| Décembre 2014 - Février 2015 N° 21
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Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève
LA GRANDE-DUCHESSE DE GÉROLSTEIN
L'absurdité de la guerre selon Laurent Pelly
LE PETIT PRINCE
Voyage à travers les planètes musicales de Michaël Levinas IPHIGÉNIE EN TAURIDE
Révéler les passions les plus extrêmes
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3 Le cœur irrassasié du désir 7
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Iphigénie en Tauride
La Grande-Duchesse de Gérolstein
Le monde ré-inventé de Laurent Pelly 12
De l’amour au chaos
Chères lectrices, chers lecteurs, Notre saison a maintenant pris son envol, et après deux belles productions aux mises en scènes
Le Petit Prince
Dessinemoi un opéra
mémorables signées Robert Carsen – et dont les distributions et la direction musicale ont remporté tous les suffrages – puis une nouvelle création du ballet Casse-Noisette, cette fin d’automne se prépare à accueillir notre traditionnel spectacle de fin d’année. C’est en compagnie de La Grande-Duchesse de Gérolstein et de toute sa troupe que vous pourrez vous laisser aller à la musique de Jacques Offenbach, et si vous le souhaitez, passer avec nous le soir du réveillon lors d’un dîner inoubliable sous les lustres du foyer du Grand Théâtre. Puis, à l’aube de la nouvelle année, toute la magie du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry vous sera révélée grâce au nouvel opus du compositeur contemporain Michaël Levinas. Vous pourrez ensuite vous immerger dans de multiples tragédies portées par Iphigénie en Tauride, Medea et Fidelio, toutes trois nouvelles productions du Grand Théâtre. Ce triptyque débutera avec l’opéra inspiré du théâtre grec d’Euripide où vous accompagnerez Iphigénie en Tauride dans cette œuvre de Christoph Willibald Gluck que nous sommes fiers de vous proposer. Ayant ici évoqué ces prochaines ouvrages, et bien que l’art lyrique soit un art vivant, que serait notre action si nous ne pouvions la présenter au plus grand nombre dans un souci d’offre culturelle équitable. L’un des moments forts de ces derniers mois a donc été pour notre institution la mise en place d’un consortium nous permettant de passer de l’archivage de nos productions à une captation ambitieuse. Captation dont le format et la qualité vont nous permettre de diffuser sur de nombreuses plateformes européennes l’éclat de nos opéras et de nos ballets. Enfin c’est avec un réel plaisir que nous avons recueilli les nombreux avis positifs de nos lec-
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Natalie Dessay Laurent Naouri
Pour une pure fantaisie
teurs découvrant le nouveau format du magazine ACT-O. Bien évidemment ce numéro totalement redéfini était un premier essai et dans ce type de mutation des améliorations sont toujours nécessaires. C’est pourquoi nous avons continué à réfléchir et à peaufiner ce qui devait l’être
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afin que ce gabarit propose un nouvel équilibre associant des textes riches et aérés à des illustrations chatoyantes.
Ce périodique que vous tenez dans les mains se veut être le lien qui vous unit à toutes les activités et les défis que le Grand Théâtre porte, et nous espérons que sa lecture vous permettra d’être sans cesse plus proches et solidaires des enjeux artistiques que nous défendons.
Tobias Richter directeur général
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Récital Patricia Petibon
La « Jolie môme » excentrique
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11, bd du Théâtre - CP 5126 - CH-1211 Genève 11 T +41 22 322 50 00 F +41 22 322 50 01 grandtheatre@geneveopera.ch www.geneveopera.ch
Directeur de la publication Responsable éditorial Responsable graphique & artistique Ont collaboré à ce numéro Impression
Tobias Richter Mathieu Poncet Aimery Chaigne Kathereen Abhervé, Bienassis, Gisèle de Neuve, Mireille Descombes, Sylviane Dupuis, Sandra Gonzalez, Frédéric Leyat, Wladislas Marian, Benoît Payn, Christopher Park, Mathieu Poncet. SRO-kundig
Parution 4 éditions par année ; Achevé d’imprimer en novembre 2014. 6 000 exemplaires
Il a été tiré 40 000 exemplaires de ce numéro encartés dans le quotidien Le Temps.
En couverture
Photo librement réalisée d'après les premières esquisses de maquillage d'Iphigénie en Tauride Photo : Nicolas Schopfer Direction artistique : Aimery Chaigne Mannequin : Aloyn Bongard Maquillage : Anaïs Vigliano
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Prochainement
Porgy and Bess 13 > 24/02/15 Michaël Volle 04/03/2015 Messa da Requiem 08 > 13/03/2015 Water Stains on the Wall 11 > 14/03/2015
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Crédits photos : Ann_Mei, Björn Meyer, ilbusca/iStock — Nejron Photo/Fotolia
IL N’Y A QU’UN PAS
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© DR
En introduction de son article, Sylviane Dupuis cite le roman de Marguerite Duras Moderato cantabile qui a inspiré en 1960 un film de Peter Brook avec Jeanne Moreau (Anne Desbarèdes) et Jean-Paul Belmondo (Chauvin).
Le cœur irrassasié du désir par S ylviane D upuis *
e la musique sortit, coula de ses doigts sans qu’il parût le vouloir, en décider, et […] submergea le cœur d’inconnu, l’exténua. » Il y a du trop dans notre désir. De l’impossible à combler. Au milieu du célèbre roman de Duras Moderato cantabile – comme s’il en allait d’un « point d’orgue » –, le lecteur tombe sur cette petite phrase où fusionnent l’écriture, l’amour, et la musique ; elle me semble détenir le secret, non seulement des deux personnages en présence (une mère et son enfant reliés par un amour plus grand qu’eux, et qui les déborde), mais aussi de tout acte de création. L’enfant, au piano, comme traversé par la musique, ressemble à celui ou celle qui écrit, traversé par la langue (« je crois que si j’avais joué du piano en professionnelle, je n’aurais pas écrit de livres. » 1). Et la femme qui écoute, qui éprouve dans tout son corps le passage en elle de la sonatine de Diabelli transitant des mains de l’enfant jusqu’à son cœur, est semblable à celui ou celle qui lit… Écouter de la musique ; lire un roman, un poème : il en va, comme dans l’amour, d’une même circulation du désir ou des émotions, du même transfert d’un imaginaire à l’autre, et d’un même échange d’inassouvissable.
Ce rapprochement ne s’est pas imposé à Duras par hasard. Dès l’origine, de la poésie lyrique ou des épopées orales jusqu’à « l’art total » 2 de l’opéra, la littérature est indissociable de la musique : Baudelaire et Nietzsche, et après eux Proust et Ramuz (qui note, jeune homme, dans son Journal de novembre 1901 : « Je voudrais être musicien. »), admirateurs passionnés de Wagner, voyaient en elle l’art suprême. C’est « l’émotion communiquée », écrit Ramuz 3, qui constitue le « moyen d’action » de l’art ; or dans la musique aussi bien que dans la voix humaine qui la porte jusqu’à nous, quelque chose excède absolument ce que les mots ou la parole peuvent dire, creusant profond dans le plus ignoré de soi, faisant corps avec nos mémoires enfouies – jusqu’à l’insupportable : la musique est l’émotion. Quel texte pourra jamais rivaliser avec la puissance animale, la force de séduction et l’incroyable mobilité expressive et rythmique de l’air « Fin ch’han dal vino… »4 du Don Giovanni de Mozart – ou, à l’opposé, avec la douceur sublime, ample et pacifiée, des grandes cantates de Bach ? Ou avec le vertige où nous entraîne le Tristan de Wagner ?
Crédits photos : Ann_Mei, Björn Meyer, ilbusca/iStock — Nejron Photo/Fotolia
D’où la jalousie des écrivains à l’égard de la musique – parfois aussi leur méfiance 5. Car qui écrit ne cherche pas seulement à susciter une émotion, mais encore à faire voir, et comprendre : l’écriture, qu’elle soit philosophique, poétique, ou de fiction, est aussi instrument de connaissance. Au programme de la nouvelle saison du Grand Théâtre figure un opéra de Michaël Levinas inspiré du Petit Prince de Saint-Exupéry. On pourrait s’en étonner, ou en sourire. Mais très vite on ne s’en 1 Marguerite Duras, Écrire, 1993. 2 Timothée Picard, L’Art total, grandeur et misère d’une utopie (autour de Wagner), 2006.
Deuxième opus de notre invitation auprès d’intellectuels, d’artistes ou de passionnés d’opéra. La poétesse, dramaturge et essayiste
* Sylviane Dupuis est écrivain. Elle a publié sept livres de poésie, six pièces de théâtre (jouées et traduites en plusieurs langues) et des essais. Elle enseigne à l’université de Genève. Dernier titre paru : Qu’est-ce que l’art ? 33 propositions (2013).
genevoise Sylviane Dupuis* décline avec sa sensibilité la devise de notre saison «Mon opéra, mon amour». © DR
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étonne plus. Levinas (le compositeur) est le fils du philosophe qui nous a appris à considérer le visage humain comme limite absolue du meurtre, ou de la réduction de l’autre à un « objet », posant l’éthique comme « philosophie première », assortie de la nécessité de « maintenir la société du Moi avec Autrui » 6. Publié comme un acte de résistance humaine, en pleine tourmente de la Seconde Guerre mondiale, le conte de Saint-Exupéry oppose précisément à la haine destructrice de l’Autre, à la dérive fasciste qui suppose l’incapacité de s’identifier à autrui par l’imagination (cela même qui est la condition de l’empathie comme de toute compassion 7), la connaissance du cœur. Celle qui perçoit, sous l’apparence, une réalité essentielle « invisible pour les yeux » – et l’infini dans le visage de l’autre. En tirer un opéra aujourd’hui a clairement valeur d’engagement. Parallèlement, dans son roman d’anticipation L’Infini Livre 8, Noëlle Revaz, avec une ironie qui feint l’adhésion à ce monde en réalité si ressemblant au nôtre, nous décrit une « société du spectacle » à tel point livrée au paraître, à la Ressemblance, que les livres n’y sont plus que… des boîtes vides, qu’on exhibe sans les ouvrir (et même sans les avoir écrits, car ils ont été composés par des machines) sur les plateaux de télévision. Un monde devenu pure surface, sans intériorité, sans passé ni culture, sans imagination ni manque, où une musique anonyme et molle devenue à son tour objet, omniprésente, a chassé le silence. Mais deux personnages « anachroniques » semblent échapper à l’emprise totalitaire du Même : Éden Fels (époux de l’écrivaine Jenna Fortuni, star des écrans vouée à sa carrière), qui ne s’intéresse, lui, qu’à « composer des œuvres » ; et Larsen Frol, qui revendique ce geste oublié, difficile : faire de la musique… Rien n’est perdu, tant que nous désirons, aimons, créons – irrassasiés. Et tant que ces objets vivants que sont les œuvres d’art continuent de pouvoir nous relier.
3 Charles-Ferdinand Ramuz, Besoin de grandeur, 1937. 4 Surtout chanté par John Brownlee sous la direction de Fritz Bush (en 1936 à Glyndebourne) !
6 Emmanuel Levinas, Totalité et infini, 1961.
5 Cf. P. Quignard, qui après La Leçon de musique parue en 1987 publie La Haine de la musique (1996), où il évoque sa puissance de « sidération » et son instrumentalisation – comme celle de l’émotionnel en général – par la barbarie nazie.
7 L’imagination comme composante essentielle de la compassion est une idée qui figure déjà dans la Théorie des sentiments moraux du philosophe anglais Adam Smith, en 1759. 8
Noëlle Revaz, L’Infini Livre, 2014.
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Les opéras-bouffes d’Offenbach, Laurent Pelly les connaît bien. Depuis Orphée aux enfers en 1997 – une production qui était passée par Genève deux ans plus tard –, l’homme de théâtre français a mis en scène pas moins d’une douzaine de ses œuvres qui se trouvent toujours à la frontière entre humour plaisant et satire mordante. Avec La Grande-Duchesse de Gérolstein, c’est au genre de la parodie militaire qu’il s’attaque.
› La Grande-Duchesse de Gérolstein
Opéra-bouffe en 3 actes et 4 tableaux Jacques Offenbach Direction musicale
Franck Villard
Mise en scène & costumes
Laurent Pelly
Metteur en scène associé
Christian Räth Décors Chantal Thomas Adaptation du livret et des dialogues Agathe Mélinand Chorégraphie Laura Scozzi Lumières Joël Adam La Grande-Duchesse
Ruxandra Donose
Wanda
Bénédicte Tauran
Fritz
Fabio Trümpy Le Général Boum
Jean-Philippe Lafont
Le Baron Puck
Boris Grappe Le Prince Paul Rodolphe Briand Le Baron Grog Michel de Souza Népomuc
Fabrice Farina Iza Julienne Walker Olga Marina Lodygensky Amélie Marion Jacquemet Charlotte Ahlima Mhamdi Un notaire Nicolas Carré
Laurent Pelly sur le plateau de répétition de La Grande-Duchesse de Gérolstein à Meyrin en novembre 2014.
Chœur du Grand Théâtre de Genève Orchestre de la Suisse Romande Au Grand Théâtre de Genève du 15 au 31 décembre 2014 (page de droite, ci-contre)
Christian Räth accompagne le metteur en scène sur cette production du Grand Théâtre.
