LA MORT BUISSONNIÈRE
saguenail (textes) corbe (dessins)
GOG, MAGOG ET DÉMAGOG
Tous les calculs à refaire L’espace et le temps sont des catégories conceptuelles pour appréhender le réel. Elles ne sont pas tirées du réel mais projetées sur lui. Le promeneur, l’arpenteur de l’espace, effectue un parcours tandis que l’esprit calcule une distance. De même un auditeur ou un spectateur expérimente une sensation d’entrain ou d’ennui tandis que l’esprit estime une durée. L’espace et le temps s’avèrent ainsi mesurables indépendamment de l’expérience pragmatique de leur traversée. Ces évaluations, qui ne dépendent ni de l’humeur ni de la fatigue, sont invariables. Or tout individu sait qu’en pratique traverser une grand-place déserte ou pleine de monde, une prairie dégagée ou une forêt touffue, sont des actions forts différentes, qui se distinguent aussi bien au niveau de la distance effectivement parcourue que de la durée de leur accomplissement. L’esprit ne tient pas compte de ces conditions concrètes, car il tourne à vide; ou plutôt il considère un espace et un temps idéels, vides, à son image. Si bien que pour être applicables, les mesures spatiales devraient être assorties d’un facteur de densité d’occupation de l’espace en question. Ce coefficient altère évidemment tout autant la dimension temporelle. Tout automobiliste sait combien le même parcours prendra plus ou moins de temps selon qu’il l’effectuera à une heure creuse ou à une heure de pointe. C’est encore une fois le facteur densité, qui se traduit ici en rencontres, voire collisions, facteurs à leur tour de changement. Comme on peut distinguer un espace plein et un espace vide, on doit considérer un temps continu, distinct voire opposé d’un temps muable. Le temps cosmique est relativement stable, dans la mesure où le télescopage d’étoiles ou de planètes aux orbites déterminées par la gravité reste rare. De même les aborigènes du Pacifique, isolés dans leur territoire insulaire, ont vécu un temps uniforme, sans heurt ni changement, sans progrès, tant que les navigateurs occidentaux n’avaient pas débarqué. Un espace vide permet l’accélération. Un temps fixe peut caractériser aussi bien l’immobilité que la régularité des mouvements, voire un grouillement s’il est constant. À la géodésique des obstacles, il convient d’ajouter les flux et reflux réguliers ou ponctuels de leur densification. 4
La première conséquence de la prise en compte du facteur densité est la formulation d’un corollaire de la théorie de la relativité qui a introduit la notion fondamentale de point de vue dans la perception des phénomènes spatio-temporels – durée, distance, mouvement, vitesse – et justifié le décentrage des coordonnées en fonction de la position de l’observateur. En effet, les variations dites subjectives, donc aléatoires et impondérables, dans l’appréciation de ces dimensions reformuler aussi bien les notions de perception individuelle des distances que de temps psychologique, mais de l’autre impose de réviser les valeurs de ces données au niveau théorique pour les rapprocher d’une estimation réelle. Ce facteur, s’il implique la reformulation de la quasi-totalité des axiomes existentialistes, pourra en revanche servir de critère pour objectiver le bilan que chacun fait un jour ou l’autre de sa propre vie – combien de rencontres, combien de changements plus ou moins radicaux de «situation», motivant soit l’obstination soit l’abandon, soit le retroussement des manches soit le retournement de la veste – ou qu’en dressent les biographes, mettant en cause des clichés aussi simplistes que «vivre vite» et réévaluant le concept de longévité, partant, de progrès en médecine. Par ailleurs, au plan pholdulogique, l’application d’un tel facteur aux mesures spatiales et temporelles permet, par exemple, d’établir en peinture une règle de proportion entre la dimension respective des plages d’une même couleur et le degré de vide ou d’occupation de l’espace représenté; en théorie du cinéma, elle rétablit le rapport de solidarité entre le champ cadré et la composition de l’image, rendant caduque la priorité attribuée au personnage dans la définition de l’«échelle des plans»; corrigeant les conceptions trop grossières et simplistes du rythme, elle permet, accessoirement, de mathématiser les propositions de montage d’Eisenstein en fonction du nombre d’éléments nouveaux, donc de chocs et d’altérations, d’un cadrage à l’autre, d’un plan à l’autre; etc. Car la réalité n’est mesurable qu’une fois convertie en image. 5
Sort jeté Il y a deux sortes de sorcières, les bonnes et les mauvaises. Les bonnes sorcières s’appellent des fées. Mais il y a de méchantes fées et de gentilles sorcières. Il y a des sorcières qui font pleuvoir ou jaillir l’eau, ce sont des sourcières. Il y en a qui vous transforment en souris, ce sont des souricières; il y en a qui vous transforment en cochons, ce sont des circières. Il y en a qui vous mangent en ragoût avec assaisonnement, ce sont des saucières. Car les sorcières souffrent de défauts de prononciation et se trompent souvent en articulant leurs formules magiques, si bien que l’effet de leurs imprécations est imprévisible. D’autant qu’elles y multiplient les virelangues. Il suffit d’une erreur de phonétique, d’une contrepèterie, pour obtenir le résultat contraire. Par exemple, si au lieu de dire «crique que croque, trique te troque», qui est la formule pour changer la bouse de vache en chocolat, tu prononces «brique que broque, fric feu froc», tu vois instantanément tes bonbons au chocolat se changer en crottes de bique. Presque tous les mots étaient au départ des formules magiques, qui ont peu à peu, pour cause d’oubli ou d’incroyance, perdu leurs pouvoirs. Mais certaines paroles conservent encore toute leur puissance. On sait que le mot «sésame» fonctionne comme une clé quand on le prononce devant la bonne serrure, même ou surtout si celle-ci est invisible. Mais le mot «foin» et le mot «blé», répétés trois fois de suite très vite, peuvent aussi déclencher un éboulement ou une avalanche. En fait, presque tout ce qui tombe du ciel, la pluie, la nuit, le soleil, le brouillard ou l’arc-en-ciel, provient d’une formule énoncée inconsidérément ou inconsciemment par quelque mécréant. Il suffit que maman dise «au lit!» pour que le sommeil descende et que les paupières s’alourdissent. Car presque toutes les mamans sont des sorcières. Elles préparent des potions magiques, qu’elles appellent «soupes», pour faire 6
grandir. De temps en temps, elles pèsent et mesurent leurs enfants pour vérifier l’efficacité de leurs potions. Si elles constatent qu’elles ont oublié un ingrédient, elles se rattrapent sur les légumes et obligent à faire des bouchées doubles. Certaines vont jusqu’à affirmer que plus une potion a mauvais goût plus elle est bienfaisante. Tout comme les médicaments. De toutes façons, fées et sorcières agissent toujours «pour votre bien», aussi ne vous demandent-elles pas votre avis. C’est leur point commun, qui empêche parfois qu’on les distingue les unes des autres. Certaines formules, dites «psychologiques», ont des effets doubles et contradictoires; elles se reconnaissent au fait qu’elles sont composées d’une syllabe répétée; par exemple, prononcées dix fois de suite le plus vite possible, «pipi», «caca» ou «cucul» ont cet effet paradoxal de faire rire les petits enfants et mettre en colère les parents. Essayez et vous verrez. La tâche des sorcières, ou des fées, est d’exaucer les souhaits. Si les gens ne croient plus en elles, si la modernité a rendu caduque leur nécessité, ce n’est pas qu’elles ont disparu mais que les gens n’émettent plus de souhait qu’ils ne puissent satisfaire moyennant un chèque ou quelques billets de banque. Ils sont devenus «réalistes». Et tristes. Ou blasés. C’est ce qu’on appelle la «satiété de consommation». Les sirènes troquent leur voix pour des jambes, les sorcières leurs formules pour une chirurgie plastique ou un dentier. Car les sorcières étaient vieilles et laides, et aujourd’hui tout le monde est jeune et beau. La magie naît du manque. Aujourd’hui on se satisfait du «virtuel». La croyance est superflue. Les enfants grandissent trop vite, atteignent trop vite cette vacuité de l’âge adultéré, si bien que les fées-mères ne durent pas. Princes et princesses se sont fonctionnarisés, sans être malheureux ne sont pas heureux, et n’ont plus beaucoup d’enfants. 7
I «pas mon genre»
In specula speculorum (pholdulogie générique)
On naît filles on naît garçons On vit en chantant des chansons On meurt en buvant des boissons Charles Cros, «Insoumission» in Le coffret de santal
Toute tentative de réponse personnelle à l’injonction socratique oblige à une réflexion sur les critères de distinction du «toi-même» par rapport à tous ceux qui l’entourent. La question du genre ne saurait être évitée: on ne naît pas plus homme qu’on ne naît femme, «on le devient», même si la «domination masculine» a étayé ses privilèges sur une apparence de naturalité, partant, ni problématiques ni questionnables. Or pour se comparer à l’«autre» il est nécessaire de se mettre à sa place. Le risque est double, de projection d’une part, de confiscation de la parole de l’autre. Les mouvements féministes ont entrepris des luttes pour se dégager d’une condition d’infériorité socialement imposée où le paternalisme n’était pas leur moindre ennemi. Il est indispensable donc de commencer par définir le lieu, ainsi que la trajectoire suivie, d’où le «je» prend la parole.
Né garçon – ma mère disait «ne pas aimer les filles» –; si précoce dans d’autres domaines, tardif en ce qui concerne l’information sexuelle – je me souviens de conceptions aberrantes (naissance par l’anus) élaborées encore à l’âge de onze ans –; après un dépucelage décevant, intense désir de devenir fille, allant jusqu’au travestissement – expérience du maquillage et des sous-vêtements féminins maternels –, au racolage homosexuel – les ulcérations rectales, premières manifestations de la «maladie de Crohn» que j’ai portée toute ma vie, résultent à l’âge de treize ans d’une première défloraison anale brutale – et au refus de l’évidence: convaincu que les saignements constituaient le premier indice (menstrues) du changement de sexe souhaité, je dissimulai pendant des semaines ces symptômes qui conditionnaient pourtant tout mon quotidien; première passion amoureuse adolescente, hétérosexuelle, ne comportant de part et d’autre aucun engagement de fidélité, qui n’a pas résisté à la flagrance d’attentes différentes lors 8
d’un périple africain; prostitution au retour d’Afrique – courte expérience, mais suffisamment violente (tant humiliations que sévices) pour condamner peu après la seule passion amoureuse homosexuelle que j’aie vécue (malaises physiques provoqués par le moindre attouchement) –; rencontre capitale enfin de celle qui est devenue ma femme et qui partage ma vie depuis quarante ans – nous avons eu ensemble trois enfants –; last but not least, suicide par absorption de barbituriques suivi de trois semaines de coma profond, d’où je suis revenu en partie altéré, certaines capacités ayant au cours de cette léthargie été éveillées – l’écriture en premier lieu –, d’autres refroidies – en particulier, après une courte flambée du «démon de midi», la libido (andropause précoce) –; je considère le répit qui m’a été octroyé par la médecine comme une seconde vie.
Je ne suis guère sujet au sentiment de pudeur. J’ai déjà évoqué ces expériences dans d’autres textes – depuis «Parti pas pris» jusqu’au «Pot aux roses» (ce dernier, inédit) – mais je n’apprécie pas particulièrement la littérature confessionnelle: l’expérience individuelle ne vaut que dans la mesure où elle est partageable (où l’«autre» peut s’y reconnaître) et où les réflexions qu’elle inspire au sujet qui l’a vécue le débordent (où l’«autre» peut les discuter, les contester ou les corroborer). Sans aller comme le professeur Higgins de «My fair lady» jusqu’à souhaiter que ma compagne soit un homme, mon idéal d’amour est modelé par l’amitié – à une époque, je n’hésitais pas à coucher avec mes ami(e)s – pas forcément «virile», et suis aujourd’hui persuadé que la puissance de cette passion réside dans sa qualité de sentiment, sans limites physiques, que le véritable amour, en dehors de toute chasteté, est platonique (il est clair que je ne défends pas une conception d’amour chaste, simplement, pas plus que la reproduction, le plaisir n’est directement lié à l’affect). Ni Don Juan ni moine – la virilité aussi est soumise à des images, à la fois exemplaires et excessives, donc inatteignables (Camus fait du premier un archétype de la conscience de l’«absurde», en paradigme avec le «conquérant» et le «comédien», le kapo et le cabotin) –, j’appartiens à une génération qui est passée du lyrisme au cynisme, confondant libération et laxisme, et c’est parce que je constate qu’en dépit d’importants efforts et combats la société continue de se reproduire avec les mêmes défauts, tabous et préjugés, que j’en viens à me dire que les problèmes ne sont pas résolus parce qu’ils ne sont pas bien posés. Les spéculations qui suivent n’ont pas d’autre prétention: poser des problèmes. 9
II «inter fæces et urinam» Je (pro)poserais comme postulat initial que, dans la mesure où la mort n’est qu’une fin et pas une phase, donc ne saurait être objet de connaissance, la vie se déroule entre la naissance et l’indéfini et que l’expérience fondamentale, la seule qu’on puisse interroger, est l’accouchement.
Il constitue en effet un seuil extrême, à la fois physique – dilatation de l’utérus – et psychologique – mise au monde d’une nouvelle créature, fin d’un lent processus de gestation – auquel nulle autre expérience humaine ne saurait se comparer. Il représente un relatif absolu. J’ai déjà tenté de formuler cette intuition que toutes les pratiques sexuelles ne font que mimer – poussée, tension et expulsion – en miniature cet acte originel ou «prologal»: tant le coït – le con ou l’anus finit par évacuer la bite ou son substitut – que l’éjaculation masculine – se vider du sperme comme d’un fœtus –. Il me semble exister une indubitable parenté entre la «tristesse» post coïtum, la dépression postnatale et le mythe de l’expulsion du jardin d’Eden présent sous une forme ou une autre dans presque toutes les cultures. L’accouchement exige un effort excessif, au-delà même de l’orgasme, où douleur, plaisir et autres sensations irréductibles à une nomination, se confondent sans retour. Devenir femme s’opère par des voies subtiles et multiples, préparant dès l’enfance les filles à cette épreuve suprême – qui justifie rétrospectivement toutes les souffrances endurées pour cause de différence, de la dissemblance morphologique aux saignements réguliers, de l’infériorité sociale à l’inégalité salariale, leur conférant un statut et une fonction vitale, voire métaphysique: la continuité de l’espèce (sans parler du rachat religieux, que reprennent grossièrement les dictons populaires: «il n’y a qu’une mère», «toutes les autres femmes sont des putes») – tout en détournant leur attention vers des préliminaires – séduction – plus légers, plus plaisants (même si plus contraignants), surtout plus façonnables par l’imagination – car il s’agit d’images – masculine. L’embourgeoisement d’une partie de la société se traduit tendanciellement presque immédiatement par le refus d’une telle mortification: les femmes en situation d’ascension sociale se soumettent, au plus, une seule fois – de plus en plus tardivement – à l’opération (présentant désormais tous les dehors de l’intervention chirurgicale et se déroulant le plus souvent sous anesthésie). 10
Grossesse et accouchement sont les deux performances refusées aux hommes. Ils en devinent la démesure sans pouvoir l’éprouver. Tout leur machisme peut être déchiffré comme un masque – à l’instar des hauts talons: il s’agit d’être «à la hauteur» – pour camoufler leur complexe de n’être pas sûrs de supporter un tel paroxysme d’effort douloureux soutenu, pour compenser leur rôle, sinon secondaire, substituable dans le processus de reproduction génétique, éventuellement pour se venger de n’avoir pas pu satisfaire leur désir œdipien infantile. Toutefois, si l’on en croit les médecins et biologistes, il semble que jusqu’à la section symbolique du cordon ombilical, l’enfant est en totale symbiose avec la mère, recevant non seulement l’alimentation sanguine mais percevant les humeurs, joies et angoisses, transmises par le biais des nerfs et autres communications entériques. Si bien que la naissance est vécue par le nouveau-né simultanément et indissociablement comme accouchement et comme prémices, avant l’obscure prise de conscience de la séparation. Le «traumatisme de la naissance» analysé par Otto Rank relève non pas tant d’un «stade pré-œdipien» que de l’obscur sentiment de déchéance lors de la perte de la solidarité fusionnelle avec le corps maternel – dont la satisfaction fantasmatique du désir œdipien ne saurait constituer un recouvrement, tout au plus un pis-aller, une caricature –, voire d’abandon – «naître orphelin» –. Tout comme le statut filial détermine la condition humaine – cf. «Pholdulogie filiale» in «Tout le tremblement» –, l’accouchement constitue, indépendamment du sexe des sujets, la seule expérience universelle.
Les femmes peuvent, par crainte, chasteté, orientation homosexuelle, engagement féministe, stérilité ou autre, refuser cette épreuve. La plupart devront trouver un usage dévié à leurs seins – rares sont les amazones qui n’hésitent pas à les couper, la tendance est plutôt de les modeler par injection de silicone –, en faisant un outil de régression infantile pour leur partenaire, ajustant les formes de leur corps aux modèles conçus par le désir masculin et, subséquemment, acceptant le statut forgé par une société sexiste. Curieusement, dans son livre «La femme eunuque», où Germaine Greer décrit et dénonce cette automutilation à la fois physique et mentale des femmes, les problèmes concrets de la maternité sont oblitérés: ce qui m’apparaît comme le noyau central de la problématique du genre – mais l’approche masculine de l’accouchement ne saurait être que fantasmatique – fonctionne pour la féministe comme un trou noir, brillant par l’absence. 11
III «gravius iusto nec pro materia» Les autres considérations me semblent conditionnées par ce pôle, même si les rapports entre sexes et les rapports sexuels n’ont pas la procréation comme but avoué. La recherche effrénée du plaisir se solde dans la plupart des cas par l’expérience de la déception. C’est elle, et non pas la jouissance, qui motive la répétition. Mis en balance avec l’intensité des sensations lors de l’accouchement, tout autre événement paraît dérisoire. La gésine engendre la multiplication des ersatz. Pourtant Galien ajoute un «praeter» à son constat. La volupté féminine a questionné aussi bien les dieux – la cécité de Tirésias est d’abord reflet de l’aveuglement des olympiens – que les intellectuels – les fameuses «recherches sur la sexualité» menées par le groupe surréaliste et dont seules les deux premières séances (sur douze) ont été publiées dans le numéro 11 de «La révolution surréaliste» en 1928 (ce qui peut paraître cinquante ans plus tard du niveau d’une conversation de collégiens, d’autant que les femmes n’y participaient pas, était à l’époque d’une audace inouïe: le tabou a été entretemps levé mais les préjugés n’en ont pas pour autant été abolis) –. Obscurément, les mâles frustrés, dieux ou artistes, attribuent à la femme le privilège d’un orgasme qui, tout comme grossesse et accouchement, leur est inaccessible.
L’évidente différence physiologique entre la femme et l’homme tient à la visibilité des organes génitaux: le pénis est externe, le vagin interne – le clitoris à fleur de peau –. Une conséquence immédiate tiendra à la circonscription de la jouissance au phallus, appendice extérieur, par opposition à l’irradiation au corps entier de celle de la vulve, muqueuse intestine. Cette disparité spatiale du rayonnement du plaisir chez l’un et l’autre sexe sera a priori (sur ce point mon expérience personnelle ne saurait fonder une statistique) inversement proportionnelle au temps – délai, durée, vitesse – requis pour atteindre l’orgasme. J’imagine que la plupart des machos sont des éjaculateurs relativement précoces et la majorité des femmes des «frustrées» sexuelles, mais que cet aveu est absolument tabou. Tels sont probablement les motifs concrets d’une déception ontologique – dont les avatars idéalistes, «absurde» camusien constatant le «divorce entre l’esprit qui désire et le monde qui déçoit» ou «nausée» sartrienne, ne sont que des images tournant autour de l’innommable pot de l’insatisfaction sexuelle – que ne sauraient résoudre les conseils éculés des sexologues qui ont, libération des mœurs oblige, remplacé le «courrier du cœur» de nos parents. 12
L’histoire de l’humanité est celle d’une séparation d’avec la nature en faveur d’une organisation policée – de «polis», la ville – et civile. Le maintien des fonctions naturelles de reproduction ne va pas sans contradictions ni «malaise dans la civilisation». La surévaluation des plaisirs de la chair, indispensable à l’accomplissement des rites de fécondation a historiquement été obtenue par deux voies complémentaires: la prohibition – qui attise la curiosité et confère à l’acte une plus-value de transgression oblitérant la conscience immédiate de la déception – et la mythification – le mythe de l’amour, originaire sans doute de la Perse, est socialement si transgressif, ne respectant les divisions ni de castes ni de classes, qu’il est donné comme «aveugle» et irrésistible; il est toutefois d’essence tragique car ses promesses ne sont pas durables (on sait que la formule finale des contes de fées est de pure convention, ramenant l’univers magique au prosaïsme du «principe de réalité» – cf. «Le cadavre de l’ange») et le désenchantement, la «perte des illusions», commence souvent au lendemain des noces –. La tombée du tabou au cours du vingtième siècle semble avoir surtout porté sur l’approche verbale de la sexualité – avec d’importants effets au plan juridique – sans notable modification des connaissances – Kinsey reste un pionnier, pourtant les résultats de son enquête, bien qu’amplement divulguée, ne suffisent pas à ébranler les «idées reçues»: en matière de sexualité comme dans tout autre domaine le préjugé fait office de savoir – ni des pratiques – la libération des mœurs semble infime en regard de cette autre transformation sociale: la dissolution de la structure familiale et clanique traditionnelle au profit de cercles et de réseaux – ni même, mise à part son accessibilité, de l’iconographie. Certaines figures se maintiennent, bien que discutables et loin d’être universelles, indiscutées – le couple – tandis que d’autres restent, sinon occultées, peu approfondies – la masturbation –; un grand pas sera accompli lorsque l’apport de l’«autre» sera conçu comme un complément et une ouverture indispensables à l’accomplissement de l’«ego» et pas seulement comme une assistance dans la quête du plaisir. Quant au bonheur, il est encore «une idée neuve en Europe» et reste à définir. Au-delà de ces banalités, mes spéculations ne sauraient se fonder que sur une expérience individuelle – parcours à la fois très ordinaire et néanmoins atypique – donc non généralisable. Ce qui est du ressort
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de l’interprétation s’avère souvent délirant – même quand il s’agit de spécialistes ou de savants: depuis les gloses symboliques des contes de Poe par Marie Bonaparte jusqu’à l’association des paysages d’Yves Tanguy à l’onanisme et aux pollutions nocturnes par Xavière Gonthier –; ce qui relève de l’opinion se ramène fréquemment, sous des dehors provocateurs, au préjugé – ainsi on peut observer dans les chansons de Georges Brassens un glissement de la reconnaissance comique de la sexualité féminine et de ses appétits dans «Gare au gorille» à la doléance condamnant cette même fringale dans «Les casseuses»; lorsqu’il semble attaquer les ridicules prétentions de la virilité et prendre la défense des femmes, dans «Quatre-vingt-quinze pour cent», il attribue à ces dernières, et à elles seules, un sentimentalisme essentiel, restaurant un des plus éculés clichés forgés par la domination masculine; sa misogynie n’est jamais «à part» mais au contraire bien apparente sous les dehors de la farce: misogynie à part entière, apparentée au fond grivois que le poète affectionne –. Héritier d’une culture masculinement dominée, ma perception et ma réflexion sont conditionnées par mon genre. Je ne saurais dans la guerre des sexes vider l’abcès, tout au plus dévider – évider – des évidences. Ma principale justification dans le choix de procréer tient à l’espoir que mes enfants – la génération suivante – soient meilleurs que moi et contribuent à l’amélioration de l’état de la société; elle est encore redevable d’une idéologie de l’évolution et du progrès éclose deux siècles plus tôt. Or il n’y aura d’avancée dans la pensée que lorsque la réflexion et son expression seront l’apanage de tous, que la philosophie – même à deux sous – comme la poésie sera «faite par tous».
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INTER PARES
Haut et Court
Haut réclame la distanciation, faute d’atteindre le complet détachement. Haut refuse la vision égocentrique qui définit les règles de la perspective, lui oppose la vue panoramique, l’écart impliqué par l’application de la loi de la relativité. Haut va jusqu’à prôner un regard, il ne dit pas hautain mais aristocratique, s’élevant au-dessus de la trivialité des soucis quotidiens et des habitudes de pensée acquises, un regard d’aigle, voire d’extraterrestre à défaut de divinité. Solidaire toutefois. Son perchoir favori est dans les arbres, à califourchon sur une grosse branche. Comme un gamin, en dépit de ses grands airs. D’ailleurs, une lueur espiègle souvent dément le sérieux qu’il prétend arborer, sans compter qu’il exhibe ses égratignures comme des trophées. «Enfant trop grand, enfant mal décidé à l’homme», ses conceptions sont le produit de sa taille de perche, de «grand Duduche».
