regina guimar達es
Le Voyage en Inde une chanson d’Europe
Barbe à bateau. Broutilles. Gama au bar. Alpha sur la route. Grosse Bêta restée au port. Mais grand branle-bas de combat car depuis que papa n’est plus là on est très porté sur la locomotion. Parfois grâce à un trucage de cinéma on peut allier mouvement en avant à retour en arrière. Bateau s’appelle Grande Alice et affronte la cauchemer comme si cauchemer lui était promise. Cauchemer est une étendue d’eau révoltée contre l’idée de surface. Une étendue d’eau formée par la chute ininterrompue des larmes de Grosse Bêta restée au port. Gauchemère. Gama se pinte la gueule et il a le mal de mer sans avoir à se jeter dedans. 3
Faut ajouter que c’est Alpha qui l’a mis dans ce film, quelque part entre son image et sa projection, et il ne risque pas d’en sortir de si tôt. Barbe à bateau. Bar. Puis Alpha est parti au pays où les anges sont légion, des anges en tout genre − anges oranges, mais aussi roses, bleus. Il les écoute entonner le chant des égouts, il retrace l’itinéraire entre leur bouche même et la cauchemer. On appelle ça une Découverte − Alpha est cartographe, tout l’espace est en lui comme dans le ventre d’un oiseau d’acier avant que le sol ne prenne son nombril pour cible. On appelle ça l’Effet Miroir mais nul n’en évalue les conséquences − lorsqu’amour s’en mêle, on en a pour des heures à démêler les cheveux vrais des faux cheveux, les cheveux longs des blancs cheveux. Alpha a adopté le point de vue d’un spectateur échoué sur terre quand le film en est à la moitié et le voyage touche à sa fin. Dans l’obscurité, il cligne des yeux pour scruter l’horizon. Barbe à bateau. Beau fixe. 4
Gama se perd dans la contemplation de son verre vide. Il y a loin de la coupe aux lèvres et du comptoir du bar aux comptoirs de l’Inde. L’avenir de son passé lui semble très flou depuis la veille au soir. Son lit à destination inconnue tanguait. Alors plus moyen d’accommoder les yeux à l’horizon en fuite qu’Alpha propose. Lui qui, de son oisiveté tranchante, pourfend l’horizon. Lui qui est couteau planté sur la croûte terrestre et sourire de faim et vertige des profondeurs. Gama n’a pas besoin de voyager pour se perdre et il évite les côtes avec une certaine élégance. Station debout. Quai. Quoi. Coi. Grosse Bêta veille devant un paravent de sommeil très bleu. Parce que les légendes des fleuves et des mers précèdent ceux qui débordent les cartes, elle se plaît à penser qu’elle peut suivre du doigt 5
certains itinéraires, tours et détours. On lui parle de préparation du voyage, porte donnant sur porte et horizon toujours plus vaste et sa vue toujours plus courte, la Grande Alice sous le bras, comme si elle partait à l’école et n’en revenait pas encore. «Mais où va-t-on?» s’écrie-t-elle, la gourde. C’est une vieille dame qui lui répond. Cheveux blancs, chignon blanc, et tout le reste en noir, sauf un sac en plastique gris décoré d’une danseuse de flamenco. Rouge. Elle est assise sur un banc de la station de métro et hoche la tête quand les rames arrivent: «Celui-ci, non. On a le temps.» Mais quand Grosse Bêta lève son cul pour pénétrer dans le wagon qui va nulle part, elle la suit à la trace, comme une traînée de suie et de cendre, pour s’asseoir à ses côtés et la foudroyer du regard. «On a le temps». Une petite sonate de Mozart jaillit de la poche d’un autre voyageur, 6
un porteur de portable. Il n’est jamais trop tard pour pleurer sur le lait renversé de tous ces regards vides qui vont nulle part sans le savoir. Grosse Bêta, bercée par la légère, très légère oscillation du wagon, se laisse brider les yeux. Elle rêve. Elle rêve qu’elle raconte son rêve à Alpha. Dans son récit qu’elle débite comme une chanson apprise par cœur à quelques fausses notes près, Alpha lui dit: «Tu as trop moi si.» Et, de son index tendu, il rase un bras soudain nu un bras qui pend d’un corps désarticulé pour en retirer une couche de poussière verdâtre. Il lui rit au nez et le nez de Grosse Bêta tombe en poussière. Un peu gore, ce rêve, mais il en redemande, grand capitaine de la cauchemer, et tout ça tout ça. L’anagramme, se dit Alpha entre deux vagues humaines qui déferlent entre ses bras longs et ballants, 7
l’anagramme est récalcitrant. Il se sent un cœur de liane oscillant au-dessus de la cauchemer démontée, plus léger qu’une corde, mais surtout libéré des kilomètres de toile sur lesquels il a jeté des sorts sur lesquels il a projeté son Inde et son déni, en quête de dénouement. Ô ciel, couleur caca d’oie et couleur de cochon perlant de sueur, ô sœur inhabitable aux heures saintes, il faut que ça saute que ça suinte. Il faut un peu de faux dans ce symptôme de vérité qui prend à la gorge comme un mal de mer et une nausée. Barbe à bateau bar à biches qui se déhanchent bar à biches barbelées et thé trop sucré. Le train détourné s’arrête là où il n’y a pas de ligne. Grosse Bêta reprend son chemin comme on reprend un texte 8
