LE MAGAZINE OFFICIEL DE L'AS MONACO FC
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Maazou
Découvrez l’histoire peu commune de Moussa Maazou, aide mécanicien avec son père à l’adolescence, étoile montante du football nigérien devenu star de Niamey en Belgique. De Moscou à la Principauté de Monaco, découvrez un joueur mais surtout un homme à la générosité exceptionnelle.
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Le jeune homme est intarissable dès qu’il s’agit de nous raconter « son » Niger. Habitué à ce que ses interlocuteurs ne connaissent que vaguement cette ancienne colonie française, pays indépendant depuis 1960, il explique patiemment sa position géographique, Niamey, sa capitale et ville natale... Mais lorsqu’on lui sort un plan de Niamey, son visage s’éclaire. Ses doigts parcourent ces rues qu’il a tant de fois sillonnées avec sa bande de copains. Il en a passé du temps, dans les rues poussiéreuses du quartier de Balafon. Les parties de football se jouaient tout près : à quelques pâtés de maison, au « Terrain Musulman », tout près du grand cimetière, où le petit groupe se retrouvait chaque soir. Noyés dans cette étendue de sable rouge brique, les gamins courent jusqu’à la tombée de la nuit. Le matin, Moussa se balade souvent au Grand Marché, « unique au monde », où tout s’achète et tout se vend avec une gaieté ambiante communicative. Les jours de forte chaleur, toute la troupe pousse la promenade au nordest de la ville, au grand Hippodrome, pour y siroter un soda, ou à l’opposé, au Sud, pour admirer un coucher de soleil face au fleuve Niger. Quand il n’est pas à l’école ou dans les rues de Niamey, il s’enferme dans le garage automobile de son père, redonnant vie à ses côtés à de vieilles carcasses encore vaillantes. La maman, dévouée à son engagement humanitaire, combat de toute une vie, garde un œil bienveillant sur le jeune garçon. Moussa n’a pas à chercher loin un modèle : son frère, d’une douzaine d’années son aîné, capitaine de l’équipe nationale nigérienne de
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football fait la fierté de la famille. A 14 ans, Moussa rejoint son premier club : le SC Sahel, l’un des plus grands clubs du Niger : « J’y ai reçu une formation à l’européenne, très complète. » A 16 ans, son père l’envoie suivre des cours de mécanique au Togo et histoire de ne pas perdre le fil du ballon rond, Moussa joue pour l’Association Sportive des Douanes de Lomé, club régulièrement champion national, les quelques mois que durera sa formation. A son retour du Togo en 2005, sa carrière s’accélère, dans les rangs de l’Association Sportive des Forces Armées Nigériennes (ASFAN), il signe son premier contrat professionnel : « Tout a commencé à l’ASFAN. J’ai joué en première division nigérienne dès ma première année et j’ai disputé la Champions League de la CAF (Confédération de Football Africaine). Dès la saison suivante, j’ai terminé meilleur buteur du championnat. » Révélé aux yeux des recruteurs européens, il croule rapidement sous les offres, une vingtaine de clubs se battent pour l’attirer. C’est finalement le club Belge de Lokeren qui obtient les faveurs du jeune attaquant.
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Le goleador inconnu Débarquant en Belgique en janvier, le contraste avec Niamey est brutal. Moussa se souvient : « Il faisait très froid, je n’en revenais pas. Mais heureusement, il y avait beaucoup de joueurs africains à Lokeren, ça m’a bien aidé à m’intégrer. L’adaptation, c’est la clé en football, et c’est ce qui explique aussi que j’ai rapidement été dans le tempo. » Pour sa première demi-saison européenne, Moussa Maazou ne perd pas de temps. La presse et les observateurs constatent avec curiosité les débuts fracassants de ce buteur nigérien dont personne n’avait jamais entendu parler. Une quinzaine de buts en dix mois, la notoriété de Moussa va croissante. Les médias s’arrachent le joueur et la Belgique découvre l’histoire attachante contée par un jeune homme qui fait preuve d’un recul surprenant, uniquement guidé par l’ambition de réussir une belle carrière. Ainsi, lorsque l’opportunité de jouer au CSKA Moscou se présente, dans un club participant à la Champions League, il n’hésite pas longtemps : « C’était l’occasion de continuer