Court prétend qu’il faut plutôt chercher des raccourcis, quitte à simplifier, car l’éloignement fait courir le risque de perdre de vue l’objet de l’attention, de se laisser distraire en chemin, de tourner en rond faute de centre et surtout d’atteindre une conception si abstraite que les détails significatifs sont oblitérés par la vue d’ensemble. En outre, la multiplicité et la diversité des nuances observées finissent par produire une confusion suffisante pour faire oublier le but. Mieux vaut la ligne droite et la conclusion sans détour. Sans dogmatisme non plus, car Court se régit sur des praxis et des réalités, non sur des principes. Il défend en outre le recours à l’humour; il a le secret des meilleures plaisanteries. Il possède le sens de la répartie et désarme son contradicteur par son impudeur et par surprise. Quand il est à bout d’arguments, il se contente de répéter à voix forte: «Court toujours!». 17
Clair et Net
Clair se pique de manier la rhétorique, au sens noble du terme et de la discipline. Toute la question est de choisir ses mots. Éviter les ambiguïtés, les euphémismes, le sens double ou approximatif; mais écarter tout autant les périphrases, les explications, les finasseries. Aller droit au but, sans tergiverser, être concis. Son idéal est l’idéal classique, la rigueur qui n’exclut pas l’élégance. Mais c’est l’auditeur ou l’interlocuteur qui donne la mesure du succès de son argumentation: soit il a emporté sa conviction soit ses efforts sont restés vains. Son principal ennemi est le préjugé bien ancré qui refuse de dire son nom; qu’aucun argument n’ébranle, qu’aucune preuve ne convainc. Les hommes non seulement sont confus dans leurs conceptions mais sophistes dans l’âme. Sa bête noire est la théorie psychanalytique qui soumet sa raison et sa conscience à un «inconscient» inaccessible.
Net a le souci de la propreté. Il aime le poli et l’astiqué en pratique et le défini, à défaut du définitif, en théorie. Il déteste la confusion, le pourrissement, les demi-teintes, la grisaille. Il rêve d’un monde aseptisé où les sentiments n’influent pas sur la raison. Il préfère les jugements tranchés, les paroles tranchantes aux circonlocutions et aux considérations oiseuses. Il manie la vérité comme une arme, sans préoccupation de blesser autrui ni crainte de se blesser lui-même. Aussi se retrouve-t-il souvent seul; mais il assume la solitude comme part intégrante de la condition humaine. Il préfère l’ordre des cimetières à la jungle des villes, les plans de l’architecte aux arrangements du constructeur, l’archétype platonicien à l’âpre réalité terrestre. Sa rigidité éloigne ceux qui l’estiment, le confortant dans sa misanthropie. Ni prude ni puritain, il doit tracer des limites, or les hommes sont des porcs. 18
Bel et Bien
Bel a adopté le critère esthétique. Le monde est trop souvent laid. Il regrette de ne pas être artiste pour l’enjoliver. Ce serait sa mission sur terre. Faute de talent, il cultive sa sensibilité. En toute chose il considère la seule dimension esthétique, les autres aspects ne l’intéressent pas. Il peut apprécier même la «beauté du diable» et les «fleurs du mal». Des cadavres sur un champ de bataille il ne voit que la disposition, ne regarde ni aux causes ni aux conséquences. En art il n’y a pas de hiérarchie entre les objets, seule compte l’émotion pure, ineffable, sans sentimentalisme. Il chérit ce qui présente un caractère unique, inouï, inédit. Le monde le déçoit, le «contemporain» le consterne. L’économie se confond avec la rentabilité et impose la répétition, la routine, la fabrication en série, l’uniformité, la masse. Comment et où fuir? La conscience esthète est une conscience malheureuse.
Bien n’a pas l’esprit missionnaire, seulement consciencieux. Méticuleux même, voire maniaque. Le contraire du tire-au-flanc, car si la servitude est volontaire elle n’a pas l’excuse de l’obligation pour saboter l’ouvrage. Même quand il s’agit de tâches alimentaires, il a du moins la satisfaction du travail bien fait. Il n’y a pas de sot métier et, du moment qu’il n’est pas accompli mécaniquement, tout labeur présente un intérêt. Il ne tisse pas de hautes considérations, il n’est pas théoricien, et ne se soucie pas de l’usage donné à sa production, il n’est pas planificateur. Le fonctionnement de la machine du monde lui échappe, il sent obscurément que le système marche mal mais personne ne lui a demandé de le réparer. Il se veut un infime rouage, un minuscule grain de sable dans le sablier. Il ne craint que le chômage; toutefois, comme il n’est pas trop regardant, la besogne ne manque pas.
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Pur et Dur
Pur n’a d’autre argument que son innocence. Mais elle semble lui fournir une armure invulnérable, capable de résister tant aux coups du sort qu’aux intrigues de ses collègues. Pur ne négocie jamais. Ne transige pas non plus. Il évalue à l’aune de sa propre probité les actes d’autrui et s’en fait le plus implacable juge. Il n’admet aucune circonstance atténuante, ne pardonne aucune faiblesse. Comme il n’a jamais affaire à des saints, il ne sait que condamner. Purement et simplement, sans appel, sans dérogation, sans pitié, sans considération pour l’imperfection trop humaine. Pur est haï, le sait et l’assume. Il y voit la preuve de la corruption ontologique, veulerie et vénalité, de ses semblables. Il leur oppose ses conceptions immaculées, trop belles pour paraître vraies, et se retire dans sa tour, histoire d’y voir plus clairement, de haut, les défauts d’autrui. La solitude est la rançon de la vertu.
Dur veut faire la loi mais se montre trop sensible. Dur joue les durs par crainte de céder. Comme ces sportifs musclés qui craignent d’abuser de leur force. Dur préfèrerait employer la douceur. Comme l’odeur abjecte de la peur excite la férocité du chien, c’est la roublardise et la lâcheté des hommes qui l’oblige à se montrer inflexible; comme la proie suscite le fauve, leur indignité fait de lui un bourreau. Par contraste et par sentiment du devoir. Sourd aux plaintes, il se replie sur ses convictions; appliquant ses principes à lui-même, il est sa première victime. Lui qui se voudrait un exemple moral est vu comme un reproche vivant. Chacune de ses remarques soulève des objections, la moindre remontrance déclenche un plaidoyer. Alors, il se montre implacable, laisse percer la main de fer sous le gant de velours. Car il a la peau dure. Il faut; c’est la dureté qui permet de durer. 20
Bête et Méchant
Bête est sûr de la victoire car il appartient à la majorité: la bêtise vaincra démocratiquement. Quant à la suite des événements, il s’en remet à la conjoncture et à la tendance naturelle à l’équilibre et à la stabilité des systèmes. Selon lui, les crises sont provoquées par les intelligents, qui croient y gagner quelque chose; car on peut être futé et rapace. Les guerres itou. Bête est du côté de la résistance. Par l’inertie. Bête suit le mouvement, il n’est pas soumis. Ni convaincu. D’ailleurs il ne comprend goutte aux discours de Méchant; s’il se range à ses raisons, parfois à ses ordres, et se laisse guider, c’est moins par séduction que par paresse, par commodité. Bête se sait faible et la volonté, plus que la force, l’impressionne et emporte son adhésion. Il sait que l’autre, comme tout le monde, le méprise mais que personne ne l’attaquera de front car sa docilité «peut toujours servir»...
Méchant juge que la passivité est insuffisante, qu’il faut réveiller l’eau qui dort, bousculer tous les conforts, surtout l’intellectuel, malmener la bonne conscience, troubler les esprits, au risque de décerveler. Quitte à provoquer quelques dommages collatéraux. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, toute action comporte sa part de dégâts, visibles ou occultes. Méchant, sans se l’avouer, trouve un plaisir pervers à choquer, voire à violenter, tourmenter, torturer les faibles tout en justifiant ses actes au niveau le plus théorique, comme si la réalité faisait obstacle à la raison idéologique, qu’il convient d’abattre ou à tout le moins d’ébranler. Méchant ne se veut pourtant pas révolutionnaire, seulement actif et réactif, las de se laisser marcher sur les pieds et jugeant que tout est préférable à une paix pourrie. Homme du ressentiment, il compte sur la lâcheté de son prochain. 21
PLUME ET MASQUE
L’impasse
Qu’as-tu as dire que tu n’aies déjà dit, et probablement mieux dit que tu ne saurais aujourd’hui le formuler, toi qui prétendais vouloir ne jamais te répéter, toi qui hais les redites et les clichés, toi qui n’admets comme excuse à la rédaction d’un texte de plus que son absolue originalité, comme s’il était possible avec des mots aussi usés d’énoncer quelque vérité nouvelle, de déverrouiller quelque porte mentale, d’élargir le champ du concevable? D’autant que tu défends la cohérence et la concision de l’esthétique classique sans vraiment croire à la clarté comme critère de conception ni d’énonciation, préférant feindre de te fier aux mots, leur laisser l’initiative, la liberté d’association, l’application du principe élargi de la rime contre la raison rhétorique, le jeu d’écho voire la lallation. Si au moins tu étais inspiré, écoutais des voix intérieures ou une bouche d’ombre, entendais quelque vers ou phrase «cogner à la porte» du crâne pour sortir toute formée, en tenue de soirée, mûrie dans l’inconscient, chenille faite papillon, prête à se présenter au monde, mener le bal, conduire la ronde et éconduire les prétendants à plus d’un titre! Non, rien que des mots sans suite, un assemblage de pièces lexicales appartenant à des puzzles différents mais que la découpe industrielle permet de joindre à condition de ne pas s’arrêter au dessin représenté, un peu comme ces kimonos japonais faits de carrés de soie hétéroclites et qui ont d’ailleurs inspiré les peintres cubistes, et ce pourrait être une technique moderne de collage au détriment du sens mais non, même pas, simplement tu tournes autour d’un pot qui est vide, créant par tes circonlocutions une cible sans mille, une circonférence dont le centre n’est nulle part, un ruban de Moebius discursif, infini et répétitif, ou plutôt une tapisserie mentale qui se défait et dont les fils se déroulent dans toutes les directions à partir de nœuds trop lâches pour les retenir. Maintenant que tu as démarré tu ne peux plus contenir le flux des mots, la coulée continue des phrases qui s’enchaînent, se poursuivent, se mordent la queue, une vraie diarrhée tu en as conscience, tu as parlé déjà d’«incontinence verbale» avec cette nonchalance dont on ne sait trop si elle est aplomb ou légèreté, provocation ou indifférence. Mais il faudra bien que tu t’arrêtes, ne serait-ce que pour manger, pour aller pisser, pour reposer ton poignet raidi par la crampe prochaine et tu perdras le fil, tu n’auras plus 23
d’autre solution que de poser un point provisoirement final même si aléatoire, avant que l’idée ait pu se condenser, montrer son visage ou du moins quelque apparence de signification reconnaissable, pas même une ébauche, un brouillon informe mais tendu vers une signification, ton texte ressemble à un grossier gruau, soupe de mots indigeste dont ne ressort que la fièvre d’écrire, comme une maladie ou un acte de désespoir. Avoue que tu écris par vice, par perversion onaniste, pour le simple plaisir compulsif d’égrener syllabe après syllabe jusqu’à ce qu’un mot émerge, mot après mot jusqu’à ce qu’une proposition se forme, phrase après phrase jusqu’à ce qu’un sens se dégage, sans idée de départ, sans dessein ni préméditation, sans autre motif que l’alignement calligraphique et la dérisoire imitation de l’acte créateur originel, mais sans chair. Et sans doute as-tu élu l’écriture pour l’immatérialité des mots qui empêche le surgissement, du fond de cette bouillie verbale, de ce fouillis textuel, de quelque figure mythique, expression parentale, totem ancestral, révélatrice de mobiles finalement triviaux, mais surtout interdit à ton reflet, car le texte le plus saugrenu est encore miroir d’encre, de prendre corps, de se dégager vivant de la gangue des mots, de s’assumer comme ton double capable sinon de totale autonomie du moins de s’opposer frontalement à toi, de faire sauter tes minables défenses oratoires, coupant les barbelés scripturaux, révélant le chiffre de tes délires savamment construits derrière leur incohérente apparence, désignant l’homme et le dénonçant, d’un doigt tendu ou s’il le faut d’un baiser. Et tu peux toujours arguer que tu ne fais que rétorquer, en correspondance épistolaire quasi spirite avec les morts, te promouvant à bon compte sur leur dos, comme si tu n’étais que le maillon d’une chaîne infinie, alors que tu sais pertinemment que d’eux tu ne retiens que le lieu commun de la langue et que personne ne te liras ni te répondras, que l’interlocuteur que ta parole sollicite s’il se manifestait miraculeusement serait de trop, qu’il n’est qu’un trope, une figure de style pour nommer l’absence, le manque, qui est la condition nécessaire à ce leurre de la communication que tu es capable de critiquer quand il s’agit de réseaux sociaux mais où tu t’englues dès que tu saisis la plume. Tu comprends et admets qu’un véritable poète «avec un stylo n’est jamais seul» mais justement tu fais de l’écriture un acte strictement solitaire où tu mélanges à plaisir inextricablement réquisitoire et plaidoirie, t’érigeant juge et partie pour mieux te condamner. 24
Armure de mots
Il ne s’agit pas tant de se connaître que de se cacher, et pour ce, appliquant la leçon de «la lettre volée», de s’exposer tout en maintenant le contrôle de l’image de soi ainsi présentée, sans vraiment la déformer, en tout cas pas de façon notable, mais après l’avoir nettoyée de ses imperfections, détails révélateurs et autres petits défauts qu’il paraît légitime de gommer, réduire voire effacer totalement puisque tout portrait, et partant tout autoportrait, doit assumer une part d’enjolivement, acceptable quand il ne va pas jusqu’à la falsification, mais qui pourrait se prétendre qualifié pour décider ce qui est plus pertinent ou insignifiant, essentiel ou secondaire, où finit la vérité et où commence le mensonge, surtout si la sincérité n’est pas en cause, d’ailleurs la psychanalyse apporte de l’eau à ton moulin en démontant, et par là démontrant, le mécanisme inconscient qui fait que plus tu cherches à dissimuler quelque chose plus tu la révèles et qu’en éradiquant soigneusement toute trace du crime tu ne fais que précipiter la nécessité intérieure de te dénoncer, encore une fois Poe est le grand précurseur et psychologue, il suffit de relire «le chat noir» pour s’en convaincre, qui est encore une façon retorse de te glorifier de ton forfait, quitte à le forger en partie, tout comme la «scène primitive» freudienne confessée par des patientes hystériques, où le vécu ne se distingue guère du pur fantasme, confondant inextricablement les faits réels et les effets rêvés, non pas par mythomanie pathologique mais parce qu’en dernière instance seule l’infraction t’assigne avec la culpabilité un statut et un rôle personnel, particulier et insubstituable, du moins quelque trait qui n’ait pas été dessiné par d’autres, parents ou instituteurs profitant de la faiblesse enfantine, de sa malléabilité et abusant de leur autorité, ou plutôt cet ensemble diffus et anonyme qu’on appelle «société», pour te l’imposer sinon comme un carcan comme un vêtement trop serré, bien qu’il ait été soi-disant taillé sur mesure, qui limite désormais tous tes mouvements, les étrique, et fausse la conscience que tu peux en avoir, nécessairement partielle, et partiale cela va sans dire, tant et si bien qu’au bout du compte l’adultération prétendue du caractère exhibé ne relève que de la tricherie infantile, ultime tentative pour maintenir un semblant de domination sur ton image alors qu’à ton insu tu reproduis des idées reçues, défends des opinions qui ne sont pas vraiment les tiennes,
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imites des modèles, calques un patron standard parfaitement anonyme selon le principe du prêt-à-porter qui te laisses croire à une expression personnelle de tes goûts affichés dans le choix des habits alors qu’ils sont fabriqués en série à des millions d’exemplaires, la consommation étant le corollaire de la massification, tout comme le conditionnement des désirs règle celui des libertés, même tes passions, comme dit l’autre, «sont une citation», alors à quoi bon vouloir te protéger puisque ton précieux narcissisme ne recouvre que le néant et qu’à y regarder de près c’est ce fantoche ou ce fantôme érigé par ton discours, trompe-l’œil verbal, qui tout en te dissimulant te tient lieu de personnalité et te permet, ne serait-ce que par procuration, d’exister. Tu as fait du texte écrit, que tu préfères à la parole dans la mesure où il ne t’oblige pas à faire acte de présence, avec tout le jeu obscur de la séduction qui se déclenche automatiquement puisque l’attention de l’autre est requise, alors que la lecture est un acte aussi onaniste que l’écriture, déterminé par l’absence de l’autre et l’aporie ontologique que constituerait la rencontre de deux solitudes, un rempart ou du moins un bouclier derrière lequel tu disparais tout en sachant pertinemment cette précaution inutile, non pas tant superflue qu’inefficace puisque ton image n’est pas exactement celle que tu as fabriquée mais plutôt celle que ton lecteur ou ta lectrice projette sur les mots, avec toutes les erreurs dues à l’ambiguïté des mots, à leur polysémie plus qu’à l’éventuelle expérience intime, origine sociale et trajectoire de vie au fond plus communes que les unités lexicales pourtant fondatrices de la collectivité, formant de toi un reflet plus déformé qu’un miroir courbe, une anamorphose irreconnaissable, selon le principe du malentendu qui commande tous les échanges humains, qui rend dérisoires tes feintes et tes défenses car soit elles ne gardent que le vide soit le secret que tu t’efforces de préserver consiste justement en ta vacuité que seule une intuition véritablement miraculeuse pourrait deviner, à moins qu’un don de double-vue narcissique lui fasse postuler sinon une identité du moins une affinité de goûts et d’intérêts alors que vous ne vous ressemblez que par l’inconsistance de votre individualité, car les fortifications enferment autant qu’elles défendent, en l’occurrence contre un ennemi non pas imaginaire puisque c’est toi-même mais invincible puisqu’il est déjà dans la place et simultanément vaincu d’avance, décomposé en mots et en phrases qui l’ont ligoté, emmailloté, momifié, dissout..
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Écorcher les lèvres
Au premier mot tu te trahis, le moindre vocable proféré, une seule parole lâchée et les digues sont rompues, les tortionnaires le savent bien, il suffit d’une dénégation, d’une velléité de protester, de rétablir la vérité et tu es fait, coincé par la parlotte, car une fois la conversation engagée, la confession amorcée, tu débobineras tout le fil sans même t’en rendre compte ou plutôt impuissant à refermer ton clapet, tu te déboutonneras jusqu’au bout, jusqu’à la nudité native, t’arracheras la peau après le dernier vêtement, d’où ces chapelets d’accusations fausses déversées sur toi dès le début de l’interrogatoire, sans aucun fondement, juste nécessaires et suffisantes pour te faire réagir et plus tu veux t’expliquer, plus tu t’efforces de traduire avec exactitude ta pensée, éliminant le superflu, évitant les digressions, t’en tenant à des considérations vérifiables et strictement objectives, plus tu te trahis, traduttore traditore, incapable d’esquiver le lapsus révélateur, comme si certains mots s’avéraient soudain imprononçables, comme si ton innocence était contaminée par des culpabilités anciennes, voire originelles, sans rapport avec les faits reprochés mais motivant l’arrêt prévisible, probablement décidé d’avance, avant la faute, par contumace, anticipant sur le jugement dernier, assumant un rôle divin qui n’est en dernière instance qu’une projection de ta conscience coupable. Alors autant lâcher la bonde, ne pas s’efforcer vainement de contenir le flot de paroles mais plutôt le déverser en torrent, tel un fardeau qui va s’allégeant à mesure que tu dégoises tes phrases à la queue leu-leu, mêlant allègrement le vrai et le faux, multipliant les incohérences au lieu de les débrouiller, une chatte n’y retrouverait pas ses petits et le juge le plus pointilleux ne s’y retrouverait pas, jouant sur la quantité pour abolir le détail, car si d’un côté un désert s’avère le plus efficace des labyrinthes de l’autre un fourré constitue un rempart plus résistant qu’un mur de pierres et c’est par le nombre et non par la force que le temps finit par tout enterrer dans son sablier et que la poussière à la fin des fins l’emporte. Ou alors au contraire la boucler, se taire hermétiquement, devenir muet, ne plus communiquer que par écrit, car l’écriture, même «automatique», n’est pas assez fluide et rapide pour empêcher la conscience d’exercer sa censure, d’autant que même à l’étape du brouillon tu peux biffer, retoucher, modifier, mettre en forme, sacrifiant prétendument au «mieux-dire» tout en remplaçant 27
une allusion limpide à une nuit passée à «l’Hôtel du Prince de Galles» par une ligne de points de suspension suggestifs, comme Breton dans «Nadja», sans même que l’on puisse à proprement parler d’hypocrisie car tu es plus transparent aux yeux du plus crédule lecteur qu’aux tiens et restes ta première dupe, croyant te reconnaître dans ce fantôme verbal, mieux vaudrait dire verbeux, ectoplasmique à proportion de tes dérobades rhétoriques, alors que la descente à l’Hadès linguistique ne permet pas de remonter indemne, il suffit de relire l’Odyssée comme un voyage sur l’océan de la littérature où chaque escale, chaque forme, chaque île se révèle un écueil, depuis le discours amoureux de Calypso jusqu’au chant des sirènes, et si Ulysse est irreconnaissable quand il parvient à Ithaque c’est parce qu’il n’est plus le même, qu’il est symboliquement mort pour pouvoir interroger, ce qui revient à accuser, sa mère et toutes les mères mythiques, car les héros s’assimilent toujours à leur père, qu’ils veulent hamletiennement venger pour mieux dissimuler qu’ils les ont œdipiennement occis afin de les remplacer. S’exposer c’est donc se cacher, se connaître c’est se nier, car le sujet doit être recouvert jusqu’à la substitution par l’image qui seule lui octroie un sens, sans compter que le déferlement des mots s’oppose à la concision lapidaire des épitaphes et te permet de croire repousser par la plume la mort, préférant la vie spectrale du revenant à l’existence passagère qui ne laisse pas de trace, non que tu aies un message particulier, personnel, à formuler mais parce que, même si c’est la routine qui constitue le sujet et toute vie est par essence prosaïque, encore faut-il que la prose lui donne consistance comme la sauce donne leur saveur aux aliments fades ou comme le ciment tient les pierres qui autrement rouleraient et te condamneraient à répéter après d’autres le châtiment de Sisyphe qui n’a pu être donné comme emblématique de la condition humaine que par mauvaise foi car justement chaque voyage même s’il doit inéluctablement finir en naufrage diffère du précédent et seules les images ramènent le divers au cliché, et seuls les mots substituent à la luxuriance du réel, tant d’un nuage que de la moindre fleur, la convention, non pas tant par pauvreté lexicale que par paresse intellectuelle, faute de comprendre que le prix de l’«île au trésor» ne tient pas au magot mais aux émotions engendrées par le martèlement d’une jambe de bois ou le raclement d’un pied nu, tous deux amplifications métaphoriques de la plume grattant le papier.F 28
CREVER LES YEUX
Décomposition (Particule sans nom, suite)
La dispersion des idées est le premier indice que notre esprit tombe en poussière. Nous nous croyons poussière mais ne sommes que flocons de neige. J’ai les yeux secs: ils ne s’embuent pas, ils s’empoussièrent.
S’éveiller poussière.
Regarder la poussière et y voir son reflet (Ne pas prendre ceci pour le comble du narcissisme).
Il me restera toujours assez de dents pour mordre la poussière.
Gérer notre héritage de poussière.
La poussière est aussi la matière de l’oubli. Et la garantie du futur.
Nous sommes lentement assimilés par la poussière que nous avons avalée. La poussière est parente de la fourmi: infatigable et silencieuse.
Attendre que la poussière de l’Histoire soit retombée.
La gloire soulève beaucoup de poussière.
Procuste sans violence, la poussière égalise tout (et tous).
Trésors et bijoux attirent la poussière: les cavernes, caves, greniers, coffres et placards en sont pleins.
Soleil, pluie et vent font pousser l’herbe dans les champs et la poussière dans les chambres.
Aucun peintre n’est encore parvenu à obtenir la couleur de la poussière.
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La poussière est sans doute le cadavre de la lumière.
Étoiles: poussière qui brille; soleil: poussière ignée; rocs et pics: poussière qui s’ignore.
