Hr square 1

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www.hrsquare.be décembre 14

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Bureau de dépôt Bruxelles X Numéro d’agrégation P309180 Expéditeur : PMN sprl Rue des Sols, 8 1000 Bruxelles Bimestriel (pas en juillet-août)

Pierre Leman (Novartis)

+

A la recherche des Etoiles du Dialogue Social Prévenir les risques psychosociaux au travail Gagner l’adhésion aux objectifs d’un bonus ‘CCT 90’ Les vertus d’un leadership clairvoyant

« La contrainte peut stimuler l’innovation »


Votre publicité ici ? Contactez Mélanie Boutriaux melanie.boutriaux@hrsquare.be 02 515 07 60

www.hrsquare.be/fr/home


Perspectives

Changez les faits texte

christophe lo giudice

Dans bien des entreprises, le dialogue

La recherche académique le montre : les

exemple, les sujets traditionnels (rémuné-

social reste perçu comme un mal nécessaire,

pays où la présence syndicale est forte

ration et temps de travail) apparaissent de

voire une simple obligation légale. Certains,

connaissent aussi les conflits sociaux les

plus en plus verrouillés, et de façon durable.

patrons comme DRH, rêvent d’un affaiblis-

moins nombreux. Autre enseignement : la

Une étude prospective met en évidence

sement des syndicats qui leur permettrait

présence syndicale dans l’entreprise n’em-

qu’ils laissent progressivement la place à des

de consacrer plus de temps et d’énergie à

pêche pas les innovations organisation-

questions plus qualitatives autour des condi-

des activités plus stratégiques. Les mouve-

nelles. Notre premier dossier le confirme, cas

tions de travail et du bien-être, thème qui fait

ments de colère sociale actuels et les coûts

d’entreprises à l’appui : la concertation ne

l’objet du second dossier à lire dans cette

qu’ils engendrent (d’après Agoria, la fac-

doit pas être affaiblie, mais renforcée. C’est

édition en lien avec la nouvelle législation en

ture des actions syndicales de novembre et

dans cet esprit que HR Square et ses par-

matière de prévention des risques psychoso-

décembre pourrait atteindre plus de 2

tenaires se mettent en quête des Etoiles du

ciaux. Là encore, la question gagne à ne pas

milliards d’euros) viennent encore donner du

Dialogue Social, des entreprises qui se sont

être abordée dans la perspective unique du

grain à moudre à ceux qui pensent qu’il est il-

engagées dans une démarche d’amélioration

respect d’obligations légales, mais comme

lusoire de vouloir discuter avec les syndicats.

du dialogue social interne avec des résultats

levier d’une gestion ambitieuse de l’humain

probants à la clé. Les plus convaincantes se-

au travail. Et, là encore, la recherche va à

Espérer l’affaiblissement des syndicats est

ront récompensées à l’occasion d’une soirée

l’encontre des idées établies : par exemple,

pourtant un leurre : simplement parce qu’il

organisée au printemps prochain.

certaines orientations décrites comme ‘HR

ne signifierait pas la fin des tensions sociales.

best practices’ peuvent avoir des effets

Les syndicats permettent de canaliser ces

Si la concertation sociale est indispensable

négatifs sur la perception de bien-être des

tensions. En leur absence, elles emprunte-

et porteuse de valeur ajoutée, elle connaît

travailleurs. Si les faits ne correspondent

raient des canaux et des formes d’expression

des évolutions qu’il faut bien comprendre et

pas à la théorie, changez les faits, disait

différents et généralement plus conflictuels.

dont il faut anticiper les conséquences. Par

Einstein…

Président Jos Gavel jos.gavel@hrsquare.be 0475 63 18 48

Directeur commercial Stijn Haegeman stijn.haegeman@hrsquare.be 0499 55 18 86

Directeur général Bert Gavel bert@hrsquare.be 0478 44 85 23

Responsable Partenariats & Events Stéphanie Poivre stephanie.poivre@hrsquare.be 0498 44 43 32

Directeur de la rédaction Christophe Lo Giudice christophe.logiudice@hrsquare.be 0476 50 84 07

Responsable du réseau Nathalie Dierickx nathalie.dierickx@hrsquare.be 0474 97 07 43

Journaliste Mélanie Geelkens

Office Manager Mélanie Boutriaux melanie.boutriaux@hrsquare.be 02 515 07 60

Photographe Hendrik De Schrijver Mise en page Caroline Derveaux www.dfib.net Membership HR Square 200 euros par an (+ 21% TVA) Imprimerie Corelio Printing - Erpe-Mere Plus d’informations sur le site www.hrsquare.be/fr/home.

HR Square paraît en français une fois tous les deux mois (pas en juillet et août) et est une publication de la sprl People Management Network, rue des Sols n°8, 1000 Bruxelles. Editeur responsable Jos Gavel, Rue des Sols, 8 1000 Bruxelles © L’autorisation écrite de la rédaction est requise pour toute réutilisation des textes ou du matériel photo publiés.

Membre de l’Union des éditeurs de la Presse Périodique

DéCEMBRE 2014 n° 1 HR square

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4

le programme

28

© CLG

16

Jean-Marc Meunier AGC Glass Europe

Pierre Leman Novartis

© Jos Balcaen

38

© CSC

© HDS

26

Marie-Hélène Ska CSC

Ilios Kotsou ULB

avant plan

DOSSIER 1 : Dialogue social

SOUS LES PROJECTEURS

06

20

38

Persistance du gel des salaires en motivation ?

Les académiques : La concertation ne doit pas être affaiblie, mais renforcée

2015-2016 : au risque de givrer la 26

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De profil : Stéphane Kodeck, Senior VP Corporate chez Dragone

11

Nouveaux rôles : vos confrères qui relèvent un nouveau défi

14

Forum : comment gagner l’adhésion du personnel au bonus CCT 90

EN TETE D’AFFICHE 16

Pierre Leman (Novartis) : La contrainte peut aussi stimuler l’innovation

HR square n° 1 décembre 2014

28

AGC Glass Europe : Un dialogue constructif s’établit dans la durée

31

HeidelbergCement : La responsabilisation du dialogue social

32

STIB : Trois leviers pour améliorer le dialogue social

34 Pourquoi et comment mesurer le ROI du dialogue social

INSPIRATION 36

une toute autre expérience de travail

Marie-Hélène Ska (CSC) : La clé réside dans le ‘parler vrai’

RESEAU

Ilios Kotsou : Le leader clairvoyant offre

Comment mettre son entreprise en alerte sur les mutations du monde

DOSSIER 2 : Bien-être 42

Ce qu’il faut savoir pour prévenir les

47

Investir dans le bien-être est rentable

50

bpost : Le bien-être au travail est un

risques psychosociaux au travail

enjeu business 52

Safran : La gestion des risques exige un apprentissage

54

Bayer : Faire de la GRH sans investir dans le bien-être est illusoire

56

Prévenir les risques psychosociaux : chiffres et conseils méthodologiques


le programme

54

Maria Bruni Bayer

© D.R.

© CLG

70

Henry Mintzberg Université McGill

74

Emeline Bourgoin Dailymotion

© D.R.

© D.R.

64

Frédéric Fougerat Altran

EN COULISSE

IDEES

58

Canevas : Les clés pour gérer

70

L’idéothèque

l’hyperconnectivité

74

Libre expression : Frédéric

60

Décryptages : La clause d’écolage

Fougerat (Altran) - Faut-il toujours

62

Jurisprudence : Absente et… au travail

communiquer si l’on a quelque chose

ailleurs

à dire ?

63

International : votre employé part régulièrement à l’étranger : dans quel pays se fait l’assujettissement à la sécurité sociale ?

HORIZONS 64

Emeline Bourgoin (Dailymotion) : le développement RH d’une start-up de l’internet

68

Les RH belges du bout du monde : Isabel Carrion (UCB) à Atlanta (Etats-Unis)

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Avant-plan

Maintien du gel des salaires en 2015-2016: enjeux et conséquences texte

Comment ne pas (aussi) givrer la motivation des travailleurs

mélanie geelkens

Gel des salaires: stop ou encore ? Le gouvernement Michel a tranché: c’est reparti pour (au moins) deux années supplémentaires. La coalition suédoise veut ainsi continuer à s’attaquer au handicap salarial. Mais la mesure n’est pas indolore, en particulier au niveau de la motivation du personnel.

Les politiques d’austérité n’ont aucun sens en situation d’inflation faible, voire de déflation Temps forts :: Gel des salaires, un saut d’index, révision annoncée de la loi sur la norme salariale: les méthodes « classiques » d’augmentation des rémunérations ont du plomb dans l’aile. :: Certains experts questionnent toutefois le bien-fondé de ces mesures et, à tout le moins, mettent en garde contre les effets contre-productifs. :: Plus que jamais, les DRH doivent faire preuve de créativité pour offrir d’autres formes de rétribution, tout en veillant à respecter l’équité interne.

HR square n° 1 décembre 2014

Ce n’est pas un scoop: le travail coûte plus cher en Belgique qu’ailleurs, et y compris par rapport aux pays voisins. Le problème n’est pas neuf: en 1996 déjà, une loi était votée pour tenter de « sauvegarder préventivement la compétitivité » en encadrant l’augmentation des coûts salariaux. Cela n’a rien changé: seize ans plus tard, le Conseil central de l’économie (CCE) estimait que les rémunérations en Belgique avaient augmenté sur cette période de 5,1% de plus qu’en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, nos trois principaux partenaires commerciaux. Dans une économie hautement ouverte comme la nôtre, où les importations et exportations représentent près de 70% du produit intérieur brut, voilà qui ne fait forcément pas les affaires des entreprises, qui plaident de longue date pour que des mesures plus strictes soient prises. En 2012, leurs revendications avaient trouvé écho auprès du gouvernement Di Rupo. Le 19 novembre, cette année-là, la majorité « papillon » décrétait un gel des salaires pour 2013 et 2014. Une première depuis cette loi de 1996 (lire aussi l’encadré). L’objectif avoué était de résorber ce handicap salarial – estimé à 4,8% en 2012 – de 1,6%. Près de deux ans plus tard, le but ne semble pas tout à fait atteint, même si la situation progresse. Sur base des dernières prévisions, le CCE s’attend à atteindre 3,8% en 2014. Merci l’Allemagne La Belgique ne doit toutefois pas outrageusement se jeter des fleurs. Cette diminution est aussi liée à la situation des pays limitrophes, en particulier à celle de l’Allemagne. Si, par le

passé, l’écart s’était creusé, c’est aussi parce que nos voisins d’outre-Rhin avaient pris des mesures très dures en matière d’emploi, notamment via la création de « mini-jobs », ces emplois payés 400 euros par mois. Si ce même écart aujourd’hui se réduit, c’est aussi parce que le pays d’Angela Merkel fait lentement marche arrière, en instaurant par exemple un barème minimum légal national. Reste que ces 3,8% subsistent. « Au rythme actuel, il faudra encore plus de 30 ans pour résorber notre handicap salarial absolu ! », estimait récemment la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), appelant à des mesures plus « ambitieuses ». Une oreille attentive a, cette fois, été trouvée du côté de la nouvelle coalition suédoise. Des mesures ? Charles Michel et ses ministres en promettent à la pelle. Dans l’accord de gouvernement MR/N-VA/Open VLD/CD&V, on retrouve un long paragraphe consacré à ce sujet. Les partis s’engagent à faire disparaître « complètement, avant la fin de la législature, au moins le handicap salarial mesuré depuis 1996 avec les pays voisins ». C’est donc reparti pour une tournée de grand gel ! Ou plutôt de « modération salariale en 2015-2016 (ou tant que la compétitivité n’est pas restaurée) », comme le stipule le texte. Ce n’est pas tout: les autorités fédérales pratiqueront également un saut d’index en 2015 et anticiperont la réduction des charges déjà prévue par l’équipe Di Rupo via le pacte de compétitivité. Barèmes dans le viseur Vous en voulez encore ? La suédoise entend aussi revoir en profondeur cette loi de 1996,


Avant-plan

Bart Buysse FEB « Un pour cent de handicap salarial provoque la destruction de 15.000 à 20.000 postes. Si celui-ci diminue, cela entraînera un effet inverse. » © Hendrik De Schrijver

Dans les faits, des augmentations individuelles restent envisageables ainsi que le mécanisme d’augmentation barémique des rémunérations, pour que le système ne soit plus lié à l’âge ou à l’ancienneté, mais davantage aux compétences des travailleurs et à leur productivité. N’en jetez plus ! Pour les syndicats, la coupe est déjà trop pleine. « Tout cela est totalement inacceptable, tempête Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB. Le gouvernement s’immisce dans la concertation sociale. Il n’y a même pas encore eu de négociations sociales que la majorité décrète un gel des salaires ! Sans parler de la volonté de revoir les barèmes et le saut d’index… Nous nous y opposerons de toutes nos forces. » « La coalition fédérale veut soi-disant booster la compétitivité, mais ce blocage n’offre rien en retour, ne prévoit pas d’obligation d’emploi », critique à son tour Anne Léonard, secrétaire nationale de la CSC. Le son de cloche est évidemment bien diffé-

rent du côté patronal. « Ce sont de bonnes mesures, des mesures nécessaires. Nous les réclamions depuis longtemps, bien que nous allions encore plus loin, souligne Bart Buysse, directeur général de la FEB. L’accord reste cependant encore un peu flou. On y parle modération salariale, mais est-ce que ça signifiera réellement 0% d’augmentation comme ces deux dernières années ? » Crise de la demande Le gouvernement Michel ne manquera sans doute pas de préciser sa pensée. Mais le signal est clair: les méthodes « classiques » d’augmentation des rémunérations, quelles que soient leur forme, ont du plomb dans l’aile. Un mauvais signal ? Lionel Artige, professeur de macro-économie à HEC-ULg, doute en tout cas du timing. « La modération salariale est une chose importante pour la Belgique. Mais nous sommes actuellement dans une période d’inflation très basse.

Nous vivons plutôt une crise de la demande, où il faudrait soutenir la consommation. Ce gel intervient au plus mauvais moment. Si les travailleurs savent qu’ils ne seront pas augmentés, ils vont épargner davantage et non dépenser. » « Les politiques d’austérité n’ont aucun sens en situation d’inflation faible voire de déflation, abonde Anne Léonard. C’est contre-productif. Plutôt que de réduire le pouvoir d’achat, il faudrait donner la possibilité de pouvoir consommer. » Et Marc Goblet de surenchérir: « Le gouvernement ne fait pas de distinction entre les secteurs où le coût salarial occupe une faible proportion dans le chiffre d’affaires et ceux où ce n’est pas le cas. » Giuseppe Pagano, docteur en sciences économiques à l’université de Mons, pointe un autre effet paradoxal. Si les fiches de paie ne sont pas revues à la hausse, les impôts non plus. Au détriment des caisses de l’État. « La fédération Wallonie-Bruxelles fait dans ce cas une affaire en or, illustre-t-il. Elle n’aura pas à augmenter son personnel, par exemple ses enseignants, mais elle ne perd rien d’un point de vue fiscal puisqu’elle ne récolte pas de recettes. Tout le contraire du fédéral: il économise sur sa propre masse salariale mais perd les impôts de ses propres employés et des autres travailleurs. Pas sûr qu’il y gagne. » De la tension sociale dans l’air L’économiste ajoute que les rétributions des travailleurs ne sont qu’un paramètre parmi d’autres pesant sur la compétitivité. Les charges sociales, les coûts énergétiques, la formation, la demande sur les marchés sont d’autres variables importantes… auxquelles le gouvernement semble moins s’attaquer. Or, à force de taper plus fort sur un seul clou, les relations sociales risquent de ne pas en sortir indemnes. D’autant que d’autres mesures peu digestes ont été annoncées par les différents niveaux de pou-

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avant-plan François Pichault HEC-ULg « Il faut faire preuve d’innovation, d’inventivité. Peut-être est-ce l’occasion de relancer des formules du type plan cafétéria ? » © D.R.

Au rythme actuel, il faudra encore plus de 30 ans pour résorber notre handicap salarial absolu voir. Recul de l’âge de la pension, augmentation des accises sur le diesel, hausse du minerval universitaire en Flandre, coupes à la SNCB et aux TEC… Il faudra convaincre le commun des mortels qu’on ne s’attaque pas un peu trop à son portefeuille. « Quand on fait la somme de tout, cela peut conduire à accumuler la colère, précise Giuseppe Pagano. Les relations sociales sont en train de se tendre. Quelque part, cela peut rapporter pire que les bénéfices espérés. » Bénéfices qui ne sont certes pas inexistants. Si les émoluments sont freinés, les entreprises seront sans doute moins tentées de remplacer les hommes par des machines. Aux yeux de la FEB, la conséquence directe du gel sera la création d’emplois. « Un pour cent de handicap salarial provoque la destruction de 15.000 à 20.000 postes, calcule Bart Buysse. Si celui-ci diminue, cela entraînera un effet inverse. » La tentation de la démotivation Les études manquent encore pour confirmer (ou non) les effets réels en la matière. Mais au quotidien, la mesure pourrait avoir des effets pervers chez les travailleurs. Si la morosité perdure, les profils les plus qualifiés – déjà en pénurie – risquent d’aller voir dans d’autres contrées si l’herbe n’est pas plus verte qu’en Belgique. Quant à ceux qui restent, ils devront tenter de ne pas épuiser leur stock de motivation. « On travaille pour des tas de raison: vie sociale, statut dans la société, réalisation de soi… Mais évidemment aussi pour gagner sa vie ! Certains pourraient se dire: ‘Dans ces conditions, je vais moins me dévouer à mon travail’ », soulève Giuseppe Pagano. Pour garder le moral de leurs troupes au beau

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fixe, les entreprises doivent dès lors se montrer inventives, alors que l’aspect pécuniaire reste souvent l’incitant le plus courant. Pas question de miser sur les voitures de société, les téléphones, les assurances-groupe et autres avantages en nature: ils sont considérés comme faisant partie de la rémunération. Dans les faits, il faut toutefois souligner que les augmentations individuelles restent envisageables… pour autant que l’entreprise respecte le gel au niveau de sa masse salariale globale. En d’autres termes, il faut agir dans le cadre d’une « enveloppe fermée ». Si, par exemple, un travailleur âgé, à rétribution élevée, prend sa retraite, il n’est pas exclu qu’un plus jeune travailleur, moins bien payé, voie sa fiche de paie gonflée grâce à la somme ainsi récupérée, pour prendre un exemple un peu schématique.

Marc Goblet FGTB « Il n’y a pas encore eu de négociations sociales que la majorité décrète un gel des salaires ! Sans parler de la volonté de revoir les barèmes et le saut d’index… Nous nous y opposerons de toutes nos forces. » © FGTB


avant-plan Le retour du plan cafétéria Ce procédé a toutefois ses limites. Identifier des alternatives s’impose donc dans la majorité des cas. « Ne rien faire, ce ne serait pas le bon plan, confirme François Pichault, professeur en gestion des ressources humaines à HEC-ULg. Il faut faire preuve d’innovation, d’inventivité. Peut-être est-ce l’occasion de relancer des formules du type plan cafétéria qui, il est vrai, n’ont pas bien pris en Belgique par le passé en raison de leur complexité légale. Mais cela fonctionne bien ailleurs. On pourrait imaginer de remplacer les augmentations de rémunération par des jours de congé, des modules de formation, du télétravail, etc. » Le spécialiste le concède: pour les DRH,

Norme salariale, mode d’em­ploi La loi votée le 26 juillet 1996 instaure la possibilité d’adapter préventivement l’évolution des coûts salariaux belges à celle attendue dans les pays voisins. Elle est en quelque sorte venue encadrer la concertation qui a lieu tous les deux ans entre partenaires sociaux pour déterminer la norme salariale. Concrètement, syndicats et patronat se basent sur un rapport du Conseil central de l’économie publié chaque automne, qui établit les marges maximales disponibles pour l’évolution globales des rémunérations. Place ensuite aux débats pour fixer une norme salariale. En cas d’accord, celle-ci est établie dans une convention collective de travail interprofessionnelle. Si aucun terrain d’entente n’est trouvé, le gouvernement est appelé à la rescousse pour jouer le rôle de médiateur et peut lui-même fixer la norme par arrêté royal. C’est notamment cela qui fait aujourd’hui bouillir les syndicats: le gouvernement Michel a d’emblée imposé une modération salariale, sans passer par la case concertation sociale. La coalition « suédoise » va plus loin, puisqu’elle entend revoir en profondeur cette loi de 1996. Notamment en mettant en place un mécanisme de correction automatique des dépassements constatés ou en prévoyant une surveillance accrue en cas d’évolution supérieure à la norme. Cela promet des discussions sociales intenses…

cela peut vite s’apparenter à un casse-tête chinois. À quoi faire correspondre trois jours de congé, deux journées de formation? Comment s’assurer que tout le monde reste sur un pied d’égalité ? « C’est compliqué, mais il s’agit d’une voie intéressante, qui s’adapte à la diversité des profils au sein d’une entreprise. Un jeune n’a, par exemple, pas besoin des mêmes considérations qu’un collaborateur plus âgé », note-t-il. François Pichault insiste: il est primordial que ces initiatives soient formalisées, que des outils soient utilisés pour justifier les différences accordées. Histoire d’éviter d’être rapidement confronté à des questions d’équité. « Or cela pose souvent problème en Wallonie, où le tissu économique est surtout constitué de PME qui ont encore très peu l’habitude de fonctionner de la sorte et où les ressources humaines relèvent un peu du pouvoir discrétionnaire du patron », remarque-t-il. La participation aux bénéfices de l’entreprise, qui n’entre pas dans la norme salariale, peut aussi être envisagée. Tout comme le recours à la « CCT 90 », cette convention collective de travail qui a de plus en plus de succès et qui permet, selon des critères précis, d’accorder aux collaborateurs un bonus lié à la réalisation d’objectifs collectifs. Bref, des pistes existent pour que le gel des salaires ne se transforme pas en givre des motivations. À condition de se montrer innovant. En attendant la fonte du handicap salarial…

Giuseppe Pagano Université de Mons « On travaille pour des tas de raison, mais évidemment aussi pour gagner sa vie ! Certains pourraient se dire: ‘Dans ces conditions, je vais moins me dévouer à mon travail’. » © D.R./Danny Gys

Sanctions. Quelles sanctions ? Comment s’assurer que les milliers d’entreprises établies en Belgique respectent bien toutes le gel des salaires qui leur est imposé ? La réponse à cette question varie selon que l’on adopte un point de vue théorique ou pratique. En théorie: c’est à l’inspection sociale que revient la délicate tâche du contrôle. Toutes les firmes qui n’ont pas respecté la norme s’exposent à une amende administrative pouvant aller de 250 à 5.000 euros. En pratique: les contrôles sont rares. Si pas inexistants… « On ne peut effectuer ce contrôle qu’un an après l’entrée en vigueur de la modération salariale et c’est un travail très complexe de tout vérifier, entreprise par entreprise. Pas sûr que cela soit la priorité de l’inspection sociale, glisse un avocat spécialisé en droit du travail. En d’autres termes, la règle existe et il est important de la respecter. Mais, dans les faits, c’est plus compliqué… » Pas étonnant que le nouveau gouvernement fédéral ait annoncé son intention de mettre en place un système de surveillance plus efficace ainsi qu’un mécanisme de correction automatique en cas de dépassement constaté. Reste à savoir comment cela se concrétisera. Mais que les travailleurs se rassurent: s’ils ont perçu une augmentation en période de gel de la part de leur patron, personne ne viendra la retirer de leur poche.

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reseau I PROFIL

Stéphane Kodeck, Senior Vice-President Corporate chez Dragone

Allier magie et rigueur texte

christophe lo giudice

En novembre, Stéphane Kodeck quittait les transports publics bruxellois pour rallier le monde de l’entertainment chez Dragone. En tant que Senior Vice-President Corporate, il y est en charge de toutes les activités de support, dont les RH. Stéphane Kodeck le reconnaît : ce qu’il apprécie, c’est le gros oeuvre. Le détail des finitions, ce n’est pas sa tasse de thé. A la STIB, où il dirigeait la business unit Bus, il a été servi : transformation du modèle organi-

ne lésine guère sur les moyens. L’an passé, la compagnie s’attachait les services de l’ancien patron de la Deutsche Bank Belgique, Yves Delacollette, au poste de président et Chief Spectator Officer. Aujourd’hui, c’est

Stéphane Kodeck Dragone « La transversalité est un de mes fils rouges : les services de support gagnent à se renforcer mutuellement. » © D.R.

L’étape suivante l’a donc mené à la STIB.

Avec la croissance, il faut des procédures, renforcer la rigueur de gestion sationnel, acquisition d’une nouvelle flotte de véhicules, ouverture d’un quatrième dépôt à Anderlecht… « Nous allions entrer dans une phase de stabilisation. J’ai eu le sentiment d’avoir bouclé un cycle. » Grandes ambitions Mais la décision de quitter n’est pas un choix de rejet. « Appelons-le hasard ou destin : lorsque vous vous sentez disponible pour un nouveau défi et que se présente Dragone, 1+1=2 », dit-il. Faut-il encore présenter ce groupe qui a vu le jour à La Louvière il y a 13 ans à l’initiative de Franco Dragone, le directeur artistique et metteur en scène dont les spectacles ont réinventé un genre et changé la vocation de Las Vegas ? Aujourd’hui, ce qui était au départ un atelier artisanal ambitionne de devenir la plus belle compagnie de création culturelle au monde, avec d’importantes perspectives de développement en Asie. Pour passer à la vitesse supérieure, Dragone

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tout le Corporate (finance, HR, IT, legal, facilities, achats, logistique) qui se trouve renforcé par un profil en apparence « surdimensionné » pour ce qui reste une PME. Mais, on l’a dit, la barre est placée haut : entre 2000 et 2013, 15 millions de personnes à travers le monde ont vu des spectacles Dragone. Dans quelques années, elles devraient être 10 millions… par an, d’après les chiffres annoncés. Ingénieur commercial des FUCaM, Stéphane Kodeck a mené une première carrière chez Unilever : Management Accountant et Sales Administration Manager chez Iglo-Ola, Finance Manager chez Unilever aux PaysBas, Business Controller au sein de la division Food en Belgique, Finance & Supply Chain Director au sein de la division belge Home & Personal Care, avant un retour aux Pays-Bas en tant que General Manager HR Shared Services. Pendant trois ans, il a ensuite dirigé les Corporate Services de l'Union Nationale des Mutualités Libres, combinant responsabilités financière et RH.

Partout dans le monde Le monde du spectacle a tout pour séduire. Mais ce qui l’attire chez Dragone, ce ne sont pas tant les paillettes que le processus de changement à piloter. « Les artistes, créatifs et techniciens du spectacle représentent un milieu dans lequel je vais me sentir à l’aise. Mais Dragone est aussi une entreprise avec une comptabilité, de l’informatique, une gestion de paie, du personnel d’entretien, etc. Il s’agit d’un monde qui n’a, a priori, pas tendance à se structurer pour donner le champs à la créativité. Mais, avec la croissance, il faut mettre des procédures en place, renforcer la rigueur dans la gestion… » Au plan RH, l’agenda est déjà chargé : gérer la croissance en conservant et attirant les talents requis, assurer la discipline pour éviter les erreurs et frustrations, implémenter de nouveaux systèmes IT pour renforcer le service aux clients internes, accompagner le changement culturel lié à ces évolutions et, enfin, gérer les enjeux multiculturels qui vont de pair avec l’organisation de shows partout dans le monde. « Dans ce rôle, je vais retrouver des dénominateurs communs à mes expériences passées, mais aussi des défis spécifiques, conclut-il. Ce qui va me permettre de capitaliser sur mes connaissances et de continuer à apprendre. »


reseau I Nouveaux rôles

Christine Thiran Groupe Mestdagh

Christine Thiran a relevé un nouveau défi comme directrice des ressources humaines du Groupe Mestdagh. Elle y est membre du Comité opérationnel de direction. Diplômée en économie des FUNDP, elle a débuté sa carrière comme chercheuse au sein de la Cellule Télécom du Centre de Recherches Informatique et Droit, avec la responsabilité de la partie économique de l’étude sur l’application du contrat de gestion à Belgacom et à La Poste. En 1994, elle passe de l’autre côté de la barrière et entre chez Belgacom pour devenir Executive Advisor au sein de la division résidentielle. Quatre ans plus tard, elle en devient DRH, responsabilité à laquelle se rajouteront d’autres divisions pour couvrir 7.200 collaborateurs. En 2001, elle intègre le département Group Human Resources, en charge des recrutements, des reconversions et de l’implémentation du projet social BeST menant au départ volontaire de 4.200 travailleurs et à la reconversion de 2.000 autres. Deux ans plus tard, elle oeuvre à la création de l’Employee Service Management, guichet unique destiné à répondre aux questions du personnel et à accompagner le line management en matières RH. La même année, elle est chargée de la politique RH de la Business Unit Wireline regroupant 11.000 personnes. L’année 2004 sera charnière : elle change de secteur et découvre le non-marchand comme DRH des Cliniques universitaires Saint-Luc, où elle sera également responsable de la communication. Sa priorité a été d’y positionner les RH comme partenaire stratégique en transformant son département d’un service de support axé sur la gestion administrative du personnel en département mettant au service de l’institution une politique RH cohérente, lisible et transparente. Parmi ses réalisations, on peut pointer le développement d’un véritable marketing RH et d’une marque employeur forte, la mise en place d’un nouvel outil de gestion HRIS, entre autres. Ces chantiers ont été récompensés du titre de HR Manager de l’année en 2010 et du titre d’Employeur de l’année 2014 pour les Cliniques universitaires Saint-Luc.

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Dominique Vosse Merck (MSD Après près de six années chez Boehringer Ingelheim, Dominique Vosse est devenue DRH chez Merck (MSD) en Belgique (le site Antares à Bruxelles et le site de production à Heist-op-den-Berg) et au Luxembourg. Diplômée en droit (Université de Gand, 1987), elle a débuté sa carrière chez Pfizer en tant que Product Manager, avant d’exercer le même rôle chez Merck Sharp & Dohme, où elle a ensuite évolué en tant que Sales Manager Hospitals, puis Marketing Manager. En 1994, elle rejoint AstraZeneca en tant que Business Unit Director Cardiovascular, puis évolue dans la consultance HR/Talent Management pour l'industrie pharmaceutique (Van Dycke & Partners, Hudson). En 2009, Dominique Vosse intègre les équipes RH de Boehringer Ingelheim en tant que HR Business Partner BeLux/Talent Manager. Elle s’y est occupée de gestion des performances et des compétences, de staffing, de plans de développement et de formation, de coaching et de design organisationnel de business units.

Marjolaine Gailly Touring L’équipe RH de Touring s’est renforcée d’une Talent Manager ad intérim en la personne de Marjolaine Gailly. Diplômée en psychologie (ULB) et en management (Haute Ecole ‘Groupe ICHEC-ISC Saint-Louis-ISFSC), Marjolaine Gailly a débuté son parcours chez Hudson en tant que HR Consultant dans le domaine du recrutement et de la gestion des talents. De 2008 à 2011, elle a évolué chez Electrabel d’abord comme recruteur, puis dans le rôle de Teamleader Recruitment & Mobility, avant de contribuer à l’établissement d’un nouveau département pour les activités Trading de GDF Suez. Après un passage chez UCB Pharma en tant que HR Generalist, elle intégrait début 2013 la société de consultance Intys HR dans un rôle de business manager pour des activité de HR Interim Management, Project Sourcing et Change Management.

Xavier van Outryve - SNC-Lavalin Xavier van Outryve a pris la direction des ressources humaines chez SNC-Lavalin en Belgique. Diplômé en sciences politiques, il a débuté sa carrière chez SD Worx avec pour mission de développer le marché wallon où le prestataire de services RH est alors encore peu présent. En 1998, il endosse pour la première fois la casquette RH au sein du groupe Three S actif dans la maintenance industrielle, avant de devenir Director Administration & Finances. S’éloignant des RH, il fait le choix de revenir chez SD Worx dans la division consultance où il renforce son approche méthodologique et réalise de belles missions (Test-Achats, GSK, N-Allo). De 2004 à 2008, il contribue au succès de GRH Management, aux côtés d’Angela Leone, avant de rejoindre le Crédit Agricole en tant que responsable RH où il a accompagné au plan RH la diversification et la croissance de l’institution, avec notamment la reprise des 21.000 clients belges de la banque islandaise Kauphting et le rachat de la banque Centea au groupe KBC.

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reseau I Nouveaux rôles

Aurore Aerts Multipharma

Après près de cinq années au sein du groupe BASF, Aurore Aerts relève un nouveau défi chez Multipharma en tant que HR Development Expert. Avec près de 1.600 collaborateurs et 250 pharmacies, Multipharma est le premier réseau de distribution pharmaceutique en Belgique. Diplômée en Sciences du travail (UCL 2012), elle a entamé sa carrière aux termes de ses années de baccalauréat en management des ressources humaines (Haute Ecole de Namur 2009) chez Laborelec (GDF-SUEZ) pour une mission d’implémentation d’une nouvelle stratégie de gestion des talents. Début 2010, elle intégrait BASF où elle avait déjà réalisé un stage quelques mois plus tôt, dans un rôle de HR Officer dans les domaines du recrutement et de la formation, notamment. Depuis mars 2011, elle était plus spécifiquement active en matière de développement des talents, tout en participant à une grande variété de projets (nouveau modèle de compétence, stratégie en matière de leadership, implémentation d'une nouvelle gestion de la performance, création du premier ‘management event’, organisation de Leadership Feedback 360°, etc.).

Danny Merckx Danone Danny Merckx est le nouveau directeur des ressources humaines de Danone sur le Benelux depuis le 1e avril de cette année. Il a pris le relais de Sylvain Lobry, nommé Operations HR Director chez Danone Dairy à Paris. Diplômé en HR Management (Katholieke Hogeschool Leuven) et Communication Sciences (KU Leuven), Danny Merckx a débuté chez Tabacofina-Vander Elst en recrutement et communication interne, avant de rallier BASF Antwerpen dans un rôle de HR Business Partner. Entre 2001 et 2007, il a exercé le rôle de HR Manager au quartier général de Huntsman. En 2007, il rejoignait Danone en tant que HR Manager Operations pour le site de Rotselaar, pour évoluer ensuite comme Organisation Development Manager sur le Benelux.

