airs. La maçonnerie, technique très populaire dans les Ecrins à cette période car plus solide et désormais plus facilement transportable, se basait donc directement sur les pierres présentes sur le site. Cela assurait par la même occasion une insertion parfaite de ces refuges dans leur environnement puisqu’ils devenaient plus discrets au cœur du paysage rocheux du massif malgré leur taille croissante.

Photographie d’un hélicoptère à l’occasion de l’inauguration du refuge des Grands Mulets en août 1960 Flickr, URL: https://live.staticflickr.com/606/20760280995_bc4abb16e7_b.jpg

Le refuge des Grands-Mulets en 2015

FFCAM, URL: https://refugedesgrandsmulets.ffcam.fr/csx/scripts/resizer.php?filename=T004%2Fimg1%2Fd4%2F26%2F53nl82765l20&mime=image%252Fjpeg&originalname=Refuge_grands_mulets.JPG&geometry=870x%3E

Le refuge de Chabournéou avec vue sur les pics du Loup Grenoble montagne, URL: https://th.bing.com/th/id/R3cdfad6bec7e9be945cd6f0904c25fb8?rik=1NOk1BGzDr9SgQ&riu=http%3a%2f%2fwww.grenoble-montagne.com%2fuploads%2fBallade%2fb2%2f592_492_chabour.jpg&ehk=TIXA8l4xgalSt2NGtsK952AIgw5HWDLDUfLm6Pc%2b1iM%3d&risl=&pid=ImgRaw

Les architectures filigranes avec ossatures métalliques (acier ou aluminium) ou en bois furent plus tardivement expérimentées dans les Ecrins malgré un développement important à la fin des années 1950s et au début des années 1960s au Nord des Alpes. Ces structures en préfabriqué sont conçues dans les vallées pour être ensuite montées et assemblées sur place rapidement à l’instar du refuge des Grands-Mulets en 1960 contenant 68 couchages, sur l’itinéraire historique du Mont-Blanc à 3051 mètres d’altitude. L’architecte François Lederlin, installé à Grenoble, a alors développé « une charpente métallique boulonnée sur chantier » avant d’être « recouverte à l’extérieur de plaques de duralinox et à l’intérieur de panneaux en bois contreplaqués avec, dans l’ossature, des panneaux de laine de verre et de mousse de polystyrène ». Lederlin construisit, ensuite, dans les Ecrins des refuges reprenant le principe employé lors de la réalisation des Grands-Mulets avec, cette fois-ci, une structure en bois à plus petite échelle (refuges de Font-Turbat en 1961 avec 24 places, Chabournéou en 1968 avec 44 places,…) mieux adaptée aux contextes environnementaux et touristiques du massif, moins connu et fréquenté que celui du Mont-Blanc.

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Ainsi, au cours de l’après-guerre, les randonnées sont mises en avant et amènent à l’accélération du développement du tourisme estival des Ecrins et des refuges afin d’accueillir les nouveaux visiteurs. Au début des années 1970s, avec notamment la création du Parc national des Ecrins en 1973, un nouveau type de refuge basé sur des chalets de « weekend » ou des ermitages isolés existants qui sont alors reconvertis est créé avec, par exemple, le refuge de Chalance à 2550 mètres d’altitude. Le nombre de places dans les refuges quadruplera en France en trente ans entre ces initiatives et l’arrivée de l’hélicoptère. De plus en plus de visiteurs veulent tenter de rallier ces constructions autrefois uniquement atteignables par les seuls alpinistes. Les refuges deviennent donc des acteurs majeurs du tourisme de Montagne et Le Club Alpin sera, par conséquent, « l’artisan principal du développement économique des hautes vallées des montagnes de France » (Centre Fédéral de Documentation Lucien Devies de la FFCAM, « L’Aménagement de la montagne et les Refuges »).

Le refuge de Chalance

Parc national des Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins-parcnational.com/ files/styles/max_lightbox_size/public/sitra-hebergement-collectif/15967/1523248-diaporama_0.jpg?itok=N

IV/ La prise de conscience environnementale, vers de nouveaux enjeux et débats

Ce n’est que dans les années 1970s, sous l’impulsion du nouveau Parc national des Ecrins et la première crise pétrolière de 1974, qu’une prise de conscience collective quant à l’impact de tels développement et fréquentation touristique a lieu dans le massif des Ecrins. En France, les refuges sont alors des lieux où les déchets et les eaux usées sont mal ou pas traités du tout amenant petit à petit à un entassement de ces derniers. Dès 1978, des mesures sont donc prises par le Club Alpin afin d’obtenir des « améliorations nécessaires dans le traitement des détritus et des eaux usées, et la recherche du meilleur procédé d’assainissement en altitude ». L’objectif est ainsi d’assainir les refuges de montagne et leur environnement notamment par le tri, le compostage et la descente régulière des déchets vers les vallées. De nouvelles normes sur la construction des refuges, leurs fonctionnements et leur site d’implantation sont adoptées tandis qu’une campagne de sensibilisation du publique est mise en place afin de favoriser des comportements plus respectueux de l’environnement. On favorise alors les réhabilitations, les extensions et les reconstructions à la création de nouveaux refuges.

De plus, une politique uniforme sur le territoire français est instaurée par le Club Alpin en 1986 en accord avec ses partenaires dont, notamment, les Parcs nationaux et régionaux. L’objectif est, de cette manière, de redéfinir le rôle du Club :

- « En haute montagne, maintenir les équipements présents, en les adaptant aux normes de sécurité et en fonction de la finalité du bâtiment, sur son lieu d’implantation. Tout nouveau projet sur site vierge sera examiné en fonction de la nécessité de maintenir des territoires à l’état de nature et de la capacité écologique d’accueil.

- En moyenne montagne, outre le maintien et l’adaptation des bâtiments existants, favoriser le développement des gîtes d’étape en liaison avec les collectivités locales ainsi que la création de points d’accueil utilisant les constructions pastorales ou les habitations de hameau.

- En haute vallée, équipement prioritaire des centres d’enseignement alpin afin d’y promouvoir toutes les formes de pratiques de la montagne. »

(Centre Fédéral de Documentation Lucien Devies de la FFCAM, « L’Aménagement de la montagne et les Refuges »)

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Ce rôle bien définit permet au Club de se diriger vers de nouvelles actions en accord avec la prise de conscience environnementale et les besoins touristiques, à savoir :

- La mise en place des réservations pour les refuges afin d’éviter une « surcharge » de ces derniers

- L’amélioration et la modernisation des conforts afin de suivre les demandes et besoins plus importants des nouveaux randonneurs et autres visiteurs

- La mise en place d’une grille tarifaire à la carte en fonction de chaque refuge

Photographie d’un Porteur de montagne, 1958 notreHistoire.ch, URL: https://notrehistoire.imgix.net/photos/m/i/miGSAZCaNSYBgjRoCbrEMNNF85fG9D8CjlwM7MSf.jpeg?dpr=2&fm=jpg&sharp=6&w=770&s=0db8f53fd8bf5e70ccc3f576fa61b78c

Ravitaillement d’un refuge aujourd’hui

Agrepy, URL:https://th.bing.com/th/id/R8c9966096147d24f86ccfdf777a15858?rik=3qm00a4SPW64%2fA&riu=http%3a%2f%2fwww.agrepy.org%2fimages%2fagrepy%2fdiapo_pleinecran%2fhelico.jpg&ehk=kKi%2f%2fbbNwCsNTh2Vpoc1GLDqeZv7dADZCqqkUTZ%2bosM%3d&risl=&pid=ImgRaw

Cette popularisation du tourisme de Montagne et des refuges mène à la multiplication des acteurs et des débats autour de la gestion du parc bâtis du Club et de ses actions, à l’instar du développement des transports véhiculés afin d’accéder aux refuges, tant pour les construire que pour les ravitailler, qui divise particulièrement car à l’encontre de la politique de préservation mise en place par le Club. Les gardiens sont aussi petit à petit mis en avant par le Club et un syndicat, le Syndicat des Gardiens de Refuges et de Gîtes d’Etapes (SNGRGE) leur est dédié depuis 1982. Ce dernier leurs permet de communiquer sur leurs avis et expériences menant ensuite à des débats relatifs à leur statut ce qui aboutira à une charte de gardiennage.

Rassemblement des gardiens de refuge des Hautes-Alpes au Pré de Mme Carle en 2019

P.Domeye, Parc national des Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins-parcnational.com/files/styles/bandeau/public/article/17810/body/7b3a0833.jpg?itok=JDkaG_Ga

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A côté de ça, les refuges deviennent des « laboratoires » aux volumétries et technologies de récupération d’énergies toujours plus novatrices tandis qu’ils acquièrent le statut « d’établissement recevant du public » au cours des années 1990s avec les normes et les règles de sécurité qui en incombent. Le Club Alpin définit, par exemple, une nécessite d’avoir entre 10 et 12m² disponibles pour chaque personne présente dans le refuge en 1970, soit une surface relativement importante par rapport à celle allouée par les refuges originels. Cela a pour conséquence de pousser les architectes vers des structures bien plus grandes et complexes en bois ou en métal, la plupart du temps, faisant des refuges de véritables pôles d’activités publics. On y retrouve, en effet, des activités de plus en plus diverses comme des stages, des spectacles, des expositions, … Les bâtis se doivent de devenir autonomes en énergies de manière à réduire leur impact sur le territoire tout en améliorant leur confort. Ils adoptèrent ainsi la technologie photovoltaïque, mise en place pour la première fois en 1979 en Savoie sur le refuge des Evettes situé à 2590 mètres d’altitude. Cela a permis de combler les besoins électriques, de pouvoir profiter de l’eau chaude et de faire fondre la neige présente aux abords des refuges aux altitudes les plus élevées afin de remplir les réserves d’eau. Avec les changements de besoins des visiteurs, tels que l’amélioration des sanitaires ou des équipements divers, les refuges se rapprochent alors de plus en plus de l’image de plus en plus décrié au cours des années 1990s de « l’hôtel d’altitude ».

