GTG 1819 - ACTO N°36 - 09/18

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| Septembre / Octobre / Novembre 2018 N° 36

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Le journal du Cercle du Grand Théâtre et du Grand Théâtre de Genève

THE BEGGAR'S OPERA

La première comédie musicale ! BORIS GODOUNOV

Un thriller captivant LUCA PISARONI & PIOTR BECZAŁA

Deux récitals de lieds haut de gamme PREMIÈRE

Carmen ouvre le bal

Un appel à la liberté signé Reinhild Hoffmann


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Carmen

L'insoutenable liberté de l'être

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The Beggar's Opera

La première comédie musicale !

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Chère lectrice, Cher lecteur, Chers abonnés,

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Luca Pisaroni

Le lied à l'italienne

17Piotr Beczała La poésie a son ténor

Boris Godounov

La rentrée marque le début d’une belle fin : ma dernière saison à la direction Grand Théâtre, où j’ai eu le privilège de partager avec vous des grands moments lyriques et chorégraphiques, entre rive droite et rive gauche. La saison 2018-2019 débute avec un pilier du répertoire, magnifié par une figure européenne du théâtre : Carmen, mis en scène par Reinhild Hoffmann. Nombreux d’entre vous ont fait sa connaissance avec Callas, cette grande pièce dansée. En fosse, un familier, John Fiore, dirigera un jeune talent à découvrir absolument : Ekaterina Sergeeva. Parmi les autres solistes, Sébastien Guèze et Ildebrando D’Arcangelo, me font l’amitié de revenir à Genève pour chanter aux côtés de l’Orchestre de la Suisse Romande. Suivra The Beggars’ Opera travaillé par le grand Robert Carsen et joué par Les Arts Florissants menés par l’auguste William Christie. Cette coproduction avec les Bouffes-du-Nord me donne l’opportunité de vous faire découvrir une œuvre rare et pourtant magnifique de John Gay et Johann Christoph Pepusch, dont Kurt Weill et Bertolt Brecht se sont directement inspirés. Autre monument : Boris Godounov, de Modeste Moussorgski sur un écrit d’Alexandre Pouchkine, un opéra entre trahison, infanticide, complot et coup d’État. Le rôle-titre sera chanté par un artiste puissant venu récemment, Mikhail Petrenko, qui évoluera dans la lecture de Matthias Hartmann et Paolo Arrivabeni. Enfin, l’important cycle de récitals est ouvert avec un grand nom italien, Luca Pisaroni et celui qui a sauvé Lohengrin cet été à Bayreuth, l’élégant ténor polonais Piotr Beczała. On le sait, de nombreux défis de taille attendent votre Grand Théâtre de Genève. Le déménagement de l’Opéra des Nations vers la scène de Neuve constitue un enjeu titanesque, pour les collaborateurs, les artistes et les publics. Je me réjouis énormément de retrouver ce bâtiment mythique et de vous y accueillir à nouveau. Ce retour sera accompagné d’un immense projet artistique, le Ring des Nibelungen de Richard Wagner, dans la célèbre production de Dieter Dorn et Jürgen Rose. Ce sera l’occasion de retrouver sur scène Petra Lang, elle qui vient de faire un triomphe à Bayreuth, mais aussi de revivre les grands thèmes de la littérature européenne : Médée de Charpentier et le Ballo in maschera (dans la version originale Gustavo III). Face à ces défis, je veux féliciter les équipes fidèles et professionnelles de la maison. Je vous remercie, chère lectrice, cher lecteur, chers abonnés, d’accompagner ces étapes importantes dans la vie du Grand Théâtre de Genève, entre rive droite et rive gauche, et d’en apprécier les feux d’artifice artistiques ! Excellente saison 2018-2019 !

Un thriller captivant !

Tobias Richter Directeur général

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Le thème du retour

La musique qui nous rassemble...

CP 5126 - CH-1211 Genève 11 T +41 22 322 50 00 F +41 22 322 50 01

grandtheatre@geneveopera.ch www.geneveopera.ch

Pédagogie

Éveil & sens

Directeur de la publication Responsable éditorial Responsable graphique & artistique Ont collaboré à ce numéro Impression

Tobias Richter Alain Duchêne Aimery Chaigne Elsa Barthas, Aurélie Elisa Gfeller, Olivier Gurtner, Isabelle Jornod, Tania Rutigliani, Patrick Vallon FOT SA

Parution 4 éditions par année ; achevé d’imprimer en août 2018. 3 000 exemplaires. Il a été tiré 42  000 exemplaires de ce numéro encartés dans le quotidien Le Temps.

La couverture Image onirique sur le thème de Carmen Direction artistique Aimery Chaigne

Prochainement dans le n°37

Offre Privilèges Abonnés

Wahada 27/11 > 2/12/2018 Le convenienze ed inconvenienze teatrali 21/12/2018 > 3/01/2019 Opéra de Pékin - Faust 12-13/01/2019

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Pas de deux en chaises longues

© DR

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e Grand Théâtre de Genève est une nouvelle fois heureux de soutenir CinéTransat en étant tout d'abord partenaire officiel d'une soirée cinéma en plein air à la Perle du Lac. Le thème cette année : le ballet. Dialogue, partage et présentation

de la saison 18/19 étaient de mise avant la projection du film Black Swan à la belle étoile. Puis, pour la dernière projection de l'été, plus de mille éventails aux couleurs de Carmen ont été distribués aux spectateurs qui ont pu ainsi s'informer sur le premier opéra de la nouvelle saison. ■

Merci aux parrains

Héloïse primée

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dans Fantasio, en Flamel (mise en scène Thomas Jolly). Durant la finale, avec l’Orchestre symphonique de la Monnaie sous la direction d’Alain Altinoglu, elle a notamment interprété le Brangäne Lied de Tristan und Isolde ou encore « Voyons que j’essaie – En vain pour éviter » de Carmen. Félicitations à elle ! ■

L © GTG / CAROLE PARODI

© DR

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n septembre, Héloïse Mas chante Carmen et Mercédès dans l’opéra de Bizet. En mai dernier, elle remportait le 5ème prix du prestigieux concours Reine Elisabeth. Une très belle récompense pour l’artiste française, que le public genevois a pu découvrir

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lle a débuté la saison 17-18 en incarnant la princesse Elsbeth dans Fantasio à l’Opéra des Nations, Melody Louledjian l’a terminée en chantant Violetta Valéry à l’Auditorium de Ténériffe. Dans le bâtiment élancé et audacieux de l’architecte Santiago Calatrava,

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elle a joué la mise en scène signée Alejandro Abrante sous la direction musicale d’Alessandro Palumbo. Ceux qui n’ont eu la chance de la voir en Espagne pourront l’apprécier à Genève dans Carmen (Frasquita), Boris Godounov (Xenia) et Le convenienze ed inconvenienze teatrali de Donizetti (dans le rôle de Luigia Scannagalli). ■

l’exposition « Contes de fées » plus longtemps, jusqu’au 4 novembre. Le 15 juin, des collaborateurs du Grand Théâtre sont venus visiter l’exposition grâce aux bons soins de la cheffe d’ateliers costumes ainsi que les réserves du musée. Et vous ? [cncs.fr/contes-de-fees ] ■

In memoriam

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usicien, compositeur, chef d’orchestre, pédagogue, écrivain, Jacques Guyonnet  nous a quittés le 18 mai dernier. Précurseur de la musique électronique et figure incontournable de la musique contemporaine, il a donné l’amour de la musique et l’envie de défier les codes à tant de jeunes musiciennes et musiciens romands. Né à Genève, son parcours, multiple et exemplaire, l’a vu entre autres fondateur du Studio de musique contemporaine en 1957, étudiant avec Pierre Boulez à Darmstadt, chargé de cours à l’université de New York, délégué de la

© DR

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de Mozart de faire salle comble à l’Opéra des Nations ; Don Giovanni séduit encore et toujours, en témoigne le succès populaire qui a clos la saison lyrique du Grand Théâtre, ce qui présage des meilleurs augures pour le premier opéra de la saison 2018/19 : Carmen ! ■

© DR

L’exposition joue les prolongations es costumes du Grand Théâtre continuent de fasciner ! Ses réalisations pour Casse-Noisette, signées On aura tout vu, jouent les prolongations. Le Centre national du costume de scène laisse courir

Une fin de saison en apothéose ntouré de l’Orchestra Giovanile Luigi Cherubini, Maestro Riccardo Muti a ravi le public romand avec un concert exceptionnel – affichant complet – consacré aux maîtres italiens. Grazie Maestro ! Puis ce fut au tour du chef-d’œuvre

Melody en Violetta

a campagne de parrainage des fauteuils de l’Opéra des Nations s’est terminée sur un résultat magnifique dépassant les Fr. 700 000.-. Les Genevoises et les Genevois ont su marquer à leur manière le passage de ce théâtre éphémère qui les a séduit. Et il n’est pas trop tard pour profiter de cette acoustique reconnue, la première partie de la nouvelle saison se déroulant de septembre 2018 à janvier 2019 à l’Opéra des Nations. ■

Recevez ACT-O chez vous ! Abonnement pour un an Radio Suisse Romande, mais encore créer la discorde avec son célèbre «J ’accuse Ernest Ansermet » publié dans le Journal de Genève en 1962. Jacques Guyonnet n’a cessé de parcourir le monde et de repousser les barrières artistiques et culturelles. Qu’un vibrant hommage lui soit rendu.  ■

Mme

M.

