Penser la santé
N° 7 – DÉCEMBRE 2015
ADOLESCENTS:
POUR UNE MÉDECINE SUR-MESURE / RECHERCHES CIBLÉES / LUTTE CONTRE LES STÉRÉOTYPES / NOUVELLES LIBERTÉS
TRANSSEXUALITÉ Le long chemin vers la reconnaissance CHIRURGIE FOETALE Opérer avant la naissance DRONES Des médicaments venus du ciel Edité par le CHUV www.invivomagazine.com IN EXTENSO 24H DANS LE CERVEAU HUMAIN
ABONNEZ-VOUS À IN VIVO
SUIVEZ-NOUS SUR: TWITTER: INVIVO_CHUV FACEBOOK: MAGAZINE.INVIVO
Le magazine est gratuit. Seule une participation aux frais d’envoi est demandée.
JEROEN BENNINK
Recevez les 6 prochains numéros à votre domicile en vous inscrivant sur www.invivomagazine.com
IN VIVO / N° 7 / DÉCEMBRE 2015
SOMMAIRE
FOCUS
19 / RECHERCHE Adolescents: pour une médecine sur-mesure Les hôpitaux se mobilisent pour améliorer la prise en charge des jeunes. PAR CÉLINE BILARDO ET MELINDA MARCHESE
MENS SANA
30 / INTERVIEW Carl Hart: «La politique suisse en matière de drogue m’inspire» PAR CLÉMENT BÜRGE
34 / INNOVATION Des médicaments venus du ciel PAR JULIE ZAUGG
37 / TENDANCE Les internautes, de généreux donateurs PAR CATHERINE COCHARD
40 /DÉCRYPTAGE Ces vaccins qui font peur PAR JULIE ZAUGG
44 / EN IMAGES Biohacking: la science hors des sentiers battus Le photographe anglais David Stewart a réalisé un ouvrage sur les adolescents baptisé «Teenage Pre-occupation» (Ed. Browns, 2013). Pour lui, les jeunes reflètent, à travers leur attitude et leur apparence, l’essence même de la société dans laquelle ils vivent.
DAVID STEWART
PAR ERIK FREUDENREICH
SOMMAIRE
53
44 34
66 CORPORE SANO
IN SITU
50 / TENDANCE
08 / HEALTH VALLEY
La musique s’invite à l’hôpital
La technologie au chevet des seniors
PAR CATHERINE COCHARD
Opérer avant la naissance PAR BERTRAND TAPPY
56 / TABOU Une pilule nommée désir PAR ANDRÉE-MARIE DUSSAULT
60 /
APERÇU
Mon philosophe, ce psy! PAR CAMILLE ANDRES
62 / DÉCRYPTAGE Le long chemin de la cause transsexuelle PAR CLÉMENT BÜRGE
66 /
PROSPECTION
Les virus, ces infatigables voyageurs
SUIVEZ-NOUS SUR: TWITTER: INVIVO_CHUV FACEBOOK: MAGAZINE.INVIVO
PAR BERTRAND TAPPY
2
14 / AUTOUR DU GLOBE Une éponge pour détecter le cancer
CURSUS
70 / CHRONIQUE Pénurie de données
72 / PORTRAIT Barbara Balmelli, physiothérapeute spécialisée dans la rééducation de la main
74 / TANDEM La prévention des escarres grâce à la formation à distance
THIERRY PAREL, TU DELFT, DR
53 / INNOVATION
Editorial
JE PANSE DONC JE SUIS
PATRICK DUTOIT
BÉATRICE SCHAAD Responsable éditoriale
3
La philosophie est-elle une ressource uniquement pour les gens qui vont bien (autrement dit normalement mal)? Ou peut-elle constituer une aide pour les patients, voire pour l’hôpital qui les accueille? Faire entrer un philosophe à l’hôpital et lui offrir un rôle parmi les professionnels de la santé: c’est en tous les cas l’idée originale qu’a eue la psychiatrie de liaison du CHUV en conviant Hubert Wykretowicz à rejoindre leur service (voir p. 60), une initiative qu’a également eue le Service de chirurgie plastique. Le but: questionner les savoirs acquis, mais aussi et surtout interroger la manière de concevoir la maladie et les patients, comme les relations avec ces derniers. Face à une médecine tentée de transformer le corps en «zones de soins», la philosophie rappelle, comme le note Friedrich Stiefel, psychiatre à l’origine de l’engagement du philosophe, que le corps est aussi vécu par le patient autrement que comme une accumulation de symptômes, de manière existentielle: le corps que je suis, qui change au gré de la maladie, qui est regardé, et sur lequel la médecine intervient. D’une certaine façon, la philosophie rappelle que, sous le champ opératoire, c’est bien un sujet et non un objet auquel on a affaire. Dans la foulée, elle offre aussi aux médecins et aux soignants l’occasion de s’interroger sur leur rôle face à une médecine toujours plus exigeante techniquement, et dont le risque est de déshumaniser le geste et la relation. Elle réintroduit, à la manière du «je pense donc je suis» de Descartes, doute et subjectivité. Ces questionnements sont d’autant plus nécessaires à l’heure où l’on peut supposément séquencer son génome sur la table de la cuisine et créer un spermatozoïde in vitro. Face à ces progrès spectaculaires, face aussi aux avancées et promesses de la médecine personnalisée, le philosophe – rejoint désormais par d’autres spécialistes des sciences humaines comme les linguistes, les sociologues ou les politologues – contribue à penser le progrès. Une aubaine. Car combien de temps sera-t-on encore capables de considérer que la médecine n’offre pas de solution systématique? Combien de temps saura-t-on encore se souvenir de l’impuissance possible de la technique sur la maladie sans que, pour autant, les professionnels ne puissent être soupçonnés d’avoir failli? La médecine se développe à grand train, mais sait-on seulement ce qu’elle fait peut-être de nous: des êtres exigeants, impatients, rétifs aux questions sans réponse? Nul doute que les œuvres philosophiques recèlent une série d’antidotes pour y répondre. ⁄
POST-SCRIPTUM LA SUITE DES ARTICLES DE «IN VIVO» IL EST POSSIBLE DE S’ABONNER OU D’ACQUÉRIR LES ANCIENS NUMÉROS SUR LE SITE WWW.INVIVOMAGAZINE.COM
IMPRESSION 3D IV n° 1
p. 62
Premier médicament autorisé Est-ce que le 3 août 2015 restera une date clé pour l’industrie pharmaceutique? C’est le jour choisi par la Food and Drug Administration américaine pour annoncer l’autorisation de la commercialisation du Spritam, un traitement contre l’épilepsie conçu à l’aide d’une imprimante 3D. Aprecia Pharmaceuticals, la société derrière le Spritam, estime que l’impression 3D permet d’établir un dosage sur mesure pour le patient et de créer des composés plus poreux, ce qui rend l’absorption du médicament plus aisée. /
QUANTIFIED SELF
PERCEPTION IV n° 3
p. 24
IV n° 1
Les objets connectés augmentent le stress
Les bienfaits de l’hypnose L’hypnose permet de réduire la consommation de médicaments antalgiques et de sédatifs suite à une intervention chirurgicale. Le recours à cette pratique en anesthésie réduit également la durée des hospitalisations. Ces conclusions sont tirées d’un vaste rapport publié en septembre dernier par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (F). En revanche, les données actuelles en matière de recours à l’hypnose pour le sevrage tabagique sont jugées «insuffisantes, voire décevantes.» /
Une étude réalisée par l’Université de technologie d’Eindhoven (Pays-Bas) montre que l’autosurveillance constante à l’aide de smartwatchs et autres bracelets connectés peut augmenter le stress. Les chercheurs ont soumis 74 personnes à une batterie de tests: la moitié des participants pouvaient consulter leur rythme cardiaque. Lorsqu’on leur a demandé d’évaluer leur niveau de stress, ils se sont jugés davantage sous pression que le groupe témoin. Ce résultat pourrait être lié à la personnalité des cobayes. Les «anxieux» seraient plus susceptibles d’être stressés par les objets connectés que les «névrotiques». /
DON DU SANG IV n° 2
TOURISME MÉDICAL
p. 38
IV n° 5
Homosexuels réhabilités
4
p. 35
Le boom des vacanciers en quête de soins
GARO / PHANIE
Le Ministère de la santé argentin a annoncé en septembre 2015 lever l’exclusion des homosexuels du don du sang, «mettant fin à une longue histoire de discrimination institutionnelle envers la communauté LGBT». Cette restriction est encore présente aux Etats-Unis, en France et en Suisse par exemple. /
p. 66
Selon un rapport publié par France Stratégie, un organisme de réflexion rattaché au premier ministre français, le nombre de touristes médicaux a plus que doublé entre 2007 et 2012, passant de 7,5 millions à 16 millions. Ce marché est aujourd’hui évalué à 60 milliards de dollars. /
POST-SCRIPTUM
LESS IS MORE IV n° 6
p. 19
Dépistage inutile
OFER PERL
Selon une enquête de l’Office fédéral de la santé publique, le cancer du col de l’utérus est trop souvent testé. Près de deux tiers des femmes de 25 à 49 ans effectuent un frottis chaque année. Les gynécologues recommandent un frottis tous les deux ans entre 21 et 29 ans, puis une fois tous les trois ans jusqu’à 70 ans. A partir de ces données, le Tages-Anzeiger conclut que c’est un million de frottis en trop qui sont effectués chaque année, pour un surcoût de l’ordre de 70 millions de francs. /
NUMÉRIQUE IV n° 6
p. 34
Google contre le diabète Les géants du numérique poursuivent leur expansion dans le monde de la santé. En août dernier, le groupe pharmaceutique français Sanofi a annoncé un accord avec la division des sciences de la vie de l’américain Google. L’objectif: combiner le savoir-faire de l’un dans le domaine des traitements et des dispositifs médicaux contre le diabète à l’expertise de l’autre en matière d’analyse de données pour améliorer la prise en charge de la maladie. /
5
AUTISME IV n° 6
p. 60
Tester l’odorat Des scientifiques israéliens de l’Institut des sciences Weizmann (Tel-Aviv) ont utilisé l’odorat pour détecter l’autisme chez des enfants de moins de 2 ans. Dans leur article publié dans la revue Current Biology, les scientifiques démontrent que la respiration des autistes ne s’adapte que très peu aux bonnes ou mauvaises odeurs. A contrario, les enfants non atteints ont modifié leur rythme respiratoire en moins d’une seconde (305 millisecondes). Cette étude pourrait constituer un premier pas vers une méthode alternative de détection de l’autisme, mais ces résultats doivent encore être dupliqués et vérifiés. /
Grâce à ses hôpitaux universitaires, ses centres de recherche et ses nombreuses start-up qui se spécialisent dans le domaine de la santé, la Suisse romande excelle en matière d’innovation médicale. Ce savoir-faire unique lui vaut aujourd’hui le surnom de «Health Valley». Dans chaque numéro de «In Vivo», cette rubrique s’ouvre par une représentation de la région. Cette carte a été réalisée par le maquettiste Adrien Pochon (voir p. 78) et le graphiste Sébastien Fourtouill.
IN SITU
HEALTH VALLEY Tour d’horizon de l’innovation médicale en Suisse romande.
TOLOCHENAZ
P. 09
Un pacemaker de Medtronic sans boîtier et sans sonde a été implanté avec succès.
GENÈVE
P. 11
MAQUETTE: ADRIEN POCHON ET SÉBASTIEN FOURTOUILL, PHOTO: THIERRY PAREL
Deux pharmas asiatiques, Tasly et Santen, se sont installées au bout du lac.
6
IN SITU
HEALTH VALLEY
NEUCHÂTEL
P. 11
Le laboratoire médical portable de 1Drop Diagnostics sera commercialisé dès 2016.
MONTHEY
P. 11
La start-up Karmagenes développe des tests de personnalité basés sur l’analyse ADN.
LAUSANNE
P. 09
Des tétraplégiques pilotent un robot à distance par la pensée.
7
IN SITU
HEALTH VALLEY
La technologie au chevet des seniors Les gérontechnologies visent à améliorer la vie des personnes âgées. Plusieurs entreprises romandes sont actives dans ce domaine. GÉRIATRIE Les Suisses vieillissent. Le nombre d’Helvètes âgés de 65 ans ou plus va presque doubler d’ici à 2060, à plus de 2,5 millions de personnes, et leur proportion dans la population atteindra 28,3%, contre 17,1% en 2010, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Le vieillissement démographique engendre des besoins dans les domaines des loisirs, des services à domicile ou encore des soins. Plusieurs entreprises romandes sont positionnées sur ce créneau. Gait Up, spin-off de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et du CHUV, a conçu un algorithme capable d’identifier certaines pathologies en fonction des mouvements et de prévenir le risque de chute. Domosafety, une start-up également basée à l’EPFL, a mis sur le marché en 2015 un dispositif d’alerte à domicile pour personnes âgées qui prévient les proches ou les professionnels de la santé en cas d’incident ou de perte d’autonomie. Des capteurs installés dans le logement détectent tout changement anormal de comportement, tel qu’une absence de mouvement prolongée due à une chute.
Préserver l’autonomie L’objectif de Domosafety est de permettre aux seniors de conserver leur autonomie tout en restant chez eux. Sous l’œil de Big Brother? «Le système n’est pas intrusif, répond Edouard Goupy, cofondateur et directeur. Il n’y a pas de caméra, pas de micro, pas d’observation directe. Le but n’est pas de dire si quelqu’un passe 20% de son temps dans la salle à manger. Les indicateurs sont très précis et ont été élaborés avec des infirmières et des médecins de soins à domicile. De plus, il n’y a aucun capteur sur la personne. Enfin, tous les réglages sont validés par l’utilisateur.» Domosafety, qui emploie 14 personnes, pourrait prochainement collaborer avec le CHUV, dans le cadre de la plateforme d’évaluation en santé mobile de l’établissement, baptisée NeuroTech et initiée par le Prof. Philippe Ryvlin, chef du Département des neurosciences cliniques. «L’idée est de se ser8
TEXTE BENJAMIN KELLER
CI-DESSUS: LE BOÎTIER DE LA START-UP GAIT UP, QUI IDENTIFIE DES PATHOLOGIES EN FONCTION DES MOUVEMENTS, ET EDOUARD GOUPY, COFONDATEUR DE DOMOSAFETY.
vir des dispositifs de Domosafety pour générer de nombreuses données cliniques sur les patients atteints de maladies neurologiques, puis les stocker et les analyser, explique Stanislas Veuthey, responsable opérationnel du projet au CHUV. On pourrait imaginer pouvoir prédire une crise d’épilepsie quelques heures avant qu’elle ne survienne et envoyer une alerte au patient afin qu’il prenne les traitements adéquats.» A Genève, PersonalCare Systems développe un système similaire qui devrait être commercialisé d’ici à début 2016. La start-up, fondée en 2012, a reçu le prix Graines de Boss au mois de mai dernier. Les besoins du terrain Malgré leur profusion, les technologies mises au point ne répondent pas forcément aux besoins du troisième âge, indique Henk Verloo, professeur à l’Institut et Haute école de la santé La Source à Lausanne. «Il y a un potentiel énorme, tout le monde en est convaincu, y compris les personnes âgées, mais il y a un écart entre ce que les ingénieurs conçoivent et les attentes des usagers. Beaucoup sont réticents à l’idée de porter des systèmes d’alarme car ils ne veulent pas que ce soit visible. L’installation de capteurs à domicile est aussi difficilement acceptée.» Henk Verloo participe à une étude pour identifier la perception et l’utilité des technologies innovantes pour seniors à leur domicile, à laquelle collaborent les hautes écoles de santé genevoise, vaudoise et La Source ainsi que les services de soins à domicile des cantons de Genève et Vaud. La recherche ne se limite pas aux personnes âgées et à leurs proches, mais s’intéresse aussi aux perceptions des professionnels de la santé et se questionne sur la vision qu’ont les ingénieurs, les industriels et les chercheurs de ces technologies. Il y a notamment des aspects éthiques entre soignants et soignés à prendre en compte. «Avec les dispositifs d’alerte et de monitoring, les infirmiers ont l’impression de surveiller les patients. C’est une réalité du terrain.» ⁄
IN SITU
HEALTH VALLEY
3 QUESTIONS À BBP / EPFL
JOSÉ DEL R. MILLÁN
L’EPFL avance vers le cerveau numérique
NEUROSCIENCES Une équipe du Blue Brain Project (BBP)
de l’EPFL a reconstitué pour la première fois une partie du cerveau par ordinateur. Elle s’est concentrée sur un fragment d’un tiers de millimètres cubes du néocortex de jeunes rats, dont elle a répertorié les quelque 30’000 neurones connectées par 40 millions de synapses. Des superordinateurs ont ensuite simulé le comportement électrique émis par ce tissu virtuel. Même si la reconstitution ne concerne qu’une infime partie du cerveau, la portée de ce travail est très importante. «Le cerveau est une structure bien ordonnée et dès lors que vous commencez à comprendre cet ordre au niveau microscopique, vous pouvez commencer à déduire une grande partie des données manquantes», a déclaré Henry Makram, fondateur du projet européen Human Brain Project, dont fait partie le BBP.
L’OBJET
MICRA TPS D’une longueur de 25,9 mm et d’une extrême légèreté (1,75 g), le stimulateur cardiaque miniature de la société américaine Medtronic est révolutionnaire: sans boîtier et sans sonde, il est implanté directement à l’intérieur du cœur via un cathéter. Produit à Tolochenaz, ce pacemaker a été implanté le 1er juin 2015 sur cinq patients aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et à l’Hôpital cantonal de Fribourg. Une première suisse. 9
SON ROBOT DE TÉLÉPRÉSENCE CONTRÔLÉ PAR LA PENSÉE OFFRE UNE NOUVELLE INDÉPENDANCE À DES PERSONNES PARALYSÉES QUELS SONT LES DERNIERS ACCOMPLISSEMENTS DE VOTRE LABORATOIRE?
1
Des tétraplégiques ont pu diriger notre robot de téléprésence situé à l’EPFL par la pensée, depuis chez eux, à des centaines de kilomètres de distance. Et ce avec autant de succès que des utilisateurs valides sur place. Notre mission était de développer la technologie du contrôle par la pensée – via les interfaces cérébrales – pour qu’elle puisse être utilisée par ceux qui en ont vraiment besoin, c’est-à-dire les personnes souffrant d’un handicap moteur grave.
2
COMMENT CE ROBOT FONCTIONNE-T-IL?
3
QUELLES SONT LES APPLICATIONS DE CETTE TECHNOLOGIE?
Notre robot à roues est équipé d’une webcam qui filme ses environs et d’un écran qui affiche le visage du pilote. Il est contrôlé par la pensée: l’activité du cerveau est mesurée par des électrodes posées sur la tête. L’utilisateur apprend à contrôler son activité cérébrale pour donner des instructions. Pour faciliter le contrôle, le pilote est assisté par notre robot intelligent, qui apprend à détecter ses intentions et l’aide par exemple à éviter les obstacles.
Notre robot de téléprésence permet aux personnes à mobilité réduite de sortir de chez elles et d’interagir avec le monde. Nous avons démontré que cette technologie est sûre et prête à être appliquée dans des conditions réelles. Mais les applications potentielles des interfaces cérébrales sont nombreuses: nous développons par exemple une interface qui enrichit l’expérience de la conduite automobile en prédisant les intentions du conducteur. / José del R. Millán dirige la Chaire Fondation Defitech en interface cerveau-machine de l’EPFL
IN SITU
HEALTH VALLEY
DON D’ORGANES En Suisse, 100 personnes décèdent chaque année faute de greffe. Près de 1’400 patients figurent actuellement sur la liste d’attente. De récentes initiatives devraient permettre à ces chiffres de diminuer.
À CŒUR ARRÊTÉ
Les Hôpitaux universitaires de Genève et le CHUV vont relancer fin 2015 les prélèvements d’organes dits «à cœur arrêté». La plupart des prélèvements actuels se font en état de mort cérébrale due à une lésion au cerveau. Le prélèvement à cœur arrêté, lui, s’effectue suite à un arrêt cardiaque irréversible. Cela inclut principalement les décès consécutifs à la décision d’interrompre les soins intensifs. Grâce à cette mesure, le nombre de donneurs pourrait augmenter de 10 à 20%. RÉSEAU
APP
La première carte de donneur électronique au monde est le résultat d’une collaboration entre Jocelyn Corniche, anesthésiste du CHUV et la fondation Swisstransplant. Disponible depuis l’automne 2014 sous forme d’application pour smartphone, elle peut être consultée par les services d’urgence même si le téléphone est verrouillé. Plus de 80’000 donneurs se sont déjà enregistrés.
Améliorer la communication et les réseaux de coordination à l’échelle internationale font partie des priorités pour augmenter le nombre de dons. Un Romand jouera un rôle clé dans ces démarches: Thierry Berney, médecinchef du Service de transplantation des Hôpitaux universitaires de Genève, présidera la Société européenne de transplantation d’organes pendant deux ans. Le spécialiste vise notamment à développer des programmes d’échanges entre l’Europe et la Société américaine de chirurgiens de transplantation et souhaite aider les ex-pays de l’Est à développer leurs propres programmes de transplantation.
«Nous devons inventer de nouveaux modèles économiques de la santé.» THIERRY MAUVERNAY DANS UNE INTERVIEW ACCORDÉE AU «TEMPS» EN SEPTEMBRE 2015, LE PATRON DE LA BIOTECH LAUSANNOISE DEBIOPHARM ENCOURAGE LES AUTORITÉS PUBLIQUES SUISSES À SOUTENIR DAVANTAGE LA RECHERCHE ET LE DÉVELOPPEMENT. SELON LUI, LA COMPÉTITIVITÉ DE LA SUISSE SE DÉGRADE ET LE SOUTIEN PUBLIC À L’INNOVATION EST INSUFFISANT.
10
IN SITU
HEALTH VALLEY
START-UP DIAGNOSTIC
Des souris retrouvent l’ouïe
THÉRAPIE GÉNIQUE Des souris sourdes ont retrouvé l’ouïe grâce à un nouveau traitement développé par des chercheurs américains, en collaboration avec une équipe de l’EPFL. Les souris souffraient de surdité héréditaire due à une mutation dans le gène TMC1. Les chercheurs ont utilisé la thérapie génique pour introduire une version fonctionnelle du gène touché dans les cellules de l’oreille interne des souris. Ces cellules ont ainsi retrouvé leur fonction, et les souris leur ouïe. Patrick Aebischer, président de l’EPFL, estime que cette méthode pourra être testée sur des humains atteints de surdité d’origine génétique d’ici 5 à 10 ans.
IMPLANTATIONS
Pharmas asiatiques
Deux nouvelles sociétés pharmaceutiques asiatiques se sont installées à Genève. La première, Tasyl, est le numéro 3 de la pharma en Chine. Depuis son nouveau siège européen, elle compte commercialiser des produits liés à la médecine traditionnelle chinoise. Le groupe génère un chiffre d’affaires annuel de 4 milliards de dollars et emploie 10’000 collaborateurs. La deuxième est l’entreprise japonaise Santen, spécialisée dans le traitement des maladies oculaires. La multinationale espère tripler ses ventes sur le Vieux-Continent pour atteindre la barre des 300 millions d’euros d’ici à 2020.