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Le refuge des Evettes en août 2014 Thomas.C, Camptocamp, URL: https://media.camptocamp.org/c2corg_active/1411122679_1355224BI.jpg

Les acteurs des refuges d’aujourd’hui et leur influence

I/ Le rôle du Parc national des Ecrins, un nouvel acteur majeur

Le Parc national des Ecrins, créé le 27 mars 1973, est le cinquième des neufs parcs nationaux en France. Il a été créé en lieu et place du Parc de la Bérarde, fondé en 1913 autour de la haute vallée du Vénéon, à la place de pâturages. Ces derniers furent rachetés par l’Etat afin de faire face aux conséquences du surpâturage en Montagne, prouvant d’ores et déjà la présence du souci de la préservation de la Nature au début du XXe siècle. « Une fois le parc créé, le territoire protégé s’élargit progressivement : du Vénéon à la Vallouise puis au Valgaudemar. Le « parc de la Bérarde » devient alors « Parc national du Pelvoux » en 1924. » (Valeria Siniscalchi, « Économie et pouvoir au sein du parc national des Écrins », Techniques & Culture n°50, 2008). A l’époque, l’idée était déjà de résoudre « le problème de la dégradation des terrains de montagne » mais aussi d’assurer « le développement de l’alpinisme » (Valeria Siniscalchi, « Économie et pouvoir au sein du parc national des Écrins », Techniques & Culture n°50, 2008). Cette première forme de parc national dans le massif des Ecrins fut défendue et mise en place notamment grâce au haut fonctionnaire des Eaux et Forêts Alphonse Mathey. Il défendait alors l’idée d’une Nature usée par la présence de l’Homme qui doit être protégée notamment grâce à une politique non-interventionniste. Il entra donc en conflit avec la plupart de ses collègues forestiers et l’institution mais parvint néanmoins à fonder le Parc grâce à l’apport économique provoqué par la vente des terres le constituant à l’Etat dans un premier temps.

Le Parc national du Pelvoux perd cependant sa qualification de « parc national » en 1962, soit deux ans après le décret de protection des parcs nationaux marquant leur création tels qu’on les connaît aujourd’hui. Après cette dissolution, l’idée de la fondation d’un nouveau parc national demeure et divise les élus tant dans les Hautes-Alpes qu’en Isère, départements où se trouve le parc national des Ecrins aujourd’hui. Le parc est, en effet, vu comme un frein au développement économique de la région avec une expropriation des terres par l’Etat alors que ces dernières prennent de la valeur grâce à l’avènement des sports de nature et notamment du ski au cours des années 1960s. Il fallut onze ans de négociations avant de parvenir au projet final : le Parc national des Ecrins. C’est un parc plus étendu que les précédents et composé de deux zones : l’une centrale de 92 000 hectares, constituée des principaux sommets et d’une partie des territoires des 23 communes où le décret de protection des parcs nationaux de 1960 s’applique et une autre zone périphérique de 180 000 hectares, constituée du reste du territoires de ces communes en plus de plusieurs autres limitrophes. L’objectif de ce zonage particulier est d’allier développement économique et préservation du patrimoine naturel.

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Logo du Parc national des Ecrins Villard-Reymond, URL: http://www.ecrins-parcnational.fr/

Le Parc national des Ecrins était considéré, dans sa zone centrale, comme un sanctuaire intouchable à ses débuts, au cours des années 1970s. Les relations avec les acteurs économiques locaux étaient ainsi particulièrement hétérogènes et en opposition puisque le développement des stations de skis et par extensions des communes dans les zones périphériques était très important (Briançonnais, Champsaur, Embrunais…). Une division des positions entre le Parc et ses environs tend, cependant, à s’atténuer puisqu’elles sont multiples et sa politique, ses actions et ses intérêts tout comme ceux des élus évoluent avec le temps et viennent à s’accorder de manière à former un développement suivant au maximum les objectifs de tous.

Cartographie du Parc national des Ecrins en 2016

Agenda PNF, Parc national des Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins-parcnational.com/files/styles/large/public/page/920/body/carte2016pne-agenda-pnf.jpg?itok=8coQ8Pu8

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Cette évolution des directives du Parc s’est notamment matérialisée à travers son rapport au patrimoine. En effet, le Parc national des Ecrins a tout d’abords été créé dans une optique naturaliste afin de protéger l’environnement et les territoires naturels au sein du massif des Ecrins. La notion de patrimoine n’était pas encore de mise au début et ne fut employée pour la première fois qu’au milieu des années 1990s. Ainsi, durant l’été 1996, une « Charte d’environnement et de développement durable » est adoptée par les représentants du Parc national des Ecrins mais aussi par les élus des communes du Parc. Le but est, à travers ce document, de mettre en avant désormais son patrimoine et de possiblement l’utiliser à des fins touristiques. Le Parc devient le gestionnaire et l’unificateur du territoire des Ecrins. Des partenariats avec les communes comprises en son sein sont formulés aux cours des années 1990s et 2000s, pour la plupart de manière à « valoriser le patrimoine culturel […] et transmettre l’identité du territoire et les savoir-faire locaux ». « L’héritage patrimonial, naturel et culturel » est présenté comme « dense et diversifié » et « la conservation des richesses naturelles et culturelles des sites comme indispensable au maintien de la valeur de ce territoire » (Contrat de partenariat, Charte d’environnement et de développement durable, Secteur du Briançonnais, 1999). Cette notion de « patrimoine » avancée et défendue par le Parc national des Ecrins se voit donc étendue aux éléments tenant des mémoires culturelles de la région.

Le Parc entretient et retrace aussi la majorité des 650 kilomètres de sentiers (dont 500 dans la zone centrale) qui mènent aux points de vue et sites attractifs du massif dont, bien évidemment, les refuges. Il s’initie et s’engage dans bon nombres d’actions et de constructions publiques liées au massif en les promouvant et les subventionnant parfois tout en défendant une réversibilité totale des travaux qui y sont menés à l’instar donc de ses sentiers. Le Parc aide aussi les visiteurs tout comme les spécialistes à s’informer sur ses actions et le patrimoine qu’il préserve grâce à ses différents postes et « maisons » dédiées comme celle de Vallouise inaugurée en 1977 par le président Valérie-Giscard d’Estaing lui-même.

Ainsi, puisque les pratiques humaines tenant de la culture et du savoir-faire régional et les richesses naturelles du territoire sont liées comme patrimoine culturel, les refuges alpins, structures essentielles et majeures du tourisme estival et des sommets, sont mis en avant, protégés et exploités par le Parc national des Ecrins. Il se charge, en effet, de ce patrimoine à travers des expositions, des campagnes d’information… en partenariat avec les Clubs Alpins de Briançon et de Grenoble, gestionnaires des 28 refuges du Parc et annexes locales de la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne (la FFCAM remplaça le « Club Alpin Français » fondé en 1874 en 2005).

La dimension patrimoniale du Parc permet d’introduire une dimension économique au territoire de ce dernier tout en favorisant les partenariats qui sont cruciaux quant à l’acceptation de ses contraintes par les habitants locaux. Cela est par ailleurs affirmé par les membres et employés du Parc : « Nous nous sommes efforcés d’intégrer la dimension du patrimoine culturel parce qu’elle permet le partenariat, et le partenariat est un moyen pour maintenir le patrimoine naturel et culturel […] (mais) beaucoup de gens disent que ce n’est pas à nous de travailler sur le patrimoine culturel » (L.L., chargé de mission, Valeria Siniscalchi, « Économie et pouvoir au sein du parc national des Écrins », Techniques & Culture n°50, 2008). Le patrimoine, et notamment les refuges donc, est devenu un outil de négociation pour la gestion et la définition des ressources du Parc tandis que ce dernier et ses agents s’engagent à participer au façonnement du territoire en définissant ce qui est de l’ordre du patrimoine ou non et en le promouvant au plus grand nombre.

Maison du Parc national des Ecrins de Vallouise

P.Saulay, Hautes-Alpes, URL: https://th.bing.com/th/id/R4950b5552d05e0ee41264f1d3caecc99?rik=YzRTv%2bQhH97yBA&riu=http%3a%2f%2fstatic.apidae-tourisme.com%2ffilestore%2fobjets-touristiques%2fimages%2f238%2f209%2f8245742-diaporama.jpg&ehk=lSEgt5q6MEEdIeTtk%2fS63f8E1679zVSLQzO85VF7iiA%3d&risl=&pid=ImgRaw

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II/ Un équilibre fragile entre attractivité touristique et respect des Ecrins

Le Parc national des Ecrins se présente à la fois comme une structure d’accueil et un espace protégé. De ce fait, les enquêtes de fréquentations sont particulièrement importantes pour ce dernier qui se doit de prendre des mesures adéquates aux besoins des visiteurs afin de continuer à pouvoir allier tourisme et protection d’un environnement naturel riche et fragile. Un système de recensement et d’observation des touristes est alors mis en place dès 1991, et ce tous les 5 ans, afin de retracer les habitudes du public, leurs attentes et leurs comportements. Tout cela offre au parc un retour sur ses actions, ses infrastructures et ses propositions (sentiers, lieux d’accueils, campagnes de sensibilisations…) nécessaires à son évolution. En effet, Michel Sommier, ancien président du Parc national des Ecrins, affirmait : « Les enquêtes de fréquentation donnent des éléments d’appréciation pour mieux caler nos choix et nos orientations en matière d’accueil dans le massif. Les résultats d’une telle enquête seront aussi particulièrement utiles dans les réflexions engagées avec les élus et au sein du conseil d’administration dans la perspective de la future Charte du Parc national des Écrins ».