Tiny Coppens Leonidas Le groupe chocolatier Leonidas a confié la direction de ses ressources humaines à Tiny Coppens. Diplômée en droit de la KU Leuven, avec un diplôme complémentaire en droit social de l’ULB, elle a débuté son parcours professionnel comme avocate, d’abord chez DLA Caestecker, puis chez Lawfort. En 2006, elle a rejoint Sabena Technics en tant que Social Relations & Legal HR Manager, pour prendre ensuite la responsabilité de tous les processus RH comme Senior Vice-President HR & Social Affaires en février 2010.

Jean-Marc Verbist Banque Degroof

Jean-Marc Verbist a rejoint la Banque Degroof, première banque privée et d’affaires indépendante du pays, pour y évoluer comme Group HR Director. Ingénieur commercial (Solvay, ULB), il a commencé son parcours dans la consultante au sein d’Accenture où il a travaillé à la transformation structurelle de processus et systèmes financiers au sein de grandes entreprises belges et européennes. En 1997, il entrait chez Belgacom où il allait exercer différents rôles : HR Process Manager & Business Program Manager, en particulier dans le cadre de la constitution des HR Shared Services Centers (1997-2000); Business Transformation Manager pour la réorganisation des activités de l'entreprise (2000-2001), Director Program Management pour le développement et l'implémentation d'initiatives stratégiques et/ou cross-divisions (2002-2004); Director Business Program Management & End-to-End Customer (2004-2006) et Director Integration Proximus/Belgacom/Telindus (2006-2007). Entre 2007 et 2012, Jean-Marc Verbist a évolué dans la fonction de Vice-President Human Capital, en charge de domaines tels que la planification stratégique des ressources, la formation et le développement, le recrutement et la mobilité interne, la gestion de carrière, la gestion des compétences et des performances, etc. Depuis janvier 2013, il était VP Business Partner, avec la responsabilité RH de la business unit Entreprises et des activités internationales du groupe, sur quatre pays (Royaume-Uni, Pays-Bas, France et Luxembourg).

Retrouvez les derniers changements de fonction sur notre site à l’adresse www.hrsquare.be/fr/nominations. Vous relevez un nouveau défi ? Faites-le nous savoir auprès de christophe.logiudice@hrsquare.be

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reseau I Nouveaux rôles

Cyrille Littler Groupe Manutan

Après avoir dirigé la filiale belge de Manutan-Overtoom, Cyrille Littler a pris la direction du sourcing pour le groupe Manutan. Sa mission consiste à développer une stratégie de sourcing depuis la ventes et les achats jusqu’au management général. Il sera également impliqué dans la constitution d’une organisation en Asie. Diplômé en Business Administration-International Sales (Ecole supérieure des sciences commerciales d’Angers, 2001), doté d’une formation complémentaire en finance et marketing international (Kolej Universiti Help, Malaisie, 2000), il a débuté sa carrière chez ING Car Lease France en tant que Sales Engineer. Après trois années chez DH-Budenberg où il a évolué comme Area Export Manager, il rejoignait le groupe Manutan en 2006 à la direction des exportations. En 2009, il prenait en parallèle la direction de la filiale espagnole et la responsabilité d’implémenter et de déployer la stratégie Sales & Marketing en France. Au cours des trois dernières années, Cyrille Littler a réussi la transformation de la filiale belge Manutan-Overtoom (80 collaborateurs) avec, notamment, le rebranding des deux marques en une seule et la réorganisation des ventes dans le cadre d’une stratégie multi-channel. Sous sa direction, le P&L a connu une hausse de profitabilité de l’ordre de 70%.

Cindy Gorissen JBC

Jusqu’à l’été dernier DRH du groupe de services informatiques Cegeka, Cindy Gorissen a été nommée responsable des ressources humaines de la chaîne de magasins de mode JBC. Diplômée en psychologie industrielle (KU Leuven), avec un bagage complémentaire en ICT Management et en formation & développement stratégique de la Vlerick Management School, elle a débuté sa carrière comme conseiller RH pour le département ICT de la KBC (2000-2002), avant d’évoluer cinq ans chez Hudson/De Witte & Morel (2003-2008). De juin 2008 à septembre dernier, elle a dirigé les ressources humaines de Cegeka où elle a mis en place un environnement de processus RH intégrés.

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Astrid De Lathauwer Ontex

Après trois années chez Acerta, Astrid De Lathauwer a pris la direction des ressources humaines du groupe Ontex. Astrid De Lathauwer a étudié l’histoire de l’art à Gand et la politique internationale et les sciences diplomatiques à la KU Leuven. Sa carrière démarre chez Monsanto, tout d’abord au département marketing, puis en tant que HR manager pour l’Europe de l’Est. Elle rejoint ensuite AT&T, où elle exerce pendant huit ans diverses fonctions en Europe et aux États-Unis. De retour en Belgique, elle évolue pendant deux ans en tant que consultante indépendante dans le secteur des ressources humaines. Elle intègre ensuite Belgacom en 2000, tout d’abord en qualité de HR director pour le Top-200 et les high potentials du groupe. Elle est ensuite chargée de la politique de ressources humaines de la SA Belgacom, et ensuite de l’ensemble du groupe. En tant qu’Executive VicePresident Human Resources, elle a aussi fait partie du comité directeur. Elle a été élue HR Manager de l’Année en 2007. De janvier 2012 à septembre dernier, elle a travaillé chez Acerta en tant que directrice générale de la branche Acerta Consult. Depuis septembre 2011, elle est aussi membre indépendante du conseil d’administration de Colruyt.

Giovanna Emma Sapristic International Spécialisée dans la prise de participation dans des sociétés IT, la société Sapristic International a nommé Giovanna Emma au poste de HR Manager. Diplômée en communication d’entreprise et en GRH, elle a débuté son parcours dans plusieurs sociétés dont la Commission européenne et Soremartec/Ferrero, avant de rejoindre UCB Pharma à Braine L’Alleud. En 2004, elle a pris son premier rôle de HR Manager chez CERP, filiale belge d’Astera, premier groupe coopératif de pharmaciens associés en Europe. Elle y a développé une solide expérience de tous les volets de la GRH : payroll, recrutement, formation, gestion de projet, organisation des élections sociales, audit et reporting RH, coaching, etc. L’étape suivante l’a menée en 2012 chez Galactic, une PME qui produit et commercialise des produits et dérivés comprenant des acides lactiques. Elle y a participé au développement et à l’implémentation de la stratégie RH. Etablie à Louvain-la-Neuve, Sapristic a été fondée par Jean Martin, ancien CEO de BSB. Elle a acquis BiiON à 100% et a lancé une activité de consultance SAP en association avec Bernard Dauby et François Delmotte. Sapristic International recherche d’une part des jeunes universitaires avec une expérience dans l’implémentation de solutions SAP et, d’autre part, pour la société BiiON, des ingénieurs en automation et en développement.

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reseau I forum

Bonus CCT 90 : comment gagner l’adhésion du personnel texte

Le Forum permet à tout DRH qui le désire d’évoquer un thème figurant à son agenda et de bénéficier de l’expérience de confrères disposés à mettre en valeur leurs réalisations. Vous souhaitez poser une question à la communauté RH ? Adressez-nous un courriel à christophe.logiudice@hrsquare.be.

christophe lo giudice

La question de Caroline Anberrée et de Benoît Verlinden, respectivement HR Director Eastern Hemisphere et HR Manager pour le site de Nivelles chez TD Williamson : « Comment s’y prendre pour mettre en place un système de bonus lié à la réalisation d’objectifs collectifs et recueillir l’adhésion du personnel à celui-ci ? » La philosophie du dispositif CCT 90 d’octroi d’avantages non récurrents liés aux résultats décidé dans l’accord interprofessionnel 2007-2008 est désormais bien connue : il permet à l’employeur d’accorder, à conditions fiscalement avantageuses, un bonus dépendant de la réalisation par le collectif d’objectifs « transparents, mesurables et incertains ». Ce système a fait l’objet d’une très abondante information à l’initiative des secrétariats sociaux. Pourtant, sa mise en oeuvre et, surtout, la meilleure façon de le « vendre » au personnel suscitent encore des questions. L’enseigne de distribution Red Market, filiale discount du groupe Delhaize, a décidé de mettre en place ce dispositif dès avant l’ouverture de son premier magasin, en 2009. « Il n’y a pas eu de problématique d’adhésion du personnel puisque les premiers engagés ont d’emblée bénéficié du dispositif, témoigne Yvan Lagage, son HR Manager. Le calcul de ce bonus se fondait à l’époque sur deux critères : l’atteinte d’un chiffre d’affaires défini pour le magasin et le score attribué à celui-ci par un client-mystère, un enquêteur dont la mission consiste à éprouver l’expérience client. L’accueil-client est en effet le critère primordial pour Red Market : il lui permet de se différencier fondamentalement d’autres enseignes. » Depuis, un troisième critère a été ajouté, à savoir le score obtenu suite aux inspections du magasin. « Pour faire du commerce, il faut que le magasin soit propre, correctement tenu et achalandé des bons produits,

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en bonne quantité et au bon prix, justifie-t-il. Pour décider de l’octroi du bonus, les trois critères sont cumulatifs, sur base de la répartition suivante : 40% pour l’atteinte du chiffre d’affaires, 30% aux résultats du client-mystère et 30% aux scores relatifs à l’inspection. Plus l’équipe cumule les bons résultats, plus le bonus sera élevé. Le système est conçu de telle sorte que l’excellence opérationnelle mesurée par le client-mystère et l’inspection peut compenser un déficit de résultats au niveau du chiffre d’affaires, ce dernier pouvant être affecté par une concurrence plus agressive ou par des travaux à proximité du magasin. » Quelle performance ? De son côté, l’Hotel Bloom ! Brussels propose également ce dispositif à ses 75 membres du

Benoît Verlinden TD Williamson et ainsi motiver les collaborateurs, confie Marie-Laure Varenne, HR Manager. De surcroît, ce système a pour avantage de permettre une révision annuelle, afin de coller autant que possible aux réalités du business. » Une des difficultés qui se sont posées à l’introduction de l’avantage réside dans la forte diversité des profils : réceptionnistes, femmes de chambre, personnel de restauration, employés de bureau, etc. « Il a fallu clarifier les notions de performance et d’ob-

Il s’agit d’un outil d’alignement sur les objectifs et d’orientation des comportements personnel (exception faite du personnel de direction et des commerciaux qui ont leur propre plan bonus), et ce pour la troisième année consécutive. « Dans un contexte de gel des salaires, il s’agit d’un bel instrument pour octroyer un avantage complémentaire

jectifs en montrant en quoi les différentes catégories de personnel pouvaient avoir un véritable impact », explique-t-elle. Deux paramètres ont été choisis : la satisfaction de la clientèle et la profitabilité de l’entreprise. « Quel que soit le profil, s’il délivre un


reseau I forum service de qualité, il aura un impact sur la satisfaction des clients que nous évaluons notamment via les indicateurs du site internet TripAdvisor. Par le biais de commentaires négatifs, nous pouvons facilement identifier des zones de progrès. » Le critère relatif aux résultats financiers demandait une approche plus fine. « Ce n’est pas une femme de chambre, par exemple, qui peut avoir un impact direct sur le chiffre d’affaires. Par contre, si elle se montre flexible en termes d’horaires, plus productive ou plus consciente du coût que d’éventuelles absences génère en remplacements, elle peut avoir un impact sur la profitabilité. L’hôtel a été racheté en 2005 et, depuis, nous avons développé notre culture d’entreprise sur base d’un tableau de bord avec différents axes de travail. Tout le personnel connaît son existence et les paramètres qui y sont repris. Nous avons donc pu nous baser sur ceux-ci pour fixer les objectifs et mesurer l’atteinte de ceux-ci. » Clair et lisible L’Hotel Bloom ! Brussels a pu compter sur le soutien syndical dans la mise en oeuvre du système prévu par la CCT 90. « Nous n’avons pas de conseil d’entreprise, mais un CPPT dont les membres sont en majorité nos délégués syndicaux, note Marie-Laure Varenne. Le dispositif a été établi en concertation avec eux et, une fois l’accord trouvé sur les montants, ils sont allés le ‘vendre’ eux-mêmes au personnel. » Par ailleurs, la direction veille à soutenir le dispositif par une communication régulière lors des réunions avec le personnel : « Nous expliquons toujours où nous en sommes par rapport aux objectifs. » Créée comme une start-up, Red Market ne disposait pas de représentation syndicale à l’origine. Désormais, l’enseigne emploie 230 personnes évoluant sur une douzaine de sites ainsi qu’au siège social de l’entreprise, à Gembloux. « Lorsque le système a été mis en place, nous avons procédé via un acte d’adhésion, une procédure similaire à celle qui s’applique pour modifier le règlement de travail, indique Yvan Lagage. Il y a eu très peu de remarques de la part du personnel. Aujourd’hui, nous avons un conseil d’entreprise et un CPPT et procédons via une CCT interne. S’il y a bien une demande syndicale pour que le bonus soit octroyé sous forme d’un montant identique pour tous en fonction de la performance globale de l’entreprise, nous préférons la possibilité qui nous est donnée de l’octroyer aux équipes sur base de la performance spécifique de leur magasin. Il est important que le lien entre les actions des individus et les résultats qui

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Les conseils de Marie-Laure Varenne : 1. Inscrire le dispositif dans la culture d’entreprise 2. Fixer des objectifs réalistes et réalisables 3. Clarifier la chaîne de travail et montrer comment chaque personne y contribue

Les conseils d’Yvan Lagage : 1. Etre transparent sur les budgets disponibles et la grille d’analyse déterminant l’octroi du bonus 2. Veiller à ce que les critères d’octroi soient simples, bien expliqués à l’occasion de formations et qu’ils ne se recoupent pas afin que l’échec sur un critère n’handicape pas la réalisation des autres objectifs 3. Un risque de stigmatisation peut se marquer si l’équipe ressent qu’un de ses membres ne contribue pas à la hauteur des attentes et réduit ainsi la performance collective. Un paramètre spécifique peut contribuer à plus de justice sociale

L’ambition de la direction, c’est d’atteindre les objectifs… et, donc, d’octroyer le bonus en découlent soit clair et lisible. Pour le personnel du siège, les objectifs sont fixés sur la moyenne des magasins. » Chez Red Market, le système prévu par la CCT 90 est perçu comme ‘social’, l’emplo­ yeur redistribuant une partie de ses bénéfices à son personnel. « Il s’agit d’un instrument de responsabilisation qui comporte une petite pression sociale : le groupe va pousser chaque individu à adopter les comportements qu’il juge utiles pour atteindre les objectifs, conclut-il. Mais nous

le voyons avant tout comme un outil de management, d’alignement sur les objectifs et d’orientation des comportements. L’ambition de la direction, c’est d’atteindre les objectifs qui sont fixés. Elle se bat donc avec les équipes pour qu’au final, elles obtiennent le bonus. »

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En tête d’affiche

Pierre Leman Novartis « Si l’on demande aux collaborateurs de faire face au changement et d’être innovants, il faut que les RH montrent l’exemple et adaptent leurs manières de faire en réponse aux changements qui les confrontent. » © Hendrik De Schrijver

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En tête d’affiche

Pierre Leman (Novartis) sur l’accompagnement RH du changement texte

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La contrainte peut aussi stimuler l’innovation

christophe lo giudice

Le géant pharmaceutique Novartis vit une phase de transformation associée à la mise sur le marché d’une série de nouveaux produits qui va impacter toute la chaîne de création de valeur. En Belgique, les RH, pilotées par Pierre Leman, endossent leur rôle d’agent du changement en répondant aux contraintes budgétaires et autres avec créativité comme en témoignent le Flex Income Program, l’initiative STARR favorisant la reconnaissance et le chantier d’amélioration de la collaboration dans les équipes cross-fonctionnelles.

L’industrie pharmaceutique n’est plus l’eldorado qu’elle a longtemps été. En cause, sans prétention d’exhaustivité: l’arrivée à terme des brevets de médicaments majeurs depuis le début de la décennie et les politiques gouvernementales de contrôle des coûts en matière de soins de santé. Dans ce contexte difficile, le groupe Novartis tire son épingle du jeu. Il peut se prévaloir de vivre une transformation certes majeure, mais positive. « Notre groupe est une des rares grandes organisations pharmaceutiques à avoir dans son ‘pipeline’ de développement un grand nombre de nouveaux produits qui devraient arriver sur le marché entre fin 2014 et 2018 », explique Pierre Leman, directeur des ressources humaines en Belgique.

Temps forts :: La créativité et l’innovation sont possibles et nécessaires dans tous les domaines, y compris en GRH. :: De nouvelles approches simples mais multi-facettes, pragmatiques et même un peu surprenantes, n’exigent ni beaucoup de temps, ni des moyens considérables. :: Faire face aux contraintes, par exemple budgétaires, en sortant des sentiers battus permet de contrer la tendance qu’a la profession à parfois bâtir des usines à gaz.

Novartis a continué d’investir de façon proactive et permanente dans le renouvellement de son portefeuille de produits. Le groupe a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires mondial de près de 58 milliards d’euros dont plus de 16,5% sont investis en R&D ! La division pharma est le plus gros contributeur, pour quelque 56% du chiffre d’affaires du

impactent la chaîne de création de valeur à tous les niveaux. Un autre volet de transformation porte sur le recentrage des activités sur ses créneaux les plus porteurs. Autre changement de taille qui s’amorce: Novartis oeuvre à la construction d’une entité visant à rassembler l’ensemble des services de support (finance, RH, logistique, achats,

Nous pouvons accroître la satisfaction par l’adéquation des packages aux besoins groupe. Son portefeuille comprend actuellement plus de 50 médicaments clés commercialisés, la plupart leaders dans leurs domaines thérapeutiques. En outre, les projets en développement incluent 138 nouveaux produits potentiels ou nouvelles indications, à différents stades de développement clinique. Recentrages En Belgique, où Novartis emploie 1.600 personnes au sein de ses quatres divisions, le chiffre d’affaires a enregistré une croissance de 3,5% en 2013, soit quatre fois plus que la progression de l’ensemble du marché pharmaceutique. Comme dans les autres pays, l’équipe RH doit accompagner les changements associés à ces nouveaux produits qui

IT) afin d’offrir un meilleur soutien aux activités et de leur permettre de se centrer sur leur coeur de métier. « Ce nouveau mode de fonctionnement contribuera à simplifier notre organisation et, en atteignant une certaine masse critique, à renforcer ces expertises, pointe Pierre Leman. Mais il exige un changement en profondeur puisque, jusqu’ici, il n’existait pas de réelle coordination centrale en ces matières. » Question de cohérence Dans pareil contexte, les RH endossent pleinement le costume d’agent de changement tel que taillé par Dave Ulrich, en plus des services de bases qu’ils ont à assurer. « Il est crucial que les collaborateurs comprennent pourquoi il faut changer, quels sont

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En tête d’affiche Pierre Leman Novartis « Nous donnons la main aux collaborateurs pour améliorer leur dynamique collaborative et prenons la main là où une approche globale peut apporter des améliorations. Nous jouons sur les deux tableaux en parallèle de façon pragmatique. » © Hendrik De Schrijver

tion des packages à leurs besoins. »

nos objectifs, comment la transformation va se dérouler et, surtout, ce qu’elle implique concrètement pour eux. » Autrement dit: il convient de se montrer très pédagogue, mais aussi innovant pour faire face aux nouvelles contraintes, qu’elles soient budgétaires ou liées aux mesures prises ou annoncées par les gouvernements. Pierre Leman en est convaincu: la créativité et l’innovation sont possibles et nécessaires dans tous les domaines, y compris dans la

Face à un cadre légal très contraignant, l’approche de rémunération flexible lancée en début d’année pour la division Pharma par l’intermédiaire du Flex Income Program en est un premier exemple. Soutenu par l’expertise du secrétariat social de l’entreprise, il permet de personnaliser et de flexibiliser une partie du package salarial des collaborateurs qui le souhaitent. « D’un point de vue budgétaire, le résultat est neutre, tant pour l’employeur que pour le collaborateur, mais

Dans une phase de changement, il est important que la reconnaissance s’exprime gestion des ressources humaines. « Il s’agit aussi d’une question de cohérence: si l’on demande aux collaborateurs de se montrer capables de faire face au changement et d’être innovants, il faut montrer l’exemple en RH et adapter nos façons de faire en réponse aux changements qui nous confrontent. »

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certains aspects des packages peuvent être optimisés en fonction des normes fiscales et de l’ONSS, explique-t-il. Nous restons donc parfaitement dans le respect de la norme salariale et des contraintes liées au ‘gel des salaires’, mais pouvons ainsi accroître la satisfaction des collaborateurs par l’adéqua-

Faire son shopping Concrètement, chaque salarié désirant participer au programme peut, une fois par an, opérer un arbitrage au sein d’un portefeuille d’avantages à transformer en un budget de flexibilité. Celui-ci peut être alloué différemment en puisant dans un menu d’avantages variés. Pour le premier exercice, ce portefeuille incluait une partie forfaitaire du bonus, certains jours de congés extralégaux et la voiture de société (par exemple: réduire son budget et consacrer le montant épargné à d’autres choses). Le menu d’avantages via lequel chacun peut bâtir sa « solution personnalisée » inclut la possibilité de répartir son budget voiture autrement, des allocations familiales extralégales, des congés supplémentaires ou encore l’investissement dans un plan de pension complémentaire. Au mois de février et sur une période de deux semaines, les collaborateurs ont pu faire leur « shopping » via une application web. Le système calcule automatiquement le résultat de la formule choisie, traduit l’impact dans le payroll et génère tous les addendas contractuels. A l’occasion de ce premier exercice, 18% de l’effectif a saisi la possibilité offerte. Tous les choix de ces personnes ont été techniquement implémentés. Un beau succès, quand on sait que la rémunération demeure un sujet par nature très sensible, estime le DRH. « Nous sommes en train de préparer la ‘nouvelle saison’ en étendant le portefeuille d’avantages ouverts à flexibilité, afin de pouvoir dégager des budgets plus élevés, et le menu d’avantages dans lequel on pourra puiser, en incluant par exemple des couvertures d’assurance complémentaire ambulatoire, l’achat de matériel informatique à conditions avantageuses, etc. » L’objectif: avec l’appui des early adopters qui peuvent témoigner que le dispositif ne cache pas de « pièges » et avec une communication pédagogique à la clé, convaincre davantage de collaborateurs d’y adhérer. En sachant qu’un retour en ar-


En tête d’affiche rière ou une adaptation de la solution choisie reste toujours possible l’année suivante. Système ludique Un autre « front » sur lequel Pierre Leman a voulu faire preuve de créativité n’est autre que celui de la reconnaissance, un terrain sous-investi par nombre d’entreprises. « Dans une phase intense de changement, par nature toujours très perturbante pour les gens, il est important que la reconnaissance s’exprime, et ce de façon dissociée de la dimension rémunératoire, soulignet-il. J’entends par là la reconnaissance du manager, mais aussi des collègues, avec la précaution de ne pas tomber dans un excès de formalisme. Car, sinon, elle devient vite perçue comme un droit et perd de sa force naturelle. » Point de départ: les valeurs de l’entreprise. En se mobilisant sur cette question cruciale: comment les véhiculer de façon inspirante, les faire vivre davantage ? La réponse isolée par Pierre Leman et son équipe a été de les utiliser pour pouvoir exprimer des signes de reconnaissance. « Nous avons créé à cette fin, nous-mêmes et sans recours à de coûteux consultants, un système ludique de cartes de type Memory. Lors du kick-off de la division Pharma pour lancer l’année 2014, une vidéo très dynamique a été projetée, présentant des collaborateurs expliquant comment ils comprennent et vivent les valeurs. Nous avons saisi ce moment pour lancer le jeu. »

2.000 STARR La proposition émise à chaque collaborateur ? Reconnaître l’application des valeurs chez des collègues, quand c’est possible. Le projet a pris l’acronyme STARR. « Les cartes du jeu ont été digitalisées et, lorsqu’un collaborateur observe un comportement ou une attitude jugés vraiment positifs chez un collègue, un manager ou un subordonné, il peut lui envoyer une carte via Outlook, en y associant une petite explication, indique le DRH. Le service de communication interne en est par ailleurs informé en copie. » La dynamique est complétée d’un petit concours: chaque mois, une communication présente les dix personnes qui ont reçu le plus de ‘STARR’. En fin d’année, les collègues qui auront été les plus reconnus participeront à un dîner avec les membres de l’équipe de direction. « Le programme a été lancé en novembre 2013 et plus de 2.000 STARR ont déjà été octroyées en dix mois, avec la particularité qu’aucun enjeu pécuniaire n’y est associé », se félicite Pierre Leman. Difficile d’isoler des tendances dans les comportements et les attitudes fêtés tant les différences sont grandes entre métiers et départements. « Ce qui ressort, c’est le désir de recevoir de la reconnaissance, mais aussi d’en donner. » Le projet a créé une véritable émulation et contribue à la culture du feed-back, en plus des évaluations et de la critique constructive déjà encouragée dans l’organisation. Il montre aussi qu’une approche nouvelle, simple mais multi-facette, pragmatique et

On observe le désir de recevoir de la reconnaissance, mais aussi d’en donner Chaque collaborateur a reçu un set de cartes et a été invité, avec son équipe, à prendre une heure de temps pour ‘jouer le jeu’. Une démarche qui n’a pas manqué d’interpeller dans une firme pharmaceutique par nature très éduquée et sérieuse. Mais la mayonnaise a rapidement pris pour atteindre une ampleur inattendue: les équipes se sont mises au jeu, le temps d’un meeting dédié, ou en marge d’autres réunions. Elles ont exploré le contenu des valeurs et ont réfléchi à leur traduction dans leur contexte, ce qui les a préparées à les utiliser dans une dynamique de reconnaissance.

un peu surprenante, contribue positivement à l’atmosphère de travail. Le tout sans exiger trop de temps, ni de moyens. « Cette initiative a également le mérite de renforcer la collaboration qui est un autre axe sur lequel nous avons travaillé afin de soutenir l’accompagnement du changement. » Performance collaborative L’approche se veut ici davantage collective, centrée sur les équipes cross-fonctionnelles, à savoir des équipes réunissant des travailleurs de départements, domaines ou métiers différents mais qui sont en interconnexions

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constantes. Sur deux jours, l’équipe est invitée à réfléchir à sa performance au sens collaboratif du terme. « Le but premier n’est pas de chercher à atteindre de meilleurs résultats, même si cela reste un objectif permanent, mais d’identifier comment mieux travailler ensemble alors qu’on ne se voit pas forcément tous les jours, qu’on n’a pas les mêmes profils et qu’on n’a parfois pas les mêmes objectifs. » A la suite de ces sessions - une dizaine ont déjà été réalisées à ce jour -, chaque équipe prend certains engagements et identifie des pistes destinées à améliorer sa dynamique collaborative, soutenue par l’équipe RH jusque dans la mise en oeuvre. « Nous sommes actuellement en phase d’analyse des premiers enseignements à tirer, certains spécifiques à l’équipe, d’autres communs à l’organisation. Autrement dit: nous donnons la main aux collaborateurs pour améliorer leur propre collaboration, mais nous prenons la main là où une approche globale peut apporter des améliorations. Nous jouons ainsi sur les deux tableaux en parallèle et de façon très pragmatique. » Une des leçons qui peut déjà être tirée à ce stade, c’est qu’un travail doit être mené pour stimuler la compréhension de la réalité de l’autre, le réflexe courant étant de se limiter à son propre pré-carré. « Différentes méthodes existent pour y parvenir. C’est dans cet esprit, par exemple, qu’une fois par mois, les différents membres du comité de direction passent chacun une journée à accompagner un délégué médical en visite chez des médecins. Une façon de rester en contact avec les réalités du terrain. On peut entendre leur perception, leurs besoins, le récit des difficultés auxquelles ils sont confrontés mais, si on les vit, ces derniers prennent une autre dimension et peuvent orienter les décisions à un niveau stratégique. » « On dit toujours que l’industrie pharmaceutique ne manque pas de moyens, conclut Pierre Leman. Nous restons une industrie privilégiée comparée à d’autres, certes, mais les budgets ne sont plus ceux du passé. Nous devons aussi nous serrer la ceinture. Il faut toutefois arrêter de croire que, parce qu’on aurait des contraintes ou qu’on manque de moyens, on ne peut plus rien faire ! Au contraire, les contraintes et les moyens limités forcent à la créativité et permettent de contrer une tendance qu’a la profession RH à parfois bâtir des usines à gaz. Etre en RH aujourd’hui implique de savoir se montrer innovant et dynamique, de proposer des solutions simples et répondant à des besoins, et qui peuvent avoir un impact positif sur les personnes. »

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A la recherche des Etoiles du dialogue social texte

La concertation sociale ne doit pas être affaiblie, mais renforcée

christophe lo giudice

Les DRH sont nombreux à lancer, soit par boutade, soit avec rancoeur, que la vie serait plus belle sans délégués syndicaux. D’autres voix parlent d’une concertation sociale ‘à la belge’ qui ne fonctionne plus. La recherche académique montre à l’inverse que, si les deux parties jouent le jeu du dialogue social, les partenaires syndicaux sont des interlocuteurs nécessaires à l’entreprise. Au lieu de les affaiblir, il faudrait plutôt les encourager à devenir des acteurs de la performance. Etat des lieux et scénarios. « Nous n’avons guère connaissance d’études scientifiques qui objectiveraient le constat selon lequel la concertation sociale à la belge ne fonctionnerait plus. Il s’agit avant tout d’un ressenti d’acteurs », relèvent d’emblée Esteban Martinez, professeur en sociologie du travail à l’ULB, et Jean Vandewattyne, chargé de cours spécialisé dans les relations collectives du travail à l’Université de Mons ainsi qu’à l’ULB. Le premier est notamment promoteur d’une recherche sur l’évaluation de l’impact du travail syndical au sein des entreprises. Tous deux participent au GRACOS, groupe de recherche sur la conflictualité sociale liée au travail.

Temps forts :: L’institutionnalisation des relations collectives de travail va dans le sens d’un apaisement des relations sociales : plus de syndicat ne veut pas dire plus de conflits, c’est l’inverse qui est vrai. :: Des problématiques auparavant traitées aux niveaux interprofessionnel et sectoriel risquent à l’avenir de se rapprocher de l’entreprise. :: Les marges de négociation vont moins porter sur les salaires et le temps de travail que sur des dimensions plus qualitatives, comme le bien-être au travail, l’organisation flexible ou le développement des compétences.

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Bien entendu, se limiter au « ressenti d’acteurs » serait par trop réducteur. « En effet, à partir de quand le camp patronal va-t-il considérer que le dialogue social fonctionne ? Si les syndicats deviennent des béni-oui-oui et acceptent toutes les demandes de flexibilité visant à répondre à l’enjeu de construire la compétitivité ?, questionnent-ils. Ou, selon la perspective de l’autre camp, si les patrons acceptent de délier les cordons de la bourse et d’octroyer de nouveaux avantages, ‘achetant’ ainsi la paix sociale ? » Tentons dès lors de prendre une photo du dialogue social tel qu’il se vit, d’identifier les grandes tendances à l’oeuvre et de prendre la mesure de ses principaux enjeux pour les différents acteurs. Premier constat qui remet à leur juste place ceux qui annoncent une « obsolescence programmée » de la représentation des travailleurs : « La Belgique est un des pays les plus syndiqués en Europe et fait même figure d’exception sur le continent avec un taux de syndicalisation en progression sur les dix dernières années. Il s’établit autour de 52% chez les travailleurs, en 2012 », observe Evelyne Léonard, professeur de GRH à la Louvain School of Management et à l’Institut des Sciences du Travail de l’UCL, co-auteur avec François Pichault (ULg), d’une analyse sur les relations professionnelles et le syndicalisme en Belgique à paraître dans un ouvrage collectif français. Détricotages « Dans notre pays, les relations collectives du travail sont fortement institutionnalisées, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays, appuie Esteban Martinez. Les organisations

syndicales jouissent d’une grande légitimité en tant qu’interlocuteurs des employeurs. Et, même si ce n’est pas évident à admettre, une telle dynamique va dans le sens d’un apaisement des relations sociales, et non pas de davantage de conflictualité. » Ainsi, la recherche montre que ce sont les pays où la présence syndicale est forte qui connaissent les conflits sociaux les moins nombreux. « Il n’est plus nécessaire d’établir le rapport de force préalablement aux négociations, en particulier au niveau de l’entreprise. » Aujourd’hui, le dispositif de concertation sociale à trois niveaux - interprofessionnel, secteur, entreprise - est pourtant sérieusement remis en cause, et ce un peu partout là où il existe. « En Belgique, il demeure fortement intégré, même si les tentatives de le détricoter sont réelles, note Jean Vandewattyne. Par exemple, la marge de négociation sur les salaires est de plus en plus limitée à l’échelon interprofessionnel : ce qui était auparavant un minimum, un plancher à améliorer si les secteurs et entreprises pouvaient se le permettre, s’est mué en plafond à ne pas dépasser. Cette évolution tend à reporter la prise d’arrangements au niveau des secteurs et des entreprises et à y répercuter les facteurs de conflictualité. » Négociations contraintes Sur base de la réflexion menée avec François Pichault, Evelyne Léonard isole trois tendances en matière de dialogue social. La première articule l’internationalisation et la régionalisation à l’échelle de notre pays. « L’internationalisation amène l’importation de pratiques venues d’ailleurs et parfois


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Evelyne Léonard UCL « La question des salaires apparaissant verrouillée et la limite semblant atteinte sur ce qui est possible en termes de réduction de coûts, les négociations devraient davantage porter à l’avenir sur des aspects plus qualitatifs. » © D.R.

sont de plus en plus contraintes à tous les niveaux. « On le voit en matière de salaires : depuis cinq ans, il y a très peu, voire rien, à négocier. La dynamique des accords interprofessionnels s’est fragilisée. L’accentuation du rôle du politique est flagrante : il y a de moins en moins de marges pour négocier sur les questions traditionnelles que sont les salaires et les temps de travail. La main a été prise par le gouvernement pour sortir de l’impasse quant à la discrimination employé et ouvrier, etc. »

Ce sont les pays où la présence syndicale est forte qui connaissent les conflits sociaux les moins nombreux inadaptées à notre modèle, comme le fait d’inviter des avocats à la table de négociation, la diffusion de certaines pratiques RH en matière de flexibilité, etc., illustre-t-elle. Les pressions européennes, quant à elles, imposent la modération salariale jusqu’au niveau des entreprise. D’autre part, notre dialogue social s’est construit dans un cadre national, très pyramidal, intégré et cohérent. L’évolution de l’Etat belge, et en particulier la mise en oeuvre de la sixième réforme de l’Etat, tend à décentraliser la concertation vers les régions. » La deuxième tendance : une transformation des modèles productifs. « La tertiarisation de l’économie se traduit, par exemple, par la montée en force des centrales employés alors qu’avant, les centrales de la métallurgie, du textile ou de la chimie étaient les plus puissantes. On observe aussi une recomposition des activités autour de frontières plus floues, ce qui modifie les rapports de force.

