ses lieutenants. Les Caraïbes ignoraient tout travail régulier. Le R. P. JeanBaptiste du Tertre, surnommé par Pierre Magny, l’Hérodote des Antilles, a dit de ce peuple qui préférait se laisser mourir d’inanition plutôt que de se laisser asservir, « Les natifs4 de ces îles sont les plus contents, les plus heureux, [les moins vicieux]5, les plus sociables, [les moins contrefaits, et les moins tourmentez de maladie,] de toutes les nations du monde. Car ils sont tels que la nature les a produits, c’est-à-dire dans une grande naïveté et simplicité originelle6 : ils sont tous égaux […]7. Nul n’est plus riche, ni plus pauvre que son compagnon, et tous unanimement bornent leurs désirs à ce qui leur est [utile, et précisément nécessaire, et méprisent tout ce qu’ils ont de] superflu, comme chose8 indigne d’être possédée. […] On ne remarque aucune police parmi eux : ils vivent tous à leur liberté, boivent et mangent quand ils ont faim ou soif, ils travaillent et se reposent quand il leur plaît […]. […] Il n’y a pas9 de peuple au monde qui soit plus jaloux de sa liberté et qui ressente plus vivement et plus impatiemment les moindres attaques qu’on y voudrait porter. Aussi, se moquent-ils de nous quand ils voient que nous obéissons à nos supérieurs. Ils disent que nous sommes les esclaves de ceux à qui nous obéissons, puisqu’ils se donnent la liberté de nous commander, et que nous sommes assez lâches pour exécuter leurs ordres. » Tel était le caractère des Caraïbes et leur comportement ordinaire. La mise en pratique de la main-d’œuvre autochtone du Nouveau-Monde, remplacée par celle des Noirs provenant des côtes occidentales ou orientales 4 Maran fort probablement cite du Tertre à partir de l’ouvrage de Henri de Lalung, Les Caraïbes : un peuple étrange aujourd’hui disparu (Paris : Éditions Bourrelier et Cie, 1948), chapitre II, « Portrait physique et moral » que nous avons pu consulter en E-book, donc sans pagination. Tout comme du Tertre, de Lalung, écrit « Sauvages », nous gardons le terme « natifs » qui semble signaler un parti-pris de Maran sur une dénomination non préjudiciable des Caraïbes. 5 Les mots entre crochets sont omis du tapuscrit de Maran , nous corrigeons suivant de Lalung. Par contre, quand la suppression est aussi dans de Lalung, si nécessaire, comme c’est le cas ici, nous corrigeons en suivant du Tertre, Histoire générale des Antilles habitées par les François, T. 2 (Paris : Chez Thomas Lolly, 1667), Traité VII, chapitre I), 357. Quant aux points suspensifs entre crochets, ils dénotent une coupure dans la citation de Maran. 6 Suivant de Lalung à un « s » du pluriel près, Maran écrit, « originelle » plutôt que « naturelle » comme dans R. P. du Tertre, op. cit., p. 357. 7 Maran suivant de Lalung omet les propositions finales de la phrase originale de du Tertre : « sans que l’on connaisse presque aucune sorte de supériorité ni de servitude ; et à peine peut-on reconnaître aucune sorte de respect, même entre les parents, comme du fils au père » — du Tertre, op. cit., p. 357. 8 Sur le tapuscrit, on lit, « charge », une erreur que nous corrigeons suivant de Lalung et du Tertre. 9 À partir de cette phrase, de Lalung ne suit plus du Tertre, même s’il semble lui attribuer toutes ces lignes comme Maran après lui. Ne sachant pas quelle édition de du Tertre aurait consulté de Lalung, plusieurs hypothèses sont possibles. Nous ne nous hasarderons pas à spéculer ici, car ce n’est ni lieu ni le temps. Par contre, il importe de noter qu’à un mot près, « point » plutôt que « pas », nous retraçons in extenso ce dernier paragraphe en page 329 du tome IV du Nouveau Voyage aux îles françaises de l’Amérique du R. P. Labat (La Haye : chez P. Husson. T. Johnson. P. Gosse. J. van Duren. R. Alberts, & C. Levier, 1831).
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