Hrs fr 2

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www.hrsquare.be janvier-février 15

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Bureau de dépôt Bruxelles X Numéro d’agrément P917806 Expéditeur : PMN sprl Rue des Sols, 8 1000 Bruxelles Bimestriel (pas en juillet-août)

SOPHIE STREYDIO (PURATOS)

+

Comment développer l’orientation client Pourquoi créer une université d’entreprise La face cachée de l’absentéisme Clés pour former les managers de proximité

« NOTRE SUCCÈS REPOSE SUR LA CONFIANCE »


Réalisez vos ambitions

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PERSPECTIVES

3

IL N’Y A QU’UN PATRON texte

christophe lo giudice

Sans client, point d’entreprise : c’est là une

oeuvre par l’ensemble des composantes

Ce dernier ne fait, en fin de compte, que

évidence ! Or, le nombre d’organisations

de l’entreprise. L’enquête met toutefois en

produire et ‘vendre’ des services à des

qui réussissent à placer le client au centre

évidence une situation sur le terrain qui

clients internes ou externes, face à des

de leurs préoccupations peut pratique-

se situe à l’opposé de cette conception.

concurrents internes ou externes. Notre

ment se compter sur les doigts d’une main.

A l’heure actuelle, l’octroi au client d’une

second dossier consacré aux universités

Constat excessif ? C’est pourtant celui qui

position centrale est une responsabilité

et académies d’entreprise en est une par-

ressort de l’enquête qualitative multisec-

confiée essentiellement au département

faite illustration. Le phénomène

torielle menée en 2012 par Insites Consul-

marketing (81%), suivi par le départe-

en lui l’ambition de proposer du Learning

ting à la requête de SAS. Si tout le monde

ment commercial (71%), puis la direction

& Development davantage sur mesure,

s’accorde pour dire que c’est le client qui

(50%). Notre dossier du mois démontre,

donc « orienté client », avec un focus stra-

détermine le succès d’une entreprise,

arguments et cas d’entreprise à l’appui,

tégique. Or, pointe un de nos interlocu-

moins d’une organisation sur dix (8%) dé-

que le DRH est un acteur légitime pour

teurs, l’université d’entreprise est souvent

ploie avec succès la démarche « primauté

prendre le chantier de l’orientation client à

pilotée par d’autres fonctions que les RH,

au client » (customer centricity). La grande

bras-le-corps. Plus encore : le développe-

et leur est même parfois confisquée. Une

majorité (70%) des sociétés se situent en-

ment d’une organisation orientée clients

réalité qui témoigne bien de l’urgence pour

core dans la phase d’intention ou d’appren-

représente un vrai sujet de transforma-

les RH de s’intéresser aux clients, internes

tissage, tandis que 9% d’entre elles, tous

tion culturelle dont les départements RH

comme externes. Comme le disait Sam

départements confondus, ne tiennent ab-

doivent aujourd’hui se saisir.

Walton, fondateur de Walmart et pionnier

porte

du discount : « Il n'y a qu'un patron : le

solument aucun compte de ‘leurs’ clients. Mais le préalable au développement d’une

client. Et il peut licencier tout le personnel,

Tant le bon sens que la recherche aca-

organisation « orientée client » réside

depuis le directeur jusqu'à l'employé, tout

démique suggèrent que le concept de

en la capacité du département RH à être

simplement en allant dépenser son argent

customer centricity devrait être mis en

lui-même à la hauteur de cette ambition.

ailleurs. »

Président Jos Gavel jos.gavel@hrsquare.be 0475 63 18 48

Directeur commercial Stijn Haegeman stijn.haegeman@hrsquare.be 0499 55 18 86

Directeur général Bert Gavel bert@hrsquare.be 0478 44 85 23

Responsable Partenariats & Events Stéphanie Poivre stephanie.poivre@hrsquare.be 0498 44 43 32

Directeur de la rédaction Christophe Lo Giudice christophe.logiudice@hrsquare.be 0476 50 84 07

Responsable du réseau Nathalie Dierickx nathalie.dierickx@hrsquare.be 0474 97 07 43

Journaliste Mélanie Geelkens

Office Manager Mélanie Boutriaux melanie.boutriaux@hrsquare.be 02 515 07 60

Photographe Hendrik De Schrijver Mise en page Caroline Derveaux www.dfib.net Membership HR Square 200 euros par an (+ 21% TVA) Imprimerie Corelio Printing - Erpe-Mere Plus d’informations sur le site www.hrsquare.be/fr

HR Square paraît en français une fois tous les deux mois (pas en juillet et août) et est une publication de la sprl People Management Network, rue des Sols n°8, 1000 Bruxelles. Editeur responsable Jos Gavel, Rue des Sols, 8 1000 Bruxelles © L’autorisation écrite de la rédaction est requise pour toute réutilisation des textes ou du matériel photo publiés.

Membre de l’Union des éditeurs de la Presse Périodique

JANVIER - FÉVRIER 2015 N°2 HR SQUARE


LE PROGRAMME

48 © D.R.

16

Juliette Agro Proximus

26 Sophie Streydio Puratos

INSPIRATION

06

36

A quoi ressemblera votre bureau demain ?

réussies : mode d’emploi

RESEAU

SOUS LES PROJECTEURS

10

38

11

60

Décryptages : Absence pour cause de

62

Jurisprudence : Des propos sur

maladie, quelles sont les règles ? Facebook justifient-ils un licenciement pour motif grave ? 63

International : Etes-vous en ordre avec les obligations de déclaration

Nouveaux rôles : vos confrères qui

L’absentéisme révélateur de

LIMOSA ?

relèvent un nouveau défi

dysfonctionnements internes

HORIZONS

Agenda

14

Forum : comment soutenir les travailleurs isolés

EN TETE D’AFFICHE Sophie Streydio (Puratos) :

DOSSIER 2 : UNIVERSITÉS D’ENTREPRISE

64

42

68

47 48

DOSSIER 1 : ORIENTATION CLIENT 20

Customer-Centric HR : une nouvelle

26

Toyota : Le plus petit commun

28

Media Markt : Oublier le client ? Je ne

ambition pour la profession

Euro Center & èggo : Diffuser et

50

HR SQUARE N° 2

Pierre Dejonghe (Kellogg’s) à Dubaï (Emirats Arabes Unis)

Proximus : L’université vit et se RTBF : La formation en (véritable)

52

EXKi : L’académie facilite l’offre de solutions bien adaptées

EN COULISSE 54

Canevas : Comment former les managers de proximité

58

Choisir son temps et son lieu de travail : la flexibilité s’apprivoise

d’égalité

JANVIER - FÉVRIER 2015

Les RH belges du bout du monde :

GDF SUEZ : Rencontrer les défis d’un

soutien de la stratégie

soutenir la passion du client 34 Carglass : Clients et employés sur pied

à suivre en RH ? Le sur-mesure !

« corporate university »

renouvelle

dénominateur, ce sont les gens suis pas fou !

Pourquoi investir dans une

Ursula Saint-Léger (Aptar) : Le chemin

monde qui change

Notre succès repose sur la confiance

32

Ursula Saint-Léger Aptar

Thierry Rousseau (ANACT) :

De profil : Emmanuelle Peeters (TEC)

12

16

© D.R.

Philippe Duvivier Toyota & Lexus

AVANT PLAN Cap sur 2016 - Elections sociales

64

© Christophe Lo Giudice

© Hendrik De Schrijver

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IDEES 70

L’idéothèque

74

Libre expression : Patrice Briol (Knauf Insulation) - Des bons vœux à consommer avec modération…


LE PROGRAMME

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JANVIER - FÉVRIER 2015 N° 2 HR SQUARE

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AVANT-PLAN

CONSEILS POUR BIEN SE PRÉPARER À MAI 2016 ET APPRÉHENDER L’ÉCHÉANCE AVEC SÉRÉNITÉ texte

ELECTIONS SOCIALES RÉUSSIES : MODE D’EMPLOI

mélanie geelkens

Pas toujours simple, de se préparer aux élections sociales ! Entre les dates majeures à retenir, les préparatifs et les erreurs à ne pas commettre… Le parcours du combattant commence dès maintenant et durera jusqu’en mai 2016. Comme un léger changement d’atmosphère. Un brin d’électricité dans l’air. Quelques regards en chiens de faïence. Des projets mis temporairement entre parenthèses, le temps d’un retour à la normale. Tous les quatre ans, les élections sociales viennent mettre leur grain de sel dans le fonctionnement quotidien des entreprises privées. Dans de nombreux cas, le processus se déroule évidemment sans encombre. Presque comme une lettre à la poste. Parfois, les choses se corsent. Les patrons en attraperaient presque une boule au ventre. Les responsables des ressources humaines se retrouvent sur le qui-vive. Car franchir ce cap incontournable ne s’improvise pas. Une erreur, un oubli, un raté peuvent suffire à plomber les relations avec les représentants des travailleurs pour les quatre années suivantes. Une éternité, quand on avance à couteaux tirés.

TEMPS FORTS :: L’échéance des prochaines élections sociales peut sembler lointaine. Pourtant, il est déjà temps de s’y préparer : plutôt que de courir, mieux vaut partir à point :: La procédure est complexe et surtout chronophage. Elle comporte aussi quelques chausse-trapes :: Parmi les points d’attention : répertorier les UTE, déterminer les fonctions, se montrer prudent vis-à-vis du mécanisme de « protection », entre autres

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JANVIER - FÉVRIER 2015

DEUX LETTRES SONT À RETENIR EN MATIÈRE DE CALENDRIER : X ARRIVE TOUJOURS TROIS MOIS AVANT Y D’autant plus dans le contexte global actuel. Pour le qualifier, l’adjectif « tendu » est sans doute un euphémisme. « L’année 2015 sera chaude. La mise en œuvre de l’accord de gouvernement va se poursuivre, tout comme les négociations interprofessionnelles, prédit Bart Buysse, directeur général de la FEB, lors d’une conférence organisée en partenariat avec le cabinet d’avocats Claeys & Engels et consacrée aux prochaines élections sociales. Les syndicats vont hausser le ton pour montrer aux travailleurs qui est le plus fort. Une bonne préparation est dès lors indispensable. » Se préparer aujourd’hui ? Alors que la prochaine échéance n’est qu’en 2016 ? Il n’y a certes pas (encore) le feu. Mais ceux qui pensent qu’ils pourront s’y prendre à la dernière minute, et que tout se passera bien

malgré tout, risquent de déchanter. Une question de X et de Y Le timing se révèle en effet crucial. Même si, pour l’instant, la date exacte du « grand jour » (qui n’est pas partout le même) reste floue. Elle devrait tomber entre le 2 et le 15 mai, voire entre le 9 et le 22 mai. Dans tous les cas, cela signifie que la procédure débutera en décembre 2015, entre le 4 et le 17 ou entre le 11 et le 24. Dans moins d’un an… Plus le temps de traîner les pieds. Les DRH qui sont déjà passés par là savent que deux lettres sont à retenir en matière de calendrier. D’abord « Y », qui symbolise le jour où l’on vote. Mais avant cela « X », qui correspond à la date à laquelle l’employeur va afficher le jour des élections et les modalités pratiques (listes provisoires, nombre de mandats, affichage…). X arrive toujours trois mois avant Y, et est lui-même précédé de l’échéance « X-60 ». « Soit la pré-procédure, détaille Henri-François Lenaerts, avocat associé au sein du cabinet Claeys & Engels. L’étape préparatoire : déterminer la circonscription électorale, identifier les fonctions de direction, les autres fonctions, etc. » En clair, si « Y » correspond par exemple au 2 mai 2016, « X » tombera le 2 février 2016, tandis que « X-60 » adviendra le 4 décembre 2015, soixante jours plus tôt. Le fameux cap des 50 Mais pas besoin d’attendre un an pour entreprendre certains préparatifs. L’un des premiers chantiers à mener par l’employeur sera d’établir le nombre d’endroits où un vote devra être organisé. Les règles paraissent simples. Du moins en apparence : en-dessous de 50 travailleurs, rien ne se


AVANT-PLAN

Henri-François Lenaerts Claeys & Engels « La distinction entre cadres et direction est souvent l’objet de litiges et de discussions. Le personnel de direction, ce ne sont pas forcément tous les hauts gradés. » © Hendrik De Schrijver

passe. À partir de 50, il faudra par contre mettre en place un CPPT (comité pour la prévention et la protection au travail). Une fois le seuil de 100 collaborateurs franchi, c’est un CE (conseil d’entreprise) qui devra être installé. Voilà pour la théorie. En pratique, les situations sont parfois moins claires… Une même firme peut posséder de multiples implantations plus ou moins autonomes. Sans oublier ces patrons qui veulent fuir les syndicats comme la peste et qui préfèreront multiplier artificiellement les filiales plutôt que de dépasser le cap des 50 salariés. En

les structures où devront être organisées des élections. « Pour définir ce concept, il faut se baser sur différents critères économiques (y a-t-il ou pas une autonomie par rapport à la direction centrale ? Les activités sont-elles similaires ? Le marketing est-il commun ?...) et sociaux, qui seront primordiaux en cas de contestation », souligne Gaëlle Willems, avocate et collaboratrice senior chez Claeys & Engels. Et d’énumérer tout ce qui pourrait démontrer « que le personnel fait partie d’un même milieu humain ou qu’au contraire, il constitue des groupes distincts » : le sentiment

LES SYNDICATS VONT HAUSSER LE TON POUR MONTRER AUX TRAVAILLEURS QUI EST LE PLUS FORT oubliant parfois que les représentants des travailleurs ne sont pas toujours dupes et peuvent réclamer davantage de transparence. D’où la nécessité de répertorier ce que l’on appelle dans ce contexte les différentes unités techniques d’exploitation (UTE), soit

d’appartenance, une même organisation du travail (horaires, fixation des congés…), des règlements internes similaires, des équipements communs, des avantages identiques, des transferts fréquents d’une unité à l’autre, etc. « Il est important d’établir une check-list qui reprend l’ensemble de ces cri-

tères », ajoute la spécialiste. Il arrive de temps à autre que direction et syndicats accordent leurs violons pour limiter le nombre de CPPT ou de CE, voire pour se passer d’élections tout court. « Cependant, on ne peut pas déroger à la loi, même d’un commun accord, prévient l’avocate. Ces arrangements auront une valeur nulle s’ils sont attaqués en justice. Puis, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas été contestés par le passé que ce sera toujours le cas à l’avenir. » Par ailleurs, dans certains cas, il arrive que la limite des 50 ou 100 travailleurs soit plutôt floue. Par exemple, parce qu’elle a été dépassée un temps puis rabaissée par la suite. Ou parce qu’on ne sait trop si tout le monde doit être comptabilisé au non. Il est donc important de déterminer avec précision le nombre de collaborateurs au service d’une UTE. Période de référence Dans ce calcul, il ne faut pas oublier d’intégrer tous ceux qui sont sous contrat de travail ou d’apprentissage, ou ayant des statuts assimilés. Bref, tous ceux faisant l’objet d’une déclaration à la DIMONA. Étudiants, expatriés, personnel détaché, intérimaires (sauf contrats de remplacement), malades de longue durée, crédits-temps, titres-services, travailleurs sous convention de premier emploi… Sont par contre exclus de l’équation les indépendants, les prépensionnés et les contrats de remplacements. La période de référence sera (sauf surprise, les choses devant encore être tranchées entre partenaires sociaux) l’année 2015, du 1er janvier au 31 décembre. Pour les intérimaires, c’est l’activité du quatrième trimestre qui compte. Ce qui peut pénaliser les firmes qui ont besoin de bras supplémentaires en fin d’année. Un autre chantier qui peut être entrepris dès à présent concerne la détermination des fonctions. Étape importante, puisque les listes se distingueront en fonction des statuts. Pour les CPPT, il sera possible de pré-

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AVANT-PLAN Gaëlle Willems Claeys & Engels « On ne peut déroger à la loi, même d’un commun accord. Des ‘arrangements’ auront valeur nulle s’ils sont attaqués en justice. Et ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas été contestés par le passé que ce sera toujours le cas à l’avenir. » © Hendrik De Schrijver

senter une liste d’ouvriers, d’employés (l’harmonisation des statuts n’a rien changé) et de jeunes travailleurs de moins de 25 ans au jour Y. Idem pour les CE, si ce n’est qu’une représentation des cadres viendra s’y ajouter, pour autant qu’ils soient 15 en interne. La distinction entre cadres et direction « est souvent l’objet de litiges et de discussions, souligne Henri-François Lenaerts. Le personnel de direction, ce ne sont pas forcément tous les hauts gradés. » Les premier et deuxième niveaux de pouvoir sont concernés. Soit la personne (ou le comité) qui est aux commandes de la gestion journalière et celui (ou ceux) qui lui sont directement subordonnés. Ceux-là ne pourront par exemple pas officier comme conseillers en prévention ou personnes de confiance. Préliminaires Bref, ce grand jeu de « Qui est-ce ? » n’a pas besoin d’attendre le fameux « jour X-60 » pour débuter. Cette détermination des fonctions, du nombre de travailleurs et d’unités techniques d’exploitation permettra d’aborder cette échéance avec plus de sérénité et sans se presser. D’autant qu’il ne s’agit là que de préliminaires. Au lancement officiel de la procédure, la concertation avec les organisations syndicales débutera. Si elles ne sont pas (encore) présentes, il faudra communiquer avec les travailleurs. L’occasion de discuter du nombre d’UTE, des listes établies de membres de la direction et des cadres, etc. À X-35, les décisions doivent être arrêtées. Entre ce jour et X-28, des recours pourront être introduits devant le tribunal du travail. Qui, le cas échéant, rendra un jugement très rapide-

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ment. Au plus tard à X-5, histoire que les adaptations nécessaires puissent être apportées. Pour compliquer encore davantage un calendrier qui se doit d’être respecté à la lettre, deux autres dates doivent également être gardées dans un coin de tête. Il s’agit de X+35 et de X-30. X+35 marque la date limite d’introduction des listes de candidats. Or, on sait qu’une personne inscrite sur une liste bénéficie d’une protection contre le licenciement. Même si elle n’est finalement pas élue. Ce mécanisme vise à préserver les candidats d’éventuelles velléités d’un directeur qui voudrait couper quelques têtes dépassant un peu trop des rangs avant le vote. Les indemnités fixes à verser sont de nature à freiner ce genre d’ardeurs : de deux à quatre ans de rémunération, en fonction de l’ancienneté.

LE MÉCANISME DE PROTECTION ENTRE EN VIGUEUR AVANT QUE LES CANDIDATS NE SOIENT CONNUS DE LA HIÉRARCHIE Licencier à l’aveugle Ce mécanisme a toutefois des effets pervers. Outre inciter des personnes à se présenter uniquement pour préserver leur emploi et

non par réelle conviction, il peut aussi mettre l’employeur dans l’embarras. Le mécanisme de protection entre en vigueur dès X-30. Or, les noms des candidats ne sont à ce moment pas encore connus de la hiérarchie et ne le seront qu’à X+35. Si un collaborateur devait être remercié entre ces deux échéances, il pourrait faire valoir – de bonne ou de mauvaise foi – qu’il était candidat et, par conséquent, demander sa réintégration. « On traite des dossiers comme ceux-là tous les quatre ans », glisse Gaëlle Willems. Dans ce cas, si un salaire doit continuer à être versé jusqu’aux prochaines élections puis les indemnités fixes, le « pactole » peut s’élever jusqu’à 8 ans de salaire… Côté patronat, ce mécanisme de protection fait aussi grincer quelques dents quant à son étendue. Par exemple, pour une entreprise de 100 salariés, si chaque organisation syndicale présente une liste complète dans chaque catégorie, le nombre de protégés peut atteindre… 72 personnes ! Champagne ? La question de la candidature abusive peut aussi se poser lorsque se présentent des malades de longue durée, des travailleurs en préavis ou en période d’essai. « Oui, ils sont éligibles. Quant à savoir s’il s’agit de candidatures abusives ou pas… C’est un autre débat, pointe l’avocate. Dans les faits, il y a souvent une chance sur dix pour que ce soit reconnu par un tribunal, car il faudra réussir à apporter une preuve négative. » Autant d’aspects qui peuvent faire souffler un vent de panique au sein des organisations. Bien que la théorie soit sans doute plus effrayante que la pratique. Puis, les chances existent pour que le processus soit tué dans l’œuf… faute de candidats. En 2012, sur 6.812 procédures entamées pour la mise en place de CPPT, 1.280 ont été stoppées. Pour les CE, 480 sur 3.592 ont subi le même sort. « Dans ces cas-là, c’est champagne ! », plaisantent certains. De nombreux dirigeants rêvent probablement de pouvoir mettre une bouteille au frais…


AVANT-PLAN

UNE BONNE PRÉPARATION DES ÉLECTIONS SOCIALES N’EST PAS SANS IMPACT POUR L’ENTREPRISE texte

PRIORITÉ SOCIALE ABSOLUE !

mélanie geelkens

L’organisation des élections sociales est un processus chronophage, témoigne Marc Boumal, directeur des ressources humaines chez Distriplus. Le risque est grand de se laisser absorber au détriment des autres projets RH de l’entreprise. La scène a beau dater, Marc Boumal s’en souvient encore en détail. À l’époque jeune responsable des ressources humaines, il présidait un bureau de vote. « Comme lors de toutes les élections sociales, il y avait des moments très calmes, puis des bousculades lorsque que tout le monde arrivait en même temps. Il faut savoir suivre ! » « À un moment, poursuit-il, un travailleurs sortant de l’isoloir me demande de lui rendre sa carte d’identité. Je me tourne vers mon collègue, parce que je ne l’avais pas vu remettre son bulletin dans l’urne. Je demande donc à la personne si elle l’a bien fait. » L’homme lui répond alors : « J’ai voté, mais je m’en fous de tout ça. J’ai déchiré le papier et l’ai mis dans la poubelle. » Stop ! On arrête tout !, s’écria alors le DRH. « On a cherché et, effectivement, des petits morceaux étaient déposés dans un cendrier ». Marc Boumal dut tout reprendre et rassembler, puis accompagner le document d’une attestation signée par des témoins et par les assesseurs. « Si je ne m’en étais pas rendu compte, on aurait eu un problème lors du dépouillement. Et je n’aurais jamais eu la présence d’esprit d’aller chercher dans le cendrier ! Deux solutions auraient alors été possibles : dans un contexte social ouvert, constructif, personne n’aurait fait d’histoire. Dans le cas contraire… » Risque de catastrophe Depuis, celui qui officie aujourd’hui comme DRH du groupe Distriplus (Planet Parfum, Di, Club) a connu d’autres élections sociales au cours de sa carrière passée précédemment chez Ansul, Sony, Alert Services (Belgacom) ou encore Securex. « Peut-être quatre ou cinq, je ne les compte pas ! » Ce qu’il retient de ces expériences, c’est avant tout leur aspect chro-

nophage. « Cela prend beaucoup de temps. J’ai toujours tendance à dire que tous les quatre ans, pendant six mois, la fonction RH ne doit s’occuper que de cela et ne peut pas travailler sur un autre projet, si ce n’est assurer la gestion journalière. » Il incite d’ailleurs ses collaborateurs à organiser toutes leurs activités en fonction du calendrier de l’événement. Car celui-ci est très strict et mieux vaut ne pas louper une étape. Bref : priorité sociale absolue, le reste passe au second plan, sinon risque de catastrophe. Surtout si l’entreprise évolue dans un contexte hautement syndicalisé. « Alors, si on loupe une échéance, on risque de déclencher une véritable crise. » Un ras-le-bol ? Les relations interpersonnelles sont souvent primordiales, remarque-t-il également. Entre représentants des travailleurs et direction, mais aussi entre syndicats. « Dans certaines sociétés, on peut assister à une espèce de guerre larvée entre les différentes organisations qui essayent de placer un maximum de pions, avec des candidats qui passent d’un camp à l’autre, ce qui peut provoquer des tensions ». Face auxquelles l’employeur se doit de rester neutre. Marc Boumal observe par contre que les travailleurs qui ne se présentent pas sur une liste portent peu d’intérêt à l’événement. Et que ce sont souvent les mêmes personnes qui rempilent d’élections en élections. Une certaine indifférence qu’il explique à la fois par un déclin de la solidarité, par un ras-le-bol des élections en tous genres et par des interrogations concernant les motivations réelles des candidats. Volonté de défense de l’intérêt général ou d’assouvir des ambitions personnelles ? La

Marc Boumal Distriplus « J’ai tendance à dire que, tous les quatre ans, pendant six mois, la fonction RH ne doit s’occuper que des élections sociales et ne peut pas travailler sur un autre projet, si ce n’est assurer la gestion journalière. » © D.R.

protection, un « débat épineux » dans lequel il n’a pas envie de rentrer. Il reste toutefois attentif à la fameuse « période occulte », celle durant laquelle les candidats ne sont pas encore connus de l’employeur et pourraient être protégés avec effet rétroactif. « Je déconseille à mes collègues tout licenciement à partir de telle date, parce qu’il y a un risque, même si on a un accord de principe avec les syndicats. Ça ne m’est toutefois jamais arrivé, parce quand on connaît bien la musique, on évite de tomber dans ces pièges-là. Tous les quatre ans, il faut quand même que je me rafraîchisse la mémoire, mais ça revient vite ! »

JANVIER - FÉVRIER 2015 N° 2 HR SQUARE

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RESEAU I PROFIL

EMMANUELLE PEETERS, RESPONSABLE HR & TALENT DU GROUPE TEC

NOUVELLE ÉTAPE DE MODERNISATION RH texte

christophe lo giudice

Jusque-là responsable du développement des RH, Emmanuelle Peeters a été promue au pilotage du nouveau département HR & Talent du Groupe TEC. Une évolution naturelle, emblématique des progrès engrangés par les équipes RH, formation et administration de l’entreprise. Emmanuelle Peeters est tombée dans la marmite du service public dès avant la fin des études. Elle découvre la Police à l’occasion d’un stage et tombe sous le charme de ce qu’elle considère comme une formidable école de vie. D’abord affectée à la protection de la jeunesse, elle crée ensuite le service d’assistance aux victimes, pour progressivement évoluer vers les matières RH. Diplômée en sciences du travail de l’UCL, elle rejoint ensuite la STIB en tant que responsable RH de la business unit Tram. « C’était l’époque de la mise en place de la fonction RH délocalisée, berceau des actuels HR business partners : la fonction avait besoin de créer sa place dans le contexte de l’évolution d’une gestion administrative du personnel vers une vision fonctionnelle et évolutive des ressources humaines », confie-t-elle. Un rôle taillé sur mesure pour cette jeune femme de caractère qui, en parallèle, prend goût au secteur des transports publics. « Je suis sensible au caractère durable du produit qui touche à l’amélioration de la vie en société. Entretemps, c’est devenu un secteur de pointe. » Approche participative Après avoir évolué en tant que Talent Manager, elle se laisse séduire par l’offre de rallier la Société régionale wallonne du Transport qui chapeaute cinq sociétés d’exploitation du TEC: TEC Brabant Wallon, TEC Charleroi, TEC Hainaut, TEC Liège-Verviers et TEC Namur-Luxembourg. A l’époque, à l’automne 2011, l’entreprise

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JANVIER - FÉVRIER 2015

dispose d’un plan directeur RH ambitieux. Le mandat assigné à Emmanuelle Peeters porte sur la mise en oeuvre de la classification des fonctions et du processus d’évaluation. Une mission qui vient préparer la dynamique suivante: le développement d’une véritable gestion des talents. En janvier 2012, fruit d’un travail de plusieurs années, l’analyse et la pondération de quelque 150 fonctions de l’organisation ont été finalisées. A l’automne, le dictionnaire, la matrice et les profils de compétences étaient créés, le tout pour une opérationnalisation au cours de l’année 2013. La dynamique d’évaluation a été d’autant plus complexe à mettre en place que quatre des entités sur les six n’avaient jamais connu de système de ce type. « Les métiers du transport public sont exigeants, et il est difficile, vu de l’extérieur, d’imaginer les contraintes qu’amène le fait de devoir quotidiennement transporter des dizaines de milliers de clients. La grande majorité des managers maîtrisent ces contraintes à la perfection, mais ils sont beaucoup moins préparés à travailler au développement des compétences comportementales de leurs collaborateurs. D’où la nécessité d’un accompagnement pour soutenir sa concrétisation sur le terrain. Les RH se positionnent comme accompagnateur du business, leur client interne. » C’est dans cette optique que le département RH s’est lancé dans la création d’un modèle de leadership sur un mode participatif. Chaque cadre du groupe a pu s’exprimer autour de la question du manage-

Emmanuelle Peeters Groupe TEC « Je suis sensible au caractère durable du produit ‘transport public’ qui touche à l’amélioration de la vie en société. » © D.R.

ment des équipes à un horizon de dix ans. Des séminaires ont été organisés avec, comme point d’orgue, l’élaboration d’un référentiel commun, traduit en comportements concrets. Son déploiement se fera cette année, soutenu par un plan de développement des compétences comportementales. Un élément pivot pour ensuite poursuivre le trajet entamé vers un renforcement de la culture managériale. L’organisation RH du groupe TEC se décline désormais en trois axes: le pôle administratif (« hard HR »), l’académie de la mobilité (formation) et le nouveau département HR & Talent, l’ensemble sous la houlette de Philippe Kempinaire. Dans ses nouvelles fonctions, Emmanuelle Peeters continuera à moderniser l’approche RH en définissant la stratégie de gestion des talents et en supervisant les activités de gestion des carrières, de gestion des compétences, de gestion des données et le développement du leadership, entre autres. « Mon évolution correspond au passage d’un mode projet à celui d’une gestion de processus pérennes, indique-t-elle. Elle n’est qu’une suite logique à tout le travail mené par l’équipe depuis trois ans : nous disposons maintenant d’un arsenal RH à même de soutenir la réalisation du plan stratégique de l’entreprise, qu’il faut désormais faire vivre et auquel il convient de donner plus de visibilité. »


RESEAU I NOUVEAUX RÔLES

Mario Ravanelli MACtac Europe

Au pilotage des ressources humaines de MACtac en Belgique depuis 2010, Mario Ravanelli a été nommé HR Director Europe & Asia Pacific. Sa nomination fait suite au rachat de la société basée à Soignies par le fonds d’investissements américain Platinum Equity. Jusque-là propriétaire de MacTac, le groupe Bemis a en effet décidé de se recentrer sur son activité principale, l'emballage, et s’est donc séparé de sa filiale spécialisé dans les produits auto-adhésifs. Mario Ravanelli a commencé sa carrière chez Partena, avant de rejoindre le groupe AGC au sein duquel il a évolué en RH durant trois ans. De 2002 à 2007, il a été DRH chez Spanolux, entreprise basée à Vielsalm et produisant du MDF et du stratifié. L’étape suivante l’a conduit à la beurrerie Corman, dont il a été directeur des ressources humaines et sécurité de 2007 à 2010.

Michel Symons Bristol-Myers Squibb A la tête des ressources humaines de Bristol-Myers Squibb depuis fin 2011, Michel Symons a vu l’été dernier son champ de responsabilités s’étendre à la zone Benelux. Diplômé en psychologie de l’ULB, il peut se targuer d’une riche expérience en RH qui l’a vu passer par des sociétés aussi renommées que MSD (1988-1994), Robert Bosch (1996-2001), Diebold (2001-2006) ou encore Sanofi Pasteur MSD (2006-2011) dont il a été Head of HR North Europe, puis DRH pour les pays de tailles petite et moyenne en Europe (Scandinavie, Benelux, Irlande, Autriche, Suisse et Portugal). En décembre 2011, il rejoignait Bristol-Myers Squibb pour y définir et implémenter la nouvelle stratégie RH en Belgique pour un effectif de quelque 350 personnes.

David Houzé-Cambier St. Jude Medical Après deux ans et demi chez PepsiCo, David Houzé-Cambier a rejoint St. Jude Medical en tant que HR Business Lead EMEA HQ, East & Middle East. Diplômé en sociologie et en gestion des ressources humaines de l’Université des Sciences et Technologies de Lille, il a débuté sa carrière RH comme consultant chez Optimor, après avoir mené une mission humanitaire de dix mois en Inde. L’étape suivante l’amène dans les quartiers généraux européens de Toyota, en tant que Compensation & Benefits Specialist. Il évolue ensuite chez Base comme HR Business Partner, puis chez Kraft Foods dans une fonction de HR Manager couvrant le Benelux. En février 2010, il rejoint Electrolux, pour s’y occuper de sujets variés: gestion de carrières, change management, développement du leadership et coaching ou encore développement organisationnel. En juin 2012, il intégrait PepsiCo en tant que HR Manager pour l’organisation commerciale BeLux, tout en pilotant par ailleurs plusieurs projets RH. St. Jude Medical est une entreprise spécialisée dans le matériel médical, dont le siège est établi Saint Paul aux États-Unis. Plus de la moitié de ses activités sont menées à l’international, avec des ventes dans plus de 100 pays. Elle emploie quelque 16.000 collaborateurs dans le monde.

Anne Willems Agoria Anne Willems a pris la fonction de Human Resources Advisor chez Agoria, la fédération de l’industrie technologique. Sa carrière a débuté chez American Express, en tant que HR Officer & Payroll, un rôle qu’elle a ensuite exercé chez Vanden Borre de 1992 à 2006. Cette année-là, elle rejoignait l’Institut de Recherche de Schering-Plough comme HR Officer, pour évoluer dans la fonction de Human Resources Business Partner chez Merck suite au rachat de la société intervenu en 2009. Chez Agoria, Anne Willems rapporte à Anne Goovaerts, directrice des ressources humaines de la fédération.

Christophe Vanden Eede - GDF SUEZ Energy Europe En charge de faciliter l’intégration de GDF SUEZ Energy Europe dans l’ère digitale depuis l’automne 2013, Christophe Vanden Eede y a été nommé HR Performance & Digital Transformation Manager. Dans ce double rôle, il est chargé d’assurer la coordination de la planification et du reporting RH pour l’ensemble des pays européens et de développer les compétences en workforce analytics, mais aussi de poursuivre la transformation de l’organisation en une entreprise capitalisant davantage sur l’apport des nouvelles technologies digitales. Diplômé en droit de l’Université d’Anvers et en management de la Vlerick Leuven-Gent Management School, il a débuté sa carrière chez Electrabel dans le cadre d’un projet visant à préparer l’organisation à la libéralisation du marché, avant de rejoindre les équipes Marketing & Sales pour y travailler sur différents projets. En mars 2007, il prenait le train des RH en tant que Recruitment & Mobility, Sourcing & Employer Branding Manager, pour évoluer ensuite en tant que Learning & Development Manager. En novembre 2013, Christophe Vanden Eede prenait un rôle européen en tant que Change Manager Digital, rôle dans le cadre duquel il a notamment lancé un important programme d’apprentissage de l’usage des médias sociaux via une plateforme collaborative.

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RESEAU I NOUVEAUX RÔLES

AGENDA HR SQUARE

VE 24.04

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JE 24.09

SÉMINAIRE SUR LA GRH DANS LES SOINS DE SANTÉ

SÉMINAIRE CUSTOMER-CENTRIC HR

La GRH s’est structurellement professionnalisée dans le secteur des soins de santé : les DRH créent, anticipent et innovent dans un secteur en perpétuel changement. Alors que la pression financière s’accroît, quelles pistes créatives peuvent-ils emprunter pour contribuer de façon ambitieuse et proactive au développement de leur institution? C’est ce que nous tenterons d’explorer par le biais de sessions de travail interactives.

Quel est le rôle des RH dans le développement d’une organisation centrée sur le client?

JE 08.10

LES ETOILES DU DIALOGUE SOCIAL

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JE 11.06

STRATÉGIE & INNOVATION Auteur et conférencier réputé, Gary Hamel enseigne à la Harvard Business School et à la London Business School. Président-fondateur du cabinet de conseil Strategos basé à Chicago, il dirige aussi MLab, laboratoire de recherche sur les pratiques managériales innovantes. Il figure parmi les plus grands gourous du management.