Au niveau de l’entreprise, en dépit de l’harmonisation des statuts, on négocie pour des catégories de personnel différentes. » Enfin, troisième tendance : les négociations

Contre-pouvoir « La logique de concertation dans des instances paritaires définies par la loi représente pourtant une force, observe Esteban Martinez. Pour la moitié des travailleurs du pays, à savoir ceux qui travaillent dans des sociétés de plus de 50 personnes, une bonne partie des problèmes peuvent être réglés par ce biais, pour autant que l’on respecte les compétences de ces organes et que l’on joue le jeu. Il est interpellant de voir certains projets visant à affaiblir le dispositif, comme la fiscalisation des cotisations syndicales, la volonté de retirer aux syndicats le paiement des allocations de chômage, la pression des

A la recherche des Etoiles du Dialogue Social En collaboration avec ses partenaires, HR Square se lance à la recherche d’exemples de sociétés ayant enregistré des progrès tangibles et substantiels en matière de dialogue social interne. Il ne s’agit pas d’identifier celles qui connaissent le « meilleur » dialogue social, ni le climat social « le plus positif », mais les entreprises qui se sont engagées dans une démarche structurée d’amélioration du dialogue social dans leur contexte particulier. L’objectif : montrer par des exemples inspirants qu’un bon dialogue social représente un ingrédient central de la responsabilité sociétale de l’entreprise. Ces cas d’entreprises seront ensuite présentés dans une série d’articles publiés dans HR Square ainsi qu’à l’occasion d’un séminaire qui se tiendra au printemps 2015. Au terme de ce séminaire, lors d’une soirée qui se veut festive, les ‘Etoiles du Dialogue Social » seront remises aux organisations les plus convaincantes.

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La présence syndicale dans les entreprises n’empêche pas les innovations organisationnelles

Jean Vandewattyne et Esteban Martinez ULB « L’acteur syndical est considéré comme un obstacle à la ‘bonne gestion’. Or, il s’agit d’un interlocuteur opérant la synthèse des attentes et revendications d’un ensemble de salariés de plus en plus hétérogène. » © Christophe Lo Giudice

employeurs pour décentraliser et individualiser au maximum les relations collectives du travail. » Tant Esteban Martinez que Jean Vandewattyne soulignent au contraire la pertinence de le renforcer, comme garantie d’une meilleure régulation de la relation de travail. « Trop souvent, l’acteur syndical devient considéré comme un obstacle à la ‘bonne gestion’ de l’entreprise, commente ce dernier. Mais que se passerait-il s’il n’était pas là ? Il n’y aurait plus d’acteur pour faire la synthèse des attentes et revendications d’un ensemble de salariés de plus en plus hétérogène, en dépit de l’harmonisation progressive des statuts, et pour construire des réponses collectives aux demandes patronales. Il s’agit d’un mauvais calcul : la dynamique syndicale

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représente un contre-pouvoir permettant aussi d’éviter l’éclatement de conflits de façon précoce. » Le chercheur fait par ailleurs état du passage d’une conflictualité de type ‘offensive’ à une forme plus ‘défensive’. « Dans les années ’60, les organisations syndicales venaient avec un cahier de revendications, dans une optique d’amélioration de la rémunération et/ou des conditions de travail. Des concessions patronales étaient faites en échange de la paix sociale. Désormais, ce sont les patrons qui arrivent avec leur propre cahier de revendications, en faveur de plus de flexibilité, d’une individualisation de l’évaluation des performances et d’instruments de motivation axés sur celles-ci, etc. Ce sont dès lors les travailleurs qui doivent faire des conces-

sions, en échange d’une garantie du maintien d’un certain volume d’emploi limitée dans le temps. » Meilleur équilibre S’il n’existe pas de recherches spécifiques permettant de mesurer la qualité du dialogue social sur les lieux de travail, une enquête européenne analysant sur base régulière la vie sociale dans les entreprises livre de précieux éclairages. Elle confirme notamment que plus la présence syndicale est développée à l’échelle de l’entreprise, plus on évite les conflits. « La Belgique ne figure pas parmi les pays où la grève est la plus fréquente et la tendance générale est plutôt à la diminution du nombre de jours de grève alors que, de


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Le modèle d’entreprise délimitée, avec à sa tête un employeur unique, identifiable, qui détient le pouvoir, fait partie du passé toute évidence, les conditions de travail se sont dégradées », indique Esteban Martinez. Autre enseignement tiré de cette enquête : la présence syndicale dans les entreprises n’empêche pas les innovations organisationnelles. « Le recours à la flexibilité, le travail intérimaire, la prestation d’heures supplémentaires, pourtant globalement réprouvés par les organisations syndicales, y sont une réalité. La présence syndicale encadre ces évolutions plus qu’elle ne les empêche, permettant des décisions plus équilibrées et plus favorables aux intérêts des travailleurs. La médiation syndicale permet de trouver des modes de résolution de conflits qui, sinon, pourraient éclater de façon plus violente. » Mais, bien sûr, les chercheurs ne veulent pas livrer de vision angélique : « Il arrive aussi que les partenaires ne jouent pas le jeu. Que ce soit du côté syndical, quand le contre-pouvoir se transforme en velléités de prise de pouvoir pure et simple ou lorsque des représentants syndicaux ne représentent plus qu’eux-mêmes. Ou bien du côté patronal avec, par exemple, la fermeture de structures parfois bénéficiaires dans une logique de concurrence entre territoires qui ne peut mener qu’à l’affaiblissement des conditions salariales et de travail. » Trouver le décideur Il faut encore pointer que le dialogue social connaît des signes d’essoufflement en partie en raison d’incertitudes quant à savoir où se situent exactement les centres de décision dans les entreprises. « La question de la

crédibilité est clairement posée, estime Jean Vandewattyne. Si un patron local ou un directeur RH s’engage sur un volume d’emploi, dans quelle mesure peut-on encore croire que cette parole sera respectée ? On pourrait multiplier les exemples de tels engagements qui se sont très vite envolés en fumée… » En effet, le modèle d’une entreprise clairement délimitée, avec à sa tête un employeur unique, identifiable, qui détient réellement le pouvoir de décision, fait partie du passé. « L’entreprise n’est plus cette structure pyramidale fordiste traditionnelle, mais elle se construit désormais en business units et entités périphériques avec des sous-traitants, des prestataires de services, etc., ajoute Esteban Martinez. On observe une dissociation croissante entre l’entreprise au sens juridique et l’espace organisationnel au sein duquel se développe la chaîne de valeur

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conduisant à un produit ou un service. Dans cet espace travaillent des personnes de statuts différents, d’entreprises différentes, avec des conditions différentes… Cela pose la question de l’interlocuteur patronal avec qui aller discuter. » D’autre part, on assiste à la poursuite d’un mouvement de concentration capitalistique qui éloigne les centres de décision de l’entreprise. « Au point qu’une première étape pour un acteur syndical consiste à trouver le vrai décideur et à obtenir sa participation. Le modèle n’est plus celui du pouvoir donné à la hiérarchie de l’entreprise pour la gérer dans une perspective de long terme, mais de pratiques décisionnelles de court terme en faveur d’actionnaires qui ne sont plus toujours aussi intéressés par l’activité productive. Le DRH est lui-même victime de cette évolution et se retrouve avec des marges de

Le nombre de jours de grève reste orienté à la baisse… Le nombre de jours de grève a baissé ces deux dernières décennies en Belgique, même si cette diminution a été un peu moins prononcée que dans d’autres pays. C’est ce qu’on peut lire dans la dernière livraison du GRACOS, le groupe d’analyse des conflits sociaux : Grèves et conflictualité sociale en 2013, Courrier hebdomadaire du CRISP n°2208-2209, Bruxelles, 2014, ISSN 0008.9664). Fondé en 2011, ce groupe de chercheurs universitaires s’est fixé pour premier objectif de produire annuellement une publication dans laquelle sont étudiés les principaux conflits sociaux qui se sont déroulés durant l’année civile précédente. Celle-ci analyse en outre les statistiques officielles sur la grève. En 2012, le nombre total de jours de grève a été pratiquement stable au regard de 2011 : 383.206 jours de grève, soit une légère diminution de près de 10%. Par mille travailleurs, on dénombre 90 jours de grève en 2012, contre 99 l’année précédente. Ces deux années – 2011 et 2012 – se situent toutefois au-dessus de la moyenne des dernières années. Une particularité de l’année 2012 réside dans le fait que pas moins de 79,8% des jours de grève concernent le premier trimestre, ce qui s’explique par la grève générale du 30 janvier contre la réforme des pensions et les projets d’économie du gouvernement Di Rupo. Le nombre de jours de grève s’effondre ensuite littéralement

En 2013, le nombre de jours de grève du premier et du deuxième trimestres est une fois encore supérieur à la moyenne de ces trimestres durant la période 1991-2012 : on arrive à 173.597 jours cumulés en six mois. Les données disponibles au moment de l’étude ne permettaient pas aux chercheurs de déterminer directement la cause de ces grèves. Cependant, les nombreuses restructurations d’entreprises (accompagnées de leurs plans sociaux), comme indicateur de la crise économique, expliquent sans doute en partie le nombre de jours de grève toujours élevé. Les difficultés rencontrées dans le cadre des négociations interprofessionnelles sont un autre facteur d’explication. Dans le secteur privé, l’année 2013 a été marquée par une conflictualité sociale liée à deux annonces majeures de pertes d’emploi, chez Caterpillar et chez Arcelor­Mittal. Les chercheurs confirment l’importance de la conflictualité sociale dans le secteur du métal et dans celui des transports (TEC et SNCB notamment). « Nombre de conflits ont pour origine des prises de décision patronales unilatérales, non précédées d’une consultation sociale préalable », observent-ils encore. Phénomène marquant : le nombre de jours de grève augmente chez les femmes en 2012. Ce qui pourrait laisser penser que la crise induit également une féminisation (accrue) de l’arme de la grève…

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dossier 1 négociation extrêmement contraintes. » Huit scénarios Dans le cadre de la Chaire laboRH en Management Humain et Transformations du Travail, les chercheurs de l’UCL se sont essayés à un exercice de prospective en matière de dialogue social. Pour le mener, ils se sont fondés sur la littérature scientifique ainsi que sur le retour d’expérience de responsables RH, d’experts et de représentants syndicaux. Plusieurs questions ont balisé la réflexion : doit-on s’attendre à un affaiblissement ou un renforcement de l’acteur syndical ? Comment vont évoluer les structures de concertation et de négociation ? Quels seront les enjeux de négociation ? Combinant les trois axes, pas moins de huit scénarios ont ainsi pu être identifiés. Parmi ceux-ci, certains paraissent plus réa­listes que d’autres, explique Evelyne Léonard. « Même traversées par des ten-

sions internes, il semble que les organisations syndicales resteront des structures extrêmement fortes avec des ressources importantes, la crise étant même de nature à leur amener de nouveaux affiliés. D’autre part, la clé de voûte interprofessionnelle étant fissurée, il est probable que le centre de gravité se déplace vers les régions et vers les secteurs, et donc qu’il se rapproche des entreprises. » Enfin, la question des salaires apparaissant verrouillée et de façon relativement durable, les sujets traditionnels (rémunération et temps de travail) devraient céder la place à des questions plus qualitatives autour des conditions de travail et du bien-être. « Dans bien des entreprises, on a atteint des limites sur ce qui est possible en termes de réduction de coûts. Les marges de manoeuvre apparaissent plus importantes pour des discussions sur la santé au travail, le développement des compétences, l’organisa-

tion flexible du travail, les nouvelles formes de travail, etc. » Pour le DRH s’y associent à la fois des menaces et des opportunités, conclut-elle. « Au rang des menaces, on peut craindre que le rapprochement de négociations et d’enjeux auparavant traités ailleurs vienne alourdir la charge des départements RH, mais aussi qu’il concentre la conflictualité au niveau de l’entreprise. L’opportunité se présente par contre de mieux articuler le dialogue social à la stratégie RH de l’organisation. Dans un certain nombre d’entreprises, on a encore tendance à dire que le dialogue social, c’est du ‘réglementaire’, voire à l’externaliser à un secrétariat social ou un cabinet externe. Or, ce qu’il convient de développer, c’est une véritable stratégie sociale intégrée. »

Le dialogue social peut-il devenir ‘digital’ ? Les réseaux sociaux et, plus globalement, les outils numériques sont pleinement entrés dans le quotidien des travailleurs qui jugent leur impact positif. C’est l’enseignement majeur qui ressort du deuxième baromètre des usages et impacts des réseaux sociaux et du digital dans l’entreprise publié par Cegos, en France. Pour cette édition 2014, 1.000 salariés et 300 dirigeants et managers impliqués dans le pilotage de ces outils pour leur entreprise (de plus de 50 salariés) ont été interrogés. Cette adoption se révèle unanime, sans fracture générationnelle notable. Toutefois, l’enquête montre que les dirigeants et les managers semblent être des « croyants peu pratiquants » : en effet, ces derniers croient plus que leurs salariés à l’apport positif des outils collaboratifs (en termes de productivité, d’organisation, de communication…) mais, dans la pratique, un sur deux reconnaît peu utiliser tous les outils disponibles et avoir du mal dans leur manipulation. Les réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés à des fins d’emploi, comme en atteste une autre étude menée par Adecco, en partenariat avec l’Université Catholique de Milan, auprès de plus de 17.000 personnes et 1.500 recruteurs dans 24 pays. Peuvent-ils également avoir un impact dans le dialogue social ? Cette question a été explorée par l’Observatoire des réseaux sociaux en France via une enquête par entretiens qualitatifs réalisés à la fin du

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printemps dernier. Quelque 22 organi­­sa­ti­o ns de secteurs d’activités divers (banques, entreprises industrielles, sociétés de conseil, organismes publics,…) ont été interrogées par Myriam Karoui, enseignante chercheur à l’Ecole Centrale de Paris. Une typologie de l’utilisation des médias sociaux dans le dialogue social a ainsi pu être établie. Un premier groupe d’entreprises n’a guère envisagé qu’il puisse exister un lien entre digital et dialogue social ou ne se sent pas concerné, estimant même que leurs travailleurs ne sont pas ‘connectés’. A l’autre extrême, on retrouve des entreprises qui ont une vision très positive de ces outils : elles en attendent plus de co-construction, d’échanges, de transparence et de fluidité, y compris dans le dialogue social. Entre les deux, il y a les entreprises « averties », aujourd’hui encore dans un dialogue ‘formaliste’ et craignant que le digital ne vienne modifier des règles du jeu qu’elles maîtrisent. Les outils mis en place correspondent à la maturité ‘digitale’ de chaque entreprise du panel. A peu près toutes ont développé le vote électronique. Certaines ont créé des espaces dédiés aux organisations syndicales sur leur intranet, généralement en formant ces dernières à leur utilisation. Les plus ouvertes autorisent les représentants syndicaux à être présents sur leur propre réseau social. La principale inquiétude

porte toutefois sur de possibles intrusions d’acteurs syndicaux non élus, sur la légitimité des personnes qui vont ainsi recevoir une tribune et sur le risque de fuites sur des sujets en discussion ‘en coulisse’ entre l’entreprise et les syndicats. Autre point soulevé : un risque d’emballement et de dialogue « permanent » : la dialogue social fonctionne en effet sur la base de rythmes bien établis, avec des pauses, des moments de respiration,… permettant aux acteurs de temporiser, de réfléchir, de faire mûrir certaines idées. Or, les outils digitaux se distinguent par la vitesse, l’immédiateté, la réaction instantanée… avec le danger de « mettre de l’huile sur le feu » ou de perdre en qualité dans la co-construction des solutions. L’étude révèle encore le besoin pour les équipes en charge du dialogue social de développer de nouvelles compétences : des compétences de veille sur les réseaux sociaux internes et externes et des aptitudes à communiquer spécifiquement via ces outils, notamment. Ses auteurs mettent également en garde contre une dérive classique en matière de digital, à savoir centrer la réflexion sur les outils. Les acteurs ont tendance à davantage réfléchir aux technologies à utiliser qu’à ce qu’elles impliquent réellement en termes de rénovation du dialogue social, en ce compris les implications juridiques associées…


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PROGRAMME 2015 Le dialogue social et les thèmes de la décennie #02

RESTRUCTURATIONS, REPRISES, FUSIONS, FERMETURES : OÙ EST LA SOLUTION ?

15/01/2015

#03

LES CONCILIATEURS SOCIAUX ET LE PROCESSUS DE RÉSOLUTION DE CONFLITS

12/02/2015

#04

TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS SUR LE TERRAIN INTERGÉNÉRATIONNEL

12/03/2015

#05 FUTURE OF FLEXIBILITY, FLEXIBILITY OF WORK

12/03/2015

#06 MOBILITÉ : NE PAS AVANCER, C’EST RECULER

23/04/2015

Le dialogue social : skills and strategy 05/05/2015

#07 STRATÉGIE SOCIALE : LA PERSPECTIVE DU CEO

Le dialogue social dans un contexte plus large 05/05/2015

SÉANCE DE CLÔTURE LE GRAND DÉBAT : L’AVENIR DE LA CONCERTATION SOCIALE

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Marie-Hélène Ska (CSC) livre sa vision d’un dialogue social de qualité texte

La clé réside dans le ‘parler vrai’

christophe lo giudice

Les médias tendent à créer un effet de loupe sur les entreprises où la conflictualité est forte, observe MarieHélène Ska, alors que, dans la grande majorité des cas, le dialogue social se passe plutôt bien. La secrétaire générale de la CSC présente les ingrédients d’un dialogue plus constructif avec le partenaire syndical. Les oiseaux de mauvais augure annoncent régulièrement la « mort de la concertation sociale à la belge ». Comment réagissez-vous à cette assertion, plus particulièrement au niveau de l’entreprise ? Marie-Hélène Ska : « Une telle analyse est, en partie, guidée par la difficulté constatée ces dernières années à conclure des accords interprofessionnels ainsi que par l’effet de loupe qu’ont les médias sur les entreprises où la conflictualité est forte. Mais, derrière cette image qui concerne une toute petite minorité de sociétés et de façon de surcroît souvent conjoncturelle, le dialogue social se passe bien dans la grande majorité des cas. Tous les jours, sur le terrain, on se parle : des négociations ont lieu, des solutions se construisent dans la concertation, des

Temps forts :: Si les travailleurs sont vus comme un coût à minimiser et si le DRH n’est là que dans une perspective d’administration du personnel sans marge de manoeuvre réelle, nous nous trouvons dans une spirale négative défavorable à un bon dialogue social. :: On ne peut que recommander d’entretenir des contacts réguliers avec la délégation syndicale, de l’informer sur les enjeux qui concernent l’entreprise. :: Il n’y a rien de pire pour les délégués syndicaux d’avoir l’impression que leurs suggestions sont des bouteilles lancées à la mer.

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accords sont conclus entre partenaires sociaux. Mais, c’est bien connu, on ne parle pas de ce qui fonctionne bien… » Quelle serait la cause principale de cette conflictualité, selon vous ? Marie-Hélène Ska : « Plus les travailleurs sont vus comme un coût à minimiser, plus une véritable gestion des ressources humaines est difficile au sein de l’entreprise. Dans ce pays, il existe une grande variété de lieux de concertation mais si, au final, le DRH n’est là que dans une perspective d’administration du personnel, nous nous trouvons dans une spirale négative défavorable à un bon dialogue social. Plus un directeur des ressources humaines dispose d’informations sur la stratégie de son entreprise et son organisation, et plus il les communique, plus le dialogue avec les délégués syndicaux peut être de qualité : on peut alors dépasser le périmètre de préoccupations à court terme pour évoquer ensemble des sujets plus ambitieux, axés sur le développement des individus et de l’entreprise. » Beaucoup dépendrait donc, selon vous, du profil de DRH ? Marie-Hélène Ska : « De son profil, de sa personnalité, mais également du rôle qui lui est dévolu dans l’entreprise. Il est important de pouvoir dialoguer avec des personnes ayant de réelles capacités d’écoute, une vraie marge de manoeuvre dans la négociation et qui connaissent bien les structures de l’entreprise et la réalité du travail tel qu’il se vit. Il ne suffit pas de gérer l’entreprise sur la seule base de tableaux de bord et d’indicateurs abstraits : c’est le travail qui crée de la valeur. S’il n’y a pas de travail humain, il n’y a pas de valeur économique. Or, nous obser-

vons que les DRH bougent beaucoup et tous ne connaissent pas en profondeur la culture et les réalités des travailleurs de l’entreprise dans laquelle ils évoluent. Une certaine stabilité représente un avantage pour nouer et entretenir un dialogue social de qualité dans la durée. C’est le cas également dans les plus petites organisations où le fait d’avoir une délégation syndicale permet d’agréger les demandes et attentes des travailleurs et de construire des solutions collectives. » Y a-t-il une évolution dans les sujets abordés dans la cadre du dialogue social ? Marie-Hélène Ska : « La situation économique que nous vivons depuis une petite dizaine d’années fait que la morosité s’est installée dans un certain nombre de secteurs. Les marges de manoeuvre pour parler des salaires se sont considérablement réduites, mais le sujet reste évidemment important. Nos revendications sont devenues plus qualitatives que quantitatives. Les travailleurs ont besoin d’être convaincus qu’il existe une forme de justice sociale dans l’entreprise : s’il y a des efforts à faire pour assurer la survie de l’activité, il faut que tout le monde y contribue avec les mêmes sacrifices et, s’il y a des bénéfices, il faut que tout le monde en tire les fruits - pas seulement l’actionnaire -, à tout le moins via un engagement fort par rapport à la qualité de l’emploi. Dans la situation actuelle, une préoccupation récurrente porte sur la préservation de l’emploi : il y a une demande croissante de la part des délégués d’être mieux outillés pour pouvoir lire les stratégies des entreprises et ainsi mieux identifier s’il existe des perspectives d’avenir ou pas. D’autres sujets sont désormais au coeur du dialogue social : la recherche d’une meilleure combinaison entre


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Marie-Hélène Ska CSC « Il faut nourrir le dialogue social, en accordant de l’importante aux revendications émises. Derrière celles-ci peut se cacher un malaise que des contacts fluides et réguliers permettent de désamorcer avant qu’il ne se mue en tensions. » © D.R.

vie professionnelle et vie extra-professio­ nnelle; les possibilités d’évoluer dans l’entreprise ou, le cas échéant, en dehors de l’entreprise; les questions liées à la mobilité - d’autant plus si le nouveau gouvernement

possibles. Ce sont des pratiques qui doivent s’instaurer dès que le DRH arrive dans l’entreprise, car elles ne peuvent se réparer facilement. Quand le cadre est bien défini et que la confiance est présente, le dialogue

Les travailleurs ont besoin d’être convaincus qu’il existe une forme de justice sociale dans l’entreprise considère qu’un ‘emploi convenable’ peut se trouver jusqu’à 90 kilomètres du domicile et non plus 60 comme c’était le cas jusqu’ici… » Comment travailler à l’amélioration du dialogue social au sein de l’entreprise ? Marie-Hélène Ska : « L’ingrédient clé est assurément le ‘parler vrai’. On n’arrivera à rien en ne lâchant que des informations partielles et/ou en cherchant à mener les gens en bateau. Si les perspectives sont incertaines, il convient d’être clair sur les conditions et sur les marges de manoeuvre

social se fluidifie. On ne peut que recommander d’entretenir des contacts réguliers avec la délégation syndicale, de l’informer sur les enjeux qui concernent l’entreprise - sur ses forces et sur ses faiblesses - de sorte de lui permettre d’agir en toute connaissance de cause. Il faut réellement nourrir le dialogue social, en accordant de l’importante aux revendications qui sont émises. Derrière celles-ci peut se cacher un malaise que des contacts fluides et réguliers permettent de désamorcer avant qu’il ne se transforme en tensions. »

Aujourd’hui, ce seraient davantage les em­­ployeurs qui viendraient avec un cahier de charges, des revendications vis-à-vis des travailleurs. Est-ce aussi votre analyse ? Marie-Hélène Ska : « C’est une réalité que les entreprises ont des demandes croissantes en matière de flexibilité, par exemple. Là encore, nous attendons que les DRH puissent disposer d’une réelle marge de discussions avec les organisations syndicales et que l’on puisse chercher ensemble des solutions constructives tenant compte à la fois des enjeux liés à la production et des intérêts des travailleurs. La question est souvent d’ordre très pragmatique : je pense, par exemple, à une entreprise dont l’activité est saisonnière et où la dynamique des congés était extrêmement codifiée. On évitait autant que possible les congés en période haute qui s’étalait de… mars à octobre, avec les conséquences que l’on imagine pendant l’été. Les délégués syndicaux et la direction sont alors parvenus à réorganiser la production pour déplacer la période haute de telle sorte de permettre la prise de congés au mois d’août. Ce qui peut apparaître comme étant une petite chose représente beaucoup pour les travailleurs, notamment ceux qui ont des enfants en âge de scolarité. A l’inverse, il n’y a rien de pire pour les délégués syndicaux d’avoir l’impression que leurs suggestions sont des bouteilles lancées à la mer, qu’il n’y a pas de périmètre de discussion possible. Il est essentiel que les différents points de vue trouvent à s’exprimer, puissent être pris en compte et mènent à des solutions nouvelles. »

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Jean-Marc Meunier (AGC Glass Europe) sur l’amélioration du dialogue social texte

Un dialogue constructif s’établit dans la durée

christophe lo giudice

Voici une petite dizaine d’année, le groupe AGC Glass connaissait un des conflits sociaux les plus durs du pays sur son site de Fleurus, une porte de sortie étant trouvée après plus de cent jours d’arrêt du travail. Aujourd’hui, des solutions constructives émergent dans le groupe en bonne collaboration entre la direction et les représentants du personnel. Récit d’un cheminement vers des relations sociales plus qualitatives. En 2003, l’usine de Fleurus a mauvaise réputation au sein du groupe AGC Automotive : le site enregistre de mauvaises performances tant en qualité et en productivité qu’en ce qui concerne la sécurité, par exemple - ainsi que des arrêts de travail à répétition. A tel point que les résultats de Fleurus affectent négativement les indicateurs d’AGC dans toute l’Europe. Agé d’à peine 35 ans, Jean-Marc Meunier est appelé pour une mission de la dernière chance. Cet ingénieur civil qui a fait ses armes à la direction de l’usine de Lodelinsart doit démontrer à la maison mère, le groupe japonais Asahi Glass, que l’usine peut connaître un fonctionnement normal et apporter la valeur ajoutée attendue. Sans quoi, ce sera la fermeture. « Au début, j’ai été relativement bien accueilli par les syndicats qui savaient que le site était en péril et qui étaient restés six mois sans

Temps forts :: Le dialogue implique, par nature, que les interlocuteurs en présence veuillent sincèrement dialoguer. L’entreprise doit avoir le courage d’adresser les dérives. :: Un des ingrédients clés d’un dialogue social qualitatif réside dans la continuité et la cohérence des messages, y compris en période de tensions. :: Une relation équilibrée et fondée sur la confiance permet de bâtir des solutions ensemble, au bénéfice de toutes les parties.

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véritable interlocuteur au niveau de la direction, racontait Jean-Marc Meunier, aujourd’hui General Manager d’AGC Automotive Europe et Country Manager pour la Belgique, à l’occasion d’une récente session de l’EPM sur la gestion des relations sociales. Mais, très vite, ce fut le conflit. Les représentants syndicaux avaient pris le pouvoir dans l’usine. Or, nous étions clairs sur le fait que nous n’allions plus accepter les dérives.

générés, nous avions perdu le terrain et notre crédibilité auprès du personnel. Les syndicats sont des interlocuteurs indispensables : à défaut, le management peut dériver dans sa recherche d’atteinte des objectifs. Mais, à l’inverse, ce contre-pouvoir syndical ne peut devenir le seul pouvoir. » De surcroît, Jean-Marc Meunier peut difficilement être qualifié de chantre du capitalisme. Fils de verrier, il a découvert cette

Les syndicats sont indispensables, mais le contre-pouvoir syndical ne peut devenir le seul pouvoir Après 18 mois, nous étions au blocage complet. » Seule solution : restructurer le site en profondeur, se séparer des profils ingérables et rétablir un dialogue social équilibré. Contre-pouvoir ? La situation était-elle à ce point dramatique ? Ou s’agissait-il d’une réponse à la course aux résultats à n’importe quel prix, devenue classique dans les multinationales ? « Tant AGC que son actionnaire japonais sont dirigés par des industriels guidés par l’innovation technologique, et avec une vision long terme : les performances financières sont bien sûr importantes, mais elles ne sont pas le seul paramètre, précise-t-il. Avec la globalisation et tous les changements que celle-ci a

industrie à travers l’emploi de son père à Glaverbel Moustier. « A un certain point, à Fleurus, les représentants du personnel ont perdu tout sens des réalités, raconte-t-il. Nous étions confrontés à douze délégués syndicaux à temps plein dont la quasi totalité s’occupaient de tout sauf de nos marchés et de nos clients. Tout devenait source de conflits. » L’usine de Fleurus a par exemple connu 37 arrêts de travail sur l’année, soit presque un par semaine. « Il nous est arrivé d’avoir trois jours de grève pour un simple rappel des consignes élémentaires de travail. Nos indicateurs de qualité et de sécurité étaient trois à quatre fois plus mauvais que la moyenne du groupe. Notre productivité était de 20 à 30% inférieure… »


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Mentalité exemplaire Déclaré fin 2004, le conflit durera finalement plus de cent jours, avec des épisodes aussi dramatiques que la séquestration de la direction, le recours aux tribunaux pour

Si direction et syndicats travaillent ensemble, les solutions peuvent bénéficier à tous pouvoir entrer dans l’usine, l’intervention des forces de l’ordre ou encore la profonde opposition entre grévistes et non-grévistes. Mi-mars 2005, après plusieurs rounds, les travailleurs ont finalement approuvé à 62% le plan de restructuration présenté par la direction avec, à la clé, le départ de près de 250 personnes. « Tout le monde a énormé-

ment perdu dans ce conflit, relève Jean-Marc Meunier. Mais il a fallu passer par là pour redresser l’usine et repartir sur des bases saines. Très vite, notre productivité a été améliorée de 30 à 50% avec un effectif réduit d’un quart. Aujourd’hui, le site se distingue au sein de notre groupe pour sa mentalité exemplaire. » Au cours des années qui ont suivi, le groupe AGC a beaucoup investi afin d’encourager et d’entretenir un dialogue social plus qualitatif. « Un des ingrédients clés est assurément la continuité et la cohérence des messages, y compris en période de tensions ou quand il faut communiquer des choses difficiles, nous confie-t-il en marge de son exposé à l’EPM. La transparence est essentielle. Nous ne vivons plus dans un monde où certains pensent et où les autres exécutent. Tous dans l’entreprise sont en mesure de percevoir les enjeux qui se jouent, d’intégrer les évolutions que connaît le marché et d’émettre des propositions constructives. Les travailleurs sont d’autant plus performants et motivés qu’ils évoluent dans un environnement dont ils comprennent les tenants et aboutissants et qu’ils se sentent responsabilisés. » Une relation équilibrée et fondée sur la confiance permet alors de bâtir des solutions ensemble. « Sur le site de Fleurus, nous avons développé, avec les syndicats, un concept d’usine flexible pouvant prendre quatre

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Jean-Marc Meunier AGC Glass Europe « Les travailleurs sont d’autant plus performants et motivés qu’ils évoluent dans un environnement dont ils comprennent les tenants et aboutissants et qu’ils se sentent responsabilisés. » © Christophe Lo Giudice

configurations en fonction des flux d’activités, explique-t-il. Si nous nous en tenions à l’organisation de base, elle fonctionnerait avec 140 travailleurs et un recours important à l’intérim en cas de pics. Grâce au modèle élaboré en commun, nous avons préservé un effectif de 183 personnes en CDI, le recours à l’intérim restant aussi limité que possible. Les travailleurs ont été formés aux différents postes qu’ils sont susceptibles d’exercer. Le modèle fonctionne très bien. Tout le monde est gagnant. » Gagnant-gagnant Le restructuration de l’usine de Moustiersur-Sambre en 2012 et, plus récemment, la fermeture du site de Roux suite à l’effondrement du secteur photovoltaïque témoignent de la qualité du dialogue social à l’oeuvre. « Les deux opérations ont été menées sans conflits

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dossier 1 de petits papiers au personnel permettant de nous poser toutes les questions de façon anonyme, et nous y répondons directement. Au début, il n’y avait pas de question. Puis, 80 à 90% des questions arrivaient par ce biais. Aujourd’hui, la grande majorité des questions sont posées oralement, ce qui témoigne d’un autre climat de confiance. Ce processus a montré qu’on peut parler de tout, qu’il n’y a pas de tabou, même si nous n’avons pas forcément toutes les réponses. » Pour le General Manager d’AGC Automotive Europe, franchir un pas supplémentaire en consisterait à gagner plus d’implication des représentants du personnel dans une optique de développement de l’entreprise. « Les organisations syndicales restent encore fort sur la défense des intérêts des travailleurs, comme si elle était incompatible avec la quête de performance. Or, il est possible, et même souhaitable, de travailler ensemble à améliorer les performances de l’usine sans que cela ne se fasse au détriment des conditions de travail, bien au contraire. La réorganisation des postes de travail, par exemple, peut aussi profiter aux opérateurs. Si la direction et les syndicats travaillent ensemble, nous pouvons dégager des solutions au bénéfice de tous. » Une expérience récente à l’usine de Mol en atteste. Le site produit du verre pour Tesla, le

Jean-Marc Meunier AGC Glass Europe « Nous travaillons pour Tesla, une start-up pour qui la pression sur les délais est forte. En expliquant l’importance de ce client et ses enjeux, nous avons pu dégager des solutions qui auraient été presque inimaginables avant. »

Il est possible d’améliorer ensemble les performances sans que ce soit au détriment des conditions de travail

© Christophe Lo Giudice

majeurs et les travailleurs ont continué leurs prestations jusqu’au dernier jour avec des niveaux de qualité corrects, raconte JeanMarc Meunier. Nous ne sommes plus dans une logique d’opposition de type ‘patrons salauds’, mais bien dans la recherche de solutions face à des logiques économiques changeantes et que nous ne maîtrisons pas. » Pour gérer le volet social de cette fermeture, un premier volet de prépensions a été négocié. Ensuite, la proposition a été étendue à d’autres sites et le recours à l’intérim a été limité, ce qui a permis de réaliser une petite quarantaine de mutations plutôt que de devoir procéder à autant de licenciements.

