grand théâtre magazine n°9 - Opéra et pouvoir

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Opéra et pouvoir

n°09

Sur les traces de Calixto Bieito à Bilbao Elsa Dreisig et Stéphanie d’Oustrac, deux reines face à face Iván Fischer, diriger autrement


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CRÉER DES LIENS FORTS SUR LE LONG TERME L’UBP, partenaire du Grand Théâtre de Genève, est heureuse de soutenir l’opéra Guerre et Paix, qui marque le lancement tant attendu de la nouvelle saison.

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édito

L’amour et le pouvoir Le Grand Théâtre place sa nouvelle saison sous une enseigne elliptique : « Faites l’amour… ». Et ce magazine vient parler de pouvoir ?

UN MAGAZINE PUBLIÉ AVEC LE SOUTIEN

du Cercle du Grand Théâtre de Genève, de Caroline et Éric Freymond

Amour et pouvoir, une contradiction dans les termes ? Non, bien sûr. Tout nous le rappelle : les expériences intimes aussi bien que les violences du monde, sous les latitudes où le désir d’aimer comme on veut peut mener en prison. Nulle société n’admet l’amour sans le soumettre à ses codes et à ses lois. Et nul autre genre, nul autre lieu ne dit mieux que l’opéra les dimensions multiples de l’éternelle dialectique entre ces deux puissances. L’opéra. Dans ses drames d’abord : la tension entre amour et pouvoir innerve la plupart des chefs-d’œuvre du répertoire, y compris les ouvrages présentés cet automne au Grand Théâtre, qu’il s’agisse du Couronnement de Poppée, d’Anna Bolena ou de Guerre et Paix. En réalité, dès ses origines, l’opéra n’a cessé d’interroger les normes qui font obstacle à la liberté d’aimer. Fureurs des dieux jaloux, rivalités familiales, raison d’État, sentences d’Église, mariages arrangés, assignations sociales : de Monteverdi à nos jours, l’amour n’en finit pas de vouloir s’émanciper des forces qui l’entravent. L’opéra lui-même aura été enjeu de pouvoir à des époques où il avait pour mission de servir la puissance des nations ou la folie des tyrans. Combien d’opéras utilisés à des fins politiques, Lully par Louis XIV, Verdi par les nationalistes italiens, Wagner par le national-socialisme ? Combien de compositeurs muselés par la censure, combien de Chostakovitch sommés de réécrire leur partition, de Mozart poussés à embellir la clémence des princes ? Mais le pouvoir étend ses jeux au-delà des scènes, ou en deçà, au sein même des maisons d’opéra. Entre metteur en scène et chef d’orchestre. Entre chanteurs. Entre les exigences vocales et scéniques… À l’heure où les femmes s’emparent enfin des places qui comptent, les cartes vont-elles être rebattues ? Mariame Clément, qui mettra en scène une trilogie d’opéras de Donizetti ces trois prochaines saisons, livre à ce sujet des propos perspicaces et nuancés. Des hommes proposent également une autre approche de leurs prérogatives, tel le chef du Couronnement de Poppée, Iván Fischer, qui a développé un modèle de travail fascinant avec les musiciens du Budapest Festival Orchestra. Mais il est un autre pouvoir, bien sûr, qui est celui de l’opéra lui-même : pouvoir d’émerveillement du chant, du théâtre, de la danse, de ce spectacle total qui, lorsqu’il est aux mains d’artistes inspirés, est aussi instrument de lecture du monde et d’apprentissage de soi. Comment cette démesure pourrait-elle exister sans les pouvoirs d’un amour fou ? Puisse ce magazine contribuer à transmettre un peu de cette passion. Et poursuivre le travail entrepris par mon prédécesseur Olivier Kaeser en y présentant les artistes, les thèmes, les imaginaires liés aux spectacles présentés au Grand Théâtre. En quoi ils nous renvoient l’écho du monde tel qu’il va, et tel que nous le rêvons. Excellente lecture !

Jean-Jacques Roth

Jean-Jacques Roth a travaillé dans de nombreux médias romands. Il a notamment été rédacteur en chef et directeur du Temps puis directeur de l’actualité à la RTS avant de rejoindre Le Matin Dimanche, où il a dirigé le magazine Cultura. Il a entre autres consacré deux ouvrages au Grand Théâtre. Il succède cet automne à Olivier Kaeser à la rédaction en chef de ce magazine.

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LA CULTURE À GENÈVE C’EST

CHAQUE JEUDI À 20H


Portrait de couverture

RUB RI QUES

David Wagnières, photographe indépendant établi à Genève, s’est formé dans la publicité horlogère, fasciné qu’il était par le jeu des lumières sur les matières. Il a également travaillé pendant 15 ans comme iconographe au journal Le Temps. Dans son travail, consacré aussi bien au portrait qu’aux paysages ou à l’urbanisme, il cherche à « trouver l’étincelant dans le trivial, la richesse de l’inaperçu ou la valeur du négligé ».

Édito 3 par Jean-Jacques Roth Mon rapport à l’opéra 6 Samia Hurst, l’opéra sans risque, par Serge Michel Ailleurs 8 Calixto Bieito : « Désolé, je n’irai pas à Bilbao… », par Arnaud Robert Portraits 14 Deux reines face à face, par Jean-Jacques Roth Coulisses 16 Cecilia Viola traduit les pensées en objets, par Aude Seigne

Partenaire 17 Plein champ pour Contrechamps, par Julie Henoch Kitchen lyrique 39 Pelmeni, bouillon de choux rôtis, aneth et raifort, par le chef Jacopo Romagnoli Rétroviseur 42 Mouvement culturel 44 Marseille, par Clara Sfadj À vos agendas ! 48

DOSSI ER OPÉRA ET POUVOI R

Les couvertures de ce magazine sont assurées, cette saison, par le photographe David Wagnières. Il a réalisé ce portrait de Calixto Bieito au Grand Théâtre, au début des répétitions de Guerre et Paix.

Staline, exemple d’un pouvoir qui mit au pas les compositeurs, accusés d’écrire de la « musique bourgeoise ». Prokoviev en fit partie. © Ullstein/Getty Images

Du politique à l’opéra, un livret en quatre actes, par Christopher Park 18 Le pouvoir sous le microscope, par Sebastian Dieguez 24 Mariame Clément « La liberté de l’artiste est absolue. Pas son pouvoir », par Jean-Jacques Roth 27 Iván Fischer, diriger autrement, par Julian Sykes 32 Test : Quelle figure du pouvoir à l’opéra êtes-vous ? par Sabryna Pierre 36 Sur le fil des hubris, par Clara Pons 40

Éditeur Grand Théâtre de Genève, Partenariat Heidi.news, Collaboration éditoriale Le Temps

Directeur de la publication Aviel Cahn Rédacteur en chef Jean-Jacques Roth Édition Florence Perret Comité de rédaction Aviel Cahn, Karin Kostoglu, Jean-Jacques Roth, Clara Pons Direction artistique Jérôme Bontron, Sarah Muehlheim Relecture Patrick Vallon Promotion GTG Diffusion 38 000 exemplaires dans Le Temps Parution 4 fois par saison Tirage 45 000 exemplaires ISSN 2673-2114

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mon rapport à l’opéra

Samia Hurst, l’opéra sans risque Par Serge Michel

Serge Michel est journaliste, rédacteur en chef adjoint du Temps et rédacteur en chef de Heidi.news, média qu’il a co-fondé en 2019.

Amatrice de la musique baroque : la pochette de l’enregistrement de L’Ormindo de Cavalli sorti, que Samia Hurst a écouté en boucle dans sa voiture, aux États-Unis.

Depuis le début de la pandémie, Samia Hurst n’a pas cessé d’expliquer dans les médias les décisions prises par la task force scientifique Covid. © Peter Schneider/ Keystone

Bioéthicienne et médecin, vice-présidente de la Task Force scientifique Covid pour la Suisse, elle vient de passer vingt longs mois sur le front de la pandémie à proposer et défendre les mesures sanitaires. En temps normal, elle essayait de ne rien rater au Grand Théâtre. Si bien que vous pouvez la prendre comme un baromètre de la sécurité des prochaines représentations. Si elle y va, c’est que vous ne courez aucun danger – du moins si vous êtes, comme elle, vacciné. 6


Votre premier contact avec l’opéra ? Pierre et le Loup dans les séances pour enfants du Grand Théâtre ! Je devais avoir 5 ou 6 ans. Peu après, la Flûte enchantée. Je me souviens avoir été époustouflée de l’honneur que c’était d’être là, dans quelque chose pour les grandes personnes. J’ai aussi chanté dans le chœur d’enfants sur la scène du Grand Théâtre : une fois dans le Rosenkavalier de Strauss quand j’étais petite, une fois dans Jeanne d’Arc au bûcher, comme adolescente. Là, j’avais dû prodiguer des premiers secours à ma voisine au dernier rang qui avait perdu connaissance pendant le salut final, lors d’une des représentations. Une affaire de famille, l’opéra ? Oui, on y allait enfants avec nos parents, qui sont tous deux musiciens amateurs. Il y avait beaucoup de musique à la maison. Vanessa, ma sœur cadette, s’est passionnée au point de devenir musicienne professionnelle. Elle a été prise au Grand Théâtre dans le chœur fixe, dès sa sortie du conservatoire. Et votre premier opéra toute seule ? Cela devait être en Allemagne à l’adolescence, pendant une année de séjour linguistique. Je donnais des cours de français à une voisine. On était à la campagne. Pour me remercier, elle m’a emmenée à Kassel, voir un Tannhäuser de Wagner. C’était la première fois que je l’entendais. Mais je connaissais le pastiche de Victor Borge dans sa série des Happy Birthday. Alors à l’ouverture, j’ai eu un fou rire. Ce n’était pas le bon endroit, c’était complètement déplacé et je n’arrivais pas à me reprendre. Un de ces moments où l’on aimerait disparaître, engloutie. Vous semblez n’avoir jamais quitté l’opéra ! Il y a des opéras qui ont croisé des moments de ma vie. À 30 ans, j’étais aux États-Unis et j’ai eu un gros souci de santé. J’avais de la peine à marcher, à respirer. Je devais me déplacer en voiture, dans laquelle j’avais une cassette de l’Ormindo de Cavalli. Je l’ai écouté en boucle pendant six mois. C’était quelque chose de familier auquel me raccrocher dans un monde chamboulé. Il faut dire que j’ai commencé là-bas ma formation en éthique biomédicale le 10 septembre 2001... Et de retour à Genève ? C’était l’époque où les abonnements au Grand Théâtre étaient rares. J’ai repris celui de ma grand-mère lorsqu’elle est décédée. J’y allais chaque fois que je pouvais ! Comme médecin à l’hôpital, on n’est pas maître de son temps. Il m’arrivait de finir trop tard pour être à l’heure de la représentation, ou d’être appelée à la dernière minute.

Au moins la pandémie a-t-elle mis fin à ce tiraillement : l’opéra était fermé ! À cause de mon travail pendant le Covid, j’ai raté les rares représentations qui ont pu avoir lieu… Cela dit, un plan de protection pour un lieu comme le Grand Théâtre est difficile à imaginer : c’est à l’intérieur, cela dure longtemps et on ne peut pas faire porter de masque aux chanteurs. La distance aide, mais le virus peut être aérosolisé. J’ai lu des études passionnantes sur le fait que les chanteurs professionnels ne projettent que très peu d’air en chantant, contrairement aux chœurs amateurs. Mais tout de même, la probabilité que vous respiriez de l’air qui a déjà été dans les poumons de quelqu’un d’autre augmente avec la durée et la proximité, dans un lieu fermé. Et maintenant ? Plus les cas sont bas, plus le risque est faible. Si en plus le certificat covid est exigé à l’entrée, le risque est vraiment bien diminué même si les personnes qui entrent avec un test, sans être immunisées, doivent savoir que le risque n’est pas absent non plus. En ce qui me concerne, toute la famille est vaccinée : si le Grand Théâtre est ouvert à la rentrée, on ira ! Qu’est-ce qui vous tient, dans l’opéra ? La musique d’abord, et l’immersion dans une histoire avec tout ce qu’elle traduit. Il y a quelque chose de très émouvant dans le fait d’écouter une musique qui n’est pas enregistrée. Une musique de l’instant présent, avec parfois des imperfections, des accidents. Je me souviens d’un Contes d’Hoffmann à Genève lors duquel la poupée a perdu sa voix. Elle est devenue aphone en pleine aria. Elle a fait des gestes au chef d’orchestre, pour qu’il ne reprenne pas l’air. Soit il n’a pas compris, soit il a voulu la pousser, toujours est-il qu’il a repris « da capo ». Alors elle a improvisé une petite danse. En plus, elle portait un costume de femme nue : elle s’est retrouvée nue de sa voix, habillée en femme nue. C’est sans doute le genre de chose sur lesquelles les chanteurs font des cauchemars. Elle s’en est tirée avec une immense dignité, mais la pauvre ! Vous voyez des parallèles entre votre métier et opéra ? Cette année, j’aimerais beaucoup que nous l’ayons aidé. La culture a tant souffert, et nous avons travaillé non seulement pour faire reculer la pandémie mais pour aider à trouver des solutions pour tous. En temps plus ordinaire, je dirais que la médecine sert à permettre de poursuivre le reste de la vie et je me dis parfois que nous, à l’hôpital, ce que nous voyons, c’est un peu les coulisses avant que nos patients retournent poursuivre leur existence. À l’opéra aussi on prépare les chanteurs dans les coulisses pour qu’ils entrent sur les planches. Mais la métaphore s’arrête là, nos patients repartent dans leurs vraies vies, et non dans celles de personnages de scène.

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ailleurs

Calixto Bieito : « Désolé, je n’irai pas à Bilbao… » Par Arnaud Robert

Le metteur en scène monte au Grand Théâtre le Guerre et Paix de Prokofiev. Occasion de revenir sur les lieux de son enfance, au Pays basque, là où il a découvert dans le même geste la beauté et la violence du monde.

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C’est une longue tablée qui s’affaire, face à une salle de répétition du Grand Théâtre où quelques meubles baroques sont emballés de plastique. Il y a là, assis comme un jury d’experts : scénographe, costumier, dramaturge, assistantes, assistants qui se dressent et prennent des photographies dès que Calixto Bieito exécute un geste. Ils fabriquent ensemble, peu à peu, ce Guerre et Paix monumental. On essaie des choses – la soprano Ruzan Matashyan se vautre en robe de bal dans un tapis de ballons qu’elle fait ensuite éclater avec une rage d’enfant punie, la basse Eric Halfvarson piétine sur un canapé, les oreilles bouchées, pour ne rien voir de la catastrophe qui s’annonce. Sur le mur, on a affiché le cahier des tendances, des images tirées de Metropolis de Fritz Lang, des photographies de gueules cassées de la Première Guerre, mêlées à celles, déformées numériquement, de Mark Zuckerberg, des visages de clown extatiques, des masques d’effroi. Le metteur en scène, t-shirt, pantalons noirs, parle à mi-voix ; chaque fois qu’il fait une suggestion à un chanteur, il offre une alternative : « Si ça ne te convient pas, on trouvera autre chose ». On n’imaginait pas cette douceur.