pour biffer ou effacer ce qui et en quoi il ne va pas. Littéralement. Ça chante à tue-tête dans sa vilaine tête et ses jambes de vilaine cane semblent marquer le tempo au fur et à. On la guette au coin de la rue celle-là. Cependant, le décor s’est vidé de rues et de places, plus d’architecture, plus d’ordre dans le visible construit, plus de construction visible, sauf la zizique. Pour se rassurer, Grosse Bêta imagine des toiles peintes – îles et villes, mers et prés verts, mares et marchés – qui se déroulent et choient à ses pieds. Mais au lieu que cela lui permette de continuer à avancer ça finit par la clouer au sol. Car chaque chute résonne comme une bombe et chaque décor est effacé par ce son d’explosion à sa démesure. Alors par des voies aussi impénétrables que pénétrées, Grosse Bêta apprend qu’Alpha souhaite retrouver intacte toute une collection de silences triés sur le volet. Elle se demande de quoi 9
tous ces corps de silence pourraient-ils être le visage tout en se tenant sagement à l’écart des augures. Sans quoi les signes pleuvent sur elle. Parce qu’à force de regarder en face on ne regarde pas derrière, et on perd la face à force de la regarder. Cherche la lame, il te restera une poignée d’écume... Grosse Bêta chahute aussi indissociablement bête que grosse et cancre de la première ligne, premier rang au cours du lavage de cerveaux. Quand à peine quelques minutes de veille la séparent de l’Inde au soleil renaissant, elle ne peut s’empêcher de se répéter que le soleil est toujours né derrière son dos et que le cours lunaire de sa planète l’oblige à rester ronde et plate et bête. Et comme d’aucuns ont prétendu que l’Inde serait là où elle n’est pas, qu’il suffisait de naviguer toujours tout droit pour tomber sur un gros os, elle ne sera pas surprise quand on lui dira qu’Alpha est parti pour constater ce qu’il savait déjà 10
en le sachant irrémédiablement et que le désenchantement du monde était, depuis belle lurette, à portée de celui qui part au lieu de parler. Gama se réveille en sursaut de sa beuverie pour murmurer à l’oreille de qui veut l’entendre: «Qui part parsème.» Elle entend: PART / S’AIME. Elle entend: VISIÈRE / NUIT. VISIBLE / NUISIBLE. Elle attend. Faute de pouvoir atteindre, elle attend. Faute de pouvoir s’éteindre, elle s’étend. Je t’attends, dit-elle. Mais pas au tournant. Je t’attends au détour, dit-elle. D’une voix qui sert à sauter les platitudes. Et, à force, l’Inde lui semble de plus en plus loin, comme un message écrit incomplet emporté par une rafale. 11
Ça aurait été une simple Amérique aux poches trouées qu’elle aurait eu moins de mal à imaginer, à évaluer les distances, – encore eût-il fallu qu’elle se donnât la peine de les raccommoder les fonds de poche, bien entendu, à la lumière de techniques non apprises non transmises juste mises en scène et mises à plat. Ah, si Alpha pouvait lire dans ses pensées, il lui passerait un savon. Pour qu’elle glisse dessus. Pour qu’elle se casse la gueule. Ah, si Alpha, Bêta la grosse... Mais voilà qu’elle chiale, qu’elle met son grain de sel dans la cauchemer, sel de larmes n’est point sel de la vie n’est point celui de l’avide de vide et que faire de ce bruit de bateau qui ronfle dans sa bande son côté port? 12
Qu’on lui colle une comptine au derrière pour qu’elle cesse de se faire remarquer − Gama dort, déjà il dort encore −, quelque chose du genre: Ça sonne, il n’y a personne. Ça sonne, il n’y a personne. Ça sonne, il n’y a personne. Ça sonne, il n’y a personne. Ça sonne, il n’y a personne. Ça sonne, il n’y a personne. Ça sonne, il n’y a personne. Qu’elle débarrasse enfin le plancher de l’océan. Qu’elle se mette à quatre pattes pour renifler le trou qui lui est réservé. Enfer et enquête. Ou plutôt: enfer, faites une enquête. Si à jamais elle se tait c’est qu’elle sait où elle va. Quiconque veut tendre un piège au tout venant multipliera les questions à soi-même. Par exemple: «− Si le voyage se poursuit qui poursuit qui, ou quoi?» «− Si ça parle à bâtons rompus, à quoi ça rompt 13
ses godasses?» «− Peut-on se battre à coup de bagatelles et rentrer comme une fleur?» Mais il y a plus étrange que tenter de répondre soi-même aux questions qu’on s’est posées: il faut voir Alpha se cherchant dans le delta pour découvrir que toutes les routes ne mènent pas à Rome. Phares effarants. Arôme d’arôme. Un point. Blanc. Dieu, que la cauchemer du dedans est écornée...! Et le dire, alors, sans faire semblant, autant se blesser à coups de grand vent. Car la main se cherche en elle le sexe tant. Ne pas reculer devant le devant ne pas prétendre que ça ira comme ça vous chante être cette chanson tiraillée entre les Indes et les Amériques ce champ de sons qui s’étranglent entre les Andes et l’Himalaya ce cinquième monde qui tient du tiers et du quart: HEURE AU PAS. Grande Alice repartira et dans sa panse de navire, comme dans l’arche de Noé, − não é, não é, não é −, 14
il n’y aura qu’une vierge et un taureau, dos contre dos, sans que personne ne se donne la peine d’ébruiter l’affaire brûlante. Cependant car encore et toujours, ça sonne et personne ne s’en inquiète, ça sonne et personne ne frissonne, ça sonne et le son ne nourrit pas son moi, ça sonne et on se met au pas, ça sonne dans la tête et pas ailleurs, ça sonne pour un autre repas, Alpha dira à qui voudra l’entendre: je SUIS les traces du père et je t’y perdrai comme si c’était la première fois. Qui est là?