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« Là également, c’est gagnant-gagnant, l’entre­prise ayant tout intérêt à essayer de garder des collaborateurs compétents, bien formés et disposant de la bonne mentalité. Ce n’est bien sûr jamais simple, car il faut également tenir compte des contraintes personnelles associées à une mobilité géographique. » Pas de tabou Parmi les dispositifs soutenant le dialogue social, Jean-Marc Meunier met en exergue les réunions organisées une fois par an sur les différents sites. Celles-ci sont l’occasion de présenter les résultats et leur cadrage à l’échelle de la zone Europe, puis de se centrer plus spécifiquement sur les performances, les objectifs et les perspectives du site. « Durant ces rencontres, nous remettons

constructeur de voitures électriques dont le siège se situe à Palo Alto, en Californie. « La pression de cette start-up sur les délais est forte. En expliquant bien l’importance de ce client et ses enjeux, nous sommes parvenus à dégager des solutions. Des solutions qui, auparavant, auraient presque été inimaginables en termes de mobilité du personnel et de prestations, avec bien sûr des compensations à la clé. Cette recherche commune a permis de minimiser les délais et de livrer le client comme il le souhaitait. »


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Audrey-Ann Toogood (HeidelbergCement) sur un dialogue social responsable

Osons être constructifs ! texte

christophe lo giudice

Faire évoluer le dialogue social à un niveau plus constructif et participatif est valorisant tant pour le management que pour les représentants du personnel. Les cimentiers font partie de la ‘vieille industrie’ et se sont longtemps caractérisés par un style de management paternaliste et hiérarchisé. Plutôt bien remplies par le passé, les caisses ont pu être utilisées pour garder les troupes motivées et, en quelque sorte, garantir la paix sociale. Mais le monde a changé : plus aucune industrie n’est épargnée par la concurrence et l’obligation d’une gestion rigoureuse. Il faut donc activer d’autres leviers. « Le contexte d’une multinationale étrangère complexifie encore la donne car le groupe ne comprend pas toujours les spécificités et contraintes du dialogue social à la belge, observe Audrey-Ann Toogood, HR Director Benelux chez HeidelbergCement. Un des défis pour les RH consiste à faire accepter les contraintes locales dans un cadre global, et vice versa, puis à dégager ensemble des solutions gagnant-gagnant. » A cette fin, la DRH a oeuvré à faire évoluer la concertation à un niveau plus participatif, en responsabilisant le management, les représentants syndicaux et les RH.

Temps forts :: La paix sociale ne s’achète plus, elle se gagne en responsabilisant tous les acteurs. :: Les problématiques locales doivent être traitées en priorité au niveau local. :: La négociation doit évoluer vers la recherche d’améliorations win-win.

Temps d’écolage Audacieusement, elle le qualifie de ‘responsabilisation’ du dialogue social, impliquant notamment que les problématiques locales soient traitées en priorité sur les sites. « Il a fallu un temps d’écolage mais, désormais, c’est devenu un réflexe. Ce mode de fonctionnement permet au manager de redevenir un ‘vrai boss’, de ne plus déléguer son rôle managérial à la RH, à un délégué ou à

Audrey-Ann Toogood HeidelbergCement « Aujourd’hui, quand nous discutons, nous ne sommes plus tant dans la négociation que dans la recherche de solutions. » © Christophe Lo Giudice

ture, ce n’était pas une surprise. » Une bonne concertation passe en outre par l’écoute attentive tant des demandes que des rumeurs pour les adresser avant qu’elles ne se transforment en tensions sociales. Audrey-Ann Toogood ose l’humour dans la conduite du dialogue social, ce qui permet

Une bonne concertation passe par l’écoute attentive des demandes et des rumeurs un comptable. » La démarche implique que tous les acteurs se respectent, cernent bien les rôles et les responsabilités de chacun et s’y tiennent. « J’attends des permanents et des délégués qu’après la négociation, ils s’engagent. Il en va de même pour le management : il doit être garant d’une concertation constructive, en respectant les valeurs de l’entreprise. » La communication représente un autre ingrédient clé. Si la récente fermeture de l’usine d’Harmignies a pu être menée sans trop de heurts, c’est en partie grâce au partage de l’information correcte qui permet aux partenaires de comprendre les enjeux, illustre-t-elle. « Quand on a annoncé la ferme-

de le vivre plus sereinement. « Aujourd’hui, quand nous discutons, nous ne sommes plus tant dans la négociation que dans la recherche de solutions, ce à quoi contribue aussi le Continuous Improvement Program (CIP). Les travailleurs sont attachés à leur usine et ce sont leurs idées qu’on met en oeuvre au travers de ce CIP. Ils prennent la démarche à coeur. » Dans le même esprit, elle est parvenue à impliquer ses délégués dans l’élaboration d’un Plan cafétéria permettant désormais à tout employé de flexibiliser une partie de son budget de rémunération. Et quasi l’ensemble des employés, soit 400 personnes, ont choisi de bénéficier de la formule…

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Frédéric Demars (STIB) évoque la structuration, la formation et la communication

Trois leviers pour améliorer le dialogue social texte

christophe lo giudice

Ces dernières années, la STIB, la Société de transports intercommunaux de Bruxelles, a énormément travaillé à l’amélioration de la qualité de son dialogue social interne. Avec, à la clé, des résultats probants.

En une petite dizaine d’années, le dialogue social à de la STIB a littéralement changé de visage. L’époque était caractérisée par une génération de délégués syndicaux avec une grande ancienneté, habitués à un management de type « paternaliste ». Les modes d’interaction étaient peu structurés et s’approchaient d’une forme de co-gestion. Nommé en 2000 avec comme mission de moderniser l’organisation, Alain Flausch, son directeur général jusque 2011, a replacé progressivement toutes les parties dans les rôles qui leur sont dévolus. En 2008, les élections sociales ont par ailleurs amené une nouvelle génération de délégués bien formés et soucieux d’exercer leurs compétences. Senior Vice-President Human Resources depuis l’été 2013 et actif au sein de la société de transport public depuis 2006 avec, jusque-là, la responsabilité des affaires sociales, Frédéric Demars met en exergue trois « leviers » essentiels qui contribuent à

Temps forts :: Améliorer la qualité du dialogue social passe par le partage et le respect d’un cadre d’action. :: Former la ligne hiérarchique à son rôle social et à la bonne compréhension des compétences de la représentation syndicale favorise de meilleures relations sociales. :: Une communication claire et univoque de la part de la direction, ne laissant pas place aux interprétations, contribue à un climat social serein dans l’entreprise.

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l’amélioration de la qualité du dialogue social interne. « L’instauration d’une structure, d’un cadre de dialogue avec différents niveaux, négociée entre les parties, représente un premier axe très important, explique-t-il. Il permet de discuter des bons sujets aux bons endroits et contribue à désamorcer les tensions avant qu’elles ne débouchent sur des conflits. » Cette « structuration » s’est opérée par la conclusion d’une CCT qui définit le cadre relatif à l’exercice de l’action syndicale (fixa-

facteur déterminant dans la mise en place et le succès de ces conventions, ajoute-t-il. Réflexes managériaux Un deuxième levier est à trouver dans la formation de nos managers. « Le manager qui parvient à développer une relation saine et humaine avec ses collaborateurs participe directement à un climat social serein et réduit par là-même la nécessité d’une action syndicale », estime Frédéric Demars. Cela suppose que le manager maîtrise les règles

L’instauration d’un cadre de dialogue est une étape clé tion du nombre de délégués, établissement d’une procédure de désignation de ces délégués, négociation des crédits d’heures pour l’exercice des tâches syndicales,…), le cadre relatif à la concertation locale et à la prévention des conflits (confirmation du principe de concertation locale, d’escalade de la concertation à un niveau supérieur en cas de non résolution, constitution d’un bureau de conciliation préalable à toute action collective). Il existe en outre différents organes de concertation pour traiter de sensibilités particulières au secteur : à titre d’exemple, le Comité Paritaire de Sécurité traite des questions de sécurité du personnel. « En effet, trop souvent, nos collaborateurs sont victimes de l’agressivité de tiers durant leurs prestations. Cet organe y traite des actions de prévention, de sensibilisation et de suivi suite à des cas d’agressions. » La collaboration des organisations syndicales fut un

élémentaires de droit social - à savoir qu’il puisse répondre aux préoccupations de ses collaborateurs en matière de congés, de règlement de travail, etc. En tant que DRH, j’ai un souci en commun avec les organisations syndicale, à savoir, le bien-être de nos travailleurs, et ce bien-être commence par la relation entre le manager et son collaborateur. » Bien souvent, des managers exercent leur fonction sans savoir ce qu’est un délégué syndical, comment il est formé ou quelle est sa sphère d’action. « Il est donc essentiel de former la ligne hiérarchique à son rôle social et à la bonne compréhension des compétences et modes d’intervention de la représentation syndicale. En connaissant ces compétences, elle les respectera et favorisera de meilleures relations sociales. » Cette formation doit intervenir aux différents niveaux. Les responsables de proximité doivent être sensibilisés au fait syndical et


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préparés à interagir avec des délégués dont la mission consiste à défendre les intérêts individuels des collaborateurs. Les membres de la direction doivent, quant à eux, être outillés pour interagir adéquatement au sein des organes de concertation institutionnels : conseil d’entreprise, CPPT,… A défaut, le risque est grand d’aboutir à un dialogue de sourds et à des oppositions pourtant évitables. Au cours des dernières années, l’entreprise bruxelloise a attiré nombre de talents issus de différents horizons et, notamment, du privé. « D’un secteur à l’autre, d’une société à une autre, les préoccupations et le sujets de discussions peuvent fortement varier, ce qui apparaît rapidement quand les individus prennent leurs fonctions. L’existence de réflexes managériaux différents à la STIB comparé à d’autres environnements est, par contre, moins immédiatement perceptible. Il convient d’y être attentif. Même s’il s’agit d’une entreprise privée, certaines de ses caractéristiques sont inspirées de celles des administrations publiques, par exemple. » Sans dramatiser Enfin, la communication représente le troisième axe clé aux yeux de Frédéric Demars. « On ne peut considérer que la communication au personnel relève de la compétence exclusive ou prioritaire des délégués syndicaux que certains revendiquent, relève-t-il. La direction doit aussi pouvoir informer correctement et directement ses collaborateurs

sur les enjeux à l’oeuvre, et le faire de façon claire et univoque en ne laissant pas place aux interprétations. Ce qui n’est évidemment pas toujours facile. » En matière de communication externe, il se montre par contre plus prudent, même si le champ médiatique apparaît parfois monopolisé par les organisations syndicales. « Une expression publique peut avoir pour résultat de bloquer les positions et de rendre le dialogue plus difficile, explique-t-il. Lorsqu’un CEO déclare dans la presse, comme on l’a vu récemment, que le personnel de son organisation n’est pas trop cher, mais que les heures prestées sont insuffisantes par rapport au salaire perçu, il n’est pas étonnant que les réactions fusent. Communiquer vers l’externe peut avoir du sens à certains moments et sur certains sujets - par exemple pour rectifier des propos erronés -, mais il faut que ce soit maîtrisé et sans dramatiser, ni minimiser les messages. » Manque de courage L’évolution du dialogue social est impacté par une forme de manque de courage dans le chef du politique qui n’assume pas toujours ses décisions, relève Frédéric Demars. « Le gouvernement ne veut ou ne peut plus imposer de mesures uniformes et renvoie alors aux secteurs, ce qui a pour effet de renvoyer les négociations au niveau des entreprises. Les conséquences sont multiples. Ainsi, le fossé social tend, par exemple, à s’accroître entre les travailleurs qui évoluent dans des

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Frédéric Demars STIB « Le manager qui parvient à développer une relation saine et humaine avec ses collaborateurs participe directement à un climat social serein. » © STIB

secteurs ‘riches’ et ceux dont les employeurs ne peuvent pas se permettre d’octroyer les mêmes conditions. » D’autre part, cette façon de procéder alimente les négociations qui se tiennent au sein de l’entreprise d’une variété de sujets qu’elle n’a pas toujours le temps, ni la capacité de traiter. Quand ils n’ouvrent pas euxmêmes d’autres discussions. « Les exemples sont nombreux : harmonisation sur les classifications de fonctions, effort de formation, maintien à l’emploi des travailleurs âgés, conclut-il. Certaines négociations doivent avoir lieu dans les entreprises, d’autres pas. A un certain point, le gouvernement prend la décision de réformer un système avec des impacts importants pour les travailleurs et, très souvent, il faut appliquer la décision rapidement alors que celle-ci nécessite d’ouvrir la concertation. On ne peut pas dire que cela participe à un dialogue social sérieux et serein. »

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Jean-Christophe Debande (Entreprise & Personnel) sur la stratégie sociale texte

Pourquoi et comment mesurer le ROI du dialogue social

christophe lo giudice

Une activité non pilotée est une activité la plupart du temps subie. Il en va de même pour le dialogue social. Pour le rendre performant, il convient de clarifier sa stratégie et de se doter d’outils de pilotage, puis d’en mesurer le retour sur investissement (ROI). La question des relations sociales en entreprise ne cesse de progresser au palmarès des inquiétudes des responsables RH. Un constat que pose Jean-Christophe Debande sur base de ses interventions à l’Université Paris 1-Sorbonne et à Sciences Po Paris ainsi que des retours d’expériences dans les entreprises. Directeur de projets RH chez Entreprise & Personnel, réseau associatif français d’entreprises consacré à la GRH et au management des hommes et des organisations, il pointe la double évolution que connaît le dialogue social : une juridicisation et une judiciarisation. « En France, le législateur ne cesse de donner plus de place au dialogue social, avec un accent mis sur son renforcement sur le terrain, illustre-t-il. Mais cette ambition prend des chemins extrêmement techniques avec un cadre réglementaire qui ne fait que se complexifier, exposant l’entreprise au risque de tomber à tout moment dans le délit d’entrave. Par ailleurs, les syndicats ont de plus en plus de difficultés à mobiliser, si ce n’est dans certains bastions historiques. Dès lors, le rapport de forces tend à se jouer d’autres

Temps forts :: Une stratégie en relations sociales doit consister en un choix de moyens au service d’une ambition. :: Le coût du dialogue social peut être estimé assez finement, en additionnant différentes variables. :: Gérer les relations sociales, c’est piloter leurs différents volets au sens de les rendre plus performants.

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manières, en particulier à travers les contentieux sociaux. » Ambition sociale Le dialogue social en entreprise ne peut plus s’envisager comme il y a vingt ans, estime cet ancien DRH (Orange, Elior, Réunion des Musées nationaux-Grand Palais). A l’époque, on pouvait se limiter à entretenir une bonne qualité relationnelle et passer des « deals » avec ses interlocuteurs. Aujourd’hui, il faut un véritable pilotage du dialogue social, alors que celui-ci reste une activité la plupart du

basique que le SWOT - qui permet de déterminer des options stratégiques sur base de l’analyse des forces, faiblesses, opportuni­ tés et menaces -, note Jean-Christophe Debande. Il s’agit par ailleurs de s’appuyer sur des calendriers sociaux annuels allant au-delà d’un listage de réunions, mais comme un outil d’analyse et de pilotage dynamique. Gérer les relations sociales, ce n’est pas seulement répondre aux injonctions légales et aux interpellations syndicales. C’est piloter leurs différents volets au sens de les rendre plus performants. »

Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise stratégie, mais des stratégies adaptées ou non à un contexte temps subie : « Si l’on se réfère à la définition d’une stratégie comme étant l’ensemble des choix à opérer dans l’allocation de ressources en vue d’atteindre un résultat ou un objectif préalablement déterminé, la stratégie en relations sociales va consister en un choix de moyens au service d’une ambition sociale. » Comme l’explique Gilles Verrier dans son livre Stratégie et RH : l’équation gagnante (Dunod, 2012), si la fonction RH se veut réellement « stratégique », elle doit commencer par s’appliquer les outils de l’analyse stratégique. « En matière de relations sociales, la démarche peut partir d’un outil aussi

Grand silence « Beaucoup de dirigeants d’entreprise se plaisent à scander que le dialogue social est un investissement, ce qui est déjà mieux que de ne le voir que comme un coût, observe-til. Mais quand on leur demande d’en estimer le coût et, mieux encore, le retour sur leur investissement, on entend un grand silence. Or, vous en connaissez beaucoup, vous, des investissements dont on ne chiffre pas le montant et dont on ne calcule pas le retour ? » Pourtant, une telle évaluation est parfaitement possible, utile, et même indispensable. Comment ? « Tout doit partir de ce qu’on attend du dialogue social, reflexion sur


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Jean-Christophe Debande Entreprise & Personnel « Le DRH gagne à adopter une approche de gestionnaire de la relation sociale pour la transformer en performance. Ce qui ne veut pas dire la rendre moins coûteuse, mais en optimiser l’organisation. » © D.R.

base de laquelle on peut alors identifier les postes et indicateurs les plus pertinents. » Exemples : si l’ambition est d’avoir un climat social apaisé, on mesurera la conflictualité; si l’ambition est développer la négociation contractuelle, on regardera le nombre d’accords signés; si l’ambition porte sur des enjeux business, on évaluera le déploiement des outils de flexibilité par rapport aux besoins des activités, etc. Budgété et piloté Le coût du dialogue social peut être estimé assez finement, en additionnant différentes variables comme les moyens donnés aux instances pour remplir leurs prérogatives, les coûts des réunions (nombre de réunions x durée moyenne x taux horaire moyen des participants), les frais de remplacement des délégués syndicaux à leur poste de travail, le coût des juristes internes et externes, etc. « Au-delà d’une telle photographie sur un exercice donné - en rapport avec le total des recettes annuelles -, l’intérêt est surtout d’en suivre l’évolution d’une année sur l’autre et, dans le cas d’évolutions significatives, de chercher à analyser plus précisément les variations des postes concernés. » Le conseil de Jean-Christophe Debande ? « Cessons les discours démagogiques et un brin incantatoire selon lesquels tout devrait passer par le dialogue social. A l’opposé, évitons l’écueil que représente un rejet pur et simple des partenaires syndicaux. Le chemin à suivre se situe entre ces deux extrêmes, dans l’adoption d’une approche de gestionnaire professionnel de la relation sociale pour la transformer en performance. Ce qui ne veut pas dire la rendre moins coûteuse, mais en optimiser l’organisation dans l’entreprise. Il n’y a pas un seul champ de la GRH qui ne soit pas budgété et piloté : la même logique doit s’appliquer dans l’approche du dialogue social. »

Situez-vous parmi ces cinq stratégies en relations sociales Dans son livre Les relations sociales en entreprise en 100 points clés (Editions Vuibert, 2012), Jean-Christophe Debande dresse une typologie de cinq natures de stratégies en relations sociales possibles, combinant les facteurs « temps » et « moyens » : - l’approche minimaliste : l’entreprise consacre peu de temps et peu de moyens au dialogue social, ce qui caractérise plutôt les TPE et les PME; - l’approche anesthésiante : l’organisation consacre relativement peu de temps, mais beaucoup de moyens au dialogue social, situation que l’on retrouve dans la sphère publique; - l’approche démagogique : beaucoup de temps est consacré aux réunions, mais il en ressort peu de choses. L’idée est d’occuper le terrain; - l’approche alternée : la stratégie est « hésitante » et recouvre l’une ou l’autre des formes précédentes en fonction des sujets concernés; - l’approche prospectiviste : l’entreprise consacre du temps et des moyens au dialogue social dans une perspective de retour sur investissement. Cette typologie doit permettre au DRH de situer son entreprise et d’évaluer si son positionnement est adapté ou s’il gagne à évoluer, et dans quel sens. « Dans l’absolu, il n’existe pas de bonne ou de mauvaise stratégie de relations sociales, mais des stratégies adaptées ou non à un contexte d’entreprise. Leur pertinence dépendra en premier lieu de la prise en compte des variables contextuels, externes et internes, dans lesquelles elles seront mises en oeuvre : finalité poursuivie par les dirigeants, données économiques et sociales de l’entreprise, niveau de conformité juridique social, implantation syndicale et tableau de bord RH. »

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inspiration

Comment mettre son entreprise en alerte sur les mutations du monde texte

Les défis à relever en 2015

christophe lo giudice

Avez-vous défini, avec vos équipes RH et/ou avec le comité exécutif, un à trois champs de réflexion devant permettre de mieux préparer votre entreprise à adresser les défis auxquels elle va être confrontée ? Voici des pistes issues d’exercices de prospective. Quels seraient les cinq thèmes sur lesquels toute direction d’entreprise devrait réfléchir en 2015 pour être alerte sur les mutations du monde ? Tel est le débat lancé par René Duringer, fondateur de l’Observatoire des Tendances qui a constitué un groupe LinkedIn réunissant près de 40.000 membres aux profils très variés. Etablie sous la forme d’une société en 2011, la plate-forme propose une veille « à 361° » et un regard prospectif sur les tendances qui vont transformer les entreprises à court, moyen et long termes. S’il est encore trop tôt pour dégager les priorités qui émergeront de cette discussion empirique, la liste proposée par Duringer, construite sur base des sujets de réflexion de l’observatoire, est déjà révélatrice. Parmi les 70 thèmes inventoriés, on en retrouve bon nombre tombant directement dans le champ RH: attentes des salariés à l’égard du monde du travail, nouvelles formes de travail, management de l’intelligence collective, métiers de demain et compétences à y associer, recherche de meilleurs équilibres de vie, vieillissement des travailleurs et allongement des carrières. D’autres encore sont de nature à impacter les pratiques - l’hyper-

connectivité, la collaboration participative, les neurosciences, la gamification,… -, voire à mettre plus fondamentalement en question le pilotage de l’entreprise (décroissance, simplicité volontaire, sobriété heureuse)… Nouveaux leaders Sans surprise, le « leadership » revient dans la liste, démontrant ainsi son statut de sujet de préoccupation permanent pour les directions d’entreprise. C’est d’ailleurs aussi le principal défi pour les responsables RH, tel qu’identifié par Deloitte sur base d’un panel de plus de 2.500 leaders issus de 90 pays. Cette étude annuelle a permis d’identifier 12 grandes tendances RH auxquelles ils seront confrontés dans les mois et les années à venir. Selon l’étude, près de neuf organisations sur dix jugent le développement du leadership comme urgent et/ou important. « Le niveau d’urgence s’explique par l’émergence de nouveaux marchés, l’arrivée de nouveaux profils de collaborateurs et un modèle d’organisation plus plat, remettant en cause les façons de travailler, pointe-ton chez Deloitte. Le changement générationnel force les entreprises à abandonner

Quelques liens pour approfondir :: L’Observatoire des tendances: http://observatoiredestendances.fr :: The LAB, le blog de l’Observatoire des tendances: www.the-lab.fr :: Groupe LinkedIn de l’Observatoire: www.linkedin.com/groups?gid=1416777&trk=hb_side_g

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inspiration

le paradigme du leader parfait, omniscient, omnipotent. » Elles doivent donc identifier un nouveau type de leadership et développer de nouveaux leaders à tous les niveaux et de tous les âges. Les autres défis identifiés ? La gestion de l’environnement de travail en lien avec le boom des nouvelles technologies, le développement d’une « supply chain » des talents fondée sur une analyse fine des besoins de compétences et savoirs d’aujourd’hui et de demain, l’innovation dans l’attraction des talents (marque employeur, Big Data), l’identification de nouvelles façons de créer un esprit

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de communauté et de gagner l’engagement des collaborateurs… Enfin, les entreprises interrogées estiment à 77% que leurs équipes RH doivent (re-)développer leurs champs de compétences en faisant preuve d’ouverture, en se formant à la gestion de projets et en renforçant toujours davantage la compréhension de l’environnement de l’entreprise.

15 thèmes de réflexion pour 2015

1

Leadership

2

Attentes des salariés à l’égard du monde du travail

3

Nouvelles formes de travail

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Management de l’intelligence collective

5

Métiers d’avenir et compétences associées

6

Equilibres vie professionnelle/vie privée

7

Vieillissement des actifs et allongement des carrières

8

Repenser le contexte de travail des employés sur-sollicités

9

Collaboration participative, co-création

10

Gamification, storytelling…

11

Apports des neurosciences

12

Développement d’une suppy-chain des talents

13

Innovation dans l’attraction des talents

14

Création de communautés et stimulation de l’engagement

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(Re-)Développement des champs de compétences RH Sources: Observatoire des Tendances + Etude Global Human Capital Trends de Deloitte

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Sous les projecteurs

Ilios Kotsou Université Libre de Bruxelles « La lucidité est un enjeu essentiel pour le dirigeant d’entreprise : c’est lui le capitaine du bateau, et le fait d’avoir ou non cette lucidité rendra l’expérience de vie au travail très différente pour ceux qui doivent ramer. » © Jos Balcaen

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Sous les projecteurs

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Ilios Kotsou fait l’éloge de la lucidité

Le leader clairvoyant offre une toute autre expérience de travail texte

christophe lo giudice

Le monde de l’entreprise est longtemps resté hermétique à toute prise en compte des émotions. Le bestseller de Daniel Goleman sur l’intelligence émotionnelle a donné du crédit à l’importance de comprendre et de gérer les émotions au travail… au point qu’on y parle même de bonheur ! Doctorant en psychologie des émotions à l’ULB, Ilios Kotsou appelle à un nettoyage en profondeur de ces concepts, études scientifiques à l’appui, et montre comment cultiver la lucidité pour une meilleure gestion de soi et des autres.

Collaborateur scientifique de l’émission Leurs secrets du bonheur (France 2) en 2011 et 2012, puis chroniqueur régulier sur la RTBF - notamment dans l’émission lifestyle Sans chichis -, Ilios Kotsou s’est trouvé affublé de l’étiquette de « Monsieur Bonheur ». Un peu hâtivement sans doute, comme on s’en apercevra à lire son dernier livre, Eloge

Temps forts :: L’entreprise est un monde où abondent les illusions qui nous aveuglent et nous éloignent d’une vie riche de sens et de joie. :: La lucidité, à l’opposé de l’illusion, est la capacité à regarder les choses comme elles sont, avec leur part d’inconfort et de souffrance, mais aussi dans toute leur beauté. :: Développer sa lucidité, c’est éviter de gaspiller son énergie à lutter contre les choses sur lesquelles nous n’avons pas prise. :: Pour le dirigeant d’entreprise, mais aussi pour le DRH, faire preuve de lucidité permet de prendre de meilleures décisions et de traverser les tempêtes avec plus de clairvoyance.

niveau de l’entreprise, la direction doit faire ce qu’elle peut pour gérer l’organisation de façon équilibrée et créer un meilleur ‘vivre au travail’. Mais c’est un mirage que de faire croire qu’on peut être heureux au travail de façon systématique, sans souffrances ni épreuves. Une telle quête du bonheur idéalisé coûte en réalité beaucoup d’énergie

Etre lucide, c’est, en acceptant la réalité telle qu’elle est, pouvoir décider et agir avec plus de justesse de la lucidité (Editions Robert Laffont, 2014). Il y remet en cause la poursuite effrénée du bonheur tel qu’idéalisé dans la société actuelle et devenu un support marketing pour vendre une variété de produits et services. Le propos résonne dans les entreprises, ciblées par les nouveaux « marchands de bonheur » au travail, trop heureux de trouver là un nouvel eldorado pour vendre de la consultance. « Poursuivre le bonheur crée des effets paradoxaux dont certains se révèlent contraires à l’objectif premier, plaide-t-il. On nous fait penser qu’il faut être heureux et qu’on pourrait l’être tout le temps. Mais, en étant obsédés par cette finalité, nous courons le risque d’être mécontents, déçus ou frustrés de ne pas être heureux, ces états devenant eux-mêmes un obstacle au bonheur. Au

que nous ne pouvons pas consacrer à ce qui compte réellement pour nous. Elle peut également nous empêcher d’être présent et attentif à la situation présente ou de voir toutes les solutions qui s’offrent à nous. L’alternative aux stratégies d’idéalisation se résume, pour moi, dans la notion de lucidité. » Titulaire d’un master en sciences du travail, Ilios Kotsou a travaillé comme expert et formateur dans le domaine de la gestion des conflits et du changement. Passionné par la psychologie des émotions, il a ensuite été chercheur durant quatre ans au sein de la faculté de psychologie de l’UCL et termine actuellement sa thèse sur l’intelligence émotionnelle à l’ULB. Il a co-fondé, avec Caroline Lesire, l’association Émergences dont la mission consiste à partager les connaissances

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Sous les projecteurs scientifiques avec le grand public tout en finançant des projets solidaires. Professeur invité à l’Université de Savoie notamment, Ilios Kotsou a de nombreux ouvrages à son actif, certains en co-écriture, dont Se changer, changer le monde (Editions de L’Iconoclaste, 2013), Pleine conscience et acceptation : les thérapies de la troisième vague (De Boeck, 2011), Psychologie positive : le bonheur dans tous ses états (Editions Jouvence, 2011), Les compétences émotionnelles (Dunod, 2009) et Intelligence émotionnelle et management (Editions De Boeck, 2008). L’intelligence émotionnelle est un con­ cept qui suscite des débats… passionnés, en particulier dès qu’il s’agit d’en prendre la mesure. La communauté scientifique en a-t-elle admis le bien-fondé ? Ilios Kotsou : « La question de la définition et de la mesure de l’intelligence émotionnelle reste un débat ouvert. Cela étant, une méta analyse de 2011 du Journal of Organizational Behavior souligne que, quel que soit le ‘courant’ de recherche, on trouve un lien significatif entre intelligence émotionnelle et performance au travail. Au delà de ces débats, la communauté scientifique a confirmé de manière répétée le lien entre intelligence émotionnelle et indicateurs de bien-être, tant physique que psychologique. Avoir la capacité d’identifier, d’exprimer, de comprendre et bien vivre avec ses émotions prédit une meilleure santé, mais aussi de meilleures relations avec les autres. Une étude de Personality and individual differences a, par exemple, montré qu’une plus grande intelligence émotionnelle du manager était liée à une plus grande performance de l’équipe, mais aussi à un stress moins important des subordonnés. L’intelligence émotionnelle permet de prendre ses émotions en compte, sans se laisser dominer par elles, mais aussi de mieux prendre en compte les autres. » Quelles sont les avancées les plus marquantes des recherches récentes sur les émotions, d’intérêt pour les responsables des ressources humaines ?