© GTG / NICOLAS SCHOPFER
Direction Alan Woodbridge
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Laurent Pelly :
« Ce qui m’intéresse, c’est d’inventer un monde » Une entrevue avec L aurent P elly par M ireille D escombes *
Mireille Descombes Vous avez créé La Grande-Duchesse de Gérolstein de Jacques Offenbach au Théâtre du Châtelet en 2004. Vous remettez en scène cet opéra-bouffe au Grand Théâtre de Genève en décembre. S’agit-il d’une reprise ou d’une recréation ?
IN SHORT
Laurent Pelly’s Wacky World Of Warcraft
Laurent Pelly Une reprise et une recomposition tout à la fois. Dix ans ont passé. J’ai monté de nombreux opéras depuis, et notamment plusieurs pièces d’Offenbach. Mon regard a évolué, les interprètes, le chef et l’orchestre ne seront pas les mêmes. L’actualité, les guerres qui font rage un peu partout et leur terrifiante absurdité modifieront aussi notre perception de l’œuvre. Les choses vont donc forcément bouger, mais l’esprit restera le même.
LP C’est très variable. Mais avec Offenbach, la question ne se pose pas. C’est une rencontre évidente. Il fait partie de mes racines de théâtre. Chez Offenbach, on n’est pas dans l’opérette, mais dans l’opéra-bouffe, dans quelque chose de léger et de très sérieux à la fois. Il y a dans ses œuvres une profondeur, une noirceur, un second degré et des allusions caustiques à l’actualité de l’époque qui fonctionnent toujours très bien aujourd’hui. MD Une profondeur que l’on retrouve dans La Grande-Duchesse de Gérolstein… LP C’est une pièce assez particulière dans l’œuvre d’Offenbach où l’on trouve aussi bien des références à la mythologie que des choses plus contemporaines comme dans La Vie parisienne. La GrandeDuchesse de Gérolstein s’inscrit dans un autre registre. Elle relève de la parodie militaire, un genre un peu obsolète, presque oublié. Ce qui m’intéressait, c’est d’inventer un monde. Un monde absurde et violent, triste et drôle et qui mette l’accent sur l’absurdité de la guerre, chose que fait très bien Offenbach. Nous avons travaillé parallèlement sur une guerre imaginaire, mais inspirée de l’esprit de la Guerre de 14, tout en y intégrant une dimension plus sentimentale, presque féerique.
© GTG / NICOLAS SCHOPFER
MD Est-ce qu’un metteur en scène choisit les opéras qu’il va monter ?
MD Et cette Grande Duchesse, vous l’imaginez ridicule, séductrice ? LP C’est un personnage très intéressant, une femme qui se retrouve au pouvoir sans en avoir l’aptitude. Placée à la tête du gouvernement par la force des choses, elle doit prendre des décisions d’ordre militaire sans en mesurer les conséquences. Par ailleurs, elle n’est plus une jeune femme, mais visiblement n’a jamais rencontré l’amour. C’est une sorte de tyran en jupons qui est mue davantage par des préoccupations sentimentales que par un véritable intérêt pour le pouvoir. D’où des situations absolument abracadabrantes et absurdes… MD Il semblerait que la bêtise soit un thème qui vous inspire… LP C’est vrai. Et depuis longtemps. J’essaie toujours d’extraire le comique du drame, et inversement. Dans les comédies, par exemple, et dans La Grande-Duchesse en particulier, c’est souvent le versant noir et pathétique des choses qui retient mon attention. Je le trouve plus intéressant, plus accessible, plus universel en tout cas.
French director Laurent Pelly originally staged this version of Jacques Offenbach’s anti-militarist light opera La Grande-Duchesse de Gérolstein in 2004 at the Théâtre du Châtelet in Paris. Ten years later, he brings a new vision for his piece to Geneva, at a time when wars seem to be raging absurdly all over the planet. Offenbach is part of Pelly’s theatrical roots and offers an ideal balance of levity and gravity, with biting references to events of his time that still speak to today’s audiences. With La Grande-Duchesse de Gérolstein, Pelly takes the slightly out-dated genre of military parody and invents an absurd new world, both sad and funny, where an imaginary war rages, looking eerily like WWI. His Grand Duchess is devoid of any political or military skill; an aging tyrant in skirts who bosses her armies around whilst her only real concern is her love life. This leads to preposterous situations, which Pelly uses to highlight the comic nature of serious events, or vice versa. With three-quarters of the work’s music being militarily inspired, Pelly has a field day inventing a world of brainless puppet soldiers and mechanical buffoons, whose costumes he makes a point of designing himself, merrily mingling references to WWI, WWII and the absurd 1890’s comic plays of King Ubu. Pelly works both in theatre and opera, with completely different constraints. Timing is a particular issue: operas usually have far less rehearsal time than theatre and stage directions for a character that sings the same thing for ten minutes are necessarily different. Laurent Pelly enjoys these challenges, out of which the most interesting theatrical ideas often arise.
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(de haut en bas)
Lors des répétitions au studio de Meyrin en novembre 2014 : Ruxandra Donose (la GrandeDuchesse) au milieu des danseurs ; Christian Räth avec Jean-Philippe Lafont (le Général Boum) et Rodolphe Briand (le Prince Paul) ; Boris Grappe (le Baron Puck) ; Ruxandra Donose et Fabio Trümpy (Fritz) ; Ruxandra Donose passe la troupe en revue.
© GTG / CAROLE PARODI
O P É R A T I O N L A U R E N T P E L L Y : « C E Q U I M ' I N T É R E S S E , C ' E S T D ' I N V E N T E R U N M O N D E »
MD Dans votre approche de l’opéra, est-ce la musique ou l’histoire qui vient en premier ? LP Je pars toujours de la musique. Même si, bien sûr, je travaille aussi sur l’histoire. Quand j’ai monté La Grande-Duchesse, il y a dix ans, je travaillais pour la première fois aussi étroitement avec la musique. Je l’ai minutieusement décortiquée pour trouver les mouvements des personnages. Et comme elle est au trois-quarts d’inspiration militaire, je me suis retrouvé presque inévitablement à inventer une mécanique, un monde de pantins imbéciles et de marionnettes finalement très drôles. MD Dans La Grande-Duchesse, vous signez la mise en scène et les costumes. Une habitude ? LP Je l’ai toujours fait. Dessiner les costumes me permet de mieux entrer dans l’ouvrage et dans le caractère de chaque personnage. Comme dans la mise en scène, il s’agissait ici d’inventer un monde dont les codes et les références soient lisibles pour tout le monde. Au premier acte, par exemple, on a affaire à une armée. J’ai imaginé un costume qui évoque à la fois la Seconde Guerre mondiale, la Guerre de 14 et des marionnettes ubuesques. Il y a aussi dans cet opéra une dimension de conte que je tenais à conserver. Actualiser l’histoire ne m’intéressait pas. Même si, bien évidemment, il aurait été tout à fait possible de la situer dans un contexte contemporain. MD Vous êtes metteur en scène de théâtre et d’opéra. S’agit-il du même métier, ou de métiers différents ?
* Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d'art, d'architecture et de théâtre. Passionnée de littérature, elle tient également un blog consacré au roman policier Polars, Polis et Cie.
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LP C’est bien sûr le même métier, mais les contraintes sont tout à fait différentes. À l’opéra, on se trouve face à des contraintes de temps particulières. La contrainte du temps des répétitions, qui est en général beaucoup plus court qu’au théâtre, mais aussi celle de la gestion du temps à l’intérieur même des œuvres. Il ne vous arrive jamais au théâtre de vous retrouver avec un personnage qui, pendant dix minutes, répète les mêmes mots. Donc la gestion du temps est totalement différente. Et puis, vous ne pouvez pas demander aux chanteurs ce que vous faites faire à des acteurs. Ne serait-ce que par rapport au souffle. Il y a donc d’autres contraintes, mais des contraintes dont sortent souvent des choses intéressantes.
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› Iphigénie en Tauride Tragédie en 4 actes Christoph Willibald Gluck Direction musicale
Hartmut Haenchen
Mise en scène
Lukas Hemleb
Décors
Alexander Polzin Costumes Andrea Schmidt-Futterer Lumières Marion Hewlett Iphigénie
Anna Caterina Antonacci Mireille Delunsch Oreste
Bruno Taddia
Pylade
Steve Davislim
Thoas
Alexey Tikhomirov
Diane
Julienne Walker
Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge
Orchestre de la Suisse Romande Au Grand Théâtre de Genève du 25 janvier au 4 février 2015
Iphigénie en Tauride
Le choix d’un juste langage
V par B enoît P ayn
une équipe de production dont la plupart des membres sont inconnus du public du Grand Théâtre. Pourtant, de Madrid à Munich et de Milan à Bruxelles, les dernières réalisations de Hartmut Haenchen, Lukas Hemleb, Alexander Polzin et Andrea Schmidt-Futterer ont séduit les publics des plus grandes maisons lyriques d’Europe. Deux mois avant le début des représentations, il est encore temps de faire connaissance avec le chef d’orchestre, le metteur en scène, le scénographe et la costumière qui tireront les ficelles de l’une de nos trois nouvelles productions de l’année.
Une autre façon d’aborder Gluck
Pour cette nouvelle production d’Iphigénie en Tauride, Tobias Richter, directeur général du Grand Théâtre de Genève, s’est tourné vers un homme de théâtre. Il lui tenait plus particulièrement à cœur de faire appel à un artiste dont le profil permettait de saisir dans toute sa complexité l’œuvre et son ancrage dans l’univers musical et culturel européen de la fin du Siècle des Lumières. Après de premières expé-
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Willibald Gluck, Iphigénie en Tauride réunit
oilà trois ans déjà que l’émouvante musique de Christoph Willibald Gluck n’avait plus été programmée au Grand Théâtre. L’Orphée qu’avait alors présenté Mats Ek avait vu réunis sur scène trois solistes de talent, le chœur et, événement assez extraordinaire pour être relevé, le Ballet du Grand Théâtre. Le chorégraphe suédois avait délivré une vision renouvellée du fameux mythe d’Orphée, surprenante autant que captivante. Souvent, les opéras de Gluck se retrouvent entre les mains de grandes figures de la danse. Pour preuve, les mises en scène et chorégraphies d’Aurel Milloss, Pina Bausch ou encore Mats Ek, qui ont toutes marqué l’histoire de l’interprétation des œuvres de Gluck lors des cinquante dernières années. En conformité avec la tradition française, les œuvres du Chevalier Gluck contiennent souvent des ballets, mais ce sont également les caractéristiques intrinsèques de cette musique, telles que sa carrure typiquement classiciste, qui ont encouragé les directeurs d’opéra à faire appel à des chorégraphes et des danseurs.
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Chef-d’œuvre de la maturité de Christoph
Deux visages encore inconnus au Grand Théâtre : Lukas Hemleb et Hartmut Haenchen.
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OPÉRATION IPHIGÉNIE EN TAURIDE, LE CHOIX D’UN JUSTE LANGAGE
© JAVIER DEL REAL
riences accumulées dans les bouillonnantes années quatre-vingt de la Schaubühne de Berlin et de la scène théâtrale allemande, Lukas Hemleb a travaillé avec des troupes de théâtre au Cameroun et au Nigéria, participé à des projets en Italie, avant de s’installer en France où il s’est construit une solide réputation d’homme de théâtre depuis maintenant plus de vingt ans. Ainsi, la destinée du metteur en scène se rapproche beaucoup de celle de Gluck, qui après avoir quitté les forêts de Bohême pour parcourir l’Europe en quête de nouvelles connaissances musicales, s’est imposé à Vienne puis Paris, où sa carrière atteint son apogée lorsqu’Iphigénie en Tauride est créé le 18 mai 1779 à l’Académie royale de musique.
Relever le défi de la musique
Possèdant une bonne connaissance du répertoire baroque qu’il a passablement exploré lors de précédentes mises en scène, Lukas Hemleb se lance dans une nouvelle aventure en abordant pour la première fois une œuvre de Gluck, ce compositeur à cheval entre deux époques, auquel la transition entre baroque et classique est généralement attribuée. Si l’on a parfois tendance à trop abuser de ces catégorisations historico-esthétiques, on ne peut réfuter le rôle capital que joua Gluck dans la redéfinition du théâtre musical, alors déjà « vieux » de plus d’un siècle et demi. Quelques années après la célèbre Querelle des Bouffons où défenseurs de la tragédie lyrique française et partisans des innovations de l’opéra italien se déchirèrent autour de la direction à donner à cet art, le compositeur mit en place des principes qui, après avoir donné lieu à de nouveaux débats esthétiques, furent repris par bon nombre de ses successeurs et reçurent les éloges de grands noms de l’art lyrique tels que Berlioz ou Wagner. Face à toute cette pensée que Gluck incarne en terme de réforme, le metteur en scène ne perd pas de vue l’un des défis qui l’attend : « traiter cette tentative de dégraisser l’opéra de tout ce ballast baroque, en vue de défendre un idéal humain et une œuvre artistique formellement beaucoup plus pure ». L’Orchestre de la Suisse Romande ayant été préféré à un ensemble de musique ancienne, la phalange en résidence au Grand Théâtre sera dirigée pour l’occasion par Hartmut Haenchen, un chef d’orchestre originaire de Dresde qui a été formé dans une tradition orchestrale allemande prenant ses racines dans le XIXème siècle. Habitué à aborder ce genre d’œuvres avec un effectif tel que celui de l’OSR, le maestro a également une grande expérience du répertoire préclassique qu’il a longtemps défendu avec le Kammerorchester Carl Philipp Emmanuel Bach. Suggéré par Lukas Hemleb, Alexander Polzin a conçu les décors de cette nouvelle production. Certes, l’idée d’attribuer la scénographie à un collaborateur provenant de la scène des arts plastiques n’est pas nouvelle, il n’empêche que l’artiste peintre et plasticien berlinois s’est montré très habile lors de précédentes participations à des projets lyriques, notamment au Teatro Real de Madrid où le regretté Gerard Mortier a fait plusieurs fois appel à lui. Proposant bien plus que de simples transpositions scéniques de son travail quotidien ou de ses commandes, Alexander Polzin est depuis le début de sa carrière en constante recherche d’une synergie entre les différentes disciplines artistiques. À chaque nouveau projet, il emprunte une voie originale et ses réalisations refusent les artifices de la scénographie conventionnelle.