4 numéros

Suisse Fr. 20.-

À l’étranger Fr. 30.-

M. et Mme

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Courriel à retourner au Grand Théâtre de Genève Abonnement ACT-O / CP 5126 - CH 1211 Genève 11 Remplissez ce bulletin en lettres capitales.

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OPÉRATION CARMEN

Elle est libre, elle refuse les codes, non pas une rébellion agressive mais une envie légitime, celle d’être aussi libre que les hommes. Décrire Carmen comme femme fatale, envoûtante et envoûteuse, magicienne (sorcière ?), comme une séductrice violente, c’est se tromper lourdement. Elle ne veut rien moins que la même place accordée aux hommes. Malheureusement, l’égo masculin et la société ne le lui permettent pas, et elle le paiera de sa vie. Insoutenable liberté de l’être. Pour aller plus loin et comprendre la partition de Bizet, ACT-O propose un portrait de Reinhild Hoffmann, un entretien avec le chef d’orchestre John Fiore – un visage familier des publics du Grand Théâtre de Genève – et un focus sur trois étoiles vocales.

[ci-contre]

Ekaterina Sergeeva (Carmen), Jérôme Boutillier (Moralès), Héloïse Mas (Mercédès) et Brigitte Cuvelier (La Femme) pendant les répétitions sur le plateau de l’Opéra des Nations en août 2018. [en haut, à droite]

La metteure en scène Reinhild Hoffmann pendant les répétitions sur le plateau de l’Opéra des Nations en août 2018.

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OPÉRATION CARMEN

L'insoutenable liberté de l'être C par Olivier Gurtner

armen de Bizet investit la scène de l’Opéra des Nations, sous la houlette de Reinhild Hoffmann, une grande figure du mouvement chorégraphique allemand Tanztheater. Elle signe la mise en scène et la scénographie de cette nouvelle production présentée du 10 au 27 septembre. Si par malheur, le lecteur n'a pas l’occasion d’apprécier un lever de rideau à l’Opéra des Nations, il pourra regarder en différé Carmen par les moyens de la RTS TV et grâce au précieux soutien de notre partenaire, la banque REYL. Au départ échec retentissant – plusieurs représentations devant un Opéra Comique vide – source de chagrin pour Bizet, Carmen est désormais le 3ème opéra le plus joué au monde, derrière La  Traviata et Die Zauberflöte. Comment expliquer un tel succès ? Un côté fascinant, l’autre folklorique, un drame du début à la fin, mais avec des moments légers… la romance Don José -  Carmen se transforme en triangle amoureux avec l’entrée du torero Escamillo.

© GTG / MAGALI DOUGADOS

Expressive élégance

Ainsi pourrait-on décrire Reinhild Hoffmann, dans son travail comme sa gestuelle. Chez elle, tout est explicite, clair mais aussi gracieux et élégant. Un geste d’apparence simple, c’est beaucoup de travail, de préparation et de répétitions. Un terme anglais l’explique bien : effortless, en apparence. Les danseuses et danseurs du Ballet du Grand Théâtre s’en souviennent : en octobre 2017, Reinhild Hoffmann a travaillé avec eux Callas, une pièce comme une succession élégante et expressive de tableaux autour de la diva. En réalité, la parabole du cycle d’une vie – celle de tout un chacun– entre naissance, émergence, gloire et crépuscule. Élève de Kurt Jooss, fondateur de l’approche du Tanztheater, elle relaie sa vision à travers l’Europe, d’abord en tant que directrice de compagnies, puis en tant que chorégraphe et metteure en scène. Cette vision consiste à mêler plus activement la danse et le jeu d’acteur, l’interprète est acteur et danseur, ce qui permet d’élargir le contexte d’écriture théâtrale ou chorégraphique. Ses moyens

sont souvent peu nombreux, simples mais travaillés donc très efficaces. Elle ne signe pas des chorégraphies, mais des pièces. Avec Johann Kresnik, Gerhard Bohner, Pina Bausch et Susanne Linke, elle participe à ce grand mouvement et prend en 1978 la direction du Bremer Tanztheater puis le Theater Bochum. D’abord chorégraphe, Reinhild Hoffmann travaille également la mise en scène d'opéra, notamment Don Giovanni, Tristan und Isolde, Salome, Dialogues des Carmélites ou encore Iphigénie en Tauride. Son regard sur Carmen ? « C’est d’abord un appel à la liberté, d’une femme qui veut simplement vivre comme elle l’entend. Et pourtant elle en paiera le prix. » La partition de Bizet, le livret de Meilhac et Halévy, elle les perçoit comme plus légers et joyeux que la nouvelle de Prosper Mérimée. Et pourtant, la fin reste tragique, violente et injuste. Sa phrase la plus importante ? « Chien et loup ne font pas toujours bon ménage », comme une manière d’affirmer que Don José et Carmen ne peuvent pas s’entendre. Rendez-vous à l’Opéra des Nations pour se faire sa propre opinion. ■

› Opéra-comique Carmen en 4 actes de Georges Bizet

Direction musicale

John Fiore Mise en scène & scénographie Reinhild Hoffmann Costumes

Andrea Schmidt-Futterer Lumières Alexander Koppelmann Carmen

Ekaterina Sergeeva / Héloïse Mas

Don José

Sébastien Guèze / Sergej Khomov

Escamillo

Ildebrando D’Arcangelo

Micaëla

Mary Feminear / Adriana González

Mercédès

Héloïse Mas / Carine Séchaye

Frasquita

Melody Louledjian

Le Dancaïre

Ivan Thirion

Le Remendado

Rodolphe Briand

« C’est d’abord un appel à la liberté, d’une femme qui veut simplement vivre comme elle l’entend. Et pourtant elle en paiera le prix. »

Zuniga

Martin Winkler

Moralès

Jérôme Boutillier

Lillas Pastia

Alonso Leal Morado

Le Couple

Brigitte Cuvelier & Jean Chaize Orchestre de la Suisse Romande Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

Maîtrise du Conservatoire populaire de Musique Danse

Direction Magali Dami & Fruzsina Szuromi À l’Opéra des Nations du 10 au 27 septembre 2018

Reinhild Hoffmann

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© JOCHEN QUAST

OPÉRATION CARMEN

« Pour moi Carmen n’est pas une victime : elle contrôle sa vie, de manière indépendante. Elle est elle-même, ne triche pas. » John Fiore

Un entretien avec le directeur musical John Fiore par Olivier Gurtner

Trois étoiles vocales Ekaterina Sergeeva

Carmen, elle l'a déjà chantée. La saison dernière à l’opéra d’État de Novossibirsk. Tout comme Olga dans Eugène Onéguine, au Deutsche Oper Berlin et au théâre Mikhailovsky de Saint-Pétersbourg, sa ville natale. Ekaterina Sergeeva s’est également produite avec un autre natif de la Venise du Nord, Valery Gergiev. Les habitants de la cité bâtie par Pierre Le Grand se rappellent sa « Habanera » de Carmen chanté en plein air devant l’Ermitage. Passée par l’académie du Mariinski, la mezzo-soprano continue de se produire en Russie et dans les festivals européens, comme Glyndebourne et les Tiroler Festspiele. La scène des Nations sera sûrement un tremplin pour renforcer l’envol de l’artiste.

Sébastien Guèze

Il avait été Rodolfo dans la production signée Matthias Hartmann en 2016-2017, aux côtés de Ruzan Mantashyan (mythique Marguerite à la robe de diamants). Il sera Don José face à Ekaterina Sergeeva. Prise de rôle de Werther en 2017, Don José à Genève en 2018, Sébastien Guèze enchaîne les défis. Ce diplômé du Conservatoire de Paris, prix du public et second prix au concours Operalia orchestré par Plácido Domingo, le ténor français écume les scènes, notamment La Fenice, l’Opéra Comique, Avignon, La Monnaie, Opéra de Dresde, etc. Une belle occasion de le revoir à l’Opéra des Nations.

C

’est un visage familier au Grand Théâtre, autant pour les équipes que le public. John Fiore a dirigé pour la première fois à Genève en 2009-2010, Parsifal. Cette fois-ci, il mènera Carmen pour l’Orchestre de la Suisse Romande, le Chœur du Grand Théâtre mais aussi la chorale d’enfants du Conservatoire (la Maîtrise). Moments folkloriques, instruments bohémiens, moments d’ensemble ou duos intimes, la partition de Bizet est riche, vive et touffue. Tentons d’y voir plus clair. Tête-à-tête avec la baguette.

un être aux pires instincts primaires. Comment est-ce possible ? Au contact de Carmen, son âme a complètement changé. Carmen nous montre que l’attirance de l’un pour l’autre peut changer radicalement une personne, ici par la jalousie. Cette transition au 3ème acte en est presque terrifiante. D’ailleurs, une artiste qui chantait Carmen aux côtés de Jon Vickers devenait totalement terrifiée au moment d’entamer le 3ème acte… OG Carmen fait jouer des musiques folkloriques. Pourquoi ? JF C’est intéressant de voir combien les compositeurs français étaient intéressés par l’Espagne, notamment les impressionnistes, au premier rang desquels Debussy et Ravel. Mais c’est l’opéra de Bizet qui révèle le plus cette influence espagnole. D’ailleurs, j’espère que « Je vais danser en votre honneur » sera chanté avec les castagnettes sur scène.