Ilios Kotsou : « Les recherches sur les émotions montrent que celles-ci sont un facteur clé qui impacte tant nos décisions les plus ‘rationnelles’, comme la stratégie et les finances, que les relations entre collègues et l’ambiance de travail. Créer un ‘climat émotionnel positif’ qui intègre des éléments comme la valorisation des apports, des ressources et des différences de chacun; l’équité et la justice organisationnelles;

Développer un pensée plus globale, plus systémique, permet de prendre de meilleures décisions l’autonomie et le sentiment de compétence, la valorisation de la coopération et les échan­­ges et la responsabilité par rapport à l’ensemble des parties prenantes (collaborateurs, clients, fournisseurs, environnement…) peut participer à l’établissement d’une culture d’entreprise qui concilie impératifs de rentabilité et bien-être des collaborateurs. Pouvoir offrir des possibilités de développement des compétences émotionnelles des leaders est important : les études sur la contagion émotionnelle montrent que la gestion des émotions du leader a un impact direct sur l’humeur et les performances de l’équipe. » Dans votre dernier livre, vous faites l’éloge de la « lucidité », qualité dont on peut se dire qu’elle manque parfois en entreprise. Comment la définissez-vous ? Ilios Kotsou : « La lucidité définit la qualité de quelqu’un de conscient, de clairvoyant. C’est la capacité à voir la réalité comme elle est et non comme on aimerait qu’elle soit. En cela, la lucidité est l’inverse de l’illusion qui nous amène, par exemple, à penser que ‘c’est mieux ailleurs’ ou que le bonheur se trouve immanquablement dans tout ce que nous n’avons pas. L’illusion entraîne une fixation sur ‘ce qui devrait’ ou ‘ce qui aurait dû’ être

Etre lucide, c’est ne pas se rendre prisonnier de ses pensées, de ses idéologies HR square n° 1 décembre 2014

ou arriver. Nous pouvons le comparer au mirage dans le désert alors que nous avons soif : le mirage a un fort pouvoir d’attraction, mais il nous dirige vers des chemins qui ne sont pas les plus adaptés. Etre lucide, c’est au contraire admettre que nous sommes perdus, ne plus chercher à contrôler ce qu’en définitive, nous ne contrôlons pas, et, en acceptant la réalité telle qu’elle est, pouvoir décider et agir avec plus de justesse. »

Quels mirages gagneraient à être déconstruits dans nos vie ? Ilios Kotsou : « L’évitement de l’inconfort en est un. On nous vend l’idée que l’existence rêvée est dépourvue d’inconfort, axée sur le plaisir et le fait de ‘se sentir bien’. Il n’est plus considéré comme normal, de nos jours, de nous sentir triste, anxieux, en colère, nostalgique, frustré, nerveux,… Nous avons pris le pli d’adopter comme stratégie la lutte contre nos propres émotions. Nous essayons de les supprimer, de les éviter ou, au moins, de les contrôler. En entreprise, une telle inclination peut prendre différentes formes. Si quelque chose ne tourne pas dans une équipe, par exemple, on va se séparer d’une personne qui peut être importante. On résout peutêtre le problème à court terme mais, en réalité, on perd un signal, un indicateur de dysfonctionnements. Un peu comme dans l’Antiquité quand on mettait à mort les messagers porteurs de mauvaises nouvelles. Dans ce cas, faire preuve de lucidité serait de tolérer l’inconfort, de faire en sorte de n’être pas dirigé par ses sentiments, de s’assurer d’agir plutôt que de réagir. » La pensée positive a de nombreux adep­ tes. Vous la qualifiez pourtant comme pouvant être un autre de ces mirages… Ilios Kotsou : « A en croire certains gourous de la pensée positive, notre vie serait le simple reflet de nos pensées : en les contrôlant, on pourrait avoir tout ce qu’on désire. Il nous faudrait toujours être positifs. Mais, d’une part, les pensées négatives sont utiles : elles nous informent par exemple de dysfonctionnements. D’autre part, ce serait donner aux pensées une place trop importante, déme-


Sous les projecteurs surée. Etre lucide, c’est justement ne pas se rendre prisonnier de ses pensées, de ses idéologies, tout ce qui nous empêche d’être présent à l’environnement tel qu’il est. Etre ‘collé’ à nos pensées rétrécit nos possibilités et entrave nos choix. »

La lucidité, pour le DRH, réside dans la capacité à comprendre sa propre mécanique interne et à s’ouvrir aux autres Autre mirage, selon vous : la poursuite de l’estime de soi qui, pourtant, jouit d’une bonne presse en entreprise et fait l’objet d’ouvrages innombrables. Ilios Kotsou : « Les études scientifiques n’ont jamais démontré cette croyance très répandue selon laquelle l’estime de soi améliorerait les performances. Il semblerait que c’est le succès qui augmente l’estime de soi, et non le contraire. De la même manière, les études montrent que l’estime de soi ne permet de prédire ni la qualité, ni la durée des relations. Les chercheurs Jennifer Crocker et Catherine Knight de l’université du Michigan la comparent au sucre : son effet est agréable, mais addictif et, de plus, elle présente plus de coûts que de bénéfices à long terme. Quand on se retrouve uniquement motivé par la course à l’estime de soi, on produit des efforts parce qu’on le doit, et non parce qu’on le veut. Le comportement est alors dirigé par des facteurs extérieurs, plutôt que par une motivation intrinsèque. Le fait de faire dépendre notre image ou notre valeur de regards extérieurs, comme cela se matérialise dans les évaluations par exemple, nous rend plus fragiles, plus manipulables. Il est avéré que c’est plutôt la motivation intrinsèque quand l’action est conduite par l’intérêt et le plaisir que l’individu trouve à l’action, sans

peur de punition, ni attente de récompense externe - et le sentiment qui en découle qui favorisent notre épanouissement à long terme. » Comment traduire ces enseignements dans l’exercice du leadership ? Ilios Kotsou : « La lucidité, pour un manager, consiste à ‘diriger son attention’ - qui est sa ressource la plus importante -, plutôt que de laisser celle-ci être ballotée au gré de l’environnement, des situations qu’il vit et des personnes qu’il côtoie. C’est choisir de diriger son attention vers soi - sur ses pensées, ses sentiments, de sorte de ne pas en être otage et de pouvoir choisir ses actions, - vers les autres - en étant réellement ouvert aux autres, la finalité d’une entreprise étant d’être au service de l’humain - et vers l’environnement - c’est-à-dire observer les changements à l’oeuvre pour pouvoir les anticiper. La lucidité est un enjeu essentiel pour le dirigeant d’entreprise : c’est lui le capitaine du bateau, et le fait d’avoir ou non cette lucidité rendra l’expérience de vie au travail très différente pour ceux qui doivent ramer. Mais ce n’est pas facile car c’est aussi le dirigeant qui est soumis à le plus de pressions émanant de sources extrêmement diverses. » Comment aiguiser sa lucidité en tant que manager ? Ilios Kotsou : « Une des façons de le faire réside dans l’exercice de la pleine conscience, un entraînement quotidien consistant à apprendre à porter attention à son expérience du moment présent. Le passé et l’avenir sont importants, mais il ne faut pas en

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être prisonnier. Il s’agit d’un travail pragmatique visant à mieux décoder comment nous fonctionnons. La liberté n’est jamais totale. Nous sommes beaucoup moins libres que nous le pensons. Développer un pensée plus globale, plus systémique, permet de prendre de meilleures décisions. Une étude scientifique a montré qu’une chose aussi simple que changer de perspective, en s’imaginant par exemple témoin ou acteur d’une situation difficile, provoquait des réactions différentes en nous. La distanciation, en s’imaginant extérieurs à la situation, rend les participants plus sages : ils sont davantage susceptibles de reconnaître les limites de leur raisonnement. Ainsi, un dirigeant guidé par ses illusions ou la poursuite de l’estime de soi ne prendra pas les mêmes décisions qu’un dirigeant qui a l’esprit ouvert et qui a développé ses capacités de clairvoyance. La lucidité est une clé pour comprendre que le résultat de nos actions ne dépend pas entièrement de nous. Elle n’amène nullement à ne pas vouloir changer les choses, mais revient à cesser de se raconter des histoires et à agir de manière juste pour changer ce qui peut l’être. La lucidité conduit à l’action intelligente. » Cultiver la lucidité, est-ce aussi un défi pour le DRH ? Ilios Kotsou : « La complexité du rôle de DRH s’explique notamment par la difficulté de trouver le langage adéquat pour parler avec des gens qui ont des modes de pensée différentes : les managers de première ligne, les ingénieurs, les financiers, la direction stratégique,… Il lui faut comprendre ces différents points de vue et parvenir à nouer le contact pour qu’ils soient davantage au service de l’humain. La lucidité, pour le DRH, réside dans la capacité à comprendre sa propre mécanique interne, et donc à prendre la mesure des modes RH et illusions associés à la fonction qui déterminent ses orientations sans parfois qu’il s’en rende compte. La lucidité pour le DRH, c’est aussi s’ouvrir aux autres et à son environnement pour adopter une pensée plus systémique et prendre de meilleures décisions allant au-delà du court terme. »

Ilios Kotsou, Éloge de la lucidité. Se libérer des illusions qui empêchent d’être heureux, Editions Robert Laffont, Paris, ISBN 978-2-221-13707-9, 2014.

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dossier 2

Les clés pour respecter la nouvelle législation et aller au-delà texte

Comment prévenir les risques psychosociaux au travail

christophe lo giudice

La prévention des risques psychosociaux a été (re)mise à l’agenda de nos responsables RH avec une nouvelle législation que des experts français ont qualifié de ‘modèle à suivre’. La problématique ne doit toutefois pas s’envisager dans la seule perspective d’un respect d’obligations légales, mais plutôt comme le levier d’une gestion ambitieuse de l’humain au travail, et donc aussi comme un vecteur de performances. La nouvelle législation relative à la prévention des risques psychosociaux au travail est entrée en vigueur le 1er septembre dernier. Elle se déploie sur la base de deux lois et d’un arrêté royal : la loi du 28 février 2014 complétant la loi du 4 août 1996

Le vrai enjeu consiste à faire du bien-être au travail un véritable projet d’entreprise Temps forts :: Une première étape passe par identifier les risques psychosociaux propres à l’environnement de travail et à les analyser. Plusieurs méthodes scientifiquement validées existent à cette fin. :: Le plus difficile réside dans le passage des enseignements du diagnostic à la définition d’un plan d’action et, surtout, à sa mise en oeuvre et à son évaluation. :: Aux grands programmes partant tous azimuts, on préférera des actions ciblées et un travail sur le management au quotidien, à la base de nombreuses sources de risques psychosociaux.

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relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, la loi du 28 mars 2014 modifiant le code judiciaire et cette même loi du 4 août 1996, et enfin l’arrêté royal du 10 avril 2014 relatif à la prévention des risques psychosociaux au travail. « La loi sur le bien-être mettait jusque-là surtout l’accent sur le harcèlement moral ou sexuel et sur la violence au travail, tout en soulignant la nécessité de prévenir la charge psychosociale, mais sans vraiment aller beaucoup plus loin, confie Charlotte Demoulin, attachée au S.P.F. Emploi, Travail et Concertation sociale. Ces manifestations très graves sont en réalité la pointe de l’iceberg de problématiques plus larges qui sont désormais prises en charge dans le cadre de la nouvelle législation : stress, burn-out, dépression, mal-être sur le lieu de travail, conflits graves, idées suicidaires, problèmes de sommeil, hypertension, etc. causés par le travail. »

Plus précisément, les risques psychosociaux au travail sont définis comme la probabilité qu’un ou plusieurs travailleur(s) subisse(nt) un dommage psychique, qui peut également s’accompagner d’un dommage physique, suite à l’exposition à des composantes de l’organisation du travail, du contenu du travail, des conditions de travail, des conditions de vie au travail et des relations interpersonnelles au travail, sur lesquels l’employeur a un impact et qui comportent objectivement un danger. Rôles précisés « Au-delà du champ qui s’élargit, l’objectif de la nouvelle législation consiste également à tout d’abord renforcer la prévention au niveau collectif puis, le cas échéant, à prévoir des procédures individuelles accessibles aux travailleurs », note-t-elle. Une analyse des risques de situations de travail dans lesquelles un danger est détecté peut être demandée par minimum un tiers des représentants des travailleurs au Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) ou par un membre de la ligne hiérarchique. Lorsque la prévention au niveau collectif n’a pas pu prévenir la survenance de situations dommageables, le travailleur qui estime subir un dommage à sa santé découlant des risques psychosociaux au travail doit avoir accès à des procédures internes qui ont été élargies à l’ensemble des risques psychosociaux (et ne se limitant plus aux situations de violence ou harcèlement). On parle désormais de demande d’intervention psychosociale formelle ou informelle, et plus de plainte motivée. Il n’y a pas ici de protection contre le licenciement associée. De plus,


dossier 2

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Charlotte Demoulin S.P.F. Emploi « La philosophie de la législation est d’inciter les employeurs à se mettre davantage à l’écoute de ce qui se passe dans leur entreprise et à prendre des initiatives. » © Christophe Lo Giudice

nouveauté importante : lorsque la demande du travailleur présente un caractère collectif, c’est-à-dire que le travailleur dénonce une situation qui concerne potentiellement d’autres travailleurs, cette demande sera traitée par l’employeur en concertation avec son CPPT ou sa délégation syndicale. « La procédure pour harcèlement est maintenue en parallèle, avec la protection, et améliorée, l’idée étant qu’on ne l’invoque plus que dans les cas avérés, et non pas de façon parfois quelque peu hâtive », observe Charlotte Demoulin. Le rôle des différents acteurs impliqués dans la prévention des risques psychosociaux - à savoir l’employeur, la ligne hiérarchique, le CPPT, la personne de confiance, le conseiller en prévention aspects psychosociaux, le conseiller en prévention-médecin du travail, le conseiller en prévention du service interne pour la prévention et la protection au travail a été précisé, ainsi que la communication des informations entre eux. « Cette nouvelle législation a le mérite d’envoyer un signal fort exprimant explicitement l’existence des risques psychosociaux

au travail, analyse Valérie Flohimont, directrice de recherche sur le bien-être au travail à l’Université de Namur. Elle met l’accent sur des phénomènes de plus en plus documentés par la recherche scientifique. » Pourtant, elle n’était pas partisane d’une modification de la loi qui permettait déjà d’entreprendre des actions par rapport à la charge psychosociale. « Comme souvent en Belgique, la loi fait l’objet d’adaptations à la suite d’événements dramatiques, dans ce cas-ci l’affaire MacTac où, outre les faits de harcèlement, des manquements dans la prévention des risques psychosociaux avaient été constatés. Mais le vrai enjeu n’est pas de se limiter à respecter des obligations légales, mais bien de faire du bien-être au travail, et donc de la prise en charge des risques psychosociaux, un véritable projet d’entreprise, répondant aux impératifs d’un projet business. » Un investissement A première vue, la notion de « risques psychosociaux » peut apparaître tellement large qu’elle en deviendrait presque insaisissable. Dès lors, comment les employeurs doivent-

ils procéder pour répondre à ces nouvelles obligations, tout en essayant par ailleurs de s’inscrire dans une orientation plus ambitieuse ? « La philosophie de la législation est avant tout d’inciter les employeurs à se mettre davantage à l’écoute de ce qui se passe dans leur entreprise et à prendre des initiatives, appuie Charlotte Demoulin. Dans sa conception, nous avons essayé de veiller aux intérêts de chacun. S’intéresser à ces risques est en effet aussi de l’intérêt de l’entreprise. » Quelques chiffres en attestent : selon l’enquête nationale belge menée en collaboration avec la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, et portant sur 4.000 travailleurs, 28% de ceux-ci ressentent la plupart du temps ou toujours du stress au travail. Des études, comme Belstress, confirment la relation entre stress au travail et absentéisme. Ce stress serait à l’origine de 50 à 60% de l’absentéisme, ce qui représente des coûts énormes. D’après le Guide pour la prévention des risques psychosociaux au travail, la Fondation chiffre à 20 milliards d’euros le coûts économique du stress dans l’UE. Le Bureau international du Travail estime quant à lui que les pertes de qualité, l’absentéisme et le turnover résultant du stress représentent entre 3 et 4% du PIB des pays industrialisés. Le chiffres s’établit à 3,4% pour notre pays. « Dès lors, pour l’entreprise, investir dans la prévention va naturellement contribuer à réduire ses coûts », note Charlotte Demoulin. Signaux d’alerte Une première étape passe par identifier les risques propres à l’environnement de travail sensu lato et à les analyser. « La sensibilisation à la prévention des risques psychosociaux ainsi que leur diagnostic dans l’entreprise sont généralement des démarches pour lesquelles les employeurs ne rencontrent pas trop de problèmes, observe Isabelle Hansez, directrice de l’Unité

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dossier 2 Valérie Flohimont Université de Namur « Le véritable enjeu consiste à travailler sur le management au quotidien, en tapant sur le clou de façon régulière et sur le long terme. » © Christophe Lo Giudice

Les pertes de qualité, l’absentéisme et le turnover résultant du stress représenteraient entre 3 et 4% du PIB des pays industrialisés de Valorisation des Ressources Humaines de l’Université de Liège. Il existe suffisamment d’outils scientifiquement validés pour ce faire. » L’un des plus emblématiques est assurément le Woccq, une méthode de diagnostic des risques psychosociaux liés au travail développée à la suite de sa recherche de doctorat et qui est désormais utilisée par un vaste panel d’entreprises. La démarche proposée

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est de sonder toute la population de l’entreprise à l’aide d’un questionnaire standardisé de 80 items qui font tous référence à des situations de travail concrètes. Elle permet de situer l’entreprise par rapport à un benchmark, de détecter des problèmes spécifiques dans un département ou un service, ou encore d’identifier des parties de l’effectif plus à risques que d’autres. Toutes les organisations n’ont pas forcément

le temps, ni la volonté d’opérer pareil diagnostic. « Mais les sociétés disposent déjà en interne d’une série de données qu’elles n’exploitent pas suffisamment ou qu’elles ne mettent pas en corrélation, note Valérie Flohimont. Rien qu’en s’arrêtant sur l’absentéisme, le turnover, les accidents de travail, il y a déjà moyen de mettre le doigt sur pas mal de problématiques en les croisant avec les réalités du travail. On obtient alors des signaux d’alerte qui incitent à approfondir la réflexion : un taux d’accident plus élevé dans un service est-il lié à l’introduction d’une nouvelle technologie ou à l’ambiance délétère qui y règne ? Si des suicides surviennent, il faut s’interroger quant à savoir si les conditions de travail ont quelque-chose à y voir, sans présupposer que l’entreprise soit nécessairement en cause. Etc. » Les nouvelles dispositions légales imposent par ailleurs quelques actions bien précises : par exemple, adapter le règlement de travail et former les personnes de confiance à ces nouvelles obligations (lorsqu’une personne de confiance est désignée dans l’entreprise, ce qui n’est pas obligatoire). Une formation de minimum cinq jours, dont le contenu est déterminé par l’arrêté royal, est imposée ainsi que le suivi d’une supervision une fois par an. « Mais plus que de faire appel à un service externe, nous conseillons surtout aux entreprises de créer un espace d’expression et de faire parler les travailleurs sur ce qu’ils vivent, précise encore Charlotte Demoulin. Si la loi comporte par nature un certain formalisme, l’esprit qui a présidé à sa conception est d’encourager le dialogue dans l’entreprise et de chercher à faire évoluer les conditions de travail sans que ne soient nécessairement associées une plainte ou une procédure. » Lent mouvement Encore aujourd’hui, nombre d’entreprises s’arrêtent à cette phase de diagnostic, parfois faute de ressources ou faute de savoir quoi faire. « Le plus difficile réside en effet dans le passage des enseignements du diagnostic à la définition d’un plan d’action et, surtout, à sa mise en oeuvre et à son évaluation, souligne Isabelle Hansez. Une


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Isabelle Hansez Université de Liège « Au-delà du diagnostic, rares sont les entreprises où la démarche aboutit à développer une vraie réflexion organisationnelle : réaménager un service, clarifier des rôles et responsabilités,… » © D.R.

étude que nous avions menée en 2006 montrait que seule une entreprise sur deux passait à l’étape du plan d’action. Une autre étude réalisée en 2012 par des collègues de la KU Leuven révèle une proportion similaire. » Ces études montrent en outre un lent mouvement en faveur d’interventions sur les conditions de travail à proprement parler, plutôt que de se centrer sur les individus. « La tendance reste cependant à proposer surtout de la formation - par exemple en gestion d’équipe, sur la façon de faire face à l’agressivité des clients, etc., ajoute-t-elle. On met encore trop peu en question l’organisation du travail en profondeur : réaménager la situation d’un service, clarifier des rôles et responsabilités, remettre en cause le style de management, etc. Rares sont les entreprises où la démarche aboutit à développer une vraie réflexion organisationnelle. » Un fil rouge sur lequel insistent tant Isabelle Hansez que Valérie Flohimont porte sur le refus de recettes toutes faites. « Il est essentiel de partir de la culture d’entreprise, de son contexte et, surtout, de sa maturité par rapport à la gestion des risques psychosociaux, indique cette dernière. Le projet doit en outre se bâtir en concertation avec les collaborateurs, que ce soit par l’intermédiaire de structures formelles (CPPT ou délégation syndicale) ou en mettant en place un groupe de travail, composé par exemple de travailleurs motivés par le sujet. Ce type de dynamique permet de définir des priorités car les risques psychosociaux se matérialisent de façons très différentes selon les individus. » Injonctions paradoxales Valérie Flohimont explique encore ne pas croire aux grands programmes censés prévenir les risques psychosociaux au travail. « Le véritable enjeu consiste pour moi à travailler sur le management au quotidien, en tapant sur le clou de façon régulière et sur le long terme. Attention : l’idée n’est certainement pas de dire ‘Ce sont les méchants managers qui parlent mal aux pauvres travailleurs’ : il s’agit d’envisager le management dans sa globalité. Le middle management se situe

Nous conseillons aux entreprises de créer un espace d’expression et de faire parler les travailleurs sur ce qu’ils vivent au carrefour de contradictions énormes et le top management subit des pressions considérables : la question des risques psychosociaux se pose à tous les niveaux. » Une des causes principales affectant la santé physique et mentale des travailleurs est à trouver dans la somme des injonctions paradoxales auxquelles ils sont soumis. Exemples : d’une part, on dit aux collaborateurs de travailler en autonomie et de

prendre leurs responsabilités; de l’autre, ils sont soumis à quantité de procédures et de normes et, quand ils s’en écartent, le couperet tombe. On exige d’eux une excellence de service, mais lorsqu’ils s’adressent aux RH ou à l’IT, la réponse tarde ou ne résout rien. On demande de travailler en équipe, mais on récompense le meilleur vendeur ou l’employé du mois. Etc.

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dossier 2 De telles injonctions paradoxales sont destructrices au plan psychique et s’ajoute à une pression de plus en plus forte. Valérie Flohimont compare la situation à ces jeux vidéos de stratégie dans lesquels le joueur doit organiser ses batailles et affecter les sujets à différentes productions. « Quand on les affecte à 100%, certains se mutinent, d’autres tombent malade,… Pour qu’ils donnent le meilleur, il ne faut les affecter qu’à 85%. Dans les entreprises, on affecte les travailleurs à 115%. Ils n’ont plus l’occasion de respirer, d’avoir des contacts informels, de développer un soutien social… Imposer le chacun pour soi génère des conséquences que recouvre la notion de risques psychosociaux. » L’entreprise se trouve en réalité confrontée à la nécessité de faire attention à ce qui est

demandé aux travailleurs et à la cohérence des messages véhiculés, tant en interne qu’à l’extérieur. Parfois, des actions simples peuvent donner des résultats quasi immé-

L’entreprise doit veiller à la cohérence des messages véhiculés

diats. « Par exemple, prendre le temps de fêter ce qu’on a bien fait : la reconnaissance est bien un acte de prévention des risques psychosociaux, conclut-elle. Il s’agit aussi de donner sa place à la métacommunication, à savoir un espace pour dire que ça ne va pas. C’est vrai aussi pour le management. Le responsable d’équipe doit pouvoir exprimer qu’il est stressé et que ce stress, par exemple, l’a fait mal réagir. Il donne ainsi l’autorisation implicite aux membres de son équipe de reconnaître un problème avant qu’il ne dégénère. C’est bien joli les managers qui disent ‘Quand vous passez la porte de mon bureau, venez avec une solution et pas avec un problème’. Mais, parfois, il est bon de venir avec un problème et de chercher une solution ensemble, à deux ou en équipe… »

10 outils pour prévenir les risques psychosociaux :: 1. Le Guide pour la prévention des risques psychosociaux au travail, produit par la Direction générale Humanisation du Travail du S.P.F. Emploi, Travail et Concertation sociale et rédigé par les experts de l’Université de Namur. Cette publication d’une petite cinquantaine de pages clarifie la notion de risques psychosociaux et présente les étapes à suivre et des outils pour les prévenir. Il a été rédigé avant l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, mais reste néanmoins d’actualité pour sa partie méthodologique (gratuit - www.sesentirbienautravail.be/content/campagne_2013). :: 2. Le site du S.P.F. Emploi, Travail et Concertation sociale comporte une section sur la nouvelle législation relative à la prévention des risques psychosociaux au travail, avec des liens vers les textes légaux et des schémas de mise en oeuvre. Il est consultable via www.emploi.belgique.be/defaultNews.aspx?id=41918. :: 3. Le site www.sesentirbienautravail.be : fruit d’une campagne de sensibilisation du S.P.F. Emploi, Travail et Concertation sociale aux risques psychosociaux, il propose un outil simple de diagnostic fondé sur des situations de travail précises accessible aux travailleurs. :: 4. Le site www.respectautravail.be : il s’agit d’un site spécialisé comprenant des publications et des résultats de recherches sur les risques psychosociaux. On y trouve également une boîte à outils, des bonnes pratiques et des liens. Il s’adresse plus particulièrement aux acteurs de la prévention dans les entreprises. :: 5. Le Dictionnaire des risques psychosociaux, coordonné par Philippe Zawieja et Franck Guarnieri (Paris, Editions du Seuil, 2014), opère un inventaire audacieux, en 314 entrées rédigées par 251 contributeurs (dont plusieurs chercheurs belges), de tous les champs disciplinaires s’intéressant à la souffrance au travail. Il a récemment été primé par Académie des Sciences Morales et Politiques de l'Institut de France.

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:: 6. L’indicateur d’alerte pour les risques psychosociaux en entreprise doit permettre aux employeurs de détecter la présence de ces risques sur le lieu de travail. Développé par des équipes de l’Université de Namur et de la KU Leuven, il devrait bientôt être accessible (www.emploi.belgique.be/moduleDefault. aspx?id=39884). :: 7. La stratégie SOBANE, élaborée par plusieurs partenaires dont le monde académique, est une méthode développée pour aider les entreprises à mettre en place une gestion dynamique et efficace des risques professionnels. Elle comprend quatre niveaux d'intervention : Screening (dépistage), OBservation, ANalyse et Expertise. Pour en savoir plus : www.sobane.be. :: 8. Le site BeSWIC (www.beswic.be) contient un grand nombre d’informations sur le bien-être au travail : la santé, la sécurité, l’ergonomie, les risques psychosociaux,… Il s’agit du centre de connaissance belge sur le bien-être au travail. :: 9. Le site Woccq (www.woccq.be) développé par l’unité VALORH de l’ULg (www.valorh.ulg.ac.be) présente la méthode de diagnostic des risques psychosociaux élaborée sous la houlette d’Isabelle Hansez, avec le soutien des Services fédéraux des Affaires Scientifiques, Techniques et Culturelles (SSTC). Sa diffusion est soutenue depuis 2001 par le S.P.F. Emploi, Travail et Concertation sociale et le Fonds Social Européen. On y trouve beaucoup d’informations et d’approches d’intervention en matière de risques psychosociaux. :: 10. Les risques psychosociaux. Analyser et prévenir les risques humains, écrit par la Française Bénédicte Haubold (Editions d’Organisation, 2010, 2e édition), explique de façon très concrète, comment initier une démarche de prévention des risques humains au travail. Plusieurs DRH, chercheurs et autres acteurs du monde du travail y partagent leur expérience et leurs points de vue.


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Nathalie Delobbe (UCL) sur le lien entre bien-être et performance

Investir dans le bien-être est rentable texte

christophe lo giudice

Un travailleur bien dans son emploi et heureux au travail serait aussi un travailleur plus productif, plus performant. L’argument est souvent avancé, et parfois même brandi telle une nouvelle religion, mais est-il avéré ? Oui, nous dit une récente recherche de l’UCL.

Promouvoir le bien-être coûte à l’entreprise et relève d’une forme de responsabilité d’employeur, mais cela peut-il aussi générer une meilleure performance productive, commerciale et, in fine, comptable ? Autrement dit : est-il « rentable » d’investir dans le bienêtre des collaborateurs ? C’est ce qu’a exploré une recherche académique menée par Nathalie Delobbe et Roxane De Hoe, respectivement professeur de GRH et assistante de recherche à la Louvain School of Management (UCL). Elle a été menée à la requête de la DiRACT, la Direction de la Recherche sur l’Amélioration des Conditions de Travail du S.P.F. Emploi, Travail et Concertation sociale. Les deux chercheuses se sont focalisées sur un secteur permettant d’isoler des business units travaillant avec des indicateurs de per-

Temps forts :: Le bien-être coûte à l’entreprise, mais il génère aussi une meilleure performance productive, commerciale et comptable. :: L’évidence la plus probante du bénéfice qu’une entreprise peut tirer d’une politique de promotion du bien-être au travail porte sur la satisfaction de la clientèle. :: Les politiques RH trop centralisées se révèlent contre-productives pour différentes dimensions du bien-être perçu par les travailleurs.

formance comparables, à savoir la grande distribution. Batterie de variables Deux grandes enseignes belges ont accepté de participer à l’étude : quelque 945 salariés évoluant dans 44 magasins ont ainsi été interrogés. Une série étendue de variables ont été prises en considération : le rythme et la quantité de travail, les risques physiques, le contrôle sur le travail, le besoin de récupération, le stress, la clarté des rôles, la santé au travail, le soutien du supérieur hiérarchique, la reconnaissance, le plaisir au travail, etc. Cette enquête sur la charge psychosociale a été complétée par des entretiens semi-directifs avec les directeurs

performance économique (chiffre d’affaires, productivité), la performance commerciale (satisfaction de la clientèle) et la performance opérationnelle (pourcentage de rebuts, boni/mali). Elles ont ensuite croisé les indicateurs de bien-être et les indicateurs de performance pour identifier les corrélations positives ou négatives pouvant exister. Clients satisfaits La corrélation la plus marquante s’observe entre le bien-être au travail des salariés et la satisfaction des clients. Elle s’élève à .54, c’est-à-dire que plus de 25% des variations de satisfaction de la clientèle entre magasins apparaissent liées au degré de satisfaction exprimée par le personnel. Plus précisé-

Le bien-être du personnel est plus important pour le chiffre d’affaires que la satisfaction du client de magasins sur leurs pratiques de gestion du personnel et sur leur perception de la performance de leur magasin. Par ailleurs, Nathalie Delobbe et Roxane De Hoe ont rassemblé des données issues des indicateurs de suivi des performances utilisés dans les deux enseignes. Ils se répartissent en quatre catégories : la performance sociale (absentéisme, turnover), la

ment : les clients sont les plus satisfaits dans les magasins où le personnel jouit de meilleures conditions physiques de travail, d’un bon soutien social, d’une définition claire des rôles, d’un rythme de travail moins soutenu, et où il se dit moins stressé, plus satisfait et en meilleure santé. Le lien entre satisfaction du personnel et performance opérationnelle semble éga-

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dossier 2 Nathalie Delobbe Louvain School of Management « Trop peu d’entreprises font un diagnostic sur le bien-être au travail en opérant le lien avec les données de performances business dont elles disposent pourtant par ailleurs. » © Christophe Lo Giudice

lement bien réel. Ainsi, dans une des deux enseignes, il a été constaté que les magasins ayant le moins de rebuts sont aussi ceux où le personnel était plus satisfait. La corrélation avec la productivité apparaît par contre plus contrasté. Dans une des deux enseignes, moins de stress et de fatigue et plus de plaisir au travail sont associés à plus de productivité. Mais le constat exactement inverse se présente dans l’autre enseigne : les magasins les plus productifs sont, dans ce cas, aussi ceux où le personnel présente des niveaux moins élevés de bien-être psychologique. De façon moins surprenante, le lien entre bien-être et performance sociale apparaît très clairement. Le rythme et la quantité de travail, le stress, l’insuffisance perçue de compétences et le manque de soutien social sont des facteurs accroissant l’absentéisme. Le turnover semble, quant à lui, moins clairement dépendre du bien-être au travail des salariés, dans ce secteur d’activité à tout le moins. Best practices ? Sur base de cette recherche, Nathalie Delobbe met en exergue trois facteurs essentiels de nature à améliorer le bien-être des travailleurs : « D’abord et avant tout, le rôle du supérieur hiérarchique et de la direction du site. Ensuite, la justice perçue, c’est-à-dire le sentiment d’être traité de manière juste, transparente et équitable. Enfin, un climat de travail protégeant la santé et la sécurité physique du travailleur. Sans doute étonnante, cette dernière dimension a pourtant des effets majeurs, touchant jusqu’à l’attachement affectif des collaborateurs à l’égard de leur entreprise. La sécurité et la santé au travail sont donc plus qu’une question de prévention ou de médecine du travail : elles peuvent devenir un véritable outil de mobilisation et d’implication. » Voilà qui plaide pour une collaboration accrue entre services de prévention, médecine du travail et départements RH… Mais s’il est un résultat de l’étude qui doit interpeller les directions RH, c’est celui-ci : les magasins dans lesquels il est fait davan-

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La sécurité et la santé au travail peuvent devenir un véritable outil de mobilisation et d’implication tage usage de politiques RH centralisées - programmes de formation formalisés, techniques de sélection sophistiquées, plans de promotion et enquêtes de climat social mises à disposition par les services centraux - sont aussi ceux dans lesquels le climat de sécurité, le soutien social, la clarté des rôles et les indicateurs de bien-être psychologique et physique sont les plus bas. Autrement dit : ce que la littérature classique en GRH pointe

comme des « best practices » peut avoir des effets négatifs sur la perception de bien-être des travailleurs. Comment l’expliquer ? Dans les supermarchés, les directeurs de magasin disposent d’une certaine marge de manoeuvre dans la mise en oeuvre des politiques RH, que ce soit en matière de formation, d’évaluation, de promotion, de description des fonctions, etc. « Les directeurs qui appliquent le plus


dossier 2 fidèlement les politiques centrales s’investissent sans doute moins personnellement dans la gestion de leurs collaborateurs. A l’inverse, ceux qui ‘se mouillent’, donnent des formations sur le tas, sont plus présents sur le terrain, obtiendront une meilleure perception de bien-être de la part de leurs troupes. » Notons toutefois qu’une mise en oeuvre systématique d’entretiens annuels d’évaluation reste associée à des effets plutôt bénéfiques pour les salariés. Premier RH Plusieurs leçons peuvent être tirées au niveau des départements RH, souligne Nathalie Delobbe. « Habilitez autant que pos-

Faites du bien-être une préoccupation de votre équipe de direction La recherche de Nathalie Delobbe et Roxane De Hoe montre tout l’intérêt d’opérer des diagnostics sur le bien-être au travail qui soient corrélés aux performances. « Pour une des deux enseignes participant à l’étude, nous avons extrait une dizaine de dimensions les plus corrélées au bien-être du personnel et à la performance des magasins pour les utiliser comme véritables outils de monitoring : climat de sécurité, charge physique de travail, clarté de rôle, volume de travail, qualité du support du supérieur, soutien des collègues, compétences perçues, support de l’organisation en matière de bien-être, équité,… Quand des signes de détérioration se marquent dans l’une ou l’autre de ces dimensions, il est alors plus aisé d’entreprendre des actions bien ciblées. » Les indicateurs pertinents et leur importance vont varier d’une organisation à l’autre. « Il est donc utile d’établir son propre tableau de bord, conclut Nathalie Delobbe. Trop peu d’entreprises font ce type de diagnostic en opérant le lien avec les données de performances dont elles disposent pourtant par ailleurs. De la sorte, elles réduisent la portée de la démarche en la limitant au champ du service de prévention ou, au mieux, du département RH. Or, quand vous opérez ce lien avec les performances, le sujet devient important pour le directeur financier et pour le CEO, et il peut alors devenir une préoccupation de l’équipe de direction. »

sible le directeur du magasin à agir comme premier responsable du personnel, plutôt que de le positionner comme le rouage d’un siège central distant. N’investissez pas trop dans les procédures RH très centralisées perçues comme lointaines et impersonnelles, voire anonymes, et qui limitent la marge de manoeuvre des managers de ligne. » Autre conseil : « Incluez dans l’évaluation des managers des indicateurs d’évolution

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le chiffre d’affaires du magasin que la satisfaction du client, par exemple. Il s’agit donc bien d’une composante à part entière du monitoring de la performance. »

Ce que la littérature pointe comme ‘best practices’ peut avoir des effets négatifs sur la perception de bien-être des travailleurs du bien-être et de la satisfaction du personnel qu’ils pilotent. C’est d’autant plus crucial qu’on voit dans l’étude que le bien-être du personnel est beaucoup plus important pour

Le bien-être au travail contribue à la satisfaction des clients Avoir des collaborateurs satisfaits et bien dans leur job contribue à davantage satisfaire et fidéliser les clients. Cette assertion est une des composantes de l’équation proposée par Frederick Reichheld dans le livre The Loyalty Effect publié en 1996. Il la qualifiait de ‘cercle vertueux’ : des travailleurs satisfaits font des clients fidèles, ce qui contribue à faire progresser le chiffre d’affaires et les profits, ainsi que la valeur pour l’actionnaire. En retour, l’entreprise peut alors investir dans le développement des personnes, la reconnaissance et la qualité de l’environnement de travail, avec des effets positifs sur le bien-être et la satisfaction des collaborateurs. Vingt ans ont passé et, pourtant, ce cercle vertueux reste négligé dans les entreprises. La recherche de Nathalie Delobbe et de Roxane De Hoe apporte de l’eau au moulin de la dynamique présentée. « Il ressort nettement de notre étude que la réduction des risques physiques - à l’exception des gestes répétitifs et du travail sur écran - et l’amélioration du climat de sécurité au travail sont associées à une plus grande satisfaction des clients. Une meilleure clarté de rôle, plus de soutien du supérieur, un rythme et une quantité de travail et une insécurité d’emploi moindres vont également de pair avec des clients plus satisfaits. » Contrairement aux attentes, les clients sont aussi plus satisfaits dans les magasins où le personnel a moins de possibilités de participer aux décisions et d’exercer un contrôle sur son travail. Les deux chercheuses relèvent encore que les clients sont plus satisfaits dans les magasins où règne une plus grande justice procédurale dans la gestion du personnel. Elles observent des corrélations fortes et positives entre la satisfaction des clients, d’une part, et la satisfaction au travail et l’implication organisationnelle, d’autre part. Quant à la santé au travail, ici aussi les corrélations sont positives entre la satisfaction des clients et l’état de santé général du personnel, et négatives avec les soucis de santé et les douleurs et maux.