(en-haut et à droite)
Les décors en cours de construction aux ateliers du Grand Théâtre en novembre 2014. (ci-dessus)
Un sang générateur de vies brisées et distordues
Alexander Polzin et Andrea Schmidt-Futterer complètent l'équipe de production.
Essais photographiques librement inspirés d'esquisses de maquillage pour le personnage d'Iphigénie.
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(page de gauche et droite)
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© GTG / NICOLAS SCHOPFER / DA : AIMERY CHAIGNE
La scénographie d’Alexander Polzin pour La Conquista de México de Wolfgang Rihm au Teatro Real de Madrid en octobre 2013.
Le sujet qui est désormais au centre de l’attention de cette équipe de production correspond à un épisode du mythe des Atrides, cette famille des descendants d’Atrée, roi de Mycènes, qui fut frappée par la malédiction des Dieux. La série de parricides, infanticides, incestes et autres atrocités qui touchèrent cette famille nous sont parvenues à travers les écrits d’Euripide et d’Eschyle ; Christoph Willibald Gluck a travaillé à partir d’un livret inspiré d’une tragédie de Claude Guimond de la Touche, l’une des nombreuses adaptations théâtrales qui virent
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IPHIGÉNIE EN TAURIDE, LE CHOIX D’UN JUSTE LANGAGE OPÉRATION
IN SHORT
le jour à cette époque. Transportée par magie jusqu’à l’île de Tauride alors que son père Agamemnon projetait de l’offrir en sacrifice, Iphigénie y est devenue grande-prêtresse de Diane. Un jour, son frère Oreste et son fidèle compagnon Pylade échouent sur ces rivages. Or, selon les rites qui ont cours sur les terres du roi Thoas, tout étranger dont le bateau accoste les côtes de Tauride doit être immolé. L’intrigue de l’opéra est ensuite basée sur une attente angoissante qui ne prendra fin qu’au moment où frère et sœur se seront reconnus. Alexander Polzin cerne parfaitement la tonalité de cet opéra : « Cette histoire creusée par la culpabilité, la souffrance et l’abnégation est en jeu constant avec la musique “ dansante ” de Gluck. » Ce récit met en scène une certaine image de la famille que l’on retrouve présentée de différentes façons à travers toute l’histoire de la culture occidentale et l’on voit dans Iphigénie en Tauride les effets des influences néfastes qui peuvent déstabiliser ce fragile équilibre qu’est la famille. Lukas Hemleb précise à juste titre que « la famille telle qu’on la retrouve chez les Anciens continue encore de nos jours à être cette entité capable de distordre des vies, de détruire ou d’aimanter des existences d’une façon particulière. » Le metteur en scène a également été frappé par les différentes strates qui sont présentes dans le livret de l’opéra. À travers différents degrés de rêves et de cauchemars se manifeste la profondeur des malaises des différentes personnages présents sur scène. On devine alors « une sorte de sphère onirique, de subconscient dans lequel on a l’impression que les personnages menent tous une double existence. »
Telling the Tale Differently: Iphigenia in Tauris
(ci-contre à droite)
Croquis et esquisses pour les costumes et maquillage d'Iphigénie et d'Oreste par Andrea Schmidt-Futterer . (ci-contre à gauche)
La sculpture monumentale de Giordano Bruno par Alexander Polzin trône à Berlin, Potsdamer Platz
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Plutôt qu’emprunter la voie de la danse ou de la psychologie naturaliste, Lukas Hemleb, Alexander Polzin et Andrea Schmidt-Futterer se sont donc plongés dans une réflexion autour d’un moyen de représenter cet état pluriel qui touche les personnages tout en dépassant l’apparente simplicité de la musique. Leur recherche a abouti à ce que le premier considère comme « un canon de formes qui se nourrit d’autres moyens d’expression théâtrale et qui rend ainsi justice à cette œuvre. » Familier des différentes formes de théâtre asiatique qu’il a côtoyées lors de collaborations artistiques à Taïwan et au Japon notamment, Lukas Hemleb s’en est inspiré pour représenter sur scène différents niveaux de narration, en accompagnant chaque chanteur de son avatar en forme de poupée. Il insiste sur le fait qu’il s’agit là d’« une inspiration technique et surtout pas une référence esthétique. » Forte de plus de trente ans d’expérience dans le domaine de la confection de costumes, Andrea SchmidtFutterer a apporté tout son savoir-faire à la réalisation de ces poupées. La costumière allemande a autant contribué à la conception de leurs morphologies, leurs têtes et leurs visages qu’à l’étude des différents types de manipulation. Les doubles en poupées imaginés par l’équipe de production offriront certainement la possibilité d’explorer d’avantage les différentes facettes des personnages mais le metteur en scène est conscient de la difficulté de l’entreprise : « Il faudra mettre au point quelque chose d’extrêmement pointu, qui prenne justement en considération ces questions formelles et qui nous emmène dans un ailleurs pour retrouver toute l’humanité des personnages. » Cet ailleurs, comment le conçoit le scénographe ? « Il était important pour moi que l’on ne se contente pas d’une grossière transposition contemporaine. » Alexander Polzin a trouvé une sorte de compromis entre une image forte qui véhicule un grand nombre de significations et un espace exploitable scéniquement. Ce compromis se concrétise sous la forme d’un amphithéâtre grec en ruines dont les pierres massives portent les traces du temps mais sont par contre peintes de couleurs vives, tel que c’était le cas dans la Grèce antique. Dans cet espace évoluent des personnages qu’Andrea Schmidt-Futterer a habillés de costumes qui consistent en une évocation très moderne mais abstraite de l’Antiquité. Ne souhaitant pas insister sur cette description générale du décor, le scénographe préfère conclure en soulignant ce paradoxe qui invite le spectateur à dépasser ses premières impressions : « Le public fait ainsi face à la fois à quelque chose qui se distancie grandement de son quotidien, mais qui reflète pourtant les fondements de notre conscience de la démocratie et de la société européennes. » Le rideau se referme sur cette scène et ce spectacle encore en pleine élaboration, après avoir laissé entrevoir ce qui s’annonce comme un début d’année fort en émotions.
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Un théâtre antique et des doubles
Conductor Hartmut Haenchen, stage director Lukas Hemleb and stage designer Alexander Polzin are bringing Gluck’s Iphigénie en Tauride, probably the world’s first modern opera and the last great success of the composer’s career, to the Geneva stage in January 2015. Three years ago, the Grand Théâtre featured a production of another great work of Gluck’s, Orphée, staged by Mats Ek. Although the classical emphasis on ballet makes Gluck’s French operas an ideal matter for choreographers like Ek or Pina Bausch, Grand Théâtre general manager Tobias Richter’s choice for this great dramatic piece is more resolutely theatrical. Lukas Hemleb’s roots are in the cultural effervescence of 1980’s Berlin, with projects in France, Italy and West Africa ; an artistic itinerary not unlike Gluck’s shuttling between Vienna, London and Paris in the Age of Enlightenment, which allows for an interesting analysis of the piece’s complex musical and cultural significance. Hemleb is also keen to emphasise Gluck’s pivotal role in reforming 18th century opera, establishing new dramatic and musical principles that, in his words, « got rid of all the excess Baroque ponderousness, advocating greater human ideals and purer artistic form ». This break away from the Baroque is supported by Dresden-born conductor Hartmut Haenchen’s conviction that the Orchestre de la Suisse Romande is just as suited to perform preclassical operas like Gluck’s in the 19th century German orchestral aesthetic, as an early music ensemble might be. Berlin native Alexander Polzin uses his experience as painter and plastician to design an unconventional set for this opera where « the dance-like moods of the music with a plot that is riddled with guilt, suffering and self-sacrifice. » The Greek tragedians found ample subject matter in the legends of the cursed house of Atreus : parricide, infanticide, incest and divine wrath beset King Agamemnon’s family to the point that he must sacrifice his daughter Iphigenia to placate the gods. As the knife is about to fall, she is spirited away to the far-off island of Tauris where she becomes the High Priestess of Diana. During his quest to find his sister Iphigenia, Orestes is shipwrecked on Tauris with his friend Pylades, and then arrested and condemned to be sacrificed to Diana, according to the ancient barbaric ritual of the island. Thus begins a terrible suspense until brother and sister finally recognize each other. Hemleb sees in this story a Western cultural paradigm about dysfunctional families « that can distort, destroy or magnetize lives in their own special way ». Gluck’s characters also operate simultaneously on different levels, their dreams and nightmares revealing the extent of their misfortune. Hemleb and Polzin intend to underline this « double existence with the subconscious » with the use of puppet avatars, inspired by theatrical practices that Hemleb became familiar with during projects in Taiwan and Japan and representing another dimension that underlines the characters’ humanity. Polzin’s environment for this other dimension strikes a balance between powerful imagery and a viable theatrical space : a ruined Greek amphitheatre whose massive stone blocks are both eroded by time and painted in bright colours, as they would have been in Ancient Greece. Costumes by Andrea Schmidt-Futterer also allude to the ancient world, in an modern, abstract way. « The audience should be confronted with something that doesn’t belong to their everyday visual world whilst strongly pointing to the origins of our European democratic and social consciousness », adds Polzin, without revealing more details of the impressive production he and his colleagues are bringing to the Grand Théâtre this January.
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La Callas en 1969 dans Medea de Pier Paolo Pasolini.
Mathieu Poncet Nous vous rencontrons aujourd’hui afin de découvrir le membre du Cercle du Grand Théâtre que vous êtes. Mais avant tout, auriez-vous l’amabilité de nous dire en quelques mots quel est votre parcours de mélomane ?
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Gerson Waechter Mon amour de l’opéra est précoce : en 1960, lorsque j’avais 7 ans, j’ai vu la Flûte enchantée par les marionnettes de Salzbourg, et je suis devenu accro ! Je me suis immédiatement acheté avec mon argent de poche l’enregistrement correspondant à la bande-son de ce spectacle : c’était la célèbre version – en 33 tours évidemment ! – dirigée par Ferenc Fricsay en 1954, avec le jeune FischerDieskau comme Papageno (il avait 29 ans !), Ernst Haefliger comme Tamino, et la grande Rita Streich comme Reine de la nuit. Je trouve toujours que c’est la plus belle des versions. J’ai aussi pratiqué différents instruments auprès de professeurs de renom, la flûte traversière avec André Pépin, ensuite le piano avec Edith Murano qui était une concertiste et une pédagogue remarquable, et enfin le chant auprès de Maria Carpi, qui fut l’associée de son mari Fernando Carpi, l’un des plus grands professeurs de l’après-guerre, et qui comptait comme élèves entre autres Zinka Milanov, Ernest Haefliger, Suzanne Danco, Gwyneth Jones, Eric Tappy, et Alfredo Kraus ! Mes études universitaires ne m’ont malheureusement pas permis de poursuivre ces enseignements mais j’ai continué à pratiquer le chant en amateur. Un souvenir inoubliable : la classe de maître de Rita Streich à laquelle j’ai assisté (en tant qu’auditeur seulement !) à Salzbourg, en 1982. En tant que mélomane, je fréquente assidument l’opéra et les concerts de tous genres, parfois aussi de jazz et de rock, notamment à Montreux. Je suis très sensible à la voix, et particulièrement aux textes que l’on retrouve dans les lieds de Schumann, Wolf ou Schubert. Mes parents, qui étaient tous deux d’origine viennoise, m’ont transmis l’amour de la poésie romantique en langue allemande. J’adore aussi le chant en français, surement la langue la plus difficile à chanter. Quand le français est bien chanté et articulé, quelle élégance !