Olivier Gurtner Carmen est le 3ème opéra le plus joué au monde. À votre avis, pourquoi ? John Fiore Comme La Traviata et La Bohème, Carmen est d’abord une belle histoire et une belle musique. L’œuvre contient tout : des personnages passionnants, un cadre attirant, des interludes orchestraux magnifiques. Elle recèle aussi des airs très connus, que tout le monde a déjà fredonnés. Les personnages ont également une grande force : chacun peut s’identifier à l’un d’eux. On peut dire qu’il s’agit d’une histoire universelle, aidée par une partition très forte.

OG Qui est Carmen, une héroïne ou une victime ? JF La question se pose aussi pour Lulu. Pour moi Carmen n’est pas une victime : elle contrôle sa vie, de manière indépendante. Elle est elle-même, ne triche pas. Au fond, elle prend des risques en toute conscience, sûre de son pouvoir d’attirance sexuelle visà-vis des hommes qui en perdent leur bon sens. Chacun devrait accepter qui elle est, ce que fait Escamillo, à l’inverse de Don José.

OG L’opéra de Bizet alterne moments légers et tragiques. Comment y parvient-il ?

OG Vous étiez à Genève en 2017 pour Norma mis en scène par Jossi Wieler et Sergio Morabito. Comment se passe votre collaboration avec Reinhild Hoffmann ?

JF Il faut d’abord rappeler que le destin de Don José est très sombre. Au départ, il s’agit d’un homme, jeune, gentil, innocent. À la fin, il est devenu violent, dangereux, assassin, un agneau devenu

JF Nous nous sommes vus deux fois à Berlin, où je dirigeais Tosca au Deutsche Oper. Nous avons discuté de manière constructive sur Carmen et nous sommes mis d’accord de retenir la version avec les dialogues plutôt que les récitatifs. En effet, cette version s’adapte bien au public romand, contrairement aux récitatifs qui conviennent à un public non francophone, comme j’ai pu le constater en dirigeant cette œuvre de Bizet au Metropolitan Opera. En plus, les dialogues donnent plus de liberté pour les chanteurs et donc pour le metteur en scène.

Ildebrando D’Arcangelo

Grande figure du monde opératique, entre le Metropolitan Opera, l’opéra d’État de Vienne, le baryton-basse italien revient à Genève, après avoir campé le Comte Almaviva dans Le Nozze di Figaro mis en scène par Tobias Richter, en 2017. Don Giovanni, Méphistophélès, Don Pasquale, Figaro… Ildebrando D’Arcangelo maîtrise les piliers du répertoire. Avec son timbre grêlé, sa présence scénique décontractée et puissante, il jouera Escamillo, le torero qui tente puis séduit Carmen, au grand dam du brigadier Don José. Gageons que le public romand saura lui réserver un bel accueil.

OG Quelles productions de Carmen aimez-vous ? JF J’aime beaucoup la production de Jean-Pierre Ponnelle que j’avais découverte à Chicago avant de la diriger à Cologne dans les années 90. Dans cette mise en scène, il faisait chaud, on sentait le climat de l’Andalousie, le rythme était passionnant. Parmi les enregistrements, la version par Michel Plasson est l’une des plus belles, et j’aime celle par Lorin Maazel. Je crois que Reinhild aime beaucoup une version dirigée par Abbado, qui est toujours très bonne. OG Carmen compte un chœur de garçons dans le premier acte. Comment travaillez-vous avec eux ? Est-ce un défi ? JF S’ils sont bien préparés, c’est simple : ils doivent chanter sur une marche, avec un rythme facile à retenir, contrairement au chœur dans La Bohème, plus complexe. J’aime bien travailler avec eux ; ils apportent un autre son et un peu de légèreté.

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Ekaterina Sergeeva (Carmen), Melody Louledjian (Frasquita) et Ildebrando D’Arcangelo (Escamillo) pendant les répétitions sur le plateau de l’Opéra des Nations en août 2018.

OG Un dernier mot pour terminer ?

© JOHN HELMER

Ekaterina Sergeeva (Carmen), Sébastien Guèze (Don José) et le Chœur du Grand Théâtre pendant les répétitions sur le plateau de l’Opéra des Nations en août 2018.

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JF Je suis très content de diriger à l’occasion de la dernière saison pour Tobias Richter à Genève, une personne qui a toujours été très loyale. Vous savez, j’ai été, durant dix ans, le directeur musical du Deutsche Oper am Rhein Düsseldorf/Duisburg, à l’époque où il en était le directeur général. Je chérirai toujours mes années à collaborer à ses côtés. ■

© GTG / MAGALI DOUGADOS

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OPÉRATION CARMEN

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› The Beggar’s Opera

Ballad opera en 3 actes de Johann Christoph Pepusch et John Gay Conception & direction musicale

William Christie Mise en scène & lumières Robert Carsen Dramaturgie

Ian Burton

Décors

James Brandily

Costumes

Petra Reinhardt

Chorégraphie

Rebecca Howell Lumières Peter Van Praet Mr Peachum

Robert Burt

Mrs Peachum / Diana Trapes

Beverley Klein

Polly Peachum

Kate Batter

Macheath

Benjamin Purkiss

Lockit

Kraig Thornber

Lucy Lockit

Olivia Brereton

Jenny Diver

Emma Kate Nelson

Filch

Sean Lopeman

Matt

Gavin Wilkinson

Jack

Taite-Elliot Drew

Robin

Wayne Fitzsimmons

Harry

Dominic Owen

Molly

Natasha Leaver

Betty

Emily Dunn

Suky

Louise Dalton

Dolly

Jocelyn Prah Les Arts Florissants À l’Opéra des Nations du 3 au 7 octobre 2018

[ci-contre]

Robert Burt (Mr Peachum) lors de la générale de cette production, en avril 2018, aux Théâtre des Bouffes-du-Nord.

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© PATRICK BERGER

OPÉRATION THE BEGGAR'S OPERA

« La première comédie musicale ! » Créée en mars 2018, cette nouvelle production de The Beggar’s Opera (L’Opéra des gueux) réunit

Robert Carsen et William Christie pour explorer un monde cynique dans lequel cupidité capitaliste, crime et injustice sociale sont les normes. Ce ballad opera est une pièce de théâtre écrite par John Gay entremêlée de chansons populaires de l’époque, arrangées par Johann Christoph Pepusch et dont certaines ont pu être attribuées à Purcell ou Händel. Dès la première en 1728, The Beggar’s Opera est un succès ! L’histoire a donné lieu à de nombreuses reprises et adaptations, dont la plus connue est Die Dreigroschenoper (L’Opéra de quat’sous, 1928) de Kurt Weill et Bertolt Brecht. Un conte férocement satirique, qui place l’action parmi les voleurs, les proxénètes et les prostituées de Londres, remis au goût du jour par un duo épique du monde de l’opéra. Un entretien avec le metteur en scène Robert Carsen par Tania Rutigliani

© PATRICK BERGER

Tania Rutigliani Pouvez-vous dire quelques mots sur ce ballad opera peu connu du public ? Robert Carsen Au début du XVIIIème siècle, l’opéra italien, fraîchement débarqué en Angleterre, devient LE spectacle à la mode – le Rinaldo de Händel posant la première pierre à l’édifice. The Beggar’s Opera est une réponse satirique à cet engouement pour un spectacle dans une langue que personne ne parlait, extravagant dans sa machinerie et ses costumes et dont les héros étaient des castrats. Une volonté se crée de proposer une pièce qui soit plus à l’image des Londoniens : quitte à courir dans un théâtre, autant aborder des thématiques plus locales. Ce n’est donc pas un opéra, mais une pièce de théâtre parsemée de musique populaire existante, dans laquelle les figures archétypales tels que les rois, les dieux ou les magiciens sont remplacés par des prostituées, des voleurs et des

politiciens corrompus. John Gay reprend donc des chants anglais, écossais, irlandais (parmi lesquels quelques mélodies de Händel et Purcell) et y ajoute des paroles qui collent à son histoire. La première comédie musicale est née ! Au départ les chants étaient pensés pour être interprétés a capella, mais rapidement il s’associe à Johann Christoph Pepusch pour arranger la musique de manière à intégrer des instrumentistes. La seule pièce de musique dont il subsiste une partition est l’Ouverture. Pour l’autre soixantaine de chants, il ne reste que la ligne mélodique et quelques annotations pour la basse. Il est dès lors difficile de connaître l’effectif exact. Nous avons opté pour un orchestre composé d’une dizaine de musiciens. Ceux-ci, même si une partition a été arrangée pour l’occasion, improvisent chaque soir – une sorte de jazz baroque. Quant aux personnages, nous avons choisi de prendre des comédiens qui savent chanter plutôt que des chanteurs lyriques – à l’image des

[en haut]

Benjamin Purkiss (Macheath) entouré du cheptel d'amours tarifées qui le trahira.

