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INTRODUCTIONS

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Elle est révolue l’époque où Voltaire persiflait, au sujet de Genève, que «du grand Rameau l’on [y] ignore les airs». Force est cependant d’admettre que les œuvres de ce dernier brillent plutôt par leur absence sur la scène du Grand Théâtre. Mettons fin à cette trop longue séparation par un grand geste d’amour et d’humanité! Et quelle œuvre du grand Rameau est plus apte à la réconciliation, plus internationale, plus digne de «l’esprit de Genève» en somme, que Les Indes galantes?

Jean-Philippe Rameau avait 50 ans quand sa première œuvre lyrique, Hippolyte et Aricie, fut créée à Paris en 1733. Cet opéra tragique aux mélodies somptueuses et aux harmonies colorées laissa néanmoins perplexe le public parisien, nourri aux tragédies lyriques de Lully. Avec Les Indes galantes (1735), Rameau changea de tactique choisissant l’opéra-ballet, un genre avec un potentiel beaucoup plus élevé pour le divertissement, puisque la danse y joue un rôle aussi important que le chant. Plusieurs intrigues différentes – qui divisent l’œuvre en entrées – y sont reliées par une thématique commune que souligne l’attribution de rôles et de personnages des diverses entrées à deux ou trois mêmes solistes, ce qui sera le cas aussi dans cette production.

L’œuvre tient sa genèse même de la danse. En 1725, cinq chefs amérindiens de la région actuelle de l’Illinois furent présentés à Louis XV et on les vit plus tard danser trois danses de leur peuple au ThéâtreItalien; Rameau s’en inspira pour l’une de ses pièces de clavecin, le rondeau Les Sauvages. La thématique des Indes galantes est simple: à l’époque, tous les rivages éloignés sont des Indes – occidentales, orientales, asiatiques, américaines – et galant a bien plus le sens d’érotique que de prévenant. Fuzelier, le librettiste, s’inspire de l’engouement de l’époque pour les relations de voyage – Jésuites, aventuriers, premières traductions des Mille et Une Nuits – pour prouver en quatre entrées que l’Amour règne en maître même dans les climats les plus exotiques. Ce fil rouge relie «Le Turc généreux», «Les Incas du Pérou», «Les Fleurs (Fête persane)» et «Les Sauvages» que Rameau n’ajouta à l’œuvre qu’un an après la première, une idée géniale qui fit tout le succès commercial de l’œuvre, à l’affiche de l’Opéra 185 fois du vivant du compositeur.

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Le prologue pose la prémisse de l’œuvre. Hébé, déesse de la jeunesse, déplore la séduction de ses fidèles par Bellone, déesse de la guerre, qui leur promet la gloire des armes. Hébé appelle donc l’Amour à la rescousse pour qu’il envoie ses Cupidons «porter [leurs] armes et [leurs] fers / Sur les plus éloignés rivages», recruter guerrières et guerriers pour la cause galante. Chaque entrée décrit, dans un endroit différent du monde (Turquie, Pérou, Perse et quelque part entre le Texas et la Louisiane), le conflit érotique entre «conquis» et «conquérants».

Lydia Steier, metteuse en scène d’origine étasunienne, très active sur les scènes de l’espace germanophone, connaît Rameau par son travail de chorégraphe (pour Calixto Bieto sur Platée à Stuttgart en 2013) et son passé de chanteuse la rend spécialement sensible aux contours exquis des mélodies ramistes. Elle imagine donc deux camps: les «galants» d’Hébé, avec lesquels nous faisons connaissance au cours d’une célébration des plaisirs de la chair, et le cortège de Bellone qui veut imposer unité, ordre, tradition et autorité aux suivants d’Hébé. Pour les deux camps, la motivation réside en un danger mal défini qui menace leur environnement. Les uns cherchent une solution dans des jeux dionysiaques, presque apocalyptiques; les autres cherchent à se rendre maîtres de la situation par l’imposition d’un ordre strict.