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27-28.08 CONFÉRENCE D’ÉTÉ

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Des exemples inspirants de dialogue social constructif en entreprise. L’événement se conclura par la désignation des Etoiles du Dialogue Social.

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JE 19.11

SÉMINAIRE ESPACES DE TRAVAIL Comment accompagner le réaménagement des espaces de travail pour en faire un levier de transformation de la culture d’organisation et améliorer les niveaux de performance.

Ce programme est prévisionnel et peut encore être amené à évoluer en termes de dates ou de thèmes. A suivre sur www.hrsquare.be/fr/agenda

Sandra Boel Quintiles Jusqu’ici Director HR Operations Northern Europe, Sandra Boel prend un rôle global chez Quintiles en tant que Head of Employee Experience. Diplômée en gestion d’entreprise à la Karel De Grote Hogeschool (Sint-Lodewijk), avec un masterclass complémentaire en gestion des ressources humaines (Vlerick School) et une formation de coach certifié (Université d’Anvers Management School), elle a débuté sa carrière comme consultante en recrutement et sélection ainsi qu’en outplacement chez Randstad Services. En 2003, elle est intervenue en tant que HR Manager ad interim chez Astra Zeneca, fonction qu’elle a ensuite exercé pleinement jusqu’au printemps 2008. Elle rejoignait alors Strabag en tant que HR Manager, puis Danone Baby Nutrition dans la fonction de DRH. C’est en 2011 qu’elle a intégré Quintiles, d’abord comme DRH pour la Belgique, pour évoluer ensuite dans le rôle de HR Director HR Operations Northern Europe (Benelux, Nordics & France). Dans sa nouvelle fonction, Sandra Boel pilotera les efforts engagés en faveur d’une meilleure compréhension des opinions des effectifs de Quintiles et aidera les leaders du business à assurer la plus haute probabilité de réussite pour les clients de l’organisation. Elle se concentrera en particulier sur le redesign des outils de feed-back des employés, y compris les enquêtes auprès des nouveaux engagés, les exit interviews et les enquêtes d’engagement. Elle contribuera aussi à l’élaboration de programmes et initiatives visant à améliorer l’efficacité des collaborateurs et développera le projet de Responsabilité sociétale de l’entreprise.


RESEAU I NOUVEAUX RÔLES

Stephan Londoz Securex

Rudi Nerinckx ASK Chemicals

Stephan Londoz a été désigné comme étant le nouveau CEO du prestataire de services RH Securex. Il a succédé à Luc Deflem qui avait quitté l’entreprise quelques semaines plus tôt. Stephan Londoz travaille depuis 1990 pour le groupe Securex dont il a été COO depuis 2001. Auparavant, il a été actif dans plusieurs fonctions, entre autres chez Avis, Deloitte et Transintra & Agetraf. Il est Ingénieur Commercial de formation (Solvay Ecole de Commerce, Université Libre de Bruxelles).

Depuis juillet dernier, Rudi Nerinckx exerce la fonction de Chief Human Resources Officer chez ASK Chemicals, basé dans la région de Düsseldorf en Allemagne. Il est en charge de tous les aspects RH et communication de cette entreprise spécialisée dans les produits chimiques pour la fonderie. Diplômée en psychologie de la KUL, il a évolué neuf ans chez UCB, notamment en tant que Vice-President HR Europe, avant de rejoindre brièvement Cytec en tant que Global HR Director Surface Specialities. Entre 2005 et 2011, il a été Executive VP HR & Communication chez Brussels Airlines. Au cours des dernières années, il était le Chief HR Officer du groupe Tessenderlo.

RETROUVEZ LES DERNIERS CHANGEMENTS DE FONCTION SUR NOTRE SITE À L’ADRESSE WWW.HRSQUARE.BE/FR/NOMINATIONS. VOUS RELEVEZ UN NOUVEAU DÉFI ? FAITES-LE NOUS SAVOIR AUPRÈS DE CHRISTOPHE.LOGIUDICE@HRSQUARE.BE

Entreprendre avec les entrepreneurs Partena Professional souhaite aider et encourager les entrepreneurs à entreprendre avec succès. Que proposons-nous concrètement ? • Des conseils pratiques pour les entrepreneurs qui souhaitent se lancer • Une optimalisation du statut social de l’indépendant afin d’atteindre un niveau comparable à celui de l’employé • Une aide pour maximaliser la rentabilité de la gestion du personnel

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Entreprendre avec les entrepreneurs

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RESEAU I FORUM

COMMENT SOUTENIR LES TRAVAILLEURS ISOLÉS texte

Le Forum permet à tout DRH qui le désire d’évoquer un thème figurant à son agenda et de bénéficier de l’expérience de confrères disposés à mettre en valeur leurs réalisations. Vous souhaitez poser une question à la communauté RH ? Adressez-nous un courriel à christophe.logiudice@hrsquare.be.

christophe lo giudice

La question de Sandrine Vanden Bulcke, HR Manager chez Cegelec Infra Technics, filiale de services technologiques pour les infrastructures et leur exploitation du groupe Vinci: « Comment assurer la motivation, l’engagement, la sécurité de travailleurs intervenant seuls, de site en site, avec peu de liens avec le bureau, la hiérarchie et les collègues ? » Travailler « en solo » : il sont nombreux à fonctionner de la sorte, sur base permanente ou plus ou moins régulière. S’il a ses avantages (autonomie, liberté, responsabilisation), ce mode de travail comporte aussi ses limites. A la clé, un isolement, réel ou perçu, qui peut peser sur le moral, la motivation, voire impacter la sécurité. Les interactions avec les collègues et la hiérarchie sont moins fréquentes ou superficielles. La reconnaissance trouve plus difficilement à s’exprimer. Le risque de passer à côté d’informations clés est réel, comme celui de se déconnecter du projet d’entreprise et de sa culture. Comment assurer l’encadrement de ces collaborateurs et garantir qu’ils sont soutenus ? Énergie, électricité, mécanique, tuyauterie industrielle, automatisation, gestion du trafic ou génie climatique : SPIE Belgium accompagne les entreprises tout au long du cycle de vie de leurs installations. Elle compte quelque 1.600 collaborateurs répartis sur dix implantations en Belgique et au Luxembourg. Parmi ceux-ci, un bon millier peuvent être considérés comme « itinérants », certains évoluant dans le cadre d’équipes passant d’un chantier à l’autre, d’autre en solo. L’entreprise réalise également des contrôles et entretiens de chaudière chez les particuliers : dans ce cas, le technicien peut effectuer entre huit et dix visites par jour et, donc, passer beaucoup de temps sur la route. « Ces travailleurs peuvent se connecter en permanence via leur PC portable, GSM

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ou tablette, indique Jean-Pierre Martin, HR Director chez SPIE Belgium. Grâce à toutes ces technologies, ils sont moins isolés aujourd’hui qu’ils n’ont pu l’être par le passé. Le lien est quasi permanent avec le dispatching et ces outils les rendent plus proches de leurs collègues des bureaux, et les rapprochent aussi entre eux. » SPIE a par ailleurs mis en place des « Toolbox meetings ». Une fois par mois, la ligne hiérarchique et le CPPT dispensent une mini formation d’une durée d’un quart d’heure à une demi-heure sur une question de sécurité partant d’un cas vécu. L’idée est d’outiller le technicien qui serait exposé au

Sandrine Vanden Bulcke Cegelec Infra Technics © D.R.

au plan local, régional et national. Enfin, le lien est entretenu via le journal d’entreprise ‘2thePoint’, envoyé au domicile des personnes. » Parmi les 2.500 collaborateurs que l’entreprise pharmaceutique Pfizer emploie dans le pays, on dénombre une centaine de dé-

A CÔTÉ DE L’AUTONOMIE, C’EST LA RESPONSABILISATION QUI CONTRIBUE À MOTIVER ET MOBILISER même risque pour mieux le prévenir et y réagir adéquatement le cas échéant. Célébrer les succès « Ces réunions permettent de voir les travailleurs au moins une fois par mois, précise-t-il. Bien sûr, d’autres moments de contact existent : ces techniciens passent se fournir régulièrement en matériel et en pièces détachées, par exemple. Nous organisons aussi des moments de convivialité

légués médicaux évoluent également « en solo ». Répartis par aire thérapeutique, ils réalisent chaque jour cinq à six visites dans les hôpitaux ou auprès de médecins généralistes ou spécialistes à leur cabinet. Ces contacts sont de relativement courte durée, d’un quart d’heure à une demi heure. Le reste du temps, ils sont sur la route. Travaillant sur un secteur déterminé, ils n’ont généralement pas de présence au bureau, sauf réunion ou formation spécifique.


RESEAU I FORUM

IL EST DIFFICILE DE TROUVER LE SYSTÈME DE VEILLE AUTOMATIQUE ADAPTÉ À TOUTES LES SITUATIONS « Nos délégués médicaux disposent eux aussi d’un GSM, d’un laptop et, pour la plupart, d’une tablette : ils peuvent se connecter à tout moment pour consulter leur mail ou l’intranet par exemple, indique Anne De Backer, HR Director chez Pfizer. Nous avons par ailleurs mis en place un mini call centre spécifiquement dédié à la Field Force : deux personnes sont disponibles pour opérer le suivi de toute question en interne. Cette initiative fait suite au constat que les délégués ne savaient pas toujours très bien à qui s’adresser et que cela pouvait représenter un frein à appeler le siège. Nous tenons également des réunions régulières pour discuter des stratégies produits et des projets ou célébrer les succès. » Motivation et évaluation Proximus dispose d’une importante population de techniciens intervenant sur le réseau ou au domicile même des clients. Ceux-ci fonctionnent « en solo », tout comme les Sales account managers qui visitent les clients business. « Une partie d’entre eux disposent d’un véhicule, partent de chez eux et ne passent pas par leur point de chute, explique Fabrice Richard, HR Manager chez l’opérateur. La plateforme de communication en temps réel Lync représente un outil fort utilisé et apprécié. Il permet de se connecter et d’interagir avec l’avantage de se voir à distance. » Il est rare que ces travailleurs se trouvent isolés durant de longues périodes. « Ils passent par le point de ravitaillement, ont des échanges avec leur manager, sol-

licitent des renforts, etc. Nous tenons des réunions mensuelles pour permettre aux techniciens de s’aligner sur les meilleures pratiques, partager de l’information et se voir de façon plus informelle. » Ayant évolué plusieurs années comme point de contact RH de ce personnel pour la zone du Hainaut, il ne constate guère de problèmes de motivation ou d’absentéisme associés au fait de travailler en solo. Chez SPIE Belgium, Jean-Pierre Martin dresse un constat similaire : « Nous avons bien un taux absentéisme supérieur chez les cols bleus, mais il n’y a pas d’indication qu’il soit lié à l’isolement. Il s’explique par un travail manuel et dans des conditions plus difficiles sur chantier. Il faut dire que la capacité à travailler de façon autonome est évaluée dès le recrutement à l’aide d’outils d’assessment. » Pour ce qui est de la motivation, les dispositifs d’évaluation en place ont été pensés de manière adaptée. « A chaque fin de chantier, le responsable doit faire l’évaluation de son collaborateur, note-t-il. Les techniciens opèrent sur plusieurs chantiers par an et ont donc différents responsables. En fin d’année, une consolidation est menée par le manager de business unit et le manager RH pour dispenser un feedback unique. Le travailleur sait qu’il est évalué sur ses compétences et ses comportements, et que de cette évaluation découlent des formations. » Responsabilisation La culture de Pfizer, baptisée « Own It » est centrée sur la notion de responsabilisation, confie Anne De Backer. « C’est une notion véritablement ancrée dans l’entreprise et dans tout ce que nous entreprenons. Bien sûr, ce sont des vendeurs : ils se motivent sur base de leurs résultats. Mais il est important pour maintenir un bon niveau d’engagement qu’ils restent connectés au siège. Chaque manager joue de ce fait le rôle de relai entre la route et le siège, au travers d’une présence régulière sur le terrain. La direction organise également des meetings en petit comité avec la force de vente pour mieux comprendre leurs problèmes journaliers, cette écoute permettant d’apporter des solutions ciblées. Enfin, un groupe de travail spécifique à la Field Force a été mis en place, composé de volontaires et géré par eux. Il fait émerger leurs besoins ou certaines problématiques, ainsi que des plans d’action. » En matière de sécurité, Fabrice Richard pointe le rôle essentiel de la formation. Et, en cas de problème se marquant sur le

terrain, la connexion permanente au dispatching via GSM permet de le signaler et d’obtenir l’assistance requise. Outre les Toolbox Meetings, SPIE Belgium a investi dans un dispositif de veille automatique. « Nous en avons testé plusieurs et il est très difficile de trouver le système standard qui conviendrait à toutes les situations, concède-t-il. La plupart fonctionnent en cas de perte de verticalité ou en absence de mouvement, mais ne couvrent pas aussi bien les techniciens qui travaillent couchés dans des canalisations ou dans des poses plus acrobatiques. Notre dispositif est utilisé à la demande, et non pas de façon systématique. Le recours au GSM permet déjà de couvrir la toute grande majorité des situations qui nécessiteraient un signalement. Pour le reste, nous sommes bloqués par l’offre technologique. Si nous trouvions un système idéal, nous le prendrions… »

ILS PARTAGENT LEUR EXPÉRIENCE

Jean-Pierre Martin HR Director SPIE Belgium © D.R.

Anne De Backer Director HR - HR MOS Lead Brussels Pfizer © D.R.

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EN TÊTE D’AFFICHE

Sophie Streydio Puratos « Nous ne sommes pas là pour transformer l’organisation en deux ans ou tous les deux ans, mais pour la rendre capable d’évoluer sur le long terme en accompagnant les tendances nouvelles sur le marché. » © Hendrik De Schrijver

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EN TÊTE D’AFFICHE

SOPHIE STREYDIO (PURATOS) SUR LE SOUTIEN RH À LA RECHERCHE ET AU DÉVELOPPEMENT texte

LA CONFIANCE EST UN INGRÉDIENT CLÉ DE LA ‘MAGIE PURATOS’

christophe lo giudice

Investir en recherche est un levier essentiel de réussite et constitue le meilleur moyen de lutter efficacement contre le climat économique morose. Telle est la conviction du groupe Puratos qui s’est fixé pour ambition de tripler son chiffre d’affaires d’ici 2030. Pour soutenir sa croissance, il vient d’investir dans une nouvelle plateforme d’innovation et mise sur une approche RH ambitieuse. Rencontre avec Sophie Streydio, sa DRH. Fournisseur de produits innovants et de matières premières en boulangerie, pâtisserie et chocolaterie, le groupe Puratos a toujours misé sur la recherche et le développement qui est à la source même de sa spectaculaire expansion. Tout est parti d’un petit garage bruxellois en 1919, à l’instar des plus impressionnantes success-stories de la Silicon Valley contemporaines. Aujourd’hui, l’entreprise basée à Grand-Bigard emploie quelque 7.000 personnes dans le monde, compte 55 usines de production réparties dans 43 pays et vend ses produits dans plus de 100 contrées ! Chez Puratos, quelque 2,5% des revenus sont investis dans la recherche et le déve-

TEMPS FORTS :: Envisager le business à un horizon de dix à quinze ans peut paraître illusoire dans un monde aussi incertain que le nôtre. Ce peut pourtant être un gage de réussite :: La recherche et l’innovation représentent un levier clé de différenciation, dont la puissance est démultipliée quand on les associe à la passion pour les produits :: Le développement d’une approche RH ambitieuse est d’autant plus porteur de valeur ajoutée qu’il se fonde sur la compréhension du business, contribue à l’amélioration continue et veille à préserver la culture et les valeurs de l’organisation

loppement de produits. Du solide quand on sait que le groupe réalise un chiffre d’affaires de l’ordre d’1,3 milliard d’euros… En octobre dernier, il inaugurait une toute nouvelle plateforme de l’innovation sur le site du quartier général pour un investissement de 15 mil-

pement des produits du futur, la nutrition, la saveur et la praticité en étant les éléments moteurs. « Les attentes des consommateurs évoluent sans cesse et sont très différentes selon les pays où nous sommes présents

ON NE PEUT RÉUSSIR À LONG TERME SI LE COURT-TERME N’EST PAS ATTEINT DE FAÇON RÉGULIÈRE lions d’euros : l’Inspirience Centre. Celui-ci se compose notamment de six laboratoires de recherches - le laboratoire de fermentation naturelle et découverte d’enzyme, le laboratoire alimentaire (nouveaux produits), le laboratoire d’analyse instrumentale (analyse des fonctionnalités d’ingrédients), le laboratoire d’étude des produits cuits (applications), le laboratoire physico-chimique et le local d’évaluation (produits finis) -, le bâtiment couvrant en tout une surface de 6.000 mètres carrés. L’Inspirience Centre a été conçu pour offrir un environnement de travail stimulant la créativité et l’innovation. A pleine capacité, il accueillera 210 personnes. Ouvert à l’équipe mondiale des chercheurs de Puratos, mais également à ses partenaires dont plusieurs universités et instituts de recherche, il se pose en véritable lieu d’inspiration et d’échange d’idées pour de nouvelles découvertes. Objectif : contribuer au bon dévelop-

aux quatre coins du monde, confie Sophie Streydio, Group HR Director chez Puratos depuis le printemps 2010. Notre ambition est, ici, de faire se rejoindre les tendances consommateurs et l’amélioration des produits et services que nous proposons à nos clients, en continuant à les inspirer. » L’Inspirience Centre jouera un rôle pivot au sein du réseau des 69 Innovation & R&D Centres que le groupe a ouvert à travers le monde afin d’assurer une grande proximité avec le client, dont un des plus importants se trouve à Guangzhou en Chine. Au total, quelque 750 personnes travaillent dans la R&D et l’innovation technologique. Modèles prospectifs Ce qui a surtout frappé Sophie Streydio à son arrivée dans le groupe ? L’orientation long terme, assurément. D’autant plus que la nouvelle DRH avait un important background dans le monde des multinationales améri-

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EN TÊTE D’AFFICHE Sophie Streydio Puratos « Les experts sont souvent moins enclins à devenir managers qu’experts. Nous avons développé une échelle duale pour permettre à l’expert de grandir en responsabilités en valorisant cette évolution de manière comparable à celle de manager. » © Hendrik De Schrijver

caines souvent axées sur le résultat immédiat. « Puratos est une entreprise familiale à l’esprit d’entrepreneur très marqué, explique-t-elle. Il a déterminé sa stratégie et ses objectifs à l’horizon 2030, avec l’ambition d’atteindre cinq milliards d’euros de chiffre d’affaires. Il ne s’agit pas de promesses en l’air : la réflexion se fonde sur la recherche la plus pointue en matière d’alimentation, appuyée par un travail prospectif mené avec l’aide d’anthropologues et de sociologues. Tout le business model et les décisions sont développés au prisme du long terme. » Envisager le business à si longue échéance peut apparaître à d’aucuns bien illusoire dans un monde aussi incertain et imprévisible que le nôtre. Et pourtant, le groupe Puratos démontre que c’est possible. « Le secteur de l’alimentation a cet avantage de pouvoir partir de constats imparables: les gens ont besoin de manger pour vivre et la population mondiale ne cesse de croître, ce

gré la crise économique, nous sommes en ligne avec ses prévisions. » Autre particularité de l’entreprise : la grande stabilité de son management, tout comme de l’ensemble de la population. « Nous ne sommes pas là pour transformer l’organisation en deux ans ou tous les deux ans, mais bien pour la rendre capable d’évoluer sur le long terme en accompagnant les tendances nouvelles sur le marché. La direction, mais aussi le conseil d’administration, sont composés de visionnaires qui vivent le business dans leur âme. De véritables passionnés de nos produits. Ce qui ne veut pas dire que nous ne sommes pas constamment attentifs aux chiffres: on ne peut réussir à long terme si le court-terme n’est pas atteint de façon rigoureuse et régulière. » Sur le terrain Sophie Streydio reconnaît avoir la chance de travailler avec un CEO qui croit en la valeur

LES CHERCHEURS SONT UNE POPULATION À LAQUELLE NOUS PORTONS UNE ATTENTION PARTICULIÈRE qui permet de construire des modèles prospectifs relativement précis. Pour le reste, c’est avant tout une question de choix et de culture d’entreprise. En 2010, notre ancien directeur financier avait construit un premier plan qui pouvait déjà paraître ambitieux et je dois bien constater que, chaque année, mal-

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ajoutée d’une approche RH ambitieuse. Les deux partagent également la conviction que celle-ci ne peut l’être que si elle se fonde sur une connaissance approfondie du business. C’est ainsi qu’au cours de sa première année dans l’entreprise, la nouvelle DRH groupe a pris son bâton de pèlerin pour accompa-

gner son patron dans toutes les régions où le groupe est actif. L’occasion de très nombreuses visites chez les clients, depuis le petit artisan chocolatier jusqu’aux grands groupes industriels, en passant par les acteurs de la restauration rapide. « Si je dois engager un General Manager de pays, je dois bien comprendre qui seront ses interlocuteurs, leurs attentes et leurs besoins, justifie-t-elle. Ce n’est qu’ainsi que nous pouvons déterminer le profil que nous recherchons. » Ces voyages lui ont aussi permis de rencontrer les équipes, de découvrir la culture Puratos - dans le groupe, on parle même de ‘Magie Puratos’ -, sa diversité aussi. « J’ai appris le business de façon très concrète en suivant des formations à la boulangerie, la pâtisserie et la chocolaterie, pour in fine découvrir à quel point nos métiers sont scientifiques. Cette étape est d’ailleurs classique chez nous : nous avons un processus d’induction très sophistiqué par lequel passe chaque nouveau collaborateur. Il s’étale sur une année et comporte différentes étapes. » La mission assignée à Sophie Streydio : définir la stratégie et l’organisation RH à même de soutenir la croissance du groupe. « Puratos disposait d’un département RH global, mais qui n’était pas structuré pour avoir une gestion professionnelle adaptée à une population aussi diversifiée et à la gestion d’une telle croissance », note-t-elle. Dans cet esprit, une série de centres d’excellence globaux ont été constitués pour la gestion des talents et des recrutements, la gestion des rémunérations & benefices, la gestion des données et des systèmes RH, l’apprentissage et le développement (Puratos University), l’HR « compliance », etc. Un gros travail a également été mené sur la gestion de la population expatriée pour pouvoir mieux soutenir les évolutions d’un pays à un autre. Evolution continue D’autres gros chantiers ont été menés, comme la réorganisation du talent management sur base des modèles de compétences et en l’adaptant dans une optique de workforce planning. Un nouveau système


EN TÊTE D’AFFICHE SAP a été implémenté pour une gestion intégrée des RH en lien avec les données business. Progressivement, une structure de Business Partners RH a été déployée, en particulier pour soutenir les régions et les pays en forte évolution en Asie, en Amérique latine et en Europe de l’Est. De petites structures y ont pris de l’ampleur nécessitant des approches RH plus élaborées. « L’objectif : avoir l’environnement humain adapté pour pouvoir réaliser les ambitions du business et perpétuer la ‘magie Puratos’, notre culture, notre façon de faire des

NOTRE MODÈLE DE COMPÉTENCES A ÉTÉ PRODUIT EN CO-CRÉATION AVEC LE BUSINESS choses, basée sur une confiance mutuelle et une même vision, souligne-t-elle. Notre succès repose en effet sur la confiance : la confiance en soi, la confiance en ses collègues, la confiance en nos capacités à développer de nouvelles technologies et à convaincre les clients qu’on peut faire la différence. Cette dynamique est puissante et n’empêche nullement par ailleurs l’humilité et la capacité à se remettre en question. Mais sans révolution. Car, la révolution, c’est le chaos. Nous privilégions plutôt l’évolution continue, sans prendre le risque de mettre en péril la culture, les valeurs et les façons de fonctionner qui ont fait leurs preuves. Avancer tous les jours, pas par pas. » Vivier bouillonnant L’innovation est un ingrédient stratégique pour Puratos qui le considère comme la clé de la différenciation par rapport à ses concurrents. Différents dispositifs sont en place pour la stimuler. Ainsi, chaque année, un séminaire R&D d’une semaine est organisé, avec de la formation aux nouveaux produits et des partages de bonnes pratiques. Une fois tous les deux ans, une réunion plus

large de quelque 250 personnes porte sur le Business Development avec des séances de travail, des sessions de brainstorming, de la formation pour lancer de nouvelles idées, explorer de nouvelles solutions, envisager de nouvelles technologies. Un véritable « vivier bouillonnant », comme la qualifie Sophie Streydio. L’intensité des échanges est par ailleurs constamment stimulée. « Nos experts voyagent énormément à travers le monde, ce qui est aussi un facteur clé d’employer branding et d’attractivité, appuie-t-elle. L’industrie alimentaire offre des évolutions de carrière qui restent traditionnelles alors que, chez nous, on bouge tout le temps ! Cette décentralisation est indispensable pour répondre aux besoins de nos clients : un pain en Belgique n’est pas un pain en France ou en Italie. Les goûts en matière de pâtisserie varient fortement selon que l’on soit en Europe, en Amérique du Sud ou en Asie. » La formation est un autre levier important : « Nous travaillons sur des technologies de pointe, vecteur de différenciation dans le marché. L’université interne que nous avons développée est une vraie école de formation technique. Elle forme à la connaissance de nos produits et technologies et aux techniques de vente, mais représente aussi un lieu de création de nouvelles solutions pour le client. A partir d’un même ingrédient, on peut développer beaucoup de recettes. On peut vendre un mélange pour pâtisserie, mais le client peut aussi vouloir l’adapter pour résoudre une problématique de viscosité ou obtenir un goût particulier. Nos clients disposent de leurs propres technologies et nos produits doivent pouvoir s’adapter à leurs processus de fabrication. » Soft skills Chez Puratos, la gestion des talents est très sophistiquée. Mieux : elle est portée au plus haut niveau. « A chaque réunion du comité de direction, nous passons une à deux heures sur les questions de personnes, que ce soit des mobilités internes ou des successions par exemple, en plus des revues de talents périodiques. » Plus récemment, une réflexion a été menée sur les carrières des experts. « Souvent, les experts sont moins enclins à devenir des managers, au risque de perdre en expertise et de rendre la personne insatisfaite lorsqu’on la promeut. Nous avons donc développé une échelle duale afin de leur permettre de grandir dans leurs responsabilités d’expert en valorisant cette évolution de manière comparable à celle de manager. » Pour chaque niveau d’évolution, des compétences à développer ont été définies, ce

qui permet aux chercheurs de gagner en responsabilités dans leur domaine d’expertise. « Les chercheurs sont une population à laquelle nous portons une attention particulière. L’Inspiration Centre s’inscrit dans cette dynamique dans l’optique de les motiver, de les accompagner et de les développer. Le modèle de compétences a été produit en co-création avec le business. Il exprime plus particulièrement les attentes du groupe à leur égard: avoir des experts exceptionnels au plan technique, c’est très bien; mais leur réussite dépend aussi des soft skills qui s’expriment par exemple dans la gestion des fournisseurs ou des clients, la gestion de projets et la collaboration avec les universités, les partenaires stratégiques, et les centres de recherche… » Cette clarification des attentes s’est accompagnée de programmes de formation. « Nous voulons notamment que nos experts puissent devenir de meilleurs coachs et se montrent plus attentifs aux besoins de leurs collaborateurs. Tous nos experts sont évalués sur leur capacité à coacher les membres de leur équipe. Plus ils montent en responsabilités, plus on demande des compétences de coaching spécifiques: notre vision, c’est qu’un expert ne peut être réellement performant que s’il est capable de transférer ses connaissances à d’autres. » Bonne adéquation Pour accompagner sa croissance, le groupe Puratos s’attend à devoir recruter 6.800 collaborateurs au niveau mondial dans les six ans. « Soit quasiment l’équivalent de notre population actuelle », résume Sophie Streydio. L’entreprise dispose à cette fin de solides atouts: un secteur attractif, une présence mondiale, des technologies à la pointe de l’innovation, une culture d’entreprise forte et des perspectives de carrière, une offre de formation solide,… Mais, « outre le défi d’attirer ces talents et de les fidéliser, il nous faudra absorber ces volumes tout en préservant la culture de notre organisation, conclut-elle. Quand nous recrutons, nous accordons beaucoup d’importance à l’adéquation de la personne à notre culture. Si nous avons face à nous un candidat exceptionnel en termes de compétences techniques, mais pour lequel nous avons des doutes quant à cette adéquation, il ne faut pas transiger. Les fois où nous avons plié en faveur des compétences, la collaboration n’a pas fonctionné sur le long terme. Pour autant, cette culture n’est pas figée : elle évolue en ligne avec notre valeur d’amélioration continue. Mais il faut veiller à garder l’ADN de ce qui a fait notre succès jusqu’ici. »

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« CUSTOMERCENTRIC HR » : UNE NOUVELLE AMBITION POUR LA PROFESSION texte

COMMENT DÉVELOPPER UNE ORGANISATION ORIENTÉE CLIENTS

christophe lo giudice

Dans son livre HR from the Outside In, Dave Ulrich, professeur à l’Université du Michigan et véritable gourou des ressources humaines, incite les DRH à se tourner davantage vers l’extérieur de l’organisation, notamment afin de la positionner comme « l’employeur de choix des employés que les clients choisiraient ». A ce titre, le développement d’une organisation orientée clients représente un vrai sujet de transformation culturelle dont le DRH doit aujourd’hui se saisir. Sans client, point d’entreprise : une lapalissade ! La capacité à répondre aux attentes du client figure parmi les premières conditions d’existence de l’entreprise. Que des clients satisfaits et fidèles soient un facteur clé de succès dans un environnement de plus en plus concurrentiel, tous les cadres dirigeants en sont persuadés. Soigner le client devrait donc sinon relever de l’évidence, du moins s’inscrire dans l’ADN de toute organisation. « Pourtant, l’orientation client est un sujet à propos duquel la réalité ne reflète par les discours, observe Gilles Verrier, fondateur

TEMPS FORTS :: Si l’entreprise veut être ‘orientée client’, elle doit, à chaque moment, pour chaque décision, dans tout processus, se poser la question de l’impact pour le client :: Selon, le modèle de la « Service Profit Chain » (Heskett) l’entreprise qui dispose de services de support internes de qualité génère de la satisfaction chez son personnel, ce qui, in fine, aboutit à développer le profit de l’entreprise :: Différents leviers peuvent être activés par le DRH dans une perspective d’amélioration de l’orientation client: le design des jobs, l’environnement de travail, le recrutement et la sélection, la reconnaissance et les outils mis à disposition des collaborateurs

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du cabinet Identité RH, lui-même ancien DRH (Elf, Unilever, Laboratoires Pierre Fabre, Décathlon) et professeur associé en ressources humaines à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où il co-dirige l’Executive Master RH. Tout le monde se dit orienté client. On le proclame haut et fort dans les valeurs de bien des entreprises. Mais le décalage est grand entre le discours, les pratiques de terrain et l’évaluation qu’en font les clients. » Professeur de marketing à Grenoble Ecole de Management et directeur de recherche et développement de l’Académie du Service dont il est associé fondateur, Benoît Meyronin va jusqu’à parler de « verbiage » de courte vue. « L’acception générale de l’orientation client est très centrée sur les équipes de front office. On se limite à vouloir améliorer la façon de recevoir le client en travaillant sur les points de contacts. C’est évidemment réducteur. Si l’entreprise veut réellement être ‘orientée client’, elle doit, à chaque moment, pour chaque décision, dans tout processus, se poser la question de l’impact pour le client. Si elle n’est pas capable de le faire et, surtout, d’apporter une réponse satisfaisante à cette question, elle ne se situe pas dans une optique de relation client créatrice de valeur. » Re-engineering Relation, satisfaction, fidélisation, loyauté : autant de termes mobilisés dont on ne mesure pas toujours l’exacte portée. « L’orientation client est avant tout une question d’attitudes et de comportements, explique Gilles Verrier. Y travailler passe par rendre le client

final visible pour tous, mettre en évidence l’impact client de chaque action ou projet et utiliser systématiquement le feed-back des clients pour progresser. Mais cette ambition ne s’arrête pas là : elle porte également en elle un enjeu organisationnel. » L’exemple d’une petite visite chez Fauchon, une épicerie de luxe à Paris, en atteste. Le client doit y faire trois fois la file : pour le salé, pour le sucré, à la caisse. « L’entreprise est en effet organisée en fonction de ses métiers, et non des flux clients, indique-t-il. Elle devrait donc sortir de logiques parfois antagonistes dont nous avons hérité, et qui l’amènent à se centrer sur des enjeux internes, des questions de territoires et des jeux de pouvoir. » Une compagnie aérienne comme Southwest Airlines l’a fort bien compris. « On y considère depuis plus de dix ans que la dichotomie classique entre personnel au sol et personnel naviguant n’a de légitimité qu’interne. La compagnie s’est donc réorganisée pour mettre, face aux clients d’un vol donné, une seule et même équipe, et ce depuis l’enregistrement jusqu’à la sortie de l’avion. » Benoît Meyronin partage le constat d’une inadéquation des entreprises dont les schémas mentaux et organisationnels sont hérités du monde industriel. « Il faudra bien un jour envisager d’autres modalités organisationnelles, avance-t-il, ce qui exige le redécoupage des fonctions au sein de l’entreprise (lire l’encadré). Plus que jamais, les collaborateurs sont des actifs stratégiques et de différenciation. Mais on n’atteint pas la flexibilité recherchée en faveur de l’expérience client parce que les différents acteurs ne sont pas rassemblés sous un même étendard, le di-


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Benoît Meyronin Grenoble Ecole de Management « Plus que jamais, les collaborateurs sont des actifs stratégiques et de différenciation. Mais on n’atteint pas la flexibilité recherchée en faveur de l’expérience client parce que les différents acteurs ne sont pas rassemblés sous un même étendard. » © D.R.

gital venant encore rajouter une couche de complexité. » Que ce soient les opérations, le marketing ou les RH, tous sont parties prenantes à un moment donné ou un autre dans la conception, le lancement, la production, le support d’une nouvelle offre. Mais, souligne-t-il, la difficulté récurrente porte sur le fait que

clients. L’enjeu est principalement humain, avec des liens avec la formation, le recrutement, la rémunération, la gestion des performances,… » Mais voilà, ajoute Gilles Verrier: « Comment réorganiser l’entreprise autour du client ? Peu de DRH sont réellement à l’aise avec ce qui représente un profond chantier de re-engineering. »

SOIGNER LE CLIENT DEVRAIT S’INSCRIRE DANS L’ADN DE TOUTE ORGANISATION le sujet du service demeure pour le moins diffus dans l’entreprise. A ses yeux, le DRH est un acteur légitime pour prendre celui-ci à bras-le-corps. « Ce sont bien les équipes qui font vivre l’expérience aux clients. Et le DRH est celui à qui il revient de prendre soin des équipes pour qu’elles prennent soin des

Quatre dimensions Professeur assistant en marketing et titulaire du cours Services Marketing & Management à HEC-ULg, Cécile Delcourt a réalisé sa thèse sur le « moment de vérité », la rencontre entre l’employé de contact et le client. Pour elle, l’orientation client se traduit par la dé-

marche délibérée de s’inscrire dans une perspective relationnelle, et non simplement transactionnelle qui se limiterait à générer des revenus. Cette approche relationnelle que l’on pourrait penser surtout adaptée aux firmes que le client visite régulièrement fait également du sens pour celles connaissant des actes d’achat plus ponctuels, voire même uniques. « En réalité, toute organisation devrait mettre le focus sur la dimension relationnelle, souligne-t-elle. L’exemple de Carglass est marquant: une étude a montré que le client avait besoin des services de cette entreprise une fois tous les sept ans. Pourtant, elle a trouvé intéressant de développer une orientation client forte, avec le succès qu’on lui connaît. A l’extrême, un magasin qui vend des robes de mariée pourrait se dire qu’il ne fera très probablement qu’une seule vente par cliente. Mais il faut envisager la question de la fidélisation du client de manière plus large que sur base de la seule perspective d’un nouvel achat. » La recherche montre en effet que la fidélité comporte au moins quatre dimensions : l’intention de procéder à un nouvel achat, l’expression d’une recommandation positive, une moindre sensibilité au prix (un client fidèle accepte souvent de payer un peu plus) et davantage de coopération pour trouver une solution à l’amiable en cas de problème. « On voit bien dès lors que l’orientation client et la recherche de fidélisation peuvent aussi se révéler bénéfiques à notre magasin de robes de mariée, en particulier en vue d’avoir des recommandations positives ou de mieux gérer un éventuel problème. » Le thème de la fidélisation n’échappe toutefois pas à la controverse. Des chercheurs prétendent ainsi qu’une entreprise peut accroître ses profits de 25% à 85% en retenant seulement 5% de ses clients de plus qu’elle ne le fait habituellement. D’autres sources estiment que la relation est plus limitée. Ces

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ON PART SOUVENT TROP VITE DU PRINCIPE QU’ON SAIT CE QU’ÊTRE ORIENTÉ CLIENT VEUT DIRE Cécile Delcourt HEC-ULg « La fidélisation du client doit dépasser la seule perspective d’un nouvel achat. Elle comporte d’autres volets: l’expression d’une recommandation, une moindre sensibilité au prix et davantage de coopération pour trouver une solution en cas de problème. » © Christophe Lo Giudice

recherches aboutissent au constat que 20% des clients les plus rentables contribuent à la réalisation des bénéfices totaux, que 20% de ceux-ci réduisent ces mêmes bénéfices tandis que le 60% restant n’a aucun effet sur les profits dans un sens comme dans l’autre. Support interne Comment envisager la relation client? Pour

Benoît Meyronin, la relation clients est « une somme de préoccupations allant de l’accueil à la gestion des réclamations, en passant par la prise en charge ‘en situation perturbée’ (pour parler comme les professionnels du transport public) et les systèmes d’automation qui permettent d’optimiser une partie de la relation ». Ce professeur la voit avant tout comme une « rencontre », une

relation d’Homme à Homme - le client ici, le patient, l’usager ou le sociétaire ailleurs -, ce qui pose la question de l’identification de toutes les conditions de la réussite pour que chacun partage un moment et y prenne plaisir, et que l’un se sente utile et l’autre reconnaissant. « Une dynamique qui exige des compétences particulières et qui, dès lors, porte en elle un enjeu d’apprentissage et de

Le modèle de la « Service Profit Chain »

Source: Heskett & Schlesinger (1994). Putting the service-profit chain to work. Harvard business review, 72(2), 164-174.