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OPÉRATION THE BEGGAR'S OPERA

[ci-contre et ci-dessous]

Le directeur musical des Arts Florissants William Christie sur scène au milieu de ses musiciens lors de la générale de cette production, en avril 2018, au Théâtre des Bouffes-du-Nord.

Claveciniste, chef d’orchestre, musicologue et enseignant, William Christie est un maître incontesté du répertoire français des XVIIème et XVIIIème siècles, qu’il explore et fait découvrir au public notamment grâce à son ensemble de chanteurs et d’instrumentistes voué à la musique baroque : Les Arts Florissants. Christie fonde l’ensemble en 1979, mais connaît la consécration avec Atys de Lully, joué en 1987 à l’Opéra Comique. Il exhume des partitions et propose au paysage musical français un répertoire jusqu’alors méconnu. Christie et Les Arts Florissants présentent une centaine de concerts par année en France tout en jouant un rôle important d’ambassadeur de la culture française à l’étranger. Leur attachement à la musique française ne les prive pas d’explorer un répertoire baroque vaste allant de Monteverdi à Purcell, en passant par Mozart ou Bach. Au-delà de leur place de pionniers dans la redécouverte du répertoire baroque et de leur riche patrimoine discographique, l’ensemble et son chef ont également mis en place, ces dernières années, plusieurs actions de formations pour les jeunes musiciens. Que ce soit par l’Académie biennale du Jardin des Voix (2002) ou le programme Arts Flo Juniors (2007), les jeunes musiciens ont ainsi l’opportunité de découvrir le monde baroque. Pour autant, Christie et Les Arts Florissants ne s’adressent pas uniquement à un public de niche : de nombreuses actions sont mises en place pour s’ouvrir et attirer de nouveaux auditeurs. Pour cette production les talents d’improvisateurs des musiciens des Arts Florissants feront revivre chaque soir la partition, au point que Robert Carsen les définit ainsi : « des jazzmen baroqueux ».

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choix de l’époque. À tout cela j’ajoute ma touche personnelle : la danse – quitte à faire une comédie musicale autant insérer de la chorégraphie. Le dernier élément, les parties de texte parlé, a été arrangé par notre dramaturge Ian Burton. Afin de garder le sens originel du texte, les références ont été adaptées à une situation contemporaine. On est toujours à Londres, mais en 2018. Il ne faut pas prendre cette pièce trop au sérieux, l’enfermer dans son texte et sa forme originelle, la mettre sous verre dans un musée. Pour qu’elle garde son sens il faut l’adapter au monde moderne pour que chaque spectateur puisse former son opinion personnelle. C’est une pièce qui doit amuser le spectateur, pour qu’il puisse rire, il faut qu’il s’identifie à ce qui se déroule sur scène.

© PATRICK BERGER

William Christie et Les Arts Florissants

TR Et la morale dans cette histoire ? RC La morale est totalement bouleversée et renversée. The Beggar’s Opera est un monde où la corruption et l’égoïsme sont la norme, ce qui, je l’espère, n’est pas le cas dans ce bas monde. Mr et Mrs Peachum, par exemple, craignent par-dessus tout que leur fille se marie. Ils sont horrifiés à l’idée qu’elle devienne victime de la moralité de la classe moyenne. Elle peut fréquenter qui elle veut, peu importe, du moment qu’elle ne se marie pas. Il est peu probable qu’au XVIIIème siècle ce discours soit la norme pour des parents [il rit] ! On peut également citer comme exemple Macheath : c’est un criminel qui d’un bout à l’autre de la pièce est toujours sur le point de se faire pendre et/ou de séduire une femme. On a donc le personnage principal qui, d’une part joue les Robin des Bois en volant les riches pour distribuer aux pauvres  (ce qui le rend particulièrement sympathique) alors que d’autre part, avec les femmes, son comportement n’est pas vraiment #MeToo compatible (ce qui le rend moins sympathique). Est-ce un héros, un anti-héros ? Difficile à dire. Je laisse donc à chaque spectateur le loisir de se former sa propre opinion quant à ce qui est moral ou immoral.

« Nous avons opté pour un orchestre composé d’une dizaine de musiciens. [...] Ils improvisent chaque soir – une sorte de jazz baroque. » Robert Carsen

TR Que pouvez-vous nous raconter à propos de votre collaboration avec William Christie ?

TR Et cette production ? RC C’est un projet qui a vu le jour au Théâtre des Bouffes‑du‑Nord. William Christie et Olivier Mantei ont conceptualisé le projet et m’ont demandé de les rejoindre. J’ai toujours adoré cette pièce, elle me fascine par son sujet mais aussi par l’importance qu’elle a dans l’histoire de la musique et du théâtre en Angleterre. Pour les décors, vu que la pièce parle de voleurs et de leur butin, la scène donne l’impression d’être un entrepôt de biens volés fraîchement tombés d’un camion.

RC Cela fait 25 ans que nous explorons Händel, Rameau, Mozart, Campra et tant d’autres ensemble. Nous avons la même conception artistique : elle se base sur l’idée que toute musique est moderne. Même si le répertoire est baroque, nous abordons les pièces comme si elles étaient le fruit d’un compositeur contemporain. Nous ne mettons pas de gants de velours pour aborder un manuscrit, nous nous salissons les mains et revisitons et adaptons chaque pièce au public d’aujourd’hui. On est sur la même longueur d’onde, un élément indispensable pour monter des opéras. ■


› Boris

Godounov

Opéra en 7 scènes et un prologue de Modeste Moussorgski Direction musicale

Paolo Arrivabeni Mise en scène Matthias Hartmann Décors

Volker Hintermeier

Costumes

Malte Lübben

Lumières

Peter Bandl

Boris Godounov

Mikhail Petrenko Alexey Tikhomirov

Xenia

Melody Louledjian

Fiodor

Marina Viotti

Grigori

Serghej Khomov

Pimène

Vitalij Kowaljow

Prince Vassili Chouïski

Andreas Conrad

Andreï Chtchelkalov

Roman Burdenko

Varlaam

Alexey Tikhomirov Oleg Budaratskiy

Missaïl

Andrei Zorin L’Aubergiste Mariana Vassileva-Chaveeva La Nourrice

Victoria Martynenko

Mitioukha

Harry Draganov Un Boyard Rémi Garin

« Un thriller captivant ! »

Orchestre de la Suisse Romande Chœur du Grand Théâtre de Genève Direction Alan Woodbridge

Maîtrise du Conservatoire populaire de Musique Danse

Direction Magali Dami & Fruzsina Szuromi À l’Opéra des Nations du 28 octobre au 15 novembre 2018

Un entretien avec Paolo Arrivabeni par Tania Rutigliani

la tradition lyrique russe a été composé à une époque où le drame historique est le genre prédominant. Modeste Moussorgski dresse un portrait poignant de ce tsar usurpateur déchiré par le remord. Puisant dans la pièce éponyme d’Alexandre Pouchkine (1825), la musique transporte le spectateur dans un drame sombre, une histoire pleine d’intrigues parsemée de musique du folklore russe. Présenté à l'Opéra des Nations dans sa version d’origine (1869), ce récit, basé sur des faits historiques, narre la prise de pouvoir de Boris Godounov suite à l’assassinat du tsarévitch Dimitri (le fils d’Ivan le Terrible) ainsi que la chute de cet usurpateur. À cette occasion, le maestro, Paolo Arrivabeni, et le rôle-titre, Mikhail Petrenko, présentent quelques clés de lecture.

Tania Rutigliani Maestro, décrivez-nous, en quelques mots, les éléments les plus marquants dans cet opéra. Paolo Arrivabeni C’est l’histoire d’un usurpateur, Boris Godounov, qui accède au trône suite à l’assassinat de l’héritier légitime. C’est un souverain, accablé de toutes parts, que la tourmente et les remords rongent. Ce qui rend l’histoire encore plus intense est qu’elle est basée sur des faits réels : le spectateur est plongé dans un flashback historique très dense. L’opéra n’est pas très long et l’action est très concentrée. Cette narration est sublimée par la musique qui alterne rapidement entre des scènes très douces, dans lesquelles Boris interagit avec ses enfants, et des scènes d’une violence extrême, dans lesquelles il est accablé par le peuple, accusé d’infanticide.

© OPÉRA ROYAL DE WALLONIE

Boris Godounov, une pièce emblématique de

Paolo Arrivabeni

TR Comment réagissent les personnes qui ne connaissent pas l’œuvre ? PA Dans le cas de Boris il faut savoir dépasser les clichés et les idées préconçues. C’est un opéra qui prend aux tripes, une œuvre forte. TR Quand on parle de Boris Godounov il est souvent question de la version. Pouvez-vous, pour les néophytes, expliquer en quelques mots de quoi il s’agit ? PA La première version de l’opéra a été composée par Moussorgski en 1869 – c’est cette version que nous présenterons à l’Opéra des Nations – mais il retouchera deux fois la partition en 1872 et 1874. Il y a des différences notables entre la première version et les deux autres, ce qui contribue à une lecture complè-

[en haut]

Esquisse pour les costumes de moines du Chœur par le costumier de cette production : Malte Lübben.