Nous sommes, très littéralement, dans le (Grand?) théâtre d’un conflit joué en quatre entrées devant le ballet des belligérants par une troupe de baladins qui essaie tant bien que mal de mesurer sa créativité à l’adversité ambiante. Mais quand les bombes se mettent à tomber, il n’y a plus de conquérant ou d’opprimé de part et d’autre sinon deux parties sinistrées. Il faudra imaginer et découvrir ensemble une nouvelle société des nations. Lydia Steier: «C’est une préoccupation importante pour nous, particulièrement à Genève, la ville qui joue un rôle prépondérant dans les droits humains dans le monde, de ne pas pointer un doigt accusateur sur autrui, mais nous le mettons volontiers là où ça fait mal.» Son propos résonne puissamment à notre époque où se fissurent et s’émiettent les grandes unions internationales: que nous reste-til lorsque des attributs essentiels – pouvoir, argent, culture, religion, environnement, tous nos moyens de subsistance – nous sont retirés, sinon notre humanité?

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Voltaire once wrote, with his usual waspish wit, that in Geneva, “the great Rameau’s music is unknown”. Even if it is true that Rameau’s works have hardly ever been performed at the Grand Théâtre, the time has come to end to this long separation with a splendid flourish of humanism and love. And what work by le grand Rameau is more suited to reconciliation, more international and in the “spirit of Geneva” than Les Indes galantes?

Rameau was 50 years old when his first tragic opera, Hippolyte et Aricie, was performed at the Paris Opera in 1733. The composer had an obvious gift for sumptuous melodies and colourful harmonies, but Paris, fed on a diet of Lully’s tragédies lyriques, did not quite know what to make of it. Rameau tried a different tack and another genre with Les Indes galantes in 1735, an opéraballet with a far higher potential for entertainment since dance plays just as important a role as song in its composition. An opéra-ballet will feature several different one-act plots – known as entrées – that have a common theme, highlighted by attributing the roles of each entrée to the same two or three performers, which our production for Geneva also does with a particular dramatic intent.

The opera was, in a certain way, generated through dance. In 1725, five Native American chiefs from what is now Illinois were presented to King Louis XV in Paris, where they also performed dances of their people for the public at the Théâtre-Italien; dances that were to provide Jean-Philippe Rameau with the inspiration for one of his keyboard pieces, the rondeau Les Sauvages. The theme that holds the whole work together is quite straightforward: Love reigns supreme, even in the most exotic climes. At the time, most faraway shores were known as “Indies” and the “gallantry” in the opera’s title has more to do with things erotic than simply holding the door open for ladies. Rameau’s librettist, Fuzelier, was inspired by the best-selling travel literature of his time: Jesuits, adventurers, the first translations of the Arabian Nights, and penned four entrées to prove his point: “The Generous Turk”, “The Incas of Peru”, “The Flowers (Persian Festival)” and “The Savages of America”, this last part only added by Rameau one year after the work’s premiere, a stroke of genius that made Les Indes galantes a box office hit, with 185 performances at the Paris Opera during Rameau’s lifetime.

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The opera’s prologue sets the tone: Hebe, Goddess of Youth, bemoans the loss of her followers to the ranks of Bellona, Goddess of War, who promises them military glory. Hebe asks Love to send his Cupids to recruit warriors all over the world for the “gallant” cause. Four successive tableaux take us to different parts of the world (Turkey, Peru, Persia and somewhere along the border of Texas and Louisiana), each describing the erotic conflict between the “conquered” and their “conquerors”.

US-born stage director Lydia Steier, particularly active in the German-speaking countries, knows Rameau from her past work as a choreographer (to Calixto Bieto’s Platée in Stuttgart in 2013) and as a singer familiar with the composer’s exquisite vocal lines. She raises the curtain on the followers of Hebe, as they undertake a celebration of the flesh. Bellona barges in with her troops, imposing unity, order, tradition and authority to Hebe’s crew. Both sides are motivated by an ill-defined sense that their way of life is endangered. One side loses itself in games of a Dionysian, almost pre-Armageddon, nature. The other does all it can to regain control by imposing martial law.

We are, quite literally, in the (Grand?) theatre of a four-act conflict played before the ballet of the belligerents by a band of bumbling thespians. Until bombs start falling and each side pays its tribute. In the end, there is no conquered and no conqueror, just two devastated parties and nothing more to do except work together on a new league of nations. Lydia Steier: “This is an important aspect of our project for Geneva, a city which stands for human rights like no other in the world, not to point an accusing finger at anyone, but we have no problems sticking it where it hurts.” These words resonate deeply in our time of crumbling multilateralism and disregard for international unions: what is left when we are stripped of all essential values — power, money, culture, religion, environment — if not hope in our humanity?

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