Arnaud Robert est journaliste suisse. Il contribue régulièrement aux émissions de la RTS et aux pages culturelles du Temps ainsi qu’à Heidi.news, avec un grand reportage sur « La révolution des toilettes », qui lui a valu le prix Swiss Press Awards 2020. Son travail a notamment été publié par National Geographic, Le Monde, La Repubblica, Les Inrockuptibles. Avec le photographe Paolo Woods, il signe en 2021 une exposition, un livre et un film documentaire sur les médicaments et la quête du bonheur : Happy Pills.

Calixto Bieito est connu pour avoir mis en scène des lacérations, un morceau de poitrine arraché, dans son Enlèvement au sérail, pour avoir portraituré un Don Giovanni en animal sexuel dans un bar poisseux, pour avoir glissé dans son Macbeth des scènes de cunnilingus et de nécrophilie, pour avoir ouvert un Bal masqué de Verdi par un alignement de politiciens assis, pantalons aux chevilles, sur des toilettes, et pour avoir créé dans son Turandot une usine suicidaire de poupées qui mimait les ateliers de production chinois. Le metteur en scène espagnol cherche en toutes choses sa part de sublime et de cauchemar. Comme si le beau et le mal, dans son imaginaire, étaient inexorablement liés.

Cap sur la capitale avec la Seat 850 de son père

« Désolé, je ne pourrai pas vous accompagner à Bilbao, les mesures sanitaires du Grand Théâtre m’en empêchent. » À l’issue de la répétition, dans un troquet où il décide finalement de ne rien manger, Calixto annonce la mauvaise nouvelle. On avait tout prévu, replonger avec lui dans le labyrinthe de son enfance, aller voir à la source d’où proviennent les visions de Bieito. Alors, on se décide à partir quand même, seul, et à entamer en direct une sorte de correspondance avec ce metteur en scène absent dont l’enfance reste un chantier. Il est né en 1963, un jour de fête des Morts, à proximité de Bilbao, capitale du Pays basque. « Nous nous rendions chaque fin de semaine en ville, avec la Seat 850 de mon père où je me trouvais toujours malade.


Même si Calixto Bieito a quitté la petite ville de Miranda de Ebro pour Barcelone à l’âge de 14 ans, il se souvient encore des abords du fleuve. © E. Moreno Esquibel

Invité des plus grandes scènes lyriques européennes, Calixto Bieito se distingue par une interprétation radicale des classiques. Né en 1963 à Miranda de Ebro en Espagne, il a fait ses armes auprès de Peter Brook à Londres, a commencé sa carrière de metteur en scène de théâtre en 1991 avant d’aborder l’opéra en 1999. Il a reçu un nombre très important de prix et de distinctions. C’est sa première mise en scène au Grand Théâtre.

Calixto Bieito © E. Moreno Esquibel


ailleurs

La scène du Théâtre Arriaga, à Bilbao, dont Calixto Bieito assure la direction artistique © E. Moreno Esquibel.

« Désolé, je ne pourrai pas vous accompagner à Bilbao, les mesures sanitaires du Grand Théâtre m’en empêchent. » À l’issue de la répétition, dans un troquet où il décide finalement de ne rien manger, Calixto annonce la mauvaise nouvelle. 10

Le gigantesque Puppy de Jeff Koons installé à demeure devant le Musée Guggenheim, bâtiment iconique dont l’inauguration en 1997 a manifesté la renaissance de Bilba © Ander Gillenea/AFP

Au Musée Guggenheim de Bilbao, Bieito a scénographié une exposition sur les années 1920, saturée de slogans, de citations et de poèmes. © E. Moreno Esquibel


C’était une époque où l’on ne se déplaçait qu’en voiture. Surtout que mon père était cheminot et que, pour lui, prendre le train, c’était un travail. » Aujourd’hui, Bilbao ressemble à une ville de province qui s’est enrichie, il y a des sièges d’institution financières, des touristes et un immense bouquet de tulipes fanées signées Jeff Koons devant le musée Guggenheim. En ce moment, Calixto Bieito y signe la scénographie d’une importante exposition sur les Années folles. Ce sont des images de créativité insouciante et de traumatisme exorcisé, ce sont des années où l’on oublie la pandémie mondiale de La grippe espagnole et les charniers du conflit, ce sont des années d’art et d’érotisme, de surréalisme, de design et de mode ; Calixto projette des films, l’intégralité de Metropolis, sur des murs perchés ou au plafond – les spectateurs se couchent à même le sol pour regarder. Il a fait imprimer des phrases d’artistes au mur : « L’art doit déplaire », Karl Kraus ; « Vous ne pourrez apposer sur la liberté de conscience ni porte, ni cadenas, ni verrou », Virginia Woolf. L’exposition du Guggenheim est une sorte d’avertissement ; on y parle des années 20 d’il y a un siècle en songeant aux années 20 du nôtre, cette désinvolture, ce déni, l’ombre qui avance sur l’Europe et le monde sans qu’on ne songe à s’arrêter de danser. L’opéra de Serge Prokofiev, basé sur le roman colossal de Tolstoï, se divise aussi en deux tableaux principaux, La Paix, puis La Guerre. Si le livret reprend le contexte des guerres napoléoniennes, l’avancée de l’armée française sur la Russie, il répond aussi aux préoccupations de son temps. Il a été écrit en pleine Deuxième Guerre mondiale, suite à la rupture du pacte germano-soviétique, lorsque l’armée nazie avançait vers Moscou. Calixto Bieito imagine les scènes de La Paix comme une fin de partie enivrée, capricieuse, chez une aristocratie qui ne voit pas la menace déferler.

Le bureau du Maître

Toujours au long du fleuve, à quelques centaines de mètres du Musée Guggenheim, le théâtre Arriaga dont Bieito est le directeur artistique. C’est une bâtisse néobaroque qui porte le nom du Mozart local dont seules quelques œuvres ont survécu. C’est là que Calixto a monté sa Passion selon saint Jean, de Bach. Il y a une photographie du chœur dont les visages maquillés de sang apparaissent hilares dans un couloir des coulisses. Nahikari Aretxederra Olabarri, l’assistante du directeur artistique, guide la visite. Sur la scène qu’un ouvrier est en train de repeindre de noir, elle se souvient des répétitions de la Passion, ces chanteurs amateurs qui quittaient leur travail pour aller revivre des heures durant la mort de Jésus : « Calixto voyait que c’était parfois difficile pour eux. Alors il leur a parlé, il leur a rappelé à quel point nous avions de la chance de chanter Bach. Il les a galvanisés. À chaque représentation, des choristes pleuraient, submergés par l’émotion. Calixto est capable de faire cela. » On demande à voir le bureau du maître. C’est un espace presque vide, un canapé Ikea, des partitions, un haut-parleur Bluetooth. « Il écoute en boucle du baroque, un morceau surtout du Gloria de Vivaldi, Et in Terra Pax Hominibus. » Et sur terre, la paix entre les hommes. Il y a sur le bureau, étalés, des dessins d’enfant. L’assistante : « Ce sont ceux de ma fille, Aitana, elle a 8 ans. Elle adore Calixto, ils s’appellent souvent ». Elle a crayonné une scène de théâtre avec un public aux bras dressés qui crie « nous t’aimons ». Lorsqu’on mange ensuite avec Nahikari, elle évoque le Carmen qu’elle avait vu depuis le public, le Wozzeck qui avait tant fait scandale, le War Requiem de Benjamin Britten où flottait une odeur de mort, son Gesualdo où un homme nu au cœur du plateau était injurié et battu par le chœur : « À la fin du spectacle, Calixto avait peur de monter sur scène, il pensait être hué par le public de Bilbao et en fait il a été acclamé. Contrairement à ce que les gens croient, il n’est jamais sûr de lui. Il m’a dit un jour que les jésuites lui avaient ôté toute vanité ».

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ailleurs

« Nous allions jouer dans le sable au bord de l’Ebro, il nous arrivait souvent de trouver des ossements. Don José nous disait qu’il s’agissait des reliques des pirates dont les bateaux venaient s’échouer jusqu’ici. »

Miranda de Ebro, ville sinistrée

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À Genève, dans ce restaurant où Calixto avait expliqué qu’il ne se rendrait pas au Pays basque, il avait évoqué son enfance chez les jésuites : « Ils m’ont appris la peur », avait-il murmuré entre deux gorgées de café froid. Le lendemain, sans lui donc, on prend la route de Miranda de Ebro, à cheval entre le Pays basque, la Castille et la Rioja, petite ville où Calixto Bieito est né et où il a vécu jusqu’à ses 14 ans. Il y a grandi entre deux appartements, un premier au numéro 1 de la rue de la Gare et un deuxième à l’étage d’un petit immeuble dont le rez-de-chaussée accueille désormais un bar à louer et une boucherie halal, « La Paz ». C’est une ville sinistrée, une boutique sur deux est à vendre, les seuls commerces qui fonctionnent sont les bistrots et les salles de jeux. La gare elle-même, là où le père de Calixto travaillait, est désaffectée. Les archives reposent à l’intérieur, derrière des fenêtres sales : cartons empilés de registres qui prennent la poussière, on dirait une installation de Christian Boltanski. Le collège des jésuites où Bieito a étudié a été détruit en 1985. Il y a appris la musique classique (il a interprété le rôle de la neige dans les Quatre Saisons) mais aussi le cinéma avec la projection chaque semaine de « films cultes », de Buñuel à Kubrick. « Je crois que le choc le plus durable de mon enfance, c’est Spartacus. Et aussi la visite avec mes parents de la grotte d’Altamira et ses peintures rupestres. Dans les deux cas, je n’ai pas pu dormir de la nuit. » Calixto Bieito est l’enfant de l’humour féroce des jésuites, cette façon qu’ils ont de questionner le monde avec les outils de la logique et de la mystique vrillées, cette façon qu’ils ont de fabriquer des politiciens, des économistes ou des anarchistes. « Ils m’ont inséré la puce catholique, quoique je fasse, je ne pourrai pas l’enlever. » Lorsque Calixto avait fini l’école, il partait à bicyclette jusqu’au fleuve, au pied du stade de football Anduva. Lui et son frère, José Luis qui est devenu

guitariste, emmenaient parfois avec eux un homme plus âgé, aveugle, qu’ils appelaient Don José. C’est aujourd’hui une promenade d’une quiétude et d’une mélancolie inouïes, il y a des coureurs qui courent et des pêcheurs qui pêchent. Dans quelque prairie masquée par la végétation, des visiteurs ont abandonné des bouteilles vides et les restes de fumerie d’héroïne. « Nous allions jouer dans le sable au bord de l’Ebro, il nous arrivait souvent de trouver des ossements. Don José nous disait qu’il s’agissait des reliques des pirates dont les bateaux venaient s’échouer jusqu’ici. Nous étions fiers et heureux d’exhumer ainsi le cimetière des flibustiers. »

Des pirates ? Non, des prisonniers et un camp de concentration

Quelques années plus tard, Calixto apprend que la ville de son enfance accueillait l’un des plus importants camps de concentration franquiste, que les ossements appartenaient sans doute aux victimes brigadistes ou juives du fascisme et que jamais cette histoire-là ne lui avait été enseignée. Au bout de l’avenue qui borde le parc à côté de la rivière, ils ont bâti un Jardin de la mémoire, avec des arbres sur lesquels les chiens viennent pisser. On y a inscrit les coordonnées exactes de l’endroit où le camp se trouvait, puisqu’il n’en reste aucune trace physique. Il existe bien un poème, il évoque les eaux rouges de l’Ebro qui charrie le sang des prisonniers. Cette histoire, celle d’une violence enfouie qui finit par ressurgir, celle d’une innocence salie et d’un combat épique entre la lumière et les ténèbres, rappellent au fond ce qui fait la substance de l’œuvre et des obsessions de Calixto Bieito. Avant de partir, on s’avance vers l’océan en traversant la petite cité silencieuse de Guernica. Au bout d’un cap, au pied d’un phare, on écoute le Gloria de Vivaldi, ce mélange d’ordre et de fragilité, en regardant la mer agitée et la plateforme pétrolière, au loin, qui ne cille pas. On envoie un dernier mot et une image des flots au metteur en scène. « Je quitte votre royaume, l’esprit en paix. » Il répond peu après. « Je ne possède pas de royaume, juste la chance d’avoir connu des influences et des cultures multiples. La mer que vous me montrez, c’est celle que j’aime. J’aime aussi la pluie et la tempête sur le Rhin. Beaucoup d’amour. » Beaucoup d’amour, en effet. Malgré tout.


La célèbre Calzada Mallona, escalier de 300 marches au pied duquel a ouvert le Musée archéologique de Bilbao, sur la place Unamuno, et au haut duquel on atteint la Basilique de Begoña. © Martin Kirchner/Laif /Keystone

À gauche, la gare de Miranda de Ebro où travaillait le père de Bieito. À droite, le premier immeuble à l’avenue de la Gare où le metteur en scène a vécu enfant. © E. Moreno Esquibel

rdv.

Au Grand Théâtre de Genève Guerre et Paix Du 13 au 24 septembre 2021 gtg.ch/guerre-et-paix

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portraits

Deux reines face à face Elsa Dreisig et Stéphanie d’Oustrac. La soprano et la mezzo-soprano. Elles se retrouveront dans les trois opéras de Donizetti composant la « Trilogie Tudor » ces trois prochaines saisons. Premier set avec Anna Bolena, où les deux étoiles se réjouissent de s’affronter. Par Jean-Jacques Roth

Elsa Dreisig

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Elle, c’est la reine, Anne Boleyn, l’épouse du roi Henry VIII que celui-ci accusera d’adultère et condamnera à mort pour pouvoir épouser sa suivante Jane Seymour. Rôle immense, couronné par une scène de folie particulièrement virtuose, que la soprano franco-danoise Elsa Dreisig, 30 ans tout juste, aborde avec la gourmandise intrépide qui caractérise sa carrière. C’est que le bel canto, ses pyrotechnies, son expressivité, sont l’objet de son rêve. « Cette technique de chant me donne des frissons, c’est dans ce répertoire qu’ont brillé les chanteuses du passé que j’admire le plus, Callas, Ponselle, Tebaldi… Si on ose chanter avec un instrument souple, ouvert, sans forcer, alors on peut tout y faire. La technique elle-même est musicale. Tout s’exprime dans la ligne vocale. J’ai un grand amour du vrai beau chant. » Le beau chant, c’est celui qu’elle entend très jeune à l’opéra où l’emmène sa mère. « Je ne connaissais rien à l’histoire, rien du compositeur, mais je m’en moquais. Je voulais juste écouter les voix. » À 4 ans, elle sait qu’elle chantera. Mais quelques années plus tard, alors membre de la maîtrise de l’Opéra de Lyon, elle échoue à s’imposer lors d’un stage qui donne aux enfants l’occasion de concourir pour un rôle de soliste. « J’en rêvais mais je j’étais restée au fond, invisible. Alors je me suis dit : allez, tu oses, tu fais ! Et j’ai pris des cours de théâtre. Je me suis littéralement poussée sur le devant de la scène. » L’échec de la fillette de 8 ans aura donc été l’amorce d’un conte de fées, mais où le travail a tenu le rôle de baguette magique.