ACT­­- O | 36 . 11


12 . ACT­­- O | 36


OPÉRATION BORIS GODOUNOV

tement différente de la pièce d’une version à l’autre. D’une part, dans la première version de l’œuvre, l’histoire se termine par la mort de Boris. Dans les deux autres versions le peuple se révolte après le décès de celui-ci. D’autre part, un acte complet (appelé « acte polonais ») est ajouté dans la seconde et troisième version : il s’agit d’une musique certes magnifique, mais c’est un long détour au niveau de la narration. En quelques mots, dans la première version l’action est concentrée sur Boris Godounov, ses tourments, sa chute, sa mort ; dans les autres, le peuple devient le protagoniste principal. J’affectionne particulièrement la version de 1869, car l’aspect incisif du discours dramatique est maintenu. De plus, terminer un opéra par la mort du rôle-titre est toujours un instant particulièrement fort et émouvant.

[ci-contre et page de gauche]

Esquisses de travail pour la présentation de la maquette de cette production par le scénographe Volker Hintermeier.

TR Ce n’est pas la première fois que vous dirigez cette pièce (Liège et Santander en 2010, Marseille en 2017). Qu’est-ce qui vous a marqué lors de la préparation de cet opéra ? PA La partition est une mine d’informations. Malgré le temps que j’y consacre à chaque nouvelle production, je redécouvre à chaque fois des détails d’instrumentation et d’éléments dramatiques. Je travaille avec une édition de la partition où tout est annoté ; les nombreuses indications de l’auteur me permettent d’évoluer à chaque interprétation. Je suis toujours ravi de redécouvrir la musique de Moussorgski. TR En 2016-17, vous dirigiez La Bohème à l’Opéra des Nations. Moussorgski, Puccini, un monde les sépare, non ? PA Certes, l’inspiration mélodique de Puccini diffère de celle de Moussorgski. Cependant, ils sont très semblables quant à l’intensité dramatique. On peut, par exemple, faire des parallèles entre la mort de Mimì et celle de Boris Godounov : même si la musique est très différente, la tension dramatique est similaire. Ce sont deux compositeurs qui savent s’adresser directement au cœur du public.

« La narration dans cette première version est proche de celle d’un thriller captivant. Elle n’est pas interrompue par des détours dans l’histoire. » Mikhail Petrenko Un entretien avec Mikhail Petrenko par Tania Rutigliani

Mikhail Petrenko À l’opéra il y a quatre courants principaux : les opéras italiens, allemands, français et russes. Boris Godounov est le chef-d’œuvre et l’héritage de la tradition russe. C’est un palier essentiel à la découverte de ce répertoire. Boris Godounov a une place particulière dans l’histoire de la musique, tout comme La Traviata ou Faust. TR Pouvoir interpréter un rôle dans votre langue maternelle, un rôle aussi important, est-ce quelque chose de particulier pour vous ? MP Boris est un rôle important pour n’importe quelle basse. D’ailleurs les Boris les plus convaincants ne sont pas forcément russophones. Cet opéra ne doit pas être perçu comme une succession de faits historiques faisant écho à une nation. Ce sont les différents éléments idéologiques et psychologiques qui sont particulièrement importants. La beauté de la pièce réside avant tout dans ce personnage déchiré et tourmenté par sa conscience. TR Paolo Arrivabeni affectionne particulièrement la version de 1869 – qui sera présentée à l’Opéra des Nations – car l’action se concentre sur votre personnage. Et vous ? MP C’est également la version que je préfère ! Par cette focalisation de l’action, l’œuvre devient plus dramatique. La narration dans cette première version est proche de celle d’un thriller captivant. Elle n’est pas interrompue par des détours dans l’histoire.

TR Boris Godounov est un rôle très hétéroclite : vous allez interpréter à la fois un chef d’État, un père, un assassin ou encore un fou. Est-ce difficile de garder une forme de cohérence tout en incarnant autant de facettes différentes ? MP Cette diversité est un avantage, elle offre plus de substance au rôle et énormément d’éléments avec lesquels construire son personnage. Avec une bonne direction d’acteur, cela crée une fluidité qui donne de l’épaisseur au personnage. Tous les ingrédients nécessaires sont dans la partition, il suffit de s’en imprégner. C’est ce qui fait le génie de Moussorgski. TR Ce n’est pas votre premier Boris Godounov, mais vous n’avez pas toujours interprété le rôle-titre. Le fait d’avoir perçu l’œuvre par le biais d’autres personnages vous a-t-il donné une vision différente de l’opéra ?

© ALEXANDRA BODROVA

TR Et vous, Mikhail Petrenko, pourquoi recommandez-vous aux spectateurs de découvrir Boris Godounov ?

Mikhail Petrenko

MP Les productions me plongent, d’une certaine manière, dans un univers distinct, où tous les personnages ont leur propre monde. De plus, chaque représentation est une nouvelle expérience de la pièce. Du coup, peu importe le personnage qu’on y interprète, l’opéra par ses productions, ses représentations, crée un univers différent chaque jour. TR Et Genève et l’Opéra des Nations ? MP Lors de mon récital en juin 2018, j’ai eu l’occasion découvrir cet écrin de bois. J’ai adoré cet espace temporaire qui a des airs de festival et le public a été particulièrement enthousiaste. Je me réjouis de revenir à Genève et espère y retrouver le même engouement. ■ ACT­­- O | 36 . 13


Andata ritorno Pourquoi un mélomane décide-t-il de rejoindre le Cercle du Grand Théâtre de Genève ? Quelles relations ses membres entretiennent-ils avec le Directeur général Tobias Richter ? Quels spectacles ont-ils préféré ? Comment voient-ils le précieux groupe de soutien à la maison lyrique évoluer ? Plusieurs membres engagés au Comité nous répondent.

P

par A urélie É lisa G feller

[en-haut]

our Jean Bonna, son président, l’amour de la musique en général et de l’opéra en particulier l’ont conduit vers le Cercle. Il a également l’impression qu’il lui incombait, ainsi qu’à ses pairs, de défendre une scène de première qualité pour une ville de taille relativement modeste comme Genève. Parmi ses souvenirs marquants, il évoque Salome de Richard Strauss, dans une mise en scène de Nicolas Brieger, avec Nicola Beller Carbone dans le rôletitre, en février 2009.

© GTG / MAGALI DOUGADOS / CAROLE PARODI / VINCENT LE PRESLE

Quelque productions plébiscitées par nos membres du Cercle du Grand Théâtre : Alcina, Eugène Onéguine, La Calisto et le concert de La Clemenza di Tito dirigé par Teodor Currentzis.

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Claudia Groothaert évoque son intérêt pour la vie culturelle, surtout pour la musique, à Genève mais aussi son désir de soutenir le nouveau projet artistique d’alors, celui de Tobias Richter et l’importance d’élargir les rangs du Cercle. Elle se souvient de « mises en scène magnifiques » : Der Rosenkavalier de Richard Strauss, dans une lecture proposée par Otto Schenk (début 2012)  ; Der Ring des Nibelungen dans la production de Dieter Dorn et Jürgen Rose (saisons 2012-2013 et 2013-2014) ; le premier lever de rideau à l’Opéra des Nations, Alcina de Georg Friedrich Händel dans une mise en scène de David Bösch (début 2016) ; ou encore La Clemenza di Tito de Mozart, en version de concert, sous la baguette électrique de Teodor Currentzis (en août 2017). Pour Coraline Mouravieff-Apostol, l’attachement au Grand Théâtre de Genève fait partie d’un héritage familial. « En tant qu’enfant et jeune fille, souligne-t-elle, les spectacles m’ont inspirée et réjouie, et ma participation au Cercle est une continuation naturelle. » Parmi ses coups de cœur, elle évoque la production d’Eugène Onéguine de Robert Carsen (octobre 2014). Rolin Wavre rappelle aussi sa jeunesse et un intérêt pour l’opéra,

italien ou russe en particulier, qui remonte à un séjour à SaintPétersbourg dans les années 1990 tandis qu’il étudiait le russe. Ce moment historique spécifique fut ainsi marqué par « une orgie d’opéra ». Mais l’intérêt pour la musique n’est pas tout : il évoque aussi son envie d’apporter au Grand Théâtre de Genève sa connaissance du monde politique genevois. Ses souvenirs comprennent « une série d’impressions, le plus souvent liées à des trouvailles scéniques ou à la rencontre d’une voix avec un moment suspendu ». Christine Batruch mentionne son souhait de renforcer ses liens aussi bien avec les membres du Cercle du Grand Théâtre de Genève, passionnés par l’opéra, qu’avec le collectif du Grand Théâtre – cela par le biais des événements destinés au Cercle et exposant les divers aspects du processus de création d’un opéra ou d’un ballet. Ces souvenirs ne sont pas toujours liés à un spectacle mais aussi parfois à des rencontres avec les artistes – metteurs en scène, chefs d’orchestre et chanteurs. « Le fait d’apprendre à connaître les artistes et de parler de leur approche de leur rôle, précise Christine Batruch, permet une meilleure appréciation des subtilités d’une production. » Aux yeux de Françoise de MestraL, membre du Bureau du Cercle et ancienne présidente, beaucoup de productions l’ont marquée. « Je citerai plutôt, ajoute-t-elle, le nom d’un chef d’orchestre, Leonardo García Alarcón, qui nous a éblouis avec son ensemble, la Cappella Mediterranea, aussi bien au Grand Théâtre, Place de Neuve (concert d’Anne Sofie von Otter en mai 2012), au Bâtiment des Forces Motrices (La Calisto, saison 2009-2010), qu’à l’Opéra des Nations (Alcina,  Il Giasone et  King Arthur). C’est un directeur musical qui allie la modestie à une très grande érudition musicale et à un enthousiasme communicatif. »


e n t cl A C e

LE CARNET DU CERCLE

Fondé en 1986, le Cercle du Grand Théâtre s’est donné

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pour objectif de réunir toutes les personnes et entreprises