Ces enquêtent mettent en avant l’un des objectifs principaux du Parc national des Ecrins qui est de le faire connaître, lui et ses actions, ses règles, par sa promotion et en permettant l’accueil de plus en plus de visiteurs en son sein. En effet, le développement économique et l’attractivité de la région où le tourisme y est prépondérant sont essentiels afin de faire accepter le Parc auprès des locaux et d’obtenir des fonds afin de mener à bien ses programmes de préservations et ses subventions utiles aux recherches, études diverses du territoire... De plus, de cette manière, le Parc fait valoir son autre objectif majeur à savoir la préservation des patrimoines culturels et naturels des Ecrins, objectif réalisable seulement grâce à la prise de conscience des visiteurs et locaux et sa mise en valeur par les diverses actions mises en place par ce dernier. Cependant, ces deux objectifs se contredisent et contrastes grandement l’un par rapport à l’autre ce qui amène à ce besoin de gestion et de suivis importants des visiteurs.

Ainsi, grâce à ce travail d’enquête, le Parc a pu constater une baisse significative des fréquentations des années 1990s et au cours des années 2000s. En effet, lors de la campagne d’enquête de 2006, il a été remarqué que les visiteurs du Parc national des Ecrins étaient, pour 80%, des habitués. Ceci s’expliquait en partie par la proportion importante de ces derniers à résider dans des logements secondaires ou appartenant à des proches (30% des logements). Par conséquent, les touristes venant au parc étaient de plus en plus vieux avec une augmentation importante de la part des retraités passant de 8% en 1996 à 25% dix ans plus tard. Ces habitués avaient une connaissance des réglementations et des consignes de sécurité importante et étaient ainsi relativement respectueux du territoire des Ecrins. Cependant, la clientèle du parc avait du mal à se renouveler avec une fréquentation stable des visiteurs depuis la première enquête en 1991, soit environ 360 000 randonneurs dénombrés dans les Ecrins entre le 15 juin et le 15 septembre 2006 mais seulement 10% étaient des étrangers et 60% des Français venant des régions alentours à savoir PACA et Rhône-Alpes. L’alpinisme était effectivement, durant cette période, une activité bien moins populaire qu’au cours des « trente glorieuses » et avait donc du mal à se développer. Le nombre de nuitées en refuges a ainsi régressé de 15% par rapport à 2001 tandis que les sommets ou les cols n’étaient l’objectif que de 16% des randonneurs. Les refuges facilement accessibles se voyaient donc de plus en plus fréquentés tandis que ceux des cimes restaient réservés au plus aguerris et mieux équipés ce qui marquait une forme de déséquilibre entre chaque refuge.

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Sentier menant au Glacier Blanc randosalain26, overblog, URL: http://randosalain26.over-blog. com/2017/07/du-pre-de-madame-carle-au-refuge-du-glacier-blanc.html

Embouteillages au Pré de Mme Carle en avril 2019 Jean

La présence de véhicules dans de larges parkings en Haute-montagne, en plein cœur du Parc, est assez controversée et polémique en dénaturant le lieu et impactant la faune et la flore. Cela favorise également les trajets rapides sans arrêts particuliers en chemin avec des villages qui ne sont que « traversés » par les touristes. Il est donc important pour ces derniers d’offrir des logements de vacances en quantité de manière à inciter les visiteurs à demeurer dans la vallée de faire vivre l’économie locale, à l’instar du camping et des gîtes présents à Ailefroide pourtant pratiquement désert en hiver avec à peine une trentaine d’habitants à l’année. De plus, les visiteurs font remonter bon nombre de remarques et d’envies paradoxales au sujet du Parc et de ce qu’ils aimeraient y retrouver (touristes aimant la calme et la tranquillité des lieux mais demandant plus de dynamisme, de commerces dans le Parc…). Le plus souvent, les visiteurs apprécient effectivement le côté « sauvage » et isolé qu’offre le Parc mais souhaitent des infrastructures qui leurs sont dédiées de plus en plus nombreuses et importantes.

De plus, ce déséquilibre est aussi particulièrement présent en fonction de la popularité des sites. En effet, les plus connus du parc sont ceux qui reçoivent le plus de visiteurs au cours des été ce qui marque, également, une inégalité importante de fréquentation en fonction des différents sites et de leur renommé. La Vallouise et notamment le sentier menant au Glacier Blanc avec pour départ le Pré de Madame Carle à Ailefroide est par conséquent le lieu le plus couru des Ecrins par sa renommée internationale. La proportion de visiteurs y est ainsi particulièrement impressionnante puisque 82 000 randonneurs s’y sont rendu au cours de l’été 2006 soit, à lui seul, « 23% des flux pédestres des Ecrins ». Cette affluence n’est cependant pas forcément bénéfique aux communes environnantes car le site reste isolé, en fond de vallée, et la voiture reste donc le moyen de transport privilégié pour s’y rendre.

Vue du Glacier depuis le parking du Pré de Mme Carle en avril 2019

Oduch, URL: https://th.bing.com/th/id/Rf67b96947ac5d8b7548a413ce8c8d5a7?rik=Dqm0ZTaqL03gsw&riu=http%3a%2f%2fwww.oduch.fr%2fdata%2fpaysages%2f299N_2197_1000.JPG&ehk=Mr7OD37vmtOCI4HBLadxTQ1dKSueiOP2HwpOP69GoOY%3d&risl=&pid=ImgRaw

Ainsi, la communication du Parc fut primordiale ces dernières années afin d’apporter une clientèle neuve et faire découvrir la région au plus grand nombre. A côté de cela, le Parc et les acteurs liés aux activités estivales, dont la FFCAM, ont réagi aux retours des touristes afin d’en offrir une réponse adéquate. Cela s’est notamment matérialisé au sein des refuges qui sont au cœur de ces questions par leur statut de structure d’accueil du public et par la volonté et la tendance croissante de les transformer en bâtis plus spacieux et confortables en dépit de l’environnement fragile qui les entoure.

https://www.dici.fr/sites/dici.fr/files/styles/opengraph/public/2020/04/09/1 384603-5674253920264582643225408416266172047032320n.jpg?itok=pN9eF4tE
Eymar, D’ici, URL:
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III/ Les refuges contemporains, leurs gardiens et leurs visiteurs, à l’origine de nombreux changements et débats

Au fil du temps, le refuge est devenu un objectif en soit à atteindre, plus encore que les sommets comme le révèle les différentes enquêtes de fréquentation du Parc. Il tient donc à convenir au maximum de personnes qui recherchent un endroit où elles peuvent se reposer, souffler et pourquoi pas se restaurer après une randonnée assez difficile pour certaines moins habituées. En effet, avec la démocratisation des activités estivales de Montagne, la population accédant aux refuges a grandement changé passant d’alpinistes confirmés principalement à des randonneurs de tous âges et niveaux sportifs. Ainsi, même si les refuges ont vu leur nombre de nuitées grandement chuté aux cours des années 1990s et 2000s, ils restent au cœur du tourisme estival dans les Ecrins, par leur symbolique et le territoire qui les entoure, étant un site naturel vierge de toute construction et reconnu pour sa grandeur et sa beauté. Les refuges sont donc devenus de plus en plus nombreux (28 refuges dans le massif des Ecrins, tous gérés par la FFCAM), grands et sophistiqués de manière à devenir plus confortables et adaptées à un large panel de randonneurs et d’alpinistes. Ils ont évolué afin de suivre les besoins et attentes changeantes de ces derniers sous l’impulsion de ses acteurs et gestionnaires, à savoir le Parc national des Ecrins, la FFCAM mais aussi les gardiens qui représentent sur place ces grandes institutions.

En effet, les gardiens sont devenus de véritables professionnels spécialisés dans leur activité si particulière leur amenant à être multi compétents. Ils servent de guides et de conseillés aux randonneurs en recherches d’informations sur les sentiers, le temps… et doivent observer les équipements, le niveau de connaissance des randonneurs… puisque les novices sont de plus en plus nombreux à rejoindre ces refuges. Les gardiens ont un certain niveau de responsabilité envers les randonneurs et peuvent être obligé d’aller les aider ou les secourir, tout comme ils sont responsables de l’entretient quotidien et de la préservation de la propreté du refuge et de ses environs. Ils sont aussi les garants de « l’esprit » des refuges, du bien-être des randonneurs et d’un accueil de qualité. Ces derniers cherchent à vivre une expérience atypique et à être plongés dans le « monde » de la Montagne et de l’alpinisme tout en profitant de la nature environnante. Les refuges et leurs gardiens doivent donc offrir une « ambiance » particulière basée sur la convivialité et la vie en communauté même si en arrivant les clients peuvent être fatigués et donc pas forcément enclins à être avec tant de monde.