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MP Quelles ont été les motivations qui vous ont fait rejoindre le Cercle du Grand Théâtre ? GW Comme vous l’avez compris, la musique m’accompagne depuis mon enfance. C’était alors assez évident d’appartenir au Cercle que j’ai rejoint il y a une année. Le Grand Théâtre est ma maison, c’est pour moi une centralité de l’espace genevois, au même titre que La Monnaie qui se situe au milieu de Bruxelles. Être membre du Cercle, c’est une façon de participer à ce grand processus artistique qui lie le Grand Théâtre et la Cité. Je veux d’ailleurs croire que l’un des enjeux fondamentaux auxquels nous nous associons est la diversité et le rajeunissement des publics. De tous les arts vivants, l’opéra est le plus fou, le plus complexe, le plus riche, le plus risqué aussi. Une fois sur deux les enjeux artistiques pourraient être plus épanouis, mais une fois sur dix, c’est une Erlebnis inoubliable, qui change la vie. Je ne supporte pas l’idée que les jeunes pourraient passer à côté du miracle unique de créativité qu’est l’opéra. Nous avons le devoir de leur ouvrir l’accès à ce monde formidable,
Une entrevue avec G erson W aechter , membre du Cercle, par M athieu P oncet
comme Sarastro qui mène Tamino et Pamina vers la lumière ! À ce propos les représentations de Delusion of the Fury m’ont ravies et elles ont montré aux spectateurs que l’opéra est un médium expérimental et souvent révolutionnaire, comme Gluck l’a également démontré en son temps. Ainsi, à ma mesure, j’avoue être assez incitatif auprès de mes réseaux pour que de nombreux jeunes spectateurs assistent aux productions de l’opéra ou que de nouveaux membres s’associent à notre Cercle. Pouvoir profiter des présentations artistiques et techniques qui nous sont proposées, et bénéficier des voyages lyriques organisés par le Cercle sont des privilèges rares. De plus, vivre l’aventure du futur Opéra des Nations est une expérience extraordinaire, en effet, nous étions tous très préoccupés au Cercle du sort de notre maison pendant les travaux et nous avions appris que le théâtre provisoire en bois érigé sur la place Royale à Paris pendant la rénovation de la Comédie Française, était à vendre. Nous sommes donc très heureux que Madame Lorella Bertani, présidente de la Fondation du Grand Théâtre et Monsieur Rémy Pagani, conseiller administratif de la Ville de Genève, aient saisi la balle au bond avec un enthousiasme et une détermination exceptionnelles. Ce nouveau lieu sera, à n’en pas douter, un pourvoyeur d’idées nouvelles. J’aimerais aussi dire que je suis passionné par la musique contemporaine, comme d’ailleurs par toutes les démarches artistiques de notre temps. György Kurtág, George Benjamin ou Thomas Adès sont pour moi des maîtres. Je suis alors parfois déçu que les productions d’opéras contemporains ne rencontrent pas plus de succès auprès des publics (mais c’est heureusement en train de changer !). Je pense que de nombreux échecs dans ce domaine s’expliquent par l’inadéquation des livrets. Je pense qu’il ne faudrait pas que les compositeurs se chargent de cela (nonobstant le contre-exemple de Wagner). Il serait important que dans les hautes écoles de musique, ou dans les départements de lettres des universités, des chaires soit créées afin d’enseigner l’écriture des livrets d’opéra. Et sous forme de « provocation sérieuse », je crois que chaque librettiste devrait d’abord être capable de rédiger le scénario d’un épisode de Desperate Housewives afin d’apprendre à concevoir une vrai dramaturgie ! © DR
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Les marionnettes de Salzbourg jouant La Flûte enchantée ont déclenché l'amour de l'opéra de Gerson Waechter
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e n t cl A C e R
Toute les manifestations de l'art vocal sont pour moi passionantes
MP Comme vous nous l’avez indiqué, l’opéra Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck, qui sera monté au Grand Théâtre fin janvier ne vous est pas inconnu. Pourriez-vous nous évoquer quelques souvenirs le concernant ? GW À Genève, j’ai eu la chance de voir les deux productions de 1973 et de 1978. La première, dirigée par Pierre Colombo, était mise en scène de façon assez hiératique par Walter Oberer. De plus, chantée en allemand avec dans le rôle titre Karen Lorenzen, elle ne pouvait refléter selon moi le cheminement d’un compositeur de langue germanique,
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Fondé en 1986, le Cercle du Grand Théâtre s’est donné pour objectif de réunir toutes les personnes et entreprises qui tiennent à manifester leur intérêt aux arts lyrique, chorégraphique et dramatique. Son but est d’apporter son soutien financier aux activités du Grand Théâtre et ainsi, de participer à son rayonnement.
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Rejoignez-nous !
mais installé à Paris et représentant du renouveau de l’opéra français. La seconde production chantée en français m’a laissé un excellent souvenir. Le chef Raymond Leppard était remarquable ainsi que le casting et notamment l’Iphigénie de Rachel Yakar. J’ai récemment vu au cinéma la production du Metropolitan Opera dirigée par Patrick Summers , formidable chef anglais, et interprétée entre autre par Susan Graham et Plácido Domingo. Ces expériences de captations sont intéressantes et offrent au plus grand nombre d’autres perceptions (gros plans, prises de vues variées) de l’œuvre, mais le spectacle vivant reste pour moi une expérience absolument irremplaçable. MP Cette œuvre de Gluck, inspirée de la tragédie grecque d’Euripide peut-elle nous offrir une lecture moderne, en écho à notre présent ? GW Comme souvent les créations artistiques radicales et innovantes, cet opéra n’a pas pris une ride. En effet Iphigénie en Tauride est l’aboutissement de la profonde réforme gluckienne qui avait pour objectif de réagir contre la complexité souvent incompréhensible des livrets de Métastase et de la monotonie des operas serias pour revenir à la simplicité et à la profondeur humaine de la tragédie antique. Depuis 1762 (date de la création viennoise – en italien – d’Orfeo ed Euridice) la démarche de Gluck est extrême et elle reste donc jeune. Lors de la création d’Iphigénie en Tauride en 1779, Gluck a déjà soixante-cinq ans, mais il compose encore avec la ferveur – et la fraîcheur – du jeune révolutionnaire qu’il a toujours été. J’aimerais également dire que je trouve très séduisante et judicieuse la programmation des trois tragédies que nous pourrons découvrir au printemps sur la scène du Grand Théâtre. Il y a en effet un lien tangible qui unit Iphigénie en Tauride, monument du renouveau classique, à Medea de Cherubini, œuvre intermédiaire composé à Paris pendant le Directoire, et à Fidelio de Beethoven, un de premiers chef d’œuvre du romantisme allemand. Il faut en effet rappeler que l’allemand Gluck compose Iphigénie vers 1778-1779 sur un livret en français, au même titre que l’italien Luigi Cherubini qui effectuera presque toute sa carrière à Paris. Quant à Ludwig van Beethoven, qui tenait Cherubini pour l’un des plus grands compositeurs de son temps, il composera Leonore (la première version de Fidelio) en 1804, soit deux ans après avoir entendu Medea à Vienne en 1802. Ainsi, vingt-cinq ans à peine séparent la création d’Iphigénie de la première version de Fidelio. Autre fil conducteur, évidemment : les incarnations légendaires de Maria Callas de Medea (en italien) en 1953, sous la direction de Léonard Bernstein, et d’Iphigénie en 1957, dans la mise de scène de Luchino Visconti. La Callas n’a jamais enregistré Fidelio qu’elle a chanté notamment à Athènes en 1944. Mais il faut absolument écouter sur YouTube la classe de maître qu’elle a donnée à la Juillard School en 1971, où elle chante plusieurs passages du grand air du premier acte « Abscheulicher! Wo eilst du hin », et où l’on se rend compte quelle immense Leonora elle a dû être ! Je ne peux ainsi que me réjouir lorsque notre Cercle s’associe à une telle démarche programmatique qui conjugue la défense d’un patrimoine et sa lecture contemporaine.
Nous serions heureux de vous compter parmi les passionnés d’ arts lyrique, chorégraphique et dramatique qui s’engagent pour que le Grand Théâtre de Genève conserve et renforce sa place parmi les plus grandes scènes européennes. Adhérer au Cercle du Grand Théâtre, c’est aussi l’assurance de bénéficier d'une priorité de placement, d'un vestiaire privé, d'un service de billetterie personnalisé et de pouvoir changer de billets sans frais. Vous participerez chaque année au dîner de gala à l’issue de l’Assemblée Générale et profiterez des cocktails d’entracte réservés aux membres. De nombreux voyages lyriques, des conférences thématiques « Les Métiers de l’Opéra », des visites des coulisses et des ateliers du Grand Théâtre et des rencontres avec les artistes vous seront proposées tout au long de la saison. Vous pourrez assister aux répétitions générales et bénéficierez d'un abonnement gratuit à ce magazine. Vous recevrez également tous les programmes de salle chez vous.
Pour recevoir de plus amples informations sur les conditions d’adhésion au Cercle, veuillez contacter directement : Madame Gwénola Trutat (le matin, entre 8 h et 12 h) T + 41 22 321 85 77 F + 41 22 321 85 79 cercle@geneveopera.ch Cercle du Grand Théâtre de Genève Boulevard du Théâtre 11 1211 Genève 11
Nos membres B ureau M. Luc Argand, président M. Pierre-Alain Wavre, vice-président M. Gabriel Safdié, trésorier Mme Véronique Walter, secrétaire Mme Françoise de Mestral A utres membres du comité S. A. S. la Princesse Andrienne d’Arenberg Mme Vanessa Mathysen-Gerst Mme Brigitte Vielle M. Gerson Waechter M embres bienfaiteurs M. et Mme Luc Argand M. et Mme Guy Demole Fondation de bienfaisance de la banque Pictet Fondation Hans Wilsdorf M. et Mme Pierre Keller Banque Lombard Odier & Cie SA M. et Mme Yves Oltramare Mrs Laurel Polleys-Camus Union Bancaire Privée – UBP SA M. Pierre-Alain Wavre M. et Mme Gérard Wertheimer M embres individuels S. A. Prince Amyn Aga Khan Mme Diane d’Arcis S. A. S. La Princesse Etienne d’Arenberg Mme Dominique Arpels M. Ronald Asmar Mme Véronique Barbey Mme Christine Batruch-Hawrylyshyn Mme Maria Pilar de la Béraudière M. et Mme Philippe Bertherat Mme Antoine Best Mme Saskia van Beuningen Mme Françoise Bodmer M. Jean Bonna Prof. et Mme Julien Bogousslavsky Mme Clotilde de Bourqueney Harari Comtesse Brandolini d’Adda Mme Robert Briner Mme Caroline Caffin M. et Mme Alexandre Catsiapis Mme Maria Livanos Cattaui Mme Muriel Chaponnière-Rochat M. et Mme Julien Chatard M. et Mme Neville Cook M. Jean-Pierre Cubizolle M. et Mme Claude Demole
M. et Mme Olivier Dunant Mme Denise Elfen-Laniado Mme Maria Embiricos Mme Diane Etter-Soutter Mme Clarina Firmenich M. et Mme Eric Freymond Mme Manja Gidéon Mme Elka Gouzer-Waechter Mme Claudia Groothaert M. et Mme Philippe Gudin de La Sablonnière Mme Bernard Haccius Mme Théréza Hoffmann M. et Mme Philippe Jabre M. et Mme Eric Jacquet M. Romain Jordan Mme Madeleine Kogevinas M. et Mme Jean Kohler M. David Lachat M. Marko Lacin Mme Michèle Laraki M. et Mme Pierre Lardy Mme Eric Lescure Mme Eva Lundin M. Bernard Mach Mme France Majoie Le Lous M. et Mme Colin Maltby M. et Mme Thierry de Marignac Mme Mark Mathysen-Gerst M. Bertrand Maus Mme Anne Maus M. Olivier Maus Mme Béatrice Mermod M. et Mme Charles de Mestral Mme Vera Michalski M. et Mme Francis Minkoff M. et Mme Bernard Momméja M. et Mme Christopher Mouravieff-Apostol Mme Pierre-Yves Mourgue d’Algue M. et Mme Trifon Natsis Mme Laurence Naville M. et Mme Philippe Nordmann M. et Mme Alan Parker M. et Mme Shelby du Pasquier Mme Sibylle Pastré M. Jacques Perrot M. et Mme Gilles Petitpierre M. et Mme Charles Pictet M. et Mme Guillaume Pictet M. et Mme Ivan Pictet M. et Mme Jean-François Pissettaz Mme Françoise Propper Comte de Proyart
Mme Ruth Rappaport M. et Mme François Reyl M. et Mme Andreas Rötheli M. Jean-Louis du Roy de Blicquy M. et Mme Gabriel Safdié Comte et Comtesse de Saint-Pierre M. Vincenzo Salina Amorini M. et Mme Paul Saurel M. Julien Schoenlaub Mme Claudio Segré Baron et Baronne Seillière M. Thierry Servant Marquis et Marquise Enrico Spinola Mme Christiane Steck M. André-Pierre Tardy M. et Mme Riccardo Tattoni M. et Mme Kamen Troller M. Richard de Tscharner M. et Mme Gérard Turpin M. et Mme Jean-Luc Vermeulen M. et Mme Julien Vielle M. et Mme Olivier Vodoz Mme Bérénice Waechter M. Gerson Waechter Mme Stanley Walter M. et Mme Lionel de Weck Mme Paul-Annik Weiller M embres institutionnels 1875 Finance SA Banque Pâris Bertrand Sturdza SA Bucherer SA Christie’s (International) SA Credit Suisse SA Fondation Bru Givaudan SA Gonet & Cie, Banquiers Privés H de P (Holding de Picciotto) SA JT International SA Lenz & Staehelin La Réserve, Genève SGS SA Vacheron Constantin
Organe de révision : Plafida Compte bancaire N° 530 290 MM. Pictet & Cie
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l n > n l Dessine-moi Une entrevue avec L ilo B aur par B enoît P ayn
Michaël Levinas Direction musicale
Arie van Beek
Mise en scène
Lilo Baur
Décors & costumes
Julian Crouch Lumières Fabrice Kebour
Réalisateur en informatique musicale
Augustin Muller Design vidéo Arthur Touchais & Grégory Casares Le Petit Prince
Jeanne Crousaud
L'Aviateur
Vincent Lièvre-Picard
La Rose
Catherine Trottmann
Le Renard / Le Serpent
Rodrigo Ferreira La Rose multiple Céline Soudain Le Roi / L'Ivrogne /
L'Allumeur de reverbères / L'Aiguilleur
Alexandre Diakoff
Le Vaniteux / Le Financier / Le Géographe
Benoît Capt Avec la participation exceptionnelle
de Patrick Lapp pour la voix du narrateur
Orchestre de Chambre de Genève Au Bâtiment des Forces Motrices du 6 au 10 janvier 2015
Benoît Payn Après les airs baroques de Dido & Æneas et La Resurrezione, les accents modernes d’Ariane et Barbe-Bleue et les effluves orientalistes de Lakmé, Le Petit Prince représente dans votre parcours la première véritable création lyrique. Comment avez-vous abordé ce nouveau projet ?