La poussière n’a pas la consistance solide du réel. Elle est la matérialisation de l’imaginaire (tout comme les nuages).
Une poussière ne deviendra pas grain de sable. Et n’enrayera pas la machine. Arrosé de sueur et de sang, le tapis du paysage couvre par couches la poussière des conquérants avant d’être recouvert par celle du progrès. Le ciel est l’envers du magnifique tapis – persan ou percé – sous lequel nous avons été balayés. Soupirs, sourires et baisers sont poussière de mots.
Il a fallu l’eau de combien de baisers pour amalgamer en argile la poussière dont nous sommes faits?
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De tout bois
L’arbre regarde le monde passer.
L’arbre, d’un même geste de ses branches, te salue et te dit adieu. L’arbre ne s’abaisse jamais.
L’arbre sait garder les secrets. Les arbres fouettent le vent.
Les arbres ne cessent de valser, mais très lentement.
L’arbre en hiver n’a pas honte de sa nudité mais regrette de ne plus répandre d’ombre.
L’arbre en hiver s’efforce en vain de toucher le ciel, ou du moins d’accrocher les nuages. L’arbre ne comprend pas l’utilité des cure-dents.
De toutes les formes qu’il a inspirées, l’arbre exècre le chandelier. Et l’allumette.
Du fait qu’il ne saigne pas rouge, on croit que l’arbre ne souffre pas. Un arbre seul est toujours symbolique. Une forêt est toujours légendaire.
De mémoire d’arbre, de tous les animaux seul l’homme est affublé d’une hache.
L’arbre le plus stérile ne prend pas un pendu pour un de ses fruits rares. L’arbre ne désigne aucune direction. Il est juste un repère, mais lui-même ignore la position qu’il indique.
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L’arbre méprise la marche mais rêve de voler. Il accueille les oiseaux pour mieux les étudier. Ses feuilles sont de mauvaises imitations de plumes.
Quand le babil de ses feuilles devient trop bruyant, l’arbre les traite de perruches. L’arbre n’élève pas ses fruits. Tout au plus leur enseigne-t-il la chute.
L’arbre en offrant ses fruits ne songe pas qu’il pourra provoquer tentation, expulsion ou discorde.
Il n’y a pas d’arbres en enfer. Rien que des cendres.
Le feu est le négatif de l’arbre, civilisation contre nature, rougeoiement contre verdure, combustion contre espérance. Du point de vue de l’arbre, cendre ou papier s’équivalent.
L’arbre se désintéresse de l’avenir, comme meuble, comme navire, comme livre ou comme cercueil.
Le temps érodera les montagnes, limera les reliefs, fera crouler les tours. Quand l’horizon sera devenu tout plat, seul se dressera l’arbre.
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Maçonner la retraite
Les lignes sur la page du livre peuvent dessiner aussi bien un paysage que les barreaux qui le cachent.
Le sens à lire entre les lignes est un vide à remplir.
Il faut une savante gymnastique pour assouplir le sens d’un mot.
Les mots ne sont jamais si durs ni si mous qu’on le croit.
Un empilement de mots ne saurait construire un mur, mais peut-être constituer une barricade.
Il est des mots trop polis qu’aucun ciment syntaxique ne pourrait faire tenir ensemble.
À vouloir s’abriter sous un toit de mots, on risque de se recevoir une tuile de mots.
On peut rêver de murs de mots si compacts qu’ils arrêteraient le vent. Mais les mots eux-mêmes se changent en courants d’air.
Les mots que j’ai semés se sont perdus parmi les autres, ne m’ont pas empêché de m’égarer, ne m’ont pas permis de retrouver le chemin du retour.
J’ai cru les mots graines pour faire pousser une forêt, ils sont grains de sable et ont donné un désert.
Il est des mots fétus, des mots bûches et des mots briques, mais le moindre souffle les balaie tous.
Les mots aussi accumulent la poussière. Les mots aussi redeviendront poussière.
Leçon d’Ali Baba: un mot est une clé. Mais il existe aussi des mots moustiques.
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La société de consommation a inventé les mots de pacotille, la verroterie verbale – parente de celle qui servait de monnaie pour commercer avec les «sauvages».
Les mots sont peut-être le seul bien commun, et souvent le mal le plus commun. Un vers est une amorce d’horizon.
Des vers continuent de ronger le cadavre de la poésie. L’au-delà est fait de mots.
L’expressivité tient au jeu des ombres, propres ou portées. L’encre se voudrait ombre.
Que celui qui n’a jamais menti me jette le premier mot!
Les bibliothèques ne devraient pas être des écoles mais des auberges. Les églises se sont fondées et bâties sur des mots.
Un labyrinthe est composé essentiellement d’impasses.
La vraie différence entre une maison et une prison, physique ou mentale, tient dans la chambre d’amis.
LE TEMPS REMONTÉ
L’écriture ne s’est chez moi débloquée qu’au sortir il y a douze ans d’un coma profond. Jusque là les minuscules plaquettes publiées m’avaient coûté un temps et un effort infinis – chaque texte en a été réécrit une dizaine de fois au moins. La première, pour douze «texticules» d’à peine une page chacun m’aura pris presque dix ans – les suivantes, composées par série autour d’un thème, ont été obsessivement rédigées et corrigées en quelques semaines seulement, rééditées depuis dans la section intitulée «Anciennetés» du recueil «L’absence physique». C’est cette première plaquette que je livre aujourd’hui, car son actualité intime a été réveillée par la sollicitation qui m’a récemment été faite d’intégrer une très ancienne exposition photographique, la première et la dernière que j’aurai commise, à un cycle de manifestations organisées par l’Espace Mira autour de la personnalité et l’œuvre d’Álvaro Lapa. J’ai déjà évoqué cette figure tutélaire, dans le garage atelier de qui j’ai été accueilli irrégulièrement chaque fois que j’étais au Portugal entre 1976 et 1981, dans «Carne et débauche». Álvaro non seulement m’a ouvert des horizons littéraires – Lowry, Burroughs, Schulz, Gombrowicz... – et picturaux – Motherwell, Rauschenberg, Cornell, Areal... – mais m’a poussé, et aidé, à approfondir ma réflexion sur les rapports fond-forme et l’incidence politique des pratiques. Nous discutions pendant des nuits entières les propositions de Breton, Bataille, Valéry, Artaud, Ruskin, Proust, Duchamp, etc. (mes références étaient principalement françaises). Surtout, Álvaro m’a incité à écrire, lisant attentivement chaque version de mes textes, suggérant des corrections – généralement des coupures – sans jamais se moquer ni se lasser. Un titre comme «L’herbe sous les pieds» a été choisi en hommage à son «Raso como o chão». L’édition originale de ces textes, par Black Son Editores, en 1992 – certains avaient paru en revue dix ans plus tôt –, les présentait selon une disposition compliquée obligeant le lecteur, qu’il les lise en français ou traduits en portugais, à tourner à chaque page le livre d’un quart de tour en sens inverse des aiguilles d’une montre. Cette tentative maladroite de proposer au lecteur de «remonter le temps» en ma compagnie n’a plus de raison d’être à ce jour où leur simple lecture constitue en soi symboliquement une analepse. 39
DAR À BOA VIDA
Indo na ideia de não parar, tinha até topado um café na esquina quando ao levar um cigarro aos lábios me apercebera que não tinha fósforos, mas deitara fora o cigarro, indo na ideia de não voltar, pedi uma noite num cais do porto de Valparaíso lume a um marinheiro que não fumava e embarquei no dia seguinte no primeiro cargueiro de partida para a Europa. Indo na ideia de verificar se os egípcios andam de perfil, já não dava um passo sem olhar para trás; pelo menos tinha constatado que não fora a luz na fachada a obscuridade dos fundos era idêntica nas tabernas dos quatro continentes. Foi a esse café na esquina da minha rua, da rua digamos donde tinha partido, que voltei; soubera-o logo no primeiro dia. Poder-se-á pensar que para unia actividade por assim dizer onanista, bem podia ficar no quarto, na cama; é um erro: são os gestos, o desígnio dos objectos que ao traçar no ar a minha linha de vida dela esboçam a memória. Para viver noutro lado, não posso aqui faltar; o ócio opõe-se à inacção e talvez seja para me justificar nesse sentido que escrevo. Os meus sonhos não os partilho. O lugar público é pois preferível; quanto ao café ele representa em relação à rua um lugar fixo, sem acidente, com a sua azáfama inútil, os seus rituais, a impecável limpadela do criado apagando as duvidosas marcas do balcão; ele continua a ser entre a resistência dos corpos estranhos e a convenção uma etapa intermediária, obrigada pelo menor esforço, ou ate pela sede, sem esquecer a necessidade duma chama ao alcance da ponta do meu cigarro. A estranheza há-de ser total; a menor identidade enleia uma pessoa, tolhe-a e leva-a de volta ao ponto de partida, geograficamente deslocável até ao infinito enquanto se trata do café, mas para quê ter voltado se hei-de repetir o mesmo desencanto que ao decorrer das minhas deslocações. Não se trata de fechar os olhos ao levar a caneca de cerveja aos lábios e de imaginar outra sala, com outros sons na boca de velhos fregueses de pele um nada mais escura, e por trás da vidraça outro cenário – canais em vez de ruas –; mesmo se comecei por pedir a minha caneca em espanhol ou finlandês: já que uma planta verde não pode evocar uma floresta do Reno, basta-me designar a parede coberta de garrafas pronunciando a palavra wasserfall para que o tecto se anule, coberto pela ramada duma estalagem bávara; vira a cabeça murmurando oudervorburgwal e a fila de mesas com tampo a imitar mármore reflecte no chão glauco as altas fachadas das casas de bonecas de Amesterdão; ergo os olhos 40
RENDRE LA VIE DU BON CÔTÉ
Parti pour ne pas m’arrêter, j’avais bien repéré un café-tabac au coin de la rue quand ayant porté une cigarette à mes lèvres je m’étais aperçu que je n’avais pas sur moi d’allumettes, mais j’avais jeté la cigarette. Parti pour ne pas revenir, je demandai un soir sur un quai du port de Valparaiso du feu à un marin qui ne fumait pas et m’engageai le lendemain sur le premier cargo en partance pour l’Europe. Parti pour vérifier si les Égyptiens marchent de profil, je ne faisais plus désormais un pas sans regarder en arrière; du moins avais-je constaté que sinon la lumière sur la façade l’obscurité de l’arrière-salle était identique dans les tavernes des quatre continents. C’est dans ce bistrot au coin de ma rue, de la rue disons d’où j’étais parti, que je suis revenu; je l’avais su dès le premier jour. On pourra penser que pour une activité somme toute onaniste je serais aussi bien dans ma chambre, dans mon lit; c’est une erreur: ce sont les gestes, le dessein des objets qui en traçant sur l’air ma ligne de vie en ébauchent la mémoire. Pour vivre ailleurs, je ne dois pas ici débaucher, l’oisiveté s’oppose à l’inaction et c’est peut-être pour me justifier en ce sens que j’écris. Mes rêves je ne les partage pas. Le lieu public est donc préférable; quant au bistrot il représente par rapport à la rue un lieu fixe, sans accident, avec son affairement inutile, ses rituels, l’impeccable coup de serviette du garçon effaçant les douteuses traces sur le comptoir; il demeure entre la résistance des corps étrangers et la convention une étape intermédiaire, obligée par le moindre effort, voire la soif, sans oublier la nécessité d’une flamme à portée de l’extrémité de ma cigarette. Le dépaysement doit être total; la moindre identité vous englue, vous noie et vous ramène à votre point de départ, géographiquement déplaçable à l’infini tant qu’il s’agit du bistrot, mais à quoi bon être revenu si je dois répéter le même désenchantement qu’au cours de mes déplacements. Il ne s’agit pas de fermer les yeux en portant mon verre de bière à mes lèvres et d’imaginer une autre salle, avec d’autres sons dans la bouche de vieux habitués à la peau à peine plus sombre, et derrière la baie vitrée un autre décor – des canaux en guise de rues –; même si j’ai commencé par commander mon demi en espagnol ou en finnois: si une plante verte ne saurait évoquer une forêt du Rhin, il me suffit de désigner la paroi couverte de bouteilles en prononçant le mot wasserfall pour que le plafond s’abolisse, se couvre de la treille de vigne d’une auberge bavaroise; je tourne la tête en murmurant oudervorburgwal et la rangée de tables au plateau imitant le marbre 41
e ao fundo do grande espelho contemplo o cume branco do Popocatepetl dominando Oaxatlan. Tenho então que me levantar, multiplicar os gestos, reinventá-los. Se jogo há, só funciona se, de volta a uma ruela da medina de Fez, posso andar, virar na esquina desta mesa e desembocar na escada estreita que leva pelos terraços ao bairro dos tintureiros, saudar à passagem Nagib que, desviando os olhos da página desportiva do jornal da tarde, acaba enfim por me responder vagamente, e reencontrar por detrás do gosto da cerveja o do chá de hortelã dez vezes servido. Talvez deva esclarecer que não consegui fazer do meu corpo um navio, que o olhar dum freguês, o juke-box, a hora fatídica de fechar me devolvem ao chumbo do tempo, à noite dos dias – à noite das noites –, àquele interstício de vazio que em vão tento atulhar com palavras, que logo me empurra para o labirinto das cidades que tenho atravessado, também para essas onde nunca pus os pés, das quais ignoro a verdadeira localização, para sempre reduzidas a um nome, a uma Fórmula – magica? – mas onde, ao fundo das arcadas ou num banco diante da fonte, sem que tivesse prestado atenção, me terias sorrido; com a certeza de me voltar a cruzar contigo qualquer dia sem nunca me atrever a abordar-te.
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reflète sur le plancher glauque les hautes façades des maisons de poupée d’Amsterdam; je relève les yeux et au fond de la grande glace je contemple la cime blanche du Popocatepetl dominant Oaxatlan. Il me faut alors me lever, multiplier les gestes, les réinventer. Si jeu il y a, il ne fonctionne que si, revenu dans une ruelle de la médina de Fez, je peux marcher, tourner au coin de cette table et déboucher sur l’étroit escalier menant par les terrasses au quartier des teinturiers, saluer au passage Nagib qui, levant les yeux de la page du tiercé du journal du soir, finit malgré tout par me répondre vaguement, et retrouver derrière le goût de la bière celui du thé à la menthe dix fois versé. Sans doute dois-je préciser que je n’ai pas réussi à faire de mon corps un navire, que le regard d’un consommateur, le juke-box, l’heure fatidique de la fermeture me rendent au plomb du temps, à la nuit des jours – à la nuit des nuits –, à cet interstice de vide qu’en vain je tente de combler de mots, qui me repousse bientôt dans le labyrinthe des villes que j’ai traversées, celles aussi où je n’ai jamais mis les pieds, dont j’ignore l’emplacement véritable, à jamais réduites à un nom, à une formule – magique? – mais où, au bout des arcades ou sur un banc devant la fontaine, sans que j’y aie prêté attention, tu m’aurais souri; avec la certitude de te croiser encore un jour ou l’autre sans jamais oser t’aborder.
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AS IDAS DA FLOR
Lembrança talvez desses contos em que a alma da jovem morta alumia uma nova estrela, seria levado a crer que cada lampião representa um par de olhos que se fecham; assim voltei a ir parar a uma dessas ruelas cuja falta de iluminação revela por contraste uma vida nocturna ainda mais furtiva. Numa dessas noites em que todos os ratos são pardos, no meio desses becos secretamente purulentos, entradas esventradas, baldes de lixo estendidos à caridade sob as portadas dissimulando como óculos escuros olhares demasiado penetrantes para afrontar o dia. Reinava uma guerra permanente nesse bairro, seu microclima, cujo recolher obrigatório os meus passos demasiado sonoros violavam. Na esquina da rua, fosforescência de desova na crista lustrosa do empedrado, adivinhava-se a montra dum tasco, mancha lunar sem luz nem calor, que filtrava uma valsa rouca entrecortada por gritos e risos discordantes. Sem pensar abrandei, abrindo uma passagem através dos detritos aproximei-me e, perscrutando além do tule, observei: a bebedeira ia no auge, os próprios bebedores estavam ocultos por um amontoado em cada mesa de garrafas vazias donde emergiam às vezes, para brindarem, dois copos. O fumo dos cigarros escurecia toda a cena, distinguia mal as silhuetas em torno das garrafas que reflectiam a luz; à esquerda, a sombra duma vasta mesa desocupada revelou-se um bilhar que reconheci pelo arsenal de tacos na parede e do qual saltou uma bola de marfim, no momento em que o meu olhar a atingia, rebolando com fragor pelo chão esquivando-se logo. Nesse instante uma mesa vizinha ao desabar derrubou várias cadeiras e os corpos que elas sustentavam; vislumbrei um deles cujos cinto e camisa se tinham desapertado a rolar no meio das beatas que juncavam o soalho onde se quedou; mas esse tombo desviou o caminho duma bandeja carregada com novas garrafas que para o evitar chocou com outro cliente que se pôs a oscilar perigosamente, sustido apenas pelo cotovelo apoiado no balcão. A medida que os meus olhos através da trama do cortinado passavam a pente fino a opacidade do fumo, acabei por distinguir com bastante nitidez, restabelecido o equilíbrio, a colocação dos bebedores, dispostos até ao incidente em intervalos regulares por grupos de seis à volta de cada mesa. As caras mantidas na sombra pela luz a pique do tecto continuavam para mim impenetráveis; únicos sinais nas brumas do tabaco, as pontas incandescentes dos cigarros, afastando-se dos lábios apenas para dar lugar aos copos e não raro aos gargalos 44
LA FAVEUR DE LA NUIT
Souvenir peut-être de ces contes où l’âme de la petite morte allume une nouvelle étoile, je serais tenté de croire que chaque réverbère représente une paire d’yeux qui se ferment; aussi me retrouvai-je une fois de plus dans une de ces ruelles dont l’absence d’éclairage révèle par contraste une vie nocturne d’autant plus furtive. Par une de ces nuits où tous les rats sont gris, parmi ces impasses sourdement purulentes, entrées éventrées, poubelles posées en sébiles sous des volets dissimulant comme des verres fumés des regards trop perçants pour affronter le jour. Une guerre se déroulait en permanence dans ce quartier, son microclimat, dont mes pas trop sonores enfreignaient le couvre-feu. Au coin de la rue, phosphorescence d’œufs à la crête gominée des pavés, se devinait la vitrine d’une gargote, tache lunaire sans lumière ni chaleur, qui filtrait une valse rauque coupée de cris et de rires discordants. J’avais sans y penser ralenti, me frayant un passage à travers les détritus je m’approchai et, scrutant par-delà le tulle, observai: la beuverie battait son plein, les buveurs eux-mêmes étaient masqués par un amoncellement sur chaque table de bouteilles vides d’où émergeaient parfois, le temps de s’entrechoquer, deux verres. La fumée des cigarettes obscurcissait toute la scène, je distinguais mal les silhouettes autour des bouteilles réfléchissant la lumière; sur la gauche l’ombre d’une vaste table inoccupée s’avéra être un billard que je reconnus à l’arsenal de queues au mur et dont une boule d’ivoire, au moment où mon regard l’atteignait, dégringola avec fracas sur le sol où elle m’échappa. À cet instant une table proche en s’écroulant renversa plusieurs chaises et les corps qu’elles soutenaient; j’entrevis l’un d’eux dont la ceinture s’était relâchée et la chemise débraillée rouler parmi les mégots qui jonchaient le plancher d’où il ne bougea plus; mais cette chute bouleversa la marche d’un plateau tout chargé de nouvelles bouteilles qui pour l’éviter heurta un autre consommateur qui se mit à osciller dangereusement, retenu seulement par son coude appuyé au zinc. À mesure que mes yeux à travers la trame du rideau fouillaient l’opacité de la fumée, je finis par distinguer avec assez de précision, quand l’équilibre fut rétabli, la disposition des buveurs, placés jusqu’à cet incident à intervalle régulier par groupes de six autour de chaque table. Les visages maintenus dans l’ombre par la lumière tombant verticalement du plafond me demeuraient impénétrables; seuls signaux noyés dans les brumes du tabac, les bouts incandescents des 45
num movimento de mecanismo escangalhado marcando vagamente o compasso da música – musette –. Os risos rebentavam sem que eu pudesse discernir a sua origem; aos poucos, transbordando dos copos o vinho escorria pelos mármores, os torsos e o serrim. Tinha-me aproximado da porta; esta, a um gesto involuntário da minha parte, quando, hesitando em entrar, me interrogava para avaliar se o meu desejo, a minha audácia sobretudo, seria suficiente e suputava as razões mais que suspeitas que me levavam àquilo, a menos que uma corrente de ar a tenha como de propósito escancarado, abriu-se, de maneira que, já não tendo escolha, só me restava penetrar na sala. As conversas continuaram ininterruptas, nenhum rosto se levantou ou se virou quando passei, mas sentia por detrás duma ostensiva indiferença os olhos procurar-me nas costas petrificadas dos bebedores ao tempo que estaquei diante do balcão.
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cigarettes ne s’écartant des lèvres que pour céder la place aux verres et souvent aux goulots selon un mouvement de mécanique détraquée scandant vaguement le tempo de la musique – musette –. Les rires fusaient sans que je pusse discerner leur origine; petit à petit, débordant des verres le vin dégoulinait sur les marbres, les torses et la sciure. Je m’étais rapproché de la porte; celle-ci, sur un geste involontaire de ma part, alors que, hésitant à entrer, je m’interrogeais pour évaluer si mon désir, mon audace surtout, pouvait être suffisant et supputais les raisons plus que troubles qui m’y poussaient, à moins qu’un courant d’air l’ait comme à dessein poussée, s’ouvrit, de telle sorte que, le choix ne m’étant plus permis, il ne me restait qu’à pénétrer dans la salle. Les conversations continuèrent ininterrompues, aucun visage ne se releva ou se retourna sur mon passage, mais je pouvais sentir sous leur ostensible indifférence les yeux me chercher dans le dos figé des buveurs-tandis que je m’immobilisai devant le comptoir.