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DOSSIER 1 développement personnel. » Chercher à développer l’orientation client en travaillant sur le « sourire » des employés de contact relève d’une belle intention, mais n’aura probablement que des résultats assez limités, et essentiellement court terme. Le modèle de la « Service Profit Chain » développé par Heskett et Schlesinger, professeurs à Harvard, envisage la question de façon plus large. Selon celui-ci, l’entreprise qui dispose de services de support internes de qualité génère de la satisfaction chez son personnel, ce qui représente un des éléments importants de l’enchaînement causal d’éléments aboutissant à développer le profit de l’entreprise. La satisfaction du personnel génère deux conséquences : la loyauté de ce personnel, c'est-à-dire sa stabilité et son ancienneté, et sa productivité. Heskett insiste surtout sur la relation entre la satisfaction du personnel et sa stabilité, son expérience et sa productivité, qui conduisent à un service de valeur. Ce dernier amène la satisfaction du client. « Le tout comporte une boucle de rétroaction, ajoute Cécile Delcourt. En effet, la profitabilité et des revenus supplémentaires permettent d’investir dans la qualité des services de support internes. On s’inscrit alors dans un cercle vertueux. » Bien outiller D’abord intuitif, ce modèle a été « prouvé » par des cas de réussite exemplaire. Ensuite, la littérature scientifique a progressivement pu démontrer la corrélation d’un ingrédient à un autre de la chaîne. « Une méta analyse est actuellement menée pour démontrer le modèle dans son entièreté, avec des perspectives de résultats prometteuses, indique la professeur de HEC-ULg. Heskett met en outre en exergue différents leviers à activer en termes de qualité de services internes dans une perspective d’amélioration de l’orientation client: le design des jobs, l’environnement de travail, le recrutement et la sélection, la reconnaissance et les outils mis à disposition des collaborateurs. » Une entreprise telle que la chaîne de cafés Starbucks, par exemple, veut se différencier par son orientation client en misant sur les qualités interpersonnelles des collaborateurs telles que l’amabilité, l’atmosphère des points de vente et la qualité des produits, illustre-t-elle. « La conviction y est que rien ne peut se faire sans les collaborateurs qui ne sont d’ailleurs pas considérés comme des ‘employés’, mais bien comme des ‘partenaires’. La descriptive de fonction est construite de telle sorte d’offrir des possibilités aux gens d’évoluer dans la société et d’y faire carrière. La société a aussi beaucoup réfléchi à l’organisation du travail et à l’ergo-

nomie, de telle sorte de faciliter l’interaction avec les clients, par exemple en n’ayant pas à tourner le dos pour faire le café. » Chez Décathlon, un projet pilote a été initié : il consiste à affecter à la direction RH un magasin « laboratoire » géré par elle. Les équipes RH y travaillent au recrutement, aux formations ou encore à l’organisation des métiers, en contact avec le terrain et le client. « A l’échelle du magasin, on peut ainsi imaginer et tester d’autres modes de fonctionnement afin que le client soit, in fine, mieux servi, note Gilles Verrier. L’option de fusionner le rôle de vendeur et celui de caissier a ainsi fait l’objet de tests durant plusieurs mois. » Les enjeux de la relation client doivent par ail-

leurs être intégrés au recrutement, en misant sur le savoir être autant que sur le savoir et le savoir-faire. « Plutôt que recruter une personne qui aurait toutes les connaissances techniques, il vaut mieux miser sur celle qui a la bonne attitude, aime le contact et est forte en relation client, relève Gilles Verrier. Cette dernière peut alors être formée sur le volet expertise. L’attitude est par contre quelque chose de bien plus difficile, voire d’impossible, à modifier. » Autre levier important : outiller les collaborateurs pour leur permettre de bien servir les clients. « Il n’y a rien de pire qu’un employé de première ligne disant au client qu’il doit d’abord se référer à son chef avant de pou-

L’ORIENTATION CLIENT « POUR LES AUTRES »… ET « POUR SOI-MÊME » Le préalable au développement d’une organisation orientée client réside en la capacité du département RH à être lui-même à la hauteur de cette ambition. Il lui faudra pouvoir se positionner comme exemple en la matière en étant au service des équipes et en les approchant comme des clients internes. « L’entreprise ne peut avoir des comportements différents à l’égard de ce qu’elle attend pour le client et de ce qu’elle impulse en interne, et de même dans la façon dont elle traite les candidats, confirme Gilles Verrier. Développer l’orientation client des employés suppose bien sûr que les politiques de l’entreprise soient elles aussi orientées clients. » Dans leur livre Manager un service Ressources humaines (Editions Gereso, 2012), Patrick Georges et André Leclercq invitent à gérer le département RH comme s’il s’agissait d’un business à part entière, une entreprise dans l’entreprise. Dans cette optique, ce dernier produit et vend des services en interne, à des clients, internes ou externes, face à des concurrents, internes ou externes. L’ouvrage vise dès lors à familiariser le directeur RH à l’utilisation des meilleures techniques de management au profit de son département, en stratégie, marketing, opérations, contrôle de gestion, gestion de projets et processus, maîtrise des coûts, etc. Un des chapitres est naturellement consacré à la satisfaction des clients, invitant tout d’abord à les identifier: employés, managers, direction, représentants des travailleurs, autorités régulatrices du travail, candidats recherchés, etc. Les auteurs présentent aussi différentes mesures à réaliser pour chacun des seg-

ments de clients principaux - satisfaction de la qualité générale du service RH, de sa disponibilité, du prix interne facturé virtuellement ou non, de la livraison et du délai de service, du service ‘après-vente’, du service ‘avant vente’, de la facilité d’usage des services, etc. - et suggèrent la mise en place d’un système de collecte des plaintes, exprimées ou cachées. « Ceci dira où porter l’effort d’amélioration pour chacun des segments de clients internes, expliquent-ils. Vous aurez souvent des surprises : ce que vous croyez important ne l’est pas aux yeux des utilisateurs de vos services et l’inverse. Et ce qui est important pour une partie de vos clients ne l’est pas pour d’autres. » Pour autant, il convient de se méfier d’une logique pure de relation client/fournisseur appliquée en interne, avertissent tant Patrick Georges et André Leclercq que Gilles Verrier: « Attention aux confusions : ce n’est pas parce qu’on sert bien le client interne qu’on sert bien le client final, indique ce dernier. Ce sont deux dynamiques différentes. Souvent, les démarches de type fournisseur/client internes ne produisent pas le résultat escompté. » Benoît Meyronin préfère même bannir l’expression et parle de « culture orientée bénéficiaires ». Les clients internes du département RH ne seront jamais totalement satisfaits, appuient Patrick Georges et André Leclercq. Et cela vous coûterait trop cher d’essayer de les satisfaire totalement. Ce qu’il faut, c’est qu’ils soient un peu plus satisfaits de vous que l’année passée, un peu plus satisfaits que de vos compétiteurs internes ou externes. »

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DOSSIER 1 Gilles Verrier Institut d’Etudes Politiques de Paris « La question de l’orientation client comporte un enjeu organisationnel. L’entreprise est généralement organisée en fonction de ses métiers, et non des flux clients. Elle doit donc sortir des logiques qui l’amènent à se centrer sur des dynamiques internes. » © D.R.

IL REVIENT AU DRH DE PRENDRE SOIN DES ÉQUIPES POUR QU’ELLES PRENNENT SOIN DES CLIENTS voir répondre, illustre Cécile Delcourt. Ainsi, le Ritz-Carlton a fait le choix d’octroyer à chaque collaborateur un budget dans lequel il peut puiser librement pour assurer la satisfaction d’un client. Chez Starbucks, on a mis en place une politique ‘Just say yes’ consistant à ne pas argumenter avec le client. Le but n’est pas de gagner la bataille contre le client, mais de gagner la guerre de la fidélisation. De même, chez Zappos, numéro un du commerce en ligne de chaussures aux Etats-Unis, on ne calcule pas le temps passé avec un client au centre d’appel : on

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prend le temps qu’il faut pour résoudre son problème. » Mobiliser les énergies Les recherches académiques sur le sujet font ressortir en outre que l’orientation client se développe quand l’ensemble des collaborateurs sont orientés clients, qu’il y a projet visible porté par la direction, souligne Benoît Meyronin. « Le top management doit faire preuve d’exemplarité et montrer le goût pour le client. Partager l’objectif commun de satisfaction du client contribue à mobiliser

les énergies et à bâtir des collaborations internes afin de définir ensemble des modalités concrètes pour progresser. » En parallèle, la question de la mesure doit être posée, afin de pouvoir évaluer de façon concrète la relation client sur base de différents critères. « Une entreprise comme Europcar a décidé que l’enquête client ne serait plus administrée en externe, mais bien menée par les collaborateurs eux-mêmes, illustre Gilles Verrier. Ceux-ci interrogent les clients sur la qualité du service apporté, ce qui a une vertu pédagogique. C’est ainsi qu’un collaborateur du service comptabilité qui, a priori, n’a jamais de contact avec le client dans l’exercice de son métier, est amené à appeler cinq clients par jour sur une période de cinq semaines. De la sorte, le client ne reste pas une figure théorique éloignée : ses sensibilités, ses réactions, ses attentes deviennent très concrètes. » Le choix des paramètres à analyser est important. Attention à ne pas se limiter à des chiffres de vente ou à un indicateur de satisfaction de la clientèle qui ne vont donner qu’une image réductrice de la relation des employés aux clients, pointe Cécile Delcourt. « Le tableau gagne à être complété par la mesure de la perception qu’ont les employés des outils et du soutien managérial dont ils disposent pour pouvoir servir le client, ainsi que le degré d’autonomie et de responsabilisation dont ils bénéficient. On peut aussi évaluer la présence de dispositifs de prévention d’éventuels problèmes de service et de rectification de manquements… » Malgré tout le soin apporté à la conception du service sur le papier et à la délivrance de la prestation sur le terrain, ce que perçoit le client est souvent éloigné de la proposition originale. « Le client construit son attente sur base de ses besoins, du bouche à oreille, de son expérience passée et de la communication faite par l’entreprise, explique-t-elle encore. Il s’agit que la réalité puisse au moins rencontrer l’attente, voire la dépasse. Or,


LE BUT N’EST PAS DE GAGNER LA BATAILLE CONTRE LE CLIENT, MAIS DE GAGNER LA GUERRE DE LA FIDÉLISATION entre le service attendu et celui délivré, différents écarts peuvent se marquer. Dès lors, renforcer l’orientation client passe par intervenir pour essayer de réduire ces écarts. » Différents moyens peuvent être mis en oeuvre à cette fin. « Ainsi, il peut arriver que la société ne soit pas suffisamment au courant des attentes de ses clients, ce qui suggère de mettre en place des processus pour les identifier : enquêtes, boîtes à suggestions, clients mystères, etc. Enfin, il se peut que le service ne sont pas correctement effectué pour une raison conjoncturelle, par exemple un afflux inattendu d’un grand nombre de clients faisant que les collaborateurs sont débordés : une telle situation doit être anticipée. Enfin, il est possible que l’entreprise n’ait pas correctement traduit les attentes du client dans ses standards de qualité ou que les processus ne soient pas suivis par l’employé. » Espace dédié Benoît Meyronin insiste sur la visibilité à donner à la dynamique de développement de l’orientation client qui serait mise en oeuvre. « L’université d’entreprise peut être utile en la matière. Certaines entreprises la positionne comme une véritable université du service ou de la relation client. D’autres mettent en place un Lab client. Ce qui compte, c’est d’avoir un espace visible, dédié au sujet et porté par les RH, afin que s’élabore une pensée, une culture client propre à l’entreprise. Celle-ci gagne à être débattue: il faut en parler, se mettre d’accord sur les mots. Cette étape est essentielle, car on part souvent trop vite du principe qu’on sait ce qu’être

orienté client veut dire. Or, ce n’est pas le cas. Il s’agit d’un véritable sujet de démocratie d’entreprise. » La question est à gérer comme un projet d’entreprise, appuie Gilles Verrier qui met en exergue le trajet effectué chez United Biscuits France. Différentes initiatives ont visé à faire du client un acteur concret et visible pour les salariés du site : rencontres avec des responsables d’hypermarchés, échanges avec des groupes de consommateurs, visites des lieux de vente, présentation des résultats des études clients, etc. Ensuite, des groupes de travail ont été mis en place pour produire les plans d’amélioration du service clients et définir les indicateurs à suivre, avec une ani-

mation régulière. De cette manière, la satisfaction du client est devenue un thème partagé par tous avec, de surcroît, des impacts positifs sur le climat social. » Dernier conseil: « Si toute entreprise doit emprunter un tel chemin d’amélioration de la qualité du service client, elle doit le faire réellement et sincèrement, conclut-il. L’idée n’est pas d’instrumentaliser le client pour ajouter de la pression sur les collaborateurs, par exemple, et d’ainsi dégrader l’expérience de travail de ces derniers. Il s’agit bien au contraire de travailler, avec les collaborateurs, à transformer ce qui se joue entre eux et les clients, ce qu’ils vivent dans leurs relations au quotidien. »

PLAIDOYER EN FAVEUR D’UNE DIRECTION DE L’EXPÉRIENCE CLIENT Partant du constat d’une inadéquation des entreprises dont les schémas mentaux et organisationnels sont hérités du monde industriel, Benoît Meyronin en appelle à un vrai recentrage sur leur vocation « servicielle », avec à la clé un redécoupage des fonctions. « Ce redécoupage existe déjà ici et là pour partie, commente-t-il. Mais cette réflexion mériterait d’être véritablement poussée pour amener des idées nouvelles et suggérer ainsi des organisations mieux adaptées au contexte des services et aux enjeux forts de l’adaptation des modèles économiques aux transformations en cours. » L’architecture qu’il propose pourrait se décliner de la sorte: - une Direction du Support aux Equipes englobant la direction des services informatiques internes, la communication interne, les services généraux, l’accompagnement au changement et les « services aux équipes » (bien-être au travail, mise en œuvre de la « symétrie des attentions »…). Sa vocation serait de constituer un pool de ressources pour l’ensemble des collaborateurs de façon à faciliter leurs missions. - une Direction des Ressources Financières & de l’Anticipation Economique regroupant le contrôle de gestion et les Achats. Elle ne serait pas seulement responsable de la « bonne gestion » mais plus largement co-responsable de l’évolution du modèle économique pour garantir, sur le long terme, la pérennité de l’entreprise du point de vue de ses ressources financières. - une Direction R&D, Design & Business In-

novation qui travaillerait sur l’amont (veille et conception des nouvelles offres de façon plus rigoureuse), avec une véritable R&D et une réflexion plus poussée sur les nouveaux modèles économiques et le « maquettage » des offres futures (en lien avec la Direction précédente). - une Direction de l’Expérience Client qui piloterait la DSI « client » (on parlerait plus volontiers de « Direction de la Digitalisation des Services » pour indiquer clairement la dynamique de transformation en cours), la gestion des Supports Physiques (boutiques, agences… s’il y a lieu), la gestion de « la Relation, des Communautés & de la Satisfaction Clients », la communication externe, les opérations et le développement humain (ex-RH), pour maîtriser globalement la « relation » (humaine et technique, à travers tous les leviers), tout au long du parcours, avec les clients. Elle concentrerait de nombreuses compétences mais, ainsi « gouvernées », ces dernières gagneraient en cohérence autour d’une même vision client. Le Directeur de l’Expérience Client animerait un sous-comité de direction composé des directeurs Développement Humain, Satisfaction, Digital, etc. Il serait le garant de la cohésion de l’ensemble et il aurait clairement le statut de DG délégué. Pour en savoir plus: www.marketing-des-services.com. Benoît Meyronin y approfondit la réflexion initiée par ce dossier dans le cadre d’un blog intitulé ‘L’orientation client/service et les DRH: le futur d’une profession?

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DOSSIER 1

PHILIPPE DUVIVIER (TOYOTA & LEXUS) SUR LE LIEN ENTRE RH ET ORIENTATION CLIENT texte

LE PLUS PETIT COMMUN DÉNOMINATEUR, CE SONT LES GENS

christophe lo giudice

Depuis quasiment deux ans, Philippe Duvivier combine sa casquette de DRH de Toyota & Lexus Belgium avec la direction Customer Experience, nouvellement créée pour fédérer les différentes actions concourant à améliorer l’expérience du client. Une combinaison finalement très naturelle, selon lui, et qui délivre de beaux résultats. En dépit de ce que l’appellation laisse à penser, Toyota & Lexus Belgium fait partie du groupe Inchcape. Fondé en 1847, ce dernier eut d’abord le transport maritime comme principale occupation. Après avoir exploré et exploité diverses activités (de l’assurance à l’habillement, en passant par les photocopieurs), son management décida, en 1998, de concentrer tous ses efforts sur l’automobile. Aujourd’hui, Inchcape est le plus grand groupe indépendant du secteur dans le monde. En Belgique, il se charge de l’importation et de la distribution des marques Toyota et Lexus, à savoir la vente des véhicules neufs et d’occasion, des pièces et accessoires, ainsi que le service après-vente et les produits financiers et d’assurances. « La philosophie qui anime les DRH du groupe est celle de partenaire du business, confie Philippe Duvivier. Beaucoup le revendiquent. Nous le vivons. A cette fin, nous portons assez souvent deux casquettes. Ainsi, en tant

TEMPS FORTS :: L’organisation classique d’une entreprise est, par nature, peu orientée client : elle se fonde sur des segmentations qui ne l’intéressent pas :: Mettre le focus sur l’expérience client, c’est déterminer ce à quoi on s’engage vis-à-vis du client :: Une fois qu’on sait précisément ce que l’on veut lui offrir, on peut alors mesurer l’écart avec la réalité, développer les bonnes attitudes et prendre les actions utiles qui auront le plus d’impact

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que DRH pour la Belgique depuis 2007, j’ai précédemment dirigé le réseau des dealers Toyota que possède Inchape en Belgique et au Luxembourg. Il y a deux ans, j’ai contribué à créer la direction Customer Experience, démarche alignée à la mission du groupe : creating the ultimate customer experience for the best car brands in the world. » Triple mission Toyota & Lexus Belgium, c’est une centaine de points de vente et une quarantaine de points de services. L’effectif compte

la voix du consommateur dans l’organisation, tirer parti des enseignements qui ressortent des enquêtes menées auprès des clients et institutionnaliser ceux qui peuvent contribuer à faire la différence au niveau de l’organisation. « Nous sommes six mais, idéalement bien sûr, une responsabilité Customer Experience ne devrait pas exister : elle devrait se retrouver dans le métier de base de chaque département et de chaque collaborateur. C’est à cette ambition que nous oeuvrons. » En tant que DRH, le positionnement par

TOUTE ACTION RH DOIT ÊTRE MENÉE DE FAÇON HUMAINE ET EN APPORTANT UNE VALEUR AJOUTÉE 300 personnes au niveau du groupe, 120 au niveau de l’importateur. Au total, en Belgique, plus de 4.750 personnes travaillent pour la marque Toyota. Pour Philippe Duvivier, combiner le pilotage des ressources humaines avec la responsabilité de l’expérience client apparaît naturel. « Le plus petit commun dénominateur entre les RH et le commercial, ce sont les gens, relève-t-il. Nous avons décidé de créer la fonction sur base du constat que l’expérience client était prise en charge à différents niveaux : au centre d’appel, dans les formations destinées au réseau, lors des mesures de satisfaction client, etc. Ce n’était pas le plus efficace. Nous avons regroupé le tout et positionné la responsabilité globale au niveau du comité exécutif. » Composée de six personnes, l’équipe Customer Experience a une triple mission : être

rapport à la notion de satisfaction est complexe. « Les collaborateurs, les managers et les directeurs sont mes clients internes, mais j’ai aussi à leur égard un rôle de ‘gendarme’, de garant de l’ordre interne. Mon objectif premier n’est pas juste de les satisfaire. Si tel était le cas, et si le contexte le permettait, j’annoncerais chaque mois une augmentation de salaire : tout le monde serait satisfait. Aurait-on pour autant le meilleur service client ? Je n’en suis pas sûr. De plus, on ne peut pas toujours satisfaire les employés. Il faut parfois exécuter des décisions business difficiles. L’important est de le faire de façon humaine en apportant une valeur ajoutée, par exemple en expliquant les raisons pour lesquelles la promotion n’est pas accordée ou pourquoi un licenciement intervient. »


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Philippe Duvivier Toyota & Lexus « Nous avons décidé de créer la fonction Customer Experience sur base du constat que l’expérience client était prise en charge à différents niveaux. Ce n’était pas efficace. Nous avons regroupé le tout et l’avons positionnée au niveau du comité exécutif. » © Christophe Lo Giudice

Si la mission première du DRH n’est pas d’assurer la satisfaction du personnel, elle est par contre de faire en sorte que les collaborateurs soient engagés. « Dès lors que l’on parvient à augmenter cet engagement, on va aussi accroître la satisfaction des clients, souligne Philippe Duvivier. Mais se concentrer sur la satisfaction client n’est pas suffisant. Quand vous allez au restaurant, vous ne vous attendez pas à être simplement satisfait. Vous voulez vivre une expérience telle que vous allez recommander l’endroit. La mission de l’équipe Customer Experience consiste à faire qu’il y ait plus de promoteurs et de moins en moins de détracteurs, ce qui se traduit dans un indicateur clé, le Net Promotor Score. » L’organisation classique d’une entreprise est, par nature, peu orientée client, analyset-il. « Traditionnellement, elle s’intéresse à ce qui est nécessaire à l’atteinte des objectifs business : l’entreprise a besoin de vendeurs, d’un service après-vente, de marketing, etc. Partir de l’expérience client, c’est adopter une logique différente : ces distinctions, le client ne les voit pas. Elles ne l’intéressent pas. Il faut revoir l’approche. C’est très différent, par exemple, d’avoir des marketeers spécialisés dans le produit et des marketeers focalisés sur le consommateur. En tant que DRH, on peut faire la différence lors du recrutement, par exemple en sélectionnant un marketeer orienté service plutôt que produit, un vendeur passionné par le client plutôt qu’uniquement par l’automobile, etc. » Etre la voix du client dans l’entreprise consiste tout d’abord à récolter les perceptions et le feed-back des clients. « Ensuite,

on les restitue en interne, ce qui dépassionne les débats : qu’on l’aime ou qu’on l’aime pas, l’image reçue est incontestable. » Ce feedback, constitué de perceptions individuelles et d’observations plus systémiques, permet

priorité au recrutement qui impacte plus directement la relation au client. » Autre exemple : « Désormais, quand je recrute quelqu’un, j’aborde le processus avec la préoccupation que cette personne se retrouvera demain face au client. Ses expertises et expériences sont importantes et ses attitudes le sont tout autant, si pas plus. On aboutit donc très vite sur le terrain des valeurs. Par ailleurs, si l’on veut améliorer l’expérience du client par le biais de l’engagement des collaborateurs, cela passe par veiller à répondre, avant toute chose, à deux

NOTRE MISSION CONSISTE À FAIRE QU’IL Y AIT PLUS DE PROMOTEURS ET MOINS DE DÉTRACTEURS la mise en place d’actions d’amélioration - notamment de la formation ou du coaching de terrain -, concession par concession, puis, le cas échéant, via des programmes qui bénéficient à l’ensemble du réseau ainsi qu’au siège. Focus sur l’attitude Depuis dix-huit mois, le niveau d’expérience client a clairement progressé chez Toyota & Lexus Belgium. « Sachant que le niveau de satisfaction de nos clients est déjà très élevé, cette évolution représente une excellente performance de nos concessionnaires en termes de prise en charge de chacun de nos clients, un par un. Le mot Kaizen, pour amélioration continue en japonais, prend ici tout son sens. Le Net Promotor Score en atteste, en sachant qu’il mesure l’expérience des acheteurs mais aussi des non acheteurs. « La préoccupation enrichit la pratique RH, estime Philippe Duvivier. S’il doit recruter un mécanicien, le pur RH va envisager ce recrutement par rapport à l’ensemble des postes à pourvoir. Avec la casquette Retail ou Customer Experience, on apprend à donner la

questions de base : en tant que collaborateur, sait-on précisément ce que l’on attend de moi et dispose-t-on des bons outils pour bien faire son travail ? L’action des RH est donc clairement orientée. » C’est bien connu, la vente, ce peut aussi être frustrant. « La dynamique dans laquelle nous nous sommes inscrits fait qu’on n’est plus jamais seul à devoir faire face à ces frustrations. Un client mécontent, ce n’est plus la faute ou la responsabilité d’un autre département ou du voisin, conclut-il. Dépasser les attentes du client, c’est la mission partagée par toute l’organisation et chacun peut compter sur le soutien des autres. Ce qui ne signifie pas non plus qu’on cherche à satisfaire le client à n’importe quel prix. Mettre le focus sur l’expérience client, c’est déterminer ce à quoi on s’engage vis-à-vis de chaque client, lors de chaque interaction, de A à Z, du prospect jusqu’au client dont la voiture arrive en fin de vie. Une fois que l’on sait précisément ce que l’on veut lui offrir, on peut alors développer les bons programmes et la bonne attitude pour vraiment faire la différence. »

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FILIP DE CUYPER RACONTE COMMENT MEDIA MARKT EST DEVENU LA CHAÎNE PRÉFÉRÉE DES BELGES texte

OUBLIER LE CLIENT ? JE NE SUIS PAS FOU !

christophe lo giudice

Il y a quelques années d’ici, le modèle d’affaires de Media Markt rendait l’enseigne vulnérable à la concurrence des magasins en ligne. Le projet From a Great Place to Work to a Great Place to Shop, initié et piloté par Filip De Cuyper, directeur RH mais aussi « Customer Delight », a transformé l’organisation en la recentrant sur le client. Pari gagné : Media Markt vient d’être élu par les consommateurs meilleure chaîne de magasins du pays. La chaîne de magasins Media Markt, spécialisée dans l’électronique et l’électroménager, s’est développée sur le modèle du « cash & carry ». Cette conception de la vente laissait le client prendre en charge la logistique : il se déplace au magasin, choisit son produit, se rend à la caisse, paie et emporte la marchandise dont il attend le meilleur prix. En échange, Media Markt offrait le plus grand assortiment avec un focus sur les marques et l’innovation, au meilleur prix. Si le concept suffisait pour se différencier par le passé, il est aujourd’hui mis à mal par la technologie. « Le client digital a pris le pouvoir par l’abondance d’inspiration, d’information et de possibilités de choix en ligne, relève Filip De Cuyper, Director HR & Customer Delight chez Media Markt-Saturn, en marge de l’exposé donné dans le cadre de la 12e HR

TEMPS FORTS :: Il faut bien distinguer ce qui facilite le service au client et ce qui fait véritablement la différence, à savoir les collaborateurs et l’organisation. :: La transformation d’une organisation pour la centrer sur le client se mène dans une logique de projet, avec des étapes et des moments de mesure. :: Parmi les leviers pour y parvenir : l’inspiration, la mesure, la formation et le coaching, le recrutement, le cadre de travail ou encore la com’ interne, chaque initiative renforçant l’autre.

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Square Conference. Suite à cela, son parcours d’achat a fondamentalement changé. Nous ne pouvions plus nous contenter d’attendre que le client vienne dans nos magasins et se laisse tenter uniquement par le choix et le prix. » La vague est venue progressivement, mais ses effets pouvaient être dévastateurs, comme le

stade de son parcours d’achat, n’importe quand, n’importe où. Au niveau de la Belgique et du Luxembourg, cette transformation s’est matérialisée par le projet From a Great Place to Work to a Great Place to Shop, initié en juin 2011. « Les piliers classiques du concept restent intacts. Mais ce

NOUS NE POUVIONS PLUS NOUS CONTENTER D’ATTENDRE QUE LE CLIENT VIENNE DANS NOS MAGASINS démontrent déjà certains échecs aux EtatsUnis et dans d’autres secteurs en Europe. Media Markt a donc pris deux orientations stratégiques: d’une part, développer sa propre offre en ligne au travers d’un webshop dans une philosophie « omnichannel » et, d’autre part, revoir son modèle d’affaire pour le centrer sur le client. Dépasser les attentes Partant du constat que les comportements des clients se modifiaient, le groupe Media Markt-Saturn a décidé de modifier son organisation jusque-là guidée par le produit en une organisation axée sur le client. Dorénavant, il faut servir le client plus activement, et faire la différence en offrant de l’inspiration et de l’expérience, de l’information et des conseils, des solutions et des mesures pour enchanter le client, et pour mériter sa confiance à chaque

ne sont là que des facilitateurs, ne se suffisant plus par eux-mêmes face à la transformation digitale, note Filip De Cuyper. Il convient donc d’opérer la distinction entre ce qui facilite le service au client et ce qui fait véritablement la différence, à savoir les collaborateurs et l’organisation. Ce sont des avantages concurrentiels plus difficilement imitables. » Sa conviction ? Avoir des travailleurs motivés et satisfaits produit des clients satisfaits. Et pour pouvoir travailler sur leur motivation et leurs satisfactions respectives, il convenait au préalable d’en avoir une perception claire. Qu’est-ce qu’un « delighted customer » ? Pour Media Markt, la simple satisfaction du client ne suffit pas. « Prenez l’exemple de votre coiffeur qui prend l’initiative de vous offrir un café. La première fois, vous vous réjouissez de cette attention. S’il le fait une deuxième et une troisième fois, vous vous y habituez. Ad-


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mettons qu’à votre quatrième visite, il omette cette fois de le faire : vous allez vous demander où reste votre café… L’enjeu consiste donc à ce que les attentes du client soient toujours

DANS UNE ENTREPRISE COMPÉTITIVE, PERSONNE NE VEUT APPARAÎTRE EN MILIEU DE PELOTON dépassées et qu’il recommande le magasin à sa famille et à ses amis. » Quant à la conception de « committed co-worker », l’enseigne a, là aussi, retenu deux dimensions : la tendance naturelle à faire bien davantage d’efforts qu’attendus pour réussir tous ensemble et la recommandation par les travailleurs de l’entreprise comme « great organization to work for ».