Elle a choisi l’option théâtre pour son bac, a multiplié les stages et elle répète toutes ses prises de rôle avec une professeure de théâtre. « La moitié du travail à l’opéra, c’est l’incarnation physique et émotionnelle du personnage. » C’est à un rythme boulimique qu’elle a bâti son répertoire. « J’ai l’impression que c’est en début de carrière qu’il faut beaucoup oser pour ouvrir des portes. » Aucune ne lui a résisté : Victoire de la musique en 2016, premier prix au Concours Operalia, parmi bien d’autres. Aussitôt, les plus grandes scènes ont sollicité sa voix ductile et lumineuse, soutenue par une technique d’acier qui lui permet aujourd’hui d’aborder avec sérénité un rôle légendaire. La voici donc reine d’opéra à Genève, pour la première fois. Les jeux de pouvoir, si présents dans Anna Bolena, ne l’effraient pas. « Il est surtout question, ici, du rapport entre amour et pouvoir. Je me réjouis d’explorer ce lien que l’ouvrage travaille de manière très complexe. Je sais que la metteuse en scène Mariame Clément va y apporter un regard affranchi de certaines traditions. Il est bon de questionner la manière dont les femmes ont toujours été traitées à l’opéra, condamnées à la maladie ou à la folie. » Pour ce qui la concerne, pas de souci à se faire. Elsa Dreisig n’a vraiment rien d’une victime. Lors de la cérémonie des Victoires de la musique, elle avait renoncé aux remerciements d’usage pour revendiquer l’originalité de ses choix dans une déclaration qui avait fait le tour des réseaux : « Jamais je ne me soumettrai,

ni aux avis extérieurs, ni aux certitudes toutes faites dictées par une loi venue de je ne sais où, et qui ne peuvent, à mon sens, que ruiner la création. »


Ensemble pour la première fois sur scène dans Carmen de Bizet, en 2017, à Aix-en-Provence : Stéphanie d’Oustrac était Carmen (à gauche) et Elsa Dreisig Micaëla. © Patrick Berger

Stéphanie d’Oustrac

Elle, c’est Jane Seymour. La suivante de la reine Anne Boleyn, son amie devenue rivale : c’est elle que le roi Henry VIII convoite, au détriment de son épouse. Stéphanie d’Oustrac fait comme Elsa Dreisig une prise de rôle attendue, car la perfection vocale, chez elle, est toujours investie par un talent de comédienne hors norme. Elle a ainsi été capable d’être, en Carmen, une animatrice de sociodrame pour Dmitri Tcherniakov et une rockeuse à la manière d’Amy Winehouse, récemment à Tokyo, pour Alex Ollé. En elle, le théâtre brûle. Petite, c’est comédienne qu’elle voulait être. Il lui a fallu faire du chant pour soigner son asthme, maladie qui lui appris la solitude et dont elle tire aujourd’hui la force de tenir dans ce métier où l’on est si souvent si seul. Mais Stéphanie d’Oustrac n’est pas bretonne pour rien. Il y a dans sa voix une solidité farouche, éclatante. « La Bretagne m’a donné de savoir jouir de chaque instant. C’est comme le soleil, les Bretons en profitent dès qu’il apparaît. C’est ma philosophie de vie. » Elle aussi, comme Elsa Dreisig, était une enfant timide, que sa mère a poussée vers le théâtre pour qu’elle sorte de sa coquille.

« En fait j’ai voulu être comédienne avant de vouloir être chanteuse. J’ai tout de suite aimé ça. Je serais montée sur scène quoi qu’il arrive. »

Puis le chant s’est imposé, d’abord dans le répertoire baroque où le chef William Christie l’a orientée. Elle n’a jamais perdu le fil de cet art vocal qui exige une technique d’orfèvre et un constant qui-vive expressif. Mais elle s’en est émancipée pour chanter Mozart, Rossini, Offenbach, Poulenc (elle en est l’arrière-petite-nièce) et bien sûr Carmen, un rôle qu’elle marque de son empreinte sur toutes les scènes. Le bel canto, sur cette carte, reste une terre de conquête. Anna Bolena n’était pas dans son horizon. « Mais je n’ai pas de plan de carrière défini. Je me laisse plutôt porter par les propositions qu’on me fait. » Elle a donc décidé de sauter le pas. « Ça monte très haut, ça descend très bas. C’est une dynamique musculaire fascinante. C’est très charnel, chaque note doit être nourrie, portée, chérie, embrassée de manière absolue. » L’absolu est aussi dans sa discipline. « Je suis exigeante, oui. J’enseigne dans ma ville natale de Rennes, et cela m’oblige à me repositionner en permanence. J’en ai l’habitude. J’ai eu beaucoup de problèmes vocaux à certaines époques, j’ai dû remettre ma voix sur le métier, travailler longuement avec une orthophoniste. » Et puis, la préparation d’un chanteur doit être impeccable : « On perd en général 20% de ses moyens en raison de la mise en scène qui exige de vous des positions qui ne sont pas toujours favorables à la voix, on en perd encore 30% avec le trac. Il faut donc posséder un rôle à 150% avant les répétitions. Sinon vous n’êtes pas disponible pour la mise en scène et vous n’avez aucun plaisir. Mais à Genève, avec Mariame Clément à la mise en scène, dont j’admire l’intelligence et la pertinence, et Elsa Dreisig, qui partage ma passion du théâtre, je sais qu’on en aura beaucoup ! »

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Au Grand Théâtre de Genève Anna Bolena Du 22 octobre au 11 novembre 2021 gtg.ch/anna-bolena 15


coulisses © Carole Parodi

Elle traduit les pensées en objets Tout ce qu’elle a fait dans sa vie converge vers l’opéra. C’est en ces termes que Cecilia Viola présente son parcours, employée du Grand Théâtre depuis 1990, d’abord à la régie puis comme accessoiriste. Et il est vrai que sa trajectoire est aussi cohérente que son travail est éclectique.

Par Aude Seigne

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Sa première formation lui fournit un titre de régisseuse de scène, option souffleuse, c’est-àdire qu’elle murmure les répliques aux artistes en cas de trou de mémoire. Elle travaille pour de petites compagnies avant d’être engagée au Grand Théâtre, puis elle postule aux accessoires, y passe trois ans comme auxiliaire avant de décrocher un poste sur concours. Cecilia Viola le relève, parce qu’elle aime autant l’opéra qu’elle aime y travailler : en quelques décennies, les productions sont devenues techniquement beaucoup plus complexes. Les toiles qui constituaient les décors sont remplacées par de lourdes structures, la scène est rarement dénudée, il faut du personnel pour gérer tout ce qu’il y a à amener sur le plateau. C’est ce qu’on appelle la « régie des accessoires ». Cecilia Viola est donc une grande bricoleuse, qui a appris à coudre des rideaux de scène ou à poncer une table. Aujourd’hui, l’équipe emploie

dix personnes, qui suivent les répétitions en tandem depuis le premier jour. Pour gérer l’inattendu, l’idéal est d’être complémentaires, chacun a ses spécialités, la photographie ou l’ébénisterie. Celle de Cecilia Viola se situe un peu au milieu de tout cela : elle sait faire toutes les petites réparations, gérer l’administratif, excelle dans les recherches sur Internet, comprend les demandes des metteurs en scène parce qu’elle a développé, à travers un goût personnel pour la décoration, la capacité de traduire les pensées d’autrui en objet. Chez elle, elle bricole volontiers, aime les impressionnistes et les couleurs pastel, le style asiatique. Elle file à merveille les métaphores aussi. Elle affirme que « la technique, c’est comme la cuisine d’un restaurant étoilé. On fabrique du rêve et de l’art qu’on doit donner aux spectateurs. C’est un honneur d’être dans cette institution. C’est la gloire. On vous demande de la créativité. Mais comme dans la cuisine, parfois ça chauffe ». Et ça use aussi, parce qu’il faut cacher au public ce qui bout en cuisine. Si Cecilia Viola ne devait garder qu’une phrase contre son cœur, de toute sa carrière, ce serait celle qu’elle a entendue plusieurs fois, par des artistes du monde entier, et qui lui procure une grande fierté : « La technique du Grand Théâtre de Genève est connue pour être l’une des meilleures du monde. » Elle aime autant l’opéra italien que contemporain, écrit par ailleurs pour Scènes Magazine des interviews de solistes, des critiques de spectacles, qui lui permettent de s’approprier cet univers. Elle parle plusieurs langues, nécessaires pour communiquer avec les artistes qu’elle adore rencontrer. « Un artiste, c’est quelqu’un de différent, un mélange de sensibilité et d’intelligence. » Elle est notamment devenue l’amie de la cantatrice Graziella Sciutti, décédée en 2001, à qui elle a consacré une biographie. La preuve que les artistes ne sont rien sans des gens comme Cecilia Viola, capables d’apprécier un travail à la fois technique et créatif, de le reproduire et de le sublimer.


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Plein champ pour Contrechamps L’ensemble de musique contemporaine Contrechamps propose d’ouvrir tout grand ses écoutilles avec une nouvelle saison ludique et diversifiée, dont plusieurs co-productions avec le Grand Théâtre.

Par Julie Henoch

Son nouveau directeur artistique, Serge Vuille, a grosso modo le même âge, 40 ans, que le prestigieux ensemble genevois Contrechamps, composé de solistes dotés d’un puissant esprit de création. Il s’attèle tout particulièrement depuis trois ans à dynamiser et ouvrir de nouvelles perspectives à la musique contemporaine, à mettre en valeur la diversité des esthétiques de la scène contemporaine et expérimentale. Une énergie que Serge Vuille puise dans un parcours de musicien percussionniste touche-à-tout, qui a navigué des fanfares villageoises vaudoises au Royal College of Music de Londres, en passant par le collectif We Spoke à l’audace toute chauxde-fonnière dont il fut l’un des fondateurs. Avec la Rolls-Royce musicale qu’est Contrechamps, il vise à renforcer un esprit ludique, sans toutefois lésiner sur l’exigence de son public fidèle de connaisseurs. Avec un fonctionnement à mi-chemin entre l’orchestre et le collectif, l’ensemble Contrechamps propose ainsi 11 concerts d’abonnements et s’invite un peu partout à Genève, dont deux co-productions avec le Grand Théâtre hors les murs, en attendant ses nouveaux locaux dans les halles industrielles « Les 6 toits » du quartier de Châtelaine qu’il investira début 2022.

Dès la rentrée de septembre, en collaboration avec le Grand Théâtre, Vernier Culture et la Bâtie-Festival, l’ensemble a présenté deux pièces de Ligeti, Aventures et Nouvelles Aventures, « bizarres et amusantes, pour petits et grands », sous la forme d’un concert-spectacle dès 6 ans, transformant la salle du Lignon en vaste terrain de jeu, canapés poilus inclus. En février, à La Comédie, en coproduction avec le Grand Théâtre et le Nouvel Opéra de Fribourg, Contrechamps interprétera l’opéra de chambre Le Dragon d’or, poème polyphonique du célèbre chef d’orchestre transylvanien Péter Eötvös, puis en avril – et comme en résonance avec son opéra à venir le même mois sur le plateau du Grand Théâtre – l’ensemble partagera la scène du Victoria Hall avec l’OSR où sera présentée Fermata de Peter Eötvös. Les spectateurs sont invités à sortir leurs plus belles tenues de soirée. À noter encore dans cette foisonnante saison de Contrechamps : une carte blanche de la musicienne américano-valaisanne Erika Stucky durant le festival Les Créatives, une première nuit de musique électro-acoustique avec la Cave 12, une soirée vernissage d’album, des journées familles avec présentation d’instruments, des repas-concerts, soit une multitude de rencontres croisées pour échanger, découvrir et s’émerveiller, le tout avec une mise en valeur paritaire d’œuvres de compositrices suisses et internationales, fait rare qui est à saluer.

En pyjama au Grand Théâtre et ailleurs

Après plus d’une année de pandémie à se languir sur nos canapés, Contrechamps s’amuse à faire transiter ce confort somme toute bien agréable au sein même des salles de concert et au gré de soirées labellisées « pyjama ». Afin de donner tout de suite le ton, un abonnement est offert aux personnes qui se sont levées tôt et dûment revêtues de leur plus bel ensemble nocturne pour aller écouter le concert de la présentation de sa saison – au programme Grisey, Calame, Debussy – aux Aubes des Bains des Pâquis le 22 août dernier.

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À la Comédie de Genève Le Dragon d’or Du 20 au 23 janvier 2022 gtg.ch/le-dragon-dor

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dossier opéra et pouvoir

DU POLITIQUE À L’OPÉRA, UN LIVRET EN QUATRE ACTES Par Christopher Park

La Clémence de Titus de Mozart mis en scène en février 2021 au Grand Théâtre par Milo Rau, en guise de manifeste critique sur les détenteurs de la culture et du pouvoir. « Kunst 18 ist Macht » : « L’art est pouvoir ». © Carole Parodi


Christopher Park travaille comme rédacteur, traducteur et fauteur d’Haikupéras au Grand Théâtre de Genève – ces petits clips vidéo de présentation des ouvrages à l’affiche. Lors d’un passage estival aux Bayreuther Festspiele en 2000, il a été désabusé pour le restant de ses jours au sujet des rapports entre le pouvoir politique et l’opéra.

J’entends déjà d’ici les soupirs et gémissements excédés que le sujet du pouvoir à l’opéra va susciter. Même la musique, le plus pur des arts, sanctuaire de la beauté, consolation des afflictions du siècle, n’est-elle plus à l’abri des miasmes malsains du pouvoir ? Ne pourrait-on pas simplement laisser le pouvoir à l’écart de tout ceci, transcender son effet corruptif, clivant, coupe-tête… Ne pourrait-on pas juste, par exemple, faire l’amour ?…

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dossier opéra et pouvoir

«L

e pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument. » Cette maxime, qui place fermement le pouvoir dans sa définition politique, est très connue ; son auteur, sans doute moins. John DalbergActon, Lord Acton en lettres et en politique, était surtout célèbre pour ses antinomies avec le pouvoir. Libéral dans une Angleterre victorienne conservatrice, catholique romain dans un Royaume-Uni protestant, moderniste face au concile Vatican I qui affirma l’infaillibilité papale, Acton savait d’expérience que toute structure de pouvoir est politique, pas simplement par sa capacité d’action, mais aussi parce qu’elle peut être transformée par l’intervention humaine. Comme, plus près de nous, le féminisme transforme les relations de pouvoir entre les sexes, penchant historiquement du côté des hommes. L’opéra, dont les récits et les fables débordent de bons ou de méchants monarques, d’aristocrates aguichés et de maréchales magnanimes, d’empereurs romains soit cléments, soit cinglés, est évidemment un terrain de jeux privilégié du pouvoir politique. Impossible de garder la politique en coulisse à l’opéra. Elle se met, se joue et se chante en scène et en descend même parfois pour faire naître des pamphlets dissidents (« Se vuol ballare, Signor Contino »), des hymnes patriotiques (« Va, pensiero ») ou carrément un pays (demandez-le aux Belges…). Pour rendre cet essai un peu plus divertissant, j’ai pensé que dans politique il y a polis : en grec, la cité, la ville. Je vous propose donc de faire un tour de quatre cités où eurent lieu quatre premières d’opéras, mis ou à mettre en scène en 2021 au Grand Théâtre de Genève. Le but de ce parcours étant de démontrer comment en des lieux et temps différents peuvent se jouer les différents degrés de tension antinomique entre pouvoir politique et art lyrique.