Communication scientifique
Med Communications International, leader de l’information scientifique et médicale, a établi son siège social européen à Genève. La société américaine indique qu’elle allait «continuer à étendre ses services dans toute l’Europe depuis ce site central», et que l’ouverture du nouveau bureau s’inscrivait «dans sa stratégie visant à se positionner comme le principal fournisseur mondial de services scientifiques auprès des entreprises pharmaceutiques, biotechnologiques, alimentaires, cosmétiques et d’équipements médicaux.» 11
80
En millions de dollars, la somme que la start-up ADC Therapeutics, basée dans le Biopôle d’Epalinges, vient de lever. Spécialiste de l’oncologie, la société développe plusieurs produits destinés à traiter des maladies comme la leucémie et les lymphomes.
1,9
En million de francs, la somme reçue par les Hôpitaux universitaires de Genève, l’Université de Genève et l’Université de Berne de la part du Fonds national suisse. Elle financera le développement d’un nouveau type de scanner dédié à l’imagerie cérébrale en adaptant des technologies développées pour le LHC, le plus puissant accélérateur de particules du CERN.
La start-up neuchâteloise 1Drop Diagnostics a remporté le prix de la Fondation Vigier (100’000 francs) pour son dispositif médical portable capable, à partir d’une goutte de sang, de détecter des centaines de maladies en une dizaine de minutes. Ce laboratoire médical portable peut notamment trouver la trace de maladies cardio-vasculaires, infectieuses, et de certains cancers. La commercialisation est prévue pour 2016.
LUCIOLES
La start-up de l’EPFL Lucentix révolutionne la détection de molécules biologiques grâce aux vers luisants. L’enzyme produisant la lumière des lucioles a été modifié pour s’allumer en présence d’une molécule cible. Les applications sont nombreuses dans le domaine de la biologie et de la médecine diagnostique.
PRISE DE SANG
Réaliser des analyses à partir d’une seule goutte de sang: c’est l’objectif du boîtier développé par DBS System. De la taille d’une carte de crédit, le dispositif s’apprête à être commercialisé par la start-up de Gland, qui vient de lever 600’000 francs. Les premiers clients sont des hôpitaux suisses.
PERSONNALITÉ
La start-up valaisanne Karmagenes commercialise un test de personnalité basé sur l’analyse ADN. Il permet d’identifier 14 caractéristiques telle la tendance à être innovateur, optimiste ou sociable. L’entreprise, qui juge son test fiable à 80%, pense intéresser les particuliers, les sites de rencontre ou même les départements de ressources humaines.
IN SITU
HEALTH VALLEY
ÉTAPE N° 7
LAUSANNE KB MEDICAL
SUR LA ROUTE
Dans chaque numéro, «In Vivo» part à la rencontre des acteurs de la Health Valley. Lausanne est la destination de cette édition.
Un robot pour la chirurgie de la colonne vertébrale La société KB Medical développe une technologie qui vise à démocratiser les interventions mini-invasives du rachis. TEXTE: LEÏLA HUSSEIN
Depuis sa création en 2012, KB Medical s’est entièrement consacrée au développement du robot AQrate. Cette technologie assiste les chirurgiens dans la réalisation des opérations de la colonne vertébrale de manière mini-invasive, soit lorsque le travail est effectué à travers une incision miniature. «Seules 20% des interventions de la colonne sont effectuées de manière mini-invasive, contre 80% pour les chirurgies gastriques, explique Jean-Marc Wismer, CEO de KB Medical depuis 2014. Il y avait une réelle demande de la part des professionnels pour une technologie adaptée aux spécificités de ces opérations, pratiquées pour traiter les hernies discales, scolioses et autres malformations dorsales.» Et pour cause: elles requièrent une extrême précision, car les risques sont très élevés. Une lésion au niveau des artères ou de la moelle épinière peut en effet directement mener à la paralysie ou au décès du patient. «Dès le début de la conception, nous avons réalisé le produit en ayant en tête les contraintes réglementaires et cliniques. 12
Nous avons sollicité des chirurgiens pour qu’ils nous fassent part de leurs besoins, ce qui nous a permis de travailler sur des questions très concrètes.» Résultat: en plus d’une plateforme hardware et d’un système de navigation et d’imagerie 3D, AQrate est peu encombrant, d’une utilisation intuitive et offre une précision millimétrique au chirurgien. Le robot est actuellement en phase de test, mais Jean-Marc Wismer pense déjà à la suite. «Nous espérons pouvoir lancer la commercialisation début 2016. Plusieurs discussions avec de grands groupes de distribution sont en cours, notamment en Allemagne et aux Etats-Unis.» Spin-off de l’EPFL fondée par deux étudiants, KB Medical a fait du chemin depuis ses débuts. Plus d’une quinzaine d’innovations ont été brevetées et l’équipe de dix personnes vient de déménager dans de plus grands bureaux au centre de Lausanne où elle poursuit le développement de nouvelles fonctionnalités. «L’objectif à moyen terme est que les opérations mini-invasives du rachis deviennent plus courantes. /
IN SITU
HEALTH VALLEY
BENOÎT DUBUIS Ingénieur, entrepreneur, président de BioAlps et directeur du site Campus Biotech
A ceux qui voient l’arbre qui tombe, je conseille de soutenir la forêt qui pousse.
Vous cherchez de l’audience, distillez de mauvaises nouvelles! On vous lira, on applaudira votre esprit visionnaire, on vous respectera. Inquiétez-vous, et on se dira que vous faites preuve de prudence… or la prudence est une vertu cardinale, donc vous êtes sage ou du moins sur la voie de la sagesse. Je vais donc m’inquiéter… de ceux qui considèrent que «l’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin». Ce proverbe d’une grande sagesse illustre le fait que l’on n’est que rarement satisfait du pré dans lequel on évolue. L’herbe du pré d’à côté paraît toujours plus verte, plus appétissante, plus fraîche. Sans doute parce que l’on ne la connaît pas. Sans doute aussi parce que l’on se focalise sur les inconvénients que l’on perçoit dans son propre pré et que l’on s’illusionne sur les avantages de l’autre.
La maturité consiste à avoir compris que si l’on passait dans le pré d’à côté, on perdrait des choses au profit d’autres. Sage est celui qui trouve son bonheur dans ce qu’il a, direz-vous. A quoi j’ajoute, ne vous laissez pas entraîner par ceux qui ne savent pas où aller, mais accompagnez ceux qui franchiront la frontière de leur univers pour s’imprégner de l’intelligence déployée dans d’autres contrées et reviendront enrichir leur propre pré avec résolution et enthousiasme. Voyez en votre pré une terre d’opportunités, entretenez-le, faites-le vivre, révélez son potentiel avant de le moissonner. Ainsi en l’aidant, vous vous aiderez, l’intelligence que vous mettrez en le cultivant sera la semence de vos succès. C’est dans cet état d’esprit que je vous encourage à réserver la date du 16 mars 2016, une occasion unique de vous immerger dans le futur des Sciences de la vie de votre pays. La Suisse regorge de talents dans ce domaine. Alliant passion et action, nous avons prouvé notre capacité à transformer des idées en activités florissantes. Mais une question se pose: comment pérenniser ces résultats, voire les améliorer? Afin d’y répondre, le rapport «Life Sciences Nation» présente une étude particulièrement pertinente.
Nombreux sont les «jardiniers» qui y travaillent. Or, si c’est peut-être vrai, n’oublions pas qu’un Ils seront présents à l’occasion de son vernissage pré ce n’est pas que de l’herbe, c’est aussi le 16 mars à l’Hôtel Casino de Berne. le ruisseau qui l’irrigue et qui l’abreuve, c’est aussi Rejoignez-les. Inscription sous la forêt qui pousse et pas seulement l’arbre www.republic-of-innovation.org. ⁄ qui tombe, ce sont les autres qui ont été mis dans le même pré...
EN SAVOIR PLUS
DR
www.bioalps.org la plateforme des sciences de la vie de Suisse occidentale
13
IN SITU
GLOBE
IN SITU
AUTOUR DU GLOBE Parce que la recherche ne s’arrête pas aux frontières, In Vivo présente les dernières innovations médicales à travers le monde.
1
Le prix en dollar d’une dose de DDD107498, un médicament qui serait capable de prévenir la contamination et de soigner le paludisme. Selon le professeur Ian Gilbert, l’un des membres de l’équipe de chercheurs de l’Université de Dundee (Ecosse) à l’origine de la découverte publiée dans la revue «Nature», le traitement a le potentiel de soigner la malaria avec une seule et unique dose. Le composé est maintenant développé par le géant pharmaceutique allemand Merck Serono; Ian Gilbert estime que les patients auront accès au médicament d’ici 5 à 6 ans.
L’OBJET
UNE ÉPONGE POUR DÉTECTER LE CANCER L’équipe de Rebecca Fitzgerald, de l’Université de Cambridge, a développé une «cytosponge», une pilule qui, une fois avalée, libère une éponge capable de récolter des cellules tout au long de l’œsophage. L’entreprise irlandaise Covidien envisage une commercialisation de cette éponge médicale qui permettrait d’effectuer des prélèvements de manière moins coûteuse et moins invasive qu’une biopsie traditionnelle.
Cataracte: la fin de la chirurgie RECHERCHE L’opacification partielle ou totale du cristallin, soit la cataracte, pourrait bientôt être traitée par l’application de gouttes ophtalmologiques au lanédol, une substance naturellement produite par les yeux. C’est la découverte réalisée par une équipe sino-américaine de l’Université de San Diego publiée dans la revue Nature. Le seul traitement actuellement disponible consiste à remplacer le cristallin par un implant via une opération chirurgicale. Le traitement avec un collyre de lanédol a montré de très bons résultats lors des phases d’expérimentations animales: la clarté des cristallins des chiens et des lapins a augmenté.
14
«Nous allons vers une génération sans sida.» BAN KI-MOON SELON LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES, IL EST POSSIBLE DE METTRE UN TERME À L’ÉPIDÉMIE D’ICI À 2030 À CONDITION DE DÉBOURSER 32 MILLIARDS DE DOLLARS PAR AN JUSQU’EN 2020.
HEALTH GLOBE VALLEY
PR NEWSWIRE / NEWSCOM
IN SITU
UNE GREFFE DES DEUX MAINS POUR UN ENFANT DE 8 ANS INNOVATION Zion Harvey est le plus jeune enfant à s’être fait greffer deux mains. Les 40 professionnels de l’hôpital pour enfants de Philadelphie ont opéré le garçon pendant plus de dix heures. Le directeur du programme de greffe des mains de l’hôpital, Scott Levin, a expliqué que cette intervention «est le résultat d’années d’entraînement, suivies par des mois de préparation». Zion Harvey avait dû être amputé de ses membres suite à une nécrose des tissus. Il a également subi une greffe de rein, une procédure qui a facilité la greffe de ses deux mains car il suivait déjà un traitement pour empêcher le rejet d’organes.
IO CT
N
E ÉL S LA VIVO IN Furiously Happy: A Funny Book About Horrible Things JENNY LAWSON, FLATIRON BOOKS, 2015
Dans son deuxième ouvrage, la journaliste américaine Jenny Lawson revient sur son combat contre ses troubles psychiques. Avec son style inimitable, drôle et irrévérencieux, elle illustre son propos d’anecdotes incroyables. Elle relate par exemple avoir invité un groupe de kangourous dans sa maison sur un coup de tête, à la plus grande surprise de son mari. Ce livre se veut être un guide pour s’accepter tel que l’on est, avec nos qualités et nos défauts.
Le bonheur plus fort que l’oubli COLETTE ROUMANOFF, MICHEL LAFON, 2015
Le déni des parents alimente l’épidémie d’obésité juvénile JAN HOFFMAN, NEW YORK TIMES,
JUNE 2015 L’écrivain et directrice d’une troupe de théâtre Colette La lutte contre l’obésité des Roumanoff a découvert jeunes bute sur un obstacle que son mari était atteint de taille aux Etats-Unis: d’Alzheimer en 2005. Dix les parents. Dans un article ans plus tard, elle livre publié dans le New York un témoignage touchant Times, la journaliste Jan sur la cohabitation avec la Hoffman relate l’histoire maladie qu’elle nomme «la d’une mère offusquée par les confusionnite». Malgré la conseils d’une diététicienne: dégradation progressive «Je ne peux pas croire que des capacités cognitives de vous me conseillez d’arrêter Pierre, Colette assure vivre d’acheter des cookies!» Ce une relation heureuse. Sa déni peut s’expliquer par recette? Comprendre les différents facteurs, comme mécanismes de la maladie, le sentiment de culpabilité pour mieux comprendre des parents eux-mêmes les réactions de son mari et en surpoids. S SU R VIDÉO adapter son comportement ET LES IQUES N O R H en conséquence. LES C OM S V E RS
N E.C LES LIE AGAZIN NVIVOM WWW.I
15
The amazing story of the man who gave us modern pain relief LATIF NASSER, TED, MARS 2015
Dans sa dernière conférence TED, le directeur de la recherche de Radiolab, Latif Nasser, conte l’histoire d’un illustre inconnu: John J. Bonica, un lutteur professionnel et médecin, considéré comme étant à l’origine de l’étude de la douleur. Cet émigré sicilien, qui est passé des rings au chevet de vétérans de la Seconde Guerre mondiale aux Etats-Unis, a notamment écrit The Management of Pain en 1951, un ouvrage séminal considéré comme un classique de la littérature consacrée à la douleur.
IN SITU
MICROSCOPIE 3D SANS COLORANTS Un nouveau type de microscopie a permis la réalisation de cette image de sperme humain. Grâce à un processus rapide ne nécessitant aucun traitement chimique pour mettre en évidence différents compartiments cellulaires, l’instrument, mis au point par la jeune société Nanolive à Ecublens, permet de faire des clichés de cellules vivantes, et d’en construire un modèle en trois dimensions. En utilisant une combinaison d’holographie et de balayage rotationnel (rotational scanning), ainsi qu’un puissant algorithme de reconstruction d’image, le microscope permet de mesurer les changements subtils dans la façon dont la lumière se propage à travers l’échantillon en fonction de la composition des différentes structures présentes au sein de la cellule. NANOLIVE.CH
16
GLOBE
IN SITU
17
GLOBE
L’INFORMATION EN CONTINU Tout savoir sur les Sciences de la vie et l’innovation. Des rubriques pour vous: Agenda, Innovation, People, Science, etc. L’actualité de nos entreprises, de nos hautes-écoles, de nos organismes de soutien à l’innovation sur un seul site.
D republic-of-innovation.ch
“The joys of discovery are made all the richer when shared. Learn about innovation and experience that goes beyond everyday lives.” BENOIT DUBUIs Founder BioAlps, Eclosion, Inartis
“Republic of Innovation, un site instructif, intelligent, ouvert et très facile à lire. C’est un vrai plaisir, en plus d’être une véritable aide.”
wzart consulting
ThIERRy MAUvERNAy Delegate of the Board Debiopharm Group
INVIVO4_6_18_FR_print.indd 18
REPUBLIC OF INNOVATION
24.10.2014 14:52:54
FOCUS
ADOLESCENTS
RECHERCHE
ADOLESCENTS: POUR UNE MÉDECINE SUR-MESURE
/
Envahis par des changements physiques, psychologiques et sociaux, les adolescents ont des besoins propres et nécessitent une prise en charge spécifique. Le milieu hospitalier se mobilise.
/ PAR
CÉLINE BILARDO ET MELINDA MARCHESE 19
L
FOCUS
ADOLESCENTS
a plupart du temps, elle démarre par une poussée de petits boutons et de poils, une odeur corporelle nouvelle, puis enclenche des changements physiques marquants et quelques fluctuations d’humeur… Loin d’être un phénomène anodin, la puberté reflète une étape critique de l’adolescence. «C’est là que tout démarre, souligne Anne-Emmanuelle Ambresin, médecin-cheffe de la Division interdisciplinaire pour la santé des adolescents (DISA) au CHUV. C’est une gâchette hormonale qui se couple à des changements tant au niveau cognitif, biologique, que comportemental.» Une transformation qui amène aussi les jeunes adolescents – qui ne sont plus des enfants, mais pas encore des adultes – sur la voie de l’autonomisation, de leur recherche d’identité sexuelle mais aussi personnelle et professionnelle. Tous ne traversent pas cette période de grands remaniements de la même manière. Pour la majorité d’entre eux, elle est propice à l’apprentissage, à la créativité et à l’affirmation de soi. Mais pour 10 à 20% de ces jeunes, selon les estimations des spécialistes, l’adolescence peut être synonyme de grande vulnérabilité et de prise de risques. Décrochage scolaire, excès d’alcool, attitudes violentes et tentatives de suicide sont quelques exemples de dérapages possibles. «Les ado-
C’est au Canada, en Australie, en Amérique du Nord puis en Europe que des centres médicaux et des hôpitaux dédiés aux adolescents ont d’abord vu le jour. La médecin-cheffe de la DISA cite une étude menée par l’épidémiologiste australien George Patton en 2011, L’ADOLESCENCE, qui a fait parler d’elle à l’échelle internationale et qui a permis de C’EST QUOI? mettre en lumière la nécessité de Les Nations unies définissent un adolescent comme «toute personne s’intéresser davantage aux jeunes et âgée de 10 à 19 ans». Les avis à leur santé. «Cette recherche a divergent pourtant: se définit-elle montré que la mortalité des enfants uniquement en termes d’âge? avait chuté ces trente dernières anL’adolescence est aujourd’hui communément définie par les nées, mais que la courbe de mortaspécialistes comme une période de lité des jeunes de 14 à 19 ans, elle, la vie située entre l’enfance et l’âge n’avait pas bougé. C’est ainsi que l’on adulte, qui démarre au moment de a constaté qu’il y avait un effort supla puberté, soit autour de 12 ans. Quant à sa fin, elle varie et plémentaire à faire pour répondre correspondrait au moment où le aux besoins des adolescents.» jeune est autonome et indépendant professionnellement. Elle est estimée entre 24 et 25 ans.
UN CERVEAU QUI GRANDIT Une des principales découvertes qui a amené les spécialistes à mieux comprendre les adolescents et leur développement porte sur leur cerveau. L’avancée de l’imagerie médicale de ces dix dernières années a permis de démontrer que si cette population agit parfois avec impulsivité et émotion, la raison réside dans le fait que leur cerveau n’est pas encore mature. Directeur de différentes unités de soins pour adolescents au CHUV, le pédopsychiatre Laurent Holzer 20
lescents qui vont mal demandent une attention et une approche médicale particulières», remarque Susan Sawyer, directrice de la Chair of Adolescent Health de l’Université de Melbourne (Australie). Cette éminente spécialiste de la prise en charge des adolescents estime qu’ils «représentent une population longtemps négligée dans les études de santé.» Anne-Emmanuelle Ambresin abonde dans ce sens: «Il y a 30 ans, les scientifiques commençaient à discuter de la spécificité des adolescents, ce n’est que depuis quelques années seulement que leur prise en charge est devenue une priorité.»
explique que la maturation cérébrale n’est effectivement pas encore terminée à ce stade de vie, et que la partie qui mature en dernier (ce, jusqu’à l’âge de 30 ans!), le cortex préfrontal, est celle qui permet au jeune adulte de planifier ses actions, gérer ses ressentis et contrôler ses réactions. «La part biologique de la puberté et tous les nouveaux mécanismes qui s’activent à ce moment-là vont pousser le jeune adolescent à prendre des risques, à tester simplement où il en est et jusqu’où il peut aller. C’est aussi son environnement social qui l’aidera à maîtriser ces nouveaux défis. Alors que pour l’enfant, la socialisation s’effectue sur des bases explicites, pour l’adolescent, tout passe par l’implicite: il doit saisir le second degré, comprendre pourquoi il rougit, quels sont les signes d’interactions en lien avec la sexualité… L’ado-
FOCUS
ADOLESCENTS
«LES MÉDECINS ONT PEUR DES ADOLESCENTS» Anne-Emmanuelle Ambresin* insiste sur l’importance de former tous les médecins de premier recours à la prise en charge des adolescents. PROPOS RECUEILLIS PAR
L’ CÉLINE BILARDO
lescent. Et ce sont eux qui servent de premier filtre et peuvent identifier un jeune qui a besoin d’aide. Quelle est la réaction des médecins durant ces formations? aea Les soignants sont le plus souvent soulagés à l’issue de ces cours! Je pense que les adolescents souffrent encore d’énormes préjugés et les médecins ont souvent peur de les recevoir dans leur cabinet. Ils disent ne pas être prêts et ne pas réussir à les faire parler. Le but des formations est de permettre aux professionnels de la santé d’expérimenter le «savoirêtre» avec un adolescent. Ces derniers demandent simplement à être écoutés par une personne de confiance, qui les respecte, qui soit compétente dans son domaine et qui sache leur parler. Ils apprennent à poser des questions simples mais essentielles afin de repérer un adolescent qui souffre et de pouvoir répondre à ses besoins, ou dans les cas trop complexes, le diriger vers un centre comme la DISA par exemple, où il sera pris en charge de manière interdisciplinaire.
adolescent n’est plus un enfant, mais pas encore un adulte. Il mérite une approche adaptée à son âge tant au niveau de la communication que des soins proposés. Le corps médical doit être sensibilisé à la question. Qu’est-ce qui fait la spécificité d’une approche médicale dédiée aux adolescents? aea Les jeunes adolescents demandent plus de temps qu’un patient qui viendrait en consultation pour adultes. La question de la confidentialité doit toujours être abordée avec un ado ainsi que le tutoiement/vouvoiement car, il peut ne plus vouloir être tutoyé, par exemple. iv
Leurs problèmes, physiques et psychiques, mobilisent souvent également une équipe multidisciplinaire, des soignants à plusieurs degrés de soins qui doivent arriver à travailler en réseau. Il est important que tous les médecins sachent comment aborder un adolescent pour qu’il s’ouvre et crée un lien avec le corps médical.
21
Comment faites-vous passer le message? aea Sur l’initiative du Prof. PierreAndré Michaud, pionnier de la médecine de l’adolescence à Lausanne, nous avons introduit plus de 16 heures de cours sur la médecine de l’adolescence dans le cursus universitaire des étudiants en médecine à Lausanne. Nous proposons également des formations sur trois jours aux médecins de premiers recours (médecins généralistes, pédiatres, gynécologues) qui montrent un intérêt. Tous seront amenés, dans leur pratique, à soigner un adoiv
*ANNE-EMMANUELLE AMBRESIN EST MÉDECIN-CHEFFE DE LA DIVISION INTERDISCIPLINAIRE POUR LA SANTÉ DES ADOLESCENTS (DISA) AU CHUV.
