1516 - Programme récital - Anna Caterina Antonacci - 09/15

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ANNA CATERINA

ANTONACCI SOPRANO

DONALD SULZEN PIANO

RAVEL | POULENC

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SUBVENTIONNÉ PAR LA VILLE DE GENÈVE

PARTENAIRES DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE ASSOCIATION DES COMMUNES GENEVOISES

CERCLE DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

ÉTAT DE GENÈVE

PARTENAIRE FONDATEUR DE LA TROUPE DES JEUNES SOLISTES EN RÉSIDENCE

PARTENAIRE DE SAISON

PARTENAIRE DE SAISON

PARTENAIRE DE PRODUCTION

PARTENAIRE DU BALLET DU GRAND THÉÂTRE

PARTENAIRE DU PROGRAMME PÉDAGOGIQUE

PARTENAIRE DES RÉCITALS

PARTENAIRE DE PROJET

FONDATION VALERIA ROSSI DI MONTELERA

LA FAMILLE LUNDIN

PARTENAIRES MÉDIA

PARTENAIRES DU GENEVA OPERA POOL BANQUE PICTET & CIE SA CARGILL INTERNATIONAL SA HYPOSWISS PRIVATE BANK GENÈVE SA TOTSA TOTAL OIL TRADING SA UNION BANCAIRE PRIVÉE, UBP SA

PARTENAIRES D’ÉCHANGE EXERSUISSE

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RÉCITAL Dimanche 6 septembre 2015 à 19 h 30 Au Grand Théâtre de Genève

ANNA CATERINA

ANTONACCI SOPRANO

DONALD SULZEN PIANO

FRANCIS POULENC La Fraîcheur et le feu Rayons des yeux Le matin les branches attisent Tout disparut Dans les ténèbres du jardin Unis la fraîcheur et le feu Homme au sourire tendre La grande rivière qui va

FRANCIS POULENC La Dame de Monte-Carlo Entracte La Voix humaine

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MAURICE RAVEL Cinq mélodies populaires grecques Chanson de la mariée Là-bas, vers l'église Quel galant m'est comparable Chanson des cueilleuses de lentisques Tout gai !

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Voyages dans le surréalisme par Daniel Dollé

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ouvait-on imaginer meilleur programme que celui proposé par Anna Caterina Antonacci et Donald Sulzen, devenus presque des habitués de la scène genevoise, pour ouvrir une saison qui aurait pu plaire aux surréalistes. À ces artistes où le rêve entre en interaction avec la réalité mise en cause, afin de nous maintenir éveillés et de nous étonner. Mais n’est-ce pas là le but de la saison que nous voulons partager ? Deux amoureux du verbe français nous ouvrent les portes de l’onirisme et de la féerie qui divertissent, questionnent et transcendent la réalité. Au programme, des plumes qui ont marqué la littérature et la musique. Éluard retrouve Cocteau à travers la composition de Poulenc. Cet Éluard qui avait interrompu, à deux reprises, la répétition de La Voix humaine, à la Comédie-française, en criant à l’obscénité ? Cela ne les empêchera pas de se réconcilier en 1942, et Cocteau de se recueillir au chevet de Paul Éluard, au moment de sa mort. À cette occasion Jean Cocteau écrit : […] La mort jalouse ceux qui vivent. Et connaissant par quels chemins Tu nous rafraîchissais d’eaux vives Elle a même volé tes mains. » (Portrait de Paul Eluard sur son lit de mort)

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Le surréalisme n’a pas changé nos vies, mais il a permis une autre vison du monde, grâce à la puissance déflagrante de l’onirisme et de l’image. Sans l’intercession d’une muse, d’une femme aimée, d’un homme aimé, il n’y a pas de poésie. Elle, ou il, provoque, soutient et assure le lien avec l’univers poétique. Faut-il rappeler que c’est à l’occasion d’un ballet, sur une musique d’Éric Satie, que le mot surréalisme fut employé pour la première fois ? Mais l’idée ne laisse pas d’étonner si l’on a à l’esprit l’absence d’intérêt des surréalistes pour la musique. Satie, par ses audaces musicales et son goût de la provocation, serait plutôt proche de Dada. Pour André Breton, le représentant de la pensée du surréalisme, seules les images suscitées par la peinture et la poésie sont aptes à donner accès aux représentations inconscientes et aux rêves ; l’expression musicale est jugée trop confusionnelle. Le beau sera désormais ce qui se révèle lorsque l’artiste se penche vers le gouffre intérieur de l’inconscient. Ce récital original, centré sur les grands mélodistes français du XX ème siècle, commence par les Cinq mélodies populaires grecques, de Maurice Ravel. Ce cycle de cinq courtes mélodies inspirées du folklore grec, vaut surtout par le soin

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Paul et Nusch Éluard photographiés par Dora Maar en été 1937 à Mougins

qu’a pris Ravel de ne pas trop dénaturer la tradition pour en faire des pièces savantes. Trois des mélodies (« Chanson de la mariée », « Quel galant m’est comparable », « Tout gai »), au texte joyeux et entraînant, lui inspirent des accompagnements simples, alors que les deux autres (« Là-bas vers l’église », « Chanson des cueilleuses de lentisques »), qui parlent de mort et d’amour, sont des bijoux de profondeur. Contrairement à Poulenc, la mélodie ne constitue pas pour Ravel un genre dominant. Ses préférences intimes allaient, sans doute à la musique pour piano, qui offre une clé d’interprétation de son art, d’abord par les œuvres elles-mêmes, mais aussi par l’influence considérable qu’exerça le piano sur le style du musicien. Vuillermoz ne disait-il pas : « Les harmonies de Ravel portent très nettement ce qu’on pourrait appeler ses « empreintes digitales » ? » Cette prédilection pour le piano se retrouve dans son corpus de mélodies. L’accompagnement se développe en soi, indépendamment du texte que scande la prosodie la plus exacte qui soit. L’action se passe au piano, le chant la commente. Mais ne croyez pas que le chant ravélien n’est qu’un fairevaloir. Tout comme Debussy et Fauré, s’il renie le bel canto et s’oppose à un chant trop généreux, comme dans le répertoire italien, c’est pour mieux servir le texte. Ravel choisit presque toujours des textes plus provocateurs que poétiques, des proses, des sujets quotidiens et non d’élévation, des textes étrangers ou traditionnels : des mots qui existent comme tels et non, déjà, comme musique poétique. Pour ses mélodies accompagnées et pour ses œuvres chorales, Francis Poulenc choisit des poètes qui ont tous, ou presque, fait partie de son cercle de connaissances : « Je ne me sens musicalement à l’aise qu’avec les poètes que j’ai connus ». Paul Éluard tient la première place : « …parce que c’était le seul surréaliste qui tolérât la musique; ensuite, parce que toute son œuvre est vibration musicale. » L’osmose se fait au terme de la convergence de deux polarités: l’influence sur Poulenc de ses amies, qui sont aussi en quelque sorte ses égéries, Adrienne Monnier et Raymonde Linossier,