à grandir, découvrir le très haut niveau, entouré d’internationaux. » Accueilli par le coach de l’époque, Zico, qui avait personnellement œuvré pour sa venue, l’adaptation est meilleure que prévue : « Je jouais régulièrement, j’avais la confiance du coach. La différence de niveau avec ce que j’avais connu jusque-là était impressionnante. Je n’aurais jamais pensé que le championnat russe était si relevé. » Comme beaucoup d’histoires d’amour, celle-ci finit mal. Zico est remplacé par Juande Ramos. Ce dernier ne tient que 47 jours en poste, avant d’être renvoyé. Les rênes du club sont alors confiées à Leonid Slutsky, ancien joueur et entraîneur réputé en Russie. Malheureusement pour Moussa, la confiance que lui témoignait Zico s’est envolé avec lui. Et son temps de jeu réduit drastiquement. Il est relégué sur le banc lors des matchs importants, notamment en Champions League : « Lorsque tu joues, le reste n’a pas d’importance. Mais quand tu restes sur la touche, tout le reste ressurgit : le climat, la barrière de la langue... J’avais un traducteur qui me suivait du soir au matin pour que je puisse me faire comprendre et mener une vie à peu près normale. Tout cela a commencé à me peser. » Aux problèmes purement sportifs, s’ajoutent des incidents racistes, avec un joueur adverse et quelques « supporters » dont les cris de singe poussent Moussa Maazou à refuser de jouer. Les dirigeants et le staff technique tentent de le retenir mais sa décision est prise : Moussa demande à quitter Moscou. Beaucoup à sa place seraient restés, quitte à moins jouer, notamment pour les
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conditions financières avantageuses qu’offrait le CSKA. Une idée qu’il balaye d’un revers de main : « L’argent ne m’a jamais fait tourner la tête. J’ai grandi dans une famille modeste, avec certaines valeurs. J’ai vu en Russie la manière dont l’argent était dépensé sans compter, distribué aux joueurs, on parle ici de sommes astronomiques. Cela n’avait plus trop de sens. Je pouvais avoir tout l’argent du monde, je n’étais pas heureux car je ne jouais pas. » L’ASM FC suivant de longue date le jeune joueur, le club rouge et blanc tient rapidement la corde : « Il y avait environ sept clubs qui me voulaient mais Monaco se renseigne depuis longtemps. Et c’est le club dans lequel a été révélé mon idole, Emmanuel Sheyi Adebayor. Cela signifie beaucoup. Tant de grands attaquants sont passés par Monaco que j’ai décidé d’y tenter ma chance. »
Le réalisme retrouvé A court physiquement à son arrivée en Principauté, il entame un travail spécifique afin de rattraper son retard. Les jeunes du club l’aident rapidement à trouver sa place dans le groupe : « Il y a beaucoup de jeunes joueurs africains ici, comme Haruna ou Nkoulou, ça m’a aidé car ils ont été présents pour me soutenir et me guider à mon arrivée. » Son transfert à Monaco a été largement relayé au Niger : « Tout le monde supporte
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l’ASM FC maintenant là-bas (rires), surtout que la Ligue 1 est diffusée. Mais surtout, j’ai eu la chance d’avoir ma maman au téléphone depuis son lit d’hôpital, pour me dire combien elle était fière de moi... » L’une de leurs dernières conversations. Quelques jours plus tard, Moussa pliera bagage pour retourner au pays, offrir un dernier hommage à cette mère qu’il aimait et admirait tant. De retour une semaine plus tard, tout le stade rend également un dernier hommage à sa maman. Dans le chaud derby de la Côte d’Azur, tous les supporters niçois présents se sont levés comme un seul homme pour applaudir cette minute de « silence » un peu particulière. Ému mais concentré, Moussa joue une trentaine de minutes et fait parler sa puissance et son impressionnante vitesse de course. Quelques semaines plus tard, il entre en cours de jeu face à Bordeaux, pour le compte des huitièmes de finale de la Coupe de France. L’ASMFC mène 1 à 0, l’issue du match est encore incertaine. Guy Lacombe décide néanmoins de lui donner sa chance. Moussa profite d’une erreur de la défense bordelaise pour inscrire son premier but en rouge et blanc et offrir une qualification bien
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méritée à son équipe : « C’était la semaine la plus cool depuis mon arrivée. J’étais super content d’être décisif pour l’équipe. J’ai reçu beaucoup d’appels de la famille et des amis, tous très heureux et fiers de moi... » Quelques jours plus tard, Monaco accueille l’OM. Pour son deuxième match en tant que titulaire, Moussa fait à nouveau parler de lui en inscrivant l’unique but monégasque de la rencontre ! La Ligue de Football Professionnel décidera après visionnage d’accorder finalement un but contre son camp au défenseur olympien Mbia. Qu’importe, la machine est lancée et deux journées plus tard, face à Boulogne, il marque à nouveau, un but bel et bien validé cette fois-ci, offrant la victoire à l’AS Monaco FC ! Rapidement intégré et complémentaire avec son compère de l’attaque, Chu-Young Park, il avoue être admiratif devant le talent et la gentillesse de son coéquipier coréen. Fervents croyants, l’un Chrétien, l’autre Musulman, le respect est immense entre les deux hommes : « J’admire Park. Il a tout pour plaire. Tu pourrais lui donner ton âme ! Il a un grand cœur, il n’y a rien de mauvais en lui, c’est un ange.