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SER VISTO SEM VER
A caminho da escola decidi contemplar-me com uma caçada ao tigre. Puxei pelo estojo, entreabri-lo e enfiei dentro a ponta da régua que prendi com o fecho éclair, verifiquei a mira e contei os cartuchos. Por fim, tendo fixado com o cinto a pasta a tiracolo, avancei prudentemente com o corpo eriçado e todos os sentidos alerta, dobrado em dois, rente às paredes. Estava resolvido a modificar o meu itinerário habitual, demasiado curto ou por demais conhecido, porque chegava sempre de mãos vazias à escola; assim meti pela ruela à direita no cruzamento. Estava deserta; por isso fui desistindo do olhar fixo que eu pretendia arvorar ao mesmo tempo marcial e misterioso, e fechei os olhos; o êxito da caçada dependia da aposta na minha resistência a voltar a abri-los até ter contado cem passos. Mas, como de costume, ao quinquagésimo passo já tinha afrouxado, já só progredia com infinita dificuldade e ao sexagésimo segundo, pensando no disparate que aquilo era, levantei as pálpebras. O sol ofuscava-me, tive de me sentar; já me tinha resignado a não ganhar troféu nenhum por mais um dia quando o olhar severo dum transeunte me deu a entender que já estava atrasado. Acabrunhado ia dar meia-volta quando uni pormenor curioso me feriu a atenção: a rua era ladeada de árvores cujas sombras zebravam literalmente a calçada. Retendo a respiração, percebi lentamente que o tigre em vão procurado há tantos anos estava ali, e ali sempre estivera, aquela rua listrada pela sombra dos plátanos que durante tanto tempo eu supersticiosamente evitara, e que os meus pés estavam naquele preciso momento pousados no cachaço da fera. O animal que eu via parcial mas todavia perfeitamente era gigantesco e tão bem camuflado, paralelepípedos e árvores inofensivas, que ninguém tinha reparado nele. Com o alongar das sombras, vi-o a estirar-se, na certa levado pela fome, a espreguiçar-se flexível antes de se lançar na caçada. Só então o medo me assaltou. Ao imaginar que o focinho monstruoso dele se situava à altura do cruzamento – inconscientemente talvez eu já lhe tivesse roçado os dentes, talvez até me tivesse agachado à espreita por detrás de um dos seus caninos – fugi na direcção oposta... ...Apercebi-me de que tinha perdido, sem dúvida desde a primeira vez que avistara a fera, a minha ridícula carabina, saco de caça e cartuchos. Pensar que tinha contado com tais armas, por verdadeiras que tivessem sido, apavorava-me. A monstruosidade do animal remetia-me para a minha própria irrisão... ...Compreendi então o sentido desses “casos do dia”, um homem 48
ÊTRE VU SANS VOIR
Sur le chemin de l’école, je décidai de m’offrir une chasse au tigre. Je tirai ma trousse, l’entrouvris et y glissai l’extrémité de ma règle que je coinçai avec la fermeture-éclair; j’en vérifiai la mire et fis le compte de mes cartouches. Enfin, ayant fixé avec ma ceinture mon cartable en bandoulière, j’avançai prudemment, le corps hérissé et tous les sens en éveil, plié en deux, rasant les murs. J’étais déterminé à modifier mon itinéraire habituel, trop court ou trop connu, car j’arrivais toujours bredouille à l’école; je pris donc la ruelle à droite au carrefour. Elle était déserte; aussi, abandonnant mon regard fixe que je voulais en même temps martial et mystérieux, je fermai les yeux, misant la réussite de ma chasse sur ma résistance à les rouvrir avant d’avoir compté cent pas. Mais comme d’habitude, au cinquantième j’avais déjà ralenti, ne progressant plus qu’avec une peine infinie et au soixante-deuxième, en pensant c’est trop bête je relevai les paupières. Le soleil m’aveuglait, je dus m’asseoir; j’avais déjà fait mon deuil d’un quelconque trophée pour cette journée encore quand le regard sévère d’un passant m’apprit que je m’étais mis en retard. Accablé je faisais demi-tour lorsqu’un détail curieux me frappa: la rue était bordée d’arbres et leur ombre zébrait littéralement la chaussée. Retenant mon souffle je compris lentement que le tigre en vain cherché depuis tant d’années était là, avait toujours été là, cette rue rayée par l’ombre des platanes, que j’avais pendant longtemps superstitieusement évitée, et que mes pieds reposaient à ce moment sur l’échine même du fauve. L’animal que je ne voyais que partiellement mais parfaitement était gigantesque et si bien camouflé, pavés et arbres inoffensifs, qu’il était passé de tous inaperçu. Avec l’allongement des ombres, je le vis qui s’étirait, poussé sûrement par la faim, qui s’ébrouait souple avant de se mettre en chasse. Alors seulement, la peur m’étreignit. Imaginant que sa gueule monstrueuse se trouvait à hauteur du carrefour – inconscient j’avais peut-être frôlé ses dents, peut-être même m’étais-je accroupi à l’affût derrière une de ses canines – je m’enfuis dans l’autre direction... ...Je m’aperçus que j’avais perdu, sans doute dès la première vision du fauve, ma ridicule carabine, gibecière et cartouches. Penser que j’avais compté avec de telles armes, fussent-elles vraies, m’épouvantait. La monstruosité de la bête me renvoyait à ma propre dérision... ...J’ai percé le sens de ces “faits divers”, un homme trouvé poignardé baignant dans son sang à l’aube, un passant écrasé par une automobile, un ouvrier tombé de l’échafaudage sur lequel il s’était réfugié, qui 49
encontrado apunhalado banhado em sangue ao amanhecer, um transeunte esmagado por um automóvel, um operário caído dos andaimes onde se havia refugiado, que sempre me tinham intrigado pela importância que se lhes conferia nas últimas páginas dos jornais. Percebi o misto de pressa e de prudência dos adultos ao abandonarem o abrigo do passeio para se aventurarem na calçada, ainda que a fé deles na segurança oferecida pelo passeio me parecesse infinitamente ingénua; mas não podiam deixar de pressentir pelo menos o perigo... ...Compreendi enfim que nunca hei-de ser caçador, que a ideia tão só de caçador não passa de mais um engodo. Que o nosso papel é o da presa... A noite descia e o meu medo ia aumentando pois não ignorava que a noite é a hora do tigre. Pressentia-o a farejar as minhas pegadas e já havia alguns minutos que não me largava a peugada. No momento em que atravessava uma avenida, ouvi o rugido e encontrei-me face a face com os seus olhos amarelos que se atiravam a mim. Tive o reflexo irraciocinado mas salvador de empurrar um peão que, surpreendido, escorregou e foi engolido pelas mandíbulas num espantoso ranger de dentes; entrevi num clarão de ossos dilacerados que tinha conseguido um lapso de tréguas, que o monstro, mesmo perseguindo-me, se contentava com presas ocasionais; sabia, todavia, que tendo-o reconhecido, ele não descansava até me devorar. Derrubei então o maior número possível de passeantes distraídos, quando atravessavam precipitadamente uma rua e que surgisse um automóvel, um camião ou um carro eléctrico de goelas abertas, terrificas. De cada vez o sangue deles salpicava-me. Uma vez, depois de o ter engodado com um polícia, julguei que o tinha despistado. As ruas estavam desérticas. Tentava orientar-me, caminhando a passos lentos, tropeçando, detendo-me com frequência, à espreita, e redobrando as precauções a cada esquina. Mas cheguei a casa sem percalços. Foi só ao chegar diante da fachada que o reconheci; ele sabia onde os meus passos me iam conduzir, tinha tomado as dianteiras e estava à minha espera. As goelas dele, a nossa porta, estavam levemente entreabertas mas os olhos fixavam-me, arregalados. Abafei um uivo; tarde demais, eu sabia que uma vez caída na armadilha daquele olhar a presa não podia escapar ao fascínio. Insensivelmente, avancei embrutecido; o seu bafo quente envolveu-me. Distingui por detrás da pupila esquerda a sombra da minha mãe inquieta que velava ainda e abandonei-me ao abismo das suas mandíbulas que fecharam quais batentes. 50
m’avaient toujours intrigué par l’importance qu’on leur accordait à la dernière page du journal. J’ai saisi la hâte et prudence mêlées des adultes quittant l’abri du trottoir pour s’engager sur la chaussée, encore que leur foi en la sécurité offerte par ce trottoir me parût infiniment naïve; mais ils ne peuvent manquer de soupçonner au moins le danger... ...J’ai compris enfin que je ne serai jamais chasseur, que l’idée seule du chasseur n’est qu’un leurre de plus. Que notre rôle est celui du gibier... La nuit tombait et ma peur allait croissant car je n’ignorais pas que la nuit appartient au tigre. Je le pressentais qui avait reniflé ma trace et depuis quelques minutes était sur mes talons. Au moment où je franchissais une avenue, j’entendis son rugissement et me trouvai face à ses yeux jaunes se précipitant sur moi; j’eus le réflexe irraisonné mais salvateur de bousculer un piéton qui surpris glissa et fut englouti par la mâchoire dans un formidable crissement de dents; j’entrevis en un éclair d’os déchiquetés que j’avais gagné un répit, que le monstre, s’il me poursuivait, se contentait de toute proie au passage; je savais pourtant que, l’ayant reconnu, il n’aurait de cesse de m’avoir dévoré. Je renversai donc le plus grand nombre possible de promeneurs distraits quand ils traversaient précipitamment une rue et que surgissait une voiture un camion ou un tramway, gueule ouverte, terrifiant. Leur sang à chaque fois m’éclaboussait. Une fois, après lui avoir offert en pâture un agent de police, je crus l’avoir semé. Les rues étaient désertes. Je tentai de m’orienter, marchant à pas lents, trébuchants, m’arrêtant fréquemment, aux aguets, et redoublant de précautions à chaque coin de rue. Mais j’arrivai sans encombre à la maison. Ce n’est qu’en parvenant devant la façade que je le reconnus; il savait où mes pas me conduiraient, m’avait devancé et m’attendait. Sa gueule, notre porte, était à peine entrebâillée, mais ses yeux me fixaient, écarquillés. Je retins un hurlement; il était déjà trop tard, je savais qu’une fois prise au piège de son regard la proie ne saurait échapper à sa fascination. Insensiblement, j’avançai hébété; son souffle chaud m’enveloppa. Je distinguai derrière sa pupille gauche l’ombre de ma mère inquiète qui veillait encore et je m’abandonnai au gouffre de ses mâchoires qui se refermèrent en claquant.
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AS APARÊNCIAS INTERIORES
Tinha-me perdido no fundo do meu corpo, no fundo dum castelo em decomposição, reminiscência de alguma gravura romântica ou simbolista emoldurada e engrinaldada por uma flora heráldica, intestinal, flutuando imóvel no fundo do meu olho por entre os miasmas que o charco da íris glauca exalava – o olho virado para dentro, o corpo virado ao avesso como uma grande luva até ocupar toda a paisagem –, no fundo falso do chapéu dum prestidigitador que, reduzido à mais extrema miséria, me convidara para um festim onde eu seria servido como manjar. Já não encontrava na minha memória a saída mas, mesmo que tivesse podido, não me teria atrevido a sair do meu corpo, com medo de não conseguir voltar a entrar. Entrincheirava-me. Alguém bateu. Se alguém bater ao teu corpo, desconhecido ou fantasma, recebe-o como o filho pródigo, como o teu suserano, de joelhos, cantando e dançando, abre-lhe as veias de par em par. Há-de trazer-te a alegria da qual esqueceste o sal, a dor que as penas da cinza já não chocam, ou a morte como uma montanha avançando para ti. O mal maior seria ele ir-se embora ao romper do dia sem ter partilhado mais que uma ceia. Era inútil tocar para os criados, enferrujados ou estropiados, entorpecidos pela artrose e tolhidos pela gota – os melhores tinham sido os primeiros a ir embora, havia já muito tempo –, os antigos tinham esquecido o caminho, os novos nunca tinham chegado a conhecê-lo, para mais, todos cobertos de poeira a ponto de se confundirem com a sombra donde nenhum toque de chamada os teria podido arrancar; por isso precipitei-me para as escadas ao encontro do visitante. As pancadas ressoavam surdas nas abóbadas, a escadaria desenrolava-se vertiginosamente, girando sobre si própria ao ritmo dos meus passos de rato cujo martelar respondia ao do batente num jogo de ecos que se repercutiam cada vez mais tenuemente até ser tão só o rugido do meu sangue a refluir pelas artérias subterrâneas cujos diques haviam sido arrombados pelas bordoadas que diminuíam à medida que eu afrouxava e se extinguiram quando parei. Retomei fôlego, hesitando em penetrar no fole escuro que se abria a meus pés, suspeitando que o estranho já devia ter entrado, bastava-lhe ter empurrado a porta demasiado carunchosa para resistir à menor pressão e, caso não tivesse vindo apenas abrigar-se da chuva, talvez me procurasse através do labirinto de salas e corredores intermináveis, perdendo-se rapidamente na inextricável rede onde, no entanto; após mais 52
LES APPARENCES INTÉRIEURES
Je m’étais perdu au fond de mon corps, au fond d’un château en décomposition, réminiscence de quelque gravure romantique ou symboliste qu’encadrait et festonnait une flore héraldique, intestinale, flottant immobile au fond de mon œil parmi les miasmes qu’exhalait l’eau croupie de l’iris glauque – l’ œil tourné vers l’intérieur, le corps retourné comme un grand gant jusqu’à occuper tout le paysage –, au double fond du chapeau d’un prestidigitateur qui, réduit à la dernière extrémité, m’avait convié à un festin pour y être servi comme victuaille. Je ne trouvais plus dans ma mémoire la sortie mais, l’eussé-je pu je n’aurais pas osé quitter mon corps, de crainte de ne plus savoir ensuite rentrer. Je me terrais. On frappa. Si on frappe à ton corps, inconnu ou fantôme, reçois-le comme le fils prodigue, comme ton suzerain, à genoux, en chantant et en dansant, ouvre-lui large tes veines. Il t’apportera la joie dont tu as oublié le sel, la douleur que ne couve plus la cendre, ou la mort comme une montagne venant à toi. Le pire mal serait qu’il reparte au matin sans avoir partagé plus qu’un souper. Il était inutile de sonner mes valets, rouillés ou éclopés, gourds d’arthrose et perclus de goutte – les meilleurs étaient partis les premiers, depuis longtemps –, les anciens ayant oublié le chemin, les nouveaux ne l’ayant jamais connu, tous au surplus couverts de poussière au point de se confondre avec l’ombre d’où nul appel n’eût pu les tirer, aussi me précipitai-je dans l’escalier à la rencontre du visiteur. Les coups résonnaient sourds sous les voûtes, l’escalier se déroulait vertigineusement, tournant sur lui-même au rythme de mes pas de souris dont le martellement répondait à celui du heurtoir en un jeu d’échos se répercutant de plus en plus faiblement jusqu’à ne former que le grondement de mon sang refluant dans les artères souterraines dont les digues avaient dû céder sous les coups de boutoir qui diminuaient à mesure que je ralentissais et s’éteignirent quand je m’arrêtai. Je repris mon souffle, hésitant à m’engager dans le boyau obscur qui s’ouvrait devant moi, réfléchissant que l’étranger devait être entré, n’ayant eu qu’à pousser la porte trop vermoulue pour résister à la moindre pression et, s’il n’était pas venu seulement s’abriter de la pluie, me cherchait peut-être à travers les enfilades de salles et les corridors interminables, se perdant rapidement dans l’inextricable réseau où pourtant, après plus de carrefours et de détours que n’en peut compter une ville entière ou une croûte de pain, 53
cruzamento e desvios do que uma cidade inteira ou um naco de pão pode conter, fatalmente nos havíamos de encontrar; que corria o risco de me afastar dele se continuasse a avançar qualquer que fosse a direcção escolhida, que o mais razoável ainda era esperar no patamar onde chegara. Espiei a sua aproximação indecisa, por entre corredores de paredes túmidas de sucos, mais tímida à medida que ele se afundava nas passagens húmidas vibrantes de reptações furtivas, espreitando em cada recanto as presenças cobertas pela sombra ou cobrindo-a, e sentia-o curvar-se, coalhar-se, aos poucos vencido pela letargia que sucede à febre, quase prestes a renunciar quando era necessária, e porventura insuficiente, uma tenacidade inabalável, cega, para superar, tendo em conta o acaso e sobretudo a ruína que ameaçava aquela construção minada cujos lanços se desmoronavam periodicamente, desobstruindo algumas galerias mas logo atravancando outras, tantos obstáculos erigidos já não sei se por mim ou por outros inquilinos imemoriais sobre a existência anterior dos quais especulo apesar de todas as recordações se terem apagado, expulsas após uma digestão difícil.
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nous devions fatalement nous rencontrer, que je risquais de m’éloigner de lui en continuant d’avancer, quelque direction que je choisisse, que le plus sage était encore de l’attendre sur le palier que j’avais atteint. Je guettai son approche indécise, le long de couloirs aux parois suintantes de sucs, plus craintive à mesure qu’il s’enfonçait dans les passages humides frémissants de reptations furtives, épiant à chaque recoin les présences tapies dans l’ombre ou la tapissant, et je le sentais fléchir, se figer, peu à peu gagné par la léthargie succédant à la fièvre, déjà prêt à renoncer alors qu’une ténacité inébranlable, aveugle, était nécessaire et sans doute insuffisante pour surmonter, en comptant avec le hasard et surtout la ruine de cette construction minée où les murs s’écroulaient périodiquement par pans ne désobstruant certaines galeries que pour en condamner d’autres, tant d’obstacles érigés je ne saurais plus dire si par moi ou par d’autres occupants immémoriaux dont je spécule une existence antérieure bien que tout souvenir en ait été effacé, expulsé après une digestion difficile.
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DESTE LADO DO ESPELHO
Descobri um dia que o prédio onde morava abrigava também uma lojeca cuja montra anunciava palácio dos espelhos em letras gordas cuja tinta estava tão estalada que tinham ficado quase invisíveis embora esse estado revelasse um brilho perdido e uma antiguidade que tornavam ainda mais incompreensível eu nunca ter até então reparado nela, pois passava diante várias vezes ao dia, e tal só podia explicar-se pela aparência verdadeiramente apagada dessa vitrina que uma vez revelada captava insidiosamente a atenção de forma tão intensa que não conseguia desviar-me dela, quase envergonhado por olhá-la assim de esguelha sem ousar nem afrontá-la nem ao afastar-me dar mostras de indiferença, e tendo andado assim de volta dela como se fosse algum guarda ou porteiro, os transeuntes fitando-me cada vez mais desconfiados, acabei por empurrar, a medo, com um ar falsamente despreocupado, a porta que accionou uma campainha minúscula. A loja estava deserta e parecia embora não houvesse sinal de pó ao abandono, o balcão com um simples prato como à entrada dum urinol cuja empregada cansada de esperar improváveis clientes se tivesse eclipsado para a taberna da esquina, ou antes tinha essa impressão incómoda sem vislumbrar o menor indício para a confirmar se tivesse escondido a fim de melhor surpreender o fraudulento. Inquiri em voz alta da presença dela e como o meu apelo não teve resposta fui abrir mais para me certificar do vazio completo do local do que por curiosidade uma porta ao fundo que cedeu logo e ouvi distintamente ao passar um soluço decerto apenas o ranger do batente ao fechar-se. Dei comigo numa passagem estreita entre duas traseiras por onde avancei, perdido nas minhas reflexões, pois ao lembrar-me do nome da loja tinha chegado à conclusão que só podia tratar-se dum desses labirintos de feira, posto que a exiguidade do local não permitia armazenar qualquer objecto para venda a hipótese duma vidraçaria era de pôr de lado, mas como a que eu elegera parecia demasiado descabida naquele cenário de prédios centenários para ser satisfatória ia rejeitá-la quando tendo aberto outra porta no fundo da viela deparei com uma rua. Desorientado pelo que parecia ser mesmo uma partida de mau gosto, mal andei três passos quis voltar para casa mas não encontrei a porta. A que abri dava para umas escadas que contornei na esperança insensata de ir parar num pátio que fosse dar ao do meu prédio; de facto havia uma porta – desprezei aquela que visivelmente vedava o acesso às caves ou quando muito aos caixotes do lixo – mas entrei num 56
DE CE CÔTÉ-CI DU MIROIR
Je découvris un jour que l’immeuble où j’habitais abritait aussi une échoppe dont la vitrine annonçait au palais des glaces en lettres larges mais dont la peinture était si écaillée qu’elles en étaient devenues presque invisibles bien que cet état révélât un éclat perdu et une ancienneté qui rendaient plus incompréhensible encore que je ne l’eusse jusqu’alors jamais remarquée puisque je passais devant plusieurs fois par jour et ne pouvait s’expliquer que par l’apparence véritablement effacée de cette devanture qui ayant fini par se dévoiler captait insidieusement l’attention de façon si soutenue que je ne savais m’en détacher, honteux presque de la fixer ainsi de biais sans oser ni l’affronter ni en m’éloignant faire montre d’indifférence, et après avoir tourné ainsi autour comme si j’en étais quelque garde ou portier, les passants me dévisageant avec de plus en plus d’insistance, je finis par pousser, irrésolu, d’un air faussement dégagé, le battant qui déclencha une sonnerie minuscule. La boutique était déserte et paraissait bien qu’il n’y eût trace de poussière à l’abandon, le comptoir ne portant qu’une assiette comme à l’entrée d’une pissotière dont la gardienne fatiguée d’attendre d’improbables clients se seraient éclipsée au troquet du coin, ou plutôt j’en éprouvais le sentiment gêné sans découvrir le moindre indice pour le confirmer se dissimulerait afin de mieux surprendre le fraudeur. Je m’enquis à haute voix de sa présence et mon appel demeurant sans réponse j’allai ouvrir plus pour m’assurer du complet vide du lieu que par curiosité une porte au fond qui céda aussitôt et j’entendis en la franchissant distinctement un sanglot qui n’était sans doute que son grincement en se refermant. Je me retrouvai dans un étroit passage entre deux arrière-cours où je continuai d’avancer, perdu dans mes réflexions, car au souvenir du nom de la boutique j’en étais venu à la conclusion qu’il ne pouvait s’agir que d’un de ces labyrinthes de foire, l’exiguïté du local ne permettant guère d’y entreposer quelque objet à vendre que ce fût l’hypothèse d’une miroiterie devait être écartée, mais celle à laquelle je m’arrêtais paraissant trop incongrue dans ce décor d’immeubles centenaires pour être satisfaisante je la rejetais quand ayant ouvert une autre porte au bout du boyau je débouchai dans une rue. Désorienté par ce qui ressemblait par trop à une mauvaise farce, j’avais fait trois pas quand je voulus rentrer chez moi mais je ne retrouvai pas la porte. Celle que j’ouvris donnait sur une cage d’escalier que je contournai dans l’espoir insensé de tomber dans une arrière-cour qui communiquerait avec celle de mon immeuble; il y 57
pardieiro cuja moradora encontrei de volta do lume. Ergui a mão num gesto de desculpa, ela ergueu a dela para indicar que a minha presença não a incomodava nada e voltou-me as costas ao tempo que eu saía. Subi a rua calculando que se virasse sempre na primeira transversal a terceira ou no máximo a quarta seria infalivelmente aquela onde se erguia o meu prédio ao qual o meu único desejo era regressar o mais depressa possível. Pelo caminho saudei vagamente uns transeuntes que pareciam dirigir-me algum gesto de reconhecimento que não estava bem certo de interpretar correctamente porque o sorriso meio contrafeito deles dava a entender que talvez houvesse engano. Não encontrei a minha rua. Matei a sede num café onde ao engasgar-me com a cerveja o patrão se pôs a tossir como para me provar a sua simpatia. Mais tarde, cruzei-me distraidamente com um polícia que quando reconsiderei e me virei para lhe pedir ajuda fitou-me de longe parecendo hesitar em prender-me. Cada vez que um peão vinha ao meu encontro pelo mesmo passeio, este embora largo não nos permitia passar, apesar de todos os nossos esforços e desvios, sem chocarmos ridiculamente para logo nos confundirmos em desculpas. Acabei por abandonar a busca da saída, a última possibilidade de me isolar, mas passei a ter desde então para tentar pelo menos convencer-me de que são os que me rodeiam que copiam meticulosamente os meus gestos e não eu que sou o reflexo de cada um este andar trôpego, estas cóleras súbitas e esta atitude desconcertante que tanto me leva a disputar de gatas um lampião a um rafeiro como a plantar-me durante dias diante da estátua da praça numa contemplação muda e na esperança vã que a estátua aproveite para se soltar subrepticiamente e desaparecer ou que entre eu e ela se insinue alguém que não repare em mim nem comigo se pareça.
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avait bien une porte – je négligeai celle qui visiblement défendait l’accès aux caves ou tout au plus le réduit aux poubelles – mais j’entrai dans un logement sale dont je trouvai l’occupante devant ses fourneaux. Je levai la main dans un geste d’excuse, elle leva la sienne pour me signifier que ma présence ne l’incommodait guère et me tourna le dos tandis que je ressortais. Je remontai la rue en calculant que si je tournais chaque fois dans la première transversale la troisième ou au plus la quatrième serait infailliblement celle où s’élevait mon immeuble où mon seul désir était de me retrouver aussi vite que possible. Chemin faisant, je saluai vaguement quelques passants qui semblaient m’adresser quelque geste de reconnaissance que je n’étais pas bien sûr de correctement interpréter car leur sourire un peu contraint laissait entendre qu’il y avait peut-être méprise. Je n’ai pas trouvé ma rue. Je me suis désaltéré dans un bistrot où comme je m’étranglais en buvant ma bière le patron se mit à tousser comme pour témoigner sa sympathie. Plus tard, je croisai distraitement un agent qui quand je me ravisai et me retournai pour lui demander assistance me dévisagea de loin semblant hésiter à m’appréhender. À chaque fois qu’un piéton venait à ma rencontre sur le même trottoir, celui-ci bien que large ne nous permettait pas de passer, malgré tous nos efforts, tous nos écarts, sans nous cogner ridiculement, pour nous confondre aussitôt en excuses. J’ai fini par abandonner de chercher la sortie, la dernière possibilité de m’isoler, mais j’ai acquis depuis pour au moins tenter de me convaincre que ce sont ceux qui m’entourent qui copient méticuleusement mes gestes et pas moi qui suis le reflet de chacun cette démarche heurtée, ces brusques colères et cette attitude déconcertante qui me fait aussi bien disputer à quatre pattes un réverbère à un roquet ou me figer pendant des jours en face de la statue de la place dans une contemplation muette et l’espérance vaine soit que la statue en profite pour se détacher subrepticement et disparaître soit qu’entre elle et moi s’interpose quelqu’un qui ne me remarquerait ni ne me ressemblerait.