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VOYAGES DANS LE SURRÉALISME DANIEL DOLLÉ

et la fascination que le poète exerce sur les musiciens de son temps. Poulenc fut séduit d’emblée par Paul Éluard. Georges Auric perçoit très rapidement la parenté de résonance entre Éluard et Poulenc. C’est même lui qui incite son ami à mettre les vers du poète en musique. En 1935, Poulenc, parlant de sa rencontre avec Éluard, dit : « l’une des rencontres importantes de ma vie ». Pour ses mélodies, Poulenc choisit 34 textes et les traite le plus souvent en cycles, dont La Fraîcheur et le feu. Au fond d’eux-mêmes, Éluard et Poulenc possèdent une pulsation rythmique qu’on pourrait qualifier de « naturelle » pour souligner qu’elle n’est pas un découpage mécanique du temps. Le rythme vivant est le contraire de la « carrure rythmique » qui fragmente le discours : Poulenc adorait Monteverdi et Mozart qu’il considérait comme les premiers maîtres du rythme. Éluard et Poulenc remontent à contre-courant le flux de leur inspiration jusqu’à la source de leurs rêves. C’est ce qu’Éluard appelle sa « raison d’écrire ». Le poème d’Éluard s’intitule Vue donne vie. La Fraîcheur et le feu, dont le titre fut suggéré au compositeur par Éluard, voit le jour en 1950, treize ans après Tel jour telle nuit, premier recueil important consacré au poète. Poulenc reprend l’antithèse du titre à des fins musicales. Il crée un cycle unifié par le prélude (et postlude) de Rayon des yeux qu’il reprend en conclusion de La grande rivière qui va. Francis Poulenc, en 1961, évoque ainsi les circonstances de la composition de la pièce qui clôt cette première partie de récital, La Dame de Monte-Carlo : « Tout à coup, un fantôme envahit ma musique ! Monte-Carlo ! Monte-Carlo, la Venise de mes vingt ans! Acheté par hasard à Cannes, le Théâtre de poche de Jean Cocteau, il y a une quinzaine de jours. Je ne connaissais pas La Dame de Monte-Carlo, écrit pour Marianne Oswald, il y a plus de vingt ans. Ce monologue m'enchante car il ressuscite pour moi les années 1923-1925 où je vivais, avec Auric, à Monte-Carlo, dans l'ombre impériale de Diaghilev. […] Conçu pour voix de soprano et orchestre par deux, ce monologue présentait une difficulté majeure: échapper à la monotonie tout en conser-

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vant un rythme immuable. C'est pourquoi j'ai essayé de donner une couleur différente à chaque strophe du poème. Mélancolie, orgueil, lyrisme, violence et sarcasme. Enfin tendresse misérable, angoisse et flic dans la mer ! […] Il faut chanter La Dame de Monte-Carlo comme la prière de la Tosca ! » Après la pause, nous écouterons une œuvre singulière sous-titrée « tragédie lyrique », La Voix humaine qui fut créée deux ans après les Dialogues des Carmélites. Francis Poulenc compose ce monologue lyrique pour Denise Duval, son interprète favorite, qui créa le rôle sous la direction de Georges Prêtre, dans une mise en scène et un décor de Jean Cocteau, auteur du livret. Mettre en musique le monodrame de son ami Cocteau dans lequel le téléphone devient le protagoniste d’un drame sentimental, constitue pour le compositeur un extraordinaire tour de force. Comment réussir à maintenir l’intérêt durant ce long monologue d’une femme délaissée par son amant qu’elle essaie de reconquérir dans une conversation téléphonique perturbée par des incidents techniques ? Seul Arnold Schönberg avait tenté une expérience comparable en 1924 avec son monodrame Erwartung, autre monologue d’une femme à la recherche de son amant. Le sujet : une femme, abandonnée par son amant, a tenté de se suicider. Pendant 40 à 45 minutes, au téléphone, elle parle à cet amant, sans doute pour la dernière fois, car il se marie le lendemain. Elle parle comme une amoureuse trahie, sans trop de cohérence : elle évoque le passé, les jours heureux, elle ment, elle nie la réalité, elle se raccroche à la moindre parole d’espoir ; soudain elle s’emporte, s’affole, elle souffre, puis se calme. En apparence seulement : quand, la rupture est consommée, elle repose le récepteur, elle retombe sur son lit, évanouie. Francis Poulenc raconte à Bernard Gavoty la genèse de cette œuvre : Bernard Gavoty : « Cher ami, avec La Voix humaine de votre ami Cocteau, tout change, l’époque, le genre, le sujet. Cocteau était bien vivant quand vous avez composé sur son opéra. Est-ce que c’est