Jusqu’il y a quatre ans d’ici, l’approche RH de Media Markt demeurait encore très axée sur l’administratif et peu orientée business. « Il existait un petit répertoire - baptisé Licence to Skills - qui listait des formations et la possibilité était donnée aux magasins d’y faire leur choix, illustre Filip De Cuyper. En réalité, les magasins y recourraient très peu car la vision sousjacente n’était pas expliquée, ni partagée : ils le voyaient comme un coût, sans en comprendre réellement la plus-value. » Profil atypique Le business ne percevant pas la plus-value des outils RH mis à sa disposition, Filip De Cuyper a pris le parti de renverser la réflexion. Une démarche en ligne avec son profil atypique pour un DRH : en plus de son expertise RH, il peut se targuer d’une expérience commerciale, d’un passage par la finance et d’un bagage d’entrepreneur. « J’ai pour avantage de bien maîtriser notre modèle d’affaires et de savoir comment on crée de la valeur dans la distribution, ce qui permet de démarrer par un autre chemin que celui des processus RH. Si l’on part du constat que ce ne sont plus les distributeurs qui déterminent les prix, mais bien les clients, par leurs comportements, il faut cerner ce qui détermine les comportements des clients et agir à ce niveau. » Des enquêtes menées auprès des clients de façon approfondie (37 questions abordées),

Filip De Cuyper Media Markt-Saturn « Si l’on part du constat que ce ne sont plus les distributeurs qui déterminent les prix, mais les clients par leurs comportements, il faut cerner ce qui détermine les comportements des clients et agir à ce niveau. » © Mike Mogensen

il ressort que la moitié de leurs attentes sont directement on indirectement liées au personnel, à côté du prix et de l’assortiment. Il faisait dès lors sens de confier la coordination de la transformation Great Place to Shop au DRH qui l’a menée en étroite collaboration avec tous les autres départements. La première étape a été de créer une vision et d’intégrer la préoccupation à la stratégie et aux objectifs de tous dans l’entreprise. Il a fallu oeuvrer à la prise de conscience générale de pourquoi le client est important et de ce qui est important pour le client dans un environnement commercial transformé. Hors sentiers battus Quels leviers activer pour développer une organisation qui va mettre le client au centre. Sur base du trajet mené depuis plus de trois ans,

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DOSSIER 1 Filip De Cuyper Media Markt-Saturn « Si chaque fois qu’un message est passé, on en profite pour enfoncer le clou en matière d’orientation client, les attitudes et les comportements finissent pas changer. » © Mike Mogensen

Filip De Cuyper en énumère plusieurs. Premier levier : aborder la transformation dans une logique de projet, avec des étapes et des moments de mesure. « Nous avons défini deux indicateurs clés : le score à l’enquête Great Place to Work et le Net Delight Index, tant au niveau du client final que du client interne. La mesure est organisée autour de chaque changement d’années : avant la période des ventes de Noël pour l’enquête Great Place to Work, et juste après les soldes de janvier pour les deux enquêtes Customer Delight. En mars, les résultats généraux sont présentés à la direction,

sur la transformation du siège principal en « services centraux », avec pour difficulté supplémentaire que les services comptabilité, contrôle de gestion et IT ont été touchés par une réorganisation lourde résultant de la mise

DES JOBDAYS FAVORISENT UN RECRUTEMENT DAVANTAGE AXÉ SUR LES ATTITUDES avec le facteur stimulant que, dans une société compétitive, personne ne veut apparaître en milieu ou en queue de peloton. Au deuxième trimestre, le CEO et le DRH font le tour des magasins pour parcourir les résultats individuels et assister à la mise en place de plans d’action locaux. » Un deuxième levier est à trouver dans le support donné aux responsables de magasin - des employés, mais qui en sont propriétaires à 10% -, aux managers et aux employés. Dans cet esprit, un programme de leadership a ciblé les directeurs de magasins lors de trois Take Off Business Excellence Days par an depuis début 2012. Lors ce ces journées, la direction RH apporte de l’explication, du développement personnel, des meilleurs pratiques externes et internes, des débats animés,… autour du changement de culture afin d’inspirer au changements d’attitude, à l’engagement, et à l’action. Ensuite, en 2013, un important programme de coaching baptisé « Get to the Point » a été lancé à destination des department managers des magasins les assistant sur sept aspects fondamentaux de leur fonction. Enfin, un programme a porté

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en place d’un centre de services partagés à Rotterdam. La formation a en outre été repensée pour sortir de méthodes traditionnelles, tant dans sa forme que dans les contenus. Exemple :

les formations sur les produits ne sont plus organisées uniquement sous forme de portes ouvertes aux fournisseurs. Ces derniers sont invités deux fois par an tous ensemble à un grand évènement de six jours, et briefés pour y traduire leurs messages en termes de compréhension du client et d’arguments de valeur directement utiles aux vendeurs quand ils sont face aux clients. Les formations en vente ne sont plus données en salle, mais dans les magasins, sous forme de coaching et de compétitions étalées sur trois mois, objectifs de vente et encouragements à l’appui. Chaque semaine, des prix sont attribués et, une fois par mois, le meilleur département fait gagner à son magasin un chèque afin d’organiser un événement « motivationnel » pour l’ensemble du magasin. Mises en situation Autre levier : la communication interne. « Si chaque fois qu’un message est passé, on

EQUILIBRE ENTRE EFFICACITÉ ET PROXIMITÉ L’équipe RH de Media Markt compte douze personnes, appuyées par des relais RH au sein des magasins, pour un effectif de près de 2.000 personnes en BeLux. L’orientation client est une priorité pour les magasins, mais elle l’est aussi pour le quartier général qui a été transformé en centre de services. Celui-ci a également des clients, internes cette fois, dont les attentes ont été analysées. Des indicateurs spécifiques viennent désormais mesurer dans quelle mesure celles-ci sont bien rencontrées. « En tant que Director HR & Customer Delight, il m’a semblé cohérent et indis-

pensable que mon propre département montre l’exemple, commente Filip De Cuyper. La sauce a pris au-delà des espérances au point qu’aujourd’hui, tout le monde dans l’équipe, et plus seulement les HR Business Partners, veut se rapprocher des magasins, du business et des clients, pour s’inscrire dans une démarche de conseil. Cet enthousiasme montre que le message est intégré, mais nécessite une vigilance. Le risque peut être d’aboutir à une gestion par exceptions. Pour un service de support, il y a un équilibre à trouver entre l’efficacité et la proximité au business. »


DOSSIER 1 en profite pour enfoncer le clou en matière d’orientation client, les attitudes et les comportements finissent pas changer », souligne Filip De Cuyper. La revue People in the Centre, envoyée au domicile des collaborateurs, vient renforcer la dynamique. « Les choix des sujets sont faits pour illustrer et renforcer le projet From Great Place to Work to Great Place to Shop. Une ‘in-store TV’ est également installée dans les magasins et les espaces de travail. Un branding y rappelle la démarche de façon dynamique. » L’environnement de travail est également un levier important. « Quand les personnes évoluent dans un cadre de travail agréable et dans une bonne ambiance, l’engagement sera meilleur. Or, il y a toujours de bonnes et moins bonnes raisons pour que le budget ne donne pas beaucoup de latitude en la matière. Nous encourageons dès lors la créativité des collaborateurs pour prendre des initiatives, notamment avec le développement de ‘Social Rooms’ leur offrant par ailleurs de la convivialité. » Le levier suivant concerne le recrutement. « C’est bien connu : généralement, on recrute les gens pour leurs compétences et on les licencie pour leurs attitudes, observe-t-il. Or, si l’on veut renforcer l’orientation client, l’at-

titude devient un critère d’embauche essentiel. Auparavant, nous recrutions beaucoup via l’intérim et par interviews, ce qui n’est pas très pertinent pour évaluer les attitudes. Nous sommes donc passés à l’organisation de jobdays : une centaine de candidats sont mis en situation à travers plusieurs exercices lors de la journée. Ils sont suivis par une quinzaine de collaborateurs volontaires. Ces derniers disposent d’une grille d’analyse et réalisent l’évaluation dans un contexte alliant rigueur de la démarche et fun. L’ambition est de rendre l’événement agréable tant pour le collaborateur que pour le candidat. » Un investissement lourd, reconnaît le DRH, mais qui se justifie dès lors qu’on prend en considération le coût global que représente une erreur de casting et le fait que le taux de rotation au cours des premiers six mois après recrutement a baissé de 70%. Progrès spectaculaires « Chaque initiative renforce l’autre, ajoute Filip De Cuyper. Le fait pour le collaborateur de devenir, à l’occasion d’une journée, un évaluateur des candidats crée une fierté, de la reconnaissance pour ses compétences, un sentiment d’appartenance. Tout cela vient soutenir la priorité au client. » Les résultats du trajet mené

depuis près de quatre ans sont très perceptibles: le score Great Place to Work n’est pas encore à l’objectif, mais a néanmoins progressé de 7%. Dans le même temps, la moyenne du marché a quant à elle diminué de 3 à 5%, en lien probablement avec le climat morose qui caractérise notre économie. Media Markt s’est donc rapproché de 10 points des meilleurs employeurs en Belgique. La progression est toute aussi nette au plan Great Place to Shop. Le Net Delight Index est passé de 104,6 à 106,3 cette année. Aujourd’hui, 80,6% des clients déclarent qu’ils recommanderaient spontanément l’enseigne, pour 77,4% en 2013. Pas moins de 95,6% disent qu’ils achèteront encore chez Media Markt à l’avenir, comparé à 94% un an plus tôt. Filip De Cuyper chiffre le résultat net généré par ce programme : Media Markt reçoit 20 millions de visites client par an. Sans dévoiler d’informations confidentielles, le bénéfice additionnel du programme se fait aisément calculer en multipliant le nombre de visites supplémentaires qui en résulte par le taux de conversion et par la marge moyenne par client. Cerise sur le gâteau : Media Markt vient d’être désigné Meilleure chaîne de magasins de Belgique à l’occasion de la RetailDetail Night 2014, sur base du vote des consommateurs…

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FABRICE POLLET (EURO CENTER, ÈGGO) SUR L’ÉQUILIBRE ENTRE PRIORITÉ AU CLIENT ET SAINE GESTION

COMMENT SOUTENIR LA PASSION DU CLIENT texte

christophe lo giudice

La passion du client fait partie de l’ADN de la PME familiale constituée par les enseignes Euro Center et èggo. Pour son DRH, Fabrice Pollet, la croissance soutenue et de plus en plus tournée vers l’international apporte avec elle le défi de pérenniser ce capital, tout en l’ancrant dans des dynamiques de gestion plus professionnelles. Partage d’expérience sur les leviers d’action mobilisés. Voici 35 ans, en 1979, Philippe Taminiaux ouvrait son premier point de vente spécialisé dans l’électroménager et l’électronique. C’était le début de l’aventure Euro Center. Au fil des années, la chaîne a connu une croissance régulière pour désormais compter 25 magasins. A partir de 2007, l’activité de cuisines équipées a connu un bel essor avec la création d’èggo, nouveau concept en matière de présentation et d’expérience client. Sa croissance a été fulgurante : on dénombre aujourd’hui 46 points de vente et quelque 15.000 cuisines livrées et installées par an. Avec l’ouverture d’une franchise à Madrid, c’est l’expansion internationale qui s’affiche maintenant comme nouvelle ambition. La qualité de l’accueil a toujours été le leitmotiv de son fondateur qui, entre-temps, est accompagné de son fils Frédéric au pilotage du

TEMPS FORTS :: Point d’extrêmes : entre obsession du client et impératif de saine gestion, il convient de placer le curseur au bon endroit afin que l’une et l’autre se renforcent :: Un des principaux leviers pour pérenniser la passion du client dans l’entreprise passe par le recrutement, suivi de la formation et de la gestion des performances :: La meilleure façon de satisfaire le client, c’est de vivre la passion du service. On ne peut y parvenir à coups d’injonctions et d’indicateurs

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groupe familial. « L’ADN de l’entreprise, c’est la passion du client et la volonté farouche de l’accueillir comme nulle part ailleurs, pointe Fabrice Pollet, DRH depuis 2003. Chacun, quel que soit son rôle dans l’entreprise, doit toujours penser et agir dans l’intérêt du client. Nous fondons cette philosophie sur l’enthousiasme, la passion et le sens de l’humour des hommes et des femmes qui font l’entreprise. Le sourire érigé en compétence stratégique et la motivation forte prennent racine dans la proximité des dirigeants et la valorisation de chacun. » Se plier en quatre Cette obsession du client se traduit dans l’équation Enthousiasme + Passion = Motivation et Succès et dans les trois valeurs de l’entreprise : la passion du client, l’esprit d’équipe et le sens du détail. Aujourd’hui, le groupe emploie 515 personnes, dont 70 au sein d’un nouveau centre logistique inauguré à Rhisnes au printemps dernier. Un des défis associés à cette croissance consiste à pérenniser la passion du client au sein d’un effectif qui ne cesse de s’élargir, tout en veillant à garantir une gestion professionnelle à la hauteur d’une structure de cette taille. « La priorité a toujours été de mettre le client au centre de tout et de se plier en quatre pour le servir au mieux, jusqu’à parfois vouloir le satisfaire à n’importe quel prix, relève Fabrice Pollet. Quand l’entreprise atteint une certaine taille, tout ne peut plus être permis : avec dix ou quinze points de vente, on peut laisser beaucoup de liberté aux collaborateurs, notamment pour faire un geste au client. Mais, avec 515 collaborateurs et 70 magasins, l’énergie totalement investie

dans le service au client, parfois de façon héroïque, peut venir mettre à mal la bonne gestion. Nos équipes sont responsabilisées en matière d’approche client, mais elles doivent l’être tout autant dans la gestion du point de vente. Il convient de bien ajuster le curseur. » Si les activités des enseignes Euro Center et èggo sont différentes et, donc, impliquent des politiques commerciales différentes, la conception du service client reste identique. « Ce qui ne change pas, c’est l’attitude face au client : que ce soit il y a vingt ans, il y a dix ans ou aujourd’hui, ce qui compte, c’est l’accueil et le sourire, que le client en face de vous soit satisfait ou mécontent. Mais, si à une époque, le sourire pouvait assurer une bonne vente, il ne suffit plus aujourd’hui. Les clients sont de plus en plus informés et exigeants, ce qui exige d’élever le niveau de compétences. Le vendeur doit très bien connaître les produits, savoir argumenter, assurer un service de qualité. Notre meilleure publicité ne se fait pas par de gros investissements dans les médias, ni via le web, mais par le bouche à oreille, d’un client à un autre. » Quatre vagues Un des principaux leviers pour pérenniser la passion du client dans l’entreprise passe par le recrutement. « Notre fil rouge consiste à veiller à la meilleure adéquation entre le candidat et la fonction proposée, ce qui est classique, mais en l’envisageant dans le contexte précis de notre culture d’entreprise. Nous validons avant tout la personnalité et l’attitude à travers le sourire, le sourire et le sourire. Nous cherchons des personnes enthousiastes et dynamiques qui voient le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Dans un


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Fabrice Pollet Euro Center & èggo « Nos équipes sont responsabilisées en matière d’approche client, mais elles doivent l’être tout autant dans la gestion du point de vente. Il convient de bien ajuster le curseur. » © Christophe Lo Giudice

second temps, nous prenons le temps d’examiner le parcours professionnel, les expériences en vente. C’est ainsi qu’on peut, par exemple, refuser la candidature du meilleur vendeur d’une grande enseigne concurrente si nous jugeons que celui-ci a été ‘déformé’ à l’accueil du client. » Autre impératif : tout candidat à un emploi est aussi un potentiel client : « Nous veillons donc à traiter tout candidat comme un client ». ‘Vis ma vie’ La passion du client est aussi renforcée par la formation, notamment dans le cadre de l’èggo Academy, créée il y a deux ans, et de l’Euro Center Academy en constitution. Les formations portent, notamment, sur les techniques de vente et l’attitude managériale. « L’approche va être revue cette année pour proposer quatre vagues de formation de 35 jours sur les métiers, les attitudes et la gestion. Jusqu’ici, nous fonctionnions beaucoup dans l’urgence en matière de recrutement, et les gens se retrouvaient en magasin avant de n’être formés que quelques semaines ou même mois plus tard. Désormais, nous allons veiller à recruter nos nouveaux collaborateurs juste avant chacune de ces vagues de sorte qu’ils puissent être formés avant d’être au contact direct du client. » Enfin, la pratique de l’entretien de développement et d’évolution - qui vient d’être renforcée au sein des deux enseignes - intègre cette donnée client : apprécier comment le collaborateur est à l’écoute du client, attentif au marché concurrentiel et pratique la bonne communication. « Et c’est vrai quel que soit le métier : la capacité d’accueil est une ambition que nous avons aussi bien pour les fonctions en relation direct avec le client que

pour les métiers de support, tant à l’égard du client final que des clients internes. » Cette orientation client interne vit en particulier en RH. « Nous considérons par exemple les responsables des grandes équipes comme des clients. Ils sont demandeurs d’effectifs qualifiés, compétents et avec une attitude légendaire. L’équipe RH doit tout mettre en oeuvre pour satisfaire son client interne en la matière. » Mais Fabrice Pollet n’irait pas jusqu’à considérer les quelque

cun cerne au mieux sa propre fonction et affine ses connaissances de l’entreprise. Le procédé renforce également la cohésion interne et améliore sensiblement les rouages qui existent entre tous les départements. Lorsque la journée est terminée, l’équipe RH recueille les témoignages des participants et utilise les évaluations pour améliorer la formule, mais aussi certaines pratiques commerciales. L’exemplarité est ici un ingrédient de succès. C’est ainsi que Frédéric Taminiaux s’est essayé à la livraison de cuisines équipées et que Fabrice Pollet a tâté de l’emballage des cadeaux de fin d’année au sein d’un Euro Center. Ils sont également allés, en tandem, assurer la livraison d’appareils élec-

SI, À UNE ÉPOQUE, LE SOURIRE POUVAIT ASSURER UNE VENTE, IL NE SUFFIT PLUS AUJOURD’HUI 500 travailleurs comme des clients. Tout comme il évite de trop formaliser l’approche client. « Il faut bien entendu des tableaux de bord et des indicateurs, mais on ne peut tout axer sur ceux-ci. La passion du client doit avant tout être inscrite dans nos gènes, dans nos tripes, dans nos réflexes ; davantage dans le verbal que dans l’écrit. La meilleure façon de satisfaire le client, c’est de vivre la passion du service. On ne peur y parvenir à coups d’injonctions et d’indicateurs. » Pour stimuler une meilleure compréhension des rôles et valeurs ajoutées de chacun, et donc aussi percevoir en quoi tous les collaborateurs peuvent contribuer à l’objectif de satisfaction du client, l’entreprise a notamment misé sur la dynamique ‘Vis ma vie’. Le principe est simple : le collaborateur doit, le temps d’une journée, vivre le métier d’un de ses collègues. L’idée est que cha-

troménagers chez les clients. Plus encore: depuis quelques semaines, le DRH relève un nouveau défi : tout en conservant cette casquette, Fabrice Pollet exerce en plus la fonction de District Manager d’une zone de six magasins Euro Center. « La mission est temporaire, mais représente une excellente occasion de dépasser une pratique professionnelle bien maîtrisée et de me rapprocher du client, là où la vraie vie se passe, conclut-il. Les métiers de gérant de magasin et de vendeur sont documentés dans les descriptions de fonctions qui servent notamment au recrutement. Mais il me semble enrichissant de mesurer l’écart pouvant exister entre la théorie et la réalité de tous les jours, et d’ensuite mieux calibrer l’approche RH en s’étant mis au plus près du coeur de métier, à savoir là où nous accueillons et servons le client. »

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BART LAMBRECHTS (CARGLASS) SUR LE CERCLE VERTUEUX QUI SE FONDE SUR LE ‘DELIGHT’ texte

CLIENTS ET EMPLOYÉS SUR PIED D’ÉGALITÉ

mélanie geelkens

Pourquoi les clients reviendraient-ils chez Carglass ? Pour le spécialiste de réparation et de remplacement de vitres, la réponse est claire : grâce à ses employés ! Pour contenter ses clients, Carglass mise énormément sur son personnel et le soigne aux petits oignons. Sa stratégie repose sur un « cercle du succès ». « Carglass répare, Carglass remplace ! » Le slogan tourne en boucle depuis un bail. Tant et si bien qu’il a fini par s’incruster dans les esprits. À un tel point que, désormais, pour beaucoup d’automobilistes devant remettre en état leur pare-brise, l’enseigne s’impose comme une évidence. Ce pari était pourtant loin d’être gagné, justement en raison de la forte concurrence régnant dans le secteur. En Belgique et au Luxembourg, on recense plus de 3.000 concessionnaires automobiles et 200 spécialistes offrant le même service. Pour se démarquer, la firme n’a eu qu’un mot à la bouche : client. « Il est au centre de tout ce que l’on fait, confirme Bart Lambrechts, directeur des ressources humaines. Le client externe comme le client interne. Cela signifie que, pour nous, le personnel est un client. » La conviction de l’entreprise constitue son « cercle du succès » : pour pouvoir pleinement satisfaire l’automobiliste qui l’a choisie, il faut que les employés soient euxmêmes comblés, de manière à contenter les actionnaires.

TEMPS FORTS :: Pour pouvoir pleinement satisfaire le client, il faut que les employés soient eux-mêmes comblés :: La première étape pour y parvenir porte sur la communication: c’est la clé de l’histoire, connaître le pourquoi et le comment :: Les autres leviers sont à trouver dans le leadership et le climat qu’il génère, le coaching ou encore la reconnaissance

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Si l’on se fie aux chiffres, la stratégie semble porteuse. Le taux de satisfaction des consommateurs s’élève à 98%, tandis que 8 sur 10 affirment qu’ils recommanderaient Carglass à leur entourage. Le chiffre d’affaires suit, lui aussi, une courbe ascendante, passant en dix ans de 97 à 211 millions d’euros. Magnifique ? Le taux de contentement des travailleurs atteint pour sa part 96%. Quant à la question de savoir quel est leur attachement à l’organisation, plus de 50% déclarent qu’ils n’ont aucune envie d’aller voir ailleurs. « On pourrait se dire que c’est magnifique, commente le DRH. Mais notre objectif à long terme est d’atteindre 100% et, en tout cas, de dépasser la barre des 60% d’ici deux ans. » La société veut donc aller plus loin que la satisfaction et mise sur le « delight ». Un terme difficile à traduire précisément, à mi-chemin entre la délectation et la joie. Un concept qui est au cœur de sa stratégie depuis près de neuf ans. « Puisque nous demandons à nos collaborateurs de mettre la barre haut, nous devons nous aussi mettre cette barre haut, voire encore plus haut. Si un automobiliste est simplement satisfait, ça ne l’empêchera pas de réfléchir à d’autres concurrents la

le ‘delight’ : travailler sur l’engagement, plutôt que sur la seule satisfaction », synthétise Bart Lambrechts. Pour y parvenir, la première étape porte sur la communication. « C’est la clé de l’histoire : connaître le pourquoi et le comment. » Nonante-deux pour cent du personnel dit être au courant de cette stratégie et s’y reconnaître. Pour percer à jour le sentiment de ses équipes, Carglass procède une fois tous les deux ans à une enquête interne, en collaboration avec l’institut d’audit GfK. « Cette enquête n’est pas un but en soi, mais un outil », précise d’emblée le DRH. Les autres années, l’entreprise participe au concours Great Place to Work. Elle y a terminé 8ème lors de sa première tentative, 4ème lors de la dernière. Avec le top trois en ligne de mire d’ici la prochaine. Entretiens qualitatifs Plus régulièrement, elle évalue ce qu’elle considère comme le « levier plus important », à savoir le leadership et le climat que celui-ci génère. Elle s’engage à ce que chacun bénéficie d’au moins quatre entretiens par an avec son supérieur, son coach. Afin de discuter de ses objectifs professionnels, de son plan de carrière, etc. En essayant de faire en sorte

LE ‘DELIGHT’, C’EST TRAVAILLER SUR L’ENGAGEMENT, PLUTÔT QUE SUR LA SEULE SATISFACTION prochaine fois. Par contre, si on parvient à créer un lien émotionnel, il reviendra. C’est la même chose pour nos salariés. C’est cela,

que ces rencontres se déroulent de manière qualitative, car les ressources humaines ont remarqué que ceux pour lesquels c’était le


DOSSIER 1

Bart Lambrechts Carglass « Mes confrères RH d’autres organisations me disent que l’on prend des risques, parce que nos collaborateurs pourraient nous quitter. Mais si leur passion n’est pas chez nous et qu’ils s’en vont, ce sera mieux pour les deux parties. » © D.R.

aux fonctions exercées, mais pas toujours. Ainsi, des ateliers de… sculpture ont par exemple été organisés. « Les gens ne laissent pas leur vie privée à la porte d’entrée de leur job. Quelqu’un qui a une passion se sent mieux, également sur son lieu de travail. »

cas se révélaient beaucoup plus engagés que ceux dont les entrevues n’étaient pas réellement productives. Carglass se base sur un modèle développé par la société de consultance Hay Group qui classe l’ambiance créée selon quatre qualificatifs : haute performance, énergisante, neutre, démotivante. Les deux premiers étant évidemment ceux que la direction souhaite les plus largement répandus. « En cas d’évaluation négative, il n’y a pas de punition ni de licenciement décidés sur base des résultats de cette enquête, rassure Bart Lambrechts. Notamment parce qu’on constate que les gens ne se sentent pas responsables quant à noter leur patron. Si les résultats ne sont pas bons, les RH donnent un feedback à la personne. On voit avec l’équipe ce qu’elle attend de différent vis-à-vis de son coach et on établit un plan de développement à partir duquel travailler. » Une fois le déni surmonté Bien sûr, concède-t-il, les personnes incriminées passent toujours par une phase de déni. Arguant que les répondants ont mal compris les questions ou que c’est le contexte qui est à blâmer. « Mais c’est la perception des gens qui compte, pas l’intention des coaches. Une fois cette période dépassée, on constate dans la plupart des cas une amélioration du climat et du leadership. Sinon, cela signifie que le fait de gérer un groupe n’est peut-être pas vraiment dans leurs gènes et on voit avec eux s’il n’y aurait pas d’alternative, une autre

fonction qui leur correspondrait mieux. » Lorsque ces entretiens ont été mis en place, les premiers résultats montraient que 50% des coaches faisaient régner une ambiance démotivante. Désormais la tendance s’est inversée : plus de la moitié génère un climat de haute performance ou énergisant, tandis que les « démotivants » n’atteignent plus qu’environ 15%. Carglass veille aussi à surveiller les services offerts à la clientèle, en envoyant des « mystery shoppers » dans ses points de vente. Les performances de chacun d’entre eux sont aussi fréquemment analysées. Une manière d’identifier les bonnes pratiques, mais aussi de récompenser les troupes. Chaque mois, le centre qui s’est le plus distingué reçoit une « energy box » remplie de biscuits et autres douceurs. Un prix annuel est également alloué. La société avait aussi pris l’habitude de désigner des héros locaux qui s’étaient distingué au cours d’une réalisation. La reconnaissance devient donc un facteur de motivation. Ce qui n’est pas le cas des salaires. « Ils ne sont pas plus élevés qu’ailleurs. Il est important que chacun soit payé de manière honnête, et nous effectuons des benchmarks pour nous en assurer, mais il est plus important d’investir dans le développement professionnel et individuel », juge Bart Lambrechts. Des formations sont mises à disposition et peuvent être suivies avec l’accord du responsable. Celles-ci sont souvent directement liées

Regarder le miroir en face La firme entend par ailleurs stimuler les possibilités de coaching de carrière. Une manière de faire son introspection. « De se mettre devant le miroir et de se demander : ‘Que veux-tu faire dans la vie, quelles sont tes ambitions ?’ Mes confrères RH d’autres organisations me disent que l’on prend des risques, parce que nos collaborateurs pourraient nous quitter. Mais si leur passion n’est pas chez nous et qu’ils s’en vont, ce sera mieux pour les deux parties. » Malgré ses 96% de taux de satisfaction, Carglass ne se frotte pas les mains. « Nous voulons parvenir à créer le meilleur lieu de travail qu’une personne aura jamais fréquenté durant sa carrière. La vie est trop courte pour faire un job qu’on n’aime pas », considère Bart Lambrechts. Qui ajoute que de nombreux points restent à améliorer. Un groupe de travail planche actuellement sur la flexibilité des horaires de travail. Une initiative concrète en est déjà ressortie : le 1er septembre, les employés ayant des enfants ont bénéficié de deux heures (payées) pour les conduire et aller les rechercher à l’école. « Mais le gros chantier à mener concerne la communication. Nous avons 44 filiales en Belgique et au Luxembourg, il est très important que nos messages puissent être bien relayés à tous les niveaux. » En attendant, l’entreprise peut se vanter d’un turnover très faible : 5%, dont 3% à son initiative. « D’un côté, c’est fantastique, conclut le DRH. Mais d’un autre, il faut être attentif, parce qu’il est aussi important d’avoir du sang neuf, une nouvelle dynamique. »

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INSPIRATION

L’AMÉNAGEMENT DES ESPACES DE TRAVAIL CONNAÎT DE RAPIDES ÉVOLUTIONS

A QUOI RESSEMBLERA VOTRE BUREAU DEMAIN ? texte

christophe lo giudice

Le passage du bureau individuel/collectif à l’open space et l’offre de places de travail non attribuées sont les deux tendances du moment. Mais d’autres initiatives témoignent du fait que l’espace de travail du futur sera polymorphe. Malgré la percée du télétravail, la majorité des travailleurs continuent à se rendre tous les jours au bureau. C’est ce que montre le baromètre publié par Actineo, l’observatoire français de la qualité de vie au bureau, dont la 5ème édition a mis en perspective les résultats français avec ceux d’un échantillon de 2.500 salariés dans cinq pays d’Europe (Allemagne, Espagne, Pays‐Bas, Royaume‐Uni, Suède). De 70 à 77% des Français, des Espagnols, des Allemands et des Hollandais travaillent quotidiennement dans un bureau au sein de leur entreprise. Toutefois, en Suède, 8% déclarent passer plus de temps chez eux qu’au sein de leur entreprise. Là-bas, la part des salariés travaillant tous les jours au bureau n’est que de 54%, et ils sont 18% à s’y rendre moins d’une fois par semaine. Si les bureaux individuels continuent de résister en Allemagne et en France, le bureau partagé s’impose en Europe : au RoyaumeUni, trois salariés sur quatre (73%) travaillent dans des bureaux collectifs ; ils sont 71% en Espagne et 55% en France. A nouveau, les Suédois sortent du lot : ils sont moins de la moitié à travailler en bureau partagé et se sont laissés séduire par le desk-sharing : 21% d’entre eux ne disposent pas de bureau attitré, une particularité partagée avec les Pays-Bas (17%). La tendance est aussi au développement des espaces de convivialité : les coins cafés sont généralisés en Europe, les espaces conviviaux se multiplient en Suède (46%) et aux Pays-Bas (54%), là où l’on voit de plus en plus de salles de repos en Espagne (38%) et en Suède (52%).

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Espaces modulables Président du conseil scientifique de l’observatoire, l’économiste spécialisé en sociologie du travail Alain d’Iribarne met en exergue les évolutions rapides dans les façons dont les organisations aménagent leurs espaces de travail, alors qu’on pourrait s’attendre à des changements plus étalés dans le temps. Et certaines entreprises vont parfois très loin dans leurs reconfigurations, préfigurant peut-être les nouvelles manières de travailler de l’avenir. L’exemple de Google est bien connu, où les espaces de détente et de jeux au coeur des locaux font depuis longtemps partie intégrante de la culture d’entreprise. Le géant Apple démontre vouloir rivaliser d’inventivité avec la construction de son nouveau quartier général à Cupertino, un bâtiment circulaire futuriste ressemblant à un vaisseau spatial où il ne devrait y avoir aucune pièce rectiligne. Les courbes ont aussi inspiré les concepteurs du Galeo, siège de Bouygues Immobilier, un bâtiment ovoïde à la forme de galet. Au rez-de-chaussée, le mobilier y prend lui-aussi la forme de courbes. La réduction de l’impact que peuvent avoir les bureaux sur l’environnement représente une autre tendance lourde. Le Bullitt Center de Seattle est un modèle du genre : bâti sur une friche urbaine sur base du recyclage d’une portion des matériaux d’un bâtiment déconstruit, il se distingue notamment par des toilettes à compost, 4.360 mètres carrés de panneaux solaires offrant une puissance installée de 242 kilowatts, la récupération d’eau de pluie approvisionnant tous les sys-

A 18 HEURES, ON TOURNE LA CLÉ : LES BUREAUX SONT HISSÉS AU PLAFOND PAR DES CÂBLES EN ACIER


INSPIRATION

tèmes d’eau non potable du bâtiment, avec la garantie de résister à une sécheresse de 100 jours. Tout aussi impressionnant : le Campus, nom du siège social de Quiksilver Europe à Saint-Jean-de-Luz, où se déclinent cinq bureaux « cabanes » plantés au milieu des arbres, une manière pour l'entreprise de « désacraliser la vie de bureau ». Passons les portes d’accès, par exemple celles de Skullcandy à Zurich. On y découvre des espaces de travail modulables offrant aux travailleurs de changer les configurations au gré de leurs besoins, selon qu’ils aient à travailler seuls ou de manière collaborative. A l’inverse des espaces où l’on fait tout pour retenir les gens le plus tard possible au bureau, le studio de communication Heldergroen d’Amsterdam a, pour sa part, conçu le lieu de travail pour automatiquement contribuer à un meilleur équilibre de vie. A 18 heures, on tourne la clé. Les bureaux sont alors hissés au plafond par des câbles en acier emportant PC, documents et tout autre élément laissé sur l’aire de travail, transformant les lieux à destination d’autres usages : salle de yoga,

réception, networking, piste de danse ou autre. De quoi donner tout son sens à l’expression « The floor is yours ». De son côté, le Macquarie Group a fait figure de précurseur avec l’instauration d’un concept d’activity-based working pour les 3.000 collaborateurs de ses bureaux à Sydney. Escalier ou toboggan ? Si les espaces de bureau s’orientent de plus en plus vers la convivialité, des espaces par nature conviviaux s’ouvrent en retour aux travailleurs. C’est le cas de Brooklyn Boulders à Somerville dans le Massachusetts : cet immense centre d’escalade indoor propose des espaces de travail collaboratifs au coeur même de l’activité sportive, ainsi que des espaces que choisissent des entreprises comme Coca-Cola ou Puma pour y tenir des réunions. En Belgique, Regus a conclu un accord avec la SNCB pour proposer aux clients du train des espaces de travail flexibles et des lieux de co-working. L’imagination semble être sans limite, depuis le développement de meubles de bureau

connectés et « intelligents » jusqu’au « bureau-exercice », un vélo-bureau qui permet de faire de l’exercice et de produire de l’électricité tout en travaillant. Chez Lego, au siège de Billund, l’environnement ludique visant à stimuler la créativité des employés, comporte en son centre un toboggan pour permettre de passer du premier étage au rez-de-chaussé. Et certains fabricants allemands étudient désormais la manière qu’ont les femmes de s’asseoir pour leur proposer des sièges respectant les différences hommes-femmes : assise plus courte, dossier flexible et ajustable, rembourrage spécialement doux au niveau des cuisses… Et comme le personnel diffère en taille, les sièges sont conçus en modèles S, M, L et XL, pour garantir qu’une collaboratrice d’1,55 mètre soit installée aussi confortablement que sa collègue qui a 30 cm de plus. Un des principaux enjeux sera de distinguer l’essentiel de l’accessoire, voire du gadget, pour rendre le lieu de travail plus performant et agréable à vivre…

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Thierry Rousseau ANACT « Les problèmes individuels ne sont que des symptômes qui témoignent du fait qu’il faille intervenir, mais en abordant l’organisation du travail au plan collectif. Sans quoi l’entreprise se limite au curatif.» © Christophe Lo Giudice

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SOUS LES PROJECTEURS

THIERRY ROUSSEAU (ANACT) DÉNONCE LES EXPLICATIONS UNIVOQUES ET CULPABILISANTES texte

L’ABSENTÉISME EST RÉVÉLATEUR DE PROBLÈMES INTERNES

christophe lo giudice

L’absentéisme est un problème persistant dont le traitement n’échappe pas aux clichés, ni aux approches simplistes. S’il paraît difficile de se passer du recours à des indicateurs chiffrés, ceux-ci ont leur limite, avertit Thierry Rousseau, chargé de mission à l’ANACT. Le phénomène est par contre révélateur de la nécessité pour l’entreprise de s’intéresser de plus près aux conditions de travail, en donnant la parole aux acteurs. L’absentéisme est une notion ambivalente. L’absentéisme, ce sont des absences, bien entendu. Mais comment définir celles-ci et les calculer ? Et pourquoi ajouter un suffixe à connotation moralisante plutôt que de faire des absences un simple ratio entre l’effectif prévu et les travailleurs réellement présents ?, interroge Thierry Rousseau. A ses yeux, le phénomène éclaire surtout sur l’état de l’entreprise. Il invite à dépasser les approches à la fois simplistes, mécanistes ou culpabilisantes, au profit d’un autre modèle d’analyse de l’absentéisme à bâtir avec toutes les parties prenantes autour d’un enjeu commun : la présence en bonne santé des collaborateurs au travail. Sociologue du travail et des organisations, Thierry Rousseau a d’abord réalisé une thèse sur les controverses organisationnelles

TEMPS FORTS :: Toute absence n’est pas de l’absentéisme et l’absentéisme n’est pas forcément un comportement abusif et volontaire :: L’absentéisme est par contre fortement lié à ce que font les personnes :: Il est donc essentiel de s’intéresser aux conditions du travail, aux réalités concrètes vécues dans l’entreprise :: La question de l’absentéisme ne peut se résoudre qu’en impliquant tous les acteurs, ce qui s’accompagne par nature d’appréciations contradictoires, voire conflictuelles

liées à l’implantation des nouvelles technologies en entreprise. Il s’est ensuite orienté vers les questions de santé et de prévention des risques au travail. En 2001, il rejoignait l’ANACT, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, un service public créé en 1973 et placé sous la tutelle du ministère français du travail. Celle-ci a pour vocation d’améliorer la situation des salariés et l’efficacité des entreprises, notamment par le biais de projets innovants touchant au travail. Thierry Rousseau était récemment de passage à l’Université Saint-Louis à Bruxelles pour partager ses recherches et présenter les méthodes de gestion de la charge de travail et de l'absentéisme développées à l’ANACT, avec les membres de la Chaire laboRH en Management Humain et Transformations du Travail. Créé au sein de l’UCL à l'Institut des Sciences du Travail, en collaboration avec l’institut de recherche de la Louvain School of Management, ce centre d’expertise est financé par Axa, Belgacom, Heidelbergcement, Infrabel, la STIB, UCB Pharma et l’UCL. L’occasion pour HR Square de rencontrer Thierry Rousseau lors d’un échange avec des HR managers de ces entreprises. Votre ouvrage sur la charge de travail a montré à quel point le sujet était polémique. Est-il plus facile d’en parler aujourd’hui ? Thierry Rousseau : « Au milieu des années ’90 en France, on a commencé à réfléchir à la réduction du temps de travail, et le sujet est apparu indissociable de celle de la charge de travail. En parler demeure polémique au-

jourd’hui encore. La question de la charge de travail est une problématique structurelle qu’on ne peut jamais régler une fois pour toute. Elle est étroitement liée à l’idée de plainte et culmine dans les problématiques de burn out et de suicide au travail, notamment. Lorsqu’on parle de charge de travail, on se rend compte à quel point le travail n’est