Lilo Baur Effectivement, ce nouveau projet a des allures de défi puisqu’il comprend plusieurs contraintes qui n’existent pas lorsque l’on met en scène un opéra du répertoire. Il s’agit tout d’abord d’une histoire que tout le monde connaît, ce qui veut dire que le public aura certaines attentes en venant voir ce spectacle. Au moment où nous avons commencé à réfléchir avec le scénographe à l’univers du Petit Prince, la musique était encore en cours de composition. Il faut savoir qu’à l’opéra, les décors doivent être discutés passablement en avance. Pour cette création, nous avons décidé avant tout de rester fidèle aux images du Petit Prince. Cela veut donc dire qu’il a fallu concevoir cet imaginaire sans vraiment se baser sur une partition. Voilà quelque chose de complètement nouveau. Dès que l’on a une proposition pour une mise en scène d’un opéra, normalement on écoute un enregistrement, on repère les durées et on s’imagine ce qui peut se passer sur scène. J’ai bien évidemment entendu au cours de la gestation de la musique des bribes de la partition, des maquettes musicales. Certaines parties nous parviennent encore en ce moment, alors que nous sommes en pleine répétition. Le tout s’est vraiment mis ensemble avec les chanteurs et ce n’est que lors des répétitions scènes-orchestre que j’entendrai pour la première fois l’œuvre dans son intégralité. [Ndlr : Cet entretien a été réalisé la veille de la générale piano, avant que le travail avec l’orchestre n'ait débuté.] Voilà donc les conditions propres à une création lyrique. On est sans cesse en train de chercher, de modifier des éléments pour s’adapter à cette œuvre qui évolue en même temps que l’on met au point la façon dont elle va être présentée sur scène. J’ai déjà participé à des créations au théâtre mais à l’opéra, c’est une première pour moi. C’est à la fois très difficile et extrêmement fascinant !
© OPÉRA DE LAUSANNE / MARC VANAPPELGHEM
› Le Petit Prince Opéra
BP Est-ce que vous avez également recherché à mettre au point un spectacle possédant différents degrés d’interprétation, tout comme c’est d’ailleurs le cas de l’œuvre de Saint Exupéry ?
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LB Je pense toujours que les enfants font preuve de beaucoup d’honnêteté lorsqu’ils voient un spectacle et quand ils s’ennuient, on s’en rend vite compte ! Ils dégagent une grande vérité lorsqu’ils sont spectateurs. C’est peut-être un peu difficile avec Internet et les technologies actuelles, les enfants n’ont certainement plus la même attention qu’il y a vingt ou trente ans. Se plonger dans un livre ou observer pendant un certain temps une image, cela est bien différent de ce à quoi est confronté un enfant d’aujourd’hui. Ils sont maintenant habitués à des changements, des enchaînements bien plus rapides. Je pense que c’est la musique qui va les emporter, eux et également les adultes. Au niveau du texte, il est intéressant de voir que Michaël Lévinas a souvent privilégié les répétitions, comme le fameux « Dessine-moi un mouton ». Et ces répétitions peuvent faire rire les enfants tout comme elles peuvent être interprétées plus en profondeur par les adultes, comme une forme d’harcèlement par exemple. Saint-Exupéry tenait à transmettre cette histoire d’amour qui est avant tout parlante pour les adultes. Quant aux enfants, je pense que c’est à travers le jeu et la musique que ce message sera véhiculé.
BP Et quelles sont donc vos premières impressions sur ce nouvel opus de Levinas ?
LB Michaël Levinas est un compositeur que j’ai découvert à travers ce projet. Je trouve qu’il existe dans sa musique une grande profondeur. Il est parvenu à donner une dimension très profonde à cette histoire du Petit Prince, et la tâche n’est pas simple puisqu’il a fallu faire tenir tout ce que le livre comprend en juste quatre-vingt minutes de musique ! Quand on dit qu’il s’agit d’un opéra contemporain, les préjugés ne tardent pas à fuser. Mais en fréquentant cette musique tous les jours depuis un certain temps, j’ai peu à peu été frappée par les nombreuses facettes qu’elle peut déployer à l’oreille curieuse et ouverte. Quelquefois je ressens des accents baroques, d’autres fois une dimension mystique, telle que l’on pourrait parfois retrouver chez Verdi. Après, tout le monde se fera son propre avis. Mais j’ai été confrontée à quelque chose de nouveau, quelque chose que je n’avais encore jamais entendu et cela m’a tout simplement fascinée. Je pense que les enfants seront très ouverts à cette musique, c’est souvent les adultes qui ont des préjugés en matière d’opéra ! (rires) BP Michaël Levinas a d’ailleurs déclaré avoir écrit « pour les enfants et les adultes de toutes les cultures ». LB Oui. L’opéra est en français mais c’est vrai, on ressent ce postulat au niveau de la musique. On perçoit de temps à autre des petites comptines. Évidemment les enfants au Japon ne chantent pas les mêmes comptines qu’en Europe mais elles sont aussi souvent basées sur un matériel minimal, comme des mélodies basées sur seulement trois notes. Je pense que ces comptines sont propres à toutes les cultures et qu'elles interpelleront autant les petits Européens que les enfants d'ailleurs.
BP Parmi tous les personnages que comportent la fable du Petit Prince, quel est celui qui vous tient le plus à cœur et pourquoi ?
LB Ce doit être le Renard. Lorsque lui et le Petit Prince sont en train de parler depuis seulement deux minutes, il lui dit : « Si tu veux m’apprivoiser, il faut aller plus loin ». Lorsque des enfants rencontrent quelque part en vacances d’autres enfants, ils ont tout de suite une approche que l’on a plus du tout une fois devenu adulte, c’est-à-dire cette forme culière de curiosité qui quelles que soient leurs cultures partiou leurs origines, les font s’approcher les uns des autres. Le Petit Prince a cette curiosité par rapport à tout tandis qu’avec le Renard il y a une sorte de jeu qui se met en place entre eux. Il fait découvrir au Petit Prince qu’il aime la Rose, c’est lui qui crée ces liens avec la fleur et il en est donc responsable. Musicalement aussi, ce personnage est entouré par tant de tendresse. C’est également lui qui dira « le plus important est invisible », tout comme la plupart des messages de Saint-Exupéry.
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un opéra Alors qu’ont lieu les dernières répétitions avant la création mondiale du Petit Prince de Michaël Levinas le 5 novembre 2014 à l’Opéra de Lausanne, la metteure en scène Lilo Baur nous a accordé un entretien au cours duquel elle nous confie sa fascination pour cette œuvre « tout public » et aborde les défis que représentent la création
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Lilo Baur, metteure en scène suisse
d’un nouvel opéra.
Elle se forme au théâtre à l’École Lecoq à Paris et débute sa carrière de comédienne à Londres où elle travaille entre autres avec Katie Mitchell et Simon McBurney. Elle travaille en France auprès de Peter Brook pour qui elle joue et collabore à la mise en scène. Elle participe également à des films, dont Le Journal de Bridget Jones et met en scène différentes pièces à travers toute l’Europe : Le Conte d’hiver de Shakespeare, Fish Love d’après des nouvelles de Tchékhov, Le Mariage de Gogol, etc. Depuis quelques années, elle collabore avec les scènes de l’opéra de Dijon, de l’Opéra de Lausanne et de l’Opéra Comique de Paris.
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Michaël Levinas, compositeur français
Il se forme à l’accompagnement au piano, à l’écriture et à la direction d’orchestre au Conservatoire de Paris. Il crée en 1973, avec ses camarades de la classe d’Olivier Messiaen, Tristan Murail et Gérard Grisey, l’Ensemble Itinéraire qui donne naissance au courant musical spectral. Il compose des œuvres, dont quatre opéras, qui sont jouées au Festival de Donaueschingen, aux Rencontres internationales de Darmstadt, à l’IRCAM, à la Cité de la Musique, etc. Il se produit également en tant que pianiste dans les répertoires classiques, romantiques et modernes et enseigne l’analyse au Conservatoire de Paris.
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Elle n'est pas She’sexcentrique... Not Eccentric… › Patricia Petibon Récital La Belle Excentrique Piano
Susan Manoff
Hahn / Poulenc / Fauré / Rosenthal Satie / Collet / Obradors / de Falla Turina / Arlen / Bernstein / Gershwin / Lara
Au Grand Théâtre de Genève 20 décembre 2014 à 19 h 30
Son dernier CD La Belle Excentrique
Piano : Susan Manoff Deutsche Grammophon, 2014 B00KRT3AGU
he’s just more alive than most people. Dame Edith Sitwell’s famous quip about her own eccentricity applies rather well to French soprano Patricia Petibon. The flame-coiffed singer’s trademark ebullience has delighted audiences over the world and taken her far beyond her débuts in the early French repertoire with William Christie and his band of Baroque enthusiasts in 1996. Petibon has since given ample proof that she is cut out of greater material than your garden-variety soubrette… Britten’s Illuminations, Donizetti’s Norina, Verdi’s Gilda, Berlioz’s Teresa, Mozart’s Donna Anna, even Alban Berg’s phenomenally exacting Lulu, no soprano part seems too big for Petibon. So what is it that gives “France’s most accomplished singing actress” (in the words of the Financial Times) her pep? A brief perusal of her recital programme on December 20th at the Grand Théâtre provides the beginnings of an answer. Inspired by the singer’s latest Deutsche Grammophon release, a delightful crossover of French art and popular song, “La Belle Excentrique” takes its name from Erik Satie’s fantaisie sérieuse, the centrepiece of the programme woven by Petibon and Susan Manoff, her accompanist, artistic partner and veritable dramaturge of this eclectic composition of Parisian salon and music-hall verve, Broadway memories and Spanish flamboyance. It is a tribute to Patricia Petibon’s talent that she can switch from Satie’s Je te veux and Agustín Lara’s Granada to singing Gabriel Fauré, Reynaldo Hahn and Francis Poulenc with poised perfection. The true beauty of her eccentricity does not lie in being an unpopular electric eel in a pond of catfish, to return to Dame Edith’s definition. Patricia Petibon’s infectious humour, cosmopolitan ease and consummate artistry turn that electricity into a vibration of unfettered enjoyment that makes everyone in the auditorium feel like a beautiful eccentric.
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lle est juste plus vivante que la plupart des individus. La célèbre pointe que la poétesse anglaise Edith Sitwell a lancée au sujet de sa propre excentricité s’applique plutôt bien à la soprano française Patricia Petibon. Véritable signe distinctif de la chanteuse à la chevelure rouge, son exubérance a enchanté les publics du monde entier et l’a propulsée bien au-delà de ses débuts dans le répertoire français ancien en 1996, en compagnie de William Christie et sa bande de baroqueux enthousiastes. Elle a depuis démontré qu’elle était bien plus qu’une simple soubrette : Les Illuminations de Britten, Norina de Donizetti, Gilda de Verdi, Teresa de Berlioz, Donna Anna de Mozart et même la très exigeante Lulu de Berg, aucun rôle de soprano ne semble être hors de sa portée. Mais d’où vient le punch de celle que le Financial Times a qualifiée d’« actrice vocale la plus accomplie de France » ? De premiers éléments de réponse se manifestent à la lecture du programme de son prochain récital du 20 décembre 2014 au Grand Théâtre. Inspiré par son dernier enregistrement paru chez Deutsche Grammophon, merveilleux chassé-croisé de chanson française classique et populaire, cette soirée « La Belle Excentrique » tire son nom de la fantaisie sérieuse d’Erik Satie, pivot de ce programme confectionné par la chanteuse et son accompagnatrice Susan Manoff, complice artistique et véritable dramaturge de cette proposition éclectique mêlant la verve du music-hall et des salons parisiens aux souvenirs de Broadway et à l’extravagance espagnole. Passer du Je te veux de Satie au Granada d’Agustín Lara tout en interprétant Fauré, Hahn et Poulenc avec un maintien impeccable : voilà tout le talent de Patricia Petibon. Pour en revenir à la définition de Mme Sitwell, le propre de cette excentricité n’est pas d’être « une anguille électrique impopulaire dans un bassin de silures ». Mais l’humour contagieux, l’aisance cosmopolite et le talent artistique accompli de Patricia Petibon transforment cette électricité en une vibration de pur plaisir qui fait de chaque membre du public une « belle excentrique ».