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lui qui vous en a donné l’idée ? » Francis Poulenc : « Non, La Voix humaine est née d’une plaisanterie. J’étais à Milan pour les représentations des Dialogues des Carmélites et un certain soir, Madame Callas chantait avec Del Monaco. Et il était beaucoup question d’un petit scandale. À la fin du dernier acte, Madame Callas avait poussé Monsieur Del Monaco dans la coulisse pour saluer seule. Alors à ce moment-là, mon éditeur et ami Monsieur Hervé Dugardin qui est directeur des éditions Ricordi à Paris m’a dit : Tu devrais faire quelque chose pour Callas toute seule, elle saluerait comme ça à son aise. Pourquoi ne lui fais-tu pas La Voix humaine ? J’ai fait La Voix humaine, mais bien décidé à ne pas le donner à Madame Callas. » Ami de Jean Cocteau depuis son adolescence, Francis Poulenc, quelques jours avant la première, écrit : «…Ce n’est qu’au bout de quarante ans d’amitié que j’ai collaboré avec Cocteau. Je pense qu’il me fallait beaucoup d’expérience pour respecter la parfaite construction de La Voix humaine qui doit être, musicalement, le contraire d’une improvisation. »  C’est ici que la structure de la pièce de Cocteau a aidé le compositeur : sous son allure rhapsodique, ce long monologue est agencé avec rigueur. Cette scène de rupture est magistralement montée. C’est une suite de séquences, ou plus exactement de « phases ». Il y a la phase du souvenir, la phase du mensonge, la phase du chien qui regrette son maître, la phase du suicide manqué, etc. Poulenc a traduit chacune de ces phases en autant de « segments musicaux » ayant chacun sa personnalité propre. Mais l’œuvre tout entière baigne, dès les premières mesures, dans une atmosphère angoissée, intense et lyrique, celle-là même que sousentend le texte de Cocteau. Un seul personnage, pas d’action, un long monologue de caractère rhapsodique, pour ne pas dire décousu. N’était-ce pas vouloir accumuler les difficultés ? Mais ce monodrame lyrique, œuvre expressionniste, dans le sens germanique du terme, s’il en fut, d’un lyrisme exacerbé, wagnérien, œuvre qui demeure, en dépit de la subtilité

de la déclamation, d’essence symphonique avant toute chose. Le texte est d’un prosaïsme volontaire. Aucune envolée lyrique. À peine une suite de phrases, parfois inachevées, entrecoupées de cris, et au cours desquelles l’essentiel n’est jamais exprimé : en un mot, un langage téléphonique, mais d’une indéniable force dramatique, en raison de l’arrière-fond psychologique, émotionnel et affectif qu’il trahit. Le problème à résoudre était le suivant : écrire une œuvre qui trouvât son unité dans une suite de fragments musicaux souvent très brefs. Dès le début, certains thèmes lyriques sont amorcés, qui donnent à l’œuvre sa couleur particulière et son unité. Thèmes qui ne sont pas, il faut le préciser, des leitmotifs. On mesure les périls de l’entreprise. Aucune possibilité pour le mélodiste-né qu’est Poulenc de donner libre cours à sa veine mélodique. Plus que jamais, Poulenc se révèle ici comme un maître ès prosodie. Jamais il n’est allé plus loin. Quel meilleur hommage que celui de Cocteau lui-même : « Mon cher Francis, tu as fixé, une fois pour toutes, la façon de dire mon texte. » Traduire musicalement tout ce que les paroles dissimulent, et cela sans ôter au mot la place qu’il lui a toujours reconnue, c’est-à-dire la première, c’est peut-être ce qui a séduit Francis Poulenc. Le jusqu’au-boutisme du personnage d’Elle donne la possibilité à Jean Cocteau d’aborder un thème qui lui est cher : celui d’un éternel féminin au bord du gouffre, prêt à tout accepter par amour jusqu’à sacrifier, s’il le faut, sa propre existence. Mais La Voix humaine porte également sur un sujet moderne à l’époque, celui de la transformation des relations humaines et des comportements sociaux provoqués par l’irruption de certaines technologies dans la vie humaine, ici le téléphone. En choisissant un titre et un nom de personnage neutre « Elle », Jean Cocteau met en scène une histoire universelle à travers laquelle le spectateur, homme ou femme, peut s’identifier. Quelles nouvelles solutions musicales apporter à ce morcellement inédit de la plainte amoureuse adressée à un interlocuteur invisible, à cette mise à nu de la passion à travers le chant ?

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VOYAGES DANS LE SURRÉALISME DANIEL DOLLÉ

Sur les 780 mesures que compte la partition, 186 sont écrites pour la voix seule. Poulenc a voulu donner au chant la liberté du discours parlé. La courbe mélodique épouse toutes les émotions qui déchirent l’héroïne, amour, haine, désespoir brutal, regrets. On comprend aisément que la réussite de l’œuvre repose sur la diction et l’engagement émotionnel de la chanteuse qui « doit avoir souffert de l’attente vaine, pour jouer cette œuvre de détresse vécue » (Denise Duval). La qualité première de la musique devait être la transparence : on ne saurait imaginer un accompagnement luxuriant, submergeant et noyant le texte, le monologue pathétique de cette amoureuse abandonnée. Monologue haché, tout en interrogations désespérées, en allusions passionnées, en feintes à peine déguisées ; monologue sans continuité apparente, ponctué, sans arrêt jusqu’à la fin, de points d’orgues. Au piano revient la tâche difficile d’établir la continuité absente d’un texte nécessairement morcelé, en créant l’atmosphère, un climat étrange, de tension et d’angoisse. Et cela dès le début, dès que la sonnerie du téléphone retentit. Francis Poulenc exprime à merveille le climat tendre et violent, amoureux et cruel, sentimental et sensuel de ce long monologue. Le piano devient tour à tour le téléphone, l’amant, l’atmosphère palpable de la chambre de la femme, celle bruyante du cabaret où se trouve l’amant, il illustre la souffrance ou le bonheur fugace de la femme mais incarne aussi ces voix tantôt connues, pour celle de l’amant, tantôt inconnues, l’opératrice ou d’autres abonnées, à l’autre bout du fil. C’est en fait le deuxième personnage de cet opéra. À la création, l’ouvrage rencontre un vrai succès, surtout auprès de la critique. Dans Arts, Jacques Bourgeois écrivait : «  la partition de Poulenc, peut donner à la pièce de Cocteau cette immortalité que l’opéra de Puccini a donné à la Tosca de Sardou. » Et Bernard Gavoty, dans Le Figaro, d’enchaîner : « Combien de musiciens, depuis Debussy, ont parlé un langage aussi poignant et aussi efficace, aussi discret, aussi passionné, aussi quotidien ? Seule dans sa chambre déserte, tournant comme

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une bête en cage dans la prison de son chagrin, un manteau rouge jeté sur son vêtement de nuit, mal réveillée de son cauchemar, les yeux agrandis par l’approche de l’inéluctable, pathétique et merveilleusement simple, Denise Duval a trouvé le rôle de sa vie... » DD

La matière musicale est plus propre qu’aucune autre à épouser fidèlement les mouvements intérieurs ; réciproquement, elle les nourrit, les développe dans leur propre sens, ce qui procure au musicien un plaisir sans limites, presque irrésistible et lui donne l’illusion de la plus grande plénitude de vie. Mais cette activité se résorbe dans l’individu même et lui supprime tout contact avec le dehors. (La musique constitue probablement le moyen le plus conforme aux démonstrations surréalistes.)  ANDRÉ SOURIS