LA CHARGE DE TRAVAIL EST PLUS DIFFICILEMENT NÉGOCIABLE QUE PAR LE PASSÉ pas un espace pacifié, contrairement à ce qu’on avait pu espérer pouvoir atteindre. On pensait qu’avoir un emploi, des conditions de travail correctes et un revenu raisonnable allait vider le débat. Et l’on voit bien que ça ne suffit pas. Les enquêtes confirment le sentiment d’une intensification du travail : il faut faire plus, en moins de temps et, donc, plus vite. Malgré une économie de services, les pénibilités traditionnelles se maintiennent, ce qui peut apparaître surprenant. Mais le phénomène s’explique par la façon dont la

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SOUS LES PROJECTEURS charge est aujourd’hui distribuée, à savoir par des mécanismes impersonnels, des systèmes informatisés avec un suivi mené à l’aide d’indicateurs de gestion, par exemple. On observe alors une forme de naturalisation de l’attribution de la charge de travail alors qu’auparavant, celle-ci était distribuée directement par l’encadrement. » Ce n’est plus le cas ? Thierry Rousseau : « En tout cas, la charge de travail est plus difficilement négociable que par le passé. Auparavant, elle se régulait sur base d’une norme, soit négociée, soit qui s’imposait socialement. Prenons l’exemple

acteurs pourraient arriver à mieux gérer la charge de travail. A cette fin, nous avons développé un petit modèle cognitif visant à se la représenter. Celui-ci distingue la charge de travail prescrite, la charge de travail réelle et la charge de travail subjective. La charge de travail prescrite est l’ensemble des modalités définissant ce qu’il faut faire, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif : tant de pièces à faire, de clients à recevoir, de délais à respecter; tels types de réponse à la clientèle, telle nature du service rendu, telles compétences et savoir-être attendus, etc. La charge de travail réelle, c’est ce que font vraiment les personnes, tout ce que mettent

ON NE PEUT CERTAINEMENT PAS PARLER D’UNE ÉPIDÉMIE D’ABSENTÉISME d’un préparateur de commandes qui, dans un mode linéaire, devait faire, disons, 960 boîtes par jour. Désormais, les modes de préparation sont moins linéaires. Et c’est l’employeur qui va par ailleurs déterminer le niveau de charge, en l’orientant toujours à la hausse. Ce qui était un plafond est devenu le minimum exigible, jusqu’à rendre inatteignable le niveau déclenchant l’octroi de la prime. Résultat : les travailleurs cherchent à faire toujours plus, avec des impacts très perceptibles sur leur santé. Autre exemple : la logique de projet par laquelle on définit et communique des objectifs sans souvent y associer des moyens rend l’attribution de la charge plus difficile à négocier : chacun participe, selon ses compétences, à des équipes de spécialistes provenant de plusieurs services de l’entreprise. Le salarié a une grande autonomie, mais le prix à payer peut être lourd : la charge de travail devient très complexe et, dans certains cas, le salarié peut être amené à faire plus qu’on ne lui demande. De plus, si aucun effort de définition des priorités n’est réalisé, des tâches très différentes peuvent se télescoper… » Comment adresser la question de la charge de travail ? Thierry Rousseau : « L’erreur fondamentale consiste à vouloir partir de la quantité ou du nombre de choses à faire. Le problème ne réside pas dans le ‘trop’ ou ‘pas assez’, mais dans la façon dont la charge est attribuée, avec moins de concertation entre les acteurs. Une meilleure manière de procéder serait de chercher à identifier comment les

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en oeuvre les individus et les collectifs pour atteindre leurs objectifs. On va y retrouver des astuces et des stratégies pouvant même apparaître relativement opaques pour les organisateurs du travail. Néanmoins, leur mobilisation favorise la performance des entreprises. Enfin, la charge subjective ou vécue est la représentation que se font les salariés de leur propre charge de travail. Une reconnaissance forte peut contribuer à accepter une intensité de travail importante. A l’inverse, une activité entravée est source de problème de santé pour le salarié. » A quoi sert concrètement une telle catégorisation ? Thierry Rousseau : « Elle permet d’inscrire la problématique dans une dynamique de débat entre direction, encadrement et salariés et faire de la charge de travail un objet de discussion et d’évaluation systématique. Ce débat peut être organisé sous forme de groupes de travail composés de salariés de différents niveaux hiérarchiques avec pour objectif de construire des référentiels. De tels espaces de parole apparaissent de plus en plus réduits en entreprise. Or, les indicateurs de gestion ne reflètent que partiellement ce qui se vit sur le terrain. On observe aussi un décalage entre le prescrit et le réel. L’ambition doit être de développer une régulation conjointe. Bien entendu, une telle approche peut être considérée comme risquée pour la direction qui, de la sorte, lèverait la boîte noire couvrant une série de déterminants de la charge. Mais l’exercice permet d’opérer un diagnostic d’activités, de mieux connaître la

manière dont le travail se fait, de détecter des problèmes chroniques de charge de travail, puis d’identifier des leviers pour revoir les prescriptions et ajuster les indicateurs, voire en créer d’autres traduisant mieux la réalité. La charge n’est pas à évaluer seulement de façon individuelle. Les problèmes individuels ne sont que des symptômes qui témoignent du fait qu’il faille intervenir, mais en abordant l’organisation du travail au plan collectif. Sans quoi l’entreprise se limite au curatif. » Ce qui rejoint la problématique de l’absentéisme, un autre thème à propos duquel il vous semble nécessaire de dépasser les idées préconçues… Thierry Rousseau : « L’absentéisme perturbe le fonctionnement de l’entreprise. Il représente toujours un coût, un manque à gagner, une perte d’image. Ce sera, entre autres, des rendez-vous manqués avec des clients, des problèmes de qualité, des trains qui restent à quai, une redistribution du travail qui peut se traduire par des surcharges pour d’autres travailleurs, etc. Mais se limiter au constat que l’absentéisme perturbe l’entreprise et à la recherche de dispositifs pour le réduire est un peu court. Il convient de développer un cadre cognitif pour en comprendre les facettes et dégager des pistes d’actions dans un sens qui soit bénéfique pour l’ensemble des acteurs. » En quoi l’absentéisme est-il porteur de clichés ? Thierry Rousseau : « Partons des définitions que l’on peut trouver. Le dictionnaire, tout d’abord, à savoir le Petit Robert, évoque ‘l’absence d’un salarié de son lieu de travail, non justifiée par un motif légal; le comportement de celui qui est souvent absent’. Sur la plate-forme web Entrepreneur Magazine, on


SOUS LES PROJECTEURS le qualifie d’une ‘absence habituelle ou délibérée du travail’. La direction canadienne des relations de travail parle quant à elle du ‘fait pour un travailleur de ne pas être physiquement au poste de travail qui lui est assigné au moment où il devrait s’y trouver’. La multitude de définitions traduit la difficulté intrinsèque à la compréhension du phénomène. Une représentation largement partagée est celle du caractère intentionnel et volontaire de l’absence. On peut estimer que la volonté explicite et délibérée de se soustraire existe dans certains cas, mais y voir une généralité serait erroné. En outre, cette perception laisserait dans l’ombre toutes les formes d’absentéisme qu’on peut qualifier d’involontaires : accidents du travail, maladies professionnelles, accidents de trajet, urgences familiales, etc. Et elle ferait abstraction des considérations de santé. Surtout, elle ne s’intéresse guère aux impacts du travail ou les minimise. A l’inverse, se centrer uniquement sur les facteurs d’exposition serait aussi réducteur, car il y a bien une décision de

PLUS LE SALARIÉ EST AFFECTÉ PAR DES CONTRAINTES, PLUS IL RISQUE DE S’ABSENTER s’absenter, associée à des situations vécues au travail. A l’ANACT, nous avons opté pour cette définition : ‘toute absence qui aurait pu être évitée par une prévention suffisamment précoce des facteurs de dégradation des conditions de travail au sens large’. Elle permet de développer une approche plus sociologique, plus interactive, ancrée dans les situations de travail. » On entend partout que l’absentéisme augmente. Vous vous montrez plus nuancé… Thierry Rousseau : « Quand on lit la presse économique qui se fonde sur des enquêtes, on peut avoir cette impression. Elle est renforcée par une tendance à la dramatisation, la sensibilité envers l’absentéisme étant plus

forte que par le passé. Il représente en effet un risque pour des organisations qui ont pris l’habitude de fonctionner en flux tendu, qui calculent au plus juste leurs effectifs et qui évoluent avec du personnel beaucoup plus spécialisé, donc plus difficilement remplaçable. Trois sources de données peuvent être mobilisées : les taux d’absentéisme déclarés par les entreprises, les données de la Sécurité sociale et des enquêtes sur base d’échantillons représentatifs de salariés. Les premières ne sont pas destinées à être agrégées et ne sont pas strictement comparables, les définitions de ce qu’on entend par absentéisme pouvant varier, de même que les systèmes de mesure. Les données de la Sécurité sociale ne permettent pas d’entrer dans toutes les raisons expliquant l’absentéisme. Enfin, les enquêtes telles que celles menées par le service de statistiques du Ministère du Travail sont le moyen le plus fiable de se faire une idée de la problématique. Celles-ci mettent en évidence une relative stabilité de l’absentéisme au cours du temps. Si hausse il y a, elle reste très modérée : on ne peut certainement pas parler d’une épidémie d’absentéisme. Toutefois, la durée des absences tend à croître : les gens ne sont pas absents plus souvent, mais plus longtemps. Les enquêtes révèlent encore que la variation du taux d’absentéisme est fonction de l’exposition à des contraintes : plus le salarié est affecté par des contraintes, dont la charge de travail ou le stress, plus il risque de s’absenter. On voit dès lors que l’absentéisme est fortement lié à ce que font les personnes. Il est donc essentiel de s’intéresser à l’impact des conditions de travail dans la production de l’absentéisme. » Il faudrait donc se méfier des indicateurs ? Thierry Rousseau : « Absolument, en particulier dans une optique de comparaison : elle a une pertinence mineure en la matière. Enormément de paramètres variés interviennent comme, par exemple, les types d’activités, les structures d’âges, les différents degrés d’usure du personnel, etc. Il faut résister au besoin de comparaison en ce sens qu’il amène une décontextualisation des réalités de travail. Les indicateurs ne peuvent donner un accès immédiat à la compréhension véritable du phénomène, à ce qui se vit sur le terrain. Dès lors, il nous paraît indispensable d’interroger les managers et les salariés afin de pouvoir contextualiser les raisons des absences. Un exemple : nous sommes intervenus chez un équipementier automobile qui connaissait une croissance du taux d’absentéisme de 6 à 8% depuis plusieurs années.

L’analyse a montré que c’étaient les travailleurs les moins anciens qui s’absentaient le plus, alors que l’entreprise embauchait des profils de tous les âges, au point qu’il pouvait manquer jusque quatre ou cinq personnes dans des équipes composées de vingt salariés. Nous avons constaté des manques de qualité importants, ce qui était surprenant dans un mode d’organisation en lean. Par le biais d’entretiens, nous avons pu identifier des rotations extrêmement rapides dans les postes ainsi qu’un remplacement des travailleurs absents qui se faisait souvent au pied levé, ce qui développait chez les travailleurs un sentiment d’interchangeabilité. Dans l’esprit des gens, qu’on soit au travail ou non, cela n’allait pas changer grand-chose. Au final, ce désengagement se traduisait en problèmes de qualité exigeant plus d’interventions sur les pièces, avec une hausse du stress et de la prise de risque. La solution mise en oeuvre a été, sur base de discussions communes, de redonner des territoires aux travailleurs, de donner du sens à leur travail. Ce qui a contribué à faire chuter l’absentéisme. On le voit: se cantonner aux indicateurs n’aurait pas permis de prendre la mesure des problèmes et d’y apporter ces réponses. L’absentéisme doit être vu comme un révélateur des dysfonctionnements internes de l’entreprise. Il s’agit d’un signal, d’un mécanisme d’alerte qu’il convient de prendre au sérieux, et qui invite à donner aux acteurs de l’entreprises des moyens pour le traiter. »

Thierry ROUSSEAU Absentéisme et conditions de travail, l’énigme de la présence, Editions de l’ANACT, Lyon, 188 pages, ISBN 978-2913488-67-0, 2012. La charge de travail. De l’évaluation à la négociation, sous la direction de Bertrand POETE et de Thierry ROUSSEAU, Editions Liaisons, Paris, 84 pages, ISBN 978-2-878-80565-9, 2003.

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DOSSIER 2

DIFFÉRENTS MODÈLES POUR UNE GESTION STRATÉGIQUE DES CONNAISSANCES texte

POURQUOI INVESTIR DANS UNE UNIVERSITÉ D’ENTREPRISE

christophe lo giudice

La création d’universités d’entreprise n’est pas un phénomène nouveau, mais il semble s’accélérer. Un nombre croissant d’organisations se dotent d’une université interne pour les unes, d’une académie pour les autres. N’y voir qu’une appellation ‘snob’ pour parler de formation serait réducteur. Le point sur les spécificités des universités d’entreprise et sur les bonnes pratiques dans leur mise en oeuvre. Selon l’Observatoire des universités d’entreprise constitué à l’initiative du cabinet de conseil en management Kurt Salmon, la France compterait actuellement entre 70 et 100 universités d’entreprise, contre 4.000 au niveau mondial. D’autres sources font état de chiffres encore supérieurs.

professeur à HEC Montréal, il co-signait avec Louis Rhéaume un article académique s’interrogeant : Faut-il investir dans une université corporative ? Dix ans plus tard, de nombreuses entreprises ont répondu par l’affirmative. « Les frontières de ces universités sont toutefois floues et

LES UNIVERSITÉS D’ENTREPRISE SONT SOUVENT CRÉÉES À DES PÉRIODES CHARNIÈRES POUR L’ORGANISATION TEMPS FORTS :: Qu’on les affuble du qualificatif d’université ou d’autres noms moins ‘nobles’, ce type de structures ne se limite plus aux grands groupes, mais se développe aussi dans des entreprises de taille plus restreinte :: L’ambition est d’organiser la formation davantage sur mesure, en alignement avec les besoins de l’entreprise :: Le principal défi des personnes au pilotage de l’université consiste à se montrer capable de mener les débats avec le management et les clients internes à un niveau stratégique

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Difficile d’avoir une vue précise en la matière, en particulier pour la Belgique, le sujet étant étonnamment peu étudié. Ce qui est certain, par contre, c’est que le phénomène est en croissance : qu’on les affuble du qualificatif d’université ou d’autres noms a priori moins « nobles » - académie, campus, institut, école ou même ‘college’ à l’anglo-saxonne -, ces structures ne se limitent plus aux grands groupes, mais touchent désormais des entreprises de taille plus restreinte. « On appelle ‘université’ des organisations qui recouvrent des réalités très différentes », analyse Jean-Michel Viola, Associate Dean à l’ESC Rennes School of Business, qui s’intéresse au phénomène depuis de longues années. En 2004, alors

mouvantes. Si l’on prend l’Hamburger University de McDonald’s, il s’agit de transmettre un savoir-faire de base qui s’éloigne très fort du concept sophistiqué d’université. Par ailleurs, ajuster un catalogue de formations et créer une structure pour le rationaliser en lui accolant le nom d’université serait adopter un nom ‘snob’ pour ce qui reste en fin de compte un département de formation. » La vocation marketing d’une université d’entreprise n’est certainement pas à négliger, estime pour sa part Jan Ginneberge, directeur de l’Alcatel-Lucent Corporate University jusqu’en 2008 et aujourd’hui Strategic Advisor auprès de l’European Foundation for Management Development (EFMD). « Ce qui se cache derrière le label


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Jean-Michel Viola ESC Rennes « L’université d’entreprise est généralement pilotée par d’autres fonctions que les RH, et leur est même parfois confisquée. L’approche peut tendre à se rapprocher d’une unité business, sorte de PME au sein d’un grand groupe. » © D.R.

autour d’une approche de co-développement. D’autres se rapprochent d’écoles de formation axées sur les métiers. Le facteur différenciant d’une université par rapport à un service de formation classique, c’est qu’on se situe moins dans la formation que dans une forme de professionnalisation appelant d’autres pédagogies, d’autres ressources et cherchant à atteindre des objectifs plus larges que le seul apprentissage. » De son côté, l’EFMD, outre son rôle d’accréditation de formations d’école de

d’université, ce n’est autre que du Learning & Development avec un focus stratégique. Le concept d’université est utilisé avant tout pour lui donner une crédibilité interne, une identité. Il n’est pas nécessaire, ni indispensable pour gérer l’investissement en formation et aligner celui-ci sur les axes stratégies de la société. La dynamique est donc à relativiser, mais elle est intéressante pour sa force mobilisatrice. » D’autres pédagogies L’accélération des besoins en formation continue, dans le cadre desquels s’inscrit le développement des universités d’entreprise, se justifie par plusieurs raisons, selon Inge Kerkloh-Devif, Executive Director à HEC Paris School of Management qui accompagne les entreprises dans la mise en place de telles structures. « D’abord, les carrières sont de plus en plus longues : les travailleurs ont plus que jamais besoin de se former tout au long de la vie. Ensuite, notre économie se caractérise par des ruptures variées - technologiques, dans la façon de distribuer les produits et les services, etc. -, ce qui fait que tout ce que nous avons appris à un moment donné n’est peut-être plus aussi valable et doit être questionné. Enfin, la rencontre des

attentes des travailleurs en matière de développement et de carrière est un facteur de rétention qui ne cesse de gagner en importance. Une université d’entreprise permet de répondre de façon ciblée à ces différents besoins. » Autant il existe de très nombreuses recherches sur le thème de l’apprentissage, autant le phénomène des universités d’entreprise apparaît peu documenté d’un point de vue scientifique. Dans le cadre d’Entreprise & Personnel, un réseau associatif français d’entreprises consacré à la GRH et au management des hommes et des organisations, Sophie Marsaudon anime un club d’échanges professionnels sur le thème des universités d’entreprise. Celui-ci représente à la fois un lieu d’observation privilégié du phénomène et un laboratoire permettant à ses membres de faire progresser leurs pratiques. « Sur les quelque 140 entreprises adhérentes à notre réseau, une très grande majorité ont développé une université d’un type ou un autre, indique la directrice de projets. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on retrouve absolument de tout sur le marché. Certaines sont très élitistes, réservées aux cadres-dirigeants qui viennent y apprendre de leurs propres pratiques

DÉVELOPPER UNE UNIVERSITÉ N’A DU SENS QUE SI, AU BOUT, IL Y A UNE FINALITÉ STRATÉGIQUE

commerce, a mis en place un processus d’accréditation pour les universités d’entreprise. Baptisé CLIP pour Corporate Learning Improvement Process, il se pose en label de qualité des programmes de développement et de formation internes. Un autre point d’observation de premier choix pour qui veut étudier le phénomène. « Quand j’étais dans l’industrie,

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Sophie Marsaudon Entreprise & Personnel « Le facteur différenciant d’une université, c’est qu’on se situe moins dans la formation que dans une forme de professionnalisation appelant d’autres pédagogies, d’autres ressources et cherchant à atteindre des objectifs plus larges que le seul apprentissage. » © D.R.

raconte Jan Ginneberge, je me retrouvais face à des dirigeants et des managers qui m’interpellaient: ‘Vous nous dites que nous recevons la meilleure offre possible en L&D en rapport à nos besoins, mais comment pouvons-nous en être certains puisque nous n’avons pas le choix d’autres prestataires ?’. Cette accréditation menée par des pairs de haut niveau est une sorte de 360° de l’offre L&D et permet aux entreprises accréditées de se rencontrer deux fois l’an pour échanger les bonnes pratiques, s’inspirer des points forts des autres membres et explorer des pistes pour adresser leurs points faibles. » Aligné aux besoins Une première caractéristique associée à l’université d’entreprise tient à sa dimension symbolique. « A tous les niveaux de l’entreprise, on gère les investissements de près, explique-t-il. L’université d’entreprise représente une façon de garder les clés en main pour gérer les investissements en formation et les approcher comme des investissements et non simplement des coûts. » Jean-Michel Viola partage l’analyse: « Une entreprise crée une université en estimant que le savoir est au coeur du développement de ses activités. Il s’agit d’un message puissant vers l’interne,

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même si le contenu demeure souvent en partie externalisé vers des organismes ou partenaires traditionnels. » L’ambition est également d’organiser la formation davantage sur mesure, en alignement avec les besoins de l’entreprise, ajoute Inge Kerkloh-Devif. « D’où l’importance de partir d’une analyse détaillée des besoins pour co-construire avec le business les meilleurs dispositifs en adéquation avec la culture d’entreprise. Cette dimension est essentielle car, le plus souvent, l’université travaille avec l’appui d’intervenants maison qui vont porter la connaissance. La dimension symbolique s’exprime par ailleurs en termes de valorisation, d’autant plus parlante dans le cas de populations cadres ou dans des pays comme la Chine qui connaît une guerre des talents incroyable et où la formation et le développement personnel représentent un argument de rétention majeur. »

tences distinctives largement intangibles et la nécessité croissante de lier l’avantage concurrentiel de l’entreprise au développement et à la transmission d’un véritable curriculum corporatif. » Développer une université d’entreprise n’a du sens que si, au bout, il y a une finalité stratégique, quelle qu’elle soit, confirme Sophie Marsaudon : développer une culture groupe, assurer l’intégration d’une organisation construite par fusions et acquisitions, faire progresser le management, optimiser la formation à l’échelle du groupe, stimuler l’innovation, contribuer à l’image de l’entreprise, capitaliser sur les savoirs et savoir faire et assurer leur transmission, répondre aux enjeux d’évolution des métiers,… » On comprend donc qu’une volonté forte de la direction générale soit une condition sine qua non de succès. « Ce doit être un véritable projet d’entreprise, pointe Inge Kerkloh-Devif. Les universités d’entreprise qui réussissent sont développées dans la

LES LIEUX PRESTIGIEUX CÈDENT DU TERRAIN EN FAVEUR D’ENDROITS PLUS CONVIVIAUX, VOIRE COSY

Périodes charnières « Le plus souvent, les universités d’entreprise sont créées à des périodes charnières pour l’organisation, en lien avec des enjeux stratégiques, explique Jean-Michel Viola. La rationalité stratégique d’une université s’articule autour de trois grandes dimensions : la reconnaissance d’un environnement concurrentiel de plus en plus axé sur le savoir, le rôle critique de compé-

Jan Ginneberge European Foundation for Management Development « Ce qui se cache derrière le label d’université, ce n’est autre que du Learning & Development avec un focus stratégique. Le concept d’université est utilisé avant tout pour lui donner une crédibilité interne, une identité. » © D.R.


DOSSIER 2 Inge Kerkloh-Devif HEC Paris School of Management « Les universités qui réussissent sont développées pour jouer un vrai rôle en rapport aux enjeux stratégiques. L’engagement de la direction générale sort le service de formation de l’anonymat pour inscrire l’apprentissage et le développement dans l’action. » © D.R.

perspective de jouer un vrai rôle en rapport aux enjeux stratégiques. L’engagement de la direction générale sort l’anonymat d’un service de formation pour inscrire l’apprentissage et le développement dans l’action. » Mais c’est aussi là le principal défi des personnes au pilotage de l’université, estime Jan Ginneberge : se montrer capable de mener les débats avec le management et les clients internes à un niveau stratégique et leur apporter la contribution stratégique attendue. « Et, surtout, ne pas se laisser tirer vers le bas en cantonnant le débat à

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UNE UNIVERSITÉ PEUT AVOIR DU SENS DANS UNE GRANDE COMME DANS UNE PLUS PETITE STRUCTURE

des questions de réduction de coûts. L’accréditation de l’EFMD porte une attention particulière à ce sujet qui nous semble plus important que d’évaluer la satisfaction des participants… » La question du modèle économique de l’université d’entreprise renvoie à l’analogie du catalogue de La Redoute : on trouve de tout. « Certaines facturent leurs prestations, d’autres prennent tout à leur charge, d’autres encore adoptent une formule hybride, indique Sophie Marsaudon. Certaines se constituent en entités autonomes. Certaines exigent qu’on passe par elle pour faire appel à des prestataire externe, d’autres pas… » Quelque soit le choix posé, une certaine autonomie de gestion apparaît être la règle. « L’université d’entreprise est généralement pilotée par d’autres fonctions que les RH, et leur est même parfois confisquée, observe Jean-Michel Viola. L’approche peut tendre à se rapprocher d’une unité business, sorte de PME au sein d’un grand groupe. Certains évoluent même comme centres de profit à part entière, en s’ouvrant à des organisations partenaires, voire même au marché externe. » L’université d’entreprise se situe dans le champ de la gestion de projet, appuie Sophie Marsaudon. « Elle est gérée comme tel, avec une orientation business forte, des indicateurs de suivi, etc. Cette ‘éloignement’ des RH est peut-être symptomatique de leurs difficultés à répondre pleinement aux besoins de formation du business. » Autre point d’attention lors du développement d’une université d’entreprise, la question du lieu. « L’université trouve à s’incarner dans un lieu, physique ou virtuel, à la fois de formation, mais aussi de rencontre, de réflexion, d’échange », commente Inge Kerkloh-Devif. Comme le souligne Sophie Marsaudon, cette question du lieu n’appelle pas de réponse définitive, mais bien un débat : « Certaines entre-

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prises veulent un lieu dédié, identifié, pour renforcer la culture. D’autres font le choix d’une université purement virtuelle. On observe par ailleurs une évolution, les lieux prestigieux cédant peu à peu du terrain en faveur d’endroits plus conviviaux, voire cosy, avec de petites salles modulaires, des cuisines, des espaces de détente, où l’on se sent bien pour travailler ensemble, y rester le soir et développer des pédagogies plus innovantes. » Neuf questions clés Nos interlocuteurs concluent pas quelques questions essentielles à se poser en vue de

la constitution d’une université ou d’une académie d’entreprise: 1. Q uelle est la finalité? Pourquoi le faire? 2. A qui sera-t-elle rattachée? La direction générale, les RH, en gestion autonome, etc.? 3. Pour quelle(s) cible(s)? 4. En quel(s) lieu(x)? 5. Avec quels budgets? 6. Avec quels partenaires? 7. En développant quel type de culture (organisationnelle, mais aussi d’apprentissage)? 8. Avec quels formateurs, et avec quelle approche des formateurs internes? 9. Avec quels indicateurs de suivi et de résultats? « L’université d’entreprise est bel et bien le résultat d’un jeu de finalités culturelles, économiques et symboliques, conclut Sophie Marsaudon. Mais elle peut avoir du sens dans une grande comme dans une plus petite structure. L’idée n’est pas d’avoir une université pour en avoir une, mais n’importe quelle université d’entreprise peut avoir du sens pour autant qu’on ait bien défini sa finalité et que son développement soit mené après avoir répondu précisément et rigoureusement à ces différentes questions. »

UNE ANALYSE SWOT DES UNIVERSITÉS D’ENTREPRISE L’Observatoire des Universités d’entreprise a été initié par le cabinet Kurt Salmon et le groupe Demos. Il a pour objectif de mettre en évidence les grandes tendances et les priorités actuelles des universités d’entreprise. Une première synthèse a été publiée sur base des échanges avec des responsables de formation et d’universités d’entreprise de 28 sociétés de mars 2013 à mars 2014. L’étude montre bien que la définition d’université d’entreprise est à géométrie variable, en fonction de critères dimensionnants (taille de l’entreprise, diversité des métiers à accompagner, modèle économique de l’entreprise, ambition donnée à la formation, budget alloué, etc.), de la cible (cadres supérieurs, hauts potentiels, managers, métiers, population entière, etc.), du projet stratégique (évolution technologique, transformation de l’entreprise, population spécifique, recherche et innovation, etc.) et de facteurs différenciants (attente des sponsors vis-à-vis de la structure, modèles de facturation, culture de l’université, type d’espace, modes d’apprentissage, positionnement de l’université, etc.). Les auteurs ont notamment mené une analyse SWOT des universités d’entreprise faisant ressortir leurs forces (Strengths), faiblesses (Weaknesses), opportunités (Opportunities) et menaces (Threats). Les points fortes et les opportunités sont largement évoqués ci-contre. Au rang de menaces, ils citent la fracture digitale, la baisse des budgets alloués, la pression des parties prenantes concernant le retour sur investissement des actions et la perte de cohérence des parcours de formation au profit de séquences rapides et disparates. Les points de vigilance sont l’implication dans la gestion des hommes plus que dans la gestion des carrières, la fidélisation des experts et formateurs, la formation des experts à la pédagogie, le développement marketing de l’offre et l’entretien de rapports de partenariat avec les acteurs externes, publics ou privés.


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NADINE LEMAITRE (GDF SUEZ) SUR L’ENJEU DE RÉINVENTER L’UNIVERSITÉ D’ENTREPRISE

LES DÉFIS D’UN MONDE QUI CHANGE texte

christophe lo giudice

Une des raisons d’être d’une université d’entreprise consiste à soutenir la réalisation de la stratégie de l’organisation. Quand celle-ci évolue, l’université doit aussi se réinventer pour continuer à réaliser sa mission. Ce qu’a bien compris l’Université GDF SUEZ. L’Université de GDF SUEZ a été créée en 2000 sous l’impulsion de Gérard Mestrallet, PDG du groupe. Pilotée depuis son origine par Nadine Lemaitre, elle est considérée comme la principale référence et source d’inspiration dans le monde des universités d’entreprise. Depuis sa création, plus de 30.000 cadres, hauts potentiels et dirigeants venus de tous les horizons de cette entreprise de 130.000 personnes ont été formés par l’université. Aujourd’hui, près de 7.000 participants sont accueillis chaque année au cours de 200 sessions organisées dans 45 pays. « Nos missions ont toujours été alignées sur les priorités stratégiques du groupe, confiet-elle. L’université GDF SUEZ a été conçue comme un outil d’intégration d’un groupe en constitution par fusions et acquisitions, dans une optique de cohésion et de partage des connaissances, mais aussi de laboratoire d’idées et de réflexion stratégique. Même si les principes fondateurs restent

TEMPS FORTS :: Certains des principes fondateurs d’une université d’entreprise sont intangibles :: Ses missions et approches évoluent pour coller aux nouveaux enjeux stratégiques :: Ce qui exige d’autres compétences, par exemple de conseil ou relatives au digital

identiques, l’université doit se réinventer pour répondre à trois évolutions majeures déjà engagées et qui vont s’approfondir dans les années à venir. » Travailler autrement Le secteur énergétique vit actuellement des mutations de grande ampleur. « Nous évoluons d’une production centralisée par de grandes installations vers une production d’énergies renouvelables très diversifiée, explique Nadine Lemaitre. Nos collaborateurs vont devoir s’adapter à un monde non plus axé sur la vente de gros, mais sur le dialogue et le partenariat avec des clients qui produisent eux-mêmes de l’énergie, par exemple. L’université s’est fixée comme objectif d’accompagner ces évolutions en développant l’agilité de l’organisation et d’assurer qu’elles se produisent à la vitesse requise. » Pour l’université, répondre à ce défi nécessite de travailler autrement. « Pour contribuer à l’intégration du groupe, nous misions sur des programmes globaux impliquant des collaborateurs de toutes origines. Désormais, nous oeuvrons sur de plus petites échelles, ces transformations ne se passant pas partout de la même façon et au même rythme. La démarche doit aussi être plus orientée conseil pour susciter les comportements requis. D’autre part, le groupe a toujours été décentralisé et cette décentralisation va encore s’approfondir car la réalité du client n’est pas la même partout. Les fonctions transverses - achats, finance, RH, gestion de projet, etc. - doivent se renforcer

Nadine Lemaitre GDF SUEZ « Pour contribuer à l’intégration du groupe, nous misions sur des programmes globaux. Nous travaillons désormais sur de plus petites échelles pour accompagner des évolutions qui ne se marquent pas partout de la même façon, ni au même rythme. » © D.R.

en tant que colonne vertébrale du groupe. L’université a un travail à mener pour assurer ce renforcement et garantir un alignement plus important. » Deuxième évolution : le développement international en Amériques du Nord et latine, en Asie, au Moyen Orient et en Afrique. « L’Université a toujours été axée international, mais au départ de programmes conçus en Europe, et d’abord pour l’Europe. L’ambition est de passer d’une logique d’exportation à celle de la délocalisation via des satellites pour offrir des programmes mieux adaptés aux réalités locales. » Enfin, la troisième évolution majeure est relative à la digitalisation. « Plus aucun de nos programmes ne se compose pas au moins d’une partie digitale, ce qui suscite différents enjeux : le digital amène de la souplesse, mais est moins puissant pour développer des réseaux de personnes dont on souhaite qu’elles apprennent à se connaître, par exemple. L’université a un rôle de laboratoire et d’expertise, mais aussi de gouvernance dans la capitalisation sur le digital. La mission d’une université d’entreprise consiste à développer des dispositifs en interne plutôt que d’en acheter, mais aussi d’assurer une veille du marché du digital learning et d’émettre des recommandations sur la meilleure façon de tirer parti des nouveaux outils. »

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JULIETTE AGRO (PROXIMUS) SUR L’HISTOIRE ET L’ACTUALITÉ DE LA CORPORATE UNIVERSITY DU GROUPE texte

L’UNIVERSITÉ D’ENTREPRISE VIT ET SE RENOUVELLE

christophe lo giudice

La Belgacom Corporate University fut une des premières universités d’entreprise du pays. Après avoir fêté son dixième anniversaire, elle vient d’être « rebrandée » aux couleurs de Proximus. Si son organisation a évolué au fil des ans, son ambition première reste de faire de la formation un levier de la stratégie business. Suite à l’adoption de la marque Proximus comme seule et unique façade, la Belgacom Corporate University (BCU) vient d’être rebaptisée Proximus Corporate University (PCU). Au passage, cette institution née il y a tout juste dix ans voit son rôle réaffirmé: le développement d’une organisation apprenante au sein de l’opérateur télécom. Bien sûr, au moment de sa création, en 2004, la formation n’était pas une nouveauté au sein de l’entreprise, loin s’en faut. La mission qui lui a été assignée? Faire contribuer davantage la formation à la réalisation de la stratégie d’entreprise. « Classiquement, un service de formation va capter les besoins, analyser les réponses à apporter, sélectionner des fournisseurs, puis organiser les formations, note Juliette Agro, Learning & Development Manager et respon-

TEMPS FORTS :: La mission de l’université d’entreprise de Proximus consiste à élaborer des solutions d’apprentissage ayant un réel impact sur le développement de l’individu et de l’organisation :: L’université agit en véritable laboratoire d’innovation pédagogique pour proposer de nouvelles formes d’apprentissage, notamment dans le champ digital :: Une entreprise peut également devenir vecteur d’innovation et de développement de nouveaux produits et services, comme le montre le business game Innolympics