ERIC DÉROZE
iv
ADOLESCENTS
JOHANN PELICHET
FOCUS
«LES JEUNES ONT BESOIN DE RECONNAISSANCE» LUNA, 18 ANS, LAUSANNE
A l’école primaire, Luna* rencontre quelques difficultés, notamment avec ses camarades. «Les autres élèves m’embêtaient souvent et les enseignants n’intervenaient pas; ils ne m’ont fourni ni soutien ni écoute. J’avais l’impression qu’ils étaient même agacés par cette situation, qui les faisait sortir de leur confort… J’étais seule la plupart du temps et ne pouvais compter que sur moi-même pour réussir mon année scolaire.» La jeune fille y parvient et réussit à améliorer ses résultats pour finalement accéder à la voie gymnasiale. «Je suis sortie fatiguée de cette période, qui ne m’a pas aidée à gagner en assurance. Il était difficile d’envisager pouvoir prendre confiance en moi. En 2010, alors que je n’avais que 13 ans, ce malaise s’est manifesté par des troubles alimentaires. En quelques mois, j’ai perdu 20 kg.» Luna est alors prise en charge par la Division interdisciplinaire de santé des adolescents (DISA) du CHUV. «Il s’agit du seul endroit où je me suis sentie bien, comprise et entendue. Les ados ont besoin 22
de reconnaissance, mais aussi d’écoute, sans jugement. Beaucoup d’adultes ont tendance à dramatiser la situation, ce qui est à mon sens une mauvaise façon d’aborder un problème avec un adolescent. Au contraire, il faut apprendre aux jeunes à prendre du recul, et aborder les problèmes avec sérénité.» Pour les soins, la jeune femme doit en revanche continuer à se rendre dans des structures pour enfants. «Un épisode m’a marquée lorsque j’avais 16 ans… je me suis rendue dans un hôpital pédiatrique, initialement pour une simple transfusion de potassium. Le personnel soignant a décidé que je devais rester sur place. J’avais beau répéter les consignes de mon médecin traitant, personne ne m’écoutait, ma parole n’avait aucune valeur. Je voulais être considérée comme une adulte, pas comme une enfant. Etre hospitalisée aux côtés de bébés me mettait aussi mal à l’aise, les infirmières parlaient de moi comme de «la grande» et me tutoyaient, comme les autres enfants. Cela ne me plaisait pas.»
La jeune femme voulait aussi pouvoir discuter en toute discrétion de sa situation avec le personnel soignant. «Dans les hôpitaux pédiatriques, les médecins s’adressaient à ma mère, en ma présence. Pourtant, depuis le début de mes problèmes de santé, j’avais tout à fait conscience des enjeux et des risques. Je voulais avoir mon mot à dire.» Aujourd’hui, Luna est en voie de guérison. «Mes plaies cicatrisent doucement… elles étaient profondes.» Malgré ses problèmes de santé, elle a poursuivi sa scolarité jusqu’à aujourd’hui. «J’ai trouvé du soutien auprès de certains profs du gymnase, mais aussi dans la pratique de l’hypnose. Pouvoir m’exprimer à travers l’art, la musique en particulier, m’a aussi aidée à aller de l’avant.» A 18 ans, elle poursuit sa prise en charge au sein de la DISA. «Je suis très attachée à mon médecin traitant, qui m’a suivie, et comprise, pendant toute mon adolescence.»
*PRÉNOM D’EMPRUNT
FOCUS
ADOLESCENTS
lescent doit être stimulé et soutenu par ses pairs durant cette période critique pour la socialisation.»
UNE MEILLEURE COMPRÉHENSION DE L’ADOLESCENT L’adolescence signe le début des grandes pathologies adultes. «80% des maladies psychiatriques adultes émergent à l’adolescence, note Olivier Halfon, pédopsychiatre et directeur du Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Supea). La schizophrénie et les conduites addictives se révèlent souvent durant cette tranche d’âge, mais aussi les troubles bipolaires ou les troubles du comportement alimentaire, avec des conséquences se poursuivant à l’âge adulte. Un enfant peut aller très bien et montrer petit à petit des symptômes d’une telle maladie au moment de la puberté.» Le spécialiste remarque que les recherches en neurobiologie ont bousculé sa vision du développement du cerveau de l’adolescent: «Elles nous ont permis de
Pré-adolescence
DE 10 À 14 ANS
Les premiers signes de la puberté se manifestent: les poils poussent, la peau devient plus grasse, la transpiration plus forte. La taille de la poitrine augmente chez les filles, et les règles commencent. Chez les garçons, c’est la taille des testicules qui augmente et leur voix mue. La capacité de réflexion grandit avec une attention portée davantage sur le présent que sur l’avenir. La réflexion morale s’approfondit. Par ailleurs, les premiers conflits d’identité commencent, tout comme les doutes sur son corps. Le désir d’indépendance et le besoin d’identité, mais aussi les sautes d’humeurs émergent.
23
mieux comprendre les troubles psychiatriques survenant à cette période de la vie.» Les recherches ont montré que les jeunes répondent à un processus hormonal en marche. La puberté affecte leur corps, leur cerveau et de cela découlent des comportements exploratoires qui peuvent les mettre en danger et provoquer des pathologies.
DES BESOINS DIFFÉRENTS On les dit parfois violents, en conflit avec l’autorité et la société, «mais les adolescents ne sont pas contre tout et ne sont pas tout le temps en colère», affirme
Adolescence
DE 15 À 19 ANS
La croissance se stabilise chez les filles, mais continue pour les garçons. La capacité de réflexion s’accroît, l’adolescent parvient à se fixer des objectifs; les doutes naissent sur le sens de l’existence. Progressivement, un nouveau rapport avec le corps et l’apparence physique se construit. Pendant ces années, l’adolescent va parfois ressentir une grande estime de soi. Ce sentiment peut totalement s’inverser à d’autres moments. La distanciation vis-à-vis des parents s’installe. Les spécialistes observent également que l’intérêt pour le sexe commence à se manifester lors de cette tranche de vie. L’adolescent demande plus d’intimité.
Jeunes adultes DE 20 À 24 ANS
A 20 ans environ, les jeunes femmes ont normalement terminé leur croissance, alors que les garçons gagnent encore en poids et en masse musculaire. D’un point de vue cognitif, la capacité d’exprimer des idées clairement s’acquiert pendant ces années. Le jeune adulte est capable de prendre du recul sur les expériences, et présente un besoin de reconnaissance moins important qu’auparavant. L’identité sexuelle est affirmée; la confiance en soi, l’indépendance et un sens de l’altruisme se construisent. Généralement, on remarque aussi la mise en place d’une certaine stabilité émotionnelle.
FOCUS
ADOLESCENTS
LES ADOLESCENTS ET LEURS DROITS Au regard du droit médical, ce sont les droits de l’enfant qui régissent ceux de l’adolescent (mineur). Depuis le début du XXe siècle, les instances juridiques n’ont cessé de réfléchir à l’assouplissement et à l’ouverture de plusieurs règles à leur égard. COMMENT S’ÉVALUE LA CAPACITÉ DE DISCERNEMENT? La capacité de discernement s’évalue dans un cas concret et pour chaque nouvelle situation. C’est le médecin qui juge de la capacité de discernement de son patient. Notion centrale dans les situations où des décisions devront être prises, la capacité de discernement s’évalue selon:
ADOLESCENT MINEUR
INCAPABLE DE DISCERNEMENT
INFOGRAPHIE RÉALISÉE À L’AIDE DE JEANNE-PASCALE SIMON, JURISTE SPÉCIALISTE, UNITÉ DES AFFAIRES JURIDIQUES DU CHUV.
CAPABLE DE DISCERNEMENT Un adolescent jugé capable de discernement, même soumis à l’autorité parentale, a le choix d’accepter ou de refuser un traitement. Il est maître du secret médical.
L’adolescent incapable de discernement est représenté par son représentant légal. C’est lui qui décide mais le jeune est informé et consulté.
Un critère intellectuel L’enfant comprend les enjeux de sa décision. Un critère de volonté L’enfant prend sa décision selon sa libre volonté et maintient son choix.
URGENCES Lorsqu’une intervention est jugée urgente et qu’aucun représentant légal n’est joignable dans un délai raisonnable, le corps médical peut agir sans consentement, dans l’intérêt du patient et selon sa volonté présumée.
CAPABLE DE DISCERNEMENT L’adolescent majeur est présumé capable de discernement.
ADOLESCENT MAJEUR
INCAPABLE DE DISCERNEMENT Si l’adolescent souffre de troubles psychiques ou d’addictions, sa capacité de discernement n’est plus présumée et devra être évaluée.
PARENTS PARENTS
JUSTICE
Les parents sont les représentants légaux. En cas de divorce, la règle est l’autorité parentale conjointe.
Si les parents ne trouvent pas de consentement ou s’ils ne sont pas jugés aptes à représenter leur enfant, celui-ci sera placé sous l’autorité d’un tuteur.
24
Son représentant thérapeutique, un de ses parents ou les deux se prononcent à sa place.
Le corps médical peut prodiguer les soins nécessaires lorsqu’il reçoit le consentement de l’adolescent ou de la personne qui a le droit de le représenter.
ADOLESCENTS
Françoise Narring. La responsable de l’Unité santé jeune aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) souligne la complexité de traiter avec des adolescents et de communiquer avec eux pour bien les comprendre. «Loin de se dévoiler facilement, les jeunes viennent souvent consulter pour un problème physique, comme un mal de tête ou de ventre qui cache en fait un souci plus profond. Il s’agit de savoir leur parler, de poser les bonnes questions et ainsi dépister un adolescent qui se porte plus mal qu’il ne le dit afin d’organiser un suivi.» Les parents, l’école et les médecins de premiers recours (pédiatres et médecins de famille) sont les premiers acteurs de ce dépistage précoce. Les spécialistes des adolescents s’efforcent ainsi de les informer et de les former à la prise en charge des jeunes (voir interview p. 21).
JOHANN PELICHET
FOCUS
«JE SUIS PRÊTE À VIVRE MA VIE D’ADULTE» SARAH, 22 ANS, LAUSANNE
DES CONSULTATIONS SPÉCIFIQUES Le développement d’unités spécialisées dans les hôpitaux telles que la DISA à Lausanne, l’Unité santé jeune à Genève ou encore la Chair of Adolescent Health à l’Université de Melbourne démontre la prise de conscience et la mobilisation en cours pour offrir aux adolescents des structures et des soins qui leur sont dédiés. Ces espaces leur sont essentiels: «Un adolescent ne se sentira pas à l’aise dans une salle d’attente chez son pédiatre, mais il n’est parfois pas encore prêt non plus à être soigné par un médecin pour adultes, explique Franziska Phan-Hug, endocrinologue, pédiatre et médecin responsable au Centre d’endocrinologie et métabolisme du jeune adulte (CEMjA) du CHUV. Initiative lancée en 2013, le CEMjA se développe en tant qu’espace de transition, où se rencontrent médecins pour enfants et pour adultes, spécialisés dans les maladies chroniques et maladies rares, plus spécifiquement les pathologies endocriniennes (troubles de la croissance, syndrome de Turner, variation de la différenciation sexuelle) et les troubles liés au diabète. «On peut penser qu’un enfant qui suit un traitement depuis l’enfance se montrera plus discipliné qu’un autre lors de son passage à travers l’adolescence, et pourtant c’est le contraire. Un jeune qui souffre d’une maladie chronique se rebellera et testera davantage ses limites que les autres.» Acceptation de la maladie, de sa différence, nouvelle prise de conscience des enjeux de sa pathologie (ne pas pouvoir avoir d’enfant pour un trouble lié à la fertilité par exemple): la souffrance d’un adolescent 25
Sarah* vit actuellement une période de transition. «Je suis sur le point de quitter la Division interdisciplinaire pour la santé des adolescents (DISA) du CHUV, qui me suit depuis plus de sept ans.» A 22 ans, la jeune femme se dit prête à être prise en charge par les services pour adultes. «La transition se fait progressivement, en douceur, ce qui me convient très bien. Je pense que ce transfert est même nécessaire. Jusqu’à présent, j’étais très contente d’être suivie par des spécialistes de l’adolescence. Cela m’a beaucoup aidée à surmonter les difficultés rencontrées lors de ces dernières années.» Placée en foyer en 2008, loin de sa famille, Sarah prend rapidement beaucoup de poids. «Je suis passée de 56 kg à 130 kg. J’ai ainsi commencé à souffrir de diabète et d’apnée du sommeil.» Elle passe quelque temps au sein de l’Unité d’hospitalisation psychiatrique pour adolescents (UHPA) du CHUV. «Le personnel est formé à la communication avec les jeunes, j’appréciais beaucoup les échanges avec les infirmiers et infirmières. Et pourtant, ce n’était pas facile d’interagir avec moi! Ado, j’avais une attitude rebelle, de «caïd»… parfois, je n’avais tout simplement pas envie de parler. Cela était respecté. Si j’avais besoin de parler, un adulte était là pour nous. Je parlais librement, sans pression. Cela n’aurait pas été possible avec l’un de mes parents, j’aurais eu trop peur de leurs réactions, de les décevoir.» Grâce à cette prise en charge spécialisée, Sarah a l’impression d’avoir vécu une adolescence «normale». «Nous faisions plein d’activités avec les éducateurs, ils nous emmenaient au bowling, au terrain de sport… et même boire des verres. Ils comblaient le manque affectif créé par l’absence de ma famille.» Depuis quelques mois, Sarah vit seule et apprécie son indépendance. «Je suis prête à vivre ma vie d’adulte. Il ne me reste plus qu’à trouver un apprentissage dans la restauration. Au sein des différents foyers dans lesquels j’ai vécu, j’ai eu l’occasion de cuisiner et j’adore ça!» *PRÉNOM D’EMPRUNT
ADOLESCENTS
JOHANN PELICHET
FOCUS
«TOUS LES ADOS NE DOIVENT PAS ÊTRE PRIS EN CHARGE DE LA MÊME MANIÈRE» LEILA,18 ANS, LAUSANNE
L’adolescence pour Leila? «Une période de transition entre l’enfance et l’âge adulte, lors de laquelle il est nécessaire de gagner progressivement en liberté et en autonomie.» Cette liberté, la jeune fille s’en est sentie privée. «Depuis toute petite, je suis une personne indépendante, je me suis débrouillée seule très jeune… lorsque j’avais 14 ans environ, ma mère a essayé de se rapprocher de moi, de communiquer davantage, mais cela n’a pas fonctionné. J’étais toujours sur la défensive, dès lors notre relation a commencé à se dégrader et à devenir conflictuelle. Parfois, c’était explosif! A 15 ans, je suis partie vivre chez une amie, puis chez mon copain.» Suite à un nouveau gros conflit, les parents décident de faire appel à un pédopsychiatre pour aider la jeune femme à communiquer, tout en gérant ses émotions. Sans succès.
26
Elle séjourne ensuite quelques semaines au sein de l’Unité d’hospitalisation psychiatrique pour adolescents (UHPA) du CHUV. «Je me suis retrouvée avec des jeunes de tout âge, tout type de problème confondu. Nous devions faire les mêmes activités, mais les intérêts, ou les goûts en matière de films par exemple, ne sont pas les mêmes à 12 ou à 16 ans. Certains ados souffraient de troubles alimentaires, nous n’avions donc pas le droit d’avoir de la nourriture dans nos chambres. D’autres avaient des tendances suicidaires, alors certains produits, comme le dissolvant pour vernis à ongles, n’étaient pas tolérés. Dans mon cas, je trouvais toutes ces interdictions inutiles, voire frustrantes. Cette privation de liberté a été très dure pour moi. Tous les ados qui rencontrent des difficultés ne
doivent pas être pris en charge de la même manière.» Leila explique qu’elle avait avant tout besoin d’écoute. «Je pense qu’il faut laisser les ados s’exprimer, et les conseiller, sans leur dire ce qu’ils doivent faire, ni ce qui est «bien» ou «mal». Un ado a besoin de se sentir libre dans ses choix, tout en se sentant soutenu par un adulte.» A 18 ans aujourd’hui, la jeune femme a choisi d’arrêter sa scolarité temporairement pour se consacrer à sa passion, la danse, tout en travaillant pour pouvoir s’autofinancer. «Je me sens une «jeune adulte». Je suis contente de pouvoir faire mes propres choix, mais je ressens encore le besoin d’avoir des conseils, de pouvoir m’exprimer, sans être jugée. Pour l’instant, je n’ai pas trouvé la personne avec laquelle je me sens à l’aise de discuter.»
FOCUS
ADOLESCENTS
atteint d’une maladie chronique s’accentue. D’autant plus que cette dernière peut évoluer et montrer de nouveaux symptômes ou complications. «Les cas d’arrêts de traitement sont fréquents quand ces personnes ne sont pas bien préparées à gérer leur traitement de manière autonome et à se séparer de leur endocrinologue pédiatre», poursuit Franziska Phan-Hug. Mettre sur pied des coconsultations, où l’adolescent est écouté et par son spécialiste pédiatre et par un médecin spécialiste pour adultes est ainsi jugé comme une nécessité dans le milieu médical, avec un suivi personnalisé, amenant l’adolescent à se prendre en charge de manière volontaire.
POURSUIVRE LES EFFORTS Le CEMjA a réalisé 400 consultations l’année de son ouverture au CHUV. Il en dénombre plus de 1’500 aujourd’hui. Un chiffre qui confirme que ces centres spécialisés répondent à une vraie demande. Mais reflètent-ils un état de santé des adolescents qui s’aggrave? «Les jeunes ne sont en aucun cas «pires» qu’hier, estime le pédopsychiatre Laurent Holzer. Les professionnels et le public sont aujourd’hui simplement plus sensibles à leurs problèmes, qui étaient auparavant considérés comme sans conséquence sur leur devenir. Notre devoir est désormais de continuer à repérer ceux qui présentent des signes précoces de pathologies psychiatriques et de renforcer leur prise en charge.» Un travail démarré il y a dix ans par des équipes «mobiles» au CHUV, telles que l’Equipe mobile adolescents (EMA) qui intervient auprès des jeunes (13-18 ans) du canton de Vaud qui refusent les soins ou échappent à un suivi ambulatoire et propose un soutien dans leur lieu de vie (à domicile, ou en foyer par exemple). De nouveaux chiffres brisent aussi un cliché: leur consommation en substances psychoactives comme le cannabis est en nette diminution depuis dix ans. Chercheuse à l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive à Lausanne (IUMSP), Sonia Lucia a récemment mené, en équipe, une enquête populationnelle sur la victimisation et la délinquance chez les jeunes dans le canton de Vaud (2014). Les résultats, publiés 27
cette année, parlent d’eux-mêmes: le taux de jeunes consommant de l’alcool entre 14 et 16 ans, sur une fréquence hebdomadaire, est passé de 18 à 7% en dix ans, ceux consommant du tabac de 18 à 14% et du cannabis de 9 à 5%. «Il reste beaucoup à faire pour améliorer encore cette médecine spécifique aux adolescents, souligne Susan Sawyer, directrice de la Chair of Adolescent Health à l’Université de Melbourne: poursuivre nos recherches sur les adolescents, les efforts engagés dans le développement de structures appropriées, établir des modèles de prise en charge mais aussi promouvoir l’expertise chez les soignants de l’approche aux adolescents.» /
Puberté: de plus en plus tôt «Les scientifiques ont observé une baisse drastique de l’âge moyen de la puberté, passant de 17 à 12 ans, en moins de deux siècles», indique Susan Sawyer, directrice de la Chair of Adolescent Health de l’Université de Melbourne. Le phénomène, aujourd’hui stable, a été particulièrement observé chez les filles, par l’apparition des règles, bien que le premier signe de puberté chez elles soit le développement des seins et l’augmentation de la taille testiculaire chez les garçons. Les raisons de cette évolution? «Elles sont, d’une part, liées à des facteurs positifs et montreraient que l’on a une meilleure hygiène et une meilleure nutrition qu’auparavant, explique Susan Sawyer. Et, d’autre part, à une cause négative, qui serait liée à l’influence de l’environnement notamment par la présence en augmentation de perturbateurs endocriniens, que ce soit dans les produits cosmétiques, de nettoyage ou les emballages alimentaires.» Ces derniers peuvent directement interférer sur notre système hormonal.
FOCUS
PROPOS RECUEILLIS PAR
CÉLINE BILARDO
ADOLESCENTS
INTERVIEW «L’ADOLESCENCE N’EST PAS UNE MALADIE»
Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université Paris-Descartes, Philippe Jeammet décrypte le rôle clé que jouent les parents dans le développement de leur progéniture.
Quelle est votre définition de l’adolescence? in vivo
Elle est une réponse de la société à un phénomène physiologique qu’est la puberté. L’adolescence n’est pas un phénomène nouveau, mais la manière dont on y répond est nouvelle. On est loin des rites de passage des sociétés traditionnelles que nous avions dans notre enfance, où il y avait une coupure, comme sur le plan religieux, du passage de la fin de scolarité du primaire au secondaire, des mœurs au niveau des sorties, de ce que l’on autorisait aux garçons ou aux filles. Le cadre a énormément bougé. philippe jeammet
La notion de liberté ressort beaucoup dans vos différents ouvrages, notamment celle laissée par les parents aujourd’hui. Pourquoi? iv
Cela me paraît tout à fait fondamental et peut-être même plus dans la tête des parents que des adolescents. Il faut bien comprendre que la liberté n’est pas l’absence de règles. Ce sont d’autres règles et qui surtout s’expriment autrement qu’autrefois. Je crois que l’on a remplacé l’autorité verticale de la Biographie société du milieu du Professeur émérite de XXe siècle, où l’autorité psychiatrie de l’enfant des adultes était beauet de l’adolescent à coup plus importante. l’Université ParisAujourd’hui, les ados Descartes, le pédopsypeuvent se permettre de chiatre et psychanalyste parler aux adultes comme français est également président de l’école jamais on l’aurait fait des parents et des autrefois. Mais cela ne éducateurs d’Ile-detraduit pas un manque de France (EPE-IDF). Il respect, c’est simplement accueille, écoute et que le rapport d’autorité conseille des patients hiérarchique a changé. adolescents depuis Beaucoup de parents se 1968. Philippe Jeammet sentent dépassés et se est l’auteur de plusieurs disent que si ce n’est pas ouvrages sur les adolescents. ce qu’ils ont connu, alors pj
28
cela ne va pas. Il existe pourtant une autre forme d’autorité, plus horizontale mais aussi plus fatigante pour les parents. Celle de pouvoir légitimer ses décisions: pourquoi fait-on acte d’autorité? On ne peut plus l’imposer, dire que c’est comme ça et que l’on doit faire comme ça. Il faut dire: «voilà pourquoi je ne suis pas d’accord». Cela oblige les adultes à s’expliquer, mais il est aussi nécessaire qu’ils sachent quoi répondre. Les problèmes actuels sont aussi liés au désarroi des parents.