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VENISE, 1643 L’incoronazione di Poppea

C’est à la cour ducale de Mantoue que Claudio Monteverdi et Giovanni Busenello ont fait connaissance. La politique du duc Vincent Ier consistait à faire étalage de son bon goût et de ses richesses dans des fêtes pharaoniques (au cours d’une desquelles est né le premier véritable opéra, L’Orfeo), qui firent jaser l’Europe entière. En politologie contemporaine, on appelle ça le soft power. Ça marche un moment et ça fait des émules (ce qui est bien pour l’économie) mais les penchants dépensiers de Vincent Ier mirent aussi l’État de Mantoue sur la paille et il fut phagocyté moins d’un siècle plus tard par le duché de Milan. Mais la brochure vous promettait Venise, alors retrouvons-y en 1643 Busenello et Monteverdi unissant leurs talents littéraire et musical pour produire L’incoronazione di Poppea dans un théâtre public, libres de toute servitude aristocratique. Libres surtout de mettre en scène pour la première fois de l’histoire du jeune art lyrique non pas des déesses, des dieux, des nymphes et des héros mythologiques (terrain sans risque pour flatter les mécènes princiers),


Amour, pouvoir et hubris : Néron (Lawrence Zazzo) tue Poppée (Carmen Gianattasio) dans l’opéra de Monteverdi, ici dans la mise en scène de David McVicar à l’Opéra d’État de Berlin en 2006. © Lieberenz/Ullstein/Getty Images

PRAGUE 1791 La clemenza di Tito

Impossible de garder la politique en coulisse à l’opéra. Elle se met, se joue et se chante en scène et parfois même elle en descend pour faire naître des pamphlets dissidents.

mais des personnages historiques, connus du public vénitien comme exemples de tout ce qu’il ne faudrait pas faire en politique. Néron ne va pas écouter Sénèque, Poppée fera répudier Octavie, Othon et Drusilla complotent un meurtre politique et tous les personnages de l’œuvre sont moralement compromis. Monteverdi et Busenello furent parmi les premiers créateurs d’art à s’émanciper de la tutelle des commandes princières grâce au libéralisme politique de Venise, où aucun représentant du pouvoir n’était assez autocrate pour se sentir visé par une œuvre aussi peu charitable envers les puissants de leur siècle.

Selon le librettiste de Mozart et perspicace observateur culturel Lorenzo Da Ponte, la ville royale de Prague se distinguait de Vienne, capitale impériale guindée et un peu gourde, par sa finesse de goût : « Les grandes beautés que les autres nations n’ont découvertes dans la musique de ce rare génie qu’après de très nombreuses représentations, ont été parfaitement appréciées par les Bohémiens dès le premier soir ». Opéra au prétexte on ne peut plus politique (le couronnement de l’empereur Léopold II comme roi de Bohême), La clemenza di Tito respecte toutes les conventions du pouvoir : on puise dans l’Antiquité un lieu commun de la bonté politique (Titus), on reprend le livret sur lequel près de 40 compositeurs sont déjà passés (Métastase) et on le donne comme sujet au compositeur à la mode du moment (Mozart). Liberté créative ? Plutôt une camisole de force, oui ! Pour Milo Rau, qui en a fait sa première mise en scène d’opéra à Genève en février 2021, les conventions strictes de l’opera seria qui régissent La clemenza di Tito, trahissent l’insécurité politique d’une institution et d’une époque : « Ce qui m’a frappé quand j’ai vu pour la première fois cet opéra, c’est que tout ce qui y est mentionné, tout ce dont on parle, rien de tout cela n’est d’aucune façon visible. On parle de trahisons, de catastrophes, de putschs et toutes ces choses n’apparaissent aucunement dans l’opéra ». Dans sa lecture décapante, Milo Rau révèle la marginalisation et la misère qui croupissent derrière les colonnades classiques où se promènent Titus, Sextus et Vitellia : « Pour moi, dans ce contexte (c’est-à-dire celui de l’opéra, de la scène, et même du bâtiment par excellence bourgeois du théâtre), être politique veut dire être explicite ».

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MILAN, 1830 Anna Bolena

Vous vous souvenez du gros duché de Milan qui ne fit qu’une bouchée de la petite Mantoue sans le sou ? En 1815, après qu’on eut remis de l’ordre politique dans une Europe bouleversée par les guerres napoléoniennes, ce fut au tour de Milan de se faire à nouveau englober dans l’Empire autrichien. Mais en 1830, on pourrait dire que Milan se trouve au point mort du pouvoir politique. La souveraineté autrichienne est plutôt bénigne : nous sommes en pleine époque Biedermeier et on préfère le calme bourgeois et la prospérité ronflante à l’exaltation chaotique des années Napoléon. Les sensations fortes, on se les procure en allant au Teatro Carcano assister aux hauts et aux bas d’une jeune reine de l’Angleterre Tudor, dont le destin individuel marqua pour toujours l’histoire politique des Îles britanniques. Schisme religieux d’avec Rome, détachement de l’Europe, empire maritime et colonial : tout cela est dû à la passion de Henri VIII pour la jeune Anne Boleyn (et à son obsession d’avoir enfin un héritier mâle). Gaetano Donizetti comprend vite que le public milanais est avide des frissons politiques désespérément absents de leur vie de tous les jours. Deux autres reines britanniques de cette époque agitée suivront Anna Bolena sur la scène. On aimerait croire que les arias lumineuses de Giuditta Pasta, qui créa le rôle d’Anna, résonnaient encore dans les têtes des Milanais lors de la première insurrection contre les Autrichiens en 1848. La réalité est plus prosaïque : les Cinque Giornate ont été une rébellion contre les monopoles autrichiens sur le tabac et les maisons de jeux.

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Le roi Henry VIII, qui fit exécuter sa femme Anne Boleyn pour épouser sa suivante Jane Seymour et donner un héritier à son trône, n’a pas seulement inspiré Donizetti pour Anna Bolena. Il a été l’objet de nombreux films, dont La Vie privée de Henry VIII est resté le plus célèbre, avec l’incarnation légendaire de Charles Laughton. © TCD/Prod.DB/Alamy


Staline et Jdanov, qui fut dès 1946 l’ordonnateur d’une impitoyable politique de mise au pas de la création artistique en Union soviétique, au nom du « réalisme socialiste ». Prokofiev fit partie des victimes de sa censure. © Albert Harlingue/ Roger Viollet/Keystone

MOSCOU, 1959 (mais NEW YORK, 1957 !) Война и мир (Guerre et Paix)

Notre dernière étape commence à Moscou, chez les époux Prokofiev pendant l’été 1942. Mira et Sergueï, couple déjà aguerri au travail de librettistes à quatre (deux ?) mains, se sentent inspirés par l’invasion allemande de l’Union soviétique commencée l’été précédent. Ils décident de distiller les 361 chapitres du roman de Léon Tolstoï Guerre et Paix en un ensemble de « scènes lyriques-dramatiques », pour lequel Sergueï composerait la musique. Le choix du genre n’est pas anodin : il suggère à la fois un hommage à un autre monument lyrico-littéraire de la Russie (l’Eugène Onéguine de Pouchkine/ Tchaïkovski) et une œuvre qui mettrait l’accent sur les individus et leurs émotions plutôt que sur le tableau d’ensemble d’un pays en guerre. Une partition pour piano est achevée dès l’été 1942. Mais il faut la soumettre au Comité des arts de l’Union soviétique. La contribution de Prokofiev à l’effort de propagande patriotique de la guerre antifasciste est honorable : il a signé la musique du film de Sergueï Eisenstein, Ivawn le Terrible. Le Comité exige cependant que les scènes de la deuxième partie (la guerre) soient encore plus patriotiques et héroïques. Prokofiev ajoute donc des marches, des chœurs et un long épilogue choral pour souligner la défiance du peuple russe face à l’ennemi. On élabora des plans pour créer l’opéra au Bolchoï de Moscou en 1943, dans une mise en scène et scénographie d’Eisenstein et sous la direction musicale de Samuil Samosud.

Entre effort de guerre et suspicions politiques, le projet n’a pas abouti. On tenta encore à deux reprises de créer l’œuvre à Leningrad, mais sans succès « pour des raisons indépendantes de la volonté du théâtre et du compositeur ». Les jalons idéologiques du réalisme socialiste stalinien dans les arts furent fixés par le décret Jdanov en 1948 et Prokofiev se trouvait, avec Chostakovitch et Khatchatourian, du mauvais côté du terrain : on les accusait de formalisme, de musique « hermétique » et de mésusage de la dissonance. Prokofiev travailla une version raccourcie de l’opéra qui fut créée en mai 1953 au Teatro Comunale de Florence, deux mois après les décès du compositeur et du dictateur, à un jour l’un de l’autre. La mort de Staline va détendre un peu le carcan culturel de l’URSS et la version finale (13 scènes et épilogue) a finalement été présentée sans coupure au Bolchoï le 15 décembre 1959. Mais avant cela, l’opéra que soupçonnait le pouvoir soviétique avait fait le miel d’un autre pouvoir émergent, celui des médias télévisés étasuniens : le 13 janvier 1957, Peter Herman Adler en dirigea une représentation sur les ondes de la NBC, en direct de leurs studios de New York. Car même un pouvoir absolu, n’en déplaise à Lord Acton, ne fait pas toujours ce qu’il veut avec l’opéra.

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Au Grand Théâtre de Genève Guerre et Paix Du 13 au 24 septembre 2021 gtg.ch/guerre-et-paix Au Grand Théâtre de Genève Le Couronnement de Poppée Les 30 septembre et 1 er octobre 2021 gtg.ch/le-couronnement-de-poppee Au Grand Théâtre de Genève Anna Bolena Du 22 octobre au 11 novembre 2021 gtg.ch/anna-bolena 23


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LE POUVOIR SOUS LE MICROSCOPE Le pouvoir serait-il plaisant au point de rendre fou ? C’est la thèse du « syndrome d’hubris » qui, dans l’Antiquité, désignait la démesure qui frappe les mortels prétendant se hisser au niveau des dieux. Mais pas besoin d’être Néron ou Napoléon pour être frappé par les stigmates du pouvoir : la science montre qu’il agit sur le cerveau comme une drogue puissante, augmentant la confiance en soi et la prise de risque. Rares sont ceux qui, munis de la capacité de décider pour autrui, sortent indemnes de cette lourde responsabilité. Par Sebastian Dieguez

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Neuroscientifique, Sebastian Dieguez est chercheur au Laboratoire des sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg. Après une carrière de clinicien, il se tourne vers la recherche en sciences cognitives et travaille actuellement sur la formation des croyances, en particulier l’adhésion aux théories du complot. Parallèlement, il exerce des activités d’essayiste, de chroniqueur et de satiriste. Son dernier livre est Total Bullshit : au cœur de la post-vérité (PUF, 2018).

ans son roman En attendant le vote des bêtes sauvages, paru en 1998, l’auteur ivoirien Ahmadou Kourouma mettait en scène une hilarante « école des dictateurs », sorte de voyage initiatique où de rares élus sont introduits aux secrets de la tyrannie absolue, le tout dans une ambiance bon enfant et totalement décomplexée. Portrait satirique sans concession d’une Afrique gangrénée par des despotes caricaturaux, dont la cruauté ne le dispute qu’au ridicule, l’écrivain y diagnostiquait ce qu’il voyait comme une loi fondamentale du genre humain : « C’est celui qui ne l’a jamais exercé qui trouve que le pouvoir n’est pas plaisant. » Mais le pouvoir serait-il plaisant au point de rendre fou ? L’histoire, à cet égard, n’engage guère à l’optimisme. Empereurs romains, monarques européens, tsars et califes orientaux, autocrates d’Amérique latine, familles dynastiques chinoises et jusqu’aux idéologues sanguinaires du XXe siècle et nos populistes contemporains, nombreux sont ceux qui semblent avoir cédé à l’ivresse du pouvoir, laissant un sillage de désolation indélébile sur leur passage. Comment expliquer cette étrange tradition des puissants qui dérapent ?


Remodeler le cerveau des puissants

Lord Acton, historien et parlementaire britannique de la fin du XIXe siècle, disait que si « le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument ». À ce compte, le problème résiderait dans le pouvoir en tant que tel, et en particulier son étendue. Mais qu’est-ce que le pouvoir, au juste ? En son cœur, il s’agit d’une capacité d’agir, d’influencer, de contraindre et de contrôler. Certaines définitions ajoutent le caractère asymétrique de cette capacité, celle-là étant exercée sur ceux qui ne l’ont pas (ou en moindre quantité), ainsi que le fait de disposer des moyens de l’appliquer et d’avoir encore le désir de s’en servir. Le pouvoir consiste donc à altérer son environnement à volonté, d’une façon qui s’aligne avec nos idées et nos intérêts, généralement aux dépens de ceux des autres. Pouvoir, à la lettre, obtenir ce que l’on veut suffit-il à produire des tyrans ? C’est aller un peu vite en besogne, il resterait encore à disséquer les mécanismes qui conduisent du pouvoir à l’hubris. L’hubris des philosophes et tragédiens de l’Antiquité désignait la démesure qui frappe les simples mortels qui prétendent se hisser au niveau des dieux, une affaire qui finit ordinairement assez mal. Mais avant d’en arriver là, l’exercice du pouvoir s’occupe de remodeler habilement le cerveau des puissants. Pourquoi, en effet, trouvons-nous si naturel d’associer le pouvoir à l’arrogance, au narcissisme, à la transgression, à la prétention et aux sentiments d’impunité et d’invincibilité ? Pour le savoir, il ne suffit pas d’étudier la biographie des dictateurs les plus emblématiques. Il faut revenir à l’essence de la définition du pouvoir, et examiner ce qu’il se passe quand on le distille expérimentalement à des sujets naïfs et innocents.