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sable du Functional Development Centre au sein de PCU. L’université d’entreprise a une optique différente: nous développons une stratégie L&D qui est mise à jour chaque année et alignée à la stratégie business. » Avec 43 personnes placées sous la bannière PCU, la mission consiste à élaborer des solutions d’apprentissage ayant un réel impact sur le développement tant de l’individu que de l’organisation. L’institution gère son propre budget et dispose d’un « campus », soit 26 classes auxquelles se rajoutent 18 locaux de la Proximus ICT Academy, ex-John Cordier Academy, réparties sur deux étages dédiés du site d’Evere. « Chaque business unit a son propre L&D Consultant qui fonctionne comme Single Point of Contact (SPOC) pour la formation, explique-t-elle. Nous formons un groupe de travail pour assurer les meilleures synergies possibles. La seule équipe qui dispose encore de formateurs internes est le département Sales de la division Consumer, afin de former le personnel des magasins et des centres d’appels à nos produits et solutions. Pour le reste, nous faisons appel à des prestataires externes et capitalisons sur un réseau interne de quelque 500 personnes donnant des formations en plus de leur job. » Proximité avec le client Si, à certains égards, la Proximus Corporate University s’approche d’un centre de profit avec, par exemple, la vente de formation ICT à des clients externes ou la volonté de mettre sur le marché de Serious Games développés en interne -, elle ne doit pas être vue comme une sorte de PME interne, juge Juliette Agro. « L’université est intégrée au département RH et aux différents processus RH. Elle vient

en soutien des différents processus. Prenons le recrutement, par exemple. Proximus est une des entreprises belges les plus actives en la matière. Nous engageons chaque année de nombreux nouveaux spécialistes IT et réseau ainsi que des collaborateurs de point de vente et call center. PCU accompagne les nouveaux venus à l’aide d’un trajet de formation. Citons, par exemple, l’académie jointeurs ou les trajets spécifiques en matière de sécurité IT ou de cloud. Nous avons aussi consenti de nombreux efforts afin d'améliorer l'expérience client. » L’université d’entreprise était au départ organisée en neuf écoles spécialisées selon les domaines. Sa configuration a toutefois évolué avec le temps. Désormais, elle se compose d’un Leadership Development Centre, d’un Functional Development Centre (soutenant le business pour l’ensemble de ses besoins) et de la Proximus ICT Academy spécialisée en formations ICT (destinées aux employés et à des clients externes). Les responsabilités des consultants en learning & development sont alignées sur la structure du business, pour une meilleure proximité avec leurs clients: les 5 business units Enterprise (EBU), Technology (TEC), Consumer (CBU), Customer Operations (CUO) et Staff & Support (S&S) disposant chacune d’un SPOC learning & development. L’année dernière, l’entreprise a investi quelque 30 millions d’euros dans la formation, un montant comparable à celui consacré en 2013. Un processus d’optimisation a, d’autre part, permis d’augmenter les heures de formation de 32% comparé à 2010, notamment grâce au développement de la formation « digitale », aux synergies dégagées grâce aux formateurs internes ou encore


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Juliette Agro Proximus « Les avantages de l'apprentissage numérique sont nombreux: les formations sont plus courtes, disponibles partout et en permanence. Les participants apprennent à leur propre rythme et selon leurs besoins ponctuels. » © D.R.

via des négociations plus serrées avec les prestataires externes. Au fil des années, les équipes de l’université ont par ailleurs mis une attention particulière sur le marketing des programmes proposés. « Pour motiver les apprenants, il faut qu’ils perçoivent que l’entreprise investit en eux. Nous évitons autant que possible les formations ad hoc d’une journée, au profit de trajets de formation soutenus par les managers qui agissent en véritables sponsors. Ces derniers expliquent

hybrides sont également testées, certains des participants se retrouvant en classe et d’autres interagissant à distance pour partager la même formation. L’université a été pionnière avec le développement d’un serious game à grande échelle consacré au leadership. Chaque joueur se trouvait confronté à une situation inattendue: un nouveau produit devait être lancé endéans les trois mois, mais le prototype et la documentation sur le procédé de fabrication

QUELQUE 500 PERSONNES DONNENT DES FORMATIONS INTERNES EN PLUS DE LEUR JOB le pourquoi de la formation, en quoi elle contribue à la stratégie et ce qu’on espère atteindre. » Serious games La Corporate University de Proximus s’est donnée pour ambition d’atteindre en 2015 10% de ses formations sous forme électronique. C’est à la cellule Digital Learning qu’il revient d’explorer de nouvelles formes d’apprentissage, allant de l’e-learning classique aux vidéos, serious gaming et social learning, en passant par le blended learning, des quizz en ligne ou des webinaires. Des sessions

avaient été dérobés. La mission: tout faire pour que le lancement intervienne dans le délai, en analysant les données du problème et en amenant les bonnes personnes à coopérer. Bien sûr, la vie de l’entité continuait en parallèle, avec les problèmes quotidiens venant se greffer aux difficultés de la mission. Le jeu était à la fois formatif et à vocation de diagnostic, chaque cadre pouvant ensuite faire appel aux Career Coaches pour obtenir de l’aide dans l’interprétation des résultats et évoquer des pistes de progrès. Aujourd’hui, la dynamique du serious game s’est étendue à d’autres profils, notamment

pour former les vendeurs à la configuration des smartphones ou les driller par rapport aux questions des clients. « Les avantages de l'apprentissage numérique sont nombreux: les formations sont plus courtes, de l’ordre de 60% en moyenne, disponibles partout et en permanence. Les participants apprennent par ailleurs à leur propre rythme et selon leurs besoins ponctuels. Enfin, nous pouvons facilement intégrer des nouveautés ou d’autres dimensions, et garantir des dispositifs de formation conviviaux. » Nouveaux business Autre exemple d’innovation: un business game a été développé pour l’EBU/Solutions Telco, ouvert aussi à des participants issus d’autres business units. Certains endossaient le rôle d’entrepreneur proposant des idées autour de solutions innovantes, d’autres intervenaient comme experts autour de ces initiatives et d’autres encore les évaluaient en tant qu’investisseurs. Quelque 180 personnes ont participé sur huit semaines à ce jeu baptisé Innolympics, avec pour objectif de sortir une nouvelle solution que l’entreprise allait pouvoir implémenter en 2015. Le jeu s’est terminé par une session à l’occasion de laquelle les huit projets les mieux classés ont été présentés devant un jury. La médaille d'or a été attribuée au projet Smart Fleet, une solution devant permettre aux clients de Proximus de gérer leur parc automobile en toute sécurité et en assurant la confidentialité pour les utilisateurs finaux. Les clients pourront surveiller leur consommation et leur kilométrage, ainsi que de monitorer leurs habitudes de conduite. L’idée sera développée et implémentée par Proximus et les participants au projet pourront, pendant trois mois, investir 20% de leur temps de travail dans son développement. Une initiative qui a donné de bons résultats et qui devrait être renouvelée à l’avenir…

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FRÉDÉRIC OLIVIER (RTBF) SUR LA FORCE D’UNE ACADÉMIE INTERNE POUR INSUFFLER LE CHANGEMENT texte

LA FORMATION EN (VÉRITABLE) SOUTIEN DE LA STRATÉGIE

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Depuis dix-huit mois, la RTBF dispose d’une Académie, formule hybride entre l’université interne et le centre de formation. Peu importe le nom, ce qui compte, c’est sa mission : positionner la formation comme levier de mise en oeuvre de la stratégie d’entreprise. Les premiers résultats engrangés montrent la pertinence de la démarche adoptée. La RTBF, comme les autres entreprises audiovisuelles, est confrontée à la diversification croissante des manières de consommer les médias avec, notamment, une multiplication des outils (TV connectée à internet, PC portable, mobiles, etc.) et le développement de l’interactivité. Tout un chacun va pouvoir décider de regarder les émissions quand il veut et où il le veut, en ayant de plus la possibilité d’enrichir les programmes par le biais du web. Une même famille se trouvant dans une même pièce regardera très probablement des programmes différents sur des supports différents. Ces évolutions progressives transforment en profondeur tous les métiers de la RTBF. Dans le but d’accompagner ces transformations, l’entreprise a décidé de créer une Académie. Objectif affirmé : faire évoluer ce qui était jusque-là un service de formation classique

TEMPS FORTS :: Une université ou académie interne a une dimension symbolique, la formation étant clairement positionnée en priorité stratégique pour l’entreprise :: L’approche gagne à être à la fois topdown - les leaders posant les enjeux de développement en lien avec la stratégie - et bottom-up - en remontant les besoins et demandes du terrain :: Croiser les deux dynamiques permet de fixer des priorités et de mettre en place des actions bien ciblées

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en un véritable « partenaire stratégique » du business. Longtemps en effet, la formation a été vue dans la maison comme le moyen de combler des manquements, voire comme une punition décidée par le chef. La mise en place de la RTBF Academy s’inscrit dans le contexte du contrat de gestion, animé par la vision « Stratégie 2016 ». Ce plan a été traduit dans un plan stratégique RH visant notamment à identifier les compétences nécessaires à sa réalisation, à ajuster les ressources humaines en conséquence et à accompagner le changement. L’Académie a été placée sous la responsabilité de Frédéric Olivier qui a rejoint la RTBF en mai 2013, après avoir piloté pendant plusieurs années l’université d’entreprise du groupe Dexia. Transversalité et polyvalence Le choix fait en faveur d’une académie, et non d’une université interne, n’est pas une décision uniquement d’ordre cosmétique. « L’université a une connotation élitiste, là où nous nous voulons être l’académie de tous, ce qui correspond davantage à l’esprit de service public, explique-t-il. Nous proposons des activités relevant traditionnellement des universités d’entreprise et d’autres propres aux centres de formation classiques. La RTBF a pour avantage d’être une plus petite structure, comparée à des groupes comme Dexia, et l’on peut y activer plus facilement les leviers, voir le concret du travail que l’on mène pour tout le personnel, tout en étant en contact direct avec les décideurs. » L’idée était également d’en faire un outil symbolique, la formation étant clairement positionnée en priorité stratégique pour l’entreprise, et opérationnel, dans l’optique de

former les travailleurs dans les domaines prioritaires liés au plan stratégique. « Nous nous plaçons dans une optique de durée. Nos métiers changent en continu : il faut sans cesse nous adapter et en apprendre de nouveaux. Des techniciens évoluent pour prendre en charge du contenu. Ils partent d’images TV pour en faire une autre émission pour le web. Ainsi, l’académie a vocation de développer la transversalité et la polyvalence. » Orientation solutions Dans la logique business qui l’anime, Frédéric Olivier est allé visiter les leaders des activités pour former un comité de pilotage. Celui-ci définit les objectifs stratégiques et les types d’actions à lancer. « Classiquement, un département formation propose lui-même des formations. Dans notre configuration, c’est le business qui détermine où il faut aller et c’est avec lui que nous décidons des solutions à mettre en place. Les chargés de formation sont au plus près des divisions pour élaborer les réponses aux besoins avec leurs clients internes. » L’approche est donc à la fois top-down - le comité de direction et le comité de pilotage posant les enjeux de développement en lien avec la stratégie d’entreprise - et bottom-up - par le biais de la remontée des besoins et demandes des collaborateurs et des managers. « Les deux orientations sont alors croisées : si ce qui nous revient du terrain correspond aux axes stratégiques comme, par exemple, le renforcement des aptitudes managériales ou le changement de plateforme numérique, la demande est traitée en priorité. Si tel n’est pas le cas, elle sera adressée dans un second temps. »


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Frédéric Olivier RTBF « Le concept d’université a une connotation élitiste, là où nous nous voulons être l’académie de tous, ce qui correspond davantage à l’esprit de service public. » © D.R.

Aujourd’hui, l’équipe de la RTBF Academy se compose de cinq personnes fonctionnant en mode projet. Les budgets alloués à la formation ont été renforcés avec la perspective d’une progression annuelle de 100.000 euros. « La demande provient explicitement du business, ce qui fait que les attentes sont aussi beaucoup plus fortes : il faut délivrer ! » C’est pourquoi l’équipe a d’abord veillé à engranger des « quick wins » afin de pouvoir rapidement démontrer son savoir-faire et de gagner la confiance de ses clients. Espace dédié En novembre dernier, Frédéric Olivier présentait ses réalisations au comité de direction. Le bulletin reçu a été plus que bon : « L’agilité et l’orientation client de l’Académie sont reconnues à l’unanimité, de même que sa capacité à comprendre les besoins du business et à y apporter des solutions en learning & development », se félicite-t-il. Les locaux dédiés, ouverts voici un peu plus d’un an au coeur du 10ème étage, sont également perçus comme une réussite. « Avant, la formation n’avait pas de lieu spécifiquement identifié. Or, pour donner envie d’apprendre, il faut mettre les gens dans de bonnes conditions. Nous avons conçu l’endroit en veillant à la convivialité, à l’ambiance cosy et à l’esthétique colorée. Cet espace contribue à la marque RTBF Academy. » Au rang des points encore à améliorer : la planification des formations, la prioritisation des projets, actuellement fort nombreux, et les processus d’inscription, domaines qui connaissent encore de petites maladies de jeunesse. Mais peu de chose finalement, au regard des nombreuses réalisations. Parmi les principaux faits d’arme de l’Académie, on peut citer l’organisation d’un « top 70 » du management supérieur de l’entreprise, pilo-

té de A à Z par l’Académie en collaboration avec l’administrateur délégué. Cette réunion assortie d’ateliers a mis l’amélioration de la transversalité et de la collaboration entre les services comme priorité pour tous. « Cet événement a véritablement contribué à la

POUR DONNER ENVIE D’APPRENDRE, IL FAUT METTRE LES GENS DANS DE BONNES CONDITIONS rendre claire. Il s’agit typiquement une activité d’université d’entreprise dont la formule est réitérée en ce mois de janvier. » Autre exemple : les initiatives en vue de l’instauration d’une culture du feed-back. Pour ce faire, la démarche est partie du top management dans une optique d’exemplarité. Puis, elle a été cascadée d’abord au niveau des 200 cadres supérieurs, et ensuite auprès des collaborateurs par le biais d’une semaine du feed-back, de speed-datings axés sur le feed-back, etc. « Au départ, il s’agissait plutôt une activité d’université d’entreprise se concentrant sur le top. Ensuite, elle s’est muée en activité plus proche de celles d’un centre de formation pour toucher l’ensemble des collaborateurs. »

L’an passé, l’Académie a plus que doublé le nombre de participants à des formations, avec une progression de 1.219 unités en 2013 à 2.655 rien que sur les dix premiers mois de 2014. Les taux de satisfaction enregistrés, soit 82,6%, sont supérieurs aux objectifs. Le catalogue de formation a été mis en place et se décline en quatre domaines. Un parcours de développement a aussi été instauré à destination de personnes prenant des fonctions managériales. Entre autres. D’autres offres sont réalisées sur mesure: un séminaire pour les cadres de la direction de la télévision, un autre pour l’équipe de direction de la Première, un accompagnement de l’équipe de l’information de la radio qui a abouti à une refonte de l’info matinale… Autre exemple : la certification interne en réseaux sociaux, par laquelle les personnes les plus exposées ont été formées et peuvent désormais se positionner en Social Media Coordinators. Plus largement, l’expertise pédagogique développée a contribué à rendre tous les collaborateurs plus compétents dans l’usage des médias sociaux. L’Académie s’implique également en matière de contenus, notamment dans la refonte de l’émission Le Jardin Extraordinaire (avec une formation au story-telling animalier) ou en amont de la Coupe du Monde au Brésil (formation en matière de géopolitique et de sécurité). Pour 2015, à défauts de grands événements sportifs ou d’élections, les priorités vont pouvoir être mises sur les évolutions technologiques et la révision des process associés, en concentrant les efforts de l’Académie sur l’accompagnement du changement. « Nous allons également travailler sur les trajets de management, sur la créativité ou encore sur le sentiment de fierté de nos équipes, avec des moments forts, des visites et des activités interactives, sérieuses ou ludiques, à un rythme soutenu… »

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ANDRÉA LEPONCE (EXKI) SUR L’ACADÉMIE COMME OUTIL D’ACCOMPAGNEMENT DE LA CROISSANCE texte

L’ACADÉMIE FACILITE L’OFFRE DE SOLUTIONS BIEN ADAPTÉES

christophe lo giudice

Fondée en 2006, l’EXKi Academy a d’emblée compté parmi ses missions d’accompagner l’expansion de l’entreprise de restauration rapide spécialisée dans l’alimentation saine. Au fil des ans, l’ouvrage a plusieurs fois été remis sur le métier afin de coller au mieux à des besoins eux-mêmes évolutifs. Aujourd’hui, l’académie se positionne en vecteur de transformation d’EXKi en organisation apprenante. Depuis une quinzaine d’années, EXKi bouscule tous les codes de la restauration rapide en proposant des produits naturels et frais à tout moment de la journée, dans des lieux à la décoration conviviale et apaisante. L’histoire commence en 1999 quand trois collègues, Frédéric Rouvez, Arnaud de Meeûs et Nicolas Steisel, passionnés par la bonne cuisine, décident de se lancer dans l’aventure de l’entrepreneuriat : leur premier restaurant ouvre en janvier 2001, Porte de Namur à Bruxelles. Un deuxième restaurant voit le jour peu de temps après, en septembre de la même année, sur la rue Neuve. Aujourd’hui, l’enseigne compte pas moins de 74 restaurants répartis dans six pays et emploie quelque 850 personnes dont 330 en Belgique et 40 au siège de l’entreprise. Son expansion se poursuit désormais de l’autre côté de l’Atlantique, avec l’ouverture d’un deuxième restaurant à New York prévue en

TEMPS FORTS :: D’abord très axée sur les métiers, l’EXKi Academy a vu ses missions et ses approches évoluer au rythme de la croissance de l’entreprise :: Elle vise aujourd’hui à faciliter l'apprentissage de tous les collaborateurs et des équipes, ainsi qu’à accompagner le développement de l’organisation :: Le développement est désormais davantage et mieux cadré, s’inspirant de la pratique du compagnonnage

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février. La success-story belge fait ainsi le pari ambitieux de décliner son concept de fastfood sain et durable au pays du hamburger ! Cette croissance continue a nécessité certains rééquilibrages en termes d’organisation, comme l’explique Andréa Leponce, Talent Manager chez EXKi. « Auparavant, la structure était très centralisée. Nous avons fait le constat que les patrons des pays manquaient de leviers d’action. Chaque pays dispose maintenant de son propre General Manager, doté des manettes de pilotage et accompagné d’un HR Manager en local. Un certain nombre de fonctions de support viennent les soutenir en mode transversal, comme par exemple l’EXKi Academy. » Quant à la franchise qui représente 50% du développement, l’encadrement est renforcé avec la création d’un poste de General Manager Franchise. Créer une émulation Chez EXKi, l’académie a été créée en 2006, notamment pour assurer le développement du personnel dans le cadre de l’expansion de l’entreprise. Au départ, elle était à la disposition des managers et des collaborateurs souhaitant développer leurs compétences ou s’outiller pour mieux travailler. Ils pouvaient alors s’inscrire à des modules dispensés par des formateurs internes ou externes, mais également par des managers désireux de partager leur expertise. « Il n’y avait donc pas d’obligation, précise-t-elle. L’idée était avant tout de créer une émulation, en plus de l’apprentissage ‘on the job’. » La stratégie de formation a ainsi été conçue autour de trois pôles : la formation initiale, donnée en restaurant sans lien direct avec

LES COLLABORATEURS DOIVENT DEVENIR CLIENTS DE LEUR DÉVELOPPEMENT l’académie ; la formation continue proposée au sein de l’académie sur des sujets variés (service au client, leadership, relations au travail, qualité des produits, prévention et gestion du stress, procédures anti-hold up, etc.) et la formation spécifique plus ponctuelle de type coaching ou accompagnement du changement. Au total, l’entreprise investit un budget de 500.000 euros par année en formation, soit la moitié de ses bénéfices. Fournisseur d’outils Au fil des années, la fonction d’Academy Manager a évolué pour se transformer en Talent Manager et jouer un rôle plus central. La formation n’a plus ce caractère « optionnel », mais recouvre par exemple une obligation de contact pour le terrain. « L’académie s’est développée comme un centre d’expertise et franchit une nouvelle étape, suite au choix posé d’adopter pour EXKi le modèle de l’organisation apprenante. Dans ce cadre, l’EXKi


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Andréa Leponce EXki « L’académie s’est développée comme un centre d’expertise et franchit une nouvelle étape suite au choix posé d’adopter pour EXKi le modèle de l’organisation apprenante. » © D.R.

tion au départ essentiellement dispensée en présentiel a été complétée par des dispositifs d’e-learning. Des modules spécifiques ont par ailleurs été développés, comme la formation ‘Insights Discovery’ axée sur une meilleure connaissance de soi et des autres. Tous les managers du siège ont été amenés à la suivre, la positionnant comme un véritable outil managérial, de communication et de renforcement de la collaboration autour de langages communs.

Academy devient un fournisseur d’outils à destination des managers pour évoluer dans cette voie et leur permettre de transmettre leur savoir. » Le développement est ainsi plus et mieux cadré, s’inspirant de la pratique du compagnonnage. Qu’est-ce exactement qu’une « organisation apprenante » ? Différentes définitions sont avancées, mais les fils rouges se résument comme suit : une organisation apprenante est celle qui facilite l'apprentissage de tous ses membres ainsi que des équipes, mais aussi qui se transforme continuellement. Elle développe une capacité quasi permanente à se remettre en cause, à s’adapter et à adapter sa stratégie, sa structure, ses façons de fonctionner, etc. Elle progresse à travers l’expérimentation. La réflexion n’est pas seulement celle d’une direction ou d’un patron visionnaire, mais le fruit d’un travail collectif, mené à tous les niveaux. Un autre regard Quant au compagnonnage, il se fonde sur l’idée de stimuler les personnes à rayonner dans leur entreprise, à faire en sorte que le chemin qu’elles ont parcouru bénéficie à d’autres. « Quand on acquiert un savoir, on n’en est pas propriétaire, explique Andréa Laponce. On en est détenteur avec la possibilité de le transmettre à d’autres. C’est une

démarche que nous voulons encourager et soutenir en y associant certains outils. » Ces dynamiques sont actuellement en phase de déploiement et correspondent au souci de proximité avec le terrain. « L’enjeu est de préserver la motivation des managers à former les (nouveaux) collaborateurs dans un contexte de croissance qui s’accompagne de nombreux engagements », précise-t-elle. L’idée est aussi de stimuler une gestion des talents adaptée à la société, comme l’illustre la méthode ‘ad interim’ qui a été mise sur pied afin de proposer des trajets d’évolution et de développement. « Dès lors qu’une personne est identifiée comme ayant du potentiel, appel est lancé à l’académie qui consulte la fiche du poste occupé, identifie les compétences couvertes et celles qui devraient éventuellement être approfondies. Si la personne est jugée prête, elle exerce alors la fonction ‘ad interim' pendant quatre ou cinq mois. L’apprentissage du nouveau rôle comporte ainsi une partie expérimentale, avec des phases d’évaluation associées. De la sorte, les gens deviennent véritablement clients de leur développement et abordent la formation avec un autre regard. On ne suit plus la formation parce qu’on vous l’a demandé ou de façon passive, mais dans la perspective de la prise de poste. » Au cours des dernières années, l’offre de forma-

Outil de valorisation La formation ‘back to basics’ est quant à elle composée de quinze modules et cible plus particulièrement les équipes de restaurant sur des sujets comme l’hygiène, l’évaluation, le recrutement, etc. « D’ici mars, nous souhaitons réunir les managers en ateliers avec des mises en situation pour opérer un rafraîchissement et ensuite pouvoir recréer de nouvelles formations en les ancrant dans les besoins qui seront exprimés. » Parmi les modules en projet: un e-learning sur le développement durable d’EXKi, un programme sur les techniques de formations destiné aux tuteurs, le développement de programmes de leadership adaptés aux différents niveaux de management… Au-delà de la formation, l’académie relève également d’autres missions, aux yeux de sa responsable. « Il s’agit d’une plate-forme d’échanges et de retours d’expériences, d’un bon outil pour faire remonter ce que les gens vivent sur le terrain; d’un véritable canal de communication permettant de partager la vision, d’adresser les plaintes ou de gérer les rumeurs. C’est également un instrument de valorisation, du moins dans l’idée de départ, même si cet aspect est un peu retombé. Il ne faut pourtant pas le négliger. Ce sera un volet à redynamiser dans la logique du compagnonnage. La reconnaissance, tant des apprenants que des transmetteurs de savoir, est un chantier qui fait actuellement l’objet de réflexions. »

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LE PREMIER NIVEAU D’ENCADREMENT REPRÉSENTE SOUVENT UN MAILLON FAIBLE POUR L’ENTREPRISE texte

COMMENT FORMER LES MANAGERS DE PROXIMITÉ

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Le passage d’un collaborateur dans un rôle managérial exige d’importants ajustements, tant en compétences qu’en termes d’état d’esprit, d’emploi du temps ou de relationnel. Voici un inventaire des besoins de ces nouveaux managers et des pistes pour y répondre. « Les programmes de management qu’on trouve sur le marché sont surtout destinés aux cadres dirigeants et/ou supérieurs. Très peu d’entre eux se concentrent sur le premier niveau d’encadrement, observe André Leclercq, directeur des ressources humaines à la FN Herstal. Or, tout au long de ma carrière dans l’industrie, j’ai pu constater à quel point ce premier niveau est souvent un maillon faible. Lorsqu’on promeut quelqu’un à ce niveau, on choisit généralement l’ouvrier le plus compétent qui démontre être correct dans ses relations aux autres, ponctuel, rarement absent…, sans trop se poser la question de savoir s’il a le potentiel de diriger d’autres

personnes. Mais cette sensibilité managériale doit être développée et accompagnée. » Si l’on écoute le maître du genre, Henry Mintzberg, « le management est une pratique qu’on ne peut enseigner comme une science ou une profession. En fait, il ne s’enseigne pas du tout. Le management s’apprend sur le tas, grâce à une diversité

soins non couverts par l’offre « traditionnelle ». C’est dans cette perspective qu’elle vient de compléter son catalogue par ce programme d’une durée de 7 jours ciblant les managers de premier niveau. « Les entreprises ont encore tendance à promouvoir leurs meilleurs experts dans un rôle de management sans suffisamment les outiller à cette fin, confirme Olivier t’Kint,

LE MANAGEMENT S’APPREND SUR LE TAS, GRÂCE À UNE DIVERSITÉ D’EXPÉRIENCES ET DE DÉFIS

TEMPS FORTS :: Très peu de programmes de management se concentrent sur le premier niveau d’encadrement, qui est pourtant le maillon faible de bien des organisations :: Quand on promeut quelqu’un à une fonction de maîtrise, il doit prendre conscience que sa fonction n’est plus la même : il faut clarifier les implications du rôle de chef :: Une étape de la démarche passe par apprendre à mettre des mots sur ce que l’on vit. L’expérience des autres, l’acquisition de certains outils et des mises en situation aident aussi à structurer sa pensée et vaincre les difficultés inhérentes à la nouveauté du rôle

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d’expériences et de défis. Les formations sont là pour aider les managers à donner un sens à leur expérience, en les encourageant à réfléchir eux-mêmes et à en parler avec leurs collègues. » Ces propos tirés d’un de ses derniers livres, Manager : L’essentiel (Vuibert, 2014), résument bien l’esprit qui anime une nouvelle formation proposée en pilote par l’EPM à destination de l’encadrement de proximité : une pédagogie active dispensée par des praticiens sur base des derniers enseignements académiques mais aussi de leurs expérience et savoir-faire, centrée sur le développement opérationnel des participants. Créée en 1977, cette école de gestion s’est développée grâce au support d’entreprises partenaires pour lesquelles elle met en place des formations répondant à des be-

administrateur directeur de l’EPM. Elles prennent ainsi le risque de perdre un bon expert et de récupérer un mauvais manager. La formation vise à outiller ces managers néophytes dans l’exercice de leurs nouvelles attributions. » Cahier des charges La plupart des entreprises, et en particulier les plus grandes, essaient de répondre à ce besoin en interne, du moins en partie, confie Jean Denoël, directeur du programme et lui-même ancien cadre supérieur dans l’industrie (Carmeuse, FN Herstal). « La valeur ajoutée de notre formation réside dans la combinaison de plusieurs approches: d’abord, développer la connaissance de soi, des autres et du fonctionnement économique d’une entreprise;


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Jean Denoël EPM « La valeur ajoutée de notre approche tient à la combinaison de plusieurs approches: développer la connaissance de soi, des autres et du fonctionnement économique d’une entreprise; présenter un certain nombre d’outils et passer très vite à la pratique. » © Christophe Lo Giudice

partons des réalités que vivent les participants sur le terrain. Ils ont par ailleurs un travail final à réaliser en groupe sur une problématique identifiée dans leur propre contexte, avec au bout du compte des recommandations à émettre. » Boîte à outils Entré chez Techspace Aero dès la fin de ses études d’ingénieur civil, Sébastien Schütz y a mené le parcours « classique » : il a fait ses armes au sein du bureau d’études pour ensuite prendre un rôle managérial. Au-

ensuite, présenter un certain nombre d’outils de pilotage de l’unité, de people management, d’amélioration et de gestion des confrontations; enfin, passer à la pratique sous forme de laboratoire d’expérimentation et de mise en situation. » Le management reste encore considéré comme une démarche intuitive que l’on confond souvent avec le leadership, note pour sa part Jean-Claude Simon, consultant-formateur intervenant dans le programme. « Le leadership est une capacité naturelle à s’imposer, mais qui ne réfère qu’à une partie du management. Manager, c’est un rôle, une fonction qui va recouvrir des réalités différentes selon les structures et les situations. Ainsi, on peut être bon manager dans une certaine situation, et moins dans une autre. Il est donc im-

portant d’ouvrir les nouveaux managers à une réflexion sur le sens à donner à ce qu’ils vivent et de développer leur capacité d’analyse pour pouvoir améliorer leur façon de se comporter et la qualité de leur action. » Actuellement dispensée en phase pilote à quinzaine de managers, la formation part d’un « cahier des charges », une évaluation des besoins réalisée par le participant et par son responsable hiérarchique. Celle-ci porte autant sur le développement de hard skills que de soft skills. « Le patron du manager a un rôle important comme accompagnateur, voire idéalement comme coach interne », explique Jean Denoël. « Sur la base de ces cahiers des charges, la formation se construit sur mesure et de manière vivante, appuie Jean-Claude Simon. Nous

LES ENTREPRISES ONT TENDANCE À PROMOUVOIR LEURS MEILLEURS EXPERTS EN MANAGERS

jourd’hui Assembly Line Manager au sein de cette entreprise aéronautique basée à Herstal, il gère une ligne de produits sur laquelle travaillent une quarantaine de personnes. « Les études ne nous préparent pas à exercer un tel rôle, témoigne-t-il. En matière de management, j’ai plus appris au foot qu’au cours de mon cursus d’ingénieur… Un bureau d’étude, c’est un peu

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CANEVAS Jean-Claude Simon EPM « Le leadership est une capacité naturelle à s’imposer. Manager, c’est un rôle, une fonction qui va recouvrir des réalités différentes selon les structures et les situations. » © Christophe Lo Giudice

LE PATRON DU MANAGER A UN RÔLE D’ACCOMPAGNATEUR, VOIRE IDÉALEMENT DE COACH INTERNE

nouvelle organisation du travail que je vais mettre en place, et qui tient compte des remontées du terrain. »

comme une tour d’ivoire : il me manquait l’expérience du terrain, du pragmatique, de l’assertivité, des clés de délégation. » Un constat relativement clair qu’il pose à mi-chemin du parcours suivi dans le cadre de l’EPM. « Un des principaux apports de cette formation tient, pour moi, dans le fait d’apprendre à mettre des mots sur des ressentis, des perceptions, des choses qu’on vit. Ils nous permettent de mieux structurer nos pensées et nos émotions. Les expériences des intervenants, mais aussi des autres participants vivant des situations comparables mais avec des accents propres à leur réalité, confirment qu’on n’est pas seul à passer par certaines difficultés et sont très enrichissantes. » Chez bpost, Mohamid Mtioui Ahalli pilote

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quant à lui une équipe de 9 team leaders, eux-mêmes à la tête d’un effectif qui totalise quelque 300 facteurs. Sa mission : aider ces managers à se comporter et à se développer de telle sorte d’améliorer l’efficacité opérationnelle de leurs équipes. Issu du terrain, il a lui-même été facteur, puis team leader, avant d’exercer ses responsabilités actuelles. L’opérationnel n’a donc plus de secret pour lui. « J’avais par contre besoin d’être outillé pour tirer parti de mes savoirs et expériences et en transmettre le bénéfice aux autres », confie-t-il. Parmi les apports de la formation, il pointe la cartographie VSM aidant à visualiser les flux d’activités, à identifier les dysfonctionnements et les gisements d’amélioration. « Un outil intéressant dans le cadre d’une

Donner du sens Chez Advanced Coating, une entreprise spécialisée dans les revêtements par projection à froid, plasma et supersonique de métaux, alliages, céramiques et carbures, Stéphane Brouwers gère un atelier composé d’un chef d’atelier et de 14 ouvriers. « S’il est utile de développer ses connaissances en matière de gestion humaine, j’apprécie beaucoup le volet de développement des connaissances de soi que propose la formation, dit-il. Un des principaux enseignements relève des dynamiques de communication, notamment la façon de faire passer les messages. J’ai aussi beaucoup appris en matière d’organisation des flux de matériaux dans l’atelier : comment analyser l’organisation du travail pour ensuite ranger différemment, disposer de zones claires et précises et ainsi obtenir des gains de temps et de productivité. » « Au début de la formation, on insiste beaucoup sur l’importance de (se) donner des


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Sébastien Schütz (Techspace Aero), entre Stéphane Brouwers (Advanced Coating) et Mohamid Mtioui Ahall (bpost) « On insiste sur l’importance de (se) donner des objectifs, de fixer un cap, ce qui facilite la mise en oeuvre des moyens adéquats pour y parvenir. » © Christophe Lo Giudice

objectifs, de fixer un cap, ajoute Sébastien Schütz. Quand on ne sait pas précisément où l’on va, il est évidemment plus difficile de mettre en oeuvre les moyens adéquats pour y parvenir. Par rapport aux opérations, je n’étais pas dans ce modelà. En tant que jeune manager, je restais très centré sur le travail, sur la tâche. Désormais, chaque matin, je veille à opérer un retour sur les performances réalisées, à présenter les objectifs et à montrer comment on peut les atteindre. Il s’agit aussi de donner du sens au-delà de l’activité. Tout ceci peut apparaître presque banal une fois qu’on le fait mais, lorsqu’on débute, c’est loin d’être évident. » Si le responsable hiérarchique doit être impliqué dans la démarche, c’est aussi le cas du DRH, tout particulièrement pour le

suivi et l’évaluation du programme. A la FN Herstal, dont deux néo-managers participent à la phase pilote, un double système d’évaluation des formations existe: une évaluation à chaud par le formé sur base d’une diversité de critères et, trois à six mois plus tard, une évaluation via le N+1, afin de mesurer le bénéfice récurrent des changements de comportements.

site de prendre de la hauteur. La formation ne vise pas à le transformer en grand stratège, mais clarifie les implications du rôle de chef, tout en les inscrivant dans les flux économiques existants. La dynamique se veut en outre systémique : les décisions prises peuvent avoir des conséquences dans d’autres domaines, ou dans le temps. Une des vertus de la formation

LA FORMATION NE VISE PAS À DEVENIR GRAND STRATÈGE, MAIS À CLARIFIER LES IMPLICATIONS DU RÔLE DE CHEF S’il est encore trop tôt pour une première évaluation rigoureuse des fruits de la formation, André Leclercq identifie déjà de premiers bénéfices. « Le programme répond au besoin d’une approche de terrain, ancrée dans le business et axée moins sur le conceptuel que sur les savoir-faire et savoir être, estime-t-il. Quand on promeut quelqu’un à une fonction de maîtrise, qui dirige 40 personnes dont plusieurs anciens collègues, il faut le conscientiser sur le fait que sa fonction n’est plus la même et néces-

consiste à développer la capacité à opérer des liens entre toutes les dimensions à l’oeuvre. »

EPM MANAGEMENT www.epm.be info@epm.be Tel: 010 45 11 54

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POURQUOI ET COMMENT OFFRIR LA POSSIBILITÉ DE CHOISIR SON TEMPS ET SON LIEU DE TRAVAIL

LA FLEXIBILITÉ DOIT S’APPRIVOISER texte

christophe lo giudice

Seul un travailleur sur trois dit pouvoir choisir effectivement ses heures de travail ou son lieu de travail. A peine 17% ont le choix des deux possibilités. Or, le travail flexible est porteur de nombreux avantages, pour les travailleurs comme pour l’entreprise. Dans quelle mesure la flexibilité du temps et du lieu de travail est-elle adoptée dans notre pays ? Quel effet la possibilité de choisir son lieu et ses horaires de travail exerce-t-elle sur les travailleurs ? C’est ce qu’a exploré une équipe de chercheurs de Securex HR Research en partenariat avec Lien Vossaert, doctorante au département

mot à dire quant au lieu et aux heures de travail. Ces derniers sont principalement des hommes de moins de 50 ans et de formation supérieure. La taille de l’organisation n’a pas d’influence sur la flexibilité du travail. La situation de l’organisation et le secteur, par contre, déterminent la flexibilité des heures de travail, mais non du lieu.

