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CONVERSATION AVEC DANIELE FINZI PASCA
« Je mets en scène ce que je rêve »
Quelques questions à Daniele Finzi Pasca
Daniele Finzi Pasca, vous sortez de la Fête des Vignerons et vous voici confronté à Einstein on the Beach : pour vous quel est le dénominateur commun de votre art, comment arrivez-vous à faire ce grand écart, en d’autres mots qu’est-ce qui pour vous est important de faire ressortir dans votre démarche et dans les œuvres que vous livrez au public ?
Je suis un voyageur et ce n’est pas un effort pour moi de monter à bord d’un navire et de voguer vers des terres inconnues. J’ai dirigé tellement de projets si différents les uns des autres en me servant de mon cœur et des techniques auxquelles je me suis apprivoisé au fil des ans. Quand j’entre dans un théâtre, je me sens tout de suite à la maison et ensuite je fais de mon mieux pour établir des rapports de complicité avec les personnes autour de moi. Je suis aussi cuisinier et j’utilise des épices et des parfums qui font partie de l’histoire de ma famille et du quartier où j’ai vécu. J’aime émouvoir, toucher, étreindre et transporter le public dans des
voyages au-delà du réel. J’adore les rêves des enfants et les fugues de la réalité des personnes âgées. Pour moi, le théâtre, c’est un beau jeu.
Nous aimons les étiquettes dans le genre lyrique : Comme quoi vous identifiez-vous ? Clown, metteur en scène, chef de troupe (c’est ironique et une suite de la première question) ? Ou auriez-vous une suggestion pour décloisonner l’opéra ?
Je suis un homme de théâtre, simplement et profondément cela. J’appartiens à une manière de concevoir le monde qui est celle de la Renaissance. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de se spécialiser dans un environnement restreint. Je touche et j’effleure avec curiosité des mondes différents en les contaminant et en même temps, je me laisse transformer par eux.
Quel est votre rapport à la musique de Glass ? Qu’est-ce qui change ici pour votre processus créatif par rapport aux œuvres plus classiques que vous avez déjà montées ?
Sa musique m’a souvent accompagné. Sa musique n’est pas une musique que j’écoute mais c’est une musique qui m’accompagne. Je peux gravir une montagne, voyager entre Bombay et Calcutta ou ébouillanter des tomates pour préparer une sauce en sa compagnie. Je suis heureux de pouvoir m’immerger dans son monde.
Glass et Wilson ont marqué une partie des spectateurs du XX e siècle avec leur création atypique, qui réinvente la narration scénique et musicale. Qu’est-ce que vous vous aimeriez exprimer en vous appropriant ces quatre heures continues de musique ? Comment créez-vous un nouveau contenu approprié à la forme ? (Je pense aux noms des scènes, qui sont des lieux et des moments abstraits et les seuls éléments narratifs de l’oeuvre et que vous ne reprenez pas).
Je mets en scène ce que je rêve. Cet opéra ouvre des espaces gigantesques pour construire de minuscules allusions à un monde onirique où se révèlent les interrogations qui mettent en relation l’espace et le temps. Je ne suis pas du genre conceptuel, je procède plutôt par coups de cœur et par association d’idées. Je ne voudrais rien rajouter à ce qui existe déjà ou plutôt je cherche à ouvrir des portes derrière lesquelles on peut inventer de petits paysages intérieurs.
Quel est le rôle des acteurs/ performeurs/acrobates sur scène ? Est-ce que le texte joue un rôle visuel ou plutôt musical ? Avec quels éléments créez-vous les tableaux scéniques et à quelles lois de récurrence (musicale ou non) obéissent-ils ?
Ils sont ma famille et sont des acteurs totaux. Je dialogue avec eux de manière directe et simple. Je les connais bien et ils me connaissent. Cet ensemble permet de donner forme à des images simples et surprenantes à la fois. Cette fois-ci elles seront hypnotiques et surréalistes. Les paroles du texte seront des mantras, un son qui berce.
Quel est le rapport pour vous de la pièce à l’actualité, comment l’intégrez-vous dans notre monde d’aujourd’hui ?
Je ne me soucie guère du monde d’aujourd’hui. Parfois il me semble être plus proche de De Sica, de Chagall ou de Johan Cruyff que de mes contemporains.
Pour vous l’art est-t-il plus poétique que politique ?
Pour des raisons mystérieuses, j’ai passé beaucoup de temps dans les salles de soins intensifs. C’est ainsi que j’ai découvert qu’il existe des bactéries et des virus qui peuvent mettre un organisme tout entier dans un état critique. Je pense qu’on devrait étudier les stratégies que ces micro-organismes utilisent pour s’infiltrer. Je crois qu’on ferait mieux de cacher notre volonté de construire un monde plus juste entre les plis d’une pensée poétique.
Et en cinq secondes...
Qui vouliez-vous être quand vous seriez grand ?
Un homme heureux.
Vous êtes plutôt Robinson Crusoé ou Superman ?
Superman le matin, Robinson Crusoé le soir.
Vacances avec Einstein à la plage ou avec Philip Glass à la montagne ?
Einstein à la plage.
Votre première pensée du matin ?
Qui suis-je, d’où viens-je… qu’est-ce qu’on mange ce soir ?
Un conseil aux spectateurs et spectatrices d’Einstein on the Beach ?
N’essayez pas de tout comprendre.