Le Voyage en Un Deux − un chant d’amour −
Vois-y l’âge. Ça crève les yeux. Pas ceux du répondeur d’énigmes, les tiens. Du coup: un, deux. Et des vessies pour des longs termes, dans l’histoire que voici. Ils prenaient de temps à autre des extraits pauvreté toujours au compte-goutte comme d’autres des vacances ou d’autres encore prennent leurs désirs pour des irréalités. Ils n’écoutaient pas le tintement des pièces d’or d’une bourse décousue sous l’oreiller 17
car leur sommeil d’aisselle moite leur faisait croire à la disparition des ailes − la disparition de la queue chez les humains un deux ayant été décrite comme le contraire d’une perte irrémédiable. Elle, pas de dessous et l’habitude de quitter des habits en cours de nuit. Lui, en cours de nuit secoué par les fantasmes d’un passé reraconté tel un passage à tabac. Vas-y comme je te vois comme je te pousse, étoile polaire, grande faiseuse des anges de la nuit et de ceux matinaux coupés en plusieurs morceaux autour d’un immense lit. Ah si ah, si assis en tailleur tu déplies l’étoffe de l’aube 18
pour distinguer l’envers de l’endroit, dis-moi, mon frère-et-sœur, la force précise de l’aiguille qui fait des trous minuscules là où ce qu’on ne les voit pas, car là soleil tapant soleil TAPI S c’est vrai que j’y vois rien et je pourrais bien être à la merci de que l’on voit. Ils faisaient parfois des siestes à l’insu des gardiens du sommeil et de leurs fans et fanfares. Ils avaient donc déjà pris la route initiatique, si l’on veut, mais point final e de celui qui cherche à être désiré de celle qui cherche à être désirable, et route leur fut accordée qui ne s’accorde au dire mais au venant au disant. 19
En ce temps-là, ils n’avaient pas d’autres chats à fouetter. Ils estimaient que les prétextes n’étaient guère dignes de vérification car tout compte fait chaque chose pourrait n’être que prétexte, l’immense défi devenant de rompre ce siège sans avoir à tirer des conclusions et à tirer sur ce qui bouge c’est-à-dire à trahir ce qui NOUS vient au nom de ce qui VOUS attend. Et, si lui se plaignait parfois de ces migraines migrantes en son corps d’après-midi de femme, de ce trop d’intensité à portée de la main, s’il s’enlisait dans les livres fermés pour cause de fumée sans feu, elle n’en était pas moins prête à secouer des poussières que l’on ne perçoit qu’à contre-jour. Elle, cassée 20
collée à la trace meuble de ses pas dans ce voyage-éclair chaque fois qu’il tournait le dos et que ça tenait lieu de parole. «Mets-toi contre moi» disait-il, puisque l’exode consistait à chevaucher des montagnes et à garder le pied sur l’étrier au cas où par distraction la monture sa beauté son imposture ne seraient plus là. Et il se pourrait que des marionnettes au lieu de leurs mains nues se donnent le mal de raconter leur voyage un deux ainsi font font font 33 tours et puis s’en vont. Bien mal acquis profitera puisque pour des poupées, on le sait, 21
il n’y a pas de petits profits. La partition des bons vieux temps était déchirée d’avance et la douce indolence pouvait, à la veille d’une étape, devenir vraie violence : cercles d’eau mimant enfer concentrique et bois interdit où tous les troncs sont creux − aussi avancent-ils, légers, à peine visiblement. Cependant, nul ne les avait entraînés au jeu des statues, celui où l’on est censé se retourner et découvrir que formes et positions ont changé à l’insu des yeux et loin du cœur qui est l’obscure demeure des corps de pierre. Il se prolonge, moi pas... − il tire sur la corde à partir d’un centre pour tracer une circonférence autour de l’envers et cet emploi du compas l’autorise à faire peau neuve, veuf de toute vérité qui ne soit pas bonne à dire, bref, lui donne l’occasion de raconter des histoires à coucher dehors, littéralement. Elle, un, deux, n’a jamais su semer ce qui la poursuivait ni même pour en cueillir le regret 22
d’avoir des jambes pas regardables dans leur verticalité défiant toute semence qui ne danse, alors qu’il fait bon, dit-on, tourner autour du pot et qu’un beau coup de peinture ça fait vendre le plus traître des rafiots. Un deux. De quelle blonde parle-t-on lorsqu’on la fume, de quelle brune nicotine quand on la suce? − à toute question de géographie infra-intime, il faudrait opposer des routes ultra-cuisantes et maritimes. Elle pèse de la lourdeur toute avachie de ses seins sur une lecture qui va à la montagne sans que prophète ne soit de la partie remise. Cela se passe dans sa cuisine aussi déserte qu’odorante, côté jardin, et dégouline, la sueur tombant par grosses lignes pourrait devenir sa colonne vertébrale, sa façon de vivre debout, la queue étant, comme on l’a vu, 23