Quel est l’impact de ce désarroi sur les adolescents? iv
Ce désarroi des adultes va devenir un facteur d’anxiété pour les plus jeunes. Et rien n’est plus contagieux que l’anxiété. pj
De nombreuses maladies mentales se révèlent durant l’adolescence, pourquoi? iv
Les maladies mentales qui naissent souvent à l’adolescence, telles que la schizophrénie, les troubles de l’humeur ou l’anorexie ont toutes un point commun: l’enfermement comme réponse à la peur, courante durant cette période de vie. pj
Mais l’adolescence n’est pas une maladie, c’est un état normal! La majorité va bien. C’est par contre un révélateur de ce qui demeure en nous de manque de confiance, d’incertitude, car au moment de l’adolescence, cette mutation du corps et de l’accès à la sexualité adulte va obliger l’adolescent à prendre une distance par rapport aux parents et réussir à percevoir ce qui est en lui, ce qu’il a dans le ventre, dans la tête, se mettre à l’épreuve de ses ressources. Elle offre un moyen, à travers les plus fragiles, de voir sur quelques années comment quelqu’un qui avait une enfance tranquille, face à cette tâche de devoir s’approprier ce qu’il a reçu de ses parents, agir en son nom propre, avoir un sentiment de solitude, peut paniquer et développer des peurs importantes
qui vont l’obliger, biologiquement, à réagir activement pour se protéger et protéger son équilibre psychique. iv
Que risque l’adolescent?
Tous ces troubles dits psychiatriques vont l’enfermer dans un des trois domaines qui sont nécessaires à l’épanouissement de la personnalité, c’est-à-dire prendre soin de son corps, développer ses compétences scolaires et développer la sociabilité. L’adolescent fragilisé va se fermer dans un de ces trois modes d’échange, quelquefois les trois. En se fermant, il va retrouver une maîtrise qui le rassure. «Ça ne m’intéresse pas d’aller à l’école, cette vie sociale ne m’intéresse pas, je suis un rebelle.» Sur le moment, ça le protège parce que ça lui donne du sens et il redevient maître de lui. Sauf que ça va le couper des échanges valorisants qu’il pourrait avoir. Il est prisonnier de ses comportements et plus il est prisonnier, plus il lui est difficile d’aller vers les autres et plus il s’enferme. C’est un cercle vicieux pathogène. pj
Quelle est la place des parents dans le suivi médical d’un ado? iv
ADOLESCENTS
Le pédopsychiatre Philippe Jeammet s’intéresse depuis plus de 40 ans aux sentiments, tels que la peur et la solitude, qui peuvent se révéler dévastateurs chez les adolescents.
THOMAS LOUAPRE
FOCUS
une maladie comme les autres, mais une fragilité émotionnelle qui va rendre difficiles les rapports de coconstruction avec l’entourage.
Il vaut mieux parfois mettre un temps de coupure avec les parents, pas parce que les parents sont mauvais mais parce que la relation iv Quelle serait la meilleure attitude est trop chargée d’émotion. Dans le des parents face à un adolescent A lire cas de l’anorexie mentale par exemple, «Grandir en temps qui semble perdu? de crise», Bayard quand l’enfant mange, le parent peut pj C’est qu’ils puissent dire «attendez, Jeunesse, 2014 se sentir soulagé alors que son enfant il ne faut pas s’enfermer, il faut qu’on «Adolescences», est toujours angoissé. Il faut couper puisse en parler». Eventuellement avec La Découverte, 2012 pendant un moment cette relation de un tiers, et se dire «qu’est-ce qu’on «Anorexie, boulimie: tension et d’emprise mutuelle. Il faut veut, quel but, que l’on garde de l’attenles paradoxes de que les parents comprennent que ces tion envers l’autre, de la considération.» l’adolescence», comportements ne sont pas choiPouvoir prendre du recul et trouver Fayard, 2011 sis, ils ne sont pas là pour embêter, comment faire évoluer ce lien avec pour provoquer ou encore s’opposer. l’enfant. Pour ça, il faut en parler et L’enfant se comporte ainsi pour avoir l’impression pouvoir apprendre à mobiliser ses émotions et ne de maîtriser sa situation alors qu’il est en détresse. pas s’enfermer. C’est ce message qu’il faut porter. Il y a toute une conception qu’il faut changer de La maladie c’est la rigidification d’un malentendu la maladie mentale. Elle n’est pas une faiblesse, ni qui pourrait évoluer de manière tout autre. ⁄ pj
29
MENS SANA
PETER ASH LEE / ART + COMMERCE
«Quand un consommateur n’a aucune autre source de plaisir dans sa vie, il se shoote parce qu’il ne peut rien faire d’autre. Par contre, si une personne a des alternatives intéressantes, comme travailler et gagner de l’argent ou gagner le respect de ses pairs d’une manière ou d’une autre, cette personne restera sobre.» CARL HART
30
MENS SANA
INTERVIEW
CARL HART Le chercheur américain s’est fait connaître en questionnant de nombreux présupposés liés aux addictions. Installé temporairement à Genève, il prépare un deuxième ouvrage. INTERVIEW: CLÉMENT BÜRGE
«La politique suisse en matière de drogue m’inspire» Carl Hart n’est pas un chercheur traditionnel: aujourd’hui âgé Carl Hart habite temporairement à Genève. de 49 ans, il a passé sa jeunesse dans un quartier défavorisé Il y travaille sur son prochain livre, qui sera de Miami, où il a consommé et vendu de la drogue. «Je suis en partie inspiré par la politique de la drogue l’opposé du cliché du chercheur blanc issu d’une famille helvétique. riche», dit-il en riant. Il est le premier professeur d’origine afro-américaine titulaire en sciences de l’Université CoIV L’évocation dans votre livre de vos prolumbia, où il mène des projets de recherche sur l’impact blèmes de jeunesse aurait pu nuire à votre cardes drogues sur le comportement humain. rière. Pourquoi en avoir parlé? CARL HART Je voulais que les gens sachent que je ne suis pas un cliché Sa pensée, décrite dans son livre High Price*, suscite de scientifique blanc et riche. Mais, surtout – et c’est l’ire des politiciens conservateurs, qui la jugent prol’un des objectifs de mon livre – je voulais aussi insvocatrice et infondée. Des membres de la commupirer la jeunesse afro-américaine et lui donner de nauté scientifique se sont exprimés pour soutenir l’espoir: même si on commet des erreurs, nous ne son approche et rappeler que ses opinions reposent sommes pas condamnés à ne rien faire de notre vie. sur des recherches pertinentes et des données soOn peut toujours réussir et avoir un bon travail. Tout le lides. «Les arguments de Carl Hart sont convainmonde a le droit d’avoir une vie mouvementée et de se cants», assure dans le New York Times Craig R. rattraper par la suite. Mon parcours l’illustre. Rush, psychologue à l’Université du Kentucky spécialisé dans les comportements liés à la IV Parlez-nous de la fameuse expérience Rat Park, consommation de drogues. «Je soutiens l’opiréalisée dans les années 1970, que vous décrivez dans nion de Carl Hart, ajoute David Nutt, profesvotre livre. CH Lors de cette expérience, certains rats seur de neuropsychopharmacologie à l’Impevivaient dans un environnement social riche et excitant, rial College London. Le facteur social doit tandis que d’autres rats étaient solitaires et devaient habitoujours être considéré lorsque l’on parle de ter dans des cages sinistres. Et les deux groupes de rats dépendance, d’autant plus dans les sociétés pouvaient choisir de s’auto-administrer de la morphine. Le défavorisées ou qui n’ont pas la possibilité résultat? Les rats qui vivaient dans le milieu excitant prede s’épanouir.» naient bien moins de morphine que leurs tristes comparses.
31
MENS SANA
INTERVIEW
IV Vous avez reconstitué cette expérience avec des humains.
Pouvez-vous décrire ce que vous avez fait et comment? CH Nous avons recruté des personnes dépendantes et leur avons donné du crack le matin. Puis, au cours de la journée, nous leur avons proposé soit de reprendre du crack soit de gagner 5 dollars. Et nous changions la dose de crack que nous proposions, celle-ci était parfois plus élevée, parfois plus petite. IV Qu’avez-vous découvert? CH Nous avons constaté que la
décision de prendre de la drogue était tout à fait rationnelle et ne répondait pas seulement à une logique de dépendance. Quand la dose de crack offerte était minime, le participant choisissait de prendre l’argent à la place. Quand elle était grande, il prenait le crack. Quand une alternative intéressante s’offre à un toxicomane, il prend des décisions rationnelles.
ment addictif qu’une seule prise suffit à vous en rendre dépendant. Idem avec l’héroïne: une unique injection, et voilà, vous devenez toxicomane.
«LES ÊTRES HUMAINS VONT TOUJOURS CONSOMMER DES DROGUES, QU’IMPORTE LES LOIS ET AUTRES INTERDICTIONS MISES EN PLACE.»
IV Ce qui est faux? CH 80 à 90% des gens qui Votre recherche va à l’encontre du discours habiconsomment des drogues illégales ne sont pas toxituel sur la drogue. D’où vient ce décalage? CH Le comanes. La grande majorité sont des personnes principal problème a trait à une question de percepresponsables. Ils ont un job, ils paient des impôts, tion, qui a contaminé toute la communauté scientiils s’occupent de leur famille. fique: lorsque nous, les chercheurs, entamons un projet de recherche, nous avons tendance à percevoir les IV Vous réfutez aussi l’idée que les gens qui drogues comme quelque chose de négatif, de diaboprennent de la drogue ont plus de chances de lique presque. Seuls les impacts nocifs des drogues tomber dans la criminalité. CH Le public mélange ont été étudiés et décrits. Or, en tant que scientiprise de drogue et crime. Pourtant, il est prouvé que fique, nous nous devions d’avoir une compréhension les effets pharmacologiques des drogues ne poussent en profondeur d’un sujet et de l’aborder pas les gens à devenir des criminels. On sous plusieurs angles. peut comparer l’impact des drogues dures BIOGRAPHIE à celui de l’alcool: nous savons tous qu’une Carl Hart est un IV Quels seraient les aspects positifs des personne ivre peut être turbulente, mais la leader en matière drogues? CH Les effets positifs sont mulgrande majorité des gens ne le sont pas. de recherche tiples: chez certaines personnes, les drogues sur l’impact des Nous avons donné des milliers de doses de facilitent les interactions sociales, amé- drogues sur le crack à des sujets en laboratoire et cela n’a liorent les performances sexuelles et les comportement jamais provoqué un seul comportement humain. Né en capacités cognitives. Les êtres humains vont violent. Le fait qu’une personne devienne 1966 dans un toujours consommer des drogues, qu’im- quartier défavoagressive ou commette un crime n’a donc porte les lois et autres interdictions mises risé de Miami, rien à voir avec la drogue en soi. en place. Nous nous devons d’analyser les il intègre les forces aériennes différents aspects de l’impact des drogues IV On entend souvent dire que la drogue américaines à sur le corps humain. rend les gens oisifs. Qu’en pensez-vous? l’âge de 18 ans. Quatre ans plus CH Le mythe veut que les drogues aient un tard, il entreIV Quelles sont, selon vous, les idées erroimpact sur les performances cognitives d’un prend des études nées qui existent autour de l’addiction? individu, que la drogue empêche les gens de scientifiques à CH Il y a tellement d’idées reçues. La pludevenir des membres productifs de notre l’Université du part des gens pensent que le crack est telle- Maryland. En société et détruise des familles. Mais la IV
2013, il publie le livre High Price: A Neuroscientist’s Journey of Self-Discovery That Challenges Everything You Know About Drugs and Society.
32
MENS SANA
INTERVIEW
simple prise de drogue ne peut pas être la IV La drogue provoque néanmoins des dégâts. S’ils ne sont source de ces maux. Ces difficultés sont caupas dus à la nature de la substance elle-même, comment sées plutôt par la situation personnelle d’un les expliquer? CH Les politiques publiques en matière de individu. Est-il pauvre? Vit-il dans un quardrogue ont fait énormément de tort. La criminalisation de la tier à risque? Va-t-il à l’école? Est-ce qu’il drogue est une énorme erreur. Il y a tellement d’exemples de travaille? Il faut prendre en compte toute une la toxicité de ces politiques. Par exemple, aujourd’hui, série de facteurs. quand on arrête une personne qui consomme de la drogue, elle peut en garder une trace dans son casier judiciaire penIV Vous dites que c’est l’environnement et dant des années, cela l’empêche d’obtenir un job et de renon la drogue qui a un impact sur le partourner sur le droit chemin. cours d’un individu? CH C’est une équation très simple à réaliser: la drogue provoque un IV Que faire pour améliorer la situation? CH Il faut déeffet d’euphorie, ce qui constitue un renforcecriminaliser la drogue, il ne faut plus arrêter et emprisonment positif. Quand un consommateur n’a auner les consommateurs de drogue. Au lieu de traquer les cune autre source de plaisir dans sa vie, pourquoi consommateurs, la police devrait plutôt s’assurer que les ne pas prendre de la drogue? Il continuera à se drogues vendues ne soient pas toxiques et que la drogue shooter parce qu’il ne peut rien faire ne soit pas coupée avec des produits danÀ LIRE d’autre. Par contre, si une personne a des *“High Price: A Neurosgereux. Il faudrait aussi mieux éduquer alternatives intéressantes, comme travail- cientist’s Journey of Selfles jeunes, comme on le fait avec l’alcool. ler et gagner de l’argent ou gagner le res- Discovery That Challenges Everything You Know pect de ses pairs d’une manière ou d’une About Drugs and Society”, IV Que pensez-vous de la politique suisse Ed. Harper, 2013. autre, cette personne restera sobre. en matière de drogue? CH La Suisse est “Is Cognitive Functioning admirable sur plusieurs plans. C’est princiImpaired in MethampheIV Lors de vos expériences, vous injectez palement le ton du débat qui m’imprestamine Users? A Critical des drogues à vos participants, ce qui Review”, 2011, Nature. sionne. On aborde les questions liées à la est inhabituel. Pourquoi ne pas se “Acute Physiological and drogue de manière pragmatique et les procontenter de travailler avec des rats? Behavioral Effects of Intra- grammes de soutien aux héroïnomanes sont nasal Methamphetamine CH C’est mon mentor Marian Fischman fantastiques. Donner de la drogue aux toxiin Humans”, 2007, Nature. qui a commencé à mener ce genre d’expécomanes comme forme de traitement est À VOIR rience à l’Université Columbia dans les “Let’s une approche intelligente qui fonctionne. quit abusing années 1980. Elle voulait savoir comment drug users”, Aux Etats-Unis, on n’oserait même pas les humains réagissent quand on leur TED Conference, 2014. mentionner cette idée. Toute question liée à donne de la drogue, ce qui n’avait encore Lien vers les articles la drogue est traitée au travers d’un prisme et la vidéo sur jamais été fait dans un contexte de labora- www.invivomagazine.com idéologique qui diabolise la drogue. Cela toire. Le grand avantage de travailler avec nous empêche de réfléchir correctement. des humains est qu’on peut leur poser des questions. On peut ainsi comprendre toute la complexité de leurs déciIV Vous vous trouvez maintenant à Genève où sions et réactions. vous travaillez sur votre nouveau livre. Pourquoi avoir choisi la Suisse pour lancer ce IV Mais cette méthode est-elle éthique? CH C’est effectivenouveau projet? CH La Suisse a une approche ment une question très sensible. Nous faisons attention à intéressante face à la drogue. Cela m’aide à ne pas donner de la drogue à des gens qui n’en avaient jaenlever les œillères que je suis forcé de porter mais pris. En même temps, ne pas faire d’études sur les aux Etats-Unis. Mon nouveau livre va essayer humains ne serait pas non plus éthique. Tous nos traitede saisir la question de la drogue de manière ments et nos lois seraient uniquement basés sur des constats différente. Etre à Genève me permet de libéempiriques et des observations réalisées sur des rats. rer mon esprit. ⁄
33
MENS SANA
INNOVATION
Des médicaments venus du ciel Chercheurs et humanitaires s’intéressent aux drones pour aider les patients et les victimes de catastrophes. Mais des obstacles techniques et législatifs restent à surmonter.
L
Thévoz, cofondateur de Flyability, une société lausannoise issue du Pôle de recherche national en robotique de l’EPFL, récemment classée parmi les trois meilleures start-up suisses par Venturelab. Il en est né un drone incroyablement souple et agile, capable de se glisser dans les environnements les plus hostiles et exigus.»
e drone ressemble à une grosse mouche métallique, entourée d’une cage circulaire. Lorsque l’appareil se met en vol, la cage agit comme une coque protectrice. Il peut se cogner contre les obstacles sans dommage. «Nous avons passé des centaines d’heures à observer des insectes voler pour comprendre comment ils font pour rester stables après une collision, détaille Patrick
34
Cela en fait un partenaire idéal pour les sauveteurs, lorsqu’il s’agit de retrouver des victimes coincées sous un immeuble effondré après un tremblement de terre, pris au piège dans un bâtiment en feu ou surpris par une tempête en haute montagne. «Les robots roulants utilisés actuellement sont souvent bloqués par des débris au sol, note l’entrepreneur. On l’a vu à Fukushima, où ils ne sont pas par-
TEXTE: JULIE ZAUGG
venus à pénétrer dans la centrale nucléaire endommagée.» Matternet, une start-up californienne, a pour sa part créé des drones capables d’amener des médicaments et des biens de première nécessité (eau, rations alimentaires) aux victimes de catastrophes naturelles. Elle les a testés en Haïti suite au tremblement de terre de 2010 et au Bhoutan, pays choisi en raison du mauvais état de ses routes, et donc idéal pour tester les drones. Terre des Hommes aussi s’est servi de drones en Haïti, après le passage de l’ouragan Sandy en 2012. «Certaines maisons avaient été emportées sur 15 kilomètres par une rivière, relève Frédéric Moine, conseiller en systèmes d’infor-
MENS SANA
INNOVATION
1.
FLYABILITY, JP5\ZOB/WENN.COM / NEWSCOM
2. mation auprès de l’ONG. Un drone équipé d’une caméra nous a permis de constater l’ampleur des dégâts.» La comparaison de ces images avec celles réalisées avant la catastrophe par OpenStreetMap, une initiative citoyenne de cartographie participative qui a pour but de créer une carte du monde en libre accès grâce aux
35
DOTÉ D’UNE CARAPACE EN CARBONE, LE DRONE DE LA START-UP LAUSANNOISE FLYABILITY EST CAPABLE DE REPRENDRE SON VOL APRÈS S’ÊTRE HEURTÉ À UN MUR OU À UN OBSTACLE.
LE «DRONE-AMBULANCE» DU CHERCHEUR NÉERLANDAIS ALEC MOMONT INTERVIENT AUPRÈS DE PERSONNES VICTIMES DE MALAISES CARDIAQUES. VOIR VIDÉO SUR WWW.INVIVOMAGAZINE.COM.
inputs des communautés locales, a permis de guider les efforts de reconstruction. Medair, une autre agence humanitaire, en a fait un usage similaire grâce au soutien de la Chaîne du Bonheur suite au typhon Haiyan, qui a ravagé les Philippines en 2013. D’autres ONG s’en servent
pour surveiller les mouvements de réfugiés ou pour repérer si des mines antipersonnel ont migré suite à un glissement de terrain. AMBULANCE VOLANTE
L’humanitaire n’est pas la seule application possible. Alec Momont, un chercheur de l’Université de Delft, aux Pays-Bas, a
MENS SANA
imaginé un appareil qui pourrait servir d’ambulance volante. Equipé d’une boîte contenant un défibrillateur, un tourniquet et quelques autres outils de premier secours, il peut atteindre un patient en l’espace d’une minute dans un rayon de 12 km2, contre dix minutes en moyenne pour une ambulance classique. Le drone s’oriente grâce à un GPS qui se connecte au téléphone portable de celui qui a appelé les urgences. Et une fois arrivé sur le site de l’accident, il permet à un soignant de poser un diagnostic à distance et de guider les gestes de secours par le biais d’une caméra fixée sur le drone. «Cela permet de faire passer les chances de survie d’un patient en arrêt cardiaque de 8 à 80%», selon Alex Momont. Cornelius Thiels, médecin et chercheur à la clinique Mayo, dans le Minnesota, a une autre idée en tête. «Beaucoup d’hôpitaux ne parviennent pas à stocker suffisamment de produits sanguins. Un seul patient nécessitant une transfusion massive peut épuiser leurs réserves.» Résultat, ils doivent transférer le malade vers un autre hôpital ou se faire livrer du sang par la route ou par les airs. Outre son coût, une telle opération représente un risque pour le personnel de santé – chaque année, 40 soignants décèdent au cours de ce genre de transferts – et le véhicule peut rester coincé dans le trafic, mettant en danger la vie du patient.
36
INNOVATION
Ces engins pourraient servir aussi à acheminer des échantillons de laboratoire ou des médicaments aux patients vivant dans des zones reculées. «Les traitements à base de narcotiques pourraient être livrés sous forme de dose quotidienne, plutôt que mensuelle, ce qui minimiserait les risques de dépendance», ajoute le médecin. A terme, ces appareils pourraient même transporter des organes. «Cela permettrait de coordonner l’offre et la demande de façon plus flexible, et donc de réduire le temps d’attente chez les patients nécessitant une transplantation.» DRONES DE RECHERCHE
La recherche médicale a elle aussi commencé à s’appuyer sur les drones. Project Premonition, une initiative américaine qui a pour but d’identifier de nouveaux virus en décodant leur génome, s’en sert pour capturer des moustiques et accéder aux échantillons de sang animal ou humain qu’ils contiennent. «Je chasse les moustiques depuis vingt ans et jusqu’ici, cela impliquait de poser des pièges en pleine nature à pied ou en camion, soupire Douglas Norris, microbiologiste à l’Université John Hopkins, qui participe au projet. Une équipe de scientifiques pouvait en poser 8 à 12 par jour au maximum.» Project Premonition veut désormais confier cette tâche à un drone. «Il peut voler en ligne droite, sans devoir contourner des obstacles, et peut travailler jour et nuit», se réjouit le scientifique. Il pense qu’un seul de ces engins pourrait remplacer une équipe entière de poseurs de pièges.
Malgré leur potentiel, les drones ont encore du chemin à parcourir. L’appareil moyen ne peut porter plus de 2 ou 3 kilos et ne peut rester en l’air que durant une heure. Cela restreint son rayon d’action à 90 km2 au maximum. «Si on leur fait transporter des médicaments ou des échantillons de laboratoire, il faut en outre s’assurer qu’ils ne soient pas exposés à la chaleur ou à l’humidité en cours de vol», note Cornelius Thiels. De nombreux pays ont aussi des lois restreignant l’usage de leur espace aérien par des drones. «Chaque Etat a ses propres règles, relève Patrick Thévoz, de Flyability. En Suisse, les drones ne peuvent pas voler à moins de 5 km d’un aéroport, au-delà d’une certaine altitude et audessus d’une foule.» En France, il faut déposer ses plans de vol auprès des autorités et obtenir une homologation. «Mais une loi est en préparation, sur le plan européen, pour uniformiser tout cela», ajoute-t-il. L’usage de ces appareils volants soulève en outre certaines questions en lien avec la protection de la vie privée. Si on les déploie pour surveiller des réfugiés avec une résolution de 4 cm au sol, leur visage devient tout à fait reconnaissable. De même, si les médicaments envoyés au domicile d’un patient sont interceptés par un voisin par exemple, celuici aurait des informations sur son état de santé. L’envol des drones doit donc encore surmonter plusieurs obstacles. ⁄
MENS SANA
TENDANCE
LES INTERNAUTES, DE GÉNÉREUX DONATEURS Le financement participatif, ou crowdfunding, a déjà permis la publication d’ouvrages, de disques ou la réalisation de projets artistiques. C’est désormais le milieu de la santé qui y fait appel.