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Maurice Ravel

(1875-1937)

Cinq mélodies populaires grecques Michel Dimitri Calvocoressi (1877-1944) Chanson de la mariée Réveille-toi, réveille-toi, perdrix mignonne, Ouvre au matin tes ailes. Trois grains de beauté, mon cœur en est brûlé ! Vois le ruban d’or que je t’apporte, Pour le nouer autour de tes cheveux. Si tu veux, ma belle, viens nous marier ! Dans nos deux familles, tous sont alliés ! Là-bas, vers l’église Là-bas, vers l’église, Vers l’église Ayio Sidéro, L’église, ô Vierge sainte, L’église Ayio Costanndino, Se sont réunis, Rassemblés en nombre infini, Du monde, ô Vierge sainte, Du monde tous les plus braves !

Chanson des cueilleuses de lentisques Ô joie de mon âme, Joie de mon cœur, Trésor qui m’est si cher ; Joie de l’âme et du cœur, Toi que j’aime ardemment, Tu es plus beau qu’un ange. Ô lorsque tu parais, Ange si doux devant nos yeux, Comme un bel ange blond, Sous le clair soleil, Hélas ! Tous nos pauvres cœurs soupirent ! Tout gai ! Tout gai ! Gai, ha, tout gai ! Belle jambe, tireli, qui danse ; Belle jambe, la vaisselle danse, Tra la la la la...

Quel galant m’est comparable Quel galant m’est comparable, D’entre ceux qu’on voit passer ? Dis, dame Vassiliki ? Vois, pendus à ma ceinture, pistolets et sabre aigu... Et c’est toi que j’aime ?

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Francis Poulenc

(1899-1963)

La Fraîcheur et le feu Paul Éluard Rayons des yeux Rayons des yeux et des soleils Des ramures et des fontaines Lumière du sol et du ciel De l’homme et de l’oubli de l’homme Un nuage couvre le sol Un nuage couvre le ciel Soudain la lumière m’oublie La mort seule demeure entière Je suis une ombre je ne vois plus Le soleil jaune le soleil rouge Le soleil blanc le ciel changeant Je ne sais plus La place du bonheur vivant Au bord de l’ombre sans Ciel ni terre. Le matin les branches attisent Le main les branches attisent Le bouillonnement des oiseaux Le soir les arbres sont tranquilles Le jour frémissant se repose. Tout disparut Tout disparut même les étoiles même le ciel Même l’ombre tombée des branches Sur les cimes des mousses tendres Même les mots et les regards bien accordés. Sœurs mirotières de mes larmes Les étoiles brillaient autour de ma fenêtre Et mes yeux refermant leurs ailes pour la nuit Vivaient d’un univers sans bornes.

Dans les ténèbres du jardin Dans les ténèbres du jardin Viennent des filles invisibles Plus fines qu’à midi l’ondée. Mon sommeil les a pour amies Elles m’enivrent en secret De leurs complaisances aveugles. Unis la fraîcheur et le feu Unis la fraîcheur et le feu Unis tes lèvres et tes yeux De ta folie attends sagesse Fais image de femme et d’homme Homme au sourire tendre Homme au sourire tendre Femme aux tendres paupières Homme aux joues rafraîchies Femme aux bras doux et frais Homme aux prunelles calmes Femme aux lèvres ardentes Homme aux paroles pleines Femme aux yeux partagés Homme aux deux mains utiles Femme aux mains de raison Homme aux astres constants Femme aux seins de durée Il n’est rien qui vous retient Mes maîtres de m’éprouver. La grande rivière qui va La grande rivière qui va Grande au soleil et petite à la lune Par tous chemins à l’aventure Ne m’aura pas pour la montrer du doigt. Je sais le sort de la lumière J’en ai assez pour jouer son éclat Pour me parfaire au dos de mes paupières Pour que rien ne vive sans moi.

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FRANCIS POULENC

La Dame de Monte-Carlo (1961) Jean Cocteau (1889-1963) Quand on est morte entre les mortes, qu’on se traîne chez les vivants lorsque tout vous flanque à la porte et la ferme d’un coup de vent, ne plus être jeune et aimée... derrière une porte fermée, il reste de se fiche à l’eau ou d’acheter un rigolo. Oui, messieurs, voilà ce qui reste pour les lâches et les salauds. Mais si la frousse de ce geste s’attache à vous comme un grelot, si l’on craint de s’ouvrir les veines, on peut toujours risquer la veine d’un voyage à Monte-Carlo Monte-Carlo, Monte-Carlo. J’ai fini ma journée. Je veux dormir au fond de l’eau de la Mediterranée. Après avoir vendu votre âme et mis en gage des bijoux que jamais plus on ne réclame, la roulette est un beau joujou. C’est joli de dire : « je joue ». Cela vous met le feu aux joues et cela vous allume l’œil. Sous les jolis voiles de deuil on porte un joli nom de veuve. Un titre donne de l’orgueil ! Et folle, et prête, et toute neuve, on prend sa carte au casino. Voyez mes plumes et mes voiles, contemplez les strass de l’étoile qui mène à Monte-Carlo. La chance est femme. Elle est jalouse de ces veuvages solennels. Sans doute ell’ m’a cru l’épouse d’un véritable colonel. J’ai gagné, gagné sur le douze. Et puis les robes se décousent, la fourrure perd des cheveux. On a beau répéter : « Je veux », lorsque la chance vous déteste,

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lorsque votre cœur est nerveux, vous ne pouvez plus faire un geste, pousser un sou sur le tableau sans que la chance qui s’écarte change les chiffres et les cartes des tables de Monte-Carlo. Les voyous, les buses, les gales ! Ils m’ont mise dehors... dehors... et ils m’accusent d’être sale, de porter malheur dans leurs salles, dans leurs sales salles en stuc. Moi qui aurais donné mon truc à l’œil, au prince, à la princesse, au Duc de Westminster, au Duc, parfaitement. Faut que ça cesse, qu’ils me criaient, votre boulot! Votre boulot ?… Ma découverte. J’en priverai les tables vertes. C’est bien fait pour Monte-Carlo, Monte-Carlo. Et maintenant, moi qui vous parle, je n’avouerai pas les kilos que j’ai perdus à Monte-Carle, Monte-Carle, ou Monte-Carlo. Je suis une ombre de moi-même... les martingales, les systèmes et les croupiers qui ont le droit de taper de loin sur vos doigts quand on peut faucher une mise. Et la pension où l’on doit et toujours la même chemise que l’angoisse trempe dans l’eau. Ils peuvent courir. Pas si bête. Cette nuit je pique une tête dans la mer de Monte-Carlo, Monte-Carlo…