depuis longtemps tombée − pas la peine de lorgner de si près, elle prône une lecture sans escalade du pouvoir. Que pouvait-elle savoir ou pressentir du désir de puissance qui de son bonhomme de chemin devenait tapis et ce tapis offert ce tapis à ôter sous les pieds? Jamais, au grand jamais, jamais fut si petit. La bassesse, paye, on vous l’aura garanti, bien avant que avant que... Elle l’appelle: ô, ma déferlante, blanche épaule, ivoire à ivoire et sans défense, ô ma moiteur de hanche fénimâle, ô renard renardant dans mes entrailles, côté cour, côté basse-cour, une pluie de plumes infiniment pâles, en cette heure qui se roule en boule et fait son de linge sale dans le panier − KORB, quel vannier et quel art de vannerie te rendraient des ailes à caresser ton bien aimé 24
dans le sens allumé du poil? Mais, tu le remarqueras, elle appelle, et c’est à peine si elle nomme, sa pomme d’amour écrasée contre la vitre embuée, glacée. Ce en quoi elle ne reconnaît pas une page et encore moins le sens dans lequel il faut tourner. Il savait son déplaisir à écouter ces espèces d’histoires drôles et obscènes où le conteur crache dans tous les sens pour tenter d’en sortir impec − tout détacheur sachant détacher, etc. −, mais un soir, elle a cru l’entendre proférer ces mots dont depuis elle creuse le sens creux: «Là où il y a histoire de cul, ça sent la merde». Cependant, désormais pliée en quatre, comme qui veut couper l’intensité de certains sons pour mieux saisir certains sens, 25
elle ne fait plus qu’écouter et grimace de ses yeux bridés, bandés par trop de rides, comme si elle riait, comme si elle avait mal au bide les deux états bien souvent se valant. Ça rentre, ça rentre, partout ça lui rentre dedans, c’est un vrai moulin, on ajuste la vitesse du vent à la rugosité de la meule et le tour d’amour giron pivotant sur giron télescope et microscope − on ne compte plus les bris de lentilles cassées, on ne va surtout pas ramasser les éclats, on ne va jamais surprendre sa proie que si on tient au plomb incrusté dans l’aile elle. Il pouvait depuis longtemps articuler des questions comme «ça tient debout?» à d’autres telles que «est-ce donc par hasard et nécessité?» ou «serait-ce par hasard et cécité?». Mais il n’aurait pas osé annoncer − entre deux mines boudeuses de femme penchée sur balustrade 26
la mer devant sa porte et à perte de vue − une de ses vérités de rechange en toute fausseté: «qui va à la chasse perd sa place». Car tout chasseur sachant chasser, etc. Il l’a cataloguée: grosse, gourde, jobarde, pigeonne, crédule, nigaude, avaleuse de mouches en toute saison, palliative, maternante, gouvernante, scribouillarde, secrétaire, chieuse et chiante, pitoyable, moche, chacune de ses entrées dans son carnet de bord un deux lui ouvrant un paysage aux qualités si antinomiques qu’il en vint à chérir et renchérir l’ivresse − à bon marché et cochon qui s’en dédit. Comme ladite non-dite risquait de devenir maudite à ses propres yeux il biffait ces termes peu désobligeants et ces carnets écrits serrés écrits d’une calligraphie si tranchante qu’on peut entendre le son de la tête roulant sur le panier − ne s’appelle-t-elle pas Korb, au demeurant...? − lui donnaient des allures d’un homme aux prises avec son destin et une effervescence qui, 27
comme ces cachets qui font des bulles en se dissolvant, finirait par lui fabriquer un estomac en béton prêt à affronter toutes les vagues, vague à l’âme compris. Aussi Korb au ras du sol Korb au ras du vol, ne méritait-elle pas plus de crédit qu’une excentrique qui se propose de voyager en montgolfière tout en ignorant ce qu’il faut délester, ô mon amour, pas vrai? Car pour elle dans une dureté et une durée qui se confondaient trop souvent pour être, disons, conclusives, elle aurait dit devant le juge le plus hargneux: je ne sais pas, je sais plus, je ne sais pas si je l’ai jamais su, je ne sais jamais si je l’ai su. Car pour lui elle n’était au fond qu’une dure à cuire − il n’y avait qu’à voir quand comment 28
elle peinait à corriger ses trajectoires au son imperceptible d’une vaisselle sur l’égouttoir, alors qu’un repas s’était écoulé sans laisser de traces. Préférant le volcan à la tiédeur du nid, elle lave encore de ses mains décharnées et en cela elle ne cesse d’accepter le coup de pouce et le coup de pied au derrière d’un poète trop tôt lu pour que des ravages ne fassent de sa cage peut-être thoracique le nid à étourneaux-merveille dont le montreur d’oiseaux et la porteuse de voilette lui avaient pourtant déconseillé la charge et l’apparat. Elle se surprend à regarder les trous elle se surprend à regarder la chaussée elle se surprend à regarder les petits cadavres sous ses pieds comme la plus ratatinée des petites vieilles et le sol ayant de tout temps été son cahier préféré, elle fait le faux fossoyeur et, courbant l’échine, 29