TEXTE: CATHERINE COCHARD ILLUSTRATION: TANG YAU HOONG
37
MENS SANA
TENDANCE
A
ujourd’hui, il est difficile d’échapper aux sollicitations en matière de crowdfunding. Qu’il s’agisse de soutenir un film, un livre ou un album de musique, les incitations à contribuer financièrement à la création d’un projet se multiplient. Un jeune Britannique a même lancé en juin dernier un appel à ce type de subventions pour aider le gouvernement grec, à hauteur de 1,5 milliard d’euros, à rembourser sa dette au Fonds monétaire international. Si dans ce dernier cas la démarche n’a pas abouti, plusieurs recherches scientifiques ont pu ainsi être menées à bien. Il existe même des plateformes dédiées à la santé comme Wellfundr et FutSci. Les exemples de recherches médicales financées par ce biais ne manquent pas. On peut citer notamment David Hawkes, du Florey Institute of Neuroscience and
38
LA LÉGISLATION EN LA MATIÈRE En Suisse, les contraintes légales liées à ces levées de fonds relèvent de la législation existante sur les marchés financiers. Elles s’imposent aux sociétés bénéficiaires, soit aux exploitants des plateformes de crowdfunding. «La Suisse connaît la règle dite de «10/20», selon laquelle toute société suisse qui bénéficie de crédits accordés par plus de 20 établissements autres que des banques est considérée comme une banque par le droit de l’impôt anticipé», explique Damien Conus, avocat et enseignant à la Haute école de gestion à Genève. Autre cas de figure: l’obligation pour l’exploitant d’une plateforme de financement participatif de remplir les devoirs de diligence d’un intermédiaire financier liés à la législation sur le blanchiment d’argent – vérifier l’origine de l’argent notamment – ou d’obtenir une autorisation d’exercer, liée à la législation sur les banques, selon le contrôle qu’il exerce sur les fonds circulants.
Mental Health en Australie, qui est parvenu à récolter par le biais du site Pozible quelque 12’000 dollars australiens pour son projet de recherche sur l’usage de vecteurs viraux pour soigner les désordres neurologiques. Ou Michael Pollastri de la Northeastern University aux Etats-Unis qui a réuni 25’000 dollars pour son projet sur les maladies tropicales par le biais de la plateforme Experiment. En mai dernier, la société grenobloise Ecrins Therapeutics a levé 555’000 francs sur Crowd Avenue pour développer un nouveau médicament contre le cancer. Parmi les réussites en la matière, évoquons aussi Embrace, le bracelet connecté qui permet de prévenir les proches en cas de crises d’épilepsie mis au point par la start-up italienne Empatica.
«L’AVENIR DE LA RECHERCHE MÉDICALE PASSE PAR LA LEVÉE DE FONDS PRIVÉS.» PHILIPPE RYVLIN, NEUROLOGUE
L’idée de lever des fonds par le biais d’Internet en percevant de petites sommes auprès d’un nombre élevé de personnes remonte à la fin des années 1990 lorsque les premiers sites de crowdfunding ont vu le jour. Le modèle de ces plateformes demeure le même: l’initiateur fixe au préalable la somme dont il a besoin. Il ne touchera l’argent que s’il parvient à en récolter la totalité. Ces dernières années, le financement participatif n’a cessé de se développer.
MENS SANA
TENDANCE
Une étude menée par la Judge Business School de l’Université de Cambridge a démontré que près de 3 milliards d’euros ont été recueillis par les plateformes de crowdfunding européennes en 2014, tous domaines confondus. Cela correspond à une hausse de 144% sur un an (1,21 milliard en 2013). En 2015, le financement participatif européen pourrait dépasser les 7 milliards d’euros, toujours selon ces experts. Le succès de la finance participative serait tel que ces cinq prochaines années, selon une étude publiée en avril dernier par Goldman Sachs, les grandes banques américaines pourraient perdre 11 milliards de dollars de profits annuels en raison des sommes placées sur des plateformes comme Kickstarter ou Indiegogo plutôt que chez elles. Si les chercheurs s’en remettent à ce genre de financement c’est parce qu’il est toujours plus difficile de trouver des fonds pour financer la recherche scientifique. «L’avenir de la recherche médicale passe par la levée de fonds privés», explique Philippe Ryvlin, le chef du Département de neurosciences cliniques au CHUV. Le professeur en sait quelque chose: pendant des années, il a travaillé à lever plusieurs millions de francs auprès de grands et petits donateurs privés pour que l’Institut des épilepsies voie le jour, à Lyon. Ce qui sera chose faite d’ici à la fin de l’année. Cette recherche intense l’a convaincu que le milieu de la recherche devait adapter sa manière de penser le financement. «En s’adressant à un public large, le crowdfunding est cohérent avec l’évolution de la société. Il est ainsi possible d’établir un meilleur équilibre entre les attentes des usagers en matière de recherche médicale et les sommes qu’ils sont prêts à engager pour ça.»
39
FINANCER UN TRAITEMENT Il n’y a pas que la recherche qui fasse appel au financement participatif. Dans les pays où les traitements médicaux ne sont pas couverts par les assurances sociales, certains malades font appel à la solidarité des internautes pour pouvoir payer leurs soins médicaux. GoFundMe fait partie des plateformes plébiscitées pour tenter de lever les fonds nécessaires. Sur la partie du site intitulée «Success stories», le visiteur peut voir un aperçu des financements participatifs les plus probants. On découvre ainsi le visage d’Aex Haas, brûlé au troisième degré, qui, grâce à la campagne menée par sa famille et ses proches, a pu recevoir les soins adéquats. Ou celui de la jeune Kiersten Yow, mordue par un requin à la jambe et au bras gauche, qui a pu – grâce au financement participatif – être soignée. Elle poursuit aujourd’hui la rééducation qui devrait lui permettre de retrouver l’usage de son membre inférieur.
Philippe Ryvlin admet qu’il y a encore peu de temps les chercheurs en médecine ne se souciaient pas nécessairement de ce que le public pensait de leur recherche. «Aujourd’hui, on se doit d’être plus proche du grand public et de ses attentes vis-à-vis d’un domaine qui souvent le passionne! On doit, d’une part, rendre des comptes auprès du contribuable dont les impôts financent en partie la recherche, mais aussi engager la société en général dans notre réflexion et notre démarche.» Il s’agit non seulement d’obtenir des fonds mais surtout de convaincre le public de l’importance de la recherche à mener. Outre-Atlantique, certains contradicteurs craignent que le crowdfunding appliqué à la recherche scientifique ne fonctionne que pour les projets les plus «sexy», ce que les Américains appellent «pandabear science» (la science de panda), le mammifère blanc et noir ayant un capital sympathie très élevé. «Tout changement s’associe à de potentiels effets pervers, reprend Philippe Ryvlin. C’est un risque à courir, nous n’avons pas le choix! De plus, en Suisse, un pays adepte de votations, il serait paradoxal de douter du grand public pour ce qui concerne le financement de la recherche scientifique. Le financement participatif est une forme d’exercice démocratique.» ⁄
MENS SANA
DÉCRYPTAGE
CES VACCINS QUI FONT PEUR TEXTE JULIE ZAUGG
Des parents, rejoints par une partie du corps médical, s’inquiètent des effets des substances inoculées à leurs enfants pour les immuniser contre la maladie. Les spécialistes rassurent. ela commence Elle est aussitôt rejointe par un autre par une question internaute, qui poste un lien vers une innocente, postée marche de soutien en faveur de Stacy, sur le forum de un bébé belge décédé d’une méningite discussion en à méningocoque dix jours après avoir ligne Doctissimo: reçu un vaccin. Un peu plus loin sur «Bonjour, je viens la Toile, l’activiste Alvin Jackson se chercher des infos déchaîne sur YouTube, comparant concernant la l’obligation de vacciner ses enfants vaccination des bébés. Je suis maman à un génocide. d’une petite fille de 4 mois que je n’ai pas encore «L’immense majorité LES VACCINS fait vacciner car j’ai lu des parents est en faveur LES PLUS beaucoup d’articles et de la vaccination, mais CONTROVERSÉS de livres sur les méfaits une petite minorité, très des vaccins (cancers à active dans les médias long terme, problèmes et en ligne, s’y oppose», neurologiques, etc.).» relève Pierre-Alex HÉPATITE B Mais l’auteure, une Crisinel, médecin à A la fin des années certaine Lunaya78, l’Unité d’infectiologie 1990, une association passe rapidement à pédiatrique et de de «victimes du vaccin l’attaque, dénonçant le vaccinologie du CHUV. contre l’hépatite B» a pouvoir des pharmas, Le principal argument créé la polémique en France en affirmant qu’il la «langue de bois» des des réfractaires a trait avait provoqué chez elles médecins et les graves à la dangerosité des la sclérose en plaques. effets secondaires subis vaccins, auxquels sont Le ministre de la Santé par les enfants vaccinés. attribuées une série de de l’époque, Bernard Kouchner, a suspendu le vaccin. Dans les années 2000, l’Etat français et le laboratoire britannique GlaxoSmithKline ont dû verser des indemnités à certains patients. Plusieurs études ont depuis disculpé le vaccin.
40
MENS SANA
ROUGEOLE, OREILLONS
DÉCRYPTAGE
maladies allant de l’autisme à la sclérose en plaques en passant par les allergies, le diabète ou l’épilepsie.
ET RUBÉOLE (ROR)
Une controverse a éclaté au Royaume-Uni en 1998, suite à la publication d’un article du médecin Andrew Wakefield dans la revue scientifique médicale «The Lancet» faisant le lien entre le vaccin ROR et l’autisme. Il est par la suite apparu qu’Andrew Wakefield avait reçu des fonds de la part de personnes en litige avec le laboratoire produisant le vaccin. En 2010, «The Lancet» a retiré l’article.
Certains parents, notamment aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, estiment également que laisser les enfants développer des maladies infantiles leur permet de renforcer leur système immunitaire. «Il y a eu un profond changement au niveau de la perception
des risques, souligne Claire-Anne Siegrist, directrice du Centre de vaccinologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et médecin-adjoint en Pédiatrie générale. On n’a plus peur des maladies que les vaccins font disparaître, donc on se demande s’ils sont utiles.» Certains s’opposent aux vaccins pour des raisons religieuses. D’autres encore invoquent le droit de choisir librement les médicaments donnés à leurs enfants, dénonçant l’obligation de vacciner qui prévaut en France ou aux Etats-Unis. «En Suisse, la loi est moins stricte, explique
LIBRARY OF CONGRESS PRINTS AND PHOTOGRAPHS DIVISION WASHINGTON, D.C. 20540 USA
En 1943, un médecin de campagne effectue un vaccin contre la fièvre typhoïde dans une école au Texas. Cette scène a été immortalisée par le photographe américain John Vachon.
41
MENS SANA
DÉCRYPTAGE
Pierre-Alex Crisinel. Seuls les cantons de Genève et de Neuchâtel obligent à vacciner contre la diphtérie. Et la nouvelle loi sur les épidémies fera tomber cette contrainte en 2016.» La méfiance face aux vaccins n’est pas propre aux parents. Pierre Verger, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en France, s’est penché sur l’attitude de 1712 généralistes français vis-à-vis des vaccins. «Entre 15 et 40% ne recommandent jamais ou que rarement certains vaccins», rapporte le chercheur. Un quart d’entre eux pense même que l’on vaccine trop les enfants. «Ils se montrent les plus méfiants face aux produits qui ont fait l’objet de controverses publiques, comme ceux contre l’hépatite B ou le papillomavirus.»
ceux qui y parviennent malgré tout ne sont recommandés que si les conséquences indésirables graves sont extrêmement rares.» De l’ordre de un sur 100’000 à un sur un million. Des dizaines d’études ont par ailleurs contredit les craintes des anti-vaccins.
Les vaccins qui ont des effets secondaires trop importants n’arrivent jamais sur le marché.
LES COCKTAILS DE VACCINS
Les nourrissons reçoivent souvent un vaccin combiné qui les immunise contre plusieurs maladies à la fois. «Certains parents craignent que cela ne surcharge leur système immunitaire et ne le rende plus vulnérable face aux infections», note David Goldblatt, professeur de vaccinologie à l’Université de Londres et spécialiste de cette question. Or ce n’est pas le cas, selon lui. «Nous sommes confrontés chaque jour à des millions de bactéries qui se trouvent dans notre intestin et notre système immunitaire s’en sort très bien, dit le médecin. De plus, grâce aux progrès de la médecine, la charge en antigènes des vaccins s’est réduite ces dernières années.»
Chez certains praticiens, notamment les plus âgés, Pierre Verger a aussi constaté «une forme de défiance» face aux recommandations des autorités. C’est par exemple le cas pour le vaccin contre les méningocoques C, perçu comme superflu «Comme les vaccins sont en raison de la rareté de la maladie. Les administrés à large échelle, on a tendance homéopathes, chiropraticiens et naturoà les accuser d’avoir provoqué toutes pathes sont encore plus les maladies que frileux voire hostiles à cette vaste cohorte L’ALUMINIUM une pratique qui contrede patients aurait Utilisé comme adjuvant dit leur propre doctrine: de toute façon dans certains vaccins, soigner avec des plantes développées», analyse l’aluminium a été lié ou par le biais du dos. Bernard Vaudaux, à une série de maux. ancien responsable de «Nous avons constaté une CRAINTES INFONDÉES l’Unité d’infectiologie persistance anormalement Ce mouvement de rejet pédiatrique et de longue sur le site de l’injection des particules est largement sans vaccinologie du CHUV. d’aluminium, indique fondement, à en croire Romain Gherardi, neuroClaire-Anne Siegrist, Les fréquents changepathologiste à l’Université des HUG: «Les vaccins ments dans le régime Paris-Est Créteil, en France. qui ont des effets de vaccins recommanElles sont responsables secondaires trop dés génèrent aussi de de micro-lésions dans le muscle deltoïde (l’un des importants n’arrivent la confusion. «Certains muscles de l’épaule, ndlr) jamais sur le marché et ont été abandonnés et peuvent migrer dans le cerveau.» Il dit avoir vu plus de 600 patients dans ce cas. Ses travaux ont débouché sur un rapport commandé par l’Assemblée nationale française. Rendu en 2013, il n’a pas établi de lien entre l’adjuvant et ces maladies.
42
DÉCRYPTAGE
CENTRE FOR INFECTIONS/PUBLIC HEALTH ENGLAND/SCIENCE PHOTO LIBRARY
MENS SANA
car les maladies qu’ils préviennent ont disparu dans la population autochtone suisse, indique Bernard Vaudaux. C’est le cas de la variole et de la tuberculose.» D’autres ont été remplacés par une nouvelle version plus efficace, comme celui contre les pneumocoques. Et d’autres encore sont moins souvent administrés, comme ceux contre le tétanos et la diphtérie, dont les rappels ont été espacés PAPILLOMAVIRUS chez les 25-45 ans, leur Mis sur le marché en durée de protection étant 2006, le vaccin contre plus longue que prévu.
le papillomavirus, un virus qui peut provoquer un cancer du col de l’utérus, est désormais administré à la plupart des adolescentes. Un collectif de plaignantes l’accuse d’avoir provoqué diverses maladies chez elles (sclérose en plaques, maladie de Verneuil, Lupus). «Certains pensent aussi qu’il ne sert à rien de vacciner contre un cancer que les dépistages permettent déjà de repérer bien en amont», relève PierreAlex Crisinel, médecin à l’Unité d’infectiologie pédiatrique et de vaccinologie du CHUV. Le débat reste ouvert.
La méfiance générée par les vaccins n’est pas anodine. Elle peut avoir des conséquences mortelles pour les personnes dont le système immunitaire est trop faible – notamment les nourrissons qui ne peuvent pas être vaccinés avant un an, les personnes âgées et les
43
individus atteints par le VIH mal protégés par les anticorps – et qui bénéficient en principe de «l’effet de troupeau», soit le mur invisible créé entre elles et la maladie par le fait de se trouver au sein d’une population vaccinée. Plusieurs pays européens, dont le Royaume-Uni, l’Irlande et les Pays-Bas, ont subi des épidémies de rougeole au début des années 2000 après avoir vu leur taux de vaccination chuter dans le sillage de la polémique sur le vaccin ROR (voir notule p. 41). Les Etats-Unis, pour leur part, ont enregistré près de 1’000 cas de rougeole entre 2013 et 2015. Plus grave, le Nigeria et le Pakistan ont récemment été confrontés à une résurgence de la polio, une affection presque éradiquée, en raison de la méfiance des autorités religieuses face au vaccin contre cette maladie. On l’accuse, à tort, de contenir du porc, dont la consommation est interdite dans l’islam, ou encore de rendre infertile et d’être l’instrument d’un complot occidental pour stériliser les femmes musulmanes. ⁄
MENS SANA
EN IMAGES
LA SCIENCE HORS DES SENTIERS BATTUS TEXTE: ERIK FREUDENREICH REPORTAGE PHOTO: THIERRY PAREL
BIOHACKING A travers le monde, des passionnés développent une approche alternative de la recherche en biologie. Immersion au sein du laboratoire ouvert Hackuarium, à Renens, près de Lausanne. Depuis quelques années, de nouveaux acteurs sont apparus en périphérie de la recherche scientifique: les biohackers. Ils mènent leurs expériences dans des labos de garage, en dehors du cadre académique traditionnel, et promeuvent une approche open source de la science. Des espaces dédiés à cette recherche nouvelle ont commencé à éclore autour du globe. A New York, Londres ou Paris, mais aussi à Renens, où a été inauguré il y a maintenant un peu plus d’une année le laboratoire de l’association Hackuarium. Installé dans les anciens locaux de l’imprimerie IRL, l’espace accueille chercheurs, étudiants ou retraités qui viennent pendant leur temps libre pour faire progresser la science de façon ouverte et participative.
/1
DÉTECTER L’ARSENIC
Sachiko Hirosue (en photo) est une biohackeuse. Avec Robin Scheibler, elle mène un projet baptisé «Bio-design for the real world», qui vise à mettre en place des outils pour répondre aux problèmes sanitaires liés à l’eau. Utilisé comme poison depuis l’Antiquité, la présence dans le sol à forte dose de cet élément chimique métalloïde est le plus souvent lié à une origine industrielle (mines, métallurgie, pesticides). «En Suisse, cela affecte peut-être seulement quelques vaches, mais dans certaines régions d’Asie, on trouve régulièrement d’importantes concentrations d’arsenic dans les eaux souterraines. Même ingéré à faible dose, il perturbe le système endocrinien et peut provoquer des problèmes de peau et des cancers.» 44
MENS SANA
45
EN IMAGES
MENS SANA
EN IMAGES
2/
EN RÉSEAU
Le laboratoire Hackuarium accueille actuellement une demi-douzaine de projets, allant du décodage du génome de la bière à la construction d’un robot destiné à mener des expériences scientifiques au pôle Sud. «Comme nous accueillons régulièrement des étudiants qui viennent contribuer au projet, disposer d’un espace et d’équipements à Hackuarium est très bénéfique pour notre travail, souligne Robin Scheibler. Il y a aussi tous les échanges avec le reste de la communauté, qui se sont révélés très enrichissants.»
MODIFICATION GÉNÉTIQUE
/3
«Concrètement, nous utilisons une bactérie que nous avons modifiée génétiquement pour pouvoir détecter la présence d’arsenic dans l’eau», précise Sachiko Hirosue. Cet organisme a été mis au point par le professeur Jan Roelof van der Meer, directeur du Département de microbiologie fondamentale à l’Université de Lausanne. L’ensemble du dispositif a été employé par l’équipe Biodesign en août dernier pour tester l’eau du lac des Ottans, en Valais, situé à proximité d’une ancienne mine d’or et d’arsenic.
46
MENS SANA
47
EN IMAGES
MENS SANA
EN IMAGES
/4
BIG DATA
Si l’équipe Biodesign dispose aujourd’hui d’un appareil qui fonctionne, il ne s’agit que de la première étape de leur démarche. «Dans un avenir proche, nous aimerions mettre en place une plateforme informatique pour pouvoir échanger les données collectées, détaille Robin Scheibler. Car l’idée de notre projet est avant tout de partager nos connaissances. Nous comptons mettre en place des événements, des réunions, de manière à faire réfléchir les gens sur les questions liées à l’eau et ce qu’elle contient.»
48
MENS SANA
CHRONIQUE
ANNE-CAROLINE PAUCOT Fondatrice du site Lasantedemain.com et Dicodufutur.org
«Coudinite», «zappite» et «zombiquisme»: les symptômes des maladies de demain sont déjà visibles aujourd’hui. Cet attachement à l’objet électronique peut aussi se traduire par du «zombiquisme». Cette pathologie frappe de nombreux adolescents. Elle se caractérise par une présence physique et une absence mentale. Les individus atteints sont dans l’incapacité à communiquer avec les personnes présentes, mais échangent avec des individus distants. Si le zombiquisme est un syndrome mal supporté par les parents, ces derniers sont paniqués lorsque leur progéniture est atteinte de «virtualisme» ou troubles déficitaires du réel. A force d’être absorbés par des jeux vidéo et de fréquenter des mondes virtuels, les patients n’arrivent plus à faire la différence entre le monde physique et l’univers virtuel. Ils se sentent être des avatars dotés de supra-capacités. Les conséquences peuvent être dramatiques: des malades peuvent se jeter par la fenêtre en pensant pouvoir voler!
Peste, choléra… Si, en matière de santé, les pages ne sont jamais totalement tournées, des maladies entrent dans les livres d’histoire. Dans le même temps, d’autres apparaissent. Notre monde connecté, virtualisé, binarisé apporte son lot de pathologies.
Quelques secondes dans un lieu public suffisent pour constater que la «coudinite» est en train de devenir le mal du siècle. Cette tendinite du cou est la conséquence de regards répétés à ses écrans. Le chirurgien américain Kenneth Hansraj estime que la pression exercée sur le cou lorsque l’on abaisse la tête vers son téléphone est de 22 kilos! Ce téléphone provoque aussi la «nomophobie» ou la peur de ne pas pouvoir utiliser l’appareil. Absence de connexion, batterie qui lâche... D’autres objets, fruits des rugissantes technoCes aléas provoquent un stress intense chez logies, suscitent des réactions maladives. Des les utilisateurs dépendants. Quand les dieux des individus souffrent de «robophobie». Le contact technologies sont avec les aficionados de l’écran, avec un robot les déboussole. Ils craignent que ils peuvent être victimes de «zappite» ou de ces machines ne leur volent leur travail ou leur crises d’ennui provoquées par l’absence de femme (ou homme). On a aussi le «métalisme» sollicitations. Internet a déclenché un zapping qui se traduit par des réactions aux implants et permanent. Les clics sont devenus une nouvelle prothèses. L’introduction de métal dans le corps drogue. Quand ils s’espacent, le manque surgit. provoque des allergies, inflammations, douleurs, courts-circuits, intoxications… Tout bien pouvant être aussi un mal, l’allongement de la durée de la PROFIL vie peut se traduire par de l’«éternite», une dépresJournaliste de formation, sion due à l’ennui provoqué par une vie trop longue. Anne-Caroline Paucot est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’impact des nouvelles technologies sur nos sociétés. En 2014, elle lance les Editions Propulseurs, qui publient des livres vulgarisant la réflexion prospective.