M. Jean Bonna

qui tiennent à manifester leur intérêt aux arts lyrique, chorégraphique et dramatique. Son but est d’apporter

R

ainsi, de participer à son rayonnement.

Mme Claudia Groothaert

Mme Coraline Mouravieff-Apostol

M. Rolin Wavre

Rejoignez-nous !

Nous serions heureux de vous compter parmi les passionnés d’ arts lyrique, chorégraphique et dramatique qui s’engagent pour que le Grand Théâtre de Genève conserve et renforce sa place parmi les plus grandes scènes européennes. Adhérer au Cercle du Grand Théâtre, c’est aussi l’assurance de bénéficier d'une priorité de placement, d'un vestiaire privé, d'un service de billetterie personnalisé et de pouvoir changer de billets sans frais. Vous participerez chaque année au dîner de gala à l’issue de l’Assemblée générale et profiterez des cocktails d’entracte réservés aux membres. De nombreux voyages lyriques, des conférences thématiques « Les Métiers de l’Opéra », des visites des coulisses et des ateliers du Grand Théâtre et des rencontres avec les artistes vous seront proposés tout au long de la saison. Vous pourrez assister aux répétitions générales et bénéficierez d'un abonnement gratuit à ce magazine. Vous recevrez également tous les programmes de salle chez vous.

Pour recevoir de plus amples informations sur les conditions d’adhésion au Cercle, veuillez contacter directement : Madame Gwénola Trutat (du lundi au vendredi de 8 h à 12 h) T + 41 22 321 85 77 F + 41 22 321 85 79 cercle@geneveopera.ch Cercle du Grand Théâtre de Genève CP 5126 1211 Genève 11

d u

Mme Christine Batruch

Mme Françoise de Mestral

Mme Brigitte Vielle

Nos membres Bureau M. Jean Bonna, président M. Rémy Best, vice-président* Mme Brigitte Vielle, secrétaire Mme Françoise de Mestral

Mme Denise Elfen-Laniado Mme Diane Etter-Soutter Mme Catherine Fauchier-Magnan Mme Clarina Firmenich M. et Mme Eric Freymond * également trésorier Mme Elka Gouzer-Waechter Mme Claudia Groothaert Autres membres du Comité M. et Mme Philippe Gudin Mme Christine Batruch de La Sablonnière Mme Claudia Groothaert Mme Bernard Haccius Mme Coraline Mouravieff-Apostol M. et Mme Philippe Jabre Mme Beatrice Rötheli M. et Mme Éric Jacquet M. Rolin Wavre M. Romain Jordan Mme Madeleine Kogevinas Membres bienfaiteurs M. et Mme Jean Kohler Mme René Augereau M. Marko Lacin M. Jean Bonna Mme Brigitte Lacroix Fondation de bienfaisance M. et Mme Pierre Lardy du groupe Pictet M. Christoph La Roche M. et Mme Pierre Keller Mme Éric Lescure Banque Lombard Odier & Cie SA Mme Eva Lundin M. et Mme Yves Oltramare M. Bernard Mach Union Bancaire Privée – UBP SA M. et Mme Colin Maltby M. et Mme Gérard Wertheimer M. et Mme Thierry de Marignac Mme Mark Mathysen-Gerst Membres individuels M. Bertrand Maus S. A. Prince Amyn Aga Khan M. et Mme Olivier Maus Mme Diane d’Arcis Mme Béatrice Mermod M. et Mme Luc Argand M. et Mme Charles de Mestral M. Ronald Asmar Mme Jacqueline Missoffe Mme Christine Batruch-Hawrylyshyn M. et Mme Christopher Mme Maria Pilar de la Béraudière Mouravieff-Apostol M. et Mme Philippe Bertherat Mme Philippe Nordmann Mme Antoine Best M. et Mme Alan Parker M. et Mme Rémy Best M. Shelby du Pasquier Mme Saskia van Beuningen Mme Sibylle Pastré Prof. Julien Bogousslavsky M. Jacques Perrot Mme Clotilde de Bourqueney Harari M. et Mme Wolfgang Peter Valaizon Comtesse Brandolini d’Adda M. et Mme Gilles Petitpierre M. et Mme Yves Burrus M. et Mme Charles Pictet Mme Caroline Caffin M. et Mme Guillaume Pictet Mme Maria Livanos Cattaui M. et Mme Ivan Pictet M. et Mme Jacques Chammas M. et Mme Jean-François Pissettaz Mme Muriel Chaponnière-Rochat Mme Françoise Propper M. et Mme Claude Demole Comte de Proyart M. et Mme Guy Demole M. et Mme Christopher Quast M. et Mme Olivier Dunant M. et Mme François Reyl

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son soutien financier aux activités du Grand Théâtre et

L’avenir du Cercle : regards croisés

Comment le Cercle du Grand Théâtre peut-il évoluer ? Quels sont les enjeux pour le mécénat aujourd’hui ? Comment mieux intégrer les jeunes ? Pour Jean Bonna, « nous sommes des mécènes qui sommes là pour soutenir le Grand Théâtre ; notre seul rôle est de trouver de l’argent pour faciliter une programmation de qualité. Les circonstances actuelles rendent cette tâche plus difficile, mais nullement impossible ». Christine Batruch et Claudia Groothaert soulignent la nécessité d’accroître la visibilité du groupe de mécènes auprès d’un public plus jeune. À cette fin, cette dernière propose la création d’un Cercle « danse ». En effet, le public des spectacles de ballet est en moyenne plus jeune que celui des opéras et des récitals. La contribution à cette nouvelle catégorie serait moins élevée que le don au Cercle « classique ». Dans une même veine, Rolin Wavre note que plusieurs types de membres devraient pouvoir se côtoyer : des mécènes qui veulent avant tout que Genève continue à accueillir des productions d’exception et des jeunes qui souhaitent rencontrer d’autres jeunes autour de l’art lyrique et chorégraphique. « Avec une tendance affirmée à offrir des services sous la forme d’informations et de liens ». Enfin, Brigitte Vielle, secrétaire du Bureau du Cercle, « rêve d’un cercle qui soit ouvert, qui se multiplie comme l’eau au jet d’un galet. Un cercle de passionnés d’opéras et de ballets, de mécènes prêts à favoriser les découvertes musicales et visuelles, encourageant les plus jeunes à rentrer dans la dynamique du soutien à l’une de nos plus belles institutions culturelles ». Elle souligne que le Cercle soutiendra un projet très important pour le retour du Grand Théâtre à la Place deNeuve. Un projet qui signera l’engagement visible et public de tous ses membres. Mais chut, on ne vous dit pas plus ! ■

R

M. et Mme Andreas Rötheli M. et Mme Gabriel Safdié Marquis et Marquise de Saint Pierre M. Vincenzo Salina Amorini M. Julien Schoenlaub Baron et Baronne Seillière Mme Charlotte de Senarclens Mme Christiane Steck M. et Mme Riccardo Tattoni M. et Mme Kamen Troller M. et Mme Gérard Turpin M. et Mme Jean-Luc Vermeulen M. et Mme Julien Vielle M. et Mme Olivier Vodoz Mme Bérénice Waechter M. Gerson Waechter M. et Mme Stanley Walter M. et Mme Rolin Wavre Membres institutionnels 1875 Finance SA Banque Pâris Bertrand Sturdza SA FBT Avocats SA Fondation Bru International Maritime Services Co. Ltd. JT International SA Lenz & Staehelin Schroder & Co banque SA SGS SA

Organe de révision : Plafida SA Compte bancaire N° 530 290 MM. Pictet & Cie

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› Baryton-basse Luca Pisaroni

Piano

Malcolm Martineau

À l’Opéra des Nations Vendredi 2 novembre 2018

Son programme Ludwig van Beethoven La Partenza In questa tomba oscura Dimmi ben mio Beato quei che fido L'amante impaziente