Randonneurs se reposant au refuge des Bans

Etienne et Laetitia, Trips et

Les gardiens sont donc les premiers témoins du changement des attentes et des besoins des randonneurs et leurs retours sont cruciaux quant à l’adaptation et l’évolution des refuges. Ainsi, les douches et soins sanitaires sont de plus en plus demandés alors que les espaces dédiés sont rares voir bien souvent inexistants. Par exemple, au refuge des Bans, situé à 2083 mètres d’altitude, l’eau provient du torrent et la douche se trouve en extérieur et se résume qu’à un simple pommeau derrière des rochers. De plus, les besoins électriques sont croissant avec la multiplication des appareils en nécessitant et donc l’augmentation de la consommation des utilisateurs. On retrouve aussi une demande fréquente de connexion à internet, même dans des lieux aussi isolés, de chauffage et d’espace plus généralement. Les gardiens aussi tendent à vouloir des modifications quant à leur conditions de travail. Ils font, en effet, face à de nombreuses difficultés tant techniques que physiques. Le gardien doit être constamment disponible et manque cruellement d’espace privé et de temps à lui au quotidien. Son travail est continu et il ne peut bénéficier de véritable pause. La fatigue est donc très présente et le rythme la vie des gardiens est intense. Ils n’ont donc guère la possibilité de se reposer malgré le cadre naturel incroyable et pourtant calme des refuges.

Treks, URL: https://i2.wp.com/tripettrek.fr/wpcontent/uploads/2018/07/2018-07-26-Randonn%C3%A9e-vers-refuge-des-Bans-8.jpg?resize=768%2C1024&ssl=1
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Suite aux retours des gardiens sur leurs besoins et ceux des visiteurs, les refuges des Ecrins ont donc commencé à voir leur confort s’améliorer et les fréquentations sur les sentiers du massif ont peu à peu augmentées ces dernières années. Cependant, les locaux et les défenseurs du patrimoine ne voient pas forcément d’un bon œil ce type de modifications dans les refuges du massif. En effet, bon nombre d’acteurs tels que des associations, des élus voir des gardiens et des membres du Parc eux-mêmes sont contre l’idée de créer des refuges de plus en plus sophistiqués. La perte d’un certain patrimoine à travers la vie dans les refuges et de leur côté « austère » aux profits de bâtis plus proches d’auberges d’altitude que de la « cabane » originelle est crainte et pousse à la multiplication des débats à l’instar de ceux ayant nourris et retardés la construction du nouveau refuge de l’Aigle entre 2004 et 2014. On constate, par ailleurs, aujourd’hui « qu’il est de plus en plus question de remettre en cause des pratiques aboutissant à drainer toujours plus de monde là où les êtres humains sont et ont toujours été de trop » (Claude Mauguier, modérateur du forum du site refuges.info.fr).

Dortoirs des clients (à gauche) et dortoirs des guides (à droite) séparés dans le refuge de Temple Ecrins

Oisans, URL: https://www.oisans.com/wp-content/uploads/wpetourisme/4445820-diaporama-680x453.jpg - https://www.oisans.com/wp-content/uploads/wpetourisme/4445571-diaporama-680x453.jpg

Le refuge de Temple Ecrins avant et après ses travaux de 2017 Parc national des Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins-parcnational.com/files/article/15208/body/006070-temple-ecrins-2002.jpg et Oisans, URL: https://www.oisans.com/wp-content/uploads/wpetourisme/4754195-diaporama.png

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IV/ L’impact de la crise sanitaire

A l’heure de la pandémie de Covid-19, les déplacements des touristes se sont vus drastiquement diminués notamment à cause de l’impossibilité de partir à l’étranger durant l’été 2020 sans avoir à être confronté à bon nombre de restrictions et d’interdiction à l’instar de la mise en quatorzaine. Par conséquent, les Français ont privilégié les départs en vacances au sein même de la France et le Parc national des Ecrins a vu son taux de fréquentation grimpé en flèche. On a ainsi pu recenser 30% de randonneurs en plus sur les sentiers et « +14 % de réservations dans les hébergements en juillet et en août. » Cette fréquentation en hausse implique la découverte du Parc par de nombreux nouveaux visiteurs qui n’y s’y seraient peut-être jamais rendu sans cette crise mondiale et la région a donc pu tirer son épingle du jeu. Bénéfique à l’économie et au développement locaux, cela a aussi marqué une augmentation des infractions aux règles du parc et de sécurités sur les sentiers. Les refuges ont, aussi, par la même occasion, eut du mal à gérer la hausse de randonneurs en leurs sein tout en respectant les consignes de distanciations sociales.

Le Parc a alors pris la décision de formuler quatre objectifs à atteindre lors de l’été 2021 et les suivants afin de mieux appréhender l’afflux de visiteurs, à savoir :

• Surveiller les sites en fonction de la fréquentation

• Sensibiliser les nouveaux publics aux règles de la montagne et à celle du Parc national des Ecrins

• Mieux gérer l’affluence des visiteurs

• Aider les différents acteurs de la randonnée comme les Offices de Tourisme à communiquer sur les bonnes pratiques et les règles au sein du Parc national

Par conséquent, le contexte actuel de crise sanitaire a eu un impact immédiat pour le parc et, comme les touristes ont été de plus en plus nombreux sur les chemins des Ecrins, la préservation des patrimoines est d’autant plus d’actualité. L’industrialisation touristique n’est pas non plus voulue par le Parc, les locaux et même ses passionnés et il est particulièrement important pour les refuges de ne pas céder à la pression de l’influence pour ne pas se diriger vers la réalisation de véritables « hôtels ». Le Parc se doit donc de continuer de gérer cet équilibre précaire entre demandes touristiques et le contexte territorial qu’offre les Ecrins.

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Vue du Pelvoux (3946m) et de l’abris Tuckett depuis le sentier menant au Glacier Blanc Jerome Bon, cityzeum, URL: https://www.cityzeum.com/images/xp/XP_8660.jpg

Les refuges de demain : au cœur des enjeux patrimoniaux et touristiques

I/ Les refuges modernes : des expériences en temps réel

Le site qui entoure un refuge, tel que le massif des Ecrins, est reconnu pour sa grandeur et sa beauté attirant la venue de randonneurs et donc poussant à la réalisation de ce type de bâti. Ainsi, les visiteurs souhaitent rejoindre les refuges afin de profiter un maximum de cet écosystème d’altitude, avoir des points de vue uniques sur un paysage reconnu internationalement et se rapprocher de l’idée d’une Nature « sauvage » tout en s’éloignant de la civilisation. Le refuge est donc devenu une structure d’accueil pour des visiteurs qui souhaitant voir la Montagne environnante. Par conséquent, il se doit de la mettre en valeur quitte à s’effacer ou tout du moins à centrer son architecture sur « le grand paysage ». On retrouve, dans cet optique, depuis quelques années l’émergence de constructions modernes aux formes et aux matériaux destinés « à révéler le site, ouvrant de nombreuses réponses symboliques, faisant de l’édifice un signal, favorisant son intégration dans le paysage ou cultivant le contraste » (Jean-François Lyon-Caen, « Un laboratoire architectural », L’Alpe n°88, 2020).

Cette vision du refuge fait la part belle au lowtech avec des revêtements métalliques, une structure en bois légère, facile à transporter et à monter et des formes géométriques complexes accentuant le côté « improbable » de la présence de telles construction dans un milieu particulièrement hostile. Ces géométries sont étudiées et dessinées de manière à valoriser le contexte naturel des refuges mais aussi à permettre un meilleur écoulement de l’air et favoriser l’évacuation de la neige qui sont des contraintes techniques importantes lorsque l’on se retrouve en altitude, perché sur un promontoire rocheux. De plus, leurs façades réfléchissent le contexte naturel environnant, de manière à « s’effacer » au milieu de celui-ci tout en jouant sur avec la lumière du soleil et ses reflets sur les neiges éternelles ou les glaciers. Ce type de refuges novateurs est surtout présent dans les Alpes suisses et du Nord avec notamment la nouvelle cabane Bertol située à 3311 mètres d’altitude, construite en 1976 dans le Valais par l’architecte Jakob Eschenmoser précurseur du genre, ou encore, toujours dans le Valais, le nouveau refuge du Mont Rose à 2883 mètres, ouverte en 2009 et sensé accueillir 120 personnes tant en été qu’en hiver. Ce dernier, réalisé par le Dr Meinrad K.Eberle avec des étudiants de l’Ecole Polytechnique Fédérale (EPF), emploie une façade en aluminium avec de nombreux vitrages et panneaux solaires. Sa forme en polyèdre irrégulier met alors en valeur le glacier du Gorner se trouvant à ses abords. De plus, il « s’avère quasi autosuffisant sur le plan énergétique, les eaux usées sont recyclées » et « sert également à l’EPF d’objet de recherche dans les secteurs de l’énergie et de la technique du bâtiment » (Zermatt Matterhorn Tourisme, « Cabane du Mont Rose CAS »).