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SER STAR
O mundo voltou a minguar ou são braços a fecharem-se
Fiquei prostrado durante muito tempo, incapaz de perceber como é que a pretexto de amizade podiam autorizar-se a sentar assim à minha mesa sem serem convidados, enquanto ambos retomavam o fio, que um ligeiro aceno de cabeça mal chegara a quebrar, duma conversa senão fútil certamente agradável a avaliar pelas gargalhadas, na qual me achavam com ar demasiado sombrio para poder estar interessado. Só se imiscuíam no meu isolamento para mo devolver como um castigo, partilhando apenas uma mesa de café, quase por violação, o eco duma alegria para mim impenetrável, uma presença velada pelo fumo e cujo rumor tanto podia anunciar a iminência do combate como a imensidão da derrota. Ofuscado pela luz que o tabaco enevoava sem contudo torná-la menos crua, levemente enjoado pelo fedor das beatas e do suor, mais embalado do que ensurdecido pelo estrépito, tão regular como o bater duma máquina de escrever, dos copos a serem pousados sobre as mesas e das colheres a mexerem o café nas chávenas, examinava de esguelha os meus companheiros ao tempo que bebia, passeando o olhar pelos pés cansados por entre os papéis amachucados e a cinza fria até às mãos em vão agitadas, os rostos tão fechados, tão estranhos que os próprios risos soavam a ameaças, e acabei por descobrir que debaixo daquelas roupas à civil e do seu desleixo crispado, eram guardas, mais precisamente os meus guardas, e porventura de longa data. Primeiro não acreditei no que os meus olhos viam, recusando-me a admitir que a amizade, por muito suspeita que seja, tivesse por única finalidade facilitar uma vigilância e, para dissipar qualquer dúvida, fiz menção de me levantar; com uma prontidão um tudo nada excessiva, agarraram-me cada qual por um braço, rindo às bandeiras despregadas, propondo com firmeza acompanhar-me quando as minhas pernas vacilantes já não podiam comigo. Fiquei prisioneiro durante muito tempo, deixando apenas a minha cela para me encafuar nas oficinas de trabalho forçado cuja inépcia é suposta devolver-nos o gosto pela reabilitação e no refeitório, o único lugar onde era possível trocar com um cigarro algumas palavras debaixo do olhar bonacheirão de guardas desta vez fardados, os quais por meia dúzia de tostões nos serviam uma água quente e cheia de borra que teimavam em chamar café talvez para 60
Le monde a encore rétréci ou ce sont des bras qui se referment
LE HÊTRE DE L’ÉTANG
Je restai longtemps ahuri, incapable de comprendre comment l’on pouvait ainsi s’autoriser du couvert de l’amitié pour s’asseoir à ma table sans y être invité, tandis qu’ils renouaient le fil, à peine interrompu par une brève salutation d’un signe de tête, d’une conversation sinon futile assurément plaisante à en juger par les éclats de leur rire, à laquelle ils me jugeaient la mine sans doute trop sombre pour m’intéresser. Ils ne s’immisçaient dans mon isolement que pour m’y rendre comme à un châtiment, ne partageant tout au plus qu’une table de café, presque par effraction, l’écho d’une gaîté pour moi impénétrable, une présence estompée par la fumée et dont la rumeur pouvait aussi bien annoncer l’imminence du combat que l’immensité de la défaite. Aveuglé par la lumière que le tabac ternissait sans la rendre moins crue, légèrement écœuré par des relents de mégots et de sueur, bercé plus qu’assourdi par le fracas, aussi régulier qu’une frappe de machine à écrire, des verres se posant sur les tables et des cuillers remuant le café dans les tasses, j’examinais mes compagnons à la dérobée tout en buvant, remontant des pieds fatigués traînant parmi les papiers froissés et la cendre froide aux mains vainement agitées, aux visages si fermés, si étrangers que leur rire même s’avérait une menace, et je finissais par découvrir que sous leurs vêtements civils et leur nonchalance crispée, ils étaient gardiens, plus précisément mes gardiens, et l’étaient sans doute depuis longtemps. Je n’en crus d’abord pas mes yeux, me refusant à admettre que l’amitié, aussi sujette à caution soit-elle, n’eût d’autre fin que de faciliter une surveillance et, pour dissiper tout doute, je fis mine de me lever, un rien trop prompts ils m’agrippèrent chacun par le bras en riant de plus belle, s’offrant fermement à me raccompagner tandis que mes jambes flageolantes ne me portaient plus. Je restai longtemps prisonnier ne quittant ma cellule que pour les ateliers de travail forcé dont l’ineptie est censée nous redonner le goût de la réhabilitation et le réfectoire, le seul endroit où il était possible d’échanger avec une cigarette quelques mots sous l’œil débonnaire de gardiens en uniforme cette fois, qui contre quelques piécettes allaient nous chercher une eau chaude bourbeuse qu’ils s’obstinaient à dénommer café peut-être pour se justifier d’en boire eux-mêmes. Les conversations roulaient sur des trocs, trafics, rixes ou paris, mais 61
justificar o facto de também beberem daquilo. As conversas rolavam sobre negócios, tráficos, rixas ou apostas, mas eu só me apercebia dos risos tão ruidosos que quase era preciso gritar para os cobrir ao debruçar-me sobre o companheiro mais à mão, o qual sem furar a cortina de fumo que nos separava virou costas bruscamente mal ouviu a palavra evasão, fustigando-me com uma risada severa, no instante em que eu adivinhava confusamente que, de cortês e interessado em tosquiar-me, ele passara a considerar-me agora ovelha negra. Nunca mais havia de conseguir meter conversa nem dissipar a súbita reserva dos meus vizinhos e a sala esvaziava-se à medida que as horas passavam até os vigilantes começarem a empilhar as cadeiras em cima das mesas, limpar o chão a pano e espalhar serrim fresco, e quando me vi sozinho à mesa um guarda enfadado veio apanhar-me pela manga e empurrou-me sem contemplações para uma masmorra escura, e dei comigo a lamber o chão de cimento áspero enquanto ele me aferrolhava a porta na cara. Fiquei a protestar durante muito tempo até me levantar às apalpadelas a uma parede cujos graffitis os meus dedos acariciavam sem conseguirem decifrá-los, à espera que os meus olhos se habituassem às trevas escassadamente maculadas pelo rectângulo de luz amarela vinda do corredor e pela claridade um pouco mais distante duma lâmpada junto à abóbada que do cárcere só revelava uma profundidade insólita para a qual me dirigi finalmente arrastando os pés com medo de invisíveis obstáculos. Fechando os olhos podia imaginar-me lá fora a passear numa rua onde as paredes só enclausurassem os moradores sem formarem os tais recantos que era sempre preciso contornar no mesmo sentido para ir parar ao ponto de partida sem se dar por isso e por tardarem a aparecer na ponta dos meus dedos esticados abri os olhos e constatei que caminhava efectivamente numa rua, que saíra inexplicavelmente da prisão cujas sirenes, em toque de alerta, me fizeram sobressaltar de repente diante dum carro que teve de dar uma guinada para me evitar e me atirou para uma dura porta de ferro. Portanto estava mesmo no meu cárcere cuja curiosa decoração permitia ao cansaço atribuir-lhe a aparência ilusória de cenários outrora entrevistos ou antes sonhados uma vez que eu já nem conseguia levantar as pálpebras e ainda estava no mesmo sítio quando as voltei a abrir; mas era dia conquanto eu não conseguisse avistar a menor abertura por onde a luz pudesse filtrar, talvez uma cornija debaixo da abóbada demasiado alta para ser visível embora tão deteriorada que a água ressumava por toda a parte a ponto de os guardas que, vindos de 62
je n’en percevais que les rires bruyants qu’il fallait presque crier pour couvrir en me penchant vers mon plus proche compagnon qui sans écarter le rideau de fumée qui nous séparait se détourna brusquement au mot évasion, me jetant par-dessus l’épaule un éclat cinglant de rire, cependant que je soupçonnais confusément que d’abord poliment intéressé par la perspective de me tondre il me prenait désormais pour une brebis galeuse. Je ne devais plus parvenir à entamer la conversation ni la réserve soudaine de mes vis-à-vis qui petit à petit partaient d’eux-mêmes réintégrer leur cellule, la salle se vidant à mesure que les heures s’écoulaient jusqu’à ce que les surveillants commencent à empiler les chaises sur les tables, passer les serpillères et répandre de la sciure neuve, et quand je restai seul attablé un gardien las vint me prendre par l’épaule et me poussa sans ménagement vers un cachot obscur dont je mordis la poussière sur le béton râpeux tandis qu’il en verrouillait derrière moi la porte. Je pestai longtemps avant de me relever tâtonnant le long du mur dont mes doigts caressaient sans les déchiffrer les graffiti en attendant que mes yeux s’habituent aux ténèbres que trouait sans éclairer un rectangle de lumière jaune tamisée venant du couloir puis plus loin une ampoule à proximité de la voûte qui ne révélait de la geôle que la profondeur insolite vers laquelle je finis par me diriger en traînant les pieds par crainte d’invisibles obstacles. En fermant les yeux je pouvais m’imaginer à l’extérieur me promenant dans une rue où les murs n’eussent enfermé que ses habitants sans former ces recoins qu’il fallait toujours contourner dans le même sens pour se retrouver au point de départ sans même s’en apercevoir et dont le retard à apparaître devant mes mains tendues me fit rouvrir les yeux pour constater que je marchais effectivement dans une rue étant inexplicablement sorti de la prison dont les sirènes d’alarme me firent brusquement sursauter devant une voiture qui dut pour m’éviter faire une embardée et me jeta contre une dure porte de fer. J’étais donc bien dans mon cachot à qui sa curieuse décoration permettait à la fatigue de prêter l’illusoire apparence de décors autrefois entrevus ou plutôt rêvés puisque je ne parvenais déjà plus à soulever les paupières, et j’y étais toujours quand je les rouvris, mais il faisait jour encore que je ne pusse apercevoir la moindre ouverture par où celui-ci filtrât, sans doute par une corniche sous la voûte trop haute pour être visible mais si délabrée que l’eau suintait de partout à tel point que les gardiens qui, d’innombrables portes que je n’avais jusqu’alors pas remarquées, pénétraient pour la traverser rapidement sans me prêter aucune attention dans la geôle, portaient tous des parapluies. Je ne 63
inúmeras portas nas quais não tinha até então reparado, penetravam atravessando-a depressa e sem me prestar nenhuma atenção na masmorra, traziam todos guarda-chuvas. Não via nenhuma porta que pelo aspecto sugerisse poder ser uma saída, a qual presumivelmente não correspondia à entrada da qual fosse como fosse eu já tinha esquecido o paradeiro como perdera qualquer referência que me permitisse orientar-me, de modo que vencendo o medo e a vergonha resolvi interpelar um daqueles guardas indiferentes para lhe pedir um encontro senão com o director pelo menos com o chefe dos guardas da prisão a fim de lhe suplicar que me autorizasse a ficar com os companheiros de cárcere ou ao menos num cenário menos estranho, menos condenado; ora ele fitou-me durante muito tempo com um ar desconfiado, depois esboçando um sorriso, ou melhor desatando a vir, ajudou-me a dar três passos, empurrou uma porta, deixou-me passar, convidou-me a sentar a uma mesinha circular e antes de começar o interrogatório a um colega encomendou a rir-se uma grande chávena de café muito forte para mim um galão e croissants.
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voyais aucune porte qui par son aspect pût laisser supposer qu’elle constituait une issue, laquelle se pouvait présumer ne pas correspondre à l’entrée que j’avais de toutes façons perdue de même que tout repère me permettant de m’orienter, si bien que surmontant ma peur et ma honte je résolus d’interpeler un de ces gardiens indifférents pour demander à rencontrer sinon le directeur du moins le gardien-chef de la prison afin de le supplier de me laisser rejoindre mes compagnons de chaîne ou pour le moins quelque décor moins étrange, moins condamné; or il resta longtemps à me dévisager d’un air soupçonneux puis se déridant, ou éclatant plutôt de rire, me fit faire trois pas, poussa une porte, me laissa passer, m’invita à m’asseoir devant une petite table circulaire et avant de commencer l’interrogatoire à un collègue commanda en riant une grande tasse de café très fort pour moi un crème et des croissants.
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ao corsário que ao ver o tesouro acumulado nos porões terá naufragado o seu navio
AO FUNDO, EM BAIXO
Para quê acordar? pois era essa no fundo a única questão. Para quê sair e perder-me de enfiadas de portas trancadas em alinhamentos de sorrisos fechados, exibindo a sua repugnância em sustentar os meus sonhos, para de novo me achar ao cimo destas escadas de número imutável, com uma garrafa – encontro venal e previsível – na mão, frente a esta porta mais hermética ainda por eu ter a chave e ela se abrir apenas para uma mansarda suja e vazia. Para quê escrever, se eu começava invariavelmente por desarrolhar uma garrafa que somente pousava, vazia, para voltar a adormecer. Assim, durante muito tempo, a vontade de escrever fez-me as vezes de relação verdadeira com a escrita; ocultava ela o desejo turvo de seduzir, tal como despia em pensamento, todas as mulheres que cruzava no meu caminho, nesse lugar comum do passeio onde os meus passos procuravam ainda a razão ou o direito de se imprimirem. Alguns encontros mais fáceis chegaram a convencer-me tanto da inutilidade de escrever como da insatisfação que podia tirar do confronto dos meus sonhos – inconfessados e que eu encobria como facturas num fundo falso escancarado – com corpos que não tinha inventado. A ideia deve ter vindo do amontoado de garrafas vazias – para além da borra resta-nos ainda o vidro – de que a ausência de tesouro, a transmutação da carne em chumbo, derivava da ausência de busca, por falta de indícios para orientar a minha caça. Quando afinal o fabrico dum mapa do tesouro está ao alcance de qualquer engraçadinho.
RECEITAS E SEGREDOS REVELADOS PARA O FABRICO DE MAPAS DO TESOURO (extracto): – Pegue numa bússola e, quando fizer as suas compras diárias, anote cuidadosamente o número de passos, bem como a orientação destes, durante o trajecto. A trivialidade deste último, ou do seu propósito, não deverá de maneira nenhuma influir sobre o destino do seu mapa. Se não possuir bússola, contente-se com indicar esquerda ou direita no início de cada segmento. – (se tantas conquistas o fartaram) Anote numa coluna os seus encontros referenciando apenas a inicial da pessoa com quem se vai encontrar caso o nome comece por um E, N, O ou S, ou a mais próxima destas quatro letras, seguida pelos algarismos relativos à hora fixada.
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au corsaire qui à la vision du trésor amassé dans les cales aura naufragé son vaisseau
AU FOND EN BAS
Pourquoi s’éveiller? car c’était bien là la seule question. Pourquoi sortir et me perdre d’alignements de portes closes en enfilades de sourires fermés, étalant leur répugnance à nourrir mes rêves, pour me retrouver au haut de ces marches au nombre immuable, une bouteille – rencontre vénale et prévisible – à la main, devant cette porte plus hermétique encore, puisque j’en avais la clef et qu’elle ne s’ouvrait que sur une mansarde sale et vide. Pourquoi écrire, puisque je commençais invariablement par déboucher la bouteille et que je ne la reposais, vide, que pour aller me rendormir. Ainsi, pendant longtemps, la volonté d’écrire me tint lieu de rapport véritable à l’écriture; derrière elle, le désir trouble de séduire comme je la déshabillais en pensée toute femme croisée sur mon chemin, sur ce lieu commun du trottoir où mes pas cherchaient encore leur raison ou leur droit de s’imprimer. Quelques rencontres plus faciles m’avaient déjà convaincu aussi bien de l’inutilité d’écrire que de l’insatisfaction que je pouvais retirer de cette confrontation de mes rêves – inavoués et que j’enfouissais comme les factures dans un double fond béant – avec des corps que je n’avais pas inventés. L’idée dut naître de l’amoncellement de bouteilles vides – au-delà de la lie reste encore le verre – que l’absence de trésor, la transmutation de la chair en plomb, dérivait de l’absence de quête, faute d’indices pour orienter ma chasse. Alors que la fabrication d’une carte au trésor est à la portée du premier plaisantin venu.
RECETTES ET SECRETS DÉVOILÉS POUR LA FABRICATION DE CARTES AU TRÉSOR (extrait): ‒ Prenez une boussole et, en allant faire vos courses quotidiennes, notez soigneusement le nombre de pas, ainsi que leur orientation, de votre trajet. La trivialité de ce dernier, ou de son but, ne saurait en aucun cas influer sur le sort de votre carte. Si vous ne possédez pas de boussole, vous pouvez vous contenter d’indiquer gauche ou droite au départ de chaque segment. ‒ (si vous êtes las de vos bonnes fortunes) Vous notez en colonne vos rendez-vous en ne gardant que l’initiale de la personne que vous allez rencontrer si elle commence par un E, N, O ou S, ou la plus proche de ces quatre lettres, suivie des chiffres de l’heure fixée.
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– ... É indispensável enfeitar o seu mapa com um plano qualquer com ou sem legendas mas encabeçado pela insubstituível cruz, a fim de evitar qualquer confusão com um código, ou pior com um projecto de palavras cruzadas.
Redigi rapidamente, à luz destes modelos e doutros, mapas que bastaram para encher toda a minha reserva de garrafas vazias. Depois desta actividade febril tive de recolher à cama por vários dias, ao passo que a etapa seguinte se mostrava, por mais que nela pensasse, insolúvel: tratava-se doravante de remeter os tais mapas para um destinatário que se submetesse ao jogo. As instruções, partir dum ponto qualquer e seguir à letra o plano que, tendo o ponto de partida deste sido deslocado, desagua irremediavelmente no desconhecido – um só plano podendo servir infinitamente, e toda a vida podendo ser definida como submissão a um destes que só falta traçar –, pareciam-me suficientemente simples para serem percebidas de imediato sem mais detalhes; mas a incredulidade geral ou por si só a indiferença para com uma procura desta ordem não deixavam de me inspirar dúvidas sobre o êxito do empreendimento. Recuei perante a perspectiva duma viagem até à beira-mar e afinal resolvi-me a atirar um certo número de garrafas ao Sena; deixei várias bem à mostra no topo dos baldes do lixo e disseminei as outras, uma abandonada em cima dum banco do parque Monceau, outra enfiada furtivamente no cabaz duma dona de casa no mercado d’Aligre, outra ainda pousada no sopé da imponente escadaria dum prédio do boulevard Raspail...; percebi logo após ter distribuído a última garrafa que os meus planos tinham fracassado, que em boa verdade me tinha livrado do estorvo das garrafas e do seu precioso conteúdo, que no fim de contas era unicamente a mim dirigido, e às ordens do qual eu era o único a poder obedecer. Lembrei-me duma mulher, a única, que um dia tinha perseguido até à porta do cavalo aonde desaparecera – os passos dela afastaram-se decrescentes por detrás do batente – e que eu não tinha transposto. Estava, continuo a estar, convencido de que ela tinha, consciente da minha presença importuna na sua peugada e assustada ou simplesmente aborrecida, escolhido aquela entrada ao acaso, de que ela não residia naquele prédio e iria esperar alguns minutos até eu renunciar, ir-me embora, antes de voltar a sair. Ora, mal deslindei o seu estratagema, afastara-me efectivamente, encolhendo os ombros, 68
‒… Il est indispensable d’agrémenter votre carte d’un plan quelconque, avec ou sans légende, mais affecté de l’immanquable croix afin qu’aucune confusion avec un code, pire un projet de mots croisés, ne soit permise.
Je rédigeai sur ces modèles et d’autres rapidement assez de cartes pour en emplir toute ma réserve de bouteilles vides. Après cette activité fébrile je dus m’aliter plusieurs jours, tandis que l’étape suivante s’avérait plus j’y pensais insoluble: il s’agissait désormais de faire parvenir ces cartes à quelque destinataire qui se soumît au jeu. Le mode d’emploi, partir d’un point quelconque et suivre pas à pas le plan qui, une fois déplacé son point de départ, débouche irrémédiablement sur l’inconnu – un seul plan pouvant servir infiniment et toute vie pouvant être définie comme la soumission à l’une de ces cartes qu’il ne reste qu’à tracer –, m’apparaissait suffisamment simple pour être compris d’emblée sans plus de précisions; mais l’incrédulité générale ou seulement l’indifférence pour une telle quête ne laissaient pas de me faire douter de l’issue de mon entreprise. Je reculai devant un voyage au bord de mer et me résolus finalement à jeter un certain nombre de bouteilles dans la Seine; j’en laissai plusieurs en évidence au-dessus de poubelles et je disséminai les autres, laquelle abandonnée sur un banc du parc Monceau, laquelle glissée furtivement dans le cabas d’une ménagère au marché d’Aligre, laquelle déposée au pied de l’imposant escalier d’un immeuble du boulevard Raspail...; je compris aussitôt la dernière bouteille placée que j’avais échoué dans mon propos, que je m’étais en fait débarrassé de ces encombrantes bouteilles et de leur précieux contenu qui ne s’adressait au bout du compte qu’à moi, à l’ordre duquel j’étais seul à pouvoir obéir. Je me souvins d’une femme, la seule, que j’avais un jour suivie jusqu’à une porte cochère où elle avait disparu – ses pas s’étaient éloignés décroissants derrière le battant retombé – et que je n’avais pas franchie. J’étais, je reste, persuadé qu’elle avait, consciente de ma présence importune dans son dos et effrayée ou simplement ennuyée, choisi cette entrée au hasard, qu’elle ne résidait pas dans cet immeuble et allait attendre quelques minutes, le temps que je renonce, reparte, avant de ressortit Or à peine percé son stratagème, je m’étais effectivement éloigné, haussant les épaules, mais poussé
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mas levado em última análise pelo medo. ...Regressei, com os braços carregados de outras garrafas, a esta mansarda donde hoje sei que nunca mais me evadirei. Durmo. Só acordo para chegar aos lábios o gargalo duma garrafa, mais uma garrafa enquanto as houver, para poder voltar a adormecer, pois renunciei – enfim – a sair ou a escrever. Porque terei eu deixado a porta aberta?
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en dernier ressort par la peur. …Je suis revenu, les bras chargés de nouvelles bouteilles, à cette mansarde d’où je sais aujourd’hui que je ne m’échapperai plus. Je dors. Je ne m’éveille que pour porter à mes lèvres le goulot d’une bouteille, encore une bouteille tant qu’il en reste, pour pouvoir me rendormir, puisque j’ai – enfin – renoncé à sortir ou à écrire. Pourquoi donc ai-je laissé la porte ouverte?