Si ces pathologies n’ont pas encore été labellisées, elles sont annoncées. Sachant que comme celles actuelles, il vaut mieux prévenir pour ne pas avoir à guérir, un regard aussi amusé qu’interrogatif sur elles s’impose. ⁄ À LIRE
DR
«La Santé demain», Ed. Les Propulseurs
49
TEXTE: CATHERINE COCHARD
50
LA MUSIQUE S’INVITE À L’HÔPITAL La médecine croit toujours plus aux bienfaits thérapeutiques du quatrième art. Gestion de la douleur, concentration ou neuro-réhabilitation, les sons agissent directement sur le cerveau.
A
Nashville, dans le Tennessee, des chercheurs ont mis au point des tétines qui, lorsque des prématurés de 34 à 35 semaines la sucent correctement – c’est-à-dire en coordonnant correctement leur respiration et le mouvement de succion –, diffusent la voix de leur mère chantant une berceuse. Les résultats de cette expérience, publiés dans «Pediatrics», le journal de l’académie américaine de pédiatrie, montrent que grâce à la récompense du timbre apaisant de la maman, le nourrisson né avant terme parvient plus rapidement à se nourrir et quitte ainsi l’hôpital plus tôt. Utiliser la musique comme outil thérapeutique n’est pas une pratique propre à notre époque. Dans la haute Antiquité égyptienne déjà, les soignants prescrivaient aux malades des chants dans l’espoir de guérir une stérilité, des douleurs rhumatismales ou soulager des piqûres d’insectes. Les vertus attribuées aux sons sont, bien sûr, différentes aujourd’hui: ils sont, la plupart du temps, perçus comme des «médiateurs» qui facilitent la communication entre le CORPORE SANO
AU BLOC AUSSI Une étude parue en août dernier dans la revue médicale britannique The Lancet révèle les bienfaits de la musique au bloc opératoire. Elle démontre qu’écouter de la musique avant, pendant ou après une opération réduit douleur et anxiété chez les malades. Pour Catherine Meads de la Brunel University, qui a mené les recherches, tous les patients devraient pouvoir écouter de la musique et même choisir ce qu’ils aimeraient entendre afin d’optimiser l’effet positif de celle-ci.
patient et le thérapeute. «La musicothérapie est une pratique de soin qui permet de prendre en charge des personnes présentant des difficultés psychologiques, sociales, comportementales ou relationnelles et des troubles psychoaffectifs, sensoriels ou neurologiques», explique David Suchet, musicothérapeute installé à Lausanne. Les hôpitaux suisses y recourent depuis plusieurs années. «L’intégration des thérapies à médiation artistique s’est fait à travers un long processus qui a débuté dans les années 1960», explique Sarah Flores Delacrausaz, musicothérapeute depuis dix-sept ans à l’hôpital psychiatrique de Cery. La mise en place de formations spécifiques en Suisse a permis à la profession de se faire connaître et d’acquérir une place toujours plus importante dans divers domaines de soin. «L’intérêt pour ce type de thérapies est très clair: elles ouvrent des voies uniques et originales vers la compréhension et le traitement des maladies psychiques.» BON POUR LE MORAL Si la qualité de la relation entre le sujet et le musicothérapeute est primordiale,
51
MARIA ZARNAYOVA / EPA
Dans une maternité de Kosice-Saca, en Slovaquie, des nouveau-nés écoutent de la musique à l’aide d’écouteurs.
CORPORE SANO
TENDANCE
52
la musique seule a aussi des effets bénéfiques. Le Centre de psychiatrie du Nord vaudois à Yverdon a mené une expérience intitulée «Amenhotep» au cours de laquelle les portes chambres de soins intensifs sont devenues des interfaces permettant au malade de choisir de la musique par simple effleurement, comme avec un écran tactile. «Alors que le moment traversé par le sujet est particulièrement chaotique, le maniement du dispositif lui offre un certain contrôle sur son espace, explique Alexia Stantzos, infirmière spécialiste clinique au CHUV et adjointe scientifique à la Haute école de la santé de Lausanne, qui a mené l’étude. Par ailleurs, le patient est libre de choisir le morceau qu’il désire entendre et son volume. Au niveau cognitif, cela renforce son sentiment d’autonomie et d’indépendance, et du point de vue émotionnel l’écoute musicale permet de répondre à ses besoins particuliers.» D’ici à cet automne, les portes des quatre chambres de soins intensifs du centre seront pourvues du même dispositif médical. IDENTITÉ SONORE PROPRE À CHACUN
La musicothérapie a aussi des effets bénéfiques pour les maladies somatiques. «Dans le cadre d’une neuroréhabilitation (avec des personnes ayant, par exemple, subi un accident vasculaire cérébral), l’écoute ou la pratique de la musique permettent notamment de diminuer les troubles de l’attention, d’améliorer une hémiplégie, d’aider à la marche par stimulation auditive rythmique, de favoriser la parole en utilisant un répertoire connu du patient ou encore de soulager des émotions négatives», poursuit David Suchet. CORPORE SANO
UN IMPACT POSITIF SUR LE CERVEAU Jouer du piano, de la flûte ou du violon modifie une aire du cerveau impliquée dans la concentration, l’agressivité, et même l’anxiété. C’est la conclusion d’une étude de l’Université du Vermont parue dans le Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry. «Cela permet une maturation plus rapide de l’épaisseur corticale dans les aires impliquées dans la planification motrice et la coordination, les capacités visuo-spatiales, et la régulation des émotions et des pulsions», analysent les auteurs. Les travaux de Nadine Gaab, de l’Hôpital pour enfants de Boston, ont aussi établi un lien entre la pratique d’un instrument et les compétences intellectuelles. «Les musiciens ont un débit de parole spontané plus important lorsqu’ils doivent décrire une image et ont une mémoire de travail plus importante.»
TENDANCE
L’effet de la musique sur l’individu s’observe d’ailleurs par IRM au niveau du cerveau (lire ci-contre). Impossible pour autant d’associer une mélodie à un bienfait, car chaque personne possède un «ISO», soit une identité sonore propre. «Tout individu se constitue d’éléments divers – comme sa culture, son lieu d’origine, les sons qui l’ont accompagnés durant son enfance – qui vont façonner des goûts musicaux propres, explique Serge Ventura, directeur de l’Ecole romande de musicothérapie. Il est nécessaire d’établir l’identité sonore de chacun pour pouvoir agir correctement avec la musique. Ce n’est pas la musique en tant que telle qui soigne, mais la relation qui prend forme entre le thérapeute et le patient par l’intermédiaire des sons qui répondent au vécu et à l’identité particulière du patient.» A l’avenir, l’identité sonore propre à chacun pourra certainement se mesurer de manière plus précise: Sync Project, une société basée à Boston, cherche à croiser la musique des utilisateurs et leurs données biométriques récoltées par le biais d’objets connectés (smartwatches et autres bracelets de type Jawbone). En corrélant les datas et les titres écoutés, Sync Project cherche à établir des schémas – le sujet court plus vite en écoutant U2 ou se relaxe mieux avec Marvin Gaye par exemple – pour suggérer ensuite aux utilisateurs la musique la plus appropriée à leur activité et leur état de santé. Ne restera plus à chacun qu’à établir sa playlist. /
53
OPÉRER AVANT LA NAISSANCE Aujourd’hui, il est possible� de réaliser des interventions� sur des fœtus sans ouvrir le ventre de la mère. Présentation de la chirurgie fœtale au laser, une discipline aussi impressionnante que révolutionnaire.
CÉCILE GUENOT
TEXTE: BERTRAND TAPPY
CORPORE SANO
INNOVATION
54
Autres applications En chirurgie fœtale, le laser peut également permettre de coaguler les vaisseaux qui nourrissent une tumeur.
I
ls ont les yeux rivés sur le petit écran en face d’eux. Pour le néophyte, le moniteur qui attire autant l’attention des gens présents dans la pièce affiche ce qui ressemble à une plongée sousmarine en milieu hostile: on ne voit pratiquement rien devant nous, et il semble impossible de savoir si ce que l’on regarde est le plafond ou le plancher de l’étrange cavité qui s’étale sous nos yeux. Pour achever l’incongru du spectacle, on aperçoit dans le bas de l’écran une petite tige qui se balade et semble effacer un réseau de fins vaisseaux à peine visibles sur les bords de cette étrange caverne.
TUMEURS SACCRO-COCCYGIENNES Masses qui poussent à l’extrémité de la colonne vertébrale. TUMEURS PULMONAIRES Tumeurs qui atteignent le poumon du fœtus, empêchant par compression la croissance du poumon sain. CHORIO-ANGIOME Tumeur qui se développe dans le placenta, et qui «vole» du sang au fœtus.
Les premières interventions ont permis de traiter � des tumeurs in utero, � de corriger des sténoses � urinaires ou cardiaques � des fœtus. Soudain, une main apparaît. Petite, fragile, encore enveloppée de ce duvet propre aux humains qui sont encore à l’abri dans le ventre de leur mère. Et un peu plus loin, une tête, puis encore une autre, comme flottant au milieu de ce décor irréel. Et c’est devant le spectacle de ces yeux encore clos que l’on comprend enfin ce que l’on CORPORE SANO
est en train d’admirer: l’intérieur d’un utérus et deux vies qui prennent forme petit à petit dans le placenta. Voici le terrain d’activité de cette discipline pas comme les autres: la chirurgie fœtale laser in utero. Des interventions comme celleci, David Baud, médecin au sein du Département de gynécologie-obstétrique du CHUV, INNOVATION
en pratique un peu plus d’une vingtaine chaque année. Le plus souvent en tandem avec le second spécialiste du domaine en Suisse, Luigi Raio, de l’Hôpital de l’Ile à Berne. En effet, les deux hôpitaux collaborent étroitement dans cette médecine de pointe pour traiter des petits patients de toute la Suisse et d’autres pays d’Europe. «Dans plus de 90% des situations, nous traitons des cas dits de «transfuseur-transfusé» (lire encadré), explique David Baud. Ces interventions ont lieu la plupart du temps en urgence, après le diagnostic du syndrome par les gynécologues en cabinet. Nous pouvons opérer dès la 14e semaine de grossesse, mais ce n’est pas le plus facile car les fœtus sont minuscules. Plus tard dans la grossesse, le liquide amniotique dans lequel nous opérons devient naturellement trouble, et cela nous complique singulièrement la tâche.»
55
Une fois le diagnostic posé, il n’y a pas d’alternative à l’intervention chirurgicale. Avec plus de 90% de risque de mortalité pour les deux bébés, le syndrome «transfuseur-transfusé» était jusque dans les années 2000 synonyme de mort quasi certaine, ou au mieux une survie d’un seul jumeau, avec le risque de graves séquelles neurologiques. Avec les premières interventions sous foetoscopie, les choses se sont sensiblement améliorées. Aujourd’hui, l’issue est favorable pour les deux enfants dans 70% des cas, et pour au moins un des bébés dans 90% des cas. «Une fois l’opération terminée, il y a toujours un risque que la poche des eaux se rompe ou que l’utérus contracte et provoque un accouchement prématuré.» Dès les années 2000, les progrès technologiques ont permis de développer un appareil léger et efficace combinant, sur un diamètre d’à peine 2 millimètres, la fibre laser, la caméra, la lumière et l’injection d’eau.
Le syndrome� «transfuseurtransfusé» Le syndrome «transfuseur-transfusé» survient dans les grossesses de jumeaux homozygotes – les «vrais jumeaux» qui partagent le même placenta – à n’importe quel moment du développement des fœtus. «Le problème survient lorsque l’un des deux bébés s’accapare la grande majorité du flux sanguin à cause d’une anomalie dans les vaisseaux du placenta, explique David Baud. Les effets sont radicaux: l’un des deux bébés devient «obèse» avec une vessie beaucoup trop imposante pour son âge et un cœur insuffisant, tandis que le second bébé devient tout petit, repoussé dans un coin du ventre de la mère par la membrane amniotique.» L’intervention consiste donc à brûler les vaisseaux responsables du déséquilibre pour rétablir une circulation fœtoplacentaire normale. «La difficulté principale est de choisir le meilleur point d’entrée avec l’aide de l’imagerie et de notre expérience, continue David Baud. Si c’est réussi, vous trouverez rapidement les vaisseaux autour du cordon ombilical et les bébés ne seront pas trop en souffrance. Ratez votre entrée, et vous pouvez vous préparer à une longue et pénible intervention…»
Cette nouvelle discipline n’en est qu’à ses débuts: les premières interventions de chirurgie fœtale ont permis de traiter des tumeurs in utero, de corriger des sténoses urinaires ou cardiaques des fœtus. Ces premiers essais, auxquels l’équipe de David Baud participe, laissent entrevoir un catalogue de nouvelles possibilités d’améliorer – ou de sauver – la vie de ceux qui ne sont pas encore nés. ⁄ CORPORE SANO
INNOVATION
56
UNE PILULE NOMMÉE DÉSIR TEXTE: ANDRÉE-MARIE DUSSAULT
Un médicament censé rehausser le désir sexuel des femmes vient d’obtenir le feu vert pour sa commercialisation aux Etats-Unis. De quoi s’émoustiller?
«P
coup de femmes la posent à Sandra Fornage, cheffe de clinique en Gynécologie-obstétrique et médecine sexuelle au CHUV. «Nombreuses sont celles qui demandent explicitement un médicament, raconte la spécialiste. Elles regrettent que ce ne soit plus «comme avant», elles voudraient ressentir davantage de désir pour leur partenaire.»
our mon mari il y a le Viagra, pour moi, existe-t-il quelque chose?» Cette question, beau-
CORPORE SANO
La pilule bleue contre les troubles de l’érection – qui n’agit pas sur le désir – est commercialisée depuis près de vingt ans, mais il n’y avait jusqu’à présent aucun médicament destiné à la sexualité des femmes. La donne vient de changer: la Food and Drug Administration (FDA) américaine a autorisé en août dernier la mise en circulation du Flibanserin, après l’avoir rejetée deux fois en 2010 et 2013 pour cause d’efficacité limitée et d’effets secondaires. La nouvelle molécule, commercialisée sous le nom de Addyi, doit permettre à toute femme de booster son envie sexuelle, selon son fabricant, le laboratoire américain Sprout Pharmaceuticals. Le médicament est pour l’heure accessible uniquement aux Etats-Unis, sur ordonnance. Il est destiné aux patientes non ménopausées souffrant d’une libido défaillante.
TABOU
57
Sandra Fornage voit d’un bon œil l’arrivée de la pilule sur le marché. «Nous sommes vraiment démunis face à ce que nous pouvons proposer aux femmes», admetelle. Alors que la recherche dans le domaine des traitements pour résoudre les problèmes sexuels masculins existe depuis longtemps, on ne s’intéressait pas au désir féminin, jusqu’à récemment. «Le plaisir sexuel des femmes est un sujet tabou», fait observer dans le quotidien «Libération» Odile Buisson, gynécologue et auteure de «Qui a peur du point G? Le plaisir féminin, une angoisse masculine» (2011). Depuis les années 1970, la communauté scientifique reconnaît que les femmes
«LE DÉSIR FÉMININ N’INTÉRESSAIT PERSONNE JUSQU’À RÉCEMMENT, ALORS QUE LA RECHERCHE DE TRAITEMENTS POUR LES PROBLÈMES SEXUELS MASCULINS EXISTE DEPUIS LONGTEMPS.» SANDRA FORNAGE, GYNÉCOLOGUE
UNE COMPARAISON INAPPROPRIÉE L’Addyi, le premier médicament qui promet d’augmenter le désir sexuel des femmes, est souvent désigné en tant que «Viagra féminin», en comparaison avec la célèbre petite pilule bleue destinée aux hommes. Certes, les deux médicaments ont vocation à améliorer la vie sexuelle, mais ils ne jouent pas sur les mêmes mécanismes. Le Viagra est un médicament qui agit sur le système vasculaire: il favorise la relaxation des vaisseaux sanguins du pénis lors d’une excitation sexuelle. Le sang afflue donc plus facilement dans le pénis, ce qui permet d’obtenir une érection, d’une manière naturelle. L’effet est ponctuel, commence environ une demi-heure après l’ingestion, et dure près de quatre heures. La flibansérine, la molécule qui compose l’Addyi, est un psychotrope proche de l’antidépresseur. Elle agit non pas sur la «mécanique» qui permet la relation sexuelle, mais sur le cerveau de la patiente en réduisant le taux de sérotonine, l’hormone à l’origine de certains troubles du sommeil, l’agressivité, ou encore la dépression. L’Addyi doit être pris quotidiennement. CORPORE SANO
TABOU
58
aussi peuvent ressentir du plaisir et avoir des orgasmes, note Sandra Fornage. «Aujourd’hui, notamment depuis le succès fulgurant du Viagra, les entreprises pharmaceutiques sont engagées dans une course folle pour trouver un produit «miracle» destiné aux femmes.» EFFET «SIGNIFICATIF» Les propriétés supposées aphrodisiaques du Flibanserin ont été découvertes accidentellement alors que le médicament était testé comme un antidépresseur. La pilule agit sur le cerveau en augmentant la production de dopamine et de noradrénaline – deux neurotransmetteurs qui influent sur le plaisir (le frisson que l’on ressent parfois en écoutant un morceau de musique est provoqué par la dopamine), l’addiction, l’excitation ou encore l’attention, pour ne citer que quelques-unes de leurs prouesses – et en abaissant le niveau de sérotonine, qui impacte plusieurs fonctions physiologiques comme le sommeil et l’humeur. Les résultats des derniers essais cliniques, menés pendant deux ans sur plus de 1300 femmes au Canada et
aux Etats-Unis, ont montré que la prise quotidienne du médicament a eu chez une majorité d’entre elles un effet «significatif» sur leur désir et qu’elles auraient vécu des interactions sexuelles plus satisfaisantes. «Il est intéressant de noter que presque toutes les participantes ayant consommé un placebo ont également ressenti une augmentation de désir et de satisfaction sexuelle», nuance Francesco BianchiDemicheli, sexologue et médecin au Département de gynécologie-obstétrique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), soulignant comment les facteurs psychologiques peuvent jouer un rôle dans la sexualité.
«LE DÉSIR SEXUEL EST LIÉ AU RELATIONNEL, AU SOCIAL, AU CULTUREL, À LA BIOLOGIE, À LA GÉNÉTIQUE, À LA CHIMIE ET À LA SANTÉ EN GÉNÉRAL.» FRANCESCO BIANCHI-DEMICHELI, SEXOLOGUE
Pas uniquement les facteurs psychologiques, d’ailleurs. Le désir sexuel est le fruit d’interactions multiples et complexes. «Il est lié au relationnel, au social, au culturel, à la biologie, à la génétique, à la chimie et à la CORPORE SANO
TABOU
59
santé en général, explique Francesco Bianchi-Demicheli. On ne peut jouer sur tous ces aspects à travers une molécule.» Ce qui ne signifie pas que la chimie soit impuissante pour autant. «De plus en plus d’études neurobiologiques sur les animaux montrent que la conduite sexuelle peut être modulée par une substance pharmacologique.» Pour le médecin, le Flibanserin, accompagné d’un suivi adéquat, peut être utile pour les femmes qui ressentent une absence d’envie sexuelle, soit un «désir hypoactif», un trouble qui concernerait près de 35% de la population adulte féminine. Seules 10% des femmes souffriraient réellement de ce défaut d’appétit sexuel cependant. «Elles peuvent se sentir frustrées, déçues ou diminuées dans leur identité de femme, ou ont peut-être dû rompre une ou plusieurs relations à cause de cette situation», indique Francesco Bianchi-Demicheli. «Nous apprécierons le degré de satisfaction des patientes avec le temps, dit la sexologue Sandra Fornage. Nous ne sommes qu’au tout début du processus.» CRITIQUES Pour Rina Nissim, infirmière spécialisée en gynécologie à Genève et auteure de plusieurs ouvrages sur la santé sexuelle des femmes, la mise sur le marché du Flibanserin n’augure rien de bon. Notamment à cause des effets secondaires qu’il engendre: «On parle aujourd’hui de chute de tension, de syncope et de dépression nerveuse, et il faudra encore des années pour tout savoir.»
CORPORE SANO
TABOU
Cofondatrice de l’ancien Dispensaire des femmes de Genève, un centre de santé encourageant les femmes à prendre leur santé en main, Rina Nissim déplore que «nous vivons dans une société hypersexualisée où la pression sur les femmes, et les filles, pour qu’elles soient des «bombes sexuelles» est omniprésente». Pour elle, le manque de désir ne se soigne pas. «Il faut simplement qu’une relation en vaille la peine, que les femmes y trouvent leur compte et que les hommes apprennent à faire plaisir à leur partenaire.» Ce n’est manifestement pas l’avis de l’industrie pharmaceutique. Plusieurs entreprises développent leur propre préparation pour concurrencer le Flibanserin, à l’instar de la société hollandaise Emotional Brain, qui espère commercialiser deux médicaments, le Lybrido et le Lybridos, dès 2017. L’un serait plutôt destiné aux femmes qui manquent uniquement d’envie sexuelle et l’autre à celles inhibées par une anxiété ou des complexes. Lorexys, un autre remède développé par la firme américaine S1 Biopharma, a conclu cette année la deuxième phase d’essais cliniques aux EtatsUnis. /
60
MON PHILOSOPHE, CE PSY! Récente en Suisse, la thérapie philosophique intervient sur les questionnements existentiels. Les soignants y ont également recours pour prendre du recul sur leur pratique. TEXTE: CAMILLE ANDRES
C’
est le décès brutal de son époux qui a poussé Françoise* à consulter un philosophe, en 2013. A l’époque, les questions se bousculent, autour de la mort, de la perte, du sens de la vie. Durant un an, elle échange avec le philoconsultant Jean-Eudes Arnoux, à Lausanne, à raison d’une discussion d’une heure par mois. «Je ne cherchais pas une solution, mais une façon de pouvoir continuer à vivre», raconte Françoise.
maladie, c’est-à-dire d’un point de vue médical, la philosophie sous l’angle d’une condition de vie, c’est-àdire d’un point de vue existentiel.»