Johann Friedrich Reichardt Canzon, s'al dolce loco Erano i capei d’oro O poggi, o valli, o fiumi, o selve Più volte già del bel sembiante Pace non trovo Or che'l ciel e la terra

Franz Schubert Pensa che questo istante L'incanto degli occhi Il modo di prender moglie Il traditor deluso Fischerweise Schatzgräbers Begehr Des Sängers Habe Der Einsame Lied des gefangenen Jägers Tiefes Leid Am Fenster Der Zwerg Totengräbers Heimwehe An die Leier

Le lied à l'italienne

B

par T ania R utigliani

Son dernier DVD

Bach Mass in B minor BWV 232 Dresdner Kammerchor Gewandhausorchester Leipzig Directeur musical Herbert Blomstedt Accentus Music, 2017 4260234831528

Son agenda Décembre 2018 L'Italiana in Algeri de Rossini (Mustafá) Gran Teatre del Liceu, Barcelone

ien que son nom soit associé à l’opéra, et plus particulièrement à ses rôles dans des œuvres de Mozart, Luca Pisaroni s’est également établi comme interprète charismatique et versatile à travers un large répertoire. Il débute au Festival de Salzbourg sous la baguette de Nikolaus Harnoncourt et, depuis, alterne entre opéras et concerts sur les plus grandes scènes internationales. Son répertoire est vaste, incarnant notamment des rôles allant de Faust à Almaviva (Le Nozze di Figaro) – qui se reflète également dans sa large discographie.

Un programme de lieds audacieux

© JIYANG CHEN

Janvier 2019 Don Giovanni de Mozart (Don Giovanni) Metropolitan Opera, New York

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Quand ce baryton-basse décide de présenter un récital, nul ne s’étonne de la programmation inédite et audacieuse. Accompagné de Malcolm Martineau au piano, la première partie regroupe des œuvres de Ludwig van Beethoven, Johann Friedrich Reichardt et de Franz Schubert. Ce qui lie le choix des chants est la langue : ce sont tous des lieds en italien – élément particulier vu que par sa

syntaxe, ses sons et sa sensibilité différente l’italien reste minoritaire dans le répertoire du lied. Chez Beethoven, il sélectionne, entre autres, La Partenza ou In questa tomba obscura, alternant entre ode à l’être aimé et fascination pour la mort. Chez Reichardt, il choisit six lieds basés sur des poèmes de Pétrarque et continue ainsi sa ballade amoureuse. Pisaroni termine sa première partie en proposant quatre lieds basés sur des poèmes de Métastase composés par Schubert. Sur des structures et des mélodies allemandes et autrichiennes se superpose la finesse des vers des poètes italiens de renom. La seconde partie du programme est entièrement vouée à une sélection de lieds, cette fois-ci en allemand, de Schubert. Rien d’étonnant dans le choix de ce maître incontesté du genre qui modèle sa partition autour du texte afin de le sublimer et donne ainsi une dimension nouvelle à cette musique. Loué par la critique lors de ses récitals présentant une programmation similaire, notamment au Wigmore Hall et Carnegie Hall, le timbre riche au doux legato du baryton-basse saura, sans nul doute, enchanter les spectateurs de l’Opéra des Nations ! ■


› Ténor Piotr Beczała

Piano

Helmut Deutsch

À l’Opéra des Nations Vendredi 16 novembre 2018

Il a marqué l’actualité de l’été et sauvé Bayreuth. Souvenez-vous, Piotr Beczała a remplacé Roberto Alagna, qui devait chanter pour une triple première : un rôle en allemand, Lohengrin à Bayreuth. La pression trop grande, peut-être ? En tous cas les wagnériens ont beaucoup apprécié la prestation du ténor polonais : solaire, raffinée. Une bonne raison pour venir l’écouter le 16 novembre à Genève, aux côtés de Helmut Deutsch au piano.

La poésie a son ténor

P

par O livier G urtner

uccini, Massenet, Wagner, le répertoire de Piotr Beczała est immense. Rodolfo, il l’a chanté au Metropolitan Opera, au Royal Opera House et au Staatsoper Berlin. Il a été Faust à l’Opéra de Paris sous la direction de Michel Plasson (qui a mené le Faust genevois en février dernier mis en scène par Georges Lavaudant) et bientôt au Teatro Real de Madrid. Les débuts de sa célébrité, c’est Tamino à l’Opéra national de Paris en 2001, dans la mise en scène onirique, féérique et évocatrice du suisse Benno Besson.

© DR

Un remplaçant de premier plan

Roberto Alagna devait chanter Lohengrin au sommet de la « colline verte » et il s’est désisté. À trois semaines de la première. Heureusement, Piotr Beczała a pris le défi au pied levé pour incarner le rôle-titre dans la nouvelle production de Yuval Sharon. Pour sa première, les éloges ne se sont pas fait attendre : si la mise en scène est descendue par la critique (« une aberration scénique », dixit Le Monde), Piotr Beczała recueille les suffrages :

« Un chanteur ? Non, un poète » (Diapason), « une révélation » (Seen and Heard Int.), « un des meilleurs tenants du rôle sur les grandes scènes du monde » (ResMusica). Piotr Beczała est une de ces voix élégantes, racées, qui gardent une suavité latine. Certains sons ne sont pas chantés, mais murmurés, presque respirés. Dans cette belle maîtrise, expressions et sentiments sont bien présents. À Genève, il chantera avec Helmut Deutsch, un pianiste qui l’accompagne fréquemment. En récital, il aime inviter Schumann, Karłowicz, Dvořák ou encore Rachmaninov. Du premier il chante souvent le Dichterliebe, du second Désillusion, en posant à peine un regard sur le lutrin. Une manière de mieux interagir avec les œuvres… et le public. D’ailleurs, le 8 juillet dernier à Garnier, il a partagé quatre bis avec la salle ! Gageons qu’il saura faire preuve d’une aussi belle générosité avec les amateurs genevois d’opéra ! ■

Son dernier DVD

Lohengrin

Sächsischer Staatsopernchor Staatskapelle Dresden Directeur musical Christian Thielemann avec Anna Netrebko Deutsche Grammophon, 2017 B07141J77N

Son agenda Novembre 2018 Requiem de Verdi Chicago Symphony Center Décembre 2018 Adriana Lecouvreur de Cilea (Maurizio) Metropolitan Opera, New York

« Un chanteur ? Non, un poète. »  Diapason

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L'atelier de danse autour de Ba\rock avec Fernanda Barbosa. L'atelier scénographie autour de Fantasio. L'atelier masque autour de Don Giovanni.

Éveil & sens

Avis au jeune public, l’aventure au Grand Théâtre continue : la saison 18-19 s’annonce riche, avec des ateliers créatifs et diversifiés ! La saison dernière, 1300 élèves se sont surpassés pour imaginer, créer, construire, chanter, danser. Rendez-vous cette saison encore avec le service

Sébastien Brugière rejoint l’équipe pédagogique Chef d’orchestre, violoniste, Sébastien Brugière nourrit une grand passion pour la musique. Il a fondé plusieurs formations, notamment le Chœur de chambre de l’Université de Genève et l’Ensemble Synopsie. Familier du répertoire allant de la Renaissance à l’opéra, Il a eu l’occasion de diriger en Allemagne, en Hongrie et en Russie. À Genève, il a dirigé au BFM La Traviata et Faust. Actuellement, il assure la direction musicale Orchestre de chambre de Versoix et l’Ensemble vocal et instrumental de Rolle. Avant de mener durant presque dix ans l’Orchestre et chœur de l’Université, il a étudié la direction musicale à la Haute École de Musique et joué au violon sous la baguette d’Emmanuelle Krivine, Fabio Luisi et William Christie, pour ne citer qu’eux. Rejoindre l’équipe pédagogique du Grand Théâtre de Genève, est certainement un grand défi. Bienvenue à lui !

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L

a rentrée s’annonce chargée : le service pédagogique attend autant d’élèves que la saison 17-18. Ils vont avoir le bonheur de se plonger dans un répertoire d’opéra et de danse d’une grande variété. L’objectif  ? Sensibiliser les jeunes au spectacle lyrique et chorégraphique, les rendre acteurs, dynamiser leur imagination créatrice, questionner éveiller et stimuler leur curiosité !

Un menu copieux

Rencontrer les choristes du Grand Théâtre, bénéficier d’un concert-médiation participatif sur la musique russe, l’opéra Boris Godounov sera l’occasion de s’immerger dans ce merveilleux répertoire, et de découvrir l’âme du peuple russe. Goûter au petit bijou musical de Donizetti Le convenienze ed inconvenienze teatrali (Viva la mamma!), à travers un atelier de théâtre musical où tous les poncifs de l’opéra seria sont tournés en dérision! Au menu donc, facéties, légèretés et rebondissements, rires. Idéal pour conclure l’année 2018. Dans un autre registre, la nouvelle Médée donnera aux élèves l’occasion de se dépasser, en créant des maquettes de décors afin d’appréhender l’évolution de la scénographie dans l’histoire de l’opéra. Par ailleurs, une rencontre avec les musiciens de la Capella Mediterranea leur permettra de découvrir toutes les richesses sonores des instruments anciens.