FAIRE CONFIANCE, CE N’EST PAS TOUT LÂCHER, MAIS S’INSCRIRE DANS UN CADRE À DÉTERMINER

Psychologie du personnel et du travail de l’Université de Gand. Deux échantillons ont été utilisés à cette fin: un échantillon de 2.088 salariés représentatif des Belges qui travaillent et un échantillon diversifié de 162 employeurs belges. Si le travail flexible tend à se répandre, il n’est pas encore la norme : 56% des sondés indiquent n’avoir que peu ou pas de flexibilité concernant le lieu et les heures de travail. Trois sur dix peuvent choisir où ils travaillent, 31% peuvent choisir quand ils travaillent et seulement 17% ont leur

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Les bureaux du Brabant wallon et les secteurs informatique et des services laissent la plus grande liberté quant au choix des heures de travail. Quasiment un standard L’enquête montre clairement la relation entre flexibilité du lieu et du temps de travail et satisfaction des travailleurs. L’impact positif sur la santé est aussi mis en évidence. Les travailleurs, tant ouvriers qu’employés, qui peuvent travailler de manière flexible signalent moins de stress,

moins de plaintes physiques, plus de plaisir au travail, plus de motivation et sont moins enclins à quitter leur employeur. Près de 9 travailleurs sur 10 qui peuvent choisir où et quand ils travaillent se sentent en mesure de rester plus longtemps actifs sur le marché du travail, 8 sur 10 le veulent en outre aussi. Le rapport n’est que d’environ 7 sur 10 chez ceux qui ont moins voix au chapitre. Par ailleurs, les organisations qui proposent des heures de travail flexibles se révèlent être plus innovantes. Elles signalent une meilleure position sur le marché que leurs concurrentes, mais uniquement si la culture est axée sur le travailleur. Autre constat : les organisations qui proposent le télétravail à leurs travailleurs rapportent de meilleures performances sur le marché et sont aussi plus innovantes. Evaluation régulière « Le marché du travail change, analyse Christine Godin, HR Business Partner au sein de Securex. Les travailleurs expriment de plus en plus de besoins et attentes individuelles. Les attirer et les fidéliser passent par essayer d’y répondre. L’offre de flexibilité n’est plus uniquement un plus, elle devient quasiment un standard. La question principale ne consiste donc plus à se demander ‘Est-ce que la flexibilité du temps et du lieu de travail fonctionne ?’, mais ‘Sous quelle forme cette flexibilité va-t-elle donner des résultats pour notre entreprise ? » Une certitude : la mettre en oeuvre ne


EN COULISSE Christine Godin Securex « Introduire la flexibilité du temps et du lieu de travail représente un vrai projet d’entreprise, passe par certaines étapes et implique différents points d’attention. »

Koen Van Hulst Responsable Prévention Psychosociale Mensura

© D.R.

s’improvise pas. « Il convient au préalable de s’assurer que la culture d’entreprise est suffisamment mature. Il n’y a rien de pire que d’instaurer la flexibilité si le management s’évertue ensuite à réintroduire du contrôle d’autres façons. Introduire la flexibilité du temps et du lieu de travail représente un vrai projet d’entreprise, passe par certaines étapes et implique plusieurs points d’attention que certaines organisations ont tendance à sous-estimer. » Faire confiance aux travailleurs, ce n’est pas tout lâcher, ajoute-t-elle, mais s’ins-

L’OFFRE DE FLEXIBILITÉ EST UN PLUS, MAIS DEVIENT QUASIMENT UN STANDARD crit dans un cadre à déterminer: quels objectifs, quels arrangements, quels outils, quels dispositifs pour assurer la communication, etc. Un cadre à communiquer et à expliquer. « Une telle évolution suscite des craintes, tant chez les managers que chez travailleurs eux-mêmes, et nécessite un accompagnement. L’évaluation doit être régulière, avec une recherche constante d’amélioration par rapport à ce qui se vit sur le terrain et aux attentes qui évoluent. La flexibilité s’apprivoise et peut se développer dans le dialogue : il s’agit d’une découverte progressive permettant d’explorer de nouvelles manières d’organiser le travail. »

PRÉVENIR LE STRESS ET LE BURN-OUT Il est nécessaire d'investir dans la résilience des travailleurs si nous devons tous rester au travail plus longtemps. Car qui dit travailler plus avec moins de personnes, être plus efficace et livrer en permanence un travail de qualité, dit aussi plus de stress. Une politique préventive du bien-être au travail permet d'avoir des travailleurs en bonne santé, tant sur le plan mental que physique. Récemment modifiée, la loi sur les risques psychosociaux illustre l’attention croissante accordée au traitement du stress et du burn-out liés au travail. La nécessité d'accorder davantage d'attention aux analyses de risques et l'élargissement du focus mis sur les comportements indésirables à celui mis sur le stress sont des signaux importants donnés par le législateur, car l'impact du stress sur une organisation est encore souvent sous-estimé. Cinq faits que vous ne pouvez négliger en tant qu'employeur : 1. Le stress est quasi omniprésent : quasi chaque entreprise possède un département ou un service dont l'une des missions est de se pencher sur l'exposition problématique au stress. Cependant, nous avons souvent tendance à banaliser le problème : « tout le monde souffre de stress », « ça fait partie du travail », entend-on souvent dire. Si rien n'est entrepris, le risque de voir naître des problèmes de santé est bien réel. 2. Tout le monde n'a pas la même résistance : le stress est la réaction d'un travailleur aux exigences qui lui sont imposées. En même temps, tout le monde n'a pas la même capacité de résistance au stress. Tout comme le caractère, la résistance mentale diffère d'une personne à l'autre. Contrairement au vécu subjectif, les signaux et les symptômes du stress peuvent être objectivés. 3. Le stress mène tôt ou tard à l’absentéisme : en général, un travailleur confronté au stress va dans un premier temps résister. Mais une fois que les ressources mentales, émotionnelles et physiques auront été épuisées, prendre de la distance et se reposer deviennent les seules options. Dans le meilleur des cas, c’est le travailleur lui-même – et non son corps – qui prendra cette décision. 4. Le burn-out, une conséquence d'un stress continu : tout le monde est confronté au stress au quotidien et les conséquences ne sont pas forcément négatives. Une certaine pression aide à avancer et à être plus performant. Il est toutefois indispensable que les moments de stress alternent avec des périodes où la pression est moins forte, ou que nous apprenions à doser le stress. Un stress continu peut en effet engendrer un burn-out, c’est-à-dire un épuisement total suite à un stress de longue durée au travail. Il est donc nécessaire d'intervenir à temps. 5. Les employeurs jouent un rôle de pilotage : les employeurs conscients de cette problématique investissent dans une politique préventive. Celle-ci permet d'éviter une aggravation des répercussions d'ordre financier et autre engendrées par les arrêts de travail des collaborateurs. Faites-vous assister par un service externe expérimenté. Mensura peut vous aider à mettre sur pied une politique concrète en matière de santé. Pour arriver à quelque chose de bon, il faut tout le monde sur le pont !

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DÉCRYPTAGES

L’HIVER EST LÀ AVEC SON LOT DE GRIPPES ENTRAÎNANT DES ABSENCES POUR CAUSE DE MALADIE texte

ABSENCE POUR MALADIE : QUELLES SONT LES RÈGLES ?

camille reyntens

En moyenne, courant du mois de février, 3% des travailleurs sont en maladie de courte de durée. L’occasion est ainsi donnée de revenir sur les règles légales applicables en matière d’absence pour cause de maladie et ce, d’autant plus que les dispositions en la matière ont été adaptées au cours de ces 12 derniers mois. Lorsque le travailleur est malade, il peut rester à la maison. D’un point de vue juridique, le contrat de travail est alors suspendu et le travailleur ne doit pas aller travailler. Mais quand le travailleur est-il effectivement malade ? La loi exige que le travailleur soit dans l’impossibilité d’exécuter le travail convenu. Il s’agit là d’un critère très sévère. Bien souvent, la maladie rendra le travailleur moins efficace, sans pour autant qu’il soit dans l’impossibilité d’exécuter le travailleur convenu. Il existe régulièrement des discussions quant au fait de savoir si le travailleur en incapacité de travail peut exercer d’autres activités. L’employeur y voit la preuve que le travailleur est effectivement apte à exercer ses fonctions et refuse alors de verser le salaire garanti ou prend la décision de licencier le travailleur pour motif grave. Les juridictions du travail sont assez nuancées quant à cette question. Ainsi, la Cour du travail de Liège a déjà confirmé le licenciement pour motif grave d’un gestionnaire d’une maison de repos qui exerçait, lors de son absence pour incapacité de travail, des fonctions de kinésithérapeute. Selon elle, l’exercice des fonctions de kinésithérapeute démontrait que la maladie n’était pas réelle ou à tout le moins qu’elle n’empêchait pas l’exécution du contrat de travail. La même Cour du travail est toutefois parvenue à la conclusion opposée dans le cas d’une employée qui s’était portée malade pour cause de dépression et qui, lors de son incapacité de travail, avait exercé une activité d’aide-ménagère. Selon la Cour, l’exercice d’activités principalement physiques ne démontrait pas que la travailleuse était aussi apte à exercer des fonctions d’ordre intellectuel en tant qu’employée et ne justifiait donc

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une rupture pour faute grave. Exceptionnellement, les juridictions du travail considèrent que l’exercice d’activités déterminées est injustifié car il est de nature à ralentir le rétablissement du travailleur. Ainsi, la Cour du travail de Gand a autorisé le licenciement pour motif grave d’un travailleur protégé qui était en incapacité de travail suite à un mal de dos et avait, durant son absence,

haite obtenir un tel document peut le prévoir dans une convention collective de travail ou dans le règlement de travail. Par ailleurs, même si l’employeur n’a pas prévu cette obligation, il peut toujours demander au travailleur de lui remettre un certificat. Le certificat médical mentionne l’incapacité de travail, la durée probable de celle-ci ainsi que si les déplacements sont ou non

LE TRAVAILLEUR QUI OMET DE PRÉVENIR SON EMPLOYEUR N’A PAS DROIT AU SALAIRE GARANTI participé à un match de football. Selon la Cour, l’activité sportive intensive s’opposait aux prescriptions du médecin et était de nature à ralentir le rétablissement, voire à le rendre impossible. Certificat médical Le travailleur qui est en incapacité de travail doit immédiatement en avertir son employeur. La loi ne prévoit pas les modalités de cette communication. Ceci doit donc être explicité dans le règlement de travail et, de préférence, le plus concrètement possible. Depuis le début de cette année, le non-respect de cette obligation est sanctionné expressément. Le travailleur qui omet de prévenir son employeur n’a pas droit au salaire garanti. La loi n’exige toutefois pas que le travailleur justifie son incapacité de travail au moyen d’un certificat médical. L’employeur qui sou-

autorisés en vue d’un contrôle. L’employeur n’a, par contre, pas le droit de connaître les causes de l’incapacité de travail. Vu le droit au respect de la vie privée, ceci est compréhensible. Toutefois, au vu de la jurisprudence susmentionnée en matière d’exercice d’activités durant l’incapacité de travail, cela peut s’avérer particulièrement délicat. En effet, si l’employeur ne connaît pas les raisons de l’incapacité de travail, il peut difficilement savoir si l’exercice d’une activité est de nature à empêcher le rétablissement. La possibilité de contrôle L’employeur qui doute de la réalité de l’incapacité de travail de son travailleur peut lui imposer de se soumettre à un examen par le médecin-contrôleur. Ce contrôle peut avoir lieu tant durant la période couverte par le salaire garanti qu’ultérieurement. Depuis cette


DÉCRYPTAGES

Camille Reyntens Avocat Claeys & Engels « Depuis cette année, une CCT ou le règlement de travail peut imposer au travailleur de se tenir à disposition pour une visite du médecin pendant une période de 4 heures située entre 7 et 20 heures. » © D.R.

année, une convention collective de travail ou le règlement de travail peut imposer au travailleur de se tenir à disposition pour une visite du médecin pendant une période de 4 heures située entre 7 et 20 heures. Lors des discussions afférentes à cette modification légale, le Conseil d’Etat a exprimé un certain nombre de critiques. Ainsi, le Conseil d’Etat faisait part de ses doutes quant au fait de savoir si cette obligation qui constitue une entrave au droit à la vie privée du travailleur était proportionnelle par rapport à l’objectif poursuivi. Il n’est donc pas exclu que les travailleurs développent les mêmes arguments lorsqu’un employeur souhaite les sanctionner pour non-respect de l’obligation de disponibilité. L’employeur pourrait toutefois anticiper ces contestations, en limitant l’obligation de disponibilité par exemple à la seule période couverte par le salaire garanti. Il ne semble en effet pas nécessaire de contraindre un travailleur qui est en maladie de longue durée, à rester tous les jours 4 heures à la maison. Le médecin-contrôleur vérifie si le travailleur est effectivement en incapacité de travail ainsi que la durée probable de celle-ci. L’ensemble des autres constatations sont couvertes par son secret professionnel. Si le travailleur conteste le diagnostic du médecin-contrôleur, il peut entamer une procédure d’arbitrage.

une telle reprise n’est pas toujours facile à mettre en place et l’employeur n’est pas obligé de l’accepter. S’il le fait, il devra être attentif à convenir par écrit avec le travailleur des modalités de cette reprise, en ce compris la durée de celle-ci. Le travailleur qui reprend son travail à temps partiel conserve son

Retour au travail Le travailleur qui, après la période couverte par le certificat médical, retourne travailler, ne peut être contraint de démontrer qu’il est effectivement apte à reprendre ses activités. La jurisprudence accepte que l’employeur puisse, par contre, contraindre ce travailleur à être examiné par le médecin-contrôleur avant la reprise du travail. Régulièrement, les travailleurs demandent de pouvoir reprendre le travail à temps partiel. Il peut s’agir d’un bon moyen de reprendre le travail en douceur. Cependant,

Rupture du contrat Aucune disposition légale n’interdit de licencier le travailleur durant une période d’absence pour cause de maladie ou d’accident. Toutefois, si l’employeur rompt le contrat moyennant un préavis à prester, le préavis ne prendra cours qu’au terme de l’incapacité de travail (c’est-à-dire lorsque le travailleur est apte à reprendre ses fonctions). En outre, il conviendra d’être attentif aux dispositions en matière de discrimination en vertu desquelles l’employeur ne peut faire de distinction entre les travailleurs sur la base

IL CONVIENDRA D’ÊTRE ATTENTIF AUX DISPOSITIONS EN MATIÈRE DE DISCRIMINATION contrat de travail d’origine, mais une partie de celui-ci est suspendue, de telle sorte qu’en cas de licenciement, il conserve son droit à une indemnité compensatoire de préavis calculée sur la base d’une rémunération de référence à temps plein.

de leur état de santé actuel ou futur, à moins que cette différence de traitement ne soit objectivement justifiée par un but légitime. Or, le licenciement d’un travailleur dû à son incapacité de travail est difficilement justifiable. Jusqu’à l’année dernière, la loi sur les contrats de travail prévoyait expressément la possibilité de mettre un terme au contrat de travail après une période d’incapacité de travail de 6 mois, moyennant paiement d’une indemnité de rupture. Pour les employés, le salaire garanti déjà versé pouvait en outre être déduit de l’indemnité. Ces dispositions ont longtemps été considérées comme étant une justification légale au licenciement d’un travailleur durant une période d’incapacité de travail. Dès lors que cette disposition a été abrogée, un tel argument n’est plus possible. L’employeur devra donc justifier le licenciement par d’autres raisons, notamment opérationnelles. Et dans le futur ? L’accord du gouvernement Michel I contient un chapitre concernant la réinsertion des personnes qui ont été en incapacité de travail. Pour l’employeur, la mesure phare en la matière consiste à faire passer à deux mois la période couverte par le salaire garanti. Vu que l’employeur ne dispose pas de la possibilité de contraindre le travailleur à accepter une autre fonction, il est à craindre que l’augmentation de la période de salaire garanti ne soit qu’une mesure budgétaire qui, dans la pratique, n’encouragera pas la reprise du travail mais pourrait même la freiner. Après des contestations importantes, le gouvernement a pris la décision de reporter cette nouvelle mesure à 2016. Rien n’est donc certain et il conviendra de suivre attentivement les évolutions à cet égard.

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DÉCRYPTAGES I JURISPRUDENCE

Florence Sine Avocate chez Claeys & Engels « Critiquer publiquement son employeur via les médias sociaux peut être constitutif d’un licenciement pour motif grave. Il convient toutefois d’agir avec prudence en la matière. » © D.R. texte

DES PROPOS SUR FACEBOOK JUSTIFIENT-ILS UN LICENCIEMENT POUR MOTIF GRAVE ? C’est un fait : de plus en plus de travailleurs se voient infliger une sanction, allant parfois même jusqu’au licenciement pour motif grave, en raison de propos tenus ou échangés sur la toile. A cet égard, le tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles s’est récemment prononcé sur la question de savoir si le fait de critiquer ouvertement son employeur sur Facebook pouvait justifier un licenciement pour motif grave. En l’espèce, la travailleuse avait, sur son « mur », utilisé les termes suivants pour décrire l’entreprise pour laquelle elle travaillait : « l’enfer », ou encore « le royaume de l’intimidation et du chantage ». Par ailleurs, toujours sur Facebook, la travailleuse critiquait ouvertement les décisions de sa hiérarchie. Destinataires (potentiels) Selon le Tribunal, les travailleurs qui choisissent de partager des informations via un réseau social doivent être conscients que ces informations sont accessibles librement à tous les utilisateurs internet, et peuvent même causer des dégâts à l’entreprise. En l’espèce, le Tribunal a accordé une importance particulière aux personnes susceptibles de prendre connaissance des propos insultants et dénigrants postés sur Facebook par la travailleuse. Le profil Facebook de la travailleuse était visible par tous les utilisateurs Facebook avec lesquels elle avait un « lien d’amitié ». Parmi ces « amis » se trouvaient non seulement un grand nombre de collègues et d’ex-collègues, mais également des clients de l’entreprise. Ces éléments ont été clairement pris en compte par le Tribunal lors de son analyse. Défaut de communication Le Tribunal a également tenu compte de la fonction de dirigeante de la travailleuse, impliquant un devoir d’exemple dans son chef auquel elle avait failli. Enfin, le Tribunal a constaté que la travailleuse n’avait jamais fait usage des canaux internes pour signaler les éventuels pro-

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florence sine

blèmes qu’elle rencontrait. Le Tribunal juge à cet égard qu’il n’est plus possible d’avoir confiance en une travailleuse qui ne fait état d’aucune situation problématique lors de l’exécution de son travail mais qui rend public ses critiques sur internet. Pour justifier son comportement, la travailleuse avançait que les critiques formulées étaient justifiées ou, à tout le moins, compréhensibles. Le Tribunal a rejeté cet argument en soulignant que cette question n’était pas pertinente. Ce qu’il importe de savoir en l’espèce, pour déterminer si le licenciement pour motif grave est fondé, est le fait de savoir s’il était approprié d’exprimer cette critique publiquement. Conclusion Le fait de critiquer publiquement son employeur via les médias sociaux peut être constitutif d’un licenciement pour motif grave. Il convient toutefois d’agir avec prudence en la matière : indépendamment de la question du respect de la vie privée du travailleur, les circonstances concrètes de l’espèce revêtiront une grande importance. Ainsi, constitue en l’espèce une circonstance aggravante le fait que des collègues et des clients puissent prendre connaissance des critiques publiées. Concrètement, lorsqu’un employeur fait état de propos tenus par l’un de ses travailleurs sur les médias sociaux, les juridictions du travail seront amenées à tenir compte de plusieurs droits et obligations qu’il conviendra de concilier : d’une part, du point de vue du travailleur, le droit à la vie privée et le droit à la liberté d’expression, limité par la protection de la réputation ou des droits d'autrui, et par l’interdiction de divulgation d'informations confidentielles. D’autre part, du point de vue de l’employeur, son droit à ne pas être diffamé et à exiger que le contrat de travail soit exécuté avec probité, soin et conscience. A cet égard, la cour du travail de Bruxelles avait eu l’occasion de se prononcer, le 3 septembre 2013, dans une affaire relativement similaire à celle commentée dans la présente contribution. Le travailleur avait formulé des commentaires personnels quant à la gestion de l’entreprise pour laquelle il travaillait, laissant clairement transparaître son scepticisme quant à la politique menée. Sur base de ce constat, la Cour a estimé que le licenciement pour motif grave de ce travailleur, cadre de surcroît, était fondé.

Tribunal du travail de Bruxelles, 12 septembre 2014, T.T. 13/2081/A.


DÉCRYPTAGES I INTERNATIONAL

ETES-VOUS EN ORDRE AVEC LES OBLIGATIONS DE DÉCLARATION LIMOSA?

texte

Pensez à vérifier que les travailleurs détachés accueillis au sein de votre entreprise sont bien en possession d’une preuve de déclaration LIMOSA (L1). Les employeurs étrangers qui détachent temporairement leurs travailleurs en Belgique doivent effectuer au préalable une déclaration LIMOSA sur le site www.limosa.be. Ils reçoivent alors une preuve de déclaration (document L1), que les travailleurs détachés doivent conserver sur eux durant toute leur période d’occupation en Belgique. La société belge auprès de laquelle les travailleurs étrangers viennent travailler doit à son tour, avant le début de leur occupation en Belgique, vérifier si ces travailleurs sont bien en possession du document L1. A défaut, elle doit effectuer elle-même une déclaration auprès de l’ONSS. Le non-respect de cette obligation peut entrainer l’application de sanctions pénales de niveau 3. Dans son arrêt du 3 décembre 2014, la Cour de Justice de l’Union européenne a été amenée à examiner la conformité de cette obligation de contrôle et de déclaration préalable imposée aux sociétés belges, avec le principe européen de libre prestation de services. Les faits Lors d’un contrôle effectué au siège d’une société belge qui produit des systèmes de refroidissement industriels, les services de l’inspection sociale constatent la présence de trois travailleurs de la société-sœur polonaise qui ne sont pas en possession du document L1 et pour lesquels la société belge n’a effectué aucune déclaration préalable. La société belge et ses administrateurs sont

poursuivis devant le Tribunal de première instance de Malines, qui décide de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice. La décision de la Cour La Cour constate que l’obligation imposée à l’utilisateur belge de vérifier que les travailleurs détachés sont bien en possession d’un document L1 et à défaut, d’effectuer luimême une déclaration préalable auprès de l’ONSS, le tout sous peine de sanctions pénales, peut rendre moins attrayant le recours à un prestataire de services établi dans un autre Etat membre. La réglementation belge constitue donc bien une restriction à la libre prestation de services. Toutefois, la Cour rappelle qu’une telle restriction peut être justifiée pour autant (i) qu’elle réponde à une raison impérieuse d’intérêt général et que cet intérêt ne soit pas déjà sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire de services est soumis dans l’Etat membre où il est établi, (ii) qu’elle soit de nature à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi (efficacité) et (iii) qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (proportionnalité). La Cour indique à cet égard que la protection des travailleurs détachés et la lutte contre la fraude constituent des raisons impérieuses d’intérêt général, mais que c’est au juge national qu’il appartient de vérifier si la réglementation en cause est efficace et proportionnée. Aux fins de permettre au juge national d’effectuer cette vérification, la Cour souligne que l’obligation imposée à l’employeur étranger d’informer préalablement les autorités de l’Etat d’accueil de la présence des travailleurs détachés, de la durée probable de leur présence et de la prestation de services qui justifie le détachement, constitue

jérôme deumer, avocat chez claeys

& engels

une mesure efficace et proportionnée. Cette obligation permet en effet aux autorités de l’Etat d’accueil de contrôler le respect par l’employeur de la réglementation sociale et salariale de l’Etat d’accueil pendant la durée du détachement. Or, l’obligation pour l’utilisateur belge de vérifier si l’employeur étranger a satisfait à son obligation de déclaration peut s’avérer nécessaire afin de réaliser les objectifs poursuivis par la réglementation LIMOSA. L’imposition de sanctions pénales peut également être nécessaire afin de garantir le respect de la réglementation, pour autant que la nature et la hauteur de la sanction soient proportionnées à la gravité de l’infraction. Selon la Cour, l’obligation imposée à l’utilisateur final belge de déclarer préalablement les travailleurs détachés qui ne sont pas en possession du document L1 n’est donc pas contraire à la libre prestation de services, dès lors qu’elle vise à assurer la protection des travailleurs et à lutter contre la fraude, à condition toutefois que cette mesure soit de nature à garantir la réalisation de ces objectifs et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire, ce qu’il appartient au juge national de vérifier. En conclusion Lorsque des travailleurs sont détachés vers votre entreprise depuis l’étranger, n’oubliez pas de vérifier que ces travailleurs sont bien en possession du document L1 et, à défaut, pensez à effectuer vous-même une déclaration auprès de l’ONSS avant le début de leur occupation en Belgique.

CJUE, 3 décembre 2014 (C-315/13)

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HORIZONS

Ursula Saint-Léger Aptar « Ma conviction, c’est que les entreprises d’avenir sont celles qui vont se montrer capables de développer leur personnel et de lui offrir des perspectives. » © D.R.

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HORIZONS

URSULA SAINTLÉGER (GROUPE APTAR) SUR LES DÉVELOPPEMENTS RH POST-FUSIONS texte

LE CHEMIN À SUIVRE EN RH : LE SUR-MESURE

christophe lo giudice

Depuis quatre ans, Ursula Saint-Léger pilote les ressources humaines d’Aptar au niveau mondial. Ce groupe américain employant 13.000 personnes s’est constitué au départ de 14 sociétés actives dans des segments de business variés. Première Vice-President HR du groupe, elle y a initiée et développé une dynamique RH transversale porteuse de valeur ajoutée, avec déjà de belles réalisations dont l’université d’entreprise et une approche ambitieuse de succession planning. Le groupe Aptar ne vous dit rien ? Et pourtant ! Vous avez très certainement plusieurs de ses produits chez vous, que ce soit par l’intermédiaire d’un parfum, d’un spray nasal, d’une boisson énergisante, d’un flacon de ketchup dans le frigo ou encore d’une mousse à raser. Coté en Bourse de New York, mais avec un siège bicéphale à Chicago et en périphérie parisienne, à Louveciennes, ce groupe américain est un des leaders mondiaux des systèmes d’emballage et de distribution de produits de consommation courante ainsi que des dispositifs d’administration de médicaments. Si ses racines remontent à près de 90 ans, l’entreprise telle qu’elle existe aujourd’hui ne s’est constituée qu’assez récemment, à partir de 1993 pour être précis. Cette fusion a réuni pas moins de 14 sociétés avec

TEMPS FORTS :: La première étape après un processus de fusion(s) consiste à mettre de l’ordre dans la boutique et à assurer la transversalité :: Il n’existe pas de voie toute tracée : parfois un cheminement plus long, moins direct, voire même plus ardu se justifie pour l’une ou l’autre raison :: Il est ensuite possible de construire, comme l’a fait le groupe Aptar en misant sur son université d’entreprise ou, autre exemple, via un succession planning ambitieux

des parts de marché allant de 30 à 80% selon les segments dans lesquels elles se positionnent. Ces sociétés qui, pour certaines d’entre elles à tout le moins, se concurrençaient sont devenues partenaires et complémentaires, répondant de la sorte à la mondialisation de l’économie

s’explique par son positionnement business-to-business. Mais ses produits sont utilisés par le grand public par l’intermédiaire d’une très grande variété d’entreprises et de marques partout dans le monde, allant de Pepsi ou Coca-Cola à Pernod Ricard, de Dior à Yves-Saint-

IL N’Y A JAMAIS DE RECETTE TOUTE FAITE OU DE DISPOSITIF QUE L’ON PEUT ‘DÉROULER’ et à la consolidation de leurs clients en grands groupes. Jusqu’en 2010, Aptar ne disposait pas de direction RH pour le groupe, la fonction étant principalement représentée au niveau des activités. Mais, à cette époque, une grande réorganisation et ses implications ont mis en évidence l’intérêt, et même la nécessité, de développer une approche RH transversale. Cette mission a été confiée à Ursula Saint-Léger, bien connue dans notre pays pour avoir piloté les ressources humaines d’Umicore entre 2004 et 2009. Entretien. Le groupe Aptar n’est pas connu du grand public. Comment le décririez-vous ? Ursula Saint-Léger : « Sa faible notoriété

Laurent, de Nestlé à Kellogg’s, de Kraft à Unilever, ainsi que par l’intermédiaire des entreprises pharmaceutiques. Aptar emploie 13.000 personnes dans le monde et compte 54 usines réparties dans vingt pays. Si nos principaux bureaux sont établis à Chicago et à Louveciennes, la structure est fortement internationale : le top management passe par exemple 70% de son temps à voyager entre les différentes implantations. L’innovation a, de tout temps, été au coeur de la stratégie avec d’importants investissements en R&D : Aptar investit 3% de son chiffre d’affaires en recherche et développement, la proportion allant même jusque 6% chez Aptar Pharma. Elle est également renforcée par les liens forts et durables tissés avec un

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HORIZONS réseau de partenaires. Autre particularité : l’effectif compte des fonctions axées sur la production de masse, mais aussi des équipes de design en relations étroites avec les plus grandes marques mondiales, ce qui rend la gestion des ressources humaines diversifiée. » Quel était le principal défi à votre arrivée, en 2010 ? Ursula Saint-Léger : « Le groupe venait de vivre une importante réorganisation visant à mieux intégrer ses sociétés constitutives autour de trois segments orientés par rapport au marché : Aptar Beauty + Home (beauté et entretien), Aptar Food + Beverage (produits d’alimentation) et Aptar Pharma (solutions d'administration de médicaments innovantes pour les secteurs biotechnologique, médical et pharmaceutique). A l’époque, plus de 3.000 personnes ont changé de postes au sein du groupe sans que celui-ci n’ait même de DRH. L’exercice n’a pas été simple et a mis en exergue la pertinence de constituer une fonction RH au niveau du groupe. » Quelle a été votre première mission ? Ursula Saint-Léger : « Il s’agissait tout d’abord de ‘mettre de l’ordre dans la boutique’, avec la particularité supplémentaire associée au passage à une toute autre échelle. En effet, ce qui existait était conçu pour des entités d’environ 600 à 2.000 personnes. Or, Aptar était devenu un groupe de 13.000 collaborateurs. Beaucoup de choses étaient à revoir, d’autres à construire purement et simplement, par exemple tout ce qui relève des tableaux de bord et indicateurs de performance RH, les processus RH, etc. L’idée était également que la fonction RH transversale vienne renforcer d’autres fonctions transversales (achats, legal,…) en termes de staffing des équipes et d’accompagnement de cellesci. L’ambition était de créer une culture et un langage commun. » Comment contribuer à créer une « communauté » dans une organisation construite au départ de sociétés aussi différentes ? Ursula Saint-Léger : « Les 14 sociétés ont dû se recomposer et se fondre dans les trois segments constitués en rapport avec les clients finaux. Or, ces trois segments relèvent de secteurs très spécifiques, avec des clients ayant des habitudes et des préoccupations très différentes : Aptar Beauty est très axé design, par exemple; Aptar Food met fort l’accent sur les orien-

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tations culturelles adaptées aux contextes nationaux, Aptar Pharma évolue dans un monde très rigoureux et précis gouverné par les règles de la Food & Drug Administration américaine, etc. En vis-à-vis de cette reconfiguration très structurante en elle-même, nous avons créé des processus transversaux qui sont l’épine dorsale du groupe. Chaque processus transversal a développé des façons semblables de procéder pour tout le groupe dans ses différents domaines d’intervention. En RH,

bilité de partir d’une page blanche chez Aptar, à tout le moins dans certains domaines. Y a-t-il des choix, voire des erreurs, qu’on veille à ne pas reproduire ? Ursula Saint-Léger : « Je ne le dirais pas comme cela. En RH comme dans toute autre fonction, on apprend de ses expériences. On gagne en maturité. Mais, d’autre part, les entreprises ont chacune leur spécificité, leur contexte, leurs leaders. Quels que soient les projets qu’on développe, leur mise en oeuvre sera for-

IL S’AGIT DE COMPOSER EN FONCTION DES CIRCONSTANCES POUR RÉPONDRE AU BESOIN QUI S’EXPRIME elles portent sur les évaluations, les salary reviews, le succession planning,… Il faut savoir qu’il existait pas moins de quinze documents d’entretien annuel de performance différents avec des philosophies elles-aussi différentes. Dans certains cas, des managers se retrouvaient face à six ou sept modèles possibles et décidaient de… créer le leur. Au niveau groupe, il fallait mettre le holà : nous avons remis à plat la philosophie en matière de performance - que voulons-nous en termes de performances ? Comment voulons-nous la récompenser à un horizon de court terme et à un horizon de long terme ? Etc. - et nous avons créé un seul modèle d’évaluation. Maintenant que de l’ordre a été mis dans toute une série de domaines, nous pouvons aller un cran plus loin : c’est dans cet esprit que nous avons entamé un chantier plus technologique et plus technique, avec l’implémentation de SAP. Nous nous préparons à mettre tout ce qui a été créé en RH dans le cloud, de sorte de permettre à tous d’avoir accès aux informations partout et à tout moment. Aujourd’hui, nous fonctionnons encore beaucoup sur papier et sur Excel, ce qui n’est pas très adapté pour une entreprise international avec du personnel aux quatre coins du monde. » Après avoir évolué dans de grands groupes - Alstom, Areva ou encore Umicore - où il existait déjà un solide « historique » en RH, vous avez eu la possi-

cément toujours différente. Il n’y a jamais de recette toute faite ou de dispositif que l’on peut ‘dérouler’. Prenons un exemple. Comme dans toute organisation qui se construit par fusions et acquisitions, Aptar avait un problème de synergies en matière de rémunération. L’harmonisation était compliquée par le fait qu’il existait des titres différents avec des rôles eux-mêmes très différents, le tout dans le cadre de regroupements concernant parfois quatre ou cinq sociétés dans certains pays. Le réflexe de tout DRH serait de recourir à un outil de gradation des postes auxquels vont être associées des fourchettes de salaires. Mais voilà : pour les dirigeants du groupe, ce n’était même pas une option. L’entreprise sortait d’un exercice au cours duquel il avait fallu expliquer à 3.000 personnes qu’elles avaient un nouveau poste. S’embarquer dans un autre exercice consistant à leur communiquer qu’elles allaient avoir une autre rémunération n’était tout simplement pas discutable. Nous avons donc géré la chose de manière empirique, progressive. En tant que DRH, je savais que je n’apportais pas la meilleure réponse, ni sans doute la bonne réponse, et ce peut être frustrant. Mais nous avons apporté la réponse qui correspondait au timing et à l’état d’esprit du moment. Le chemin à suivre, en RH, c’est celui du ‘sur-mesure’. C’est composer en fonction des circonstances pour répondre au besoin qui s’exprime, même si cela implique d’emprunter