Une vision « en tunnel »

L’étude scientifique du pouvoir est relativement récente, et consiste généralement à comparer les performances d’individus à qui l’on a temporairement attribué (ou pas) certaines caractéristiques du pouvoir. On peut par exemple assigner quelqu’un au rôle de leader, lui donner la possibilité de punir ou d’exclure d’autres participants, lui attribuer la décision finale d’un jeu de rôle, lui faire croire qu’il est le meilleur avec des tests factices, etc. Dans ces conditions artificielles de pouvoir minimal, on observe déjà des choses intéressantes. Le pouvoir, même temporaire, et aussi dérisoire soit-il, tend à isoler. Pouvoir décider, c’est disposer d’autonomie, et du même coup nous éloigner du reste du groupe. Le pouvoir change aussi la perception et le raisonnement : on conçoit les choses de plus haut, de façon plus abstraite, ce qui a pour effet de minimiser l’importance des détails. Un leader développe une vision lointaine, il s’occupe d’idées globales : en conséquence, il néglige les éléments concrets, les petits problèmes du terrain qu’il juge avec mépris. De ce fait, le pouvoir tend aussi à produire une pensée stéréotypée et manichéenne, dans laquelle n’existe, d’une part, que la volonté du chef, et d’autre part, tout ce qui cherche à s’y opposer. D’où une conséquence assez contre-intuitive : alors qu’on pourrait penser que le pouvoir permet d’élargir son horizon et de multiplier les possibilités, il tend en réalité à produire une vision « en tunnel » et étriquer ainsi les perspectives. Le monde devient en quelque sorte un terrain de jeu simple et monotone qui n’existe que pour exercer son pouvoir, et toujours de la même façon.

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dossier opéra et pouvoir

Une très faible dose de pouvoir suffit à produire des effets notables sur le comportement et la pensée : isolement, distance avec le concret, affects positifs, excès de confiance, impulsivité…

Le syndrome d’hubris

Et oui, les études montrent que le pouvoir est bel et bien plaisant. De fait, les puissants sont généralement contents, et surtout contents d’eux-mêmes. La vision restreinte et abstraite qu’il autorise diminue la culpabilité et le remords. L’action qu’il permet agit comme une drogue puissante qui se nourrit d’elle-même : l’action renforce le pouvoir, et le pouvoir encourage à l’action. C’est là une propriété fâcheuse, mais rarement soulignée du pouvoir : pour justifier et légitimer leur pouvoir, les puissants sont enclins à agir, à faire quelque chose, et ce même quand les circonstances dicteraient plutôt l’attente, l’hésitation et l’immobilité. Ne rien faire, demander conseil, changer d’avis ou reconnaître son impuissance sont considérés comme des signes de faiblesse, et sont donc des attitudes incompatibles avec le pouvoir. C’est ainsi que le pouvoir tend à augmenter la confiance en soi et la prise de risque, et conduit souvent à la corruption, l’égoïsme, l’aveuglement et la transgression. Après tout, les règles et les normes sont imposées par le pouvoir, pas pour le pouvoir ! En bref, ces résultats expérimentaux suggèrent qu’une très faible dose de pouvoir suffit à produire des effets notables sur le comportement et la pensée : isolement, distance avec le concret, affects positifs, excès de confiance, impulsivité... Que penser, dès lors, des effets d’un pouvoir durable, étendu, ou même absolu ? Certains chercheurs ont proposé d’officialiser une nouvelle entité psychiatrique appelée « syndrome d’hubris », qui serait précisément la maladie du pouvoir. Si n’importe qui, dans une expérience de laboratoire, ou à la porte d’une boîte de nuit, au rayon d’un supermarché, dans la mairie d’un

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village reculé, à la tête d’une équipe de sport, dans une école de musique, ou au sein d’une famille, peut développer les symptômes d’un empereur romain paranoïaque et délirant du fait d’un pouvoir local et en réalité insignifiant, il est à craindre qu’un pouvoir plus sérieux puisse nuire à des nations, voir au monde entier. Le concept, pour l’heure, n’a pas été retenu, mais il a le mérite d’attirer notre attention sur un problème politique et humain fondamental, qui ne peut se limiter aux problèmes psychologiques d’une poignée d’individus, aussi dangereux et fantasques soient-ils. Certes, le pouvoir exerce une fascination indéniable sur les individus qui devraient, précisément, le plus s’en tenir à l’écart, mais rares sont ceux qui, munis de la capacité de décider pour autrui, sortent indemnes de cette lourde responsabilité. À cet égard, une véritable science du pouvoir pourrait nous aider à nous prémunir contre ses dérives. Mais on peut heureusement déjà compter sur l’art, la littérature et l’humour pour jouer le rôle de Némésis, la déesse de la vengeance chargée de remettre à leur place les victimes de l’hubris.

Trois des quatre médaillons gravés d’Hendrick Goltzius (1558-1617) d’après les peintures de Cornelis Cornelisz van Haarlem sur le thème des « Quatre disgraciés », représentant la chute des hommes ayant osé défier les dieux : Phaéton, Icare (pages précédentes) et Ixion (ci-dessous). © Heritage Images/Getty Images


MARIAME CLÉMENT

« La liberté de l’artiste est absolue. Pas son pouvoir » Par Jean-Jacques Roth

Mariame Clément : « Je crois être mieux arrivée à mes fins en étant ouverte et en osant dire que je ne savais pas plutôt qu’en étant autocratique ». © François Guillot/AFP

Mariame Clément va mettre en scène, fin octobre, Anna Bolena, premier des opéras de Donizetti composant la « Trilogie Tudor », avec Maria Stuarda et Roberto Devereux, dont elle assurera aussi la réalisation les prochaines saisons. Mariame Clément a étudié les lettres et l’histoire de l’art à Paris, a vécu aux États-Unis comme lecturer de français à Harvard, a commencé une thèse à Berlin sur la miniature médiévale persane avant de choisir l’opéra. Ses mises en scène l’ont conduite de Lausanne et Berne à Glyndebourne, Londres, Bregenz, Vienne et Paris. L’opéra, pour elle, est le lieu de plusieurs pouvoirs : celui de l’enchantement et celui de la réflexion, qu’elle concilie dans ses mises en scène sensibles et aventureuses, mais c’est aussi celui d’une domination patriarcale qui a imposé ses références pendant des siècles. C’est ce regard qu’elle interroge dans son travail.

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dossier opéra et pouvoir

F éministe ? Elle rit : « Ah oui, ce n’est pas un gros mot, tout de même ! » Mariame Clément, une quarantaine de mises en scène à son actif, à peu près le même nombre d’années, est capable de rire des choses sérieuses. Y compris à propos de ce qui constitue le centre névralgique de son travail et la signature de ses mises en scène. Dès ses débuts à l’Opéra de Lausanne en 2003 dans un opéra d’apparence innocente (Il signor Bruschino de Rossini), elle est repérée pour sa capacité à renouveler le regard sur le répertoire et à s’interroger sur la place que les femmes y occupent. « L’opéra a été conçu, écrit, composé, mis en scène et dirigé par des hommes, dit-elle. Imaginez que toutes nos références culturelles, depuis des siècles, aient été produites par des femmes ! On a fini par adopter le regard masculin par défaut. L’objectif n’est pas de faire table rase de ce passé, mais si on allait voir de plus près comment les femmes vivent ces histoires ? Ce que ressentent ces héroïnes dont le grand siècle de l’opéra, au XIXe, a fait des victimes ou des malades, des êtres qu’on abuse et parfois qu’on tue.

Femmes dominées, femmes bafouées : nous voilà donc sur l’un des terrains du pouvoir, celui que Mariame Clément va explorer avec les trois opéras de Donizetti inspirés de l’époque des Tudor, Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux, dont elle entreprend le cycle sur trois saisons pour ses débuts au Grand Théâtre. Mais le pouvoir s’exprime de manières multiples dans le monde lyrique. Il est même partout : comme ressort dramatique et enjeu dans la plupart des opéras, mais aussi hors champ, entre metteurs en scène, chefs, chanteurs. Sans compter le pouvoir du metteur en scène sur l’ouvrage qu’il réalise, souvent jugé exorbitant. Mariame Clément est particulièrement bien placée pour en examiner toutes ces facettes, elle qui a commencé à la mise en scène alors que les femmes y étaient encore très rares. « J’ai un rapport compliqué avec l’idée du pouvoir, comme beaucoup de femmes, d’après ce que je constate. Je me suis toujours méfiée du pouvoir absolu, où qu’il soit. Y compris du pouvoir qui est parfois conféré à l’artiste. C’est pour cela que j’aime l’opéra : le pouvoir du metteur en scène est toujours partagé avec celui du chef d’orchestre, mais aussi avec les auteurs des décors et des costumes. »

« L’opéra marque encore dans l’inconscient collectif ce que sont les rapports entre hommes et femmes, et jusqu’à la définition de l’amour, poursuit-elle. C’est cette référence qui fait encore rêver et dans laquelle on se projette. Voyez l’idée selon laquelle on peut tuer parce qu’on aime : elle fait des ravages ! Don José qui assassine Carmen parce qu’il ne supporte pas de la perdre, c’est un féminicide, ni plus ni moins. »

Une des productions préférées de Mariame Clément : Castor et Pollux de Rameau, réalisée au Theater an der Wien en 2011. © Monika Rittershaus

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Quelle est l’étendue du pouvoir de la metteuse en scène sur une œuvre ? Vous sentez-vous le droit d’en faire ce que vous voulez ? MC — Je pense plutôt en termes de liberté, et celle-là est absolue. On ne légifère pas la liberté artistique. Même si je ne suis pas de celles qui passent les opéras à la moulinette, je sais que j’en ai la possibilité et cela m’aide à penser. On ne peut pas voir les ouvrages sous un jour nouveau sans cela. Il faut avoir le droit de retourner la table, interroger, décortiquer, déconstruire, pour ensuite remettre la table en place. Mais la liberté, sur une scène comme ailleurs, s’arrête là où commence celle des autres. Et celle du metteur en scène sur un ouvrage est très claire : elle est sanctionnée d’elle-même si cela ne fonctionne pas. Comment se jouent les pouvoirs entre la metteuse en scène et le chef d’orchestre ? L’opéra se fait dans une zone grise où on ne sait pas ce qui est de la responsabilité de l’une et de l’autre. Lorsqu’un problème surgit, les deux partenaires sont obligés de se regarder et de se demander : « Comment fait-on ? » Et c’est toujours là que naissent les idées intéressantes. Je n’ai pas le fantasme de tout faire moi-même. Ce que j’aime, c’est la collaboration. Avec ma scénographe Julia Hansen, par exemple, il y a beaucoup d’enjeux de pouvoir. C’est compliqué, mais ces frictions nous obligent à préciser ce que l’on veut vraiment. Il s’agit de lâcher l’obsession d’avoir raison et surtout de ne pas en faire un enjeu de pouvoir, sinon on court à la catastrophe. Les femmes s’y prennent-elles autrement que les hommes pour diriger des équipes ? On m’a souvent dit que j’avais une manière féminine de travailler, dans la douceur, la bienveillance, la persuasion. Appelons cela féminin si l’on veut, mais je me méfie de l’essentialisation. Cela ne veut pas dire que c’est une faculté inhérente au genre féminin ! Les premières femmes qui sont arrivées au pouvoir ont dû faire preuve de capacités qu’on décrit comme masculines. Peut-être est-ce tout autant un élément générationnel, mais je crois en tout cas être mieux arrivée à mes fins en étant ouverte et en osant dire que je ne savais pas, que je n’avais pas de réponse immédiate plutôt qu’en étant autocratique. Et j’ai remarqué que les chefs d’orchestre, des hommes dans une écrasante proportion, sont souvent plus à l’aise avec une femme, qui les dispense des rivalités masculines avec un metteur en scène.

Peut-on mettre en scène des opéras sans penser le pouvoir ? Le pouvoir est partout, comment ne pas le penser ? Dès qu’il y a des relations entre des gens, il y a des enjeux de pouvoir. Le pouvoir qu’on a et celui qu’on croit avoir. Je viens de travailler sur Così fan tutte de Mozart avec de jeunes chanteurs. La servante Despina participe au stratagème destiné à démontrer aux deux femmes que les serments d’amour de leurs fiancés sont sujets à caution, et leur explique qu’en utilisant leur pouvoir de séduction, les femmes sont des reines. Et puis elle termine son air par « Vive Despina qui sait servir ! ». Incroyable paradoxe ! Il résume beaucoup la problématique du pouvoir des femmes, qu’on leur attribue comme on leur jette une miette. Leur reconnaître un pouvoir de séduction, c’est aussi se débarrasser des autres pouvoirs qu’on ne leur donne pas. Un autre pouvoir, dont vous parlez souvent, est celui de l’introspection qui permet d’entrer en empathie avec les personnages que vous mettez en scène. L’empathie a toujours été importante pour moi. Se mettre à la place de l’autre, c’est découvrir ce que l’on ressent. Entrer dans la peau des personnages, c’est explorer toutes les facettes de soi. Les mettre en scène, c’est leur donner de soi. Je suis la somme de tous les personnages que j’ai côtoyés. Au fond, la seule chose dont on peut parler, dont on peut être certain qu’elle soit vraie, c’est de nous-mêmes. L’empathie réunit le Je est un autre de Rimbaud, et le Madame Bovary, c’est moi de Flaubert.

« L’opéra a été conçu, écrit, composé, mis en scène et dirigé par des hommes. Imaginez que toutes nos références culturelles, depuis des siècles, aient été produites par des femmes ! » Mariame Clément 29


dossier opéra et pouvoir Faust de Gounod, à l’Opéra de Graz en 2011, dans le décor de Johannes Leiacker et les costumes de Jorge Jara © Monika Rittershaus

« Par ailleurs, autant l’opéra devient patriarcal au XIXe siècle, autant il a un côté absolument subversif à ses débuts. Quoi de plus queer que les travestissements et les quiproquos de l’opéra vénitien ? » Mariame Clément

La danse des sept voiles revisitée dans Salomé de Richard Strauss pour le Aalto-Theater d’Essen, en 2018. © Martin Kaufhold

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Agrippina de Haendel dans la production de l’Opéra de Flandres en 2012 © Annemie Augustijns


Venons-en au pouvoir de l’opéra comme institution. Palais perçu comme réservé à une élite fortunée, lieu de prestige pour les pouvoirs politiques et économiques… C’est étrange. L’opéra a beaucoup perdu de son impact populaire et politique – souvenons-nous de Nabucco de Verdi qui entraînait le peuple italien à la révolte contre le joug autrichien ! Mais il a conservé son pouvoir de marqueur urbain, social, politique. En ce sens, il est emblématique de ce que je déteste : la fétichisation de la culture pour la culture. La culture pour elle-même, on s’en fiche ! C’est la mort ! La culture n’a de valeur qui si elle est un instrument de libération de l’individu, d’ouverture d’esprit, de communion. Sinon elle devient instrument de domination, l’apanage d’une élite, plutôt que de donner aux gens le pouvoir de rêver, de réfléchir, de changer... Qu’on ne parle pas de l’inaccessibilité de l’opéra ! Quand on prend la peine d’y amener de manière intelligente les gens qui n’en ont jamais vu, ça marche. L’opéra a un pouvoir de séduction énorme. Détaillons les pouvoirs de cette séduction… C’est essentiel, car je ne voudrais pas donner le sentiment que l’opéra n’est qu’un genre patriarcal destiné à reconduire la domination des élites ! Parlons de son incomparable pouvoir d’émouvoir, de toucher, de remuer... et donc de faire réfléchir. C’est sur ce pouvoir que je m’appuie comme metteuse en scène : une fois le spectateur pris aux tripes, rien ne m’empêche de m’adresser à sa tête. Par ailleurs, autant l’opéra devient patriarcal au XIXe siècle, autant il a un côté absolument subversif à ses débuts. Quoi de plus queer que les travestissements et les quiproquos de l’opéra vénitien ? Pensons aussi à la « fluidité de genres » des hommes chantés par des femmes, des castrats ou des contre-ténors. Sans parler de la puissance érotique de la voix en général... Toutes choses que nous semblons redécouvrir aujourd’hui, mais qui sont monnaie courante dans l’opéra du XVIIe siècle. Enfin, quoi de plus puissant que l’abstraction inhérente à l’opéra, le fait que les gens chantent au lieu de parler, que la musique est présente partout, comme une deuxième réalité permanente, comme une manifestation du fait que tout discours est toujours doublé d’un contre-discours, sous-jacent ou inconscient ?