Je n’avais jamais vu quelqu’un comme ça, il ne pose jamais de problème. C’est un vrai leader, j’adore l’homme et le joueur. »
Le football, arme du bien Sa carrière en Europe bien lancée désormais, Moussa n’en oublie pas ses combats et ceux de sa maman : « Ma mère avait un titre de Princesse, ce qui au Niger donne droit à certains privilèges. Mais elle n’en a jamais profité, elle s’intéressait uniquement à aider son prochain. Elle a crée une association afin de promouvoir le micro-crédit. Jusqu’à ce qu’elle tombe gravement malade, elle fut une militante de tous les instants. » L’occasion également de se rendre dès que possible dans le village maternel, où il n’avait jamais eu le temps de mettre les pieds. En attendant, Moussa parraine déjà deux associations : « Après ma carrière, je poursuivrai l’engagement de ma mère dans l’humanitaire. Il y a tant à faire... La plupart n’ont pas eu ma chance de pouvoir jouer au football et bien gagner leur vie, c’est le moins que je puisse leur offrir. J’ai déjà commencé d’ailleurs, puisque je suis parrain de « Caap Afrika » et de l’ « Académie Atcha », qui forme de jeunes footballeurs vivant dans la pauvreté. » Il envisage déjà la construction d’un centre de formation flambant neuf après sa carrière. Des soutiens au Niger, Moussa n’en manque d’ailleurs pas. A commencer par l’un des plus notables : celui du président de la Fédération nigérienne
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de football, le Colonel Djibrilla Hima Hamidou. Maazou détaille la relation fraternelle qui les unit : « Le président de la Fédération du Niger est un ami proche de longue date. Il est souvent venu me voir jouer en Belgique et en Russie. Il est également venu voir le match PSG – Monaco. Pour le décès de ma mère, il était présent... C’est quelqu’un de confiance qui compte beaucoup pour moi. » Ses yeux pétillent lorsqu’il nous parle du pays. Lui qui prend tant de plaisir à y retourner chaque été regrette que ces ballades qu’il aimait tant lui soient désormais interdites, popularité oblige : «Depuis mon transfert en Belgique, c’est l’explosion. Je ne peux même plus aller faire une ballade à vélo ou me promener comme je le faisais quand j’étais enfant. Ça, c’est le seul mauvais côté à cette célébrité. Mais je ne vais pas me plaindre non plus. » Après sa carrière, on l’imaginerait bien en VRP de luxe au service du Niger. Quand il s’agit de vanter les mérites des Nigériens et nous donner envie de traverser la Méditerranée, Moussa est incollable : « C’est l’un des pays les plus pauvres au monde, mais les Nigériens ont la paix en eux. Ils n’ont rien dans les poches mais ils sont heureux de vivre. C’est ce qui me plaît au Niger, les gens ont un bon fond, de bonnes intentions et ne feraient jamais de mal. Si vous vous rendez au Niger, il y a énormément de choses à voir. La grande mosquée d’Agadez, un coucher de soleil sur le fleuve Niger, le musée national de Niamey, le Parc naturel « W », Le désert du Ténéré, les girafes de Kouré... Et bien sûr, n’oubliez pas de faire une halte au Grand Marché de Niamey, au cœur de la ville, c’est unique au monde... » En attendant de prendre un billet pour Niamey, il lui reste quelques objectifs à atteindre cette saison avec l’AS Monaco FC : « J’ai envie de continuer à être décisif pour l’équipe et d’offrir en fin de saison la Coupe de France au club. » Afin que les supporters monégasques se souviennent longtemps du parcours peu commun de ce grand joueur, le cœur sur la main. Aurélien Maestracci
IDENTITÉ Né le : 25 août 1988 A : Niamey (Niger) Poste : Attaquant Taille : 1,86m Poids : 80 kg Parcours : ASFAN (2005-2008), KSC Lokeren (janvier 2008 mars 2009), CSKA Moscou (mars 2009 - janvier 2010), AS Monaco FC (depuis janvier 2010) International A Nigérien (10 sélections, 7 buts)
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