HORIZONS un cheminement parfois plus long, moins direct, voire même plus ardu. » D’autres leviers sont-ils utilisés pour renforcer la cohésion du groupe ? Ursula Saint-Léger : « La mise en place d’une université d’entreprise a représenté un excellent levier. Ma conviction, c’est que les entreprises d’avenir sont celles qui vont se montrer capables de développer leur personnel et de lui offrir des perspectives. Et c’est d’autant plus évident chez nous que le défi d’attirer et de fidéliser les collaborateurs est grand. Tout le monde veut travailler chez nos grands clients, les L’Oréal, Procter & Gamble et autres, mais peu de gens vous diront : ‘J’ai envie de venir travailler chez Aptar'. En plus des nombreuses initiatives de formation proposées au niveau des entités du groupe chaque année, nous avons développé l’Aptar Corporate University (ACU) pour mettre en oeuvre des dispositifs de formation au niveau mondial communs à tous les segments d’activité. Nous y abordons des sujets en lien direct avec nos stratégies et les besoins du business, comme la conduite du changement, la gestion de projet, le design, etc. En 2013, l’université d’entreprise a formé environ 240 employés en présentiel et plus de 2.200 autres au travers de modules d’eLearning. L’investissement est important, mais délivre un retour très directement perceptible. Par exemple, le taux de rotation du personnel est très bas, y compris dans des pays comme l’Inde ou la Chine où nous nous situons quelques points de base en dessous des moyennes nationales. C’est en partie expliqué par la manière dont nous traitons nos collaborateurs, mais également par les possibilités de développement et les perspectives de carrière que nous leur offrons. L’université a pris un essor tel qu’une dame travaillant en usine nous a même un jour demandé si son fils pourrait venir y faire ses études… » En quoi le succession planning est-il important pour votre groupe ? Ursula Saint-Léger : « Le succession planning est important pour toute entreprise, mais il reste, quoi qu’on en dise, encore dans bien des cas quelque peu théorique, l’urgence du quotidien détournant souvent l’attention de son output. Il faut le voir comme un instrument prévisionnel — ‘Qui prendra le relais de tel cadre à telle échéance ?’ —, comme un outil de gestion des risques — ‘Qui est capable de reprendre la fonction de tel directeur s’il quitte l’entreprise, connaît un accident,

etc. ?’ —, comme un outil axé sur le développement différencié — ‘Quelles actions entreprendre pour préparer les talents à exercer telle fonction ?’ —, et comme un outil de rétention — en montrant que la société propose des perspectives de carrière et investit en son personnel. Nous l’avons articulé partout dans le groupe dans cet esprit, en procédant de façon bottom-up par site, puis par pays, par région et au niveau global. Une grande attention est portée à la

UN BON SUCCESSION PLANNING AMÈNE UN BRASSAGE D’IDÉES ET DE CULTURES dynamique participative de l’exercice, dans l’idée que chacun reçoive un feed-back sur son cycle de carrière mais travaille aussi à le construire. Dans un groupe international, une démarche de succession planning qui identifie correctement les potentiels et qui favorise leur mobilité est en outre un vecteur intéressant de mixité. Il s’agit d’un processus enrichissant car il amène une vision différente du business, un brassage d’idées et de cultures. »

Comment le groupe Aptar a-t-il travaillé sur le plan des valeurs ? Ursula Saint-Léger : « Toutes les sociétés ont des valeurs… mais ce sont trop souvent quelques mots, choisis sans grande originalité, dormant sur une affiche placardée aux murs ou énoncés sur le site web de l’entreprise. Chez Aptar, nous avons la conviction que les valeurs sont importantes, qu’il faut les vivre réellement et donc les articuler par rapport à tout ce que nous faisons. Aussi bien pour structurer notre identité que pour déterminer les produits et les services que nous voulons proposer et orienter l’action de chacun. Pour qu’elles soient opérationnelles, et donc significatives, il faut les intégrer dans tous les processus RH. Les valeurs sont, par exemple, la première dimension à aborder dans tout entretien annuel. Elles sont intégrées aux dynamiques de formation. Dans les enquêtes de satisfaction, nous nous intéressons à la façon dont elles sont comprises et vécues, etc. Sans vouloir rechercher l’originalité pour l’originalité, nous avons voulu que nos valeurs soient parlantes, ambitieuses et respectueuses de notre ADN. Parmi elles, il y a par exemple le droit à l’erreur. L’idée n’est bien entendu pas d’encourager les gens à se tromper, mais bien de ne pas punir l’erreur. Nous nous dirons plutôt : ‘Ok, it’s done. What's next ?’, comment continuons-nous à avancer ? Nous voulons avoir des leaders, et pas des patrons. Des leaders qui soutiennent leurs équipes et qui traitent les gens comme des adultes capables de s’adapter et de progresser. Dans le nom Aptar, il y a cette idée d’adaptation, de faire preuve d’innovation pour apporter de nouvelles solutions. Il ne faut jamais perdre de vue que la question des valeurs doit avant tout faire référence à ce qui mobilise l’entreprise. »

JALONS DE CARRIÈRE :: Vice-President Human Resources du groupe Aptar (2010-…) :: Group Vice-President HR chez TAQA, producteur d’énergie - Abu Dhabi (2009-2010) :: Senior Vice-President Corporate HR chez Umicore (2004-2009) :: Vice-President HR for Asia Pacific chez Areva (2004) :: Vice-President HR chez TPD, branche d’Alstom reprise par Areva (2002-2003) :: Vice-President HR chez Inergy, joint-venture de Plastic Omnium et Solvay (2000-2003) :: HR Director chez Plastic Omnium (1998-2002) :: Consultante en Compensation & Organizational Efficiency chez Hewitt (1995-1998) :: Adjointe du DRH de la branche papier/bois de Saint-Gobain (1992-1995) :: Recruitment & Communication Manager chez Cap Gemini France (1988-1992) :: Formation en archéologie et histoire de l’art à la Sorbonne

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RH DU BOUT DU MONDE

PIERRE DEJONGHE À DUBAÏ (EMIRATS ARABES UNIS) texte

DRH AU PAYS DE L’OR NOIR

christophe lo giudice

Les Belges évoluant en RH s’exportent bien. On en trouve à des postes à responsabilités aux quatre coins de la planète dans des contextes très divers. Leur donner la parole nous ouvre à d’autres perspectives. Ce mois-ci, HR Square a « skypé » Pierre Dejonghe, DRH pour la Méditerranée, le Moyen Orient et l’Afrique chez Kellogg’s, établi à Dubaï. Leader mondial des céréales, Kellogg’s a historiquement toujours réalisé la plus grande partie de son chiffre d’affaires en Amérique du Nord. Pour le groupe basé à Battle Creek dans le Michigan, l’Europe représente un marché mature, mais qui conserve un potentiel important. Ses meilleures perspectives se situent toutefois dans les pays émergents dont la Chine et l’Inde où l’appétit pour ses produits progresse le plus rapidement. Arrivé plus tardivement que certains de ses concurrents au Moyen Orient, Kellogg’s a vu dans l’acquisition de Pringles en 2012 une formidable plateforme pour y accélérer son développement. « Le chiffre d’affaires de la région a doublé en une nuit, résume Pierre Dejonghe. C’est devenu un business de 300 millions de dollars, avec l’ambition d’atteindre le demi milliard à l’horizon 2016. » Vraie aventure Ce DRH belge « du bout du monde » nous parle d’emblée business. Un héritage de son expérience chez Deloitte, sans doute, où il a fait ses armes au sein de la pratique Human Capital. Auparavant, c’est chez SHL que, jeune diplômé en psychologie du travail, il lançait sa carrière, se dotant au passage d’une boîte à outils en matière d’assessment, de 360°, de gestion des compétences et systèmes RH informatisés. Ces deux premières étapes lui ont donné le goût de passer de l’autre côté de la barrière, chez Chantelle, dans une fonction de HR Manager pour l’Europe du Nord, soit une centaine de salariés dans le Benelux, au Royaume-Uni et en Scandinavie. A l’été 2007, il rejoignait Kellogg’s qui ouvrait alors une fonction de HR Manager pour le Benelux, jusque-là géré depuis les bureaux français,

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avec la responsabilité d’un effectif de quelque 75 personnes. Déjà au temps des études, Pierre Dejonghe avait développé une très forte attirance pour l’international, sans avoir l’occasion de la concrétiser. « Au fil de mes premiers jobs, la possibilité d’évoluer à l’étranger est toujours restée dans un coin de la tête, racontet-il. J’avais d’ailleurs été clair avec Kellogg’s

AU NIVEAU GROUPE, ON PARLE DE LA RÉGION COMME ON N’EN AVAIT JAMAIS PARLÉ AVANT quant à mon envie de mobilité, un désir que d’aucuns expriment mais qui peut s’évanouir quand l’opportunité se présente. » Ce ne fut pas son cas : il saisit la balle au bond lorsqu’on lui offre d’intégrer les bureaux de Kellogg’s à Manchester, dans le Nord-Ouest de l’Angleterre. Le Royaume-Uni représente le plus gros marché du groupe en Europe. Pierre Dejonghe y prend le pilotage des ressources humaines au niveau des ventes, soit 250 collaborateurs.

L’expérience se révèle être à la fois un apprentissage - le cadre de travail est rigoureux, méthodique, très documenté, voire parfois assez procédural - et l’occasion d’apporter sa propre touche. « Mon ADN, c’est la détection et le développement des talents. Ma façon de procéder était plus directe que celle des Anglais, notamment dans ma façon de communiquer. En matière d’identification des talents clés par exemple, nous avons réduit la proportion de 15-20% à 5%, ce qui représentait un quota beaucoup plus réaliste permettant d’activer les bons leviers pour leur développement. » L’Angleterre ne sera qu’un amuse-bouche. La vraie aventure commence à l’été 2012, à Dubaï. Sa mission : appuyer le General Manager de la zone Méditerranée, Moyen Orient et Afrique pour laquelle le groupe a de grandes ambitions. Le pari est de taille: l’équipe compte alors 30 personnes réparties entre les Emirats, la Grèce et le Royaume-Uni pour couvrir 55 pays ! Beaucoup est à construire, à commencer par la création de la fonction RH elle-même, pour soutenir un modèle d’affaires différent: la région ne dispose pas de forces de vente directe à la différence des marchés plus matures, mais travaille sur base d’un réseau de distributeurs. Logique de start-up Premier chantier: renforcer l’équipe et structurer l’organisation. « Le recrutement, ici, c’est littéralement un autre monde, expliquet-il. Vous postez un job et vous recevez 500 CV avec, sur papier, des profils très intéressants, mais qui, en réalité, ne sont pas toujours à la hauteur des espérances. Il faut donc développer une approche beaucoup plus active en termes d’acquisition de talents, que ce


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Pierre Dejonghe Kellogg’s « Tous les pays développés sont sous pression. J’ai la chance d’évoluer dans une logique de développement soutenue par une croissance à deux chiffres, de création de jobs et de projets d’acquisition. » © D.R.

soit en activant des réseaux relationnels ou bien encore via un solide partenariat avec un cabinet de recrutement. La démarche a été facilitée par le buzz qui a fait suite à l’acquisition de Pringles: l’ambition d’atteindre un demi milliard de dollars de chiffre d’affaires est un défi excitant, là où d’autres groupes dans la région arrivent à maturité. D’autre part, nous

toucher à l’émotionnel. » Désormais, l’enjeu consiste à attirer des profils juniors, ce qui passe par la présence sur les campus des Emirats. Mais aussi par l’exploration de pistes plus créatives, telle que l’approche directe d’enfants de professionnels de la région. « Ce sont des jeunes qui sont partis se former dans les grandes universités

AVOIR UNE SÉRIE DE SPONSORS DANS L’ORGANISATION CONTRIBUE À LA RÉUSSITE DE L’EXPATRIATION avons une logique de start-up tout en pouvant capitaliser sur le support d’un groupe international solide. Enfin, notre structure salariale se situe dans la logique du lancement d’une nouvelle organisation. » Aujourd’hui, l’effectif compte 54 personnes, de nationalités et de cultures très diverses. « La qualité des talents que nous avons pu attirer se traduit dans nos résultats et est très visible au niveau du groupe: on y parle de la région comme on n’en avait jamais parlé auparavant. Un autre défi a été de développer une dynamique d’équipe et une culture d’organisation, ce que nous avons fait en commençant par le top avec un alignement sur les comportements souhaités et son implication pour les renforcer. Nous avons beaucoup misé sur le branding d’une aventure commune pour

et écoles aux Etats-Unis, en Angleterre et en Asie. Les identifier et les inciter à revenir permet de trouver de beaux profils bien éduqués et par nature orientés international. Il faut toutefois être vigilant pour détecter ceux qui veulent vraiment développer une carrière et les distinguer de profils aux traits d’enfants gâtés que peut produire un tel environnement très protégé. » Un brin de folie Si la perspective de vivre en Angleterre n’avait pas inquiété Pierre Dejonghe, celle de venir s’installer à Dubaï comportait davantage d’incertitudes. « Ma méconnaissance de la ville était totale, teintée d’idées préconçues associées à un endroit superficiel qu’il est surtout bon de visiter pour faire du shopping. »

Pourtant, l’intégration y a été plus facile qu’en Angleterre. « Ici, nous sommes entourés d’expatriés: nos voisins viennent d’Egypte, d’Inde, d’Afrique du Sud, etc. Tout le monde fait assez naturellement l’effort d’aller vers l’autre. A Manchester, nous vivions parmi des familles exclusivement anglaises qui trouvaient ces petits Belges fort exotiques. De plus, Dubaï est très sure, les logements sont confortables et les infrastructures de qualité, en particulier au plan scolaire, ce qui était un facteur décisif pour nous y installer avec notre fille. » Avec trente mois de recul, Pierre Dejonghe voit son expatriation dans la Péninsule arabique comme une des meilleures décisions de sa carrière: « Tous les pays développés sont sous pression: les DRH mènent des réorganisations, des projets d’optimisation de coûts,… Il faut motiver les troupes dans des contextes moroses. J’ai la chance d’évoluer dans une logique de développement soutenue par une croissance à deux chiffres, de création de jobs et de projets d’acquisition. Je ne dirais pas que c’est, par nature, plus intéressant, mais l’orientation est plus positive, soutenue par un groupe qui est vraiment derrière et par des investissements dont on ne pourrait pas rêver en Europe. » Pour Pierre Dejonghe, ce qui fait la réussite d’une expatriation, c’est avoir un brin de folie, une part d’inconscient, de la confiance en soi et, au niveau de l’entreprise, une série de sponsors. « Il en faut plusieurs, et il faut que ce soit les bons, car certains peuvent vous quitter en cours de route et rendre votre expérience plus fragile. Des personnes qui croient en vous et en votre potentiel de réussite hors des frontières, qui peuvent vous orienter et vous soutenir dans votre progression. A ce titre, l’Angleterre a été un poste de développement qui m’a armé pour ce défi à Dubaï. Làbas, les valises n’ont jamais été complètement vidées durant les deux ans que nous y avons passé. Ici, elles le sont: nous sommes bien à Dubaï et il y a encore du travail pour plusieurs années… »

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L’IDÉOTHÈQUE texte

christophe lo giudice

Jean-Claude DUPUIS

Économie et comptabilité de l’immatériel. Enjeux du reporting non financier Editions De Boeck Louvain-la-Neuve, 2014 102 pages ISBN 978-2-8041-8920-4 18 €

FAUT-IL « COMPTABILISER » L’HUMAIN ? Le « capital immatériel » représente aujourd’hui le principal facteur de production et de création de valeur de nos économies occidentales. Or, ces ressources économiques sont peu ou pas prises en compte au plan comptable. Cela va des ressources humaines - dont le capital compétences, le capital santé,… - aux marques, en passant par les clients, fournisseurs et partenaires ou les systèmes d’information, jusqu’à la prise en compte des ressources naturelles. « L’absence de matérialité n’est d’ailleurs pas un critère nécessaire, à commencer par les ressources humaines qui sont bel et bien faites de chair et d’os », commente Jean-Claude Dupuis, délégué général de la Chaire Responsabilité Globale et Capital Immatériel de l’IAE de Paris, Université Paris-Sorbonne, et professeur associé à l’IGS. Par « immatériel », il faut entendre que ces ressources demeurent très largement invisibles lorsqu’on regarde les bilans comptables des entreprises. La majorité des acteurs économiques estiment évident de nos jours que la comptabilité ait pour fonction de renseigner sur la valeur marchande/boursière de l’entreprise. « Il en découle que la non-reconnaissance comptable de nombre d’actifs immatériels, dont les ressources humaines, se révèle problématique à leurs yeux, ces ressources étant des ressources clés dans la capacité des entreprises à créer de la valeur », observe l’auteur. D’où l’émergence de référentiels de reporting extra-financier dédiés à ce capital immatériel, prenant appui sur le développement de méthodes et d’outils d’évaluation et de valorisation des actifs immatériels. Un chapitre du livre y est consacré. Pour Jean-Claude Dupuis, l’activité comptable n’est toutefois pas une simple activité de calcul (de nature quantitative) qui viendrait « rendre compte ». La comptabilité contribue à coproduire la réalité économique : il s’agit d’une activité de cadrage, de mise en forme, voire de storytelling qu’ignorent bon nombre d’acteurs. La comptabilité non seulement « compte », mais aussi « conte », raconte. « Saisir cette nature hybride de l’activité comptable permet de mieux comprendre l’ambivalence des démarches visant à sortir de l’ombre comptable le capital immatériel, indique-t-il, à savoir d’une part ré-ancrer le financier dans l’économique mais aussi, d’autre part, étendre l’économisation de l’entreprise.

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L’auteur prend ainsi l’exemple de la reconnaissance comptable du travail des salariés. Retraduit, celui-ci va se trouver résumé par la catégorie « capital humain ». Or, note-t-il, « une telle catégorie opère une réduction de sens ne valorisant que la contribution productive du travail, sa performance, et effaçant le fait que celui-ci est également source de valeur sociale, notamment de réalisation de soi et de sens, et a une valeur en soi, une valeur intrinsèque. En voulant tout comptabiliser, en donnant un prix, on risque de détruire la gratuité, par exemple la motivation intrinsèque. » L’intérêt de l’approche immatérielle est qu’elle invite à saisir que l’optimisation du capital financier ne peut se faire sans prendre en compte une contrainte de préservation des autres capitaux, essentiellement le capital humain et la capital naturel. « Il faut penser en termes de capital global, de capital étendu. L’approche immatérielle retrouve ainsi l’idée de développement durable : l’optimisation du capital financier doit se faire sous contrainte de façon à faire prévaloir une logique d’investissement seule à même d’asseoir une croissance durable versus une logique de spéculation court-termiste destructrice de valeur dans le temps. » Comment les DRH peuvent-ils contribuer à cette perspective ? « En soulignant le fait que les ressources humaines ne sont pas réductibles au capital humain, estime Jean-Claude Dupuis. Dans la façon de les quantifier, il serait plus judicieux de parler de patrimoine humain : un capital, on cherche à le faire fructifier; un patrimoine, on cherche à le transmettre dans un état meilleur que celui dans lequel on l’a reçu. Il convient toutefois d’être conscient que, pour discuter avec le directeur général ou le directeur financier, il s’agira d’adopter leur sémantique, celle des chiffres. Le DRH doit donc développer sa capacité à traduire et à fournir les preuves qu’un investissement est pertinent. A ce titre, la comptabilité de l’immatériel représente pour lui un langage et un support qu’il s’agit de maîtriser. » Jean-Claude Dupuis « Reconnaître la qualité de capital à l’humain ou à l’environnement n’implique pas forcément de lui attribuer une sorte de prix comme les travaux actuels du champ du capital immatériel ont tendance à le naturaliser. »


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LE CAPITAL IMMATÉRIEL REPRÉSENTERAIT 63 À 79% DE LA VALEUR DES ENTREPRISES, LA PARTIE RECONNUE AU BILAN ÉTANT DE 12 À 22%

Michel BARABEL, Olivier MEIER & André PERRET

A quoi ressemblera la fonction RH demain ? Editions Dunod Paris, 2014 282 pages ISBN 978-2-10-071711-8 25 €

François EYSSETTE & CharleHenri BESSEYRE DES HORTS

Comment la DRH fait sa révolution Editions Eyrolles Paris, 2014 175 pages ISBN 978-2-212-55919-4 12 €

QUELS DRH DEMAIN ?

L’ÈRE DU DRH ÉQUILIBRISTE

Ce n’est nullement nouveau pour les DRH de plonger dans une introspection, quelque fois nombriliste, sur ce qu’ils sont ou ce qu’ils sont devenus, voire ce qu’ils vont devenir. L’originalité de cet ouvrage consiste à apporter trois visions qui, comme des calques, se superposent pour préciser l’image du DRH de demain : la vision des DRH eux-mêmes, celle des académiques et celle des extérieurs à la fonction, interlocuteurs ou parties prenantes. L’exercice se fonde sur un état des lieux mené auprès des adhérents de l’ANDRH, l’Association nationale des DRH en France, et plusieurs études indépendantes (EY & LinkedIn, Deloitte) sur la fonction. La richesse de l’ouvrage réside dans la confrontations des visions, les uns allant très loin dans les scénarios prospectifs, d’autres se montant plus mesurés. Ainsi, pour Maurice Thévenet, professeur au Cnam et à Essec Business School, en 2020, la fonction RH sera… traditionnelle. Il reconnaît au passage qu’il n’y a pas aujourd’hui de formulation plus iconoclaste, aussi hétérodoxe, par rapport aux canons de la pensée de l’époque. « Rien n’est plus contraire aux tentations permanentes de la fonction RH à imaginer ses révolutions et ses réinventions, depuis l’émergence des ‘RH’ il y a quarante ans à la digitalisation d’aujourd’hui. » Pour lui, il y a au moins trois piliers inamovibles de la gestion des ressources humaines qui resteront les points d’ancrage de la fonction : les personnes, la performance et la durée. Son voeu est celui d’une fonction « traditionnelle » qui assumerait ses évolutions permanentes rendues nécessaires par le souci d’assumer ses évolutions permanentes rendues nécessaires par le souci d’assumer la permanence de sa mission. Impossible bien sûr d’aller ici dans le détail de cette brique reprenant plus de quarante contributions, dont celle de François Pichault (HEC-Ecole de gestion de l’ULg). Le risque d’un ouvrage collectif est, en mobilisant une telle diversité de points de vue, d’aboutir à une accumulation de contributions déconnectées les unes des autres, donnant in fine le sentiment d’entendre plus de fausses notes que d’harmonies. Ce travers semble évité : sans que ne se dégage un consensus, les différents auteurs sont parvenus à « peindre » chacun une partie du portrait des DRH de demain en insistant, selon les cas, sur un défaut, une tendance favorable, une posture à adopter, un combat à mener, des compétences à acquérir, des réflexions à approfondir, des fondamentaux à conserver ou des risques à assumer. Brillant.

Le contexte économique que connaissent les entreprises en Europe a considérablement changé au cours des dernières années, notamment sur trois aspects majeurs. D’abord, l’arrivée de nouvelles générations, les impératifs du développement durable et de la RSE conduisent les entreprises à imaginer des réponses aux nouvelles attentes des parties prenantes (actionnaires, salariés, partenaires sociaux, ONG,…). Ensuite, la révolution numérique et le développement des réseaux sociaux obligent à une transformation permanente des entreprises, de leurs modes de management et à une adaptation de leurs business models. Enfin, l’accélération de la globalisation avec la recherche de la croissance dans les pays émergents, les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et les « Next Eleven » (Corée du Sud, Indonésie, Mexique, Turquie…), laisse une part d’activités de plus en plus réduite dans nos pays. Face à ces changements, on attend de l’équipe de direction la capacité à s’engager et à anticiper, en faisant preuve d’innovation, d’agilité et de vitesse de réaction. Pour François Eyssette, conseiller de dirigeants et lui-même ancien DRH, et Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur associé au groupe HEC Paris, la fonction RH est au cœur de cette révolution, comme à chaque fois que l’entreprise a dû changer et s’adapter. Leur livre est le résultat d’une enquête menée en 2013 auprès de l’ensemble des DRH du CAC 40, le principal indice boursier de la place de Paris, pour mieux comprendre ces évolutions et les actions qu’ils ont pu mener. La principale leçon porte sur les dirigeants qui voient le développement et l’engagement des ressources humaines comme une priorité pour le succès de leur entreprise demain. Pour y parvenir, ils ont besoin d’un nouveau profil de DRH, plus ‘leader’ et plus orienté business, qui sache anticiper les besoins, relever les nouveaux défis, promouvoir son expertise et convaincre les dirigeants. Dans cette perspective, des opportunités réelles sont offertes aux DRH pour satisfaire les quatre priorités majeures des dirigeants : transformer l’organisation, manager les talents, faire évoluer la culture de l’entreprise, et re-professionnaliser la fonction RH. Une ambition de taille pour un(e) DRH équilibriste, interlocuteur(trice) particulier(e) et privilégié(e) de la direction générale, marchant sur la ligne de crête pour gérer les contradictions, faire converger les parties prenantes, écouter et convaincre…

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L’IDÉOTHÈQUE Denis MONNEUSE Le silence des cadres. Enquête sur un malaise Editions Vuibert Paris, 2014 235 pages ISBN 978-2-311-01421-1 19 €

Gérard SCHOUN

Capital humain versus humain capital Editions L’Harmattan Paris, 2014 159 pages ISBN 978-2-343-04483-5 16,50 €

CHOUCHOUTEZ VOS CADRES !

L’HUMAIN CAPITAL

Le thème de la souffrance au travail a été popularisé ces dernières années. Et celui du malaise des cadres est tout sauf neuf. Dans son livre, Denis Monneuse le qualifie même de « marronnier », un sujet régulièrement remis sur le devant de la scène médiatique, entre un dossier sur les Francs-Maçons et un autre sur l’immobilier. Ce sociologue, chercheur associé à l’IAE de Paris, a mené l’enquête via 200 entretiens qualitatifs auprès de cadres de grandes entreprises privées, mais aussi dans des PME et des organisations publiques. Premier constat : la notion de « malaise » n’est pas anodine et son usage est parfois impropre, voire abusif. L’auteur retient toutefois son acception médicale, une sensation de mal-être accompagnée d’une impression imminente de perte de connaissance. « On peut parler de ‘malaise de cadres’ sans galvauder cette expression à condition que ceux-ci ressentent une perte d’identité et de reconnaissance, ces deux éléments faisant écho, au sens figuré, à l’impression d’évanouissement », explique-t-il. Sur base des entretiens, Denis Monneuse identifie trois types de malaise : un malaise identitaire dû à une diminution du prestige, donc de la reconnaissance externe de ce statut ; un sentiment d’iniquité mesuré par le ratio contribution/rétribution qui donne le sentiment d’être perdant ; un mal-être, dû au manque de sens et aux conflits de valeurs, qui renvoie plutôt à des problématiques personnelles, à la capacité de chacun de trouver (ou non) la situation de travail qui sied à sa personnalité, où elle permet de se sentir à sa place, en adéquation avec soi. Pour autant, la « révolte des cadres » souvent annoncée n’a pas eu lieu. « Mais ce n’est pas parce qu’ils ne se révoltent pas que les cadres se laissent faire, note-t-il. La force du silence tient au fait qu’il permet aux plus malins de retourner les armes de l’entreprise contre elle et de se faire justice soi-même. » L’auteur se demande ainsi si la véritable protestation aujourd’hui ne consiste pas, par exemple, à négocier ses objectifs à la baisse par rapport à l’ambition initiale de sa hiérarchie ou des objectifs assez facilement accessibles afin de se dégager des marges d’autonomie. Mais, conclut-il, tout comme on a les syndicalistes qu’on mérite, les entreprises se devraient de davantage ‘chouchouter’ leurs cadres, en commençant par leur donner la reconnaissance qu’ils méritent et les moyens de bien manager. Le livre ouvre quelques pistes en ce sens…

Au-delà des belles intentions selon lesquelles « il n’est de richesse que d’hommes », le capital humain demeure encore souvent une variable d’ajustement. Mais les perceptions bougent, affirme Gérard Schoun, expert RSE reconnu qui, dans « Capital humain versus humain capital », croise son approche avec d’autres experts autour d’une conception de l’humain non plus comme un « capital à exploiter » mais bien un « patrimoine à faire fructifier ». Le livre incite les entreprises à découvrir que l’humain est vraiment devenu capital. « Le seul avantage compétitif pour la plupart des entreprises tient à la capacité de leurs collaborateurs à se maintenir en situation d’apprentissage », écrit-il. A ses yeux, le vrai facteur de performance réside dans la capacité à faire de l’entreprise un projet porteur de sens. « Le changement porte moins sur les processus, la mécanique de l’entreprise, que sur ce qui se passe dans nos têtes », dit-il. Adelaïde de Lastic consacre ainsi un chapitre confrontant « valeur économique » et « valeurs d’ordre éthique ou, du moins, immatériel », plaidant en faveur d’un travail sur les valeurs qu’elle qualifie d’incontournable, mais à mener en profondeur et avec intelligence. L’ouvrage n’esquive pas la question de la comptabilisation de l’actif immatériel qu’est le patrimoine humain. A ce titre, estime Gérard Schoun, les DRH ont besoin d’urgence d’une analyse de la gestion spécifique du patrimoine humain en plus du bilan social. « Ce qui est requis, c’est un outil de mesure dans l’esprit de la comptabilité analytique sur laquelle s’appuient les financiers. » Enfin, un chapitre est consacré à la gouvernance « centrée sur l’humain » : Yann Queinnec y annonce l’ère des « contrats durables », celle où les parties utilisent leur liberté contractuelle pour traduire les objectifs de développement durable en utilisant comme matière première les normes disparates composant l’environnement juridique de la RSE…

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E D L E L AB

É T I L A QU

! JANVIER - FÉVRIER 2015 N° 2 HR SQUARE


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LIBRE EXPRESSION

LES BONS VŒUX : À CONSOMMER AVEC MODÉRATION… texte

patrice briol

Personnelles, élégantes, à l’ancienne avec calligraphie et timbre-poste ? Ou plus modernes, envois massifs animés de bien belle et électronique manière ? Ou encore un post LinkedIn sympa ? Voire un buzz en équipe sur YouTube ? Flocons hypnotiques et bons sentiments sont tombés sans retenue : les cartes de voeux ont à nouveau été démesurément ambitieuses…

Patrice Briol Knauf Insulation « Notre fonction n’abuse-t-elle pas des cartes de vœux, et ce, tout au long de l’année? Au risque d’être, chaque année, chaque lundi, un peu plus décalés avec le quotidien de nos chers administrés et leurs intimes convictions… » © D.R.

On nous la souhaite bien bonne l’année nouvelle. C’est l’heureuse période où, enfin, la communauté RH ne se sent plus trop isolée, car tout le monde est, ne serait-ce qu’un bref moment, confiant en l’avenir : santé, joie, bonheur, accomplissement, épanouissement, prospérité. Tout le monde veut croire un instant à l’humanité : l’année qui vient, c’est promis, on lui collera un grand H. Oh, bien sûr, j’y crois aussi, au plus profond. Chaque année, c’est certain. Chaque lundi aussi, je crois… Avec, pourtant, parfois, ce petit sentiment de malaise que peut-être vous partagez et qui se résume à une question : notre fonction n’abuse-t-elle pas des cartes de vœux, et ce, il faut bien le reconnaître, tout au long de l’année ? Ainsi, à force de vouloir de tous et de chacun le meilleur, et proposer le travail, l’entreprise, comme lieu d’accomplissement de soi, espace de lien social épanouissant, ne sommes-nous pas devenus complices d’une forme sournoise d’aliénation qui voudrait aujourd’hui encore que le travail soit l’ultime planche de salut ? Et serions-nous dès lors, chaque année, chaque lundi, un peu plus décalés avec le quotidien de nos chers administrés et leurs intimes convictions ? Le pot de départ J’en appelle à la trêve des confiseurs, pour qu’on nomme enfin un chat un chat et un travail un boulot. Ni plus, ni moins. Car ceux qui n’en ont pas en connaisse la valeur et ceux qui en

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ont un en oublie parfois jusqu’au sens. Règle n°1 : le travail est une réalité économique, un échange de valeurs. Cet échange n’est réellement équitable que lorsqu’on travaille pour vivre et non l’inverse. La rareté du travail le

tu seras émue de ce que tu laisseras derrière toi, ce quotidien qui souvent t’exaspère, ces collègues et leurs défauts si attachants, ces attentions parfois, ce soutien que tu reçois

LA RARETÉ DU TRAVAIL LE REND FORT CHER ET IL EN VA DE MÊME DE LA RARETÉ DU TALENT rend fort cher, c’est vrai, et il en va de même de la rareté du talent. Mon premier vœu sera que chacun trouve, conserve ou se crée un travail qui lui permette de nourrir sa vie et celle de ses proches, tout en contribuant par son utilité aux collectivités auxquelles il/elle appartient. Règle n°2 : celui, ou celle, qui fait de sa passion son métier a sans doute tout pour s’accomplir, mais ne lira pas ce billet et n’aura que rarement affaire à la chose RH. Celui qui fait de son boulot sa passion court bien des risques s’il n’en a d’autres dans la vie. Ne lira pas non plus ce billet, et sera un client trop régulier de nos services. Mon deuxième vœu invitera ceux et celles qui n’ont comme première identité que leur métier de s’essayer à autre chose, n’importe quoi, ne serait-ce qu’un tout petit peu. S’il vous plaît. Règle n°3 : toujours penser au pot de départ. Toujours. Il viendra, un jour. Et tu seras ému,

quand ça va pas trop, ces rires, ces engueulades, la vie quoi, qui, au travail aussi, est faite de petits riens bien davantage que de grandes envolées. Ce que d’aucuns tentent d’articuler sur le thème de la culture d’entreprise et dont tu sais, toi, que ce n’est qu’un mot, en 7 lettres, d’accord, mais qui ne vaut pas grand-chose au Scrabble : respect. Que ton boulot soit ta passion, ou que ton travail soit juste un boulot. Mon meilleur vœu pour l’an neuf serait que nous fassions de cet adage notre mantra en 2015 : « C’est en acceptant nos propres limites que nous pourrons les dépasser ». Il en va ainsi pour notre métier, comme pour tout boulot. C’est juste un boulot. Bonne année ! Patrice Briol Group Human Resources Director Knauf Insulation


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PROGRAMME 2015 Le dialogue social et les thèmes de la décennie #03

LES CONCILIATEURS SOCIAUX ET LE PROCESSUS DE RÉSOLUTION DE CONFLITS

12/02/2015

#04

TRAVAILLER PLUS LONGTEMPS SUR LE TERRAIN INTERGÉNÉRATIONNEL

12/03/2015

#05 FUTURE OF FLEXIBILITY, FLEXIBILITY OF WORK

12/03/2015

#06 MOBILITÉ : NE PAS AVANCER, C’EST RECULER

23/04/2015

Le dialogue social : skills and strategy 05/05/2015

#07 STRATÉGIE SOCIALE : LA PERSPECTIVE DU CEO

Le dialogue social dans un contexte plus large SÉANCE DE CLÔTURE LE GRAND DÉBAT : L’AVENIR DE LA CONCERTATION SOCIALE

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