elle promène ses morts là où ils ne sont pas bien reçus. Plus qu’avant sans doute elle peut se dire qu’il existe un autre côté du monde. En quête d’un ciel de lit vraiment océanique et de la litière couleur de safran dont le jaune fera éternuer les étoiles, elle se love dans ses bras absents parjures jusque dans les murmures les plus insignifiants. Et elle l’appelle comme si la vue de la terre était une bénédiction et non le châtiment dont il s’est fait le chantre, chercheuse d’or sans panoplie traversant toute habillée encore toute habillée la rivière qui rit aux éclats. Et elle l’appelle. frère-et-sœur décidément, son ange battant des ailes aussi lourdes et massives que des portes. Ô mon ouragan méticuleux, sitôt passée sa corne, toute carence reprend. Et je te nomme embellie 30
et parterre de l’effronté et jardin du malappris et chance du débutant. Je t’enlace d’un voyage qui se méfie du beau temps autant que de la tourmente, je t’enlace je suis entre. Je ne m’essuie pas les pieds devant le seuil qui se dresse et point de maison derrière − juste la courbe troublante de mille sphères couchantes en ce trop plein de matin. Je suis ivre de rosée triste taupe or et bec chantant d’une voix enrouée − dalle à dalle je soulève les chemins déjà pavés à mesure que j’avance.
Le Voyage en Je Tu «Comment traverser la nuit?» demande-t-elle aux yeux qu’elle se creuse en guise de raccourci. Mais c’est que c’est que fallait y penser avant et faire attention au terrain sur lequel on pose ses pieds. Elle cherche l’inénarrable dans le récit. Elle tombe sur un os et s’en contente, comme si lui l’avait planqué à l’endroit précis où elle le déterre. C’est que c’est que voyance prévoyance providence et − on l’aurait cru, alors que pas du tout − ce n’est pas un homme à parier toute sa course sur la souffrance d’une seule bête même si bête 33
de trait. À la ligne. Comment traverser le torrent de lait noir que la nuit renverse sur son chemin? Elle soulève ses jupons pour pas pour pas et se découvre un trou à approfondir dans l’autre sens. Elle est surveillée − aussi veille-t-elle − et comment appelle-t-on déjà ce métier de démon moins puissant et d’ange moins gardien...? Mais c’est c’est que fallait y regarder de près avant de choisir son camp. Elle cherche l’inénarrable dans la récidive. Elle tombe sur un cas de figure et s’en contente, comme si lui l’avait casée à l’endroit étriqué où elle se débat. 34
U thé ruse. C’est un homme à cracher sur la bête sommaire et caution précaution − on l’aurait cru, alors que pas du tout − il se révise à la hausse, nuit tombante aussi ver-luisante qu’elle soi e. Elle ne dort pas dans son propre lit et se réveille pour être auto risée à rêver d’une chose très belle qui revient fatiguée. Elle tremble à l’idée de la beauté en son bain de soleil et de sommeil et elle frissonne encore lorsqu’elle est regardée par ces yeux en grappe de glycine ces yeux qui pendent sur elle et sur les traces d’un parfum de fin. Son pain et son cirque 35
ne sont posés nulle part, ni sur la table, ni sur les planches. Chaque morceau de pain improvise son four, chaque section du cirque s’en remet aux devoir sacré d’être incendie secret. Pain public et cirque intime. Elle se méfie de la lingerie car elle est le signe de ce qu’elle est. Cependant, elle se dit, quand elle se dévêt, que le chemin du repentir est raide et elle se voit débraillée telle un pamphlet accroché à une très haute branche. Tandis que lui regarde le ciel comme si le relief de la chaussée et la poussière des routes s’étaient imprimés dessus. Juché sur des repaires impairs, il se laisse parfois enlacer par le regard de son double, 36
sans se rendre compte qu’elle est là, qu’elle épie ses soupirs qu’elle caresse des yeux ses sourcils si épais qu’on peut se chauffer avec et les interstices de sa peau blanche et blanche pour se laver et se lover dedans. Et qu’elle est prise au dépourvu, passablement grisée par ce vin épais que les geste brusques de son amant répandent. Ce n’est pas qu’il veut mouiller, ce n’est pas qu’il veut lever l’ancre, c’est qu’il s’en prend aux ombres faute de se salir dans la suie et dans les coulées de lumière. Impossible portrait, criblé de balles, par un tireur devenu fou − on appelle ça un peintre, on appelle ça d’après nature on appelle ça comme on veut et le bon vouloir se moque bien de la dissemblance, car la sagesse immonde commande que toute chose en moins fasse de la place en plus. Elle avait compris à son insu que la raison pour laquelle 37