Entracte

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Francis Poulenc

(1899-1963)

La Voix humaine (1959) Adaptée de la pièce (1930) de Jean Cocteau (1889-1963) la femme

(on sonne) Allô, allô ! Mais non Madame, nous sommes plusieurs sur la ligne, raccrochez. Vous êtes avec une abonnée. Mais, Madame, raccrochez vous-mêm’. Allô, Mad’moisell’ ! Mais non, ce n’est pas le docteur Schmit. Zéro huit, pas zéro sept. Allô ! C’est ridicul’. On me demande ; je ne sais pas. (on sonne) Allô ! Mais, Madam’, que voulez vous que j’y fass’ ? Comment, ma faut’ ? Pas du tout. Allô, Mad’moisell’ ! Dites à cette dame de se retirer. (elle raccroche) (on sonne) Allô, c’est toi ? Oui, très bien. C’etait un vrai supplice de t’entendre à travers de tout ce monde... Oui... Oui... Non... C’est une chance... Je rentre il y a dix minutes. Tu n’avais pas encore appelé ? Ah ! Non, non. J’ai dîné dehors, chez Marthe. Il doit être onze heur’un quart. Tu es chez toi ? Alors regarde la pendule électrique. C’est ce que je pensais. Oui, oui, mon chéri. Hier soir ? Hier soir je me suis couchée tout de suite et comme je ne pouvais pas m’endormir, j’ai pris un comprimé.

Non, un seul, à neuf heures. J’avais un peu mal à la tête, mais je me suis secouée. Marthe est venue. Elle a déjeuné avec moi. J’ai fait des courses. Je suis rentrée à la maison. J’ai... Quoi ? Très forte... J’ai beaucoup, beaucoup de courage... Après ? Après je me suis habillée, Marthe est venue me prendre. Je rentre de chez elle. Elle a été parfaite. Elle a cet air, mais ell’ ne l’est pas. Tu avais raison, comme toujours. Ma robe rose... Mon chapeau noir. Oui, j’ai encore mon chapeau sur la tête. Et toi ? tu rentres ? Tu es resté à la maison ? Quel procès ? Ah, oui. Allô ! Chéri... Si on coupe, redemande-moi tout de suite. Allô ! Non, je suis là. Le sac ? Tes lettres et les miennes. Tu peux le faire prendre quand tu veux. Un peu dur... Je comprends. Oh ! mon chéri, ne t’excuse pas, c’est très naturel et c’est moi qui suis stupide. Tu es gentil... Tu es gentil. Moi non plus, je ne me croyais pas si forte. Quelle comédie ? Allô ! Qui ? Que je te joue la comédie, moi ! Tu me connais, je suis incapable de prendre sur moi. Pas du tout... Pas du tout. Très calme. Tu l’entendrais.

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LA VOIX HUMAINE FRANCIS POULENC

Je dis : Tu l’entendrais. Je n’ai pas la voix d’une personne qui cache quelque chose. Non. J’ai décidé d’avoir du courage et j’en aurai. J’ai ce que je mérite. J’ai voulu être folle et avoir un bonheur fou.

Si, mais très loin, très loin. Toi, tu m’entends. C’est chacun son tour. Non, très bien. J’entends même mieux que tout à l’heure, mais ton appareil résonne. On dirait que ce n’est pas ton appareil.

Chéri, écoute... Allô !

Je te vois, tu sais.

Chéri. Laisse... Allô ! Laisse-moi parler. Ne t’accuse pas. Tout est ma faute.

Quel foulard ? Le foulard rouge. Tu as tes manches retroussées.

Si, si. Souviens-toi du dimanche de Versailles et du pneumatique.

Ta main gauche ? Le récepteur.

Ah ! Alors ! C’est moi qui ai voulu venir, c’est moi qui t’ai fermé la bouch’, c’est moi qui t’ai dit que tout m’était égal. Non, non, là tu est injuste. J’ai... J’ai télephoné la première, un mardi. J’en suis sûre. Un mardi vingt-sept. Tu penses bien que je connais ces dates par cœur... Ta mère ? Pourquoi ? Ce n’est vraiment pas la peine. Je ne sais pas encore. Oui, peut-être. Oh ! Non, sûrement pas tout de suite, et toi ? Demain ? Je ne savais pas que c’était si rapide. Alors, attends, c’est très simple : demain matin le sac sera chez la concierge. Joseph n’aura qu’à passer le prendre. Oh ! Moi, tu sais, il est possible que je reste, comme il est possible que j’aille passer quelques jours à la campagne, chez Marthe. Oui, mon chéri... Mais oui, mon chéri... Allô ! Et comme ça ? Pourtant je parle très fort. Et là, tu m’entends ?

Ta main droite ? Ton stylographe. Tu dessines sur le buvard, des profils, des cœurs, des étoiles. Ah ! Tu ris. J’ai des yeux à la place des oreilles. Oh ! Non, mon chéri, surtout ne me regarde pas. Peur ? Non, je n’aurai pas peur... C’est pire. Enfin je n’ai plus l’habitude de dormir seule. Oui, oui, oui, je te promets, je te promets, tu es gentil. Je ne sais pas. J’évite de me regarder. Je n’ose plus allumer dans le cabinet de toilette. Hier, je me suis trouvée nez à nez avec une vieille dame... Non, non ! Une vielle dame avec des cheveux blancs et une foule de petites rides. Tu es bien bon, mais mon chéri, une figure admirable, c’est pire que tout, c’est pour les artistes. J’aimais mieux quand tu disais : regardez-moi cette vilaine petite gueule ! Oui, cher monsieur ! Je plaisantais. Tu es bête... Heureusement que tu es maladroit et que tu m’aimes. Si tu ne m’aimais pas et si tu étais adroit, le téléphone deviendrait une arme effrayante. Une arme qui ne laisse pas de traces, qui ne fait pas du bruit.