PHILOCONSULTANT s’est, quant à elle, Le terme est un néorendue chez le logisme. En Suisse, philosophe Georges la pratique existe Savoy à Fribourg, RÉFLEXION depuis une demidouzaine d’années et «pour ses qualités PLUS LARGE n’est pour l’instant d’écoute et sa façon En clair, alors que pas encadrée. Les de reformuler la psychothérapie se consultations ne sont certaines choses». sert d’habitude des pas remboursables. «Aller chez un médicaments et de la professionnel m’a science, la thérapie permis de prendre philosophique se fonde sur une du recul sur une situation réflexion plus large: la place de déstabilisante.» l’homme dans l’histoire, sur la planète, le rôle des sentiments i la démarche et des émotions dans la vie de s’apparente à une chacun, etc. Les problématiques En dépression après un consultation chez récurrentes: le bonheur, la mort, licenciement difficile, Alice* un psychologue, elle l’amour et le couple, mais aussi le n’est pas tout à travail. «J’accompagne aussi bien fait identique, des jeunes en difficulté d’apprenTHÉRAPIE explique tissage que des patrons», raconte Durant l’Antiquité, l’homme est défini par sa nature: être de chair et être pensant. Les premiers philosophes, Jean-Eudes Georges Savoy. comme Platon ou Sénèque, sont des maîtres à penser Arnoux, pionnier comme des maîtres à vivre. La philosophie se veut une de la consultation Chaque philosophe a sa thérapie – du grec therapeia, qui signifie «soin», «cure» philosophique manière de faire, issue de son – pour aider l’homme à vivre en harmonie avec son corps et son âme. Au XXe siècle, l’homme est défini avant «en cabinet» en parcours, de ses convictions, tout à partir de sa condition, de ses états d’âme, par la Suisse romande: de ses affinités intellectuelles, phénoménologie, un courant philosophique qui vise à «La psychothéraet l’adapte à son interlocuteur. explorer les structures transcendantes de la conscience. pie aborde les «Je n’ai pas qu’une seule La fonction de la philosophie est alors réduite à penser l’existence. La médecine sera la seule science légitime problèmes sous méthode, même si, pour moi, quant aux dysfonctionnements du corps. l’angle de la la psychanalyse est importante, CORPORE SANO
S
APERCU
61
FRIEDRICH STIEFEL
SOCRATE
CEMCAV, DR
«UN PHILOSOPHE EN MÉDECINE, POUR QUESTIONNER LA PRATIQUE AU QUOTIDIEN!» Friedrich Stiefel, chef du Service de psychiatrie de liaison au CHUV, collabore avec le philosophe Hubert Wykretowicz depuis deux ans. L’objectif est de faire le point sur les savoirs acquis qui semblent aller de soi et de les questionner, qu’il s’agisse des manières de concevoir la maladie et le patient, ainsi que des relations avec ce dernier et des pratiques: «L’homme malade n’est pas seulement un corps biologique qui enveloppe une psyché, c’est une figure qui change à travers le temps et selon l’angle de vue», explique le psychiatre. La réflexion menée avec le philosophe n’a pas pour but de trouver un traitement spécifique. Si «traitement» il y a, c’est plutôt du côté des soignants qu’il faut le concevoir, afin d’augmenter leur conscience et d’élargir leur champs de vision. «Si l’on prend l’exemple d’un patient souffrant de la maladie de Parkinson, son histoire n’est pas seulement l’accumulation de symptômes neurologiques et d’une éventuelle détresse psychique associée, continue Friedrich Stiefel. Le patient ressent également son corps dans ses dimensions existentielles: le corps que j’ai, le corps que je suis, le corps qui me lie aux autres, le corps qui regarde, le corps qui est regardé, etc. Sans oublier que le ralentissement moteur et la restriction induite par la rigidité musculaire changent son rapport au temps et à l’espace. Toutes ces modifications de perceptions ne sont pas abordées au cours de la formation des soignants. L’étude de ces dimensions du vécu – au cœur du quotidien du patient – permettrait donc d’approfondir la connaissance et la compréhension de l’être malade.» Par ailleurs d’autres disciplines traditionnellement pas ou peu associées à la médecine comme la linguistique, l’anthropologie ou la sociologie font partie de cette volonté de questionner et de comprendre les êtres dans un monde qui bouge, y compris les malades et leurs soignants.
CORPORE SANO
APERCU
indique Georges Savoy. J’aide les personnes à accoucher de leurs propres idées, désirs, peurs, à accoucher d’ellesmêmes, au final. C’était le projet de Socrate.»
E SOCRATE Considéré comme le père des philosophes, ce penseur grec du IVe siècle avant J.-C. pratiquait la maïeutique, c’est-à-dire le questionnement rationnel de ses interlocuteurs pour les faire parvenir à une vérité.
mmanuelle Métrailler, philosophe en Valais, travaille à partir de la pensée platonicienne. Elle aide ses patients à renouer avec toutes les facultés de leur âme et les dimensions de leur personnalité pour «retrouver un accord, une intégrité, entre la parole et les actes». Une conception proche de celle de Jean-Eudes Arnoux, qui axe sa réflexion autour du rapport à la vérité. «Je ne sais pas si la consultation philosophique rend heureux, mais elle rend plus lucide. Et plus on est lucide, plus on est à même de s’accepter et de vivre de façon authentique.» ⁄ *PRÉNOMS D’EMPRUNT.
62
TEXTE CLÉMENT BÜRGE
Le long chemin de la cause transsexuelle Auparavant mis au ban de la société, la communauté transsexuelle se fait reconnaître de plus en plus de droits. Témoignage d’une femme, née homme, qui a vécu cette évolution sociétale.
T
oute sa jeunesse, Michelle Biolley a dissimulé la vérité aux yeux de tous. Personne ne connaissait son secret, ni ses amis ni ses professeurs, surtout pas sa famille. Pourtant, elle souffrait: née dans la peau d’un garçon, elle savait qu’elle était une femme: «J’avais ce truc entre les jambes, je ne savais pas quoi en faire», explique-t-elle. Le problème: Michelle Biolley a grandi au mauvais endroit, un petit village proche de Winterthour. Et au mauvais moment. «C’était les années 1980, je ne pouvais rien dire, explique-t-elle. Là où j’ai été élevée, dans une société agraire, on ne pouvait pas aborder ce genre de question.»
documente le processus du changement de sexe. «On a parcouru un tel chemin», raconte, soulagée, Michelle Biolley. «La discrimination officielle de cette catégorie de la population a commencé dès la seconde moitié du XIXe siècle, explique Susan Stryker, une chercheuse de l’Université de l’Arizona qui a rédigé un ouvrage à ce sujet, «Transgender History». Les médecins ont pour la première fois considéré les personnes qui souffraient de dysphorie du genre (le terme médical contemporain, ndlr) comme malades. On pouvait vous envoyer dans un asile ou en prison!» Les premiers regroupements politiques pour la défense des droits des transgenres ont alors émergé, notamment à New York et à Berlin. DR
Mais, aujourd’hui, la situation Michelle Biolley, a radicalement changé pour homme devenue les personnes transsexuelles. Ce n’est qu’au lendemain femme, milite pour les La star américaine Caitlyn de la Seconde Guerre droits des transgenres. Jenner fait la une de «Vanity mondiale que la question Fair». La chanteuse Conchita transsexuelle est à nouveau Wurst met sens dessus dessous les abordée de manière positive. L’histoire de conceptions du genre. Amazon a même l’Américaine Christine Jorgensen dévoile produit une série TV, «Transparent», qui le phénomène au grand public: ancien CORPORE SANO
DÉCRYPTAGE
63
Christine Jorgensen
Christine Jorgensen, née George William Jorgensen Jr. le 30 mai 1926 à New York, est la première personne connue à avoir subi une opération chirurgicale de réassignation sexuelle. Son histoire fait le tour du monde: la jeune femme se retrouve sur la couverture de tous les magazines de la planète, et un film hollywoodien s’inspirant de son histoire est réalisé. Elle choisit le prénom de Christine en l’honneur de Christian Hamburger, le chirurgien danois qui l’opéra.
Xxxxxxx
MAURICE SEYMOUR
LA PIONNIÈRE
GI, elle devient en 1952 la première personne ayant subi une chirurgie de réattribution sexuelle à aborder son récit publiquement.
une maladie.» Toute une série de centres hospitaliers spécialisés sur les questions transsexuelles ont fermé.
A la même époque, la médecine s’est aussi mise à se pencher sérieusement sur le phénomène. Le terme «transsexuel» a été inventé en 1949. Des centres médicaux spécialisés voient le jour. Et l’endocrinologue américain Harry Benjamin publie en 1966 le premier ouvrage de référence sur le sujet intitulé «The Transsexual Phenomenon».
Ce climat néfaste dura plusieurs décennies. Et pesa sur Michelle Biolley jusqu’au début des années 1990. Jeune ado, elle partait en cachette consulter des livres sur les transsexuels à Zurich. Un jour, elle se rend à Berlin où elle rencontre les premiers groupes trans de sa vie. De retour en Suisse, elle décide enfin de parler à un médecin. Celui-ci l’envoie consulter les experts d’un centre médical spécialisé à Bâle.
Mais cette tendance s’est renversée dans les années 1970. «Les mouvements féministes et gays critiquèrent fortement les transsexuels, explique Susan Stryker. Etre trans était à nouveau perçu comme
«Les employés m’ont humiliée, se rappelle-t-elle. On m’a sorti tellement d’aberrations.» On lui conseille de porter des minijupes, des hauts talons et de beaucoup se maquiller «pour se faire
CORPORE SANO
DÉCRYPTAGE
64
accepter par la communauté». On lui demande si «elle veut avoir des gros seins, car les femmes transsexuelles aiment les gros seins». Une thérapeute lui dit «qu’elle est un si beau garçon qu’elle ne comprend pas pourquoi elle veut devenir une femme». «Après quatre ans de thérapie, les psychiatres me conseillaient toujours de revenir sur ma décision, j’ai donc décidé de prendre en charge ma transition moi-même», explique Michelle Biolley. En 1995, elle commande des hormones en ligne. Et transforme son corps sans l’aide de personne.
Caitlyn Jenner
LE SYMBOLE Champion olympique du décathlon en 1976, Bruce Jenner représentait le cliché du mâle alpha américain. Marié à Kris Kardashian, il a participé durant des années à l’émission de téléréalité «L’Incroyable Famille Kardashian». En avril 2015, Bruce Jenner avoue qu’il se considère comme une femme. Il se retrouve en couverture du magazine américain «Vanity Fair», où il dévoile sa nouvelle identité et s’appeler Caitlyn, devenant une icône de la communauté transsexuelle.
abordent la question. Des célébriLE MILITANT tés transsexuelles La fille de Cher et s’affichent. de Sonny Bono a la «L’exposition méparticularité d’avoir diatique a fait un grandi en ayant été bien fou à notre scrutée par la presse. communauté et Auparavant lesbienne, a fait gagner en Chaz Bono débute une visibilité à notre courte carrière de musicause», dit cien avant de devenir Henry Hohmann, militant pour les droits le président du LGBT. Il entame sa transition en 2008. Transgender Network Switzerland, l’association Mais, dans les années 1990, tout a changé. faîtière qui défend les droits des Le militantisme transgenre s’est intensifié et transsexuels helvétiques. la conception sociale du transsexuel s’est modifiée. «Une En Suisse, l’assurancenouvelle notion du ’futur’ maladie de base est a vu le jour, explique désormais obligée de Susan Stryker. Les gens couvrir les frais engendrés se sont à nouveau mis à par une transition. Et les s’enthousiasmer pour la conditions pour obtenir technologie. Le transsexuel un changement de nom ou est devenu un symbole de de genre sur son passeprogrès, comme s’il s’agisport sont de plus sait d’un corps futuriste, en plus flexibles. «Durant modifié par la science.» les cinq dernières années, les choses ont beaucoup Le chirurgien Olivier Et, dans les années changé, explique FrieBauquis réalise une 2000, «la génération Y, drich Stiefel, le chef du intervention liée au plus tolérante envers les Service de psychiatrie de changement de sexe questions de genre, est liaison au CHUV. Il fallait par semaine. devenue adulte», explique auparavant avoir au minil’universitaire. Résultat, les transsexuels mum 25 ans pour subir une opération de sont de plus en plus présents dans les réattribution sexuelle, ce qui n’est plus médias. Des films et des séries télévisées le cas. Et il fallait obligatoirement suivre PHILIPPE GÉTAZ
Chaz Bono
CORPORE SANO
DÉCRYPTAGE
65
Andreja Pejic
LE PHÉNOMÈNE HAUTE COUTURE Véritable sensation dans les milieux de la haute couture, Andrej Pejic a défilé en tant qu’homme durant des années tant pour les collections masculines que féminines, profitant de son apparence androgyne. En 2014, elle devient officiellement une femme transsexuelle, nommée Andreja.
deux ans d’accompagnement psychiatrique. C’est plus flexible aujourd’hui. Les décisions se prennent au cas par cas.» Les jeunes transsexuels n’ont plus peur d’en parler et de demander une transition. «Mes patients sont de plus en plus nombreux et de plus en plus en jeunes», témoigne Olivier Bauquis, un chirurgien spécialisé en réattribution sexuelle au CHUV.
Mais la situation est encore loin d’être parfaite. «Les personnes trans devraient avoir le choix de changer leur nom et leur genre sur leur passeport sans avoir besoin de consulter un psychiatre», estime Henry Hohmann. Certaines personnes souffrent encore de discrimination: «Des gens se font encore insulter dans la rue, dit-il. La haine et l’incompréhension n’ont pas disparu.» Cela a un impact sur la carrière des personnes qui changent de genre. «En 2014-2015, 20% des personnes qui ont effectué une transition ont perdu leur emploi à cause de ce choix», explique Henry Hohmann. Il se plaint aussi de la pénurie de soins liés à une transition. «Trop peu de centres hospitaliers proposent l’opération en Suisse, dit-il. Et ceux qui le font, en effectuent trop rarement. Le personnel n’a donc pas l’expertise nécessaire.» Olivier Bauquis, qui pratique des opérations de réattribution sexuelle au CHUV depuis 2007, abonde dans ce sens: «Comme il n’y a pas beaucoup de centres CORPORE SANO
DÉCRYPTAGE
qui pratiquent ce genre d’opérations correctement, nous, au CHUV, recevons trop de demandes. Nous réalisons au minimum une intervention liée au changement de sexe par semaine. C’est trop pour notre petite équipe.» Le traitement n’est pas non plus bien vu au sein de la communauté médicale: «Certains soignants et médecins estiment qu’il est contre nature de faire ce genre d’opérations, explique le chirurgien. C’est une pression difficile à gérer.» Pour les personnes qui ont pu faire leur transition, la vie est bien plus simple. Aujourd’hui, Michelle Biolley se sent désormais bien dans sa peau. Elle est devenue vidéaste et milite pour la cause transgenre. Elle est heureuse. ⁄
Lana Wachowski
LE GÉNIE DU CINÉMA Lana Wachowski et son frère Andy sont à l’origine de la trilogie des films «Matrix». Elle a secrètement entamé sa transition en 2002 et a révélé sa nouvelle identité en 2012.
66
TEXTE BERTRAND TAPPY
LES VIRUS, CES INFATIGABLES VOYAGEURS QU’IL SOIT DE LA GRIPPE OU DU VIH, LE VIRUS D’UNE MÊME MALADIE N’EST JAMAIS EXACTEMENT IDENTIQUE PARTOUT SUR LA PLANÈTE. LA CHERCHEUSE SÉVERINE VUILLEUMIER CONSACRE SON TEMPS À L’ÉTUDE DES POPULATIONS VIRALES QUI SE BALADENT AUTOUR DU GLOBE ET DE CE QU’ELLES PEUVENT RÉVÉLER.
V
irus archi-médiatisé, le VIH recèle encore beaucoup de secrets aux yeux des scientifiques et du grand public. Saviez-vous par exemple qu’il en existe plusieurs sous-types qui peuvent se mélanger entre eux et former ainsi de nouvelles versions du virus? Il existe ainsi 72 formes de ces combinaisons (nommées «recombinant») du virus VIH à la source d’épidémies. Jusqu’en 1996, on ne comptait que deux versions recombinantes du VIH. Et les scientifiques étaient persuadés qu’elles ne se combinaient jamais. «On sait aujourd’hui que c’est faux, affirme Séverine Vuilleumier, chercheuse à l’EPFL, qui CORPORE SANO
collabore avec l’Institut de microbiologie du CHUV. Ces rencontres donnent lieu à des batailles dont la science a énormément à apprendre.» Si nos connaissances en la matière ont évolué si rapidement, c’est en grande partie grâce à l’essor de la génomique, qui permet de cartographier avec précision le code génétique des différents organismes vivants, y compris les virus. «Nous connaissons aujourd’hui un large catalogue des formes du VIH, continue Séverine Vuilleumier. Ce qui intéresse plus particulièrement mon équipe, c’est l’étude des mouvements migratoires de ces différents types et sous-types, afin de déterminer leur histoire, leurs origines et leur force: si la forme A rencontre une autre forme B, PROSPECTION
qui gagne? Quel sera le fruit de cette rencontre? Pouvoir répondre à ces questions donnera de précieuses informations, dans la recherche d’un vaccin par exemple.» Cela fait de nombreuses années que Séverine Vuilleumier se penche sur ce qu’elle appelle les «patterns complexes» de ces flux migratoires. Au début de sa carrière, la biologiste s’intéressait aux extinctions et emergences d’espèces animales; l’étude de leurs flux migratoires pouvait selon elle expliquer la disparition de certaines d’entre elles. C’est dans un second temps que la scientifique s’est penchée sur les virus, «intéressants parce que évoluant beaucoup plus rapidement tout en étant plus faciles à observer». Des recherches qui ont fini par
67
N H
J K
G F
DE MULTIPLES FORMES À TRAVERS LE MONDE Le VIH présente une diversité génétique importante. Deux types ont été découverts jusqu’à présents: VIH-1, le plus présent dans le monde, et VIH-2, moins contagieux. Au sein de chaque type existent plusieurs groupes qui, à leur tour, comportent des sous-types.
M
VIH-1
D C
B
O
A
P A Le groupe M du VIH-1 est le plus répandu à travers le monde. Il est responsable de la pandémie de sida avec près de 40 millions de personnes infectées. De nouvelles formes de VIH issues de la recombinaison entre les sous-types du groupe M émergent par ailleurs aujourd’hui.
attirer l’attention de la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL et le Fonds national suisse de la recherche scientifique qui ont financé la suite de ses travaux. Outre le fait de pouvoir prévoir l’évolution du VIH autour du globe, l’étude des flux migratoires des virus a déjà permis d’identifier le type de virus – et donc l’endroit – qui a vu pour la première fois le VIH passer de l’animal à l’homme. «Les animaux sont très rarement malades après avoir contractés le SIV (la forme animale du VIH, ndlr), ajoute Séverine Vuilleumier. Et c’est la même chose pour d’autres virus comme CORPORE SANO
VIH-2 B
Ebola, une autre pandémie qui a poussé la communauté scientifique à s’intéresser au sujet. Les mécanismes d’apparition de telle ou telle version du virus doivent encore être découverts. Si en règle générale ces recombinaisons affaiblissent le virus, il peut aussi malheureusement devenir beaucoup, beaucoup plus puissant. Ironiquement, ce n’est pas une bonne nouvelle pour le virus: devenir trop puissant peut signifier la mort de son hôte, et par conséquent sa propre disparition…» Beaucoup de choses que nous pensions certaines au sujet du VIH ont donc déjà été remises PROSPECTION
Apparu au début du 20e siècle dans la région du bassin du Congo chez les singes, le virus du sida a été transmis à l’homme aux alentours des années 1950. Il a commencé à migrer, sous ses différentes variantes génétiques, dans les autres régions du monde dans les années 1960. C’est aux conséquences de ces mouvements migratoires que Séverine Vuilleumier s’intéresse.
en question par les découvertes de ces nouveaux cartographes de la génomique dont Séverine Vuilleumier et son équipe font partie. L’étape suivante consiste maintenant à tenter d’élaborer des stratégies visant à contrôler, voire ralentir l’évolution du virus et de la pandémie. «Je me suis d’abord intéressée aux animaux pour ensuite me concentrer sur les virus, c’est une excellente manière de repasser du microscopique à l’échelle humaine», conclut avec malice Séverine Vuilleumier, qui semble plus motivée que jamais à continuer son yo-yo entre l’immense et l’immensément petit. ⁄
68
Méthylphénidate C 14H 19NO 2
C 14H 19 NO 2 UNE MOLÉCULE, UNE HISTOIRE TEXTE: BERTRAND TAPPY
Tout commence en 1944, lorsque le chimiste Leandro Panizzon synthétise le méthylphénidate en 1944 dans les laboratoires de Ciba à Bâle. Comme la grande majorité des chimistes de l’époque, il décide de tester au plus vite sa trouvaille sur la première personne qui lui tombe sous la main: sa femme, Marguerite (surnommée «Rita»). Et les effets ne tardent pas à se faire remarquer. C’est sur le court de tennis que Rita constate les plus grands changements, son jeu s’améliorant après en avoir absorbé. De fait, la molécule agit rapidement sur le système nerveux et favorise la concentration. Un brevet est donc déposé et le médicament est commercialisé pour lutter contre la
La Ritaline a passé le cap de la soixantaine, mais cette molécule est indissociablement liée aux enfants et aux ados.
fatigue et la confusion. On est alors au beau milieu de l’époque des trente Glorieuses: «Les découvertes médicales explosent après la Seconde Guerre mondiale, faisant espérer que la science trouvera un remède contre tous les maux, somatiques ou psychiques, analyse Thierry Buclin, chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. Mais dans ce second cas, la grande majorité des médicaments ne guérissent pas: ils modifient tout au plus le trouble ou le soulagent.» Quelques années après sa mise en vente, on découvre que la Ritaline permet d’améliorer le comportement quoti-
CORPORE SANO
dien des enfants souffrant de troubles du déficit d’attention, avec ou sans hyperactivité (TDAH). Au début, les prescriptions sont réservées aux cas les plus lourds, avec des résultats parfois spectaculaires. Mais au fil des années, le nombre d’enfants sous traitements augmente de manière tout aussi impressionnante. «Un certain revirement débute à la fin des années 1990 avec l’apparition d’une fronde anti-Ritaline, à qui l’on reproche beaucoup de choses, continue Thierry Buclin: ralentissement de la croissance, symptômes cardiaques, dépendance, passage aux drogues dures, idées suicidaires, etc.»
ZOOM
Alors que se poursuit la controverse et que se multiplient les études sur le TDAH, ce qu’on observe surtout, c’est à quel point l’usage de la Ritaline révèle les discordances régnant entre les régions, les groupes sociaux, les institutions, les médecins et les familles à propos d’une préoccupation aussi essentielle que la standardisation des comportements et la légitimité à les influencer de manière chimique. Qu’on les pense dissipés, indomptables, révoltés, à haut potentiels ou hyperactifs, nos jeunes continuent ainsi à questionner ce que nous attendons de la génération suivante. Reste à savoir si les réponses peuvent être apportées par une simple pilule. ⁄
69
SERGE GALLANT
Directeur du Centre des formations du CHUV
L’innovation pédagogique au service de la compétence? Attention aux risques de la «séducation»!
En Suisse, la formation tout au long de la vie professionnelle est particulièrement développée et largement soutenue par les autorités politiques, les associations professionnelles et les employeurs. Avec ses 10’000 collaborateurs et collaboratrices assumant une centaine de métiers distincts, le CHUV consacre une partie importante de son budget en faveur du développement de son personnel. A l’heure où les connaissances dans le domaine de la santé évoluent à vitesse grand V, la formation continue est fortement sollicitée afin de pallier rapidement les méconnaissances inévitables du personnel, celles d’un contexte où la médecine et les soins hautement spécialisés doivent répondre aux besoins d’une population vieillissante, gravement atteinte dans sa santé et vulnérable.