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Frédéric Gilmard (bpost) partage l’expérience bpeople texte

Le bien-être est un enjeu business

christophe lo giudice

En 2012, bpost a lancé le projet bpeople se focalisant en particulier sur le bien-être et l’engagement des collaborateurs. Il a débouché sur une vaste panoplie d’initiatives dont les premiers résultats sont perceptibles. Mais sa réelle originalité réside dans l’ancrage de la démarche dans les préoccupations business.

Au début des années 2000, la situation de la poste belge n’est pas brillante : une situation déficitaire, une qualité de service insuffisante, des clients insatisfaits, une productivité faible, une image terne d’administration assez lourde, le tout dans une perspective de diminution progressive des volumes de courrier traditionnel et d’une libéralisation totale du marché postal annoncée pour le 1e janvier 2011. Sous la houlette du CEO Johnny Thijs, l’équipe de direction prend le chantier à bras le corps en activant plusieurs leviers : gestion budgétaire rigoureuse et ambitieuse, modernisation du management, déploie-

Temps forts :: Une enquête de satisfaction, c’est bien. Mais entamer une démarche rigoureuse en matière de bien-être passe par l’adoption d’un outil de diagnostic scientifiquement validé et permettant de se comparer à d’autres organisations. :: Pour devenir une priorité du top management, la perspective bien-être gagne à être reliée aux enjeux business, en analysant les corrélation entre indicateurs de bien-être et KPI du business. :: Une bonne pratique consiste à permettre aux équipes de s’approprier leurs résultats, puis de les amener à définir leurs priorités et les actions adaptées à leur situation, dans un cadre global défini.

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ment d’un nombre important de projets de changement, automatisation des processus, partenariat avec la poste danoise,… Aujourd’hui, tous les observateurs en conviennent : bpost est devenu une entreprise très différente. Le chiffre d’affaires est passé de € 1.929 millions en 2003 à 2,4 milliards en 2013. L’EBIT a évolué de moins € 79 millions à plus 450,7 millions. Le niveau de qualité a beaucoup progressé, tout comme la satisfaction des clients. Les programmes de maîtrise des coûts et d’amélioration de la productivité ont même fourni des résultats dépassant les attentes avec, par exemple, une économie de 1.082 ETP pour la seule année 2013 qui s’est clôturée avec un bénéfice de € 248,2 millions Nouveaux défis En marge de ces beaux résultats, Johnny Thijs prend, dès 2011, conscience de la fatigue de son personnel générée par ces années de changement, voire d’un certain malaise. « Cette perception contrastait toutefois avec les résultats de l’enquête de satisfaction du personnel qui montrait une progression constante, confie Frédéric Gilmard, à l’époque responsable du projet bpeople chez bpost. Il nous fallait donc nous interroger quant à savoir si nous mesurions la réalité. Plus fondamentalement, les changements avaient été très nombreux, mais l’entreprise allait encore devoir se transformer en profondeur : il nous fallait nous assurer de pouvoir compter sur un personnel engagé et évoluant dans de bonnes conditions pour relever les défis qui se présentaient à nous. » Un de ces défis n’est autre que de faire face à la chute des volumes de courrier due à

l’évolution du multimédia. « Une partie de la perte de ces recettes est compensée par la croissance enregistrée au niveau des paquets, concède-t-il. Mais même si le marché des paquets est en croissance, le chiffre d’affaires qui s’y rapporte ne vaut toujours qu’un septième de celui du courrier traditionnel. Il nous faut dès lors trouver de nouvelles solutions, par l’innovation en matière de pro­duits et services, mais aussi en travaillant toujours plus sur la qualité de service et sur nos performances. » Dans une organisation aussi labour intensive, et avec un personnel de surcroît en contact quotidien avec les clients, bpost a pris la mesure du levier que peuvent représenter le bien-être et l’engagement de ses collaborateurs. Pour l’activer, la direction a pris le parti de faire appel à un chef de projet issu des opérations en la personne de Frédéric Gilmard. Son premier cheval de bataille : procéder au remplacement de l’enquête de satisfaction « maison » dont la pertinence et la validité pouvaient être questionnées, au profit d’une enquête scientifiquement validée permettant la comparaison de la situation de bpost avec celle d’autres sociétés. Ambition du top C’est ISW Limits, une spin-off de la KUL et de l’UCL, qui a remporté ce marché. Sur base de cette méthodologie, bpost a pu lancer son enquête bpeople en mai 2012 et se doter ainsi d’un premier diagnostic. Une série de questions se recoupant les unes les autres aborde trois dimensions : le contenu du job des individus, leur fonctionnement dans l’équipe et avec leur responsable, et l’impact des initiatives prises par l’organisation pour


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Frédéric Gilmard bpost « Si l’on parvient à ramener les zones de distribution enregistrant les moins bons résultats en matière de bienêtre et d’engagement au niveau des meilleures, l’entreprise en tirera un bénéfice directement chiffrable. » © Christophe Lo Giudice

des zones dans lesquelles les collaborateurs se disent les plus engagés montre une différence de 76% en termes de plaintes de la clientèle par rapport au « bottom-10 ».

contribuer au bien-être et à l’engagement des travailleurs. Fort de son ancrage business, Frédéric Gilmard a d’emblée compris toute l’importance d’aborder les questions de bien-être et d’engagement en lien avec les indicateurs

bué : depuis 2012, la direction s’est donnée pour nouvelle ambition de se retrouver dans la bonne moitié des entreprises belges en matière de bien-être au travail et d’engagement. » L’analyse croisée des résultats de l’enquête

L’engagement est revenu au niveau de la moyenne du marché et nous avons l’ambition de la dépasser d’ici 2016 de performance des activités. De la richesse des données produites par l’enquête, il a pu construire une série de corrélations très parlantes pour une équipe de direction. « Il faut bien admettre qu’en général, le bienêtre au travail passe un peu au-dessus de la tête du management, sauf si l’on parvient à démontrer qu’il s’agit d’un réel enjeu business, dit-il. La démarche bpeople y a contri-

et des indicateurs de performance, menée sur les soixante zones de distribution, représentant une population d’environ 18.000 personnes, montre par exemple que le « top-10 » des zones dans lesquelles les collaborateurs se sentent le moins stressés selon l’enquête affiche 23% de stress en moins et 24% d’absentéisme court-terme en moins que le « bottom-10 ». De même, le « top-10 »

Ouvrir le dialogue Frédéric Gilmard a alors émis plusieurs recommandations. Les priorités : insuffler une nouvelle culture en matière de leadership, s’attacher à mieux orchestrer et accompagner les changements et investir dans le « dialogue authentique » entre chaque couche hiérarchique, afin de canaliser le stress qui avait tendance jusque-là à surtout se répercuter sur la base. Deux autres domaines d’actions s’ajoutent : la gestion du stress - par la mise à disposition d’outils appropriés et un travail sur les équipes ‘dans le rouge’ - et une attention portée à la santé physique dans le contexte du vieillissement des effectifs. « Si la première étape de prise de conscience par le top de l’entreprise a été franchie avec succès et a permis de placer l’engagement et le bien-être plus haut sur leur agenda, la difficulté pour le business reste de traduire de manière concrète et tangible les priorités en plans d’actions », concède-t-il. Entre-temps, une deuxième enquête a été menée en mai dernier. Ses résultats montrent déjà une progression. « L’engagement est revenu au niveau de la moyenne du marché et nous avons l’ambition de la dépasser. Le niveau de stress s’est réduit, mais reste encore supérieur à la moyenne. » Pour poursuivre sur la voie de l’amélioration, bpost mise sur l’implication du terrain. « Dans une organisation aussi étendue, il faut tenir compte des spécificités des divisions et des départements. Leurs résultats leur ont été communiqués en les invitant à en tirer leurs propres conclusions et à définir le ‘top 3’ de leurs priorités, à traduire ensuite en actions concrètes. Une grande variété d’initiatives se met ainsi en place, avec la vertu supplémentaire d’ouvrir un dialogue avec et au sein des équipes… »

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Jacqueline Papin (Safran) sur l’anticipation des risques psychosociaux

La gestion des risques exige un apprentissage texte

christophe lo giudice

En France, les entreprises ont, depuis des années déjà, l’obligation de recenser et de prévenir les risques psychosociaux avec, à la clé, une obligation de résultat. Le groupe Safran n’a pas attendu la contrainte légale pour s’emparer du sujet. Avec de précieux enseignements à tirer de la démarche pluridisciplinaire engagée…

L’équipementier Safran, groupe de haute technologie et leader dans les domaines de l’aéronautique, la défense et la sécurité, fait partie des précurseurs dans la gestion des risques psychosociaux. Dès 2004, il s’est inspiré des méthodes de prévention du stress professionnel initiées au sein de sa filiale belge, Techspace Aero, pour étendre à ses différents sites l’outil de diagnostic Woccq. Etabli par l’ULg, ce questionnaire scientifiquement validé évalue les facteurs de l’environnement de travail qui sont sources de stress et/ou de stimulation. Cette démarche visait à prévenir les risques individuels et collectifs dans ce groupe de 66.300 personnes. « Le chantier a été entamé sur la base de

Temps forts :: Gérer les risques psychosociaux passe par une approche organisationnelle, axée sur les conditions de travail. Il sera toujours aléatoire de distinguer au plan individuel les facteurs de stress professionnels de causes liées à la vie privée. :: Un diagnostic global de l’organisation ne suffit pas: il faut tenir compte des différents contextes et des facteurs de risques spécifiques des différents secteurs de l’entreprise. :: La grosse difficulté à surmonter consiste à traduire les enseignements qui en découlent en plans d’actions.

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remontées d’informations et de problématiques qui nous ont persuadés de la pertinence d’agir de manière proactive, confie le docteur Jacqueline Papin, responsable de la coordination de la politique santé au sein de la direction du développement durable. Un groupe de travail a été mis en place, de façon pluridisciplinaire, en impliquant des médecins, les directions de sites, des opérationnels, etc., pour nous positionner en matière de prévention. »

C’est ainsi que, début 2011, un accord sur la prévention du stress au travail a été signé avec les organisations syndicales. Sur cette base, un plan d’actions ciblé a été mis en oeuvre, incluant la formation de l’encadrement et la sensibilisation des salariés, avec pour objectif de détecter plus rapidement les symptômes de stress et mieux les prendre en charge. Safran s’est également doté d’un référentiel SSE qui détermine les prescriptions minimales auxquelles chaque site dans

L’anticipation permet de ne pas ‘acheter’ un projet de changement avec les risques qu’il comporte Ces travaux ont abouti à la conviction qu’il fallait travailler sur les facteurs de risques, plutôt que sur leur matérialisation. Autrement dit: la prévention primaire. Celle-ci aide à réduire ou éliminer les risques professionnels avant l’apparition de conséquences néfastes éventuelles sur la santé, là où les préventions secondaires et tertiaires sont destinées à réduire les atteintes du stress et à intervenir en curatif. « L’approche organisationnelle nous semble être plus porteuse, dit-elle. Il sera en effet toujours aléatoire de distinguer au plan individuel les facteurs de stress professionnels de causes liées à la vie privée. »

le monde est tenu de se conformer, avec 27 standards qui intègrent notamment la prévention des risques psychosociaux. Même vocable Sur la période 2011-2013, un diagnostic a été effectué sur plus de 35 sites du groupe en interrogeant 20.000 travailleurs, en tenant compte des spécificités de chaque contexte de travail. Une analyse transverse a été menée au niveau des cadres. Chaque site a été amené à constituer un comité de pilotage qui, par la suite, a réalisé son analyse des résultats dégagés pour proposer des actions destinées à pallier les facteurs de risques.


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Jacqueline Papin Safran « Le diagnostic est moins à considérer comme un baromètre que comme un révélateur de problématiques et de types d’organisation dommageables, que l’on peut alors tenter de corriger à l’aide d’actions bien ciblées. » © D.R.

Deux outils se révèlent très utiles en ce sens: le référentiel SSE d’une part; et, d’autre part, l’instrument d’évaluation de l’impact humain de tout changement récemment introduit. « Chaque manager ou chef de projet doit désormais mener un diagnostic des risques psychosociaux en amont de tout changement envisagé. Dès lors que des facteurs de risques sont identifiés, un plan d’actions peut être mis en place pour les anticiper. Cet outil permet ainsi au management de prendre conscience qu’il ne faut pas ‘acheter’ un projet avec les risques sous-jacents qu’il comporte, mais qu’on doit les aborder au préalable. »

L’exercice n’a pas conduit à d’importantes surprises, ni alertes. « Le diagnostic a surtout conforté les perceptions et les remontées d’expériences que nous avions avec l’avantage de les objectiver, observe Jacqueline Papin. Chez les cadres, la gestion du temps, les injonctions paradoxales et, de façon plus surprenante, des questions de motivation ont été pointées comme facteurs de risques. Du côté ouvrier, nous avons surtout noté des facteurs critiques en matière de reconnaissance. » En tandem Autres vertus de la démarche: l’alignement sur un même vocable et une sensibilisation de tous à la problématique. Jacqueline Papin ne sombre toutefois pas dans l’angélisme: « Un tel processus reste lourd à initier, a fortiori sur un périmètre d’étude aussi large. Et la grosse difficulté consiste à traduire les enseignements qui en découlent en actions. Les facteurs de risques identifiés touchent à l’organisation, aux conditions de travail, et les managers ne savent pas forcément par où prendre ces sujets. Un accompagnement est indispensable: une fois que le diagnostic est posé, c’est là que tout commence. »

Une enquête aboutit à des moyennes, mais les différences entre sites sont nombreuses. « Une usine de câblage avec un effectif surtout féminin et un centre de R&D composé d’ingénieurs connaissent des facteurs de risques très différents, illustre-t-elle. Chaque établissement doit donc oeuvrer à construire un plan d’actions adapté, pertinent et réaliste. Au contraire de la Belgique, notre réglementation ne prévoit pas de conseillers en prévention, ni de personnes de confiance, ce qui amène à devoir faire davantage appel à des soutiens externes. En cela, les dispositifs prévus en Belgique sont beaucoup plus riches. » Safran a beaucoup misé sur les comités de pilotage et sur les directions des sites dans le déploiement du projet. Un choix porteur en termes d’adhésion, mais qui a eu pour conséquence un déficit d’implication des RH de proximité. « La direction de site gagne à travailler avec, pour chacun des secteurs, un tandem manager et RH de proximité pour établir et déployer les actions, avec les partenaires sociaux. Aujourd’hui, nous adaptons notre approche pour la rendre plus pragmatique et plus pérenne, en veillant à ce que les RH soient davantage partie prenante. »

Dans la durée Evaluer les fruits d’une telle gestion des risques psychosociaux demeure difficile. « Nous suivons de près les indicateurs mis en place, mais il serait délicat de vouloir comparer un ‘avant’ et un ‘après’. Le groupe évolue, les sites connaissent des changements, de multiples facteurs entrent en ligne de compte, explique Jacqueline Papin. Le diagnostic est moins à considérer comme un baromètre que comme un révélateur de problématiques et de types d’organisation dommageables, que l’on peut alors tenter de corriger au fur et à mesure à l’aide d’actions bien ciblées. Il s’agit d’une dynamique à mettre en place. » Le chantier entamé a permis de clarifier la problématique auprès de tous les acteurs et d’identifier précisément les facteurs de risques. « La question de l’après Woccq se pose, conclut-elle. Le recours à cet outil a été intellectuellement très stimulant et nécessaire pour arriver au point où nous sommes. Maintenant que cette éducation est faite, nous travaillons à une méthodologie spécifique à notre groupe, plus pragmatique, souple et ancrée dans la durée. Nous devons entrer dans une optique d’amélioration continue. »

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Maria Bruni (Bayer) sur la proactivité dans la prévention des risques psychosociaux texte

On ne peut faire de GRH sans investir dans le bien-être

christophe lo giudice

Complexe, trop formelle, presque punitive: Maria Bruni se montre critique à l’égard de la nouvelle loi sur les risques psychosociaux. Il faut dire que chez Bayer, le bien-être au travail est une préoccupation ancrée dans la culture d’entreprise. « Il ne faut pas s’y intéresser parce qu’une loi vous y oblige, mais parce qu’on trouve que c’est important, humainement et comme vecteur de performance », affirme sa DRH pour la Belgique. Pour la quatrième fois, Bayer s’est vu décerner le titre de « Top Employer » en Belgique à l’initiative d’un organisme indépendant. Les conditions de travail qualifiées par les chercheurs de « secondaires » ont été particulièrement appréciées. A savoir les aspects non financiers, dont le régime de travail et de congés, les possibilités en matière de communication interne et les programmes de bien-être. Bayer s’est également distingué dans les autres catégories: les conditions de travail dites « primaires » (rémunération), la formation et le développement, les possibilités de carrière et la gestion de la culture. Dans notre pays, cet acteur mondial actif dans les secteurs de la santé, de l’agriculture et des matériaux de haute technologie emploie 1.600 personnes avec un siège central pour la Belgique à Diegem, deux sites de production à Anvers et à Tielt et un centre de

Temps forts :: Le fait que les gens se sentent bien et viennent travailler avec plaisir pour des performances supérieures, ce n’est rien d’autre que la mission du DRH. :: Le nouveau cadre légal comporte le risque de réduire la question du bienêtre à une affaire de procédures. :: On n’en fait jamais assez en matière de bien-être au travail: un diagnostic régulier révèle de nouvelles pistes d’amélioration.

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recherche dans le domaine de la biotechnologie à Gand. « Nous faisons déjà beaucoup en matière de bien-être au travail, relève Maria Bruni, DRH de Bayer en Belgique. Mais il faut partir du point de vue qu’on n’en fait jamais assez, qu’il y a toujours de la marge pour faire plus et mieux, en particulier en accordant davantage d’importance à la prévention. » A ses yeux, la nouvelle législation relative à la prévention des risques psychosociaux a le mérite de mettre le sujet en tête des agendas. Mais c’est à peu près la seule vertu que Maria Bruni lui trouve. « La réglementation m’apparaît fort complexe, très formalisée et, dès lors, particulièrement peu adaptée à un environnement de travail comme le nôtre. » Au début de l’année à venir, tous les managers suivront une formation obligatoire sur le nouveau cadre légal. « Mais nous ne voulons pas que leur perspective du bien-être se limite à une question réglementaire ou de procédure, ce qui donne un caractère réducteur, voire punitif, à l’approche. » Eventail d’ingrédients La culture de bien-être au travail que prône Maria Bruni est toute différente. « Il ne faut pas s’intéresser au bien-être des collaborateurs parce qu’il y a une réglementation qui y oblige, mais parce qu’on trouve que c’est important, à la fois humainement et comme vecteur de performance, souligne-t-elle avec force. Le bien-être au travail s’inscrit dans l’ADN de toute approche RH ambitieuse: le fait que les gens se sentent bien et viennent travailler avec plaisir pour des performances supérieures, ce n’est rien d’autre que la mission du DRH. On ne peut pas faire de GRH sans s’intéresser au bien-être. »

Un large éventail d’ingrédients contribuent à la dynamique de bien-être promue chez Bayer: un bâtiment dernier cri et à la pointe en matière de durabilité, une ergonomie de travail soignée, la possibilité de télétravailler, la flexibilité des horaires d’arrivée et de départ, de la convivialité - avec, par exemple, un terrain de pétanque permettant aux collègues de se délasser aux beaux jours sur le temps de midi -, un système permettant

Le bien-être au travail, c’est aussi donner des perspectives d’avenir aux gens de pouvoir ‘acheter’ des congés supplémentaires, une offre de conciergerie (repassage, cordonnerie, etc.), des services médicaux incluant un check-up une fois tous les deux ans pour les 45+ et la vaccination contre la grippe, etc. « Le bien-être au travail, c’est aussi donner des perspectives d’avenir aux gens, ajoute Maria Bruni. Ce à quoi contribue notre sys-


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Maria Bruni Bayer « Nous montrons à nos collaborateurs que nous travaillons tous les jours à leur bien-être et que c’est un sujet dont ils peuvent nous parler librement. » © Christophe Lo Giudice

tème de Talent Management que l’on peut qualifier de très élaboré, incitant les collaborateurs à se développer sans cesse et leur ouvrant des possibilités d’évolution. Chez Bayer, tout le monde est considéré comme un talent. Il y a les collaborateurs qui ont le potentiel de grimper dans l’organisation et ceux qui peuvent et veulent évoluer dans l’entreprise par extension de leurs responsabilités, promotion latérale, job rotation, missions particulières, etc. » Surcharge de travail Tous les trois ans, l’entreprise fait appel à l’expertise de l’ULg pour mener une enquête sur ce que les membres de son personnel pensent de leurs conditions de travail et du contrôle qu’ils ont sur leur travail. « Le dernier diagnostic réalisé récemment délivre de très bons résultats sur tous les indicateurs, à l’exception de celui ayant trait au contenu et à l’organisation du travail, explique la DRH. Nous rencontrons un problème général de surcharge de travail, de cadences et de rythmes du travail. » La décision a donc été prise de travailler spécifiquement sur cette dimension. « Bien sûr, la masse globale de travail ne va pas diminuer, mais nous pouvons travailler sur la façon d’aborder le travail. » Des ateliers sur la gestion du stress ont ainsi été organisés,

sous la formule de Lunch & Learn. « Ils ont permis à chacun d’identifier sa propre sensibilité au stress, qui est différente pour tout le monde. Différents modules sont proposés, jusqu’à des accompagnements individualisés. Des sessions de time-management sont également en préparation, que ce soit en individuel ou en groupe. D’autre part, vu la grande diversité de ses activités, le nombre de sites et la taille de l’organisation, Bayer doit faire face à un haut niveau de complexité structurelle et organisationnelle. Pour éviter que cette complexité n’engloutisse trop de temps et d’argent, un programme de 'Complexity Reduction’ a été instauré. L'objectif consiste à démasquer les structures lourdes et les procédés inopérants et de trouver des solutions pour améliorer l'efficacité. « Moins d’un an après le lancement de l’initiative, nous constatons déjà que nos employés sont plus attentifs à la problématique et que des initiatives durables ont vu le jour. » Culture d’ouverture Une dimension importante, selon Maria Bruni, c’est de ‘désinstitutionnaliser’ la question du bien-être au travail. « Nous montrons à nos collaborateurs que nous travaillons tous les jours à leur bien-être et que c’est un sujet dont ils peuvent nous parler librement.

Il n’y a, par exemple, aucune honte à reconnaître qu’on est sous tension, qu’on n’y arrive pas ou qu’on n’en peut plus. Trop souvent, les gens continuent à venir travailler puis, à un moment, finissent par s’effondrer. Il faut donc créer une culture d’ouverture et de feed-back sur le sujet. » Dans cet esprit, la ligne hiérarchique a été formée à l’amélioration du feed-back et de la culture de la performance. « Le manager doit rendre son équipe performante, mais il doit aussi être à même de détecter si une personne en fait trop et la mettre en garde. Il est de la responsabilité de chacun de poser des limites, de trouver son équilibre, mais le manager peut y aider. L’important est de casser certaines croyances qu’on a soimême selon lesquelles il faut toujours en faire plus, alors qu’il est parfois nécessaire de faire autrement, de revoir son organisation de travail. » Voire de reconsidérer son organisation de vie, même si le sujet est délicat, conclut Maria Bruni. « Car le bien-être au travail ne peut être dissocié du bien-être global: la qualité de vie au travail n’est pas hermétique aux dimensions privées que sont les situations familiales, les contraintes liées au trafic, et un tas d’autres paramètres. Les sources de mal-être extérieures ne s’arrêtent pas aux portes de l’entreprise qui peut difficilement agir à ce niveau. Il relève de la liberté de tout un chacun d’en faire état ou non dans le contexte du travail. Nous constatons toutefois que nos collaborateurs se montrent assez ouverts et viennent parler d’éventuels problèmes ou frictions auprès des RH, ce qui me semble confirmer qu’il n’est pas souhaitable chez nous de formaliser davantage la façon d’aborder la prévention des risques psychosociaux. »

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Risques psychosociaux: chiffres et conseils méthodologiques

La notion de ‘risques’ aiguise le sens de l’urgence texte

christophe lo giudice

L’analyse des risques psychosociaux est une obligation pour l’entreprise mais, menée de façon ambitieuse et constructive, elle doit surtout permettre d’initier un plan d’action pouvant générer un véritable retour sur investissement. Conseils méthodologiques.

Dans les nouveaux textes entrés en vigueur le 1e septembre dernier, le législateur a fait le choix de parler de « prévention des risques psychosociaux » plutôt que de « promotion du bien-être ». Une philosophie moins positive ? « Parler de ‘risques’ met l’accent sur les problèmes, là où le bien-être au travail représente plutôt un idéal à atteindre, reconnaît Sylvia de Turck, Senior Consultant spécialisée dans la prévention psychosociale chez Securex. C’est comme regarder le verre à moitié vide ou à moitié plein. En pratique, le qualificatif ne change pas grand-chose. La notion de ‘risques’ a l’avantage d’aiguiser un ‘sense of urgency’ sur des problématiques qui remontent de plus en plus à la surface et sur lesquelles des directions pou-

Temps forts :: Le stress toucherait pas moins de 64% des travailleurs en Belgique, soit une hausse de 18% depuis 2010. Ce n’est pas la seule composante des risques psychosociaux qui connaisse une progression. :: L’important tient moins au type de méthodologie d’analyse des risques choisi qu’à l’adaptation de celle-ci à la culture et au contexte de l’organisation. :: La finalité ne réside pas tant dans le diagnostic, que dans le passage à un véritable plan d’action, ce qui implique de s’intéresser aux réalités vécues par les travailleurs.

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vaient tendre à fermer les yeux. La véritable nouveauté porte sur l’élargissement du domaine d’application, qui est une très bonne nouvelle. » La nouvelle législation porte sur une large variété de réalités. Les risques psychosociaux peuvent se traduire en angoisse, en dépression, en stress, en burn-out, mais également en problèmes de sommeil, par

rapport à l’année précédente, sauf en ce qui concerne les agressions (7% en 2012). Si les répondants se disent surtout victimes d’agressions provoquées par des personnes extérieures (55%), les collègues, les supérieurs hiérarchiques ou encore des groupes de collègues sont mis en cause dans respectivement 26%, 18% et 8% des cas.

Une bonne prévention des risques psychosociaux génère des retours positifs de l’hypertension, par un mauvais climat de travail, des conflits… L’unité HR Research de Securex collecte et analyse actuellement des données pour éclairer l’ensemble de la problématique, au-delà de la question du stress déjà très documentée. Un premier volet de l’étude mené sur un échantillon de 1.318 personnes représentatif du marché du travail belge montre ainsi que le stress toucherait pas moins de 64% des travailleurs en Belgique, soit une progression de 18% depuis 2010. Une autre enquête réalisée l’an dernier auprès de 2.088 travailleurs révélait par ailleurs que 11% des travailleurs s’étaient sentis discriminés au cours des 12 mois précédant: 10% se sont plaints de harcèlement moral; 1,4% de harcèlement sexuel et pas moins de 16% d’avoir subi une agression au travail. Ces chiffres restaient stables par

Boom des demandes Pour l’entreprise, dresser un diagnostic de ces risques dans son propre environnement et l’analyser ne sont pas chose aisée. « On observe une grande disparité dans leur prise en considération selon les entreprises, commente Sylvia de Turck. Certaines vont bien plus loin que ce que ne l’exige la législation, là où d’autres n’ont pas même mené l’analyse de base, voire n’ont pas de règlement de travail, en particulier dans les PME. » Ce n’est dès lors pas surprenant qu’avec l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, il y ait un boom des demandes d’analyse ou d’intervention sur ces questions. Les méthodologies d’analyse des risques psychosociaux se déclinent en deux catégories: les enquêtes quantitatives (questionnaire) et les analyses participatives (atelier, groupe de discussion, entretiens). « Les


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Sylvia de Turck Securex « Le diagnostic, surtout quand il est mené par questionnaire, n’est qu’une photo de ce qui va bien et de ce qui va moins bien. Ce n’est pas le plan d’action. Trop d’entreprises font cette confusion. » © D.R.

premières sont plus particulièrement adaptées pour les grandes et moyennes entreprises car elle livrent une vue sur la situation de toute une population. Elles permettent également la comparaison des résultats avec les moyennes du marché. Dans les plus petites structures, on préférera généralement une approche plus qualitative, la méthode quantitative comportant le biais que les résultats ne soient influencés par les ex­trê­mes et que les réponses soient trop facilement identifiables. » L’important, souligne Sylvia de Turck, tient moins au type de méthodologie choisi qu’à l’adaptation de celle-ci à la taille, à la culture et au contexte de l’organisation. Mais le principal enjeu réside encore ailleurs, dans le passage du diagnostic à un plan d’action. « Le diagnostic, surtout quand il est mené par questionnaire, n’est qu’une photo de ce qui va bien et de ce qui va moins bien. Ce n’est pas le plan d’action. Trop d’entreprises font cette confusion. Une fois que le diagnostic a révélé certaines problématiques, il est nécessaire de passer par une étape supplémentaire consistant à aller à la rencontre des travailleurs, à analyser leurs réalités, à solliciter les propositions qu’ils peuvent avoir et, ensuite, d’élaborer un plan d’action et des priorités. » Une certitude: l’employeur a beaucoup à gagner à opérer la démarche avec rigueur et sérieux, et non pas dans la seule perspective de répondre à l’obligation légale. « Une bonne prévention des risques psychosociaux gé­nère immanquablement des retours positifs, ne fut-ce qu’en matière de gestion de l’absentéisme, conclut la consultante. Conduire une analyse des risques approfondie tous les deux ou trois ans permet d’évaluer plus en profondeur les effets des actions mises en oeuvre, tout en restant prudent dans l’interprétation des résultats, d’autres facteurs - comme une réorganisation, par exemple - pouvant les impacter. »

Le stress coûte à l’employeur 3.750 euros par travailleur par an Le stress est une composante qui se retrouve souvent dans les entreprises, mais qui peut recouvrir des réalités très différentes selon les secteurs, les organisations, les services et même les individus. « De plus, sa qualification n’est pas toujours liée à la conception que l’on s’en fait, indique Sylvia de Turck. Un travailleur peut être stressé par sa charge de travail, parce que son ordinateur ne fonctionne pas bien ou parce qu’il subit trop de contrôle ou, à l’inverse, parce qu’il évolue avec trop d’autonomie. » Ce qui est certain, c’est que les travailleurs ne sont pas les seuls à être concernés par la problématique, les employeurs le sont aussi. « Lorsque les travailleurs ne peuvent plus gérer leur stress, ils s’exposent à des problèmes physiques et psychologiques », relève-telle. D’après l’étude menée par Securex, ces problèmes liés au stress sont responsables de plus d’un tiers des jours d’absence pour maladie et coûtent à l’employeur au moins 3.750 euros par travailleur et par an. L’excès de stress génère aussi une diminution des performances et a un impact négatif sur la rotation du personnel ainsi que sur la volonté des travailleurs de poursuivre leur carrière plus longtemps. Constats étonnants: les travailleurs peu qualifiés souffrent davantage de problèmes liés au stress (31%) que les personnes qualifiées (24%) ou les cadres (17%). Plus longtemps un travailleur travaille au sein d’une même entreprise, plus il souffre du stress: 18% des travailleurs actifs dans la même entreprise depuis moins d’un an souffrent de troubles liés au stress, contre 25% pour les personnes ayant une à dix années d’ancienneté et 31% quand celle-ci dépasse onze ans. Les travailleurs ayant un contrat à durée indéterminée souffrent en outre plus des problèmes liés au stress (28%) que leurs collègues à contrat à durée déterminée (19%).

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L’usage généralisé et incontrôlé des outils de communication génère des excès texte

Comment gérer l’hyperconnectivité

christophe lo giudice

Quelle(s) approche(s) l’entreprise doit-elle adopter face à l’hyperjoignabilité qui accroît la charge mentale et fait que le collaborateur ne déconnecte jamais réellement ?