Je dis : et là, tu m’entends ? C’est drôle parce que moi je t’entends comme si tu étais dans la chambre. Allô ! Allô ! Allons, bon ! Maintenant c’est moi qui n’entends plus.

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Moi, méchante ? Allô ! Allô, chéri... Où es tu ? Allô, allô, Mad’moisell’, allô, Mad’moiselle, on coupe. (elle raccroche) (on sonne) Allô, c’est toi ? Mais non, Mad’moiselle. On m’a coupé... Je ne sais pas... C’est à dire... Si, attendez... Auteuil zéro quat’ virgul’ sept. Allô ! Pas libre ? Allô, Mad’moisell’, il me redemand’. Bien. (elle raccroche) (on sonne) Allô ! Auteuil zéro quatre virgule sept ? Allô ! C’est vous, Joseph ? C’est Madame. On nous avait coupés avec Monsieur. Pas là ? Oui, oui, il ne rentre pas ce soir... C’est vrai, je suis stupide ! Monsieur me télephonait d’un restaurant, on a coupé et je redemande son numéro... Excusez-moi, Joseph. Merci, merci. Bonsoir, Joseph. (elle raccroche) (on sonne) Allô ! Ah ! Chéri ! C’est toi ? On avait coupé. Non, non. J’attendais. On sonnait, je décrochais et il n’y avait personne. Sans doute... Bien sûr... Tu as sommeil ? Tu es bon d’avoir téléphoné, très bon. Non, je suis là. Quoi ? Pardonne, c’est absurde.

Rien, rien, je n’ai rien. Je te jure que je n’ai rien. C’est pareil. Rien du tout. Tu te trompes. Seulement, tu comprends, on parle, on parle... Écoute, mon amour. Je ne t’ai jamais menti. Oui, je sais, je sais, je te crois, j’en suis convaincue... Non, ce n’est pas ça, c’est parce que je viens de te mentir. Là, au téléphone, depuis un quart d’heur’, je te mens. Je sais bien que je n’ai plus aucune chance à attendre, mais mentir ne porte pas la chance et puis je n’aime pas te mentir, je ne peux pas, je ne veux pas te mentir, même pour ton bien. Oh ! Rien de grave, mon chéri. Seulement je mentais en te décrivant ma robe et en te disant que j’avais dîné chez Marthe... Je n’ai pas dîné, je n’ai pas ma robe rose. J’ai un manteau sur ma chemise, parce qu’à force d’attendre ton téléphone, à force de regarder l’appareil, de m’asseoir, de me lever, de marcher de long en large, je devenais folle ! Alors j’ai mis un manteau et j’allais sortir, prendre un taxi, me faire mener sous tes fenêtres, pour attendre... Eh bien ! Attendre, attendre je ne sais quoi. Tu as raison. Si, je t’écoute... Je serai sage, je répondrai à tout, je te jure. Ici... Je n’ai rien mangé. Je ne pouvais pas. J’ai été très malade. Hier soir, j’ai voulu prendre un comprimé pour dormir ; je me suis dit que si j’en prenais plus, je dormirais mieux et que si je les prenais tous, je dormirais sans rêve, sans réveil, je serais morte. J’en ai avalé douze dans de l’eau chaude. Comme une masse. Et j’ai eu un rêve. J’ai rêvé ce qui est. Je me suis réveillée toute contente parce que c’était un rêve, et quand j’ai su que c’était vrai, que j’étais seule, que je n’avais pas la tête sur ton cou, j’ai senti que je ne pouvais pas vivre.

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Légère, légère et froide et je ne sentais plus mon cœur battre et la mort était longue à venir et com’ j’avais une angoisse épouvantable au bout d’une heure j’ai téléphoné à Marthe. Je n’avais pas le courage de mourir seule. Chéri... Chéri... Il était quatre heur’ du matin. Elle est arrivée avec le docteur qui habite son immeuble. J’avais plus de quarant’. Le docteur a fait une ordonnance et Marthe est restée jusqu’à ce soir. Je l’ai suppliée de partir parce que tu m’avais dit que tu téléphonerais et j’avais peur qu’on m’empêche de te parler. Très, très bien. Ne t’inquiète pas. Allô ! Je croyais qu’on avait coupé. Tu es bon, mon chéri. Mon pauvre chéri à qui j’ai fait du mal. Oui, parle, parle, dis n’importe quoi. Je souffrais à me rouler par terre et il suffit que tu parles pour que je me sente bien, que je ferme les yeux. Tu sais, quelquefois quand nous étions couchés et que j’avais ma tête à sa petite place contre ta poitrine, j’entendais ta voix, exactement la même que ce soir dans l’appareil. Allô ! J’entends de la musiq’

Non, non. Dans mon lit. Oui, je sais. Je suis très ridicule, mais j’avais le téléphone dans mon lit et malgré tout, on est relié par le téléphone. Parce que tu me parles. Voilà cinq ans que je vis de toi, que tu es mon seul air respirable, que je passe mon temps à t’attendre, à te croir’ mort si tu es en retard, à mourir de te croir’ mort, à revivre quand tu entres et quand tu es là, enfin, à mourir de peur que tu partes. Maintenant j’ai de l’air parce que tu me parles. […] Allô ! Allô ! Madam’, retirez-vous. Vous êtes avec des abonnés. Allô ! Mais non, Madam’. Mais, Madam’, nous ne cherchons pas à être interessants. Si vous nous trouvez ridicules, pourquoi perdez-vous votre temps au lieu de raccrocher ? Oh !

Je dis, j’entends de la musique.

Ne te fâche pas...

Eh bien, tu devrais cogner au mur et empêcher ces voisins de jouer du gramophone à des heur’ pareil’.

Enfin !

C’est inutile. Du reste le docteur de Marthe reviendra demain. Ne t’inquiète pas. Mais oui... Ell’ te donnera des nouvelles. Quoi ? Oh ! Si, mil’ fois mieux. Si tu n’avais pas appelé, je serais morte. Pardonne-moi. Je sais que cette scène est intolérable et que tu as bien de la patience, mais comprends-moi, je souffre, je souffre. Ce fil, c’est le dernier qui me rattache encore à nous.

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Avant-hier soir ? J’ai dormi. Je m’étais couchée avec le téléphone...