Faut-il rappeler qu’entre l’investissement de l’expert clinique et celui de l’expert en TICE, les coûts de production d’un e-learning interactif, tel que celui présenté plus loin dans la rubrique Tandem, représente en moyenne 300 heures de travail pour 1 heure de formation? Il n’est pas question ici de faire le procès des innovations pédagogiques et de prêcher pour le retour du bon vieux tableau noir et de la craie blanche. Bien au contraire! Dans certaines conditions, ces développements technologiques ont démontré leur efficacité, tant du point de vue de l’apprentissage que de la maîtrise des coûts. Néanmoins, il ne s’agit que d’une stratégie pédagogique et en cela, l’investissement important qu’elle implique a le mérite de nous (re)poser la question fondamentale quant à la mission de la formation.
PHILIPPE GÉTAZ
En milieu hospitalier, universitaire de surcroît, la finalité d’une formation continue ne peut agir uniquement au niveau de la connaissance du personnel. Il s’agit de mobiliser, pour le patient et ses proches, la compétence des professionnel-le-s, ce savant mélange de connaissances scientifiques, techniques, relationnelles, éthiques et collaboratives, toutes aussi importantes et indisIl n’est donc pas étonnant que les nouvelles pensables les unes que les autres. technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE), Cette préoccupation peut vite prendre la tangente et notamment l’e-Learning, apparaissent lorsqu’il s’agit d’innovations technologiques… comme autant de solutions miracle au risque de séduire les apprenants à défaut à qui veut croire qu’il n’y a qu’à transmettre de leur permettre d’apprendre! ⁄ d’un côté pour que l’apprentissage se fasse de l’autre.
CORPORE SANO
CHRONIQUE
CURSUS
CHRONIQUE
Avec la sur-spécialisation, le développement de filières biomédicales, il est de plus en plus difficile Jean-Daniel Tissot de définir ce qu’est Doyen de la Faculté de aujourd’hui un «médecin». biologie et de médecine de Médecins généralistes, l’Université de Lausanne spécialistes certes, mais aussi médecins chercheurs, a pénurie de médecins ce métier est plus que jamais protéiforme. est plus que jamais à Il faut mieux connaître cette réalité, l’agenda. Jusqu’au réordonner les messages contradictoires, Conseil fédéral qui hiérarchiser les intérêts divergents pour souhaite débloquer pouvoir apporter une réponse adéquate. 100 millions de francs Au risque sinon de lancer des mesures pour doper les d’urgence autour d’un fantasme. capacités de formation Et c’est le rôle d’une Faculté de biologie pré-graduée. Cette manne attire bien sûr et de médecine de remettre de l’ordre les convoitises, l’EPFZ préparant ainsi dans ce chaos. Il importe notamment de son propre Bachelor en médecine. dissiper le «brouillard de guerre» régnant La pression parlementaire, la frénésie sur le métier: nous souhaitons ainsi créer des annonces et nos propres inquiétudes une cohorte de médecins, dont nous nous forcent aujourd’hui à agir. Mais elles suivrons l’évolution dès la première année génèrent aussi un écran de fumée, masd’étude. La Faculté de biologie et de quant le problème de fond: notre relative médecine aura une mission complexe: méconnaissance de la démographie garantir une formation médicale de base médicale. Car le refrain sur la pénurie de orientée sur la clinique, tout en formant médecins revient aussi souvent que de nouvelles catégories de médecins, à l’antienne sur la surpopulation de spéciasavoir les médecins biologistes et les listes. Par ailleurs, selon une estimation de médecins ingénieurs. L’enjeu sera l’Académie suisse des sciences médicales, également celui de la communication; 20% des médecins changent de métier dix il importera de changer les métiers et ans après leur formation. Un chiffre qui non pas de créer des passerelles élitistes. reflète notamment la féminisation de la Et surtout, il faudra encourager les profession, et l’inadaptation de nos strucmédecins une fois diplômés et les accomtures à accompagner ce mouvement. Ce pagner, pour éviter les désillusions et n’est donc pas qu’un problème de formation. l’hémorragie démographique. ⁄
L
CEMCAV
CURSUS
UNE CARRIÈRE AU CHUV
Pénurie de données
70
CURSUS
ACTUALITÉ
Des billes contre le cancer
Des soins à l’hôtel
Le groupe du Prof. Alban Denys, médecin chef du service de radiodiagnostic et radiologie interventionnelle du CHUV, a été primé au Congrès européen de radiologie interventionnelle. La distinction récompense son travail sur des billes diffusant des agents anti-angiogéniques pour le traitement de cancers du foie. La licence a été vendue à une société anglaise qui se chargera de son développement. MB
Le premier hôtel des patients ouvrira à l’automne 2016 sur le site du CHUV. Cet établissement destiné à des malades autonomes et à leurs proches sera dirigé par la Vaudoise Stéphanie Abel.
ONCOLOGIE
Nouveau décanat à la FBM Le décanat de la Faculté de biologie et de médecine a cinq nouveaux visages depuis août. Jean-Daniel Tissot occupe le poste de doyen. Il est épaulé dans ses tâches par quatre nouveaux vice-doyens: Isabelle Décosterd pour l’enseignement et la formation, Nicolas Fasel pour la recherche & l’innovation, Manuel Pascual pour les affaires stratégiques, les relations extérieures et la communication et François Pralong pour la relève et les plans de carrière. MB NOMINATIONS
71
RECHERCHE
Un bâtiment inédit entrera en fonction sur le campus du CHUV à l’automne 2016. Il s’agit du premier hôtel des patients à ouvrir en Suisse. L’établissement de 114 chambres se destine à des patients autonomes dans leur vie quotidienne, ayant besoin de recevoir des soins aigus ou de subir des examens qui peuvent être organisés ou prodigués à l’Hôtel des patients. L’établissement sera dirigé par Stéphanie Abel, diplômée de l’Ecole hôtelière de Lausanne. Cette Moudonnoise d’origine s’est perfectionnée dans le domaine de la santé, dans un établissement médico-social, durant ses études. Elle a été directrice d’hôtel pendant 17 ans à Lausanne et à Genève. La Vaudoise prendra les rênes du nouvel Hôtel des Patients
dès le mois de janvier 2016 et s’occupera également des travaux de préouverture. Elle collaborera avec Jérôme de Torrenté, qui se chargera de l’équipe de soignants du CHUV. Cet hôtel pas comme les autres collaborera étroitement avec le CHUV, dont les médecins prodigueront les soins aux patients hébergés sous son toit. Les malades bénéficieront ainsi du confort d’un hôtel, tout en profitant du même encadrement médical et du même personnel soignant que dans un hôpital de soins aigus. L’hôtel des patients pourra également héberger les proches et les accompagnants des malades. D’autres projets de ce type sont à l’étude sur des campus hospitaliers helvétiques. MB
CURSUS
PORTRAIT
P
UNE CARRIÈRE AU CHUV
Physiothérapeute, Barbara Balmelli soigne le plus beau des outils: la main humaine. TEXTE: BERTRAND TAPPY, PHOTOS: HEIDI DIAZ
our commencer, livrons-nous à un petit exercice: tendez votre main devant vos yeux. Puis, lentement, agitez chacun de vos doigts en faisant tourner votre poignet. Rien de bien extraordinaire, n’est-ce pas? Maintenant, tentez d’imaginer les rouages et les câblages nécessaires pour reproduire ces mouvements de manière fidèle. Vous avez le vertige? C’est normal. Réalisation magnifique et encore inégalée, la main humaine continue en effet de fasciner les professionnels de la santé. Encore aujourd’hui, ils s’efforcent de percer tous les mystères que renferment ses 27 os, sa trentaine de muscles et ses innombrables terminaisons nerveuses. Malheureusement, le nombre de pathologies et de traumatismes susceptibles de toucher nos mains est également impressionnant: fracture, lésions ligamentaires, arthrose ou encore tendinite pour n’en citer que quelques-uns. Et même si le
72
traitement adéquat est fourni à temps, c’est dans la période de récupération que tout se joue. Notamment parce que notre cerveau a la fâcheuse tendance de négliger très vite la main diminuée. Ce phénomène, appelé «exclusion», peut souvent compliquer la rééducation (perte de sensibilité, raideur) et par conséquent le retour à la vie normale. D’où l’intérêt de recommencer la mobilisation le plus tôt possible. Et c’est à ce moment qu’intervient l’équipe des physiothérapeutes spécialistes du Département de l’appareil locomoteur du CHUV, dont fait partie Barbara Balmelli. En écoutant cette jeune physiothérapeute d’origine tessinoise, on réalise rapidement que la main n’a pas fini de la captiver. Pourtant, son choix de carrière est dû au hasard d’une formation suivie à Grenoble avec un collègue voilà quatre ans: «Ce qui m’a plu, c’est tout d’abord l’exceptionnelle passion qui se dégageait des
formateurs, raconte-t-elle. Il n’y a pas beaucoup de métiers qui focalisent autant leur attention sur le sujet, et on ne peut pas se satisfaire du service minimum. C’est un outil essentiel de notre quotidien, et un outil de travail pour une très grande partie de nos patients qui peut très vite mettre à mal notre autonomie lorsqu’elle est invalidée. Soigner la main de quelqu’un, c’est également entretenir un rapport privilégié, presque intime, que je trouve très précieux.» Même si les patients que Barbara rencontre ont tous des objectifs différents (reprendre le sport après un accident, retourner au travail après une inflammation ou simplement tenir un crayon), tous doivent se plier au jeu des séances qui s’enchaînent pendant des semaines, voire des mois. «L’aspect primordial est de retrouver une gestuelle et une fonction spontanées, continue Barbara Balmelli. Nous privilégions donc le côté ludique pour que nos patients ne réfléchissent plus à leurs mouvements. Et nous faisons en sorte qu’ils puissent échanger entre eux, pour partager leurs expériences. Un environnement parfait pour moi, qui déteste le statique!» ⁄
CURSUS
UNE CARRIÈRE AU CHUV
Dans le processus de rétablissement, le physiothérapeute n’est pas seul à décider. Le dialogue avec le patient est essentiel pour fixer les objectifs à atteindre, et le programme est établi en interaction avec les équipes soignantes et médicales.
Retrouver de la force, de la mobilité ou de la coordination: les stimulations et les exercices peuvent énormément varier d’un patient à un autre.
73
LUCIE CHARBONNEAU
TANDEM
RAUL PRIETO
CURSUS CURSUS
UNE CARRIÈRE AU CHUV
E
n 2009, 19,2% Lucie Charbonneau et Raul Prieto des cours en salle? des patients Trop compliqué, ont créé une formation à distance du CHUV coûteux et long. La sur un sujet sensible: la prévention développaient des formation à distance, escarres, ces lésions ou e-learning, des escarres. cutanées découlant peut-elle offrir une TEXTE: CAMILLE ANDRES, PHOTOS: HEIDI DIAZ essentiellement du alternative efficace? manque de mobilité. C’est autour de cette Environ 1’000 malades sont potentiellement question que Lucie Charbonneau travaille avec Raul concernés chaque année. «Les escarres ont un Prieto fin 2011, responsable des technologies de impact sur la qualité de vie du patient, mais aussi l’information et de la communication pour l’enseisur sa durée d’hospitalisation, parfois prolongée gnement au Centre des formations du CHUV. en raison de l’apparition de ces plaies», explique Ensemble, ils élaborent une formation de quatre Lucie Charbonneau, infirmière au CHUV. heures adaptée à un public de jeunes soignants nouvellement intégrés au CHUV. «Lucie a apporté Formée à Québec et arrivée au CHUV en 1994, son savoir-faire sur la matière, moi sur les méthodes Lucie Charbonneau s’est spécialisée en 2005 dans d’apprentissage», résume Raul Prieto. Au menu: les plaies et leur cicatrisation. Elle est nommée quiz, animations interactives, vidéos et simulations. responsable du programme «Objectif zéro escarre», lancé par le CHUV en 2009. Parmi toutes Les connaissances en matière d’escarres sont les actions à entreprendre, elle identifie rapidedésormais évaluées par questionnaire lors de ment un besoin important: former le personnel l’intégration de tout nouvel infirmier. Si le score soignant, et en priorité les nouveaux collaborane dépasse pas les 65% de bonnes réponses, teurs. «Le traitement des escarres est médical, l’infirmier est invité à suivre le cours développé mais la prévention relève du rôle des infirmiers et par Lucie Charbonneau et Raul Prieto durant ses des aides-soignants. C’est compliqué, car ce travail trois mois d’essai, via la plateforme de formation suppose une prise en charge spécifique, qui n’est à distance du CHUV. pas toujours enseignée dans les écoles. De plus, toute la difficulté pour les soignants est d’interveLes résultats sont là: le cours, lancé en 2014, a déjà nir sur un problème pouvant potentiellement se été suivi par près de 300 soignants. Ils sont près de produire. Etant donné la complexité de la prise en 80% à réussir l’examen final. Ceux qui échouent charge des patients, d’autres aspects médicaux sont invités à suivre à nouveau le module ou une importants sont souvent priorisés.» formation complémentaire traditionnelle, en salle. En décembre 2014, le taux d’escarres au CHUV L’enjeu est d’ordre pédagogique, mais des quesatteignait 10,3% – soit une baisse de moitié! Dès cet tions se posent également sur le plan pratique, face automne, la formation devrait être déployée auprès au nombre de collaborateurs à former. Organiser de tout le personnel soignant de l’hôpital.
EN SAVOIR PLUS
eformation.chuv.ch Site de l’espace d’apprentissage du CHUV
75
CURSUS
Myrmécologue honoré Laurent Keller, directeur du Département d’écologie et évolution de l’Université de Lausanne, est le lauréat du prix Marcel Benoist 2015. Le jury a souligné le caractère révolutionnaire de ses recherches en biologie évolutive portant sur les fourmis, qui ont permis une meilleure compréhension de la sélection naturelle et de l’organisation sociale des organismes vivants. MB PRIX
Fusion femmemère-enfant Le CHUV comptera une nouvelle entité dès 2016. Baptisée Département femme-mère-enfant, elle sera le résultat de la fusion entre le Département médico-chirurgical de pédiatrie et celui de gynécologie-obstétrique et génétique médicale. La nouvelle unité sera dirigée par Jean-François Tolsa, prof. ordinaire à la Faculté de biologie et de médecine. Le département sera pleinement opérationnel en 2017. MB
Lien entre éducation et régime méditerranéen Les personnes au bénéfice d’un niveau d’éducation élevé possèdent les habitudes alimentaires les plus proches du régime méditerranéen, considéré comme ayant une action préventive contre les maladies cardio-vasculaires, le diabète et l’obésité. C’est le résultat d’une étude menée par l’équipe du Prof. Pedro Marques-Vidal du Service de médecine interne du CHUV qui a scruté les assiettes de plus de 4’000 Lausannois. Elle s’inscrit dans le cadre de la cohorte lausannoise (CoLaus) qui étudie les causes des maladies cardiovasculaires.
ÉTUDE
MB
Philippe Ryvlin élu «Ambassadeur de l’épilepsie» Expert internationalement reconnu dans le domaine de l’épilepsie, Philippe Ryvlin, chef du Département des neurosciences cliniques du CHUV, a été récemment récompensé par le titre d’ambassadeur de l’épilepsie décerné par l’International League Against Epilepsy (ILAE) et l’International Bureau for Epilepsy (IBE). Ce titre est remis tous les deux ans par le comité exécutif de l’ILAE et l’IBE à des personnalités qui ont témoigné d’un engagement exceptionnel dans la lutte internationale contre l’épilepsie. BT
DISTINCTION
ERIC DÉROZE
ORGANISATION
ACTUALITÉ
76
CURSUS
UNE CARRIÈRE AU CHUV
MIGRATION
Après avoir achevé ses études de médecine à 21 ans, Clara Podmore est partie à Cambridge pour réaliser son PhD en épidémiologie. Expliquez-nous vos recherches en quelques mots... Le but de mon PhD est de déterminer s’il y a une association causale entre la surcharge en fer et le diabète de type 2. Nous savons qu’une grande proportion des patients atteints d’hémochromatose – une maladie génétique caractérisée par une surcharge en fer – ont aussi un diabète de type 2. L’intérêt est de pouvoir identifier de nouveaux facteurs de risques modifiables pour le diabète de type 2, en plus des facteurs non modifiables que nous connaissons actuellement (âge, sexe, patrimoine génétique, etc.) et donc d’améliorer la prévention et le traitement de cette maladie. Pour y arriver, il faut analyser les données génétiques de dizaines de milliers de personnes, et identifier les gènes qui sont responsables du métabolisme du fer. Ensuite, il faudra voir s’ils ont un effet sur le développement du diabète pour confirmer notre hypothèse.
DR
Faire des études à Cambridge dans un laboratoire d’envergure internationale, c’est un rêve qui se concrétise? Je dirais plutôt un projet qui est né au fil de ma carrière. Heureusement, tous les meilleurs groupes de recherche ne se situent pas aux Etats-Unis, et je dois avouer que j’ai un certain penchant pour la culture et le style de vie anglais qui privilégient
77
NOM Podmore PRÉNOM Clara TITRE Médecin-assistante au Service de médecine interne (2011)
l’équilibre entre le travail et la vie privée. Ce n’est pas toujours facile de rester motivé en faisant de la recherche, alors c’est important d’avoir un environnement dans lequel on se sent heureux pour garder l’élan et l’envie! Votre travail exige de nombreuses heures devant un ordinateur pour l’analyse de données (ce que l’on appelle le «dry lab»). Comment gérez-vous ces périodes fastidieuses loin de la clinique? C’est vrai que mon occupation principale est très différente du quotidien de la clinique. Par contre, je me suis assurée de ne pas perdre la main totalement en voyant des patients, en allant a des colloques et surtout en discutant de cas que voient mes collègues qui font surtout de la clinique. Sans compter que cela m’a permis de vivre un autre système de santé, avec ses points forts et ses faiblesses. Et d’apprécier encore plus le système de santé suisse, qui est globalement excellent. ⁄ BT
BACKSTAGE CARTE HEALTH VALLEY La maquette en 3D de la Suisse romande a été réalisée par le jeune maquettiste Adrien Pochon à l’aide de papier et de carton-plume (p. 06)
DR, GILLES WEBER
ADOLESCENTS Johann Pelichet, apprenti photographe au CEMCAV, a immortalisé les trois jeunes femmes qui ont témoigné dans le dossier sur les adolescents (p. 19 à 29). Il est aussi l’auteur de l’image de couverture.
78
CONTRIBUTEURS
TANG YAU HOONG Illustrateur autodidacte basé à Kuala Lumpur, en Malaisie, Tang Yau Hoong collabore régulièrement avec LargeNetwork. Pour ce numéro d’«In Vivo», il a créé le visuel métaphorique qui accompagne l’article sur le crowdfunding dans la recherche médicale (p. 37).
CATHERINE COCHARD
DR
Journaliste et réalisatrice indépendante, Catherine Cochard se passionne pour la dimension humaine des sujets qu’elle aborde. Pour ce numéro d’«In Vivo», elle s’est intéressée aux bienfaits de la musique (p. 50) sur les patients ainsi que sur le crowdfunding appliqué à la recherche médicale (p. 37).
79
ANDRÉE-MARIE DUSSAULT Andrée-Marie Dussault est journaliste indépendante depuis 2004. Rédactrice en chef du magazine féministe l’«Emilie» à Genève entre 1998 et 2003, elle a rédigé pour «In Vivo» l’article sur la pilule destinée à renforcer le désir sexuel des femmes (p. 56)
IN VIVO
Une publication éditée par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et l’agence de presse LargeNetwork www.invivomagazine.com
ÉDITION
CHUV, rue du Bugnon 46 1011 Lausanne, Suisse T. + 41 21 314 11 11, www.chuv.ch redaction@invivomagazine.com RÉALISATION ÉDITORIALE ET GRAPHIQUE LargeNetwork, rue Abraham-Gevray 6 1201 Genève, Suisse ÉDITEURS RESPONSABLES T. + 41 22 919 19 19, www.LargeNetwork.com Béatrice Schaad et Pierre-François Leyvraz DIRECTION DE PROJET ET ÉDITION ONLINE
Bertrand Tappy REMERCIEMENTS
RESPONSABLES DE LA PUBLICATION
Gabriel Sigrist et Pierre Grosjean
DIRECTION DE PROJET
Melinda Marchese Fiona Amitrano, Alexandre Armand, Anne-Marie Barres, Francine Billote, Valérie Blanc, Gilles Bovay, Virginie Bovet, Mirela Caci, Stéphane Coendoz, Muriel DIRECTION GRAPHIQUE Cuendet Teurbane, Stéphanie Dartevelle, Diane De Diana Bogsch et Sandro Bacco Saab, Frédérique Decaillet, Muriel Faienza, Marisa Figueiredo, Pierre Fournier, Serge Gallant, Christine RÉDACTION Geldhof, Nicole Gerber, Katarzyna Gornik-Verselle, Déborah Hauzaree, Aline Hiroz, Pauline Horquin, LargeNetwork (Camille Andres, Alexandre Babin, Céline Bilardo, Martine Brocard, Clément Bürge, Catherine Cochard, Marie-Andrée Dussault, Erik Freudenreich, Joëlle Isler, Nathalie Jacquemont, Nicolas Jayet, Emilie Jendly, Anne-Renée Leyvraz, Cannelle Luc Henry, Leila Hussein, Benjamin Keller, Melinda Marchese, Carine Neier, Julie Zaugg), Keller, Elise Méan, Laurent Meier, Brigitte Bertrand Tappy. Morel, Thuy Oettli, Denis Orsat, Manuela Palma De Figueiredo, Odile Pelletier, RECHERCHE ICONOGRAPHIQUE Fabienne Pini-Schorderet, Isabel Prata, Diana Bogsch, Sabrine Elias Ducret, Olivia de Quatrebarbes et David Stettler Sonia Ratel, Massimo Sandri, Dominique Savoia Diss, Jeanne-Pascale Simon, Christian Sinobas, Elena Teneriello, IMAGES Laure Treccani, Céline Vicario et le CEMCAV (Eric Déroze, Heidi Diaz, Philippe Gétaz, Johann Pelichet, Gilles Weber) Service de communication du CHUV. Benoît Ecoiffier, Sébastien Fourtouill , Thierry Parel, Adrien Pochon, David Stewart, Tang Yau Hoong PARTENAIRE DE DISTRIBUTION
BioAlps
MISE EN PAGE
Diana Bogsch et Benoît Ecoiffier
TRADUCTION
Technicis IMPRESSION
PCL Presses Centrales SA TIRAGE
18’000 exemplaires en français 2’000 exemplaires en anglais Les propos tenus par les intervenants dans «In Vivo» et «In Extenso» n’engagent que les intéressés et en aucune manière l’éditeur.
SUIVEZ-NOUS SUR: TWITTER: INVIVO_CHUV FACEBOOK: MAGAZINE.INVIVO
IN EXTENSO
24H dans le cerveau humain