Le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus connecté : nous pouvons être joint et joindre nos contacts (collègues, managers, fournisseurs, clients) n’importe où, n’importe quand. Les outils de communication se sont multipliés et leur usage s’est intensifié avec la généralisation des smartphones et tablettes. On parle d’hyperjoignabilité ou d’hyperconnectivité, terme inventé par les chercheurs canadiens Anabel Quan-Haase et Barry Wellman dans le cadre de leurs travaux sur la communication dans les sociétés en réseaux. Censé nous faciliter la vie et nous libérer de tâches à faible valeur ajoutée, le recours à ces outils est fortement chronophage. D’après une étude réalisée sur des détenteurs de smartphones (Institut Nielsen), le temps passé sur l’ensemble des applications ne cesse d’augmenter, d’environ 18 heures par mois fin 2011 à quelque 30 heures fin 2013. D’autres études montrent qu’une majorité des salariés consacreraient entre 20 minutes et une heure par jour à la gestion de leurs mails, un quart y passant plus d’une heure. Les évolutions technologiques et les usages associés tendent à rendre la frontière entre vie professionnelle et vie privée plus ténue, voire inexistante : 61% des salariés qui ont accès à leurs mails professionnels en dehors du bureau les consultent régulièrement le soir, 47% pendant le week-end, 43% pendant les vacances (Institut BVA/Tryane). Pour les cadres belges, travailler chez soi ou dans le cadre privé est devenu la norme : 71% le font (Randstad). Et la moitié des employés belges se disent joignables durant les congés pour répondre aux questions professionnelles urgentes, 16% l’étant même pour des demandes non urgentes (Securex).

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Gains d’efficacité ? Considérer que l’interconnexion permanente est par nature source de gains d’efficacité relève d’une certaine naïveté. « Diverses recherches montrent que c’est tout le contraire », relève Caroline Sauvajol-Rialland, professeur à Sciences Po Paris et à l’UCL, spécialisée dans le domaine de la surcharge informationnelle en entreprise. Ainsi, la surcharge informationnelle et communicationnelle est jugée responsable d’une baisse

d’attention unique et doit faire face à un flot d’informations toujours plus important, ce qui génère des sentiments de découragement, de frustration et d’incompétence. Et il sent bien que cette incompétence peut lui nuire. On expérimente aussi la peur de la déconnection, la peur des pannes informatiques, autant de nouvelles formes de vulnérabilité. D’où une situation de stress. » Caroline Sauvajol-Rialland interroge : le travail avec les technologies de l’information

Ce sont désormais les personnes qui communiquent le plus, et non le mieux, qui imposent leur tempo de productivité équivalente à 28% du temps de travail. Il a été démontré que le temps de reconcentration suite à une interruption, comme par exemple l’arrivée d’un mail, était de dix à vingt fois supérieur à la durée de la distraction elle-même. Autre enseignement de la recherche : il existe un nombre d’informations optimal à obtenir avant de prendre une décision. Si ce nombre est dépassé la qualité de la décision baisse. Or, les cadres ont tendance à recueillir de plus en plus d’informations afin de se rassurer et à attendre le dernier moment avant de la prendre. Il y a donc un risque de paralysie de l’action et de mauvaise décision. Enfin, la surcharge informationnelle et communicationnelle tend à accroître la charge mentale au travail : « L’individu dispose d’un canal

et de la communication ne nous fait-il pas replonger dans l’ère industrielle du travail à la chaîne ? « Il n’est plus question de travail manuel à la chaîne, mais de travail intellectuel à la chaîne, avec le même rythme cadencé, la même automatisation des gestes… » Rapport redéfini Comment l’entreprise peut-elle faire face au phénomène ? Caroline Sauvajol-Rialland ne voit guère d’alternative à la mise en place de ‘règles du jeu’, qu’on les appelle ‘politique’, ‘charte’ ou ‘code de conduite’. « L’enjeu dépasse la gestion des outils de communication : il faut remettre à plat notre conception du travail. La joignabilité permanente rendue possible par les TIC dérègle énormément de choses, par exemple le déroulement des


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Caroline Sauvajol-Rialland Sciences-Po Paris/UCL « La vraie rupture technologique se situe aujourd’hui entre ceux qui ont la capacité à gérer ces outils et ceux qui ne l’ont pas. » © D.R.

réunions au cours desquelles les cadres sont physiquement présents mais en fait engagés dans des échanges à distance, dit-elle. Ce sont désormais les personnes qui communiquent le plus, et non le mieux, qui imposent leur tempo et qui entraînent les autres dans une forme de surenchère communicationnelle. » Plusieurs entreprises, et non des moindres, en reviennent à une organisation davantage réglementée. Volkswagen a décidé qu’aucun message ne serait transmis aux employés 30 minutes après la fin de leurs heures de travail et 30 minutes avant reprise. Daimler a proposé l’installation d’un logiciel qui efface automatiquement les messages reçus par les salariés durant leurs congés. L’expéditeur est informé de leur absence, de l’effacement de son courriel et de l’adresse d’un collègue disponible. Au sein du Boston Consulting Group, le rapport des consultants au téléphone portable a été redéfini, en leur interdisant l’accès au réseau de l’entreprise sur certains créneaux horaires, et en leur imposant des journées ou soirées de repos total, à savoir sans téléphone. En avril dernier, le syndicat français des sociétés d'ingénierie et de conseil et bureaux d'études (Syntec et Cinov) signait avec les syndicats un accord incluant l’obligation de déconnexion des outils de communication à distance, pour un repos quotidien minimum de 11 heures consécutives. « C’est une très bonne initiative, estime Caroline Sauvajol-Rialland. Pour une entreprise de

conseil, il est évidemment essentiel d’être joignable pour ses clients, en particulier étrangers, à des heures où en France tout le monde dort. Mais cela n’implique pas le besoin que tous les collaborateurs soient joignables à tout moment. C’est une question d’organisation du travail. » Reprendre contrôle Si la mise en place de règles de bonne conduite paraît indispensable, celles-ci gagnent à être développées après une sensibilisation à la problématique et sur base collective. Au Boston Consulting Group, une petite équipe de six personnes a entamé la réflexion et de premières expérimentations, avant que l’initiative ne s’étende à plus de 900 équipes réparties dans 30 pays. Chaque équipe doit pouvoir identifier ses propres solutions axées sur des changements limités, mais concrets. « Un tel proces-

sus ne peut fonctionner que s’il est adapté à la culture de l’organisation et si l’exemple vient de la direction générale. Le management doit être exemplaire », précise Caroline Sauvajol-Rialland. La formation représente également un levier judicieux à activer. « Nous considérons hâtivement que l’usage des nouvelles technologies est inné, mais ce n’est pas le cas, conclut-elle. La vraie rupture technologique se situe aujourd’hui entre ceux qui ont la capacité à gérer ces outils et ceux qui ne l’ont pas. La formation peut aider à retrouver un sentiment de maîtrise de ses outils de travail et donc de son travail. » Dernier point d’attention : le côté addictif associé à la surcharge informationnelle. Les experts parlent du syndrome ‘Fear of missing out’ : l’individu a l’envie irrépressible de se connecter à des réseaux pour savoir ce qui s'y passe, ne pas rater un événement ou laisser échapper une information. Pour y faire face, des sessions de Mindfulness (Pleine Conscience) peuvent aider à se centrer sur le temps présent au lieu de chercher à se projeter dans un avenir immédiat. Des entreprises vont jusqu’à organiser des ‘camps de désintoxication pour hyperconnectés’ : durant ces retraites, le participant a l’obligation de ‘débrancher’. Et s’il se déconnecte d’internet, c’est aussi pour se reconnecter aux autres et à luimême…

Premières règles d’hygiène personnelle :: Eviter les e-mails, les « chats » et toute autre forme de connexion professionnelle à partir de 22 h :: Recourir à une To-Do List et, dans des plages horaires déterminées, limiter les temps de connexion aux médias et réseaux sociaux au strict minimum :: Planifier du temps pour des activités hors ligne déconnectées et à forte valeur ajoutée :: A lire : Infobésité - Comprendre et maîtriser la déferlante d’informations, de Caroline Sauvajol-Rialland (Editions Vuibert), et Sleeping with Your Smartphone : How to Break the 24/7 Habit and Change the Way You Work, de Leslie Perlow (Harvard Business Press Books)

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Décryptages

L’employeur peut-il être dédommagé en cas de rupture du contrat d’une personne dont il a financé la formation ? texte

La clause d’écolage

florence sine

La situation n’est pas inédite: un travailleur qui, aux frais de la société, a bénéficié d’une formation décide, après avoir suivi ladite formation, de quitter la société, voire de rentabiliser cette formation auprès de la concurrence. Est-il possible d’anticiper ou de remédier à une telle situation ? Le législateur permet, sous certaines conditions et dans certaines limites, de conclure une clause dite d’écolage. En vertu de cette clause, le travailleur s’engage, s’il démissionne (hors motif grave) ou s’il est licencié pour motif grave, à rembourser une partie des frais de la formation dont il a bénéficié, durant une période déterminée (maximum trois ans). Le montant des frais de formation à rembourser diminue à concurrence de l’écoulement de la période convenue. Ceci s’explique par la logique selon laquelle l’employeur bénéficie, au fil du temps, de la plus-value apportée par la formation suivie par ses collaborateurs. Jurisprudence et doctrine ont longtemps débattu au sujet de la validité de telles clauses d’écolage. La loi du 27 décembre 2006 a toutefois mis fin à la polémique en insérant un nouvel article 22bis dans la loi relative aux contrats de travail. Cet article définit comme suit la clause d’écolage : « Par clause d’écolage, on entend la clause par laquelle le travailleur, bénéficiant dans le cours de l'exécution de son contrat de travail d'une formation aux frais de l'em­plo­­yeur, s'engage à rembourser à ce dernier une partie des frais de formation en cas de départ de l'entreprise avant l'expiration d'une période convenue ». Pour quels travailleurs une clause d’écolage peut-elle être légalement prévue ? La clause d'écolage ne peut être reprise que dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée. Par ailleurs, la clause d'écolage est réputée inexistante lorsque la rémunération annuelle brute totale du travailleur, en ce compris tous les avantages, ne dépasse pas 32.886 euros bruts (montant

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de 2014). Afin d’être complets, soulignons qu'une convention collective de travail sectorielle, déclarée obligatoire par arrêté royal, peut exclure certaines catégories de travailleurs et/ou de formations de l'application de la clause d'écolage. Pour quelles formations ? 1. La clause d'écolage est réputée inexistante lorsqu'elle ne porte pas sur une formation spécifique permettant d'acquérir de nouvelles compétences professionnelles pouvant, le cas échéant, être valorisées en dehors de l'entreprise. Les travaux parlementaires précisent que la formation doit être spécifique, réelle et sérieuse. La for-

toute manière dans la fonction pour laquelle le travailleur a été engagé. Tel n’est pas le cas lorsque la formation donne au travailleur la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences professionnelles, utiles pour une autre fonction dans l’entreprise, ou lorsqu’elle a lieu en vue de constituer une réserve de recrutement ». 2. La clause d'écolage est également réputée inexistante lorsque la formation dispensée au travailleur est imposée par une disposition légale ou réglementaire en vue de l’exercice de la profession pour laquelle le travailleur a été engagé. De même, la clause d'écolage sera réputée inexistante lorsque la formation n'atteint pas une durée de

Les parties doivent rester libres de rompre le contrat de travail à tout moment mation concernée ne peut pas être une formation préalable obligatoire pour exercer le travail en question. Il ne peut donc s'agir d'une formation dont le suivi préalable est imposé légalement. Plus encore, la clause d'écolage ne peut pas concerner une formation ayant pour seul but « de se tenir au courant » des nouveautés dans les matières traitées par l'employeur. En cas de contestation, il reviendra au pouvoir judiciaire d’évaluer in concreto le caractère réel et sérieux de la formation. A cet égard, la cour du travail de Bruxelles a précisé, le 5 juin 2012 : « La clause d’écolage est nulle lorsque la formation est assurée de

80 heures ou une valeur égale au double du revenu minimum mensuel moyen garanti, tel que fixé pour les travailleurs de 21 ans ou plus par une convention collective de travail conclue au sein du Conseil National du Travail (à savoir 3.003,64 euros (montant 2014). En d'autres termes : une clause d'écolage n'est possible que pour des formations d'au moins 80 heures ou dont la valeur est au minimum égale à (actuellement) 3.003,64 euros. Conditions de forme Sous peine de nullité, la clause d'écolage doit être constatée par écrit, pour chaque travailleur individuellement, au plus tard au


Décryptages

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Florence Sine Avocat chez Claeys & Engels « Jurisprudence et doctrine ont longtemps débattu au sujet de la validité de telles clauses d’écolage. La loi du 27 décembre 2006 a toutefois mis fin à (certaines) polémiques. » © D.R.

moment où la formation dispensée dans le cadre de cette clause débute. Cet écrit doit mentionner : • une description de la formation convenue, la durée de la formation et le lieu où sera dispensée la formation ; • le coût de cette formation ou, dans le cas où ce coût ne peut être déterminé dans sa totalité, les éléments de coûts susceptibles de permettre une estimation de la valeur de la formation (la rémunération due au travailleur concerné dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail ainsi que les frais de transport ou de résidence ne peuvent être inclus dans le coût de la formation) ; • la date de début et la durée de validité de la clause d'écolage ; • le montant du remboursement d'une partie des frais d'écolage, pris en charge par l'employeur, que le travailleur s'engage à payer à l'issue de la formation, montant exprimé de manière dégressive par rapport à la durée de validité de la clause d'écolage; ce montant ne pourra pas dépasser les limites fixées par la loi (voir point 8 de la présente contribution). Durée de validité de la clause La durée de validité de la clause d’écolage ne peut excéder trois ans, et doit être fixée conventionnellement en tenant compte du coût et de la durée de la formation (elle doit donc être proportionnelle à « l’importance » de la formation suivie). Lorsque la formation donne lieu à la remise d'une attestation, la date de début de la validité de clause d'écolage coïncide avec la remise de l’attestation. Pour le surplus, il n’est pas aisé, sur la base du texte de l'article 22bis de la loi relative aux contrats de travail et des travaux parlementaires, de savoir quelle est la date de prise de cours de la clause d'écolage. Selon nous, en-dehors de l’hypothèse susmentionnée, la date de début de validité de la clause d’écolage légale est fixée librement par l’employeur et le travailleur, sans qu’elle ne puisse toutefois être fixée avant la fin de

la période de formation, puisque la loi prévoit que le remboursement par le travailleur aura lieu à l’issue de la formation, et non pendant celle-ci. Clause(s) conventionnelle(s) additionnelle(s) ? En cas de départ d’un travailleur en cours de formation, il serait légitime pour l’employeur de souhaiter récupérer une partie des frais exposés inutilement. La possibilité de prévoir conventionnellement des modalités de remboursement en cas de départ du travailleur de l’entreprise pendant la formation, ou en cas d’interruption de la formation sans motif valable, est controversée en doctrine. Selon une partie de la doctrine, la validité de ce type de clauses additionnelles pourrait être remise en cause sur base de l’article 6 de la loi du 3 juillet 1978, celui-ci prohibant les clauses visant à restreindre les droits des travailleurs : or, selon ce courant doctrinal, une telle clause aurait pour effet de restreindre le droit du travailleur de démissionner. Selon une autre doctrine, à laquelle nous nous rallions, il pourrait toutefois être soutenu que ces clauses sont licites, d’une part dans la mesure où aucune disposition légale ne les interdit explicitement et, d’autre part, sur base du principe d’exécution de bonne foi des conventions ancré dans le Code civil. Ceci s’inscrit par ailleurs dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure à la naissance de la réglementation relative à la clause d’écolage : en effet, avant que la clause d’écolage ne soit réglementée, la Cour de cassation ne s'opposait pas à la validité de la clause d'écolage dont le but était uniquement de réparer le préjudice subi par l’employeur du fait du départ prématuré du travailleur formé à ses frais. En revanche, la Cour n’admettait pas la clause dont l’objectif était de sanctionner le travailleur qui désirait démissionner en rendant l’exercice de ce droit plus coûteux et donc plus difficile : les parties doivent en effet rester libres de rompre le contrat de travail

à tout moment. Montant du remboursement Le montant du remboursement dû par le travailleur en cas de non-respect de la période convenue dans la clause d'écolage ne peut excéder : • 80% du coût de la formation en cas de départ du travailleur avant un tiers de la période convenue ; • 50% du coût de la formation en cas de départ du travailleur au cours de la période comprise entre un tiers et deux tiers au plus tard de la période convenue ; • 20% du coût de la formation en cas de départ du travailleur au-delà de deux tiers de la période convenue. Toutefois, ce montant ne peut en aucun cas excéder 30% de la rémunération annuelle du travailleur. Les frais qui sont visés sont les frais d’enseignement effectifs/frais de formation. La rémunération du travailleur, les frais de transport ou de résidence ne peuvent être considérés comme des frais de formation. Effet de la clause d'écolage La clause d'écolage ne produit pas ses effets s'il est mis fin au contrat : • soit pendant les 6 premiers mois du contrat de travail ; • soit après les 6 premiers mois du contrat de travail par l'employeur sans motif grave ; • soit après les 6 premiers mois du contrat de travail par le travailleur pour motif grave dans le chef de l’employeur. La clause d'écolage ne produit également pas ses effets lorsque le contrat de travail prend fin dans le cadre d'une restructuration telle que visée par la loi du 23 décembre 2005 relative au pacte de solidarité entre les générations et ses arrêtés d’exécution.

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Décryptages I Jurisprudence

Gaëlle Willems Avocat chez Claeys & Engels « L’incapacité de travail doit être appréciée au regard des tâches convenues. Elle n’est donc pas incompatible avec l’exercice de toute activité. » © D.R.

texte

Absente et… au travail ailleurs Une infirmière était en incapacité de travail chez un employeur, mais occupée en même temps auprès d’un autre... Une infirmière occupée au sein d’une maison de repos se trouve en incapacité de travail. Elle a remis à cet effet plusieurs certificats médicaux émanant de son médecin traitant confirmant cette incapacité et préconisant une reprise à court terme dans un travail adapté nécessitant moins d’efforts physiques. Son employeur apprend que, pendant sa période d’absence pour incapacité, la travailleuse effectue des prestations similaires auprès d’une institution hospitalière. Il rompt par conséquent le contrat de travail pour motif grave. L’infirmière conteste ce licenciement pour motif grave devant le tribunal du travail de Bruxelles. L’infirmière était au service de l’employeur depuis un peu plus d’une année (à temps partiel) lorsqu’elle tombe en incapacité de travail. Son incapacité est justifiée à l’appui de plusieurs certificats émanant de son médecin traitant. Le dernier certificat remis par la travailleuse fait par ailleurs mention de la nécessité d’une reprise, au terme de la période d’incapacité, dans un travail adapté (sans charge pour le dos et sans toilettes de patients). Pendant la période d’incapacité de la travailleuse, il revient à l’employeur que cette dernière exercerait des fonctions d’infirmière auprès d’une institution hospitalière. Après avoir vérifié, par voie d’huissier, la réalité des rumeurs circulant à ce propos, l’employeur rompt le contrat de travail de l’infirmière pour motif grave. Rupture de confiance Dans le cadre de sa contestation en justice, la travailleuse invoquera tout d’abord le fait que son licenciement serait irrégulier car tardif. Un employeur est en effet légalement tenu de notifier la rupture du contrat pour motif grave dans les trois jours ouvrables de la connaissance suffisante des faits. La travailleuse estimait en l’espèce que si l’employeur avait pu, à une date précise, dépêcher un huissier auprès de son autre employeur, c’est parce qu’il disposait déjà antérieurement d’une information suffisamment précise quant aux faits reprochés. Le tribunal du travail ne va pas suivre cette argumentation, confirmant le principe selon lequel le délai légal de trois ouvrables ne

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gaëlle willems

commence à courir que lorsque la personne investie du pouvoir de donner congé dispose d’une connaissance suffisante des faits. En l’espèce, le tribunal estime que ce moment ne se situait qu’au jour de la prise de connaissance, par l’employeur, du procès-verbal de constat dressé par l’huissier. Le tribunal va ensuite considérer que le licenciement pour motif grave est également fondé. Le tribunal rappelle à cet effet que l’incapacité de travail doit, au sens de l’article 31, § 1er de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, être appréciée au regard des tâches convenues. Elle n’est donc pas incompatible avec l’exercice de toute activité. Dans la mesure où il était établi que les fonctions exercées par la travailleuse, pendant sa période d’incapacité déclarée, en qualité d’infirmière auprès d’une autre institution hospitalière étaient au moins partiellement similaires à celles exercées auprès du premier employeur, le tribunal a estimé que les faits reprochés étaient de nature à rompre définitivement la confiance nécessaire à la pour-

La clause d'écolage ne peut être reprise que dans le cadre d’un CDI suite des relations de travail. Le tribunal a, à cet égard, également été sensible aux circonstances factuelles qui suggéraient notamment une corrélation entre l’incapacité déclarée et le refus par la travailleuse d’effectuer certaines missions faisant pourtant partie de ses fonctions (toilettes des patients, ...). La travailleuse avait également invoqué le fait que la société aurait dû faire usage de la procédure de contrôle médical avant de procéder à un constat par voie d’huissier. Le tribunal a rejeté cet argument considérant que cette seule circonstance, expliquée par un choix de l’employeur dans sa politique de gestion des ressources humaines, n’altérait pas la gravité des faits ayant fondé le congé.

Trib. trav. Bruxelles, 20 mars 2014, R.G. 12/13653A


Décryptages I INternational

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Dans quel pays se fait l’assujettissement à la sécurité sociale ?

texte

Lorsqu’un employé travaille dans plusieurs Etats membres de l’Espace Economique Européen (les Etats membres de l’UE, plus l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein) et/ou en Suisse, le pays dans lequel il doit être assujetti à la sécurité sociale est déterminé par les règles fixées dans le Règlement européen n°883/2004. Depuis l’entrée en vigueur de ce Règlement, un travailleur n’est en règle assujetti à la sécurité sociale que dans un seul Etat membre. Alors qu’une personne qui travaille dans plusieurs Etats membres peut être tenue de payer des impôts dans ces différents pays, les cotisations de sécurité sociale dues sur la rémunération de cette personne seront donc payées dans un seul Etat. L’Etat membre dans lequel un travailleur est assujetti à la sécurité sociale est en principe celui sur le territoire duquel le travailleur exerce son activité professionnelle. Cette règle est toutefois difficilement applicable lorsque le travailleur exerce structurellement et simultanément son activité professionnelle sur le territoire de plusieurs Etats membres. Quand est-il question d’une occupation simultanée dans plusieurs Etats membres ? Un travailleur sera considéré comme occupé simultanément dans plusieurs Etats membres s’il travaille physiquement sur le territoire de plusieurs Etats membres. Afin d’éviter un détournement des règles, on ne tient toutefois pas compte des « activités marginales » exécutées dans un Etat membre, à savoir les activités qui représentent moins de 5% du temps de travail global du travailleur.

Ainsi, si un travailleur preste 96% de son temps de travail total en Belgique et 4% en France, les activités exercées en France ne sont pas prises en compte pour la détermination de la législation de sécurité sociale applicable. Dans ce cas, le travailleur est considéré comme travaillant exclusivement en Belgique. Par contre, si le travailleur est occupé à raison de 80% de son temps de travail en Belgique, 15% aux Pays-Bas et 5% en Allemagne, il est considéré comme occupé simultanément sur le territoire de ces trois Etats. Comment calculer ? Dans quel Etat ce travailleur est-il assujetti à la sécurité sociale ? Si ce travailleur preste au moins 25% de son temps de travail global dans l’Etat membre sur le territoire duquel il réside, il est assujetti à la sécurité sociale de cet Etat. S’il preste moins de 25% de son temps de travail global dans son Etat de résidence, les règles sont plus complexes : • s’il n’a qu’un seul employeur, il est assujetti à la sécurité sociale de l’Etat dans lequel son employeur est établi. Toutefois, si son employeur est établi en dehors de l’EEE et de la Suisse, il reste alors assujetti à la sécurité sociale de son Etat de résidence; • s’il a plusieurs employeurs (par exemple en cas de salary split) et que ceux-ci sont établis dans deux Etats membres dont l’un est l’Etat de résidence, le travailleur est assujetti à la sécurité sociale de l’Etat membre autre que l’Etat de résidence; • s’il a plusieurs employeurs qui sont établis dans au moins deux Etats membres autres que l’Etat de résidence, le travailleur reste assujetti à la sécurité sociale de son Etat de résidence. Ainsi, un travailleur qui réside en Belgique, y travaille à concurrence de 20% de son temps de travail global pour une entreprise belge, et travaille en France à concurrence

jérôme deumer, avocat chez claeys

& engels

de 80% pour une entreprise française, sera assujetti à la sécurité sociale française : des cotisations de sécurité sociale seront dues en France sur la totalité de ses revenus. Si ce travailleur conclut un troisième contrat de travail avec une entreprise luxembourgeoise pour y travailler à concurrence de 20% de son temps de travail global, en réduisant ses activités en France (60%) et en maintenant ses activités en Belgique (20%), il ne sera plus assujetti à la sécurité sociale française mais bien à la sécurité sociale belge. Comment calculer les 25% ? Il est important de noter que, pour déterminer si le travailleur preste plus ou moins de 25% de son temps de travail global au sein de son Etat de résidence, il n’est tenu compte que du temps de travail presté au sein de l’EEE ou de la Suisse. Ainsi, si un travailleur voyage fréquemment aux Etats-Unis (à concurrence de 30% de son temps de travail par exemple), les 25% seront exclusivement calculés sur la partie « européenne » de son activité (soit sur 70% du temps de travail global). L’évaluation du temps de travail consacré par le travailleur à ses activités au sein des différents pays se fait par ailleurs de manière anticipée, sur base des prévisions pour une année calendrier complète. Si la situation du travailleur ne constitue pas une « occupation simultanée sur le territoire de plusieurs Etats membres » (par exemple parce que le seuil de 5% n’est atteint dans aucun autre pays), on considère que le travailleur est occupé dans un seul Etat membre.

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horizons

Emeline Bourgoin Dailymotion « Nous avons des managers, mais plutôt des ‘Skills Managers’ dont le rôle consiste à animer les communautés, à faire grandir les compétences des salariés et à nourrir ces derniers de façon à ce qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes… » © D.R.

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horizons

Emeline Bourgoin (Dailymotion) sur le développement RH d’une start-up de l’internet texte

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L’entreprise gagne à sortir de ses frontières

christophe lo giudice

En neuf ans, Dailymotion est passé du rang de start-up à celui d’acteur incontournable de la vidéo en ligne. La société s’est muée en petite multinationale à même de rivaliser avec le géant américain du secteur. Au coeur du développement des produits et services, la créativité et l’innovation sont aussi devenus un leitmotiv dans la gestion de l’humain, comme nous l’explique Emeline Bourgoin, Vice-president HR de Dailymotion. Dailymotion fait partie de ces marques à la notoriété forte dont le grand public sait peu de choses sur les entreprises qui les animent. Créée au printemps 2005 à Paris, cette plateforme qui héberge des vidéos sur le net ne peut plus vraiment être qualifiée de « startup ». Avec 120 millions de visiteurs uniques et quelque 2,5 milliards de vidéos vues chaque mois, elle est devenue le premier site

Temps forts :: A l’instar de Dailymotion, l’entreprise en croissance doit réussir à tirer parti des avantages qu’offre plus de structuration, tout en préservant les forces de la start-up : agilité, créativité, esprit entrepreneurial, ouverture au monde… :: La digitalisation ouvre de nombreuses opportunités pour les RH, que ce soit au niveau des processus, mais aussi dans les outils permettant de nouveaux développements en matière de recrutement, de formation ou de partage de connaissances. :: La confiance et la responsabilisation prennent le pas sur un management hiérarchisé, tout en insistant sur le fait que la réussite ne peut se gagner qu’en équipe.

débit en pleine expansion. D’après certaines prévisions, 90% du trafic sur internet sera du contenu vidéo en 2017. Son capital humain est clairement vu comme un levier de succès. Depuis trois années, Dailymotion a réalisé un chemin considérable en matière de gestion de ses ressources humaines, sous la houlette d’Emeline Bourgoin. « A mon arrivée, l’entreprise employait

Les collaborateurs sont suffisamment adultes pour pouvoir se gérer eux-mêmes internet européen, toutes catégories confondues. Elle offre 18 versions linguistiques et 35 déclinaisons de sa page d’accueil proposant des contenus locaux distincts. L’entreprise qui emploie 220 collaborateurs est même devenue une petite multinationale avec des implantations en Allemagne, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, à Singapour et au Japon. La prochaine ouverture est déjà planifiée sur le Brésil. Au total, une trentaine de nationalités s’y côtoient. Dailymotion n’hésite pas à endosser le rôle de David contre Goliath face à son plus gros concurrent, le géant YouTube. Fort d’un positionnement et d’approches sensiblement différents notamment à l’égard de ses partenaires, il trace son chemin, confiant dans le potentiel énorme qu’offre l’internet à haut

95 personnes et la gestion de celles-ci se faisait à l’ancienne, avec un gros coffre fort dans le bureau où l’on rangeait tous les dossiers du personnel, raconte celle dont le CV inclut de très belles expériences (Canal+, Timberland, Cegelec). A chaque fois que l’on franchit un cap de 100 personnes, de nouveaux défis RH se présentent et ils exigent de montrer la même capacité d’innovation que celle qu’on attend des collaborateurs. » Dailymotion, ce n’est plus à proprement parler une start-up, mais la voyez-vous pour autant comme une entreprise « classique » ? Emeline Bourgoin : « Une start-up se caractérise par des effectifs réduits, très orientés

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horizons sur le développement technologique et commercial, avec des façons de travailler qu’on pourrait qualifier de désinvoltes : à défaut de pouvoir se permettre d’avoir des personnes dédiées, tout le monde y fait un peu de tout de manière flexible, mais peu structurée. C’est un mode de fonctionnement qui possède ses vertus pendant un temps, mais qu’il faut dépasser pour devenir une organisation fiable, pérenne, capable de s’adapter à un environnement concurrentiel évoluant très rapidement. Dailymotion a passé le cap : nous sommes ‘sortis de notre garage’ (pour paraphraser l’histoire de Bill Gates qui a démarré Microsoft dans un garage avec son ami d’enfance) pour nous structurer et nous organiser de façon plus professionnelle. Mais, contrairement à ce que l’on qualifierait d’entreprise ‘classique’, nous veillons à grandir en préservant l’entrepreneuriat et l’agilité qui font la grande force de la start-up. Par exemple,toute structuration porte en elle l’opportunité que les collaborateurs puissent se concentrer davantage sur leur savoir-faire et leur expertise. Mais elle porte également en elle le risque qu’ils croient pouvoir devenir mono-tâches. Or, il ne faut surtout pas appauvrir sa capacité à regarder et comprendre ce que font les autres, son ouverture d’esprit par rapport à ce qui bouge sur le marché. » Quelles ont été vos premières initiatives pour bâtir une approche RH moderne ? Emeline Bourgoin : « Dans un environnement comme le nôtre, il convient de saisir les opportunités que nous offre le digital. C’est à la fois une question de performance et un enjeu de cohérence interne étant donné notre coeur de métier. Nous fonctionnons avec plusieurs équipes réparties en différents endroits du monde. Pour être efficace, chacune d’elles doit pouvoir participer activement à l’organisation. Il y a ensuite une dimension de transparence et de clarté pour l’ensemble des collaborateurs. Une première priorité a donc été d’assurer la dématérialisation de l’administration du personnel et de la GRH - digitalisation des dossiers du personnel, fiche de paie électronique, outil d’entretien annuel en ligne, gestion online des formations, etc. -, de telle sorte de nous libérer de paperasseries et de processus lourds et peu valorisants. L’équipe RH est là pour accompagner les équipes et les individus et mettre à leur disposition les moyens utiles pour qu’ils puissent exercer leur rôle au mieux. Nous avons ainsi pu concentrer notre temps et notre énergie à de vrais enjeux humains, à l’animation des réseaux de collaboration en interne et à la stimulation de la créativité et de l’innovation. »

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Comment avez-vous par ailleurs géré la forte croissance de l’organisation ? Emeline Bourgoin : « Tout d’abord en accompagnant l’internationalisation. Je participe à l’ouverture de toute nouvelle filiale, en veillant à la doter du socle RH nécessaire et à lui permettre d’être attractive tant pour les salariés locaux que pour la mobilité interne au sein de l’entreprise. Il nous faut à chaque fois équilibrer l’adaptation aux spécificités locales et la préservation d’une dynamique d’organisation globale. Par ailleurs, de gros

La vidéo est par ailleurs utilisée sur le site jobs pour présenter l’entreprise, avec le recours à des collaborateurs interviewés librement et spontanément sur leur vécu. » Quels sont les profils que vous recherchez et comment les trouvez-vous ? Emeline Bourgoin : « La culture d’entreprise est très axée sur le produit technologique : l’équipe technique représente quasi 50% de l’ensemble de l’effectif. Nous recherchons des ingénieurs développeurs, chefs de pro-

Nos experts sont bien mieux placés que nous pour parler technologie avec de potentiels candidats investissements sont faits en matière de partage de connaissances, par exemple en assurant que les salariés historiques fassent bénéficier leurs nouveaux collègues de leurs expériences. » En cohérence avec votre coeur de métier, vous recourrez beaucoup à la vidéo. En quoi est-ce un outil intéressant en matière de GRH ? Emeline Bourgoin : « La vidéo est beaucoup utilisée pour ce partage de connaissances et permet de communiquer sans être contraints par les distances. Nous l’utilisons aussi en recrutement. L’entretien de recrutement est généralement précédé d’un préambule par téléphone pour qualifier le candidat après le tri des CV. Désormais, cette étape se fait par vidéo : nous envoyons au candidat un lien vers un interface vidéo où il est amené à répondre à quelques questions clés, notamment sur un critère essentiel pour nous qui est la maîtrise de l’anglais. La vidéo est ensuite partagée avec les différentes personnes impliquées dans le recrutement pour décider de passer ou non à l’étape suivante. L’outil nous permet de gagner beaucoup de temps en ce sens qu’il évite aux RH de nombreux appels téléphoniques -, mais également d’avoir des profils mieux qualifiés invités aux entretiens, choisis sur base collaborative entre les RH et les opérationnels. Il suscite en outre de la créativité chez le candidat : certains sont impressionnés et sérieux, d’autres se met­ tent en situation et osent parfois beaucoup.