© BERNARD MARTINEZ
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by C hristopher P ark
Traduction B enoît P ayn
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Une pure fantaisie A Truly French Fancy à la française
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by C hristopher P ark
hat soprano Natalie Dessay and bass-baritone Laurent Naouri are husband and wife in everyday life is a fact generally known to music lovers, even when they steer clear of opera glossies and gossip columns. Over the past 20 years, they have occasionally shared the stage in productions ranging from grand opera — Offenbach’s Tales of Hoffmann or Debussy’s Pelléas et Mélisande — to operetta, where in a now legendary (meaning widely visible on YouTube) production of Offenbach’s Orpheus in the Underworld, Naouri, playing Jupiter disguised in a bulbous insect costume, makes Eurydice/Dessay climax on a top E as he (let’s keep this tasteful) pleasures her in the infamous “Fly Duet”. The French couple’s stage antics have certainly mellowed in middle age, as the demure romanticism, impressionistic tone-paintings and gentle surrealist humour of their latest joint recital tour dedicated to the French 19th century art song would indicate. Natalie Dessay, whose creamy, stratospheric coloratura has gloried the world’s greatest opera stages — including frequent visits to Geneva where she was a regular since her first appearance here in 1991 as Adèle in Fledermaus — has put the punishing schedules of the international diva behind her and settled into a new domain of concert and recital, crossing over into other genres such as musical comedy. In this respect, her husband has once again proven an attentive companion: last September, they brought their own sense of lyric style to the cast of Jacques Demy and Michel Legrand’s iconic 1964 musical Les Parapluies de Cherbourg at Paris’ Théâtre du Châtelet. For this already sold-out evening of French fancy at the Grand Théâtre, Dessay and Naouri, flawlessly accompanied by Maciej Pikulski, will be giving pride of place to the elegant salon repertoire of Fauré, Duparc and Poulenc, adding delightful duets by composers more associated with the opera and ballet stage (Léo Delibes) or even the church organ (CharlesMarie Widor). A rare combination of Gallic charm, impeccable artistic class and connubial entente is in store for us on January 28th!
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ême s’ils évitent les magazines d’opéra et les chroniques mondaines, les amateurs de musique savent bien que la soprano Natalie Dessay et le baryton Laurent Naouri forment un couple au quotidien. Durant les vingt dernières années, ils n’ont partagé la scène qu’à quelques occasions, dans des productions d’opéra – Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach ou Pelléas et Mélisande de Debussy – et d’opérette, dont la désormais légendaire production (entendez par cela qu’on la trouve partout sur YouTube) d’Orphée aux enfers d’Offenbach dans laquelle Naouri, jouant un Jupiter accoutré d’un costume d’insecte bulbeux, fait atteindre le Mi supérieur à Eurydice/Dessay alors qu’il la chatouille joyeusement dans le sulfureux duo de la mouche. À l’aube de la cinquantaine, les cabrioles scéniques du couple français se sont certainement adoucies comme semblent l’indiquer le sobre romantisme, les teintes impressionnistes et le léger humour surréaliste de leur dernier programme de récital en commun, dédié à la mélodie française du XIXème siècle. Natalie Dessay, dont la colorature suave et vertigineuse a été la gloire des plus grandes salles d’opéra – notamment lors de ses visites à Genève où elle était une habituée dès son Adèle dans Die Fledermaus en 1991 – a laissé derrière elle les agendas infernaux de diva internationale pour se concentrer sur les concerts et récitals et aborder des genres nouveaux tels que la comédie musicale. À cet égard, son mari s’est une fois de plus avéré être un compagnon attentionné : en septembre, ils unissaient leur talent d’interprètes lyriques pour l’emblématique Les Parapluies de Cherbourg (1964) de Jacques Demy et Michel Legrand au Châtelet. Pour cette soirée de fantaisie à la française – d’ores et déjà sold-out –, les deux chanteurs, parfaitement accompagnés par Maciej Pikulski, feront honneur à l’élégant répertoire de salon de Fauré, Duparc et Poulenc, complété de quelques charmants duos de compositeurs que l’on associe plutôt à l’opéra et au ballet (Léo Delibes), voire même à la musique pour orgue (Charles-Marie Widor). Cette soirée du 28 janvier nous réserve donc une combinaison rare de charme frenchie, de grande qualité musicale et d’harmonie conjugale !
Le dernier DVD
avec Natalie Dessay & Laurent Naouri Les Contes d'Hoffmann
Offenbach Orchestre symphonique et chœurs du Gran Teatre del Liceu DM : Stéphane Denève MS : Laurent Pelly Erato, 2013 B00FOY4HZQ
› Natalie Dessay & Laurent Naouri
Récital Piano
Maciej Pikulski
Fauré / Duparc / Poulenc / Delibes / Widor Au Grand Théâtre de Genève 28 janvier 2015 à 19 h 30
Traduction B enoît P ayn
Le dernier CD
de Natalie Dessay De l'opéra à la chanson
© MOLLY BLOOM
Double CD Delibes / Verdi / Thomas / Bellini / Mozart Haendel / Rameau / Bach / Monteverdi Brahms / Strauss / Orff / Debussy Villa-Lobos / Jobim / Moustaki / Arlen Legrand / Porter / Pascoal Erato, 2014
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D ACT « Pour une nouvelle politique de captation
Q u Qu C A T D des productions du Grand Théâtre » Un entrevue avec T obias R ichter par M athieu P oncet
Le Grand Théâtre de Genève rejoint les plus grandes institutions lyriques internationales en
accédant à une qualité de captation vidéo de premier ordre. Une présence indispensable dans le
paysage audiovisuel international et un vecteur essentiel pour atteindre un public jeune et connecté.
© DR
Tobias Richter Auparavant les captations que nous réalisions ne correspondaient pas totalement aux standards techniques de la scène internationale et ne nous permettaient pas d’accéder aux portails Internet ou aux antennes de diffusion. Nos enregistrements étaient donc principalement destinés à des documents d’archives ou de travail permettant lors de reprises, de locations ou d’achats de nos productions, d’indiquer aux nouvelles équipes artistiques et techniques la particularité de ces spectacles. Ces captations étaient également utilisées à des fins de communication et de promotion.
© OZANGO PRODUCTION
MP Quel a été le déclencheur de cette nouvelle démarche ?
La technologie numérique de pointe permet aujourd’hui d’enregistrer puis de diffuser nos productions selon les exigences d’excellence des plus grandes scènes internationales.
TR L’un des problèmes rencontré dans ce dossier par la direction générale était d’ordre budgétaire. En effet la structure de financement de notre institution ne permettait pas jusqu’à présent un développement de cette activité dans le sens souhaité. Grâce à un mécénat privé que je tiens ici à saluer, et qui a été le véritable déclencheur de cette entreprise, la situation a été radicalement améliorée. Nous avons pu acquérir un matériel de grande qualité – véritable base opérationnelle pour l’avenir – et également créer un partenariat avec deux structures de productions internationales. Ces structures mettent dorénavant à notre disposition non seulement leurs compétences techniques et artistiques, mais aussi leur connaissance du milieu européen de la diffusion lyrique et leur maîtrise des aspects relationnels et contractuels que ces productions engendrent. Cette nouvelle donne nous a aussi permis de mettre en place un dispositif financier dédié à l’acquisition des droits concernés. MP Ce mécénat vous permet-il de soutenir l’entier du processus de captation, ou notre institution doit-elle faire appel à d’autres partenaires financiers, techniques et artistiques ?
TR Cet apport de mécénat, sans lequel rien n’aurait pu être mis en place, ne nous permet néanmoins pas de développer totalement une politique de captation qui se veut pérenne. D’autres partenariats seront nécessaires afin que nous puissions créer cet outil. J’aimerais d’ailleurs ici rappeler qu’à mon sens, le rôle principal des subventionneurs de l’art lyrique est double : permettre la réalisation d’une œuvre qui sans leur aide n’aurait pu voir le jour, mais aussi rendre les œuvres accessibles à un plus grand nombre en diminuant le déficit « naturel » que rencontre toute production d’opéra, tant les coûts s’intensifient. Il faut savoir que chacune de nos productions est unique et détermine un coût spécifique qui ne nous permet pas d’attribuer systématiquement les lignes budgétaires indispensables à une captation visant une diffusion de qualité internationale. Bien que nous soyons convaincus de la qualité de nos productions, nous allons devoir choisir quelles œuvres peuvent bénéficier d’une diffusion optimum en fonction de paramètres économiques. Si je parle ici de diffusion, c’est parce qu’économiquement cette transmission restera tributaire des droits contractuels et financiers naturellement dus à chaque artiste.
© GTG / CAROLE PARODI
Mathieu Poncet C’est avec plaisir que nous vous retrouvons pour évoquer la structure de captation des productions du Grand Théâtre mise en place récemment, structure qui est à la base de notre nouvelle politique de médiation. Afin que nos lecteurs puissent comprendre la teneur de cette mutation, pourriez-vous dépeindre la façon dont nos productions étaient jusqu’à présent captées, et quelles étaient les destinations de ces documents ?
MP Ce consortium qui permet de réaliser nos captations, permet-il néanmoins au Grand Théâtre d’en conserver la production générale ? TR Absolument, le Grand Théâtre reste le producteur général de ces captations. Notre institution est l’unique possesseur des droits dont aucun n’a été externalisé. Nous gardons la maîtrise sur l’entier de cette démarche artistique, que ce soit le choix des projets, leur définition et leur ampleur. J’aimerais également dire à ce sujet que chaque projet en appellera un autre dans un enchaînement qui nous permettra de devenir toujours plus performants aussi bien au niveau de la formation de nos équipes que de la qualité de nos matériels. MP Quel type de coproduction ce système engendre-t-il ?
TR Il est clair que ces démarches visent à offrir toujours plus de visibilité pour nos productions et pour notre maison d’opéra. Être fortement présent dans le paysage audiovisuel nous permettra de développer de nombreuses synergies qui tendront vers de nécessaires et souhaitables coproductions avec les plateformes de diffusion européennes, c’est d’ailleurs actuellement un modèle unanimement partagé. MP Quelles destinations seront alors réservées à nos captations et quelles perspectives de diffusions et de partenariats nationaux et internationaux cette nouvelle politique permettra-t-elle ?
TR Pour faire écho à votre première question, j’aimerais rappeler que chaque théâtre qui souhaite internaliser une plateforme audiovisuelle le fait pour améliorer la qualité des archives, bénéficier d’un outil utile à toute reprise de la production, disposer d’un matériel exploitable pour la communication, réaliser des documentaires scénarisés pour des supports de médiation culturelle, de promotion. Ces captations sont aussi bien évidemment les supports qui doivent permettre d’accéder à un marché commercial d’excellence, notamment permis grâce aux plateformes disponibles sur Internet. Malgré tout, il me semble essentiel d’analyser et de définir le champ dans lequel les activités du Grand Théâtre de Genève s’épanouissent. Notre position géographique centrale, la Genève internationale et notre multilinguisme nous permettront un accès facilité aux publics européens. Mais parallèlement à ces justes objectifs, d’autres finalités doivent être envisagées. Notre institution est active dans un bassin de population hétérogène pour lequel notre mission première est d’offrir un accès équitable à la culture. Un outil de captation tel que celui que nous mettons en place actuellement doit permettre à notre opéra, plus grande institution culturelle de Suisse romande, d’approcher les zones rurales encore désavantagées en offres culturelles, la France voisine et le Grand Genève. Ces captations seront également des vecteurs permettant d’atteindre certains publics jeunes ou défavorisés. Cette nouvelle politique de captation des productions du Grand Théâtre de Genève s’inscrit alors totalement dans notre volonté de défendre un opéra pour toutes et tous.
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mezzo-soprano, mènent en ce moment deux carrières musicales et lyriques d’orientation très différentes. Elles ont en commun d’avoir été toutes deux solistes en résidence au Grand Théâtre de Genève dans le projet artistique initié en 2009 par Tobias Richter en faveur des jeunes chanteurs, soutenu par le généreux mécénat de la Fondation BNP Paribas Suisse. Rencontre avec deux voix qui font parler d’elles…
©GTG / NICOLAS SCHOPFER
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Clémence Tilquin, soprano, et Carine Séchaye,
Jeune soliste un jour, artiste pour toujours
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par C hristopher P ark
a troupe des jeunes solistes en résidence au Grand Théâtre en est à sa cinquième saison d’activité. Cinq ans c’est à peine l’âge de raison et pourtant il est déjà possible de témoigner des effets plus qu’encourageants qu’un séjour dans la jeune troupe peut avoir sur la carrière des artistes que nous avons accueillis dans nos murs, le temps d’une expérience lyrique à la fois collective et individuelle.