La mini maison, URL: https://la-mini-maison.com/wp-content/uploads/2017/07/la-mini-maisonla-cabane-mont-rose-refuge-durable-alpes-10-768x659.jpg - https://la-mini-maison.com/wp-content/ uploads/2017/07/la-mini-maison-la-cabane-mont-rose-refuge-durable-alpes-7.jpg

Vues extérieures du refuge du Mont Rose
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Plan d’étage et vue intérieure du refuge de Mont Rose

La mini maison, URL: https://la-mini-maison.com/wp-content/uploads/2017/07/la-mini-maison-la-cabanemont-rose-refuge-durable-alpes-4.jpg - https://la-mini-maison.com/wp-content/uploads/2017/07/la-mini-maisonla-cabane-mont-rose-refuge-durable-alpes-11.jpg

Coupes schématiques représentant les systèmes de récupération d’électricité et d’eau

La mini maison, URL: https://la-mini-maison.com/wp-content/uploads/2017/07/la-mini-maison-lacabane-mont-rose-refuge-durable-alpes-13.jpg - https://la-mini-maison.com/wp-content/uploads/2017/07/ la-mini-maison-la-cabane-mont-rose-refuge-durable-alpes-1.jpg

Cependant, cette nouvelle approche du refuge divise et, bien que le confort atteint dans ces bâtisses soit de plus en plus important, on en vient à défendre l’idée d’un retour à des constructions plus proches de l’esprit « originel » du refuge alpin. L’idée de telles constructions vient à l’encontre de celles défendues par le Parc national des Ecrins et les acteurs locaux qui souhaitent avant tout préserver un savoir-vivre, un patrimoine lié aux refuges qui se voit de plus en plus mis en avant et promu à travers des expositions, des écrits… Ainsi, par exemple, afin de construire le nouveau refuge de Mont Rose, « l’ancienne cabane […], qui se situait un peu en aval du refuge actuel, a été dynamitée par l’armée suisse […] puisqu’ il ne fallait pas qu’un bâtiment inutilisé se dresse dans ce paysage ultrasensible des Alpes » (Zermatt Matterhorn Tourisme, « Cabane du Mont Rose CAS »). Durant les années 2010s, des architectes s’attèlent donc à retrouver l’architecture et les caractéristiques initiales des refuges notamment en s’axant sur l’idée de « cabane perchée en haut d’un sommet » tout particulièrement au Sud des Alpes.

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En effet, à côtés de ces nouveaux refuges modernes et capables d’accueillir jusqu’à plus d’une centaine de personnes, il existe aussi des refuges bien plus simples et frustres qui tendent à se développer de nos jours, notamment en Italie et le long des sentiers moins connus et fréquentés : les refuges-bivouacs. Ces derniers reprennent aussi une architecte low-tech mais plutôt dans thématique du retour à l’essentiel et aux origines des refuges en ne proposant que la possibilité de s’y abriter dans les conditions extrêmes qu’imposent la Montagne en altitude. Ils ne comportent pas de gardiens et se dédient principalement qu’aux alpinistes par leur difficulté d’accès. On retrouve ainsi la volonté d’un rapport direct avec le site en ayant un minimum d’impact sur ce dernier tout en gardant l’idée d’isolement, loin de la civilisation, idée recherchée par les randonneurs se rendant dans de telles constructions.

Mis en place da,s un premier temps en Italie à travers des prototypes datant de 1925, dans les années 1960s, les refuges-bivouacs sont aussi vu comme étant des constructions particulièrement novatrices et modernes, à l’instar des refuges du Mont Rose en Suisse ou du Goûter, construit en 2013 à 3835 mètres d’altitude sur le sentier historique du MontBlanc en France. Elles privilégient la « technique » dans leur architecture, à savoir résister aux intempéries et aux « conditions de l’altitude » telles que le vent, la neige, le gel... Ces réalisations, bien que mineures au regard du nombre des refuges alpins, sont ainsi le moyen de développer de nouvelles technologies et techniques de constructions avant d’être appliquées à de plus grandes échelles. Les refuges-bivouacs sont construits de manière à avoir un impact minime sur la nature avec la mise en avant de la réversibilité des constructions et du rapport au terrain, approche défendue par les Parc nationaux et Régionaux en France tel que celui des Ecrins.

Museo Alpino Duca degli Abruzzi, Wikimedia commons, URL: https://upload.wikimedia.org/ wikipedia/commons/thumb/5/54/Museo_Alpino_Duca_degli_Abruzzi%2C_Courmayeur_33.jpg/1280px-Museo_Alpino_Duca_degli_Abruzzi%2C_Courmayeur_33.jpg

Prototype en «tonneau», premier bivouac de Fréboudze en Italie datant de 1925
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Vue du refuge-bivouac Gervasutti Camptocamp, URL: https://media.camptocamp.org/c2corg_active/1379232685_2069126899MI.jpg

De plus, les recherches menées quant à leur architecture et les solutions techniques qu’ils embarquent ont peu à peu aboutis à l’utilisation de matériaux innovants tels que la fibre de verre ou des matériaux composites. Cela a permis des développer des « solutions de plus en plus intégrées et sophistiquées » (Roberto Dini, Luca Gibello et Stefano Girodo, « Un modèle de durabilité ? », L’Alpe n°88, 2020) dans le but d’offrir un confort optimal dans un espace minimal, le tout avec un poids contenu de manière à pouvoir être transporté facilement par hélicoptère. Ces refuges peuvent être construisibles en seulement une seule journée tout en accueillant tout le confort nécessaire aux alpinistes (électricité, internet, ventilation, cuisine…) à l’instar de « la nouvelle cabane Gervasutti sur le glacier de Fréboudze (versant italien du massif du Mont Blanc), construite en 2011 » (Roberto Dini, Luca Gibello et Stefano Girodo, « Un modèle de durabilité ? », L’Alpe n°88, 2020) à 2835 mètres d’altitude.

Vues intérieures du refuge-bivouac de Gervasutti

De la Meije à l’Himalaya avec Paulo Grobel, guide de haute-montagne, URL: https://th.bing.com/th/id/R6890e4415ad0ed564e99da0522a0a603?rik=LGbe54Ymg%2fehCA&riu=http%3a%2f%2fwww. paulogrobel.com%2fwp-content%2fuploads%2f2019%2f04%2fgervasutti_8-768x576.jpg&ehk=QHWtn9ljC%2fywKEELhGO5Fkny9pt%2bYF9p7pIWBZCt12g%3d&risl=&pid=ImgRaw - https://th.bing.com/th/id/R38fcbb3f483ff70f0c2f9c9a6889be73?rik=0ywnV9%2bhG6S5gQ&riu=http%3a%2f%2fwww.paulogrobel.com%2fwp-content%2fuploads%2f2019%2f04%2fgervasutti_7.jpg&ehk=rouYZkNgKBg%2bQyNxRJ8q%2fyDBBwdz4MH1rmbAqCqJHZo%3d&risl=&pid=ImgRaw

Les refuges-bivouacs tendent à se développer et cherchent donc à s’intégrer de plus en plus au paysage en mettant à profits des technologies innovantes servant à améliorer leurs structures, leur forme, leur confort… de manière à arriver petit à petit à des refuges entièrement autonomes, fonctionnels et économiques. Ces recherches vers le low-tech sont la porte vers l’expansion de telles techniques à travers les refuges destinés au plus grand public afin de réduire encore leur impact sur l’environnement. Ainsi, bien qu’absents du Parc national des Ecrins, les refuges-bivouacs sont une solution à creuser potentiellement dans ce dernier qui reste malgré bien moins fréquenté que le massif du Mont-Blanc, par exemple. Le Parc pourrait ainsi en déployer notamment vers la barre des Ecrins. Dans le cas contraire, les technologies et solutions architecturales et techniques mises en place par ce type de construction pourraient être employé prochainement dans les agrandissement et réhabilitations futurs des refuges du Parc suivant alors la tendance de réduire au maximum l’impact visuel et environnemental de telles constructions.

II/ Un refuge modèle : la nouvelle cabane de l’Aigle

Malgré l’absence de refuges-bivouacs et plutôt une politique axée sur l’évolution des refuges déjà présents, Parc national des Ecrins développe une dynamique plus proche du patrimoine, tant d’un point naturel que culturel, dans ses actions et notamment la construction de nouveaux refuges avec les Clubs Alpins de Briançon et de Grenoble. L’objectif est de suivre, « l’inscription de l’alpinisme sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité » par l’UNESCO où les refuges en sont au cœur tout en gardant une unité entre les communes, les associations et les élus locaux et les grandes institutions en charge des refuges dans le massif des Ecrins à l’instar, donc, du Parc et de la FFCAM. L’architecte Jean Félix-Faure et le projet du refuge de l’Aigle en 2014, situé à La Grave, dans les Ecrins, sur le sentier menant au sommet de la Meije à une altitude de 3450 mètres fut l’initiateur et la démonstration du succès de ces nouveaux refuges plus simples et modestes, se rapprochant de leur « esprit » originel.

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Ce projet de nouveau refuge est né suite à l’appel du Club Alpin Français en 2002, afin de renouveler le refuge de l’Aigle, refuge emblématique de l’Oisans en bois datant de 1910. Ce dernier ne pouvait plus être en activité car trop petit mais aussi devenu trop dangereux après près d’un siècle d’utilisation. En effet, ce n’était qu’une simple cabane en bois montée en 142 jours à la main. Il employait une structure simple en bois « goudronné » basée sur les techniques développées par Lemercier à la fin du XIXe siècle avec de la mousse naturelle servant à limiter l’humidité à l’intérieur en l’absorbant. Il était ainsi prévu de déconstruire l’ancien refuge et ensuite de reconstruire le nouveau plus bas, sur un autre site repéré à l’avance et plus facile d’accès. Cette solution fut cependant très critiquée par sa portée sur le patrimoine puisqu’impliquant donc la destruction du refuge de 1910. Jean Berriot et quelques autres membres de l’association des « Amis du Refuges de l’Aigle », fondée suite à l’annoncement de ce projet, vont alors particulièrement protestés contre la FFCAM qui a remplacé le Club Alpin Français en 2005, au cours du débat.