jets, spécialistes du design d’applications mobiles, du machine-learning, mais aussi des compétences en marketing digital, à cheval entre les spécialités informatiques et marketing web. Ces talents étant rares, le recrutement se fait à 40% par cooptation. Nos experts fréquentent de nombreux sites spécialisés et plateformes de type GitHub et autres, ce qui leur permet d’hameçonner des profils qui pourraient être intéressants et de les proposer aux RH. Nous prenons alors le relais. C’est de cette façon que, par exemple, nous avons pu récemment nous attacher un profil d’expertise rare, un Français établi en Chine et qui voulait revenir au pays. C’est quelqu’un que nous aurions eu très peu de chances de trouver par les voies de recrutement classiques. D’autre part, nos experts sont bien mieux placés que nous pour parler technologie avec de potentiels candidats. Dans la même idée, nous organisons beaucoup de conférences sur tous nos sites en lançant des invitations vers différentes communautés d’experts et nous pouvons ainsi détecter des compétences pouvant venir nous renforcer. » Le numérique est un monde qui évolue très vite. Quel impact cela a-t-il en RH ? Emeline Bourgoin : « L’impact se mesure très directement dans l’investissement engagé en formation. En France, nous connaissons une obligation de dépense de 0,9% de la masse salariale en formation. Chez Dailymotion, nous investissons quasiment 3% en


horizons la matière, et cette proportion est identique dans les pays où cette obligation n’existe pas. Nous encourageons aussi la participation des travailleurs à toutes sortes de conférences et événements extérieurs où ils vont pouvoir rencontrer des pairs ou des personnes qui vont ouvrir leurs horizons. Cette ouverture, cette ‘porosité’ vers l’extérieur, permet de grandir. Il nous faut encourager l’entreprise à sortir de ses frontières à tous les égards, que ces frontières soient physiques, géographiques ou intellectuelles. »

Il nous faut équilibrer l’adaptation aux spécificités locales et la préservation d’une dynamique d’organisation globale Comment qualifieriez-vous la culture de votre organisation ? Emeline Bourgoin : « Le trait principal, outre la dimension multiculturelle, se résume dans la notion de liberté qui, pour nous, représente un vecteur fort d’innovation et de créativité. Cette liberté prend plusieurs formes. Tout d’abord, la liberté d’entreprendre : nombre de nos salariés ont d’autres activités à côté de leur emploi chez Dailymotion, que ce soit la création et l’animation de sites web sur des sujets qui les intéressent, mais aussi la possibilité d’entreprendre en interne en proposant de nouvelles idées qui peuvent se transformer en véritable projet clé pour Dailymotion, etc. Ensuite, la liberté de s’organiser : par choix, nous n’avons pas d’accord sur le télétravail, car nous ne voulons pas institutionnaliser ce qui doit rester une solution souple et flexible. Chacun a donc la liberté de travailler de n’importe quel autre endroit, de façon occasionnelle, en se mettant d’accord au préalable avec son manager et dans

le respect de son équipe et de l’organisation dans son ensemble. Il est toutefois bien clair pour tout le monde que la réussite vient de l’équipe : la liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres. Pour que cela fonctionne, les principes de base sont la confiance et la responsabilisation. Le dispositif est également soutenu par le système de rémunération : le bonus est octroyé sur base, d’une part, des résultats de l’entreprise et, d’autre part, sur l’atteinte des objectifs à raison d’une partie liée aux résultats individuels et d’une autre liée à la réussite de l’équipe. Si un membre de l’équipe faillit, c’est toute l’équipe qui se retrouve pénalisée. » Cet esprit entrepreneurial et d’innovation, comment le stimulez-vous en interne ? Emeline Bourgoin : « Jusqu’ici, nous l’avons envisagé de façon informelle et spontanée en misant sur la communication interne autour des projets et le partage d’idées. Depuis 2013, nous organisons une fois l’an un événement ‘Hackathon’ durant lequel nos salariés sont invités à passer 48 heures dans les locaux de l’entreprise et, en équipes, à imaginer des propositions d’innovations. Un jury sélectionne ensuite les idées les plus porteuses, avec à la clé des prix à gagner, et définit des priorités afin de leur donner vie. De cet exercice sont nées énormément de pistes de développement intéressantes. Cette année, nous avons encore enrichi le processus en conviant des personnes de l’extérieur, dont des étudiants. Pour aller plus loin, nous oeuvrons à la mise en place d’un laboratoire d’innovation, placé sous le pilotage du fondateur de l’entreprise. Ce

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savoir-faire internes et externes et de faire grandir en permanence nos équipes. L’autre défi majeur consistera à gérer la croissance d’une entreprise aux lignes hiérarchiques que nous voulons aussi courtes que possible. Pour offrir des perspectives d’évolution à nos collaborateurs, nous devons envisager des développements non pas hiérarchiques mais axés sur des champs d’expertises ou de nouveaux développements de produits ou services. Enfin, il s’agira d’accompagner le développement de méthodes de travail dans le respect d’un cadre légal qui n’est pas toujours adapté à des environnements comme le nôtre, nécessitant beaucoup de flexibilité. » Vous faites le choix de ne pas développer un management intermédiaire ‘classique’. Pourquoi ? Emeline Bourgoin : « Nous avons fait le choix délibéré d’une structure plate facilitant la prise rapide de décisions : des processus décisionnels qui dureraient six mois conduiraient rapidement à la mort de notre modèle fondé sur l’agilité et la capacité à être en pointe de nos métiers. Nous croyons aussi à la pertinence d’une approche qui donne la parole aux collaborateurs et qui les responsabilise, ce que ne favorise pas un management de type hiérarchisé. Les gens sont suffisamment adultes que pour pouvoir se gérer eux-mêmes. Nous n’avons pas des managers, mais plutôt des ‘Skills Managers’ dont le rôle consiste à animer les communautés, à faire grandir les compétences des salariés et à nourrir ces derniers de façon à ce qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes… »

Nous avons fait le choix d’une structure plate facilitant la prise rapide de décision dernier va animer cette communauté et encourager chacun dans l’entreprise à faire naître et développer de nouveaux projets, qu’ils soient liés à Dailymotion ou pas. » Quels sont les principaux défis RH que vous identifiez pour les années à venir ? Emeline Bourgoin : « Très certainement de continuer à faire coexister et se renforcer les

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RH du bout du monde

Isabel Carrion à Atlanta (Etats-Unis) texte

De ‘new sheriff in town’ à business partner

christophe lo giudice

Les Belges actifs en RH s’exportent bien. On en retrouve à des postes à responsabilités aux quatre coins de la planète dans des contextes très divers. Leur donner la parole nous ouvre à d’autres perspectives. Ce mois-ci, HR Square a « skypé » Isabel Carrion, Vice-President HR US & Canada chez UCB, basée à Atlanta.

La figure de l’Américain débarquant de son headquarter pour porter la bonne parole au personnel de la filiale belge relève d’un cliché que bien des cadres ont expérimenté. Isabel Carrion a vécu l’expérience inverse. « Les Etats-Unis représentent la moitié du chiffre d’affaires du groupe UCB dont le quartier général est à Anderlecht, confie-t-elle. Début 2012, j’ai reçu l’opportunité de prendre la responsabilité RH sur l’Amérique du Nord, soit 2.000 personnes réparties dans plusieurs sites. L’idée était de rapprocher les deux mondes, d’harmoniser nos façons de faire et de partager nos bonnes expériences. » Ingénieur commerciale diplômée de l’ICHEC, Isabel Carrion a débuté sa carrière dans l’audit financier chez KPMG, avant de faire ses armes en RH dans un cabinet de chasse de têtes spécialisé en profils financiers. L’expérience se termine lorsqu’elle se trouve elle-même chassée pour rejoindre le Boston Consulting Group en quête d’un RH interne. A l’été 2002, Isabel Carrion rallie le groupe UCB où elle exercera différentes fonctions: la gestion des expatriés, la responsabilité RH des filiales en Europe de l’Est puis de toute l’Europe, avant d’évoluer comme VP HR Global Technical Operations. « La proposition de m’expatrier aux EtatsUnis a été une surprise totale, raconte-t-elle. Avec mon mari, nous avions acheté une maison que nous avions rénovée et dans laquelle nous venions d’emménager ! Le hasard a voulu qu’au même moment, son employeur lui propose aussi une expatriation, mais en Afrique du Sud ! Nous avons pesé le pour et le contre en mettant également dans la balance ce qui était le mieux pour notre fils de 16 ans à l’époque. » Et la balance a penché

HR square n° 1 décembre 2014

vers les Etats-Unis. « J’ai la chance d’avoir un fantastique partenaire de vie qui m’a soutenue et qui est allé jusqu’à démissionner pour nous permettre de vivre cette aventure. »

sation et de modèles collaboratifs. Au plan plus strictement RH, elle a oeuvré à l’installation d’un Shared Service Centre avec pour objectif une plus grande efficacité dans le

Aux Etats-Unis, le DRH a quotidiennement affaire aux avocats en lieu et place des syndicats Plus d’efficacité Neuf mois après son arrivée, les activités nord-américaines connaissent un changement de président, avec une refonte du comité exécutif. Cette évolution se double de la mise en place d’un nouveau modèle commercial. « Auparavant, quinze de nos commerciaux pouvaient aller visiter quinze médecins d’un même hôpital en fonction de leur propre ligne de produits, illustre Isabel Carrion. Pour être plus efficaces, nous avons déployé un système d’account managers, avec un seul responsable par hôpital par exemple. Au-delà de l’offre médicamenteuse, nos services ont en outre été étendus en les axant sur les patients et la valeur ajoutée à leur apporter, par exemple en matière de prévention ou dans le suivi de leur état de santé. » C’est ce vaste chantier qui a d’abord occupé Isabel Carrion, avec tout ce qu’il implique de révisions en matière de leadership, d’organi-

support au business, avec des délais de réponse plus courts. « Là encore, l’idée est que les managers et collaborateurs n’aient qu’un seul point de contact capable de répondre à n’importe quelle question RH. A cette fin, une équipe multidisciplinaire a été mise en place, leurs membres ont été formés à plus de polyvalence et de collaboration. Différents processus ont été automatisés. » Inspirer avant tout Le plus grand défi lorsqu’on vit pareille expatriation ? Gagner crédibilité et confiance au sein de son nouvel environnement. « A mon arrivée en provenance du quartier général belge, j’ai été perçue comme ‘the new sheriff in town’, raconte-t-elle. Au début, on pose bien sûr des questions. On essaie de comprendre. Ce n’est pas confortable pour les gens qui se sentent challengés. Ce n’est qu’avec le temps qu’ils perçoivent ce que vous pouvez leur apporter, qu’ils réalisent


RH du bout du monde

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Isabel Carrion UCB « Nous gagnerions à nous inspirer de la ‘Yes we can-attitude’ en Europe. S’axer sur des solutions permet de soulever des montagnes. » © D.R.

que vous êtes là pour les accompagner vers des solutions auxquelles ils n’auraient pas forcément pensé. » Autre adaptation de taille : aux Etats-Unis, le DRH a quotidiennement affaire aux avocats en lieu et place des syndicats. « Je ne sais pas ce qui est mieux, observe Isabel Carrion avec un sourire. Il faut se faire à cette culture plus ‘litigieuse’, aux sensibilités qui sont différentes, par exemple pour ce qui touche à la discrimination. Les styles de leadership sont aussi très différents. La hiérarchie est moins respectée si elle n’inspire pas : on ne va pas vous suivre si vous ne convainquez pas. Par contre, si vous gagnez l’engagement, la ‘Yes we can-attitude’ est extrêmement puissante. Vos collègues rebondissent sur les nouvelles idées, essaient des choses, en tentent d’autres si les premières n’ont pas fonctionné. C’est très stimulant. » Regard neuf Si Isabel Carrion a passé du temps à amener les équipes nord-américaines à accepter que les idées européennes peuvent avoir du bon, elle a aussi oeuvré à valoriser les initiatives développées à Atlanta auprès de la maison

mère et des autres filiales du groupe. Le projet UCB Cares en est un exemple. « Ce projet est parti de la transition vécue au sein du leadership team. Le leader en charge de l’ex-

cellence opérationnelle a pris le pilotage des équipes médicales. Ce regard neuf a mis en évidence des marges d’amélioration importantes dans les réponses que nos clients et nos patients recevaient du groupe. » Dans cette optique, une équipe baptisée UCB Cares a été mise en place. « Plutôt que de devoir parler à dix personnes avant d’obtenir une réponse, le client ou le patient a désormais face à lui un seul interlocuteur qui va accueillir sa demande et opérer le suivi jusqu’à l’aboutissement de la démarche. Nous avons adapté nos processus en ce sens, notamment avec la mise en place d’un système IT centralisé avec, à la clé, un suivi des appels et un monitoring permanent. Nous avons beaucoup travaillé sur la collaboration interne. Aujourd’hui, le dispositif fonctionne bien et nous recevons beaucoup de feed-back positif. » Le quartier général en Belgique examine d’ailleurs la perspective de le déployer partout dans le monde…

S’axer sur des solutions permet de soulever des montagnes L’enseignement clé « Quand on veut, on peut » : c’est l’enseignement clé qu’Isabel Carrion retient de cette expatriation aux Etats-Unis. « Ici, tout est possible. Les Américains adoptent rapidement les nouvelles idées et procèdent par essais et erreurs. Nous gagnerions à nous en inspirer en Europe, au lieu de parfois, trop souvent, nous arrêter à toutes les raisons de ‘ne pas faire’. S’axer sur des solutions permet de soulever des montagnes. Désormais, chaque semaine, j’envoie à mes équipes des ‘power beliefs’, des citations inspirantes visant à dépasser les ‘limiting beliefs’ et à insuffler une pensée positive. »

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L’idéothèque texte

christophe lo giudice

Henry MINTZBERG

Manager : L’essentiel Ce que font vraiment les managers… et ce qu’ils pourraient faire mieux Editions Vuibert Paris, 2014 183 pages ISBN 978-2-311-40094-6 19 €

Et si on manageait simplement ? Professeur à la faculté de management de l’université McGill à Montréal et auteur de nombreux ouvrages de référence, Henry Mintzberg a influencé la pensée managériale d’une manière durable. Son modèle d’analyse des organisations est enseigné dans tous les cours de théorie des organisations. Son dernier livre, Manager, est une sorte de retour aux sources, en ce sens qu’il adopte la même approche que celle utilisée dans sa thèse de doctorat dans les années ’60 : observer concrètement le travail quotidien d’une série de 29 managers dans différents contextes. Pour Mintzberg, les temps changent et les managers doivent faire face à de nouveaux défis, mais on ne peut pas parler d’un nouveau management. « Le management, c’est le management, écrit-il. Le manager doit amener ses collaborateurs à donner le meilleur d’eux-mêmes, afin qu’ils sachent mieux, qu’ils décident mieux et qu’ils agissent mieux. Les managers ne valent que par leur capacité à trouver une solution réfléchie aux problèmes, par eux-mêmes. » Le management est un métier tissé de paradoxes, de dilemmes et de mystères insolubles, ajoute-t-il. « Le seul résultat garanti de toute formule magique de management (ce livre y compris), c’est l’échec. » On l’aura compris, Henry Mintzberg ne manie pas la langue de bois et sort des sentiers battus empruntés par les nombreux auteurs explorant le sujet. Il a ce sens de la formule qui frappe : « La superficialité est l’un des risques du métier. Pour réussir, le manager doit devenir un superficiel compétent », « Internet est peut-être en train de pousser la pratique du management au-delà des limites du gérable, la rendant si frénétique qu’elle en devient dysfonctionnelle : trop superficielle, trop déconnectée, trop conformiste », « La responsabilisation est ce que les managers donnent aux collaborateurs. La participation est ce que les managers font avec les collaborateurs », ou encore « Si le management n’est pas une science, il a besoin de la rigueur scientifique, de même que du côté concret de l’artisanat et du zeste de l’art ». Les managers « de métier » sortiront assurément ébranlés de cette lecture. « Il n’y a pas de manager efficace en général, lance l’auteur. Il n’existe pas de manager professionnel qui sache manager n’importe quoi. » Pour lui, l’efficacité d’un manager doit être jugée, pas seule-

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ment mesurée. Et il se montre aussi critique sur la formation des managers (après avoir écrit, en 2004, Des managers, des vrais ! Pas des MBA) : « Le management est une pratique qu’on ne peut pas enseigner comme une science ou une profession. En fait, il ne s’enseigne pas du tout. Le management s’apprend sur le tas, grâce à une diversité d’expériences et de défis. Les formations sont là pour aider les managers à donner un sens à leur expérience, en les encourageant à réfléchir eux-mêmes et à en parler avec leurs collègues… » Henry Mintzberg invite à se réveiller en tant qu’êtres humains et à passer outre notre obsession infantile du leadership. « Le management est une activité parfaitement naturelle que nous dénaturons en la détachant de son contexte, sans la voir pour ce qu’elle est. » Mais où trouver un leadership naturel ? Comme l’a souligné Drucker, il faut arrêter de construire des organisations qui ont besoin de leaders héroïques. « Il n’est pas étonnant que nous soyons incapables de faire sans eux, reprend Mintzberg. Lorsqu’un héros échoue, nous en cherchons frénétiquement un autre. Pendant ce temps, l’organisation l’école, l’hôpital, le gouvernement, l’entreprise - patauge. » Arrêtons de rêver de grands managers et de grands leaders, conclutil. « Peut-être devrions-nous plutôt reconnaître que des gens somme toute normaux, imparfaits sans que ce soit catastrophique, puissent devenir des managers et des leaders convenables. Pour être un manager accompli ou - oserais-je dire - un grand leader, vous n’avez peutêtre pas besoin d’être absolument merveilleux, juste à peu près lucide et sain d’esprit : assez sain d’esprit pour faire face aux mythes du management, pour penser par vous-même, pour connaître vos limites, ainsi que le potentiel sans limite des autres, pour comprendre où va le monde et comment on peut le changer. »

Henry Mintzberg « Si le management n’est pas une science, il a besoin de la rigueur scientifique, de même que du côté concret de l’artisanat et du zeste de l’art ».


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Pour être un manager accompli, vous n’avez pas besoin d’être absolument merveilleux, juste à peu près lucide et sain d’esprit

Kazuo INAMORI,

Amoeba Management Gestion dynamique pour une adaptation rapide au marché Editions De Boeck Louvain-la-Neuve 2014, 144 pages ISBN 978-2-8041-8848-1 22,50 €

Jacques JOCHEM et Hervé LEFEVRE Le Mix Organisation Et si l’entreprise mobilisait enfin l’énergie naturelle de l’autonomie ? Editions Eyrolles Paris, 2014 149 pages ISBN 978-2-212-55998-9 25 €

Gestion par les amibes

L’énergie de l’autonomie

‘Agir correctement en tant qu’être humain’ et ‘utiliser le potentiel de leadership de tous les employés’ : ce sont les principes à la base du succès de Kyocera, un des premiers fabricants au monde de céramiques high-tech, de composants électroniques, de cellules solaires et d’équipements de bureau. Elle a été fondée en 1959 par Kazuo Inamori. Sa philosophie du management - qu’il qualifie de ‘gestion Amoeba’ - a contribué à en faire une des entreprises de technologies avancées les plus performantes du monde. « La gestion Amoeba s’appuie sur l’esprit humain, explique-t-il. Le corps humain compte plusieurs milliers de milliards de cellules individuelles qui travaillent toutes en harmonie pour obéir à une seule volonté. Si, dans une entreprise, des milliers d’amibes peuvent unir leurs esprits, alors cette entreprise peut fonctionner comme un tout. Même si une compétition occasionnelle apparaît parmi ces amibes, le respect et le soutien mutuels permettront à l’entreprise d’utiliser sa force comme une entité unifiée. Dès lors, le lien que constitue la confiance est un prérequis essentiel pour chaque personne, et ce de la haute direction jusqu’aux membres de chaque amide individuelle. » Les deux premiers principes évoqués sont couplés, d’une part, avec une gestion par micro-organisations simple et précise et, d’autre part, avec une distribution de la responsabilité en petites unités autoportantes - telles des amibes. Ce mode de fonctionnement a été reconnu par la Harvard Business Review et a depuis été adopté avec succès par plus de 400 entreprises à travers le monde. Ce livre dévoile, de façon pragmatique, de nouvelles perspectives sur la manière de favoriser une culture du leadership et sur la mise en valeur de la responsabilité individuelle dans l’organisation. Il fournit des outils pour parvenir à un système de gestion par lequel tous les membres de « l'amibe » concentrent leurs forces sur la réalisation d'objectifs communs. Kazuo Inamori explique notamment le moyen trouvé pour rendre compréhensible auprès de chaque employé son apport dans la création de la valeur ajoutée de l’entreprise : l’efficacité horaire. Chacun peut ainsi voir ce qu’il produit et ce que produisent ses collègues. La « gestion pour tous », la « formation de leaders dotés de la conscience managériale » et l’établissement d’un « système de comptabilité divisionnaire orienté vers le marché » ne peuvent assurément qu’alimenter la réflexion de tout DRH.

Appréhender la complexité grandissante des organisations humaines est devenu un enjeu crucial. Dans Le Mix Organisation, Jacques Jochem et Hervé Lefèvre, tous deux polytechniciens et consultants en management, proposent une grille de lecture originale permettant de mieux comprendre le fonctionnement de l’entreprise et l’influence de ce fonctionnement sur ses performances. Leur hypothèse ? Dans toute entreprise cohabitent quatre formes d’organisation : tribale, mécaniste, transactionnelle, holistique. Chacune a sa logique, ses valeurs de référence, ses sources d’énergie privilégiées ainsi que ses bonnes pratiques. L’organisation « mécaniste », par exemple, est centrée sur le fonctionnement interne, taylorien et bureaucratique. L’engagement est y est faible, mais discipliné. La forme « tribale », quant à elle, fait passer le bien-être de la communauté avant la finalité économique. L’engagement y est fort et exclusif. L’organisation « transactionnelle » est celle qui réagit fortement aux évolutions et stimulations du dehors, professionnalisme et compétitivité y étant développés. Chaque entreprise, voire chaque sous-ensemble de l’entreprise, les marie suivant une configuration qui lui est propre, ce qu’ils qualifient de « mix organisation ». Ce mix, volontaire ou subi, est plus ou moins harmonieux et sert plus ou moins ses enjeux de performance. Dans ce « mix organisation », la forme aujourd’hui la moins développée est celle qu’ils ont baptisée « holistique ». Celle-ci se base sur l’auto-organisation et l’autonomie. Aux yeux de Jacques Jochem et d’Hervé Lefèvre, c’est aussi la plus prometteuse car elle privilégie la performance collective et durable et crée un contexte de travail stimulant, favorisant épanouissement personnel et innovation. Sa singularité majeure : faire plus confiance aux hommes, managers et collaborateurs, qu’aux systèmes pour faire face à la complexité irréversible atteinte à la fois par l’environnement de l’entreprise et par son fonctionnement interne.

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L’idéothèque Marc BORRY

Le neuromanagement des connaissances Les sciences cognitives appliquées au knowledge management Editions L’Harmattan Paris, 2014 111 pages ISBN 978-2-343-03091-3 13,50 €

Cécile DEJOUX

Management & Leadership Editions Dunod Paris, 2014 128 pages ISBN 978-2-10-070427-9 9,80 €

S’inspirer du cerveau

Repenser le leadership

Les importantes découvertes et avancées en sciences cognitives ouvrent de nouvelles portes dans de nombreuses disciplines. La gestion des connaissances (ou knowledge management) n’y échappe pas. Mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain aide indéniablement à gérer de manière plus optimale savoirs et connaissances dans une organisation. C’est ce que montre Marc Borry dans l’ouvrage Le neuromanagement des connaissances. Ce dernier a participé au développement de la veille et de la gestion de la connaissance pour la Police Fédérale où il exerce aujourd’hui la fonction de Chief Knowledge Officer. Il enseigne également à l’Université de Lille 1 et à l’IESSID. Le livre nous invite à la découverte des aspects les plus importants du fonctionnement cognitif : l’attention, la mémoire, l’expertise, la créativité, l’intelligence et la prise de décision. De ce que nous savons aujourd’hui du fonctionnement du cerveau, Marc Borry tire plusieurs enseignements pour la gestion des connaissances. Tout d’abord, le centre de décision ne peut s’isoler du reste de l’organisation, mais doit se positionner comme un point de convergence des différents réseaux sur lesquels il peut s’appuyer. Ensuite, attention, mémoire, fonctions cognitives supérieures doivent se retrouver dans l’organisation sous forme de veille, de mémoires à court et long terme, d’expertise, de créativité et d’intelligence collective, le tout sans s’enfermer dans une structure rigide. Enfin, à côté de l’exécutif, l’organisation devra favoriser le fonctionnement en réseaux qui se croisent et s’entrelacent de manière à en faire émerger les signaux faibles et les innovations et de mobiliser les expertises et les intelligences et réduire les biais dans les décisions finales.

Devenir leader ne doit pas nécessairement constituer la finalité de tout manager. Mais si devenir leader représente un objectif personnel, alors il existe des étapes et chemins d’accès à prendre en compte, tout comme il existe des techniques pour comprendre son propre mode de management et le perfectionner. Telle est la conviction qu’exprime Cécile Dejoux, en ouverture de Management et Leadership, petit livre très concret qui prolonge un MOOC (Massive Open Online Course, un cours gratuit réalisé à distance sur internet) sur le sujet. Ce dernier a recueilli plus de 36.000 auditeurs. Maître de conférences au Cnam-LIRSA où elle enseigne la GRH, spécialiste de gestion des compétences et des talents, l’auteur aborde le leadership à partir d’un rappel des principales théories. Un détour par les pratiques est proposé et enrichi de témoignages de DRH. Enfin, les principaux outils d’accompagnement et de développement du leader et de son équipe sont explicités et mis en perspective avec les objectifs des politiques de ressources humaines. Le livre montre comment la mondialisation et le digital obligent les organisations à repenser leurs modes de décision, de reconnaissance et le design des métiers. Il illustre, d’une part, l’émergence d’un nouveau type de management fondé sur le collaboratif, l’interculturel et l’innovation, et d’autre part, la valorisation de nouveaux styles de leaders. « On peut se demander si, sous l’influence de la transformation digitale et du e-commerce qui affectent toutes les organisations et les obligent à se redéfinir, les différences de niveaux de leadership ne vont pas également se transformer ou s’étoffer, écrit-elle. Le pipeline restera viable, mais peut-être que de nouvelles strates autour du leadership, émotionnel, spirituel, communautaire verront le jour. Ce qui reste probable, c’est l’importance pour le leader (seul ou en groupe) de passer par des étapes pour gagner en maturité afin d’être authentique par rapport à ses valeurs et ainsi d’être reconnu par un collectif toujours plus massif. »

Cinq exemplaires du livre de Marc Borry sont offerts gratuitement aux membres de HR Square. Envoyez à cette fin un mail à bert@hrsquare.be. Premiers arrivés, premiers servis !

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Si devenir leader représente un objectif personnel, alors il existe des étapes et chemins d’accès à prendre en compte

Jérôme BRUET & Noria LAROSE

Capital Learning La formation au service de la performance de l’entreprise Editions EMS, 2014 140 pages ISBN 978-2-84769-584-7 15 €

Capital learning Chaque entreprise dispose d’un gisement de connaissances, d’une matière à organiser, à partager et à faire vivre. Pour faciliter la création, la transmission et la mobilisation de ses savoirs et savoir-faire, elle doit mettre en place une organisation adaptée. Ce ensemble a une valeur et constitue son capital learning qui peut être un avantage concurrentiel déterminant. Dans le libre du même nom, Jérôme Bruet, patron de la société e-doceo (solutions informatiques pour la formation) et Noria Larose, directrice associée de Nell & Associés (conseil en formation), proposent aux DRH une démarche à la fois simple et cohérente pour améliorer le capital learning de leur entreprise. Les auteurs y explorent notamment les nouveaux horizons de la formation, autour de l’impact du numérique, de l’orientation apprenant, des modalités, supports et outils de formation. La partie la plus originale de l’ouvrage tient dans son dernier chapitre consacré au pilotage du capital learning et aux évolutions du mode de management que celui-ci nécessite. « L’organisation doit multiplier les occasions d’apprendre et de coopérer », insistent-ils. Cet ouvrage représente une tentative réussie de mettre la formation au centre du jeu : un message pour les directions d’entreprise, qui ont souvent tendance à la voir comme une dépense ou une contraintes. L'enjeu ? Permettre à l'entreprise de faire preuve d'agilité et lui assurer un positionnement stratégique unique. Ce capital learning se traduit par sa capacité à innover, transmettre et faire évoluer ses savoir-faire, ses processus et son expertise.

Retrouvez d’autres critiques de livres sur notre site à l’adresse www.hrsquare.be/fr/bibliotheque

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Libre Expression

Faut-il toujours communiquer si on a quelque chose à dire? texte

frédéric fougerat

Souvent, les médias, parfois les salariés, reprochent aux entreprises de ne pas ou peu communiquer sur certains sujets sensibles comme une crise sociale ou une restructuration, permettant notamment aux organisations syndicales de préempter le discours public. Est-il toujours possible ou souhaitable de communiquer ? Avec quels objectifs ? En d’autres termes : faut-il obligatoirement communiquer si on a quelque chose à dire ? En premier lieu, l’entreprise ne peut pas reprocher aux syndicats de communiquer. C’est leur liberté ! De son côté, l’entreprise ne dispose pas vraiment de la même liberté, car elle doit composer avec de nombreuses obligations, parfois antagonistes, ce qui peut provoquer des interrogations, voire des critiques, sur ses choix de communication. Face à une situation particulièrement sen­ sible, l’instinct guide plutôt vers le moins de publicité possible, afin de régler les problèmes loin du bruit médiatique. Nombre d’entreprises privilégient ainsi traditionnellement la stratégie du silence. A l’inverse, d’autres, plus modernes ou combatives, choisissent de partager et d’affronter la réalité publiquement, en prenant les devants. Dans tous les cas, qu’il s’agisse des syndicats ou de l’entreprise, le choix de communiquer répond à des intentions : partager une information, susciter une émotion, déclencher des réactions.

des suspicions et éventuellement de l’inquiétude. C’est également risquer de les voir influencés par des informations orientées, plus ou moins bien intentionnées. Beaucoup communiquer pour bien informer ses salariés, ses fournisseurs et tant d’autres sur la réalité d’une crise et ses conséquences,

Communiquer, c’est prendre un risque Avant de communiquer, l’entreprise doit anticiper l’impact de son action sur ses différents publics. Les attentes et les consé­quences ne seront évidemment pas identiques venant des collaborateurs, des fournisseurs, des institutionnels ou des investisseurs. Décider de parler ou de se taire, c’est avant tout prendre un risque. Ne pas suffisamment communiquer auprès des salariés peut générer des interrogations,

Gagner la bataille de l’émotion Ne pas communiquer, c’est aussi prendre le risque d’être contraint de réagir. Se voir imposer, si ce ne sont les conditions, au moins le temps de la communication. Cette perte de maitrise est plus compliquée à gérer, car ce sont les messages du primo-communicant qui font référence. Celui qui dégaine le premier prend généralement un avantage décisif dans la bataille de l’émotion. Par contre, cette bataille est souvent perdue

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Frédéric Fougerat Altran « La bataille est souvent perdue d’avance quand une crise touche à l’humain, car on est alors toujours coupable aux yeux de l’opinion. » © Julien Gasco

d’avance quand une crise touche à l’humain, car on est alors toujours coupable aux yeux de l’opinion. L’entreprise qui doit sacrifier 25 emplois pour en sauver 100 sera toujours avant tout coupable des 25 licenciements. Quant aux 100 emplois sauvegardés, préoccupation sincère ou posture manipula-

Nombre d’entreprises privilégient la stratégie du silence c’est éventuellement se hasarder à inquiéter ses clients, affoler les marchés financiers, exciter l’appétit des médias, quitte à les faire réagir négativement au risque d’aggraver la situation. Ne pas communiquer du tout est une force, à la condition de pouvoir s’y tenir. S’abstenir, c’est par exemple ne pas alimenter une polémique, et donc plutôt contribuer à l’apaiser au lieu de la nourrir.

trice, on doutera toujours du temps qu’il leur restera avant de disparaître à leur tour. La communication sera différente si la situation permet aux partenaires sociaux de parler d’une même voix, constructive et responsable. Sur ce point, les traditions des pays pèsent dans la balance. Entre l’Allemagne, la Belgique et la France par exemple, les comportements peuvent diverger, tout comme les objectifs des partenaires sociaux. Les réponses apportées ne seront donc pas identiques. Dans la hiérarchie des multiples intérêts que l’entreprise doit préserver, de ses salariés à son image, en passant par sa valorisation boursière, on comprend bien qu’il n’est pas toujours possible de communiquer, même si on a quelque chose à dire ! Frédéric Fougerat est Vice-President Communication du groupe Altran (@fredfougerat)


DEVENEZ MEMBRE! Contactez Nathalie Dierickx 0474 97 07 43 - nathalie.dierickx@hrsquare.be Visitez aussi www.hrsquare.be/fr/home

E D L E L AB

É T I L A QU

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HEALTH & SAFETY

Ne laissez pas le stress dominer votre travail ! En Belgique, 2 travailleurs sur 3 (64 %) éprouvent du stress au travail. Chez plus d’1 travailleur sur 4 (27%), ceci entraîne des tensions réelles, qui se traduisent par des troubles de santé au niveau physique et psychique, ayant pour effet des performances amoindries. S’attaquer au stress est donc bien une nécessité absolue. Sensibilisation, prévention ou intervention ? Motivation de vos effectifs ou un rôle de coach pour les dirigeants ? Une politique de stress pour toute votre organisation ou un support au niveau individuel ? Familiarisez-vous avec notre expertise en matière de stress et de burn-out sur www.securex.be/burn-out Ou demandez des précisions au 02 729 92 85 ou sur contact@securex.be


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