Si l’on pose la question à Clémence Tilquin de l’impact que son passage à la place de Neuve a eu sur son évolution professionnelle, elle répond tout de go : « Ça a fait décoller ma carrière. » Tobias Richter recherchait alors l’artiste capable de réunir la qualité de voix et l’audace scénique pour accepter d’être emmaillotée en chrysalide par Mats Ek et portée à bout de bras de part et d’autre de la scène, tout en exécutant les trilles charmantes de l’Amour, dans l’Orphée de Gluck. Clémence Tilquin, à peine diplômée de la Haute école de musique, a été entendue, choisie, et, en ses propres termes, « jetée sur les planches » pour un résultat plus que probant. La suite n’allait pas être moins haute en couleur pour cette jeune femme aux traits de Madone de Bellini. Appelée à tenir le rôle de Ninette dans Les Vêpres siciliennes de Verdi, ce rôle de comprimaria assez classique, entre les mains du metteur en scène Christoph Loy, allait exiger de Clémence Tilquin des prestations de jeu scénique participant d’images exacerbées de violence faite aux femmes. Entre la violence représentée de la mise en scène et les interrogations exprimées par le public, Clémence Tilquin a préféré ne pas faire assister sa famille aux représentations. Une autre Ninette, la charmante et mélodique princesse de la troisième orange de Prokofiev, marquera une sortie de troupe bien moins controversée en 2011. Les années à venir réserveront à la jeune chanteuse des rôles enthousiasmants dans des cadres parfois prestigieux : remarquée par Alain Perroux, autrefois du Grand Théâtre et passé conseiller artistique au Festival d’Aix-en-Provence, elle y assume le rôle de la Princesse de L’Enfant et les Sortilèges de Ravel. La rencontre avec Jean-Claude Malgoire lui vaudra l’un des plus beaux airs de Puccini, « O mio babbino caro » lorsqu’elle chante Lauretta de Gianni Schicchi devant le public de Tourcoing. Son vif intérêt pour la musique contemporaine et la précision délicate de sa colorature lui ont également valu de nombreuses invitations auprès de l’Ensemble intercontemporain et de l’Ensemble Contrechamps. Pourtant, s’il lui faut nommer le plus beau rôle que ces dernières années lui ont réservé, c’est en maman de la petite Florine que Clémence Tilquin fait son salut : « Faire l’expérience de la maternité est non seulement une grande joie personnelle mais m’a aussi transformée au niveau vocal, faisant le plus grand bien aux harmoniques et aux graves de mon instrument. » Après ces quelques mois d’heureuse interruption, l’artiste se prépare à attaquer deux personnages mozartiens d’envergure : Elettra d’Idomeneo pour Montpellier et Fiordiligi de Così fan tutte, toujours à Tourcoing pour J.-C. Malgoire. Pour Carine Séchaye, l’expérience de la troupe des jeunes solistes s’inscrit dans une étape assez différente de son évolution artistique.
La mezzo-soprano avait officiellement débuté sa carrière de jeune chanteuse en 2005 à l’Opéra-studio de l’Opernhaus de Zurich, pour recevoir à peine quatre ans plus tard une première invitation en tête d’affiche à l’opéra de Darmstadt dans le rôle-titre de Rosenkavalier. Une prestation courte mais remarquée dans le rôle du Page de Salome de Richard Strauss, mis en scène par Nicolas Brieger pour la dernière saison genevoise de Jean-Marie-Blanchard, a fait d’elle l’une des candidates idéales pour intégrer le projet de troupe de jeunes solistes de la nouvelle direction générale de Tobias Richter. Pour cette native de Genève, élevée sur les bords du Léman, le contrat avec la troupe des jeunes solistes représentait non seulement un retour au bercail – avec le prestige additionnel de venir chanter dans la cour des grands – mais aussi l’assurance d’une période de sécurité financière à laquelle peu d’artistes émergents ont droit. « Après une période d’instabilité et de fréquents voyages à courir les cachets, la Jeune Troupe m’a apporté un moment bienvenu de stabilité, aussi bénéfique pour progresser dans mon métier », assure Carine Séchaye. On ne saurait la contredire, tant ses prestations de soliste de la Jeune Troupe ont été remarquables. Bien peu de nos spectateurs qui ont applaudi son impayable Berta dans la version soprano du Barbiere di Siviglia de Rossini, se doutaient que pendant ce temps, elle avait dû aussi apprendre le rôle de Rosina de la version mezzo, pour officier en doublure de Silvia Tro Santafé, en cas d’indisposition. Son talent de comédienne ne faisant plus de doute, Carine Séchaye revient en séduisante, mais mauvaise au possible, sorcière Sméraldine dans L’Amour des trois oranges. Sa deuxième saison à la Jeune Troupe sera marquée par une Bersi émouvante dans Andrea Chénier de Giordano (qui lui vaudra récemment une invitation de Nello Santi pour le même rôle à Zurich) ainsi qu’un grand succès en Frédéric du Mignon de Thomas : rôles secondaires, peut-être, mais suscitant un tel enthousiasme pour ses capacités vocales et scéniques que Tobias Richter accède à sa demande d’être libérée de la Jeune Troupe avant la fin de son engagement 2011-2012. L’Opéra de Monte-Carlo lui propose alors le rôle-titre de L’Enfant et les Sortilèges ; à Metz elle sera Siebel du Faust de Gounod ; à Limoges, La Périchole; Dorabella de Così à Tours. Mais de ses prestations de soliste post-Jeune Troupe, c’est certainement son époustouflante prise du rôle-titre de L’Aiglon de Jacques Ibert et Arthur Honegger pour l’Opéra de Lausanne en 2013 qui a le plus marqué publics et critiques. Elle s’investit avec enthousiasme dans le rôle écrasant du jeune Duc de Reichstadt et séduit par son expressivité vocale et sa diction digne de Sarah Bernhardt. Elle avoue d’ailleurs malicieusement une passion particulière pour ces Hosenrolle que les mezzos sont souvent appelées à incarner : « Je les enfile comme des chaussettes, ces rôles de petits mecs, jeunes, arrogants ; ils me touchent beaucoup à l’instar de Stéphano dans Roméo et Juliette que je chante à Monaco actuellement. » Ce sont là deux carrières aux accents distincts mais qui ont bénéficié mêmement de l’environnement artistique hors pair et de la stabilité matérielle que le partenariat du Grand Théâtre avec la Fondation BNP Paribas Suisse rendent possibles. Longue vie à la Jeune Troupe !
Carine Séchaye et Clémence Tilquin en octobre dernier à la terrasse du Café Lyrique profitant de l'été indien genevois.
La Fondation BNP Paribas Suisse
En 2002, à l’occasion des 130 années d’existence du groupe en Suisse, BNP Paribas (Suisse) SA a créé sa propre fondation, à l’image de celle de la maison mère à Paris, afin d’inscrire son engagement pérenne dans ses actions. L’ancrage de la banque en Suisse l’a incitée à engager des activités de mécénat dans l’ensemble du pays depuis de nombreuses années. En créant sa fondation – une nouveauté pour une banque étrangère en Suisse –, BNP Paribas marquait ainsi sa volonté d’œuvrer pleinement en faveur de la vie culturelle et sociale helvétique. Aujourd’hui, la Fondation BNP Paribas Suisse est considérée comme un exemple éloquent de mécénat d’entreprise et comme une véritable référence en la matière. La Fondation a pour vocation de développer et soutenir en Suisse des actions concertées dans trois domaines bien définis : la connaissance du patrimoine et l’expression artistique, l’aide sociale à travers des programmes solidaires et pédagogiques et des projets pilotes en faveur de la santé. La Fondation BNP Paribas Suisse encourage également des initiatives régionales et des projets de proximité. Il faut toujours garder à l’esprit que le patrimoine artistique d’un pays est non seulement un précieux témoin de l’histoire, mais aussi une source d’expériences et d’inspiration à laquelle chaque individu doit pouvoir accéder. La Fondation BNP Paribas promeut également les talents artistiques en accompagnant, jour après jour, des créateurs dans le domaine de l’art lyrique... ACT- O | 21 . 17
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DIDACTIQUE
Les élèves et Eugène Onéguine
Les enseignants s’expriment Inviter des élèves à l’opéra, même s’ils sont pré-
es réactions des jeunes sont souvent imprévisibles comme le prouve leurs réactions face à certains ouvrages lyriques jugés difficiles : la saison dernière, Siegfried de Wagner a remporté, contre toute attente, un véritable succès auprès des collégiens. Mais il arrive aussi que les bavardages de quelques jeunes spectateurs durant une générale fassent oublier le travail important réalisé en amont des spectacles par une équipe très motivée.
90 minutes pour apprendre un métier Aborder le monde de l’opéra avec des élèves n’est donc jamais gagné. Il faut trouver les bonnes accroches, comme une visite des décors, l’essayage de costumes, une incursion dans les coulisses, et les incontournables ateliers interactifs de 90 minutes permettant aux élèves de devenir metteur en scène, scénographe, danseur ou chanteur. Il faut donc imaginer une classe du cycle d’orientation planchant sur un projet de maquette de décor ou des écoliers de l’école primaire apprenant la valse et la polka ou bien encore des adolescents, partition en mains, s’initiant à l’art lyrique.
« L’opéra c’est pour les vieux » Pour Eugène Onéguine, huit classes du cycle et du collège représentant environ 160 élèves, ont été sélectionnées parmi une vingtaine de demandes. Tchaïkovski a la cote. Le drame de Pouchkine transcendé par la musique du père de Casse-Noisette, possède en effet tous les atouts pour toucher les adolescents : l’amour fou, la jalousie et la mort. Mais l’affaire n’est pas réglée pour autant si l’on part du principe que les jeunes, dans leur grande majorité, n’aiment pas l’opéra. Pour la plupart d’entre eux : « C’est un truc de vieux. Point barre. » L’équipe pédagogique et les enseignants doivent par conséquent s’investir à fond pour tenter de démonter de tels préjugés qui souvent ont la peau dure.
Leurs avis sur la répétition générale Après une répétition générale un peu perturbée par certains irréductibles bavards qui ont passablement dérangé leur entourage, enseignants et élèves ont dans l’ensemble été satisfaits. Fidèles porteparoles de leur classe, certains professeurs assurent, comme Michel F., enseignant l’histoire du théâtre à l’École de culture générale que « ses élèves ont été admiratifs et sont prêts à recommencer ! » Trois élèves d’une classe de 1ère au Collège Madame de Staël se sont exprimés comme Florian qui « a trouvé sympa la musique car il n’a pas l’habitude d’entendre un orchestre et surtout pas de classique, et a trouvé ça très beau. » Il a apprécié les scènes où les paysans chantaient et le fait d’avoir fait un atelier sur cette partie l’a bien fait rire puisqu’il chantait en même temps que les paysans. Son camarade Raoul par contre, bien qu’il ait trouvé que « les feuilles mortes du décor meublaient bien la scène et créaient un certain contraste avec les parois blanches qui se coloraient en fonction de l’heure », reste sur sa position et reconnaît qu’il ne ressent aucun plaisir à écouter de l’opéra, certes l’ensemble est joli, mais il a du mal avec la musique . Ceci a le mérite d’être clair ! François quant à lui « a préféré la voix d’Onéguine, car il a un beau timbre et que son jeu de comédien a été très bien réalisé, surtout au moment où il prie Tatiana de l’épouser. » Christine B. S., leur profes-
parés par leurs enseignants et l’équipe péda-
gogique du Grand Théâtre, reste toujours une aventure dont on ne connaît l’issue qu’à la fin des répétitions générales auxquelles ils sont conviés. seur de musique précise que « la plupart des élèves de cette classe ont apprécié les décors et les costumes mais qu’ils ont souffert de la chaleur, certains de la longueur de l’opéra et d’autres n’ont pas du tout apprécié l’opéra et ce style de chant. » Les élèves de 1ère année du Centre de formation professionnelle arts appliqués étaient quant à eux enchantés de leur sortie et selon leur enseignant Dominique M., « la visite du Grand Théâtre et des ateliers a comblé tout le monde. » Il poursuit en déclarant que les bonnes places qui leur avaient été attribués étaient « un réel plus, tant il est essentiel de pouvoir impliquer au plus “ intime ” les élèves dans le spectacle. La meilleure garantie pour qu’ils ne décrochent pas, même si le tandem Tchaïkovski/Carsen dont on a profité, était très stimulant. » Anastasia R., professeur de maths à l’École de commerce Nicolas-Bouvier, constate elle aussi que « tous les élèves de sa classe de 2ème ont adoré le spectacle et même ceux qui n’aiment pas la musique classique ont été impressionnés par la mise en scène, le nombre de chanteurs, musiciens, acteurs (le chœur). De l’avis de tout le monde, ça reste un moment mémorable ! » Même son de cloche de la part de Christine S. F. M., professeure de musique au Cycle du Marais, qui constate que ses élèves de 10ème « ont aimé le spectacle malgré une première partie un peu longue. Ils ont en revanche préféré la deuxième partie, les décors et les magnifiques robes des dames de Saint-Pétersbourg. » Alors à quand les salles pleines de jeunes ?