Parlons maintenant d’Anna Bolena de Donizetti que vous allez mettre en scène, avant Maria Stuarda et Roberto Devereux les prochaines saisons. Dans les trois opéras, les enjeux de pouvoir sont au premier plan : pouvoir de Henry VIII qui répudie sa femme au profit de Jane Seymour, rivalité entre les deux femmes. Comment allez-vous traiter cette relation entre Anne Boleyn et Jane Seymour ? La situation entre les deux femmes est très riche, complexe, du pain bénit pour la metteuse en scène. Elle ne se réduit pas à un simple combat de femmes pour un homme ou un trône. Elles sont liées par une relation d’amitié en même temps que de subordination, puisque Jane Seymour est la demoiselle d’honneur de la reine Anne Boleyn. Dans l’opéra, les relations ne sont pas du tout stéréotypées. Elles sont justes, subtiles, émouvantes. La mauvaise conscience le dispute à la rivalité, l’amitié à l’ambition. Bien sûr, en face, il y a le pouvoir autocratique de Henry VIII, emblématique de ce qu’on appelle aujourd’hui la masculinité toxique… Comment allez-vous user de votre liberté face à cette histoire et à cette époque ? La vérité historique de l’ouvrage est toute relative. Si Donizetti et son librettiste Felice Romani ont choisi cette époque, c’est parce qu’elle leur offrait de bonnes situations dramatiques et d’excellents personnages. Ils n’ont pas cherché la véracité historique. Il est donc sain et libérateur d’envisager le matériau historique comme un terrain de jeu. L’utiliser quand ça nous arrange et faire autre chose quand ça ne nous arrange pas ! On fait du théâtre, pas de la reconstitution.

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Au Grand Théâtre de Genève Anna Bolena Du 22 octobre au 11 novembre 2021 gtg.ch/anna-bolena 31


dossier opéra et pouvoir

Julian Sykes est critique musical et producteur radio à la RTS-Espace 2 où il anime l’émission Musique Matin. Il a près de vingt-cinq ans d’expérience d’interviews avec des musiciens, de critiques musicales et d’articles de fond. Pendant dix-sept ans, il a fait partie de l’équipe du Temps (2000-2017), pour lequel il continue à écrire des articles en tant que contributeur régulier. Il a participé au tournage de documentaires télévisés et coécrit un livre sur le Verbier Festival (Verbier Festival : 25 ans au sommet paru aux éditions Noir sur Blanc).

IVÁN FISCHER, diriger autrement Par Julian Sykes

Autocrates, les chefs d’orchestre ? Iván Fischer est tout le contraire. Le chef hongrois qui dirigera au Grand Théâtre Le Couronnement de Poppée de Monteverdi a développé une méthode de travail qui tranche avec la tradition du chef-roi, au profit d’une autonomisation des musiciens et au service de la collectivité.

L

e pouvoir en musique, Iván Fischer ne connaît pas. Ou s’il le connaît, c’est pour le bien de la communauté. Tout chez lui respire le partage, la transmission, l’œuvre collective au-delà des individualités. En bientôt quarante ans, il a assis la réputation du Budapest Festival Orchestra fondé en 1983 avec le regretté Zoltán Kocsis. Cette grande famille de musiciens joue dans les écoles, les maisons de retraite, les églises et synagogues de la Hongrie, tout en rayonnant dans des festivals phares comme les BBC Proms de Londres et Lucerne. La méthode de travail d’Iván Fischer est unique. Le quartier général du Budapest Festival Orchestra l’est aussi. Imaginez un vieux cinéma au charme délicieusement désuet, dans un faubourg quelque peu excentré de Budapest. Au rez-de-chaussée, une cantine, des loges, des bureaux. Au premier étage, une salle aux parois blanches lambrissées transformée en espace de répétition. Et c’est là que tout se passe.

Tous ensemble « a cappella »

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Rien n’est plus fascinant que de voir l’homme à l’œuvre. Sa façon de parler, d’une voix douce et ferme, inspire le respect. En guise d’échauffement, le chef hongrois commence toujours par demander aux musiciens de déchiffrer un choral de Bach, pour l’écoute


Iván Fischer : « Aujourd’hui, le pouvoir du chef, c’est sa responsabilité envers le public et la communauté. » © Marco Borgrève

tyrannique. « Si vous vous focalisez sur la seule relation entre un chef d’orchestre et ses musiciens, alors la question devient banale. Mais si vous l’examinez avec plus de recul, je crois qu’aujourd’hui, le pouvoir du chef, c’est sa responsabilité envers le public et la communauté. Il y a très peu de chefs – et pas forcément les plus célèbres – qui exercent cette responsabilité. Ils sont alors comme des leaders spirituels qui veillent au bien-être de la société. »

Du chef-compositeur au chef démiurge

mutuelle, l’équilibre des instruments, et pour « l’intonation » en particulier. Peu importe si c’est un peu la cacophonie : l’essentiel est de se réunir spontanément autour d’une pièce aussi élémentaire qu’un choral. À d’autres moments, les musiciens chantent des pièces « a cappella », sans instruments, afin d’exercer leur oreille. C’est donc un pouvoir partagé, loin de l’image qu’on peut se faire du chef autoritaire et

Autrefois, les chefs explosaient en colères noires ou envoûtaient par leur magnétisme. Ils menaient les musiciens à la baguette. Mais cette typologie – un peu caricaturale – est plus nuancée qu’elle n’en a l’air. « Tout d’abord il y a eu les chefscompositeurs, comme Beethoven, Mendelssohn, Weber, Wagner, explique Iván Fischer. Hans von Bülow a été le premier chef professionnel qui n’était pas aussi compositeur. Dans la première moitié du XXe siècle, il y a eu les chef tyranniques, ce que l’on pourrait appeler « la génération Toscanini ». Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les orchestres ont commencé à se regrouper en syndicats et, depuis ce moment-là, ils ont pris le pouvoir. Prenez l’exemple du Philharmonique de Vienne ou du Philharmonique de Berlin : ce sont eux qui décident des chefs permanents ou des chefs invités. » Un renversement de pouvoir donc, même si la figure du chef – celui ou celle qui incarne les valeurs de l’orchestre – reste très convoitée. « Avec le temps, la figure du chef d’orchestre a évolué vers d’autres compétences que purement musicales. On le choisit pour des impératifs marketing et parce qu’il incarne des valeurs esthétiques. En ce sens, il est un peu entre le politicien et le concours de beauté. » Iván Fischer insiste sur les rapports de force. « À Vienne et Berlin, ce sont les musiciens qui contrôlent la situation, pas le chef. »

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dossier opéra et pouvoir

Iván Fischer : « J’exerce beaucoup de discipline avec mon orchestre afin d’encourager la créativité des musiciens. » © Hiroyuki Ito/ Getty Images

Mais alors où reste l’autorité d’un chef ? Iván Fischer cite de mémoire un adage d’Herbert von Karajan – le « chef médiatique » par excellence qui a façonné son image à travers des films savamment chorégraphiés, gestuelle étudiée, prise de vue entièrement tournée vers la mise en valeur de sa personne. « Karajan disait ceci : « Je donne beaucoup de liberté aux musiciens pour qu’ils jouent de la manière dont moi je veux. » J’inverserais ce paradoxe pour le reformuler ainsi : « J’exerce beaucoup de discipline avec mon orchestre afin d’encourager la créativité des musiciens. » De la discipline, donc, de l’ordre, au premier chef. Et puis une autonomie accordée aux musiciens incités à se produire en petits groupes de musique de chambre. Iván Fischer va jusqu’à bouleverser le rituel du concert. Il demande aux gens de voter à main levée pour entendre telle ou telle œuvre proposée dans un choix donné. Au Konzerthaus de Berlin avec lequel il collabore depuis 2012, il invite le public – dans une formule de concert appelée « Mittendrin » – à s’asseoir au milieu des musiciens pour faire l’expérience de la musique de l’intérieur. « Cette formule a eu beaucoup de succès ! » Changer les rapports de force, ériger un contrepouvoir constructif qui autonomise le musicien

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et le mélomane : Iván Fischer incarnerait le chef « nouvelle vague » – comme il l’exprime – appelé à s’inscrire pleinement dans le tissu local. Il observe avec malice la stratégie de certains jeunes loups de la direction d’orchestre qui cumulent les postes pour « grimper les échelons d’une carrière ». « Les chefs qui vont d’un job à un autre, chef principal ici, chef principal là, puis encore ailleurs, ça me rappelle un peu la manière dont fonctionnent les politiciens. »

Eco-responsabilité

Avec son profil de chef permanent longue durée, Iván Fischer incarne une espèce en voie de disparition. Sa politique à lui est résolument démocratique. « Le Budapest Festival Orchestra est un laboratoire expérimental où l’on peut tenter de nouvelles choses. Je conçois mon métier de chef d’orchestre un peu comme celui d’un directeur de théâtre avec ses acteurs. Je crois au développement des musiciens. Je fais en sorte qu’ils chantent et ne jouent pas seulement de leur instrument. J’ai toujours pensé qu’il fallait travailler du potentiel intérieur du musicien vers l’extérieur. » Cette philosophie contrecarre l’idée du chef tyrannique. Or, elle ne lui ôte en rien son pouvoir ; au contraire, elle motive une responsabilité à tous les pupitres d’un orchestre – qui n’a rien d’un greenwashing musical. Né en 1951, Iván Fischer a fondé l’Orchestre du Festival de Budapest en 1983 après avoir été l’assistant du grand pionnier de l’interprétation « historiquement informée », Niklaus Harnoncourt. Depuis 2013, il est également directeur musical du Konzerthaus de Berlin.

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Au Grand Théâtre de Genève Le Couronnement de Poppée Les 30 septembre et 1 er octobre 2021 gtg.ch/le-couronnement-de-poppee


La marche du monde, sur LeTemps.ch

Climat: l’été de tous les extrêmes Article publié le samedi 7 août 2021

Sur cette photo d’archives prise le 21 juillet 2019, des pompiers surveillent la progression d’un incendie de forêt à Mação, dans le centre du Portugal. L’été 2021 a concentré ces événements hors norme. © Patricia De Melo Moreira / AFP


dossier opéra et pouvoir NERONE La legge è per chi serve, e se vogl’io, Posso abolir l’antica, e indur le nove ; È partito l’Imperio, è il ciel di Giove, Ma del mondo terren lo scettro è mio. NÉRON La loi est pour ceux qui servent et, si je le veux, Je peux abolir l’ancienne et en établir de nouvelles : L’empire est partagé : Jupiter règne au ciel, Mais en ce bas monde je suis seul maître. Extrait du livret du Couronnement de Poppée de Giovanni Francesco Busenello

SUR LE FIL DES HUBRIS Le crime d’hubris était considéré le plus haut crime chez les antiques. Aujourd’hui, il se rapproche du phénomène de l’Homo deus ou quand l’humain prend la place du divin. Habituellement, l’histoire se termine mal. Vous connaissez Némésis, la déesse de la vengeance ? Parcours en trois opéras, un ballet et quelques siècles pour un début de saison aussi sanguinolent que sanguinaire. Par Clara Pons

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Clara Pons est metteuse en scène et réalisatrice. Elle travaille à l’intersection entre texte, musique et image. Parmi ses projets récents, un film sur le cycle Harawi d’Olivier Messiaen (2017) ou Lebenslicht (2019) avec la musique de J.S. Bach portée par Philippe Herreweghe et le Collegium Vocale Gent. Elle est actuellement dramaturge au Grand Théâtre.

Amour, vertu et fortune

Fille d’un obscur administrateur sous l’empire de Tibère, Poppée, Poppaea Sabina de son vrai nom, est née à Pompéi dans les années 30 de notre ère. C’est étonnant qu’il n’y ait pas encore une série américaine qui suive l’irrésistible ascension de ce personnage sans scrupule qui aurait, dit-on, poussé l’empereur Néron à tuer sa mère Agrippine. Claudio Monteverdi, lui, arrive à en poser un portrait subtil et amoureux en un peu plus de trois heures. Au passage, il en profite pour dépeindre le suicide de Sénèque et l’exil de l’impératrice Octavie, tout en philosophant en musique sur l’allégorie du garçon aveugle et de la femme chauve, figures de la vertu et de la fortune qui sont fatalement soumises au joug de l’amour. Ajoutons quelques juteux détails de famille : Octavie était la première femme de Néron et, avant de le devenir, sa sœur adoptive, fille de l’empereur Claude et de Messaline. On suspecte Agrippine, la mère de Néron et quatrième épouse de Claude, d’avoir incité l’empereur à exécuter celle qui était donc sa troisième femme et d’avoir elle-même empoisonné Claude. Mais ceci est la matière d’un autre opéra ! Toujours est-il que Poppée mourra, selon les historiens romains, d’un coup de pied dans le ventre de son amant passionné Néron, alors qu’elle était enceinte de son héritier. La dynastie julio-claudienne s’achèvera donc avec le suicide forcé de Néron qui entre-temps se désintéressera du pouvoir au bénéfice (ou non) de l’art. Poppée recevra de son


Amour, nationalisme et expansionnisme

La retraite de Russie de l’armée napoléonienne, gravure de 1812 (anonyme) © Hirarchivum Press / Alamy Stock Photo

auguste époux des funérailles nationales et les honneurs divins. Son corps embaumé sera placé dans le mausolée d’Auguste tandis son nom restera entaché dans l’histoire à la faim de pouvoir et la soif de destruction.