Photographie du refuge de l’Aigle en 1910 Centre Fédéral de Documentation Lucien Devies, FFCAM, URL: https://centrefederaldedocumentation.ffcam.fr/csx/scripts/resizer.php?filename=T004%2Fimg1%2Fad%2Fc3%2F59wo0p0rxnhu&mime=image%252Fjpeg&originalname=Aigle+An-

Fin avril 2004, les « Amis du Refuge de l’Aigle » lancent alors une pétition afin de favoriser la rénovation du refuge et non sa destruction, ce qui marquera le début des débats tumultueux sur ce projet. Cette pétition recueillit plus de 2000 signatures tandis que les guides de hautes-montagnes, représentants du Club Alpin de Briançon, demandaient que le nouveau refuge soit construit tel que prévu afin d’obtenir un équipement neuf nécessaire à leur activité. Le permis de construire est alors déposé par La Grave en 2007 malgré les diverses protestations et il est acté à ce moment-là que le refuge soit détruit. Cependant, le refuge n’est pas construit car le projet divise aussi au sein des locaux et ne reçoit pas l’approbation du maire de La Grave. Le projet se retrouve ainsi toujours au point mort en 2010, près de dix ans après l’appel de l’initial à cause du débat entre le camp des conservateurs d’un côté et de l’autre celui du Club Alpin de Briançon et ses partisans qui ne parviennent pas à s’accorder sur un terrain d’entente. De nombreuses propositions de projets sont alors formulées avec des études basées sur la création d’extensions tout en conservant le refuge existant tantôt autour tantôt directement dans la falaise. Cela amène de nombreux problèmes sois esthétiques sois vis-à-vis des contraintes climatiques très importantes et aucune de ces propositions ne dépassent donc le stade de simples croquis.

L’ancien refuge de l’Aigle en juillet 2009 romulus38, Camptocamp, URL: https://www.camptocamp.org/images/176992/fr/le-refuge-de-l-aigle cien.jpg&geometry=870x%3E
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L’intérieur du refuge en 1925 Petzl, URL: https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-histoire.jpeg?v=1

Il fallut attendre 2010 pour que le projet se mette de nouveau à avancer. L’architecte, Jacques-Félix Faure, explique ainsi : « On a vu une petite annonce et, ayant déjà réalisé le refuge de Presset, nous avons décidé de participer à travers un projet extrêmement simple avec l’idée de la cabane en bois. » (Jacques-Félix Faure, architecte de l’Atelier 17C-Architecture). Il propose de conserver la forme et la structure du refuge existant en le surélevant afin de pouvoir accueillir les 30 couchages. La structure de l’ancien refuge est alors mise en valeur à l’intérieur avec sa charpente réemployée, de même que la base des couchages, formant un bon compromis entre patrimoine et besoins nouveaux du refuge et ses acteurs. Un dernier recours est alors tenté par les « Amis du Refuge de l’Aigle », ne souhaitant finalement que de restaurer l’ancien refuge, mais est rejeté par la justice qui acte la construction du projet fin 2013 suivant son approbation par une majorité des locaux et le maire de La Grave. Une maquette grandeur nature, est alors présenté dans sa version finale à Alpexpo à Grenoble afin de « tester » le projet mais aussi de le présenter au grand public puisque sa situation est très élitiste par son accès particulièrement difficile. Lors de cet événement, il reçoit l’approbation générale des visiteurs et autres spécialistes du milieu qui apprécient tout particulièrement la volonté de réaliser un véritable « musée vivant ».

Croquis représentant l’ancien refuge et ce dernier après l’intervente de l’atelier 17C

Atelier 17C, Peztzl, URL: https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-dessin-refuge-actuel.jpg?v=1 - https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-dessin-refuge-projet.jpg?v=1

Le refuge est construit avec des éléments conçus au sol, liant bois neuf et ancien, avant d’être monté sur place avec l’aide d’un hélicoptère, tant pour amener les panneaux préfabriqués que pour les positionner, à la manière d’une grue. Les conditions climatiques sont très difficiles, le vent étant une grosse contrainte aux manœuvres de l’hélicoptères et l’arrivée de l’hiver limitant grandement les délais de construction. L’ancien refuge fut finalement déconstruit en septembre 2013 tandis que le nouveau pu être réalisé entre avril et aout 2014.

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Maquette du refuge avec la charpente alliant anciens et nouveaux éléments Atelier 17C, Petzl, URL: https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-maquettes3.jpeg?v=1
Plan de RDC et croquis d’ambiance du projet Atelier 17C, Petzl, URL: https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-dossier-presse2013.pdf?v=2 31

Détails de la charpente

Atelier 17C, Petzl, URL: https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-premontage3.jpg?v=2 - https://www.petzl.com/fondation/foundation-refuge-aigle-premontage2.jpg?v=2

Le nouveau refuge de l’Aigle en 2014

Loïc Perrin, Wikipedia commons, URL: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/7/76/Refuge_ de_l%27Aigle_nouveau.jpg/800px-Refuge_de_l%27Aigle_nouveau.jpg

Le nouveau refuge dispose des 30 couchages demandés en conservant les couchages originels avec des filets pour les retardataires dans le nouvel étage permettant d’en rajouter 12 par rapport à la cabane originelle. L’ancienne charpente est visible, et mise en valeur par la volumétrie interne du refuge. En effet, le plan se présente sous la forme d’une seule grande pièce mêlant salle commune et dortoirs comme il était de coutume autrefois. De plus, il contient une chambre pour les gardiens, élément nouveau essentiel à leur besoin de repos et d’intimité. On retrouve dans le nouveau bâti une cuisine neuve, des batteries pour les panneaux solaires et une chaudière afin de le chauffer lui et l’eau captée sur place grâce à la neige et à la récolte des eaux de pluie puisqu’il n’y a pas de source proche.

Le refuge de l’Aigle est ainsi devenu un modèle de ce qui peut être réalisé dans le massif des Ecrins afin d’allier les besoins touristiques croissant, tant en confort qu’en terme de place, tout en mettant en valeur un patrimoine lié aux refuges important qui ne peut être tout simplement « effacé ». Par sa forme simple et sa disposition sur un pic rocheux, entre les glaciers du Tabuchet et de l’Homme, ce projet vient signifier son rôle « d’abris » différent très largement de l’auberge ou du gîte. En effet, aujourd’hui les refuges se doivent de transmettre un message aux passionnés et aux générations gravissant les Ecrins depuis plus d’une centaine d’années, à savoir ce qu’est l’alpinisme et le patrimoine qui y est lié dans les Ecrins, de même qu’il est possible d’allier nouvelles pratiques du refuge et de la Montagne avec autosuffisance et respect de l’environnement. Comme l’affirme ainsi Jacques Felix Faure, « Quand on construit Notre Dame de Paris, la cathédrale c’est le bâti, mais lorsqu’on construit un refuge, la cathédrale c’est la Montagne. »

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III/ L’utilisation du site et de la pierre

Les Alpes sont une chaîne de montagne relativement jeune puisqu’elles n’ont commencé à apparaître qu’il y a 60 millions d’années dans une Europe alors submergée par un Océan tropical similaire à l’Océan Indien. Elles n’ont ainsi émergé qu’à partir de 40 millions d’années avant notre ère. Cependant, ce plissement s’est fait majoritairement en deux parties puisqu’entre -20 et -15 millions d’années celui-ci s’est accentué, « rejetant la mer alpine vers l’Ouest, à l’emplacement de l’actuelle vallée du Rhône » (Jacques Debelmas, Arnaud Pecher et Jean-Claude Barfery, Découverte de la géologie du Parc national des Ecrins et carte géologique 1/100 000, 2002). Avant de disparaître totalement il y tout juste 4 millions d’années. Ainsi, on retrouve quelques, rares, fossiles dans les Alpes d’animaux marins éteints tels que des ammonites ou des bélemnites. Le massif des Ecrins se compose ainsi majoritairement de granites et de gneiss, l’une magmatique l’autre métamorphique, issues des fortes pressions internes dues à l’émergence progressive des Alpes il y a 40 millions d’années. Ces roches s’accompagnent de dolomnite, témoins du passé marin de la région marquant la présence d’un site riche en patrimoine géologique. Les roches quartziques sont ainsi très présentes dans la zone et comportent un plissement important causé par l’activité géologique importante. La géologie du Parc est aussi marquée par l’érosion, les cassures et les traces laissés par le retrait des glaciers.

Ainsi, le Parc national des Ecrins offre une abondante réserve de matériaux géologiques qui peuvent aisément être employés à la réalisation de nouveaux refuges ou bien à leurs réhabilitations, le granite étant un matériau de premier choix par sa dureté et la résistance qu’il confère aux bâtis. Présent le plus souvent directement sur le site d’implantation des refuges, ce choix limite les transports de matériaux peu économes et écologiques tout en assurant une bonne intégration dans le contexte environnemental présent en altitude. Par conséquent, le granite est une solution qui fut apportée dès la création des premiers refuges au XIXe siècle à côté des « cabanes » en bois peu résistantes à l’instar des « habitations pastorales », ancêtres des refuges alpins. Les matériaux nécessaires à la maçonnerie furent rapidement amenés depuis la Vallée par la voie des airs en hélicoptère dès les années 1960 comme pour le refuge des Ecrins, inauguré en 1969 à 3170 mètres d’altitude voir trouvés sur place grâce à l’eau et au sable aux abords des sites d’implantation permettant de fabriquer du ciment.