Non, non. Elle a raccroché après avoir dit cette chose ignoble. Tu as l’air frappé. Si, tu es frappé, je connais ta voix. Mais, mon chéri, cette femme doit être très mal et elle ne te connaît pas. Ell’ croit que tu es comme les autres hommes. Mais non, mon chéri, ce n’est pas du tout pareil. Pour les gens, on s’aime ou on déteste. Les ruptures sont des ruptures. Ils regardent vite. Tu ne leur feras jamais comprendre... Tu ne leur feras jamais comprendre certaines choses. Le mieux est de faire comme moi et de s’en moquer complètement. Oh !

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Rien ! Je crois que nous parlons comme d’habitude et puis tout à coup la vérité me revient. Dans le temps, on se voyait. On pouvait perdre la tête, oublier ses promesses, risquer l’impossible, convaincre ceux qu’on adorait en les embrassant, en s’accrochant à eux. Un regard pouvait changer tout. Mais avec cet appareil, ce qui est fini est fini. Sois tranquille. On ne se suicide pas deux fois. Je ne saurais pas acheter un révolver... Tu ne me vois pas achetant un révolver.

Oh ! Mon chéri ! Comment peux-tu imaginer que je pense une chose si laide ? Je sais bien que cette opération est encore plus cruelle à faire de ton côté que du mien... Non... Non...

Où trouverais-je la force de combiner un mensonge, mon pauvre adoré ?

À Marseille ? Écoute, chéri, puisque vous serez à Marseille après-demain soir, je voudrais... Enfin j’aimerais... J’aimerais que tu ne descendes pas à l’hôtel où nous descendons d’habitude. Tu n’es pas fâché ?

Aucune... J’aurais dû avoir du courage. Il y a des circonstances où le mensonge est utile. Toi, si tu me mentais pour rendre la séparation moins pénible...

Parce que les choses que je n’imagine pas n’existent pas, ou bien elles existent dans une espèce de lieu très vague et qui fait moins de mal… Tu comprends ?

Je ne dis pas que tu mentes. Je dis : si tu mentais et que je le sache. Si, par example, tu n’étais pas chez toi, et que tu me dises…

Merci... Merci. Tu es bon. Je t’aime. (Elle se lève et se dirige vers le lit avec l’appareil à la main.) Alors, voilà. J’allais dire machinalement : à tout de suite. J’en doute. Oh ! C’est mieux. Beaucoup mieux. (Elle se couche sur le lit et serre l’appareil dans ses bras.) Mon chéri.... Mon beau chéri. Je suis forte. Dépêche-toi. Vas-y. Coupe ! Coupe vite ! Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime... T’aime. (Le récepteur tombe par terre)

Non, non, mon chéri ! Écoute.... Je te crois. Si, tu prends une voix méchante. Je disais simplement que si tu me trompais par bonté d’âme et que je m’en aperçoive, je n’en aurais que plus de tendresse pour toi. Allô ! Allô ! Mon Dieu, fait’ qu’il redemande. Mon Dieu, fait’ qu’il me redemande. Mon Dieu, fait’ qu’il redemande. Mon Dieu, fait’ qu’il redemande. Mon Dieu, fait’... (on sonne) On avait coupé. J’étais en train de te dire que si tu me mentais par bonté et que je m’en aperçoive, je n’en aurais que plus de tendresse pour toi. Bien sûr... Tu es fou ! Mon amour... Mon cher amour. (Elle enroule le f il autour de son cou) Je sais bien qu’il le faut, mais c’est atroce. Jamais je n’aurai ce courage. Oui. On a l’illusion d’être l’un contre l’autre et brusquement on met des caves, des égouts, toute une ville entre soi. J’ai le fil autour de mon cou. J’ai ta voix autour de mon cou. Ta voix autour de mon cou. Il faudrait que le bureau nous coupe par hasard.

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© BRIDGEMAN

Danseurs Paul Éluard, 1918 Musée d'Art et d'Histoire, Saint-Denis, France Dessin

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© GTG / CAROLE PARODI

Anna Caterina Antonacci lors des répétitions d'Iphigénie en Tauride en janvier 2015 au studio de Sainte-Clotilde.

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BIOGRAPHIES Anna Caterina Antonacci

© GTG / CAROLE PARODI

Soprano

Les concours qui ont salué l’arrivée d’Anna Caterina Antonacci sur la scène lyrique sont prestigieux mais, d’abord, significatifs : Concours Verdi de Parme en 1988, Concours Callas, Concours Pavarotti. Du Rossini brillant de ses débuts, elle est vite passée au Rossini seria : Mosè in Egitto, Semiramide, Elisabetta, regina d’Inghilterra, Ermione. Ont suivi les emplois classiques et nobles, les reines de Donizetti ; chez Mozart, Elvira, Elettra, Vitellia ; Gluck enfin. Armide mis en scène par Pier Luigi Pizzi et dirigé par Riccardo Muti ouvrait la saison 1997 à La Scala. Alceste suivra, à Parme et Salzbourg, et tout naturellement la grandiose Médée de Cherubini, à Toulouse puis au Châtelet. Mais, en 2003, le triomphe de Cassandre dans Les Troyens au Châtelet avec John Eliot Gardiner, marqua le passage vers les grandes héroïnes du répertoire français, dans la lignée de Régine Crespin. Au théâtre dans La Juive puis Carmen (notamment à Covent Garden pour Pappano, à l’Opéra-Comique pour Gardiner) Antonacci faisait renaître un chant français d’esprit Viardot, autre rossinienne d’origine. S’y ajoutaient de Händel

Agrippina et Rodelinda. Parallèlement, elle était Poppée à Munich, mais aussi Néron à Paris dans la même Incoronazione di Poppea, diversité d’incarnations qui conduisit à Era la Notte, one-womanshow, autour du Combattimento qui continue son tour du monde. Cependant avec Donald Sulzen, elle se concentre de plus en plus sur la mélodie, italienne (Tosti, Respighi) mais surtout française (Fauré, Debussy, Hahn). Impressionnant triplé en 2013 : une première Voix humaine en scène, et en concert Sigurd de Reyer après Pénélope de Fauré. 2014 la voit reprendre ses incarnations de Carmen au Covent Garden de Londres et de Cassandre à La Scala de Milan et faire ses débuts dans Iphigénie en Tauride au Grand Théâtre de Genève. En juin 2015, elle crée La Ciociara, opéra composé pour elle par Marco Tutino, au San Francisco Opera. Au Grand Théâtre de Genève : La Clemenza di Tito (Vitellia) 05-06, Les Troyens (Cassandre) 07-08, récital 10-11, Sigurd (Brunehild) et récital 13-14, Iphigénie en Tauride (rôle-titre) 14-15.

