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LES MOTS DE PHILIP GLASS
« L’idée d’une énergie que rien ne peut arrêter »
Philip Glass sur Einstein on the Beach
Après avoir complété Music in Twelve Parts, j’ai tout de suite commencé la série Another Look at Harmony, Parts 1, 2, 3 and 4, une œuvre qui manifesterait clairement que j’allais commencer la deuxième « phase » de ce cycle prolongé de compositions dans lequel je m’attaquerais finalement au dernier élément subsistant : l’harmonie. Si on regarde Einstein on the Beach scène par scène, il s’agit d’une présentation très claire d’un cycle mélodico-rythmique qui interagit avec une progression harmonique : d’abord un accord, puis deux, puis trois et ainsi de suite au fur et à mesure que la pièce avance. Le vaisseau spatial de la fin représente le point culminant du « champ unifié » de l’harmonie, de la mélodie et du rythme et cette scène se conclut avec une cascade de gammes chromatiques ascendantes et descendantes comme geste final.
Another Look at Harmony, Parts 1 and 2 allait être l’origine de deux des éléments thématiques importants du travail que je réalisais pour Einstein on the Beach. Je me suis servi d’eux pour composer toute la musique pour Train I (qui serait notre section A) et Dance I (qui serait notre section C). C’est en écrivant Einstein — tout en commençant par la composition de Another Look at Harmony — que j’ai poursuivi l’intégration de la musique rythmique, harmonique et cyclique en un système cohérent.
Je visais une réconciliation du mouvement harmonique et des cycles rythmiques. On peut l’entendre juste après Knee Play I dans la section musicale Train de l’Acte I. Dans mon esprit, cela est devenu une théorie unifiée et toute la composition d’Einstein était affectée à ce but.
En musique classique, on trouve des allegros et des prestos dans toutes sortes de pièces, mais ils sont traditionnellement présentés en contraste avec d’autres parties. On entend de la musique lente et ensuite de la musique rapide. J’ai souvent fait cela aussi dans des quatuors à cordes. Mais avec Einstein, il n’y avait plus qu’une seule chose : l’idée d’une énergie que rien ne peut arrêter. Il n’y avait pas besoin de mouvement lent. Même dans des scènes comme les deux Trials, l’élan de la musique demeure, quelque peu ralenti, mais si l’on écoute bien, on entend cet élan vers l’avant qui est encore là. De même avec la section Bed de l’Acte IV.
Pour varier, je me suis servi de deux types de paroles. Le premier, basé sur des numéros: 1, 2, 3, 4 et ainsi de suite jusqu’à 8. En traçant les contours du rythme, cela devenait un dispositif mnémotechnique supplémentaire. Le deuxième, basé sur le système du solfège, « do-ré-mi-fa-solla-si-do » qui étaient le nom des notes chantées et aidaient, par conséquent, à mémoriser la mélodie.
Un matin, Bob (NDT: Robert Wilson) passa pour entendre le travail du chœur et il écoutait l’un des Knee Plays. À ce moment-là, les chanteurs se débrouillaient plutôt bien avec les numéros et le solfège. Pendant que nous prenions une pause, Bob posa une question : « Est-ce que ce sont les mots qu’ils chanteront pendant la représentation? »
Cela n’avait pas du tout été mon intention, mais, après une pause presque imperceptible, je lui ai répondu « Oui. » Et c’est comme cela que les paroles de la musique chorale d’Einstein ont vu le jour. S’il est une chose que j’ai apprise depuis le début de mon travail théâtral, c’est que la musique est la force unificatrice qui portera le spectateurobservateur du début jusqu’à la fin, que ce soit à l’opéra, au théâtre, au cinéma ou au ballet. Cette force ne vient pas des images, du mouvement ou des mots. Si vous regardez la télévision en écoutant des disques avec une musique différente, les images que vous regardez vous sembleront différentes. Maintenant, essayez le contraire. Gardez la même musique et changez de chaîne. L’intégrité de l’énergie reste dans la musique et le fait d’avoir changé d’image n’y change rien.
Un des « problèmes », ou un motif possible de malentendu, était la réalité qu’Einstein n’avait jamais eu de base « théorique » ou « idéologique ». Ce qui était fort peu européen. Mais je pense cependant que ni Bob ni moi ne sentions le besoin d’en avoir. Par exemple, le fait que, pour produire Einstein, il nous fallait une scène avec proscenium, une cage de scène, des coulisses, un pont lumières et une fosse d’orchestre, rendait nécessaire l’utilisation d’un théâtre d’opéra. En d’autres termes, Einstein ne pouvait être produit que dans une maison d’opéra. Cette simple réalité faisait d’Einstein un opéra et cela nous suffisait amplement.
Philip Glass / Words Without Music : A Memoir / Faber&Faber, 2015