Cependant, son utilisation est devenue de plus en plus rare aujourd’hui au profit du bois et de l’acier car plus légers et mieux adapté à la réalisation de panneaux en préfabriqués, technique largement employée de nos jours. On peut malgré tout se questionner sur la possibilité de créer de futurs refuges en pierre. En effet, son utilisation est particulièrement bénéfique dans un souci de préservation patrimoniale et d’intégration au paysage dans les cas de rénovation et de réhabilitations de refuges en pierre existant. Tandis qu’elle rappelle les refuges d’antan et notamment ses ancêtres à l’instar de la « cabane » en bois, l’impact visuelle d’une construction en pierre dans un milieu aussi minéral que les sommets montagnards est, en effet, très limité. Il est important de noter que l’objectif d’un refuge est de « s’effacer » dans un tel paysage marqué par sa nature hostile et sauvage. De plus, bien que la mise en œuvre de la pierre impose un équipement important et une construction lente et contraignante à cause du temps restreint laissé par le climat hostile, sa solidité favorise l’emploi du bâti sur une période importante et la limitation des travaux d’entretien. La pierre permet enfin de réaliser des bâtis relativement grands et confortables nécessaires aux besoins des visiteurs et d’assurer l’augmentation de leur nombre dans les refuges.

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Vue du refuge des Ecrins construit en pierre Wikipedia, URL: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/a9/Rifugio_ des_%C3%89crins.JPG/1200px-Rifugio_des_%C3%89crins.JPG

Par conséquent, le patrimoine minéral du massif des Ecrins est lié depuis le début aux refuges et à leur construction. De moins en moins employé et mis en avant, il est important de valoriser l’emploi de la pierre à l’avenir et de le repenser en le priorisant, pourquoi pas, sur certains matériaux moins « locaux » et naturels tels que la fibre de verre. Solide et s’intégrant parfaitement dans le territoire, la pierre et la maçonnerie constituent encore bon nombre de refuges dans les Ecrins puisque la majorité de ces derniers et l’image « classique » actuelle que l’on en a est celle de baraques à étages en pierre avec une charpente en bois recouverte de zinc. La conservation des mémoires et du patrimoine des refuges des Ecrins passe donc naturellement par cette architecture de masse faisant échos à celle du bois toutes deux présentent dans le massif en altitude en dans les vallées depuis des siècles.

Construction du nouveau refuge de Vallopierre en 2000 à côté de l’ancien Parc national des Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins-parcnational.com/files/thematique/9268/body/039600.jpg
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Vue de l’ancien refuge Tuckett et du Glacier Blanc Christian Couloumy, Parc national des Ecrins, URL: https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins-parcnational.com/files/patrimoine/10551/body/021264.jpg

Carte géologique de Briançon et du massif des Ecrins, 3e édition, 1969

Bureau de Recherches Géologiques et Minières, Direction du service géologique et des laboratoires, BoÎte postale 818 - 45 - Orléans-la-Source

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IV/ L’atelier Refuge remix au refuge de Villar-d’Arêne: comment diversifier et imaginer les refuges de demain ?

En juin 2019, un atelier in situ, Refuge remix, a eu lieu au refuge de l’Alpe du Villar-d’Arêne, situé à 2079 mètres d’altitude au cœur du Parc national des Ecrins, dans le but de réfléchir et d’expérimenter de nouvelles manières de percevoir les refuges et de les utiliser. Facilement accessible puisque ne nécessitant qu’1h30 de marche, le refuge de Villar-d’Arêne a accueilli « six équipes de six participants aux compétences métissées (experts des milieux isolés, designers, architectes, bricoleurs, artistes…) » (Philippe Bourdeau, « la nouvelle vie des refuges », L’Alpe n°88, 2020) durant trois jours.

Le refuge de l’Alpe du Villar-d’Arêne Panoramio, URL: https://th.bing.com/th/id/OIP.74Cqq3WQ9Jn0Nhf3VHsvDwHaEK?pid=ImgDet&rs=1

Cela a permis de lancer, dans un premier temps, des réflexions quant au devenir des refuges dans les Ecrins et de leurs fonctions en se basant sur l’état existant de celui de Villar-d’Arêne. Il en est ressorti plusieurs thèmes, à savoir :

- « Un refuge à habiter », en considérant le refuge comme un lieu de vie

- « Refuge laboratoire », en considérant le refuge comme un lieu de tests sociaux et technologiques

- « Refuge académique », en considérant le refuge comme un lieu d’apprentissage de la Montagne

- « Le tiers-lieu de la Montagne », en considérant le refuge comme un lieu de rencontre et de discussions entre personnes de « compétences variées »

- « Retour vers le futur », en imaginant un refuge plus simple tout en réduisant son impact environnemental et en conservant sa praticité à l’instar des refuges-bivouacs

- « Capteurs et témoin du changement », en considérant le refuge comme un « témoin » des évolutions environnementales et sociales

Suite à cela, les équipes ont chacune pensé et réalisé un prototype représentant la fonction et les idées formulées. Les « refuges » ainsi créés avaient tous des caractéristiques, des principes et des matériaux différents allant du fil de fer au tissu en passant par la ficelle… Ils partageaient cependant des « logiques de circulations, de mise en réseau, de don et contre-don, d’expérimentations… » (Philippe Bourdeau, « la nouvelle vie des refuges », L’Alpe n°88, 2020). Cette expérience a permis donc de mettre en avant des utilisations singulières et variées du refuge tout en confrontant les choix et notions paradoxales pouvant être adoptées ou non pour la construction d’un nouveau refuge (« frugalité versus confort, low tech versus high tech, déconnexion versus connexion »…).

Ainsi, l’atelier Remix a offert la possibilité de se questionner sur les enjeux et les débats principaux qui animent les refuges à l’heure actuelle tout en démontrant que leurs fonctionnalités ne rimaient définitivement plus forcément avec alpinisme ou sports de Montagne. L’atelier a aussi permis de pointer du doigt l’absurdité de construire des refuges toujours plus sophistiqué et confortables dans les Ecrins alors que la demande et les réflexions formulées traitaient majoritairement de projets à l’échelle de la cabane et de constructions « communautaires ». Ces constructions ont d’ailleurs la côte actuellement en ville avec les hôtels urbains offrant des tables communes.

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Les équipes de l’atelier Refuge remix devant leurs prototypes

Alpes là!, URL: http://alpes-la.info/environnement/tourisme-durable/refuge-remix-ou-comment-imaginer-les-refuges-de-demain/

L’atelier Refuge remix et, plus largement, les refuges du Parc national des Ecrins, tel que le nouveau refuge de l’Aigle, ont pu démontrer qu’une directive architecturale retournant à l’essence même des refuges et de la cabane n’était pas synonyme de régression des pratiques et de dédain des visiteurs ou de la FFCAM. Le questionnement même de certains nouveaux refuges est légitime quand on sait que, par exemple, le nouveau refuge du Goûter, inauguré en 2013, divise beaucoup non seulement pas son architecture mais aussi par sa taille et son rythme de fréquentation élevé appelant même déjà à une régulation de cette dernière et des sentiers menant au sommet du Mont-Blanc. L’objectif de cet atelier est donc clair et c’est tout simplement de démontrer qu’un retour à la simplicité et aux interactions sociales seraient bénéfique aux refuges des Ecrins à l’heure où le souci de préserver les patrimoines naturels et culturels n’a jamais été aussi présent. La crise sanitaire a, de plus, justifier encore cette optique en ayant un impact direct sur le nombre de randonneurs dans le parc, amenant à sa découverte par de nouveaux visiteurs, et sur les rapports humains et sociaux sont limités.

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Conclusion

Malgré leur faible nombre puisque seulement 128 refuges sont gérés par la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne (FFCAM) dont 28 dans le massif des Ecrins, les refuges sont au centre de nombreux débats et enjeux, en particulier depuis les années 1970s. En effet, bien qu’étant catégorisés comme des « espaces d’accueil recevant du public », les refuges n’en demeurent pas moins des bâtiments singuliers et soumis à des contraintes de réalisations et de fonctionnement toutes particulières. En effet, ils sont implantés dans des lieux hostiles, isolés et dangereux (neige, vent, avalanches, chutes de pierres…). De ce fait, leur accès est complexe et n’est possible qu’à pieds par de petits sentiers ou par la voie des airs en hélicoptère. Leurs ressources énergiques et matérielles dépendent des trajets de ravitaillements ou de la Nature qui les entoure ce qui impliquent qu’elles sont limitées et doivent être rationnées.

De plus, malgré son statut de lieu d’accueil touristique, la vie en son sein reste typique faisant l’apogée de « l’ensemble » et de la communauté puisque les couchages, les espaces de repas et, parfois, les sanitaires sont collectifs contrairement à des gîtes, des locations ou des hôtels classiques. Enfin, leur gestion est confiée à des associations publiques ayant un fort impact dans l’économie et la vie en Montagne pour la grande majorité, telles que la FFCAM ou les Parcs nationaux et régionaux, en font des structures uniques au rôle primordial dans les discussions et enjeux liés aux tourismes et à la préservation de l’environnement en Montagne en plus de leur rôle basique d’hébergement temporaire.

Ainsi, dans le massif des Ecrins, espace marqué par la présence d’un Parc national, les refuges évoluent et, comme on a pu le voir précédemment, leurs fonctions aussi. En effet, sous l’action combiné de ses différents acteurs, les refuges y sont des leviers majeurs du tourisme mais aussi des actions de préservation du patrimoine menées par le Parc national des Ecrins et quelques associations locales. Ils se doivent d’accueillir de plus en plus de visiteurs et de répondre à leurs besoins croissants de confort et d’espace. Les refuges sont des lieux publics qui permettent de faire vivre une économie axée sur les pratiques de loisir, telles que la randonnée ou l’escalade mais aussi leurs gestionnaires, le Parc et leurs gardiens.