Amour, pouvoir et trahison

Si dans l’opéra de Monteverdi Néron ne semble abuser de son pouvoir que pour mieux céder aux désirs de sa passion, Henry VIII baigne lui dans ce que l’actualité nommerait la violence de genre et semble utiliser ses passions pour asseoir son pouvoir. Loin des conspirations patriciennes, nous voilà transportés par Gaetano Donizetti dans une Angleterre romantisée où le souverain Enrico n’a d’amour que pour sa volonté absolue, surtout en ce qui concerne la gent féminine qu’il sait convaincre, par la persuasion ou la force, de s’associer à ses méfaits malgré les relations étroites que ces femmes politiques tissent entre elles. Mais il semble que celui qui fit face au pape aurait ici tiré un peu trop sur le fil. Aussi, à la fin, la lignée des Tudors mourra avec la fille que lui donna, au grand désarroi de son royal mari qui désirait si ardemment un garçon pour lui succéder au trône, Anne Boleyn, sa seconde épouse qu’il exécuta pour adultère (comme Messaline et Octavie en leur temps): Elizabeth I. Nous ne sommes qu’en 1603 quand elle meurt. Soit 40 ans avant que Monteverdi et son librettiste ne créent leur opéra sur les frasques de Poppée et Néron.

Le deuxième jour de Noël 1830, Donizetti fête la première d’Anna Bolena à Milan. C’est à peine 25 ans après le couronnement de Napoléon dans la même ville, comme roi d’Italie… La révolution de Juillet a pourtant déjà même mis fin à la Restauration qui suivit son Premier Empire. Deux ans auparavant naissait Léon Tolstoï, celui qui marquera l’histoire pour son ouvrage La Guerre et la Paix. Publié en 1869, il refusera de le désigner de roman car il le construit à la fois de matière fictive et documentaire et certains passages de cette bible se rapprochent d’ailleurs plus de l’essai philosophique que du genre romanesque du XIXe siècle. L’écrivain y rapporte avec autant de fatalisme que de réalisme les années des guerres napoléoniennes, dès 1805 et jusque dans les années 1820, après la défaite et la retraite de la Grande Armée hors de Russie. S’il est question d’amour entre quelques-uns des innombrables personnages de la fresque tolstoïenne, la fatalité de la guerre y est bien le personnage principal et celle qui broie toutes ces vies et destins individuels. Il aura fallu attendre la Première Guerre mondiale pour qu’une guerre fasse en seul jour autant de morts qu’une des batailles de ce fou de la gloire militaire. À l’époque de Napoléon, le nationalisme est à peine existant. Ses troupes laissent cependant dans l’Europe dévastée un souffle né entre autres de ses illusions expan­ sionnistes. Dès 1830, les guerres d’indépendance donnent naissance l’une après l’autre aux États-nations, ancêtres de nos pays actuels. Que Sergueï Prokofiev ait succombé à la tentation de s’approprier le chef d’œuvre du grand Tolstoï alors que l’Allemagne rompait son alliance avec Staline et qu’il ait eu à le regretter car le pouvoir soviétique ne lui laissa pas toute liberté (façon de dire), est tout à fait concevable. Qu’on continue à célébrer les victoires et les défaites de ces monstres expansionnistes l’est moins. Cent trente ans après que la Grande Armée a battu en retraite, le front de Russie et la bataille de Stalingrad seront de nouveau le tableau de l’hubris d’un seul homme, Hitler. Que ne rêverait-on pas avec Clara et le prince Casse-Noisette d’assommer du plat de sa chaussure tous les rois des souris qui cherchent à dominer le monde ?

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ao d i l sl e su i er rs o p é r a e t p o u v o i r

TEST: QUELLE FIGURE DU POUVOIR À L’OPÉRA ÊTES-VOUS?

Sabryna Pierre est auteure dramatique et librettiste, publiée aux éditions Théâtrales. Après avoir collaboré avec de nombreuses institutions de spectacle vivant, elle rejoint en 2019 l’équipe du Grand Théâtre de Genève en tant que responsable développement culturel, afin de partager sa passion de l’opéra avec tous les publics.

Par Sabryna Pierre

Tyrannie, séduction, bienveillance ou cruauté… Sur la scène du Grand Théâtre comme dans le monde réel, le pouvoir s’exerce de bien des manières. Et vous, quel personnage de pouvoir à l’opéra êtes-vous ? Pour le savoir, c’est très simple : répondez (sans tricher) à ces 5 questions en page suivante.

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1. Pour vous, pouvoir rime avec : devoir

jubilatoire transitoire mémoire

2. Vous devez votre réussite à : Votre implacabilité. Vous ne laissez jamais les sentiments infléchir votre volonté.

Votre magnanimité. Vous aspirez à la grandeur d’âme, non pas par orgueil, mais par amour de la vertu. Votre famille. Qui, en retour, sait profiter de vos largesses. Votre folie. Elle vous permet de tout oser sans vous soucier du jugement des autres.

3. La devise que vous adopteriez : Io sfido dotta la potenza : je défie la puissance savante.

La legge è per chi serve : la loi est pour bonne pour ceux qui servent. Che la lama guizzi e sprizzi : que la lame luise et jaillisse ! Viva l’amico, benché infedele : vive l’ami, même infidèle.

4. Le livre que vous emporteriez sur une île déserte : Orgueil et Préjugés de Jane Austen : qui mieux que vous sait que « l’importance parfois se paie très chèrement » ?

Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll : « La Reine avait une seule méthode pour résoudre toutes les difficultés, petites ou grandes : qu’on lui coupe la tête ! » Zadig de Voltaire : comme lui vous pensez « qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent ». Un Batman : Bim, bam, bang, paf ! (oui oui, vous avez toujours adoré le Joker, et la lecture n’a jamais été votre tasse de thé…).

5. Enfin, vous n’avez jamais su résister à :

Une confession sincère : la mise à nu de l’âme humaine – même la plus noire – vous touche immanquablement. Un coup de foudre. L’objet de votre flamme n’est pas libre ? Qu’importe, vous mettrez tout en œuvre pour arriver à vos fins. Absolument tout. Un bijou d’or et de perles portant votre initiale : le luxe pourrait vous faire perdre la tête. Littéralement. Un « si » aigu chanté d’une voix forte et brillante, tenu plus de dix secondes même s’il s’agit d’une double croche. Et par un ténor agréable, si possible.

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dossier opéra et pouvoir

Vous avez une majorité de Vous êtes Anne Boleyn d’Anna Bolena de Donizetti : D’une grande confiance en vous, vous savez que votre charme et votre goût de l’intrigue vous mèneront loin. Mais attention, si comme l’héroïne de Donizetti vous êtes tenté de vous hisser au sommet aux dépends de quelqu’un d’autre, rappelez-vous l’avertissement d’Anne : Ah ! se mai di regio soglio Ti seduce lo splendore / Ti rammenta il mio cordoglio, Non lasciarti lusingar (Ah si un jour la splendeur du trône royal te séduit / Souviens-toi de mes souffrances et ne te laisse pas étourdir). Quoi qu’il arrive, à son instar, vous saurez faire preuve de majesté dans la déchéance comme dans la grandeur. Votre plus grand pouvoir n’est-il pas, malgré la somme de vos défauts, de toujours remporter le suffrage des cœurs ? Venez découvrir Anne Boleyn sous les traits d’Elsa Dreisig du 22 octobre au 11 novembre.

Vous avez une majorité de Vous êtes Titus dans la Clémence de Titus de Mozart : Guidé par la raison, la bonté et l’empathie, comme Titus vous exercez votre pouvoir selon les préceptes du despotisme éclairé : Se all’impero, amici Dei, Necessario e un cor severo / O togliete a me l’impero, O a me date un altro cor (Si pour gouverner un cœur de pierre est nécessaire / confisquez-moi mon Empire, ou donnez-moi un autre cœur). Mais qu’on ne s’y trompe pas, votre sens de la justice et votre penchant au pardon ne font pas de vous un être faible et malléable. Bien au contraire, vous utilisez vos vertus pour renforcer votre pouvoir et garder vos ennemis plus près encore que vos amis. La différence entre les deux est parfois si ténue… Bernard Richter est Titus dans la mise en scène de Milo Rau au GTG, sur Mezzo TV.

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Vous avez une majorité de Vous êtes Turandot, l’héroïne éponyme de l’opéra de Puccini : Sous le masque de la froideur et de l’intransigeance, vous cachez soigneusement une personnalité complexe et ambivalente. Tout comme la cruelle princesse Turandot, vous vous laissez parfois aveugler par une soif de justice – voire de vengeance – qui vous conduit à la cruauté. Mais ce que vous craignez par-dessus tout, n’est-ce pas la mise à nu de vos sentiments ? Tu che irridi al mio orgoglio, non guardarmi così ! (Toi qui ris devant mon orgueil, ne me regarde pas ainsi !). Suivez l’exemple de Turandot : faites fi des blessures du passé, surmontez vos peurs et succombez au pouvoir de l’Amour. Vous aurez tout à y gagner… et votre entourage aussi. Retrouvez la fabuleuse Ingela Brimberg en Turandot du 20 juin au 3 juillet

Vous avez une majorité de Vous êtes Néron dans Le Couronnement de Poppée de Monterverdi : D’une nature despotique, vous cédez facilement à vos impulsions et vos caprices. Jusqu’où irez-vous pour obtenir ce que vous désirez ? Néron n’a quant à lui aucune limite : La ragione è misura rigorosa / Per chi ubbidisce e non per chi commanda (La raison est une mesure rigoureuse / Pour qui doit obéir et non pour qui commande). Après tout, pourquoi se priver ? S’il a probablement trucidé une bonne partie de ses proches et joué nonchalamment de la lyre pendant l’incendie de Rome, à la fin de l’opéra de Monteverdi Néron épouse sa maîtresse Poppée et coule des jours heureux. Mais n’oubliez pas si vite le sort du véritable Néron, acculé au suicide. Petit conseil : si vous voulez vous comporter en tyran sanguinaire, choisissez plutôt les scènes d’opéra que la vie réelle. Néron sera interprété au GTG par Valer Sabadus les 30 septembre et 1 er octobre.

rdv.

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kitchen lyrique

Pelmeni, bouillon de choux rôtis, aneth et raifort Chaque trimestre, le chef du restaurant de La Plage crée une recette en lien avec une production à l’affiche du Grand Théâtre, qu’on retrouve dans sa carte. En guise de clin d’œil à Tolstoï et Prokofiev, réunis dans Guerre et Paix, Jacopo Romagnoli propose cet automne des pelmenis, ces raviolis à la viande qui ont intégré la cuisine russe à partir du XIVe siècle, ici revisités avec un bouillon, à la manière de leurs cousins italiens, les agnolottis.

Par le chef Jacopo Romagnoli

Confection de la pâte > Dans un saladier, formez un puits avec la farine, ajoutez l’œuf au centre, pétrissez délicatement en ajoutant l’eau en petite quantité. > Pétrissez à la main jusqu’à l’obtention d’une boule lisse et élastique (cinq minutes environ). > Laissez reposer au réfrigérateur pendant 1 heure.

Préparation de la farce > Émincez les oignons et les gousses d’ail et les faire suer avec une noix de beurre jusqu’à ce qu’ils soient fondants. Réservez. > Dans un grand saladier, mélangez l’épaule de porc, la ciboulette, le persil, le parmesan et les oignons fondants. > Assaisonner (sel, poivre) et réservez au frais.

Élaboration du bouillon

Ce plat sera parfait accompagné d’un verre de Chardonnay.

> Couper finement les deux variétés de choux, les mélanger, puis les diviser en deux parts. > Placez une moitié dans une grande casserole avec une noix de beurre, la faire suer. Réservez dans la casserole. > Placez l’autre moitié dans un plat badigeonné d’huile d’olive et faire rôtir à 180 degrés pendant 35 minutes en mélangeant toutes les dix minutes pour obtenir une caramélisation uniforme. > Mettre les os dans un plat sans matière grasse et rôtir en même temps durant 35 minutes. > Lorsque les os et les choux rôtis sont prêts, ajoutez-les à la grande casserole contenant les choux fondants. > Déglacez avec le vinaigre de cidre, laissez réduire pendant quelques instants, puis couvrir à hauteur avec de l’eau. > Ajoutez la tête d’ail. > Faites mijoter à découvert, à feu moyen, jusqu’à réduire de moitié. > Filtrez avec un chinois et rectifiez l’assaisonnement.

Confection des pelmeni

Ingrédients pour 4 personnes : Pour la pâte : – 500 g de farine blanche – 250ml d’eau – 1 œuf

Pour la farce : – 500g d’épaule de porc haché parure de charcuterie (optionnel) – 1 botte d’aneth – Parmesan râpé – 1 botte de ciboulette hachée – ½ botte de persil plat haché – 2 gousses d’ail – 1 oignon blanc – Sel, poivre

Pour le bouillon : – 1 chou pointu – 1 chou de Savoie – 1 oignon blanc – 2dl de vinaigre de cidre – Os de porc pour bouillon – 1 tête d’ail

> Abaissez la pâte jusqu’à 2 mm d’épaisseur et découpez des ronds à l’aide d’un emporte-pièce de taille moyenne. > Pliez le disque en deux afin d’obtenir une demi-lune, puis scellez les bords. Ramenez ensuite les deux extrémités vers le centre et pincez fermement. > Blanchir les pelmeni dans une casserole d’eau bouillante pendant 2 à 3 minutes (selon la taille de vos bouchées). > Égouttez et disposez les pelmeni dans une assiette avant de les recouvrir généreusement de bouillon très chaud, ajoutez un peu de raifort et d’aneth.

Pour la finition : – Aneth – Raifort frais râpé

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rétroviseur

La pandémie a tout chamboulé mais n’a pas tout empêché ces derniers mois au Grand Théâtre. Après Pelléas et Mélisande et La Clémence de Titus, aussi Didon et Énée a pu être monté, filmé et diffusé, tout comme en fin de saison le doublé stravinskien du Sacre du printemps. TRAVIATA, bel et bien barré, a fait écho au projet avorté de nouvelle production de La Traviata. Et les activités de La Plage ont profité des rares rayons de soleil : une Late Night, quelques apéropéras, un duel robotisé… En live pour un maximum de cent personnes en salle ou en streaming, la vie du théâtre n’a pas rendu les armes.