cacher et se cacher sont des exercices de pouvoir − c’est que c’est que ce qui est hors de vue n’est pas loin du cœur. Aussi bravait-elle ces lieux absurdes où le vent s’engouffre et dévore sa propre rose pour que ses cris décampent dans tous les sens pour qu’ils gagnent le large − expression étroite s’il en est. Elle faisait l’interminable inventaire de leurs conversations sans queue ni tête de leurs conversations en tête à queue, car ça se voulait à prendre ou à laisser ça sabordait la routine des routes à rebours ça regrettait que le son du déluge rappelle celui de la porcherie ça retraçait la longue marche des plantes anonymes ça narguait la voisine cassant du sucre sur le dos des passants à l’agonie ça dénonçait les fables animalières racontées à des espèces en voie d’extinction ça remplissait les poumons d’un air de chanson qui chôme... Qu’y avait-il à écouter 38
à part les échos d’un monde roulé en boule qui les frappait en pleine figure? Peut-être qu’ il − ce tu et ce je, ce jeu − éprouve le besoin de répondre très vite: il tique sur la suprématie, il dit que c’est du toc, que ce sont des histoires de singes singeant les singes de singes singeant les anges de singes singeant les sages. Et sa réponse − hâtive et craintive − sonne aux oreilles de l’aimée comme ce coup de ciseau qui écourte la brise qu’il porte en guise de tunique et la longueur du linceul. Pas de veulerie, plutôt un coup avalé de travers, et cela fait qu’il recrache ses mots dans tous les sens du sens. Pas un mot traître ne le saisit à la gorge mais pas un traître mot ne lui échappe − alors doit-elle se satisfaire d’idées aussi plates que des histoires et aussi creuses que des assiettes? 39
La voici, la voilà voile voguant dans sa cuisson de silences et dans sa crudité de sons, car le fin mot n’est autre que ce mot dont on oublie la fin. Est-ce que tu même? Est-ce queue tu mais...? Et surtout peut-on dire qu’on a franchi la bonne porte une fois qu’on a posé un pied sur le seuil? On ne s’étonnera jamais assez des merveilles qui ne sont pas derrière les portes. Aussi, ne faut-il pas s’étonner qu’elle s’offre à lui, alors que plus désertique qu’une hypothèse, plus fertile qu’une occasion manquée, plus souriante qu’une perte sèche, elle ne saurait trouver la pose qui lui va, elle ne saurait trouver la pause qui l’approuve. Mais, 40
quand sous le ciel d’une tourmente blasée, elle l’entend de tous ses pores, sa voix à lui se déploie comme un livre d’aventures lu en cachette, dont les feuilles exhalent cette odeur de forêt qui l’affole et la console de n’être ni cime ni racine. Il s’agit − mais il faudrait en fournir quelque preuve déroutante − de monter et descendre chromatiquement sans pourtant se soucier de ces vues orgastiques de l’ensemble qui font que le regard se fait battre sur son propre terrain. Elle se figure qu’il contourne l’oasis jusqu’à plus soif. Et elle en a le gosier sec. Pour la consoler de ses solos d’asphyxie, il lui raconte une histoire de son crû, et lui rend hommage en cela qu’il la croit capable de prendre ce qu’il y à comprendre et laisser ce qu’il y a de pompier: «Une vieille femme crie au miracle. Des milliers d’oiseaux accourent 41
pour lui donner tort. Elle est futée, la vieille. Elle sort un long couteau qu’elle cache sous son tablier à carreaux, et en profite pour égorger quelques bêtes à plumes trop occupées à tourner autour du pot du miracle-mot. De cet épisode ne restera qu’un court récit évoquant la toute-puissance de la beauté.» «Qui t’a raconté ça?» lance-t-elle sur un ton de soupçon sous l’aile. «Eux. Ils n’étaient pas là. Mais ils ont eu vent d’une pluie de plumes, d’un vieil hurlement et de plusieurs chants du cygne...» s’empresse-t-il de répondre sans mesurer les distances entre les silences de sa parabole et son désir d’écoute aussi fine que les cheveux qu’elle coupait en quatre. − par pure idolâtrie, doit-on préciser. Et pour se donner une contenance, elle lui lance, à brûle-pourpoint: 42
«Crois-tu vraiment qu’il y ait des routes? Pour moi, il n’y a pas de routes, il n’y a que des carrefours camouflés.» Cependant, elle se radoucit, elle sent comme lui et contre lui, que ses mots lui échappent et lui confie ce qu’elle se retient de lui dire: «En rêve, je te fais la toilette du chat, mais pas dans le sens du poil. Et toi?» Cette impossibilité acquise de faire semblant de faire semblant lui coûte cher, si bien qu’elle ne coupe pas court à la conversation − ça le fout en colère, elle ne l’ignore pas − et elle murmure encore comme si nul mot ne pouvait apaiser leurs affrontements qui étaient leur façon fervente de vivre d’amour et d’eau fraîche: «Le visage du triomphe est le visage de la peur.» C’est quoi une chose dans son avoir-été? C’est quoi de plus dans son été-à-voir? 43