Dans l’optique de s’affirmer comme des pôles d’attractivité, ils offrent aussi, de plus en plus, la possibilité de nouvelles pratiques déconnectées de l’alpinisme, pourtant affilié aux refuges depuis leur création. On retrouve donc des expositions, des spectacles, des stages… dans les refuges au cœur des Ecrins qui tendent à se renouveler pour séduire un public plus vaste qui ne connait pas forcément le massif. L’objectif est ainsi de faire connaître les Ecrins et de les promouvoir, de mêmes que les actions de protection des patrimoines naturels et culturels menées par le Parc et la région. Au fil du temps, les refuges se sont agrandis et adaptés à ces utilisations et ces attentes nouvelles des visiteurs.

En effet, depuis leurs créations, les refuges sont de parfaits moyens pour les architectes et les acteurs de la construction et du tourisme pour tester de nouvelles manières d’accueillir du public dans des bâtis toujours plus grands et confortables malgré leur situation particulièrement contraignante impliquant aussi l’obligation d’être autonomes en énergie. De nombreuses technologies et techniques constructives tant dans les matériaux que dans les manières de récolter de l’eau ou de l’électricité ont été déployées et tester dans les refuges. Ces bâtis sont donc devenus des ensembles imposants, capables d’offrir de la place pour des dizaines voire plus d’une centaine de randonneurs tout en revendiquant un impact sur l’environnement minimal à l’instar des récents refuges du Goûter sur les pentes du Mont-Blanc ou du refuge de Mont Rose en Suisse, dans le Valais.

Ces nouvelles constructions sont malgré tout sujettes à de nombreuses controverses et débats. Bien que leur impact environnemental soit effectivement limité par leur capacité à être pratiquement auto-suffisants, leur impact paysagé et leur atteinte au patrimoine restent décriés. On parle de plus en plus « d’hôtel d’altitude » ou de gîte, d’auberge à propos de ces bâtis qui n’ont plus grand-chose à voir avec les premiers refuges destinés, à l’époque, aux seuls alpinistes.

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Vues des refuges du Goûter (2013) et de l’Aigle (2014), deux visions et architectures contemporaines des refuges totalement différents

Tous acteurs des Savoies et Louis Gaillot, Le dauphiné libéré, URL: https://www.tous-acteurs-des-savoie.coop/wp-content/uploads/2014/01/7_2_525bee4948486-150x150.jpg - https://cdn-s-www.ledauphine.com/images/C920ECB8-22CF-4FB6-AEBC-1513ABA37329/NW_raw/le-refuge-de-l-aigle-renove-photo-louis-gaillot-1436470995.jpg

Ce sont des bâtiments aux formes et aux revêtements définis, non pas par la volonté de s’intégrer aux coutumes locales mais plus afin d’offrir une résistance importante à la neige, au vent... grâce à des écoulements d’air et d’eau étudiés en amont. On parle aussi de la volonté des architectes de souligner le « grand paysage », mais cela appelle aussi à ce que le bâtis ne s’efface pas forcément au sein de celui-ci et apparaît tel une « espèce de bunker de verre, de métal ou autres, bien planté […] dans un milieu où nous autres, humains, devrions faire preuve d’une certaine modestie » (Claude Mauguier, modérateur du forum du site refuges.info.fr).

Ainsi, au cœur du massif des Ecrins, une autre architecture des refuges, initiée par le refuge de l’Aigle, construit en 2014 par l’architecte Jacques Félix Faure, mieux adaptées aux enjeux environnementaux et patrimoniaux mis en avant par le Parc national des Ecrins, tout en offrant les adaptations nécessaires à l’accueil des nouveaux clients est privilégiée. Elle consiste à retrouver l’architecture et les caractéristiques initiales des refuges notamment en s’axant sur l’idée de « cabane perchée en haut d’un sommet ». Le refuge de l’Aigle reprend donc la typologie, l’emplacement exact et même certains éléments de son prédécesseur. Il marque alors la liaison entre mémoires et devenir des refuges en faisant l’unanimité auprès des acteurs et des visiteurs qui apprécient la mise en valeur du paysage, du patrimoine et un confort accru dans ce projet.

Le Parc national des Ecrins, les Clubs Alpins de Briançon et de Grenoble, les locaux et les autres acteurs des refuges des Ecrins se dirigent donc vers une approche plus responsable et tenant compte de l’avis de chacun afin de mettre en place des refuges toujours plus performants et adaptés au territoire, aux clients sans pour autant renier leur patrimoine important. Les refuges sont des structures importantes pour la région qui tient à les mettre en valeur et organise de nombreux débats, recherches et évènements dans le but de réfléchir à leur appréhension future et leurs devenir à l’instar de l’atelier Refuge remix en 2019.

Parmi les nombreux éléments qui viennent à influencer les refuges, l’équilibre entre l’accueil de nouveaux clients plus nombreux et plus variés et le respect des patrimoines culturels et naturels au sein de ces édifices est le plus important. Il définit les refuges qui sont aujourd’hui plus que jamais au cœur du tourisme des Ecrins, en particulier depuis la crise sanitaire qui amena à une augmentation importante de fréquentation. Cela pousse le Parc national des Ecrins à réagir notamment afin de répondre aux attentes de touristes et de faire respecter les règles et actions menées par ce dernier. L’architecture, les fonctions et les contextes environnementaux et sociétaux des refuges des Ecrins changent et ces derniers doivent ainsi continuer d’évoluer en s’axant sur une insertion dans le patrimoine toujours plus importante en développant, par exemple, leur réversibilité.

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Ouvrages :

- DEBELMAS, Jacques, PECHER, Arnaud et BARFERY, Jean-Claude, Découverte de la géologie du Parc national des Ecrins et carte géologique 1/100 000, Orléans, édition BRGM et Gap, édition du Parc national des Ecrins, paru en 2002

- L’Alpe en partenariat avec le Musée Dauphinois, Numéro 88 : Refuges, De l’abri de fortune au tourisme d’altitude, Grenoble, édition Glénat, paru en avril 2020

- CHIORINO, Louis, en collaboration avec le Parc national des Ecrins et le Club alpin français de Briançon, Histoire de refuges en Vallouise, avril 2002.

Bibliographie
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Documentaires :

- ANDRIEUX, Claude, d’après les témoignages recueillis en 2006 par CUVELIER, Laeticia, La Nouvelle Cabane de l’Aigle, Nomade productions/ TéléGrenoble/ TV8 Mont blanc avec le soutien du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée, Décembre 2014

- PETIT, Xavier, Gardiens, gardiennes, 2009

URL : Gardiens, gardiennes - Xavier PETIT - 2009 - Films de

Articles :

- BOURDEAU, Philippe, « La nouvelle vie des refuges », L’Alpe, n°88, printemps 2020

- DINI, Roberto, GIBELLO, Luca et GIRODO, Stefano, « Un modèle de durabilité ? », L’Alpe, n°88, printemps 2020

- GUIBAL, Jean, JONQUERES, Agnès, « De l’abri de fortune au tourisme d’altitude », L’Alpe, n°88, printemps 2020

- LYON-CAEN, Jean-François, « Un laboratoire architectural », L’Alpe, n°88, printemps 2020

- Parc national des Ecrins, « Fidèles aux Ecrins, Contradictions et paradoxes… », L’écho des Ecrins, n°28, juillet 2007

montagne - Cinémathèque d’images de montagne (cimalpes.fr)
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SINISCALCHI, Valeria, « Économie et pouvoir au sein du parc national des Écrins », Techniques & Culture [En ligne], n°50, 2008, mis en ligne le 31 décembre 2010, consulté le 15 avril 2021.

URL : http://journals.openedition.org/tc/3941

Sites web :

- « Cabane du Mont Rose CAS », Site de Zermatt Matterhorn

URL : Découvrir la cabane du Monte Rosa | Zermatt Matterhorn

Consulté en mai 2021

- Centre Fédéral de Documentation Lucien Devies de la FFCAM, « L’Aménagement de la montagne et les Refuges », Site officiel du Centre fédéral de documentation Lucien Devies, site et association affiliés à la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne (FFCAM), Paris

URL : L’Aménagement de la montagne et les REFUGES, Centre Fédéral de Documentation (ffcam.fr)

Consulté entre Avril et Mai 2021

- MAUGUIER Claude, Fiches des refuges des Ecrins, Refuges.info

URL : Refuge de l’Aigle 3440 m (refuge gardé) (refuges.info)

Consultées entre décembre 2020 et février 2021

- Equipe du Cléo (Centre pour l’édition électronique ouverte), OpenEdition

URL : OpenEdition: four platforms for electronic resources in the humanities and social sciences: OpenEdition Books, OpenEdition Journals, Hypotheses, Calenda

Consulté entre janvier et mai 2021

- COMMENVILLE, Pierre, avec la coordination de GONDRE, Claire, Site officiel du Parc national des Ecrins, agence WebSenso, Gap, septembre 2014

URL : https://www.ecrins-parcnational.fr

Consulté entre novembre 2020 et mai 2021

- « Parc national des Ecrins », Wikipédia

URL : Parc national des Écrins — Wikipédia (wikipedia.org)

Consulté en mai 2021

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Remerciements

Je tiens tout particulièrement à remercier:

. L’office du tourisme de Vallouise-Pelvoux

. La maison du Parc national des Ecrins de Vallouise

. MAUGUIER Claude, modérateur de Refuges.info

. MEHIER Bruno, mon grand-père et professeur de géologie à la retraite

. Mme MARQUETTE-VELLAS Evelyne et M.ASTIER Michel mes enseignants référants de m’avoir guidé et aidé, tant dans mes recherches que ma reflexion, pour ce travail.

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