Les deux chorégraphies du Sacre du printemps, signées Andonis Foniadakis et Jeroen Verbruggen @ Gregory Batardon

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TRAVIATA dans la mise en scène de Luc Birraux avec les solistes du Jeune Ensemble du Grand Théâtre © Carole Parodi

Didon et Énée de Purcell, diffusé en streaming sur Arte, dans la mise en scène de Franck Chartier et avec la compagnie Peeping Tom, sous la direction d’Emmanuelle Haïm © Carole Parodi

La Late Night de fin juin © Magali Dougados

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mouvement culturel

Marseille,

de Guillaume Tell au fond du Panier

Ouvert en 2013 face à la mer, le Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) illustre le renouveau culturel de la cité phocéenne, par ailleurs toujours ancrée dans son identité cosmopolite, où convergent toutes les langues du bassin méditerranéen. © lesmarseillaises

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La culture ne 1 • Une nuit à l’opéra au spectacle bouillonne pas toujours ou Capitale culturelle européenne là où l’attend. Dans en 2013, Marseille a depuis vu éclore une génération d’artistes chaque numéro, ce et de manifestations qui en magazine invite à ont fait une des scènes les plus créatives du continent. Cet élan découvrir une ville a trouvé son emblème avec le européenne dont le Mucem mais il se prolonge dans de nombreuses galeries. Il est pouls artistique bat accompagné par l’arrivée la chamade. Première de nouveaux chefs, revisitant la cuisine méditerranéenne, aussi étape : Marseille. bien que par des boutiques, des Autrefois somnolente, hôtels et des bars décrivant une nouvelle identité phocéenne, la vie culturelle y a bouillonnante, rajeunie. été revitalisée par la tradition reste inscrite l’ouverture du Mucem, Mais au fronton de l’opéra, où l’amour la modernisation de du beau chant a toujours prévalu. donc un week-end l’ensemble des musées Commençons idéal dans la ville avec Guillaume et l’installation d’une Tell, le dernier opéra de Rossini, avec deux voix françaises dans nouvelle génération des prises de rôle attendues : de créateurs. Visite Alexandre Duhamel s’empare du héros et Angélique Boudeville guidée, sans oublier (Prix des opéras suisses) de Mathilde la saison lyrique et l’art (12-20 octobre). Le ténor Enea Scala, affronte le terrible rôle d’Arnold du bien vivre de la cité lui, avant d’enchaîner dans celui phocéenne. de Rinaldo, dans Armida du même Par Clara Sfadj Responsable de la communication du réseau Provence Art Contemporain, Clara Sfadj est fondatrice du webzine Les Marseillaises, qui depuis 8 ans ausculte la vie culturelle de la ville et en identifie les bonnes adresses, avec un accent sur les émergences dans tous les domaines: arts, musique, gastronomie et art de vivre.

2 • Une promenade culturelle au Panier

Déjeuner au soleil, promenade dans les ruelles, petites boutiques et artisanat local… Vous êtes au Panier, un des plus anciens quartiers de Marseille à la réputation autrefois sulfureuse ! Depuis 2013, le magnifique Mucem a redonné un coup de frais à ce quartier qui était autrefois celui de la mafia italienne. Une vie de village qui n’a rien perdu de son charme et dont le point d’orgue est offert par le musée de la Vieille Charité et son architecture à couper le souffle. JEFF KOONS AU MUCEM

Rossini, face à la soprano Nino Machaidze, en version de concert (29 oct-5 nov).

Après Ai Weiwei, c’est au tour de l’Américain Jeff Koons d’investir le Mucem. Vingt œuvres issues de la collection Pinault, parmi lesquelles les plus célèbres de l’artiste, y sont exposées jusqu’au 18 octobre. Pour cette exposition, Koons a sélectionné des pièces de la collection d’art populaire du musée qu’il a mises en relation avec son propre travail. Un bel hommage aux arts populaires dans un lieu de culture qui attire autant pour la beauté de son architecture que pour la superbe promenade qui amène jusqu’au au fort Saint-Jean et à son jardin des migrations.

Côté théâtre, on ira découvrir le Tartuffe de Molière au Théâtre de la Criée, dans la mise en scène de sa directrice, l’ex-Deschiens Macha Makaïeff (3-26 novembre). Pour les écritures plus contemporaines, on choisira le festival Actoral (21 sept8 oct). Et pour les fantômes du passé, on suivra Macha Méril dans des textes de Marguerite Duras dont elle fut l’amie, pour Sorcière (Bernardines, 5-16 octobre).

Si vous faites un tour dans le quartier du Panier, ne passez pas à côté du Centre de la Vieille Charité, transformé en espace culturel. Sous les arcades historiques de cet hospice du XVIIe siècle se cachent plusieurs salles d’exposition. Et en son centre, une très belle chapelle qui abrite régulièrement le travail d’un artiste contemporain invité par les musées de Marseille.

LA VIEILLE CHARITÉ

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mouvement culturel

3 • Noailles : un quartier populaire en plein renouveau

Point de ralliement traditionnel des amoureux de marchés populaires (celui des Capucins est réputé) et de saveurs exotiques, le très animé quartier de Noailles est désormais investi par une nouvelle génération de restaurateurs, à côté des boutiques d’épices et d’institutions marseillaises comme l’herboristerie du Père Blaize ou l’immense quincaillerie Maison Empereur. On y va pour des courses, des cadeaux, pour déjeuner et surtout prendre le pouls du cosmopolitisme de la ville. MAISON EMPEREUR

La plus ancienne quincaillerie de France se trouve à quelques pas de la Canebière. Maison Empereur est une institution, une incroyable caverne d’Ali Baba dans laquelle on trouve absolument de tout : ustensiles de cuisine, outils oubliés, vaisselle de notre enfance, vêtements de métiers, garde-robe provençale, jouets anciens, et même des produits ménagers… Incontournable ! JIJI LA PALME D’OR

À quelques pas de Maison Empereur, Jiji la Palme d’Or donne le ton à cette rue animée. Ici, les épices et les produits orientaux pour les soins du corps font face à une belle sélection d’objets artisanaux marocains et tunisiens. Vannerie, vaisselle, petit mobilier et tapis en laine débordent joyeusement dans la rue d’Aubagne.

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ÉPICERIE L’IDÉAL

Pouvait-on avoir meilleure idée ? Ouvrir une grande et belle épicerie fine rue d’Aubagne, dans laquelle il est vivement recommandé de déjeuner. La carte est à l’image du lieu – délicate, goûteuse et inventive, avec sandwiches à grignoter sur le pouce ou plats plus élaborés. Sans oublier les merveilles de toutes les rives de la Méditerranée qui se trouvent en rayon. 11, rue d’Aubagne, 1er arr. +33 9 80 39 99 41

4 • Les concept stores JOGGING

Du vêtement de luxe à l’épicerie fine hyper locale, en passant par les cosmétiques Aesop ou les mobiliers chinés par Olivier Amsellem (photographe et fondateur du lieu), Jogging est le concept store pointu par excellence ! Mention spéciale pour son jardin d’été idéa pour une pause déjeuner à l’abri de l’agitation du centre-ville. 103, rue Paradis, 6e arr. +33 4 91 81 44 94

AUSSIH

Fraîchement ouvert dans le 7e arrondissement de Marseille, ce concept store est l’aboutissement d’un projet mené par un duo féminin qui a su allier bon goût et lifestyle familial pour faire naître un lieu de 250 m2, à la fois boutique, salon de thé et espace de restauration le midi. 9, rue Châteaubriand, 7e arr. +33 4 91 31 29 47

LES PUCES DE FIFI TURIN

Le boulevard Fifi Turin, épicentre des antiquités depuis plus de 30 ans, accueille à nouveau depuis quelques années un collectif d’antiquaires et

brocanteurs. Tous les premiers dimanches du mois, les puces de Fifi organisent un déballage vintage et un brunch dans le restaurant-café des puces. Ambiance décontractée et festive pour amoureux de la brocante. 20, bd. Fifi Turin, 10e arr. +33 6 64 30 51 44

5 • Carte postale pour un apéro en bord de mer VIAGHJI DI FONFON AU VALLON DES AUFFES

En contrebas de la célèbre corniche Kennedy, le Vallon des Auffes est un ravissant petit port de pêche très populaire à l’heure d’été. L’apéro se prend au bord de l’eau à deux pas des barques et des cabanons de pêcheurs. Destination rochers pour les pique-niqueurs, ou une table chez Viaghji di Fonfon pour ceux qui préfèrent s’attarder sous les guirlandes de ce bar à tapas corse. 136-142, rue du Vallon des Auffes, 7e arr. +33 7 82 13 65 80

TUBA AUX GOUDES

Envie de s’aventurer là où les montagnes rencontrent la mer ? Direction les Goudes, un port de pêche aux allures de village surnommé « le bout du monde marseillais », en plein cœur du parc national des Calanques. Depuis l’année dernière, un ancien centre de plongée a été transformé en petit hôtel et restaurant niché sur les rochers. Tuba est la nouvelle adresse branchée où prendre l’apéro et déguster un poisson grillé sur fond de coucher de soleil. Réservation obligatoire ! 2, bd Alexandre Delabre,

Village des Goudes, 8e arr. +33 6 07 17 19 01


LES BORDS DE MER AUX CATALANS

Situé au bout de la plage des Catalans, sur la corniche Kennedy, cet hôtel et restaurant porte particulièrement bien son nom. Les chambres offrent une vue imprenable sur l’eau, le restaurant propose une cuisine méditerra­ néenne et contemporaine élégante et son rooftop est le spot rêvé pour siroter un cocktail tourné vers la mer.

OURÉA

Le cours Julien, qui rassemble un grand nombre de bars et de restaurants, est l’épicentre des soirées marseillaises. © Anthony Micallef

Matthieu Roche et Camille Fromont ont quitté Paris pour Marseille. Lui est cuisinier, jeune espoir de la cuisine française. Elle est passionnée de vin. Avec Ourea, ils ont réussi à créer une adresse aux allures de bistro, décorée avec goût, tout en proposant une cuisine bistronomique raffinée. 72, rue de la Paix Marcel Paul, 6e arr. +33 4 91 73 21 53

52, cor. Président John Fitzgerald Kennedy,

SAISONS

7e arr. +33 4 13 94 34 00

6 • Cuisine signature : la jeune gastronomie marseillaise

De la cuisine bistronomique aux chefs étoilés, il n’y a qu’un pas. Depuis quelques années, Marseille est sous les projecteurs des guides gastronomiques. Les nouveaux venus dans le paysage culinaires n’en finissent pas de surprendre et de se faire un nom parmi les tables à tester absolument. SÉPIA

C’est dans le parc de la Colline Puget, entre le Vieux-Port et Notre-Dame de la Garde, que le chef Paul Langlère propose sa carte réduite mais renouvelée régulièrement. Une cuisine délicate et inventive récompensée par le Guide Michelin, une vue sur mer qui se dessine entre les pins : Sépia est rapidement devenu un incontournable de la nouvelle gastronomie marseillaise. 2, bue Vauvenargues, 7e arr. +33 9 83 82 67 27

Entre pins et vue sur mer, le Sépia et la carte toujours renouvelée du chef Paul Langière sont devenus un must de la nouvelle gastronomie marseillaise.

Ici, le décor est épuré, les matériaux et l’attention entièrement portés sur la cuisine instinctive du chef Julien Diaz associée à la sélection du sommelier Guillaume Bonneaud. Le jeune duo, déjà étoilé, mise tout sur l’amour du bon produit et sur la justesse des accords mets et vins. Une cuisine aux accents méditerranéens qui se découvre à travers une carte réduite mais bien pensée. 8, rue Sainte-Victoire, 6e arr. +33 9 51 89 18 38

AM PAR ALEXANDRE MAZZIA

Du vêtement de luxe à l’épicerie de produits locaux, Jogging est un concept store pointu enrichi par un jardin d’été idéal pour la pause déjeuner

Triplement étoilé au Guide Michelin, Alexandre Mazzia appartient désormais aux chefs-artistes dont la cuisine est à ce point originale qu’un repas dans son restaurant est à vivre comme une expérience à part entière. Un virtuose du goût dont la créativité n’a d’égal que son perfectionnisme. 9, rue François Rocca, 8e arr. +33 4 91 24 83 63

La cathédrale Sainte-Marie-Majeure se reflète dans le MUCEM © Anthony Micallef

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agenda

« Souvent femme varie… », chante le duc de Mantoue dans Rigoletto, époque pré-#metoo. Le virus aussi, hélas. Espérons que les défenses vaccinales résisteront aux caprices pandémiques et permettront de tenir les promesses d’un automne qui, au Grand Théâtre, s’annonce porteur de toutes les merveilles. Par Jean-Jacques Roth

CASSE-NOISETTE La reprise d’un des succès les plus éclatants du Ballet du Grand Théâtre, lors de sa création en 2014 sous la griffe noire et tourmentée du jeune chorégraphe belge Jeroen Verbruggen, qui transfigure les rêves de Noël du célèbre ballet de Tchaïkovsky sous les atours fantasmagoriques des stylistes parisiens d’On Aura Tout Vu.

STÉPHANE DEGOUT On se demande quelle distinction le baryton français n’a pas reçue au long d’une carrière qui l’a vu monter sur les toutes les scènes capitales et aborder les répertoires les plus variés, de Rameau à Wagner, de Mozart à Offenbach, en passant bien sûr par les jardins secrets du lied et de la mélodie française, cultivés avec un timbre de velours et un art inimitable de la diction et de la ligne. Il vient chanter Robert Schumann, Hans Pfitzner, Gabriel Fauré, Francis Poulenc en compagnie du pianiste Simon Lepper. Le 26 septembre à 20 h

Du 6 au 16 novembre

LES PORTES OUVERTES Tout reprend, et on l’espère à l’abri des miasmes pandémiques. C’est donc l’occasion d’aérer le Grand Théâtre en ouvrant grandes ses portes à toutes les curiosités : une répétition du chœur, des ateliers pour enfants (maquillage, perruques, peinture, dessin, jeux dans le théâtre), des dégustations et visites pour adultes, des parcours découvertes et techniques pour ceux qui veulent toujours tout savoir… Le 12 septembre de 11h à 18h

CINÉOPÉRA Nouvelle corde à l’arc du Grand Théâtre : chaque saison, quatre créateurs choisissent un film faisant écho aussi bien à leurs préoccupations artistiques qu’aux productions montrées sur scène. Celui-ci est projeté aux cinémas du Grütli, voisins du Grand Théâtre. Second invité de la série, le chorégraphe de Casse-Noisette, Jeroen Verbruggen, a jeté son dévolu sur L’Étrange Noël de Monsieur Jack, film d’animation écrit par Tim Burton et réalisé par Henry Selick (1993), où le roi des citrouilles tente d’imposer la fête de Noël dans la monstrueuse ville d’Halloween. Cinémas du Grütli Le 31 octobre à 17h

APÉROPÉRA Une tranche de vie, une tranche de rire, une tranche de musique : voici le canapé qui accompagnera notre apéro urbain. Venez siroter votre spritz en compagnie de drôles de personnages. L’occasion de (re)découvrir un·e composit·eur·rice, une œuvre, une thématique sous un angle frais et contemporain loin de l’énumération des dates historiques. L’occasion en plus d’entendre un·e soliste ou l’autre, dans un répertoire cousin de la production ! Le 7 octobre : Anna Bolena Le 28 octobre : Casse-Noisette

LE GRAND BRUNCH B pour Bel canto, B pour Bellini, Bartók, Bizet et Berlioz et tout naturellement, B pour Brunch ! Un brunch en solitaire, en tête-à-tête ou en groupe pour se détendre en compagnie sous les décors rafraîchis des foyers : une occasion en or ! Les 10 octobre et 21 novembre, dès 11h

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LES VISITES GUIDÉES Chut, ne le dites à personne : le Grand Théâtre organise des visites guidées ouvertes au public, pour le public… Une voie lactée scintillante, des salons d’apparat, la plus grande cage de scène de Suisse, des trappes de 14 mètres de profondeur, le Grand Théâtre de Genève regorge de curiosités impressionnantes. Des secrets bien cachés pour le commun des mortels ! Intéressé·e·s à pénétrer dans le secret ? Les 20 septembre, 18 octobre et 15 novembre à 12h30


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