Nous pensons bien plus loin que nous ne pouvons concevoir. Toutefois, c’est dans l’en-deçà que nous creusons une tombe comme l’oiseau fait son nid au plus proche des lieux que l’on atteint par son envol quelques menus vols et des larcins qui n’en sont point. S’il devait se mettre hors de sa portée, il allait se mettre hors de la portée de qui? De la sienne à elle? De la sienne à lui? Là où il y a portée, il n’y pas forcément nid. Ni. Et le ciel, chauffé à blanc, on l’aurait façonné avec les outils de l’enfer avec les métiers de l’envers. Oui, ça, il en était trop sûr pour invoquer les vertus acquises et toutes les surprises prévues dans ce détour roublard dans ce tripotage des tripes dans cette cassure qu’à cela ne tienne dans ce veuvage de courtisane pas assez mondaine 44
dans ce mérite de trou de serrure bouché par la vue dans ce commerce de fripes aux douanes de la nudité dans ce gommage des étoiles déplacées dans cette pluie soulevant des dentelles à ses ourlets dans cette capitale des sept portes où des mortelles accouchèrent de dieux inutiles. «Comment traverser la nuit?» demande-t-elle aux yeux qu’elle se creuse en guise de raccourci. «En la traversant» dit-il, d’une mine plus que jamais fuyante sur le papier froissé de la peau. «En la renversant» dit-elle. «Comment ça?» risque-t-il sans aplomb. «En me renversant» dit-elle.
Le Voyage en Deux Dans celles qui vont au bois c’est la mère et la fille...
Ce que l’on partage est infiniment partagé. Ce que l’on partage à deux à tout jamais divisé et, à part la part qui manque, il se pourrait qu’on arrive à se le reconstituer. Aussi commencerons-nous par une phrase sifflante: celle qui sert, je la suivrai une sirène en son désert, fausse suivante ou, sans doute, sirène désormais sourde, l’océan pour s’y dissoudre. Nous éviterons de justesse de poser les bonnes questions à moindres frais, multipliant les marques, les frasques, et les remarques. 47
La première, mordante, porte ouvrante sur la mort, ou plutôt sur l’infâme parodie de la reine morte. Toujours barbare, la garce, prête à rester étrangère sous ce toit qui est le sien, sous ce toi, et qu’on lui jette la pierre pour enfin vérifier l’apparence la transparence d’un immense toit de verre. Alors, toi, premier, toi, la première, vous saisirez la pierre. Chauffez-le dans votre main ce caillou, comme un cœur de pas assez et des battements de trop. S’il vous semble malaisé de lancer la pierre tiède, c’est que le cœur extérieur, le cœur toujours extérieur, n’aura qu’à se mettre au pas. À force de servitude, on se crée une habitude de servir, d’être servi. 48
L’arbre de la connaissance ne portait qu’un fruit unique − pas assez vert néanmoins pour passer inaperçu, pas assez mûr, ça c’est sûr, pour tomber sans faire bruit objet en désuétude. Fruit, ô fruit, croyance à ce l’on mange par oisive solitude... Pourrait-on au fond au fond n’être fait que de ces fruits et de leurs frères poisons et de ce que l’on avale? Le second et la seconde andante molto vivace vont très vite en la matière et se donnent rendez-vous sous un arbre si feuillu qu’on voit les étoiles comme une fine dentelle quand on se place en dessous. Et c’est lui qui se choisit l’arbre, c’est lui qui choisit le site et l’histoire qui s’y rattache et le ton très désinvolte 49
sur lequel il l’y invite. Faut-il préciser encore qu’il en décidera ainsi sachant d’un savoir antique qu’elle se confond facilement avec le seul plaisir de le suivre et de l’entendre? Et qu’elle ne peut le cacher: «Les jours où, par grand bonheur, je suis la première levée c’est toi le soleil naissant et l’unique étoile née qui m’arrache à tout sommeil.» Cependant, il lui répond − sur un autre ton, il parle − antidote qui se trompe de poison de dévotion: «J’aurais bien pris ta photo avant même que ton cadavre ne redevienne personne; avant qu’il ne sente avant qu’il ne sonne l’alarme du faux vivant. Enfin, juste pour l’image que des yeux sages regardent faute de prendre cette chair 50
pour motif d’excitation». Juliette recrache-t-elle sa promesse à Roméo? Et de sa voix à venir l’amant lui lance des vannes: «Accrochons nos nuits trop noires comme de très vieux wagons, comme des vagues très vagues.» Car le voyage muet le voyage dans la parole deux dans sera long jusqu’à l’arbre des origines qui reste inlassablement fidèle à son état d’exception? Vous avez dit «salive»? Vous avez dit «sueur»? Vous avez dit «urine»? Vous avez dit «sperme»? Tout est bon à asperger l’ombre des branches foudroyées de l’arbre des origines. Car nul besoin d’arrosage pour cet arbre qui s’enveloppe 51