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SEM PÃO (conta dos 1001 dias)
Mais um traço, menos um dia. Lembro-me de uma vez ter pensado em resumir cada dia por uma palavra, mas abandonei a ideia, não tanto por causa da obrigação de ter de eleger um único vocábulo para dar conta dum dia inteiro mas devido à dificuldade em manter uma contabilidade rigorosa, e fiquei-me pelo sistema convencional dos grupos de quatro traços riscados, inscrevendo instintivamente a minha diligência num quadro codificado, reduzindo-a a uma ilustração da tal condição humana que só me resolvera a limitar por falta de coragem para a combater e achando que essa submissão ao lugar comum me convinha, bem feitas as contas. Esqueci aliás as razões iniciais da minha decisão, mas são fáceis de imaginar, e ainda não mudaram afinal de contas. Sei que, no absoluto, poderia voltar a tomar a mesma decisão, pois embora a proximidade da meta me tire o sono o medo que me habita é totalmente difuso e perdeu o seu objecto, portanto não tem que entrar em linha de conta. Todavia ignoro por que motivo fixei arbitrariamente a prorrogação nesse número mítico, talvez por nessa altura me pare cer infinito, determinando um limite tão longínquo que logo se tornava adiável, e não tive consciência de desencadear uma irreversível contagem decrescente, ou pelo menos não tive isso em conta. Quase me dava vontade de rir quando marcava os primeiros dias, disposto a riscar dez traços por um só dia na vertigem do espaço a preencher, de deitar contas às horas tão intensamente me era dado saboreá-las, multiplicá-las no ilimite da sua fracção, no seu fluir insensível, e ao descobrir a minha súbita riqueza gastava-as sem contar Hoje não choro não, mas se o fizesse não seria por já conseguir avaliar mentalmente as poucas linhas que me resta riscar, mas por constatar que o tédio e a apatia não tardaram a voltar antes de eu ter podido dar-me conta. Mais um revés, menos um pesar. Aos poucos retomei os meus antigos hábitos, quase sob forma de horários, com lugares familiares, encontros previsíveis, conversas inúteis, que voltaram a tomar conta do meu tempo tanto mais depressa quanto os negligenciava e fazia de conta. Acabei por esquecer a vida como tinha vivido esquecendo a morte, mal recordado das minhas razões de morrer e sempre incapaz de viver melhor, refugiando-me no meio dos outros, pondo a minha preguiça na conta dos compromissos deles que aliás partilhava confortavelmente sem ter de os assumir e descontar na minha conta. Engoli raiva e desespero, e doravante já só lutava contra o frio, as horas, o vazio 72
SANS PAIN (compte des 1001 jours)
Un trait de plus, un jour de moins. Je me souviens que j’ai une fois pensé résumer chaque jour par un mot, mais que j’ai abandonné l’idée, non pas tant à cause de la contrainte d’avoir à élire un unique vocable pour rendre compte d’une journée entière que pour la difficulté d’en tenir une stricte comptabilité, et je m’en suis tenu au système conventionnel des groupes de quatre traits barrés, inscrivant instinctivement ma démarche individuelle dans un cadre codifié, la ramenant à une illustration de cette condition humaine que je n’avais décidé de limiter que faute du courage pour la combattre et trouvant dans cette soumission au lieu commun mon compte. J’ai oublié d’ailleurs les raisons initiales de ma résolution, mais elles sont faciles à imaginer, et demeurent inchangées au bout du compte. Je sais que je pourrais, dans l’abstrait, prendre encore pareille décision, car si la proximité du terme ne me laisse plus de repos, la peur qui m’habite est totalement diffuse et a perdu tout objet, aussi n’a-t-elle pas à entrer en ligne de compte. J’ignore toutefois pourquoi j’ai arbitrairement arrêté mon sursis à ce chiffre mythique, sans doute me semblait-il alors infini, fixant une limite si lointaine qu’elle en devenait reculable, et je n’ai pas eu conscience d’enclencher un irréversible compte à rebours, ou du moins n’en ai-je pas tenu compte. C’est tout juste si je ne riais pas en cochant les premiers jours, prêt à rayer dix traits pour une journée dans l’ivresse de l’espace à remplir, à tenir mon décompte en heures tant je les savourais intensément, multipliées dans l’infini de leur fraction, passant si insensiblement que, me découvrant soudain si riche, je les dépensais sans compter. Il est faux que je pleure aujourd’hui, mais si je devais le faire, ce ne serait pas parce que je peux déjà mentalement évaluer le peu de lignes qu’il me reste à tracer, mais de constater que l’ennui et l’apathie étaient bientôt revenus, avant que je m’en fusse rendu compte. Un échec de plus, un regret de moins. J’ai commencé petit à petit à retrouver de vieilles habitudes, presque des horaires, avec lieux familiers, rencontres prévisibles, conversations inutiles, qui reprirent leur empire d’autant plus vite que je les avais facilement laissés pour compte. J’ai fini par oublier la vie comme j’avais vécu en oubliant la mort, me rappelant à peine mes raisons de mourir et toujours incapable de mieux vivre, me réfugiant parmi les autres, mettant ma paresse sur le compte de leurs compromis que je partageais confortablement sans avoir à les prendre à mon compte. J’ai ravalé rage et désespoir, ne luttant bientôt plus que contre le froid, 73
que atulhava com traços quotidianos, absurdos, reduzidos a uma marcação de ponto, a mais um hábito, contentando-me com uma poupança de penas, quase satisfeito por me safar provisoriamente por um preço muito em conta. Vomito por todos os poros a minha vida com tanto nojo como no dia em que julguei jogá-la definitivamente, mas agarro-me a estas tréguas – quem muito espera fica à espera – , a este parêntesis que, não apesar da sua insignificância mas precisamente pela sua insignificância, passou mais do que tudo a contar. Encontrara a maneira, infantil é certo, de imprimir a marca de cada dia passado, embora não distinguisse noites em claro de domingos, dias vividos de dias chovidos, e julgara reinventar o tempo sem ter consciência de que errara na conta. Com efeito tinha perdido a paixão bem antes da minha ânsia apagar o desejo até cada dia passar a ser tão só o risco irrisório ao qual se havia de resumir no fim de contas. Mais um inverno, menos uma primavera. Ao tentar dilatar a duração do tempo comprimindo-o, só consegui envelhecer, naturalmente, sem que o número de rugas correspondesse às linhas quotidianas, as primeiras tão destituídas de sentido como as segundas, alheias ao meu entendimento na medida em que não me reconhecia nelas, em que não esclareciam o meu erro de contas. Aos poucos renunciei a escrever, a consignar fosse o que fosse excepto este calendário cujas páginas se acumulam sem poderem ser arrancadas, nem número nem encontro, nem palavra nem nome, fechando os riscos em grades sobre o meu isolamento que a experiência quase não acentuara mas que constituía no entanto a consequência mais pesada de todas as que eu não tivera em conta. Não iria até afirmar que a solidão seja a causa do pânico pois ela anestesia mais do que intensifica todas as sensações, todos os sentimentos, o pânico nasceu pelo contrário do excesso de insensibilidade acumulada que acabou por transbordar, a menos que me anuncie a presença prematura do fim que se aproxima de mim como um iminente ajuste de contas. Não nego que tenha por vezes sentido a tentação de me “esquecer” de marcar um dia, contudo nunca foi minha intenção subtrair algum momento privilegiado à frieza das contas, no máximo talvez tivesse a veleidade de afrouxar o correr dos dias, a multiplicação dos traços, mesmo sabendo pertinentemente que a mínima falha teria anulado duma só vez a trajectória percorrida e que só a mim próprio deveria prestar contas. Um dia contei a minha decisão, tendo percebido ou imaginado um despertar de interesse por parte daquele ou daquela que me escutava, transeunte, aqueloutro solitário já meio bebido, encontro fortuito, ao 74
les heures, le vide que je comblais de traits quotidiens, absurdes, réduits à un pointage, une habitude de plus, me contentant d’épargner sur le malheur, presque satisfait de m’en tirer provisoirement à si bon compte. Je dégueule cette vie autant que le jour où je crus la jouer définitivement, mais je m’accroche à mon répit – on ne recule jamais que pour mieux reculer –, à cet entracte qui, non pas en dépit de son insignifiance mais par cette insignifiance même, en est venu à seul compter. J’avais trouvé le moyen, infantile certes, d’imprimer la marque de chaque jour passé, même si je ne différenciais pas nuits blanches ni dimanches, jours vécus ni jours de pluie, et j’avais cru réinventer le temps, mais j’étais loin du compte. J’avais perdu en fait toute passion longtemps avant que l’affolement n’éteigne le moindre désir, jusqu’à ce que de chaque journée je ne voie plus que la rayure dérisoire à laquelle elle devra se réduire en fin de compte. Un hiver de plus, un printemps de moins. Comme je tentais en rétrécissant le temps d’en dilater la durée, je n’ai fait que vieillir; naturellement, sans que le nombre des rides accompagne celui des encoches journalières, les unes aussi dénuées de sens que les autres, toutes me restant étrangères dans la mesure où je ne m’y reconnaissais pas, où elles ne m’éclairaient pas sur mon propre compte. J’ai peu à peu renoncé à écrire, à noter autre chose que ce calendrier dont les pages s’ajoutent sans pouvoir être arrachées, ni numéro ni rendez-vous, ni mot ni nom, refermant les barres en barreaux sur mon isolement à peine renforcé au cours de l’expérience, constituant pourtant la conséquence la plus lourde à supporter parmi toutes celles que je n’avais pas prises en compte. Je n’affirmerais pas que la solitude soit la cause de la panique car elle anesthésie plus qu’elle n’intensifie toute sensation, tout sentiment, la panique est née bien plutôt de l’excès d’insensibilité accumulée qui finit par déborder, à moins qu’elle ne signale la présence prématurée de la fin qui me rejoint à pas comptés. Je ne nie pas que j’aie eu parfois la tentation d’”oublier” de cocher une journée, il ne s’agissait cependant jamais d’ôter quelque moment privilégié à l’égalisation du compte, tout au plus d’une velléité de freiner l’écoulement des jours, l’accroissement des traits, tout en sachant pertinemment que le moindre manquement aurait annulé d’un coup le parcours accompli et que c’était à moi-même que j’avais à rendre des comptes. J’ai conté une fois ma résolution, ayant perçu, ou imaginé, l’éveil de l’intérêt chez celui ou celle qui m’écoutait, passante, autre solitaire déjà éméché, rencontre fortuite, tout en l’aidant à ramasser ses paquets, en lui offrant une tournée, en balbutiant des excuses, enchaînant sans 75
ajuda-la a apanhar os embrulhos espalhados pelo chão, oferecendo-lhe uma rodada, balbuciando desculpas, encadeando sem premeditação nem sequer por necessidade de aliviar o terror que se tornara insuportável, por mero vício de tagarela incorrigível, sem procurar inspirar nem simpatia nem piedade, sem pretender partilhar os meus pontos de vista visto que não podia partilhar o meu destino, sem tentar verdadeiramente prolongar esse momento de fraqueza em que tirava partido dum equívoco, duma conjunção forçada de acasos com cujo significado oculto não me atrevia a contar. Calei-me quando ela esperava não que prosseguisse mas que mudasse de assunto, que levantasse os olhos, que aproximasse a mão, e vi-o suspirar e afastar-se, segui a sua silhueta que se atenuava, já não passava duma linha entre outras linhas, semelhantes e tremidas, multidão que ia e vinha, subia e descia a rua, entrava e saía do café, formando apenas um vago desenho de traços regularmente riscados entre os quais desaparecera, porque a partir dum certo número, sobretudo quando os olhos se embaciam, se torna impossível distinguir cada traço quanto mais contá-los. Mais uma mulher, menos um homem.
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préméditation, pas même pour soulager la terreur devenue insupportable, par simple vice de bavard incorrigible, sans chercher à inspirer ni sympathie ni pitié, sans prétendre partager mes vues puisque je ne pouvais faire partager mon sort, sans vraiment essayer de prolonger ce moment de faiblesse où je profitais d’une équivoque, d’une conjonction forcée de hasards sur la signification cachée desquels je m’interdisais de compter. Je me suis tu alors qu’elle attendait, non que je poursuive, mais que je change de sujet, que je lève les yeux, que je rapproche ma main, et je l’ai vu s’éloigner après avoir soupiré, j’ai suivi sa silhouette qui s’atténuait, n’était plus qu’une ligne parmi d’autres lignes, semblables et tremblées, foule qui allait et venait, montait et descendait la rue, entrait et sortait du café, ne formant qu’un vague dessin de traits régulièrement barrés où elle avait disparu, car à partir d’un certain nombre, surtout quand les yeux se brouillent, il devient impossible de distinguer chaque trait, plus encore de les compter. Une femme de plus, un homme de moins.
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MAQUILHAGEM DE POEIRA
Basta um momento de distracção. Tu pensavas em mim, fixamente, e alguém te terá chamado; viraste-te, ou paraste, ou abrandaste; um nome gritado que não te era dirigido, uma mancha de ferrugem a emoldurar a recordação, um foguete na meia imagem que se queimou, uma gota de chuva turvando na tua testa o reflexo do pensamento, uma vaga semelhança que terás querido identificar; ou até uma dor no pé. Em todo o caso paraste, abrandaste, baixaste os olhos, ou fechaste-os, ou abriste-os. Eu eslava no meio da calçada. Durante uma fracção de segundo, fiquei imobilizado; o pesado automóvel passou-me pelo corpo sem abalo como um manto de invisibilidade. Ao imprimir-me a vermelho sobre o empedrado, apagou-me simultaneamente como uma recordação frouxa. Sabia que todos me tinham esquecido havia muito tempo, que a minha existência só estava presa ao fio do teu pensamento, que bastava um momento de distracção. Antes da sombra do carro me cobrir, antes mesmo da faísca de cromo me derrubar; já estava morto, tinhas-me esquecido. Precisei dum tempo infinito para te voltar a encontrar. Sombra transparente, doravante ignorava as distâncias, mas tu eras mais inconstante do que o vento. Em vão esperei por ti em tua casa, espiei-te nos cafés que costumávamos frequentar, na esquina dos monumentos que um dia sonharas visitar. Teria bastado um pensamento, como que um apelo, para te localizar; nem uma só vez pensaste em mim – no fundo, nunca pensavas, ou tão pouco. Foi pelo maior dos acasos – haverá menores? – que acabei por me cruzar contigo na plataforma da estação. Claro que não me viste. Colei-me aos teus passos e comecei uma perseguição paciente ao cabo da qual não ias poder escapar-me. Doravante ignorava o tempo, a mais fugaz das recordações permitiria materializar-me perante ti, fazer-me reconhecer. Às vezes basta um nome gritado, uma vaga semelhança, ou mesmo uma dor no pé. Conheci assim o tal quotidiano onde nunca tinha havido lugar para mim, em que as tarefas se sucediam incansavelmente, cada qual açambarcando à vez toda a tua atenção, por um caminho que, ao bifurcar constantemente, nunca te permitia lançar uma olhadela para trás. Teria gostado que tivesses amantes – ter-me-ia sido tão fácil deitar-me entre a pele deles e a tua, creio que na hora da dor as recordações teriam vindo à tona, teriam rompido o véu do prazer; que havia de aparecer-te por detrás do rosto do teu amante desfazendo-se em pó logo varrido pelo grande 78
MAQUILLAGE DE POUSSIÈRE
Il suffit d’un instant d’inattention. Tu pensais à moi, fixement, et on t’aura appelée; tu t’es retournée, ou tu t’es arrêtée, ou tu as ralenti; un nom crié qui ne s’adressait pas à toi, une tache de rouille apparue en surimpression sur le souvenir, un accroc au bas de l’image qui l’a fait filer, une goutte de pluie troublant sur ton front le reflet de ta pensée, une vague ressemblance que tu auras voulu identifier, ou même une douleur au pied. Toujours est-il que tu t’es arrêtée, tu as ralenti, tu as baissé les yeux, ou tu les as fermés, ou tu les as ouverts. Je me trouvais au milieu de la chaussée. Une fraction de seconde, je suis resté immobilisé; la lourde voiture m’est passée sur le corps sans secousse comme un manteau d’invisibilité. En m’imprimant en rouge sur le pavé, elle m’a simultanément effacé comme un souvenir lâche. Je savais que tous m’avaient depuis longtemps oublié, que mon existence ne tenait plus qu’au fil de ta pensée, qu’il suffisait d’un instant d’inattention. Avant que l’ombre de la voiture me recouvre, avant même que l’éclair de chrome me renverse, j’étais déjà mort, tu m’avais oublié. Il m’a fallu un temps infini pour te retrouver. Ombre transparente, j’ignorais désormais les distances, mais tu étais plus inconstante que le vent. Je t’ai vainement attendue chez toi, guettée dans les cafés que nous avions l’habitude de fréquenter, au coin des monuments que tu avais rêvé un jour de visiter. Il aurait suffi d’une pensée, comme un appel, pour te localiser; pas une seule fois tu ne pensas à moi – au fond, tu ne pensais jamais, ou si peu. C’est par le plus grand des hasards – y en a-t-il de plus petits? – que je te croisai finalement sur le quai de la gare. Tu ne m’as, bien sûr, pas vu. Je me suis collé à tes pas pour une poursuite patiente au cours de laquelle tu ne pouvais plus m’échapper. J’ignorais désormais la durée, le souvenir le plus fugace me permettrait de me matérialiser devant toi, de me faire reconnaître. Il suffit parfois d’un nom crié, d’une vague ressemblance, ou même une douleur au pied. J’ai ainsi connu ce quotidien où je n’avais jamais eu de place, où les tâches se succédaient inlassablement, chacune accaparant à son tour toute ton attention, selon une voie qui, bifurquant sans cesse, ne te permettait jamais de jeter un coup d’œil en arrière. J’aurais voulu que tu aies des amants – il m’aurait été si facile de me glisser entre leur peau et la tienne, je crois qu’à l’instant de la douleur les souvenirs seraient remontés, auraient crevé la surface du plaisir, que je te serais apparu derrière le visage de ton amant s’effritant en poussière aussitôt balayée par le grand vent engouffré 79
vento engolfado do teu corpo aberto em sobressalto como uma janela –; mas nunca deixaste ninguém penetrar na tua solidão, morto nem vivo, sonho nem recordação. Vi-te comer; apressada, dormir, agitada, acompanhei-te por todas as ruas, em todos os comboios. Comecei a temer que nunca parasses. E uma noite, na sonolência causada pelo balanço mole e irritante da carruagem, o meu fantasma entrou no teu pensamento, um solavanco imperceptível, um desses deslizes que fazem com que um joelho roce o da vizinha. O comboio entrava na estação, no meio da confusão precipitada dos viajantes com pressa de sair – materializei-me a teu lado, quase soerguendo o teu vizinho atónito que, dividido entre a cólera e a vergonha, acabou por pedir desculpa, atrasando-me de maneira que voltei a perder-te na multidão aos encontrões na plataforma, ou antes perdeste-me pois de repente senti-me flutuar e só te apanhei na avenida onde te afastavas a passos rápidos, quase mecânicos, sem hesitação, sem memória. Vi o automóvel surgir como um furacão no instante em que punhas o pé na calçada. Gritei, embora não me pudesses ouvir e desatei a correr. Teria bastado um momento de atenção; caminhavas fixamente, sem pensar em mim; eu chamava-te e tu não me ouvias, contudo viraste-te. Uma gota de chuva, um foguete na meia, uma dor no pé. Abrandaste, paraste. Estavas no meio da calçada; olhaste para mim, varaste-me, tentando identificar uma recordação, uma vaga semelhança. Basta a atenção dum momento; tomei corpo no instante em que saltei para cima de ti, derrubando-te, cobrindo-te com a minha sombra, apagando-te.
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de ton corps s’ouvrant dans un sursaut comme une fenêtre –; mais tu n’as jamais laissé personne pénétrer dans ta solitude, mort ni vif, rêve ni souvenir.. Je t’ai regardé manger, pressée, dormir, agitée, je t’ai accompagnée par toutes les rues, dans tous les trains. J’ai commencé à craindre que jamais tu ne t’arrêterais. Et un soir, dans l’assoupissement causé par le balancement mollement irritant du wagon, mon fantôme a rejoint ta pensée, un cahot imperceptible, un de ces glissements qui font qu’un genou entre en contact avec celui de sa voisine. Le train entrait en gare, au milieu de la confusion précipitée des voyageurs se pressant pour sortir – je me matérialisai à ton côté, soulevant à moitié ton voisin ahuri qui, hésitant entre la colère et la honte, finit par s’excuser, me retardant si bien que je te perdis à nouveau parmi la foule qui se bousculait sur le quai, ou plutôt tu me perdis car je me sentis soudain flotter et te rattrapai sur le boulevard où tu t’éloignais d’un pas rapide, presque mécanique, sans hésitation, sans mémoire. J’ai vu la voiture déboucher en trombe au moment où tu t’engageais sur la chaussée. J’ai crié, bien que tu ne pusses pas m’entendre, et je me suis élancé. Il aurait suffi d’un instant d’attention; tu marchais fixement, sans penser à moi; je t’appelais et tu ne m’entendais pas, pourtant tu t’es retournée. Une goutte de pluie, un accroc au bas, une douleur au pied. Tu as ralenti, tu t’es arrêtée. Tu te trouvais au milieu de la chaussée; tu as regardé vers moi, à travers moi, cherchant à identifier un souvenir, une vague ressemblance. Il suffit de l’attention d’un instant; j’ai pris corps au moment où je bondissais sur toi, te renversant, te recouvrant de mon ombre, t’effaçant.
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NADAR EM ÁGUAS
Achei-me no hospital. Por acaso, acidentalmente, ao vir visitar uma pessoa com quem tinha negócios, em convalescença, visita só mundana, até porque não podia senão deplorar a ausência de perigo com que decorrera a operação, pois a sua morte teria resolvido bastantes intrigas em que me atolava embora a principal vantagem consistisse em evitar-me ouvir os agradecimentos hipócritas pelo ramo de flores que a etiqueta me obrigava a trazer mas que só teria desejado oferecer a um cadáver A princípio não me reconheci. Tinha cortado relações há tanto tempo, mantendo, é certo, a minha estima, mas escolhendo um caminho que já não permitia interessar-me por mim próprio, menos ainda comprazer-me nas minhas dificuldades de que me chegavam ecos graças a esses amigos demasiado bem-intencionados que condenavam a minha indiferença mas nos quais adivinhava o deleite ao contar as minhas penas. Mas ver-me assim bruscamente tão velho, tão marcado. Revi-me numa certa época, de longe, sentado no café a que também eu me mantivera fiel, com aquele ar sempre tão abatido, perante o qual preferia desviar o olhar, abandonando-me a essa miséria à qual teria podido, no fundo, facilmente furtar-me, tanto mais cobarde quanto não podia ignorar que já nenhuma outra saída me era permitida. Surpreendi-me a rir. Claro, que pela minha parte pouco tinha mudado, só mais barriga, alguns novos hábitos como o uso da gravata, etc., deslocados neste sítio, e até perfeitamente ridículos entre o meu boquiaberto espanto e o meu bouquet, como se tivesse vindo escarnecer da minha degradação, embora não pudesse compreender como a notícia me tinha chegado pois entrara quase às escondidas, cioso que ninguém, sobretudo eu, soubesse do meu estado que, mais do que trazer-me dor física, devia envergonhar-me. Tentei explicar-me. Como à minha chegada várias macas sangrentas ocupavam o centro do átrio cercadas por uma multidão em lágrimas, provocando uma azáfama dos enfermeiros no meio da qual o porteiro tinha abandonado o posto, de forma que ninguém pudera informar-me do quarto da pessoa que vinha visitar, não me deixando outro recurso senão abrir sucessivas portas desculpando-me, errando de corredor em corredor, por entre pesados eflúvios de éter e de suor frio, cruzando-me apenas com enfermeiras decerto demasiado atarefadas para me responderem e com doentes de pijama a rirem sozinhos e cavernosos no fundo das suas tremuras.
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L’HERBE SOUS LES PIEDS
Je me suis retrouvé à l’hôpital. Par hasard, accidentellement, alors que je venais visiter une relation d’affaires en convalescence, visite toute mondaine, d’autant que je ne pouvais que déplorer l’absence de danger qu’avait présentée l’opération, car sa mort eût résolu bien des intrigues où je me fourvoyais, encore que le principal avantage consistât à m’épargner d’entendre ses remerciements hypocrites pour le bouquet que la politesse m’obligeait à apporter mais que je n’eusse souhaité offrir qu’à un cadavre. Tout d’abord je ne me suis pas reconnu. J’avais rompu depuis si longtemps, conservant certes mon estime, mais choisissant un chemin qui ne me permettait plus de m’intéresser à moi-même, encore moins de m’apitoyer sur mes difficultés dont me parvenaient des échos grâce à ces amis trop bien intentionnés qui condamnaient mon indifférence mais dont je devinais la délectation à conter mes souffrances. Pourtant, me voir ainsi brusquement si vieux, si miné. Je me suis revu à une certaine époque, de loin, attablé au bistrot auquel moi aussi j’étais resté fidèle, l’air toujours aussi accablé, devant lequel je préférais détourner les yeux, m’abandonnant à cette misère dont j’aurais, au fond, facilement pu me sortir, d’autant plus lâche que je ne pouvais ignorer qu’aucune issue ne m’était déjà plus permise. Je me suis surpris à rire. Bien sûr, car de mon côté je n’avais guère changé, à peine pris un peu de ventre, quelques nouvelles habitudes comme le port de la cravate, etc., hors de propos ici, et même parfaitement ridicules entre ma bouche bée de surprise et mon bouquet de fleurs, comme si j’étais venu me railler de ma déchéance, bien que je ne pusse comprendre comment la nouvelle m’était parvenue puisque j’étais entré en me cachant presque, soucieux que personne, moi surtout, n’apprenne mon état dont je devais ressentir plus que la douleur physique la honte. J’ai tenté de m’expliquer. Comment plusieurs civières sanglantes quand je suis arrivé occupaient le centre du hall entourées d’une foule éplorée, provoquant un branle-bas des infirmiers au milieu duquel le préposé à l’accueil avait abandonné son poste, si bien que personne n’avait pu me renseigner quant à la chambre de celui que je venais visiter, ne me laissant d’autre ressource que d’ouvrir toutes les portes en m’excusant, errant de corridor en corridor, parmi les lourds effluves d’éther et de sueur froide, ne croisant que des infirmières trop affairées sans doute pour me répondre et des malades en pyjama 83
Interrompi-me com um gesto frouxo. Aproximei-me, incapaz de manter por mais tempo a distância tão pacientemente urdida que eu próprio tinha infringido ao abrir embora fortuitamente essa porta, e a minha mão, não sem ansiedade mas dissipada qualquer reticência, passei-a pela testa e daí, deixando-me guiar suavemente por essa mão, da face macilenta aos lábios exangues que não puderam reprimir um beijo, às costelas salientes, até ao sexo arrepiado debaixo do lençol maculado, quando bruscamente não aguentei, não este contacto ao qual me tinha prestado sem ignorar sua torpeza, mas a lembrança pungente das minhas carícias antigas. Arranquei-me a uma espécie de torpor extático, furioso, agredindo-me, de raiva, na cara e na barriga, roendo-me por dentro, encarniçando-me sobre o meu corpo inerte, invadido pela dor, de olhos fechados a essas pancadas e a essas flores espalhadas que, bem sabia embora não quisesse confessá-lo a mim próprio, não me eram destinadas, sem me aperceber que a porta se fechava, sem me ouvir sair às apalpadelas na anestesia do sangue a latejar nas minhas têmporas, só recuperando o fôlego ao alcançar o ar livre, a mão ainda convulsivamente agarrada a uma flor murcha, ou talvez ao lençol, a não ser que fosse ao meu sexo, pois o lençol escorregara para o chão de linóleo, ou mesmo a nada. Disse para mim: maldito! disse para mim: bendiz-me! m-en-ti.
