Dialoguer avec le lecteur colóquio mário dionísio

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Colóquio Mário Dionísio Dialoguer avec le lecteur I. Le corpus Il existe deux versions de ces contes, publiées la première en 1944 et la seconde plus de vingt ans plus tard. En outre, se trouve à la Casa da Achada - Centro Mário Dionísio un exemplaire de la première édition sur lequel l’auteur a annoté les corrections manuscrites qu’il prétendait introduire pour la réédition du texte. Il y a même deux séries de corrections, les unes en noir, les autres en rouge, plus d’ultimes et très rares retouches en bleu. On peut donc comparer grosso modo quatre versions de chaque conte de la première édition – la seconde s’intitule: O dia cinzento e outros contos, annonçant dès le titre l’ajout de plusieurs contes inédits. Mário Dionísio, dans son «Evocação em forma de prefácio», ne fait pas mystère des retouches apportées mais ne leur attribue d’autre motif qu’un souci de «perfectionnisme» et ne s’étend que sur le premier conte, «Nevoeiro na cidade», pour expliquer que des raisons évidentes de censure l’avaient conduit dans la première édition à lui donner comme décor Paris sous l’occupation allemande pour justifier l’ambiance d’activité clandestine qui compose le squelette de l’intrigue, et que cette précaution n’ayant plus lieu d’exister le récit était désormais ramené à son cadre véritable, lisboète, et les personnages reprenaient leurs noms portugais originels. Or il semble que l’auteur ait ainsi voulu éluder le profond travail de réécriture auquel il s’est attelé en vue de cette réédition. D’une part le déplacement géographique du premier conte n’a d’autre incidence que l’onomastique – les décors, intérieurs comme extérieurs, sont décrits de la même façon, avec les mêmes adjectifs, situant le conte dans un milieu urbain plus indéfini que dans la plupart des autres contes –, d’autre part les corrections lexicales et syntaxiques sont en tel nombre qu’on ne saurait se satisfaire d’un souci de «perfectionnisme» comme explication. Au vrai, alors que la construction globale des récits est restée inaltérée, dans certains contes plus de la moitié des phrases ont été retouchées, voire totalement réécrites, si bien qu’un simple relevé du type de corrections apportées permet de tracer des vecteurs orientant, au-delà de ces corrections, la «nouvelle» conception de l’écriture narrative de Mário Dionísio dans les années soixante. On constate immédiatement que le nombre de suppressions est sensiblement équivalent au nombre d’ajouts ou de transformations. Chacun de ces types de correction nous éclairera sur le souci de l’auteur, nous permettra de comprendre la valeur idéologique de son «perfectionnisme». Mário Dionísio signale en outre l’influence des auteurs américains de short stories. Il omet curieusement de référer certaines polémiques auxquelles il a pris part, à propos du «néo-réalisme» portugais et du «nouveau roman» français, qui éclairent pourtant le sens des modifications stylistiques introduites dans son texte. II. L’analyse L’accès à quatre états du texte permettrait sans doute d’élaborer, sur la base des modifications introduites d’une version à l’autre, une analyse de l’évolution stylistique de leur auteur et de dégager les critères de, sinon «perfection», amélioration justifiant ses choix de réécriture. Tel n’est toutefois pas notre propos. Les corrections manuscrites ne seront ici considérées que comme indices d’un travail inconscient menant à un changement profond d’attitude tant à l’égard du fonctionnement de la narration, voire du rôle de la littérature, que de la tâche attribuée au lecteur dans un rapport au texte et à la culture qui exclut le simple «divertissement». La méthode adoptée est, dans un premier temps, strictement comparative, mesurant l’écart entre la première version et celle, définitive – elle reste inaltérée lorsqu’une troisième édition en format de poche voit le jour en 1978 –, de 1967, et tentant de dégager les lignes principales orientant ces retouches, sans s’attarder aux diverses propositions et hésitations que révèlent les corrections manuscrites. Il s’agit, scolairement, de relever, grouper, quantifier les types de modifications apportées. Nous nous pencherons avant tout sur le premier conte, «Nevoeiro na cidade», car c’est sans doute celui qui aura reçu le plus de retouches et les plus profonds changements – en particulier la fin du conte où, après avoir simplifié la description du café, avec ses indics attablés à leur place habituelle, il finit par tout bonnement la supprimer et laisser un dénouement ouvert et tragique (arrivée au café et


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