de nos membranes si fines qu’on dirait une momie embrasée et embrassée par des peaux interminables. Essoufflé, haletant, sous ses bandages, faisant des mines et des signes, il respire à notre rythme cet arbre mort et vivant des innombrables origines. Il pousse prétendait-on, et se dessèche aussitôt, sur les champs de la défaite sur les chants de fin de fête et sur ces lieux qui seront de nouveaux champs de bataille. Mais, toi, le premier, moi, la dernière, n’avons jamais écouté ce dont était imprégnée la langue des mercenaires. Le bruit des talons hauts d’un très vieux travesti sonne sur la chaussée 52
et sous une pluie intense une immense envie d’être enfin celui, celle qui ne pense pas, celui celle à qui on ne pense pas, dans les bras d’un amant embarrassé de bras... Ô ce bruit de pas ce bruit de petites tours prêtes à s’effondrer à fondre. Pas d’aigles en amour, à peine cellule, celle l’aile en guise de vue la vue de celui sans proie la vue et pas à pas un oui. Elle la première seconde lui avait demandé d’aller chercher la parole au fond de sa gorge − mais lui, soudain devenu iconoclaste ou quasiment, n’accordait qu’à ses propres propos le droit d’exprimer des faits ou des idées 53
en employant des mots au sens dit figuré. Deux poids et deux mesures tel était − fallait-il s’y faire ou faire avec? − le mètre étalon de leur parcours. Si bien qu’elle, la première seconde, la première dernière, ployait sous le poids de ses mots qui ne pouvaient jamais figurer comme des notes au tableau de son honneur. Qui se cherche se trouve, qui te cher se trouve, un coup pas assez lionne, un coup pas assez louve. Ça sent le fauve ou la cage lorsqu’il se pose la question de l’âge et non plus de l’âge d’or. Trop d’êtres sans queue ni tête trop de choses sans visage trop de visages échangés et des cœurs longtemps cloîtrés dans les abîmes de l’âge. 54
L’enfant de l’excès préfère sucer un petit caillou le faire fondre dans sa bouche savoir qu’il restera dur. Il préfère ce bonbon subit sachant qu’il est interdit de mettre des pierres en bouche. Il préfère ce petit îlot sans sucre dans une mer d’amour et de sel. Et cependant il perçoit un arrière goût sanguin dans sa salive de haute mer − jamais il ne saura si son envie de pleurer toujours trop ou pas assez lui appartient en propre ou à ce monde inconnu au point que toujours il lui semble interne − Mogadiscio, ô ville porteuse d’un si beau nom encore à feu et à sang... Elle, la première, la seconde, − le dernier fil de voix se rompt 55
avant les autres elle succombe et se relève de ses cendres, de ses boues immonde oiseau − elle se figurait, première, qu’il avait sa propre carte, son propre herbier et bestiaire, les fables qui vont avec et cette odeur contraire à celle du fossoyeur, car il avait enterré dans la clairière d’une forêt tous les trésors de son cœur, d’enfant jaloux de sa sœur qui pourtant n’était pas encore pas encore à tout jamais née. Les mots qui ont les bras longs nous embrassent familièrement même ceux dont j’ai horreur comme nouilles pochette tringle; − dis-moi donc s’inquiète la seconde première seconde, dis-moi qui tu aimes, je te dirai qui je suis, dis-moi si tu sens, je te dirai à qui tu mens. 56
Nul doute que tu te souviens de la petite bête qui monte qui monte et des éclats de rire comme des cyclones où contre qui comment ça compte branches arrachées au corps vraie pudeur et fausse honte − nul doute qu’un doute en deux dans s’en prend au corps que l’on tient à bout de bras pour pas qu’il tombe au delà où la mer de sève qui monte n’osera pas se démonter. Oh oui, il fait frisquet il fait froid, et à force de chercher l’objet si loin de l’objet on cherche à avoir sa peau pour peaufiner les dégâts. Lui le premier et le seul tente de se souvenir − il en est capable, lui, il lui reste de quoi rire, alors là... − des signes particuliers qui sauraient la différer pour la toucher sans toucher 57
à ce qui lui sonne encore juste et injuste, le présent de sa migraine lui tenant lieu de passage et de gêne: la moitié d’une lune au dos dans cette position drôle dont il décide aisément que croissant et décroissant là où clair de terre se paume de la main; des vestiges de vêtements bribes de journées entières flottant sur des océans où l’on se noie pour y voir clair de lune et clair de terre à rebours d’une crise de foi; le long dégel de ses fesses et le foin intempestif de son herbe coupée ras impossible à mettre en botte je te tiens tu ne m’auras pas par la bar la barbichette. Car elle, seconde et seconde seconde de sa seconde et première à les compter sur le bout de ses mille doigts 58
autant d’arbres dans le bois de l’amant premier première, elle n’a jamais convoité que la place étriquée de se trouver la dernière.
Table des Matières
Le Voyage en Inde............................................. 3 Le Voyage en Un Deux................................. 17 Le Voyage en Je Tu.......................................... 33 Le Voyage en Deux Dans............................. 47