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riant tout seul du fond de leur tremblotement. Je m’interrompis d’un geste faible. Je me suis approché, incapable de garder plus longtemps la distance si patiemment ourdie que j’avais moi-même enfreinte en ouvrant même fortuitement cette porte, et je me suis passé la main, non sans anxiété mais toute réticence dissipée, sur le front et de là, me laissant guider doucement par ma main, le long de ma joue hâve, de mes lèvres exsangues qui n’ont su retenir un baiser, de mes côtes saillantes, jusqu’à mon sexe frissonnant sous le drap souillé, quand brusquement je n’ai pas supporté, non pas ce contact auquel je m’étais prêté sans en ignorer la turpitude, mais le souvenir cuisant de mes caresses anciennes. Je me suis arraché à une sorte de torpeur extasiée, furieux, me frappant. de rage, au visage et au ventre, m’arrachant les cheveux, m’acharnant sur mon corps inerte, envahi par la douleur, les yeux fermés sous ces coups et ces fleurs éparpillées qui, je le savais si je ne voulais pas me l’avouer, ne m’étaient pas destinés, sans m’apercevoir que la porte se refermait, sans m’entendre partir en tâtonnant, dans l’anesthésie du sang bourdonnant à mes tempes, ne retrouvant ma respiration qu’en débouchant à l’air libre, la main encore convulsivement serrée sur une fleur flétrie, ou peut-être le drap, à moins que ce ne fût mon sexe, car le drap avait glissé sur le linoléum, ou même rien du tout. Je me suis maudit, je me suis dit pardonne-moi, je me suis tu.
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CHERCHER LA FEMME
No princípio são os instrumentos, lápis, papel, a intenção, as atitudes, mordiscar o lápis, contemplar o papel; o verbo só vem depois. A seguir; há o trabalho, o combate e por fim, sempre e apesar do desejo de desvendar as vias mais impenetráveis, a impotência do verbo em fazer-se carne. Os outros termos estão contidos na escrita, do ti ao tiro, passando pela escravatura e pela criatura. O próprio texto não passa dum meio, dum intermediário entre mim e o outro, e ti, que ele tem por tarefa criar, suscitar, despertar. O outro nasce da sua função, ler-me – porque embora esconda estes textos, nem por isso os escrevo para mim, o modelo é sempre epistolar; aliás, apesar de reescrever constantemente, nunca me releio – mas não se reduz a ela. E antes de tudo olhar mas procura forma, peso, pele, sexo; levado pelo fluxo das palavras, escapa-me, deforma-se em eco repercutido por cada árida sílaba dos nomes que lhe chamo, te chamo. A panóplia das metáforas não me ajuda nada a sujeitar-te. Não homúnculo – nem derivado, mandrágora, golem ou Odradek – porque imaterial, tens no entanto algo do filho – mas alquimia é uma grande palavra justificada tão só irrisoriamente pelo meu estilo alambicado em que as frases retorcidas se resolvem em peso, em chumbo residual; a imagem só vale por acentuar o carácter solitário da actividade de escrita. Puro espírito também não, daqueles que se invocam em voz alta no escuro, porque dotado de olhar não de palavra, tens no entanto algo do pai – ser lido é sempre algures ser reconhecido, é pela tua leitura que eu próprio ganho senão a existência pelo menos a sua confirmação. Não um reflexo – a língua foge-me e trai-me, as palavras apresentam sempre uma certa opacidade e acabo inevitavelmente desfocado (ou desfalcado) pela escrita – porque invisível, tens no entanto algo do duplo. Mas primeiro és o outro, que se opõe, se aproxima, se impõe, se recusa, se recua, não fala mas não consente, e só a sua aparição evanescente me pode sossegar. Em suma, és uma leitora. A analogia pictórica, caligramática, não traz grande ajuda. Se bem que a página tenha mais coisa menos coisa as proporções dum retrato, as palavras ordenam-se em linhas farpadas que proíbem o contacto. Suas pontas são incapazes de te desenhar; mesmo como alvo, nem sequer de te atingir. És olhar sem rosto, presença sem nome, és-me por defeito. E para te encontrar, tenho eu próprio que me desencarnar em palavras. Será que o trabalho de escrita não vai além da impossibilidade, visto que as palavras não bastam para te materializar e que nelas me anulo, de dizer “amo-te”?
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CHERCHER LA FEMME
Au commencement sont les instruments, crayon, papier, l’intention, les attitudes, mordillement du crayon, contemplation du papier; le verbe ne vient qu’après. Ensuite, il y a le travail, le combat et pour finir, chaque fois et malgré le désir de percer les voies les plus impénétrables, l’impuissance du verbe à se faire chair. Les autres termes sont contenus dans l’écriture, du tu au tuer en passant par la créance et la créature. Le texte lui-même n’est qu’un moyen, un intermédiaire entre moi et l’autre, toi, qu’il a à charge de créer, de susciter, d’éveiller. L’autre naît de sa fonction, me lire – car même si je cache ces textes, je ne les écris toutefois pas pour moi, le modèle est toujours épistolaire; d’ailleurs, si je récris sans cesse, je ne me relis jamais – mais ne s’y réduit pas. Il est avant tout regard mais cherche forme, poids, peau, sexe; porté par le flux des mots, il m’échappe, se déforme en écho répercuté par chaque aride syllabe des noms dont je l’appelle, t’appelle. La panoplie des métaphores ne m’aide guère à te cerner. Pas homuncule – ni dérivé, mandragore, golem ou Odradek – car immatériel, tu as pourtant quelque chose du fils – mais alchimie est un bien grand mot que ne pourrait justifier que par dérision mon style alambiqué où l’entortillement des phrases n’aboutit qu’à la lourdeur, au plomb résiduel; l’image ne vaut que pour l’accent porté sur le caractère solitaire de l’activité d’écriture. Pas un pur esprit non plus, de ceux qu’on invoque à haute voix dans l’obscurité, car doué de regard non de parole, tu as pourtant quelque chose du père – être lu est toujours quelque part être reconnu, c’est de ta lecture que je tire moi-même sinon mon existence sa confirmation. Pas un reflet – la langue fourche et me trahit, les mots présentent toujours une certaine opacité et je me retrouve inévitablement floué par l’écriture – car invisible, tu as pourtant quelque chose du double. Mais tu es d’abord l’autre, qui s’oppose, s’avance, s’impose, se refuse, se recule, ne dit mot mais ne consent pas, dont l’apparition évanescente peut seule me rassurer. Bref, tu es une lectrice. L’analogie picturale, calligrammatique, n’est d’aucun secours. Si la page a peu ou prou les proportions d’un portrait, les mots s’alignent en barbelés défendant le contact. Leurs traits sont incapables de te dessiner, même comme cible, voire de t’atteindre. Tu es regard sans visage, présence sans nom, tu es mon manque. Et pour te rejoindre, je dois moi-même me désincarner en mots. Le travail d’écriture n’aboutit-il qu’à l’impossibilité, puisque les mots ne suffisent pas à te matérialiser et qu’en eux je m’abolis, de dire “je t’aime”? 87
À PROCURA DO QUÊ?
Tanto quanto me lembro sempre me deitei tarde. Durante muito tempo manteve-me desperto a consciência de dormir sozinho numa cama. Nessa época escrevia poemas. Nas minhas leituras sempre me deteve alguma frase-chave, alguma fórmula lapidar, ou antes cristalina, sedimentadas entre as camadas de palavras, a cuja resolução consagrava desde logo os meus dias e também as minhas noites. E não foi por plagiar mais ou menos voluntariamente os poemas que me embriagavam que compreendi, bastante tarde, que não era, de todo em todo, poeta, mas sim ao cabo duma longa exegese da frase onde Breton diz que as palavras fazem amor. Primeiro porque a minha própria atitude, que repetia num plano diferente – o da página por escrever, o único de facto, caracterizado justamente por essa perda, redução, duma dimensão – as minhas práticas sexuais solitárias, perante as palavras não procurava o corpo a corpo mas a avaliação da distância que nos separava. Alinhadas segundo uma ordem convencional para além da individualização, as minhas palavras – a elas recorrendo mais do que delas me servindo – pouco mais fazem que observar-me, não raro furtivamente, mantendo o fio dum discurso bastante mundano que tentam perturbar por meio de subentendidos – quer dizer, cuja função se resume a só terem sentido exclusivamente para quem as profere, face a esconder aos outros –, desprezando a minha dominação fictícia e respondendo por vezes ao meu próprio olhar apenas por vaidade. Aprendi a sentir prazer com esses deslizes de enguia, a tornar-me o meu leitor privilegiado; dantes escrevia poemas destinados a precipitar os preliminares que antecedem o amor, escrevo para convidar a prolongar esses preliminares, a pôr em causa a possibilidade de lhes dar seguimento – que pelo menos este seja deveras um prolongamento –, a descobrir um tempo para as palavras, para o silêncio. Des-cobrir também o silêncio das minhas noites de insónia: Breton deixava a porta do quarto aberta, deito as minhas palavras em lençóis de papel que oferecem ao olhar a imagem imaginária dum corpo sem descanso a lutar por aquele cansaço que faz duma noite branca uma noite retinta, erigindo um texto à minha semelhança que está sempre a negar-se. Esta viravolta das noites nos lençóis só poderia serenar com o encontro dum outro corpo, temido como a abolição da distância, do interstício do olhar debaixo da pálpebra, das palavras ciciadas, como o estupro. Convido-te a ler-me sem me conheceres, a seres tu a avaliar a 88
À LA RECHERCHE DE QUOI?
Aussi loin que mes souvenirs remontent je me suis toujours couché tard. Longtemps m’a tenu éveillé la conscience de dormir seul dans un lit. À cette époque j’écrivais des poèmes. J’ai toujours été arrêté dans mes lectures par quelque phrase-clé, quelque formule lapidaire, ou plutôt cristalline, sédimentées parmi les couches de mots, à la résolution desquelles je consacrais dès lors mes jours comme mes nuits. Et ce n’est pas parce que je plagiais plus ou moins volontairement les poèmes qui m’enivraient que j’ai compris, bien tard, que je n’étais pas, définitivement, poète, mais au bout d’une longue exégèse de la phrase où Breton dit que les mots font l’amour. D’abord parce que ma propre attitude, répétant sur un autre plan – celui de la page à écrire, le seul en fait, caractérisé justement par cette perte, réduction, d’une dimension – mes pratiques sexuelles solitaires, vis à vis des mots ne cherchait pas le corps à corps mais l’évaluation de la distance qui nous séparait. Rangés selon un ordre par delà l’individualisation conventionnel, mes mots – auxquels je recours bien plus que je ne les emploie – ne font guère que m’observer, souvent à la dérobée, tout en maintenant le fil d’un discours passablement mondain qu’ils tentent de troubler par des sous-entendus – c’est à dire, dont la fonction est de n’avoir de sens que pour celui qui les profère exclusivement, face à cacher aux autres –, méprisant ma domination fictive et ne répondant parfois à mon propre regard que par coquetterie. J’ai appris à tirer mon plaisir de ces glissades d’anguilles, à devenir mon lecteur privilégié: j’écrivais avant des poèmes dont le rôle était de précipiter les préliminaires avant l’amour, j’écris pour inviter à prolonger ces préliminaires, à mettre en cause la possibilité d’une suite – qu’à tout le moins celle-ci soit véritablement un prolongement –, à découvrir un temps pour les mots, pour le silence. Découvrir aussi le silence de mes nuits d’insomnie: Breton laissait la porte de sa chambre ouverte, je couche mes mots entre des draps de papier offrant au regard l’image imaginaire d’un corps sans repos, luttant pour la fatigue qui fait d’une nuit blanche une nuit d’encre, érigeant un texte à ma ressemblance qui toujours se refuse. Ce retournement des nuits dans les draps ne saurait se calmer qu’à la rencontre d’un autre corps, redoutée comme l’abolition de la distance, de l’interstice du regard sous la paupière, des mots chuchotés, comme le viol. Je t’invite à me lire sans me connaître, à évaluer à ton tour la distance qui nous sépare, glissée entre les mots érigés en cadenas, et qui ne saurait s’abolir que l’espace d’un clin d’œil; je t’invite à me chercher, 89
distância que nos separa, insinuada por entre as palavras erigidas em ferrolho, e que só pode abolir-se num abrir e fechar de olhos; convido-te a procurar-me, a assombrar as minhas insónias arregaladas, mas antes terás de aprender a atravessar as paredes; fantasmo-te, que saberás apagar a brancura dos dias e das noites, deixar que os olhares se percam, roçar como sem querer o meu corpo tacteando cego, livrar-me dele como sabes deixar cair o vestido. Convido-te a partilhar das minhas noites a solidão, sem fazer amor, sem tentar a todo o custo recuperar o tempo perdido.
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à hanter mes insomnies écarquillées, mais tu devras auparavant apprendre à traverser les murs; je te fantasme, qui sauras éteindre la blancheur des jours et des nuits, permettre aux regards de se perdre, frôler comme sans y penser mon corps tâtonnant aveuglé, m’en défaire comme tu sais faire glisser ta robe. Je t’invite à partager de mes nuits la solitude, sans faire l’amour, sans chercher coûte que coûte à rattraper le temps perdu.
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Luiz Rosas, concepteur à Amiens de ce mode d’intervention intense et circonscrit, le présente ainsi: «Le Cardan organise Leitura Furiosa depuis 1992 parce qu’il n’y avait pas de manifestation littéraire pour illettrés. L’idée principale de cette rencontre de personnes fâchées avec la lecture, l’écriture et des écrivains s’inspire de la puissance qu’ont les moments insolites. Quel objectif? Que les personnes qui sont en situation d’exclusion de lecture et d’écriture, voire de société, puissent accompagner pendant un moment la création d’un texte. Ce texte prendra en compte une partie de leurs histoires, de leurs chemins, de leurs luttes... La rencontre devra intégrer et imprégner le texte créé. Ce n’est pas un atelier d’écriture, même si d’aventure ils peuvent avoir cet air-là. À Leitura Furiosa, l’écrivain doit s’engager dans la création en prenant les mêmes risques qu’ont pris les personnes en venant le rencontrer. Ils sont venus en mettant en jeu leurs vies tranquilles d’exclusion. Leitura Furiosa correspond au moment où on partage avec les enfants la passion pour les livres, aux moments où on lit le même ouvrage. Leitura Furiosa serait plus proche de l’art que de la culture.» 92
Personnellement, je vis cette rencontre annuelle comme un des exercices les plus violents auxquels il m’est donné de me soumettre. Les limites de temps, donc la vitesse imposée, et le jugement immédiat des autres participants l’apparentent à une compétition sportive – que j’ai en horreur. Je suis confronté à des situations que je n’ai connues que ponctuellement – de la détention au chômage – auxquelles mes origines sociales m’ont permis d’échapper en tant que condition. L’apparente communauté linguistique est superficielle: je dois me faire expliquer certains vocables. Nombre d’évidences qu’ils profèrent appartiennent justement au champ des préjugés que je rejette. Je dois donc être attentif autant à ce qui est tu qu’à ce qui est énoncé dans leur discours, filtrer certitudes et réticences et trouver la distance nécessaire pour leur renvoyer dans mon texte une image à la fois déformée et reconnaissable, une espèce de caricature solidaire, une traduction/trahison assumée. Mon recours aura été la musique. Il s’agit des seuls textes que j’aie jamais écrits avec le souci et l’espoir de les rendre chantables, de les entendre chantés, en dépit des irrégularités métriques et de l’absence de rimes. Quelques uns l’ont été, par Ana Deus, Pedro et Diana, la plupart toutefois sont restés lettres mortes. Ce sont par ailleurs les rares textes où le processus de sublimation tel que le décrit Freud, à l’œuvre dans toute activité d’écriture, m’a paru faire sens: proposer un mode d’expression de pulsions violentes qui autrement s’exerceraient sur autrui et finiraient par se retourner contre soi. 93
TAL TAL
Meu pai, não quero vestir-me como tu. De fato-macaco porque o trabalho suja. E, sobretudo, custa. Roubou-te a vida. O tempo de amar, o tempo de me amar, foram migalhas de minutos que o trabalho te deixava. Sempre atarefado a consertar os carros dos outros, a construir as casas dos outros, de outros que não te eram nada, que tu nunca vias, que nunca te viram. Porque, para eles, tu não existias. Porque só existia o carro deles ou a casa deles. Caída do céu. E era verdade, tu não existias porque não existias para ninguém. Nem mesmo para a tua família a quem o teu salário de miséria não compensava a indisponibilidade, o cansaço, a sujidade. Eras tão-só um olho do cu. Serviste-me de exemplo. Ao avesso. Não quero vestir-me como tu. Não quero entrar na tua pele.
Meu pai, não quero vestir-me como tu. O pescoço apertado pela gravata, como por uma corda, como por uma trela. A camisa branca para mostrar a tua falta de gosto, de opinião, de originalidade. O fato de empregado porque o emprego é servil. E sobretudo chato. Sempre a fazer contas para os outros, contas que faziam parecer o teu salário ainda mais irrisório. Apesar das horas extraordinárias. O salário do medo, o salário da sujeição. Sempre a escriturar para dar uma aparência de ordem às trafulhices do negócio, do roubo legal. Nunca viste o teu patrão. Só conhecias o teu chefe, o teu superior. Eras apenas um número no meio dos muitos que ias alinhando. Eras anónimo como as minutas que copiavas. Eras um capacho. Não quero vestir-me como tu. Não quero calçar sapatos de defunto.
Meu pai, que fizeste de mim? Que mundo herdo eu de ti? Eu sou o que tu fizeste. Sou uma caca. Se me pisam por distracção, é porque a merda tem fama de dar sorte. Construíste-me um mundo que se parece com uma prisão. Um mundo em que toda a gente rouba o próximo. Excepto tu que só sabias deixar-te roubar. A tua força, o teu tempo, a tua vida. Preferi roubar a ser roubado. Mas devo parecer-me contigo: começaram por me roubar a juventude. Não gosto da minha pele. Até a minha pele é uma prisão. Então agarro-me ao que me resta, ao que me tapa, ao que me esconde: a escolha da roupa que visto. Saguenail com Arai, Broas, Malau, Melo, Nebur e JAS, no Centro Educativo de Santo António, 2008
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TEL
Mon père, je ne veux pas m’habiller comme toi. En bleu de travail, parce que le travail est salissant. Il est surtout pénible. Il t’a volé ta vie. Le temps d’aimer, le temps de m’aimer, ce furent des miettes de minutes que le travail te laissait. Toujours occupé à réparer les voitures des autres, à bâtir les maisons des autres, d’autres qui ne t’étaient rien, que tu ne voyais jamais, qui ne t’ont jamais vu. Parce que pour eux tu n’existais pas. Parce que seule existait leur voiture ou leur maison. Tombée du ciel. Et c’est vrai, tu n’existais pas puisque tu n’existais pour personne. Pas même pour ta famille à qui ton salaire de misère ne compensait pas l’indisponibilité, la fatigue, la saleté. Tu n’étais qu’un trou du cul. Tu m’as servi d’exemple. À rebours. Je ne veux pas m’habiller comme toi. Je ne veux pas être dans ta peau. Mon père, je ne veux pas m’habiller comme toi. Le cou serré dans la cravate comme une corde, comme une laisse. La chemise blanche pour montrer ton absence de goût, ton absence d’opinion, ton absence d’originalité. Le costume de l’emploi, parce que l’emploi est servile. Il est surtout ennuyeux. Toujours à faire des comptes pour les autres, des comptes qui faisaient apparaître plus dérisoire encore ton salaire. Malgré les heures supplémentaires. Le salaire de la peur, le salaire de la soumission. Toujours à faire des écritures pour donner une apparence d’ordre à l’escroquerie qu’est le négoce, le vol légal. Tu n’as jamais vu ton patron. Tu ne connaissais que ton chef, ton supérieur. Tu n’étais qu’un chiffre parmi ceux que tu alignais. Tu étais anonyme comme les formules que tu copiais. Tu n’étais qu’un paillasson. Je ne veux pas m’habiller comme toi. Je ne veux pas être dans tes petits souliers. Mon père, qu’as-tu fait de moi? Quel monde m’as-tu légué? Je suis ce que tu m’as fait. Je ne suis qu’une merde. Si on m’écrase comme par mégarde, c’est parce que c’est censé porter bonheur. Tu m’as construit un monde qui ressemble à une prison. Tout le monde y vole le prochain. Sauf toi qui n’as jamais su que te laisser voler. Ta force, ton temps, ta vie. J’ai préféré voler à me faire voler. Mais je dois te ressembler: on a commencé par me voler ma jeunesse. Je n’aime pas ma peau. Même ma peau est une prison. Alors je m’accroche à ce qui me reste, ce qui me couvre, ce qui me cache: le choix de mes habits. 95
FUCKING ANGELS
O céu está vazio enxotaram os anjos o voo e a liberdade assustam tanto que eles metem os pássaros todos na gaiola Disseram-me: escolhe a liberdade ou uma consola Nintendo não me disseram quanto custava a liberdade a consola, podia pagá-la a crédito Disseram-me: escolhe a liberdade ou uma sapatilha Nike o sapato, se levar o par, eles fazem-me desconto enquanto a liberdade vou ali e já volto Disseram-me: escolhe a liberdade ou a escravatura a escravatura, tens cama, comida, roupa lavada e até um salário a liberdade, nem sequer tens direito a férias e feriados O céu está vazio enxotaram os anjos o voo e a liberdade assustam tanto que eles metem os pássaros todos na gaiola Disseram-me: vá lá a liberdade é o carro claro que só podes ir pelo alcatrão não podes querer ser livre em toda a parte! Disseram-me: vá lá a liberdade é o trabalho claro que há horários a respeitar não podes querer ser livre a toda a hora! Disseram-me: vá lá a liberdade é a obediência claro que é preciso aceitar a disciplina não podes querer ser livre de qualquer maneira! O céu está vazio enxotaram os anjos o voo e a liberdade assustam tanto que eles metem os pássaros todos na gaiola 96
FUCKING ANGELS
Le ciel est vide ils en ont chassé les anges le vol et la liberté leur font tellement peur qu’ils mettent tous les oiseaux en cage Ils m’ont dit: choisis la liberté ou une console Nintendo ils m’ont pas dit combien coûtait la liberté la console, je pouvais la payer à crédit Ils m’ont dit: choisis la liberté ou une chaussure Nike la grolle, si je prends la paire ils me font un rabais pour la liberté je peux toujours courir Ils m’ont dit: choisis la liberté ou l’esclavage l’esclavage, t’es logé nourri blanchi voire salarié la liberté, t’as même pas droit aux congés payés Le ciel est vide ils en ont chassé les anges le vol et la liberté leur font tellement peur qu’ils mettent tous les oiseaux en cage Ils m’ont dit: vas-y la liberté c’est la bagnole bien sûr tu peux aller que sur le bitume tu voudrais quand même pas être libre partout! Ils m’ont dit: vas-y la liberté c’est le travail bien sûr y a des horaires à respecter tu voudrais quand même pas être libre tout le temps! Ils m’ont dit: vas-y la liberté c’est l’obéissance bien sûr faut accepter la discipline tu voudrais quand même pas être libre n’importe comment! Le ciel est vide ils en ont chassé les anges le vol et la liberté leur font tellement peur qu’ils mettent tous les oiseaux en cage 97
O que tem de ser tem muita força mas isso não significa que o que o que tem muita força tenha de ser já estás endividado ao nascer! É um truque que tem barbas dão-te uma ficha para a mão sem sequer te perguntarem se queres jogar e só te explicam as regras depois! A liberdade é cena que nunca quis é um estorvo é complicado nem sequer tem piada ainda por cima não rende nada só me faz falta desde que a perdi O céu está vazio enxotaram os anjos o voo e a liberdade assustam tanto que eles metem os pássaros todos na gaiola A minha mãe pariu um anjo cortaram-me as asas à nascença e depois castraram-me: os anjos não têm sexo têm cu e chega para serem bem fodidos Anjo, não tens onde te abrigar até na discoteca te escorraçam achei que mais valia ser diabo então inventaram um inferno só para mim! Para ter de novo a sensação de voar livremente só me restam os charros e as punhetas é proibido como todo o céu é proibido até os sonhos fazem parte do espaço aéreo sob vigilância O céu está vazio enxotaram os anjos o voo e a liberdade assustam tanto que eles metem os pássaros todos na gaiola Saguenail com Gordinho, Koala, Mixa, Nelo, Txicoza, Pimpolho, Dans e JAS, no Centro Educativo de Santo António, 2010
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Nécessité fait loi mais ça ne signifie pas que la loi soit une nécessité en naissant t’es déjà endetté! C’est un vieux truc ils te mettent un jeton dans la main sans même te demander si tu veux jouer seulement ils t’expliquent les règles après! La liberté j’en ai jamais voulu c’est encombrant c’est compliqué c’est même pas drôle et puis ça rapporte que dalle elle me manque seulement depuis que je ne l’ai plus Le ciel est vide ils en ont chassé les anges le vol et la liberté leur font tellement peur qu’ils mettent tous les oiseaux en cage Ma mère a accouché d’un ange ils m’ont coupé les ailes à la naissance puis ils m’ont châtré: les anges ont pas de sexe ils ont un cul: c’est assez pour être foutus! Ange, t’as nulle part où t’abriter même en boîte on te laisse pas rentrer j’ai cru qu’il valait mieux me faire diable alors ils ont inventé l’enfer juste pour moi! Pour retrouver la sensation de voler librement il me reste les joints ou la branlette c’est interdit, comme tout le ciel est interdit même les rêves font partie de l’espace aérien sous surveillance! Le ciel est vide ils en ont chassé les anges le vol et la liberté leur font tellement peur qu’ils mettent tous les oiseaux en cage
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PARA QUE LADO FICA O INFERNO?
