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CONVERSATION AVEC TITUS ENGEL
« Beaucoup de remous avec peu d’ingrédients » Quelques questions à Titus Engel partition. Mais dans le cas de cette œuvre, elle est relativement vague: Philip Glass, par exemple, n’a pas donné d’indications sur les tempi. J'ai donc dû reconstruire ces derniers à l’aide des enregistrements de la version originale. Il en va de même pour les parties parlées qui, elles aussi, ne contiennent que de très vagues indications. Einstein on the Beach a été un work in progress entre Philip Glass et Robert Wilson. Le processus habituel de la création d’un nouvel opéra, où le compositeur livre une partition très détaillée, que le metteur en scène et le directeur musical se chargent d’interpréter, n’a pas eu lieu. Eux, ont tout développé ensemble. De ce fait, la partition est plutôt un point de départ qu’une œuvre aboutie. Ceci présente naturellement beaucoup plus d’intérêt pour moi, étant donné que ma liberté d’interprétation est plus grande qu’à l’accoutumée, particulièrement en ce qui concerne les tempi, le phrasé et le son des synthétiseurs. On pourrait comparer cette liberté à celle que présente l’interprétation de la musique baroque, où la notation musicale n’a pas encore atteint le niveau de précision des siècles suivants. Votre identité en tant que spécialiste de la musique contemporaine est-elle exagérée ? Je n’ai rien contre l’étiquette de spécialiste, qui en premier lieu est positive, puisqu' elle signifie qu’on sait bien faire quelque chose, mais je ne souhaite pas être limité à cela. Pendant cette saison, par exemple, je vais diriger Boris Godounov et Don Giovanni aux opéras de Stuttgart et de Francfort. Je trouve très important de pouvoir passer d’une époque à l’autre. Mon penchant pour le phrasé vient de Titus Engel (né à Zurich en 1975) a étudié la musique et la philosophie à Zurich et Berlin et fait l’apprentissage du métier de chef d’orchestre à Dresde auprès de Christian Kluttig, complété par des bourses du Dirigentenforum des Deutschen Musikrat et de la David Zinmans American Academy of Conducting à Aspen (Colorado) , ainsi qu’en œuvrant comme assistant auprès de Sylvain Cambreling, Marc Albrecht et Peter Rundel. Il a enregistré de nombreuses œuvres pour la radio et sur CD, est l’un des fondateurs de l'Akademie Musiktheater Heute, basée à Francfort-sur-le-Main qui cherche à ouvrir le débat sur le genre du théâtre musical de notre époque, et a édité plusieurs livres sur l’opéra contemporain. Titus Engel, en quoi consiste votre métier de chef d’orchestre ? En tant que chef d’orchestre, je suis responsable de l’interprétation musicale. Dans le cas d’Einstein on the Beach, cela a commencé, comme presque toujours, par l’étude de la
ma pratique de la musique baroque, et j’espère beaucoup qu’il sera perceptible dans Einstein on the Beach. Inversement, les nombreuses partitions contemporaines que j’ai travaillées m’ont rendu sensible à une variété de détails et de différences sonores qui m’aide dans mon interprétation de la musique ancienne. Mes innombrables discussions avec des compositeurs vivants au sujet de leur musique m’ont également aidé dans mes conversations imaginaires avec les compositeurs d’autrefois au sujet de leurs œuvres.
La répétition d’une œuvre contemporaine ne diffère pas fondamentalement de celle d’une œuvre plus ancienne. Il s’agit dans un cas comme dans l’autre de trouver des solutions aux problèmes techniques, puis de donner forme à la musique. Pour la musique contemporaine, il faut simplement parfois un peu plus de temps jusqu’à ce que tout le monde maîtrise le texte musical qui est souvent plus complexe et insolite. Il est essentiel pour moi d’aller au-delà de la simple production de notes et de travailler véritablement la forme musicale. C’est en cela que consiste ma tâche de directeur musical.
Vous avez grandi dans les années 80: pour vous qui est Philip Glass ?
Mon activité musicale s’est intensifiée à la fin des années 1980. Je jouais de la contrebasse dans l’orchestre de mon lycée, j’accompagnais des chœurs et je jouais dans un groupe de jazz.
Je suis venu à la musique contemporaine par l’intermédiaire du free jazz et, par la même occasion, j’ai découvert la musique minimaliste. D’abord John Adams, et par la suite je suis tombé sur Glass. J’ai été immédiatement fasciné par la concentration sur l’« infiniment peu » de sa musique, qui suscite une immense pureté qui vous emporte complètement. Lorsque Aviel Cahn m’a demandé de diriger Akhnaten à Anvers, je me suis lancé avec enthousiasme dans l’étude approfondie de cette œuvre qui possède une intensité et une énergie grandioses. J’ai trouvé géniale l’idée d’ouvrir sa première saison à Genève avec Einstein qui est encore plus pure et virtuose.