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Donald Sulzen

© DR

Piano

Donald Sulzen est l’un des pianistes les plus recherchés pour l’accompagnement vocal et la musique de chambre. Originaire de Kansas City, il étudie la musique d’abord aux États-Unis, puis à École normale de musique de Paris (Classe de Jules Gentil) dont il reçoit le diplôme avec félicitations. Sous la houlette de Joseph Banowetz et Harold Heiberg, il se perfectionne à l’University of North Texas (Master en musique summa cum laude). Puis, il se spécialise dans l’accompagnement en participant à des classes de maître avec Martin Katz, Geoffrey Parsons et John Wustman. Ses nombreux concerts l’amènent à jouer dans les salles les plus prestigieuses d’Europe, des États-Unis, de l’Amérique du Sud ou encore du Japon. Il participe à de nombreuses émissions télévisées et radiodiffusées (Bayerischer Rundfunk, WDR Cologne, Radio France, RAI 1 Rome, Radio Bremen...). Il enregistre aussi plus d’une trentaine de disques, notamment les trios avec piano de Brahms, Mendelssohn, Dvořák ou Georg Schumann, ainsi que des œuvres de Haydn, Ginastera, Ned Rorem et Astor Piazzolla. Avec Anna Caterina Antonacci, il enregistre un CD d’air de Hahn, Tosti, Cilea,

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Refice, Cesti et Respighi, intitulé L’alba separa dalla luce l’ombra. Après plusieurs années d’enseignement au sein de la Hoschule für Musik und darstellende Kunst « Mozarteum » de Salzbourg, il prend ses fonctions à la Hoschule für Musik de Munich, où il est en résidence. Il témoigne de son intérêt pour de jeunes chanteurs à travers son activité d’accompagnateur pour les classes de maître d’Astrid Varnay, Eleanor Steber, Magda Olivero, George Shirley et Hermann Prey. Il donne aussi des classes de maître pour les chanteurs et pour les pianistes aux États-Unis, en Europe et au Japon. Parmi les artistes renommés qu’il a accompagné figurent Anna Caterina Antonacci bien sûr, mais aussi Laura Aikin, Daphne Evangelatos, Julie Kaufmann, Ofelia Sala, Marilyn Schmiege, Thomas Cooley et James Taylor. Il collabore aussi avec le flûtiste Don Bailey pour Voyage Unlimited. Depuis 2001, il est pianiste titulaire du célèbre Munich Piano Trio. Au Grand Théâtre de Genève : récitals avec Anna Caterina Antonacci en 2010-2011 et 2013-2014.

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PROCHAINEMENT OPÉRAS

Guillaume Tell

Opéra en 5 actes de Gioacchino Rossini Nouvelle production en coproduction avec le Welsh National Opera de Cardiff et le Teatr Wielki de Varsovie. Au Grand Théâtre de Genève 11, 15, 17, 19, 21 septembre 2015 à 19 h 30 13 septembre 2015 à 15 h Direction musicale Jesús López-Cobos Mise en scène David Pountney Assistant à la mise en scène Robin Tebbutt Décors Raimund Bauer Costumes Marie-Jeanne Lecca Chorégraphie Amir Hosseinpour Lumières Fabrice Kebour Avec Jean-François Lapointe, Doris Lamprecht, Amelia Scicolone, Nadine Koutcher, Saioa Hernandez, John Osborn, Enea Scala, Alexander Milev, Franco Pomponi, Erlend Tvinnereim, Jérémie Schütz, Michel de Souza, Peter Baekeun Cho, Stephan Rieckhoff Orchestre de la Suisse Romande Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge Conférence de présentation par Sandro Cometta en collaboration avec l’Association genevoise des amis de l’opéra et du ballet. Au Grand Théâtre de Genève (Foyer) Mardi 8 septembre 2015 à 18 h 15

Directeur de la publication Tobias Richter Responsable de la rédaction Daniel Dollé Responsable de l’édition Aimery Chaigne ont collaboré à ce programme Sandra Gonzalez, Isabelle Jornod, Christopher Park, Benoît Payn Impression Atar Roto Presse SA ACHEVÉ D’IMPRIMER EN AOÛT 2015

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La Belle Hélène

Opéra-bouffe en 3 actes de Jacques Offenbach Nouvelle production Au Grand Théâtre de Genève 14, 16, 20, 21, 23, 24 octobre 2015 à 19 h 30 18, 25 octobre 2015 à 15 h Direction musicale Gérard Daguerre Mise en scène Robert Sandoz Scénographie Bruno de Lavenère Costumes Anne-Laure Futin Lumières Stéphane Gattoni Mapping Étienne Guiol Avec Marc Barrard, Raúl Giménez, Patrick Rocca, Bruce Rankin, Maria Fiselier, Fabrice Farina, Erlend Tvinnereim, Thomas Matalou, Véronique Gens, Seraina Perrenoud, Fabienne Skarpetowski L'Orchestre de Chambre de Genève Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge Conférence de présentation par Georges Reymond en collaboration avec l’Association genevoise des amis de l’opéra et du ballet. Au Grand Théâtre de Genève (Foyer) Mardi 13 octobre 2015 à 18 h 15

Les Troyens

Grand opéra en cinq actes et deux parties  de Hector Berlioz En version concertante Au Grand Théâtre de Genève

La Prise de Troie

15, 19 octobre 2015 à 19 h 30

Les Troyens à Carthage 17, 22 octobre 2015 à 19 h 30

Direction musicale Charles Dutoit Avec Sergey Semishkur, Tassis Christoyannis, Brandon Cedel, Günes Gürle, Dominique Chenes, Amelia Scicolone, Michaela Martens, Clémentine Margaine, Dana Beth Miller, Jonathan Stoughton, Michail Milanov, Jérémie Schütz Royal Philharmonic Orchestra de Londres Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

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Février 2016 Le Grand Théâtre de Genève prend ses quartiers au parc Rigot et devient

l’Opéra

des Nations Devenez parrain en finançant l’un de ses fauteuils

Contact mecenat@geneveopera.ch T +41 (0)22 322 50 58 F +41 (0)22 322 50 01

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