Le retour du Ring © VALPAC / DR

©DR

pédagogique pour découvrir cette maison pleine de trésors !

Une grande nouveauté autour de notre monument phare de la saison – La Tétralogie de Wagner – la création d’un film d’animation. Les élèves vont s’essayer au rapport son et image, en créant de

petits films d’animation autour de Das Rheingold et Die Walküre. Affaire à suivre ! Pour notre dernier opéra de la saison, la thématique du masque sera mise en avant. Rien de tel en effet que Un ballo in maschera de Verdi pour créer son propre masque avec une experte et de réfléchir avec elle à toute sa symbolique…

La danse à l’affiche !

Quant à la danse, nous célébrons deux magnifiques ballets, Wahada (La Promesse) et Entre réel et illusion théâtrale via des ateliers de danse avec la danseuse Fernanda Barbosa. Elle les entraînera dans un merveilleux voyage accompagné de la splendide Messe en Ut de Mozart pour l’un et deux célèbres concertos pour piano pour l’autre. Une occasion exceptionnelle de découvrir la beauté de l’art chorégraphique où le geste dépasse le verbe. Enfin, au milieu de l’hiver, rien de tel pour réchauffer le cœur de nos jeunes que d’assister à L’elisir d’amore, spectacle plein de grâce, d’humour et d’amour, de la haute couture pour notre jeune public, qui nous vient tout droit de La Scala de Milan ! Une saison riche de rencontres et de découvertes… La chasse au trésor est lancée ! ■

L’objectif ? Questionner, éveiller et stimuler la curiosité !


PEDAGO LES ATELIERS

Aide & accueil Un nouveau rendez-vous avec les métiers de notre institution. Aujourd'hui, c'est le personnel

d'accueil qui est mis en lumière. Rencontre avec Céline Steiger Zeppetella, l'une de ses membres. Elle nous éclaire sur son rôle et la vision de son métier avec les spectateurs de nos représentations d'une saison à l'autre et d'une rive à l'autre... Un entretien par T ania R utigliani

Tania Rutigliani Mlle Steiger Zeppetella, vous êtes employée au Grand Théâtre de Genève en tant que membre du personnel d’accueil. En quoi consiste votre métier ?

TR Avez-vous remarqué des différences entre le public du Grand Théâtre à la Place de Neuve et celui de l’Opéra des Nations ?

Céline Steiger Zeppetella Comme le nom l’indique, la fonction principale est d’accueillir le public et de l’encadrer pour optimiser son expérience au sein des murs du Grand Théâtre de Genève. Il y a différentes fonctions qui sont prises en charge par mon service : l’accueil, les vestiaires, le contrôle des billets ou encore le placement du public dans la salle, et même la gestion des retardataires. Le but est de rendre la soirée la plus agréable possible pour tous les spectateurs. Un bon contact avec les personnes, la bonne humeur et l’empathie sont les prérequis principaux pour mon métier. D’être le premier et le dernier visage que l’on voit d’une institution est une responsabilité qu’il ne faut pas négliger. Le public nous facilite le travail, puisqu’il vient pour se détendre, passer un agréable moment plein de féerie. Il faut savoir s’imprégner de cette attitude positive pour créer un échange agréable avec le public. À la fin d’un spectacle, c’est toujours fascinant d’entendre les débats ou l’entousiasme autour d’une production.

CSZ Le public appréhendait la transition d’une salle à l’autre. Au début, une bonne partie de mon travail consistait à les rassurer quant à l’acoustique et la visibilité. La salle a rapidement conquis tout le monde, même les plus sceptiques. J’ai également l’impression que le public a rajeuni d’une rive à l’autre. À la Place de Neuve les conditions de travail étaient différentes : nous avions des étages et des lieux attitrés qui permettaient d’accueillir de manière plus individualisée les spectateurs. À l’Opéra des Nations nous sommes moins dispersés et nous travaillons en équipes – cela a renforcé les liens au sein du service.

CSZ Après une formation dans les arts décoratifs, je me suis lancée comme indépendante et je souhaitais élargir mon horizon. J’ai toujours aimé travailler avec les personnes, les clients, les patients et une amie, qui travaillait comme ouvreuse de salle, m’a fait découvrir ce monde. J’adore découvrir de nouvelles personnes et au sein de notre service nous avons des gens provenant de tous types d’horizons différents : échanger avec eux est une expérience très enrichissante.

Céline Steiger Zeppetella devant l'Opéra des Nations et avec quelques collègues de l'accueil des publics.

TR Vous êtes également les premiers à intervenir en cas de problèmes ? CSZ C’est également l’un des éléments importants de notre travail, la surveillance de la salle durant les représentations. En cas de malaises il y a toujours un médecin dans la salle et tout le personnel du service a suivi des cours de premiers secours afin de pouvoir intervenir au mieux. TR Travailler au Grand Théâtre de Genève c’est… CSZ … prestigieux et surtout une opportunité de voir de magnifiques spectacles. J’ai conscience d’être le visage d’une institution et c’est important pour moi de rendre une image à la hauteur de celle-ci. ■

© GTG / SAMUEL RUBIO

TR Quel est votre parcours ?

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La musique qui nous ressemble

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Pose de la bâche des travaux du Grand Théâtre de Genève en juin 2016.

et celle qui nous rassemble par Thierry Apothéloz

© DR

B © GTG / SAMUEL RUBIO

Le Genevois Thierry Apothéloz est né en 1971 et a grandi aux Avanchets. Il a été éducateur social et est titulaire d'un Bachelor en droit de l'Université de Genève. C’est une personnalité politique, membre du Parti socialiste, élu depuis 1997 et exerçant la fonction de magistrat au sein d'instances législatives et exécutives communales et cantonales. Conseiller administratif de la Ville de Vernier de 2003 à 2018 et président de l'Association des communes genevoises, il est élu au Conseil d'État en 2018, en charge de la cohésion sociale, de la culture et du sport.

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ientôt, le Grand Théâtre rejoindra l'écrin qui est le sien au cœur de la Ville, après une belle mais éprouvante parenthèse dans le quartier des Nations. Du centre urbain au quartier international, d'une rive à l'autre, des moulures ancestrales au bois brut, le Grand Théâtre a accompli un bref voyage dans l'espace, mais un grand voyage dans le temps. Il en va finalement de la musique comme du vin : peu importe le flacon, tant qu'il y a l'ivresse. La modernité du provisoire Opéra des Nations n'a pas découragé les Genevoises et les Genevois. L'amour de la musique n'est pas celui du décorum. L'art lyrique se savoure partout avec la même ferveur, des Arènes de Vérone aux aubes musicales des Bains des Pâquis. L'émotion ne connaît pas de murs. La musique s'échappe de toutes les cloisons. L'expérience fut certes singulière, mais elle fut une réussite. Ne serait-ce que pour sa localisation. Genève n'est-elle pas le carrefour dans lequel s'élabore le concert des nations ? Quel beau symbole que de voir l'harmonie qui résulte de la synchronisation des instruments au cœur même du quartier où les actrices et les acteurs diplomatiques peinent parfois jouer les mêmes accords. On ne boudera cependant pas non plus notre plaisir de voir le Grand Théâtre de Genève regagner ses murs. La permanence des routines, la tradition retrouvée et le retour à la normale nous rassurent et nous apaisent. Dans cet édifice rénové, les notes et les chants pourront encore longtemps toucher les cœurs de tous celles et ceux – en nombre – qui accordent leur soutien et leur fidélité à notre scène lyrique. En ma qualité de conseiller d’État en charge de la culture nouvellement élu, je me réjouis de voir notre Grand Théâtre regagner

C’est au tour de Thierry Apothéloz, conseiller d'État, d’ouvrir à sa manière notre chronique sur le retour à la Place de Neuve – thème de notre saison 18-19. Il rend hommage ici à tous les acteurs qui ont permis cette parenthèse lyrique dans le quartier des Nations et se réjouit du retour dans son fief historique du Grand Théâtre de Genève.

son fief et continuer à cultiver l'excellence qui est la sienne après la nécessaire parenthèse des Nations. Je sais que dans ces murs, chargés d'une histoire lyrique aussi riche que variée, des femmes et des hommes s'impliquent au quotidien pour faire vivre ce qu'il est convenu d'appeler l'un des fleurons de notre scène culturelle lyrique. Le Grand Théâtre ne vit que pour et par la passion. Soutenu par la Ville de Genève, les communes, le canton et de nombreux et généreux mécènes, il est au final la parfaite illustration des bienfaits du partenariat public-privé. Lorsque les intérêts convergent, que les objectifs sont partagés et que les voix s'accordent sur les mêmes notes, c'est Genève tout entière qui gagne. Le Grand Théâtre est bien plus qu'une vitrine. C'est un bien culturel précieux. Je me réjouis de pouvoir l'accompagner. ■


cause 2 — 7

Egalité homme-femme

L E T EMPS A 20 ANS

Le Temps de s’engager.

letemps.ch/20

Le Temps s’engage sur 7 causes tout au long de l’année 2018.



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