Hostos Review/Revista Hostosiana #17

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d’apprivoiser avec des mots de France ce cƓur qui m’est venu du SĂ©nĂ©gal. » Puis le coup de fouet vint de RenĂ© Depestre avec Minerai noir, paru en 1956, dans lequel il signale qu’aprĂšs l’extermination des Indiens « on se tourna vers le fleuve musculaire de l’Afrique pour assurer la relĂšve du dĂ©sespoir ». LĂ , on arrive Ă  l’Histoire et je me souviens de ma passion pour ces rĂ©cits si pleins de verdeur, d’espoir, de folie, oĂč des esclaves se lancent devant la mitraille de l’armĂ©e napolĂ©onienne conduite par le gĂ©nĂ©ral Leclerc Ă  la conquĂȘte de leur libertĂ©. Ce n’est pas dans un salon mais sur le champ des batailles de la Ravine-Ă -Couleuvres, de la CrĂȘte-Ă -Pierrot et de VertiĂšres que le mot NĂšgre va changer de sens, passant d’esclave Ă  homme. Les gĂ©nĂ©raux de cette effroyable guerre coloniale le garderont aprĂšs l’indĂ©pendance d’HaĂŻti. L’art nĂšgre Mais ce mot tout sec, nu, sans le sang et les rires qui l’irriguent, n’est qu’une insulte dans la bouche d’un raciste. Je ne m’explique pas pourquoi on donne tant de pouvoir Ă  un individu sur nous-mĂȘme. Il n’a qu’à dire un mot de cinq lettres pour qu’on se retrouve en transe avec les bras et les pieds liĂ©s, comme si le mot Ă©tait plus fort que l’esclavage. Les esclaves n’ont pas fait la rĂ©volution pour qu’on se retrouve Ă  la merci du mot NĂšgre. Ne dites pas que je ne peux pas comprendre la charge de douleur du mot NĂšgre, car j’ai connu la dictature, celle de Papa Doc, puis celle de Baby Doc, j’ai plus tard connu l’exil, j’ai connu aussi l’usine, ainsi que le racisme de la vie ordinaire des ouvriers illĂ©gaux, j’ai mĂȘme connu un tremblement de terre, et tout ça dans une seule vie. Je crois qu’avant de demander la disparition de l’espace public du mot NĂšgre il faut connaĂźtre son histoire. Si ce mot n’est qu’une insulte dans la bouche du raciste, il a dĂ©clenchĂ© dans l’imaginaire des humains un sĂ©isme. Avec sa douleur lancinante et son fleuve de sang, il a ouvert la route au jazz, au chant tragique de Billie Holiday, Ă  la nostalgie poignante de Bessie Smith. Il a fait bouger l’Afrique, ce continent immuable et sa civilisation millĂ©naire, en exportant une partie de sa population vers un nouveau monde de terreur. Ce mot est Ă  l’origine d’un art particulier que le poĂšte Senghor et quelques intellectuels occidentaux ont appelĂ© faussement l’art nĂšgre. Ce serait mieux de dire l’art des nĂšgres. Ou encore l’art tout court. Tout qualificatif affaiblit ce qu’il tente de dĂ©finir. Mais passons, car ce domaine est si riche. S’agissant de la littĂ©rature, on n’a aucune idĂ©e du nombre de fois qu’il a Ă©tĂ© employĂ©. Si quelqu’un veut faire une recherche sur les traces et les significations diffĂ©rentes du mot dans sa bibliothĂšque personnelle, il sera impressionnĂ© par le nombre de sens que ce mot a pris dans l’histoire de la littĂ©rature. Et il comprendra l’énorme trou que sa disparition engendrera dans la littĂ©rature. 67


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