Einstein on the Beach, quelle signification dans l’œuvre de Glass et quelle signification 45 ans après sa première ?
Einstein on the Beach est la première composition de théâtre musical de Philip Glass et, ensemble avec Robert Wilson, il a créé un chef-d’œuvre qui définit toute une époque. Une véritable œuvre d’art totale, une magnifique collaboration entre les arts musicaux et scéniques. Avec le temps, cependant, l’interprétation originale a pris un peu d’âge à mon goût, et le moment est arrivé d’oser de nouvelles interprétations. L’œuvre en elle-même est de dimension gigantesque avec ses quatre heures de musique, c’est aussi long que la Götterdämmerung de Wagner, mais sans pause. Et tout cela sans véritable intrigue, avec des textes dadaïstes et une musique répétitive composée d’éléments de base variant peu entre eux. C’est incroyable ce que cette œuvre provoque comme remous avec si peu d’ingrédients. De plus, il y a cette liberté pour les spectateurs de quitter la salle et d’y revenir, comme il était d’usage à l’époque baroque. Je suis curieux de voir quel usage le public genevois fera de cette liberté. Einstein on the Beach a rendu Philip Glass immédiatement célèbre et appartient, à mon avis, aux opéras les plus importants du XX e siècle. Comme si souvent dans la vie: moins c’est plus.
Devant une partition aussi atypique que celle d’Einstein on the Beach, comment doit-on procéder en tant que directeur musical ?
Pour Einstein on the Beach, on a besoin, au niveau musical, d’un chœur de chambre qui fournit également les solistes, ainsi que d’un ensemble instrumental et de comédienslocuteurs. Sur l’initiative d’Aviel Cahn, nous avons mis en place, en collaboration avec la Haute école de musique, un ensemble de chanteurs et de musiciens. A cette fin, nous avons tenu des auditions et formé cet ensemble dès l’automne dernier au cours de trois ateliers. Lors du dernier atelier, nous avons réalisé un enregistrement sur la base duquel la Compagnia Finzi Pasca a pu répéter. Les répétitions finales ont eu lieu à fin août.
Parlez-nous de votre interaction artistique avec Daniele Finzi Pasca. Sa compagnie va fournir les éléments scéniques et dramatiques à l’œuvre, est-ce qu’elle aura aussi un rôle musical à jouer ?
Puisque les comédiens sont aussi les locuteurs de l’œuvre, il faut qu’ils soient bien synchronisés avec la partition. Nous avons donc réalisé un enregistrement de l’œuvre avec les textes et un autre sans, afin que les comédiens puissent apprendre l’œuvre à l’écoute. Il y a aussi certains éléments de la partition dont la durée est variable. Au cours des dernières semaines, Daniele Finzi Pasca et moi-même avons fixé la durée de ces moments, afin de synchroniser au plus précis les éléments scéniques et musicaux.
Vous êtes, à ce qu’on dit, un grand cinéphile. Philip Glass a écrit d’innombrables musiques de film. Quelles sont les bandes-son originales de Glass qui vous ont le plus marqué et pourquoi ?
Je trouve Koyaanisqatsi grandiose, sa critique de la civilisation est plus actuelle que jamais, et la musique et l’image, grâce à l’absence de dialogues, s’accordent de manière particulièrement intense; c’est en fait un film muet moderne. Mais j’aime aussi beaucoup la musique que Glass a composée pour The Truman Show, Kundun et The Hours. La musique de Glass sied si parfaitement au théâtre musical, parce que son caractère répétitif agit en quelque sorte comme déclencheur de la fantaisie et rend les impressions visuelles plus intenses. Voilà pourquoi Einstein on the Beach est véritablement ce que l’opéra cherche à être depuis L’Orfeo : une œuvre d’art totale où toutes les formes d`art se trouvent réunies.
Et en cinq secondes...
Qui vouliez-vous être quand vous seriez grand ?
Toujours chef d’orchestre.
Vous êtes plutôt Robinson Crusoé ou Superman ?
Robinson Crusoé, comme je me sens souvent devant une nouvelle partition.
Vacances avec Einstein à la plage ou avec Philip Glass à la montagne ?
Einstein à la plage et pouvoir bavarder avec lui au sujet de l’univers.
Votre première pensée du matin ?
En ce moment : 1234 123 1234 123
Un conseil aux spectateurs et spectatrices d’Einstein on the Beach ?
Go with the flow… (Laisse-toi emporter par le courant)