Que pensent-ils des ateliers de création ? Cette même enseignante ajoute que de toutes les activités en lien avec l’œuvre, ses élèves ont préféré la visite des ateliers de construction de décors et la réserve de costumes. Par contre ils n’ont pas aimé l’atelier de mise en scène, sans doute dû à l’exiguïté du local qui souffrait également d’un éclairage peu intime, et d’autre part à la longueur de cette séance sans pause. Durant l’atelier de chant, ils ont été épatés par la voix de la chanteuse et heureux de découvrir le fonctionnement de leur voix. Par contre trop dur de chanter en russe, ou alors seulement un petit moment. » Ces commentaires sont en partie partagés par Nadine B., enseignante d’allemand également au Cycle du Marais, qui estime que « durant l’atelier voix et mise en scène, les élèves étaient curieux et auraient aimé plus de concret. Ils sont restés sur leur faim. L’atelier chant était plus dynamique. » Pour résumer, elle estime « qu’il est essentiel de prévoir une pause et de varier un plus les styles d’activités. » Enfin Cédric P. et Philippe G., tous deux enseignants au Cycle de Drize ont estimé que « l’atelier chant/mise en scène aurait eu avantage à se situer dans un local moins confiné. Pourquoi pas dans une aula de collège, plus spacieuse et mieux aérée, la concentration des élèves n’en aurait été que meilleure. » Une bonne question en effet, mais le concept de ces parcours pédagogiques est d’inviter les élèves à « s’immerger » dans l’univers du Grand Théâtre afin qu’ils découvrent un lieu tout à fait extraordinaire et un milieu professionnel hors du commun.
©GTG / CAROLE PARODI / DR
L
par K athereen A bhervé
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DIDACTIQUE
Chère Gisèle Savoir-vivre au Grand Théâtre Une chronique de G isèle
de
N euve illustrée par B ienassis
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isèle de Neuve vient d’une famille très musicale. Une fois que l’eurythmie de ce cher Monsieur Dalcroze n’eut plus de secrets pour elle, Grand-Maman Idelette lui offrit ses premiers cours de piano chez Madame (ex-Princesse) Volkonskaïa au boulevard des Philosophes. La musique était partout chez les De Neuve. Même Ernest, le petit carlin de Gisèle, avait une manière si attendrissante de se mettre à hurler à la mort lorsque Papa jouait le solo pour alto du 6ème quatuor de Bartók lors des soirées musicales en famille. Convaincue qu’une force bénéfique, émergeant de tous ces grands compositeurs qui nous ont précédé, nous accompagne sur la route de la vie, Gisèle de Neuve fait tout pour que le Cher Public du Grand Théâtre jouisse des plaisirs musicaux dans les meilleures conditions. Chère Gisèle, que nous dit votre courrier ?
« (Dis)vesti la giubba » Chère Gisèle, Mon époux et moi-même fréquentons assidûment le Grand Théâtre, d’abord parce que, comme vous, nous aimons l’art musical lyrique avec sincérité (même si parfois certaines mises en scène exigent beaucoup de notre amour) mais aussi parce que nous y retrouvons des amis, connaissances et relations d’affaires de mon mari qu’il est bon de rencontrer parfois dans un cadre extérieur aux salles de réunion. La nature de ces relations exige évidemment que mon mari soit en tenue de ville et, de mon côté, une certaine élégance. Or, l’autre jour à une représentation de Rigoletto, nous occupions nos places habituelles au balcon, et je me suis trouvée assise à côté d’un homme dans la quarantaine, vêtu seulement d’un t-shirt blanc, d’un jeans et de chaussures de sport. Qu’il faisait tache dans notre rangée, ce n’est pas peu dire… Je vous confesse, chère Gisèle que jusqu’à l’obscurité en salle je me suis sentie gênée, autant par la tenue de cet homme que par les regards sourcilleux qu’elle lui attirait de la part des autres spectateurs du balcon. Nous n’étions quand même pas au supermarché, tant d’autres personnes avaient fait l’effort de bien s’habiller ! Et puis, l’opéra commença. Un écran tactile s’éclaira entre les mains d’une dame d’un certain âge pas très loin de moi. Un monsieur se tortillait sans arrêt dans la rangée devant nous au point de se faire rabrouer par sa voisine. Mon époux, fort incommodé par la chaleur en salle, a du tomber la veste : bref, tous les désagréments usuels que vos correspondants vous signalent. Et pendant ce temps, mon voisin restait immobile, attentif au spectacle, le corps et l’esprit tout entiers à l’écoute, au regard et même à l’émotion, car le seul mouvement que je l’ai vu faire, fut de tirer un mouchoir de sa poche et se le passer au coin de l’œil pendant le « Caro nome ». Je voudrais, chère Gisèle, remercier ici ce spectateur anonyme de la leçon qu’il m’a donnée ce soir-là ; une leçon de savoir-vivre et de savoir-être. Je ne peux pas, pour ma part, me permettre de laisser tomber la casaque de la bonne société lors de mes soirées au Grand Théâtre. Mais je tiens à proclamer ici qu’une société meilleure serait celle où l’on sait se tenir avec dignité à l’opéra, peu importe la manière dont on est vêtu. Bertha de Nuremberg
Chère Bertha, Je ne doute pas que, comme l’alias sous lequel vous avancez, vous ayez « travaillé gaiement / pour amasser à grand’ peine / le prix d’un déguisement ». On sous-estime, à tort, les leçons morales trouvées dans les opéras de ce cher Adolphe Adam, qui a bien mérité de se faire représenter en portrait dans les escaliers de notre Grand Théâtre. Votre récit édifiant d’une soirée à l’opéra comme tant d’autres à l’opéra se suffit à lui-même ; merci de l’avoir partagé avec nous. Permettez-moi simplement d’observer combien les mœurs vestimentaires ont changé au cours des décennies qui m’ont vu franchir le perron du théâtre. C’est un fait : adopter une tenue formelle pour l’opéra se fait de moins en moins. Cela tient sans doute à la multiplication des offres culturelles qui ramène la soirée au théâtre au même rang que tant d’autres propositions de sortie, alors qu’il fut un temps où le théâtre, particulièrement le théâtre musical, était le seul divertissement de qualité disponible. Les rigueurs du décorum s’estompent au profit d’une attitude plus décontractée, observable lors d’autres rituels sociaux : cultes et messes dominicales, obsèques, séances du conseil municipal… La généralisation d’une tenue décontractée, semble participer d’une autre forme d’exigence commune, au fond pas si différente de celle qui imposait l’habit de soirée à l’opéra. Il appartiendra à une génération montante de réussir l’ultime exercice de l’élégance : la décontraction, certes, mais sans désinvolture. Votre dévouée, Gisèle de Neuve
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Une belle rencontre d’ateliers pour un beau label par K athereen A bhervé
L’équipe de Label Bobine découvre les ateliers du Grand Théâtre.
© C. COOPER
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Michael Volle, Sänger des Jahres ! ©DR
abel Bobine ? Vous ne connaissez-pas ? Créé par l’association SOS Femmes, Label Bobine est un atelier de couture qui aide les femmes en difficultés sociales ou professionnelles à se réinsérer. Ces femmes couturières ou en passe de le devenir confectionnent à la main des vêtements et accessoires dessinés par des créateurs romands. Sacs, cabas, porte-monnaie, porte-cartes et vêtements réalisés à partir de matériaux récupérés auprès d’entreprises et institutions suisses, sont des pièces uniques produites en séries très limitées. Cette opération qui consiste à récupérer des matériaux ou des produits hors d’usage afin de recréer de nouveaux objets, est appellée upcycling et s’inscrit dans le cadre du développement durable. C’est ainsi que les grandes bâches tendues sur la façade du Grand Théâtre ou les oriflammes flottant sur la place de Neuve pour annoncer les prochains spectacles deviennent, lorsqu’ils passent par les doigts de ces petites fées, d’élégants accessoires « tendance ». En effet le graphisme de ces textiles publicitaires possède un potentiel visuel à se réapproprier et à réinterpréter. C’est pour toutes ces raisons que Label Bobine a remporté en 2013, le Prix Suisse de l’Éthique et tout récemment, le Prix cantonal du développement durable. Mais non content de s’inscrire dans une démarche de consommation durable, Label Bobine s’intéresse à l’avenir des femmes au chômage ou souhaitant changer d’emploi, en les aidant à se réinsérer dans la vie professionnelle par le biais de la couture, de la comptabilité et de la vente, car Label Bobine c’est aussi une boutique de dépôt-vente de vêtements de seconde main.
Or donc, en cette belle matinée estivale l’équipe au complet avait rendez-vous aux ateliers du Grand Théâtre situés rue Michel-Simon et rue Sainte-Clotilde. Ces femmes ont tout d’abord découvert avec émerveillement la réserve de costumes qui les a fait rêver, puis elles se sont attardées dans l’atelier de couture où un chaleureux accueil les y attendait. Échanges passionnés avec les couturières et couturiers, tailleurs et décoratrices de costumes du Grand Théâtre, avant que Fabienne Duc, la responsable de cet atelier d’une importance capitale pour les spectacles programmés sur la scène de Neuve, ne leur offre une mini-conférence sur son métier. Ce moment de découvertes et de surprises s’est achevé studieusement par la présentation en musique de
l’opéra La Wally d’Alfredo Catalani qui fut pour elles un grand moment d’émotion culminant avec la célèbre aria « Ebben ? Ne andrò lontana ». Profondément bouleversées par cet air, elles ne reprirent leurs esprits qu’au restaurant devant une bonne assiette de filets de perche... Un nouveau rendez-vous a d’ailleurs été pris pour la visite du Grand Théâtre et son atelier de perruques et maquillage. Encore tout un monde à découvrir. Grâce au soutien financier de JTI Genève, dix de ces femmes furent quelques jours plus tard invitées au Grand Théâtre avec tous les honneurs, à l’occasion d’une représentation de La Wally. La plupart d’entre elles n’étaient jamais venues à l’opéra. Si le paradis terrestre existe, elles n’étaient pas loin, ce soir-là de l’avoir entrevu.
par B enoît P ayn
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agazine bien connu des lyricophiles maniant la langue de Goethe, la revue allemande Opernwelt a élu à l’occasion de son palmarès annuel Michael Volle chanteur de l’année. Ayant déjà été honoré de cette distinction en 2007, le baryton originaire de la Forêt Noire confirme ainsi sa réputation de figure incontournable de la scène lyrique internationale. La saison précédente de ce véritable Theatertier a effectivement été ponctuée par des performances mémorables, comme son interprétation de Guy de Montfort à Covent Garden à l’occasion des représentations d’I Vespri siciliani, ses apparitions en Hans Sachs dans la nouvelle produc-
tion des Meistersinger von Nürnberg de Stefan Herheim à Salzbourg ou encore sa prestation dans le rôletitre de Guillaume Tell, une nouvelle production présentée au Bayerische Staatsoper de Munich. Le public du Grand Théâtre aura donc le privilège d’accueillir Michael Volle, qui plus est dans les conditions exceptionnelles d’un récital intimiste voixpiano au cours duquel il interprétera en compagnie de Helmut Deutsch Der Schwanengesang, somptueux cycle de Schubert. Car si l’on vante les talents scénique de cet « éternel curieux », comme il se plaît à répéter, la soirée du 4 mars 2015 sera également l’occasion d’apprécier la profonde connaissance du répertoire du lied de cet artiste à l’apogée de son art.
La sorcière Hillary va enchanter le jeune public par M athieu P oncet
nition de l’opéra, et y lit que c’est un théâtre où l’on ne parle pas mais où l’on chante, ce qui lui semble impossible. D’un coup de baguette magique, elle fait alors surgir la soprano Maria BellaCanta qui se propose de devenir la guide de notre sorcière. À travers un voyage vocal émaillé des airs les plus célèbres, BellaCanta s’amuse alors à nous présenter le répertoire et la vocation artistique de l’art lyrique. billetterie@geneveopera.ch + 41 22 322 50 50
Réveillonnez au foyer ! Le 31 décembre 2014, à l’issue de la dernière représentation de La GrandeDuchesse de Gérolstein, venez fêter le réveillon de fin d’année sous les ors des foyers du Grand Théâtre. Dans une ambiance festive et musicale, un dîner de fête vous sera servi autour de tables de 10 convives pour un prix de Fr. 195.- tout compris. Les places étant limitées, nous vous suggérons de réserver cette soirée sans attendre. billetterie@geneveopera.ch + 41 22 322 50 50
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ans sa volonté de partager l’univers de l’opéra avec tous les publics variés, le Grand Théâtre de Genève est heureux de vous présenter cette production originale. Nous aurons ainsi le plaisir de créer, dans notre théâtre de La Place de Neuve, ce spectacle lyrique où une centaine de spectateurs – et notamment les enfants âgés de 4 à 8 ans – y trouveront leur bonheur. Plusieurs représentations se dérouleront en matinée entre le jeudi 5 et le dimanche 8 mars 2015 et les horaires précis vous seront indiqués en fin d’année par notre billetterie. Conçue sous forme interactive, La sorcière Hillary va à l’opéra donnera la parole aux enfants et aux adultes, et répondra en chantant à leurs questions et à leurs émotions. Ce spectacle vous permettra de retrouver, dans le cadre somptueux du grand foyer, la sorcière Hillary qui ayant gagné deux invitations pour l’opéra y entre pour la première fois et découvre la féérie d’un monde lyrique qui lui est inconnu. Désorientée, elle cherche dans son grimoire sous la lettre « O » la défi-
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