Trabalhar é preciso! mandavam eles. O tanas! digo eu que sou má rês... O meu pai fodeu a vida a fuçangar E nunca conseguiu comprar O bê-eme com que sonhava. Perdeu a vida inteira julgando que a ganhava.
Mas estudar é preciso! mandavam eles. O tanas! digo eu que sou má rês... Na escola só nos ensinam a calar E os estudos superiores São para os filhos dos senhores As princezinhas, os herdeiros, os caçadores. Ser honesto é preciso! mandavam eles. O tanas! digo eu que sou má rês... A honestidade é o roubo legalizado Ou então é a situação De quem nasceu muito abonado E nunca teve de aprender a ser ladrão.
E é preciso pagar! mandavam eles. O tanas! digo eu que sou má rês... Para pagar é preciso ter com quê Se há mercearia na despensa É-se ricaço de nascença Porque o suor do zé-ninguém não tem valia. Era preciso correr! digo-vos eu. Quem é reles não tem nada de seu... O dinheiro não cai do céu há que sacá-lo! E há muito quem ande a roubá-lo Tanto os banqueiros como o estado. Porém só é ladrão quem for apanhado!
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Saguenail com Bichero, Bubu, Dans, Pimpão, Xeto e JAS no Centro Educativo Santo António, 2011
REFRÃO De boas intenções está cheio o inferno Mas o tempo de viver não é eterno... Ontem caca foi, hoje uma merda. Quem me atirou a primeira pedra?
C’EST DE QUEL CÔTÉ L’ENFER?
Fallait travailler, qu’ils disent! Tu parles! Le paternel, il a toujours bossé Il a jamais pu se payer sa BMW Travailler, c’est perdre sa vie en croyant la gagner!
REFRAIN L’enfer de bonnes intentions est pavé Mais devant moi j’ai pas l’éternité Même en taule, aujourd’hui peut pas être pire qu’hier Qui c’est qui m’a jeté la première pierre?
Fallait étudier, qu’ils disent! Tu parles! À l’école, j’ai juste appris à la boucler Les boîtes à diplômes, les «universités» C’est payant, chasse gardée, réservé aux héritiers!
Fallait être honnête, qu’ils disent! Tu parles! L’honnêteté c’est le vol légalisé Ou alors c’est que tu possèdes déjà assez Pour même pas avoir besoin de chourer!
Fallait payer, qu’ils disent! Tu parles! Pour raquer, faudrait qu’après bouffer il reste du blé Si on pouvait casquer en sueur, le monde s’inverserait Le fric, ou t’en as au départ ou t’en auras jamais! Fallait courir, que je dis! Le fric pousse pas sur les arbres, faut bien le soutirer! Tout le monde vole: l’État, les banquiers Mais seul est voleur celui qui se fait choper!
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liberdade de pagar
– eu procuro a liberdade, o que está atrás da porta? – está o mundo! – para mim já chega e sobra! – atenção, eu disse o «mundo», liberdade é outra loiça podes talvez percorrê-lo mas a estrada é para os carros podes olhar para os campos mas têm dono e senhor transportes só a pagantes que os tesos andam a pé vais ver, para quem vive falido, o mundo pequeno é…
Saguenail, Jorge Baptista, Pedro Moreira, Nelson Sousa, Ricardo Sousa, Pedro Victoriano, Juliana Malhadinhas, Bruno Silva, Tiago Borges, Ana Ruivo, Rui Cabral, Claúdio Teixeira e Alberto Péssimo, na Qualificar Para Incluir, 2012
oh mãe eu quero ser livre como pássaro em gaiola como cão que anda de trela como preso em sua cela – não têm de trabalhar para ganhar o sustento
– eu procuro a liberdade, o que está atrás da porta? – a riqueza – olha que rica surpresa! – atenção que essa «riqueza» não te dará liberdade antes de gastar a fortuna, há que investir forte e feio jogar na bolsa e na vida o recheio do teu bolso ser mais ladrão e matreiro que o fisco e os teus concorrentes vais ver que a riqueza voa nas mãos dos homens decentes – eu procuro a liberdade, o que está atrás da porta? – está o amor – lá isso não que eu não me quero prender! – atenção, falei de «amor», só amor nos torna livres podes foder sem amor, é pouco mas não te prives podes viver sem amor, na morte estarás sozinho quanto mais deres mais te fica que o dividir multiplica vais ver que o amor liberta de si mesmo quem se entrega oh mãe eu quero ser rico como pássaro que canta como o cão que lambe a mão como preso que sonhando se evadiu da prisão – o ouro fora da lei nunca deixa de brilhar ninguém mo pode roubar
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liberté de payer
oh maman je veux être libre libre comme l’oiseau en cage libre comme le chien en laisse libre comme le condamné en taule qui au moins n’ont pas à bosser juste pour pouvoir bouffer
– je cherche la liberté qu’est-ce qu’il y a derrière cette porte? – le monde – ça me va c’est assez grand pour moi! – attention j’ai dit «le monde» pas la liberté tu peux le parcourir mais pas sur la chaussée qu’est réservée aux bagnoles et pas à travers champ que la propriété privée est inviolable et pas dans les transports publics si t’as pas un billet composté tu verras le monde rétrécit vite si t’es fauché
– je cherche la liberté qu’est-ce qu’il y a derrière cette porte? – la richesse – ça me va c’est assez doré pour moi! – attention j’ai dit «la richesse» pas la liberté avant de la dépenser faut la faire fructifier l’investir la placer suivre les cours de la Bourse jouer de la faillite et de l’opéa être plus rapace et plus malin que tes concurrents tu verras la richesse fond vite si tu restes honnête
– je cherche la liberté qu’est-ce qu’il y a derrière cette porte? – l’amour – ça me va pas je veux pas m’attacher! – attention j’ai dit «l’amour» c’est à dire la liberté bien sûr tu peux baiser sans aimer mais c’est pas vraiment le pied tu peux vivre sans jamais aimer mais tu mourras aussi tout seul tu ne peux recevoir qu’autant que tu auras partagé tu verras c’est de toi-même que l’amour peut te libérer oh maman je veux être riche riche comme l’oiseau qui chante riche comme le chien qui me lèche riche comme le condamné qui rêve cet or ne s’achète pas chez les joailliers personne ne peut le voler
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O LATIM QUE S. FRANCISCO GASTOU
Saguenail com Bruno, Carla e Jorge, Alexandre, Hélder, Hugo, Ivo, José, Renato e Ruben no 1º dia, com Ricardo, Soraia, Paulo e Mário no 2º dia, com Ana Luísa, Leonídia e Maria do Céu e Alberto Péssimo na Escola de Segunda Oportunidade de Matosinhos, 2013
Escrever serve para inventar coisas que não existem pardais de outrora onde gaivotas agora porque o senhor tubo de escape não perdoa E os passarinhos, se queres saber, já só vivem nas canções enquanto tais Eu cá sou um gajo sério aprendo um bom ofício, sim senhor, carpinteiro, queres melhor? Então vou enxotar os teus pardais preciso de árvores para aplanar tábuas. Os passarinhos, assim soubera eu escutar talvez tivesse aprendido a cantar Escrever serve para sonhar, para esquecer aflições impostos e patrões, senhorios, televisões, ruas feitas de paredes para gente emparedada E os passarinhos espelham sol pela calçada quando chove nos meus olhos Eu cá sou uma gaja às direitas aprendo um bom ofício, sim senhora modista cheia de noves fora! Então vou depenar a passarada preciso de penas para enfeitar chapéus Os passarinhos, assim soubera eu olhar os céus talvez tivesse aprendido a voar Escrever serve para fazer sair a dor e partilhá-la para responder, para ficar menos só na raiz do coração ainda resta amor E os passarinhos, se queres saber, não são mais do que palavras a piar na cabeça Eu cá sou um tipo como deve ser aprendo um bom ofício, sim senhor vou ser cozinheiro a todo o vapor Então os pardalitos e outras alimárias são precisos para experiências culinárias Os passarinhos, assim soubera eu estar mais atento talvez visse a gaiola antes de me fechar lá dentro Escrever serve para quê, para quê realmente? assim soubesse a gente responder… 104
LE LATIN PERDU DE SAINT FRANÇOIS
Écrire ça sert à inventer des trucs qu’existent pas les piafs que les mouettes ont remplacés quand les gaz d’échappement les ont chassés les petits oiseaux, tu sais, y en a plus que dans les chansons Moi je suis sérieux j’apprends un métier, oui monsieur je vais être charpentier! Alors les petits oiseaux je vais les déloger il me faut leurs arbres pour équarrir des planches Les petits oiseaux, si je les avais écoutés j’aurais peut-être appris à chanter Écrire ça sert à rêvasser, à oublier tous ses soucis les impôts, le patron, le proprio, la télé les rues faites de murs où on est enfermé les petits oiseaux, leur chant ensoleille quand il pleut dans mes yeux Moi je suis sérieuse j’apprends un métier, oui madame couturière que je serai! Alors les petits oiseaux je m’en vais les plumer il me faut leur duvet pour décorer des chapeaux Les petits oiseaux, si je les avais écoutés j’aurais peut-être appris à voler Écrire ça sert à faire sortir sa douleur, à la partager à répondre, à pas se sentir si seul au fond du cœur il reste un peu d’amour les petits oiseaux, tu sais, c’est des mots qui piaillent dans la tête Moi je suis sérieux j’apprends un métier, oui monsieur je vais être cuisinier Alors les petits oiseaux je vais les faire rôtir il me faut leur chair pour mitonner des petits plats Les petits oiseaux, si je les avais écoutés j’aurais peut-être vu la cage avant de m’y jeter Écrire ça sert à quoi, à quoi vraiment? on se le demande...
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SALDADINHOS DE CHUMBO
Sabes, no fundo, a prisão Não é pior do que a fábrica Tão chata como o escritório Tão estreita como a casinha Não é por não veres as grades Que não estás numa gaiola
Tudo se paga, verdade ou não? A vida é feita de troca directa Acabei por vender a liberdade Por apenas um maço de notas De bandeja entregaria os meus amigos Por uma redução da minha pena E se estou para aqui encarcerado É por nada ter que possa ser trocado Sabes, no fundo, a prisão Não é pior do que a fábrica Tão chata como o escritório Tão estreita como a casinha Não é por não veres as grades Que não estás numa gaiola
Tudo se paga, verdade ou não? A vida é feita de troca directa Quis isso que a publicidade vende Sem graveto para honrar a factura Quis uma vida à grande e à francesa Sem pagar essa vida com a vida Mas esse teu conforto e o teu salário Em troca de quanto os ganhaste, ó otário?
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Saguenail, com Alex, Cardoso, Falcão, Guimarães, Inamez, Kb, Kevin Michel, Klaus, No name, Player, Zeus e Nuno Sousa, no Centro Educativo Santo António, 2014
Tudo se paga, verdade ou não? A vida é feita de troca directa Saldei a confiança do meu pai Para merecer um lugar no bando Troquei o grande amor da minha mãe Por uns poucos gramas de pó branco E vendi a rata da minha irmã Por uma consola e um par de sapatilhas
PETITS SOLDÉS DE PLOMB
On n’a rien pour rien, pas vrai? La vie ne pratique que le troc J’ai bradé la confiance de mon père Pour mériter une place dans la bande J’ai troqué l’amour de ma mère Pour quelques grammes de poudre blanche J’ai vendu la chatte de ma sœur Pour une console et des grolles de griffe
Tu sais, la taule, au fond C’est pas pire que l’usine Aussi monotone que le bureau Aussi étroit que le foyer C’est pas parce que tu ne vois pas les barreaux Que t’es moins encagé
On n’a rien pour rien, pas vrai? La vie ne pratique que le troc J’ai fini par refiler ma liberté Juste pour une liasse de billets J’aurais volontiers donné les potes Pour une réduction de peine Et si je me retrouve enfermé C’est que j’ai plus rien à échanger
Tu sais, la taule, au fond C’est pas pire que l’usine Aussi monotone que le bureau Aussi étroit que le foyer C’est pas parce que tu ne vois pas les barreaux Que t’es moins encagé On n’a rien pour rien, pas vrai? La vie ne pratique que le troc J’ai voulu ce que vantait la publicité Sans avoir de quoi le payer J’ai voulu mener la belle vie Sans être prêt à y mettre le prix Mais réfléchis: ton confort et ta paix (paye) En échange de quoi les as-tu «gagnés»?
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DIPLOMA DE RECLUSO PROFISSIONAL
REFRÃO : A prisão está em toda a parte em nós inclusivamente a liberdade está sempre do outro lado das paredes e as cidades são feitas de paredes até o meu crânio é mais uma parede e o resto são apenas grades grades que rabiscam pássaros no céu grades que a caneta desenha no caderno
Percebes que és tão-só um amador se queres ser ladrão mais vale seres banqueiro convém comprar uns tantos deputados convém corromper alguns polícias e subornar alguns agentes das finanças São tudo despesas de representação pedir-lhes recibo seria má-criação para ganhares rios de dinheiro precisas de pagar bué primeiro se gostas de graveto, terás de nascer rico Somos prisioneiros das nossas ideias porque elas não são nossas realmente foram metidas nas nossas cabeças para nos conduzir nos controlar a ideia que o dinheiro faz o homem feliz a ideia que a família é uma escola de amor e de que o castigo é para o nosso bem e de que a cadeia nos torna melhores ou a simples ideia que lá fora és bem mais livre do que dentro de uma jaula
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Açores, Budju Lopi, Ghost, Juvino, Kbp Tigax, Linha-C, Mico, STB, Tonekaz, Wizzy, com Saguenail e João Alves, no Centro Educativo Santo António, 2015
Uma coisa não é sempre o que parece toda a gente se engana, por exemplo tu achas que isto aqui é uma prisão na verdade é uma universidade onde se aprende a confessar, denunciar desconfiar de todos (mesmo de ti mesmo) lamentar o que perdeste (não o que fizeste) e sobretudo a ver passar o tempo daqui sais diplomado para a vida pelo menos farás tudo para não voltar
C. A. P. de taulard
Une chose n’est pas toujours ce qu’elle paraît tout le monde peut se tromper, par exemple tu crois qu’ici c’est une prison, c’est une université: on y apprend à avouer (et aussi à dénoncer) on y apprend à se méfier (de tous, même de soi) à regretter (ce qu’on a perdu, pas ce qu’on a fait) on y apprend surtout à voir le temps passer crois-moi, tu sors d’ici diplômé pour la vie au moins tu feras tout pour pas être repris
REFRAIN: La prison est partout la prison est en nous la liberté est toujours de l’autre côté du mur et les villes sont faites de murs et même mon crâne est un mur et le reste n’est que barreaux barreaux que dessinent sur le ciel les oiseaux barreaux que trace sur la page le stylo
Surtout t’as compris que t’es qu’un amateur si tu tiens à voler fais-toi plutôt banquier il convient d’acheter quelques députés arroser en passant chaque flic de service sans oublier bien sûr les agents du fisc Ça fait naturellement partie des faux frais il serait impoli de demander des reçus pour gagner gros, faut commencer par payer gros si t’aimes le pognon, faut d’abord naître riche On est tous prisonniers de nos idées parce que ce ne sont pas les nôtres on nous les a tôt fourrées dans la tête pour mieux nous guider, nous contrôler l’idée qu’il faut du fric pour être heureux l’idée que la famille est une école d’amour l’idée qu’on nous punit pour notre bien l’idée que la taule nous rendra meilleurs ou simplement l’idée que dehors t’es libre
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Thug life
Refrão: Viver em família não há nada melhor com o pai fora no trabalho ou na taberna ficamos bem com a mãe só p’ra nós e ela será serva dos filhos por amor... Crescer é exilar-se, perder a realeza longe dos pais toda a paisagem é dureza
Viraste ladrão p’ra imitar os teus amigos mas é super custosa a vida dos bandidos! O mal foi descobrires que és muito preguiçoso estás sempre nas lonas, aterrado e cauteloso o graveto já está gasto antes de o teres gamado não tens caixa, não tens férias, não tens ordenado
Achavas que era canja andar na ladroeira mas cada assalto tem de ser bem planeado é preciso espionar o lugar seleccionado arranjar ferramentas e armas à maneira ser ágil, ser robusto, não fazer espalhafato treinar a escalada, a corrida e o salto
Refrão: Viver em família não há nada melhor com o pai fora no trabalho ou na taberna ficamos bem com a mãe só p’ra nós e ela será serva dos filhos por amor... Crescer é exilar-se, perder a realeza longe dos pais toda a paisagem é dureza
Não sabes fazer nada, viraste ladrão sais sempre perdedor é como na roleta c’o a bófia no teu rasto a coisa fica preta a vida de bandido é vivida na prisão p’ra roubar à vontade mais vale ser banqueiro porque um gajo honesto nunca junta dinheiro
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Thug life
Refrain: Je vous le dis, rien ne vaut la vie de famille le père est absent, au boulot ou au bistrot comme ça on a la mère pour soi tout seul par amour la mère est serve de ses enfants grandir est un exil, perdre sa royauté loin des parents tu ne vis qu’entre parenthèses
Tu t’es fait voleur pour imiter les copains parc’ que tu t’es découvert un poil dans la main mais ce qu’elle est dure vraiment la vie de bandit! t’es toujours dans la dèche, t’es toujours sur la brèche ton fric est dépensé avant qu’ tu l’aies fauché et bien sûr pas d’ sécu ni de congés payés
Toi tu croyais que voler c’était du nougat faut bien repérer la baraque, la surveiller noter les heures d’entrée et sortie nuit et jour t’outiller en rossignol, débrancher l’alarme être assez souple, assez costaud et silencieux t’entraîner à grimper, à sauter, à courir
Refrain: Je vous le dis, rien ne vaut la vie de famille le père est absent, au boulot ou au bistrot comme ça on a la mère pour soi tout seul par amour la mère est serve de ses enfants grandir est un exil, perdre sa royauté loin des parents tu ne vis qu’entre parenthèses
Tu t’es fait voleur car tu ne sais rien faire d’autre comme à la roulette on finit toujours perdant un jour ou l’autre tu te fais choper par les flics la vie de bandit se vit derrière des barreaux pour voler peinard il vaut mieux être banquier celui qui veut rester honnête se fait voler
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Felizmente o xilindró é como uma família os novos irmãos já fazem parte da mobília e as mães são os guardas que te vão corrigir com horas p’ra comer e horas p´ra dormir mais calma do que a rua a prisa é um doce lar o drama é que um dia lá terás de bazar Refrão : Viver em família não há nada melhor com o pai fora no trabalho ou na taberna ficamos bem com a mãe só p’ra nós e ela será serva dos filhos por amor... Crescer é exilar-se, perder a realeza longe dos pais toda a paisagem é dureza
Viraste ladrão, não sabias que fazer da raiva acumulada desde a hora de nascer talvez tenhas optado pelo ofício errado quem dera apagar o que foi vivenciado voltar à barriga de uma mãe novinha em folha nem velho, nem adulto, viver dentro duma bolha
Saguenail com Apl, Azores, Dede, Madeirense, Maf, Meia-noite, Mira, Padrão, Pendão, Sani, Sem Pescoço, Tuno, Vila e Miguel Carneiro, no Centro Educativo Santo António, 2016 112
Heureusement la taule c’est un peu la famille là tu vas rencontrer des frangins inconnus et les gardiens sont en fait des mères pour toi il y a des horaires pour tout: manger, dormir c’est comme à la maison, ça te change de la rue le drame c’est qu’un jour vient où il faut sortir
Refrain: Je vous le dis, rien ne vaut la vie de famille le père est absent, au boulot ou au bistrot comme ça on a la mère pour soi tout seul par amour la mère est serve de ses enfants grandir est un exil, perdre sa royauté loin des parents tu ne vis qu’entre parenthèses
Tu t’es fait voleur faute de savoir quoi faire de cette provision de rage accumulée tu as peut-être choisi le mauvais métier l’idéal serait pouvoir tout recommencer repartir du ventre de maman, pas grandir pas vieillir et ne plus vivre entre parenthèses
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TABLE DES MATIÈRES
GOD, MAGOG ET DÉMAGOG ....................................................3 Tous les calculs à refaire ....................................................................4 Sort jeté ...............................................................................................6 In specula speculorum .......................................................................8
INTER PARES .................................................................................16 Haut et court .....................................................................................17 Clair et net ........................................................................................18 Bel et bien ..........................................................................................19 Pur et dur ..........................................................................................20 Bête et méchant ................................................................................21
PLUME ET MASQUE ...................................................................22 L’impasse ..........................................................................................23 Armure de mots ...............................................................................25 Écorcher les lèvres ...........................................................................27 CREVER LES YEUX .....................................................................30 Décomposition ..................................................................................31 De tout bois .......................................................................................33 Maçonner la retraite ........................................................................36
LE TEMPS REMONTÉ .................................................................38 Dar à boa vida ...................................................................................40 Rendre la vie du bon côté ................................................................41 As idas da flor ....................................................................................44 La faveur de la nuit ..........................................................................45
Ser visto sem ver ................................................................................48 être vu sans voir ................................................................................49 As aparências interiores ...................................................................52 Les apparences intérieures .............................................................53 Deste lado do espelho ........................................................................56 De ce côté-ci du miroir .....................................................................57 Ser star ...............................................................................................60 Le hêtre de l’étang ................................................................61 Ao fundo, em baixo ...........................................................................66 Au fond en bas ..........................................................................67 Sem pão (conta dos 1001 dias) .........................................................72 Sans pain (compte des 1001 jours) .................................................73 Maquilhagem de poeira ....................................................................78 Maquillage de poussière ..................................................................79 Nadar em águas ................................................................................82 L’herbe sous les pieds ......................................................................83 Chercher la femme ............................................................................86 Chercher la femme ...........................................................................87 À procura do quê? .............................................................................88 À la recherche de quoi? ...................................................................89
LEITURA FURIOSA .....................................................................92 Tal tal .................................................................................................94 Tel ......................................................................................................93 Fucking angels ..................................................................................96 Fucking angels ..................................................................................97 Para que lado fica o inferno? .........................................................100 C’est de quel côté l’enfer? .............................................................101 Liberdade de pagar ...................................................................102 Liberté de payer ...........................................................103 O latim que S. Francisco gastou ....................................................104 Le latin perdu de Saint François ..................................................105 Saldadinhos de chumbo ..................................................................106 Petits soldés de plomb .............................................................107 Diploma de recluso profissional .....................................................108 C. A. P. de taulard ..........................................................................109 Thug life ..........................................................................................110 Thug life ..........................................................................................111
Mis en page à la Casa da Achada-Centro Mário Dionísio par Saguenail et Eduarda Dionísio